Jeudi 10 mai 2012

- Présidence de M. Joël Bourdin, président -

Examen de l'étude de faisabilité de Mme Renée Nicoux et MM. Gérard Bailly et Ronan Kerdraon sur « l'avenir des campagnes »

M. Joël Bourdin, président. - Mes chers collègues, Renée Nicoux et Ronan Kerdraon vont nous présenter leur étude de faisabilité sur l'avenir des campagnes, étant précisé que Gérard Bailly, également co-rapporteur, est aujourd'hui empêché.

M. Ronan Kerdraon. - Monsieur le Président, mes chers collègues. En janvier dernier, le bureau de la délégation a retenu, dans son programme de travail, l'idée d'un rapport sur l'avenir des territoires, pour compléter l'excellent rapport sur la prospective des villes de notre collègue Jean-Pierre Sueur.

C'est ainsi que nous avons sollicité et reçu, Renée Nicoux, Gérard Bailly et moi-même, mandat de travailler sur l'avenir des campagnes.

Pourquoi s'engager dans ce rapport ? En dépit de la prédominance économique et démographique des villes, la France demeure un espace essentiellement rural, maillé par 29 343 « communes rurales » au sens de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), qui représentent 78 % du territoire métropolitain et 22 % de la population.

Les figures de la campagne française sont évidemment diverses mais, par delà la variété des configurations locales, les multiples dynamiques à l'oeuvre dans les différents territoires ont abouti, globalement, à une inversion des flux de population.

Après plus d'un siècle d'exode rural, le solde migratoire dans les campagnes est devenu positif à la fin des années soixante-dix. Il en va de même, depuis 2000, du solde naturel, c'est-à-dire, des naissances moins les décès.

C'est là, sans doute, un motif de satisfaction pour les élus que nous sommes, et pour qui redoutait, il y a quelques décennies encore, une tendance irrésistible à la désertification d'une portion majeure de notre territoire. Mais c'est aussi une source d'interrogations, et de multiples difficultés...

Après quelques auditions, nous sommes aujourd'hui en mesure de vous présenter notre étude de faisabilité. Je vous rappelle que, selon notre règlement intérieur, avant de mener au fond un travail de prospective, l'étude de faisabilité doit permettre à la Délégation d'apprécier le contenu du sujet, ses difficultés, sa méthode, son calendrier et son budget.

Pour aborder un sujet, il est habituel d'en donner une définition, ou d'en circonscrire le champ. Pour des questions de délimitation des compétences avec la Délégation à l'Outre-mer, nous en resterons au territoire métropolitain. Il s'agit donc d'appréhender, dans ce périmètre, la notion de campagne ou de territoires ruraux.

Sous l'angle topographique, en soustrayant les surfaces artificialisées - qui ont progressé de l'équivalent d'un département français moyen en sept ans -, la campagne représente 91 % du territoire.

Sous l'angle géographique, la densité de population est le critère le plus intuitif. C'est celui retenu par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Eurostat, ainsi que la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR) pour son approche des « territoires de la faible densité » ; caractérisés par moins de 30 habitants au km2, ils représentent alors 48 % du territoire. D'autres approches - notamment celle de l'INSEE - retiennent la continuité du bâti comme critère principal, avec, au final, 78 % du territoire considéré comme rural.

Enfin, certaines approches, cette fois de nature fonctionnelle, intègrent la répartition des emplois dans leur zonage...

Au total, il conviendra, sans doute, de ne pas adopter de définition statistique particulière, mais de s'intéresser plutôt aux systèmes de relations entre monde urbain et monde rural, tout en gardant à l'esprit la diversité des approches envisageables.

Dans cette perspective, une typologie des plus efficaces a été proposée en 2002 par Philippe Perrier-Cornet et Bertrand Hervieu. Elle distingue la « campagne ressource » de l'agriculture et des activités économiques, la « campagne cadre de vie » de la résidence et des loisirs, et la « campagne nature », espace de protection et de conservation des ressources et équilibres naturels. Cette classification fonctionnelle met en évidence les conflits d'usage potentiels.

Sur la base de multiples critères, la DATAR distingue, pour sa part, 7 catégories de campagnes, débouchant sur une véritable géographie de la ruralité française. De manière commune à ces deux typologies, on s'aperçoit qu'émergent les problématiques centrales de la dialectique ville-campagne et des phénomènes de périurbanisation.

Par ailleurs, aborder un nouveau sujet suppose de faire le point sur l'état de la science. Il existe deux « sommes » prospectives récentes portant sur les campagnes :

- le travail intitulé « Les nouvelles ruralités en France à l'horizon 2030 », publié par l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) en 2008. Dirigé par Olivier Mora, que nous avons auditionné le 27 avril dernier, il décline 4 scénarios ;

- l'exercice « Territoires 2040 » de la DATAR, paru en 2011, qui examine le devenir de sept « systèmes spatiaux », dont les « espaces de la faible densité » figurent les « campagnes ». Leur devenir épouse ici 5 scénarios, qui vous ont été présentés en Délégation le 7 mars dernier.

Par ailleurs, le Comité d'évaluation et de contrôle (CEC) de l'Assemblée nationale a publié, en février 2012, un rapport intitulé « Territoires ruraux, territoires d'avenir ». Ce rapport cherche surtout à évaluer les outils de la décentralisation et de l'aménagement du territoire dans leur aptitude à valoriser ces territoires.

Mme Renée Nicoux. - Quels pourront être nos axes de recherche ? La difficulté provient, ainsi, des travaux préexistants, très proches de l'objet a priori notre recherche. Comment trouver une temporalité - ou une approche - à la fois singulière et fructueuse ?

Première possibilité, choisir une « voie moyenne », avec un horizon temporel qui pourrait être celui de 2020 et une approche qui, sans « coller » aux instruments existants dans ses conclusions, en serait nécessairement voisine dans ses explorations.

Le risque demeurerait, au regard des travaux existants, de paraître in fine redondants.

Deuxième possibilité, choisir un examen ou un questionnement thématique, assorti d'un terme adapté.

Une telle démarche permettrait de s'émanciper facilement des rapports préexistants, d'autant plus que certains aspects y sont insuffisamment développés.

Par exemple, la diffusion du très haut débit, pourtant inéluctable, n'a véritablement d'impact que dans certains scénarios de l'INRA et de la DATAR ; autre exemple, le réchauffement climatique, à peine évoqué dans les scénarisations de la DATAR et de l'INRA.

Dans cette logique, la Délégation se proposerait alors d'étudier « L'impact du très haut débit dans les campagnes en 2040 » ou les rapports entre « Territoires ruraux et réchauffement climatique en 2050 »...

Mais le résultat final demeurerait en deçà des attentes initialement formulées.

Dernière possibilité, estimer que l'essentiel du travail de prospective rurale a été fait par l'INRA et la DATAR, qui y ont chacun consacré, durant environ deux années, des moyens importants, et se livrer, sur cette base et celle de nos auditions, à une synthèse prospective débouchant sur des préconisation générales.

Il s'agirait ainsi de discuter des scénarios présents « sur le marché », de marquer une préférence pour ceux qui conduisent à un développement équilibré des territoires ruraux, puis de métaboliser un « scénario souhaitable » à l'horizon 2030/2040, éventuellement décliné en plusieurs sous-scénarios.

Ce « scénario souhaitable » pourrait s'inscrire en résonnance avec le scénario n° 4 de l'INRA (« Les campagnes dans les mailles des réseaux des villes ») et le scénario n° 4 de la DATAR (« Le canevas territorial des systèmes entreprenants »). Ces deux scénarios aboutissent, en effet, à un développement économique appréciable et à un peuplement relativement harmonieux des campagnes.

Celui de l'INRA prévoit, en particulier, « une réorganisation des rapports ville-campagne pour limiter la périurbanisation des grandes agglomérations et l'orientation des migrations résidentielles vers les bourgs ruraux, petites villes et villes moyennes ». Il décrit alors « des territoires imbriquant espaces urbains et ruraux multipolarisés et structurés par des réseaux de villes et de bourgs donnant à tous l'accès à une gamme complète de services et à des emplois ». Enfin, dans ce scénario, « les dynamiques territoriales allient économie résidentielle et productive » ...

... Toutes perspectives devant être précisées mais auxquelles, me semble-t-il, la plupart d'entre nous pourrait se rallier.

Les autres scénarios identifiés par l'INRA et la DATAR, de nature plus ou moins « tendancielle », présentent de nombreux écueils : isolement ou exploitation des campagnes, arraisonnement par les métropoles ou confinement dans une logique d'étalement urbain ou, encore, muséification desséchante.

Dans le « scénario souhaitable », la question que nous nous poserions serait la suivante : comment favoriser le développement économique, freiner les polarisations excessives et, au final, préserver l' « éventail des possibles » dans nos campagnes ?

Un certain nombre de recommandations, ou, plutôt, d'orientations d'ordre général, seraient alors formulées pour que le « scénario du souhaitable » se réalise, en lieu et place de certaines évolutions tendancielles. Dans cette perspective, les modalités et le fond de nombreuses politiques seront questionnées : l'implantation du très haut débit, les mobilités, l'accès aux services publics et la santé, l'agriculture, l'environnement etc.

Préserver le potentiel des campagnes nous ramènera immanquablement à une interrogation prosaïque : comment satisfaire, dans un contexte de raréfaction des crédits et de rationalisation de services essentiels, des besoins toujours plus nombreux, et toujours plus ajustés sur ceux des populations urbaines ?

Au total, la démarche qui vous est proposée ne participe pas d'une recherche prospective exhaustive ; elle consiste en revanche à s'appuyer sur un ou plusieurs scénarios pour définir des orientations de court, moyen et long terme favorables à un développement équilibré des campagnes.

Ces orientations, en phase avec le tropisme politique d'une instance parlementaire, feraient consensus entre les rapporteurs et au sein de la délégation.

J'en viens au programme de travail et aux moyens nécessaires.

Outre les cinq auditions que nous avons menées, une vingtaine d'auditions nous semblent nécessaires pour embrasser toutes les dimensions du sujet. Quatre déplacements nous sembleraient utiles, dont certains permettraient de comparer des prospectives passées à ce qui est advenu sur les territoires concernés. S'ensuivrait un atelier de prospective, pour une reddition des travaux la seconde quinzaine de novembre, suivant le calendrier figurant dans le rapport de faisabilité. Les quelques déplacements envisagés pour trois sénateurs et deux fonctionnaires constitueraient l'essentiel des dépenses engagées pour cette étude.

M. Joël Bourdin. - Je remercie les deux orateurs pour leur présentation des méthodes et de l'horizon qu'ils comptent retenir pour finaliser l'étude sur l'avenir des campagnes.

M. Alain Fouché. - La notion de service public est importante dans une telle étude. Par ailleurs, comment comptez-vous aborder la question des commerces de proximité dans les campagnes ? Ils ont largement disparu, en particulier sous l'influence de la loi de modernisation économique (LME).

Mme Renée Nicoux. - Les politiques publiques à mener devront comporter des outils favorisant le maintien des services mis à la disposition des résidents des campagnes. Des outils tels que le fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (FISAC), de même que les politiques territoriales mises en place dans la cadre des pays doivent y contribuer. En ce qui concerne le fonctionnement des pays, un état des lieux fera apparaître que les crédits de l'Etat ne sont pas versés dans les délais nécessaires.

M. Jean-Pierre Sueur - Il n'existe pas de dichotomie absolue entre la ville et la campagne. On ne peut plus parler de « désert français » ; la vraie question est aujourd'hui celle de la façon dont on occupe les territoires. Il faut aussi imaginer des outils pour une meilleure maîtrise de l'espace : la densité est écologique et l'on ne peut continuer à perdre un département tous les sept ans par suite de l'artificialisation des sols.

Je crois par ailleurs à la logique des réseaux. Le monde rural a besoin d'être structuré par des réseaux de villes moyennes et de petites communes fonctionnant ensemble.

J'ai aussi été frappé par les résultats des élections présidentielles dans certains territoires. Le Front national a obtenu des résultats plus importants dans des communes rurales ignorant la cohabitation de résidents d'origines diverses que dans des quartiers marqués par la diversité. En parlant avec les élus de ces communes, on se rend compte que des gens originaires de la région parisienne, venus par exemple s'installer à la campagne dans la région d'Orléans, se heurtent à d'ingérables problèmes de transports et découvrent un mode de vie plus compliqué que ce à quoi ils s'attendaient. Ceci peut expliquer une part du vote en faveur du Front national dans les campagnes.

Il est bon que l'étude à réaliser porte sur l'horizon 2040. Dans ce cadre, il faudrait aussi travailler sur les structures institutionnelles : par exemple envisager la montée en puissance inéluctable des communautés de communes. Les pays, de leur côté, fonctionnent de façon disparate : certains sont surtout des outils de redistribution de crédits. Une question essentielle porte sur le positionnement des communautés de communes par rapport au département et à la région.

En tout état de cause, je crois important que le rapport présente les campagnes comme une réalité novatrice et dynamique.

M. Ronan Kerdraon. - Il est en effet très important de travailler sur les structures institutionnelles. Faut-il, par exemple, conserver les pays partout ? Par ailleurs, il faut réfléchir sur les cantons, sur ce qu'ils continuent de représenter, alors que les présidents des communautés de communes peuvent peser localement d'un poids plus lourd que les conseillers généraux.

Je suis d'accord, par ailleurs, sur l'idée de ne pas opposer la ville à la campagne.

En ce qui concerne la maîtrise du foncier, certes nécessaire, il faut rappeler que l'évolution de son prix joue un rôle moteur dans la dissémination de l'urbanisation. Les établissements fonciers régionaux ont un rôle important à jouer dans ce domaine.

M. Joël Bourdin. - Je pense, concernant la méthode, qu'un élément de comparaison s'imposerait sous la forme d'un scénario « au fil de l'eau ». Par ailleurs, il conviendra de ne pas oublier les bouleversements qu'introduit le numérique, notamment pour le télétravail. Il serait également intéressant d'intégrer les évolutions législatives à venir en termes d'urbanisme, ainsi que l'enjeu des communautés de communes, les intercommunalités étant le moyen privilégié pour mener à bien certains projets.

M. Alain Fouché. - Parmi les pays, il serait assurément utile de distinguer, pour les encourager, ceux qui portent véritablement des projets, de ceux qui se contentent de répercuter les crédits.

M. Jean-Pierre Sueur. - La solution, en effet, ne saurait être la même partout. Parfois, les pays engagent des projets, mais parfois aussi, ils n'occasionnent que des réunions supplémentaires.

Mme Renée Nicoux. - Les pays ont le mérite d'avoir habitué les gens à travailler ensemble et cette dynamique doit être cultivée. J'ajoute, sur un autre plan, qu'on oublie souvent le volet culturel qui constitue un facteur d'attractivité indispensable pour toute une frange de la population.

M. Joël Bourdin. - Plus personne ne demandant la parole, je soumets l'étude de faisabilité au vote.

La délégation approuve l'étude de faisabilité.