Mardi 3 juin 2008

- Présidence de M. Nicolas About, président -

Santé - Anorexie - Table ronde

La commission a organisé une table ronde sur l'anorexie à laquelle ont participé le professeur Valérie Compan, professeur de l'université de Nîmes, à l'Institut de génomique fonctionnelle de Montpellier, Mmes Viviane Gacquière, présidente, et Sylvie Benkemoun, secrétaire générale de l'association Allegro fortissimo, signataire de la Charte d'engagement volontaire sur l'image du corps et contre l'anorexie, le professeur Philippe Jeammet, psychanalyste et professeur de psychiatrie à l'université René Descartes - Paris V, M. Alain Prothais, professeur de droit à l'université de Lille II, directeur de l'Institut de criminologie.

M. Nicolas About, président, a indiqué que l'organisation de cette table ronde a pour but de préparer l'examen, par le Sénat, de la proposition de loi tendant à réprimer l'incitation à la maigreur extrême et à l'anorexie, texte dont Mme Patricia Schillinger a été nommée rapporteur.

Il a demandé aux intervenants de bien vouloir donner leur définition de l'anorexie afin de clarifier les termes du débat.

Le professeur Philippe Jeammet, psychanalyste et professeur de psychiatrie à l'université René Descartes - Paris V, a indiqué que l'anorexie mentale est une infection connue depuis longtemps, décrite scientifiquement en 1873 par Charles Lasègue en France et presque simultanément, en Angleterre, par William Gull. On trouve néanmoins déjà des descriptions de comportements anorexiques dès l'Antiquité, dans l'Orient arabe et chez Morton, un médecin anglais du XVIIe siècle. L'anorexie existe donc indépendamment des phénomènes de mode. Elle touche essentiellement les femmes, et spécialement les adolescentes, moins d'un patient sur dix étant un garçon. Les jeunes femmes anorexiques ont souvent pour caractéristiques une intelligence vive, la recherche de perfection et une grande volonté ; elles se considèrent toujours trop grosses et leur recherche de maigreur, profondément irréelle par son excès même, répond à un désir de mieux-être, mais pas de mort, même si l'amaigrissement peut être spectaculaire. Les anorexiques, au contraire de ce que l'on pourrait croire, sont obsédés par la nourriture. Ce trouble du comportement alimentaire est relativement fréquent, même si l'on manque de point de comparaison dans le temps. Les cas traités à l'hôpital sont les plus sévères et masquent la diversité des formes de cette affection, qui doit toucher au total 1 % des quatre millions d'adolescents. La boulimie, que l'on peut décrire comme une crise paroxystique de goinfrerie, touche pour sa part 5 % des adolescents. Deux tiers des anorexiques deviennent d'ailleurs boulimiques. La mortalité associée à l'anorexie est de 7 % à 10 %, ce qui est considérable pour une affection non lésionnelle.

On peut diagnostiquer l'anorexie au travers d'un certain nombre de symptômes dont l'obnubilation par le poids, l'absence d'inquiétude face à un amaigrissement rapide et l'aménorrhée. Contrairement à ce que pourrait laisser penser l'étymologie, l'anorexique ne perd pas l'appétit, mais lutte activement contre lui. Paradoxalement, les anorexiques cherchent souvent à nourrir leur entourage. Cette thématique obsessionnelle de la nourriture montre qu'il ne s'agit pas seulement d'un problème d'amaigrissement.

Afin de perdre du poids, les anorexiques deviennent hyperactifs et se soumettent à une tension extrêmement forte. Les mesures de contrôle de leur poids vont jusqu'au vomissement provoqué et à l'ingestion massive de laxatifs. Ce sont des comportements obsessionnels.

Les causes de l'anorexie sont multiples. On peut même s'interroger sur le point de savoir s'il s'agit d'une maladie, dans la mesure où c'est un comportement adaptatif adopté pour répondre au stress. La difficulté du traitement réside notamment en ce que l'anorexique affirme que son comportement le soulage et qu'il fait l'objet d'un choix délibéré et éclairé. L'anorexique joue sur la charge émotionnelle et affective auprès de son entourage pour faire croire à sa liberté de choix. Comme tous les comportements stéréotypés, il existe sans doute une base génétique ou plutôt un terrain génétique, car on n'identifie aucun gène déterminant une maladie psychiatrique. Les comportements anorexiques s'adaptent pour résister au traitement et il est important de ne pas les légitimer si l'on veut aider les malades.

Le professeur Valérie Compan, professeur de l'université de Nîmes, à l'Institut de génomique fonctionnelle de Montpellier, a souligné que des facteurs environnementaux et biologiques sont à l'origine de l'anorexie. On ignore la loi qui détermine leur combinaison et il est essentiel de soutenir la recherche en ce domaine. Celle-ci porte sur les changements moléculaires et neuronaux qui font qu'un animal se prive de nourriture alors qu'il a faim. On sait d'ores et déjà que les mécanismes neuronaux en cause sont les mêmes que ceux utilisés après l'usage des drogues d'abus comme la cocaïne et les amphétamines.

Un modèle animal créé par manipulation génétique à New-York et qui a la particularité de s'arrêter de manger quand il est soumis à un stress environnemental, à l'inverse du comportement animal normal, pourrait permettre d'en savoir plus en ce domaine et d'étendre les conclusions à l'homme. Il est déjà certain que, malgré une prédisposition biologique à l'anorexie, le cerveau, organe doté d'une plasticité extrême, s'adapte pour permettre d'adopter un autre comportement. Mais l'adaptation ne peut se faire que jusqu'à un certain point face au stress et quand l'adaptation n'est plus possible, l'anorexie se déclare.

Mme Sylvie Benkemoun, secrétaire générale de l'association Allegro fortissimo, signataire de la Charte d'engagement volontaire sur l'image du corps et contre l'anorexie, a indiqué que les personnes en situation d'obésité ou de surpoids éprouvent un sentiment d'euphorie lorsqu'elles suivent des régimes alimentaires stricts, une fois passée une première phase où elles souffrent de la privation. Cela n'empêche pas une importante reprise de poids à la fin du régime.

Le professeur Valérie Compan a confirmé que l'absence de nourriture touche, dans le modèle animal, une zone cérébrale associée à la récompense. De ce point de vue, l'anorexie s'apparente à une addiction, un cercle vicieux dans lesquels les patients se trouvent enfermés et souffrent.

M. Nicolas About, président, s'est interrogé sur l'influence potentielle des facteurs environnementaux.

Le professeur Philippe Jeammet a insisté sur la grande variabilité des causes et sur le fait qu'il ne peut y avoir un facteur unique prédisposant à l'adoption d'un comportement donné. Dans les soins qu'il prodigue depuis quarante ans aux anorexiques, il trouve important, d'un point de vue thérapeutique, de donner à ses patients la vision qu'il a de ce qui leur arrive. Il leur indique ainsi que c'est la combinaison de leur besoin et de leur peur qui est à l'origine de la crise qu'ils traversent. Leur phobie de grossir est une forme de cristallisation de problèmes plus profonds. Les anorexiques ont une faim de valeurs supérieure à la moyenne et cette anxiété entraîne des effets dévastateurs sur les personnalités complexes. Le comportement anorexique les calme, mais les enferme progressivement de plus en plus. Il est à noter que neuf anorexiques sur dix remangent spontanément quand ils sont séparés de leur famille.

M. Nicolas About, président, a souhaité obtenir des précisions sur le rôle de la famille dans l'anorexie.

Le professeur Philippe Jeammet a relevé ce trait spécifique de l'humanité qu'est le fait d'être conscient de soi-même. Cela implique que l'être humain est aussi conscient de sa dépendance et du fait qu'il va chercher chez les autres la satisfaction de ses besoins. Ceci est un problème pour les adolescents qui ont un fort besoin d'autonomie. En règle générale, le fait d'avoir une identité fragile rend rétif au fait de recevoir de son entourage l'aide émotionnelle dont on a besoin.

Les épisodes de boulimie que connaissent de nombreux anorexiques et qui vont parfois jusqu'à l'éclatement du ventre sont à mettre en relation non seulement avec la faim qu'ils éprouvent, mais encore avec le manque affectif. L'efficacité d'une thérapie familiale est donc liée au fait de retrouver le plaisir perdu du partage. Les anorexiques éprouvent à l'extrême le sentiment ambivalent de vouloir être regardés, sinon ils s'estiment abandonnés, et de dénoncer simultanément la traque dont ils font l'objet si l'on s'inquiète d'eux.

M. Nicolas About, président, a interrogé le professeur Alain Prothais sur la nécessité de créer une incrimination spéciale d'incitation à l'anorexie et à la maigreur extrême.

Le professeur Alain Prothais, professeur de droit à l'université de Lille II, directeur de l'Institut de criminologie, a précisé que la proposition de loi soumise au Sénat dépasse la question de l'anorexie. Il s'agit de réprimer l'incitation à la maigreur excessive faite par des sites internet et des milieux professionnels, ceux de la mode par exemple. La provocation est une notion usuelle du droit pénal. Elle aboutit à traiter comme complice d'une infraction celui qui y provoque. Il existe de nombreuses hypothèses où le délit de provocation est un délit spécial et n'est pas lié à une infraction. Tel est le cas de la provocation au suicide.

Du point de vue de la logique juridique, il n'y a pas d'obstacle majeur à créer la nouvelle incrimination prévue par la proposition de loi. Certains commentateurs ont mis en doute la nécessité de cette disposition en pensant qu'elle est redondante avec des lois déjà existantes. Une analyse plus précise des textes montre que tel n'est pas le cas ou que cela ne pourrait l'être qu'au prix d'une extension contestable de la jurisprudence.

Il sera difficile d'établir tant ce qu'est la maigreur excessive que le lien de causalité entre la provocation et la situation physique anormale. Néanmoins, ces difficultés ne sont pas insurmontables, car le juge peut avoir recours à une expertise médicale pour qualifier le caractère excessif de la maigreur, notamment grâce à l'indice de masse corporelle, et utiliser un faisceau d'indices pour déterminer la causalité. Il faut considérer que les preuves à apporter tant sur le caractère excessif que sur la causalité sont des garanties pour la défense.

L'interdiction de la publicité trouvera sans doute plus souvent à s'appliquer que la répression de la provocation. La proposition de loi a fait un effort louable de précision des éléments constitutifs de l'incrimination : but, moyens et effets. Ceci permet d'exclure du champ de la répression les jeûnes rituels et les régimes, par exemple.

Plusieurs points semblent cependant amendables, notamment le titre de la section pénale et la rédaction de la définition de la circonstance aggravante.

M. Nicolas About, président, a interrogé Mme Sylvie Benkemoun sur le travail de l'association Allegro fortissimo au sein du groupe de travail sur l'image du corps.

Mme Sylvie Benkemoun a regretté que la charte d'engagement volontaire sur l'image du corps et contre l'anorexie, issue des travaux du groupe auquel l'association Allegro fortissimo a accepté de participer, comporte dans son titre une référence à la lutte contre l'anorexie. Il s'agit là d'une décision de dernière minute qui s'est trouvée imposée aux participants le jour de la signature. En soi, cette référence est contraire à l'engagement d'Allegro Fortissimo dans ce travail qui devait porter sur l'apparence du corps en général. Il s'agissait à l'origine de ne pas faire, comme ce fut le cas en Espagne, le choix arbitraire de la référence à l'indice de masse corporelle comme élément du choix et de ne pas réduire les problèmes du corps à ceux de l'anorexie. Lors de la dernière réunion du groupe de travail, un consensus s'est dégagé parmi les participants présents pour estimer qu'il y avait eu instrumentalisation et que la ministre de la santé devait s'engager sur l'avenir du travail du groupe.

M. Nicolas About, président, a souhaité connaître l'opinion de l'association Allegro Fortissimo sur la possibilité de légiférer sur les troubles du comportement alimentaire.

Mme Sylvie Benkemoun a déclaré que l'association qu'elle représente reste particulièrement hostile à toute législation en la matière. Les risques de dérive sont beaucoup trop importants, car tous les messages, même ceux du programme national « Nutrition et santé », peuvent être considérés un jour comme provocateurs. Il faut au contraire lutter contre la médicalisation du discours sur le comportement alimentaire et ne pas utiliser un tel arsenal législatif si l'on veut lutter contre quelques sites internet. On ne doit pas oublier que la loi ne soigne pas et que toute interdiction entraîne une volonté de transgression.

M. Nicolas About, président, a rappelé que la mission de la loi est de protéger les faibles. Il a demandé au professeur Philippe Jeammet de donner son avis sur la question.

Le professeur Philippe Jeammet a indiqué que pendant longtemps il aurait lui-même été opposé à l'idée de légiférer en la matière. Aujourd'hui cependant, après quarante ans de traitement de l'anorexie, la situation a profondément changé, et spécialement depuis quinze ans. La délégitimation des adultes prend des proportions inconnues jusqu'alors et l'on peut considérer que de nombreux parents ont désormais peur de leurs enfants au point de ne pas pouvoir les obliger à suivre un traitement médical. Ceci implique concrètement que l'on a laissé mourir de nombreux anorexiques. Il appartient à la société de réaffirmer les limites qui garantissent son existence et la vie de chacun. La liberté ne peut aller jusqu'à l'abandon et même si elle ne paraît pas très satisfaisante, la proposition de loi est une amorce de réponse à cette grave question.

Le professeur Valérie Compan a rappelé avec force que l'anorexie est une maladie dont on ne connaît pas la cause et pour laquelle il n'existe à l'heure actuelle aucun traitement à l'efficacité scientifiquement prouvée. La médecine actuelle a fait le choix de culpabiliser les parents, mais ne dispose d'aucun élément scientifique pour fonder ce jugement. La pénalisation est dangereuse, car on ne peut exclure qu'un jour les enfants se retourneront contre les parents qu'ils estimeront être responsables de leur état. La liberté pour chacun de décider ce qu'il mange ne doit pas être restreinte par le législateur. Il peut paraître à l'inverse opportun de lutter contre les messages incitatifs en matière de troubles du comportement alimentaire.

Mme Patricia Schillinger, rapporteur, a souhaité savoir si l'anorexie peut s'apparenter à une recherche de la pureté.

Le professeur Philippe Jeammet a souligné que la recherche de la pureté, si elle existe, ne provient pas d'un désir, mais de la peur. Il ne faut pas laisser les anorexiques face à la maladie, car il ne s'agit pas d'un choix ; ce serait là une forme d'abandon et de lâcheté.

Mme Patricia Schillinger, rapporteur, a voulu connaître les effets que pourrait avoir la pénalisation sur les auteurs des sites internet promouvant l'anorexie, dits pro-ana, qui sont souvent eux-mêmes de jeunes anorexiques.

Le professeur Philippe Jeammet a estimé qu'il faut que la société donne un message clair et mette fin à sa promotion incessante de la destructivité. C'est là la priorité.

Mme Sylvie Benkemoum a également considéré que le problème des limites est important. Néanmoins, les sites pro-ana ne font qu'amplifier le discours ambiant sur l'image du corps. Le problème tient à l'intolérance actuelle face à la variété des apparences. De ce point de vue, légiférer sur la maigreur excessive revient à ouvrir la voie à la détermination, par la loi, des apparences autorisées et à toutes les discriminations.

Mme Anne-Marie Payet a souhaité savoir si la pratique de l'éloignement de l'enfant, douloureuse pour les parents, est efficace dans le traitement de l'anorexie.

Le professeur Philippe Jeammet a indiqué qu'il s'agit d'une séparation temporaire, et pas d'un placement, et que cette pratique est nécessaire, même si elle doit être combinée avec plusieurs autres approches thérapeutiques.

Le professeur Valérie Compan s'est déclarée opposée à la pratique de l'éloignement, qui ne saurait être efficace tant que l'on ne connaît pas les causes de la maladie. On ne peut faire porter aux parents la culpabilité de la mort de leur enfant, comme le fait actuellement la médecine. Même si elle ne s'exerce que sur des rongeurs, la recherche biomédicale, qui doit bien évidemment être conduite de manière pluridisciplinaire avec des psychiatres et des psychologues, offre le meilleur espoir de trouver un jour un traitement. Le problème est que la recherche ne dispose pas de l'infrastructure nécessaire et manque de financement. Les premiers tests en clinique humaine vont bientôt commencer pour cibler le gène qui semble le plus impliqué dans l'anorexie.

Le professeur Philippe Jeammet a fait valoir que c'est à la psychiatrie qu'il a été demandé de traiter, jusqu'à présent, l'anorexie et qu'elle dispose désormais, tant par le nombre de malades traités que par la durée de la pratique hospitalière, du recul nécessaire pour prendre la mesure de la gravité de cette maladie. Même si les modèles animaux ont une importance fondamentale dans la recherche, il ne faut pas oublier que l'on traite des êtres humains, ni sous-estimer l'aspect psychologique de l'anorexie.

M. Jean-Pierre Godefroy a souhaité savoir en quoi l'article unique de la proposition de loi pourrait permettre de résoudre la question des limites sociales, d'autant que si le terme anorexie a été, à juste titre, retiré du corps du texte, il figure encore dans l'intitulé voté à l'Assemblée nationale.

Le professeur Philippe Jeammet a souligné que l'on ne peut négliger l'influence du milieu et que c'est au moment où le malade souhaite sortir de l'anorexie qu'il commence à souffrir. On ne peut dès lors autoriser des discours qui légitiment l'anorexie au nom du libre choix. La société est à l'heure actuelle trop favorable à la destructivité.

M. Guy Fischer a estimé que légiférer sur les troubles du comportement alimentaire entraînerait le législateur sur d'autres chemins et que les risques de dérives sont, à son sens, importants. L'évolution de cette pathologie, au cours des quinze dernières années, est très préoccupante et l'anorexie devrait être replacée dans son contexte, notamment il faudrait s'interroger sur le fait de savoir si elle touche une catégorie sociale plutôt qu'une autre.

Le professeur Philippe Jeammet a indiqué qu'elle concerne tous les milieux, mais qu'il rencontre principalement dans sa pratique des jeunes femmes issues des classes moyennes supérieures.

Mme Gisèle Printz a fait valoir que le manque d'affection ou l'insécurité affective semblent être parfois la cause de l'anorexie. Dispose-t-on de données sur la survenance de cette maladie dans les pays en voie de développement ?

Le professeur Philippe Jeammet a indiqué que l'anorexie ne se rencontre pas dans les pays en voie de développement.

M. Jean-Claude Etienne s'est dit convaincu que l'on ne peut traiter par la loi le problème de l'anorexie, qui est une maladie, et non le choix d'un individu. N'est-il pas singulier que l'on imagine possible d'inciter à la maladie ?

M. Alain Gournac a affirmé que le problème essentiel de l'anorexie est celui de la mortalité qu'elle provoque. Il a souhaité savoir si le texte peut contribuer à améliorer l'image de la femme dans la société.

M. Paul Blanc a estimé qu'il n'est pas forcément justifié de légiférer spécifiquement sur cette question, qui pourrait parfaitement trouver sa réponse dans le cadre de l'examen des dispositions concernant les communications par internet du futur projet de loi de modernisation de l'économie. Concernant la querelle entre causes psychiques et causes biologiques, il a considéré que les deux approches doivent évidemment être combinées, si l'on s'en réfère au terme de « psychosomatique » que l'on utilisait souvent autrefois pour qualifier certains troubles.

Mme Françoise Henneron a déploré qu'il existe, en matière de maladie psychique, un véritable problème de communication.

M. Louis Souvet a fait observer qu'il ne s'agit pas ici de légiférer sur la maladie, mais sur ses causes ; le législateur procède de même lorsqu'il légifère sur le tabagisme et le cancer.

Le professeur Alain Prothais a confirmé que ce sont les comportements répréhensibles de tiers qui sont visés par la proposition de loi. Celle-ci est très semblable, dans son approche, à la législation sur l'incitation au suicide et marque le fait que la loi pénale a pour fonction de poser les interdits.

Le professeur Valérie Compan a appelé à appréhender avec une extrême prudence une future législation sur le sujet, mais la réduction des facteurs environnementaux pouvant conduire à l'anorexie est incontestablement utile.

Mme Sylvie Benkemoun a considéré que légiférer sur l'anorexie est la porte ouverte à la législation sur d'autres pathologies, elles aussi à l'origine de décès ou de problèmes psychologiques. La loi ne pourrait apporter qu'une solution trop simple à un problème complexe qui appelle un travail pluridisciplinaire.

Le professeur Philippe Jeammet s'est dit convaincu que ne rien faire revient à abandonner les anorexiques à leur sort et qu'il faut réprimer les comportements incitatifs en la matière.

Mercredi 4 juin 2008

- Présidence de M. Nicolas About, président -

Agences régionales de santé - Audition de M. Philippe Ritter, préfet honoraire, auteur du rapport sur la création des ARS

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Philippe Ritter, préfet honoraire, auteur du rapport sur la création des ARS, chargé de mission au cabinet de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative.

M. Nicolas About, président a rappelé que la création d'agences régionales de santé (ARS) a été suggérée dès 1993 par un rapport du commissariat général du plan, qui a proposé de confier aux ARS la régulation des dépenses d'assurance maladie au niveau régional. Cette proposition n'a alors connu aucune traduction législative.

En octobre dernier, le Président de la République a souhaité la mise en place de ces agences dès le 1er janvier 2009. Deux rapports ont alors été respectivement établis par M. Philippe Ritter et par M. Yves Bur, dans l'objectif de tracer les contours de ces nouvelles structures. Ces documents dressent un tableau peu flatteur de l'état du système de santé : inégalités d'accès aux soins, parcours de soins ville-hôpital insuffisamment coordonné, faiblesse des politiques de prévention, croissance des dépenses difficilement soutenable et émiettement institutionnel. Ils concluent tous deux à la nécessité de mettre en oeuvre des agences régionales de santé afin de rationaliser l'intervention des acteurs du système de santé au niveau régional, mais selon des modalités différentes qu'il convient d'analyser dans la perspective d'un projet de loi annoncé pour l'automne prochain.

M. Philippe Ritter, préfet honoraire, auteur du rapport sur la création des ARS, chargé de mission au cabinet de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, a confirmé que le plan Juppé de 1996 a constitué une première étape vers les agences régionales de santé (ARS). La création des agences régionales d'hospitalisation (ARH), alors décidée, a permis de placer sous une même tutelle l'ensemble des établissements de santé. Ce mode de gestion s'avère aujourd'hui insuffisant, car il consacre l'hospitalo-centrisme du système de santé, la France étant le pays européen qui consacre la part la plus importante de ses dépenses de santé à l'hôpital. Or, cette répartition des dépenses ne permet pas d'optimiser les modes de recours aux soins et se fait au détriment des autres composantes du système de santé, dont la gestion est aujourd'hui excessivement cloisonnée.

Une réforme institutionnelle est donc nécessaire afin de placer sous une même autorité les secteurs ambulatoire et hospitalier. La plupart des interlocuteurs consultés ont par ailleurs estimé indispensable d'inclure dans le périmètre de compétences des futures ARS les établissements du secteur médicosocial bénéficiant d'un financement total ou partiel de l'assurance maladie. Un consensus s'est également dégagé pour adjoindre à ces missions la santé publique, la veille et la sécurité sanitaires. Les ARS se voient ainsi confier des compétences très larges, pour l'exécution desquelles une structure administrative plus opérationnelle que celle des ARH, administrations de mission très légères ne disposant que de moyens limités pour exercer leurs compétences, doit être définie.

Le point essentiel de la réflexion relative à la création des ARS est, à son sens, de savoir s'il est pertinent de confier à des opérateurs distincts les compétences en matière d'organisation de l'offre de soins et celles relatives à la maîtrise des dépenses.

Or, le Gouvernement a considéré que ces deux fonctions ne peuvent pas être dissociées sans risquer d'une part de réduire le rôle des ARS, d'autre part de donner la priorité aux questions financières au détriment de la répartition géographique de l'offre de soins. La contrepartie de ces compétences doit résider dans une responsabilisation de ces structures, sur des objectifs à la fois de santé publique et de régulation des dépenses d'assurance maladie.

Compte tenu de l'ampleur des compétences attribuées aux ARS, le choix du directeur prend alors une dimension capitale. Ce dernier sera nommé en conseil des ministres et assisté d'un directoire présidé par le préfet de région. Une conférence régionale de santé reconfigurée, disposant de compétences plus larges que celles qui lui sont dévolues actuellement, viendra compléter le dispositif de gestion des agences.

M. Philippe Ritter a jugé indispensable de créer une structure disposant d'une véritable tutelle sur les soins ambulatoires et l'hôpital. Pour ce faire, les ARS doivent être constituées sous la forme d'un établissement public et être dotées de nouveaux outils de régulation du système de santé. En effet, jusqu'à présent, l'assurance maladie ou les ARH n'ont pas disposé des moyens d'action nécessaires pour corriger les inégalités en matière d'offre de soins. La création des ARS entraînera en outre une profonde restructuration des services de l'Etat au niveau régional et départemental (directions régionales et départementales de l'action sanitaire et sociale), mais également de l'assurance maladie.

M. Alain Vasselle a fait part de ses doutes sur l'opportunité de confier à un opérateur unique des compétences en matière de maîtrise de l'offre de soins et de régulation des dépenses de santé.

Il a rappelé que l'assurance maladie et les ARH n'ont pas disposé des outils nécessaires pour faire face aux tâches que les pouvoirs publics leur ont confiées, notamment dans le domaine de l'organisation de l'offre de soins ambulatoires. Malgré cela, des évolutions importantes peuvent être constatées depuis la réforme de l'assurance maladie en 2004 en matière de maîtrise des dépenses, même si des progrès sont encore à réaliser pour optimiser la régulation des dépenses hospitalières. Le regroupement au niveau régional des compétences détenues par l'Etat et l'assurance maladie soulève la question du recours à un opérateur de proximité pour la mise en oeuvre des politiques de gestion du risque, domaine où l'assurance maladie a développé un véritable savoir-faire. La ministre de la santé a évoqué la possibilité de recourir aux services des caisses primaires d'assurance maladie (CPAM). Or, cette solution suppose de définir des modalités de collaboration précises entre les CPAM et les ARS afin d'éviter des dysfonctionnements liés à la multiplicité des tutelles. Des procédures de collaboration sont également nécessaires afin de coordonner les stipulations conventionnelles nationales conclues entre les professions de santé et l'assurance maladie et les mesures décidées au niveau régional par les ARS, ainsi que pour associer les organismes d'assurance maladie complémentaire à la politique de gestion du risque. Ces deux derniers points sont assez peu évoqués dans les propositions transmises à la ministre de la santé.

Il a enfin voulu savoir comment est envisagée la coordination des interventions des ARS et des départements dans le domaine médicosocial.

M. Philippe Ritter a souligné que, même si des propositions ont été soumises au Gouvernement à la suite des Etats généraux de l'offre de soins ou par la commission de concertation sur les missions de l'hôpital, les outils de régulation mis à la disposition des ARS devront être définis par le Parlement.

Il a estimé que la politique de gestion du risque prendra une dimension nouvelle en étant coordonnée avec les politiques d'organisation de l'offre de soins au sein des ARS. Ces nouvelles structures ont vocation à fédérer l'Etat et l'assurance maladie, ce qui favorisera un meilleur suivi des performances du système de santé, notamment des dépenses hospitalières, domaine où aujourd'hui les directeurs d'ARH ne disposent pas des moyens nécessaires pour accompagner les établissements sur la voie du retour à l'équilibre financier. Le développement d'une politique régionale de gestion du risque ne remettra pas en cause les stipulations prévues par les conventions nationales conclues entre les professionnels de santé et l'assurance maladie, et la collaboration entre ARS et CPAM n'aura aucun impact sur les compétences de l'assurance maladie en matière de liquidation et de contrôle des prestations servies aux assurés. Par ailleurs, les complémentaires doivent se voir accorder une place dans la gouvernance des ARS.

Il a précisé que les ARS vont reprendre les compétences aujourd'hui détenues par l'Etat et l'assurance maladie dans le domaine médicosocial. Les compétences de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et des conseils généraux ne subiront aucune modification, mais le succès de cette évolution institutionnelle est lié à la capacité des pouvoirs publics à faire émerger une collaboration étroite entre les ARS et les départements. A titre personnel, il s'est prononcé pour des rapports bilatéraux sur une base contractuelle plutôt qu'en faveur d'une représentation des conseils généraux au sein des structures de l'agence, formule qui nécessite un accroissement des effectifs du directoire de l'ARS afin d'accorder une place à tous les départements figurant dans le ressort de l'agence.

M. Louis Souvet a voulu savoir si la création des ARS entraînera la disparition des ARH.

M. Guy Fischer a rappelé les propos de la ministre de la santé assurant que la création des ARS n'entraînera pas la fermeture d'établissements de santé, alors que plusieurs rapports publiés récemment estiment au contraire nécessaire la restructuration du tissu hospitalier. Il s'est interrogé sur le rôle qui sera confié aux ARS en ce domaine.

M. Marc Laménie s'est inquiété des problèmes de gestion de ressources humaines liés à la création des ARS, d'une part, du point de vue de la mobilité des personnels actuellement en poste, d'autre part, pour le maintien de structures de proximité.

M. Paul Blanc a estimé que le regroupement au sein d'une même structure de compétences relatives à l'organisation de l'offre de soins et à la régulation des dépenses de santé peut modifier l'approche des dossiers et déboucher sur la promotion d'une politique uniquement fondée sur le contrôle des dépenses au détriment des besoins de santé exprimés localement par les populations.

Il s'est interrogé sur le rôle des directions régionales de l'administration des services sanitaires et sociaux (Drass) dans la nouvelle architecture institutionnelle, sur les délais nécessaires pour la mise en place des ARS et sur le rôle des préfets de région au sein des ARS.

Il a rappelé que les structures régionales sont aujourd'hui chargées de définir les zones sous-médicalisées où des mesures incitatives peuvent être mises en oeuvre pour favoriser l'installation et le maintien des professionnels de santé. Or, durant la période au cours de laquelle laquelle les ARS se substitueront aux structures précédentes, l'Etat devra veiller à la pérennité des mesures visant à limiter localement les effets de la crise de la démographie médicale afin d'éviter que cette période transitoire ne se traduise par une dégradation de l'accès aux soins.

M. Philippe Ritter a précisé que les ARS ont pour objet de simplifier le paysage institutionnel en se substituant aux ARH, aux unions régionales des caisses d'assurance maladie (Urcam), aux missions régionales de santé (MRS) et en récupérant les compétences sanitaires des directions départementales de l'action sanitaire et sociale (Ddass) et des directions régionales de l'action sanitaire et sociale (Drass), ainsi que les compétences hospitalières détenues par les caisses régionales de l'assurance maladie (Cram).

Cette réorganisation prévoit la création d'antennes territoriales des ARS afin de développer des politiques de proximité et de relations approfondies avec les conseils généraux. Ces regroupements institutionnels rendus nécessaires par la création des nouvelles agences, démarche qui aujourd'hui suscite l'adhésion des personnels, nécessitent effectivement d'accorder une importance particulière à la gestion des ressources humaines.

Il a souhaité que la mise en oeuvre des ARS puisse débuter dans le courant de l'année 2009. Selon le modèle retenu lors de la création des ARH, les directeurs peuvent être nommés par anticipation afin de leur permettre d'organiser l'agence en amont avec l'objectif d'être prêts pour le 1er janvier 2010. Le préfet de région présidera l'agence, mais le directeur conservera la responsabilité opérationnelle de l'établissement.

Il a souligné qu'il n'existe aujourd'hui aucune enveloppe régionale des dépenses d'assurance maladie, mais qu'une telle création, sous la forme d'un objectif régional des dépenses d'assurance maladie (Ordam), peut être envisagée afin de fixer un cadre à la régulation des dépenses opérée par chaque ARS.

La vocation nouvelle des établissements de santé est d'adapter leur offre à l'évolution des demandes et des techniques. Cela peut passer par des évolutions des activités des établissements, sans se traduire par leur fermeture définitive.

Par ailleurs, il a indiqué que, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, le comité de modernisation réuni le 4 avril dernier a prévu la création de directions régionales de la cohésion sociale intégrant les compétences non sanitaires des Drass.

Mme Anne-Marie Payet a voulu savoir si des adaptations spécifiques sont prévues pour les départements d'outre-mer qui présentent des caractéristiques sanitaires et institutionnelles spécifiques.

M. Alain Milon a estimé que les ARS ne peuvent pas être de simples ARH améliorées mais doivent faire preuve d'une efficacité supérieure. Il s'est étonné que les départements, qui financent le secteur médicosocial, ne puissent être membres du directoire de l'ARS et a fait part de son opposition au regroupement, dans une même structure, de compétences relatives à l'organisation de l'offre de soins et à la régulation des dépenses de santé, car cet opérateur sera juge et partie.

Il a voulu savoir comment seront formés les directeurs d'ARS et si l'objectif régional de dépenses d'assurance maladie (Ordam) comprendra également les dépenses de l'Etat consacrées aux politiques régionales de santé.

M. François Autain a estimé que cette réforme comporte des aspects positifs pour l'amélioration des relations ville-hôpital, mais soulève également de nombreuses difficultés, notamment en cas d'extension de la compétence des ARS à la santé publique et au secteur médicosocial. Par ailleurs, cette réforme ne permet pas de répondre aux principaux défis auxquels le système de santé doit faire face, c'est-à-dire celui de son financement, d'une part, et des réponses apportées aux attentes de nos concitoyens en matière d'accès aux soins, d'autre part. L'organisation de la permanence des soins illustre cette situation : le manque de médecins volontaires et l'absence d'un financement suffisant ne seront pas réglés par la seule création de l'ARS. La réunion des compétences relatives à la gestion du risque et à l'organisation de l'offre de soins au sein d'une même structure soulève d'autres difficultés, tout comme la réunion de personnels qui n'ont ni le même statut, ni la même culture professionnelle. En conséquence, la prudence commande de procéder à une montée en charge par palier afin d'éviter de provoquer des dysfonctionnements supplémentaires dans le système de santé.

Enfin, il a souligné que la création des ARS nécessite une réflexion sur le pilotage national de ces structures qui, aujourd'hui, n'est prévue qu'à travers un comité de coordination réunissant l'Etat et l'assurance maladie.

M. Bernard Cazeau a voulu connaître le rôle de l'Etat dans le pilotage des ARS.

M. Dominique Leclerc a souligné qu'il est nécessaire d'aller au bout de la réflexion sur la gouvernance en s'interrogeant sur la légitimité actuelle d'un financement de l'assurance maladie assis sur les cotisations salariales. La logique de la fusion des services de l'assurance maladie et de l'Etat devrait s'accompagner d'un basculement des modes de financement vers l'impôt, solution d'ailleurs plus conforme à la dimension solidaire de l'assurance maladie.

M. Philippe Ritter a reconnu la nécessité de tenir compte des spécificités des régions monodépartementales.

Il a estimé que la mise en oeuvre des ARS doit être précédée d'une réflexion sur les relations qu'entretiendront ces structures avec les conseils généraux pour la gestion des établissements médicosociaux, en estimant que ces derniers doivent plutôt être considérés comme des partenaires que comme des membres du directoire de l'agence, quitte à mettre en place des structures de concertation permanente.

Il s'est prononcé en faveur d'un comité de sélection chargé de détecter les futurs directeurs d'agences régionales de santé ; il a préconisé de dispenser une formation initiale et continue, qui devra être mise en place.

En conclusion, il a souligné que le rapport qu'il a remis à la ministre de la santé souligne la nécessité d'améliorer le pilotage national du système de santé et une meilleure coordination des politiques menées par l'Etat et l'assurance maladie, la dichotomie actuelle étant source d'inefficacité.

Agences régionales de santé - Audition de M. Yves Bur, député, rapporteur de la mission d'information de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale sur les ARS

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Yves Bur, député, rapporteur de la mission d'information de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale sur les ARS.

M. Yves Bur, député, a d'abord insisté sur la conviction largement partagée par l'ensemble des acteurs de la nécessité de revoir l'organisation du pilotage du système de santé. Celui-ci est aujourd'hui illisible, en particulier pour les professionnels de santé et les patients, qui ne savent pas qui décide et où se situent les responsabilités. Le diagnostic de la situation actuelle fait l'objet d'un vrai consensus, de même que l'importance de retenir, pour le nouveau système de pilotage, un périmètre large comprenant à la fois les soins de ville, l'hôpital et le secteur médicosocial ainsi que la politique de santé publique. En effet, on estime aujourd'hui à cinq millions le nombre de journées d'hôpital inutiles, soit 20 % des séjours hospitaliers ou encore 2 milliards d'euros de dépenses qui pourraient être redéployés vers des structures en aval.

Par ailleurs, même si des progrès ont été enregistrés, notamment avec la loi de 2004, on constate encore beaucoup d'inégalités en matière de santé avec le creusement des déséquilibres entre des catégories privilégiées qui peuvent profiter pleinement du système et des classes défavorisées qui ont plus de difficultés à y accéder. C'est pourquoi il est impératif d'avoir une approche plus globale et plus efficace de l'ensemble des politiques et d'en assurer la régionalisation. La question de la proximité est désormais impérative pour pouvoir tenir compte de la diversité des situations de terrain. De ce point de vue, les agences régionales de santé (ARS) ne doivent pas être de simples transpositions des agences régionales de l'hospitalisation (ARH) car il faut leur confier un véritable pouvoir d'appréciation et de décision local.

La question centrale, qui fait d'ailleurs l'objet de quelques divergences avec le rapport du préfet Ritter, est celle du lien entre la mission d'organisation et la mission de régulation des dépenses au sein des ARS. Il faut en effet tenir compte de l'évolution du rôle de l'assurance maladie qui, depuis la réforme de 2004, n'est plus seulement un liquidateur mais aussi un rembourseur avisé et un gestionnaire du risque. Il serait dommage de remettre en cause cette nouvelle dynamique qui est le principal acquis de la dernière réforme.

Par ailleurs, il est très important de ne pas faire de l'organisation la seule réponse au problème actuel de la régulation du système de santé. Cela signifie que la simple réorganisation des structures ne pourra être suffisante. La création d'une administration unique de la santé, qui serait à la fois responsable du système comme employeur, organisateur et régulateur, serait un cas unique en Europe. Partout ailleurs, que ce soit en Grande-Bretagne, dans les pays nordiques ou en Allemagne, les responsabilités sont partagées, en particulier avec l'implication des échelons administratifs locaux. De même, si les moyens des Drass, des Ddass, des missions régionales de santé (MRS) et des ARH devront être regroupés, il faut avoir conscience que ce ne sera pas forcément un gage d'efficacité puisque les performances actuelles de chacune de ces administrations sont déjà insuffisantes. Il ne faudrait pas que les problèmes d'organisation deviennent prioritaires par rapport aux questions de régulation. De ce point de vue, le récent rapport de l'Igas sur les contrats de retour à l'équilibre des hôpitaux est très éclairant. Il montre bien les limites de tout exercice institutionnel si celui-ci n'est pas accompagné d'une démarche réellement vertueuse.

M. Yves Bur a ensuite souligné la nécessité de prévoir un pilotage national des ARS. Si le rapport de l'Assemblée nationale a d'emblée écarté, dans ses conclusions, un pilotage par le ministre de la santé, il a tout de même insisté sur l'importance d'un travail étroit entre les services du ministère et ceux de l'assurance maladie. C'est pourquoi il suggère la mise en place d'un secrétaire général qui aurait pour charge de piloter les ARS. Un triple enjeu se pose en effet à l'échelon national : l'organisation de l'offre de soins, la gestion des hôpitaux publics par un Etat à la fois propriétaire et employeur, enfin, la régulation des dépenses du système. La difficulté est de coordonner et de rendre cohérente cette triple mission à laquelle s'ajoutent les responsabilités de l'Etat stratège et normateur dans le domaine de la santé publique. C'est de l'efficacité de l'organisation nationale que dépendra l'efficacité des ARS. Il est donc impératif de clarifier les responsabilités à cet échelon.

Au niveau régional, il paraît essentiel de mettre de véritables outils de gestion entre les mains des ARS afin que celles-ci puissent agir dans des délais relativement brefs. Ainsi, sur l'ensemble du territoire, de graves problèmes de présence médicale vont très bientôt se poser avec des risques élevés en termes de sécurité sanitaire ; les ARS devront pouvoir les résoudre à leur niveau. Pour le pilotage de la gestion du risque, la question des conventionnements entre les ARS d'une part et les CPAM, le régime social des indépendants (RSI) et la mutualité sociale agricole (MSA) d'autre part, devra être résolue. Cela suppose une réforme préalable de l'assurance maladie et, en particulier, de ses structures régionales, Urcam et Cram. Le rapport de l'Assemblée nationale propose la création d'une direction régionale de la gestion du risque qui ferait l'interface entre la caisse nationale et les caisses primaires. Les relations entre les ARS et les directions régionales de la gestion du risque devront ensuite être formalisées. Il faut avoir conscience des grandes différences de culture entre les 11 000 fonctionnaires de l'Etat intervenant sur ces questions et les 80 000 agents de l'assurance maladie.

Un dernier élément apparaît essentiel pour la réussite de la réforme, celui de la création d'une nouvelle culture de responsabilité dans l'organisation qui sera mise en place. A l'échelon national, il est important que le Parlement ait une vision claire de ses responsabilités. Pour pouvoir assurer un pilotage fin du système de santé, il faudrait sans doute prévoir chaque année, à côté de la loi de financement de la sécurité sociale, le vote d'une loi d'organisation et d'accompagnement. Par ailleurs, les responsables du pilotage national des ARS devront disposer de feuilles de route claires permettant un contrôle et une évaluation approfondis par le Parlement. A l'échelon régional, les directeurs des ARS devront également disposer d'objectifs détaillés et bénéficier d'une rémunération en grande partie liée au mérite. Cette nouvelle culture de responsabilité devra s'étendre à chacun des acteurs sur le terrain et notamment aux directeurs d'établissement de santé.

M. Alain Vasselle a insisté sur le défi fondamental de la nouvelle réforme qui sera de trouver un pilote efficace pour coordonner à la fois l'offre de soins et la régulation des dépenses. Il est essentiel que les futures ARS ne soient pas calquées sur les ARH, c'est-à-dire que la priorité ne soit pas celle de la politique de l'emploi au lieu de la politique de santé publique. De ce point de vue, l'organisation d'une meilleure coordination entre les soins de ville et l'hôpital est une nécessité. Il a souhaité savoir si la gestion du risque doit être assurée par les ARS elles-mêmes ou par l'assurance maladie qui aurait un lien conventionnel avec les nouvelles agences. Il a voulu connaître la nature des outils qui pourraient être mis en oeuvre par les ARS pour assurer une meilleure organisation de l'offre de soins à l'hôpital. Il s'est enfin interrogé sur la place des assurances complémentaires dans la nouvelle architecture et sur le rôle qui pourrait être attribué aux départements dans les instances des ARS pour la partie médicosociale.

M. Alain Milon est convenu de l'importance du renforcement du rôle du Parlement ainsi que de la régionalisation du système et de la meilleure prise en compte des questions de proximité. Toutefois, il s'est interrogé sur l'esprit « régional » de fonctionnaires de l'Etat nommés par le Gouvernement et sur l'absence des départements dans le pilotage du système. Enfin, ne serait-il pas utile de dissocier l'offre de soins et la régulation des dépenses ?

M. Bernard Cazeau s'est également interrogé sur la nécessité de distribuer l'organisation de l'offre de soins et le contrôle des dépenses. Il a fait valoir les intérêts actuels des gestionnaires syndicaux dans les structures de l'assurance maladie. Enfin, il a souhaité savoir quelle serait la position des élus locaux, s'ils auraient un simple rôle dans le conseil d'orientation des ARS ou bien un rôle plus actif dans la gestion du système.

M. Pierre Bernard-Reymond a demandé si la création de vingt-deux ARS n'est pas excessive et si la moitié seulement ne suffirait pas. Il a voulu savoir quel sort serait réservé aux directeurs d'hôpitaux qui, en dépit de la signature de contrats de retour à l'équilibre, continuent à afficher des déficits dans leurs établissements.

M. Jean-Claude Etienne a souhaité savoir si les ARS disposeraient réellement des moyens de résoudre les problèmes de démographie médicale et d'organisation de l'offre de soins sur le terrain.

M. François Autain a estimé que la réforme des ARS ne pourrait à elle seule résoudre les problèmes du système de santé, ceux-ci nécessitant avant tout des mesures d'accompagnement financières. Ainsi, les problèmes de désertification médicale ou de permanence de soins ne sont pas seulement d'ordre organisationnel ; ils se posent d'abord en termes de moyens humains et financiers. Il s'est interrogé sur les éventuels conflits de compétences entre le préfet de région et le directeur de l'ARS, par exemple en cas de crise sanitaire. Il a soulevé un paradoxe dans la proposition de l'Assemblée nationale qui souhaite créer une autorité administrative indépendante pour le pilotage national des ARS tout en plaçant celle-ci sous la présidence du ministre de la santé. Enfin, il a rappelé l'excellente proposition du rapport du Sénat sur le médicament qui consiste à donner à l'assurance maladie la compétence de fixer le prix des médicaments.

M. Yves Bur a souligné l'importance d'insuffler une nouvelle culture de responsabilité dans l'ensemble du système. Certes, aujourd'hui, un centre de gestion a été créé, et quelques directeurs d'hôpitaux ou d'ARH ont été relevés de leurs fonctions. Mais il faut que les élus locaux aient des positions courageuses et que les directeurs d'établissements dressent des tableaux réels de leur activité. La future loi « santé, patients, territoires » devra mettre en place les outils adaptés et renforcer les pouvoirs et les responsabilités des directeurs d'hôpitaux, en particulier à travers l'élaboration de plans stratégiques pluriannuels qui devront comporter des éléments d'évaluation précis avec des déclinaisons dans chacun des pôles de l'hôpital. L'absence de mouvement est une des causes des difficultés de l'hôpital public qui doit donc se réformer, comme les cliniques privées l'ont fait au cours des dernières années.

En matière de démographie médicale, beaucoup de mécanismes ont déjà été expérimentés mais avec des résultats largement insuffisants. Il faudra donc que les ARS disposent d'outils réellement incitatifs mais sans doute aussi coercitifs.

Une place devra être trouvée pour les partenaires sociaux au niveau régional. Il est important qu'une réelle démocratie sanitaire puisse exister à cet échelon, ce qui devrait entraîner la réforme des conférences régionales de santé. Pour les ARS, à côté de l'exécutif et du directeur, il faudra créer un conseil tout en réfléchissant bien à la nature de celui-ci. En effet, il ne faut pas donner un signal de confusion sur l'autorité décisionnelle régionale. A cet égard, on peut rappeler le regret de certains préfets d'avoir perdu un certain nombre de prérogatives au moment de la mise en place des ARH.

La cohérence entre les soins de ville, l'hôpital et le secteur médicosocial est un impératif car une des clés de la crise hospitalière actuelle réside dans la mauvaise coordination entre ces secteurs. Cela rend obligatoire d'associer les départements aux décisions de l'ARS mais la question de la gestion des ARS au niveau départemental ne doit pas conduire à recréer l'équivalent des Ddass. Aussi pourrait-on peut-être envisager de mettre à la disposition des départements les agents de tarification des Ddass.

M. Yves Bur a considéré que la véritable finalité de la réforme est l'optimisation du parcours de soins du patient qui doit être plus efficace et plus cohérent en évitant les journées d'hôpital inutiles et les consultations multiples. C'est autour de cet objectif que l'ensemble des acteurs du système de santé doivent être mobilisés. Il ne s'agit donc pas seulement d'une réforme administrative et d'organisation mais de la mise en place d'une politique mieux coordonnée et de proximité. Même si l'échelon régional n'est pas parfait, c'est le niveau auquel aujourd'hui se structurent la plupart des politiques publiques.

Il a déclaré n'être pas hostile au fait que le ministre de la santé puisse présider l'agence nationale qu'il appelle de ses voeux.

Enfin, s'agissant du prix des médicaments, le système actuel est relativement stable et lisible ; toutefois on peut aussi imaginer que l'assurance maladie fixe elle-même le prix des médicaments, en absorbant le comité économique des produits de santé (Ceps).

Cour des comptes - Sécurité sociale - Assurance maladie - Audition de Mme Rolande Ruellan, présidente de la 6e chambre de la Cour des comptes, M. Michel Braunstein, conseiller maître, et Mme Annie Golfouse-Buet, rapporteur

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de Mme Rolande Ruellan, présidente de la 6e chambre de la Cour des comptes, M. Michel Braunstein, conseiller maître, et Mme Annie Golfouse-Buet, rapporteur, sur l'enquête de la Cour consacrée à la répartition du financement des dépenses de maladie depuis 1996 et aux transferts opérés entre assurance maladie obligatoire, assurances complémentaires et ménages.

Mme Rolande Ruellan, présidente de la 6e chambre de la Cour des comptes, a d'abord rappelé les termes de la demande d'enquête formulée par la commission des affaires sociales à la Cour, c'est-à-dire l'analyse de la répartition, depuis dix ans, du financement des dépenses de maladie et des transferts de charges entre l'assurance maladie obligatoire, les assurances complémentaires et les ménages. L'étude de la Cour des comptes s'est faite en deux temps : d'une part, une analyse des évolutions constatées depuis dix ans avec une critique des éléments d'observation disponibles, d'autre part, un travail plus approfondi sur la période récente, à la suite de la réforme de 2004.

De 1996 à 2006, on observe au sein des dépenses de santé une grande stabilité de la part de l'assurance maladie obligatoire à environ 77 %, une légère augmentation de la part couverte par les assurances complémentaires, à 13 %-14 %, mais celle-ci est en réalité le résultat d'une extension du champ des assurés couverts par ces assurances, enfin une part des ménages relativement faible à 8 % et une part de l'Etat résiduelle.

Les comptes nationaux de la santé constituent les seules séries statistiques qui permettent d'aborder les différents financeurs en fonction des diverses catégories de dépenses. Ainsi, si l'on observe une grande stabilité de la part de chacun des financeurs au niveau général, les dix dernières années ont connu des évolutions plus variées selon les types de dépenses. Par exemple, les dépenses liées à l'hôpital ont entraîné une augmentation de la part de l'assurance maladie obligatoire, mais à l'inverse la part des soins moins bien remboursés, comme les soins optiques et dentaires, a pris une place plus importante au sein de l'ensemble des dépenses. Les biens médicaux ont vu leur consommation sensiblement augmenter au cours de la période mais le taux de remboursement de ces soins a aussi augmenté. Enfin, le nombre des prises en charge à 100 % par l'assurance maladie obligatoire a également sensiblement progressé. Au total, ces différents effets se neutralisent ; néanmoins, la question de la fiabilité et du caractère suffisant de ces données est vraiment posée. En effet, au sein de l'agrégat de la consommation des soins et biens médicaux (CSBM), les indemnités journalières, les forfaits de soins en établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes (Ehpad) et les dépenses de prévention sont peu, ou pas, pris en compte. Par ailleurs, de grandes incertitudes pèsent sur les dépenses prises en charge par les assurances complémentaires. La Cour estime nécessaire qu'un progrès important soit fait dans ce domaine car on dispose de données très imparfaites sur le nombre des assurés, la répartition entre les différentes catégories d'assureurs et le montant des dépenses remboursées. Selon la provenance des données, notamment entre les comptes nationaux de la santé et les chiffres fournis par les groupements professionnels des assurances et des mutuelles, on obtient des écarts pouvant aller jusqu'à un milliard d'euros. De la même façon, on observe de grandes différences, selon les sources, dans le montant des coûts de gestion des diverses catégories d'assureurs. Ainsi, si le taux des frais de gestion atteint 5,4 % pour l'assurance maladie obligatoire, il est en moyenne de 25,4 % pour les assurances complémentaires, mais avec des montants très variés selon les acteurs. Cette insuffisance de données rend difficile l'appréciation correcte de l'effort des ménages, du montant qu'ils consacrent à leur protection sociale et des restes à charge.

Une très récente étude de l'institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) a analysé le coût des assurances complémentaires en fonction du revenu des ménages et a fourni des éclairages intéressants. Toutefois, ces travaux ont été faits à partir des cas individuels, sans tenir compte de la prise en charge par les entreprises d'une partie du coût de ces assurances.

L'étude de la Cour met également l'accent sur le montant des fonds publics consacrés à accroître le taux de couverture de la population par des assurances complémentaires. En additionnant les diverses aides, tant budgétaires, par exemple pour la CMU-c, que les dépenses fiscales et sociales, on obtient un montant total de 7,6 milliards d'euros, soit environ 35 % du montant des prestations complémentaires versées. Ce montant qui n'est pas neutre représente le coût, pour la collectivité, du déplacement du remboursement de certaines dépenses de l'assurance maladie obligatoire vers les assurances complémentaires. Il faut en outre préciser que, même si 93 % de la population est aujourd'hui couverte par une assurance complémentaire, on constate de grandes différences dans le contenu de la protection.

La deuxième partie du rapport est consacrée à la période récente et plus précisément aux années 2004 à 2006 puisqu'on ne dispose pas encore d'éléments suffisants pour 2007 et 2008.

Cette période est d'un examen utile car elle suit la réforme de 2004, fondée sur la responsabilisation des assurés et l'idée de laisser à la charge des ménages une partie plus importante de leurs dépenses de santé. Dans cet esprit, les contrats responsables ont pour objectif d'interdire aux assurances complémentaires de rembourser un certain nombre de dépenses qui doivent rester à la charge des assurés. Afin de mesurer les effets de la réforme, l'ensemble des transferts visibles, comme les forfaits journaliers, ou induits, comme les dépassements d'honoraires, ont été recensés. En théorie, les économies attendues de la réforme jusqu'en 2008, compte tenu de l'ensemble des transferts prévus, devaient s'élever à 3 milliards ou 3,5 milliards d'euros pour l'assurance maladie, avec un transfert d'au moins 3 milliards d'euros vers les ménages. Sur la période 2004-2006, ces montants auraient dû être de 1,5 milliard d'économies pour l'assurance maladie et de 1,5 milliard de charges supplémentaires pour les ménages. En réalité, les comptes nationaux de la santé font état d'une diminution de 500 millions d'euros des charges de l'assurance maladie, d'un transfert d'environ 500 millions vers les assurances complémentaires et d'un transfert quasi nul en direction des ménages. Cela montre que la volonté initiale du législateur n'a pas été respectée. Certes, le mécanisme de montée en charge des affections de longue durée (ALD) explique une partie de ces résultats, de même que le délai de mise en oeuvre des contrats responsables. Toutefois, cela témoigne aussi de l'insuffisante capacité à simuler l'impact de la réforme sur les différents acteurs. Le nouvel institut des données de la santé devrait en partie permettre de remédier à cette difficulté en instaurant les outils nécessaires pour effectuer les calculs et simuler les réformes à venir. En effet, de nombreux phénomènes inter-réagissent et il est impératif d'en tenir compte.

En conclusion, Mme Rolande Ruellan a souligné que l'ensemble de ces constatations manquent encore de recul et doivent donc être traitées avec précaution et prudence.

M. Alain Vasselle s'est interrogé sur la meilleure manière de lever les nombreuses incertitudes mises en évidence par la Cour dans son rapport. Il lui paraît essentiel que la Cour des comptes comme le Parlement puissent disposer de tous les moyens nécessaires pour maîtriser ces données. Il a souhaité savoir si la Cour peut suggérer des pistes permettant d'assurer un mode de couverture plus efficient de la population, compte tenu du coût des aides au financement d'assurances complémentaires pour l'Etat et la sécurité sociale. Il a demandé si, au sein des transferts de charges analysés par la Cour, on peut chiffrer l'impact exact de la montée en charge des ALD. Dans quel délai la Cour pourra-t-elle mener de nouvelles investigations sur la réalité des transferts de charges en ayant levé une grande partie des incertitudes qu'elle a mises en évidence et en disposant d'un recul suffisant ? Enfin, il a rappelé son souhait que chaque texte de loi et chaque réforme soient accompagnés d'études d'impact qui pourraient être opposables au Gouvernement.

Mme Rolande Ruellan a insisté sur la prudence des conclusions de la Cour, tant les données disponibles sont encore insuffisantes et les hypothèses posées par la Cour encore nombreuses. L'institut des données de la santé, créé par la loi de 2004, devrait permettre de progresser dans ce domaine assez rapidement.

Mme Annie Golfouse-Buet, rapporteur, sur l'enquête de la Cour consacrée à la répartition du financement des dépenses de maladie depuis 1996 et aux transferts opérés entre assurance maladie obligatoire, assurances complémentaires et ménages, a indiqué qu'à la demande de la Cour, l'institut des données de la santé va créer un groupe de travail avec l'autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (Acam), afin d'obtenir des tableaux statistiques précis et largement renseignés par les institutions complémentaires. La loi impose certaines obligations mais pas le détail de l'ensemble des données qui pourraient être utiles, comme le montant des remboursements effectués par les complémentaires par catégorie de ménages.

Mme Rolande Ruellan a insisté sur le fait que les réformes adoptées ont toujours été accompagnées d'une évaluation de leur rendement global, sans que l'impact sur les personnes ne soit mesuré, ni surtout considéré comme prioritaire. Ainsi, on sait que le coût des assurances complémentaires correspond à 10 % des petits revenus et 3 % des hauts revenus, mais cela reste encore très imprécis. D'une manière générale, les outils d'évaluation sont insuffisants et les calculs réalisés par le Gouvernement souvent volontaristes.

Mme Annie Golfouse-Buet a indiqué que le flux net des ALD augmente de 250 000 par an. Une étude récente de la Cnam montre que le coût annuel d'une personne en ALD est en moyenne de 10 000 euros pour l'assurance maladie. Comme huit millions de personnes bénéficient aujourd'hui de ce statut et que l'exonération est de 10 %, le coût total pour l'assurance maladie est de 8 milliards d'euros, en augmentation de 250 millions par an. Cependant, les assurés sociaux bénéficiant d'une ALD doivent tout de même s'acquitter d'un reste à charge qui est supérieur à celui des personnes non exonérées, en raison d'une consommation médicale beaucoup plus importante. En effet, les personnes en ALD ne sont généralement pas exonérées des participations forfaitaires, comme le forfait hospitalier.

M. Michel Braunstein, conseiller maître, a rappelé que, dans son étude, la Cour ne propose pas de piste de réforme mais fournit seulement des indications chiffrées en matière d'aides au financement des assurances complémentaires. Le montant global de 7,6 milliards d'euros recouvre des situations extrêmement différentes entre le financement de la CMU-c et l'incitation aux contrats collectifs des grosses entreprises. Mais ce montant, calculé pour la première fois, n'a pas été contredit par les administrations auxquelles a été envoyé le rapport.

M. Gilbert Barbier a souhaité connaître la répartition des dépenses de prévention entre la dépense budgétaire et les dépenses de l'assurance maladie, l'importance de l'automédication dans les dépenses des ménages et l'évolution du forfait hospitalier au cours des dernières années.

Mme Rolande Ruellan a fait valoir que l'automédication n'est pas un phénomène nouveau, qu'elle reste faible et limitée en France et qu'elle est entièrement à la charge des ménages.

Mme Annie Golfouse-Buet a indiqué que les dépenses de l'assurance maladie obligatoire sont bien connues et ne peuvent pas créer de doute ; en revanche, entre les ménages et les assurances complémentaires, il y a environ un milliard d'euros dont on ne connaît pas la répartition, ce qui est important mais d'ampleur limitée rapporté aux 156 milliards d'euros de la dépense totale d'assurance maladie. Ainsi, pour les dépassements sur les dispositifs médicaux, on hésite entre un montant de 3,5 ou de 4,5 milliards d'euros. La somme rapportée par le forfait journalier hospitalier n'est pas connue de façon précise ; elle est simplement évaluée de manière approximative à environ 100 millions d'euros.

M. François Autain s'est interrogé sur le fait que les assurances complémentaires ne reçoivent aucune part des diverses taxes reversées à la sécurité sociale.

Mme Rolande Ruellan a fait observer que ces taxes sont l'une des modalités de financement de la sécurité sociale et qu'il n'y a pas lieu de les affecter aux assurances complémentaires qui ont leur propre mode de financement dans lequel l'Etat n'intervient pas. En outre, il faut rappeler que, selon les calculs de la Cour, l'Etat prend en charge en réalité 35 % du coût de ces assurances.

M. François Autain a souhaité connaître le montant du reste à charge pour les personnes en ALD.

Mme Annie Golfouse-Buet a fait état d'une étude très récente de la Cnam qui prend en compte les franchises votées dans la loi de financement pour 2008. Selon celle-ci, le reste à charge moyen des assurés est de 242 euros par an, soit 363 euros pour une personne en ALD et 220 euros pour une personne qui n'a pas ce statut. Cette estimation ne prend pas en compte les dépassements d'honoraires et de dispositifs médicaux ainsi que le forfait hospitalier. Si on tient compte de l'ensemble de ces dépenses, la Cour estime que le reste à charge moyen pour une personne en ALD est de 850 euros par an.

M. Michel Braunstein a précisé que ces chiffres sont en cours de vérification et de contradiction.

Mme Rolande Ruellan a ajouté que, dans la définition du reste à charge, interviennent aussi bien des dépenses à la charge des assurances complémentaires que des ménages eux-mêmes.

A une demande de précision de M. Dominique Leclerc, Mme Annie Golfouse-Buet a indiqué que les personnes en ALD sont prises en charge à 100 %, mais seulement sur les tarifs opposables et non sur les dépassements.

En réponse à M. Alain Vasselle, Mme Rolande Ruellan a rappelé que les dépassements d'honoraires sont interdits pour les personnes bénéficiant de la CMU-c.

M. Michel Braunstein a indiqué que le montant des dépassements s'élève à environ 10 milliards d'euros par an, dont 2 milliards pour les honoraires des médecins, 4 milliards pour les soins dentaires et 4 milliards pour les dispositifs médicaux.