Travaux de la commission des affaires sociales


 

Mercredi 8 décembre 2004

- Présidence de M. Nicolas About, président,

Reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés - Examen du rapport

La commission a procédé à l'examen du rapport de M. Alain Gournac sur le projet de loi n° 356 (2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale, portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés.

M. Alain Gournac, rapporteur, a rappelé que l'indépendance de l'Algérie a entraîné l'arrivée sur le territoire métropolitain, dans des conditions souvent précaires, d'environ un million de rapatriés. Le projet de loi présenté par le Gouvernement poursuit deux objectifs : un objectif de réparation morale auquel répond notamment l'article premier, et un objectif financier qui vise à corriger des situations inéquitables nées de l'addition des lois d'indemnisation successives.

Il a présenté ensuite les mesures concernant les harkis. L'article 2 revalorise l'allocation de reconnaissance et donne à ses bénéficiaires le choix entre la poursuite de son versement à son nouveau taux majoré, le versement d'un capital ou une formule mixte. Le coût de cette mesure pourrait atteindre 770 millions d'euros pour 11.000 bénéficiaires potentiels. L'article 3 vise à prolonger de cinq ans le délai pendant lequel les harkis pourront déposer un dossier de demande d'aides au logement, l'Assemblée nationale ayant adopté par ailleurs un amendement autorisant le versement de ces aides aux harkis qui acquièrent un logement en indivision avec leurs enfants, à condition que ces derniers les hébergent. Enfin, l'article 3 instaure une procédure dérogatoire qui permet au ministre en charge des rapatriés de faire bénéficier de ces aides et allocations les harkis qui, par méconnaissance de leurs droits, n'ont pas accompli, en temps voulu, les formalités normalement requises.

M. Alain Gournac, rapporteur, a ensuite examiné les dispositions concernant les rapatriés d'origine européenne. L'article 5 organise la restitution des sommes prélevées sur les indemnités versées aux rapatriés dans les années 1970. Cette mesure, qui concerne 90.000 personnes, devrait coûter 310 millions d'euros. L'article 6 prévoit une indemnisation forfaitaire des personnes qui se sont exilées dans les années 1960, pour échapper à une condamnation en lien avec les événements d'Algérie, et qui n'ont pu, de ce fait, cotiser à un régime de retraite.

Le projet de loi a été sensiblement enrichi au cours du débat de première lecture à l'Assemblée nationale.

Dans le domaine de la mémoire, elle a souhaité associer les populations civiles victimes de la guerre d'Algérie à l'hommage rendu le 5 décembre aux combattants morts pour la France et décidé la création d'une fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie et des combats de Tunisie et du Maroc.

Dans le domaine de l'enseignement, elle a adopté un article additionnel qui vise à accorder une place plus importante à l'histoire de la présence française outre-mer dans les programmes scolaires et les recherches universitaires.

Pour mieux protéger l'honneur des harkis, elle a souhaité interdire les allégations injurieuses à leur endroit et réprimer la négation des crimes commis à leur encontre après le 19 mars 1962. Elle a donné, par ailleurs, une base légale aux bourses spécifiques qui sont versées à leurs enfants en complément des bourses de l'éducation nationale.

Vu l'ampleur du travail réalisé par l'Assemblée nationale, M. Alain Gournac, rapporteur, a indiqué qu'il proposerait un nombre limité d'amendements, dont plusieurs visent à améliorer la qualité juridique du texte. Il a surtout souhaité connaître l'avis des commissaires sur l'article 7, relatif à la répression de la contestation des crimes commis contre les harkis, qui soulève un légitime débat.

M. Guy Fischer a souligné que les plaies ouvertes par la guerre d'Algérie n'étaient pas encore refermées et que cela pouvait causer des difficultés dans les grandes agglomérations où coexistent plusieurs communautés originaires d'Afrique du Nord. Même s'il a reconnu que le texte comportait quelques avancées en matière d'indemnisation, il a exprimé un désaccord de fond avec plusieurs articles du projet de loi. Il a dit redouter que la fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie ne serve à glorifier l'histoire coloniale de la France. Il a jugé que le montant de l'indemnisation proposée aux harkis était d'un niveau trop faible au regard du niveau de vie très modeste de cette population. Il a en revanche approuvé l'initiative du Gouvernement consistant à instaurer une journée annuelle d'hommage aux harkis. Au total, le groupe communiste républicain et citoyen ne partageant pas la philosophie de ce texte, il s'opposera donc à son adoption.

M. André Lardeux a fait part de son désaccord avec l'article 7 qui, s'inspirant de la loi Gayssot de 1990, conduit à restreindre la liberté d'expression. Sans remettre en cause d'aucune manière la réalité des souffrances endurées à cette époque, et notamment par les rapatriés et les harkis, il a estimé qu'il ne revenait cependant pas au législateur de définir ce que doit être la vérité historique.

Mme Bernadette Dupont a indiqué que les associations demandaient la reconnaissance par l'État de sa responsabilité dans le drame vécu par les rapatriés et par les harkis et réclamaient l'attribution aux Français décédés après le 19 mars 1962 du statut de « Morts pour la France ». Elle a également voulu savoir si les personnes dont les parents étaient décédés en Algérie avaient le statut de pupille de la Nation. Elle a estimé, pour le déplorer, que la rédaction proposée par le rapporteur pour l'article premier bis du texte qui mentionne les personnes associées à l'hommage du 5 décembre, était plus restrictive que celle retenue à l'Assemblée nationale.

Mme Gisèle Printz a ajouté aux revendications exprimées par les associations de harkis et de rapatriés celle de voir siéger, dans la fondation, des historiens et des témoins directs des événements. Elle a ajouté qu'il serait souhaitable de réunir Français et Algériens autour de ce travail de mémoire en signe de réconciliation. Elle a évoqué le problème particulier des femmes divorcées de harkis, la lenteur des procédures de désendettement organisées au profit des rapatriés et a indiqué que les harkis contestaient la manière dont leur lieu de naissance est encore mentionné sur leur carte d'identité.

M. Claude Domeizel a expliqué qu'il venait d'assister, en tant que président du groupe d'amitié France-Algérie, à une réunion dite « cinq plus cinq » consacrée au dialogue euro-méditerranéen. Il a insisté sur la volonté d'intégration que les harkis ont toujours manifestée et demandé que les procédures d'indemnisation soient rapidement achevées vu le grand âge des bénéficiaires. Il a estimé que ce projet de loi ne pouvait être considéré comme une quatrième loi d'indemnisation et qu'il avait seulement pour objectif de corriger les défauts les plus criants des lois antérieures. Il a regretté que l'article premier bis consacre, sur le plan législatif, la date du 5 décembre comme jour de commémoration de la guerre d'Algérie et des combats de Tunisie et du Maroc.

M. Louis Souvet a confirmé que la guerre d'Algérie avait laissé des traces indélébiles. Il a souligné que les rapatriés attendaient une réparation tant morale que financière et a demandé si les sommes restituées aux rapatriés seraient actualisées.

M. Jean-Pierre Michel a lui aussi regretté que la date du 5 décembre reçoive une consécration législative et a fait observer que la rédaction proposée pour l'article premier bis risque de conduire à rendre aussi hommage aux membres de l'organisation de l'armée secrète (OAS) victimes des événements survenus après le 19 mars 1962, c'est-à-dire après l'armistice.

M. Nicolas About, président, a réagi en jugeant qu'il était facile de réécrire l'histoire quarante ans après les faits et que le 19 mars 1962 ne pouvait être considéré, historiquement, comme un véritable armistice. Il a estimé que la date du 5 décembre était la plus satisfaisante, tout en souhaitant que l'on envisage, à plus long terme, de rendre hommage le même jour aux morts de toutes les guerres.

M. Guy Fischer, rappelant l'incident survenu lors de la table ronde, a jugé que l'histoire de la colonisation était encore très présente dans les esprits et s'est indigné que l'on consacre la date du 5 décembre qui ne correspond à aucune réalité historique et n'aurait été choisie par le président de la République qu'en fonction de considérations factuelles d'agenda.

M. Claude Domeizel a alors indiqué que la précédente majorité avait voté la reconnaissance de la guerre d'Algérie et qu'il en découlait que les accords d'Evian constituaient donc bien un armistice.

M. Nicolas About, président, a contesté cette analyse en indiquant qu'un armistice ne marquait pas la fin de l'état de guerre, mais seulement la fin des combats. Il a estimé que la date du 19 mars était facteur de division et que ceux qui ont participé à la guerre d'Algérie, quel que soit leur choix, défendaient alors des valeurs auxquelles ils croyaient sincèrement. Il convenait en conséquence de rendre désormais hommage à toutes les victimes, dans un souci de réconciliation.

M. Alain Gournac, rapporteur, a indiqué qu'il souhaitait interroger le Gouvernement sur la configuration de la future fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie et des combats de Tunisie et du Maroc, afin de faire préciser sa vocation et de savoir quelles personnes allaient l'animer. Répondant à M. André Lardeux, il a fait part de ses doutes sur l'opportunité de maintenir le principe de l'article 7 et il a précisé qu'il proposerait d'en modifier la rédaction pour que la réflexion sur ce point se prolonge durant la navette parlementaire. En réponse à Mme Bernadette Dupont, il a dit avoir été bouleversé par les témoignages entendus lors des auditions préparatoires, mais il a expliqué qu'il restait opposé à une reconnaissance de la responsabilité de la France dans les souffrances endurées par les rapatriés et les harkis. Il a ajouté qu'il était juridiquement difficile de reconnaître la qualité de « Mort pour la France », qui correspond à une définition bien précise, aux victimes civiles de la guerre d'Algérie. Il s'est interrogé sur l'opportunité d'associer à l'hommage rendu aux morts pour la France en Afrique du Nord des personnes qui ont fait le choix de demeurer en Algérie. Il a répondu à Mme Gisèle Printz qu'il espérait, lui aussi, un geste de réconciliation de l'Algérie mais que la dernière visite du président algérien en France avait de ce point de vue été décevante. Il a demandé à M. Claude Domeizel de faire connaître, en sa qualité de président de groupe d'amitié, cette attente aux autorités algériennes. Il a indiqué à M. Louis Souvet que les sommes restituées aux rapatriés ne seraient pas actualisées, mais qu'elles ne seraient pas, non plus, imposables. Il a également expliqué qu'il était favorable à la date du 5 décembre, car un grand nombre de personnes ont été victimes d'exactions commises après le 19 mars 1962. Refusant toute polémique, il a cependant reproché à la précédente majorité d'avoir peu oeuvré en faveur des rapatriés, hormis l'allocation de reconnaissance créée au profit des harkis.

La commission a ensuite procédé à l'examen des articles et des amendements présentés par son rapporteur.

La commission a adopté l'article 1er (reconnaissance de la Nation) sans modification.

A l'article 1er bis (hommage aux populations civiles victimes de la guerre d'Algérie), elle a adopté un amendement pour associer à l'hommage rendu par la Nation les disparus et les victimes civiles des combats de Tunisie et du Maroc.

La commission a adopté les articles 1er ter (création d'une fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie et des combats de Tunisie et du Maroc) et 1er quater (place de l'histoire de la France d'outre-mer dans les programmes scolaires et la recherche universitaire) sans modification.

A l'article 1er quinquies (interdiction des injures contre les harkis), elle a adopté un amendement pour préciser que les diffamations à l'encontre des harkis étaient interdites, ainsi que les injures et diffamations visant les harkis non en tant qu'individus, mais en tant que groupe.

Après l'article 1er quinquies, elle a adopté un amendement portant article additionnel visant à inciter la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité à lutter avec détermination contre les discriminations dont sont victimes les harkis.

La commission a adopté l'article 2 (ouverture d'un droit d'option en faveur des harkis entre la revalorisation de l'allocation de reconnaissance et le versement d'un capital) sans modification.

A l'article 3 (prorogation des aides au logement en faveur des harkis), elle a adopté un amendement rédactionnel et un amendement permettant aux harkis ayant acquis un logement, après le 1er octobre 1994, de bénéficier des procédures de désendettement immobilier existantes.

Elle a adopté l'article 4 (dérogations individuelles ouvrant droit au bénéfice de l'allocation de reconnaissance et des aides au logement) sans modification.

A l'article 4 bis (aides complémentaires instituées au bénéfice des enfants de harkis titulaires des bourses de l'éducation nationale), elle a adopté un amendement visant à élargir le champ des bénéficiaires.

Elle a adopté les articles 4 ter (rapport relatif à la situation sociale des enfants de harkis), 5 (restitution aux rapatriés des sommes précédemment prélevées au titre des différentes lois d'indemnisation) et 6 (indemnisation des exilés politiques salariés du secteur privé) sans modification.

A l'article 7 (répression de la contestation de l'existence des crimes commis contre les harkis après le 19 mars 1962), elle a adopté un amendement visant à améliorer sa rédaction sur le plan juridique.

La commission a ensuite émis un avis favorable à l'adoption de l'ensemble du texte ainsi amendé.