Jeudi 18 février 2010

- Présidence de Mme Jacqueline Panis, première vice-présidente -

Réforme des collectivités territoriales - Egal accès des hommes et des femmes aux mandats électifs - Audition de M. Guy Carcassonne, professeur de droit public à l'Université de Paris Ouest - Nanterre

La délégation a tout d'abord procédé à l'audition de M. Guy Carcassonne, professeur de droit public à l'Université de Paris Ouest Nanterre, sur la conformité à la Constitution des modes de scrutin retenus par le projet de loi n° 61 (2009-2010) relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale et du projet de loi n° 62 (2009-2010) relatif à l'élection des membres des conseils des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale.

Mme Jacqueline Panis, présidente, a demandé au professeur Carcassonne d'exposer à la délégation son analyse sur la conformité du mode de scrutin envisagé par le Gouvernement pour l'élection des conseillers territoriaux aux exigences constitutionnelles et notamment à celles de l'article premier relatives à l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. Elle lui a, en outre, demandé, quels leviers juridiques pourraient être utilisés pour favoriser la parité.

M. Guy Carcassonne a indiqué qu'il était fortement tenté de répondre négativement à la première question pour plusieurs raisons.

Il s'est tout d'abord demandé dans quelle mesure le principe même de la création des conseillers territoriaux était admissible au regard des dispositions de l'article 72 de la Constitution qui prévoit que les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus, dès lors que les départements et les régions ne disposeraient plus d'élus qui leur soient propres. Il a jugé discutable la « schizophrénie » dont seraient menacés des conseillers territoriaux qui devraient tantôt défendre les intérêts du département et tantôt ceux de la région. Il a estimé que cette situation ne saurait se réduire aux formes actuelles, au demeurant critiquables, de cumul des mandats car celles-ci résultent du choix de l'électeur alors que le cumul des fonctions chez les conseillers territoriaux serait institué par les dispositions mêmes de la loi.

Evoquant ensuite le mode de scrutin retenu, il a estimé que sa « mixité », qui aboutira à l'élection d'une partie des conseillers territoriaux au scrutin uninominal et de l'autre au scrutin de liste proportionnel, ne soulevait en elle-même aucune difficulté, relevant au passage que l'élection des sénateurs faisait elle-même appel à deux modes de scrutin distincts. En revanche, il s'est déclaré très dubitatif sur la conformité à la Constitution du scrutin majoritaire à un tour, qu'il a jugé contraire à un principe fondamental de la République. Il a relevé que celui-ci n'avait jamais été utilisé dans l'histoire de France et que, lorsque le parlement avait débattu à deux reprises du scrutin majoritaire sous la IIIème République, les travaux préparatoires montraient l'hostilité des parlementaires à un mode de scrutin qui autorise des élections « minoritaires », autrement dit, qui peut aboutir à l'élection d'un candidat qui n'aurait recueilli qu'une proportion minoritaire des suffrages.

Il a jugé raisonnable, dans ces conditions, de considérer qu'il existait un principe fondamental de la République imposant deux tours pour le scrutin majoritaire.

Evoquant le recours au mode de scrutin à un tour au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, il a rappelé que celui-ci s'inscrivait dans un contexte historique où il avait modelé une vie politique bipartisane, et relevé qu'il faisait aujourd'hui, dans ces deux pays, l'objet d'un vif débat.

Il a abordé ensuite la question de la conformité du mode de scrutin avec l'article premier de la Constitution qui dispose que la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. Tout en estimant que le mode de scrutin ne favoriserait pas, dans les faits, cet égal accès, il a jugé que ce constat ne débouchait pas nécessairement sur une conclusion d'inconstitutionnalité.

Commentant la décision rendue par le Conseil constitutionnel à l'occasion de la loi de 2003 qui avait relevé le seuil à partir duquel l'élection des sénateurs s'effectuait au scrutin de liste et à la proportionnelle, il a souligné que cette réforme ne concernait qu'un nombre limité de sièges et qu'elle se limitait à faire basculer un petit nombre de départements d'un régime électoral existant vers un autre régime électoral existant, au contraire de l'élection des conseillers territoriaux, où le nouveau mode de scrutin concernait la totalité des départements et des régions. Dans ces conditions, le raisonnement du Conseil constitutionnel ne lui a paru que difficilement transposable.

Il a cependant reconnu que le Conseil constitutionnel pourrait aussi être tenté de considérer que le moindre accès des femmes aux mandats électoraux locaux ne résulterait pas des dispositions et de la loi elle-même, mais plutôt de l'attitude des partis politiques qui sélectionnent les candidats et les candidates.

Il a estimé que toute la difficulté tenait à l'interprétation que le Conseil constitutionnel donnerait au verbe « favoriser ».

Il a rappelé que le Doyen Vedel avait relevé, au moment de l'adoption de la disposition constitutionnelle relative à l'égal accès des femmes et des hommes, la diversité des sens que pouvait prendre ce verbe : donner des atouts, encourager, voire réaliser l'égal accès... En l'absence de décisions antérieures, il était difficile de savoir celles que privilégierait le Conseil Constitutionnel.

Le professeur Guy Carcassonne a ensuite évoqué les déséquilibres démographiques auxquels risquait d'aboutir le mode de scrutin dans certaines régions comme par exemple la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, où la volonté de maintenir un nombre minimal de cantons dans un département peu peuplé comme les Alpes de Haute-Provence conduirait, si l'on veut respecter l'égalité démographique, à multiplier le nombre de cantons dans un département très peuplé comme les Bouches-du-Rhône.

Il a précisé à M. Yannick Bodin qu'il n'y avait aucun inconvénient aujourd'hui à ce que deux départements élisent leurs conseillers généraux sur des bases démographique différentes dès lors qu'il n'y avait pas d'endroit où leurs poids respectifs se mesurent, mais qu'il en irait tout autrement dès lors que les conseillers territoriaux des différents départements se retrouveraient à siéger dans un même conseil régional.

Evoquant pour finir les 20 % de sièges qui seront pourvus au scrutin de liste à la proportionnelle, M. Guy Carcassonne a jugé paradoxal que les candidats inscrits sur ces listes puissent être élus sans qu'aucun bulletin de vote se soit porté sur leur nom.

Il a cependant estimé qu'il était facile de remédier à cet inconvénient en précisant, contrairement au projet de loi actuel, que le bulletin de vote comporterait au recto le nom du candidat au scrutin majoritaire uninominal et au verso la liste départementale à laquelle il déclare se rattacher.

Mme Jacqueline Chevé a demandé dans quelle mesure ce dispositif ne poserait cependant pas des difficultés au regard des candidats indépendants qui ne se rattachent à aucune liste départementale.

M. Guy Carcassonne est convenu que, dès lors que ces candidats ne seraient pas élus, les voix qui se seraient portées sur eux ne bénéficieraient pas contrairement aux autres d'une seconde possibilité d'être prises en compte.

Enfin, il s'est demandé dans quelle mesure le dispositif envisagé satisfaisait aux exigences d'intelligibilité de la loi, exigences qu'il a jugées particulièrement nécessaires dans le cas d'une loi électorale.

En conclusion, M. Guy Carcassonne a indiqué que, compte tenu des inconvénients substantiels du mode de scrutin des conseillers territoriaux, il lui paraissait difficile de lui apporter de véritables améliorations. Il s'est déclaré sceptique quant aux objectifs de cette réforme, considérant que la division par deux du nombre des élus des départements et des régions ne présentait pas, en elle-même, beaucoup de sens, et risquait d'entraîner des conséquences négatives pour la parité et pour la diversité.

Revenant sur le scrutin uninominal à un tour, il a rappelé que son application à l'élection présidentielle aurait eu pour effet de permettre l'élection de François Mitterrand en 1981, de Valéry Giscard d'Estaing en 1988 et de Lionel Jospin en 1995, à supposer que le choix de ce mode de scrutin ait été sans effet sur les candidatures.

Il a estimé que le scrutin majoritaire à un tour était intrinsèquement anti-démocratique, et qu'il constituait une aberration dans un pays qui n'était pas ancré dans une forte tradition de bipartisme.

Mme Jacqueline Panis, présidente, a observé que, du point de vue de la délégation, le constat essentiel qui ressortait des propos de l'intervenant était que le mode de scrutin envisagé pour les conseillers territoriaux était défavorable à la parité entre les sexes. Elle lui a ensuite demandé des précisions sur les difficultés que soulèverait le fait qu'un élu unique, le conseiller territorial, serait appelé à siéger à la fois au conseil général et au conseil régional.

M. Guy Carcassonne a jugé que la création du conseiller territorial siégeant à la fois au conseil général et au conseil régional introduirait le conflit d'intérêt au coeur de l'exercice de ses fonctions, Mme Jacqueline Chevé illustrant ce propos en prenant un exemple concret de délibération en matière de gestion des infrastructures routières.

Mme Jacqueline Panis, présidente, s'est toutefois demandé si la nouvelle répartition des compétences, inscrite dans la réforme territoriale, n'était pas de nature à minimiser ces risques.

M. Yannick Bodin s'est, à son tour, inquiété de l'ampleur des conflits d'intérêt, voire des tentations clientélistes, que risquait de susciter cette confusion des mandats régionaux et départementaux. Il s'est demandé dans quelle mesure les conseillers territoriaux pourraient, lorsqu'ils auraient à statuer en conseil régional sur l'implantation des lycées, faire abstraction des intérêts de leur département d'origine.

Mme Jacqueline Panis, présidente, a rappelé que le conseiller territorial aurait vocation à intervenir sur l'ensemble du périmètre géographique régional et qu'à l'heure actuelle, le conseiller régional était d'ores et déjà conduit à articuler les interventions des départements et de la région.

M. Guy Carcassonne a observé que, juridiquement, le conseiller régional était, à l'heure actuelle, exclusivement en charge des intérêts régionaux. Il s'est ensuite demandé comment le conseiller territorial pourrait tour à tour représenter de façon satisfaisante à la fois le département et la région.

Par ailleurs, il s'est interrogé sur le « masochisme » dont devaient faire preuve les députés pour adopter une réforme qui, du fait de la proximité des nouveaux cantons avec leurs propres circonscriptions électorales, était de nature à leur susciter de redoutables concurrents potentiels pour les prochaines élections législatives.

Mme Muguette Dini a alors interrogé l'intervenant sur les dispositions qui pourraient réellement favoriser la parité, en rappelant, par ailleurs, qu'elle s'était montrée favorable, lors de la discussion de la révision constitutionnelle, à ce que celle-ci ne se limite pas à favoriser la parité, mais qu'elle la rende obligatoire.

M. Guy Carcassonne a fait observer que l'introduction, dans la Constitution, du verbe « assure », plutôt que « favorise » l'égal accès des hommes et des femmes, aurait conduit à remettre en cause la plupart des modes de scrutin et à poser le délicat problème de la parité pour l'élection présidentielle. S'agissant des leviers d'action en faveur de la parité, il a ensuite évoqué la possibilité d'aménager les modalités de suppléance des mandats, d'imposer que les listes proportionnelles comportent alternativement des candidats de sexe opposé et d'élargir le champ des sanctions financières.

En réponse à Mme Muguette Dini et à Mme Jacqueline Chevé qui ont observé que ces pénalités s'étaient avérées peu efficaces, M. Guy Carcassonne a suggéré, pour les rendre plus dissuasives, que le montant des pénalités imposées aux partis politiques ne respectant pas l'exigence de parité soit reversé aux partis « vertueux » dans ce domaine. Mme Jacqueline Panis, présidente, a exprimé son intérêt pour cette idée en observant qu'à la base, ce sont les partis politiques qui doivent favoriser la parité entre les sexes.

Mme Muguette Dini a alors rappelé qu'elle avait suggéré de recourir à un mécanisme de bulletin mixte, comportant un homme et une femme, l'électeur devant rayer le nom d'un candidat qui devient alors suppléant, en faisant référence à sa proposition de loi n° 153 (2005-2006) visant à renforcer la parité dans les élections municipales, cantonales, législatives, sénatoriales et dans les exécutifs locaux et établissements publics de coopération intercommunale. Elle a précisé que, dans le cadre d'un scrutin de liste majoritaire, chaque liste pourrait ainsi être composée de deux candidats de sexes différents, sans adjonction de noms mais avec obligation de suppression d'un des deux candidats : celui dont le nom serait conservé sur le plus grand nombre de bulletins serait désigné titulaire, et l'autre suppléant.

M. Guy Carcassonne a craint que cette modalité de vote introduise dans les scrutins un nouveau ferment de concurrence, en incitant les candidats à supplanter leur propre colistier.

M. Yannick Bodin s'est demandé dans quelle mesure, lorsqu'un mode de scrutin en remplace un autre, on ne peut pas constater le recul qui s'ensuit en matière de parité et l'examiner au regard de la norme constitutionnelle qui impose de favoriser l'égal accès des hommes et des femmes. Evoquant l'élargissement du mécanisme du remplacement du titulaire par le suppléant, il s'est également interrogé sur la possibilité de réduire de moitié le nombre des cantons et de prévoir, dans chacun d'entre eux, des bulletins mixtes permettant d'élire en même temps deux candidats de sexe opposé.

M. Guy Carcassonne a indiqué que cette suggestion ne lui inspirait, a priori, pas d'objection immédiate.

Mme Muguette Dini a cependant observé qu'une difficulté surviendrait lorsqu'un territoire se composerait d'un nombre impair de cantons.

A Mme Jacqueline Panis, présidente, qui s'est ensuite demandé si le verbe « favoriser » pouvait signifier « atteindre un objectif », M. Guy Carcassonne a répondu qu'il était difficile de préjuger de l'interprétation qui serait retenue par le Conseil constitutionnel. Il a expliqué qu'il serait délicat de porter une appréciation globale sur les conséquences de la réforme car elle entraînerait sans doute un recul par rapport à la composition actuelle des conseils régionaux et un progrès par rapport à celle des conseils généraux, dont la proportion de femmes se limite à 13 %.

Mme Muguette Dini a indiqué que le Gouvernement envisageait une disposition contraignant les partis à présenter, au sein d'un même département, un nombre égal d'hommes et de femmes au scrutin uninominal : à défaut d'y satisfaire, ces partis ne seraient pas admis à déposer de liste au scrutin proportionnel. Pour accroître la portée de cette mesure paritaire, elle a suggéré d'accroître la proportion des sièges élus au scrutin proportionnel qui ne concerne, dans le projet de réforme, que 20 % des conseillers territoriaux.

M. Guy Carcassonne a jugé l'idée intéressante, en ajoutant qu'en pratique, et même s'il ne portait que sur 20 % des sièges, c'est bien souvent le scrutin proportionnel qui risquait de jouer un rôle déterminant pour la désignation des présidences.

Mme Jacqueline Panis, présidente, a remarqué qu'une telle mesure tendrait également à infléchir les comportements des partis politiques, Mme Muguette Dini rappelant que l'alternative qui consiste à contrebalancer l'absence des femmes par de l'argent lui paraissait, par nature, choquante.

A M. Yannick Bodin, séduit par l'idée de favoriser financièrement les « partis vertueux », M. Guy Carcassonne a précisé que l'on pourrait, pour en améliorer encore l'efficacité, répartir ce bonus pour une moitié aux partis présentant suffisamment de candidatures féminines et pour l'autre moitié à ceux qui ont une proportion satisfaisante de femmes élues.

Mme Jacqueline Panis, présidente, a jugé que cette suggestion méritait d'être étudiée.

- Présidence de Mme Muguette Dini, puis de Mme Michèle André, présidente -

Réforme des collectivités territoriales - Egal accès des hommes et des femmes aux mandats électifs - Audition de Mme Anne Levade, professeur de droit public à l'Université Paris Est - Créteil Val-de-Marne

La délégation a ensuite procédé à l'audition de Mme Anne Levade, professeur de droit public à l'Université Paris Est - Créteil Val-de-Marne, sur la conformité à la Constitution des modes de scrutin retenus par le projet de loi n° 61 (2009-2010) relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale et du projet de loi n° 62 (2009-2010) relatif à l'élection des membres des conseils des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale.

Mme Muguette Dini, présidente, a interrogé Mme Anne Levade sur la conformité à la Constitution du mode de scrutin relatif à l'élection des conseillers territoriaux et sur les moyens de favoriser la parité.

Mme Anne Levade a indiqué qu'elle adopterait une démarche opérationnelle pour examiner les dispositions du projet de loi, souhaitant apporter des propositions utiles aux membres de la délégation.

Après avoir rappelé les deux principaux titres du projet de réforme, elle a souhaité concentrer ses propositions sur le titre I relatif à la réforme du mode de scrutin des conseillers territoriaux.

Rappelant que, en France, le scrutin proportionnel était mécaniquement mieux à même que le scrutin majoritaire de favoriser la parité, tant pour des raisons pratiques qu'en raison de l'échec des dispositifs incitatifs prévus dans le cadre du scrutin majoritaire, elle a estimé qu'on pouvait parler de régression puisque, tel que présenté dans le projet de réforme, le mode de scrutin des conseillers territoriaux était susceptible de faire passer la proportion de femmes élues de 22 % à l'heure actuelle (conseillers généraux et régionaux cumulés) à 18 % (conseillers territoriaux).

Toutefois, elle a estimé ne pas devoir en déduire le caractère inconstitutionnel du projet de réforme.

Mme Anne Levade a donc proposé d'exposer son argumentation en deux temps : après avoir examiné la constitutionnalité du mode de scrutin des conseillers territoriaux à l'aune de l'objectif de parité, elle a proposé aux membres de la délégation d'envisager des solutions de nature à corriger ou améliorer la mise en oeuvre de cet objectif, dans le cadre du projet de réforme existant.

Concernant la compatibilité du dispositif proposé avec l'objectif de parité, elle a indiqué qu'elle développerait une argumentation en trois points permettant de conclure à l'absence d'inconstitutionnalité du dispositif au regard de l'article premier de la Constitution.

Elle a, tout d'abord, rappelé que la conception française du principe d'égalité, tel que rappelé par le Conseil constitutionnel, notamment dans sa décision « Quotas par sexe », du 18 novembre 1982, avait rendu nécessaire l'intervention du pouvoir constituant en 1999 puis en 2008 afin de permettre au législateur de « favoriser » l'égal accès des femmes et des hommes, objectif a priori incompatible avec le principe d'égalité.

Elle a ensuite insisté sur le fait qu'il s'agissait par là de formuler une « norme d'habilitation » en faveur du législateur, à qui il était « loisible », pour reprendre les termes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de décider de poursuivre l'objectif constitutionnel ainsi énoncé, sans qu'il lui soit fait obligation de le garantir ou de l'imposer.

Elle a toutefois nuancé ce propos en rappelant qu'une violation flagrante de la parité serait, en toute hypothèse, inconstitutionnelle, car contraire au principe d'égalité.

Elle a rappelé, ensuite, que la poursuite par le législateur de l'objectif de parité devait, en tout état de cause, être conciliée avec les autres règles et principes de valeur constitutionnelle, si bien qu'il ne pourrait être exclu que la poursuite d'autres objectifs ou la mise en oeuvre de règles ou principes de valeur constitutionnelle aboutisse à amoindrir l'exigence de parité, sans être pour autant contraire à la Constitution.

Mme Anne Levade a, par ailleurs, écarté deux arguments dont elle a estimé la portée douteuse. D'une part, elle a estimé qu'il ne serait pas recevable de considérer que la régression de la parité dans le cadre de l'élection des conseillers territoriaux serait compensée par sa progression du fait de la réforme du mode de scrutin des conseils municipaux. D'autre part, elle a rejeté l'analyse qui consisterait à examiner le mode de scrutin des conseillers territoriaux, au regard de l'objectif de parité, à l'aune de celui des actuels conseillers régionaux, puisque la jurisprudence du Conseil constitutionnel indique que le législateur peut toujours modifier ou abroger des textes antérieurs et peut, en particulier, définir des règles nouvelles en supprimant des dispositions qui ne lui paraissent plus utiles.

Elle a considéré, pour résumer son propos, que l'objet principal du projet examiné n'étant pas de favoriser l'égal accès des femmes et des hommes au mandat électif et que la conciliation opérée n'apparaissant pas porter à cet objectif une atteinte manifeste ou disproportionnée, le mode de scrutin des conseillers territoriaux n'était pas inconstitutionnel au regard de l'article premier, alinéa 2 de la Constitution.

Cette considération étant posée, Mme Anne Levade a estimé que le législateur pourrait utilement proposer d'amender le texte afin d'en corriger les effets au regard de l'exigence de parité et qu'il convenait, alors, d'envisager les solutions visant à favoriser, par voie législative, la parité dans le cadre de l'élection des conseillers territoriaux.

Parmi les trois pistes qu'elle s'est proposé d'examiner, elle a tout d'abord souhaité écarter la voie de la généralisation du scrutin de liste, solution de l'apparente facilité, mais dont elle a estimé qu'elle ne pourrait être raisonnablement soutenue, le constituant, en vertu de l'article 4, alinéa 3, n'ayant pas entendu imposer un scrutin proportionnel de liste pour toutes les élections.

Elle a ensuite examiné les possibilités de préserver l'acquis de dispositifs résultant, notamment, de la loi du 31 janvier 2007 qui étend aux exécutifs régionaux l'obligation de parité. Dès lors que le dispositif nouveau serait susceptible de faire obstacle à leur application, elle a recommandé d'insérer dans le projet de loi des garanties identiques ou équivalentes afin que les dispositifs antérieurs ne se trouvent pas implicitement abrogés, par l'effet de la succession des lois dans le temps.

Parmi les nombreuses pistes envisageables, elle a proposé aux membres de la délégation d'en retenir deux, applicables, pour les premières, au scrutin lui-même et, pour les secondes, aux partis politiques.

Abordant tout d'abord les propositions relatives au scrutin, elle a considéré dans un premier temps qu'il ne serait pas déraisonnable de demander le relèvement du seuil des 20 % dans une proportion à déterminer.

Elle a ensuite insisté sur le fait que le système du vote unique était de nature à défavoriser plus encore la parité. A cet égard, elle a estimé que le modèle allemand combinant le double vote, d'une part, et une proportion 50/50 entre les élus uninominaux et les élus au scrutin de liste, d'autre part, pourrait être un bon référent, et qu'il permettait, en outre, une plus grande lisibilité de nature à mieux favoriser la parité.

Mme Anne Levade a ensuite évoqué la solution consistant à présenter une candidature en « tandem » par canton, en incitant fortement à ce que les deux candidats soient de sexe différent. Elle a cependant jugé que les obstacles tenant à l'obligation de redécouper les cantons, au caractère purement incitatif du dispositif et à la difficulté pour les partis politiques de coordonner les candidatures, faisaient apparaître cette solution comme peu raisonnable.

Elle a finalement estimé que deux propositions pouvaient raisonnablement être retenues, consistant à relever la part d'élus à la proportionnelle de liste et à inscrire des garde-fous adaptés de nature à favoriser, en tenant compte des spécificités de la mixité, la parité.

Elle a ensuite présenter ses propositions relatives aux partis politiques.

Elle a rappelé que les dispositifs existants pour les scrutins de liste apparaissaient satisfaisants au regard de l'exigence de parité, estimant que ce constat justifiait que ne soient pas recherchées de solutions spécifiques pour les 20 % de conseillers territoriaux élus suivant ce mode de scrutin. Elle a estimé, en revanche, que la solution retenue pour les 80 % de conseillers territoriaux élus au scrutin majoritaire étant peu satisfaisante, c'était en ce domaine qu'il convenait de chercher des propositions nouvelles.

Mme Anne Levade a rappelé que deux types de solutions existaient déjà pour ce mode de scrutin afin de favoriser l'égal accès des hommes et des femmes : l'exigence de parité du binôme candidat/suppléant, et les sanctions financières infligées aux partis ne respectant pas l'égal accès des hommes et des femmes à la candidature.

Sur le premier point, elle a estimé possible d'envisager l'exigence d'une double parité consistant à maintenir la parité candidat / suppléant combinée à l'échelle du territoire national, à une parité des types de binômes, ceci afin de ne pas cantonner systématiquement la candidature féminine au rôle de suppléante.

Sur le second point, elle a considéré qu'il était temps de passer de la punition à l'incitation, en reprenant, notamment, la proposition de M. Guy Carcassonne consistant à redistribuer le crédit des pénalités financières payées par les contrevenants entre les partis qui ont respecté la parité. Elle a également proposé que les sanctions puissent prendre en compte le nombre de femmes élues et non plus seulement candidates.

Elle a enfin envisagé qu'une part du financement public ne soit versée que sous condition de parité.

Ayant remercié Mme Anne Levade pour ces pistes de réflexion, qu'elle a considérées comme particulièrement intéressantes, Mme Michèle André, présidente, a souhaité recueillir son analyse sur la proposition formulée par le sénateur Jean-Jacques Gautier et le sénateur Jean-Louis Masson tendant à présenter des candidatures « en tandem » par canton.

Mme Anne Levade a estimé que la constitutionnalité de ce dispositif dépendait des modalités de sa mise en oeuvre, la solution consistant à mettre en place un véritable scrutin binominal étant de ce point de vue la moins critiquable. Elle s'est cependant interrogée sur l'incidence globale de ce dispositif qui, conduisant à diviser par deux le nombre de cantons, ne manquerait pas d'affecter le pluralisme de l'élection.

Mme Michèle André, présidente, a indiqué que cette proposition d'ériger des candidatures en tandem n'était, après tout, que le prolongement de l'idée avancée par M. Alain Marleix, secrétaire d'Etat à l'intérieur et aux collectivités territoriales, qui proposait de donner un statut au suppléant. Il convenait d'aller jusqu'au bout de cette logique et de faire de ce « suppléant » un candidat et un élu à part entière.

Mme Anne Levade a estimé que la réduction du nombre de cantons limiterait le pluralisme politique, et que la constitution de binômes risquait de soulever des difficultés pratiques. Quant à donner un rôle aux suppléants, il reviendrait à doubler le nombre de conseillers territoriaux, ce qui n'est pas l'esprit de la réforme, et à nier l'utilité de la suppléance, sauf à prévoir qu'élu et suppléant « actif » doivent avoir leurs propres suppléants.

Mme Muguette Dini a demandé à Mme Anne Levade l'appréciation qu'elle porterait sur un dispositif qui consisterait à ne permettre à un parti de présenter une liste pour le scrutin proportionnel que dans la mesure où il aurait respecté l'exigence de parité dans la présentation, à l'échelle du département, des candidatures aux sièges pourvus au scrutin uninominal.

Mme Anne Levade a estimé que ce dispositif pouvait constituer une excellente solution, à condition que soit préservée la liberté des partis de présenter des candidats pour la partie des sièges pourvue au scrutin majoritaire, et qu'elle se borne à l'interdiction, en cas de non-respect de la parité, de présenter des listes pour la partie des sièges pourvue à la proportionnelle.

Mme Muguette Dini a estimé que ce dispositif permettrait de donner une chance supplémentaire à la parité, même si les partis politiques risquaient d'envoyer les candidates dans des cantons jugés perdus d'avance.

Mme Anne Levade a estimé qu'il conviendrait toutefois de veiller au respect des autres exigences constitutionnelles et éviter de trop « complexifier » le dispositif.

Mme Michèle André, présidente, a estimé que le projet de loi reflétait les hésitations du pouvoir exécutif tiraillé entre la volonté d'assurer la représentation d'un territoire et celle d'assurer la représentation d'une population, et qui s'efforce de concilier ces deux exigences dans l'élection d'une nouvelle catégorie d'élus qui siègeront à la fois au département et à la région. Elle a souligné l'écart qui existait, aujourd'hui, entre les missions des départements, axées sur le social et la proximité, et celles de la région, orientées vers un aménagement ouvert à la dimension internationale.

Mme Muguette Dini a demandé dans quelle mesure un dispositif qui envisagerait des modes de scrutin distincts pour les cantons « ruraux » et les cantons « urbains » et prévoirait, pour les premiers, un scrutin uninominal et, pour les seconds, un scrutin de liste, plus favorable à la parité, serait contraire à la Constitution.

Mme Anne Levade a estimé qu'une distinction de cette nature n'était pas en soi inconstitutionnelle, à condition que la différenciation entre les deux catégories de cantons soit clairement établie dans la loi.

Mme Muguette Dini a estimé que, d'une façon générale, les hommes actuellement élus dans les cantons avaient tendance à s'en considérer comme les détenteurs naturels et ne les céderaient pas à des candidates. Mme Michèle André, présidente, a estimé que la proportion de femmes élues avec le mode de scrutin proposé par le Gouvernement risquait, de ce fait, de tomber en dessous des 20 % communément évoqués et de s'établir aux environ de 15 %.

Mme Muguette Dini a rappelé que les hommes étaient très majoritaires dans les conseils généraux actuels et que la diminution du nombre des cantons les conduirait à commencer par évincer les éventuelles candidates avant de s'affronter entre eux.

Mme Anne Levade a estimé que le scrutin à un tour risquait d'accentuer ces phénomènes d'éviction des femmes.

Mme Michèle André, présidente, Mme Muguette Dini et Mme Jacqueline Chevé sont convenues que, d'une façon générale, c'étaient davantage les partis politiques que le vote des électeurs qui écartaient les femmes des fonctions électives.

Mme Anne Levade a estimé que la limitation du cumul des mandats dans le temps, en contribuant au renouvellement des élus, permettrait de faire évoluer les partis et progresser la parité. Elle a également ajouté qu'il s'agissait d'une formule délicate à mettre en oeuvre, peu expérimentée à l'étranger et inconnue en France.

Mme Jacqueline Chevé et Mme Muguette Dini ont estimé que la discussion du projet de loi devrait être l'occasion de réintroduire dans le débat la limitation du cumul des mandats dans le temps et dans l'espace.

Mme Michèle André, présidente, a estimé que le redécoupage des cantons contribuerait à relâcher les liens qui existent actuellement entre les élus et un territoire donné et pouvait constituer, de ce fait, une occasion de faire évoluer les choses.

Elle a rappelé que, d'une façon générale, les femmes étaient acquises à l'idée qu'un retour en arrière en matière de parité serait inacceptable.