Jeudi 20 janvier 2011

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

Audition de Mme Annie Sugier, cofondatrice et présidente du Comité Atlanta + (pour la représentation des femmes dans toutes les délégations des Jeux olympiques), et de la Ligue du droit international des femmes (LDIF)

Mme Michèle André, présidente. - La Délégation aux droits des femmes est très heureuse d'accueillir Mme Annie Sugier, cofondatrice et présidente du Comité Atlanta + pour la représentation des femmes dans toutes les délégations des Jeux olympiques et de la Ligue du droit international des femmes (LDIF). Elle est accompagnée de Mme Linda Weil-Curiel, cofondatrice du Comité Atlanta + et secrétaire générale de la LDIF.

Notre délégation, qui existe depuis 1999, comprend 36 parlementaires, dont quelques hommes. Elle a pour objectif de tenter de parvenir à une réelle égalité des droits entre hommes et femmes, égalité inscrite dans la Constitution mais bien négligée depuis. Notre thème annuel de réflexion « Femmes et sports » fera l'objet d'un rapport final.

Mme Annie Sugier, cofondatrice et présidente du Comité Atlanta + et de la Ligue du droit international des femmes - Je suis très heureuse que cette audition se déroule au Sénat car celui-ci a joué un rôle important lors de la création de notre association Atlanta +.

La LDIF, créée en 1983 avec Simone de Beauvoir pour première présidente, est apparue dans un contexte géopolitique caractérisé par les premières émergences du relativisme culturel. C'était l'époque des premières manifestations féministes en Iran après la prise de pouvoir de Khomeiny et des militantes de la Ligue étaient allées à Téhéran avec un groupe de féministes de différentes nationalités pour les soutenir. Simone de Beauvoir a participé activement à l'organisation de cette mission. A l'époque, à l'extrême gauche, certains se réjouissaient de l'arrivée d'un système « alternatif au système matérialiste occidental » sans vouloir prendre conscience que les femmes allaient en pâtir... On assistait en fait au retour en force du religieux qui allait justifier la remise en cause de la notion d'universalité des droits au nom du respect des traditions culturelles et religieuses. L'objectif de la LDIF était justement de dénoncer cette dérive dont les femmes étaient les principales victimes, comme si la notion d'universalité des droits ne s'appliquait pas à elles.

Comment en sommes-nous venues, dans ce contexte, à nous intéresser au sport ? Le monde des féministes et celui des sportives ne se parlent pas beaucoup. Quel déclic a bien pu nous faire basculer dans ce deuxième monde ? Ce déclic, ce sont les Jeux olympiques de Barcelone, en 1992 quand toute la presse se réjouit du retour de l'Afrique du Sud, jusqu'alors exclue pour cause d'apartheid. A l'époque, ça a changé depuis, je ne m'intéressais pas particulièrement au sport. Je regarde comme tout le monde la cérémonie d'ouverture ; je ne vois que des hommes dans les délégations de l'Arabie saoudite, du Koweït ou du Yémen. Au total 35 délégations sont uniquement masculines. Ce sont celles de deux catégories de pays : d'abord les pays trop pauvres pour envoyer des femmes dans leur maigre délégation et, ensuite, des pays islamistes, qui, loin d'être pauvres, ont une société construite sur la ségrégation. Nous saisissons alors la ministre des sports en France, j'en parle au sénateur Charles Descours, si bien que plusieurs sénateurs se retrouvent en première ligne et que notre première réunion publique se tient en 1995 salle Gaston Monnerville. Du New-York Times à la BBC, les médias du monde entier sont là : nous avions soulevé un lièvre.

Mme Michèle André, présidente. - Ils sont tous là...

Mme Annie Sugier. - Comme Mandela l'avait compris, le Stade Olympique est le lieu le plus médiatisé au monde. Or la Charte Olympique, qui est la loi unique qui régit le Mouvement olympique, sous la responsabilité du Comité International Olympique (CIO), affirme des principes d'universalité et son principe n° 5 rejette toute forme de discrimination, y compris fondée sur le sexe ou la race. C'est explicitement énoncé, et c'est d'ailleurs sur la base de ce principe n° 5 que l'Afrique du Sud avait été exclue des JO. Pourquoi donc ce principe s'appliquerait-il aux noirs et pas aux femmes ? A Barcelone, l'Iran avait exigé, et obtenu, des organisateurs espagnols que ce ne soit pas une jeune espagnole qui précède la délégation avec la bannière indiquant le nom du pays auquel appartenaient les athlètes, comme pour toutes les autres délégations, mais que ce soit un garçon. Voilà l'une des raisons qui nous ont fait décider qu'à Atlanta, nous allions nous en prendre à l'Iran.

Le bras droit du président Samaranch, Fékrou Kidanen, dans une tribune du journal du CIO, s'indigna qu'on « ose comparer l'odieux apartheid avec la situation des femmes dans le sport ». C'était « insulter Mandela, le peuple sud-africain et les noirs en général ! ». Les Comités olympiques, les nationaux et l'international étaient en rage. On nous a accusés d'attaquer une religion ! Entre temps, notre réseau international s'était étendu et nous manifestons à Atlanta, occupons l'hôtel où réside Samaranch dont le staff finit par nous accorder une entrevue. Nous demandons que le CIO subventionne spécifiquement à travers les fonds de la solidarité olympique, des programmes de développement du sport pour les femmes. Et nous demandons que le CIO exclue les délégations qui excluent les femmes. Celui-ci ne veut pas exclure mais souhaite inciter. Nous pensions avoir gagné parce que, à la dernière minute, l'Iran accepte d'envoyer une sportive. Mais celle-ci est voilée. En réalité nous commençons à perdre la partie mais, à ce moment là, nous n'en avons pas conscience. Autre scandale, l'Iran organise des jeux séparés pour les femmes musulmanes tous les quatre ans. Nous l'apprenons en consultant un magnifique livre diffusé par les Ambassades d'Iran, sur les photos duquel vous pouvez constater combien ces femmes, voilées de la tête au pied, sont heureuses au moment de recevoir leurs médailles.... Les médias et les hommes ne sont pas autorisés à être présents pendant les compétitions. Ce sont les Jeux de la ségrégation. Or le CIO leur apporte sa caution en envoyant des observatrices elles-mêmes voilées !

Au moment des jeux de Sidney en 2000, les talibans sont en Afghanistan et le CIO, anticipant sur la défaite de l'Alliance du Nord, suspend le CNO afghan et, dans un premier temps, accepte d'inviter des observateurs talibans. Devant le scandale, et nous sommes en pointe dans la dénonciation de cette situation, le CIO accepte de revenir sur cette invitation. Évidemment, nous manifestons à Sydney cette fois-ci avec une délégation de jeunes sportifs mixte afghane et, pour la première fois nous obtenons de négocier avec le CIO, pendant cinq heures ! Dans un procès-verbal signé par le CIO, nous-mêmes et les jeunes, le CIO reconnait la qualité de notre combat, s'engage à reconstituer les sports en Afghanistan avec des hommes et des femmes, lorsque la situation le permettra. Ils tiennent parole puisqu'à Athènes ce pays envoie une délégation de deux hommes et de deux femmes - la soeur de l'une d'entre elles, journaliste en vue, sera assassinée.

Le voile s'invite aux Jeux olympiques. On le réalise à Athènes, lors de la cérémonie de clôture : sous le drapeau olympique, tout près du président du CIO on voit une ancienne championne égyptienne de natation, entièrement voilée. Elle vient d'être élue à la Commission des athlètes du CIO et elle est présentée par le CIO comme un modèle pour la jeunesse sportive ! A ce moment là on se dit qu'on a perdu la partie ! Ce qui va nous sauver, c'est la décision des athlètes français de porter un badge à Pékin.

Mme Michèle André, présidente. - Le Tibet !

Mme Annie Sugier. - Le président du CIO a déclaré qu'il n'était pas question de porter ce genre d'insigne, invoquant la règle 51 de la Charte Olympique qui interdit toute expression politique ou religieuse dans les sites olympiques. Pourtant, le badge des athlètes français était vraiment très neutre : il se contentait de reprendre une formule de la Charte Olympique, « pour un monde meilleur ». Pour nous l'essentiel était d'avoir compris que nous pouvions nous servir de l'article 51 pour contester le port du voile islamique. Avec Élisabeth Badinter, nous avons écrit une lettre ouverte dénonçant le double langage du CIO : comment interdire le port de ce badge qui ne fait que reprendre un slogan de la charte et, en même temps, permettre le port du voile islamique, signe politique et religieux s'il en est ? Le président du CIO a répondu : « ce n'est pas la même chose, le port du voile est un choix individuel ». Double absurdité : le port du voile n'est pas un choix, il est imposé ; et il est imposé à toutes les Iraniennes par la loi. Ensuite, à supposer même que ce soit un choix individuel, il n'en demeurerait pas moins un signe religieux. Aux JO de Pékin, 14 délégations ont des femmes voilées. Alors qu'on était parti de zéro ! La seule réaction des journalistes à cette photo d'une sportive du Barhein voilée en plein effort ce fut : « elle doit avoir chaud ! »...

Nous demandons l'application de toute la charte, rien que la charte.

Aux Jeux de la jeunesse de Singapour en août 2010, la FIFA a radié la délégation de footballeuses iraniennes parce que Téhéran exigeait qu'elles soient voilées. Nous avons commencé par applaudir dans Libération le courage de la FIFA. Hélas, trois jours après, Téhéran menaçait le président de la Fédération de manifestations islamistes à Singapour. Du coup on a écrit une nouvelle tribune dans Libération pour dénoncer cette reculade alors que la FIFA doit respecter l'équivalent de la règle 51 (la Loi 4). Pour toute réponse la FIFA a déclaré avoir trouvé un « compromis » : les joueuses demeuraient voilées, mais leur cou était visible....Il n'y a qu'à regarder les vidéos de Singapour pour constater à quel point elles sont visiblement voilées.

A ces mêmes Jeux de la jeunesse, en août 2010, pour la première fois une saoudienne, entraînée à ses propres frais, a gagné la médaille de bronze d'équitation dans une épreuve mixte. Elle dit avoir fait cela pour toutes les femmes d'Arabie saoudite. Oui, les femmes veulent faire du sport. A cette occasion, elle a serré la main des deux autres médaillés, des hommes !

Pour les Jeux de Londres, que demandons-nous ? Nous préparons une brochure listant sept revendications. Les trois premières sont d'exclure ceux qui excluent les femmes de leurs délégations, d'interdire le port de signes politiques et religieux conformément à l'article 51 de la charte et de refuser la caution du CIO aux Jeux séparés pour les femmes. Nous demandons aussi une vraie parité dans les disciplines et épreuves et pas seulement dans le nombre de sports. Depuis Alice Milliat, première dirigeante sportive française, on est passé de 4 à 28 sports pratiqués par les femmes et présents aux JO, soit le même nombre que pour les hommes. Mais la différence réside dans le nombre d'épreuves. Ce qui apparaît dans le nombre de médailles attribuées. Celles-ci remportent moins de médailles que les hommes - 127 contre quelque 165. Autre revendication, celle-ci porte sur la place des femmes dans les postes de dirigeantes : en 1997, le CIO avait décidé que les postes de dirigeants du mouvement olympique comporteraient un minimum de 10 % de femmes en 2000 et de 20 % en 2005. Or, par exemple, le comité organisateur des Jeux de Londres comprend... une femme, la princesse Anne d'Angleterre... Nous dénonçons aussi le fait que les responsables des grands événements sportifs « ferment les yeux » sur l'organisation de la prostitution autour des sites sportifs.

Enfin, j'aimerais que votre délégation, ou le Sénat, parraine notre dernière revendication, très symbolique. Avant la cérémonie de clôture, la seule médaille d'or remise personnellement par le président du CIO, l'est au vainqueur du Marathon. Et la marathonienne ? Lors des premiers Jeux modernes, à Athènes en 1896, une Grecque, Stamatha Revithi qu'on appelait Melpomène, se vit refuser le droit de participer au Marathon simplement parce qu'elle était une femme. Elle s'obstina, fit sa course en solitaire en un temps honorable et entra dans la légende. Il serait symboliquement souhaitable que, pour la première fois, le président du CIO remette leur médaille au marathonien comme à la marathonienne. Ce serait un geste pour la parité comme pour l'Histoire. Car de tout temps il s'est trouvé une femme pour se lever et dire : « pourquoi pas moi ? ». 

Mme Michèle André, présidente. - Merci pour ce tableau précis d'une situation que j'ai eu à connaître dans ma vie politique. Nous étions ensemble en 1995 pour demander de faire défiler les délégations indifféremment derrière un garçon ou derrière une fille....

Mais, plus personnellement, j'ai apporté ma petite pierre à Atlanta +. J'ai été adjointe aux sports de la ville de Clermont-Ferrand pendant douze ans. Cette ville organise traditionnellement un championnat du monde de lutte. Il est d'usage que les lutteurs se présentent à l'arbitre et lui serrent la main. Cette année-là, l'arbitre était une femme et un des lutteurs iraniens refuse de le faire. Comme il remporte la compétition, je m'arrange pour que cela soit à moi de lui remettre sa médaille d'or.

J'ai bien l'intention de lui donner l'accolade lorsqu'il s'inclinera devant moi pour que je lui remette la médaille autour du cou. Mais il se débat, fait de grands gestes pour m'expliquer que cela n'est pas possible. Je ne cède pas et garde la médaille à distance devant lui durant un bon moment. Voyant sa mauvaise volonté, le public l'a sifflé. A la fin, je lui ai remis la médaille mais en lui serrant cependant la main : il en était malade. Quand je suis remontée à la tribune, les officiels de la Fédération n'étaient pas fiers d'eux-mêmes. Le délégué iranien est ensuite venu me trouver pour m'expliquer qu'il fallait faire preuve de compréhension, car c'était une question de religion.

Je lui ai répondu qu'il était d'usage en France de faire remettre les médailles par un élu, et d'accompagner cette remise d'une accolade. C'est une façon de célébrer l'exploit sportif dans laquelle la question du sexe de l'un ou de l'autre n'entre pas en considération. Quant à la religion, elle n'avait pas en France à s'immiscer dans ce genre de choses, et il convenait de respecter les usages du pays dans lequel on se trouvait. Ainsi, lorsque je suis allée à Lahore avec le président Mitterrand, j'ai enlevé mes chaussures avant de pénétrer dans la mosquée parce que c'est la règle là-bas. Je lui ai donc demandé de prévenir ses athlètes que je donnerai l'accolade à tous les champions. Il en est resté coi. J'ai expliqué au président de la Fédération internationale qu'il avait un moyen de se rattraper, à Atlanta - sous peine de ne plus remettre les pieds à Clermont-Ferrand - en permettant aux filles de porter les drapeaux devant les délégations. Et c'est effectivement la Fédération internationale de lutte qui a mené ce combat.

Mais nos élus ne saisissent pas toujours ce genre de situation. Un homme n'aurait pas vu que le lutteur refusait de serrer la main de l'arbitre. Et quand on ne voit pas, on n'agit pas. Je compare souvent la lutte des femmes à un marathon : les derniers 500 mètres sont les plus durs... je suis persuadée que nos collègues nous suivront pour qu'à Londres le président du CIO remette sa médaille à la marathonienne. Je rappelle que le Comité d'organisation compte une femme sur 18 membres... Quoiqu'il en soit, la sortie de notre rapport jouera un rôle positif - je n'ai aucun doute là-dessus.

Mme Annie Sugier - Nous avons envoyé des courriers en fin d'année 2010 au CIO, au Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et au niveau européen ainsi qu'aux Nations Unies ; nous mènerons des actions énergiques en Grande-Bretagne. On reproche souvent aux Français d'être arrogants et de se glorifier d'avoir inventé les droits de l'homme. Là, nous avons l'occasion d'invoquer des principes universels et dans un domaine inventé par les Anglais, le sport moderne, qui se caractérise par l'uniformité des règles. Le CIO nous a répondu que « le pourcentage de femmes ne cesse d'augmenter aux Jeux olympiques ». Aurait-il osé opposer à Mandela qu'il devait se satisfaire du nombre croissant de Noirs des autres pays africains participant aux JO alors que l'apartheid se poursuivait en Afrique du Sud ? Quant au président du CNOSF, il nous a écrit le 14 décembre dernier que nos requêtes « dépassent ses prérogatives ». Pourtant, en 1958, c'est le président du CNO de Norvège qui, le premier, a demandé l'exclusion de l'Afrique du Sud. Les Noirs ont bien compris l'importance du sport dans leur lutte. Des sportives nous disent : « je ne suis pas féministes ». Mais les Noirs qui levaient le poing sur leur podium affirmaient bien, eux, « Nous sommes des Black Panthers ». Le monde des féministes et celui des sportives doivent se rencontrer davantage. Le mot « vainqueur » n'a pas encore de féminin...

Mme Michèle André, présidente. - Lorsqu'Edwige Avice a interdit à l'équipe de France de rugby d'aller jouer en Afrique du sud, le président Ferrasse était fou de rage. A l'époque, sur les 400 invités à une réunion de la Fédération, j'étais la seule femme... Elle a pris la bonne décision : comme au rugby, le bon ballon au bon moment.

Mme Linda Weil-Curiel - Dans les années soixante-dix, des amis sud-africains m'expliquaient qu'un pays peut toujours s'arranger avec des sanctions économiques en les contournant, et que c'était le boycott sportif qui leur faisait le plus de mal.

Mme Michèle André, présidente. - J'interviendrai auprès de notre Comité olympique national. J'avais interpelé la FIFA sur les footballeuses iraniennes : c'était inadmissible .N'en viendra-t-on pas à obliger nos joueuses à mettre le voile pour jouer en Iran ?

Mme Annie Sugier - Les Allemandes l'ont déjà fait.

Mme Michèle André, présidente. -Vous pouvez compter sur notre appui à 100%. Songez que dans les années 1980, l'article 6 du règlement du Tour de France interdisait la présence de femmes dans les voitures suiveuses ! J'ai contribué à l'abrogation de cette disposition ridicule. Notre rapport paraîtra au printemps et vous pourrez prendre appui sur lui.

Mme Annie Sugier - Nous ferons une action en avril, à l'occasion du Marathon de Paris.

Mme Michèle André, présidente. - Au festival international de folklore de Gannat dans l'Allier, festival de haut niveau, les Indonésiennes étaient toutes voilées, alors qu'il y a deux ans, le foulard était exceptionnel.

Mme Annie Sugier - On ne veut pas voir qu'en acceptant le voile islamique dans le stade, on condamne à mort les sportives qui ne sont pas voilées et qui ne pourront plus dire à ceux qui font pression sur elles : je respecte les règlements !

Mme Michèle André, présidente. - En tant que femmes et en tant que parlementaires, nous demeurons vigilantes.

Audition de M. Bertrand Jarrige, directeur des sports au ministère des Sports

Mme Michèle André, présidente. - Composée de femmes et d'hommes, notre délégation veille au respect de la parité dans la loi tout en contrôlant l'action du gouvernement ; tous les ans, elle travaille un thème qui donne lieu à un rapport et, après la parité puis la situation des femmes dans les espaces privatifs de liberté, elle a choisi celui des femmes et du sport, parce qu'elle pense que le sport est un miroir grossissant des problèmes qui se posent dans la société. Comment voyez-vous la situation, qu'il s'agisse du sport pour tous ou du sport de haut niveau, et quelles sont les perspectives ?

M. Bertrand Jarrige, directeur des sports au ministère des sports. - Nous sommes heureux d'être ici, et heureux que vous ayez choisi cette thématique. J'imagine que vous recevrez la ministre.

Mme Michèle André, présidente. - Absolument !

M. Bertrand Jarrige. - Hier encore, elle a dit que la pratique féminine, notamment dans les quartiers en difficulté, était une priorité.

Notre délégation est assez nombreuse et presque paritaire : je suis accompagné de deux hommes et de deux femmes et s'il n'y a qu'un directeur des sports, mon prédécesseur était une femme. Nous travaillons sous l'autorité de la ministre des sports : Mme Sylvie Mouyon-Porte s'occupe des politiques sportives dans les territoires, M. Franck Escoffier du sport de haut niveau ; M. de Vezins du pôle ressource national, installé au CREPS d'Aix-en-Provence, et Mme Monique Amiaud, en fonction à l'INSEP, de l'animation du réseau national du sport de haut niveau.

La ministre l'a rappelé lors de la nuit du sport féminin, le 9 décembre dernier, la vocation du sport est de rassembler par-delà les différences de sexe, d'origine, de territoire. Il constitue un outil de cohésion sociale. Or, comme vous l'avez noté, les femmes n'ont sans doute pas encore toute la place qui leur reviendrait. Le ministère mène donc une politique volontariste pour faciliter leur accès à la pratique du sport comme aux responsabilités. Cela passe par un dispositif législatif et réglementaire avec notamment l'inscription de dispositions dans le code du sport et par une organisation spécifique avec la mise en place en 2006 d'un pôle ressources national.

Le sport féminin est né au tout début du XXe siècle, à l'occasion des Jeux de Paris - quant à savoir si Pierre de Coubertin en a été satisfait...

Mme Michèle André, président. - Il y était très hostile.

M. Bertrand Jarrige. - Si les femmes ont alors commencé à manifester leur volonté de participer, il a fallu attendre 1994 pour que des décideurs consacrent à Brighton une conférence internationale aux femmes dans le sport. C'est à partir de là qu'on a pris conscience de cette problématique et elle est restée au centre des préoccupations avec la création de l'Observatoire de la parité en 1995 et la loi sur l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives en 2000. Le ministère a pris sa part avec les assises nationales Femmes et sport en 1999. La loi du 6 juillet 2000 dorénavant intégrée dans le Code du sport a réaffirmé la nécessité d'un égal accès des hommes et des femmes à la pratique sportive et à tous les niveaux de responsabilité dans les associations sportives. L'on a incité celles-ci à reprendre dans leurs statuts l'objectif d'égal accès des femmes et de hommes tant dans la pratique des activités physiques et sportives qu'à tous les niveaux de responsabilités au sein des associations sportives. C'est aussi à ce moment que le sport féminin de haut niveau a été pris en compte, après les jeux d'Atlanta où nos sportives avaient brillé. Cela s'applique de manière indistincte et non discriminatoire au niveau des aides.

Le mouvement sportif a été incité à proposer des actions pour promouvoir l'égalité et, vaste chantier, à favoriser la prise de responsabilités dans les instances dirigeantes. Le ministère a débloqué des aides pour la mise en place de formations, pour la communication et la promotion ainsi que pour le développement de la recherche sur la performance féminine.

Entre 2002 et 2004, la France a présidé le réseau européen Femmes et sports. En 2004, un groupe de travail national présidé par Mme Brigitte Deydier, vice-présidente de la fédération française de judo, a remis un rapport lors de la sixième conférence du réseau.

De 2005 à 2009, ont été organisés les concours Femmes et sports, dont le prix national et les trophées régionaux donnaient de la visibilité à des initiatives : sur 2 780 projets, 500 ont été récompensés, dont 350 en faveur des jeunes filles et les femmes dans les quartiers. Après cinq éditions, nous avons constaté un manque de nouveaux projets. Ceux-ci devenaient récurrents et quand des initiatives ont été récompensées pour la seconde fois, nous nous sommes dit qu'il fallait réfléchir à l'évolution d'une action qui donne encore lieu cependant à des concours dans des régions particulièrement investies sur ce sujet.

En 2006, le ministère a créé le pôle ressources national aujourd'hui dénommé Sport, éducation, mixités, citoyenneté, implanté au CREPS d'Aix, pour être un lieu d'expertise, de formation et de conseil au service de la politique sportive en direction des publics prioritaires, parmi lesquels le public féminin.

Le Code du sport, dans ses premiers articles, nous fixe pour objectif la réduction des inégalités sociales et sexuées. Même si le sport est exemplaire, la pratique féminine ne représentait encore en 2009 que 36 % des licences ; si nous étions à 9 % en 1968, nous devrions être autour de 50 %. C'est le cas dans les fédérations multisports, mais les femmes ne sont que 30 % dans les fédérations unisport olympiques et 26 % dans les fédérations unisport non olympiques. Certaines fédérations sont très féminisées : la danse (90 %), l'éducation physique et la gymnastique volontaire (94 %) et la gymnastique (79 %), le twing bâton (92 %) et l'équitation (79 %). En revanche le football (3,3 %) l'aéromodélisme (3,3 %) - l'accès à la technique ! - le rugby (4,1 %), le billard (5,1 %) le motocyclisme (5,4 %) ou encore le hockey sur glace (9,3 %) figurent parmi les 18 fédérations comptant moins de 10 % de licenciées.

Selon une récente enquête, 87 % des femmes déclarent pratiquer une activité physique ou sportive en dehors des clubs ; marche de loisir (58 %) et natation de loisir (25 %) sont des activités plutôt ludiques...

Mme Michèle André, présidente. - De bien-être...

M. Bertrand Jarrige. - Les inégalités sociales affectent la pratique du sport : les femmes sont les premières à en souffrir, notamment dans les quartiers sensibles car lorsque le revenu familial est inférieur à 1 830 euros, 45% des filles pratiquent une activité sportive, contre les trois-quarts des garçons. A l'adolescence, le décrochage est beaucoup plus brutal chez les filles que chez les garçons, ce qui affecte le sport de haut niveau.

Mêmes disparités dans les choix et les engagements : les femmes privilégiant le bien-être et la convivialité, elles sont de moins en moins nombreuses au fur et à mesure que l'on s'élève dans les niveaux de pratique. Le mouvement sportif ne facilite pas toujours les choses et l'absence de solution pour garder les enfants gêne la pratique féminine.

Nous agissons lors de la négociation des conventions d'objectifs avec les fédérations. Elles bénéficient de subventions spécifiques pour des actions d'accompagnement des dirigeantes et entraîneures, pour l'accès des jeunes filles à la performance, ainsi que pour la sensibilisation et la communication. En 2010, nous y avons consacré 5,4 millions, soit 7 % du montant des conventions d'objectifs, contre 400 000 euros en 2004. La ministre souhaite que nous poursuivions dans cette voie. La part territoriale du Centre national pour le développement du sport, notre bras séculier, reçoit des crédits spécifiques, à hauteur de 6,4 millions en 2010, soit un doublement par rapport à 2004. Outre ces 12 millions, le pôle fait circuler les initiatives des institutions partenaires, et anime un réseau national de référents.

Nous avons aidé les fédérations sportives menant des politiques significatives en matière de sport féminin, et avons consolidé 6 emplois STAPS dans les fédérations de football, de roller, de handball, de basket-ball, et de cyclisme. Lorsque nous présentons le budget des sports, deux indicateurs de performance sont le taux de licences féminines (18,5 % en 2009) et les moyens du CNDS consacrés à des actions en direction des femmes et des jeunes filles.

L'accès des femmes aux responsabilités s'amenuise au fur et à mesure que l'on s'élève dans les fédérations.

Mme Michèle André, présidente. - C'est valable partout...

M. Bertrand Jarrige. - Si seulement 11 fédérations sont présidées par une femme, le taux de femmes présidentes est passé de 6 % en 2005 à 9 % en 2009, mais aucune femme ne préside une fédération olympique. La progression est nette dans les comités directeurs (25 %) et les bureaux (21 %) des fédérations. Les femmes sont 16 % au conseil d'administration du CNOSF, dont une au bureau exécutif. Elles étaient 4 en 2005, les voici 7. Nous avons progressé grâce à des mesures contraignantes. Les statuts des fédérations doivent garantir aux femmes un nombre de sièges proportionnel à celui des licenciées. Nous persévérons malgré les réticences : j'ai parfois quelques entretiens avec des présidents de fédérations et le Conseil d'Etat a refusé les statuts d'une association reconnue d'utilité publique. Le mouvement se poursuivra lors du renouvellement des instances dirigeantes qui interviendra après les jeux de Londres.

En termes de politique, le ministère a réaffirmé ses priorités dans les directives nationales d'orientation adressées aux directions régionales : valoriser l'engagement des femmes, améliorer les connaissances et communiquer sur les progrès enregistrés ; oeuvrer pour la féminisation des postes à responsabilité au sein des instances du mouvement sportif et favoriser la pratique sportive des jeunes filles et des femmes dans les quartiers sensibles. Le pôle national ressources réalise depuis 2006 des rapports annuels sur la féminisation du sport ; il accompagne les fédérations dans la production de plans de féminisation ; il mène des actions de communication, développe le brevet professionnel « activités physiques pour tous  - développement du sport féminin », met en place un cursus facilitant l'accès des femmes au diplôme d'Etat supérieur de directeur de structure sportive ; il établit des outils pédagogiques tels que les frises « Femme, éducation, citoyenneté, toute une histoire », destinées à lutter contre les stéréotypes  ; il a consacré un numéro de ses Cahiers à « Sport et maternité ».

Depuis 1900, les femmes ont pris place au sein des compétitions internationales. Honneur soit rendu à Marguerite Brodequis, première championne olympique à Stockholm, en 1912. Après cette pionnière, 31 autres ont conquis une médaille d'or jusqu'à Anne-Caroline Chausson, à Pékin en 2008. Les jeux de Vancouver se sont bien passés, avec 45 % de médailles pour les skieuses et biathlètes, comme à Salt-Lake City en 2002, mais avec une représentation féminine plus importante (36 % de la délégation contre 23 %). Malheureusement, à Pékin, les femmes qui représentaient 39 % de l'effectif, n'ont remporté que 17 % des médailles. Cela a été une vraie déception, car nous pensions qu'Athènes avait marqué un déclic. Nous ne sommes que la 22e nation olympique pour les disciplines féminines. Nous ne réussirons à conserver notre 5e rang mondial que si nous développons le sport féminin. D'ailleurs, la Chine a réussi sa prise de leadership mondial en misant particulièrement sur les collectifs féminins qui deviennent plus performants que ceux masculins ; il en est de même pour l'Australie ; les Etats-Unis ont une parité parfaite de médailles féminines et masculines ; l'écart est de 8 médailles en faveur des hommes pour la Russie et la Grande Bretagne ; chez nous, il est de 34.

Mme Michèle André, présidente. - Il y a en effet quelque chose à faire...

M. Bertrand Jarrige. - Bien que la variabilité des résultats soit très grande, on ne peut pas tout expliquer par les circonstances. D'une part les délégations sont de plus en plus féminines, d'autre part la proportion des finalistes non médaillés est plus grande chez les sportives (41 à 55 %) que chez les sportifs (20 à 39 %). Enfin, le pourcentage de médaillés par rapport à la délégation est plus fort chez hommes (14 à 23 %) que chez les femmes (9 à 15 %). C'est dire que nous devons aider celles-ci à décrocher un podium, sinon un incident de préparation a un impact direct, comme on l'a vu à Pékin avec Laure Manaudou ou avec les escrimeuses. Il faut, dans la perspective de Londres, s'atteler à ce problème de densité.

La relève féminine tarde à venir. Les directeurs techniques nationaux ont du mal à faire émerger de nouvelles championnes. Jeannie Longo et Laura Flessel étaient championnes en 1996, et Christine Arron s'était qualifiée pour les jeux d'Atlanta ; elles étaient toutes trois en compétition à Pékin et n'ont pas abandonné tout espoir de participer à ceux de Londres.

Il faudrait en faire un peu plus pour les femmes. Nous savons en effet que les filles se détournent plus tôt du sport que les garçons. Sans parler de discrimination positive...

Mme Michèle André, présidente. - Une attention particulière ?

M. Bertrand Jarrige. - L'on veut donner aux femmes les mêmes chances de succès. Cependant, il y a toujours plus d'épreuves masculines.

Les femmes représentent 36 % de la liste ministérielle des sports de haut niveau. Leur nombre reste d'environ 2 500, bien que le nombre d'inscriptions masculines recule. Plus de la moitié des sportifs de haut niveau sont des femmes dans 3 fédérations sur 58, la gymnastique (55 %), la nage avec palmes, le volley-ball (52 %), et 20 fédérations comptent entre 40 et 50 % de sportives de haut niveau. Si la part des sportives sur cette liste correspond au taux de femmes licenciées, celles-ci représentent 1,5 % des membres de la fédération de boxe, mais 38 % des sportifs de haut niveau ; il en est de même pour le foot avec respectivement 3 % et 30 % ; inversement les femmes représentent 80 % des effectifs des sports de glace et de l'équitation mais 45 % des sportifs de haut niveau.

Il en résulte qu'il n'y a pas un lien direct entre le nombre de pratiquants et celui des sportifs de haut niveau : la conception pyramidale de Coubertin n'est plus de mise, et il convient de miser sur des collectifs restreints dotés d'une volonté et d'un potentiel, puis de les accompagner. Le hockey sur glace a fait cette expérience afin d'avoir une équipe féminine pour les jeux d'Annecy voire de Sotchi. Ils ont repéré de jeunes joueuses dans les clubs.

Mme Michèle André, présidente. - Combien y en a-t-il ?

M. Franck Escoffier, adjoint au chef du bureau du sport de haut niveau, des filières et des établissements nationaux. - Une grosse dizaine en championnat (Précisions : 3 clubs sur le championnat de France Elite et 11 clubs sur le championnat de France Excellence Féminins).

M. Bertrand Jarrige. - On a créé un pôle France à Chambéry et constitué une équipe qui joue en championnat masculin avec une catégorie d'âge de différence (championnat de France de moins de 18 ans Excellence masculin). Et elle progresse ! Je parie que nous aurons une équipe brillante. Il faut se donner les moyens.

Cela vaut aussi pour l'encadrement : encore faut-il que les entraîneurs n'aient pas un sentiment d'infériorité. Ils sont rares ceux qui comme Philippe Lucas ont construit leur réputation sur l'entraînement de sportives. L'entraîneur de l'équipe féminine ne doit pas être celui qui n'a pas pu l'être de l'équipe masculine. Seulement 12 % des entraîneurs sont des femmes, et 6 % des DTN, soit 3 femmes pour 55 hommes - je pense à Mme Deydier. On retrouve ici les stéréotypes et les contraintes que j'ai déjà signalés.

Même si certaines sportives sont devenues des icônes, n'oublions pas, enfin, l'écart dans le traitement médiatique. L'on n'a compté que 9 femmes parmi les sportifs de l'année que L'Equipe désigne chaque année depuis 1946, et comme Pérec et Manaudou l'ont été deux fois, cela ne laisse pas beaucoup de place aux autres... La sportive est jugée sur son image plus que sur sa performance : là aussi, il y a des caricatures à combattre.

Face à ce constat, nous travaillons à améliorer la compétitivité de notre pays au niveau du sport féminin. Nous avons dressé le bilan des jeux olympiques et préparé un plan d'action afin d'accompagner au mieux les sportives médaillables, traiter de la relève, renforcer les collectifs féminins. Nous réunissons les entraîneurs, lesquels ont des primes de médaille...

Mme Michèle André, présidente. - C'est le serpent qui se mord la queue.

M. Bertrand Jarrige. - L'égalité réelle passe par des recettes.

Mme Monique Amiaud, chargée de mission sport féminin à l'INSEP. - Il y a des échanges d'expérience.

M. Bertrand Jarrige. - Nous voulons également exploiter les niches de performance qui pourraient exister. Ainsi, nous avons plus de chance d'avoir à Rio une équipe féminine de rugby à sept performante qu'un collectif masculin dans la même discipline. Il s'agit de développer des outils, des bonnes pratiques. Nous voudrions retrouver à Londres un niveau proche de celui des jeux d'Atlanta en 1996.

Mme Michèle André, présidente. - Je vous remercie de toutes ces précisions. Vous avez évoqué les entraîneurs, les DTN, mais la technique d'entraînement ? Peut-on appliquer aux femmes les mêmes méthodes ?

Mme Monique Amiaud. - Il y a des outils de management. De surcroît, les femmes, si elles aiment la rigueur, apprécient aussi que l'on soit à l'écoute.

Mme Michèle André, présidente. - Certains entraîneurs ont un côté rude ; on lit dans la presse qu'ils veulent mettre au pas tel ou tel sportif. Est-ce que cette attitude peut aussi fonctionner avec les sportives ?

Mme Monique Amiaud. - L'important c'est l'équilibre du staff. L'entraîneur peut être rude s'il y a une autre personne capable d'écouter les sportives différemment. Une femme peut jouer ce rôle dans le staff quelle que soit sa fonction. La mixité de l'encadrement est importante. La réussite au niveau international reste contraignante.

Mme Michèle André, présidente. - Mais il ne faut pas aller jusqu'à dégoûter les jeunes sportifs. Et puis, il y a le sport en équipes et le sport individuel, qui ne relèvent pas des mêmes stratégies.

M. Bertrand Jarrige. - Il ne faut pas tomber dans une relation qui permette la maltraitance et supprime toute possibilité de médiation. C'est bénéfique de pouvoir disposer de regards croisés et cela se joue dans la composition du staff : le sportif ne doit pas se trouver sous la coupe d'une seule personne.

Mme Michèle André, présidente. - Une situation qui n'est pas toujours sans ambiguïté...

M. Bertrand Jarrige. - Mme Bachelot a précisément souhaité aborder le sujet de la lutte contre les violences dans le sport. L'on ne doit pas passer de l'entraînement à la maltraitance, puis au harcèlement et enfin à l'abus. Un recours est nécessaire. Nous avons mis en place un numéro d'appel, car en cas de dérapage, il faut le dire tout de suite.

Mme Michèle André, présidente. - Il faut être très attentif aux jeunes sportives car le souci de la performance peut occulter l'esprit critique.

M. Bertrand Jarrige. - Voilà pourquoi on a besoin d'un double projet, la performance et le développement personnel. Sans cela, toute réussite est fragile et éphémère car une sportive qui n'a pas développé d'alternative au sport devient très vulnérable à long terme. Ce repli sur la quête exclusive de la performance sportive peut d'ailleurs affecter tout le groupe familial - je pense à de jeunes championnes de tennis.

Mme Michèle André, présidente. - Si l'exposition médiatique est trop forte, c'est encore pire car leur vie privée s'étale alors dans la presse. Le sport, c'est le corps : il peut y avoir là quelque chose de très intime.

Ce que vous avez dit sur l'absence de relève m'inquiète Comment pourra-t-on détecter les talents ?

M. Bertrand Jarrige - J'aimerais avoir davantage de femmes DTN. Je n'en ai que 3 sur 58 ! Le renouvellement passe en effet par la prise de conscience de l'encadrement.

Mme Michèle André, présidente. - Cela n'a pas bougé beaucoup dans les instances fédérales. Il y a une ou deux femmes et pour peu que l'une ou l'autre ait fait preuve de mauvais caractère, cela décourage...

M. Bertrand Jarrige - Il faut expliquer aux jeunes filles et à leurs familles qu'elles peuvent pratiquer le sport tout en continuant leurs études et en voyant leurs amis, et qu'elles n'auront pas des entraîneurs tyranniques. Il faut noter aussi que la rémunération des sportives est largement inférieure à celle des sportifs. Et quand les DTN distribuent les aides ministérielles, qu'ils n'oublient pas l'accompagnement matériel des sportives !

Mme Michèle André, présidente. - Tout le monde ne s'en sort pas aussi bien que Zidane...

M. Bertrand Jarrige - Oui, la capitaine de l'équipe féminine de football est très en deçà de cette notoriété ; son équipe n'a pas encore gagné la Coupe du monde mais elle s'est brillamment qualifiée. Il faut trouver autre chose que de les faire paraître dans un calendrier pour renforcer leur image !

Mme Odette Terrade - Les filles, dites-vous, décrochent du sport après le collège et les garçons après le lycée. Je le vois dans ma ville, les jeunes s'arrêtent à l'adolescence. Quel est le rôle de l'intégrisme religieux dans ce phénomène au sein des quartiers populaires ?

M. Bertrand Jarrige - Vous avez sans doute raison. Il serait également intéressant de regarder les dispenses d'éducation physique. Les filles n'ont pas tellement envie d'aller à la piscine avec les garçons. On en est arrivé à se poser de difficiles questions. Faut-il supprimer la mixité dans les piscines ou faut-il mieux éduquer les garçons ? Faut-il réserver dans les piscines des créneaux horaires non mixtes ou est-ce céder au communautarisme?

Le décrochage s'explique aussi par des problèmes psychologiques et physiologiques ; la perception du corps par l'adolescente est différente de celle de l'adolescent. Lorsqu'on distribuait des coupons de sport à des familles modestes pour les pousser à inscrire leurs enfants dans des clubs, c'était quasi systématiquement les garçons qui en bénéficiaient. C'est un travail de long terme. Hier, la ministre a déclaré : « mes priorités : les handicapés, les jeunes filles et femmes des quartiers sensibles et de la ruralité ».

M. Renaud de Vézins, chargé de mission au pôle ressources national - En ZEP, les jeunes filles licenciées à l'UNSS (Union nationale du sport scolaire) sont, en pourcentage, plus nombreuses qu'ailleurs. Elles s'y trouvent en milieu sécurisé dans lequel on travaille sur des pratiques spécifiques, tout en restant dans le cadre scolaire. Nous y avons travaillé avec l'UNSS. On peut avoir une mixité avec des moments privilégiés, en évitant alors les pratiques simultanées.

Mme Michèle André, présidente. - Les piscines ne seront jamais assez grandes. Il faudrait des piscines à étages tant l'attribution des créneaux horaires est un casse-tête. La natation concentre tous les problèmes.

M. Renaud de Vézins - Nous avons étudié le problème de l'accompagnement éducatif après les cours. Nous nous sommes aperçus que lorsque l'offre émanait de clubs, il y avait une forte demande des filles pour pratiquer entre elles, et beaucoup de modules ont été construits sur une pratique spécifique pour les jeunes filles.

Mme Michèle André, présidente. - Je suppose que le ministère des sports travaille main dans la main avec l'Éducation nationale.

M. Bertrand Jarrige. - Le sport a longtemps eu du mal à entrer à l'école. L'accompagnement éducatif lancé par Xavier Darcos nous a aidés, les clubs intervenant en effet à l'initiative des établissements. Des conventions ont été passées entre les fédérations et l'UNSS, et encore récemment en présence de Mme Jouanno et de M. Chatel, qui est aussi ministre de la jeunesse. Les deux ministres entendent mener des actions conjointes. L'aménagement des rythmes scolaires, sur lesquels une décision interviendra bientôt, ne peut se faire avec les seuls équipements d'éducation physique et sportive : il faudra traiter cela avec le mouvement sportif. C'est une chance : on pourra faire progresser les mentalités.

Mme Michèle André, présidente. - Je vous remercie de vos réponses. Les actions pour le sport féminin sont très utiles dans et hors des ZEP.