Mardi 31 mai 2011

- Présidence de M. Jean Arthuis, président, puis de Mme Fabienne Keller, secrétaire -

Règlement des comptes et rapport de gestion pour l'année 2010 - Audition de M. Thierry Mariani, secrétaire d'Etat chargé des transports

La commission procède à l'audition de M. Thierry Mariani, secrétaire d'Etat chargé des transports, dans le cadre de la préparation de l'examen du projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l'année 2010.

M. Jean Arthuis, président. - Nous procédons aujourd'hui à la première audition d'un membre du Gouvernement en préparation de la loi de règlement pour 2010. La loi de finances initiale a parfois un aspect incantatoire, mais la loi de règlement, c'est la vérité budgétaire. Il est important que les rapporteurs spéciaux et les autres commissaires puissent interroger les ministres sur l'usage qu'ils ont fait des deniers publics. Je suggère que le ministre commence par un propos liminaire sur l'exécution de son budget, avant d'être soumis aux questions de nos collègues.

M. Thierry Mariani, secrétaire d'Etat chargé des transports. - En ce qui concerne le programme 203 « Infrastructures et services de transport », l'exercice budgétaire de 2010 s'est inscrit dans le cadre de la loi de programmation du Grenelle de l'environnement, dont les objectifs étaient de favoriser le report modal vers des modes économes en CO2 et d'intégrer aux projets la logique du développement durable. Nous avons agi dans un contexte de crise économique mondiale. Des opérations ferroviaires et routières majeures ont été lancées ou poursuivies ; le transport aérien a continué à souffrir des effets de la crise de 2009 et n'a pu se rétablir pleinement, compte tenu du contexte international et des aléas sociaux et climatiques.

Dans le domaine ferroviaire, le Gouvernement s'est engagé dans des projets structurants : les lignes Perpignan-Figueras et du Haut-Bugey ont été mises en service à la mi-décembre 2010, la deuxième phase des travaux de la ligne à grande vitesse (LGV) Est a été lancée pendant l'été, nous avons retenu le titulaire pour le contrat de concession du tronçon central Tours-Bordeaux de la LGV Sud Europe Atlantique, et les candidats pour le contrat de partenariat de la LGV Bretagne-Pays-de-la-Loire ont remis leurs offres finales.

Le réseau ferré existant a aussi bénéficié de cette dynamique. En février 2010 a été signé le premier contrat de partenariat ferroviaire pour mettre en oeuvre le programme GSM-R, réseau de télécommunication numérique dédié aux professionnels du transport ferroviaire. Conformément au contrat de performance de Réseau ferré de France (RFF), près de 1 100 kilomètres de voies ont été remises à niveau dans le cadre du plan de renouvellement du réseau ferré national. Nous n'avons pas sacrifié l'entretien des infrastructures existantes au lancement de nouveaux projets.

L'année 2010 fut la première année d'application de l'engagement national pour le fret ferroviaire. Depuis décembre 2010, il y a quatre navettes quotidiennes sur l'autoroute ferroviaire Perpignan-Luxembourg. Il reste certes beaucoup à faire.

Nous avons renforcé notre soutien aux modes de transports alternatifs à la route : la modernisation du réseau fluvial s'est poursuivie, et Voies navigables de France (VNF) a lancé cet automne les premières procédures pour un contrat de partenariat destiné au renouvellement de vingt-neuf barrages manuels des bassins de l'Aisne et de la Meuse. Des mesures concrètes ont été prises pour favoriser le report modal des services de transport de marchandises ; le programme d'aides au transport combiné s'est intensifié avec une augmentation de 50 % du montant de l'aide à la pince.

Dans les ports, nous avons poursuivi la réforme initiée par la loi n° 2008-660 du 4 juillet 2008. Plusieurs étapes importantes ont été franchies : le transfert des outillages a été accompli dans la plupart des ports et des négociations sont en cours sur le transfert du personnel. En outre, preuve de l'engagement de l'Etat pour améliorer la compétitivité des ports français, nous avons augmenté l'accompagnement financier pour l'entretien et le développement.

S'agissant des transports collectifs, l'Etat a tenu les engagements financiers pris en 2009 pour cinquante-deux projets de transports collectifs en site propre, dirigés par trente-huit autorités organisatrices des transports. Ces projets représentent près de 400 kilomètres de lignes nouvelles et coûtent 810 millions d'euros à l'Etat. Un nouvel appel à projets lancé en 2010 a permis en février 2011 de retenir soixante-dix-huit projets dans cinquante-quatre agglomérations, pour un montant de subventions de 590 millions d'euros.

Enfin, l'Etat et la SNCF ont signé fin 2010 une convention sur les trains d'équilibre du territoire, afin d'améliorer le service rendu à 100 000 voyageurs par jour. La contribution annuelle versée à la SNCF permettra notamment de pérenniser les liaisons ferroviaires Corail, Intercités, Téoz et Lunéa et de mener un programme de rénovation du matériel roulant de 300 millions d'euros.

J'en viens aux infrastructures routières. Les préfets de région ont fait aboutir les négociations sur les programmes de modernisation des itinéraires routiers (PDMI), ce qui permet de préparer les conventions de financement des projets retenus. Sur le réseau non concédé, nous avons poursuivi la sécurisation des tunnels routiers d'Ile-de-France en mobilisant 316 millions d'euros de ressources nouvelles. A cela s'ajoutent une soixantaine d'opérations d'aménagement du réseau routier, sur environ 200 kilomètres au total.

Trois sections significatives du réseau concédé ont été mises en service en 2010 : l'autoroute A 88 Falaise ouest-Argentan sud, d'une longueur de 30 kilomètres environ, l'autoroute A 65 Langon-Pau sur près de 150 kilomètres et le contournement sud de Reims sur 14 kilomètres. Enfin, le 9 janvier 2011, la seconde section du « duplex » A 86 entre l'échangeur de l'A 13 et l'échangeur de Vélizy a été ouverte aux usagers.

La procédure de dévolution du contrat de partenariat relatif à l'éco-redevance poids lourds suit son cours : nous avons retenu un candidat en janvier, et le contrat devait être signé cette année. Mais le contentieux formé en février par un candidat non retenu reportera d'au moins quelques mois la conclusion de la procédure et l'entrée en vigueur de la taxe, que l'on attend toujours pour 2013.

Pour conclure sur les investissements, précisons que l'exécution du plan de relance s'est achevée fin 2010 avec un taux d'utilisation des ressources proche de 100 %, ce qui a permis d'anticiper la réalisation des projets retenus et d'apporter un soutien significatif aux entreprises du bâtiment et des travaux publics au plus fort de la crise.

La régulation et la gouvernance du secteur ont été améliorées. C'est en 2010 qu'a été créée l'Agence française pour l'information multimodale et la billettique. L'Autorité de régulation des activités ferroviaires a été installée et a rendu ses premiers avis. L'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) a joué pleinement son rôle d'opérateur principal du programme en apportant en 2010 plus de 2,2 milliards d'euros de crédits d'investissements, dont près de 65 % en faveur des modes alternatifs à la route. Nous avons donc continué à mettre en oeuvre activement les contrats de projets 2007-2013 et les plans du Grenelle de l'environnement.

L'avant-projet du Schéma national d'infrastructures de transport (SNIT) a été enrichi grâce aux observations des élus, de l'autorité environnementale et des cinq collèges du Comité national du développement durable et du Grenelle de l'environnement.

Un mot enfin sur l'aviation civile. Malgré le renforcement des mesures de gestion prises dans le cadre des grandes orientations gouvernementales pour 2011-2013, la situation financière du budget annexe a été maîtrisée mais n'a pu être améliorée : en clair, la dette a progressé en 2010. Le dialogue social a été perturbé par une contestation syndicale, portant notamment sur les enjeux européens et les évolutions en matière d'organisation du travail et de retraites.

Nous avons donc tenu nos engagements dans un contexte très difficile, et malgré les contraintes financières.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur spécial du programme « Infrastructures et services de transport ». - Le coût du SNIT est-il soutenable pour le budget de l'Etat ? Lors de la séance consacrée à ce schéma le 15 février dernier, j'ai souligné que ce serait un mauvais calcul économique de se concentrer exclusivement sur les lignes à grande vitesse, car plus on reporte la rénovation du réseau existant, plus elle coûtera cher. Nous n'avons sans doute plus les moyens financiers d'un projet aussi ambitieux. Notre collègue député Hervé Mariton a récemment « enfoncé le clou » : comment trouver 86 milliards d'euros en vingt-cinq ans ? Des priorités ont-elles été identifiées ?

Quelles nouvelles ressources peut-on affecter à l'AFITF, premier financeur public du réseau de chemin de fer et de la sécurisation des aménagements routiers ? Ses ressources se sont élevées en 2010 à 2,12 milliards d'euros, ses investissements à 2,16 milliards : c'est beaucoup moins que les 3,44 milliards qu'il faudrait trouver pendant vingt-cinq ans pour financer le SNIT. La taxe sur les poids lourds n'y suffira pas : elle rapportera environ 1,2 milliard d'euros par an et l'AFITF en retirera entre 750 et 800 millions.

S'agissant du programme 203 « Infrastructures et services de transport », comment justifiez-vous le niveau de consommation assez faible - 73,4 % - des autorisations d'engagement ? Quel bilan faites-vous des dépenses fiscales dépendantes de ce programme, et notamment du remboursement d'une fraction de TIPP sur le gazole pour certains véhicules routiers ?

J'en viens à la SNCF. La ponctualité des trains est très importante pour son image de marque, or elle s'est sensiblement dégradée en 2010 : 80 % pour les TGV, 90,7 % pour les Transiliens, 80,7 % pour les Corail, 82,6 % pour les TER. Certes, il y a eu des intempéries et des grèves, mais cela n'explique pas tout. Peut-on espérer un sursaut, ou cette détérioration s'explique-t-elle par des raisons structurelles - par exemple par des travaux de rénovation -, auquel cas il faudrait mieux sensibiliser les voyageurs ?

Le modèle économique de la SNCF est aujourd'hui mis à l'épreuve. Comment jugez-vous sa trajectoire commerciale et financière ? Quels sont les indicateurs de performance appelés à être rendus publics ? La modernisation des relations sociales est-elle en bonne voie ? Les conditions de travail des cheminots peuvent-elles être alignées à moyen terme sur celles qui prévalent chez les transporteurs concurrents ? Est-il possible de réduire le coût des TER, condition indispensable pour faire face à la future concurrence ?

M. Thierry Mariani. - Oui, les trains risquent d'être moins ponctuels au cours des prochaines années. J'assistais hier au comité de suivi des trains d'équilibre du territoire. Un programme ambitieux de rénovation du réseau a été lancé : à long terme, il améliorera le service rendu aux voyageurs, mais à court terme, les travaux occasionneront inévitablement des retards. Nous réfléchissons à un plan de communication à destination du public. Néanmoins, nous constatons des améliorations sur onze des douze lignes prioritaires définies en janvier : la SNCF a pris le problème à bras-le-corps.

Le programme 203 représente à lui seul la moitié des crédits de paiement consommés de la mission, hors plan de relance. Le volume des autorisations d'engagement et des crédits de paiement consommés a baissé par rapport à 2009 - respectivement de 14 % et 8,25 % -, mais cela s'explique par les dépenses exceptionnelles consenties en 2009 au titre du plan de relance. La subvention budgétaire de l'AFITF a aussi baissé de 315 millions d'euros. Enfin, le montant des crédits ouverts est fortement influencé par les reports élevés d'autorisations d'engagement affectées, mais non engagées en fin d'année. D'ailleurs, l'analyse en termes d'autorisations d'engagement est biaisée : le niveau de crédits ouverts est artificiellement gonflé par la masse des affectations non encore traduites en engagements, mais indisponibles.

Je n'ai jamais caché que tous les projets énumérés dans le SNIT ne pourraient pas être réalisés. Le Gouvernement n'a pas fixé à l'avance de priorités : tout dépendra de l'engagement des collectivités territoriales concernées. Les fédérations du bâtiment se sont émues de certaines déclarations, mais il serait déjà très honorable d'atteindre notre objectif : un taux de réalisation compris entre 70% et 80 %. Je n'ai jamais caché non plus que le SNIT, s'il devait être réalisé dans son intégralité, excède nos capacités financières actuelles.

M. Jean Arthuis, président. - Autrement dit, il n'est pas soutenable financièrement.

M. Thierry Mariani. - Si, car toutes les collectivités ne voudront ou ne pourront pas participer aux projets.

J'en viens à l'AFITF. La Cour des comptes, dans son rapport public de 2009, et certains parlementaires, au cours de l'examen de la loi de finances pour 2009, avaient mis en cause cette agence dont la moitié des ressources provient du budget de l'Etat, et qui reverse un montant équivalent à ce même budget sous forme de fonds de concours. Ils estimaient que l'Agence jouait un rôle insuffisant dans l'évaluation des projets. Une mission a tracé en 2009 des pistes d'évolution. Dominique Perben, nouveau président du conseil d'administration, a exposé devant les commissions parlementaires les grandes orientations de sa politique, destinée à donner à l'AFITF toute sa place.

Au plan budgétaire, les engagements de l'Agence sont importants. Une projection a été réalisée sur la période 2011-2014 : les engagements cumulés à la fin de 2014 devraient s'élever à 44 milliards d'euros, les dépenses cumulées à 22 milliards. L'écotaxe sur les poids lourds complètera les ressources actuelles de l'Agence, tirées des autoroutes et des amendes pour des infractions contrôlées par radar ; l'Etat verse aujourd'hui une subvention de 974 millions d'euros. Nous attendons que la justice se prononce, vers la mi-juillet, sur le recours du candidat malheureux. Le budget de 2011 est équilibré, et celui de 2012 est en préparation : il faut tenir compte du report de l'entrée en vigueur de l'écotaxe, sans remettre en cause les engagements du Grenelle.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur spécial. - RFF a enregistré en 2009 un bénéfice net de 304 millions d'euros, pour la première fois de son histoire, mais les résultats de 2010 sont moins bons : 197 millions. On n'est pas réellement parvenu à rendre l'entreprise rentable et les investissements ont baissé de 2,5 %. L'équation économique est-elle devenue insoluble ? Faut-il se résoudre à voir la dette s'envoler, pour assurer la nécessaire rénovation du réseau ? Quid du futur contrat de performance, l'actuel arrivant à échéance en 2012 ? Où en est la convention entre RFF et la SNCF, qui doit, selon la dernière lettre de mission adressée au président de la SNCF, privilégier la maîtrise des coûts, les gains de productivité et le retour à une situation économique saine de la branche Infrastructures ?

M. Jean Arthuis, président. - Ces questions méritent d'être posées : RFF est en quelque sorte une structure de portage de la dette...

Mme Fabienne Keller, secrétaire. - RFF investit aussi.

M. Jean Arthuis, président. - Certes, mais il est absurde que ce que la SNCF facture à RFF équivaille à ce que RFF facture à la SNCF !

M. Thierry Mariani. - Le contrat de performance pour 2008-2012 prévoit un nouveau modèle économique et le retour à l'équilibre financier grâce aux recettes tirées de l'usage du réseau et des subventions de l'Etat. Le programme de rénovation de 13 milliards d'euros sur la période 2008-2015 réduira à terme les coûts d'entretien. Reste que la dette continue d'augmenter - 30 milliards d'euros à la fin 2011, 31 milliards fin 2012, contre 28,4 milliards fin 2010 -, et avec elle la charge de la dette. C'est l'une des principales préoccupations de mon ministère.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur spécial. - Les ports sont des équipements structuraux pour l'économie et le développement territorial de notre pays. Le déclin des ports français est-il une fatalité ? Nos parts de marché sur les différentes façades maritimes ont continué de baisser en 2010 : 15 % en moyenne, contre 16,1 % en 2009 et au lieu des 17,1 % prévus. Où en est la réforme de la manutention, qui prévoit notamment le transfert à des entreprises privées, lesquelles bénéficient d'un régime fiscal favorable ?

M. Thierry Mariani. - La réforme des ports est presque achevée, si l'on excepte Bordeaux. L'idée était de recentrer l'action de l'Etat sur les missions d'autorité publique, de rationnaliser la manutention, de rénover la gouvernance et de coordonner les ports d'une même façade maritime.

Faut-il avoir confiance ? Je crois que oui. J'ai rencontré des investisseurs internationaux, notamment chinois, et ils attendent de voir se concrétiser les réformes. Ils sont conscients des avantages des ports français : situation géographique, desserte exceptionnelle en moyens de transports, etc. Les huit prochains mois seront cruciaux : si le climat social s'apaise, nous retrouverons une crédibilité - et cela importe plus aujourd'hui que les investissements, car de ce côté les efforts nécessaires sont consentis : 2,4 milliards entre 2009 et 2013. Les travailleurs portuaires ont compris qu'il était dans l'intérêt de tous que les choses s'apaisent.

M. Jean Arthuis, président. - C'est un appel à la responsabilité que vous lancez, afin que les ports français puissent relever le défi de la mondialisation - faute de quoi les ports belges et néerlandais deviendront les seuls d'Europe.

M. Thierry Mariani. - J'observe que la grève qui a accompagné la dernière étape de la réforme - le transfert des agents dans des sociétés de manutention - s'est conclue par un accord raisonnable.

M. François Fortassin, rapporteur spécial de la mission « Contrôle et exploitation aériens ». - En 2010, le déficit du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » s'est révélé bien plus élevé que prévu, ce qui s'explique en particulier par la hausse des dépenses de fonctionnement hors personnel, sans hausse de recettes équivalente. Ce budget est dès lors entré dans une spirale de l'endettement. Le ministère incite-t-il la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) à maîtriser ses dépenses de fonctionnement ? Le programme triennal 2011-2013, qui table sur une augmentation des recettes de 13 % en 2011, n'est-il pas trop optimiste ?

M. Thierry Mariani. - Vous avez raison de souligner que la dette de l'aviation civile a beaucoup augmenté à la suite de la crise : elle a atteint 1,148 milliard d'euros fin 2010, soit une hausse de 9 %, après 20 % en 2009. Le Gouvernement a limité la hausse des redevances pour ne pas accabler le secteur. Mais les compagnies saluent les efforts de la DGAC, qui a réduit de 10 % ses dépenses de fonctionnement et supprimé 900 emplois. La priorité est au désendettement, et l'encours d'emprunt n'augmentera que de 1 % en 2011. Mais cette hausse, même limitée, alourdira encore la charge de la dette. Entre 2010 et 2013, la dette n'augmentera que de 94 millions d'euros, et elle devrait diminuer au cours de la prochaine période triennale : car, sauf circonstances exceptionnelles, l'activité devrait reprendre et les recettes s'accroître.

M. François Fortassin, rapporteur spécial. - Certaines catégories de personnel, et notamment les contrôleurs aériens, jouissent d'avantages statutaires sur lesquelles la Cour des comptes a fait des remarques très critiques. Malgré quelques progrès en 2010, la situation reste insatisfaisante, et les contrôleurs que j'ai rencontrés sont loin de m'avoir convaincu. « Nous exerçons des responsabilités aussi importantes que les pilotes », disent-ils. Mais il est rare qu'un contrôleur meure parce qu'un avion s'est écrasé sur la tour de contrôle ! Le système de « clairance » - de l'anglais clearance - est-il maîtrisé ? Je connais mal la langue de Shakespeare, mais ce dont je suis sûr, c'est que la clearance n'est pas la clarté ! Des économies sont encore possibles. Peut-être les contrôleurs feront-ils encore quelques grèves perlées... Comment mettre fin à cette gabegie ?

M. Jean Arthuis, président. - Juste procès d'un corporatisme blâmable !

M. Thierry Mariani. - Il a été mis fin à la pratique dite des clearances. Un contrôle de présence, grâce aux données des badges d'accès, permet à présent de vérifier a posteriori la présence des contrôleurs sur leur lieu de travail. Je connais bien le sujet, car j'ai publié lorsque j'étais député un rapport sur le ciel unique.

S'agissant de l'organisation du travail, les ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne (ICNA) doivent effectuer 155 vacations par an. Ce régime découle des sujétions particulières du métier, comme le travail de nuit, et il est semblable à celui qui prévaut au centre Eurocontrol de Maastricht et dans les autres pays du bloc d'espace aérien fonctionnel d'Europe Centrale (Fabec). Ces vacations sont réparties tout au long de l'année, ce qui conduit - une fois les congés pris en compte - à une moyenne d'un jour sur deux. Toutefois, pour faire face aux pics du trafic, des vacations supplémentaires sont possibles depuis quelques années. La durée moyenne masque des disparités entre les vacations de jour et de nuit : celles de jour durent neuf heures ou moins, à peu près comme à Eurocontrol. Des efforts sont donc faits pour rapprocher le statut des contrôleurs aériens français de la moyenne européenne. Un gel des salaires a été imposé. Je me dois d'ailleurs de dire que les contrôleurs français sont nettement moins bien payés que leurs collègues allemands ou néerlandais.

M. Jean Arthuis, président. - Quel est l'écart de rémunération ?

M. Thierry Mariani. - Le salaire des contrôleurs allemands ou néerlandais est supérieur de 80 % à celui des français ; celui des contrôleurs espagnols était jusque récemment supérieur de 300 %, et il l'est encore de 200 %. Les contrôleurs français sont les moins bien payés d'Europe de l'Ouest.

Mme Fabienne Keller, secrétaire. - A conditions de travail égales ?

M. François Fortassin, rapporteur spécial. - Les contrôleurs français ne travaillent pas beaucoup : ils sont nombreux à avoir une double activité...

M. Thierry Mariani. - Je vous livre ces chiffres : des comparaisons internationales peuvent nous éclairer.

M. Jean Arthuis, président. - Il serait bon que la DGAC nous fasse parvenir des données précises sur les rémunérations, le nombre de vacations, le temps de travail, les effectifs, le régime de retraite des contrôleurs aériens dans les différents pays européens.

M. Thierry Mariani. - Elle le fera bien volontiers.

M. Jean Arthuis, président. - Si Bertrand Auban, rapporteur spécial du programme 198 « Régimes sociaux et de retraite des transports terrestres », avait pu assister à cette réunion, il vous aurait demandé par quel heureux hasard les dépenses de pensions de retraites de la SNCF et de la RATP ont été moindres en 2010 qu'il n'était prévu en loi de finances initiale : 3 milliards d'euros au lieu de 3,1 milliards pour la SNCF, 505 millions au lieu de 526 millions pour la RATP. Votre ministère a-t-il la haute main sur ces régimes ? Sinon, pourquoi ne pas confier au ministère du budget le pilotage de ce programme, comme ce fut fait naguère pour les régimes des mines et de la Société d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (Seita) ?

M. Thierry Mariani. - C'est en fait le ministère des affaires sociales qui contrôle ces régimes de retraite.

M. Jean Arthuis, président. - Mais la logique de la Lolf veut que les ministres aient la réelle maîtrise des programmes dont ils sont responsables.

M. Thierry Mariani. - Le ministère des transports est juridiquement responsable de ce programme, mais il est vrai que ses marges de manoeuvre sont faibles depuis la réforme de 2008.

M. Jean Arthuis, président. - Comment donc expliquez-vous les bonnes performances de ces régimes de retraite ? J'ai conscience du paradoxe qu'il y a à vous interroger sur un programme dont vous avouez n'avoir pas l'entière maîtrise...

M. Thierry Mariani. - Ces performances sont liées à la réforme de 2008. Garante de la bonne utilisation des deniers publics, l'administration veille à ce que ces régimes soient bien gérés par les caisses de retraite et les organismes concernés, et conclut avec les premières des conventions d'objectifs et de gestion. Des indicateurs de performance existent : nombre d'embauches de conducteurs en contrepartie des départs en congé de fin d'activité, dépenses de gestion pour un euro de prestations, coût unitaire d'une primo-liquidation de pension, taux de récupération des indus. La situation économique et la réforme de 2008 ont évidemment une incidence sur ces indicateurs.

M. Jean Arthuis, président. - Je vais devoir m'absenter pour assister à une réunion de la commission des lois, qui examine le projet de loi constitutionnelle dont je suis rapporteur pour avis. Je vous prie de m'en excuser, et demande à Fabienne Keller de bien vouloir me suppléer.

M. Francis Grignon, rapporteur pour avis de la commission de l'économie. - La commission de l'économie est très attachée à l'existence de l'AFITF : elle a constaté par le passé les problèmes posés par le Fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables (FITTVN) ou d'autres fonds amalgamés au budget. Nous espérons que la taxe sur les poids lourds entrera bientôt en vigueur.

Un décret sur les gares est en préparation, suite à la création de « Gares et connexions » et à l'excellent rapport de Mme Keller. Je siège au conseil d'administration de la SNCF en tant que représentant des collectivités territoriales. Le décret aura-t-il une incidence pour les régions ? Je pense notamment aux péages supplémentaires sur les quais.

On parle beaucoup de productivité : ce n'est pas un gros mot ! Or les travaux ferroviaires sont mieux organisés dans d'autres pays. Plutôt que de travailler sur les lignes deux heures par jour pendant de longs mois, ne vaudrait-il pas mieux les couper pendant quinze jours ? Les régions peuvent-elles l'admettre ?

Mme Fabienne Keller, secrétaire. - Je rappelle que M. Grignon est l'auteur d'un brillant rapport sur l'introduction de la concurrence pour les trains régionaux.

M. Thierry Mariani. - Le Gouvernement est lui aussi très attaché à la pérennité des recettes de l'AFITF, et attend pour le mois de juillet la décision de la justice.

Quant au décret sur les gares, il vient de faire l'objet d'un avis favorable de la part de la commission d'évaluation des gares, et n'occasionnera aucun surcoût pour les régions.

La question de la productivité a été abordée hier lors d'une table ronde que Mme Kosciusko-Morizet et moi-même animions. Jacques Gounon, président d'Eurotunnel, a regretté que certains opérateurs publics travaillent plus lentement que les entreprises privées. J'ai demandé à la SNCF de veiller à ce que les travaux de rénovation du réseau - qui vont se multiplier - se fassent rapidement, afin de réduire les nuisances pour les usagers.

Mme Michèle André. - Je me fais ici la porte-parole des élus auvergnats de tous bords. L'Auvergne est une tache blanche sur la carte des lignes à grande vitesse. Or il a été décidé que le train de Clermont-Ferrand, qui dessert le sud du Massif central, aurait pour gare d'arrivée la gare de Bercy. Nous avons été choqués par l'absence de concertation et par la marginalisation de notre région. Les Auvergnats sont déjà contraints de voyager dans des wagons extrêmement inconfortables, et subissent régulièrement des retards. Le seul motif que nous ayons de nous réjouir, c'est que nos trains sont un peu moins en retard que les TGV en cas d'importantes chutes de neige, comme l'hiver dernier... La SNCF et RFF se renvoient la balle. A cela s'ajoutent les difficultés de l'aéroport : les Auvergnats n'auront bientôt plus le choix que de prendre l'autoroute ! Un journal local témoignait ce matin de l'unanimité des élus de gauche et de droite.

M. Thierry Mariani. - J'ai reçu il y a dix jours le président de la région Auvergne, qui a exprimé la même indignation. Il est vrai que la SNCF n'a mené aucune concertation. J'ai demandé à la direction de reconsidérer son choix, mais je ne peux vous donner aucune garantie, car la gare de Lyon est saturée - c'est là qu'aboutira la nouvelle ligne de TGV Rhin-Rhône. J'ai aussi parlé avec le président de région de la vétusté des trains, et nous avons convenu hier lors de la table ronde qu'ils seraient prioritaires dans le cadre du programme de rénovation des wagons : si je ne m'abuse, ces wagons ont entre 35 et 40 ans.

Mme Michèle André. - Les Auvergnats appellent ces trains les « TGV du pauvre » : il nous reste l'humour... Ce sont des trains Corail réhabillés.

M. Thierry Mariani. - A long terme, puisque la gare de Lyon est près d'être saturée, il faudra rendre la gare de Bercy plus attractive.

Mme Michèle André. - Il y a beaucoup à faire ! A-t-on songé à faire arriver le train de Clermont à la gare d'Austerlitz ?

M. Thierry Mariani. - Ce ne sont pas les mêmes faisceaux qu'à Bercy.

Quant à l'aéroport de Clermont, ce fut une plateforme de Regional Airlines, mais les lignes ont fermé peu à peu et l'aéroport peine à retrouver un équilibre économique.

M. François Trucy. - Quel sera le tracé de la ligne à grande vitesse reliant Paris à Nice ? Les polémiques locales font rage.

M. Thierry Mariani. - Dans une autre vie, j'ai été candidat aux élections régionales...

Cette liaison empruntera le trajet déjà fixé, reliant Marseille à Nice via Toulon.

D'autre part, j'ai bon espoir d'obtenir un financement communautaire, car j'espère ériger la ligne Barcelone-Gênes en route prioritaire de transport européen.

M. François Trucy. - Bien joué !

M. François Fortassin. - Vous avez tendance à faire les poches des collectivités territoriales qui souhaitent bénéficier d'une ligne à grande vitesse. Les avantages sont certes incontestables pour les Toulousains et les Bordelais, mais les Parisiens en bénéficient également ! Pourquoi ne solliciter ni l'Île-de-France, ni la Ville de Paris ?

J'en viens au triangle Pau-Lourdes-Tarbes. Il me semblerait judicieux de créer une gare de TGV unique située à moins de 20 kilomètres des trois centres-villes. Les villes de Dax et Tarbes sont distantes de 145 kilomètres. Si l'on crée une gare sur le plateau de Ger, à l'instar de ce qui a été réalisé près de Valence-sur-Rhône, il faudrait parcourir non plus 145 kilomètres, mais 80. En outre, le train éviterait ainsi les zones urbanisées, où sa vitesse est bridée à 220 kilomètres par heure. Les élus locaux veulent presque tous une gare dans leur ville. L'Etat pourrait les mettre d'accord... Faisons pour la gare ce que nos prédécesseurs n'ont pas été capables de faire il y a 35 ans pour l'aéroport !

M. Thierry Mariani. - N'étant pas une Micheline, le TGV ne peut s'arrêter partout. L'étude lancée sur la gare doit aboutir dans les deux ans à venir.

Pour ce qui est du financement, je transmettrai votre suggestion à M. Huchon, mais je ne suis pas certain de recevoir le meilleur accueil... Plus sérieusement, l'Île-de-France assume déjà d'importantes charges au titre des transports en commun, empruntés aussi par des provinciaux. Elle ne peut de surcroît financer le TGV à Tarbes.

Mme Marie-France Beaufils. - Pourquoi recourir au partenariat public-privé (PPP) pour les nouvelles lignes à grande vitesse ? Au lieu de rémunérer Vinci pour la liaison Sud-Europe Atlantique, n'aurait-on pu autoriser RFF à emprunter ? L'objection se fonde sur le coût de la dette, mais l'Europe ne pourrait-elle prêter à 1 % pour ce genre de grands projets, comme elle l'a fait récemment à d'autres fins ?

J'en viens au report modal. J'ignore ce que vous avez constaté, mais sur le terrain, le fret ferroviaire a abandonné les wagons isolés, ce qui augmente la circulation sur les routes.

Enfin, allez-vous généraliser le versement transport au profit des départements et des régions ?

M. Thierry Mariani. - Le conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) est saisi du versement transport. Sa réflexion devrait aboutir pour la fin de l'année.

Sans PPP, il serait impossible de lancer à la fois les quatre projets Bretagne, Sud Europe Atlantique, Alsace et Rhin-Rhône. Sans ce choix délicat, il faudrait, comme autrefois, achever un chantier avant de lancer le suivant. Les régions qui se sentent déjà délaissées devraient attendre quinze ans de plus.

Mme Michèle André. -  C'est notre cas !

Mme Marie-France Beaufils. - Avec de lourdes conséquences pour le prix des billets.

M. Thierry Mariani. - Non. Avec RFF, le concessionnaire prend à sa charge plus de 50 % de l'investissement nécessaire à la liaison Tours-Bordeaux. Ce chantier coûtera 7,8 milliards d'euros. Vous dénoncez régulièrement, d'ailleurs à juste titre, l'endettement excessif de RFF. Or, les quatre projets coûteront 17 à 18 milliards d'euros.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Passant dans le train deux nuits par semaine depuis que j'ai été élu député à l'âge de vingt-sept ans, je totalise quelque 3 000 nuitées aujourd'hui comme utilisateur régulier de la SNCF.

La culture de cette grande entreprise consiste encore à traiter les passagers comme des administrés, non comme des clients. Ainsi, nous avons appris le 12 décembre que le train mettrait une heure de plus pour relier Briançon à Paris la nuit, car la rame s'arrêterait en gare de Valence pour y fusionner avec celles provenant de Nice. Il s'agit sans doute de réaliser des économies, mais l'information n'a pas été délivrée spontanément. La semaine dernière, une heure supplémentaire est encore venue s'ajouter au trajet, en raison de travaux nocturnes effectués sur la voie. Je ne conteste pas leur utilité, mais nous avons été une fois de plus mis devant le fait accompli. Au total, 8 heures 45 minutes suffisaient en 2010 pour effectuer ce trajet de nuit ; il en faut onze aujourd'hui ! Je ne demande pas d'information individuelle, même au profit des clients réguliers, fussent-ils parlementaires, mais la presse locale existe !

La situation n'est pas meilleure sur le front des réservations : l'incertitude existe parfois presque jusqu'au dernier moment pour savoir si la liaison en principe quotidienne sera effectivement assurée. Imaginez les conséquences pour un département dont l'économie dépend à 80 % du tourisme ! Tous les opérateurs touristiques des Hautes-Alpes sont furieux, bien que 94 % des clients arrivent par la route. Nous somment las du jeu de mistigri auquel se livrent la SNCF, RFF et les entreprises privées qui interviennent sur les voies. J'ai appris hier que, sur dix voyages, huit étaient certains. Pour les deux autres, l'information sera diffusée sur les téléphones portables !

Si l'on voulait tuer cette ligne, on ne s'y prendrait pas autrement. J'imagine déjà la SNCF nous expliquant bientôt que le faible taux de fréquentation ne peut justifier la desserte.

Il y a quelques années, dix-sept trains supplémentaires étaient ajoutés en février ; aujourd'hui, il n'y en a qu'un. Et les couchettes ne sont pas toujours assurées la nuit, alors qu'il n'y a plus de wagons-lits. Sans autoroutes et avec des trains en-dessous de tout, nous sommes au XIXe siècle ! Partant de Paris, il faut 2 heures et 13 minutes pour parcourir 660 kilomètres et rallier Valence, mais pour parcourir les 160 kilomètres permettant d'atteindre Gap, il faut encore 2 heures 30 de trajet. Il est vrai que l'Auvergne n'est guère mieux lotie...

Vous avez évoqué les trains d'aménagement du territoire ; c'est plutôt du déménagement du territoire, même en investissant 200 millions d'euros !

Le PDG de la Poste invite régulièrement des parlementaires pour expliquer sa politique, mais SNCF ne fait aucune communication. Malgré les assurances reçues, je constate une détérioration.

M. Thierry Mariani. - Je vous propose d'organiser en juin une rencontre au ministère avec M. Pépy, pour ne plus entendre parler de la ligne Paris-Briançon !

Mme Fabienne Keller, secrétaire. - Quid du Strasbourg-Port-Bou ?

M. Thierry Mariani. - C'est un autre problème.

Monsieur Bernard-Reymond, je suis déjà intervenu en décembre pour l'heure supplémentaire. J'apprends qu'il en faut encore une de plus. Cela fait beaucoup !

M. Pierre Bernard-Reymond. - Celle-ci est sans doute temporaire, puisqu'elle s'explique par des travaux, mais il a fallu chercher l'information.

Mme Fabienne Keller, secrétaire. - Défendrez-vous la liaison Strasbourg-Bruxelles, qui devra relier les deux capitales européennes ?

Je suis également frappée par le fractionnement du système ferroviaire entre lignes d'aménagement du territoire, TER et TGV : nous disposons de plusieurs réseaux, sans intelligence globale. Ainsi, la LGV Sud Europe Atlantique réalisée en PPP fera gagner une heure sur la liaison Paris-Bordeaux, mais le coût accru des sillons empêchera d'accroître le nombre de passagers. Pourtant, on investit l'argent public par milliards précisément pour qu'il y ait plus de voyageurs.

Le temps est venu de réintégrer l'intelligence collective dans le système.

M. Thierry Mariani. - La liaison Strasbourg-Bruxelles passe largement par la Belgique. J'y suis très attaché ; mon homologue belge ne l'est peut-être pas tout à fait autant.

Quant à l'intelligence collective, je me pose la même question que vous. Avec Mme Kosciusko-Morizet, nous lançons les assises du ferroviaire justement pour donner plus de liant à l'ensemble. La séparation stricte qui devra s'imposer à RFF et à la SNCF n'interdit pas leur coopération. J'ai mis le holà au jeu de renvoi de responsabilités entre les deux opérateurs, mais j'observe que celui qui est le mieux traité par la presse n'a pas nécessairement le moins de torts.

Le rapport Grignon sur le TER suggère de bonnes pistes.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je m'interroge sur la séparation entre RFF et SNCF. Quelle est votre position ?

M. Thierry Mariani. - Les directives européennes sont explicites.

À terme, qui peut imaginer un monopole éternel ? La séparation est une condition sine qua non de l'ouverture à la concurrence.

Mme Marie-France Beaufils. - En Allemagne, la séparation n'est pas caractérisée.

M. Thierry Mariani. - En effet. C'est d'ailleurs un sujet récurrent lors des rencontres entre mon homologue allemand, Peter Ramsauer, et les autres ministres européens des transports. Lorsque je l'ai rencontré mardi à Leipzig, il m'a dit qu'une entreprise française avait été retenue pour assurer la liaison entre Salzbourg et Munich, puis il m'a demandé quand la concurrence serait effective en France. Quand je fais aimablement observer avec diplomatie que la séparation en Allemagne n'est peut-être pas totalement conforme aux directives, M. Ramsauer se demande si la concurrence en France ne laisse pas à désirer.

Veolia est un opérateur de transport ferroviaire collectif en Allemagne. Toutes les entreprises, y compris Deutsche Bahn, sont gagnantes.

Mme Fabienne Keller, secrétaire. - Il nous reste à remercier M. le ministre pour ces réponses compactes et précises.

Mercredi 1er juin 2011

- Présidence de M. Jean Arthuis, président -

Situation économique et financière de la République tchèque, du Royaume-Uni et de la République d'Irlande - Communication

Au cours d'une première réunion tenue le matin, la commission entend tout d'abord une communication de M. Philippe Marini, rapporteur général, sur la situation économique et financière de la République tchèque, du Royaume-Uni et de la République d'Irlande.

M. Jean Arthuis, président. - Mes chers collègues, le bureau de la commission vient de rencontrer une délégation de la commission des finances du Bundestag. Nos échanges ont été très fructueux, et nous avons convenu de nous retrouver régulièrement pour discuter de sujets qui nous sont communs, tels que la gouvernance européenne, les enjeux de la dette souveraine ou la restructuration ou pas des dettes grecques, irlandaises et portugaises.

Dans le prolongement de ce rendez-vous, le premier point de l'ordre du jour de ce matin est relatif à la communication du rapporteur général sur la situation économique et financière de la République tchèque, du Royaume-Uni et de la République d'Irlande.

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Mes chers collègues, je débuterai ma présentation par une série d'informations globales sur les finances publiques de nos partenaires européens. Ces données confirment la sortie de crise et le fort potentiel de la croissance allemande, ainsi qu'un phénomène de reprise plus lent au Royaume-Uni qu'en France. De plus, je dirai que le débat sur le réalisme des prévisions de croissance concerne nos deux pays. Les chiffres que je vous présente démontrent également la question de l'ampleur des réductions de déficit public que nous devons réaliser, et notamment la profondeur du « creux » irlandais. De ce point de vue, je sous-estimais la gravité de la situation irlandaise avant de me rendre dans ce pays.

Les graphiques indiquent également que, malgré une récession deux fois plus forte en Allemagne qu'en France, le déficit public de celle-ci n'a jamais dérapé au-delà de 3,3 % du PIB. Les finances publiques allemandes sont indéniablement plus robustes que celles de notre pays.

En outre, contrairement à ce que l'on entend ici ou là, l'Italie s'impose une réelle discipline sur la trajectoire de ses finances publiques, et ce depuis le milieu des années 2000. Elle y est en effet contrainte par une forte pression des marchés.

L'ensemble de ces chiffres m'amène à poser la question suivante, à laquelle il est aujourd'hui difficile de répondre : quel peut être l'effet macroéconomique sur l'économie réelle de la réduction simultanée de l'ensemble de ces dettes publiques ?

Je terminerai cette présentation liminaire en abordant l'enjeu essentiel, à savoir la soutenabilité de la dette. La France et l'Allemagne ont des courbes d'endettement proches, même si on ne peut exclure un risque de décrochage de la France. Les pays d'Europe centrale et orientale se maintiennent à un niveau de dette inférieur à 60 % du PIB. Enfin, la Grande-Bretagne et l'Irlande dépassent nettement le plafond de 60 %, alors qu'elles maîtrisaient leur dette publique avant la crise. Ainsi, le Royaume-Uni a rejoint le niveau d'endettement public de la France et de l'Allemagne, tandis qu'en deux ans, l'Irlande a rejoint celui de l'Italie.

De même, le graphique relatif à la balance des paiements souligne le lien existant entre le solde extérieur d'un pays et la soutenabilité de ses finances publiques. On constate la dégradation de la situation irlandaise depuis 2004, et le fait que la Grèce et le Portugal sont entrés dans l'euro avec des situations de balance extérieure déjà dégradée. Le solde extérieur de l'Espagne a quant a lui plongé - coïncidence ou non ? - avec la création de l'euro. A l'inverse, la Belgique n'a connu un déficit courant qu'en 2008. De fait, ce pays n'est pas encore menacé par la sanction des marchés. Pourtant, il s'agit à ce jour du seul État membre qui n'est pas en mesure de faire voter par le Parlement son programme de stabilité et de croissance.

J'en viens maintenant à quelques observations sur la République tchèque. De façon générale, ce pays se caractérise par la prudence de son engagement politique européen, en raison notamment de la personnalité du Président de la république, Vaclav Klaus. Depuis juillet 2010, le Gouvernement rassemble une coalition sous le leadership du parti de l'ODS, qui s'est allié avec deux autres partis, dont l'un est pro-européen et a fait campagne sur le thème du redressement des comptes publics. La République tchèque a pris l'engagement d'adhérer à la zone euro dès 2004. Cependant, aucune date précise n'a été fixée pour le moment. Ce pays entretient une relation ambivalente avec la Slovaquie, partenaire aux positions européennes souvent individualistes.

Sur certains sujets, la République tchèque est un allié pour la France. A cet égard, il me semble qu'il ne faut pas négliger l'importance des relations bilatérales dans la mécanique européenne, notamment pour construire des majorités au sein de l'Union. Antifédéraliste, la République tchèque privilégie l' « intergouvernementalisme » et se méfie de tout renforcement des pouvoirs de la Commission européenne. De plus, elle est favorable à l'énergie nucléaire, position qu'elle a confirmée après la catastrophe de Fukushima, et qui se traduit par des relations étroites avec la France dans ce domaine. Les Tchèques sont heureux de se distinguer de l'Allemagne sur certaines positions stratégiques. C'est un moyen pour eux de s'individualiser par rapport à leur grand voisin.

Cependant, des sujets de désaccord existent également entre la France et la République tchèque. C'est le cas notamment sur la question de l'effort demandé à l'Irlande en matière d'impôt sur les sociétés.

La République tchèque s'est profondément transformée, à un rythme soutenu, depuis le milieu des années 1990. Il s'agit aujourd'hui d'un pays ouvert et exportateur, notamment en direction de l'Union européenne. Sa santé économique est très dépendante de l'Allemagne. Son niveau de vie moyen a rejoint celui de l'Europe de l'ouest, même si de fortes disparités demeurent entre la capitale et la province. Le PIB par habitant atteint 82 % de la moyenne de l'Union européenne. Sur ce même critère, la région de Prague dépasse l'Ile-de-France. Elle est la cinquième région européenne derrière le Grand Londres, Luxembourg, Bruxelles, et Hambourg.

Malgré tout, les salaires restent 3,7 fois inférieurs à ceux de la France, même si l'écart s'est réduit, puisqu'il était encore de 1 à 7,5 en 1997. J'en déduis que la République tchèque se verra vite confrontée aux même problèmes de compétitivité que nous, et qu'elle ne restera pas une terre d'accueil pour les délocalisations.

Je voudrais maintenant insister sur la bonne santé du système bancaire tchèque, caractérisé par son excès de liquidité, ce qui doit être souligné ! Les prêts représentent 70 % des dépôts. La plupart des banques appartiennent à l'étranger, mais elles agissent avec prudence. En revanche, les investissements marquent le pas et le pays est menacé par le risque récurrent de poussées inflationnistes. La Slovaquie est beaucoup plus aventureuse que la République tchèque et parvient à attirer plus d'investissements.

J'en viens à la stratégie fiscale du nouveau gouvernement tchèque, dont l'objectif est de stabiliser les charges pesant sur le travail, en majorant les impôts indirects. En mai 2011, le Parlement a ainsi voté la mise en place d'un taux unique de TVA à 17,5 % à compter de 2013. Aujourd'hui, il existe un taux réduit à 10 % et un taux normal à 20 %. Le taux réduit passera à 14 % en 2012. De plus, une réforme de la fiscalité des personnes est en cours de réflexion, qui serait fondée sur une harmonisation de l'assiette de l'impôt sur le revenu et de l'assiette des prélèvements sociaux. Enfin, le gouvernement tchèque entend supprimer les niches fiscales qui mitent l'impôt sur le revenu, en conservant seulement quelques dépenses fiscales correspondant à des politiques d'intérêt général (recherche, dépendance, politique familiale, dons aux oeuvres).

Pour conclure ma présentation sur la République tchèque, j'indique rapidement qu'elle a su trouver en matière de quotas de CO2 un dispositif, qui me semble à la limite de la conformité avec le droit communautaire, pour rendre une fraction des quotas payants dès 2011.

En ce qui concerne le Royaume-Uni, je voudrais tout d'abord souligner que ce pays s'est livré à quelques gestes européens. Tout d'abord, un programme de convergence budgétaire a été lancé. En effet, même sans être lié par les obligations du pacte de stabilité, Londres subit les mêmes menaces sur sa dette souveraine que les membres de la zone euro. En outre, le pays participe au dispositif de soutien à l'Irlande, ce qui s'explique notamment par les liens économiques entre les deux pays.

Le nouveau gouvernement issu de l'alternance politique s'est également lancé dans la rénovation de l'architecture de la supervision financière, qui passe par l'abandon du modèle britannique de l'autorité unique (FSA) et par la création de trois nouvelles structures : un régulateur macro-prudentiel, un régulateur micro-prudentiel, sous l'autorité de la banque d'Angleterre, et une autorité de protection des consommateurs. Le pays s'est aussi rallié à la création de l'autorité européenne des marchés financiers (AEMF), dont le siège est à Paris. Malgré tout, les Britanniques restent fidèles à leurs spécificités nationales dans un certain nombre de domaines, à commencer par la politique monétaire. Il existe en effet une forte divergence entre la politique monétaire de la banque d'Angleterre et celle pratiquée par la Banque centrale européenne (BCE). Malgré le niveau de l'inflation, le débat sur la hausse des taux n'est pas encore tranché Outre-manche. Il existe une vraie vie collégiale au sein du comité de politique monétaire britannique, caractérisé par sa grande culture de la transparence.

Enfin, Londres ne s'est pas associée au pacte euro + et à une politique de concurrence fiscale. Au contraire, dans le cadre du budget 2011-2012, le gouvernement britannique s'est lancé dans une politique de concurrence fiscale, à travers la réduction progressive de 27 % à 23 % du taux nominal de l'impôt sur les sociétés et l'instauration de mesures en faveur des entreprises, notamment dans le domaine du capital-investissement. Enfin, le Royaume-Uni a récemment relevé son taux de TVA de 17,5 % à 20 %. De ce point de vue, il me semble que l'on peut parler de convergence à la hausse des taux de TVA en Europe.

S'agissant de l'Irlande, je voudrais tout d'abord rappeler l'origine de la crise. On ne peut pas comparer ce pays au cas de la Grèce, car l'Irlande était un pays très vertueux sur le plan budgétaire, mais elle a laissé se développer une bulle immobilière au coeur de son système financier. C'est le système du crédit à taux variable alloué à des débiteurs sans véritable appréciation des capacités réelles de remboursement, qui, avec l'effet de levier du crédit hypothécaire, a été dévastateur, d'autant plus que les banques irlandaises, contrairement à la République tchèque, étaient toutes sous contrôle irlandais. Ce pays ne compte que 4,4 millions d'habitants. Il a été victime d'un aveuglement collectif, d'une faillite de la régulation financière, voire de l'endogamie d'un petit système et de la fascination du modèle américain. La pratique des subprimes à l'échelle irlandaise a ainsi eu des effets beaucoup plus dévastateurs et dramatiques qu'à l'échelle du territoire américain. Enfin, la politique budgétaire procyclique du pays n'a rien arrangé.

Aujourd'hui, le système bancaire est sous perfusion et l'Etat est insolvable. Les problèmes de liquidité étaient apparus dès 2008. La décision du gouvernement irlandais de l'époque de garantir la totalité du système bancaire a transformé les dettes privées en dettes publiques. On estime que le total des recapitalisations effectuées à ce titre pourrait atteindre 100 milliards d'euros. Le déficit public s'élève à 32 % du PIB en 2010, et la dette devrait dépasser les 120 % du PIB en 2012.

Le retour en arrière a ainsi été très brutal, tant en termes de PIB nominal que réel. De plus, le marché du travail irlandais s'est avéré très volatil, puisque le pays comptait en 1990 le deuxième plus fort taux de chômage en Europe, puis le deuxième taux le plus faible dans les années 2000. Aujourd'hui, son taux de chômage est à nouveau parmi les plus élevés de la zone euro.

Les Irlandais considèrent que le fait de bénéficier d'un programme d'assistance mené par l'Union européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international (FMI) est normal, et que les conditions ne leur sont pas favorables. En outre, l'image du FMI est meilleure aujourd'hui en Irlande que celle des institutions européennes perçues comme responsables de l'austérité actuelle.

Le pays est donc engagé dans un plan d'ajustement budgétaire très sévère, dont le premier objectif est le retour à l'équilibre primaire pour rendre la dette soutenable. Il reste deux inconnues : le taux de croissance et la date de retour de l'Irlande sur le marché, ce qui pose aussi la question du besoin potentiel de financements additionnels du Fonds européen de stabilité financière (FESF) et des autres créanciers. L'ajustement budgétaire engagé repose aux deux tiers sur les dépenses, tandis qu'est également initiée la reconstruction du système fiscal, lequel était avant la crise beaucoup trop dépendant du secteur immobilier. De fait, plusieurs mesures ont été prises ou sont envisagées : l'augmentation du taux normal de TVA, de 21 % à 23 %, la création d'un deuxième taux réduit en faveur du tourisme, à 9 %, un élargissement de l'assiette de l'imposition des revenus, à travers la création d'une sorte de CSG progressive, d'une taxe foncière et d'une taxe sur l'eau.

En revanche, l'impôt sur les sociétés reste le tabou irlandais. Le taux de cet impôt y est en effet considéré comme un élément de compétitivité, au même titre que le coût du travail dans d'autres Etat, dont l'économie est désormais « structurellement dépendante ». Pour mémoire, ce taux était passé de 32 % à 12,5 % entre 1998 et 2003. Il se caractérise par une assiette non « mitée », avec un taux réel proche du taux nominal. Il existe aussi un taux majoré de 25 % applicable aux bénéfices « passifs », mais le produit de ce dernier taux ne représente que 10 % du total. L'Irlande s'est également résolue à instaurer en 2010 une législation sur les prix de transfert au sein d'un groupe.

Au total, ce pays est devenu fortement dépendant des multinationales qui s'en servent de « base » en Europe, ce qui crée un écart important entre le PIB, c'est-à-dire la production dans un pays donné, et le revenu national brut, qui mesure les entrées et les sorties de revenus dans un pays. Les sorties de bénéfices excèdent largement les entrées, alors qu'en France et en Allemagne, les deux s'équilibrent.

Le modèle économique irlandais pose donc de réels problèmes. Certes, la présence de nombreuses multinationales non affectées par la crise, tels les grands groupes pharmaceutiques, offre de meilleures perspectives de reprise, mais dans quelle proportion en profite réellement l'économie irlandaise ?

La crise a créé un désenchantement européen en Irlande. Le gouvernement issu des dernières élections a dû aligner ses positions sur celles de son prédécesseur. Je souligne au passage l'attitude ambivalente des représentants du FMI dans cette affaire, qui considèrent que le relèvement du taux de l'impôt sur les sociétés ne serait pas cohérent avec les objectifs du plan de redressement, en oubliant de rappeler que, si la zone euro ne converge pas sur le plan fiscal, elle implosera et la solidarité européenne ne pourra donc plus bénéficier à l'Irlande.

Au total, nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation très confuse et contradictoire de la relation entre l'Union européenne et l'Irlande.

En conclusion, on peut s'interroger sur les leçons que l'on peut en tirer pour la zone euro. Je crois qu'il faut mettre l'accent sur les questions fondamentales suivantes : pourra-t-on tenir jusqu'en 2013 sans défaut d'un Etat souverain, et combien de temps la zone euro peut-elle s'accommoder d'Etats qui ne se financent pas sur les marchés ? A l'inverse, quelles seraient les conséquences sur le système financier d'un défaut avant 2013 ? Comment faire pour disposer de scénarii clairs et chiffrés ?

M. Jean Arthuis, président. - A défaut d'être rassurante, votre présentation est éclairante. Elle nous incite à adopter une vision plus globale des dettes souveraines détenues par les banques des différents pays, afin de mieux apprécier le risque systémique, et à nous interroger sur la soutenabilité des plans qui excluent toute restructuration de la dette. Il ne faut pas se leurrer. Nous sommes à un moment crucial pour l'Europe, et il ne faut pas se cacher que l'euro pourrait imploser avec des conséquences très graves. Il serait intéressant de pouvoir explorer les différentes hypothèses résultant d'une implosion de l'euro. La voie la plus prometteuse est sans doute celle qui consiste à renforcer la gouvernance européenne. Votre communication complète la vision européenne, que nous avions commencé à nous forger en nous rendant aux Pays-Bas, en Allemagne et en Belgique.

M. Michel Sergent. - Peut-on savoir à quel niveau sont engagées les banques françaises en Irlande ?

M. Pierre Bernard-Reymond. - Existe-t-il des études comparatives des crises immobilières qui ont secoué les Etats-Unis, l'Irlande et l'Espagne ?

En outre, la presse a annoncé ce matin que l'Allemagne semblait vouloir aider la Grèce et donc ne pas restructurer sa dette.

M. Philippe Marini, rapporteur général. - La question de M. Sergent recoupe les demandes que nous avons présentées au gouverneur de la Banque de France. Nous ne disposons pas encore de ces réponses en ce qui concerne le montant des créances sur les différents Etats en difficulté, groupe par groupe, pour chacun des six grands groupes bancaires français.

Il existe des similitudes entre les trois crises immobilières citées par Pierre Bernard-Reymond : le crédit à taux variable, le crédit hypothécaire, l'emballement des valeurs d'actifs, et l'absence de surveillance, sur ce point, de la part des banques centrales concernées. Il est tout à fait clair que notre système de financement de l'immobilier est beaucoup plus sain et solide que celui des pays anglo-saxons, repris par l'Espagne. Notre dispositif a su tirer les conséquences de la crise immobilière des années 1990. De fait, celle de 2008-2009 a été beaucoup moins pénalisante en France. Il n'y a pas eu de rupture financière importante cette fois-ci. Cependant, je relève l'emballement des ordres de grandeur à quinze ans d'écart, qui est un phénomène impressionnant, dû à l'amplification des marchés et à l'effet de levier notamment. Nous n'avons plus les mêmes unités.

Contrôle budgétaire des délégations de compétences dans le domaine du logement - Communication

La commission entend ensuite une communication de M. Philippe Dallier, rapporteur spécial, sur les délégations de compétences dans le domaine du logement (aides à la pierre et contingents préfectoraux).

M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. - Le rapport de contrôle que je vous présente fait suite à une « interpellation » de Gérard Miquel, lors de la présentation du rapport sur le projet de budget 2011 de la mission « Ville et logement ». Il s'était interrogé sur l'existence d'un bilan de la délégation des crédits d'aide à la pierre aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ou aux départements. La période est également propice puisque l'année 2011 marque l'entrée dans une phase de renouvellement des conventions de délégations dont les premières ont été signées en 2005 et qui ont une durée de six ans. J'évoquerai également le sujet beaucoup plus limité des délégations des contingents préfectoraux de réservation de logements sociaux, qui présentent des similitudes puisqu'il s'agit de la même modalité juridique et que leur création figurait dans le même texte législatif.

Un bref rappel du cadre d'exercice des délégations d'aides à la pierre est nécessaire. C'est une faculté ouverte à l'occasion de l'acte II de la décentralisation par la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 qui se distingue juridiquement du transfert de compétence, l'Etat restant garant du droit au logement. Toutefois la délégation avait été présentée à l'époque par le Gouvernement comme une étape sur la voie de la décentralisation.

La délégation couvre le financement global des aides à la pierre en direction du parc de logement locatif social (LLS) et du parc privé, à travers les subventions de l'agence nationale de l'habitat (ANAH). Les bénéficiaires sont les EPCI dotés d'un programme local de l'habitat (PLH) et départements qui n'interviennent que sur les territoires non couverts par des EPCI délégataires. La durée des conventions est de six ans renouvelables, sans que ce renouvellement ait un caractère systématique.

Le premier volet du bilan des délégations est quantitatif. En 2011, il y a 108 délégataires, 27 départements et 81 EPCI. Cet effectif a connu une montée en puissance rapide surtout pour les départements. Mais on constate une stagnation du nombre des délégataires depuis 2008. En 2011, un département, les Côtes d'Armor, s'est retiré à la suite de la prise de délégation par une communauté d'agglomération. Ce tassement s'explique par le fait que le potentiel des délégataires est « saturé », tous ceux qui avaient un réel intérêt à se saisir de cette opportunité l'ayant déjà fait. Toutefois, la prise de délégations est assez hétérogène sur le territoire. On note en particulier que l'implication des départements est plus forte dans les régions de l'Ouest et de l'Est de la France et que la signature d'une convention de délégation est exceptionnelle en Ile de France.

La part des crédits délégués dans l'ensemble des aides à la pierre montre l'importance de la délégation. Elle est supérieure à la moitié depuis 2007 en ce qui concerne les crédits à destination du logement locatif social ; pour les subventions de l'ANAH, elle évolue entre 43 % et 50 %.

Le volet qualitatif du bilan des délégations est plus délicat à établir.

La délégation a eu un effet d'entrainement certain sur l'implication croissante des EPCI et des départements dans la politique du logement et de l'habitat depuis 2004. Cet engagement se vérifie par plusieurs paramètres : la création de services spécifiques au sein des collectivités, l'approfondissement des exercices de programmation et l'effort financier des collectivités venant en complément de celui de l'Etat. Pour les départements, l'effort budgétaire a été doublé entre 2004 et 2007 et atteignait en 2007, selon l'Association des départements de France, entre 1 et 1,3 milliard d'euros. Il en est de même pour les EPCI qui ont multiplié par 3,5 leur apport financier. Pour autant, les résultats obtenus en termes de construction de logements sont difficilement attribuables avec certitude aux vertus du mode de gestion en délégation.

Depuis 2007, le nombre de logements financés en territoire délégué est supérieur à celui des logements financés hors territoire de délégation et la production en territoire délégué atteint 49 % du total de la production de logements sur 2005-2010

De même depuis 2007, les sommes engagées par les territoires délégués sont supérieures à celles engagées hors territoires de délégation et représentent 54 % de l'ensemble des financements, soit 1,6 milliard sur 3,024 milliards d'euros sur la période 2005-2010.

Mais ces chiffres sont aussi dus au fait que les territoires les plus tendus sont en régime de délégation.

M. Jean Arthuis, président. - Comment déterminer si la délégation donne de meilleurs résultats ?

M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. - C'est bien là que réside la difficulté. L'examen plus fin des territoires délégués et des territoires gérés par l'Etat ne permet pas de dégager des conclusions générales si l'on compare les résultats obtenus au regard des objectifs de production de logements.

Les résultats sont contrastés à l'extrême entre les territoires de programmation, indépendamment de leur mode de gestion et la délégation n'est pas déterminante. Les écarts résultent plutôt des difficultés propres aux territoires et parfois du manque de réalisme des objectifs qui reflétaient les ambitions du plan de cohésion sociale.

En termes de performance purement qualitative de l'action publique, le bilan des délégations est mitigé. On note une complexité accrue des procédures dans le circuit administratif de programmation des aides à la pierre qui doit s'adapter à la coexistence de plusieurs types de territoires de programmation. Pour les subventions de l'ANAH, il m'a été indiqué que les temps moyens de traitement d'un dossier d'aide sont augmentés de trois jours supplémentaires pour le délégataire compte tenu des délais de transmission.

Plus fondamentalement, on peut déplorer, de la part de l'Etat, le refus de modifier ses pratiques, notamment pour la répartition régionale des crédits d'aides à la pierre. La détermination des enveloppes régionales n'a pas évolué par rapport à ce qu'elle était avant la délégation.

Quant au bilan en termes de dépenses de fonctionnement et de personnel, il n'a jamais été fait. Mais s'il est sûr que les délégataires ont recruté, l'Etat n'a pas forcément réduit d'autant ses effectifs. D'abord, parce que ses services assurent toujours l'instruction des dossiers de financement sur près de 80 % des territoires de délégation. Mais aussi parce que la délégation de compétence induit une activité supplémentaire liée au pilotage des conventions qui doit être assurée par les agents des services déconcentrés ou de l'ANAH, que l'instruction des dossiers ait été prise par le délégataire ou non.

Enfin, de la part des délégataires comme du côté de l'Etat, on note des lacunes importantes dans le suivi des résultats, la remontée d'information et l'appréciation de la performance qui reste une préoccupation mineure. Ce point a particulièrement été mis en valeur par un audit national de la Direction générale des finances publiques en 2010.

Depuis les années 2009-2010, après une phase d'engouement, on observe un désenchantement des collectivités territoriales à l'égard des délégations. Cela s'explique à la fois par un changement de contexte et par une évolution du modèle des conventions devenu moins attrayant pour les collectivités.

Les premières délégations d'aides à la pierre ont été mises en place dans le contexte favorable et sans doute déterminant du Plan de cohésion sociale (PCS) marqué par une très forte ambition de l'Etat en faveur du logement social. C'était aussi la période de la création ou du renforcement des instruments de la politique locale de l'habitat : programme local de l'habitat (PLH) et plan départemental de l'habitat (PDH). Ce contexte a changé ; il est marqué désormais par la restriction des aides à la pierre, que le plan de relance aura compensé momentanément. Ainsi, après le chiffre record de 131 509 logements sociaux financés au cours de l'exercice 2010, la nouvelle programmation pour 2011 est établie sur un total de 119 000 logements, en diminution dans toutes les régions sauf l'Ile de France et Provence-Alpes-Côte d'Azur. La baisse des crédits se double en outre d'un recentrage accentué sur les zones tendues qui ne sont pas nécessairement les territoires en délégation.

Ces nouvelles orientations concernent aussi l'ANAH qui avait connu des années fastes avec le PCS. Un nouveau régime d'aides est entré en vigueur le 1er janvier 2011. Il a été l'occasion de revoir les priorités en réduisant les aides vis-à-vis des propriétaires bailleurs au profit des propriétaires occupants modestes.

Les délégataires, notamment les départements, se trouvent placés dans une situation plus difficile et moins prévisible. Ils sont confrontés en premier lieu à des incertitudes budgétaires mais aussi à l'impact de la révision de la carte intercommunale et à la redistribution des délégations qui pourrait en résulter. L'intervention des départements n'étant que supplétive, l'émergence de communautés plus puissantes pourrait remettre en jeu les attributions de délégations entre le niveau départemental et celui de l'intercommunalité.

A ce contexte tendu s'ajoutent les conditions plus restrictives des conventions de délégation qui résultent à la fois des modalités de financement de l'ANAH et des nouvelles conventions types.

Le financement de l'ANAH étant désormais assuré sur les fonds d'Action logement, ex-1% patronal, et non plus sur crédits budgétaires, aucune fongibilité n'est plus autorisée entre les crédits LLS et les crédits pour le parc privé. C'est une contrainte supplémentaire qui retire de la souplesse puisqu'auparavant, les conventions autorisaient le basculement partiel des crédits entre les deux formes d'action.

Par ailleurs, faisant suite aux critiques formulées par plusieurs audits, la gestion budgétaire des délégations est devenue plus stricte. De nouvelles clauses ont été introduites pour mettre un terme à certaines dérives et lacunes. Ainsi, par exemple, les conventions dites de « première génération » ne comportaient aucune clause de réajustement budgétaire en cas d'insuffisance de réalisation d'un ou des objectifs fixés. Le représentant de l'Etat n'avait que la possibilité de résilier la convention, disposition qui n'a jamais été mise en oeuvre. Ce point a été très récemment corrigé et désormais le montant des droits à engagement alloués au délégataire pourra être révisé en cas de résultats insuffisants.

Il en est de même des avances de trésorerie dont pouvaient disposer les délégataires compte tenu des règles particulières de versement. L'échéancier de paiement sur quatre ans des crédits de paiement qui était intégré aux conventions obligeait les services de l'État à verser 77,5 % des crédits sur cette durée, quel que soit l'état de réalisation de la convention. De ce fait, certains délégataires avaient bénéficié d'avances de trésorerie qui atteignaient 238 millions d'euros à fin 2009.

Sur un plan plus anecdotique, les nouvelles conventions doivent intégrer une communication sur les autres aides de l'Etat (TVA à taux réduit, exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties et aides de circuit) et les obligations de remontée d'information ont été renforcées.

Tous ces éléments pèsent sur les relations entre l'Etat et les délégataires. Selon les informations qui m'ont été données quelques retraits du système de délégation sont envisagés principalement du côté des départements, même s'il faut rester prudent sur ces annonces.

Evidemment on peut s'interroger sur la capacité de l'Etat à reprendre la gestion de ces aides à la pierre dans l'ensemble des territoires où il les a déléguées.

M. Serge Dassault. - Qui peut profiter de ce système de délégation d'aides à la pierre ? Les communes en ont-elles le bénéfice ? Je voudrais également redire à quel point je trouve choquant que les communes qui apportent leur garantie aux emprunts contractés pour la construction de logements sociaux ne bénéficient pas, en retour, de réservations de logements dans les mêmes proportions.

M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. - Les seules collectivités qui peuvent demander la délégation des aides à la pierre sont les EPCI disposant d'un PLH et les départements. En ce qui concerne les garanties, il faut relativiser le risque encouru par les communes car il existe, en cas de défaillance d'un bailleur, la caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS). Enfin, sur les réservations, il y a aussi des contingents pour l'Etat - nous allons les évoquer - et ceux du 1% Logement.

M. Jean-Jacques Jégou. - De plus, la garantie apportée par la collectivité ne compte pas dans l'endettement de la commune.

M. Jean Arthuis, président. - Le système de garantie est en effet extravagant. Mais j'ai toujours eu sur ce point un « conflit » avec la CGLLS...

M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. - Revenons aux propositions qui pourraient être formulées pour améliorer la situation des délégations d'aides à la pierre. Il conviendrait en premier lieu que l'Etat se dote des instruments de connaissance qui permettent un vrai suivi des délégations et des comparaisons incontestables.

La deuxième piste consiste à offrir une palette de choix au délégataire. En examinant la situation du département du Lot et celle des Hauts-de-Seine, on voit bien à quel point l'application uniforme d'orientations nationales peut être inadaptée aux circonstances locales. Il faut introduire plus de souplesse dans la définition des objectifs et les modalités de mise en place des aides. Cela passe peut être par le découplage des conventions LLS et parc privé. Des collectivités peuvent être intéressées par un aspect seulement, notamment dans les zones les moins tendues. L'ANAH doit également faire preuve de plus de souplesse dans la définition de ses priorités et mieux prendre en compte des besoins des territoires. Il faut aussi ne plus imposer des changements d'orientation de manière brutale sans égard pour les actions engagées par les délégataires sur la base des priorités initiales.

Enfin, les délégataires ont besoin de visibilité budgétaire et l'Etat doit adapter les durées de conventionnement à sa propre capacité de programmation des crédits.

M. Jean Arthuis, président. - Il faudrait aussi songer à adapter les moyens en personnels.

M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. - Faut-il pour autant aller au-delà et reposer la question du passage de la délégation au transfert de compétence ? Il me semble qu'aujourd'hui ni l'Etat ni les collectivités n'y sont prêts. Et cela me semble inenvisageable compte tenu du contexte budgétaire. Mais il faut que l'Etat fasse des efforts pour redonner de l'attractivité aux délégations.

Dans le domaine du logement, l'Etat applique également le procédé de la délégation de compétence à la gestion des contingents préfectoraux de réservation de logements sociaux, dont je rappelle qu'il représente 30 % au plus des logements d'organismes d'HLM, dont 5 % au bénéfice des fonctionnaires.

Historiquement, la délégation a été proposée par certaines préfectures, à titre expérimental, à quelques collectivités en avance en termes de politique de l'habitat parmi lesquelles trois communes des Hauts-de-Seine et celles du syndicat mixte du Mantois dans les Yvelines.

Cette expérimentation a été « légalisée » par la loi du 13 août 2004, à l'initiative du Sénat et après un débat agité qui a abouti à un compromis. Alors que l'idée de départ était celle d'un transfert de compétence sans condition de l'Etat aux maires, le texte prévoit qu'il s'agit d'une délégation très encadrée par l'Etat dont le préfet reste juge de l'opportunité.

Force est de constater que l'Etat n'a pas favorisé cette faculté dont la mise en oeuvre reste très localisée à quatre-vingt-cinq communes, toutes en Ile-de-France, essentiellement dans les Hauts de Seine et le Val d'Oise, et à un seul EPCI, celui de Compiègne.

Pourtant ce type de délégation a obtenu d'excellents résultats. Son principal avantage a été de permettre la reconstitution des contingents mal connus grâce à un travail d'inventaire préalable.

Les collectivités délégataires sont également mieux impliquées et associées notamment grâce au bilan annuel contradictoire et à l'obligation de justifier des résultats des affectations de logements au regard de priorités clairement fixées dans la convention de délégation et ses avenants.

Enfin, ce système permet une bonne application du droit au logement opposable que j'ai pu constater dans le département des Hauts-de-Seine en particulier.

Le préfet intègre ses propres priorités dans les objectifs des conventions. Il peut également s'assurer du respect des priorités du Plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD).

Je pense donc qu'une généralisation de ce type de délégation aux communes qui le souhaiteraient serait tout à fait profitable.

M. Jean Arthuis, président. - Votre analyse donne quelques arguments aux collectivités pour ne pas aller vers la délégation des aides à la pierre. Quelle est l'opinion du Président du Conseil général du Lot ?

M. Gérard Miquel. - Je remercie Philippe Dallier d'avoir choisi d'illustrer son enquête avec l'exemple du Lot. Je signale en préambule que nous n'avons pas bénéficié d'avances de trésorerie mais que nous avons un stock de dossiers important. Le département n'aurait pas pris la délégation si la communauté d'agglomération de Cahors l'avait obtenue. Elle demandait 30% des crédits. Finalement, avec la délégation au département, elle en a consommé 80% ! Nous avons beaucoup de dossiers en instance, liés à des opérations programmées et il est toujours difficile, alors que des démarches ont été engagées auprès des habitants, d'opposer des refus faute de crédits. Pourtant nous avons passé des conventions avec la région qui contribue au financement. Ce qui me semble nécessaire c'est plus de souplesse dans les choix pour le niveau local et nous redoutons la tentation centralisatrice de l'Etat.

M. Jean Arthuis, président. - Allez-vous renouveler la convention ?

M. Gérard Miquel. - Nous espérons bien continuer.

M. Jean Arthuis, président. - La délégation a-t-elle entraîné la création d'emplois dans le Lot ?

M. Gérard Miquel. - Nous nous sommes appuyés sur les services existants. Mais nous sommes prêts à prendre l'instruction des dossiers si l'Etat nous accorde de la souplesse !

M. Jean-Pierre Fourcade. - Sur les contingents préfectoraux, les communes des Hauts-de-Seine peuvent, dans le cadre du droit au logement opposable, appliquer une priorité aux demandeurs qui habitent la commune ou y travaillent.

M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. - C'est bien encore une marque des différences de traitement des communes selon les préfectures d'Ile-de-France. La généralisation des délégations aux communes volontaires permettrait d'harmoniser les pratiques de l'Etat en retenant les plus performantes.

A l'issue de ce débat, la commission, à l'unanimité, donne acte de sa communication à M. Philippe Dallier, rapporteur spécial, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information

Règlement des comptes et rapport de gestion pour l'année 2010 - Audition de M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration

Puis la commission procède à l'audition de M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration (missions « Administration générale et territoriale de l'Etat », « Immigration, asile et intégration » et « Sécurité ») dans le cadre de la préparation de l'examen du projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l'année 2010.

M. Jean Arthuis, président. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation, à la veille de l'examen du projet de loi de règlement, qui revêt pour nous une importance particulière puisqu'il constitue le moment de vérité budgétaire. Pour préparer ce moment, nos rapporteurs spéciaux, qui ont travaillé tout au long de l'année, y compris sur pièces et sur place, pour évaluer les politiques publiques, entreprennent d'interroger les ministres. Je ne doute pas que vous vous livrerez au jeu de leurs questions, dès après votre exposé liminaire.

M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. - C'est avec plaisir que je retrouve bon nombre de personnalités avec lesquelles j'ai eu l'honneur de travailler ces récentes années. Je souhaiterais, tout d'abord, dresser le bilan des réformes conduites par ce ministère au long de l'année 2010, sous la houlette de M. Hortefeux, avant d'évoquer, sans préjuger de l'examen du texte financier à venir devant vous, deux réformes en cours pour l'année 2011, celle de la garde à vue, d'une part, et le projet de création d'un conseil national des activités privées de sécurité, d'autre part.

Parler de réformes, c'est avant tout parler de la révision générale des politiques publiques (RGPP). La charge de la dette représente chaque année 45 milliards d'euros soit deux fois le budget du ministère de l'intérieur, rémunérations comprises. Le financement de la dette, c'est un milliard d'euros à émettre chaque jour sur les marchés financiers.

Je salue la manière dont les agents de l'Etat s'investissent dans la RGPP. C'est grâce à eux que les changements sont acceptés. La RGPP exige une implication forte et des changements d'attitude radicaux : elle demande des efforts et pourtant, cela marche.

Cet ambitieux mouvement de modernisation, le ministère de l'intérieur en prend pleinement sa part. Avec soixante-sept réformes, il est, au sein du Gouvernement, le premier contributeur à la RGPP.

Notre premier objectif va à renforcer les capacités opérationnelles et la présence sur le terrain des forces de sécurité en les recentrant sur leur coeur de métier. Pour 2010, je pense plus particulièrement aux discussions fructueuses engagées avec le ministère de la justice : la sécurité du ministère de la justice, la protection des magistrats et la gestion des scellés sont désormais pris en charge par la chancellerie. Je pense également au transfert de la gestion des centres de rétention administrative à la police aux frontières, qui a permis d'économiser l'équivalent de huit escadrons de gendarmerie mobile. Lorsque l'on sait que pour une tâche donnée, là où il faut un fonctionnaire de police, c'est 1,7 CRS ou gendarme mobile qui doit être mobilisé, on mesure l'économie réalisée. Citons encore la fermeture de quelques écoles de police pour tenir compte des évolutions démographique du corps.

Deuxième objectif : nous modernisons et améliorons le service rendu aux usagers. La modernisation des titres, tout d'abord, vise à rendre leur délivrance plus sûre et plus efficace. Lancé en 2009, ce chantier a trouvé, en 2010, son régime de croisière et vu venir les résultats en termes de qualité et de délais. Le passeport biométrique, ensuite, dont plus de 5 millions ont été délivrés depuis l'entrée en vigueur du dispositif, en juin 2009, tandis que 2 075 communes étaient équipées de stations d'enregistrement et le délai moyen de délivrance ramené à sept jours. Le nouveau système d'immatriculation à vie des véhicules (SIV), ensuite, progressivement entré en service en 2009, a donné lieu à l'immatriculation de près de 20 millions de véhicules : plus d'une carte grise sur deux est désormais délivrée sans déplacement en préfecture, le délai d'envoi à domicile étant réduit à trois jours. Preuve que l'on peut conjuguer amélioration du service public et recherche d'économie.

Dans le même souci d'efficacité, le déploiement de l'application ACTES dans l'ensemble des préfectures a permis de tester l'envoi de courrier sous forme dématérialisée. Les résultats obtenus ont largement dépassé les objectifs initialement assignés : fin 2010, 15 % des actes étaient télétransmis, et 19 % des collectivités territoriales étaient raccordées à l'application, qui, en même temps qu'elle leur permet de gagner du temps, facilite la transmission des actes engageant un contrôle de légalité.

De même, le déploiement du dispositif PARAFES, favorisant le passage rapide des contrôles transfrontières, contribue à la qualité de l'accueil dans les aéroports français. En 2010, 19 sas ont été installés à Roissy et Orly, permettant à plus de 80 % des voyageurs préparés de passer les contrôles aux frontières en moins de quinze minutes.

Notre troisième objectif va à rationaliser notre organisation. Celle des services de sécurité, tout d'abord. Premier exemple, l'adaptation des zones de compétence territoriale de la police et de la gendarmerie aux réalités du terrain et le déploiement de polices d'agglomération - celle de l'agglomération parisienne, entrée en fonctionnement fin 2009, produit ses premiers effets opérationnels en 2010, année qui a également vu s'engager la concertation avec les élus des agglomérations de Lille, Lyon et Marseille afin d'étendre ce dispositif. Autre exemple, la recherche de complémentarités opérationnelles et logistiques entre la police et la gendarmerie nationales. Citons la création, en juin 2010, de l'unité de coordination de la sécurité routière, de l'unité de coordination de la sécurité dans les transports en commun et de l'unité de coordination des forces d'intervention, Raid et GIGN, notamment via le rapprochement des réseaux de soutien automobile qui servent les deux directions.

J'en viens, pour répondre aux préoccupations qui sont les vôtres, aux données financières. Le ministère de l'intérieur a exécuté le budget 2010 à hauteur de 24 milliards d'euros, en augmentation de 2 % par rapport à 2009, principalement sous l'effet, comme cela est le cas dans l'ensemble de la fonction publique, du dynamisme de la masse salariale, dont le taux de consommation des crédits a atteint 99,79 %, tandis que celui des crédits de fonctionnement et d'investissement, passait à 96,48 %.

Globalement, l'écart de consommation entre les crédits ouverts et les dépenses réelles, de 370 millions en 2009, s'est réduit à 330 millions en 2010, ce qui traduit une meilleure budgétisation initiale et un meilleur pilotage de l'exécution budgétaire en cours d'année.

Le ministère de l'intérieur a contribué à la réduction de l'emploi public, avec 2 410 suppressions d'emplois en 2010, tout en maintenant un bon niveau de performance opérationnelle dans la lutte contre la délinquance et les délais de délivrance des titres.

Ce rapide panorama révèle bien les deux éléments stratégiques de ce budget triennal 2009-2011 : retour à l'équilibre des finances publiques et efficacité de l'action de l'Etat.

J'en viens aux deux dossiers qui seront bientôt soumis à votre examen. La réforme de la garde à vue, tout d'abord, qui entrant pleinement en vigueur aujourd'hui même, doit modifier la façon de travailler des policiers et des gendarmes.

L'assistance de l'avocat avait été anticipée dès le 15 avril. Les craintes initiales ont été surmontées, même s'il conviendra de rester attentif, afin que la garde à vue participe bien à la manifestation de la vérité. S'il convenait de prendre acte des décisions de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel, et des dispositions de la loi renforçant les droits des victimes, il ne faut pas non plus oublier que la garde à vue constitue un moment de l'enquête judiciaire, dont l'objet est de rechercher le coupable, donc de protéger la victime : tel est l'équilibre auquel il nous reviendra de veiller.

La proportion de personnes gardées à vue qui sollicitent l'assistance d'un avocat est d'une sur trois environ, en légère progression depuis le 15 avril, étant entendu que c'est pour les affaires les plus graves, traitées par les services spécialisées de police judiciaire, qu'il est le plus élevé. Les avocats restent en moyenne entre deux et quatre heures dans les locaux d'enquête.

Pour faciliter les entretiens, nous avons réalisé les travaux les plus urgents dès la mi-avril, pour une dépense de 1,9 million d'euros mais il est clair qu'il faudra encore améliorer les 3 000 lieux de garde à vue.

J'ai signé ce matin même l'arrêté concernant la restriction de la pratique des fouilles à corps. Afin de maintenir un bon niveau de sécurité, j'ai demandé que des détecteurs de métaux soient installés chaque fois que nécessaire, ce qui évitera des fouilles.

Etant entendu qu'elle fait désormais une règle de la présentation de la personne gardée à vue au magistrat avant toute décision de prolongation, la loi autorise, pour faciliter cette procédure, l'usage de la visioconférence. J'ai donc demandé l'équipement de nouveaux sites, notamment les plus éloignés des palais de justice, ce qui présentera de surcroît l'avantage d'éviter des déplacements onéreux. J'ai également demandé aux services de police et de gendarmerie de prévoir la distribution de kits d'hygiène à chacun des gardés à vue.

La mise en oeuvre matérielle de ces trois évolutions fait l'objet d'une demande d'ouverture de crédits de 15 millions d'euros dans le projet de loi de finances rectificative.

Le Sénat aura aussi à se pencher bientôt sur la mise en oeuvre financière de la création du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS). Le Gouvernement souhaite mieux encadrer le secteur de la sécurité privée et aider à sa professionnalisation, en créant ce Conseil, chargé de trois missions principales : une mission de police administrative en vertu de laquelle il délivrera, suspendra et retirera les titres, agréments, autorisations et cartes professionnelles ; une mission disciplinaire, qui lui donnera faculté de prononcer des sanctions en cas de manquement aux lois, règlements et obligations professionnelles ; une mission de conseil et d'assistance à la profession, enfin. Cette création a été inscrite dans la LOPPSI 2 du 14 mars 2011. Administré par un collège, le Conseil emploiera 200 agents et disposera d'un budget de 16,8 millions d'euros. A cet effet, le projet de loi de finances rectificative prévoit la création d'un mécanisme fiscal en deux volets : une taxe sur les entreprises de sécurité, à laquelle seraient assujetties les personnes physiques et morales exerçant une activité privée de sécurité, fixée à 0,5 % de leur chiffre d'affaires, et obéissant au même mode de fonctionnement que la TVA ; une taxe sur la masse salariale des services internes de sécurité, dont s'acquitteraient les entreprises disposant d'un service interne de sécurité, égale à 0,7% de la masse salariale des personnels du service. La différence de taux est calculée pour rester neutre sur les choix d'organisation. Cette taxe, recouvrée par les services fiscaux, figurera sur la facture de l'entreprise de sécurité, ce qui lui permet de faire supporter cette charge par son client, sur le modèle de la TVA.

Les organisations professionnelles de la sécurité privée se sont montrées favorables à ce dispositif fiscal.

M. Jean Arthuis, président. - Je vous remercie d'avoir souligné la volonté de réforme de votre ministère, pour une meilleure performance publique à moindre coût. Nous ferons un effort de bienveillance en faveur de cette nouvelle taxe affectée, étant entendu que sa création n'est guère conforme à l'esprit de la Lolf...

Mme Michèle André, rapporteure spéciale de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». - J'ai trois questions à vous poser. La première porte sur la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, qui a conduit, dans la loi de finances pour 2010, à prévoir une réduction des effectifs de la mission dont j'ai, comme rapporteure spéciale, la charge, de 736 équivalents temps pleins travaillés - 73 pour les missions relatives aux titres d'identité, 140 pour le SIV, 156 pour le contrôle de légalité et 367 pour les fonctions support. Cet objectif a-t-il été atteint ? Les préfectures, m'ont dit nombre de mes interlocuteurs à tous les niveaux de la hiérarchie préfectorale, considèrent ne plus disposer d'aucune marge de manoeuvre pour assurer le service public : elles sont réduites « à l'os » !

M. Claude Guéant. - Oui, l'objectif a été atteint. Cela représente, pour les préfectures, un important effort, car la diminution des moyens s'accompagne d'une profonde réorganisation, la réduction du nombre de directions départementales exigeant une redistribution des tâches qui a un impact sur la vie professionnelle de chacun. Je salue l'engagement des personnels pour y parvenir. Je ne dirai pas cependant que les préfectures en sont « à l'os », car des marges de manoeuvre sont à attendre. Le déploiement en cours de certaines applications destinées à la distribution des titres marquera notamment une nouvelle étape dans l'automatisation des tâches en même temps qu'il améliorera la qualité du service rendu. Il y a donc bien de nouvelles perspectives de progrès.

Mme Michèle André, rapporteure spéciale. - Les suppressions de poste anticipaient sur l'automatisation, je doute qu'il faille en attendre beaucoup de marge, ainsi que le concluait la mission de contrôle que j'ai conduite l'an passé...

Ma deuxième question concerne la difficile entrée en vigueur du SIV. Pouvez-vous nous donner une idée de la répartition entre délivrance par les garages et par les préfectures ? Quelles sont, enfin, les évolutions dans la façon de travailler des garages ?

M. Claude Guéant. - Cette réforme conjugue économie de moyens pour l'État et amélioration du service rendu, puisque c'est le professionnel, vendeur du véhicule, qui fait le nécessaire pour la carte grise. Je confirme qu'elle concerne une carte grise sur deux, soit 20 millions de véhicules sur un parc de 40 millions à immatriculer ; les 29 000 professionnels inscrits comme partenaires habilités réalisent 92% des immatriculations de véhicules neufs. Il est vrai que le taux est plus faible pour les véhicules d'occasion (33,5 %), vendus par d'autres catégories de professionnels ou directement par les particuliers. Les difficultés rencontrées, pour les véhicules d'occasion notamment, tiennent au fait que les textes disposent que le propriétaire est responsable des infractions constatées, si bien que certains vendeurs se sont trouvés poursuivis pour des infractions commises par le nouveau propriétaire. Le système informatique a été corrigé en conséquence et un texte en cours d'examen vise à transférer la responsabilité sur l'utilisateur.

Mme Michèle André, rapporteure spéciale. - Un mot sur la délivrance des titres : confirmez-vous la date d'entrée en vigueur du décret disposant que seuls les photographes professionnels sont habilités à prendre des photos d'identité ?

Dernière question, enfin, sur la dotation pour frais de contentieux et de réparation civile, sous-évaluée, à 80,2 millions d'euros. Entendez-vous la ramener à niveau ?

M. Claude Guéant. - Je vous confirme que le décret auquel vous faites référence sera examiné dans les prochains jours par le Conseil d'État et sera publié au début de l'été.

En ce qui concerne les frais de contentieux et de réparation, la situation, structurelle, est ancienne. Ces dépenses sont difficiles à évaluer précisément. Le contentieux le plus lourd est celui qui concerne le refus du concours de la force publique pour les expulsions locatives. Relever les crédits n'encouragerait pas à leur gestion rigoureuse, l'effet n'en serait guère vertueux.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur spécial de la mission « Sécurité ». - Beaucoup des réponses que j'attendais m'ayant été données, je m'exercerai à l'art d'accommoder les restes... Je souhaiterais tout d'abord lever un doute sémantique. Police de proximité, puis unités territoriales de quartier, puis compagnies de sécurisation, puis, enfin, patrouilleurs : pouvez-vous nous éclairer, afin de nous permettre de savoir en toute connaissance de cause à quoi vont les crédits que nous sommes appelés à voter ?

M. Claude Guéant. - La politique qui est à l'origine de la police de proximité, et qui date d'avant 2002, reposait sur une intuition qui mérite considération : rapprocher la police des usagers. Mais elle s'est développée sans embrasser la totalité des missions de la police : prévention, dissuasion, répression. Ce dernier volet, qui vise la recherche des contrevenants et leur présentation à la justice, a été négligé. Les rapports alors commandés par le ministre en charge ont souligné cette difficulté, relevant que la méthode retenue n'aurait de chances de succès qu'avec un personnel en nombre considérablement renforcé.

Ce que j'entends développer avec les patrouilles, c'est une police de présence embrassant la totalité des fonctions de la police, y compris la répression, clairement assumée. Pourquoi ? Parce que la sécurité passe d'abord, selon moi, par la lutte contre la délinquance et la criminalité, dont le volume doit continuer de diminuer - je rappelle que le reflux a été de 17 % depuis 2002, ce qui représente, pour être plus parlant, 500 000 victimes de moins en 2010 qu'en 2002. Les résultats sont là. Nous sommes, en 2010, à un niveau inférieur à celui de 1997, alors même que la population s'est accrue de six à sept millions d'habitants.

La sécurité passe aussi par le volet prévention, pour traiter les comportements délictueux ou incivils, qui, pouvant marquer une entrée dans le cycle de la délinquance, appellent une réponse rapide. C'est cette réponse qu'a entendu apporter la loi de mars 2007, qui créait le conseil des droits et devoirs des familles et donnait aux maires une responsabilité élargie : elle mériterait d'être mieux mise en oeuvre.

La sécurité, enfin, passe par la présence visible des policiers ou des gendarmes, qui tranquillise les citoyens. D'où la création des patrouilleurs, en cours d'expérimentation dans cinq ou six circonscriptions. Des binômes, voire des trinômes, au lieu de rester dans leurs locaux, patrouillent ainsi dans les quartiers à des heures où le public s'y rassemble. Cette présence, ainsi mécaniquement renforcée de 25 %, montre aux citoyens que nous sommes sensibles aux préoccupations qui sont les leurs. A Mantes-la-Jolie, où je me suis rendu après le début de l'expérimentation, j'ai pu constater combien les usagers et les commerçants étaient satisfaits de voir ces patrouilles dans leur rue, en particulier à l'heure où les commerçants font leur caisse et se rendent à leur banque.

Quant aux unités territoriales de quartier, elles sont complémentaires, destinées aux zones plus difficiles, où des équipes de deux ou trois ne suffisent pas : elles doivent être plus nombreuses, et mieux formées.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur spécial. - Je me félicite de constater que les recommandations de la commission des finances sont ponctuellement mises en oeuvre par les ministres de l'intérieur successifs. En particulier celles qui visent à une meilleure coordination des policiers et des gendarmes - je relève que celle-ci s'est traduite dans les esprits des intéressés, puisque les uns ne disent plus « ils » en parlant des autres, mais bien, désormais, « nous ».

La dégradation de la sécurité exigeait une mise à niveau des effectifs, qui a permis une utile réorganisation administrative. Je m'interroge, cependant, sur le recrutement de 4 000 adjoints de sécurité : n'y a-t-il pas là un détournement de la RGPP ? Je comprends que les citoyens souhaitent une présence toujours renforcée des forces de sécurité, mais la comparaison avec nos voisins européens m'interpelle : nous sommes le pays où leur densité est la plus forte.

M. Roland du Luart. - Cela tient aussi au temps de travail des policiers.

M. Claude Guéant. - J'ai constaté avec grand bonheur, en retrouvant le ministère de l'intérieur, qu'une collaboration spontanée entre gendarmes et policiers s'était tout naturellement nouée, qui a des effets pratiques sur la qualité des prestations de sécurité. J'ai pu en constater, il y a quelques jours, en Eure-et-Loir, les bénéfices en matière de lutte contre les cambriolages, perpétrés par des bandes venues de la région parisienne et qui frappent tant les milieux urbains que ruraux. En l'absence de coopération, la lutte était vouée à l'échec. Autre coopération d'intérêt, la mise à disposition de la police, qui n'en possède pas, des hélicoptères de la gendarmerie, très utiles dans les opérations de surveillance délicates, y compris nocturnes, et qui permettent jusqu'à l'organisation de poursuites ou des interventions sur les toits.

En ce qui concerne les effectifs, il est vrai qu'après une augmentation importante jusqu'en 2007, le nombre d'emplois a été réduit de 3 700 dans la police, et de 4 800 dans la gendarmerie, dans le cadre d'une meilleure maîtrise des finances publiques. La délinquance n'en continue pas moins de baisser, de 2,5 % l'an passé, grâce à un certain nombre de réformes structurantes. C'est ainsi que les effectifs des forces mobiles sont en diminution, quinze escadrons de gendarmes ayant été supprimés et un nombre équivalent en effectifs pour les CRS, soit 1 300 à 1 400 emplois. Nous avions un dispositif aussi étoffé qu'après-guerre alors que la France est sortie depuis longtemps des grèves insurrectionnelles qui ont marqué cette période : les rapports sociaux se sont apaisés. Or, les forces mobiles coûtent cher. Nous prenons donc le parti d'en reverser le maximum dans les forces destinées à assurer la sécurité quotidienne. C'est ainsi que les effectifs des gendarmeries départementales n'ont guère été affectées par la RGPP, puisqu'elles se sont vu reverser les escadrons de gendarmes mobiles supprimés.

Les 4 000 équivalents temps plein (ETP) déployés dans la police et la gendarmerie ne représentent que 1 000 créations d'adjoints de sécurité ou gendarmes volontaires, en contrats à durée déterminée de trois à cinq ans, immédiatement opérationnels grâce à une rapide formation, tandis que les 3 000 emplois restants ne sont pas des créations, mais résultent du recours aux heures supplémentaires ou aux réserves de la police et de la gendarmerie, faites de jeunes retraités compétents et encore équipés, dont beaucoup se sont portés volontaires.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur spécial. - Le président Arthuis a souligné que la taxe sur les sociétés de surveillance privée n'était guère dans la logique de la Lolf. Vous nous avez dit que ces sociétés sont favorables à cette taxe, je ne suppose pas, cependant, que cette faveur aille jusqu'à l'enthousiasme.

M. Claude Guéant. - J'ai rencontré, dans mes fonctions antérieures, les fédérations professionnelles, qui m'ont confirmé leur accord.

M. Jean Arthuis, président. - D'autant que ces taxes sont déductibles de leur revenu imposable...

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur spécial. - Un mot sur la garde à vue. Le montant des crédits engagés pour aménager les commissariats me semble bien faible au regard des besoins.

M. Claude Guéant. - Je ne dispose pas, aujourd'hui, d'une évaluation complète. Il est certain qu'il faudra encore consentir des efforts.

M. Jean Arthuis, président. - Le coût sera encore supérieur pour le ministère de la justice.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur spécial de la mission « Immigration, asile, intégration ». - En 2010, les crédits du programme « immigration et asile » ont progressé de 117 millions d'euros en cours de gestion - 60 millions en décret d'avance et 57 millions en loi de finances rectificative - ce qui représente un tiers des crédits ouverts en loi de finances initiale. Chaque année, je mets l'accent sur la sous-évaluation des crédits de ce programme, qui se reproduit en 2011, puisque le projet de loi de finances rectificative propose encore d'ouvrir 50 millions supplémentaires, conformément aux prédictions de mon dernier rapport. Au point que l'on ne peut attribuer cela au hasard, à l'incertitude ou à l'erreur. J'y vois bien plutôt le fruit d'une volonté délibérée, peu conforme à l'exigence de sincérité et de transparence budgétaire. Entendez-vous, à l'avenir, mettre les crédits initialement programmés mieux en phase avec la réalité ?

M. Claude Guéant. - Il est difficile d'établir des prévisions précises en matière de demande d'asile. Cette situation est aussi le résultat du mauvais fonctionnement du système de l'asile, dont la dépense s'élève à quelque 500 millions.

Les procédures sont trop longues, l'Ofpra est embouteillé, et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) plus encore : les délais globaux sont de l'ordre de deux ans - même si l'on dit dix-neuf mois. C'est pourquoi le Premier ministre a décidé d'un renforcement sensible de leurs moyens, et que quarante agents supplémentaires ont été affectés à l'Ofpra et cinquante à la Cour nationale, afin de limiter à neuf mois le délai de traitement des 50 000 demandes d'asile annuelles, encore en augmentation cette année. Notre pays est certes attractif pour son respect des libertés publiques, mais aussi parce que l'on sait que la procédure y est longue et qu'après deux ans de séjour, il devient difficile de renvoyer un demandeur.

Il importe donc de travailler à réduire les délais, en particulier par un traitement rapide des demandes infondées et abusives, constat partagé par nos partenaires européens, au point que la Commission a émis des propositions destinées à ouvrir des possibilités de traitement en urgence. J'ajoute que l'encombrement des instances de décision a cette conséquence fâcheuse, ainsi que me le rappelait le haut commissaire aux réfugié des Nations unies, qu'il retarde le traitement des demandes les mieux fondées. Enfin, la réduction des délais sera source d'importantes économies de frais d'hébergement.

M. Jean Arthuis, président. - Quels correctifs envisagez-vous pour remédier aux difficultés que posent de tels dépassements de crédit au regard de la loi de programmation pluriannuelle ?

M. Claude Guéant. - Il me semble réaliste d'essayer d'obtenir une certaine augmentation de crédits dans la prochaine loi de finances initiale. Je dois rencontrer, ce soir même, le ministre du budget.

M. Jean Arthuis, président. - Sera-t-on au dessus des 678 millions de 2010 ?

M. Claude Guéant. - Je ne saurais vous répondre dès à présent mais je vous ferai parvenir une note.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur spécial. - Il est vrai que la réduction des délais, sur laquelle je m'apprêtais à vous interroger, est incontournable. La situation ne cesse de se dégrader à l'Ofpra : 118 jours en 2009 ; 145 en 2010. Même chose à la CNDA. Les moyens supplémentaires dégagés commencent-ils à porter leurs fruits ?

Il est clair qu'il est plus difficile de renvoyer un débouté qui se trouve en France depuis deux ans - et certaines procédures ont même duré jusqu'à sept ans.

M. Claude Guéant. - L'aspect humain et l'aspect financier sont, en effet, liés. Nous constatons, année après année, l'insuffisance des crédits. Le renforcement des moyens produit déjà ses effets : la moyenne générale de traitement des dossiers s'est réduite d'un mois depuis le début de l'année. Si nous parvenions à une réduction de dix mois, nous gagnerions autant en frais d'hébergement

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur spécial. - Certains pays étrangers arrivent à quatre-vingt-dix jours.

M. Claude Guéant. - C'est le cas de certains pays européens, comme l'Autriche. Un mois de gagné, ce sont dix millions d'économies sur l'hébergement.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur spécial. - En matière de lutte contre l'immigration illégale, on constate une importante sous-consommation des crédits d'investissements, de 16 % en autorisations d'engagement et 3 % en crédits de paiement, liée essentiellement au report de la construction d'un nouveau centre de rétention administrative à Mayotte, pourtant demandé depuis longtemps étant donné l'état lamentable de l'existant. Peut-on espérer un démarrage rapide des travaux ?

M. Claude Guéant. - Après le lancement de l'appel d'offre ce mois-ci, la mise en service est prévue pour 2014, pour un coût de 25 millions d'euros.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur spécial. - L'objectif fixé en loi de finances, en matière d'immigration économique, était une part de 37 % de l'immigration durable. Or, le taux de réalisation n'est que de 18 %. Sans doute la crise a-t-elle eu un impact, mais ne serait-il pas bon de mettre en place un indicateur fiable quant aux résultats de cette politique ?

M. Claude Guéant. - Les chiffres que vous citez sont la conséquence d'une politique privilégiant l'immigration à caractère économique plutôt que familial. Les résultats sont allés dans le sens annoncé. Nous avons noué, en la matière, un certain nombre d'accords, dont celui passé avec la Tunisie, inégalement mis en oeuvre, s'est trouvé placé sous les feux de l'actualité. Aux termes de cet accord, le gouvernement tunisien mènera une action résolue pour faciliter le retour des immigrants illégaux - il faut savoir que la Tunisie est le pays qui délivre le moins d'autorisations consulaires - en même temps que nous sommes convenus d'organiser une immigration coordonnée pour faciliter la formation professionnelle des jeunes Tunisiens.

La France n'est pas un pays fermé. Elle n'est pas hostile à une immigration de travail. L'an passé, 200 000 personnes ont été admises au séjour. Mon souci est cependant de maintenir l'unité sociale du pays. J'entends donc diminuer un peu ce nombre, car il faut du temps et des moyens pour intégrer les nouveaux arrivants, pour une immigration réussie.

L'immigration de travail portait l'an passé sur 25 000 personnes. Ce chiffre ne correspond pas à nos besoins. Ce que j'ai dit sur le bâtiment a sans doute suscité des commentaires déplaisants, ainsi que l'ire du Medef, mais j'ai pu constater, dans l'édition récente d'un journal du matin, que la Fédération du bâtiment s'était ralliée à mes vues... L'an dernier, la venue de 730 maçons étrangers a été autorisée, alors qu'une offre pour dix emplois, en ce domaine, suscite 100 candidatures. La même observation vaut pour d'autres métiers, comme celui d'analyste en informatique, réputé bien à tort en tension puisque le taux de chômage y est dix fois supérieur à la moyenne des cadres.

Il faut bien reconnaître que globalement, l'immigration de travail n'est pas un succès : 24 % des étrangers hors Union européenne présents sur le territoire français sont demandeurs d'emplois. A quoi bon faire venir chez nous de futurs chômeurs ?

M. Jean Arthuis, président. - Le ministre de l'intérieur est aussi ministre des cultes. Or, on sait que l'Eglise fait aujourd'hui appel à des prêtres venus de l'Afrique francophone. Considérez-vous qu'il s'agit là d'une immigration professionnelle, et est-elle nombreuse ?

M. Claude Guéant. - Je fais usage de mon joker... Les effectifs ne doivent pas être bien importants. Je ne manquerai pas de vous faire parvenir un courrier.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur spécial. - Une mission de contrôle menée avec Philippe Dallier, rapporteur spécial pour les crédits de la ville et du logement, a fait apparaître qu'alors que les places en centre d'hébergement des demandeurs d'asile manquent, d'autres solutions d'hébergement d'urgence doivent être recherchées. Elles le sont sans règles claires. Ne serait-il pas plus pertinent de réunir au sein d'une même mission l'ensemble des crédits consacrés à l'hébergement d'urgence ?

M. Claude Guéant. - L'hébergement d'urgence est à ce point sollicité en raison de l'embouteillage du système de demande d'asile. Les conséquences en sont fâcheuses. L'accueil en urgence s'en trouve saturé, à l'approche de l'hiver, au point que les centres d'hébergement d'urgence ne peuvent plus satisfaire les besoins pour lesquels ils ont été créés. Comment les désengorger ? Pour ce qui est de l'articulation budgétaire, gardons-nous de tomber d'une incohérence à l'autre. A une fusion des crédits, je préfèrerais un système de facturation interne, qui présente l'avantage de faire clairement apparaître la réalité des coûts.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur spécial. - L'objectif premier du programme « Intégration et accès à la nationalité » est d'améliorer les conditions d'accueil et d'intégration, notamment via l'apprentissage du français. Or, les contrats d'accueil et d'intégration enregistrent un taux de réussite de 60 %, quand l'objectif était de 67 %. C'est encore insuffisant. Comment surmonter la difficulté ?

Question subsidiaire, enfin : le projet de création d'un nouvel hôtel de police à Gap est-il définitivement enterré ?

M. Claude Guéant. - Du temps que j'étais préfet des Hautes-Alpes, on recherchait un terrain. Cela remonte à quelques années...

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur spécial. - Depuis, l'État en a choisi un, qui a été mis à sa disposition. Mme Alliot-Marie m'avait indiqué, en son temps, que des crédits seraient dégagés pour une étude architecturale. Il y a de cela deux ou trois ans. Je n'ai plus eu de nouvelles depuis.

M. Claude Guéant. - Vous m'incitez à reprendre positivement ce dossier, cas particulier qui illustre les problèmes structurels qui pèsent sur le ministère de l'intérieur : son budget, dans lequel les rémunérations comptent pour la plus grosse part, est soumis à la norme générale, d'où bien des difficultés en matière de fonctionnement et d'investissement.

En ce qui concerne la formation en langue française, il est vrai qu'un résultat inférieur de dix points à l'objectif n'est pas satisfaisant. Cela renforce ma détermination de faire plus. La maîtrise de la langue française constitue un moyen incontournable d'intégration. C'est pourquoi la loi sur laquelle le Conseil constitutionnel se prononcera prochainement prévoit un dispositif destiné à s'assurer d'une connaissance minimale par le conjoint de la personne naturalisée. Mme André sait comme moi que les femmes, surtout lorsqu'elles viennent d'une culture qui les cantonne au foyer, si elles ne maîtrisent pas un tant soit peu notre langue, ne peuvent pas suivre l'éducation de leurs enfants, ni travailler, et se trouvent totalement isolées en cas de problème familial. Il faut leur faciliter l'apprentissage.

M. Jean Arthuis, président. - Certaines jeunes femmes immigrées gardent des enfants. Or l'accueil des enfants, ce sont les crèches, qui coûtent horriblement cher aux municipalités. Au reste, l'essentiel de la garde d'enfants est assuré par les assistantes maternelles, qui accueillent les enfants à leur domicile. Précisément, quelques unes, en Mayenne, sont venues proposer au président du conseil général de se regrouper pour accueillir les enfants. Les services de la PMI ayant fait observer qu'une telle organisation était illégale, on a fait usage du droit à l'expérimentation. Quand la ministre en charge de ce secteur a dit tout le bien qu'elle en pensait, il s'est agi de légaliser. Cela s'est fait à l'occasion de la loi de financement de la sécurité sociale, laquelle a prévu une convention. La CNAM a établi un document de onze pages et sept annexes.... Tout ce qu'il fallait pour tuer l'opération. Une proposition de loi a donc été votée - immense soulagement ! Las, la sous-commission ERP de la commission centrale de sécurité de la direction de la sécurité civile du ministère de l'intérieur a, le 2 décembre 2010, classé ces maisons en établissements accueillant du public de quatrième catégorie, ce qui obligerait 95 % d'entre elles à mettre la clé sous la porte.

N'y a-t-il pas là de cette folie règlementaire dont le président de la République a déclaré le 10 février dernier qu'il fallait y mettre un terme ? Faut-il qu'un colonel des sapeurs- pompiers au cabinet du ministre vienne exiger « ceinture et bretelles » des présidents de conseils généraux ? Il est bon de travailler à maîtriser la dépense publique, mais quand laissera-ton enfin les élus prendre part à l'innovation administrative pour assurer un service public dans des conditions financièrement soutenables ?

M. Claude Guéant. - Je vous rejoins entièrement. Cette formule est extrêmement intéressante. Nous devons avoir des règles raisonnables. Je vais me ré-emparer de ce dossier et y apporter une réponse favorable. Il faut être raisonnable !

M. Philippe Dallier. - Une question, monsieur le ministre, sur la mise en place des procès-verbaux électroniques. Les collectivités locales étant incitées à se doter de boîtiers, j'ai demandé à rencontrer la société Atos, qui a développé le logiciel. Quand nous avons parlé coûts, j'ai eu l'impression qu'elle prenait les collectivités locales pour des « vaches à lait » : au-delà de cinq ans, le coût de maintenance dépasse le coût d'acquisition !

M. Jean Arthuis, président. - Comme pour le rasoir...

M. Philippe Dallier. - L'on voit bien le gisement d'économies pour l'Etat, mais à l'autre bout de la chaîne ? Si l'Etat est propriétaire du contenu, mais que le service associé est supérieur au coût d'acquisition, on n'y arrive plus. Qu'avez-vous négocié pour les collectivités locales ?

Nous avons des stations pour les passeports électroniques. Pourront-elles traiter également les nouvelles cartes d'identité ? J'espère que la réponse est positive car les stations demandent de l'espace et elles ont un coût.

M. Claude Guéant. - Les stations seront les mêmes. Il en faudra toutefois 300 de plus, que nous installerons.

Quant aux PV électroniques, six millions d'euros sont prévus pour aider les collectivités à acheter ces lecteurs. Nous allons y regarder de près et vous faire profiter de nos préférences d'achat.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Dans la ville de 20 000 habitants dont je suis maire, nous avons bénéficié d'un diagnostic gratuit par la gendarmerie sur la vidéoprotection. Très bien faite, cette étude a mis en évidence les points clefs à surveiller dans la ville, qui se trouvent recouper les flux stratégiques auxquels les gendarmes doivent être attentifs. Ma question porte sur l'accompagnement financier, qui mérite d'être durable. Or, on est déjà passé de 80 % à 50%.

M. Claude Guéant. - Les subventions couvrent aujourd'hui de 30 % à 50% des coûts.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - J'attire votre attention sur la réelle coopération entre la gendarmerie et la police municipale qui en découlera.

M. Claude Guéant. - Je vous remercie de soutenir ma conviction et ma politique. Très utile en milieu urbain dense, la vidéosurveillance est en effet déterminante dans les enquêtes judiciaires. Lorsqu'il y a peu, un jeune a été roué de coups dans les transports en commun, en Seine-Saint-Denis, nous avons ainsi pu déférer tous les responsables à la justice dans les 48 heures. La vidéosurveillance a également une fonction de prévention. Un financement de 30 % à 50 % est possible par le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), qui est peut-être sous-doté.

M. Philippe Dallier. - On prend sur le produit des amendes !

Mme Michèle André. - A l'approche de l'été et de ses festivals, les organisateurs nous demandent de les aider à obtenir des visas pour les troupes venues de pays étrangers. Dans le Puy-de-Dôme, des festivals de folklore rencontrent des difficultés, et celui de Gerzat risque de connaître un échec parce qu'une chorale de République démocratique du Congo ne peut obtenir ses visas. Je ne dois pas être la seule à solliciter le ministère. On m'a dit qu'on avait même demandé un test de grossesse aux jeunes femmes membres de la troupe ! Je n'ose le croire. Cette politique est très difficile à admettre. La peur, qui isole, serait-elle plus forte que la culture, qui est ouverture et rayonnement ?

Un mot enfin sur la maîtrise du français : je sais que les mères apprennent souvent notre langue quand leurs enfants sont scolarisés. Il faut faire confiance à l'immersion.

M. Claude Guéant. - La scolarisation des enfants offre en effet aux mamans un bons accès à notre langue. La semaine prochaine, je visiterai avec Luc Chatel une école des parents.

Quant aux visas, la direction de l'immigration a adressé le 16 mai des instructions aux préfets pour qu'ils apportent quelques assouplissements. Il faut toutefois savoir raison garder. On a beaucoup glosé sur les deux artistes marocaines invitées au festival de Cannes : si elles n'ont pas été admises, c'est parce qu'elle n'avaient pas d'hébergement, pas un centime en poche, et pas de billet de retour.

M. Albéric de Montgolfier. - Pouvez-vous nos parler des contrôles numériques aux frontières et de PARAFES ? Les crédits sont sous-consommés, la généralisation reste-t-elle l'objectif ?

M. Claude Guéant. - PARAFES se développe le plus possible. Il apporte une assurance de sortie aux personnes qui ont rempli les conditions et offre une garantie technique presque totale. Cependant, nous devons nous reposer sur les aéroports pour le financement. Fin juin, nous aurons cent cinquante stations pour la lecture des visas biométriques sur le territoire, et pas seulement aux frontières. Les contrôles à l'intérieur du territoire sont essentiels : ils apportent la seule preuve scientifique de nationalité.

M. Jean-Pierre Fourcade. - Il a été question du commissariat de police de Gap, mais voilà dix à quinze ans que l'affaire de celui de Boulogne a commencé.

M. Claude Guéant. - J'en prends bonne note.

M. Jean Arthuis, président. - Sa durée et le nombre de questions disent tout l'intérêt de cette audition, dont je vous remercie, monsieur le ministre.

- Présidence de M. Jean Arthuis, président, puis de M. Yann Gaillard, vice-président -

Audition du sénateur Terry Le Sueur, Premier ministre de Jersey et de John Harris, directeur général de la commission des services financiers de Jersey

Au cours d'une deuxième réunion tenue l'après-midi, la commission procède à l'audition du sénateur Terry Le Sueur, Premier ministre de Jersey, et de M. John Harris, directeur général de la commission des services financiers de Jersey.

M. Jean Arthuis, président. - Mes chers collègues, nous voici réunis pour une audition d'un caractère exceptionnel puisque nous avons l'honneur d'accueillir M. Terry Le Sueur, Premier ministre de Jersey. M. le Premier ministre, soyez le bienvenu à la commission des finances du Sénat. Nous sommes heureux de vous recevoir aujourd'hui tant notre commission a été ces deux dernières années sollicitée dans le cadre de l'examen de près d'une trentaine d'accords d'échange de renseignements, visant à améliorer la coopération administrative en matière fiscale.

J'observe avec satisfaction que l'accord conclu avec Jersey est le premier de cette longue série. Jersey fait également partie des premiers Etats et territoires à avoir été radiés de la « liste grise » de l'Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE). Selon le ministère des affaires étrangères, votre île a signé à ce jour vingt-et-un accords.

La signature de notre accord a une portée cruciale car elle offre la possibilité à la France de demander à vos autorités compétentes toute information vraisemblablement pertinente pour la bonne application de sa législation fiscale, notamment en termes de détermination et de perception des impôts ou dans le cadre des enquêtes et des poursuites qu'elle engage.

Or, Jersey constitue un centre financier de premier plan et cette activité contribue à hauteur de 43 % à la formation de son produit national brut. Votre attractivité fiscale continue de se renforcer comme en témoigne l'installation de la holding du géant suisse des matières premières, Glencore.

De surcroît, votre audition revêt un caractère tout à fait particulier. Nous avons reçu Pascal Saint-Amans, chef de la division chargée de la coopération internationale à l'OCDE l'an dernier, ainsi que François d'Aubert, président du groupe d'examen par les Pairs. Nous avons suivi les progrès accomplis par le Forum mondial de l'OCDE dans sa mission de donner une pleine effectivité à la coopération fiscale. Nous nous intéressons tout particulièrement aux travaux du groupe d'examen par les Pairs dont Jersey est l'un des quatre-vice-présidents avec l'Inde, le Japon, et Singapour.

Or, vingt-cinq Etats ont fait l'objet à ce jour de cette évaluation. Le Forum mondial se réunit en ce moment même aux Bermudes afin d'adopter dix rapports supplémentaires dont celui sur Jersey qui fait l'objet d'un examen combiné de la phase 1 relative à l'analyse du dispositif légal et de la phase 2 concernant l'effectivité des échanges.

Nous allons vous entendre, puis je souhaiterais que nous abordions un certain nombre de questions que je vais rapidement résumer. S'agissant de l'effectivité de la coopération fiscale, Jersey aurait répondu à une quarantaine de demandes d'information de la part de l'ensemble des Etats ces deux dernières années, selon le journal La Tribune  du 3 mai dernier :

- l'accord conclu avec la France est entré en vigueur depuis peu, le 11 octobre dernier. Combien de demandes avez-vous néanmoins reçues, émanant de nos services fiscaux ?

- Pensez-vous pouvoir répondre à l'ensemble de ces demandes ?

- D'une manière plus générale, dans le cadre des requêtes formulées par d'autres Etats, avez-vous rencontré des difficultés particulières afin de transmettre les éléments demandés ?

- Avez-vous modifié vos structures afin de traiter ces demandes ?

- Jersey compte 183 sociétés de gestion de trusts. Comment procédez-vous lorsque les informations demandées sont détenues par des trusts ?

Je souhaiterais également vous interroger sur les travaux du Forum mondial de l'OCDE :

- quel rôle jouez-vous en tant que vice-président du groupe des Pairs ?

- Avez-vous des remarques particulières à formuler sur les critères utilisés par l'OCDE afin d'évaluer les engagements de transparence des Etats ?

- La procédure d'examen vous a-t-elle permis de répondre aux observations des Pairs ?

- Le fait d'être un pays à fiscalité allégée soulève-t-il des problèmes particuliers dans le cadre de cet examen ?

- Pensez-vous avoir satisfait aux dix éléments requis par le Forum en termes de disponibilité, d'accès et d'échange de renseignements ?

Je vous renouvelle mes remerciements, M. le Premier ministre, d'être parmi nous cet après-midi, pour un échange, à nos yeux très intéressant, grâce aux réponses que vous apporterez aux questions que je viens de formuler.

M. Terry Le Sueur, Premier ministre de Jersey. - M. le Président, MM. les sénateurs, c'est avec grand plaisir que nous sommes parmi vous aujourd'hui. Jersey partage des liens historiques forts avec la France. L'île est fière de son industrie financière, qui constitue un pilier de notre économie qui fait cependant parfois l'objet d'une certaine incompréhension internationale. John Harris, directeur général de la commission des services financiers, va vous présenter les mesures prises par Jersey en termes de transparence financière et de coopération fiscale et répondra à vos questions.

M. John Harris, directeur général de la commission des services financiers de Jersey. - Monsieur le Président, messieurs les sénateurs, la commission des services financiers est le régulateur des activités financières de la place de Jersey, centre financier de premier plan. S'agissant du statut constitutionnel de l'île, celui-ci apparaît comme une curiosité car Jersey est une dépendance de la Couronne Britannique, tout comme Guernesey et L'Ile de Man. Elle possède une autonomie législative et fiscale depuis l'an 1204. Cependant, elle ne dispose pas de la capacité indépendante de conclure des traités et des conventions internationales. Sans être une colonie, elle n'est donc pas souveraine pour autant. Elle dépend de la Couronne Britannique pour ses relations internationales et le secteur de la défense.

Dans la pratique, cette responsabilité est prise en charge par le gouvernement du Royaume Uni qui l'exerce en fonction des enjeux politiques interprétés sous le prisme londonien. Au cours des dernières années, Londres a tenté de responsabiliser les dépendances de la Couronne, y compris Jersey, en ce qui concerne la négociation directe des accords internationaux et la signature des accords sur l'échange d'informations en matière fiscale prévus par l'OCDE.

Cette pleine responsabilité des relations internationales est réclamée depuis longtemps par Jersey. Nous estimons que la prise de contact directe par Jersey dans le cadre des négociations, de la conclusion et de la signature des accords, est de nature à favoriser l'essor de ces relations et d'en améliorer la qualité. Depuis une quinzaine d'années, la politique internationale de Jersey a connu un processus d'ouverture sur le monde. Nous nous considérons comme un territoire coopératif et fiscalement autonome. Cependant, nous ne faisons partie ni du Royaume Uni, ni de l'Union Européenne.

En ce qui concerne la surveillance financière, Jersey respecte pleinement les standards internationaux en termes de contrôle des bourses, des opérations de titres et des fonds collectifs, de surveillance des banques (par le comité de Bâle), et de lutte contre le blanchiment d'argent (par le groupe d'action financière GAFI).

Nous attachons une importance particulière à la transparence et à l'échange d'informations en matière fiscale en suivant les programmes d'actions de l'OCDE et de l'Union Européenne, pas uniquement depuis la crise financière de 2008 mais depuis 2002, date à laquelle nous avons signé notre premier accord fiscal avec les Etats-Unis.

En réponse à votre question quant à l'existence d'une législation suffisante pour faire face à nos obligations d'échange, je tiens à souligner que celle-ci a été mise en place à l'occasion de l'accord signé avec les Etats-Unis. C'est la raison pour laquelle on ne retrouve pas dans celui conclu avec la France la même clause insérée dans ceux signés avec les autres territoires, qui exige la mise en place de la « législation nécessaire ».

La politique jersiaise menée depuis une quinzaine d'années vise à ce que les intérêts mutuels de Jersey et de l'Union Européenne soient respectés, dans une approche de « bon voisinage ». Nous dépendons des pays de l'Union européenne et travaillons avec eux.

L'île oeuvre également pour améliorer la compréhension des fondamentaux de son économie. Nous réfutons le qualificatif de « paradis fiscal ». Le développement du secteur financier dans l'île se fonde essentiellement sur le concept de « neutralité fiscale » qui se distingue de l'évasion fiscale. Ce concept consiste, en effet, à accueillir des sociétés qui ne sont pas fiscalisées mais qui appartiennent à une structure plus large, établie par la place de Londres. Les dividendes et distribution réalisés à partir de la société jersiaise vers le pays de résidence du bénéficiaire sont alors fiscalisés. Nous participons aux opérations d'ingénierie financière pratiquées par la City de Londres sans ajout d'un coût supplémentaire au niveau de la société « holding » de Jersey. L'opération récente de Glencore, ainsi que vous l'avez souligné Monsieur le président, suit ce modèle.

En quoi consistent les activités de centre financier à Jersey ? Celui-ci s'est développé depuis 1961 avec le processus de décolonisation de l'Empire Britannique et le rétrécissement de la zone internationale de la livre sterling. Jersey a, en effet, répondu à la demande de personnes, par exemple, résidents du Kenya ou de Singapour, qui souhaitaient que leur fortune soit gérée en livres sterling sans pour autant la transférer en Angleterre.

Une croissance importante des opérations menées par les institutions financières internationales a suivi ainsi que la création de sociétés de « trusts » d'envergure. Ces dernières constituent un secteur d'activité très important qui est par ailleurs soumis à surveillance.

Bien entendu, il existe un lien très étroit avec les activités de la City de Londres. Jersey en constitue un satellite, utilisé en partie par les fonds et prestataires de services spécialisés en matière d'ingénierie financière. 13 000 professionnels qualifiés travaillent dans le secteur financier de l'île, sur une population active de 50 000, soit approximativement 25 %.

La clientèle de Jersey comprend principalement trois segments. Ainsi que j'avais eu l'opportunité de l'évoquer il y a quelques années à Monsieur le Rapporteur général, il y a tout d'abord le statut de « résidents non-domiciliés ». Il est attribué aux personnes travaillant en Angleterre qui bien que résidents dans ce pays n'y resteront pas définitivement. Celles-ci bénéficient d'un statut fiscal favorable. Leur fortune gérée en dehors de l'Angleterre n'y est pas imposée. Jersey répond à cette demande de gestion. La deuxième catégorie de clientèle est constituée des expatriés britanniques. Ces derniers, résidant et travaillant dans un autre pays que l'Angleterre, échappent à l'impôt britannique si leur fortune est gérée dans un centre comme Jersey. Enfin, nous administrons les fortunes des particuliers, en créant plus spécifiquement des trusts essentiellement axés sur la succession familiale. Ce sont des structures financières « fiscalement neutres » pour la City.

Les actifs globaux gérés par l'île s'élèvent à approximativement 1 000 milliards de livres sterling, composés de 200 milliards de livres sterling de dépôts bancaires, 250 milliards de livres sterling sous forme de Fonds collectifs, ainsi que des actifs gérés dans les sociétés de trust, pour 500 milliards de livres sterling. Ces derniers sont plus difficiles à estimer en raison de leur nature (oeuvres d'art, immobilier, bateaux).

La composition du secteur financier se répartit entre quarante grandes banques dont la BNP et la Société générale qui travaillent essentiellement avec Londres et 183 sociétés de gestion de trusts. Ce chiffre est en réduction de 25 %. On en dénombrait 241 en 2001. En effet, la mise en place d'un système de contrôle rigoureux des trusts, d'évaluation des opérations des trustees et d'autorisation de la part de la commission des services financiers a mis fin à l'existence de certains d'entre eux. Notre secteur comprend également des gestionnaires et dépositaires liés aux fonds de placements collectifs. Le secteur de l'assurance est, quant à lui, modeste. D'une manière générale, on constate également une forte présence de cabinets d'experts comptables et d'avocats spécialisés dans les opérations financières.

En conséquence, la contribution du secteur financier au produit national brut s'élève à 43 %. Il produit un pourcentage significatif des recettes fiscales. L'imposition du secteur financier de 10 % couvre l'intégralité des dépenses publiques destinées à l'éducation, à la santé et à la sécurité sociale. Le secteur financier procure également 25 % de l'emploi.

Cette présentation liminaire faite, je tiens à souligner que nous avons jugé nécessaire de mettre en oeuvre la coopération fiscale afin de préserver la compétitivité de notre secteur financier. Jersey constitue un territoire réglementé et transparent.

Selon le classement trimestriel établi par le Global Financial Centres Index (GFCI), en mars 2011, Londres ressort comme la première place financière, New-York la deuxième, Hong Kong la troisième, Singapour la quatrième, Paris la dix-huitième, il me semble. Quant à Jersey, il est classé en vingt-troisième position et premier des centres dit « offshore ».

Les activités financières de Jersey ont fait l'objet de nombreuses évaluations dont le rapport « Foot », demandé par le Premier ministre du Royaume-Uni, Gordon Brown, au plus fort de la crise financière, en 2009. Cette étude indépendante a mis en évidence les opportunités et les défis des dépendances de la Couronne britannique. Elle confirme le niveau élevé de la réglementation de Jersey et le rôle essentiel joué par l'île en termes d'apports de liquidités aux marchés financiers, et en particulier la place de Londres. Je rappelle que Jersey accueille 200 milliards de livres sterling de dépôts bancaires.

Le rapport souligne également l'évaluation très positive menée par le Fonds monétaire international (FMI) en 2009 et le fait que Jersey a figuré sur la liste blanche de l'OCDE dès le 2 avril 2009, date de l'élaboration de la première liste, lors du Sommet du G 20 à Londres.

La liste comprend les « juridictions appliquant les normes internationales en matière de transparence et d'échange d'informations ». A l'époque, Jersey avait déjà signé et mis en place une douzaine d'accords d'échange de renseignements.

Selon nous, les caractéristiques d'un centre compétitif et coopératif, en dehors des avantages fiscaux et de l'expertise financière, consistent tout d'abord en l'évaluation de la conformité aux standards internationaux par des tiers (FMI, OCDE), puis en une surveillance financière renforcée consistant en des strictes conditions pour l'identification des clients, et le reporting des transactions suspectes. Enfin, le centre financier doit être également engagé dans un processus international de coopération fiscale ou judiciaire. Si la France formule une demande de renseignements, trois voies lui sont offertes : la voie légale ou la « porte judiciaire » qui existe depuis longtemps. Elle ne dépend pas d'un accord fiscal. La demande est présentée au procureur. Il existe de nombreux cas où les renseignements ont été fournis. Plus récemment, des accords ont été conclus pour régler les échanges d'informations entre les administrations fiscales. Enfin, en cas de blanchiment et de crimes économiques notamment, les autorités chargées de la surveillance financière coopèrent. Jersey est lié par une convention avec l'Autorité des marchés financiers (AMF). Elle en signera bientôt une avec l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP).

Je souhaite revenir sur l'historique de la coopération judiciaire concernant les affaires pénales. J'insiste sur le fait qu'il n'y a pas de secret bancaire à Jersey et à Guernesey. La fraude et l'évasion fiscales sont spécifiquement réprimées depuis la loi « Proceeds of Crime Law », adoptée en 1999. A la différence de la Suisse, il n'y a pas de condition requise pour une « double criminalité ». Une demande en Suisse ne peut être satisfaite que si les faits reprochés constituent un crime non seulement dans le pays demandeur mais également en Suisse. Ce n'est pas le cas de Jersey. Nous sommes ouverts aux demandes.

Il existe une obligation d'établir un « reporting » auprès des autorités de police financière à Jersey pour toute transaction jugée « suspecte ». En cas de manquement à cette obligation par une institution financière, son autorisation peut lui être retirée.

Or, en dépit de ces dispositifs, Jersey a reçu relativement peu de demandes de la France ou d'autres pays pour échanger des informations par la voie judiciaire. On s'interroge sur ce constat. Afin de remédier à toute éventuelle méconnaissance des mécanismes d'échanges judiciaires, nous avons aussi rencontré des juges d'instruction français.

S'agissant de coopération fiscale, Jersey s'est engagé dès 2002, à mettre en place la transparence et l'échange d'informations sur demande. Nous avons cependant exigé la participation de la Suisse, du Luxembourg et d'autres places financières importantes telles que Singapour et Hong Kong.

Jersey a poursuivi depuis 2002 sa politique de signature d'accords d'échanges de renseignements avec quelques pays clés, comme la France face à la crise financière de 2008 et aux mesures prises par le G20 contre les « juridictions non-coopératives » à compter du Sommet d'avril 2009. Jersey a ainsi signé vingt-et-un accords d'échange de renseignements entre novembre 2002 et janvier 2011. Ainsi que vous pouvez le constater, ces accords sont conclus avec des membres du G 20. Nous n'avons pas cédé à la facilité, comme d'autres centres offshore, de les conclure entre centres financiers uniquement.

Quant aux derniers développements de cette politique conventionnelle, des négociations sont en cours ou des accords en attente de signature, selon le cas, avec l'Afrique du Sud, l'Argentine, le Brésil, la Grèce, l'Inde, l'Italie, le Japon, la Pologne, la République de Corée, la République Tchèque. Des négociations sont également bien avancées, avec une première mouture d'accord échangé avec la Hongrie. Nous rencontrons quelques difficultés avec l'Espagne qui ne souhaite conclure l'accord qu'avec un Etat souverain, c'est-à-dire le Royaume-Uni. Jersey a également établi des contacts avec le Luxembourg, la Russie et la Suisse. Seules l'Autriche, la République Slovaque et l'Arabie Saoudite n'ont pas encore officiellement répondu à notre demande d'ouverture d'un cycle de négociations.

S'agissant de la coopération en matière de surveillance financière, Jersey a signé de nombreux accords bilatéraux (notamment avec la France), multilatéraux ou régionaux (avec l'Afrique de l'ouest). Notre tissu conventionnel couvre donc une grande partie du monde.

En ce qui concerne la réglementation du secteur financier, Jersey dispose d'une autorité autonome depuis 1998, la Jersey Financial Services Commission (commission des services financiers de Jersey), afin d'en assurer la surveillance. Celle-ci fait preuve d'un fort engagement en matière de respect des standards internationaux tels que ceux établis par les organismes internationaux dont le GAFI. Ainsi, Jersey se conforme aux quarante-neuf recommandations du GAFI comme l'attestent les conclusions de l'évaluation du système de surveillance financière conduite par le FMI en 2009. Jersey tente de se conformer aux standards internationaux en matière de contrôle des fonds collectifs, ainsi qu'aux normes définies par Bâle pour les banques, et par l'International Association of Insurance Supervisors (IAIS) pour le secteur de l'assurance.

Jersey a également établi un système de surveillance efficace pour les trusts ou les special purchase vehicles. Nous considérons que le dispositif ainsi mis en place est à la pointe en matière de contrôle de ces structures financières. Il est, par exemple, nettement en avance dans ce domaine sur les mécanismes utilisés aux Etats-Unis et au Royaume Uni.

Le rapport du FMI en date du 14 septembre 2009, élaboré dans le cadre du programme mondial d'évaluation du secteur financier (FSAP), a conclu que Jersey est « globalement en conformité » avec l'ensemble des principales règles internationales du GAFI. Quarante-quatre des quarante-neuf recommandations ont été notées « conformes » ou « en grande partie conformes ». Le leader mondial était alors les Etats-Unis avec un score inférieur de quarante-trois. Guernesey a depuis lors réalisé une meilleure performance que Jersey.

Le FMI s'est également exprimé sur le système financier de Jersey en général. Il a conclu que l'île avait mis en place un cadre juridique complet et « robuste » afin de lutter contre le blanchiment. Il s'agit notamment de l'enregistrement obligatoire auprès du Registar of Companies, qui permet d'obtenir, de maintenir et de vérifier les informations sur le bénéficiaire de la propriété des entreprises y compris les parties à un trust ou ses légataires.

Jersey dispose d'un cadre juridique de l'entraide judiciaire mutuelle et de l`extradition efficace. Bien qu'une analyse des questions fiscales ne fasse pas partie du cadre de cette évaluation, le FMI a relevé que Jersey fait partie des pionniers en matière de conclusion d'accords d'échange de renseignements.

Quant au processus d'examen par les Pairs dans le cadre du Forum Mondial de l'OCDE, le rapport sur Jersey combinant la phase 1 et 2 est sur le point d'être publié. Nous sommes satisfaits de ses conclusions. Il convient, cependant, de souligner que la phase 2 est récente car la signature de l'accord date de 2009. Ce dernier n'est entré en vigueur que l'an dernier. Il y a donc peu de demandes. Nous garantissons un traitement rapide et efficace, conformément à notre politique de coopération déjà mise en oeuvre avec les autres pays.

S'agissant des propositions de Jersey pour l'avenir, certains dossiers constituent des thèmes importants tels que la directive sur l'Epargne et le Code de conduite sur la fiscalité des sociétés et la réglementation des trusts.

Nous avons évoqué avec la France et les Etats membres de l'Union européenne quelques légères mesures compensatoires en faveur de Jersey en reconnaissance de sa politique de coopération et de « bon voisinage ». Tout d'abord, en ce qui concerne la directive Epargne, il s'agit d'un engagement volontaire de Jersey et Guernesey. En juin 2003, a été mise en place une retenue à la source ou un échange d'informations, selon le voeu du client. 50 % de ceux-ci ont choisi cette seconde option tandis que l'autre moitié a préféré conserver le système de retenue à la source.

Jersey est prêt à s'engager dans la prochaine étape, à savoir l'échange automatique d'information à condition que la Suisse, l'Autriche et le Luxembourg en fassent autant. C'est une question de principe.

M. Jean Arthuis, président. - Le feront-elles ?

M. Philippe Marini, rapporteur général. - On peut s'interroger sur le cas luxembourgeois.

M. John Harris. - La Suisse et le Luxembourg font preuve d'une forte résistance.

Quant au dossier du Code de conduite sur la fiscalité des sociétés, celui-ci est très controversé. Il vise l'élimination des pratiques fiscales dommageables relatives à l'imposition des entreprises, qui suppose de niveler la fiscalité des sociétés à la fois pour les actionnaires résidents et ceux non résidents. Afin de maintenir la compétitivité de Jersey, il a été décidé de le faire à un taux d'imposition de 0 %. Vous allez certainement invoquer la concurrence déloyale. Cependant, il nous importe de préserver la neutralité fiscale des montages financiers. C'est pourquoi, les sociétés ne sont pas fiscalisées à Jersey contrairement aux particuliers. Évoquant ce sujet avec des membres de l'Assemblée nationale, ceux-ci ont rappelé qu'une demande avait été faite à l'Irlande de relever son taux d'imposition. Il convient cependant de souligner que Jersey ne bénéficie pas de l'aide européenne, contrairement à l'Irlande. De surcroît, le nivellement à 0 % du taux d'imposition pour les actionnaires résidents ou non est conforme au Code de conduite.

Enfin, en ce qui concerne la surveillance des trusts, Jersey a mis en place un système de contrôle composé de trois éléments importants et interdépendants. Le premier consiste en l'obligation formelle et juridique pour tout gestionnaire de trusts (trustee) d'identifier chaque personne (légataire, bénéficiaire) liée au trust ou une société gérée par un trust.

Puis, ces informations doivent être contrôlées par un régulateur. L'autorisation, la réglementation et la surveillance des gestionnaires de trusts (trustees) sont effectuées par la Jersey Financial Services Commission. Le non respect de l'obligation d'identification peut avoir de lourdes conséquences sur les autorisations accordées au trustee.

Enfin, le système d'échange d'informations (juridique et fiscal entre régulateurs) avec les autres pays couvre également les trusts. Nous considérons que le système ainsi mis en place à Jersey comprend ces trois éléments. L'alternative qui consisterait à enregistrer l'ensemble des trusts se heurte, en effet, à leur grand nombre, plus d'une dizaine de milliers à Jersey.

Enfin, les éventuelles mesures compensatoires concernent notamment la possibilité de conclure une convention fiscale de non double imposition avec la France pour les résidents de Jersey. Nous avons déjà obtenu la suppression des mesures discriminatoires du code général des impôts envers les Iles Anglo-Normandes, (depuis l'entrée en vigueur de l'accord d'échange avec la France) à savoir le tarif supplémentaire de fiscalisation de 3 % sur les immeubles ou l'immobilier détenus sous forme de société holding.

Le dossier le plus important, à nos yeux, est la reconnaissance politique de la part de la France de la contribution de l'île à la lutte contre la criminalité et la fraude fiscales ainsi que celle de l'adhésion de Jersey et Guernesey aux standards GAFI, à l'échelle de l'Union européenne. Nous souhaitons être évalués par l'Union afin d'obtenir des équivalences, notamment dans le cadre de la directive sur les Fonds alternatifs et celle sur les experts comptables.

En conclusion, je vous remercie de votre attention en dépit de mes fautes de langage.

M. Jean Arthuis, président. - Votre français est parfait. Nous apprécions la maxime de La Rochefoucauld en conclusion de votre présentation : « C'est une grande folie de vouloir être sage tout seul ».

M. John Harris. - Jersey a fait preuve d'un esprit d'engagement et de coopération vis-à-vis de ses principaux interlocuteurs sur le plan international. L'île, en tant que vice-présidente, joue un rôle dans le processus de transparence et échanges d'informations lancé par l'OCDE. Elle a conclu et mis en place un grand nombre d'accords sur l'échange d'informations en matière fiscale.

Son niveau d'autonomie ne cesse d'augmenter dans la poursuite de ces divers engagements internationaux. Nous avons récemment ouvert un bureau de représentation à Bruxelles et nous participons aux groupes d'études au sein de nombreux organismes internationaux. Nous visons à nous conformer aux plus hauts standards internationaux de réglementation financière.

Notre approche est étroitement liée au principe de compétitivité internationale de notre secteur financier. Elle se traduit par un engagement de transparence qui doit conduire les autres Etats et territoires, dont la Suisse et Singapour, à respecter les mêmes standards. Nous estimons que l'étiquette de « Paradis Fiscal » attribuée aux Iles Anglo-Normandes est erronée.

M. Jean Arthuis, président. - Vous vous présentez comme un paradis fiscal réglementé, transparent et coopératif...

M. Philippe Marini, rapporteur général. - C'est un territoire à fiscalité allégée.

M. Jean Arthuis, président. - C'est en cela que c'est un paradis fiscal parce que les impôts y sont à un niveau modeste.

M. John Harris. - Le paradis fiscal comporte comme caractéristiques le faible niveau de surveillance financière et l'absence d'échange de renseignements, ce qui n'est pas le cas pour Jersey.

M. Jean Arthuis, président. - Transmettez-vous un grand nombre d'informations ?

M. John Harris. - L'accord avec la France a été signé récemment. Nous n'avons pas encore eu le temps de le mettre en oeuvre. Nous pouvons vous dire qu'il n'y aura pas de problèmes avec les demandes formulées auprès de nos autorités. Nous estimons qu'il ne suffit pas de conclure l'accord et de mettre en place la législation nécessaire, il faut faire preuve de la pertinence. Cela a constitué l'axe des échanges avec les Etats-Unis. A nos interrogations sur l'efficacité de l'accord conclu avec les Etats-Unis, ces derniers ont répondu positivement en invoquant l'accès aux informations ainsi que l'effet dissuasif résultant d'un tel accord. Dès que vos autorités transmettront des demandes, celles-ci seront traitées rapidement.

M. Jean Arthuis, président. - M. le Premier ministre, je vous remercie de cette présentation des éléments qui tendent à qualifier Jersey de territoire coopératif.

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Je souhaiterais vous interroger, Monsieur le Premier ministre ainsi que vos collaborateurs, afin de mieux connaître votre système qui est très proche de nous en dépit d'une forte spécificité, puisqu'on retrouve dans votre corpus legal des éléments du droit normand qui s'appliqueraient aujourd'hui en France, en l'absence de la Révolution. Ma première question porte sur les conséquences de la crise financière sur Jersey, notamment en termes de flux financiers, et éventuellement de solvabilité des sociétés financières. La crise a-t-elle modifié votre appréciation du modèle financier de Jersey ? Pourriez-vous également relever vos différences avec votre île soeur de Guernesey ? Etes-vous en compétition ? Existe-t-il des stratégies financières vous distinguant ? Comment se décline à Jersey la réorganisation de l'architecture de la régulation financière britannique qui a substitué à la Financial Services Authority (FSA) deux autorités différentes ? Les trustees sont-il soumis à une réglementation ou à un examen particulier ? Comment sont garantis leur honorabilité et leur professionnalisme ? Doivent-ils établir des comptes-rendus particuliers aux autorités de l'île ?

M. Terry Le Sueur. - La crise financière a été mondiale. Nous y avons fait face grâce aux réserves que nous avions constituées.

M. John Harris. - L'impact de la crise financière a été moindre à Jersey que dans d'autres centres financiers. Cependant, nous avons dû faire face à un problème de rentabilité des banques, en raison de la faiblesse des taux d'intérêt. Or, l'économie de l'île dépend en grande partie des impôts prélevés sur l'activité bancaire. L'île a donc subi un amoindrissement de ses recettes budgétaires. La crise a également eu des répercussions sur l'activité, en provoquant un ralentissement du secteur financier qui s'est traduit par un certain nombre de licenciements, évalués entre 400 et 500 sur les 13 000 actifs présents dans ce secteur. En revanche, Jersey n'a été confrontée à aucun problème de solvabilité des banques, car ne sont implantées dans l'île que des filiales de grandes banques internationales. Aucune banque islandaise n'est installée à Jersey.

M. Jean-Pierre Fourcade. - Des banques canadiennes sont-elles installées à Jersey ?

M. John Harris. - La Banque royale du Canada est l'une des plus grandes banques de Jersey.

M. Terry Le Sueur. - Il n'existe pas de différence fondamentale avec Guernesey.

M. John Harris. - L'économie de Guernesey est plus axée sur le secteur de l'assurance et celui des fonds collectifs, tandis que Jersey est spécialisée dans les opérations bancaires et de trusts. S'agissant du changement des autorités de régulation britanniques, il n'emporte pas de conséquences majeures pour notre fonctionnement, sous réserve d'une période d'adaptation administrative nécessaire. Nous entretenions, en effet, de bonnes relations avec la FSA. En revanche, le changement de politique réglementaire impose au transfert de liquidités provenant d'une filiale bancaire à Jersey vers sa maison mère à Londres une obligation de couverture plus importante qui tend à diminuer la rentabilité de ces opérations. Elles sont considérées comme des dépôts entre banques.

En ce qui concerne les trustees, ceux-ci font l'objet d'une surveillance toute particulière qui a conduit à une diminution de leur nombre de 241 en 2001 à 183 aujourd'hui. Ils sont soumis à des évaluations sur place. Sont ainsi exigés un nombre suffisant de dirigeants, un minimum de capital ainsi que l'identification des parties au trust. Ils doivent fournir des éléments qui donnent lieu à une étude approfondie de la bonne conduite du trust.

M. Jean Arthuis, président. - M. le Premier ministre, nous sommes appelés à rejoindre maintenant M. François Fillon, Premier ministre. Nous vous remercions de votre présence et nous confions la présidence de cette réunion qui va se poursuivre à notre collègue Yann Gaillard.

M. Terry Le Sueur. - Il était important de vous présenter les mesures de Jersey en faveur de la transparence fiscale.

M. Jean Arthuis, président. - N'hésitez pas à montrer le chemin à la Suisse et au Luxembourg.

M. Adrien Gouteyron. - J'ai particulièrement apprécié la maxime de François de La Rochefoucaud, en tant que le pessimisme constitue une base solide pour les négociations internationales. Elle conduit à ma question qui ne comporte aucune malice. Vous vous dîtes prêts à mettre en oeuvre l'échange automatique dès que la Suisse, l'Autriche et le Luxembourg en feront autant. Quelle chance donnez-vous à cette perspective ? Ces trois pays sont-ils prêts à s'engager dans la voie de la coopération ?

M. Terry Le Sueur. - D'un point de vue personnel, je pense que ce sera long, mais cela se réalisera, sous réserve d'un changement de mentalités.

M. John Harris. - La Suisse et le Luxembourg seront obligés à terme de se conformer aux exigences internationales après de multiples résistances. Contrairement au modèle suisse, le système financier de Jersey n'est pas fondé sur l'opacité. Je vous comprends. Faut-il donner l'exemple à la Suisse ? Peut-être. Cela relève de la négociation. Jersey est prête à entrer unilatéralement dans un système d'échange automatique. Néanmoins, nous souhaitons obtenir auparavant la reconnaissance de la part des Etats de l'Union européenne des efforts en matière de transparence réalisés par Jersey.

M. Adrien Gouteyron. - Dans la perspective des échanges de renseignements demandés par la France dans le cadre de l'accord récemment signé, comment interprétez-vous la notion d'information pertinente ?

M. John Harris. - La demande ne doit pas être dépourvue des informations de base, c'est-à-dire le nom de la personne. Les accords prévoient que soient fournis les éléments expliquant la raison de la demande du pays demandeur. Si l'identification du compte bancaire n'est pas obligatoire, elle est, en pratique, bienvenue en raison du grand nombre de banques présentes sur l'île (plus d'une quarantaine). En l'absence d'une telle indication, les autorités de Jersey font face à des difficultés pour obtenir les informations requises dans les délais prévus. Le manque de précision, notamment quant à l'identité de l'institution financière, ne conduit pas à un refus de notre part. Cependant, dans un tel cas, la recherche d'informations peut s'avérer longue. Nous n'exigeons pas d'avoir toutes les informations, contrairement à certains territoires.

M. Adrien Gouteyron. - Le rapporteur général a évoqué les trustees. Je souhaiterais, pour ma part, aborder la question du trust. C'est un objet juridique mal identifié en France. Vous avez fait référence aux trois éléments interdépendants du système de surveillance. Pouvez-vous nous préciser s'ils sont rentrés en vigueur ou s'ils constituent un sujet possible de discussion ?

M. John Harris. - Ces éléments sont entrés en vigueur depuis une dizaine d'années. Nous luttons contre la méconnaissance des mécanismes juridiques et financiers des trusts propres aux systèmes anglo-saxons. Il s'agit d'un contrat entre parties avec une cession de biens. Le recours à ce type de contrat ne constitue pas une pratique d'opacité fiscale à Jersey. Une transaction impliquant un trust est traitée de la même façon qu'une autre transaction financière. Elle ne doit pas être opaque. Nous devons être capables de fournir les informations relatives aux trusts domiciliés dans l'île. Nous possédons le dispositif pour répondre aux demandes depuis des années.

M. Joël Bourdin. - J'ai été alerté, il y a deux ans, en tant que membre de la francophonie, des problèmes démographiques auxquels était confronté Jersey. Les jeunes sont généralement envoyés en Angleterre pour parfaire leur éducation. Ils ne reviennent sur l'île que beaucoup plus tard. En conséquence, la population a tendance à vieillir. Qu'en est-il aujourd'hui ?

M. Terry Le Sueur. - La population de Jersey est en train de se reconstituer. La moitié d'entre elle est née à Jersey. Le problème démographique demeure cependant.

M. John Harris. - Le vieillissement de la population de Jersey constitue un véritable sujet politique que nous avons commencé à traiter par un recul de l'âge de la retraite à 67 ans, ainsi que par une augmentation de la fiscalité. Le taux de taxe sur la valeur ajoutée a été relevé de 3 % à 5 %. D'autres mesures seront à prendre car les jeunes quittent Jersey pour l'Angleterre, ce qui aggrave le déficit démographique.

M. Yann Gaillard, président. - Vous nous présentez un portrait idyllique de la transparence fiscale de Jersey. Permettez-moi de vous demander quel peut bien être désormais l'intérêt de faire appel à votre centre financier ?

M. John Harris. - L'attractivité de Jersey est à apprécier dans le cadre des montages financiers qui sont réalisés avec la place financière de Londres, ainsi que des avantages fiscaux octroyés en toute transparence aux expatriés britanniques. Le système britannique fiscal permet ainsi d'attirer de la main d'oeuvre afin de renforcer la place financière londonienne. Ce qui est perdu au niveau de la fiscalité directe est récupéré dans le cadre de la fiscalité indirecte.

M. Adrien Gouteyron. - La fiscalité à taux zéro des sociétés, hormis les activités bancaires, fait-elle l'objet d'un débat à Jersey ? Cela peut-il évoluer ?

M. John Harris. - Vous soulevez une véritable question. Notre système fiscal consiste, d'une part, à ne pas taxer les sociétés, sauf les banques au taux de 10 % et, d'autre part, à imposer les résidents particuliers au taux de 20 %. Il lui est reproché de transférer le poids de la fiscalité sur la population de l'île, au bénéfice des sociétés. Le taux de la TVA a été relevé afin de préserver la compétitivité.

M. Adrien Gouteyron. - La notion de progressivité de l'impôt sur les particuliers vous est-elle totalement étrangère ?

M. John Harris. - Le taux unique de 20 % masque une sorte de progressivité permise par le jeu des abattements. Au-delà d'un certain niveau de revenu, le contribuable ne bénéficie plus des abattements. Ces derniers tendent à diminuer le taux effectif d'imposition.

M. Joël Bourdin. - A quels abattements faites-vous référence ?

M. John Harris. - Il s'agit des primes de l'assurance-vie, des sommes versées pour l'éducation des enfants ou des cotisations pour la retraite.

M. Ken Vibert, connétable de St Ouen, président de l'assemblée parlementaire de la francophonie. - Une prise en charge a été introduite afin de permettre aux plus pauvres de payer la TVA nécessaire pour se nourrir et se chauffer.

M. Jean-Jacques Jégou. - Quel est le système de protection sociale de Jersey ? Vos dépenses de santé sont-elles équilibrées ?

M. John Harris. - Il existe une participation de l'employeur et de l'employé de l'ordre de 7 % pour chacun. Les dépenses ne sont pas équilibrées. Une contribution supplémentaire provenant du budget comble le déficit.