COMPTE RENDU DES ENTRETIENS EN ALLEMAGNE

Lundi 2 avril 2007

I. Entretien avec M. Gert von der Groeben, mandataire général de E.ON AG, et Mme Verena Holzer, chargée de mission « Politique énergétique »

Après avoir présenté les caractéristiques essentielles de E.ON AG, M. Gert von der Groeben a indiqué que cette entreprise soutenait l’orientation du « paquet énergie » de la Commission européenne, à l’exception notable du dégroupage (unbundling), et sa volonté de parvenir à accroître la concurrence sur les marchés énergétiques européens.

Il a cependant estimé que de nombreuses critiques portées à l’encontre du marché de l’électricité (électricité trop chère, faible concurrence, rentes monopolistiques) n’étaient pas fondées. Il a ainsi observé que les prix nationaux connaissaient une évolution parallèle en Europe et qu’ils tendaient à s’harmoniser progressivement, sous l’effet notamment de la négociation entre l’offre et la demande au sein des différentes bourses européennes de l’électricité. Il a souligné l’importance de ce mécanisme de marché sur la formation des prix de ce produit, même si ceux-ci demeurent encore dépendants de ceux du pétrole et du gaz et, désormais, du coût de l’émission de CO2.

S’agissant plus particulièrement de l’Allemagne :

- il a expliqué le niveau élevé des prix par l’importance des nombreuses taxes publiques qui, de l’ordre de 40 %, seraient les plus élevées d’Europe, et notamment des taxes environnementales, qui ont augmenté de 93 % en dix ans ;

- il a contesté que la concentration des entreprises allemandes nuise à la concurrence, faisant valoir à la fois que cette concentration était bien plus importante dans les autres grands Etats-membres, à l’exception du Royaume-Uni, et que la proportion des industriels ayant changé de fournisseurs était très élevée, de l’ordre de 40 % ; il a toutefois reconnu qu’il n’en était pas de même pour les particuliers (6 % de changements) et que des efforts pourraient être accomplis pour faciliter la résiliation de leurs contrats ;

- il a également fait valoir que la notion de « rente » devait être appréciée au regard tant de l’important programme d’investissements en production et en distribution consenti depuis plusieurs années, par E.ON comme par ses concurrents nationaux, notamment pour rattraper le retard dans ces domaines en ex-Allemagne de l’est, que des effets de l’installation de l’Agence fédérale des réseaux (Bundesnetzagentur) qui, depuis 18 mois, a conduit à une réduction des marges de 6 milliards d’euros, soit 15 %, en ce qui concerne les activités de transport.

Puis M. Gert von der Groebena indiqué que, pour favoriser la poursuite de l’intégration du marché, E.ON jugeait nécessaire de : renforcer les interconnexions transfrontalières ; améliorer les relations techniques entre les opérateurs ; intensifier la concurrence en favorisant la liberté d’accès au réseau pour les opérateurs et la liberté de changement pour les consommateurs ; parvenir à la création d’une bourse de l’électricité européenne unique.

Après avoir rappelé qu’il existait en Allemagne une séparation comptable et de management pour les activités de réseaux, il a ensuite exprimé le désaccord d’E.ON avec la proposition européenne de séparation patrimoniale comme avec celle de la constitution d’un opérateur indépendant (système ISO), se félicitant de la position française en la matière.

S’agissant des énergies renouvelables, traditionnellement importantes en Allemagne depuis les années 1980, il a précisé qu’en 2006, elles représentaient 11,8 % de la production brute d’électricité nationale, soit une proportion deux fois plus élevée que la moyenne européenne. Soulignant que ces sources d’énergies n’étaient toutefois pas encore rentables et qu’elles demeuraient lourdement subventionnées (le coût de l’électricité éolienne étant ainsi deux fois supérieur au prix du marché, et celui de l’électricité photovoltaïque dix fois supérieur), il a préconisé une promotion européenne des énergies renouvelables.

Puis, en réponse aux questions des membres de la délégation, il a : estimé que l’option nucléaire était incontournable pour l’Allemagne, surtout si elle voulait atteindre ses objectifs environnementaux en matière d’émission de CO2, et ajouté qu’E.ON continuait d’investir dans la technologie nucléaire, notamment à l’étranger ; fait valoir que l’énergie éolienne devrait devenir rentable avec le fonctionnement, pendant 3 à 4 000 heures par an, des fermes off shore, tandis que l’énergie photovoltaïque devait encore faire l’objet de recherches pour atteindre un bon rendement et parvenir à la rentabilité ; indiqué que, compte tenu de l’importance du charbon en Allemagne, E.ON était également très présente dans les domaines du « charbon propre » et de la capture et du stockage du CO2 ; précisé que les contrats gaziers conclus avec GazProm permettraient d’assurer jusqu’en 2036 le tiers des besoins d’approvisionnement en gaz de l’Allemagne ; considéré que l’amélioration de la prévention des pannes rendait nécessaire un renforcement des interconnexions et précisé qu’E.ON avait récemment investit 5 milliards d’euros dans les réseaux ; confirmé l’absence de programmation pluriannuelle des investissements au niveau fédéral, les politiques d’investissement étant définies par les grands groupes eux-mêmes ; indiqué que, sauf en Bavière, il n’existait pas de tarifs sociaux pour les consommateurs précaires.

II. Déjeuner de travail avec M. Aribert Peters, président d’une association de consommateurs d’énergie (Bund der Energieverbraucher)

Présentant l’association qu’il préside, M. Aribert Peters a indiqué qu’elle est active depuis 20 ans, qu’elle ne bénéficie d’aucunes aides publiques et que son action touche à tout ce qui concerne l’énergie pour les particuliers, depuis la lutte contre le renchérissement des prix du gaz et de l’électricité jusqu’à la vente de systèmes solaires aux consommateurs.

Il a ensuite dénoncé l’organisation du marché allemand de l’électricité, estimant que la libéralisation ne s’était pas accompagnée d’une véritable concurrence et qu’en conséquence, les prix avaient beaucoup augmenté, surtout ceux des particuliers (supérieurs de 15 % à ceux des industriels), et sans raison apparente, les investissements dans les capacités de production ou dans les réseaux de transport ces dernières années n’ayant pas été accrus, quand ils n’ont pas diminué. Il a estimé que les grandes firmes énergétiques exerçaient une influence notable sur le personnel politique allemand et que le négoce de l’électricité dans les bourses, dans un contexte où quatre producteurs principaux dominent quelque huit cents distributeurs, conduisait à une déconnexion entre les prix de l’échange et les coûts de production, les premiers étant deux fois supérieurs aux seconds.

Estimant qu’il revenait au régulateur de contraindre les entreprises à investir et considérant que la récente fusion entre E.ON et Ruhrgas était illégale, M. Aribert Peters a stigmatisé les différences de prix entre les régions, qui peuvent atteindre 30 à 40 %, et contesté que la croissance des prix puisse être imputée à la pression fiscale, dès lors que ces prix ont progressé bien plus vite que les taxes. Il a également dénoncé les entraves contractuelles aux changements de prestataire, observant que si 30 % des industriels ont fait ce choix, seulement 2 % des particuliers l’ont exercé, ce qui démontre, selon lui, la déficience de fonctionnement du marché.

S’agissant de l’agence qui contrôle les coûts du transport, il a estimé qu’au-delà de sa création très tardive, puisqu’elle ne date que de dix-huit mois, la faiblesse des outils législatifs et des moyens humains qui lui ont été conférés l’empêche d’effectuer un travail efficace, ce qui explique que les frais de réseau soient encore si élevés, voire anormaux. Se déclarant très favorable à l’unbundling, M. Aribert Peters a insisté sur la nécessité de donner davantage de poids à l’Agence fédérale des réseaux et que celle-ci exerce réellement ses prérogatives de régulateur face aux producteurs/ transporteurs et aux distributeurs. Enfin, s’agissant des éoliennes, il s’est déclaré favorable à la possibilité que les consommateurs payent plus cher leur électricité « verte » pour alimenter un « fond éolien » destiné à soutenir le développement de cette énergie.

III. Entretien avec M. Johannes Kindler, vice-président de l’Agence fédérale des réseaux (Bundesnetzagentur), et Mme Nadia Horstmann, chargée de communication

Après avoir précisé que la Bundesnetzagentur (BNA) était l’agence fédérale de régulation de tous les réseaux en Allemagne (électricité, gaz, postes, télécommunications, rail), M. Johannes Kindler a souligné les défis énergétiques à venir en matière :

-d’investissements, pour pallier les carences des réseaux de transport et répondre aux besoins de capacités de production, aujourd’hui insuffisantes ;

- et d’économie d’énergie, au regard tant des risques de dépendance énergétique à l’égard des producteurs de pétrole et de gaz, notamment de la Russie, que des problèmes climatiques.

Puis, commentant les récentes décisions du Conseil européen, il a salué les objectifs dits « des quatre 20 » et estimé nécessaire de construire davantage de lignes de transport et d’interconnexions pour accroître l’interdépendance, mais déclaré son opposition à l’ownership unbundling défendu par la Commission européenne, estimant que son impact sur le marché de l’électricité allemand et sur l’organisation industrielle du pays serait considérable, sans pour autant qu’il soit assuré que le résultat recherché serait atteint.

Mme Nadia Horstmann a ensuite présenté le fonctionnement du marché allemand de l’électricité après l’ouverture du secteur, réalisée dès 1998, en précisant le rôle du régulateur sectoriel. Elle a indiqué que le cadre juridique actuel résultait de la loi de 2005 et de quatre décrets transposant a minima les directives européennes et fixant les conditions d’accès aux réseaux de gaz et d’électricité ainsi que les tarifs. Relevant que les réseaux de distribution étaient partagés entre les quatre grands producteurs et gestionnaires de réseaux de transport (EnBW, E.ON, RWE, Vattenfall), à l’exception de ceux qui appartiennent à des entreprises locales (876 distributeurs locaux), elle a indiqué qu’il existait un régime de déclaration préalable pour la production et d’autorisation pour la fourniture d’électricité, et des règles pour l’accès et le raccordement. Puis, après avoir rappelé qu’en Allemagne, l’unbundling était comptable et managérial, elle a indiqué que le régulateur n’intervenait pas systématiquement pour contrôler l’accès aux réseaux, mais seulement si le fonctionnement de ceux-ci semblait suspect.

S’agissant du prix de l’électricité, elle a souligné que le tarif d’accès au réseau, autorisé préalablement par la BNA, représentait une part de 36 % de son prix final, et que le régulateur pouvait ainsi peser directement sur les prix. Elle a par ailleurs estimé que les consommateurs disposaient d’une grande liberté dans le choix de leur fournisseur. Puis, en ce qui concerne la régulation du marché, elle a indiqué que, pour les réseaux ayant plus de 100 000 clients connectés et pour ceux couvrant plus d’un Land, la compétence principale ressortissait à la Bundesnetzagentur, office fédéral de régulation sous tutelle du ministre fédéral de l’économie, et que pour les autres réseaux, la régulation relevait d’agences régionales (six Länder ayant toutefois renoncé à cette compétence pour la transférer directement à la BNA).

Mme Nadia Horstmann a ensuite précisé que s’il n’existait pas de programmation pluriannuelle des investissements (PPI) et que les opérateurs décidaient librement de leurs investissements, le gouvernement pouvait engager des poursuites en cas de carences des entreprises électriques privées. Elle a en outre relevé que les opérateurs devaient présenter tous les deux ans un rapport sur l’état des réseaux et sur les investissements prioritaires sur une période de dix ans, ajoutant que le régulateur pouvait les inciter à développer certains réseaux. Elle a indiqué qu’en matière d’investissements dans les réseaux, le taux de rentabilité considéré comme acceptable par la BNA se situait, selon les cas, entre 4,5 et 6,9 %.

En réponse aux questions des sénateurs, M. Johannes Kindler s’est déclaré réticent à la formule de la PPI, estimant contestable d’imposer une décision publique d’investissement à des entreprises privées et jugeant que faire relever la sécurité d’approvisionnement de la responsabilité des entreprises n’était pas contradictoire avec sa garantie sur le long terme. Puis il s’est déclaré favorable à l’intégration des marchés de l’énergie et au renforcement des interconnexions transfrontalières. En revanche, il a estimé qu’un régulateur unique européen ne serait pas adapté, compte tenu des coûts, et a plaidé pour une concertation des régulateurs nationaux avec la définition de règles techniques communes.

Mardi 3 avril 2007

IV. Entretien avec M. Michael Müller, secrétaire d’Etat parlementaire au ministère fédéral de l’environnement, de la protection de la nature et de la sécurité nucléaire (BMU), M. Harald Kohl, conseiller, M. Jens Böhmer, chargé de l’énergie éolienne, Mme Marlies Bahrenberg, directrice du bureau de coordination franco-allemande Energie éolienne, M. Nicolas Oetzel, en charge des affaires européennes et internationales, M. Martin Schöpe, bureau des affaires énergétiques et environnementales internationales et européennes, et Mme Julian Ruffin, chargée des questions juridiques

M. Michael Müller, secrétaire d’Etat parlementaire, a tout d’abord présenté la répartition des compétences dans le domaine de l’énergie entre le BMU et le ministère de l’économie et de la technologie (BMWi) - et plusieurs autres ministères -, soulignant l’importance du dialogue entre ces deux départements ministériels dans un contexte marqué par la problématique géopolitique de l’accès aux matières premières, l’épuisement programmé de la production des énergies fossiles, l’industrialisation croissante des pays émergents, les conséquences environnementales dramatiques de l’émission des gaz à effet de serre (GES), et la croissance du chômage résultant de l’amélioration constante de la productivité du travail.

Puis, indiquant que le débat sur l’énergie était très profond en Allemagne, qu’il datait de plus de trente ans et qu’au sein de la coalition actuelle, il nécessitait deux sommets annuels pour établir une ligne commune, M. Michael Müller a souligné qu’une nouvelle philosophie, fondée sur le développement de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables (ENR) dans un cadre régional et décentralisé, allait permettre de sortir du modèle centralisé et productiviste actuel pour fonder un nouveau cycle économique favorable à l’emploi, à l’écologie et à la technologie. Ainsi a-t-il indiqué que, d’ici 2020, le gouvernement prévoyait de faire passer la proportion des ENR de 12 à 28 % du bouquet électrique, et d’améliorer d’un facteur deux l’efficacité énergétique dans les bâtiments, faisant valoir que le potentiel d’économies d’énergie à réaliser était considérable, de l’ordre de 40 % de la consommation. Il a ajouté que, naturellement, l’Allemagne soutenait sans réserve les propositions du Conseil européen.

S’agissant du nucléaire, il a indiqué que l’Allemagne était fermement opposée à cette filière pour les trois problèmes suivants : la sûreté des installations, le danger terroriste et les déchets. Ajoutant que cette technologie lui semblait inefficace pour les consommateurs et totalement opposée à la philosophie précédemment exposée, il a souligné que des observations identiques pouvaient être faites pour la filière charbon, qui n’a pas plus d’avenir selon lui. A l’inverse, il a exposé les avantages de la cogénération par la biomasse et les déchets ménagers (structures décentralisées proches des consommateurs, favorisant les mises en réseau et adaptées aux PME) et indiqué que le potentiel estimé de production était de l’ordre de 320 gigawatts (GW) en électricité et de 360 GW en chaleur, rappelant que la puissance installée du nucléaire en Allemagne n’était que de 160 GW. Il a également fait valoir que les technologies ENR, très favorables à l’emploi, anticipaient sur les marchés de l’avenir dont les caractéristiques seront de grandes tensions sur les prix des matières premières (y compris l’uranium, si le nucléaire se développe dans le monde), qui nécessitent de réduire la dépendance énergétique, ainsi que l’obligation politique de lutter contre les émissions de GES, qui vont durablement et fortement accroître le coût de l’émission de CO2.

M. Michael Müller a ensuite indiqué que le produit de la taxe écologique pesant sur l’électricité, les carburants et le chauffage (26 milliards d’euros en 2006) était affecté à 98 % à la stabilisation du système de retraite, et pour le solde à la recherche dans le domaine de l’énergie, et que les 4,5 milliards d’euros résultant de la taxe de répartition étaient destinés au soutien aux ENR. Reconnaissant que le prix de l’électricité allemand était plus élevé que la moyenne européenne, il a cependant contesté que cette situation résulte de la fiscalité.

En matière éolienne, il a observé que, malgré les possibilités offertes par sa très grande façade maritime, la France ne produisait que 10 % de la production allemande, laquelle allait du reste encore augmenter en raison non seulement de la mise en production de sites off shore, mais aussi des très importantes améliorations techniques permettant de multiplier par quatre la capacités des générateurs. Soulignant la qualité de la coopération franco-allemande dans le domaine de l’énergie éolienne, matérialisée par la création d’un bureau de coordination ad hoc, il a préconisé une coordination européenne pour développer les ENR, de même que, pour éviter les black out, en matière de gestion et de régulation des réseaux. Enfin, il a insisté sur les perspectives ouvertes par l’amélioration de l’efficacité énergétique, indiquant que les économies résultant de l’amélioration des instruments ménagers représenteraient la production de sept grandes centrales thermiques, ou que la consommation des habitations dites « passives » ne représente que 20 % de celle des bâtiments actuels. 

V. Entretien avec M. Konstantin Staschus, président de la Fédération des exploitants de réseaux (Verband der Netzbetreiber)

Après avoir indiqué que la Verband der Netzbetreiber (VDN) regroupait plus de 400 exploitants de réseaux de transport et de distribution, M. Konstantin Staschusa souligné qu’elle effectuait un travail de coordination technique des besoins et de représentation des intérêts de la profession, notamment auprès du gouvernement fédéral et des instances européennes. S’agissant de l’organisation et de la distribution du transport en Allemagne, il a précisé qu’à la suite des regroupements réalisés depuis 1998 pour des raisons de coûts et de synergie sur une base géographique, seuls 50 des quelque 900 exploitants en activité avaient une taille significative, que les quatre grands producteurs (EnBW, E.ON, RWE, Vattenfall) exerçaient la responsabilité du transport de l’électricité selon un découpage essentiellement régional, et que dans de nombreuses villes, la distribution était assurée par des régies communales. Puis il a précisé que chaque exploitant de réseaux assurait sa propre planification, sans coordination obligatoire, et indiqué que ces exploitants géraient les subventions publiques destinées à promouvoir les énergies renouvelables et la cogénération.

Jugeant ensuite qu’il fallait tirer les leçons de la panne du 4 novembre 2006 en insérant les règles de l’UCTE dans une directive européenne contraignante, il a exprimé le soutien de la VDN à la libéralisation des marchés de l’énergie et au paquet énergie adopté par le Conseil européen - à l’exception de l’élargissement de l’unbundling qui détruirait, selon lui, les synergies -, soulignant la nécessité de renforcer la coordination des transporteurs comme celle des régulateurs tout en rejetant l’idée d’un organe central qui créerait une dilution des responsabilités.

S’agissant de la sécurité d’approvisionnement, M. Konstantin Staschus a indiqué que l’Allemagne ne connaissait pas de programmation pluriannuelle des investissements (PPI), les opérateurs étant libres de leurs investissements. Il a toutefois relevé qu’un équilibrage entre les différents producteurs (le « bilanzkreis ») existait à travers une coordination des centrales qui garantissent mutuellement leurs réserves, et que la loi de 2005 sur le secteur énergétique prévoyait un monitoring assuré par le ministère de l’économie (BMWi) au travers d’un rapport annuel confrontant les capacités de production aux prévisions de consommation. A cet égard, il a précisé que d’ici 2012, 37 nouvelles centrales étaient prévues pour une production de 30 gigawatts (GW) et que, d’ici 2020, 55 autres centrales étaient envisagées pour une production de 41 GW. Il a ainsi estimé qu’il était possible, sous réserve de la question du coût, de renoncer à l’énergie nucléaire par le développement de sources alternatives, sans remettre en cause la sécurité d’approvisionnement. Il a précisé, s’agissant de l’énergie éolienne, que les installations étaient localisées surtout au nord du pays et qu’il serait donc nécessaire de construire de nouvelles lignes reliant ces unités au sud de l’Allemagne, où la demande est importante. Il a ajouté que cet investissement viendrait s’ajouter aux sommes importantes devant être consacrées à la rénovation des réseaux, dont la majeure partie date des années 70 et 80 et qui doit donc être renouvelée.

Enfin, après avoir indiqué que l’accès des producteurs aux réseaux était réglementé et contrôlé par l’Agence fédérale de régulation des réseaux (Bundesnetzagentur), il a observé que deux des quarante millions de consommateurs allemands avaient changé d’opérateur ces trois dernières années, faisant valoir les difficultés de gestion de ces changements, notamment les coûts commerciaux induits pour les opérateurs.

VI. Entretien avec M. Wolfgang Heller, responsable du service « Politique énergétique » de la Fédération de l’industrie allemande (Bundesverband der Deutschen Industrie - BDI), et MM. Wolf-Ingo Kunze et Norbert Azuma-Dicke, avocats auprès du Verband des Verbundunternehmer und Regionalen Energieversorger in Deutschland (VRE)

Ayant indiqué que le BDI regroupait plus d’un millier de grandes entreprises industrielles allemandes, M. Wolfgang Heller a brièvement dressé le tableau du système électrique allemand, soulignant notamment que le charbon et le lignite représentaient 50 % de la production (et le nucléaire 27 %) et que la part de l’industrie dans la consommation atteignait près de 45 %, contre 26 % pour les ménages et 24 % pour les services.

Afin de pouvoir lutter contre le changement climatique sans altérer la compétitivité des entreprises, il a ensuite plaidé en faveur de la remise en cause de la sortie programmée du nucléaire, demandant dans un premier temps la prolongation de la durée de vie des centrales en activité. Sans contester l’intérêt des énergies renouvelables (ENR), il a fait valoir que si les objectifs gouvernementaux seraient atteints en 2010 (12,5 % du mix électrique) et devraient pouvoir l’être en 2020, cette politique était extrêmement onéreuse, coûtant de l’ordre de 6 milliards d’euros par an. Il a ainsi observé qu’avec la cogénération, les ENR, l’impôt écologique et le commerce des permis d’émission de CO2, le prix de l’électricité n’avait cessé de croître en Allemagne, jusqu’à devenir l’un des plus élevés d’Europe, ce qui pénalisait fortement l’industrie nationale. Pour espérer une diminution de ces prix, le BDI juge nécessaire d’accroître la concurrence sur le marché de l’électricité, qui passe par l’accroissement des capacités des réseaux pour supprimer les goulets d’étranglement - et non par l’unbundling, auquel le BDI est opposé pour des raisons constitutionnelles et techniques -, par l’assouplissement des conditions dans lesquelles les consommateurs peuvent changer de fournisseur, et par une plus grande transparence du fonctionnement des bourses de l’électricité.

Puis, aux questions des sénateurs, MM. Wolfgang Heller et Wolf-Ingo Kunze ont répondu :

- qu’un récent sondage témoignait que les trois quarts des industriels allemands étaient satisfaits de l’approvisionnement en électricité, même si des améliorations pouvaient sans doute être apportées en matière de gestion du marché et de lutte contre les cartels (qui ne concerne pas seulement les quatre grands producteurs nationaux) afin de favoriser l’entrée de nouveaux acteurs et la concurrence ;

- que si de nombreux industriels possédaient leurs propres capacités de génération, produisant annuellement 50 terawatts-heures (TWh), soit 8 % environ de la production nationale (635 TWh), la consommation annuelle des entreprises dites électro-intensives atteint 120 TWh, ce qui justifie leur intérêt pour les contrats d’approvisionnement à long terme susceptibles de leur permettre d’obtenir des prix plus compétitifs (ces contrats représentant environ 30 % de l’approvisionnement des industries) ;

- que la coopération avec le gouvernement, lié par un accord partisan mais partagé entre les optiques divergentes des ministères de l’environnement (BMU) et de l’économie (BMWi), était difficile, les préoccupations des industriels en matière énergétique n’étant pas bien prises en compte, comme en témoigne la remise en cause du nucléaire décidée sur le fondement d’hypothèses d’économies d’énergie et de développement des ENR semblant extrêmement optimistes, pour ne pas dire irréalistes ;

- que si un programme de renouvellement du parc nucléaire allemand existe déjà, dans l’hypothèse d’une remise en cause du gel actuel après les prochaines élections législatives, l’option la plus rentable serait néanmoins de prolonger de 20 ans la durée d’activité des centrales actuelles pour éviter des millions de tonnes d’émission de CO2 et des importations de gaz naturel ;

- que la sécurité d’approvisionnement impose de combiner toutes les sources d’énergie et que si la technologie du nucléaire est aujourd’hui sûre et fiable, la filière du charbon propre vient de voir sa situation économique altérée par la nouvelle réglementation sur les droits d’émission, qui empêche de réaliser une programmation à quinze ans, terme habituel des projets de centrale thermique dans ce secteur ;

- que l’incident du 4 novembre 2006, qui résulte d’une erreur humaine et qui n’aurait pas dû se produire si les procédures avaient été respectées, ne remet pas en cause les systèmes techniques qui sont satisfaisants, même si les investissements dans les réseaux n’ont pas la même qualité que par le passé, surtout au regard des conséquences sur leur stabilité de l’accroissement de la production éolienne ;

- que les décisions de délocalisation, compte tenu de leur impact et des nombreux paramètres à prendre en compte, ne pouvaient pas dépendre exclusivement du prix de l’électricité, même pour les industries électro‑intensives.

Mercredi 4 avril 2007

VII. Entretien avec M. Andréas Schuseil, directeur de la politique énergétique au ministère fédéral de l’économie et de la technologie (BMWi), Mme Dagmar Weinberg, directrice-adjointe de la division « Industrie de l’électricité et réseaux de chaleur », M. Horst Schneider, chef du bureau « Industrie de l’énergie nucléaire, recherche dans le domaine du stockage définitif des déchets radioactifs et assainissement de l’exploration des mines d’uranium », et M. Waldemar Schafrick, chargé des relations avec la France, le Bénélux et la Pologne au sein du bureau « Relations avec les pays membres de l’Union européenne »

Après avoir remarqué que les échanges énergétiques, notamment franco-allemands, renforçaient l’interdépendance et la construction d’un marché commun de l’électricité et du gaz, M. Andréas Schuseil a souligné la nécessité d’une coopération énergétique. Rappelant que des erreurs humaines, notamment de non respect de règles élémentaires de sécurité, avaient été à l’origine de la panne du 4 novembre 2006, il a considéré que les mécanismes de gestion des crises avaient fonctionné et permis un rétablissement rapide de l’alimentation. Il a néanmoins plaidé pour un renforcement de la coordination en matière de règles de sécurité et s’est félicité du projet de la Commission européenne et des régulateurs de définir des standards communs.

S’agissant de la sécurité d’approvisionnement, il a considéré que les réseaux allemands étaient historiquement performants mais que la décentralisation croissante de la production d’électricité, notamment éolienne, nécessitait de les adapter et de renforcer les capacités de transport afin d’acheminer l’électricité des régions de production (nord de l’Allemagne) vers les régions de consommation (sud). Dans ce contexte, il a estimé indispensable que le régulateur encadre cette décentralisation et que les gestionnaires investissent dans la sécurisation des réseaux.

Puis, soulignant que la sortie du nucléaire obligerait l’Allemagne à remplacer 30 % de son électricité par de nouveaux modes de production, M. Andréas Schuseil a estimé impossible, au plan économique, que les énergies renouvelables (ENR), dont la part atteint aujourd’hui 12 %, puissent y pourvoir. Dès lors, contrairement aux affirmations du ministère de l’environnement allemand, il a douté que les objectifs de réduction des émissions de CO2 puissent être atteints si le démantèlement du parc nucléaire allemand était confirmé. Il a précisé que les solutions de gestion des déchets nucléaires s’orientaient autour du recyclage et du stockage en formation géologique profonde.

S’agissant de l’électricité solaire et éolienne, il s’est inquiété, en cas de développement massif, de l’impact de leurs coûts sur la compétitivité des entreprises allemandes. Soulignant qu’en 2006, l’intégration de l’éolien dans les réseaux avait coûté 4 milliards d’euros, il a expliqué que dans les périodes de faible consommation, la production éolienne excédentaire et hautement subventionnée était vendue en France ou aux Pays-Bas, de sorte qu’au final, c’était le consommateur allemand qui finançait l’énergie dans ces autres pays.

M. Andréas Schuseil a par ailleurs posé le problème politique de la sécurité d’approvisionnement, observant que les États qui suivraient, par souci de popularité, leur opinion publique en sortant du nucléaire (qui fait peur), en renonçant à l’énergie éolienne (qui coûte cher car elle est subventionnée, et qui pose un problème d’environnement) et en optant pour l’arrêt du lignite et du charbon (modes de production qui émettent du CO2), seraient contraints à une forte dépendance énergétique puisqu’ils importeraient une part essentielle de leur électricité. Remarquant que la marge de sécurité constituée par les capacités excédentaires de production d’électricité par rapport à la demande de pointe était tombée à 5 % seulement en Allemagne, il s’est inquiété de l’éventuelle dépendance énergétique allemande vis-à-vis du gaz russe. Tout en plaidant pour une combinaison énergétique équilibrée entre les bioénergies, les ENR, le charbon propre et le nucléaire, il a indiqué que le potentiel hydroélectrique allemand était très restreint et que la biomasse serait en concurrence avec l’agro alimentaire.

Puis, répondant aux sénateurs, M. Andréas Schuseil a expliqué :

- qu’en vertu de contrats de concession de droit privé, les opérateurs payaient aux collectivités locales et au gouvernement fédéral une redevance d’accès aux réseaux assise sur les kilowattheures. Il a ajouté que les décisions de construction et de développement des réseaux incombaient aux entreprises, sur lesquelles repose toutefois une obligation légale de sûreté et de capacité de ces réseaux contrôlée par la Bundesnetzagentur. Il a précisé que cette agence vérifiait ainsi le niveau des investissements dans les réseaux, d’une part, des quatre transporteurs, d’autre part, des distributeurs desservant plus de 100 000 consommateurs ou plus d’un Land, et, enfin, des distributeurs des Länder lui ayant délégué leurs compétences (les autres distributeurs étant contrôlés par les agences régionales) ;

- qu’il n’existait pas de tarifs préférentiels pour les clients en situation de précarité mais que les intérêts des consommateurs étaient garantis par la concurrence et la facilité de changer de fournisseurs que leur offrait un cadre juridique particulièrement favorable ;

- que le problème majeur était de savoir si la politique énergétique devait servir le système économique et le bien-être social ou si l’énergie était un objectif en soi, qui appelait une adaptation de l’ensemble du système.