AFFAIRES SOCIALES

Table des matières


Mercredi 28 avril 1999

- Présidence de M. Jean Delaneau, président -

Sécurité sociale - Création d'une couverture maladie universelle - Audition de M. Hugues Feltesse, directeur général de l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS) et des membres du groupe de travail " santé-précarité "

La commission a poursuivi ses auditions sur le projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle (CMU).

Elle a tout d'abord entendu M. Hugues Feltesse, directeur général del'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS) et des membres du groupe de travail " santé précarité " constitué en son sein.

M. Hugues Feltesse a tout d'abord rappelé que de nombreuses personnes ne bénéficiaient pas encore d'une couverture maladie. Il a observé que notre niveau de prise en charge collective des dépenses de soins n'était pas le meilleur d'Europe et que le ticket modérateur était devenu pour beaucoup un " ticket d'exclusion ". Il a souligné que les jeunes étaient particulièrement concernés par les difficultés d'accès aux soins. Il a par ailleurs estimé que la complexité des procédures applicables avait rendu théorique ce qui devrait être considéré comme un droit universel.

Dans ces conditions, M. Hugues Feltesse a considéré que le projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle s'inscrivait dans la continuité des grandes lois sociales relatives aux handicapés, à la création du revenu minimum d'insertion (RMI) et au droit au logement. Il a souhaité que ce texte puisse redéfinir les missions des caisses, des organismes de protection sociale complémentaire et des organismes sociaux pour réorienter leur action autour de l'accueil de ce nouveau public.

Mme Michèle Mézart, représentante d'ATD-Quart Monde, a considéré que le seuil de revenus de 3.500 francs retenu par le Gouvernement pour accéder à la CMU était insuffisant, notamment au regard du seuil de pauvreté qui avait été fixé à 3.800 francs. Elle a observé que ce seuil de 3.500 francs excluait, de fait, du nouveau dispositif les bénéficiaires du minimum vieillesse ou de l'allocation adulte handicapé (AAH). Elle a donc souhaité que le seuil retenu soit au minimum de 3.800 francs.

Pour limiter les effets de seuil, elle a également demandé l'institution d'une aide dégressive à la souscription d'une couverture complémentaire. Elle a considéré que le système du tiers payant pourrait être utile pour accompagner un tel dispositif.

M. Bernard Michel, représentant de Médecins du monde, a observé que la formation des personnels des caisses primaires d'assurance maladie et des organismes de protection complémentaire devait être adaptée à l'accueil de ce nouveau public.

Il a estimé qu'il était indispensable que la continuité des soins soit assurée en dépit des changements de résidence ou de situation personnelle et a donc souhaité que le bénéfice de la couverture maladie universelle soit en principe maintenu au-delà d'un an, de manière à éviter aux bénéficiaires d'avoir à accomplir des formalités administratives complexes.

M. Bernard Michel a déclaré que le droit à la CMU devrait être accordé immédiatement sur la base d'une présomption de droit, les justificatifs n'étant fournis que dans un second temps. Il a estimé que les obstacles administratifs étaient souvent incontournables et excluaient, de fait, du bénéfice de la protection sociale une partie importante des populations les plus fragiles. Il a rappelé que six millions de personnes étaient concernées par le projet de CMU, et huit millions si l'on retenait un seuil à 3.800 francs.

Il a considéré que les bénéficiaires devaient pouvoir exercer un droit d'option pour choisir leur interlocuteur, qu'il s'agisse du régime général, d'une entreprise d'assurance, d'une mutuelle ou d'un organisme de prévoyance. Il a par ailleurs jugé indispensable le maintien de l'engagement de l'Etat afin d'éviter tout risque de discrimination.

Mme Chantal Gueneau, représentante du Secours catholique, s'est déclarée opposée à la participation des organismes privés à la gestion du fonds assurant le financement de la CMU. Elle a par ailleurs estimé que l'accès aux soins ne devait pas être conditionné à une participation financière de la part des bénéficiaires de la CMU.

M. Charles Descours, rapporteur, a observé que la fixation du seuil au niveau de 3.800 francs conduirait à inclure dans le nouveau dispositif la majorité des retraités du milieu agricole et du commerce. Il a estimé que cette perspective n'était pas sans soulever des difficultés, ces derniers ne pouvant être considérés comme non insérés et acquittant d'ores et déjà, le plus souvent, une cotisation mutualiste. Il a considéré qu'il était difficile de proposer des solutions uniformes pour huit millions de personnes.

En réponse aux remarques de M. Charles Descours, rapporteur, MM. Hugues Feltesse et Bernard Michel ont observé que nombre de retraités n'avaient pas les moyens de souscrire à une mutuelle et que, de façon plus générale, 23 % des Français renonçaient à des soins pour des raisons financières.

Citant l'exemple de la carte Paris-santé, M. Jean Chérioux a rappeléque les départements avaient entrepris des actions ambitieuses pour assurer une couverture maladie aux plus démunis.

M. Guy Fischer a regretté que des amendements déposés à l'Assemblée nationale prévoient d'associer les mutuelles et les organismes d'assurance à la gestion de la protection maladie complémentaire.

M. Paul Blanc a jugé que le fonctionnement de l'aide médicale était satisfaisant.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard a évoqué la notion de " reste à vivre ", qui devrait être prise en compte pour calculer les revenus des personnes endettées ou qui doivent payer une pension alimentaire.

M. Philippe Nogrix s'est interrogé sur les modalités du contrôle des ressources des bénéficiaires dans le cas où les droits seraient accordés immédiatement. Il a rappelé que l'action des départements et des centres communaux d'action sociale s'inscrivait dans une logique de solidarité, et non de charité.

M. Hugues Feltesse a souhaité que le fonds chargé de financer le volet " complémentaire " de la CMU soit géré par l'Etat. Il a estimé que la carte Paris-santé constituait un instrument très intéressant, mais qu'il rencontrait des limites pour les personnes qui déménagent dans un autre département d'Ile-de-France ou qui sont confrontées à un changement de situation familiale. Il a renouvelé son attachement à la reconnaissance de l'immédiateté des droits.

M. Bernard Michel a souligné que l'aide médicale gratuite n'était pas uniforme dans tous les départements et a souhaité qu'un délai de quinze jours à un mois après l'ouverture immédiate des droits soit accordé pour apporter les pièces nécessaires à la constitution des dossiers d'admission à la CMU.

Sécurité sociale - Création d'une couverture maladie universelle - Audition de M. Marcel Ravoux, président de la Caisse nationale d'assurance maladie et maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles (CANAM), et de M. Daniel Postel-Vinay, directeur général, et de M. Daniel Lenoir, directeur général de la Mutualité sociale agricole (MSA)

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Marcel Ravoux, président de laCaisse nationale d'assurance maladie et maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles (CANAM), et de M. Daniel Postel-Vinay, directeur général ainsique de M. Daniel Lenoir, directeur général de la Mutualité sociale agricole (MSA).

M. Marcel Ravoux a exprimé les inquiétudes que soulevait le projet de loi de la part de la CANAM.

S'agissant de la couverture de base, il a souligné tout d'abord que le principe de la déconnexion entre le paiement des cotisations et le versement des prestations dans le cadre de la CMU allait à l'encontre du principe appliqué aux personnes assujetties au régime de base de la sécurité sociale qui subordonne le droit aux prestations en nature des assurances maladie et maternité au paiement de cotisations.

Il a considéré que la déconnexion susciterait une contestation croissante du monopole des régimes obligatoires d'adhésion à la sécurité sociale, contestation qui était déjà à l'oeuvre dans le secteur professionnel des artisans. Il a craint une baisse du taux de recouvrement des cotisations.

Il a émis des réserves sur la rénovation de la procédure d'opposition à tiers détenteur applicable pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale dues par les travailleurs indépendants, en soulignant les risques d'un allongement des délais de procédure et d'un accroissement des contentieux.

Concernant le régime de protection complémentaire, M. Marcel Ravoux a rappelé que, dans la mesure où la CANAM connaissait les revenus professionnels des travailleurs non salariés non agricoles, mais qu'elle ne disposait pas d'informations sur les autres sources de revenus, l'évaluation du nombre d'assujettis au régime de l'assurance maladie des professions indépendantes susceptibles de bénéficier de la nouvelle protection complémentaire était très approximative.

Il a estimé toutefois que 390.000 ressortissants de la CANAM faisant état de revenus professionnels inférieurs à 67.000 francs par an étaient susceptibles de bénéficier de la couverture complémentaire.

Il a noté, par ailleurs, que la CANAM ne connaissait ni les revenus des assurés qui étaient en début d'activité, ni ceux des assurés qui présentaient un déficit d'exploitation.

Il a rappelé que, si le régime d'assurance maladie des professions indépendantes ne gérait pas l'assurance personnelle, il existait néanmoins environ 700 personnes qui avaient adhéré volontairement à ce régime en vertu de l'ordonnance du 21 août 1967 et pour lesquelles le projet de loi ne contenait aucune disposition. Il a souhaité le maintien du statu quo pour ces personnes.

Il a observé, par ailleurs, que la CMU était de nature à remettre en cause le principe de la cotisation minimale due actuellement par les travailleurs indépendants.

La cotisation minimale, calculée en fonction du taux de cotisation et du plafond de l'assiette de calcul des cotisations de sécurité sociale, s'élève à 4.098 francs par an pour les commerçants et les professions libérales et à 4.445 francs pour les artisans et concerne environ 400.000 travailleurs indépendants.

M. Marcel Ravoux a considéré que, dès lors que, au titre de la CMU, il n'était pas prévu de cotisation minimale et qu'en outre les personnes concernées étaient exonérées du paiement de cotisation en dessous d'un certain plafond, des ajustements seraient nécessaires, qui auraient un coût pour la CANAM.

S'agissant de la protection complémentaire, M. Marcel Ravoux s'est inquiété de l'effet de seuil important qui apparaîtrait entre les personnes qui seraient en dessous du seuil de revenus ouvrant droit à la CMU et celles qui se situeraient à peine au-dessus du seuil et devraient acquitter une assurance complémentaire de droit commun.

Il a rappelé que le coût minimal d'une telle protection complémentaire était de l'ordre de 6.000 francs par an pour un ménage de travailleurs indépendants d'âge actif sans enfant et de 9.000 francs à 10.000 francs environ par an pour un couple de retraités.

Il a estimé que les prélèvements pesant sur les ménages actifs seraient une incitation forte au développement du " travail au noir ".

Abordant les amendements proposés par la CANAM, M. Marcel Ravoux a souhaité tout d'abord la possibilité de prélever le montant des cotisations non acquittées sur le paiement des prestations dans l'hypothèse où le principe de la déconnexion serait maintenu.

Il a demandé, par ailleurs, que le dispositif actuellement en vigueur de cotisation minimale soit remplacé par un régime de cotisation proportionnelle au revenu.

Concernant la couverture complémentaire, il s'est prononcé en faveur du maintien du principe de la gratuité pour les personnes titulaires du RMI, pour le versement d'une cotisation symbolique par les personnes dont les ressources seraient comprises entre celles ouvrant droit au RMI et le seuil de revenu prévu par la CMU, et pour le versement d'une cotisation proportionnelle au revenu, assortie d'une aide dégressive jusqu'à un niveau de ressources correspondant à deux fois le plafond de la sécurité sociale, pour les autres assurés.

Il a souhaité que la date de mise en oeuvre de la réforme soit reportée du 1er janvier au 1er avril 2000 pour tenir compte des délais nécessaires à l'adaptation des applications informatiques des caisses.

M. Daniel Lenoir a indiqué que la MSA partageait de nombreux éléments d'analyse de la CANAM.

Tout en faisant part de son adhésion de principe à l'objectif d'amélioration de l'accès aux soins poursuivie par le projet de loi, il s'est déclaré hostile au système de l'affiliation automatique à une caisse primaire d'assurance maladie en rappelant que certaines personnes en difficulté étaient déjà actuellement affiliées à une caisse primaire de la MSA.

Il a souligné l'importance de la question de la déconnexion entre le versement des prestations et le paiement des cotisations. Il s'est demandé si, dans la pratique, la CMU aurait bien un caractère subsidiaire par rapport au système d'assurance professionnelle et si des mesures de sanction ne devraient pas être envisagées à l'encontre des personnes relevant d'un régime obligatoire qui choisiraient abusivement de s'affilier à la CMU.

Il a regretté que le projet de loi supprime une disposition du code rural qui permettait à la MSA de recouvrer les cotisations impayées par opposition à tiers détenteur sans l'intervention d'un huissier qui avait parfois des effets négatifs.

Il a souligné que le principe de la cotisation minimale actuellement exigible dans le régime de la MSA devrait être modifié dès lors que la CMU entrerait en vigueur, en raison des effets de seuil.

S'agissant de la couverture complémentaire, il a constaté que le dispositif de la CMU créait d'importants effets de seuil, tout en remarquant que l'évaluation du nombre des assujettis à la MSA qui pourraient bénéficier de cette protection complémentaire était difficile en raison des insuffisances dans la connaissance des revenus.

Il a estimé que 800.000 personnes seraient concernées par l'assurance complémentaire de la CMU au sein de la MSA. Il a souhaité également un dispositif de lissage des effets de seuil.

Il a considéré que la CMU remettrait en cause les dispositifs de couverture complémentaire mis en place par la section sociale de la MSA sur la base de l'article 1049 du code rural. Il a rappelé que 40 % à 60 % des adhérents de la MSA bénéficiaient de la gratuité des soins grâce à ce mécanisme de couverture complémentaire.

M. Charles Descours s'est demandé comment les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) contrôleraient les informations sur les revenus non professionnels des personnes demandant à bénéficier de la CMU. Il a estimé normal que les règles de droit commun soient respectées en matière de recouvrement des créances de sécurité sociale. Il s'est interrogé sur la disparité de traitement entre, d'une part, un travailleur indépendant ou un agriculteur qui paierait des cotisations pour sa couverture de base et, d'autre part, une personne ayant les mêmes revenus mais affiliée à la CMU.

En réponse, M. Marcel Ravoux et M. Daniel Lenoir ont souligné que cette disparité de traitement prévisible était à l'origine de leur demande de la suppression du principe du versement d'une cotisation minimale dans les régimes obligatoires.

M. Guy Fischer s'est demandé sur quelle base la CANAM et la MSA estimaient que 40 à 60 % de leurs ressortissants se trouvaient en dessous du seuil de revenu prévu pour la CMU.

M. Marcel Ravoux a indiqué que cette statistique était fondée sur les déclarations des revenus professionnels des affiliés. Il a précisé que, compte tenu des ayants droit, un million de personnes déjà affiliées seraient concernées par la CMU et insisté sur le risque d'une déstabilisation du régime d'assurance complémentaire.

M. Daniel Lenoir a souligné en effet le niveau relativement faible des retraites agricoles et il a fait état du risque de déstabilisation des régimes complémentaires mis en place soit dans le cadre d'accords interprofessionnels, soit dans les sections sociales de la MSA.

M. Jean Delaneau, président, a souligné que la notion de seuil de pauvreté était variable dans le temps et qu'elle ne permettait pas de prendre en compte les ressources non monétaires ainsi que les effets de solidarité familiale.

M. Daniel Lenoir a indiqué que la MSA avait souhaité qu'une réflexion soit engagée pour mettre en place un indicateur statistique de précarité des personnes.

M. Marcel Ravoux a souligné qu'il conviendrait, au regard du dispositif mis en place dans le cadre de la CMU, d'examiner attentivement les modalités de remboursement des prothèses, notamment en matière dentaire ou optique, consenties actuellement aux assujettis des régimes obligatoires.

Il a souhaité que la discussion du projet de loi aboutisse à l'adoption d'une disposition urgente afin de permettre que les modifications du régime des indemnités journalières versées par la CANAM puissent être décidées par le vote des seuls membres élus de la section professionnelle intéressée du conseil d'administration de la CANAM, et non plus par l'assemblée des administrateurs des caisses régionales de la CANAM représentant le groupe professionnel intéressé, comme prévu actuellement par l'article L. 615-20 du code de la sécurité sociale.

M. Bernard Seillier a estimé, en effet, que des simplifications pouvaient être apportées en matière de procédure dès lors que le régime des indemnités journalières avait été institué en assemblée générale.

Sécurité sociale - Création d'une couverture maladie universelle - Audition de M. Jean-Louis Faure, délégué général du Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP)

Puis elle a entendu M. Jean-Louis Faure, délégué général du Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP).

M. Jean-Louis Faure a indiqué que le CTIP représentait 74 institutions et unions adhérentes, soit 97 % des institutions de prévoyance. Exposant l'histoire et présentant les missions des institutions de prévoyance, il a rappelé que l'ordonnance du 4 octobre 1945, instituant le régime général de la sécurité sociale, avait prévu la création d'organismes de prévoyance à gestion paritaire " en vue d'accorder des avantages s'ajoutant à ceux qui résultent de la sécurité sociale ".

M. Jean-Louis Faure a précisé que l'apparition des régimes de prévoyance datait de la convention collective nationale du 14 mars 1947 portant création du régime de retraite complémentaire des cadres (AGIRC). Par la suite, le bénéfice des garanties de prévoyance avait été étendu à l'ensemble des salariés, notamment à l'occasion de la signature d'autres accords de retraite. Avec le développement des accords de prévoyance complémentaire, les années soixante avaient vu la création d'entités distinctes des caisses de retraite, professionnelles ou interprofessionnelles.

M. Jean-Louis Faure a souligné que les activités de prévoyance et de retraite devaient, depuis la loi du 8 août 1994, être obligatoirement gérées par des personnes morales différentes : institutions de retraite complémentaire pour la retraite et institutions de prévoyance pour la prévoyance.

Il a ajouté que les institutions de prévoyance, entreprises d'assurance au sens des troisièmes directives européennes sur l'assurance, avaient une double originalité : elles pouvaient couvrir tous les risques liés à la personne humaine, et uniquement ceux-ci ; elles ne pouvaient couvrir que des salariés et des anciens salariés des entreprises adhérentes. Il a précisé que les institutions de prévoyance étaient des sociétés de personnes à but non lucratif, gérées paritairement.

M. Jean-Louis Faure a indiqué que les institutions de prévoyance avaient couvert en 1997, à travers 1,6 million d'entreprises adhérentes, plus de 11 millions de participants salariés et anciens salariés, soit environ 20 millions de personnes avec les ayants droit. Il a précisé qu'elles avaient perçu 37 milliards de francs de cotisations.

Evoquant l'activité des institutions de prévoyance en matière de couverture complémentaire santé, M. Jean-Louis Faure a indiqué que les 51 institutions concernées avaient couvert à ce titre plus de 4,3 millions de salariés et d'anciens salariés, soit plus 10 millions de personnes avec les ayants droit, à travers près de 290.000 entreprises adhérentes, et encaissé 17 milliards de francs de cotisations.

Il a souligné que les institutions de prévoyance menaient en outre une action sociale importante en direction des personnes privées d'emploi, des jeunes en recherche d'emploi, des veufs et des retraités.

M. Charles Descours, rapporteur, a souhaité connaître la position des institutions de prévoyance sur le projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle. Il a demandé à M. Jean-Louis Faure si le chiffrage du coût du dispositif -9 milliards de francs par an- lui paraissait raisonnable. Après l'avoir interrogé sur l'appréciation qu'il portait concernant le financement du dispositif, il s'est demandé si un financement par l'impôt n'aurait pas été préférable à une contribution des assureurs complémentaires qui risquait de renchérir le coût des contrats et être facteur d'exclusion.

M. Charles Descours, rapporteur, a rappelé que le projet de loi définissait l'assiette de la contribution des organismes complémentaires comme " le montant hors taxes des cotisations et primes afférentes à la protection complémentaire en matière de santé ". Il a souhaité savoir si cela incluait les cotisations et primes destinées à financer des indemnités journalières maladie, voire des indemnisations de l'invalidité.

En réponse à M. Charles Descours, M. Jean-Louis Faure a indiqué que le CTIP avait participé, dès l'origine, aux différentes consultations menées par M. Jean-Claude Boulard, ainsi qu'à l'élaboration d'un protocole d'accord avec les autres régimes complémentaires pour la mise en oeuvre de la CMU.

M. Jean-Louis Faure a souligné que le CTIP avait toujours manifesté son accord sur le principe d'un dispositif partenarial tout en souhaitant que les effets pervers que pouvait engendrer un tel dispositif soient les plus réduits possibles.

M. Jean-Louis Faure a mis l'accent sur les difficultés que pouvait susciter la disparité des bénéficiaires potentiels de la CMU. Il a estimé qu'une couverture de 1.500 francs ne constituait qu'une moyenne et que le coût de la couverture réelle était susceptible d'évoluer selon un rapport de un à trois en fonction de l'âge du bénéficiaire : de 800 francs à 20 ans à 2.400 francs au-delà de 60 ans. Il a, par conséquent, jugé indispensable que les charges réelles pesant sur les organismes complémentaires soient intégralement compensées par le Fonds de financement de la protection complémentaire prévu à l'article 25 du projet de loi. Il a suggéré que le remboursement au profit des organismes complémentaires soit effectué selon un coefficient actuariel qui tienne compte de l'âge des bénéficiaires.

M. Jean-Louis Faure a estimé qu'une autre difficulté résidait dans le fait que les caisses primaires d'assurance maladie seraient remboursées par le Fonds de la totalité des sommes effectivement dépensées tandis que les organismes complémentaires assureraient la couverture du risque et assumeraient, par conséquent, les déficits éventuels.

M. Jean-Louis Faure a souligné que la CMU allait également compliquer la gestion des contrats collectifs dans la mesure où ceux-ci offraient généralement des garanties inférieures à la CMU. Certains salariés bénéficieraient de la CMU et d'autres, non. Il s'est demandé comment s'effectuerait le remboursement de la part salariale des cotisations de couverture complémentaire aux bénéficiaires de la CMU si l'entreprise n'était pas en mesure de connaître le revenu de ses salariés. Il a considéré que la CMU risquait par conséquent de gêner le développement des contrats collectifs, alors même que ceux-ci favorisaient la généralisation et la mutualisation de la couverture complémentaire et la non-sélection des risques.

M. Jean-Louis Faure a mis l'accent sur les risques de désynchronisation que pouvait entraîner la CMU pour les jeunes. Il a expliqué que ces derniers occupaient souvent des emplois précaires et connaissaient des variations de revenus importantes selon les années. Un jeune pouvait, par conséquent, se voir refuser le bénéfice de la CMU au moment où il en avait besoin, parce que ses revenus de l'année précédente s'avéraient trop élevés.

M. Jean-Louis Faure a souhaité que la charge financière résultant du maintien pendant un an du bénéfice de la CMU pour les personnes qui ne remplissaient plus les conditions de son obtention soit mutualisée plus largement.

Evoquant le coût du dispositif, M. Jean-Louis Faure a souligné que celui-ci dépendait de deux éléments : le montant du plafond -une légère augmentation de ce plafond provoquerait l'entrée des 800.000 personnes âgées bénéficiant du minimum vieillesse- et de l'état sanitaire de la population qui avait vocation à bénéficier de la CMU. Il a considéré que cet état sanitaire était inconnu et que la CMU pouvait entraîner, en solvabilisant les besoins, un effet de rattrapage susceptible d'augmenter fortement le coût du dispositif.

S'agissant du financement de la CMU, M. Jean-Louis Faure a estimé que la contribution des organismes complémentaires risquait de se traduire par une augmentation du coût de la couverture complémentaire pour les assurés. Il a craint des effets de sortie des dispositifs de couverture complémentaire : les personnes aux revenus élevés pouvaient être amenées à effectuer des arbitrages les conduisant à renoncer à leur couverture complémentaire.

M. Jean-Louis Faure a également rappelé que les institutions de prévoyance étaient désormais soumises aux directives européennes qui leur imposaient une marge de solvabilité au moins égale à 25 % des prestations.

M. Jean-Louis Faure a considéré que la définition de l'assiette de la contribution des organismes complémentaires n'était pas suffisamment précise et a suggéré que l'on remplace les mots : " afférentes à la protection complémentaire en matière de santé " par les mots : " relatives à l'indemnisation ou au remboursement des frais complémentaires de soins de santé ".

M. Charles Descours, rapporteur, a jugé que le chiffre de 1.500 francs par personne pour les dépenses annuelles de couverture complémentaire était probablement sous-évalué. Il a considéré que les dépenses pouvaient s'avérer en réalité bien plus élevées, ce qui menacerait la situation financière de la CNAMTS et des organismes complémentaires.

M. Jean-Louis Faure a souligné que tout dépendait de la définition du " panier de soins " associé à ce montant moyen de 1.500 francs.

M. Charles Descours, rapporteur, s'est interrogé sur la façon dont la répartition allait se faire entre la CNAMTS et les organismes complémentaires dans la prise en charge des bénéficiaires de la CMU.

M. Jean-Louis Faure a considéré que, seules, les personnes les plus marginalisées devaient relever des CPAM pour leur couverture complémentaire. Pour les autres, en revanche, il convenait de faire en sorte qu'elles entrent dans le droit commun, c'est-à-dire qu'elles adhèrent à un organisme complémentaire. Il a souligné que la CNAMTS et les organismes complémentaires avaient signé la semaine précédente un protocole d'accord visant à organiser la répartition des rôles entre les différents acteurs en matière de couverture complémentaire.

Sécurité sociale - Création d'une couverture maladie universelle - Audition de M. Jean-Marie Spaeth, président de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS)

La commission a alors entendu M. Jean-Marie Spaeth, président de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS).

M. Jean-Marie Spaeth a affirmé au préalable que l'institution d'une couverture maladie universelle constituait une réforme importante pour favoriser l'accès aux soins pour tous. Il a estimé que le moment était venu, pour des raisons de solidarité, de créer un droit personnel à l'assurance maladie. Compte tenu du progressif désengagement de la sécurité sociale dans la couverture des dépenses de santé, il lui a semblé fondé que le projet de loi traite également de la question de l'accès à une protection sociale complémentaire.

Examinant le dispositif proposé par ce texte, il a affirmé qu'il n'existait pas, en France, six millions de personnes exclues ou désocialisées et qu'il ne convenait donc pas de traiter différemment du reste de la population les 10 % de résidents éligibles à la CMU. Il a affirmé qu'il convenait de favoriser l'accès des personnes économiquement faibles à la couverture complémentaire et ne s'est donc pas déclaré favorable à ce que la sécurité sociale intervienne dans le domaine de compétence des organismes de protection sociale complémentaire. En effet, le financement de la sécurité sociale étant assuré par des contributions proportionnelles aux revenus, il n'est ni légitime, ni souhaitable que la sécurité sociale offre des prestations soumises à conditions de ressources. La sécurité sociale doit demeurer un système assuranciel qui rembourse en fonction des pathologies et non des revenus.

M. Jean-Marie Spaeth a souhaité que le bénéfice de la CMU corresponde à une période transitoire dans la vie des personnes qui y sont éligibles et estimé en conséquence qu'elles ne devraient pas basculer, à cette occasion, dans un système de protection sociale s'éloignant du droit commun.

M. Charles Descours, rapporteur, a affirmé son plein accord avec les propos du président de la CNAMTS. Il lui a demandé si une réforme préalable de l'assurance maladie n'aurait pas été nécessaire avant l'adoption d'une loi instituant une couverture maladie universelle. Il l'a également interrogé sur la nature de la concurrence instituée par le projet de loi entre le régime général de sécurité sociale et les organismes de protection sociale complémentaire. Il s'est inquiété de la mise en place, par le projet de loi, d'une sorte de " nomenclature bis " pour les bénéficiaires de la CMU. Il a demandé au président de la CNAMTS des informations sur le protocole d'accord conclu entre l'assurance maladie et les représentants des mutuelles et des compagnies d'assurances. Compte tenu du nombre très élevé d'organismes de protection sociale complémentaire, il s'est enfin inquiété des modalités selon lesquelles les médecins délivrant des soins aux bénéficiaires de la CMU pourraient être payés par ces derniers sans accomplir des démarches complexes.

M. Jean-Marie Spaeth a estimé qu'il ne fallait pas attendre une nouvelle réforme de l'assurance maladie avant d'instituer une couverture maladie universelle, mais a rappelé que la réforme engagée par les ordonnances du 24 avril 1996 n'était pas aboutie. Il a affirmé que toute nouvelle réforme devrait prendre en considération à la fois le système d'assurance maladie et l'offre de soins disponible, à partir d'une analyse des besoins de chaque assuré social. Il s'est déclaré opposé à la définition d'un panier de soins remboursables spécifique pour les bénéficiaires de la CMU. Il a toutefois indiqué que la question était posée de l'établissement d'une liste de prothèses et de lunettes à des tarifs opposables pour les bénéficiaires de la CMU, mais aussi pour l'ensemble des assurés sociaux. Il a déclaré que l'on ne pouvait se contenter d'un système dans lequel le Parlement votait des objectifs de dépenses et a affirmé que l'Etat devait définir en parallèle une politique de santé et le panier de soins remboursables correspondants.

Evoquant l'accord conclu avec les organismes de protection sociale complémentaire, M. Jean-Marie Spaeth a observé qu'il ratifiait un état de fait, celui de la complémentarité existant entre ces derniers et les organismes de sécurité sociale. Il a aussi affirmé que cet accord avait pour objet d'organiser une coopération des politiques suivies par les différents partenaires, dans une logique de donnant-donnant élaborée dans l'intérêt des Français. Il a en effet souligné les effets pervers entraînés, dans le passé, par une absence de coopération entre ces organismes, toute mesure appliquée par la sécurité sociale pouvant être contrecarrée immédiatement par les organismes de protection sociale complémentaire. Il a enfin déclaré que l'accord conclu avec ces derniers avait une portée plus générale que la seule mise en oeuvre de la couverture maladie universelle et qu'il devait être analysé comme l'organisation de tous les intervenants financiers en matière de couverture maladie pour faire évoluer l'offre de soins.

M. Jean Delaneau, président, s'est interrogé sur les calculs effectués par le Gouvernement dans le cadre de la préparation du projet de loi. Il s'est ainsi demandé si l'on avait multiplié six millions de personnes bénéficiaires par un coût de 1.500 francs pour arriver à 9 milliards de francs, ou bien si la somme de 1.500 francs avait été obtenue en divisant un coût financier jugé comme acceptable de 9 milliards de francs par le nombre de six millions de personnes bénéficiaires.

M. Jean-Marie Spaeth lui a répondu que les organismes de protection sociale complémentaire étaient mieux placés que lui pour évaluer le coût réel de la couverture complémentaire des bénéficiaires de la CMU. Il a toutefois souligné la difficulté d'un tel exercice et cité l'exemple des personnes âgées, dont les dépenses de soins sont élevées, mais dont une partie bénéficie de remboursements à 100 % par la sécurité sociale.

Répondant à M. Charles Descours, rapporteur, il a affirmé qu'allait être mis en oeuvre un système informatisé qui permette aux médecins d'être payés simplement, sur la base d'un décompte unique où apparaissent clairement les remboursements du régime de base et des régimes complémentaires.

Mme Gisèle Printz s'est interrogée sur les modalités de mise en oeuvre de la CMU dans les départements soumis au droit local.

M. Jean-Marie Spaeth lui a répondu qu'une difficulté pourrait surgir en raison des textes législatifs qui disposent que le régime local ne peut pas rembourser les dépenses de santé à 100 %.

M. Guy Fischer a fait part de son inquiétude quant à une possible immixtion des régimes complémentaires dans la gestion du système de soins.

M. Jean-Marie Spaeth lui a répondu que les organismes complémentaires participaient déjà au système de soins et que cette participation était d'autant plus grande que la sécurité sociale se désengageait du remboursement des dépenses de santé. Il a estimé que régimes de base et organismes complémentaires devaient s'unir pour agir ensemble sur l'offre de soins, sauf à prendre le risque que l'offre de soins organise elle-même la concurrence entre les financeurs.

M. François Autain s'est inquiété de la disparité des dispositifs prévus par le projet de loi pour les bénéficiaires de la CMU qui auront choisi, pour leur couverture complémentaire, les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) et ceux qui auront choisi les organismes complémentaires. En effet, seuls ces derniers bénéficieront d'une période de maintien des droits à la sortie du dispositif CMU.

M. Jean-Marie Spaeth s'est interrogé sur les modalités de financement d'une telle prise en charge si elle était instituée par la loi au profit des bénéficiaires de la CMU ayant choisi de confier aux caisses primaires la gestion de leur couverture complémentaire.

M. Charles Descours, rapporteur, constatant que l'Etat compensait trop rarement les charges nouvelles qu'il imposait aux organismes de sécurité sociale, a déclaré partager les craintes exprimées par le président de la CNAMTS.