AFFAIRES SOCIALES

Table des matières


Mardi 26 janvier 1999

- Présidence de M. Jean Delaneau, président -

Emploi - Limitation des licenciements des salariés de plus de cinquante ans - Examen du rapport

La commission a procédé à l'examen du rapport de M. Louis Souvet sur la proposition de loi n° 114 (1998-1999), adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à limiter les licenciements des salariés de plus de cinquante ans.

M. Louis Souvet, rapporteur,
a indiqué que cette proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale le 10 décembre 1998, avait été déposée par M. Alain Belviso et les membres du groupe communiste et apparenté. Il a expliqué que ce texte comprenait trois articles et visait à étendre le champ de la " contribution Delalande " due pour le licenciement d'un salarié de plus de cinquante ans.

M. Louis Souvet, rapporteur, a précisé que la proposition de loi soumettait à la " contribution Delalande " les ruptures des contrats de travail des salariés ayant adhéré à des conventions de conversion (article premier) et les licenciements des salariés ayant refusé le bénéfice de la préretraite dans le cadre du fonds national de l'emploi (FNE) (article 2). L'article 3 rendait applicables ces dispositions à toutes les ruptures de contrat de travail intervenant à compter du 1er janvier 1999, c'est-à-dire de manière rétroactive.

Rappelant que la " contribution Delalande " -du nom de l'auteur de l'amendement qui l'avait créée, M. Jean-Pierre Delalande, député du Val-d'Oise- avait été instituée en 1987 au moment de la suppression de l'autorisation administrative de licenciement, M. Louis Souvet, rapporteur, a souligné que le montant de cette contribution, versée au régime d'assurance chômage de l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC), était fixé à l'origine à trois mois de salaire brut.

Il a observé que le Gouvernement avait décidé, en 1992, d'augmenter une première fois cette contribution et de la moduler selon un barème progressif en fonction de l'âge du salarié licencié et de l'entreprise concernée. Il a ajouté que l'actuel Gouvernement avait procédé, par voie réglementaire, à une nouvelle augmentation de cette contribution à compter du 31 décembre 1998. Le nouveau taux de la contribution, fixé par le décret n° 98-1201 du 28 décembre 1998, était progressif, de deux mois de salaire brut à cinquante ans, à douze mois de salaire brut à cinquante-six et cinquante-sept ans ; il était ensuite dégressif à partir de cinquante-huit ans.

Après avoir indiqué que la " contribution Delalande " avait rapporté en 1997 1,7 milliard de francs à l'UNEDIC, M. Louis Souvet, rapporteur, a précisé que le doublement et l'extension de cette contribution devraient engendrer 1,4 milliard de francs de recettes supplémentaires. Il a souligné que ces recettes supplémentaires iraient, selon les déclarations du Gouvernement, au budget de l'Etat. Il a ajouté qu'elles pourraient cependant finalement bénéficier à l'UNEDIC si les partenaires sociaux acceptaient parallèlement une meilleure indemnisation du chômage des jeunes.

M. Louis Souvet, rapporteur, a noté que restaient exclus du champ d'application de la contribution les salariés qui, lors de leur embauche intervenue après le 9 juin 1992, étaient âgés de plus de cinquante ans et inscrits depuis plus de trois mois comme demandeurs d'emploi.

Il a souligné que la " contribution Delalande " n'était en outre pas due dans un certain nombre de cas de rupture du contrat de travail, notamment lors de la rupture du contrat de travail d'un salarié qui adhérait à une convention de conversion ou lorsque l'employeur concluait avec l'Etat, dans le cadre des actions du FNE, une convention d'allocation spéciale de préretraite.

Il a indiqué que la présente proposition de loi mettait fin, à compter du 1er janvier 1999, à ces deux cas d'exonérations, qui étaient considérés par le Gouvernement et les auteurs de la proposition de loi comme " deux failles " du dispositif.

Observant que les auteurs de la proposition de loi évoquaient, pour justifier ce texte, la nécessité de " mettre fin aux abus et aux contournements " et de " stopper une dérive ", M. Louis Souvet, rapporteur, a indiqué que les initiateurs de la proposition de loi considéraient que les conventions de conversion étaient de plus en plus fréquemment utilisées pour échapper au paiement de la " contribution Delalande ". De même, selon le rapporteur de l'Assemblée nationale, M. Maxime Gremetz, certains employeurs concluaient une convention d'allocation spéciale de préretraite, avant de faire pression sur leurs salariés pour qu'ils renoncent au bénéfice de ce dispositif ; ces employeurs étaient alors exonérés du versement de la " contribution Delalande ".

M. Louis Souvet, rapporteur, a constaté que ces affirmations reposaient pour l'essentiel sur la progression de la part des salariés de plus de cinquante ans dans les conventions de conversion, part qui était passée de 12 % en 1994 à 17 % en 1997. Il a considéré que ces chiffres paraissaient très insuffisants pour démontrer un contournement massif et un abus généralisé justifiant une nouvelle intervention du législateur. Il a estimé que les éventuels abus commis par certains employeurs ne sauraient justifier une sanction collective frappant la totalité des entreprises. Il a considéré que rien ne permettait de conclure aujourd'hui à un contournement massif par les entreprises de la " contribution Delalande " par l'utilisation de ces deux dispositifs.

M. Louis Souvet, rapporteur, a souligné qu'il était contradictoire de faire porter la " contribution Delalande ", qui procédait d'une logique de sanction, sur les conventions de conversion qui avaient pour objectif de faciliter le reclassement du salarié dont le licenciement n'avait pu être évité. Il s'est étonné que le Gouvernement considère comme presque anormal que des salariés de plus de cinquante ans entrent en convention de conversion.

Après avoir convenu que l'on pouvait effectivement s'interroger sur l'utilité réelle de ces conventions pour les personnes âgées de plus de cinquante-cinq ans, M. Louis Souvet, rapporteur, a jugé surprenant que l'on condamne ces conventions pour des personnes âgées de cinquante à cinquante-cinq ans, sauf à conclure que ces salariés n'avaient aucune chance de se reclasser. Il a fait valoir que 33 % des personnes de plus de cinquante ans parvenaient à retrouver un emploi à l'issue de leur convention de conversion. Ce taux était même de 41 % à cinquante ans et de 39 % à cinquante-et-un ans, contre 49 % pour l'ensemble des bénéficiaires des conventions de conversion.

S'agissant des préretraites FNE, M. Louis Souvet, rapporteur, s'est interrogé sur l'hypothèse même d'abus éventuels : il a souligné en effet que la mise en place d'un dispositif de préretraite supposait que l'employeur conclût avec l'Etat une convention, laquelle donnait lieu à négociation entre l'entreprise et l'administration.

M. Louis Souvet, rapporteur, a enfin ajouté que les chiffres provisoires de l'UNEDIC pour l'ensemble de l'année 1998 faisaient état d'une baisse de 14 % des licenciements des salariés de plus de cinquante ans, contre une baisse de 17,5 % pour l'ensemble des salariés. Il a considéré que ces chiffres positifs faisaient apparaître que l'amélioration de la situation de l'emploi profitait également, à l'évidence, aux salariés âgés de plus de cinquante ans.

Estimant que le prétendu contournement de la " contribution Delalande " par les conventions de conversion et les conventions de préretraite était loin d'être avéré, M. Louis Souvet, rapporteur, a jugé que le procès d'intention fait aux entreprises, globalement considérées par les initiateurs de la proposition de loi comme ayant un comportement frauduleux, paraissait donc inacceptable. Il s'est demandé si cette proposition de loi ne trahissait pas, en réalité, la crainte du Gouvernement que le doublement par voie réglementaire de la " contribution Delalande " n'engendre effectivement, à l'avenir, de tels phénomènes de contournement.

M. Louis Souvet, rapporteur, a déclaré que la véritable justification des dispositions que comportait cette proposition de loi tenait davantage à des nécessités politiques.

Il a expliqué que les trois articles de ce texte constituaient en réalité les articles 5, 6 et 7 d'une proposition de loi qui en comportait initialement 9 et qui tendait " à limiter les licenciements et à améliorer la situation au regard de la retraite des salariés de plus de cinquante ans ". Ce texte prévoyait, outre l'extension de la " contribution Delalande ", le droit à la retraite à taux plein avec quarante annuités de cotisations sans condition d'âge et la prorogation et l'extension du dispositif d'allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE).

M. Louis Souvet, rapporteur, a indiqué que le bureau de la commission des finances de l'Assemblée nationale avait décidé, suite à la saisine du Gouvernement, d'opposer l'article 40 de la Constitution aux articles premier, 2, 3, 4 et 9 du texte. La proposition de loi s'était donc trouvée amputée de plus de la moitié de ses articles et, aux yeux de ses auteurs, de ses dispositions essentielles. Il a souligné que l'article 8 qui instituait une contribution sur les revenus financiers affectée à la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) ayant été supprimé par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, ne subsistaient du texte initial que trois articles constituant la proposition de loi transmise au Sénat et inscrite à son ordre du jour prioritaire par le Gouvernement.

Constatant que ces dispositions émanaient en réalité des services du ministère de l'emploi et de la solidarité, M. Louis Souvet, rapporteur, a observé que l'extension aux conventions de conversion de la " contribution Delalande " avait d'ailleurs été annoncée par Mme Martine Aubry dès le début du mois de novembre dernier et que l'impact financier de cette extension avait été partiellement intégré dans les prévisions budgétaires de la loi de finances pour 1999.

M. Louis Souvet, rapporteur, a estimé que le Gouvernement poursuivait, en acceptant cette proposition de loi, un objectif essentiellement politique : il permettait, d'une part, à une composante de sa majorité de revendiquer la paternité d'une disposition dont il était en réalité l'auteur et qui constituait le seul reliquat d'une proposition de loi embarrassante pour lui ; il apaisait, d'autre part, sa majorité, laquelle souhaitait une réforme plus large du droit de licenciement. Il a considéré que la prochaine étape de cette stratégie pourrait d'ailleurs être la taxation des entreprises qui faisaient un usage jugé " abusif " des contrats à durée déterminée ou de l'intérim.

M. Louis Souvet, rapporteur, a estimé que cette proposition de loi n'apportait en réalité aucune solution au problème que constituait le chômage des plus de cinquante ans et risquait en outre de provoquer l'apparition d'effets pervers. Il a dénoncé la logique uniquement répressive de ce texte qui se traduisait, en définitive, par une nouvelle augmentation des charges des entreprises.

Après avoir affirmé qu'il était douteux que ce texte contribue à diminuer les licenciements des plus de cinquante ans, M. Louis Souvet, rapporteur, s'est déclaré certain que ce texte n'inciterait pas davantage à la création d'emplois. Il a craint les effets conjugués de l'extension et du doublement de la " contribution Delalande " sur les demandeurs d'emploi approchant la cinquantaine.

Après avoir souligné que le Sénat ne pouvait que partager l'objectif de lutter contre cette forme de chômage particulièrement douloureuse que constituait le chômage des personnes âgées de plus de cinquante ans, il a considéré que ce problème aigu nécessitait une approche globale, qui n'était pas celle de la proposition de loi. Il a fait valoir qu'une action efficace contre le chômage des plus de cinquante ans supposait une réforme d'ampleur reposant à la fois sur des exonérations de charges sociales et une formation professionnelle à même d'offrir aux salariés, quel que soit leur âge, les moyens de s'adapter aux mutations de leur environnement professionnel.

Après avoir déclaré que le texte proposé n'était, à l'évidence, pas à la hauteur de l'enjeu, M. Louis Souvet, rapporteur, a indiqué qu'il proposerait, pour cette raison, trois amendements de suppression des trois articles de la proposition de loi. Il a souligné que l'adoption de ces amendements amènerait à un rejet de la proposition de loi.

M. Guy Fischer a déclaré qu'il ne partageait pas l'analyse du rapporteur sur cette proposition de loi. Rappelant que cette dernière répondait à l'origine à une volonté de justice sociale et de lutte contre le chômage, il a souligné que l'invocation de l'article 40 de la Constitution à l'Assemblée nationale avait fait disparaître l'essentiel de ce texte. Il a regretté que le Gouvernement ait choisi, pour la première fois, d'invoquer l'article 40 de la Constitution avant le débat d'une proposition de loi inscrite à l'ordre du jour en application de l'article 48, alinéa 3, de la Constitution.

M. André Jourdain a souligné que les entreprises ne licenciaient pas par plaisir. Il a déclaré partager l'analyse du rapporteur et s'est étonné qu'il puisse être envisagé que les recettes supplémentaires induites par l'augmentation et l'extension de la " contribution Delalande " aillent à l'Etat et non à l'UNEDIC.

M. Claude Domeizel a indiqué qu'il était opposé au rejet de cette proposition de loi préconisé par le rapporteur. Il a contesté l'analyse de ce dernier pour qui cette proposition de loi répondait avant tout à un impératif politique.

En réponse aux intervenants, M. Louis Souvet, rapporteur, a confirmé que les trois articles de la proposition de loi étaient effectivement d'inspiration gouvernementale et que le Gouvernement avait souhaité donner satisfaction au groupe communiste tout en supprimant les dispositions qui le gênaient.

Il a considéré, comme M. André Jourdain, qu'aucun chef d'entreprise ne licenciait par plaisir et que le licenciement était toujours un constat d'échec. Jugeant anormal que les recettes supplémentaires au titre de la " contribution Delalande " puissent alimenter le budget de l'Etat, il a précisé que ces sommes pourraient néanmoins finalement bénéficier à l'UNEDIC si les partenaires sociaux acceptaient une amélioration de l'indemnisation du chômage des jeunes.

La commission a ensuite examiné les amendements proposés par le rapporteur.

Elle a adopté un amendement de suppression de l'article premier qui assujettissait à la " contribution Delalande " les ruptures de contrat de travail des salariés ayant adhéré à des conventions de conversion.

Elle a adopté un amendement de suppression de l'article 2 qui soumettait à la " contribution Delalande " les licenciements des salariés ayant refusé le bénéfice de la préretraite dans le cadre du FNE.

Elle a enfin adopté un amendement de suppression de l'article 3 qui rendait applicables les dispositions de la présente proposition de loi à toutes les ruptures de contrat de travail intervenant à compter du 1er janvier 1999.

Nomination de rapporteur

Puis, la commission a constaté que lui était renvoyée la proposition de loi n° 147 (1998-1999) de MM. Serge Mathieu et Jean Boyer, tendant à autoriser la vente des boissons alcoolisées lors de certaines compétitions sportives et de manifestations à caractère agricole ou touristique.

M. Jean Delaneau, président,
a observé que cette proposition de loi, déposée le 23 décembre 1998, était pleinement satisfaite par l'article 21 de la loi de finances rectificative pour 1998 (n° 98-1267 du 30 décembre 1998) et qu'il n'était pas utile, dans ces conditions, que la commission désigne un rapporteur.