M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial

PREMIÈRE PARTIE
LA MISSION « MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES »

I. LA RELATIVE STABILITÉ DE LA MISSION « MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES » ET DE SES FINANCEMENTS COMPLÉMENTAIRES

1. Une baisse apparente des crédits de la mission en raison de modifications de périmètre pour l'année 2018

Le montant des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » s'élève à 555,42 millions d'euros en crédits de paiement dans le présent projet de loi de finances. Ce montant est en diminution de 13,32 millions d'euros par rapport aux crédits votés en loi de finances initiale pour 2017, hors crédits de la réserve parlementaire.


Évolution de la répartition des crédits de la mission
« Médias, livre et industries culturelles » de 2017 à 2018

(en millions d'euros)

LFI 2017*

PLF 2018

Variation 2018/2017 (M€)

Variation 2018/2017 (%)

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

180 - Presse et médias

292,31

292,31

284,90

284,90

-7,41

-7,41

-2,5%

-2,5%

Relations financières avec l'AFP

132,48

132,48

131,48

131,48

-1,00

-1,00

-0,8%

-0,8%

Aides à la presse

125,84

125,84

119,43

119,43

-6,41

-6,41

-5,1%

-5,1%

Soutien aux médias de proximité

1,58

1,58

1,58

1,58

0,00

0,00

0,0%

0,0%

Soutien à l'expression radiophonique locale

30,75

30,75

30,75

30,75

0,00

0,00

0,0%

0,0%

Compagnie internationale de radio et de télévision (CIRT)

1,67

1,67

1,67

1,67

0,00

0,00

0,0%

0,0%

334 - Livre et industries culturelles

278,44

276,43

261,76

270,51

-16,69

-5,91

-6,0%

-2,1%

Livre et lecture

261,53

259,51

246,65

255,41

-14,87

-4,10

-5,7%

-1,6%

Industries culturelles

16,92

16,92

15,11

15,11

-1,81

-1,81

-10,7%

-10,7%

Total Mission « Médias, livre et industries culturelles »

570,76

568,74

546,66

555,42

-24,09

-13,32

-4,2%

-2,3%

* Hors réserve parlementaire

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données budgétaires

Les crédits sont répartis en parts quasi égales entre les deux programmes de la mission : 284,9 millions d'euros (CP) pour le programme « Presse et médias » et 270,51 millions d'euros (CP) pour le programme « Livre et industries culturelles ».

Les crédits du programme « Presse et médias » sont en diminution de 2,5 % par rapport au projet de loi de finances pour 2017 et cette baisse des crédits s'impute principalement sur les aides à la presse , pour un peu plus de 6 millions d'euros ( cf. infra ).

Le programme « Livre et industries culturelles » est en diminution apparente de 2,1 % en crédits de paiement, avec presque 6 millions d'euros de moins qu'en 2017. Cependant, cette variation de l'enveloppe accordée au livre et aux industries culturelles cache en réalité une double évolution de périmètre .


Évolution de la répartition des crédits du programme
« Livre et industries culturelles » de 2017 à 2018, à périmètre constant

(en millions d'euros)

(en millions d'euros)

LFI 2017*

PLF 2018

Variation 2018/2017 (M€)

Variation 2018/2017 (%)

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Livre et lecture

261,53

259,51

257,22

265,98

-4,30

6,47

-1,6%

2,5%

Industries culturelles

16,92

16,92

18,73

18,73

1,81

1,81

10,7%

10,7%

334 - Livre et industries culturelles

278,44

276,43

275,95

284,71

-2,49

8,28

-0,9%

3,0%

* Hors réserve parlementaire

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données budgétaires

D'une part, tous les crédits du ministère de la culture consacrés à l'éducation artistique et culturelle sont transférés dans le présent projet de loi de finances vers le programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » de la mission « Culture » . Ce sont 9,2 millions d'euros consacrés aux dispositifs en faveur de la lecture, avec en particulier les contrats territoire lecture, qui doivent être pris en compte dans l'analyse de l'évolution des crédits de 2017 à 2018.

D'autre part, l'aide à la diffusion du cinéma en région est prise en charge à compter de 2018 par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) . Le montant de cette aide s'élève à 3 millions d'euros.

À périmètre constant, les crédits du programme « Livre et industries culturelles » sont donc en augmentation de 3 % en 2018.

La légère diminution des crédits de la mission, après prise en compte des évolutions de périmètre, devrait se poursuivre en 2019 avant une stabilisation en 2020 selon la prévision triennale inscrite dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

Prévision de l'évolution de 2017 à 2020 du plafond des dépenses de la mission « Médias, livre et industries culturelles » et du budget général de l'État,
hors contribution au compte d'affectation spéciale « Pensions »

Crédits de paiement
(en milliards d'euros)

LFI 2017

LFI 2017 Format 2018

2018

2019

2020

Évolution 2018/2017

Évolution 2020/2018

en valeur absolue

en %

en valeur absolue

en %

Mission « Médias, livre et industries culturelles »

0,57

0,57

0,56

0,54

0,54

-0,01

-1,8%

-0,02

-3,6 %

Total budget général

234,66

236,05

241,53

242,83

248,81

5,48

2,3%

7,28

3,0 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données budgétaires

2. Le montant des crédits de la mission ne révèle pas la réalité du soutien financier au secteur des médias, du livre et des industries culturelles

Le montant des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » ne retrace qu' une partie du soutien financier apporté par l'État au secteur. Il convient d'y ajouter le montant des importantes dépenses fiscales rattachées aux deux programmes de la mission, ainsi que le montant des taxes affectées à deux opérateurs du programme « Livre et industries culturelles », le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) et le Centre national du livre (CNL).


Répartition du soutien financier
aux médias, au livre et aux industries culturelles (prévisions pour 2018)

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données budgétaires

Au total, l'effort financier pour le secteur s'élèvera en 2018, selon les prévisions budgétaires, à 1 753,3 millions d'euros , les crédits budgétaires de la mission ne représentant qu' un tiers de cet ensemble .

a) D'importantes dépenses fiscales

La presse, le livre et les industries culturelles bénéficient de dépenses fiscales d'un montant important, qui complètent le soutien au secteur apporté par les crédits de la mission. En 2018, le montant de ces dépenses fiscales est évalué à 495 millions d'euros .

Évolution du montant des dépenses fiscales rattachées à la mission
« Médias, livre et industries culturelles » de 2015 à 2018

(en millions d'euros)

Chiffrage 2015

Chiffrage 2016

Chiffrage 2017

Chiffrage 2018

Principales dépenses fiscales du programme 180 - Presse et Médias

165

161

161

166

Taux de 2,10 % applicable aux publications de presse

165

160

160

165

Déduction spéciale prévue en faveur des entreprises de presse

0

1

1

1

Application d'une assiette réduite pour le calcul de la taxe sur la publicité diffusée par les chaînes de télévision, pour les éditeurs de services de télévision dont l'audience quotidienne réalisée en dehors de la France métropolitaine est supérieure à 90 % de leur audience totale

å

å

å

å

Réduction d'impôt accordée au titre des souscriptions en numéraire au capital d'entreprises de presse

_

å

å

å

Principales dépenses fiscales du programme 334 - Livre et industries culturelles

167

161

316

329

Crédit d'impôt pour dépenses de production d'oeuvres audiovisuelles

61

54

126

126

Crédit d'impôt pour dépenses de production d'oeuvres cinématographiques

66

58

121

121

Crédit d'impôt pour dépenses de production d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles engagées par des entreprises de production exécutive

12

19

40

46

Réduction d'impôt au titre des souscriptions en numéraire au capital de sociétés anonymes agréées ayant pour seule activité le financement d'oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles

20

21

21

28

Crédit d'impôt pour la production phonographique

8

9

8

8

Total des dépenses fiscales rattachées à la mission « Médias, livre et industries culturelles »

332

322

477

495

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données budgétaires

Pour le secteur de la presse, la principale dépense fiscale est le taux de taxe sur la valeur ajoutée de 2,1 % sur les publications de presse . Le montant de cette seule dépense fiscale est d'environ 165 millions d'euros .

Depuis le 1 er février 2014, ce taux réduit est également applicable aux services de presse en ligne 1 ( * ) , contrairement aux dispositions de la directive 2006/112 CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.

À la suite de cette extension de l'application du taux de 2,1 % aux services de presse en ligne, la commission européenne a adressé une mise en demeure à la France le 10 juillet 2014. Le Gouvernement a défendu la conformité de l'alignement des taux de TVA applicables aux services de presse, qu'ils soient traditionnels ou en ligne, en invoquant le principe de neutralité fiscale. Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, a par la suite annoncé une réforme permettant l'alignement des taux de TVA des livres électroniques et de la presse en ligne sur les taux appliqués aux supports papier. Une proposition de révision de la directive a été présentée par la Commission européenne le 1 er décembre 2016 en ce sens, mais la nécessité de recueillir l'unanimité des États membres sur un sujet fiscal a, pour le moment, empêché l'adoption de ce texte.

Lors de son audition par les commissions des finances et des affaires européennes du Sénat le 7 novembre 2017, Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes, a rappelé qu'il était favorable à l'application d'un taux identique aux publications de presse, quel que soit le support.

Les dépenses fiscales rattachées au programme « Livre et industries culturelles » représentent un montant de 329 millions d'euros, qui bénéficie principalement au cinéma. Ce montant a doublé entre 2016 et 2017 , en raison de l'extension des dispositifs en faveur de la production cinématographique et audiovisuelle en 2014 et en 2016 2 ( * ) . Le crédit d'impôt cinéma a ainsi été ouvert à certaines oeuvres en langue étrangère et l'ensemble des oeuvres cinématographiques tournées en langue française, ainsi que les films d'animation et les fictions dites à forts effets visuels bénéficient désormais d'un taux majoré à 30 %. De plus, le plafond du crédit d'impôt pour une même oeuvre a été porté de 4 millions à 30 millions d'euros.

b) Le financement des grands opérateurs de la mission par taxes affectées

Deux des opérateurs du programme « Livre et industries culturelles » sont financés par des taxes affectées , et non par une subvention pour charges de service public inscrite sur les crédits du programme.

Le Centre national du livre (CNL) est financé en quasi-totalité par le produit de la taxe sur les services de reprographie et d'impression et de la taxe sur l'édition des ouvrages de librairie 3 ( * ) . L'affectation de ces deux taxes fait l'objet d'un plafonnement , déterminé par l'article 46 de la loi de finances pour 2012. Cependant, le produit de ces deux taxes est inférieur au plafond, aucun reversement au budget de l'État n'est donc prévu en 2017 ou en 2018.


Produit prévisionnel des taxes affectées
au Centre national du livre (CNC) en 2017 et en 2018

(en milliers d'euros)

Plafond

2017

2018

Prévision du produit

Reversements prévisionnels

Prévision du produit

Reversements prévisionnels

Taxe sur l'édition des ouvrages de librairie

5 300

4 095

-

3 922

-

Taxe sur les appareils de reproduction ou d'impression

29 400

25 172

-

25 416

-

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données budgétaires

Le f onds de soutien du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) bénéficie du produit de plusieurs taxes affectées, pour un montant total estimé à 673,5 millions d'euros en 2018 . L'affectation du produit de ces taxes n'est pas plafonnée .


Évolution du produit des taxes affectées
au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) de 2015 à 2018

( en millions d'euros)

Exécution 2015

Exécution 2016

Budget 2017

Prévision révisée 2017

Prévision 2018

Évolution 2018/2015

en millions d'euros

en %

Taxe sur les entrées en salle de cinéma (TSA)

140,26

151,63

140,85

144,19

141,5

1,24

0,9%

Taxe sur les services de télévision (TST)

504,32

509,42

513,03

510,51

512,02

7,7

1,5%

dont TST due par les éditeurs

286,87

274,5

295,59

290,2

298,48

11,61

4,0%

dont TST due par les distributeurs

217,45

219,53

217,44

220,31

213,54

-3,91

-1,8%

dont TST contrôle fiscal distributeur

0

15,39

0

0

0

0

-

Taxe sur les ventes de vidéo (TSV)

19,4

17,66

17,14

16,54

19,97

0,57

2,9%

Total du produit des taxes

663,98

678,71

671,02

671,24

673,49

9,51

1,4%

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données budgétaires

Ces taxes affectées au CNC sont marquées en 2018 par deux évolutions notables.

La taxe sur les ventes de vidéo (TSV) était jusqu'à présent assise sur le chiffre d'affaires des secteurs de la distribution de vidéo physique (DVD et équivalents) et de la vidéo à la demande. Le taux de cette taxe est de 2 % et il est majoré à 10 % pour les oeuvres pornographiques ou d'incitation à la violence. Le produit de cette taxe est en nette érosion depuis plusieurs années en raison de la diminution importante des ventes de vidéos physiques , qui ont diminué d'environ 60 % en dix ans, alors que le marché français de la vidéo à la demande apparaît stable , le développement de cette pratique bénéficiant surtout à des opérateurs étrangers. Le produit de la TSV est donc en diminution d'environ 15 % entre 2015 et 2017.

Face à ce constat, la réponse législative a consisté à étendre cette taxe à deux reprises :

- en 2013, au chiffre d'affaires réalisé en France par les plateformes de vidéos payantes installées à l'étranger grâce à leurs abonnés 4 ( * ) . Il s'agit de la taxe dite « taxe Netflix » ;

- en 2016, à toutes les plateformes composées majoritairement de vidéos gratuites , qu'elles soient établies en France ou à l'étranger 5 ( * ) . Il s'agit de la taxe dite « taxe YouTube ».

L'article 1609 sexdecies B du code général des impôts renvoyait cependant la détermination de la date d'entrée en vigueur de ces dispositions à un décret, dans l'attente de la réponse de la Commission européenne sur la conformité du dispositif au droit de l'Union européenne . Le décret n° 2017-1364 du 20 septembre 2017 tire ainsi les conséquences du « feu vert » donné par la Commission européenne et l'extension de la TSV est entrée en vigueur le 22 septembre 2017 .

Évolution du produit de la taxe sur les ventes de vidéo (TSV) de 2015 à 2018

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données budgétaires

La ministre de la culture, Françoise Nyssen a alors déclaré : « C'est une nouvelle étape dans l'intégration des plateformes de vidéos dans l'écosystème de financement des oeuvres françaises et européennes. C'est le sens de l'histoire aussi (...). L'écosystème français de soutien à la création cinématographique et audiovisuelle repose sur un principe simple depuis la création du CNC il y a plus de 70 ans: tous les diffuseurs financent la création. Le CNC a d'abord été financé par les salles de cinéma, auxquelles se sont ajoutés les chaines de télévision puis les distributeurs de vidéos, les opérateurs télécoms et désormais l'ensemble des plateformes de vidéos en ligne qui diffusent en France. » 6 ( * )

Le produit de la TSV est donc à nouveau estimé pour 2018 à un niveau équivalent à celui de 2015, le rendement attendu des deux mesures d'extension étant évalué à 4,4 millions d'euros pour 2018.

Par ailleurs, le législateur devra intervenir avant le 1 er juillet 2018 pour consolider l'assiette de la taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision , à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité d'une partie des dispositions de l'article L. 115-7 du code du cinéma et de l'image animée par le Conseil constitutionnel , le 27 octobre 2017 7 ( * ) .

Cette taxe se décompose en deux parties, l'une applicable aux éditeurs et l'autre aux distributeurs de services de télévision :

- la taxe éditeurs (TST-E) est assise sur les recettes de publicité et de parrainage ;

- la taxe distributeurs (TST-D) est assise sur les abonnements et autres sommes acquittés par les usagers en rémunération d'un ou plusieurs services de télévision.

C'est l'assiette de la partie éditeurs de la taxe qui est en cause dans la décision du Conseil constitutionnel. Le montant en jeu pour le fonds de soutien du CNC est donc d' environ 290 millions d'euros par année .

Le Gouvernement a indiqué qu'il proposerait au Parlement une évolution législative afin de sécuriser l'assiette de la taxe dans le prochain projet de loi de finances rectificative 8 ( * ) , pour tenir compte du délai laissé par le Conseil constitutionnel. Celui-ci a ainsi reporté l'effet de la déclaration d'inconstitutionnalité au 1 er juillet 2018 .

Décision n° 2017-669 QPC du 27 octobre 2017 - Société EDI-TV
[Taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision II]

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 31 juillet 2017 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le a du 1° de l'article L. 115 7 du code du cinéma et de l'image animée, dans ses rédactions résultant de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 et de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012.

Le code du cinéma et de l'image animée a institué une taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision qui ont programmé, au cours de l'année précédant celle de la taxation, une ou plusieurs oeuvres audiovisuelles ou cinématographiques éligibles aux aides financières du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). Le a du 1° de l'article 115-7 de ce code prévoit que cette taxe est assise sur le montant des sommes versées par les annonceurs et les parrains, pour la diffusion de leurs messages publicitaires et de parrainage, non seulement aux éditeurs de services de télévision (les chaînes de télévision), mais aussi « aux régisseurs de messages publicitaires et de parrainage ».

La société requérante soutenait que ces dispositions méconnaissaient le principe d'égalité devant les charges publiques, au motif que la taxe à laquelle elles soumettent les éditeurs de services de télévision est en partie assise sur des sommes perçues par des tiers, les régisseurs de messages publicitaires et de parrainage. Cette taxe serait ainsi établie sans tenir compte des facultés contributives de ses redevables.

Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, en application des articles 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. Cette exigence implique notamment qu'en principe, lorsque la perception d'un revenu ou d'une ressource est soumise à une imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose de ce revenu ou de cette ressource . S'il peut être dérogé à cette règle, notamment pour des motifs de lutte contre la fraude ou l'évasion fiscales, de telles dérogations doivent être adaptées et proportionnées à la poursuite de ces objectifs.

En l'espèce, le Conseil constitutionnel relève que les dispositions contestées incluent dans l'assiette de la taxe dont sont redevables les éditeurs de services de télévision les sommes versées, par les annonceurs et les parrains, aux régisseurs de messages publicitaires et de parrainage, que ces éditeurs aient ou non disposé de ces sommes. Elles ont ainsi pour effet de soumettre un contribuable à une imposition dont l'assiette peut inclure des revenus dont il ne dispose pas. Comme il l'avait fait en contrôlant plusieurs dispositions similaires (par exemple dans ses décisions n os 2013-362 QPC du 6 février 2014 et 2016-620 QPC du 30 mars 2017), le Conseil constitutionnel en déduit que le législateur a méconnu les exigences résultant de l'article 13 de la Déclaration de 1789.

S'agissant de l'effet dans le temps de cette déclaration d'inconstitutionnalité, la société requérante appelait de ses voeux une censure à effet immédiat et le bénéfice de la censure pour les instances en cours. Au contraire, le CNC, partie en défense et bénéficiaire du produit de la taxe, rejoint dans ce raisonnement par le Premier ministre, faisait valoir que le remboursement intégral des sommes réclamées constituerait « un véritable effet d'aubaine » pour les éditeurs de services de télévision dans la mesure où le remboursement intégral des sommes qu'ils ont versées pour s'acquitter de la taxe « reviendrait à les "indemniser" d'une somme qui excèderait de façon excessive le montant de leur "préjudice" ». En effet, les éditeurs de services de télévision ont, en pratique, pu percevoir indirectement une fraction, plus ou moins importante selon les cas, des sommes versées aux régisseurs par les annonceurs et les parrains.

Le Conseil constitutionnel a tenu compte de ces différents éléments et, afin de permettre au législateur de tirer les conséquences de la déclaration d'inconstitutionnalité des dispositions contestées, a reporté au 1 er juillet 2018 la date de prise d'effet de la déclaration d'inconstitutionnalité. D'ici à ce que le législateur y remédie, s'il choisit d'intervenir, la taxe continuera donc à être prélevée en application des dispositions contestées. Afin, néanmoins, de préserver l'effet utile de sa décision à la solution des instances en cours ou à venir, le Conseil constitutionnel juge en outre qu'il appartient aux juridictions saisies de surseoir à statuer jusqu'à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi ou, au plus tard, jusqu'au 1 er juillet 2018 dans les procédures en cours ou à venir dont l'issue dépend de l'application des dispositions déclarées inconstitutionnelles. Le législateur pourra alors, le cas échéant, prévoir l'application des nouvelles dispositions à ces instances.

Source : communiqué de presse du Conseil constitutionnel


* 1 Loi n° 2014-237 du 27 février 2014 harmonisant les taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne.

* 2 Article 111 de la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016. Cet article a lui-même modifié l'article 77 de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014.

* 3 En raison de la baisse du rendement des taxes affectées au CNL, l'assiette de la taxe sur l'édition des ouvrages de librairie a été étendue aux éditeurs de livres numériques. Cette extension a permis d'augmenter le produit de la taxe d'environ 0,4 million d'euros.

* 4 III de l'article 30 de la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013.

* 5 I à III de l'article 56 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016.

* 6 Communiqué de presse du ministère de la culture et de la communication, 21 septembre 2017.

* 7 Décision n° 2017-669 QPC du 27 octobre 2017.

* 8 Article 20 du projet de loi de finances rectificative pour 2017, déposé le 15 novembre 2017 à l'Assemblée nationale.