MM. Philippe ADNOT et Michel BERSON, rapporteurs spéciaux

PREMIÈRE PARTIE :
LES ÉVOLUTIONS BUDGÉTAIRES TRANSVERSES
DE LA MISSION « RECHERCHE ET ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR » EN 2015

I. L'ÉVOLUTION DU FINANCEMENT DE LA RECHERCHE ET DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR EN 2016

A. UNE MISSION BUDGÉTAIRE COMPLEXE : NEUF PROGRAMMES, SIX MINISTÈRES, DES DÉPENSES HÉTÉROGÈNES

La mission « Recherche et enseignement supérieur » (25,9 milliards d'euros de crédits de paiement prévus en 2016), rattachée à six ministères, comporte neuf programmes d'ampleur et de nature très diverses : subventions aux universités, à certaines écoles d'enseignement supérieur et aux organismes de recherche, bourses étudiantes, soutien aux entreprises innovantes...

La maquette budgétaire n'a pas connu d'évolution pour la présentation du projet de loi de finances pour 2016 et reste identique à la nomenclature utilisée en projet de loi de finances pour 2015.

Le programme 150 « Formation supérieure et recherche universitaire » , qui finance les universités, porte près de la moitié des crédits de la mission (12,8 milliards d'euros). Il forme, avec le programme 231 « Vie étudiante » qui retrace les aides directes et indirectes accordées aux étudiants (10 % des crédits de la mission), l'ensemble des programmes dits « Enseignement supérieur », par opposition aux sept programmes dits « Recherche » qui correspondent à environ 40 % des crédits de la mission. À l'intérieur des programmes dits « Recherche », le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » est le plus important en termes de crédits avec 6,3 milliards d'euros (AE=CP) demandés pour 2016 (soit près de 20 % des crédits de la mission). Les six programmes restants totalisent environ 20 % des crédits de la mission et sont rattachés chacun à un ministère différent.

Cependant, il faut noter que la partition entre programmes « Enseignement supérieur » et programmes « Recherche » qui ne correspond pas complètement à la réalité , dans la mesure où le programme 150 contient une action de recherche (action 17) et les programmes 192 et 142 financent aussi des écoles d'enseignement supérieure (enseignement supérieur agricole, écoles vétérinaires et écoles d'ingénieur). Si l'analyse est affinée au niveau de l'action, c'est un peu plus de la moitié des crédits de la mission qui sont consacrés à la recherche . En effet, d'après l'annexe dite « Jaune » au projet de loi de finances pour 2016, portant sur les politiques nationales de recherche et de formation supérieure, la recherche devrait bénéficier en 2016 de 13,800 milliards d'euros en CP contre 12,083 milliards d'euros (en CP également) pour l'enseignement supérieur.

La répartition des crédits exécutés en 2014 entre les programmes de la mission « Recherche et enseignement supérieur »

(en %)

N.B. : en 2014, subsistait le programme « Recherche dans le domaine de la gestion des milieux et des ressources », qui a depuis été regroupé avec le programme « Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de l'aménagement durable » - ce qui explique que le graphique présente dix programmes au lieu de neuf.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Outre le nombre de programmes et de ministères de rattachement, le suivi de la mission est davantage complexifié par l'importance et le nombre des opérateurs. Ainsi, la mission « Recherche et enseignement supérieur » est la plus forte contributrice au financement des opérateurs de l'État : 95 % des crédits de la mission leur sont destinés, soit environ 21,7 milliards d'euros (CP) en 2016 3 ( * ) . Les opérateurs comprennent les universités, les écoles d'enseignement supérieur inclues dans le périmètre de la mission et les organismes de recherche. Ils sont, eux aussi, marqués par une grande hétérogénéité puisqu'ils rassemblent des établissements dont le statut juridique, la taille et les missions diffèrent. Le pilotage des opérateurs de recherche et d'enseignement supérieur par l'État passe principalement par la conclusion de contrats (de site ou d'objectifs et de performance) formalisant les orientations retenues par la ou les tutelles.

Le pilotage des opérateurs de recherche et d'enseignement supérieur

« Le pilotage des organismes de recherche repose sur différents outils complémentaires que sont notamment la préparation des conseils d'administration, la lettre de mission des dirigeants d'organisme, la lettre annuelle d'objectifs, associée à la part variable de la rémunération des dirigeants, ainsi que le contrat pluriannuel d'objectifs et de performance. Il s'inscrit pleinement dans le cadre des orientations définies par la circulaire du 23 juin 2015 relative au pilotage des opérateurs et autres organismes publics contrôlés par l'État. Au-delà du suivi régulier des organismes, notamment par l'intermédiaire de l'instruction des points inscrits à l'ordre du jour de leurs conseils d'administration, et du cadrage annuel du financement de leurs activités via leurs budgets, le pilotage ministériel doit pouvoir s'appuyer sur un instrument de moyen terme. Ainsi, les grands objectifs que les ministères de tutelle assignent à un organisme sont inscrits dans un contrat pluriannuel, conclu, sur le fondement de l'article L 311-2 du code de la recherche, entre l'État et l'établissement pour une durée de cinq ans, appelé contrat d'objectifs et de performance (COP).

Concernant les établissements d'enseignement supérieur , l'article 17 de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et aux responsabilités des universités (LRU) a confirmé le rôle central et obligatoire des contrats pluriannuels dans le dispositif de pilotage. Cette reconnaissance législative s'est inscrite dans un contexte d'accès aux responsabilités et compétences élargies (RCE) des universités. Dès lors, le contrat a eu pour objectif de favoriser un dialogue stratégique entre l'État et les établissements d'enseignement supérieur, tenant compte de leur nouvelle autonomie de gestion. De quadriennal, le contrat est devenu quinquennal, la contractualisation s'opérant désormais en cinq vagues composées en moyenne de 30 établissements. Un cycle complet du nouveau dialogue contractuel entre les établissements d'enseignement supérieur et le MESR, mis en place en juillet 2009, s'est achevé avec la signature en mars 2012 des contrats de la vague B (2012-2016). »

Source : rapport sur les politiques nationales de recherche et de formations supérieures annexé au projet de loi de finances pour 2016

B. LA STABILITÉ DES CRÉDITS ALLOUÉS À L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET À LA RECHERCHE REMISE EN CAUSE APRÈS LA SECONDE DÉLIBÉRATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

1. Une budgétisation 2016 initialement stable par rapport à 2015

Les crédits initialement proposés dans le projet de loi de finances pour 2016 étaient stables par rapport aux années précédentes, tant sur le périmètre « Enseignement supérieur » que pour les programmes « Recherche ».

Évolution des crédits alloués à l'enseignement supérieur et à la recherche
de 2013 à 2016

(en millions d'euros)

Note de lecture : le total « Enseignement supérieur » correspond à la somme des programmes 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » et 231 « Vie étudiante ». Le total « Recherche » correspond à la somme des autres programmes de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les crédits des programmes « Enseignement supérieur », analysés par le rapporteur spécial Philippe Adnot, devaient connaître une hausse de 2,2 % tandis que les programmes « Recherche », analysés par le rapporteur spécial Michel Berson, ne devaient presque pas augmenter hors mesure de périmètre sur le CEA (+ 0,3 % en AE, stabilité des CP).

Évolution des crédits (y compris fonds de concours) par programme depuis 2014, avant votes de l'Assemblée nationale

(en millions d'euros)

2014

2015

2016

2016/2015

Prév.

Exéc.

Prév.

Prév.

En M€

En %

150

Formations supérieures et recherche universitaire

AE

12 558,8

12 664,4

12 732,0

12 921,8

189,8

1,5%

CP

12 849,5

12 743,5

12 829,8

12 831,9

2,1

0,0%

231

Vie étudiante

AE

2 448,5

2 463,3

2 510,2

2 544,1

33,9

1,4%

CP

2 458,9

2 451,0

2 507,6

2 489,2

-18,4

-0,7%

Total "Enseignement supérieur"

AE

15 007,3

15 127,7

15 242,2

15 465,9

223,7

1,5%

CP

15 308,4

15 194,5

15 337,4

15 321,1

-16,3

-0,1%

172

Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires

AE

5 053,7

4 961,1

6 265,1

6 264,3

-0,8

0,0%

CP

5 053,7

4 719,9

6 270,0

6 268,9

-1,1

0,0%

187

Recherche dans le domaine de la gestion des milieux et des ressources

AE

1 277,6

1 261,1

Supprimé en 2015

CP

1 277,6

1 261,1

193

Recherche spatiale

AE

1 429,1

1 355,7

1 434,5

1 441,7

7,2

0,5%

CP

1 429,1

1 345,9

1 434,5

1 441,7

7,2

0,5%

190

Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durable

AE

1 630,7

1 589,1

1 647,8

1 437,8

-210,0

-12,7%

CP

1 640,7

1 608,2

1 655,8

1 683,8

28,0

1,7%

192

Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle

AE

963,0

916,0

928,1

928,1

0,0

0,0%

CP

984,2

942,1

975,9

945,2

-30,7

-3,1%

191

Recherche duale

AE

192,1

61,1

192,1

180,1

-12,0

-6,2%

CP

192,1

61,1

192,1

180,1

-12,0

-6,2%

186

Recherche culturelle et culture scientifique

AE

112,7

109,3

118,2

123,8

5,6

4,7%

CP

114,6

110,6

118,0

123,8

5,8

4,9%

142

Enseignement supérieur et recherche agricole

AE

312,0

315,9

332,9

334,0

1,1

0,3%

CP

312,0

315,9

329,4

333,2

3,8

1,2%

Total "Recherche" hors PIA

AE

10 970,9

10 569,2

10 918,7

10 709,7

-209,0

-1,9%

CP

11 004,0

10 364,7

10 975,7

10 976,7

1,0

0,0%

409

Écosystèmes d'excellence

AE

4 115,0

3 986,5

0,0

CP

4 115,0

3 986,5

0,0

410

Recherche dans le domaine de l'aéronautique

AE

1 220,0

1 008,5

0,0

CP

1 220,0

1 008,5

0,0

Total "Recherche" avec PIA

AE

16 305,9

15 564,2

10 918,7

10 709,7

-209,0

-1,9%

CP

16 339,0

15 359,7

10 975,7

10 976,7

1,0

0,0%

Total général

AE

31 313,2

30 691,8

26 160,9

26 175,6

14,7

0,1%

CP

31 647,4

30 554,2

26 313,1

26 297,8

-15,3

-0,1%

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

2. Une augmentation de 421 millions d'euros votée en première délibération par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a adopté, en première délibération, deux amendements de crédits sur la mission : le premier porte sur le programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » et conduit à relever de 100 millions d'euros (en AE=CP) le financement des universités , « dans le contexte d'une démographie étudiante dynamique » et en réponse à la « demande provenant de la communauté universitaire, et notamment des étudiants ». Le second concerne le programme 190 « Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables », dont les crédits sont majorés de 321 millions d'euros afin de porter désormais la totalité des coûts de démantèlement et d'assainissement des installations nucléaires du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) en exploitation ou à l'arrêt au 31 décembre 2009. Cette dernière ouverture ne correspond pas réellement à la mise à disposition de fonds supplémentaires : il s'agit de modifier le mode de financement du démantèlement nucléaire - qui était jusqu'ici partiellement assuré par la revente de titres Areva par le CEA à l'État - et non leur montant.

Après la première délibération, les crédits de la mission étaient donc rehaussés de 421 millions d'euros à périmètre courant et de 100 millions d'euros à périmètre constant .

3. Une diminution de 119 millions d'euros votée en seconde délibération par l'Assemblée nationale

En seconde délibération, à l'initiative du Gouvernement, l'Assemblée nationale a adopté une réduction des crédits de la mission à hauteur de 119 millions d'euros qui porte essentiellement sur les programmes « Recherche » et plus particulièrement sur le programme 193 « Recherche spatiale » qui voit ses crédits réduits de près de 5 % (en AE=CP).

Évolution des crédits de la mission après adoption du budget par
l'Assemblée nationale

(en millions d'euros et en %)

PLF 2016

Première délibération de l'Assemblée nationale

Seconde délibération de l'Assemblée nationale

Écart PLF/ crédits votés AN

Programme

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Formations supérieures et recherche universitaire

12 921,8

12 831,9

100,0

100,0

0,4

0,4

100,4

100,4

0,8%

0,8%

Vie étudiante

2 544,1

2 489,2

0,0

0,0

0,0

0,0%

0,0%

Total "Enseignement supérieur"

15 465,9

15 321,1

100,0

100,0

0,4

0,4

100,4

100,4

0,6%

0,7%

Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires

6 264,3

6 268,9

-20

-20

-20,0

-20,0

-0,3%

-0,3%

Recherche spatiale

1 441,7

1 441,7

-70

-70

-70,0

-70,0

-4,9%

-4,9%

Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durable

1 437,8

1 683,8

+321

+321

-10,7

-10,7

310,3

310,3

21,6%

18,4%

Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle

928,1

945,2

-15,42

-15,42

-15,4

-15,4

-1,7%

-1,6%

Recherche duale

180,1

180,1

0

0

0,0

0,0

0,0%

0,0%

Recherche culturelle et culture scientifique

123,8

123,8

-1

-1

-1,0

-1,0

-0,8%

-0,8%

Enseignement supérieur et recherche agricole

334,0

333,2

-2,1

-2,3

-2,2

-2,3

-0,7%

-0,7%

Total "Recherche"

10 709,7

10 976,7

321,0

321,0

-119,4

-119,4

201,6

201,6

1,9%

1,8%

Total général

26 175,6

26 297,8

421,0

421,0

-119,0

-119,1

302,0

301,9

1,2%

1,1%

Total général à périmètre constant

26 175,6

26 297,8

100,0

100,0

-119,0

-119,1

-19,0

-19,1

-0,1%

-0,1%

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Au total, la budgétisation 2016 a été réduite de 19 millions d'euros à périmètre constant après les votes de l'Assemblée nationale résultant d'une hausse de 100 millions d'euros sur le programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » et d'une diminution de 119 millions d'euros sur les programmes « Recherche ». La diminution des moyens accordés à la recherche ne paraît pas cohérente avec la sanctuarisation des crédits annoncée par le Président de la République ni avec les enjeux qui lui sont associés . C'est un signal négatif envoyé aux chercheurs, aux entreprises innovantes qui s'appuient sur leurs travaux et aux pays avec lesquels la France est associée dans des programmes internationaux.

La budgétisation des différents programmes, très contrastée, fait l'objet de remarques plus détaillées dans la suite de la présente contribution .

C. DES DÉPENSES FISCALES RATTACHÉES À LA MISSION QUI DEVRAIENT ATTEINDRE 6,3 MILLIARDS D'EUROS EN 2016, EN HAUSSE DE 240 MILLIONS D'EUROS PAR RAPPORT À 2015

Les dépenses fiscales rattachées à la mission à titre principal sont au nombre de 22 , dont 17 devraient avoir un impact budgétaire en 2016. La majorité d'entre elles est liée aux programmes relatifs à la recherche .

Elles devraient représenter en 2015 un coût de 6,3 milliards d'euros (25 % des crédits de la mission), soit environ 240 millions de plus qu'en 2015 selon la prévision révisée associée au projet de loi de finances pour 2016 4 ( * ) . Cette augmentation est liée à celle du crédit d'impôt recherche (CIR) , qui représente près de 90 % du montant des dépenses fiscales de la mission et dont le coût passerait de 5,3 milliards d'euros en 2015 à 5,5 milliards d'euros en 2016.

Les dépenses fiscales rattachées aux programmes de la mission à titre subsidiaire, au nombre de 9 pour un montant d'environ 3,4 milliards d'euros en 2016 sont pour la plupart des dépenses fiscales relatives à l'enseignement supérieur . La plus importante est la réduction d'impôt au titre des dons , qui représente plus de 1 milliard d'euros.

Évolution des dépenses fiscales rattachées à la mission « Recherche et enseignement supérieur » à titre principal de 2010 à 2016

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les réponses du MESR au questionnaire de vos rapporteurs spéciaux


* 3 Annexe dite « Jaune Opérateurs » au projet de loi de finances pour 2016, pp. 16-17.

* 4 Ne sont prises en compte que les dépenses fiscales rattachées à titre principal, et non celles qui sont liées à la mission de façon subsidiaire.