Mardi 16 octobre 2012

- Présidence de M. Philippe Marini, président, puis de M. Yvon Collin, vice-président -

Audition de M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France

La commission procède tout d'abord à l'audition de M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France.

M. Philippe Marini, président. - Monsieur le Gouverneur, notre commission a souhaité vous entendre sur les perspectives ouvertes par le Conseil européen sur ce qu'il est convenu d'appeler - simplification abusive ! - l'union bancaire européenne. Ce dispositif vous paraît-il de nature à rompre le cercle vicieux qui lie dette souveraine et dette bancaire ? Comment envisagez-vous le devenir de la Banque de France dans ce nouveau dispositif européen intégré, dont le principal support sera la Banque centrale européenne, qui aura vocation à exercer ses compétences au-delà même de la zone euro - ce qui est particulièrement innovant ?

Un mot sur des situations singulières qui nous préoccupent. Où en est la restructuration de Dexia ? Quelle est votre appréciation des risques aujourd'hui, compte tenu de l'arrêt de la production de prêts aux collectivités locales ? Comment ce marché se renouvelle-t-il ? Comment voyez-vous l'intervention des différents acteurs ? Quelle est votre analyse sur le drame du Crédit immobilier de France (CIF), dont nous avons auditionné les protagonistes ? Comment en sortir ? Quid du financement de l'accession sociale à la propriété sans le CIF ?

La Banque de France est aussi une grande entreprise, en pleine réorganisation interne. Votre projet « La Banque de France à l'horizon 2020 » est inspiré des recommandations de la Cour des comptes. Il s'agit de poursuivre la réduction des implantations permanentes, déjà entamée, ainsi que la fermeture de caisses d'émission fiduciaire. Quelle est l'utilité économique de ces caisses aujourd'hui ? Votre plan prévoit également de faire passer le nombre d'agents de 6 300 à 4 200 d'ici 2020, après une première phase de réforme qui avait déjà conduit à réduire la voilure. Dans quelles conditions s'effectuera la restructuration de la Banque de France ?

M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France. - Je vous remercie de m'avoir invité. Répondre aux questions des représentants de la nation, justifier devant vous les actions menées est la contrepartie indispensable de mon indépendance.

Je sais le Sénat attentif au projet de modernisation du réseau de la Banque de France, cher aux collectivités territoriales. Au niveau local, la Banque de France exerce trois métiers : elle gère la monnaie fiduciaire dans les caisses, vérifiant et triant les billets qui lui sont rapportés ; elle traite les dossiers de surendettement ; elle assure la cotation des entreprises. C'est à ce titre qu'elle a assuré la médiation du crédit au niveau local, durant la crise financière. Ces trois métiers obéissent à des logiques différentes et ne seront donc pas traités de la même façon dans la réforme.

La modernisation s'inscrit dans une conjoncture marquée par trois grandes évolutions : démographique d'abord, avec 5 000 départs à la retraite d'ici 2020 ; technologique ensuite, qu'il s'agisse des outils de tri de billets ou de nos relations avec les entreprises, les particuliers et les administrations : beaucoup de gens préféreront passer par Internet plutôt que de se déplacer. Une évolution territoriale enfin, avec des réalités économiques changeantes.

Cette modernisation a un objectif : améliorer les services rendus aux citoyens, à un coût moindre. Notre responsabilité est double : d'un côté, remplir nos missions avec un maximum d'efficacité, de l'autre, participer à l'effort national de rationalisation des dépenses publiques en devenant plus productifs.

Cette réforme devrait se faire en deux phases : une première entre 2013 et 2015 avec la fermeture de quelques services de caisse et de bureaux d'accueil et d'information, dont la fréquentation est très faible, et le développement d'outils nouveaux, notamment de notre outil Internet ; une seconde entre 2016 et 2020 pour finaliser le réseau des caisses et réaménager les succursales. Nous nous fixons un horizon de temps long afin de gérer les choses en douceur et de faciliter les mouvements de personnel, en donnant aux agents une visibilité sur leur avenir professionnel.

Le maillage départemental sera maintenu : il a prouvé toute sa pertinence. L'unité départementale est celle des commissions de surendettement, des fédérations professionnelles et celle où s'exerce la médiation du crédit.

La récente décision du Conseil des gouverneurs de la BCE sur les opérations monétaires sur titres est une réponse à l'urgence de briser le cercle infernal des projections irrationnelles qui parient sur un éclatement de la zone euro. Le coût des refinancements bancaires est influencé par ces variations anormales de taux, la transmission de nos impulsions de politique monétaire n'est plus uniforme dans toute la zone. L'efficacité de notre politique monétaire est mise à mal, au risque de rendre difficile la maîtrise de la stabilité des prix. Grâce à ce nouvel instrument, nous disposerons d'un frein crédible à l'augmentation injustifiée des taux d'intérêt, liée non au risque de crédit mais à la peur d'un éclatement de la zone euro, c'est-à-dire au risque de redénomination. Ces opérations s'accompagnent d'une conditionnalité stricte, garantissant que le pays concerné progresse vers un environnement économique plus robuste. Sa mise en oeuvre sera attentivement suivie.

Je suis très favorable à l'union bancaire européenne : c'est une façon de mettre fin structurellement au cercle vicieux qui unit le risque bancaire au risque souverain, et qui découle d'une lacune institutionnelle dans la construction européenne. La nécessité pour les Etats de renflouer certaines banques a rappelé que celles-ci étaient des acteurs systémiques, dont la disparition devait se faire de manière ordonnée, sans mettre en péril les dépôts ni casser la distribution du crédit. Or, dès lors que les banques peuvent recourir à l'État en cas de difficulté, leur solidité dépend de celle des États. C'est du moins l'interprétation des marchés. Le coût de refinancement des banques est donc aspiré par le coût de refinancement des États ; le coût du crédit privé suit celui des États. Quand la BCE fixe son taux d'intérêt à 0,75 %, la même banque peut proposer des taux de crédit allant du simple au triple à deux PME de même nature et de même solidité, situées de part et d'autre d'une frontière. Une telle segmentation du marché est impensable pour une banque centrale. À l'époque du deutsche mark, la Bundesbank n'aurait pas accepté de tels écarts entre deux Länder !

L'union bancaire repose sur trois piliers. D'abord, une supervision intégrée, un système de type fédéral coiffé par la BCE, les superviseurs nationaux - Banque de France, Autorité de contrôle prudentiel - étant chargés de la supervision sur le terrain, soit 95 % du travail effectif. Deuxième pilier, un mécanisme de résolution intégré ; à la Commission de proposer la création d'une autorité ad hoc. Enfin, un système unifié de garantie des dépôts, par exemple autour d'un fonds de réassurance.

S'agissant de Dexia, l'important est que le plan de résolution - mise en extinction progressive et reprise de DMA (Dexia Municipal Agency), l'entité de refinancement - soit finalisé, et que la Commission européenne autorise la garantie conjointe des trois États, à hauteur de 90 milliards d'euros. Dans l'intervalle, le financement de Dexia est assuré avec un recours à l'Eurosystème et à l'assistance de liquidité d'urgence de la Banque de France. Le dispositif devra être finalisé d'ici fin janvier ; au-delà, le financement sera plus problématique.

J'ai noté, ces derniers mois, un regain d'intérêt des réseaux bancaires classiques pour le financement des collectivités territoriales. La Banque postale a la ferme volonté de développer cette activité, ce qu'elle a commencé à faire sur ressources propres. Dès qu'elle pourra utiliser DMA, sa production augmentera et elle consentira des prêts à plus long terme. Le sujet est donc bien moins préoccupant qu'il ne l'était il y a quelques mois.

Le modèle économique du CIF n'est plus viable de manière autonome : la conjoncture économique, les évolutions réglementaires le rendent obsolète. Historiquement, le CIF pouvait se refinancer grâce à l'appétit des investisseurs internationaux pour des obligations foncières de qualité. Mais depuis un an, les agences de notation et les investisseurs ont pris conscience que les orientations du CIF conduisaient à une prise de risque jugée excessive, sur des quotités importantes : prêts à taux variables et de long terme, clientèle fragile, faible contrôle des prescripteurs. D'où une défiance croissante. Le modèle du CIF ne peut plus fonctionner : les taux de refinancement seraient trop élevés. Un adossement règlerait le problème, mais les groupes bancaires français manquent de dépôts - on sait que le ratio du montant des crédits sur celui des dépôts est particulièrement mauvais en France, de l'ordre de 133 %, en raison de l'importance de l'épargne réglementée, de l'assurance vie et des OPCVM. Même la Banque postale considère qu'un adossement serait un équilibre artificiel, qui entraînerait des risques sur sa notation et sur sa liquidité, des difficultés de prise en main de gestion et un risque social interne. Une autre solution aurait été une garantie sans mise en extinction. Mais c'est une aide d'État et la Commission européenne veille : si l'établissement poursuit son activité, la garantie doit être rémunérée à la valeur du marché pour éviter toute distorsion de concurrence.

Le Gouvernement propose une autre solution : la mise en extinction de l'établissement, sous garantie de l'État, et une activité nouvelle par les autres établissements, notamment la Banque postale, qui vient de mettre en place une offre en faveur de l'accession sociale à la propriété. Certains portefeuilles peuvent intéresser d'autres établissements, comme le crédit aux agents de la SNCF ou d'EDF. Certaines agences pourraient être reprises par d'autres banques pour compléter leur maillage géographique. Il y aura certainement des reprises de personnels au fil de l'eau - je sais que le ministre des finances y travaille.

M. François Marc, rapporteur général. - Rappelons d'abord que la Banque de France gagne de l'argent : 6 à 7 milliards d'euros de résultat cette année, contre 5 milliards l'an dernier. Tant mieux ! Mais la Cour des comptes estime que l'on peut faire plus, d'où ses recommandations, qui ont conduit au plan « Horizon 2020 », présenté au comité d'établissement le 21 septembre dernier. Je m'interroge sur le bien fondé des réorganisations envisagées. Nous craignons que les 2 000 suppressions de poste prévues d'ici 2020 ne frappent davantage les territoires que l'administration centrale. Il se dit, par exemple, que certaines antennes départementales gérant les dossiers de surendettement passeraient de 90 à 10 agents. Comment croire que la gestion des dossiers n'en sera pas rendue plus difficile ? Il y a Internet, nous répond-on...

M. Philippe Marini, président. - Elle est bien bonne !

M. François Marc, rapporteur général. - Ces personnes surendettées, que nous recevons dans nos permanences, ne sauront faire face seules aux démarches administratives. Les travailleurs sociaux seront sollicités pour remplir les dossiers, accompagner les personnes surendettées, en lieu et place des agents de la Banque de France. Un tel transfert de charges sur les collectivités locales est difficilement acceptable. Pouvez-vous nous rassurer sur ce sujet ?

De même pour la présence auprès des entreprises : si la Banque de France n'avait pas assuré la médiation du crédit en 2008 et 2009, de très nombreux emplois auraient été détruits.

J'en viens à l'union bancaire. La création du mécanisme unique de supervision va-t-elle entraîner une réorganisation interne de la BCE et de la Banque de France ? Quel sera le rôle du gouverneur dans le cadre de cette supervision unique ? Etes-vous favorable à une séparation entre l'autorité de politique monétaire et l'autorité de supervision ? Je vois mal, dans le projet de la Commission européenne, quels sont les éléments concrets de nature à rompre le lien entre dette souveraine et dette bancaire. Des incertitudes planent sur le schéma retenu. Quid des autres volets de l'union bancaire, sur lesquels l'Allemagne, entre autres, semble très réticente ? L'union bancaire est censée reposer sur un trépied... Qu'arrivera-t-il si les deux autres « pieds » ne sont pas mis en place : la supervision prendrait un tour surréaliste !

Le programme « opérations monétaire sur titres » (OMT) de la BCE risque d'alourdir son bilan, comme celui de la Banque de France. Quelles en seront les conséquences en termes de gestion des risques pour la Banque de France ? Dans quelles conditions s'opère le relèvement des fonds propres ?

Est-il exact que le besoin de recapitalisation de Dexia représentera 5 à 10 milliards d'euros ? À quelle hauteur le contribuable français sera-t-il sollicité ?

S'agissant du CIF, le rôle de la Banque postale et les engagements demandés aux banques en faveur de l'accession sociale à la propriété ne nous rassurent guère. Quels seront les pouvoirs du superviseur et de la Banque de France ? Pourquoi n'a-t-on pas su prévenir la crise du CIF ? La situation appelait pourtant une attention et une anticipation accrues. Pourquoi les choses ont-elles évolué si vite et si mal ?

M. Philippe Marini, président. - Les secrétariats des commissions de surendettement rendent en effet des services de proximité. L'intervention de la Banque de France se justifie par la neutralité de cette institution tant vis-à-vis des établissements de crédit que des services sociaux : le succès de ces procédures doit beaucoup au fait que les agents de la Banque de France sont perçus comme des techniciens indépendants. Au moment où l'on évalue les résultats - positifs - de la récente loi sur le crédit à la consommation, il serait dommage de concentrer excessivement les secrétariats et de rompre des liens de proximité indispensables dans l'action sociale.

Deuxième question : les bilans des banques centrales pourront-ils s'accroître sans limite ? La BCE envisage le rachat illimité - mais conditionné - de certains titres. Peut-on dire que les banques centrales sont les seuls agents économiques qui, ne faisant l'objet d'aucune notation, peuvent par conséquent gérer leurs fonds propres et leurs engagements sans les contraintes qui s'appliquent aux autres ?

M. Christian Noyer. - Notre plan de réorganisation interne vise à ramener nos effectifs à une fourchette de 4 200 à 4 600. La Cour des comptes a parfois semblé sortir ses chiffres d'un chapeau. Nous sommes prêts à poursuivre les réformes, nous pouvons réaliser des gains de productivité grâce aux évolutions technologiques. Selon l'activité concernée, peut-être serai-je conduit à remplacer deux départs sur trois, ou un sur deux, voire l'intégralité des départs, et non un sur trois, comme le préconise la Cour, afin que la Banque de France puisse continuer à remplir ses missions. L'objectif n'est pas de modifier les missions de la Banque de France ni l'efficacité avec laquelle nous les remplissons. Dans le traitement du surendettement, les assistantes sociales sont de toute façon sollicitées. Lorsque nous avons apporté un appui, une formation, chacun a gagné en temps et en efficacité. Nous garderons, dans chaque succursale départementale, une équipe pour le secrétariat de la commission de surendettement, et pour l'accueil des intéressés, qui déposent leur dossier dans les succursales ou les bureaux d'accueil et d'information. Nous ne fermerons que les bureaux dont la fréquentation est très faible. Les antennes économiques fermées seront remplacées par des bureaux d'accueil. Le directeur départemental sera le représentant de la Banque de France auprès des commissions de surendettement. Nous dégagerons des gains de productivité en regroupant les services de traitement des dossiers, le back-office. L'utilisation d'outils informatiques plus puissants permettra de concentrer la matière grise sur la partie des traitements qui requiert un jugement humain. Il n'y aura aucune baisse du service rendu, mais une uniformité de traitement hautement souhaitable et qui n'existe pas aujourd'hui.

Même chose pour les entreprises : le directeur départemental restera le directeur de la médiation pour les entreprises. En regroupant le traitement de certains dossiers, nous pourrons utiliser des outils informatiques plus sophistiqués et spécialiser les analystes par secteur, ce qui renforcera notre efficacité. Nous l'avons déjà fait pour l'analyse des groupes d'entreprises, au niveau régional. Il n'y aura aucune baisse de la qualité des prestations, au contraire.

S'agissant de la filière fiduciaire, notre réseau compte aujourd'hui 72 caisses, deux fois plus qu'en Allemagne. L'objectif est de passer à 32 caisses, avec deux ou trois centres automatisés très puissants. C'est la norme de l'Eurosystème et l'objectif poursuivi par l'Allemagne ou par l'Italie. Avec l'arrivée d'une nouvelle génération de machines de tri, capables de traiter 100 à 200 millions de billets, c'est une évolution incontournable - et identique partout dans le monde.

Oui, l'union bancaire entraînera une réorganisation, mais de faible ampleur. L'essentiel de la surveillance restera au niveau décentralisé. Les Etats-Unis disposent de deux grands systèmes de supervision, l'un pour les grandes banques, l'autre pour les petites. Les premières sont supervisées par la Fed, mais au niveau décentralisé ; le Board of governors, le comité central situé à Washington, contrôle, donne les instructions, organise les stress tests...

M. Philippe Marini, président. - Il est bon que le comité central contrôle !

M. Christian Noyer. - Les petites banques sont, elles, supervisées par l'Agence fédérale de garantie des dépôts, la FDIC, réorganisée après la crise des caisses d'épargne. Il existe toujours un superviseur par État, mais sous le contrôle de l'agence fédérale. Celle-ci traite certains dossiers, mais 95 % du travail se fait localement, sur le terrain. C'est ainsi que nous entendons organiser les choses. Peut-être faudra-t-il détacher 35 ou 40 personnes à Francfort, mais il en restera 700 ou 750 en France !

En cas de problème de crédibilité locale, comme sur les cajas espagnoles, la BCE organisera des inspections conjointes, associant ses inspecteurs - peu nombreux - et ceux de banques centrales d'autres États. Dans quatorze des dix-sept pays de la zone euro, le superviseur est soit la banque centrale, soit adossé à celle-ci. Nous savons travailler ensemble. L'organisation de la BCE prévoira un conseil de supervision, placé sous l'autorité du conseil des gouverneurs, mais qui prendra les décisions effectives de supervision, à l'instar du collège de l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP).

Oui, l'union bancaire a besoin des deux autres volets. On commence par la supervision car il faut d'abord rassurer. La Commission européenne fera des propositions courant 2013 sur la résolution et la recapitalisation des banques en difficulté. Le Mécanisme européen de stabilité (MES) sera sans doute l'outil disponible le plus rapidement. Personnellement, je pense qu'il y aurait intérêt à créer un fonds de résolution et de recapitalisation, qui pourrait être financé par le MES. Aux gouvernements d'imaginer l'architecture institutionnelle, car il faudra avancer rapidement sur ce volet pour briser le lien entre dette souveraine et dette bancaire.

Etant donné les réticences de l'Allemagne sur la garantie des dépôts, on pourrait commencer par instaurer un système de réassurance commun, ce qui permettrait de maintenir la garantie des dépôts au niveau national tout en créant un début de solidarité. C'est la position que défendent la Commission et la BCE. Il faudra faire les trois piliers sans tarder.

Les opérations monétaires sur titres vont-elles alourdir les bilans des banques centrales ? Certes. Mais si nous parvenons à casser la défiance des marchés, leurs craintes d'un éclatement de la zone euro, alors nous n'aurons pas à intervenir massivement. Et les montants se dégonfleront dès que le marché interbancaire se remettra à fonctionner. Notre bilan n'a pas augmenté plus que celui de la Fed, et il a moins progressé que celui de la Banque d'Angleterre. Ce n'est pas de gaîté de coeur que nous nous substituons à l'intermédiation défaillante entre banques commerciales. Nous faisons de la gestion de crise.

Techniquement, nos bilans sont effectivement sans limites, puisque nous créons nos propres liquidités. C'est précisément là qu'est le risque. Une banque centrale ne fait pas faillite, mais elle peut provoquer la faillite de sa monnaie. C'est ce qui est arrivé au Zimbabwe, où la banque centrale finançait l'Etat à guichet ouvert. Nous veillons à respecter notre mandat, et nous stérilisons la monnaie créée à raison des interventions sur titres hier dans le cadre du SPM et demain dans celui de l'OMT. Il n'y a pas de recours à la planche à billets.

À propos de Dexia, vous me demandez un chiffre. Or tout dépend de la configuration future des taux d'intérêt sur les différents marchés, des rendements du portefeuille. Le risque de taux a été bien couvert, ce qui oblige l'établissement à débourser des appels de marge considérables. Dans le cas d'une approche prudente sur l'évolution des conditions de financement de Dexia et en calculant tous les besoins jusqu'en 2020, on aboutit à une recapitalisation qui pourrait être de 5 milliards d'euros. La France assurant 36 % de la garantie, cela représente pour elle une charge de 1,8 milliard.

Vos questions sur le CIF sont bien légitimes. Depuis cinq ou six ans, nous considérions que le modèle économique de cette institution n'était plus opérant. C'était aussi l'intuition du directeur général du Trésor, qui avait amicalement mais fermement demandé aux dirigeants d'explorer toutes les solutions d'adossement. Ceux-ci ont pris contact avec la totalité des grands réseaux de la place... mais ils ont fait en sorte que les négociations échouent toutes ! Au moins deux ou trois groupes étaient prêts à considérer l'adossement, mais les conditions étaient inacceptables - surtout en matière de gouvernance et de contrôle.

M. Philippe Marini, président. - J'avais posé au directeur général du Trésor une question qu'il avait habilement éludée : en cas d'adossement à la Banque postale, quel serait pour cette dernière le besoin en fonds propres supplémentaires ?

M. Christian Noyer. - Difficile de répondre ! Une part substantielle des crédits est à taux variable, tout dépend donc des hypothèses que l'on fait sur la solvabilité des emprunteurs, qui sont modestes, en cas de remontée des taux d'intérêt - quelle remontée, quand, dans quelle proportion ? La Banque postale estime le risque de défaut trop difficile à calculer mais sans doute substantiel et pouvant générer des pertes qui seraient dans certaines configurations supérieures aux fonds propres. Elle redoute en outre que la gouvernance de cet établissement soit difficile à piloter, que son propre personnel ait une réaction de rejet, que sa propre notation pâtisse par ricochet de l'opération. Elle préfère donc s'engager à combler sur le terrain le vide laissé par le CIF, mais à partir de son propre réseau, de sa propre modélisation économique et en se passant des encours existants...

Nous avions pris la décision, au titre du pilier 2, d'exiger du CIF qu'il porte ses fonds propres à un niveau supérieur à celui du droit commun. Or l'établissement a attaqué cette décision devant le Conseil d'Etat, qui nous a donné tort. Ironie du sort, il s'est prononcé la veille de l'annonce de la dégradation probable de la note du CIF, qui l'a obligé à cesser ses activités. Pour l'avenir, il faudra veiller à sécuriser juridiquement le système afin de faire respecter nos demandes.

M. Jean-Marc Todeschini. - Je suis sceptique sur la capacité de l'outil informatique à remplacer l'accueil par des agents. La suppression de succursales, de lieux d'accueil, de postes d'agents peut-il être sans conséquence pour le traitement des dossiers ? J'en doute. En Lorraine, vous avez fermé des succursales dans un certain nombre de bassins économiques : les effets néfastes sur les entreprises ne se sont pas fait attendre. Quant au surendettement des particuliers, il a encore augmenté de 8 % à 10 % : je crains que la phase amiable, une fois vos services ainsi modernisés, disparaisse. Ce sera directement le contentieux !

La caisse fiduciaire de Metz est la seule maintenue dans la région. Les transports de fonds vont se multiplier : quid de la sécurité ?

Vous prévoyez que la Banque de France se désengagera pour moitié du tri des billets au profit d'opérateurs privés. Cela a un coût. Le prix des retraits au distributeur ne va-t-il pas se renchérir ? Enfin, que pensez-vous de la création d'un fichier positif, c'est-à-dire un fichier des particuliers en difficulté ?

M. Richard Yung. - Je comprends les raisons qui ont conduit à confier la supervision bancaire à la BCE. Mais pourquoi conserver alors l'Autorité bancaire européenne ? Elle a fait son travail honnêtement, mais sans plus. Supprimons-la, au lieu de la maintenir sous respiration artificielle.

La gouvernance sera semble-t-il assurée par un conseil de surveillance, qui rapportera au Conseil des gouverneurs. La politique de surveillance rejoindrait alors la politique monétaire ; les garants de la politique monétaire européenne auraient à prendre des décisions concernant telle ou telle banque. Ne vaudrait-il pas mieux découpler les deux ?

Quant à la composition, le conseil de surveillance pourrait inclure, outre les superviseurs nationaux, des personnalités extérieures : c'est une option intéressante. Est-il normal, en revanche, qu'y siègent des superviseurs d'Etats non membres de la zone euro ? Je déplore, soit dit en passant, que la BCE ne surveille pas dix pays de l'Union européenne : il y aura de grosses fuites dans le système... Des pays demeurent hors zone euro : libre à eux, mais pourquoi leur offrir une place autour de la table ?

M. Joël Bourdin. - Comment évolue, en tendance lourde, la masse monétaire fiduciaire, à une époque où se développent considérablement les paiements électroniques ?

À vous entendre, toutes les décisions de gestion, toutes les réorganisations vont engendrer des gains de productivité. Je vois là une pétition de principe. Comment se répartit actuellement le personnel entre les différentes missions ? Comment cette ventilation affectera-t-elle vos décisions à venir ? Quels investissements seront nécessaires, machines à trier les billets ou autre ? Nous avons besoin d'un peu plus d'informations pour être rassurés.

M. Francis Delattre. - La mise en place de l'union bancaire européenne est un sujet bien complexe. La BCE se voit confier un contrôle global, mais certains Etats-membres demandent des seuils : si bien que 100 % des banques françaises seraient contrôlées, mais seulement 10 % des allemandes. Ai-je bien compris ?

N'est-il pas temps de créer en France des banques régionales de pleine décision, je songe à la Banque publique d'investissement en cours de création, au lieu de tout faire remonter à Paris ? Les Landesbanken allemandes sont des partenaires majeurs des collectivités. Les économies régionales souffrent de l'éloignement des décideurs.

J'ai eu la chance de visiter les lieux où l'on serre les réserves-or du pays...

M. Philippe Marini, président. - Une expérience à vivre ! Notre commission ayant été largement renouvelée, peut-être le gouverneur Noyer nous proposera-t-il à nouveau une telle visite ?

M. Francis Delattre. - L'importance des réserves-or pèse-t-elle dans la solvabilité du pays ?

On ne peut se contenter de dire que le modèle du CIF est dépassé : il faut en trouver un autre ! Aucune autre banque ne fera la même offre de crédit aux locataires qui accèdent à la propriété de leur logement social. Que deviendront la diversité, la mixité, si aucun banquier ne s'intéresse à ce segment ? Le CIF était un instrument important pour les maires.

Il y a un an, on annonçait déjà le transfert imminent de DMA à la CDC et à la Banque postale. Aujourd'hui, les accords ne sont toujours pas en vue. Les banques financent plus qu'avant les collectivités, dites-vous. Pas partout ! Des communes, des hôpitaux, rencontrent des difficultés de financement. Or le patron de la Banque postale vise seulement la moitié de l'activité de Dexia. Il restera des zones blanches...

M. Jean-Paul Emorine. - Je souscris tout à fait aux évolutions imprimées à la Banque de France. En France, on accepte les réformes avec enthousiasme pourvu qu'elles aient lieu chez le voisin : je vous félicite de votre action résolue. La Cour des comptes, chiffre sorti du chapeau ou non, vous appelle à un effort supplémentaire de rationalisation, de modernisation. Je suis persuadé que vous travaillez dans cette direction, je ne m'inquiète pas, du reste les 5 000 départs en retraite vous faciliteront la tâche. Enfin, le maintien de 32 caisses me paraît excellent : ce réseau, à l'ère de l'informatique, est parfaitement suffisant.

M. Edmond Hervé. - Je voudrais insister sur les trois fonctions nationales de la Banque de France. Il y a le conseil aux entreprises. Il y a aussi l'expertise auprès des collectivités locales, et je regrette que la Banque n'ait plus la même présence que dans les années soixante-dix ou quatre-vingt. Le conseil aux particuliers, enfin : Mme Escoffier et Mme Dini ont rédigé un excellent rapport d'évaluation de la loi Lagarde sur l'endettement, qui montre que la loi n'est pas correctement appliquée. Il ne s'agit pas seulement d'analyse de dossiers, mais d'information et de contacts.

Le parallèle avec l'Allemagne ne vaut pas, car la configuration économique et urbaine est très différente d'un pays à l'autre. Je vous engage à expliquer en détail et sur le terrain les orientations que vous prenez, pour éviter de creuser encore le fossé entre la population et les décideurs que nous sommes.

M. Philippe Marini, président. - Une question complémentaire : pourrait-on se passer complètement de monnaie fiduciaire ?

M. François Marc, rapporteur général. - Je soutiens l'idée d'une organisation fortement décentralisée, pour la BPI par exemple. Vous avez un souci de rationalisation, je le comprends. Nous souhaitons, nous, une gestion au plus près des terroirs. Je ne suis guère rassuré par vos propos sur l'évolution du réseau. La forte diminution des effectifs n'est pas gage d'un professionnalisme accru.

M. Christian Noyer. - L'évolution du réseau fiduciaire se décide bien sûr en concertation avec le ministère de l'Intérieur, sur le volet sécurité. Ainsi un audit de tous les transports et convois a été réalisé il y a quelques années par la gendarmerie nationale. Il est hors de question d'inventer les solutions dans notre coin !

M. Hervé a raison, la comparaison avec l'Allemagne ne saurait être poussée trop loin. Pour information, tout de même, nous conserverions un réseau de caisses équivalent à celui de notre voisin, où il circule deux fois plus de billets. Les critères d'étendue des territoires, d'organisation des transports de fonds, l'emporteront sur le volume de billets à traiter. Coût supplémentaire pour les clients qui utilisent les distributeurs ? Notre objectif, je le précise, n'est nullement de réduire de moitié le traitement des billets, ce sont les banques qui souhaitent nous en apporter moins, afin de réaliser des économies. Elles peuvent participer au tri des billets avec des machines spécialisées. Mais certains signes d'authenticité ne sont détectables que par la Banque de France ; il nous faut conserver au moins 50 % du traitement pour assurer que la circulation fiduciaire demeure de bonne qualité. Les banques, donc, développent leur propre recyclage, mais dans le respect de ce seuil. Et cela ne causera pas de facturation supplémentaire aux clients.

Une organisation des caisses plus resserrée entraînera des gains de productivité. L'automatisation diminuera considérablement les manipulations pénibles - source, soit dit en passant, de nombreuses pathologies musculo-squelettiques - et le gardiennage sera réduit. Mais un point d'équilibre est à trouver : il est de nature technique et non lié aux frontières départementales.

Quant aux activités tertiaires, l'une des raisons fondamentales, en dehors des départs à la retraite, qui nous pousse à étaler la réalisation du plan sur les années 2016 à 2020 réside dans le développement préalable d'outils informatiques. Toutes les entreprises modernes, efficaces, optimisent le work-flow, c'est-à-dire la circulation des dossiers dans leur circuit interne. Nous entendons concentrer le travail humain, non sur les traitements mécaniques, mais sur les tâches qui font appel à la matière grise. Cela est plus enrichissant mais requiert moins de collaborateurs. Vous savez que l'Etat nous rembourse le traitement des dossiers de surendettement : il nous demande que ce coût n'augmente pas. Or le nombre de dossiers, lui, ne cesse de croître. Nous n'avons pas d'autre choix que de dégager des gains de productivité.

Un rapport de l'Inspection générale des finances conclut que cinq centres de traitement suffisent pour tout le territoire français. J'ai pour ma part expliqué que le gain d'une réduction de 120 centres à une quarantaine est considérable, mais celui d'une réduction de 35 à 5, très faible. Mieux nous répartirons l'activité sur le territoire, mieux la Banque de France s'en portera. Je ne suis pas hostile à la délocalisation des services, comme à Poitiers, ou à Marne-la-Vallée. J'ai travaillé en ce sens depuis ma prise de fonction. Il n'y a pas lieu de rapatrier à Paris tout ce qui peut être fait dans les territoires. Les services centraux ont du reste contribué aux gains de productivité, notamment dans les fonctions support, je pense à la gestion des ressources humaines ou au traitement des achats.

- Présidence de M. Yvon Collin, vice-président. -

M. François Marc, rapporteur général. - Quel est le taux de remplacement des agents dans les services centraux et dans le réseau ?

M. Christian Noyer. - Nous réalisons tous les gains de productivité possibles, partout, en fonction des réalités et en conservant les moyens de nos missions. La moyenne d'âge dans les services centraux parisiens est inférieure à la moyenne nationale, le taux de départ n'est pas le même qu'en région. D'une région à l'autre, du reste, ce taux varie. Mais ne croyez pas que l'effort soit concentré sur le réseau.

Il demeure une marge d'amélioration de la productivité sur la fabrication des billets. Cette activité mobilisait 2 000 agents il y a quinze ans, 900 aujourd'hui. La production, dans le même temps, a été multipliée par deux et demi. Mais nous pouvons encore faire des gains.

M. Joël Bourdin. - Quand il n'y aura plus de monnaie fiduciaire, on fera vraiment des économies !

M. Christian Noyer. - On a longtemps prétendu que la monnaie électronique ferait disparaître la monnaie fiduciaire. Si ce jour arrivait, alors les bénéfices de la Banque de France disparaîtraient eux aussi : elle ne paierait plus d'impôt sur les bénéfices et il vous faudrait trouver une compensation à cette perte de recettes. Notre revenu provient de la vente des billets aux banques, qui pour ce faire empruntent à la Banque de France et paient un intérêt.

J'en viens à l'activité de conseil. Nous savons manier des systèmes experts sophistiqués. Je ne sais ce qu'était le conseil aux entreprises dans les années soixante-dix, mais nous avons ces dernières années développé des outils d'aide à la décision et d'analyse destinés aux PME, très performants, fondés sur l'exploitation de nos bases de données. Nous n'avons pas modifié les seuils de cotation des entreprises, mais nous utilisons pour les plus petites des outils spécifiques et nous disposerons bientôt d'un système encore plus affiné. Nos produits rencontrent un succès mérité au-delà même des PME. La région Bretagne nous a confié une étude sur la réindustrialisation de certaines filières ; nous en avons réalisé une autre pour la fédération des industries aéronautiques et elle a été si satisfaite qu'elle en souhaite une actualisation régulière.

Puisque j'évoque la Bretagne, j'ajoute que dans cette région, le regroupement des forces dans un plus petit nombre de centres n'a pas nui à la production d'analyses de haut niveau et d'études sophistiquées. Et si nous avions conservé 225 lieux de traitement des entreprises, comme avant 2003, nous n'aurions pas été capables de prendre en charge la médiation du crédit dans la période récente. Vos remarques m'aideront à modifier ce qui doit l'être, mais sur l'articulation générale, je n'ai aucun doute.

Dans l'Union européenne, il y a un marché unique, il est normal que l'entité de régulation s'assure d'une mise en oeuvre unifiée des règlements européens touchant le système bancaire. Dès lors que le sous-ensemble zone euro disposerait d'une supervision bancaire de type fédéral, la tâche de l'Autorité bancaire européenne devrait être allégée, elle ne gèrerait plus les « stress tests » européens, par exemple. Et le jour où la zone euro couvrira toute l'Union européenne, il sera judicieux de tout regrouper à la BCE. Mais cela n'est pas possible aujourd'hui.

Sur la gouvernance de la supervision bancaire, dès lors qu'il fallait aller vite, pour contrer la crise, il n'était pas envisageable de négocier un nouveau traité. On a donc eu recours à un article du traité qui donne la possibilité de déléguer des responsabilités à la BCE, c'est ainsi le Conseil des gouverneurs qui aura la responsabilité suprême. Lui-même sub-déléguera au nouveau conseil de surveillance la totalité des décisions individuelles. Seuls des cas de principe seront soumis aux gouverneurs, jamais des dossiers précis. De la même façon, au niveau national, je préside le collège plénier de l'ACP, mais celui-ci ne se prononce que sur les questions de principe. Je ne préside pas les deux sous-collèges qui traitent les dossiers des banques et des assurances. Et cela fonctionne.

L'union bancaire recouvre uniquement les pays de la zone euro. C'est que le problème né du lien entre dette souveraine et dette bancaire se pose là seulement : les dépôts peuvent se déplacer instantanément quand un pays n'inspire plus confiance dans le contexte d'une monnaie unique. Peut-être pourrait-on envisager une instance d'observateurs pour les Etats non membres de la zone.

Je veux préciser à M. Delattre que si la supervision européenne ne devait viser que les grandes banques, la France devrait s'y opposer, car les problèmes n'auraient alors guère de chance de trouver une solution ! Les banques irlandaises, espagnoles ou allemandes qui ont été en difficulté n'étaient pas de grands groupes... Il y a des petits établissements de grande qualité, mais une supervision qui ne s'appliquerait pas à tout le système n'aurait aucun sens. En revanche, le degré d'implication de la BCE peut varier selon la taille des banques - sachant que les superviseurs nationaux doivent lui transmettre leurs modèles de surveillance.

Je suis convaincu que les établissements bancaires en général sont allés trop loin dans la concentration des décisions et nous leur demandons d'en redéfinir le partage. Des banques régionales peuvent avoir une gestion de très bonne qualité, mais les Landesbanken ne sont pas un exemple probant : ce sont elles qui ont connu, en Allemagne, les plus grosses difficultés, et l'État allemand a dû les recapitaliser.

Nous avons vendu 500 tonnes d'or de nos réserves. La Cour des comptes a estimé que le prix de vente était faible : c'est un jugement aisé, après-coup. Nous avons conservé des réserves suffisantes pour garantir tous les risques de change - la Bundesbank a conservé 4 000 tonnes, nous un peu moins de 3 000, mais elle assume 30 % des risques de la BCE, nous 20 %. Nous avons, plus que nos homologues, étalé les ventes dans le temps, et les cours de l'or remontant, nous nous en sommes mieux trouvés. Toutes les réserves ont été fusionnées, dont celles pour risques sur prêts de la France au FMI, qu'il ne faut pas oublier...

La Banque postale est déterminée à couvrir les besoins de la clientèle du CIF. Le relais sera pris par les autres banques également, notamment les Caisses d'épargne et le Crédit mutuel... à condition qu'un niveau de sécurité suffisant soit assuré.

Un dernier mot, à propos de Dexia : les banques à fin 2012 auront dépassé les engagements de volume pris auprès du ministère des finances, en matière de crédit aux collectivités territoriales. Cela ne signifie pas que le financement soit partout assuré. Nous mettons en place actuellement un système de surveillance de ces crédits beaucoup plus fin que dans le passé.

Contrôle budgétaire - Défiscalisation du logement social en outre-mer - Communication

Puis la commission entend la communication de MM. Georges Patient et Eric Doligé, rapporteurs spéciaux, sur la défiscalisation du logement social en outre-mer.

M. Éric Doligé, rapporteur spécial. - La situation du logement en outre-mer est l'objet récurrent de travaux parlementaires, qui ont pour principal point commun d'aboutir à des constats alarmants. La mission commune d'information sur la situation des départements d'outre-mer, dont Georges Patient était vice-président et moi-même rapporteur, rappelait ainsi, en juillet 2009, que « la question du logement présent[ait] une gravité et une acuité particulières outre-mer ».

Cette crise touche en particulier le logement social. Je rappelle que les besoins sont considérables : d'après l'institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM), en 2008, près de 166 000 personnes étaient en attente d'un logement dans les quatre départements d'outre-mer, soit près de 10 % de la population totale. Rapporté à la population métropolitaine, ce chiffre représenterait près de 6 millions de personnes.

Cette situation s'explique par le dynamisme de la demande. D'une part, la croissance démographique est beaucoup plus forte en outre-mer qu'en France métropolitaine. D'autre part, la proportion de ménages à faibles ressources y est très forte. Le pourcentage de population éligible au logement social va ainsi de 75 % à la Réunion à 80 % en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane.

Face à cette croissance de la demande, l'offre n'a pas suivi.

En effet, la construction de logements sociaux se heurte à des difficultés particulières, propres à ces territoires. Tout d'abord, les matières premières y sont plus chères qu'en métropole, et par conséquent le coût de la construction y est plus élevé. Par ailleurs, les collectivités locales y manquent de ressources. Enfin, la ressource foncière y est rare et difficile à mobiliser.

Ainsi, en 2008, notre ancien collègue Henri Torre, alors rapporteur spécial de la mission outre-mer, observait une baisse de 22 % de la production de logements locatifs sociaux entre 2005 et 2007.

La commission des finances avait souligné à plusieurs reprises que la construction de ce type d'habitat se heurtait également à une inadaptation du dispositif d'aide fiscale ciblé en faveur du logement intermédiaire et libre, créant un véritable effet d'éviction au détriment du logement social.

Dès 2006, Henri Torre s'inquiétait des effets pervers du dispositif mis en place par la loi dite « Girardin ». Il demandait donc un recentrage du dispositif de défiscalisation sur le logement social, appel réitéré dans un autre rapport en 2008.

La mise en place d'un dispositif de défiscalisation spécifique au logement social dans la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM), ainsi que l'extinction progressive de la défiscalisation dans le secteur libre et intermédiaire, allait donc dans le sens préconisé, depuis plusieurs années, par la commission des finances.

Plus de trois ans après l'adoption définitive de la loi, nous avons souhaité, avec Georges Patient, mettre en oeuvre une mission de contrôle, afin d'évaluer l'efficacité de ce dispositif, son apport au financement du logement social en outre-mer, ses résultats en termes de logements construits et son coût pour les finances publiques.

Rappelons tout d'abord les grandes lignes du mécanisme mis en place, en 2009, par le précédent Gouvernement.

Ce dispositif prévoit qu'un contribuable qui investit dans la construction de logements sociaux outre-mer, sous certaines conditions, peut déduire 50 % du prix de revient de son impôt sur le revenu. Les logements ainsi financés sont loués pour une durée d'au moins cinq ans à un organisme de logement social, qui les sous-loue dans le respect de plafonds de ressources et de loyer.

Cet investissement n'est pas un investissement patrimonial : à la fin de la période de location, les logements sont cédés à l'organisme de logement social. Une part de la réduction d'impôt dont a bénéficié le contribuable, qui ne peut être inférieure à 65 %, doit être rétrocédée à l'organisme de logement social, sous forme d'une diminution des loyers versés et du prix de cession.

La réduction d'impôt ouverte au titre de ce dispositif entre, à hauteur de 35 %, dans le cadre des plafonnements des « niches fiscales », que ce soit pour le plafonnement global - pour l'instant fixé à 18 000 euros et 4 % du revenu imposable - ou pour le plafonnement propre aux « niches fiscales » outre-mer - actuellement fixé à 40 000 euros ou 15 % du revenu imposable.

Les programmes ainsi financés comportent uniquement des logements sociaux, respectant au minimum les plafonds des « prêts locatifs sociaux » (PLS). 30 % au moins de ces logements doivent respecter des plafonds de ressources et de loyer plus bas encore, correspondant, dans les départements d'outre-mer, à des « logements locatifs sociaux » (LLS) et à des « logements locatifs très sociaux » (LLTS).

Le montage d'un programme peut cumuler plusieurs sources publiques de financement.

Il peut faire l'objet d'une subvention budgétaire à partir des crédits de la LBU (« ligne budgétaire unique »). Il peut bénéficier de fonds apportés par la défiscalisation, que ce soit en vertu du dispositif qui nous intéresse, ou à partir de l'aide fiscale assise sur l'impôt sur les sociétés, qui n'est pas exclusivement réservée au logement social et n'a pas été modifiée par la LODEOM. Enfin, il peut se voir octroyer un prêt bonifié par la Caisse des dépôts et consignations.

Le projet fait l'objet d'un agrément au niveau local, par la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL), après un examen technique du dossier. Selon le montant du projet, il doit également être agréé par l'administration fiscale. Enfin, le ministère de l'outre-mer donne un avis.

Au terme de cette mission de contrôle, nous pouvons dire que ce dispositif a su séduire les contribuables-investisseurs.

Cela s'explique notamment par la « rentabilité » qui leur est offerte. Les auditions que nous avons menées nous ont conduit à l'estimer entre 15 % et 18 % de l'investissement, nette d'impôt.

À cette rémunération, s'ajoute le caractère très sûr de cet investissement. En effet, le risque que le bailleur social ne mène pas à son terme le projet est extrêmement faible et celui de ne pas trouver de locataire également.

Les cabinets en défiscalisation que nous avons rencontrés nous ont d'ailleurs confirmé qu'ils n'avaient pas de difficulté à trouver des contribuables.

Concernant le profil des bénéficiaires du dispositif, ils sont métropolitains en très grande majorité - entre 95 % et 97 % -, et se situent parmi les contribuables les plus aisés : 90 % d'entre eux appartiennent au dernier décile de revenu fiscal.

S'agissant enfin de la rémunération des cabinets de défiscalisation, nous estimons, malgré une divergence d'appréciation avec ces mêmes cabinets, qu'elle se situe dans une fourchette comprise entre 12 % à 16 % de la réduction d'impôt.

Nous avons cherché à savoir dans quelle mesure la réforme avait bénéficié au logement social.

Comme nous l'avons vu précédemment, la loi prévoit que 65 % au moins du montant de la réduction d'impôt soient rétrocédés à l'organisme de logement social. Ce taux de rétrocession revêt un caractère fondamental, dans la mesure où il détermine quelle part de la dépense fiscale bénéficie effectivement au logement social.

Nous avons constaté que, dans les faits, il est sensiblement plus élevé que les 65 % prévus par la loi. Au terme des auditions que nous avons menées, en nous basant sur les différentes estimations de la Délégation générale à l'outre-mer et du bureau des agréments à Bercy, nous pouvons estimer qu'il se situe entre 72 % et 75 %.

Cette différence s'explique par le caractère concurrentiel du « marché de la défiscalisation » : pour remporter les appels d'offre lancés par les organismes de logement social, les cabinets en défiscalisation doivent proposer un taux de rétrocession plus élevé. Celui-ci permet donc d'accroître la part de la dépense fiscale qui bénéfice au logement social. Au total, on peut estimer que le dispositif qui nous intéresse permet d'apporter près de 150 millions d'euros au secteur chaque année.

Nous avons également voulu vérifier que cet apport de la défiscalisation venait bien s'ajouter aux crédits de la LBU, de façon à augmenter en proportion le nombre de logements financés.

Ceci nous a conduits à dresser deux constats.

D'une part, la possibilité de cumuler les deux modes de financement peut faire courir le risque que l'administration, au lieu de compléter les crédits budgétaires par l'apport de la défiscalisation, substitue cette dernière à l'utilisation de la LBU, afin d'économiser les crédits budgétaires.

Cette inquiétude s'était déjà exprimée au Sénat lors des débats sur la LODEOM. Un amendement avait alors été adopté pour inscrire dans la loi que la LBU demeurait le socle du financement du logement social outre-mer, principe que la ministre chargée de l'outre-mer a encore confirmé lors de l'examen du PLF pour 2011.

Pourtant, dans une circulaire de 2010, celle-ci indiquait expressément que le recours à la défiscalisation devait conduire à une modération de la subvention, voire à une absence totale de subvention.

Nos auditions sur le terrain n'ont fait que confirmer ces propos, bien qu'il faille souligner qu'une nouvelle circulaire de février 2011 a rappelé aux préfets que la LBU devait demeurer le socle du financement du logement social outre-mer.

Nous nous inquiétons malgré tout du risque de sous utilisation des crédits de la LBU, en contradiction avec l'esprit de la LODEOM et les engagements du Gouvernement précédent.

Nous rappelons à ce titre que nous avions déjà donné l'alerte, dans le rapport sur la loi de règlement pour 2011, sur le taux relativement bas d'exécution des crédits de la LBU. Celui-ci s'élevait à 67 % en ce qui concerne les autorisations d'engagement.

Nous souhaitons donc que le nouveau Gouvernement renouvèle l'engagement de son prédécesseur et nous serons particulièrement attentifs, dans le cadre de nos fonctions de rapporteurs spéciaux de la mission « outre-mer », au taux d'exécution de la LBU.

D'autre part, la possibilité de cumuler les deux modes de financement ouvre la faculté de diminuer le loyer de sortie pour l'organisme de logement social, en permettant d'accroître la part de financement public dans un même projet.

Cette possibilité résulte de la grande liberté des DEAL dans la fixation de la subvention LBU. Nos auditions ont ainsi montré qu'elles tendaient à se donner un objectif de loyer de sortie inférieur aux plafonds fixés par la loi, afin que l'offre de logement corresponde davantage à la demande réelle.

Nous soutenons cette volonté de modérer les loyers de sortie, mais nous considérons néanmoins qu'il faudrait clarifier les règles du cumul entre la LBU et l'aide fiscale, si besoin en fixant des niveaux de contribution selon des critères précis, définis à l'avance.

M. Georges Patient, rapporteur spécial. - Sur le plan des résultats obtenus, l'examen des données chiffrées qui nous ont été transmises par la délégation générale à l'outre mer révèle une relance effective de la construction de logement social outre-mer.

En 2011, le nombre de logements sociaux financés dans les DOM a dépassé de 70 % la moyenne des années 2006 à 2009. La progression a été très forte en 2010, première année de pleine application du dispositif, et se poursuit en 2011, en atteignant respectivement 32 % et 16 %.

Cette augmentation est bien imputable à la défiscalisation. Si l'on prend l'année 2011, 90 % des logements financés ont eu recours, au moins partiellement, à la défiscalisation et un tiers à la défiscalisation seule.

L'augmentation des logements livrés ne suit pas encore la même évolution, mais cela peut s'expliquer par les délais de construction, compris entre deux et trois ans. En revanche, le nombre de logements mis en chantier a considérablement augmenté. Il a progressé de 40 % chaque année en 2010 et 2011.

S'agissant du coût du dispositif pour les finances publiques, il a atteint 68 millions d'euros en 2011. Pour 2012, le PLF avait estimé son coût à 80 millions d'euros, mais ce montant nous semble largement sous-évalué. Nous avons estimé qu'il se situait plutôt autour de 260 millions d'euros. Le PLF pour 2013 indique d'ailleurs, pour l'année 2012, un montant de 210 millions d'euros en exécution, ce qui nous paraît plus proche de la réalité.

Par ailleurs, nous avons souhaité savoir si l'on observait un report de l'ancien dispositif « Giradin » vers le nouveau.

En termes de dépense fiscale, l'ancien dispositif se situe encore à 265 millions d'euros, mais devrait connaître une diminution de 90 millions d'euros en 2013 par rapport à 2012. Cela ne suffit pas pour autant à conclure à un report d'un dispositif à l'autre, car la comparaison des deux en termes de dépense fiscale n'est pas forcément pertinente. En effet, le champ des deux dispositifs n'est pas strictement identique et la réduction d'impôt dans l'ancien dispositif s'étale sur cinq ans, contre un an dans le nouveau.

En termes de report des contribuables, il nous a été tout aussi difficile de nous prononcer sur son effectivité, dans la mesure où seule une étude des déclarations des bénéficiaires permettrait d'apporter une vraie réponse à cette question.

Nous n'avons pas occulté les différentes critiques à l'égard de ce dispositif, qui appellent à sa budgétisation par majoration, à due concurrence, de la LBU.

Le choix de la défiscalisation entraine en effet un surcoût, puisqu'il faut rémunérer le contribuable-investisseur ainsi que le monteur du projet. Ce surcoût a été estimé à 30 % dans le rapport du comité Guillaume  « d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales ». La budgétisation garantirait également que la dépense fiscale bénéficie intégralement à l'outre-mer et au logement social. Enfin, elle assurerait une maîtrise de son coût pour les finances publiques, s'agissant de crédits budgétaires limitatifs.

Cependant, au terme de notre travail de contrôle, nous estimons que le dispositif de défiscalisation doit être maintenu, pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, ce dispositif concerne un secteur prioritaire. La Cour des comptes a pu parfois regretter que les dépenses fiscales outre-mer n'aient pas toujours eu pour objet les investissements les plus utiles.

Or, en l'occurrence, elle a elle-même souligné que le dispositif qui nous intéresse est une priorité de la politique outre-mer, partagée de façon extrêmement large.

Il ne nous semble donc pas opportun de prendre le risque de porter un coup très dur au logement social outre-mer, alors que le dispositif a montré qu'il portait ses fruits en termes de logements engagés.

D'autre part, ce dispositif est l'une des aides fiscales les plus efficaces. Le comité Guillaume a attribué à ce dispositif le score de 2, sachant que les dépenses fiscales étudiées se voyaient attribuer une note comprise entre 0 et 3. Il fait ainsi partie du tiers des dépenses fiscales étudiées les plus efficaces, qualifiées de « pleinement ou relativement efficientes ».

A cet égard, on peut ajouter que cette « niche fiscale » se distingue d'autres dispositifs par le faible risque de fraude qu'elle comporte. En effet, la quasi-totalité des projets font l'objet d'un agrément et les organismes de logement social sont soumis à des contrôles qui limitent le risque de fausses factures.

Par ailleurs, la suppression du dispositif ne garantirait pas une diminution de la dépense fiscale. Dès lors que les investissements outre-mer restent soumis à des plafonds globaux encore élevés, il existe en effet une masse de fonds à défiscaliser, en quelque sorte incompressible, qui ne dépend pas des dispositifs mis en place ou supprimés. Elle s'oriente vers le dispositif qui lui semble le plus « rentable », à des fins d'optimisation fiscale. La suppression du dispositif ne pourrait entrainer alors qu'un mouvement de report sur d'autres aides fiscales, sans diminuer le coût global pour les finances publiques. De même, l'abaissement du plafond ne garantirait pas une diminution de la dépense, la base de contribuables ayant recours à la défiscalisation pouvant s'élargir.

Enfin, ce dispositif est pilotable. Si le risque de dérapage venait à se concrétiser, l'administration fiscale pourrait bloquer les agréments lorsqu'un certain montant, fixé à l'avance, serait atteint dans l'année.

Pour toutes ces raisons, nous considérons que cette aide fiscale doit être maintenue, sous réserve de quelques ajustements.

Au terme du travail de contrôle que nous avons effectué, nous insistons sur la nécessite de garantir une meilleure adéquation entre l'offre et la demande de logements.

En effet, si la demande en logement social est extrêmement forte, il faut souligner que celle-ci tend à avoir un profil « particulièrement social ». Ainsi, dans l'ouest guyanais, 90 % des demandeurs de logement social relèvent du LLTS. Plusieurs de nos interlocuteurs ont attiré notre attention sur le risque que la demande de logements en PLS soit rapidement satisfaite.

En permettant d'accroître la part des financements publics dans un projet, et de diminuer ainsi le loyer de sortie, la défiscalisation apporte une partie de la réponse, mais ne suffit pas. Nous proposons donc d'augmenter la part de logements LLS et LLTS de chaque programme, actuellement fixée à 30 % au moins. Cette exigence pourrait également concerner les logements financés par la défiscalisation à l'impôt sur les sociétés.

Nous avons en outre constaté sur le terrain le manque d'informations sur ce sujet. Nous proposons donc de mettre en oeuvre, dans chaque collectivité, un état des lieux du logement et de la demande de logement, en concertation avec les acteurs locaux. Il permettra entre autres de fixer une échéance claire de résorption de la demande de logements sociaux.

Nous rappelons enfin la difficulté à mobiliser la ressource foncière, qui est un problème ancien en outre-mer, en raison des caractéristiques géographiques de ces territoires, mais également des difficultés des collectivités, du fait de leurs faibles ressources, à viabiliser les terrains. Elle est aggravée enfin par le problème de l'indivision. Tout cela complique pour les pouvoirs publics la constitution de réserves foncières.

En réponse à ce problème, nous insistons sur la nécessité de rendre enfin effectif le Groupement d'intérêts publics « Indivision », prévu par la LODEOM et qui, plus de trois ans après l'adoption de la loi, n'a toujours pas été mis en place.

Par ailleurs, nous appelons les collectivités qui ne l'ont pas encore fait à se doter d'établissements publics fonciers. L'exemple guyanais, notamment, a montré que cet outil permettait d'atteindre de bons résultats.

Pour conclure, nous suggérons de « flécher » les crédits de la LBU qui ne seraient pas consommés, grâce à l'apport de la défiscalisation, vers les fonds régionaux d'aménagement foncier urbain, qui permettent de financer les opérations de viabilisation et d'accroître ainsi la ressource foncière.

M. Vincent Delahaye. - Je regrette que lorsqu'il s'agit des niches fiscales en général, nous soyons tous plus ou moins favorables au principe de leur suppression, mais que dès lors que l'on évoque concrètement la suppression d'un dispositif, on trouve toujours quelqu'un pour le défendre.

Sur le fond, je n'ai pas bien saisi les différents chiffres cités par nos rapporteurs spéciaux. Il m'a semblé que 150 millions étaient défiscalisés chaque année ? Quant au coût pour l'Etat, vous avez évoqué plusieurs montants, dont celui de 210 millions : qu'en est-il exactement ?

Je me demande si nous n'arriverions pas au même résultat en supprimant cette niche fiscale et en budgétisant le coût qu'elle représente au profit de la LBU, en s'assurant que cette dernière soit totalement utilisée.

D'autre part, nos rapporteurs spéciaux nous ont expliqué que s'ils n'étaient pas utilisés sur ce dispositif, les fonds à défiscaliser se reporteraient sur d'autres niches. Il me semble pourtant que le projet de loi de finances va abaisser le plafonnement des niches fiscales. Je ne vois donc pas où pourraient se reporter ces fonds.

Enfin, concernant la vie chère, pourrait-on avoir des éléments sur les prix des loyers outre-mer ?

M. Jean-Paul Emorine. - Ce sujet est délicat car, comme l'ont rappelé nos rapporteurs spéciaux, 10 % de la population des départements d'outre-mer est en attente d'un logement social. En ce qui concerne le coût pour les finances publiques, pourriez-vous nous repréciser les chiffres ?

J'ajoute que je suis tout à fait d'accord avec la proposition de Georges Patient et Eric Doligé sur les établissements publics fonciers. Le cas guyanais pourrait être étendu à l'ensemble de ces territoires.

M. Pierre Jarlier. - Je m'étais rendu en outre-mer à l'époque où existaient des dispositifs de défiscalisation liés aux investissements hôteliers. Ces niches fiscales étaient très mal perçues localement. Qu'en est-il du dispositif relatif au logement social ?

M. Éric Doligé, rapporteur spécial. - En ce qui concerne les différents montants, le chiffre de 80 millions correspond à ce qui avait été prévu en loi de finances initiale pour l'année 2012, tandis que le chiffre de 210 millions correspond à ce que devrait effectivement être le coût du dispositif, toujours pour l'année 2012. C'est tout le problème des dépenses fiscales, dont le montant est difficile à prévoir. Quant aux 150 millions, ils correspondent à la part de ces 210 millions qui a effectivement bénéficié au logement social. On a rappelé tout à l'heure que le taux de rétrocession était légèrement supérieur à 70 %.

M. Vincent Delahaye. - Il y a 150 millions d'euros qui bénéficient au logement social, mais le coût pour les finances publiques est de 210 millions ? Ce n'est pas une bonne opération...

M. Éric Doligé, rapporteur spécial. - Avant la réforme de 2009, ces fonds finançaient le logement libre et intermédiaire. La LODEOM a permis de recentrer la dépense fiscale sur le logement social. On a redynamisé le secteur et l'on voit que le dispositif porte ses fruits. L'opportunité de budgétiser cette aide fiscale se pose - et nous nous la sommes posée - mais nous y avons répondu par la négative.

S'agissant du montant des loyers, je peux vous indiquer que les plafonds, pour le PLS, vont de 9,39 euros à 14,40 euros par mètre carré, selon le territoire. En ce qui concerne les logements LLS, ils vont de 6,26 euros à 9,60 euros par mètre carré.

M. Yann Gaillard. - A-t-on la certitude que ces logements seront occupés par des personnes qui en ont réellement besoin ?

M. Georges Patient, rapporteur spécial. - Les pièces justificatives requises pour une demande de logement social sont les mêmes qu'en France métropolitaine, il n'y donc pas d'inquiétude à avoir sur ce point.

En réponse à la question de Pierre Jarlier, je voulais préciser qu'effectivement, la défiscalisation a pu être décriée, y compris dans ces territoires. Mais les abus qu'il y a pu y avoir ont été corrigés.

Et aujourd'hui, l'Etat ne dispose pas d'autres moyens pour relancer le logement social en outre-mer, étant donné la situation économique dans laquelle nous nous trouvons. C'est pour cela que le Gouvernement, au moins pour cette année, n'a pas proposé de modifier ce mécanisme.

M. Éric Doligé, rapporteur spécial. - Pour finir, je tiens à vous faire part d'un élément qui m'a particulièrement surpris. Il nous a été relaté que des travailleurs portugais venaient travailler en Martinique, à des salaires extrêmement bas, concurrençant ainsi les entreprises de BTP locales. Ce genre de difficulté, que l'on pourrait penser réservée à la métropole, touche également l'outre-mer.

A l'issue de ce débat, la commission, à l'unanimité, donne acte de leur communication à MM. Georges Patient et Eric Doligé, rapporteurs spéciaux, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Contrôle budgétaire - Office français de l'immigration et de l'intégration - Communication

La commission entend enfin la communication de M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial, sur l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII).

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. - Nous avons l'habitude des débats politiques et politiciens sur les questions d'immigration et d'intégration. Il faudrait dépassionner ce débat et se concentrer sur la question de fond qui est de savoir comment donner les moyens aux immigrés de s'intégrer, c'est-à-dire de participer à la société française et à son développement.

La France a mis sur pied divers organismes successifs pour promouvoir cette intégration. Il a été décidé, il y a cinq ans, de les fusionner pour créer un organisme public unique, l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). L'OFII dispose d'un vrai rôle de définition des politiques d'intégration pour les étrangers dans les cinq premières années de leur présence en France. A ce titre, il fournit diverses prestations pour l'insertion des immigrés : des formations linguistiques pour ceux d'entre eux qui ne parlent pas le français, des formations civiques pour apprendre les valeurs de la République, un bilan de compétences professionnelles pour valoriser les expériences et les qualifications professionnelles, ou encore une visite médicale pour tous les étrangers. Par ailleurs, l'OFII assure d'autres missions au-delà de l'intégration, en particulier la gestion du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile ainsi que la politique d'aides au retour. En apparence, l'OFII est une structure efficace et qui ne représente pas un coût important pour l'État, puisque la grande majorité de son budget de 172 millions d'euros est financée par des taxes acquittées par les étrangers eux-mêmes. Pourtant, pour l'ensemble de ses missions, l'OFII dispose de seulement 850 agents. Certes, il passe des conventions avec des prestataires privés qui organisent les différentes formations. Mais la structure reste très légère, avec un budget contraint et un plafond d'emplois qui s'est réduit d'année en année.

Dès lors, les politiques mises en oeuvre ne sont pas à la hauteur de leurs objectifs. S'agissant de l'intégration, les formations linguistiques en fournissent un premier exemple. Ces formations ne visent qu'un niveau A1 du cadre européen de référence, qui correspond à la fin de maternelle. De plus, il n'y a pas de sanction véritable puisque seul le manque d'assiduité aux cours est contrôlé et sanctionné. Le niveau pourrait être relevé à condition d'y mettre les moyens suffisants ; par ailleurs, pourraient être mis à contribution les étrangers lorsqu'ils sont eux-mêmes demandeurs d'une formation complémentaire, dont ils ont conscience de l'utilité pour leur insertion sociale et professionnelle.

De même, la formation civique correspond à une seule journée d'information. Il s'agit d'une présentation très rapide de l'ensemble de l'histoire de France, de ses valeurs, de ses institutions - dont le Sénat - et de ses règles de citoyenneté en quelques heures seulement, que les étrangers reçoivent passivement, sans débat, quand bien même les formateurs sont de grande qualité. La formation n'est éventuellement intéressante que pour celui qui dispose déjà de certaines connaissances. Pour celui qui ne connaît pas la France, la formation est d'autant plus inutile qu'il ne lui est remis, à la fin, aucun livret ou brochure bilingue à rapporter chez lui. A titre de comparaison, la formation civique allemande comprend soixante heures, contre six seulement en France !

Le troisième volet de l'intégration, contenu dans le contrat d'accueil et d'intégration, est le bilan de compétences professionnelles, qui est réalisé immédiatement à l'arrivée de l'étranger sur le territoire français. Il s'avère que certains immigrés ont, à leur arrivée en France, une fausse idée du marché du travail français. Or, il n'y a pas de nouvelle convocation des étrangers plusieurs mois après leur arrivée, ce qui permettrait pourtant de refaire le point sur les attentes et les perspectives professionnelles des intéressés.

Au total, sur sa mission d'intégration, on constate que l'OFII est une structure utile, dotée d'un personnel très dévoué et d'outils, notamment le contrat d'accueil et d'intégration (CAI), qui sont une véritable avancée, mais cette structure reste encore « virtuelle », faute des ambitions et des moyens nécessaires. Dans ce contexte, le CAI est utile pour les étrangers qui n'ont pas de problème, c'est-à-dire ceux les étrangers francophones éduqués ; mais pour les autres, le manque de moyens de l'OFII limite les possibilités d'intégration.

Enfin, l'OFII a la charge de l'organisation de la visite médicale, atout de la procédure française, qui est effectuée par tous les étrangers à leur arrivée sur le territoire. Cette visite comprend déjà des tests standards ainsi qu'une radiologie pulmonaire pour la tuberculose. Cependant, elle ne comprend pas de dépistage pour le VIH et d'autres infections. Par ailleurs, on constate des doublons, pour les publics étudiants et salariés, avec respectivement la médecine universitaire et la médecine du travail.

Ce constat global me conduit à formuler plusieurs propositions. La première est de relever le niveau de langue requis, au moins à A2 puis à B1, et de l'assortir d'une véritable sanction en termes de connaissances requises. Je signale que le niveau requis en Allemagne est B1. S'agissant de la formation civique, il convient qu'elle soit plus longue, sans nécessairement la porter à soixante heures comme en Allemagne, qu'elle s'étale sur plusieurs journées espacées et qu'elle s'accompagne de la distribution de livrets d'information bilingues. La visite médicale, quant à elle, devrait à la fois être rationnalisée quant à ses bénéficiaires et élargie quant au champ des examens pratiqués, étant donné les risques auxquels sont exposées certaines populations étrangères, notamment issues d'Afrique subsaharienne. Enfin, j'attire votre attention sur le fait qu'il existe des formations linguistiques et des visites médicales à l'étranger, dans le pays d'origine, réalisées avant l'arrivée en France. C'est une bonne initiative, qui manque, elle aussi, de sanction, puisque la seule assiduité, et non l'acquisition du niveau requis, emporte des conséquences quant à la délivrance du visa.

L'ensemble de ces recommandations ont un coût, mais elles rapprocheraient l'OFII des moyens nécessaires à une vraie intégration et des moyens mis en oeuvre dans d'autres pays européens.

Même si l'intégration constitue le coeur de son action, l'OFII assure par ailleurs d'autres missions. Il s'agit notamment de la répartition des places en centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA), pour laquelle l'OFII n'a pas qu'une fonction de gestionnaire. Il s'agit également de la politique d'aides au retour, qui sont de deux types : aide au retour volontaire, jusqu'à 5 000 euros pour une famille, et aide au retour humanitaire, essentiellement pour les populations Roms de Bulgarie et de Roumanie, qui est d'un montant forfaitaire de 300 euros par adulte. Le nombre relativement faible de bénéficiaires, de l'ordre de 15 000 en tout en 2011, montre que le système manque d'efficience et, surtout, de progressivité, d'adaptation en fonction du pays de retour.

Au total, un budget de 172 millions d'euros, dont 20 millions maximum à la charge de l'État, 100 000 CAI signés par an, 15 000 retours aidés, 21 000 places en CADA à gérer, et seulement 850 personnes au sein de l'OFII, pourtant volontaires et passionnées, mais qui n'ont pas d'orientation claire quant aux objectifs dans lesquels elles doivent inscrire leur action. L'OFII est une structure bien gérée, mais qui a besoin que ses missions soient redéfinies, notamment sur l'intégration et le retour.

Mme Michèle André. - Avec mon collègue Richard Yung, nous avions fait remarquer, l'an passé, que les taxes acquittées par les étrangers sont très lourdes, et ont été augmentées ces dernières années. Étant donné le constat que vous dressez, seriez-vous d'accord avec moi pour dire que les prestations d'intégration devraient être considérées comme une véritable mission de service public, à la charge de l'État ?

M. Yann Gaillard. - Je me permets une question provocante : que se passerait-il si l'OFII n'existait pas ?

M. Yvon Collin, président. - Pouvez-nous préciser où sont affectés territorialement les 850 agents de l'office ?

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. - Pour répondre à la question de Yann Gaillard, l'OFII est une absolue nécessité, car il permet d'aménager une voie d'accès à la société française, d'organiser des formations et de rappeler certains droits, devoirs ou valeurs, par exemple concernant les droits des femmes. Même si la procédure et les formations ne sont pas optimales dans leur configuration actuelle, les étrangers seraient, sans un tel organisme, livrés à eux-mêmes à leur arrivée sur le territoire français.

S'agissant de la mission de service public, je suis d'accord pour dire que la puissance publique doit être présente, d'autant plus que la collectivité a elle-même un intérêt à la bonne intégration, linguistique, sociale et professionnelle, des étrangers. La formation initiale de base doit rester une mission de service public, car c'est un investissement utile. En revanche, une participation financière, dans le cadre d'une sorte de « contrat plus », pourrait être davantage sollicitée auprès des étrangers pour les formations complémentaires dont ils sont eux-mêmes demandeurs.

S'agissant des agents de l'OFII, ils sont environ 150 au siège parisien et 40 dans chacune des directions territoriales réparties sur tout le territoire. Enfin, l'OFII a également des représentations à l'étranger, avec environ cinq agents dans chaque représentation, dans quelques pays où cela se justifie, au Maroc, en Tunisie ou au Sénégal - mais également au Québec, car certains des étrangers qui passent par l'OFII sont des Canadiens ou des Russes très diplômés !

Les étrangers qui ont des problèmes d'intégration dans la société française, du point de vue de la langue ou des valeurs, sont ceux qui vont poser des problèmes à la société française. C'est pourquoi la politique d'intégration doit être plus ambitieuse. A cet égard, notre système gagnerait à se comparer à d'autres pays, par exemple l'Allemagne, qui sont à la fois plus fermes mais plus performants en termes d'intégration. Au vu des moyens dont dispose l'OFII, nous n'avons pas encore fait le vrai choix entre le simple accueil et la véritable politique d'intégration.

M. Georges Patient. - L'OFII doit préparer à l'apprentissage de la langue française ; mais lors du renouvellement des titres de séjour en préfectures, l'on fait passer des tests de langue difficiles que les étrangers sont incapables de réussir.

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. - Tout à fait. C'est la raison pour laquelle je dis que le choix n'a pas été fait de façon claire : les consignes nationales de l'OFII se heurtent à celles des préfectures. Le système n'est ni complet ni cohérent, malgré la qualité et la bonne volonté du travail fourni par les agents de l'OFII.

M. Yvon Collin, président. - Nous avons compris que nous sommes encore au milieu du chemin et que les actions fournies par l'office devraient être renforcées, notamment en termes qualitatifs.

A l'issue de ce débat, la commission, à l'unanimité, donne acte de sa communication à M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Mercredi 17 octobre 2012

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

Contrôle budgétaire - Philharmonie de Paris - Communication

La commission entend tout d'abord la communication de M. Yann Gaillard, rapporteur spécial, sur la Philharmonie de Paris.

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. - Le 10 septembre dernier, dans un entretien au journal « Le Monde », la ministre de la culture et de la communication a annoncé l'arrêt, la suspension ou le report de plusieurs projets culturels, pour un peu plus d'un milliard d'euros.

Le projet de Philharmonie de Paris, sujet de ma mission de contrôle, a lui été épargné : le ministère a jugé le chantier trop avancé pour l'interrompre, tout en précisant que le nouveau Gouvernement partageait la finalité du projet, à savoir la construction d'une salle de concert symphonique au niveau des standards internationaux, tant en termes de jauge que d'acoustique.

Premièrement, je me suis interrogé sur les raisons qui justifiaient la Philharmonie de Paris.

Paris présente une offre symphonique riche et diversifiée : la capitale dispose de onze équipements et de nombreux orchestres (l'Orchestre de Paris, l'Orchestre national de France, l'Orchestre philharmonique de Radio France,...).

Cependant, pour certains, Paris n'est pas en mesure de rivaliser avec Londres ou Berlin. Le rang « honnête », mais perfectible, tenu par la capitale française, tiendrait en particulier à l'absence de grand auditorium dédié au répertoire symphonique.

Cette « carence », qui fait l'objet d'un relatif consensus aujourd'hui, a été identifiée de longue date : Berlioz déplorait déjà l'absence de salle de concert digne de ce nom... Après plusieurs tentatives avortées (dans les années 1970, en 1984, en 1986-1988), il aura fallu attendre le milieu des années 2000, et le gouvernement de Villepin, pour qu'un arbitrage ferme intervienne sur la construction d'un grand auditorium.

Selon les défenseurs du projet de Philharmonie, cette « exception française » serait en effet préjudiciable tant au public (qui serait privé de conditions optimales d'écoute et d'actions de démocratisation culturelle) qu'aux artistes (qui verraient leur développement entravé, faute de conditions de travail satisfaisantes).

Je nuancerais toutefois ce jugement : le niveau des orchestres français, à supposer qu'il soit « moyen », dépend de paramètres multiples, qui ne se réduisent pas à l'existence ou non d'une grande salle de concert.

Ces constats ont, en tous les cas, conduit à décider l'édification d'un grand auditorium symphonique au sein du Parc de la Villette. Le choix de cette implantation :

- répondait à des considérations de coût (une emprise appartenant à l'Etat était disponible entre le bâtiment de la Cité de la musique et le boulevard Sérurier) ;

- reposait sur la possibilité de dégager des synergies avec les équipements existants, au premier rang desquels la Cité de la musique ;

- obéissait, enfin, à des justifications relevant de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire : la Philharmonie serait un moyen d'achever le parc de la Villette, de redynamiser le 19ème arrondissement de Paris, ou encore de « tirer un trait d'union » entre Paris et sa banlieue, dans le cadre d'une démarche structurante pour le Grand Paris.

Cependant, la Villette présente un certain nombre de faiblesses liées à sa desserte (accessibilité du site, problèmes de circulation et de stationnement) ou à son image, qu'il conviendra de surmonter. En particulier, une question se pose : le public de l'ouest parisien se déplacera-t-il dans le 19ème arrondissement ?

Mais plus encore que son lieu d'implantation, c'est le dimensionnement très ambitieux du projet qui ne laisse pas d'étonner.

La salle de la Philharmonie de Paris, dont la réalisation architecturale a été confiée à Jean Nouvel, accueillera 2 400 spectateurs en configuration symphonique, 2 330 spectateurs en configuration « jazz et musiques du monde », et jusqu'à 3 650 spectateurs en configuration « public debout ». Cette salle sera en effet modulable, afin de pouvoir s'adapter à d'autres répertoires que le répertoire symphonique.

La surface au sol de la salle sera de 2 200 mètres carrés et la hauteur sous plafond de 22 mètres.

Plutôt qu'une configuration dite « en boîte à chaussures », où le public fait face à l'orchestre et au choeur, la salle de la Philharmonie de Paris sera, comme celle de la Philharmonie de Berlin, enveloppante (de type « vignoble »).

La qualité de son acoustique semble également avoir été au coeur des préoccupations des responsables du projet, qui n'ont guère « lésiné » sur les moyens et l'expertise mobilisés.

Mais, surtout, plus qu'une salle de concert, la Philharmonie offrira plusieurs espaces annexes : des espaces de travail, un pôle pédagogique, une salle de conférences, des galeries d'exposition, des espaces d'accueil du public (dont une grotte...) et des espaces administratifs et logistiques.

Fallait-il voir si grand ? Plus qu'une extension ou un « complément » à la Cité de la musique, la Philharmonie de Paris semble avoir été conçue comme un pôle autonome dont certains équipements annexes risquent de dupliquer des infrastructures déjà présentes sur le site. J'ajoute, s'agissant des salles de répétition, que l'Orchestre de Paris, qui sera l'orchestre résident de la Philharmonie, semble vouloir répéter directement dans la salle de concert et ne pas forcément vouloir utiliser les salles de répétition...

Deuxièmement, je me suis intéressé à la conduite du projet.

La Cour des comptes, dans un rapport thématique de 2007, puis dans le cadre de son rapport public annuel de février 2012, a critiqué la conduite des grands chantiers culturels. Malheureusement, à cet égard, le projet de la Philharmonie de Paris ne fait pas exception et a subi de nombreuses « vicissitudes », tant du point de vue du pilotage, que de celui des délais et des coûts.

S'agissant du pilotage, j'insiste, à titre liminaire, sur un élément qui a eu de nombreuses répercussions sur la conduite du projet : le choix atypique d'un portage associatif. Le portage du projet a en effet été confié à une association de type « loi de 1901 » constituée en novembre 2006, présidée par Laurent Bayle, l'actuel directeur général de la Cité de la Musique et président de la salle Pleyel. L'association de préfiguration, baptisée « Philharmonie de Paris », est chargée d'assurer la maîtrise d'ouvrage de la construction puis l'exploitation de la Philharmonie. Ce choix a résulté du caractère cofinancé du projet, à parts égales, par l'Etat et la Ville de Paris, ce qui est inhabituel.

Les incertitudes juridiques initialement soulevées par ce portage ont été dissipées. Toutefois, celui-ci semble avoir affecté l'implication des tutelles dans le suivi du projet. Ainsi, dans son rapport de décembre 2009 sur la Philharmonie, la mission conjointe Inspection générale des finances (IGF) - Inspection générale des affaires culturelles (IGAC), notait : « la forme associative de la structure de portage du projet a favorisé une défaillance de suivi des tutelles, dont la capacité de contre-expertise des actions et propositions de l'association de préfiguration en matière juridique, économique et financière n'a pas été suffisamment mobilisée ». En réaction à ces observations, les tutelles ont mis en place, à compter de 2010, un dispositif de pilotage articulé autour de trois comités : un comité technique, un comité de suivi administratif et un comité stratégique.

La « défaillance » des tutelles s'était notamment manifestée à travers les hésitations et fluctuations des arbitrages concernant le recours ou non à un partenariat public-privé (PPP) et la procédure d'appel d'offres à retenir.

De fait, l'hypothèse initialement avancée d'un PPP a été abandonnée début 2008 au profit d'un marché unique de construction, maintenance et entretien. L'association de préfiguration souhaitait conserver le contrôle de la maîtrise d'ouvrage du projet, ce qui n'aurait pu être le cas avec un PPP.

Cette décision ne signait pas pour autant la fin des vicissitudes du projet... En effet, la procédure d'appel d'offres qui a suivi s'est avérée quelque peu « chaotique » :

- début 2009, l'association de préfiguration lance une procédure d'appel d'offres restreint ;

- deux offres sont reçues, celle du groupement Bouygues et celle du groupement SICRA ;

- l'analyse de ces offres conclut néanmoins à leur non-conformité, en raison des surcoûts très significatifs qu'elles présentaient par rapport aux évaluations initiales de l'association ;

- il est donc décidé de relancer la consultation sous la forme d'un marché négocié sans publicité ni mise en concurrence, procédure sur laquelle la mission d'inspection précitée a d'ailleurs porté un jugement nuancé ;

- l'offre remise par SICRA ne respectant pas les modalités de présentation des offres, il est décidé de ne faire participer à la négociation que le seul groupement Bouygues ;

- la nouvelle offre de Bouygues ayant encore été jugée trop élevée, la maîtrise d'ouvrage conduit alors plusieurs mois de négociations ;

- au final, les discussions permettent de ramener le coût des travaux à 215,9 millions d'euros, soit environ 90 millions d'euros de moins que l'offre initiale. Le marché a été signé le 25 janvier 2011.

Toutes ces « péripéties » juridiques - même si elles ne sont pas les seules responsables - ont évidemment eu un impact sur le calendrier initial qui prévoyait une ouverture de la Philharmonie en septembre 2012. Aujourd'hui, le retard accumulé est estimé à 24 mois, reportant l'ouverture de l'équipement au dernier trimestre 2014.

Dans cette chronologie du projet, je reviens brièvement sur l'année 2010 qui a constitué un moment charnière. En effet, tout porte à croire que fin 2009 - début 2010, le projet de Philharmonie a été sérieusement « sur la sellette ». Alors que la maîtrise d'ouvrage poursuivait ses négociations, les ministres chargés du budget et de la culture ont mandaté l'IGF et l'IGAC pour expertiser la conduite du projet. Le rapport très critique (dont j'ai déjà cité quelques conclusions) qui a été rendu en décembre 2009, envisageait - entre autres solutions - l'arrêt pur et simple du chantier. D'après les informations que j'ai recueillies au cours de mes auditions, il est tout à fait vraisemblable que l'année 2010 ait donné lieu à un   «  bras de fer » entre « Bercy » et la « rue de Valois », tranché en faveur du projet par le Président Sarkozy.

Outre le dérapage du calendrier, le chantier n'a pas non plus échappé à une « dérive » de ses coûts : initialement estimé à environ 170 millions d'euros par l'association de préfiguration en 2006, le coût initial du projet a été réévalué à 336,5 millions d'euros en 2011. L'essentiel de ce décalage s'explique par la différence de périmètre retenu. A titre d'illustration, le coût initial n'incluait pas un certain nombre de dépenses pourtant significatives liées au premier équipement, à l'actualisation des prix ou aux travaux d'interfaces site (paysages, aménagement, terrassement).

Ce montant risque d'être, à nouveau, dépassé. Le ministère de la culture m'a en effet signalé des surcoûts de l'ordre de 50 millions d'euros (portant ainsi le montant global du projet à 386,5 millions d'euros) en raison notamment de la hausse du prix des matières premières et des contraintes supplémentaires de mise aux normes de sécurité. Afin de tempérer ce « dérapage », la maîtrise d'ouvrage est en négociations avec Bouygues et l'architecte pour trouver des pistes d'économies éventuelles.

En ce qui concerne les modalités de financement du projet, trois financeurs se partagent « l'addition » : l'Etat et la Ville de Paris, à parts égales, et, dans une moindre mesure, la Région Île-de-France.

La participation de cette dernière est au coeur du débat car elle fait l'objet d'interprétations différentes :

- pour le conseil régional, sa contribution se limite à un montant forfaitaire de 20 millions d'euros qui représentait, au moment de son engagement, 10 % du coût du chantier, alors évalué à 200 millions d'euros ;

- pour l'Etat et la Ville de Paris, la région doit, au contraire, participer à hauteur de 10 % du coût final du projet, et donc assumer une partie des surcoûts.

Ce point pourtant crucial n'est pas encore tranché, d'après ce que m'a indiqué le cabinet de Mme Filippetti.

Troisièmement, dans le cadre d'une mise en perspective, j'étudierai maintenant les enjeux posés par la Philharmonie de Paris « en rythme de croisière ».

Après l'ouverture du nouvel auditorium, le dossier de la Philharmonie ne sera pas clos pour autant... Certaines questions doivent en effet, dès maintenant, être posées : notamment, la reconfiguration de l'offre musicale à Paris, la gouvernance et l'équilibre économique de la Philharmonie en rythme de croisière.

La Philharmonie de Paris constitue, tout d'abord, un pari culturel relativement risqué. A public constant, deux tendances sont en effet envisageables :

- soit, la Philharmonie « cannibalisera » le public des autres salles parisiennes, ce qui pose la question d'une remise à plat et d'un pilotage global de l'offre musicale classique à Paris ;

- soit, au contraire, elle ne trouvera pas son public : au delà du phénomène de curiosité consécutif à son ouverture, elle pourrait ne pas attirer durablement, notamment en l'absence de pleine substitution du public des communes périphériques au public de l'ouest parisien.

En tout état de cause, ces questions méritent d'être posées car les études disponibles mettent en évidence un attrait relativement faible des Français pour le concert classique, doublé d'un vieillissement du public.

On peut, également, s'interroger sur la multiplication des investissements symphoniques depuis 2005-2006 : nouvel auditorium de Radio-France, chantier de la Philharmonie, rachat et rénovation de la salle Pleyel. A cet égard, la reconversion de la salle Pleyel est une question cruciale qui n'est pas encore réglée non plus. Pour ne pas concurrencer la Philharmonie, les tutelles envisagent de transformer radicalement la programmation de la salle Pleyel. Cette dernière serait désormais dédiée à la variété et aux musiques du monde, et non plus à la musique symphonique, évolution que je n'approuve pas.

M. Philippe Marini, président. - Dans le cadre de la deuxième loi de finances rectificative pour 2009, nous avions voté les crédits nécessaires au rachat de la salle Pleyel, sous une pression certaine du ministère de la culture. Des observations avaient été formulées à cette occasion. On nous avait justifié cet investissement par des perspectives d'exploitation qui ne seront apparemment pas au rendez-vous...

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. - Je reprends mon propos. Une autre question en suspens concerne le futur statut juridique de la Philharmonie. Là encore, plusieurs hypothèses ont été évoquées, puis écartées : le maintien de l'association « Philharmonie de Paris », la création d'un établissement public de coopération culturelle (EPCC), la mise en place d'un groupement d'intérêt public « culture », la création d'une société par action simplifiée. On se dirigerait finalement vers un établissement public sui generis, seule forme juridique à même de respecter, dans la gouvernance du nouvel établissement, la place de chacun des partenaires à hauteur de ses apports financiers.

Enfin, il reste un enjeu budgétaire important : l'équilibre financier de la salle en régime de croisière. La mission IGF-IGAC s'était également intéressée à cette question.

Sur la base des éléments qui lui avaient été transmis, celle-ci avait estimé le déficit prévisionnel de la Philharmonie à 51 % et donc le besoin de financement public à 17,4 millions d'euros par an, selon la clé de répartition suivante : 7,8 millions d'euros à la charge de l'Etat (45 %), 7,8 millions d'euros à la charge de la Ville de Paris (45 %) et 1,7 million d'euros à la charge de la Région Île-de-France (10 %). Or, plus encore que pour l'investissement initial, la participation de la Région au coût de fonctionnement est incertaine.

En tout état de cause, le niveau de déficit et de subventionnement requis de la part des collectivités publiques serait non négligeable, d'autant plus que ces calculs reposent sur des hypothèses très volontaristes, fournies par l'association de préfiguration.

S'agissant de ces hypothèses, la mission d'inspection avait notamment critiqué des ressources propres fortement majorées par des estimations de fréquentation et de politique tarifaire largement sur-estimées.

Les représentants de la Philharmonie m'ont indiqué compter sur des gisements d'économies qui résulteraient de mutualisations avec la Cité de la Musique. Je reste prudent sur l'ampleur des synergies attendues.

Pour conclure, j'attire l'attention sur les craintes de certains de mes interlocuteurs pour lesquels la multiplication des grands chantiers fait peser une hypothèque budgétaire sur le financement des politiques culturelles. Selon eux, ces investissements, et les demandes de personnel et de fonctionnement qu'ils induiront à long terme, risquent de produire un effet d'éviction sur les autres moyens du ministère de la culture. Cette crainte se comprend d'autant plus que la réalisation de cette salle de prestige intervient dans un contexte budgétaire peu favorable...

A cet égard, le contexte de l'ouverture de la Philharmonie est très différent de celui de l'Opéra Bastille. Il est vrai que le pari de l'Opéra Bastille a été gagné, contre toutes les prédictions de ses détracteurs. Mais, alors que l'Opéra Bastille a été dès son ouverture doté d'importants crédits publics dans un contexte général de relative croissance des dépenses culturelles, l'ouverture de la Philharmonie intervient en période budgétaire extrêmement contrainte. Le pari apparaît d'autant plus risqué. De plus, je ne sens pas une volonté politique aussi forte que celle manifestée alors par le président Mitterrand.

M. Philippe Marini, président. - Je me réjouis de cette communication stimulante et utile. Quel contraste entre la situation des finances publiques, le discours sur la réduction des marges de manoeuvre, et les comportements dépensiers auxquels on assiste dans le domaine culturel ! Ce rapport tombe à point nommé, et vous ne pourrez être soupçonné de parti pris, puisque l'on s'inscrit dans une stricte continuité - continuité dans la dépense, ce qui est toujours plus facile...

M. Vincent Delahaye. - J'avais déjà été interpellé par ce sujet l'an dernier. Le ministre de la culture de l'époque, Frédéric Mitterrand, nous avait alors expliqué que la dérive des coûts était liée au fait que certains équipements et aménagements n'avaient pas été pris en compte au départ. Cette réponse m'avait surpris, car lorsque les collectivités territoriales se lancent dans des chantiers, elles anticipent toutes les dépenses... Le coût du projet s'ajoute à la dépense nécessaire au rachat de la salle Pleyel, soit 61 millions d'euros, opération qui s'est avérée profitable pour le vendeur...

Nous voilà confrontés ici à une dérive conséquente. Certes, le chantier est démarré et bien avancé. Mais ne pourrait-on reporter certains équipements annexes (pas forcément indispensables), afin de geler une partie du projet et de préserver des sommes non négligeables ? On achèverait l'équipement une fois revenus à des temps budgétaires plus cléments, si cela arrive... Je pense réellement que l'on devrait étudier la possibilité d'ouvrir partiellement la Philharmonie.

Deuxièmement, je m'interroge sur le fonctionnement du futur équipement. On nous parle d'un établissement public sui generis. L'Etat en sera-t-il partie prenante ? Quel est le budget prévisionnel de fonctionnement ? A Massy, nous disposons d'un opéra pour lequel nous n'avons jamais reçu la moindre subvention de l'Etat. Nous parvenons pourtant à attirer le public et à le remplir. Je souhaiterais donc savoir à quelle hauteur l'Etat s'engagera dans le financement du fonctionnement de la Philharmonie.

M. Yvon Collin. - A l'écoute de ce feuilleton, les bras m'en tombent. Nous sommes, pour la plupart, des élus locaux et, à ce titre, nous avons tous été confrontés à des appels d'offre ou des montages de dossiers. J'ai l'impression que, pour la construction de ce projet pharaonique, on a fait preuve d'amateurisme depuis le début. La première question qu'il aurait fallu se poser, avant de s'engager dans une telle opération, aurait été de savoir s'il existait le public pour un tel équipement.

Sur le reste, je me joins aux commentaires de Vincent Delahaye. Il faut faire en sorte de limiter au maximum les dérives en se rapprochant le plus possible des estimations initiales. Quand on voit avec quelle rigueur les chambres régionales des comptes surveillent la façon dont les élus locaux passent leurs marchés, l'inconséquence de l'Etat dans ce dossier est plus qu'inquiétante.

M. Aymeri de Montesquiou. - Vincent Delahaye aurait pu citer le cas de la « Sagrada Familia », à Barcelone, dont la construction dure depuis une centaine d'années.

Je souhaiterais savoir si le lancement du projet de la Philharmonie a été précédé par une étude de marché approfondie, ou bien si les pouvoirs publics se sont contentés de justifier cette nouvelle salle à partir des seules comparaisons internationales.

De surcroît, comme l'a souligné Yann Gaillard, l'accessibilité du site n'est pas évidente. Le public de l'ouest parisien se déplacera-t-il dans le 19ème arrondissement ? A-t-on, par ailleurs, imaginé pouvoir compter sur un public international ?

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. - Aucune étude de marché d'ampleur n'a été réalisée avant le lancement du projet. Une étude est en cours sur le niveau de fréquentation que l'on peut attendre pour la future salle, à partir du public actuel de l'Orchestre de Paris à la salle Pleyel.

La forte volonté du président de l'association de préfiguration, Laurent Bayle, semble avoir joué un rôle déterminant dans le portage du projet. Pour le reste, je ne suis pas étonné des remarques de mes collègues, qui reprennent les observations contenues dans mon rapport. Une chose est sûre : le recours à un architecte international de renom ne facilite pas les négociations pour réduire les coûts du projet.

Au cours d'un petit déjeuner de travail sur le budget 2013 organisé hier matin par la ministre de la culture, cette dernière a confirmé sa volonté de poursuivre le projet de la Philharmonie et d'éviter tout nouveau retard dans le chantier. Sur le fonctionnement, nous sommes relativement dans le flou.

M. Jean Germain. - Ce sujet est très complexe. La genèse politique du dossier est aussi incompréhensible que le recours à une association de préfiguration. Il se trouve que je connais bien le sujet, pour avoir lu un excellent mémoire de sciences politiques d'un étudiant de Rennes sur la Philharmonie de Paris, publié très récemment, et dont je vous recommande la lecture.

Je rappellerai brièvement la chronologie du projet. L'annonce en a été faite par le Gouvernement Villepin qui souhaitait s'associer avec la Ville de Paris, laquelle a répondu favorablement. Le Président Chirac avait également donné son accord. En 2006-2007, le concours d'architecture a été lancé, remporté par Jean Nouvel. A suivi une période d'incertitude. En effet, le premier ministre d'alors, François Fillon, était partisan de l'arrêt du chantier, tandis que le maire de Paris avait des doutes. C'est le Président Sarkozy qui a relancé le projet, déclarant qu'il ferait tout pour qu'il puisse voir le jour. Le chantier n'a démarré qu'en mars 2011, avec la technique connue du « pied dans la porte », rendant difficile l'abandon du projet. A défaut de l'arrêter, il existe peut-être des possibilités de le recalibrer à la baisse. La région participe à hauteur de 20 millions d'euros, de façon peu enthousiaste. La question du fonctionnement ne peut évidemment être ignorée, sans oublier le sort de la Salle Pleyel qui ne peut être traité sans prendre en compte le coût de son rachat en 2009.

Enfin, s'agissant du public, je ne partage pas le pessimisme de Yann Gaillard. En province, le public existe pour aller à l'opéra - c'est le cas à Tours -, et c'est même un public assez jeune. La capacité de renouveler les spectateurs dépend de la programmation, des prix, des abonnements, de la publicité que l'on peut effectuer dans les établissements scolaires. A cet égard, Berlin est exemplaire : on voit qu'il peut y avoir de très grands concerts avec un public jeune.

M. Edmond Hervé. - Je ne me prononcerai pas sur l'opportunité du projet. Paris a un rôle à jouer. Celles et ceux qui sont familiers des grands investissements culturels verront le rapport de notre rapporteur spécial comme tout à fait ordinaire et classique. Ne vous faites pas d'illusions, mes chers collègues, compte tenu des évaluations de coût qui viennent de nous être transmis, la puissance de certains fera que l'on ira au bout et que l'enveloppe finale sera proche, voire au-dessus, de 386 millions d'euros. Adoptons, par ailleurs, une démarche objective : un chantier qui dure plusieurs années coûte cher, c'est mécanique, notamment du fait des changements technologiques. L'intervention de grands architectes ne facilite pas les choses, toute négociation s'avérant notoirement difficile.

Mme Fabienne Keller. - Je ne suis pas choquée par le choix de la Villette pour implanter la Philharmonie de Paris. C'est un quartier de Paris qui dispose d'un beau regroupement culturel, entre la Cité de musique, la Cité des sciences et le Zénith notamment. Il constitue même un exemple de transformation urbaine intéressante.

Quels seront les orchestres résidents, et quel sera leur budget de fonctionnement ? Quelle sera l'articulation entre les lieux et les orchestres ? Comment s'opèrera le partage des équipements ?

Je m'inquiète aussi du nombre de spectateurs qui profiteront de ce nouvel auditorium. A cet égard, nous sommes aujourd'hui concentrés sur Paris, dont le rayonnement culturel constitue certes un enjeu important. Cependant, il ne faut pas oublier pour autant la province, qui mène de réels efforts d'accès à la culture pour tous. En Alsace, l'opéra du Rhin est financé par trois villes. Le même spectacle est joué dans trois lieux différents. Cela permet une logique de mutualisation.

Enfin, je suis impressionnée par le dérapage financier. Il doit y avoir une explication technique. Le coût initial devait omettre les aménagements de voierie, les dessertes... Même si c'est un architecte de renommée internationale qui le construit, il y a un réel sujet de maîtrise du coût : a-t-on affiché un prix minoré pour rendre possible le lancement du chantier, tout en sachant pertinemment que le coût serait dépassé ?

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. - Je confirme à Fabienne Keller que le coût initial n'affichait pas certaines dépenses. Cela explique la plus grande part du décalage avec l'estimation initiale. Sur le reste, tous les points développés par mes collègues sont longuement développés dans mon rapport, qui confirme les analyses critiques précédentes réalisées par l'IGF-IGAC et la Cour des comptes notamment.

M. Philippe Marini, président. - Nous allons bien sûr nous prononcer sur la publication du rapport de notre collègue, mais nous pouvons aussi formuler un certain nombre d'observations sur lesquelles nous demanderons à la ministre de la culture et de la communication de répondre, à l'occasion de l'examen des crédits de la mission « Culture » en séance publique.

La situation présentée ce matin est exemplaire ou contre-exemplaire d'une certaine manière : d'un côté, il y a la situation des finances publiques très contrainte et, d'autre part, les perspectives de réalisation d'un grand équipement culturel qui, quelles que soient les conditions dans lesquelles il a été programmé, va être mis en service au cours d'une période où la gestion des finances publiques sera resserrée - je fais attention à ne pas utiliser le terme de rigueur. Je m'interroge sur la cohérence de l'action publique telle qu'elle apparaîtra à nos concitoyens le jour où l'on ouvrira ce merveilleux équipement et où, par ailleurs, on aura dû faire des efforts, réduire la voilure, diminuer les dépenses, voire encore accroître davantage la fiscalité. Cette coïncidence pose problème, même si ceux qui sont au pouvoir aujourd'hui ne sont pas tout à fait ceux qui ont décidé le projet.

En second lieu, il convient de rappeler que, sans une alliance de l'Etat et de la Ville de Paris, ce programme n'aurait pu voir le jour. C'est donc un sujet de responsabilités partagées. Nous pourrions dès-lors être complètement libres dans nos appréciations ; la responsabilité est globale.

Enfin, je voudrais souligner un point important, valable dans tous les chantiers notamment culturels, à savoir la responsabilité du maître d'oeuvre, le résultat des concours et la manière d'en encadrer les conséquences. Ne sommes nous pas, avec ce type d'architecture, en situation, en quelque sorte, de conflits d'intérêts ? Est-on capable de contre-expertiser la crédibilité des évaluations fournies ? C'est un sujet que l'on retrouve souvent lors de réalisations complexes ; rappelez-vous Aéroport de Paris, par exemple.

Je vous demanderais de bien vouloir me dire, tout d'abord, si vous approuvez, mes chers collègues, la publication du rapport de Yann Gaillard.

La commission, à l'unanimité, donne acte de sa communication à M. Yann Gaillard, rapporteur spécial, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

M. Philippe Marini, président. - Nous pouvons désormais arrêter un certains nombre d'éléments sur lesquels nous souhaitons interroger le Gouvernement :

- l'effet d'éviction que ce programme risque, compte tenu de son enveloppe et de l'incertitude qui pèse sur celle-ci, de provoquer sur les autres moyens du ministère de la culture et de la communication, dans le contexte général de contrainte des finances publiques ;

- les dernières évaluations de dépenses de fonctionnement de la future Philharmonie et leurs modalités de financement ;

- le calendrier de déroulement du chantier : malgré le contexte budgétaire actuel, l'ouverture de la Philharmonie dans son ensemble (auditorium et espaces annexes) aura-t-elle bien lieu au dernier trimestre 2014 ?

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. - Je suis d'accord pour demander à la ministre de la culture, lors de l'examen en séance publique de la mission « Culture », des précisions sur ces points. Les interrogations pointées dans mon rapport s'inscrivent dans la continuité des travaux de la Cour des comptes et des inspections générales des finances et des affaires culturelles.

Mme Fabienne Keller. - Nous pourrions également interroger le Gouvernement sur la parité Ville de Paris/Etat, notamment en ce qui concerne le financement des surcoûts : comment seront-ils pris en charge ? En province, la participation de l'Etat dans ce type d'équipement est marginale.

La question du budget de fonctionnement de la Philharmonie renvoie aussi à celle de l'équilibre financier des institutions culturelles - en l'occurrence les orchestres - résidentes. Celles-ci bénéficient également d'importantes subventions de l'Etat.

M. Philippe Marini, président. - La question de la clé de financement est importante, y compris dans le budget de fonctionnement du futur auditorium.

Mon approche, à ce stade, demeure un questionnement : quelles seront les conséquences de cet investissement et des coûts induits, par la suite, en fonctionnement, sur le budget dédié à la culture ? Les prévisions actuelles sont-elles fiables et suffisamment précises ?

M. Jean-Paul Emorine. - J'ai présidé la commission spéciale sur le « Grand Paris ». La finalité de ce projet, partagée par l'Etat et la Ville de Paris, était de conforter Paris au rang de capitale internationale. La Philharmonie de Paris s'inscrit dans cette logique. On ne peut pas totalement comparer ce type d'équipement avec ce qui se fait en province.

M. Vincent Delahaye. - Il faudrait également avoir des précisions sur la maîtrise d'ouvrage. Qui est le chef de file ? Je m'interroge aussi sur les nombreux espaces annexes prévus : une galerie d'exposition, une salle des conférences.... Un réexamen sérieux des ces équipements est nécessaire.

M. Edmond Hervé. - Je ne suis pas d'accord. Si l'on reconsidère les éléments constitutifs du projet ou si on les rééchelonne dans le temps, cela va coûter très cher ; des contrats ont été passés. Par ailleurs, si un grand équipement n'a pas d'homogénéité, il ne fonctionne pas.

J'insiste sur un point : il est absolument nécessaire qu'il y ait un maître d'ouvrage clairement identifié. Ce n'est pas le maître d'oeuvre qui a la plume, mais le maître d'ouvrage. Négocier avec les grands architectes est une démarche difficile.

M. Philippe Marini, président. - Il n'y a pas de mauvais architectes, mais des mauvais clients...

M. Edmond Hervé. - Même si la situation des finances publiques est très contrainte, nous devons être fiers de notre pays. Le rayonnement de Paris, c'est le rayonnement du reste de la France. Il se répercute nécessairement sur nos villes, nos départements et nos régions.

M. Philippe Marini, président. - L'ensemble de ces observations, mes chers collègues, seront synthétisées dans une lettre que j'enverrai à la ministre de la culture et de la communication.

Contrôle budgétaire - Dispositif public de soutien aux exportations agroalimentaires - Communication d'étape

- Présidence de M. Yvon Collin, vice-président -

Puis la commission entend une communication d'étape de M. André Ferrand, rapporteur spécial, sur le dispositif public de soutien aux exportations agroalimentaires (l'action du réseau d'appui à l'international à la lumière du marché chinois).

M. André Ferrand, rapporteur spécial. - En février dernier, la commission des finances nous a confié, à Christian Bourquin, Yannick Botrel, Joël Bourdin et moi-même, une mission sur le dispositif public de soutien aux exportations agroalimentaires.

Cette mission a pour objet de dresser un diagnostic de la situation à l'export des industries agroalimentaires françaises et d'évaluer l'action publique en la matière, afin de porter une appréciation sur l'utilisation des crédits budgétaires et l'efficience du dispositif, et de proposer des améliorations. J'ai souhaité vous présenter aujourd'hui, avant la synthèse de nos travaux communs, une communication d'étape sur l'action du réseau d'appui à l'international à la lumière du marché agroalimentaire chinois et formuler quelques recommandations pour optimiser l'organisation et l'efficacité de notre dispositif public de soutien aux exportations agroalimentaires.

Cette mission de contrôle se justifie pour deux raisons. D'abord un motif budgétaire : il s'agit de savoir si le dispositif dispensé actuellement garantit une utilisation optimale des moyens alloués. Nos travaux coïncident avec l'achèvement de deux opérations :

- la réorganisation du dispositif de soutien des entreprises françaises à l'étranger, dorénavant partagé entre les services économiques, pour ce qui concerne l'exercice des missions régaliennes, et l'agence française pour le développement international des entreprises Ubifrance qui assure l'accompagnement commercial ;

- le renouvellement pour la période 2013-2017 de la délégation de service public accordée à la société SOPEXA pour la promotion des produits agroalimentaires.

Nous reviendrons plus loin en détail sur les missions et le financement de ces structures, mais quelles que soient la compétence et l'efficacité des bureaux à l'étranger de ces deux opérateurs de l'Etat, il apparaît indispensable qu'une bonne coordination s'instaure avec l'ensemble des acteurs, qu'ils soient basés sur le territoire national (FranceAgriMer, les réseaux consulaires, les régions) ou à l'international (l'union des chambres de commerce et d'industrie françaises à l'étranger, les conseillers du commerce extérieur, les entreprises et prestataires délégataires de services publics, etc.).

Le fait que ces deux opérateurs relèvent chacun d'un ministère de tutelle différent, le ministre en charge de l'agriculture pour SOPEXA et le ministère en charge du commerce extérieur pour Ubifrance, a justifié l'attribution du contrôle conjointement aux rapporteurs spéciaux des missions « Agriculture » et « Economie ». Il faut signaler que notre collègue Joël Bourdin a réalisé, avec Marc Massion, en 2004, un rapport d'information relatif à SOPEXA dont les principales conclusions ont conduit au lancement de la première délégation de service public pour la période 2008-2012.

L'autre motif de notre mission de contrôle est économique. La dégradation de notre solde commercial, déficitaire de 71,9 milliards d'euros en 2011 après avoir atteint 52,4 milliards en 2010, est révélatrice du déficit structurel des exportations par rapport aux importations. Dans ce contexte catastrophique, il faut relever que les points forts de la spécialisation française demeurent l'industrie agricole et agroalimentaire, avec l'aéronautique et les produits liés à l'industrie du luxe. Le dynamisme des exportations agroalimentaires est illustré par une progression de 12,6 % en 2011, tirée par la croissance des ventes de boissons vers l'Asie et la hausse du prix des matières premières agricoles. Il génère un excédent de 11,6 milliards d'euros. Toutefois, hors boissons, le solde est déficitaire depuis 2004. En effet, nos exportations proviennent principalement, pour 22 % des vins et spiritueux, pour 16 % des céréales, pour 11,1 % des « animaux et viandes » et pour 10,9 % des produits laitiers.

Ce dynamisme contraste avec l'atonie des autres secteurs. Toutefois il ne doit pas masquer le recul des parts de marché mondiales de la France. En effet, la croissance française est plus faible que celle des principaux partenaires européens. Ainsi, entre 2005 et 2010, les exportations agroalimentaires de la France ont progressé en moyenne de 4 % par an, contre 5 % pour les Pays-Bas, 6 % pour l'Espagne, la Belgique et l'Italie et 7 % pour l'Allemagne.

C'est à l'occasion de l'examen des crédits de la mission « Economie » pour 2012 que, avec Christian Bourquin, nous nous étions interrogés sur l'érosion des exportations françaises en matière agricole et agroalimentaire. Il s'agit incontestablement d'un secteur dans lequel la France reste compétitive mais sa position est menacée. Encore deuxième exportateur mondial agroalimentaire à la fin des années 90, après les États-Unis, elle n'arrive, depuis 2009, qu'au quatrième rang, après ce pays, les Pays-Bas et l'Allemagne. Ainsi, l'Allemagne devance désormais la France sur les exportations de produits agroalimentaires transformés. Hors boissons, il faut souligner que la balance commerciale agroalimentaire est négative. C'est pourquoi, lors des débats du projet de loi de finances pour 2012, nous avions souhaité évaluer, dans le cadre des travaux de contrôle de la commission des finances, l'efficience du dispositif de soutien aux exportations agroalimentaires, en nous assurant notamment de la bonne coordination du Groupe SOPEXA, qui assure la promotion internationale des produits alimentaires français, avec l'opérateur Ubifrance.

Nous n'avons pas été les seuls à nous interroger sur l'efficience du dispositif. Déjà, en 2010, l'IGF avait rendu un premier rapport préconisant des pistes de réorganisation du dispositif et des relations entre les principaux organismes intervenant dans ce secteur : Ubifrance, Sopexa et Adepta (matériels agricoles). Sur le plan budgétaire, le constat est frappant. Le caractère interministériel et transversal du soutien de l'Etat à la promotion des exportations agroalimentaires françaises réside tant dans l'origine diversifiée des financements que dans l'hétérogénéité des opérateurs en charge du secteur :

- 27,5 millions d'euros de crédits sont alloués, en 2011, par le ministère de l'agriculture, selon la répartition suivante : 15,5 millions d'euros au travers des trois organismes d'appui SOPEXA (13,5 millions d'euros), Ubifrance (0,7 million d'euros) et ADEPTA (1,3 million d'euros) et 12 millions d'euros via le budget de FranceAgriMer, dont plus de la moitié (63 % en 2011 contre 53 % en 2010) a bénéficié au secteur viticole, ce secteur représentant 22 % des exportations agroalimentaires ;

- en outre, environ 20 millions d'euros ont bénéficié au secteur agroalimentaire, au titre de la subvention globale du ministère de l'économie à Ubifrance.

Au total, les dépenses budgétaires en faveur de l'export agroalimentaire s'établissaient à 48 millions d'euros en 2011. Par ailleurs, la Commission européenne finance également des programmes de promotion transversale à hauteur de 46 millions d'euros par an. Enfin, il faut signaler que les collectivités territoriales, en particulier les régions, et les organisations professionnelles contribuent également de manière substantielle à la promotion de l'export agroalimentaire sans qu'un chiffrage précis puisse être avancé à ce stade.

La diversité des acteurs du dispositif public de soutien pose donc la question de la synergie des trois niveaux d'intervention de l'Etat :

- le niveau régalien (administrations de tutelle) au travers de la direction générale des politiques agricoles, agroalimentaires et des territoires (DGPAAT) et de la direction générale du Trésor (DG Trésor) ;

- les opérateurs spécialisés dans la promotion à l'export, la SOPEXA dans le cadre de la délégation de service public (DSP) et Ubifrance ;

- et, en amont, l'intervention de FranceAgriMer (FAM) en matière d'export en raison de son rôle de structuration des filières et de l'offre de produit.

Le résultat de cette absence de cohérence et d'organisation du jeu collectif est que, pris globalement, le dispositif ne garantit pas une utilisation optimale des crédits alloués. Néanmoins, il ne m'a pas semblé souhaitable, à ce stade de la mission, de préconiser la suppression de l'un ou l'autre de ces opérateurs.

Le vrai problème ne réside pas dans le nombre des intervenants, mais dans l'absence de stratégie commune. En effet, si des conventions, des chartes destinées à progresser sur tous ces points ont été signées à Paris, on se rend compte que beaucoup trop souvent, elles n'ont pas été déclinées ni mises en oeuvre d'une façon opérationnelle et efficace sur le terrain.

Comme j'ai pu m'en rendre compte depuis le début de cette mission, le plan d'orientation à l'export agroalimentaire (POEAA) ne constitue pas une véritable stratégie d'action concertée et partagée par tous les acteurs. Il s'agit d'un plan développé essentiellement par l'administration du ministère de l'agriculture, sans adhésion active des autres ministères. Quant au programme « France Export », sorte d'agenda des manifestations chargé de partager les tâches, il est la résultante d'une convention de partenariat entre Ubifrance et SOPEXA, s'apparentant davantage à un pacte de non agression, à un « Yalta » fragile, qu'à une stratégie de collaboration. Enfin, j'ai été surpris de voir que nombreux sont les membres locaux de ce que nous appelons « l'équipe de France de l'export » qui ne connaissent pas la « charte nationale de l'exportation ».

L'objectif commun est bien de faire en sorte que cette multitude d'acteurs se dote d'une stratégie commune et cohérente. La recommandation d'un nouveau rapport de l'IGF sur le même sujet met en évidence l'absence de « stratégie globale ». A ce stade, je constate que le nouveau Gouvernement a lancé une politique axée sur la structuration des filières, un rôle accru des régions et la mise en oeuvre d'une « diplomatie économique ». A ce stade, il faut espérer que cette orientation soit effectivement mise en oeuvre et apporte les résultats escomptés.

Au total, le champ d'investigation est potentiellement large car il concerne de nombreux sujets tels que :

- la structuration de l'offre proprement dite (territoire national) comme sa promotion (action à l'international) ;

- l'organisation et la coordination des moyens de l'Etat en France et à l'étranger ;

- la mobilisation des partenariats européens et privés dans un contexte de réduction des crédits budgétaires (à l'instar de la diminution du montant de la dotation au titre de la DSP de SOPEXA) ;

- les synergies à développer entre les réseaux et les compétences de SOPEXA et Ubifrance.

C'est pourquoi, nous avons décidé de nous répartir le travail. Dans le cadre des travaux classiques d'auditions, de tables rondes et de déplacements en France et à l'étranger, chaque co-rapporteur a souhaité se spécialiser sur un thème : l'organisation de l'amont et le soutien aux filières par Yannick Botrel, le bilan et les perspectives de la délégation de service public attribuée à SOPEXA par Joël Bourdin, l'articulation du réseau international avec les opérateurs agroalimentaires dans les régions par Christian Bourquin et, quant à moi, le dispositif public d'appui à l'international. Naturellement, je partage l'objectif commun de contribuer à un rapport de synthèse sur la cohérence globale du dispositif et de suivi de la mise en oeuvre de nos recommandations.

J'en viens maintenant à mes constats et observations sur l'action du dispositif d'appui aux exportations agroalimentaires à la lumière du marché chinois. Le choix de ce pays était pour moi une évidence : il s'agit du marché le plus dynamique dans la demande mondiale agroalimentaire. Il se présente donc comme un relais de croissance exceptionnel pour notre industrie, pour peu que nous nous donnions les moyens d'y faire connaître et consommer les produits français.

La demande en produits alimentaires de la Chine s'accroît, avec des besoins quantitatifs et des exigences qualitatives en progrès constants. Ainsi, la Chine doit nourrir 21 % de la population mondiale sur 9 % de la surface agricole utile, alors que celle-ci est grignotée par l'urbanisation et que les ressources en eau sont très inégalement réparties entre les régions agricoles. Pour ces raisons, la balance agro-alimentaire chinoise était déficitaire de 34 milliards d'euros en 2011 (premier poste de déficit), alors que la balance commerciale est globalement bénéficiaire. De plus, ce déficit se creuse en raison, notamment, d'une modification de la demande alimentaire (augmentation de la consommation de produits carnés par exemple) que l'offre domestique ne parvient pas à remplir. La situation d'importateur structurel de la Chine crée ainsi des opportunités.

Une meilleure organisation du côté français apparaît nécessaire pour mieux tirer parti de ce marché à fort potentiel de développement. La Chine (hors Hong-Kong) ne compte que pour 2,6 % seulement de nos exportations agroalimentaires, avec une sur-représentation des vins et spiritueux qui représentent 60 % de ces exportations. Hors boissons, la balance agroalimentaire des échanges entre nos deux pays est négative de 88 millions d'euros sur un total d'exportation de 1 345 millions d'euros. La structure des exportations agroalimentaires françaises vers la Chine se divise entre trois secteurs : les vins et spiritueux (880 millions d'euros), les matières premières destinées à la transformation en Chine (viandes et abats de porc et volaille, poudres de lait, bois brut, orge, cuirs, plants végétaux et génétique animale) pour 430 millions d'euros et les produits transformés (épicerie, biscuits, confiserie, autres boissons,...) pour seulement 143 millions d'euros.

Les interlocuteurs économiques rencontrés ont témoigné des indéniables opportunités de marché qui existent en Chine. Pour les produits transformés, l'image « France » est un atout qui doit être mieux valorisé, sous réserve qu'il soit possible d'importer au regard des règles sanitaires chinoises. Ainsi, les services économiques sur place nous ont fait part des marges très importantes de progression en matière de produits laitiers, d'épicerie mais aussi de charcuterie et de salaisons. Il faut signaler que ce dernier secteur n'exporte pas vers la Chine laissant ainsi le champ libre aux filières espagnoles et italiennes qui ont su mieux s'adapter aux exigences réglementaires et sanitaires propres à ce pays.

La réalité du marché chinois demeure trop méconnue des filières françaises, lesquelles sont majoritairement composées de PME insuffisamment tournées vers l'export. Celles-ci gagneraient à être fédérées, à l'exemple des filières de la viande et du secteur viti-vinicole. La réflexion stratégique des filières agroalimentaires et de leurs inter-professions vis-à-vis de l'export vers le marché chinois demanderait à être mieux soutenue, ce que commence à faire l'association nationale des industries agroalimentaires (ANIA), notamment par FranceAgriMer.

Les autorités chinoises dressent des barrières non tarifaires avec des normes sanitaires parfois non-conformes aux engagements OMC, peu transparentes et d'application variable selon les points d'entrée sur le territoire. Nous avons appris que cette instabilité juridique procède de la volonté des autorités de relever les normes, suite aux nombreux scandales alimentaires, et aussi d'une approche protectionniste, visant à réduire la concurrence générée pour les produits nationaux (amidon, produits laitiers frais, vins...). Ce contexte permet aux produits français de jouir d'une bonne réputation qu'il faut exploiter commercialement, notamment pour ce qui concerne certains aliments : la poudre de lait infantile, les protéines de lait, l'épicerie, la confiserie et le chocolat.

S'agissant des atouts et faiblesses de notre dispositif d'appui, il faut tout d'abord relever l'effort important de maillage du territoire chinois par les structures publiques et para-publiques, mais aussi par le réseau de la grande distribution. Ainsi, les distributeurs Auchan et Carrefour, sur le segment des produits transformés, nous ont-ils paru disposés à favoriser le développement de ces exportations qui représentent 2 % du chiffre d'affaires global des produits alimentaires et atteint 18 % pour les onze magasins sur 207 en Chine, où ils sont significativement présents. Il est important dans le « jeu collectif » que les « grands » puissent entraîner les « petits ».

Les difficultés auxquelles sont confrontées les exportations agroalimentaires françaises en Chine sont donc un révélateur des atouts et des faiblesses, tant de l'offre française que de son dispositif d'appui. Il ressort de cette mission une série d'observations :

- en termes d'organisation, il existe un grand nombre d'institutions chargées d'appuyer l'export et l'implantation des entreprises, mais l'effet de dispersion des moyens déjà constaté au niveau national est reproduit localement (Ubifrance, SOPEXA, Régions, réseaux consulaires, conseillers du commerce extérieur de la France, sociétés privées d'accompagnement, etc.), chaque intervenant obéissant à des logiques techniques et financières propres ;

- il faut souligner une faiblesse de l'organisation collective du dispositif et, en particulier, le manque d'élaboration d'un plan stratégique commun et cohérent pour l'ensemble des acteurs. L'animation du réseau semble dépendre de la seule initiative individuelle du chef du service économique ou d'Ubifrance, sans autorité ni légitimité officielle. En conséquence, l'activité est très inégale selon les postes diplomatiques ;

- le manque d'information en France sur les opportunités du marché agroalimentaire chinois, notamment vis-à-vis des interprofessions agricoles, conduit à une image erronée du marché et à une sous-exploitation des opportunités d'export (produits laitiers, charcuterie et salaisons, épicerie, chocolat) ;

- du fait de la très forte influence de l'administration en Chine, il est également nécessaire d'articuler les aspects régaliens et commerciaux, afin de réduire les barrières non tarifaires à l'accès au marché que sont les normes sanitaires et les procédures douanières.

Ces constats montrent la nécessité de développer une meilleure articulation du réseau international avec les opérateurs agroalimentaires dans les régions avec l'amont agroalimentaire et les filières, thèmes sur lesquels mes collègues Christian Bourquin et Yannick Botrel ont concentré leurs travaux.

Alors que des situations de redondance et de concurrence « stérile » entre opérateurs du service public peuvent subsister sur le terrain, l'organisation du « jeu collectif » doit conduire à une répartition des compétences entre Ubifrance et SOPEXA, véritablement fondée sur la complémentarité des savoir-faire et une saine émulation. En effet, un peu de concurrence entre les opérateurs n'est pas inutile pour maintenir le dynamisme des équipes. Toutefois, la visite des deux principaux salons dédiés aux vins et spiritueux dans lesquels la France tenait une part prédominante (Vinexpo à Hong-Kong et Topwine à Pékin), a permis d'illustrer très concrètement la duplication des activités d'Ubifrance et de SOPEXA, alors que leurs compétences sont censées être complémentaires et organisées en synergie selon le plan d'orientation des exportations agroalimentaires du ministère de l'agriculture :

- à SOPEXA, la promotion de la culture alimentaire française et de l'art de vivre, la conception des stands, l'animation des salons et la formation des consommateurs dans une approche « B to C » ;

- à Ubifrance, le travail d'identification des importateurs, de mise en relation des réseaux de distribution, d'analyse et d'organisation des rencontres sur les salons, dans une optique « B to B ».

Aussi, compte tenu de la nécessité pour ces deux opérateurs de coexister, on pourrait imaginer qu'au lieu de travailler chacun de leur côté sur la base d'une répartition géographique des manifestations, Ubifrance et SOPEXA travaillent ensemble en se consacrant à ce qui constitue leur coeur de métier.

Les difficultés auxquelles sont confrontées les exportations agroalimentaires françaises en Chine sont riches d'enseignement et permettent de dégager des recommandations valables pour tout le réseau, tant en France qu'au niveau local. Il me paraît très important que des règles du jeu précises soient données aux acteurs publics et à tous ceux qui bénéficient de subventions de l'Etat. Il faut un capitaine d'équipe pour organiser le « jeu collectif », pour élaborer des plans d'actions concrets et opérationnels à l'international et pour assurer une articulation efficace avec les filières et régions en France.

Pour cela, je propose que le rôle central des ambassadeurs et de leurs services économiques soit défini par une lettre de mission commune du ministre de l'économie et des finances, ou de la ministre du commerce extérieur, et du ministre des affaires étrangères diffusée à l'ensemble des partenaires du dispositif d'appui public aux exportations. Ces deux ministères, ainsi que celui de l'agriculture pour ce qui le concerne, doivent être associés au suivi des plans d'action mis en oeuvre par les ambassadeurs.

Ce préalable de principe me semble indispensable pour la bonne exécution des six recommandations que je formule et dont la portée peut être étendue, au-delà de la seule expérience du marché chinois, d'une part à l'ensemble du réseau et, d'autre part, à d'autres secteurs économiques :

- au niveau local, instaurer clairement le « leadership » du représentant de l'Etat, l'Ambassadeur, afin qu'il dispose des moyens de coordonner l'action et d'assurer la synergie des différentes structures qui concourent à la promotion des exportations ;

- traduire le volontarisme de tous les acteurs à travers un plan stratégique et un plan d'action définissant des objectifs aussi précis que possible ;

- s'assurer que toutes les conventions, chartes et accords signés à Paris entre les différents acteurs puissent connaître sur le terrain une déclinaison locale permettant une action plus efficace ;

- rechercher et utiliser les circuits d'information les plus opérationnellement capables de transmettre en France aux acteurs concernés (interprofessions, filières et régions) les informations utiles quant aux opportunités identifiées sur les marchés étrangers ;

- recenser très précisément les obstacles et les freins à l'importation (normes sanitaires ou procédures douanières) et articuler étroitement les aspects régaliens et commerciaux afin de réduire plus efficacement les contraintes à l'accès aux marché relevant de barrières non tarifaires ;

- appliquer strictement le principe de réciprocité dans les négociations et agir en tirant le meilleur parti du levier européen.

Au terme de cette communication d'étape, je fais toute confiance à mes collègues co-rapporteurs qui ont travaillé de concert pour proposer, chacun dans son domaine de spécialisation, des recommandations qui permettront d'optimiser l'organisation et l'efficience de notre dispositif public de soutien. Je vous remercie.

M. Yvon Collin, président. - Nous avons parfaitement compris qu'il manquait un « pilote dans l'avion » pour coordonner l'action des acteurs de l'export agroalimentaire.

M. Aymeri de Montesquiou. - Au vu des ressources agricoles qui me semblent bien plus importantes en France qu'en Allemagne et aux Pays-Bas, comment pouvez-vous expliquer les meilleures performances de ces deux pays ?

M. Edmond Hervé. - Je suis tout à fait d'accord avec votre constat sur l'éparpillement de nos structures et sur la nécessité de confier un rôle majeur à nos ambassadeurs. Mais je voudrais surtout signaler la conduite déloyale de l'Allemagne qui ne respecte pas un coût du travail minimal, ce qui constitue une véritable distorsion de concurrence. Par ailleurs, je ne comprends pas que notre pays soit déficitaire dans la production de volaille alors qu'il est indiscutable que la demande s'accroît sur ce secteur. Enfin, il me paraît primordial d'investir dans la sécurité sanitaire et alimentaire, afin de donner toutes les chances à nos industries agroalimentaires d'accéder à de nouveaux marchés.

M. André Ferrand. - La position de deuxième exportateur agroalimentaire mondial des Pays-Bas tient au fait que leur industrie est naturellement tournée vers l'export et qu'elle bénéficie d'une logistique très efficace. Il faut aussi souligner que leurs capacités d'exportation de produits transformés reposent sur leurs importations de produits bruts. Le circuit de distribution des fleurs en est un exemple puisque les fleurs produites dans le monde, mais aussi en France, transitent par le marché international d'Aalsmeer avant d'être commercialisées sur notre territoire.

Quant à l'Allemagne, comme vous l'avez souligné, le coût du travail joue un rôle certainement déterminant mais il faut ajouter que les progrès qu'elle a accomplis tiennent pour beaucoup au développement de ses industries des secteurs de la viande et des produits laitiers à destination des marchés émergents. Sur ces derniers, nous avons des progrès à faire pour que nos filières investissent pour prendre pied sur ces nouveaux marchés et surmontent les barrières réglementaires et sanitaires.

M. Yvon Collin, président. - Nous prenons acte de votre communication d'étape qui précède ainsi, sur le volet spécifique du réseau d'appui à l'international, le rapport final que vous rendrez, avec vos collègues co-rapporteurs, au début de l'année prochaine.

Nomination d'un rapporteur

La commission désigne ensuite M. François Marc rapporteur sur le projet de loi n° 234 (AN - XIVème législature) de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, sous réserve de son examen par l'Assemblée nationale et de sa transmission.

Financement de la sécurité sociale pour 2013 - Demande de saisine pour avis et nomination d'un rapporteur pour avis

Puis la commission demande à se saisir pour avis du projet de loi n° 287 (AN - XIVème législature) de financement de la sécurité sociale pour 2013, sous réserve de son examen par l'Assemblée nationale et de sa transmission, et désigne M. Jean-Pierre Caffet rapporteur pour avis sur ce texte.

Nomination d'un rapporteur spécial

La commission désigne ensuite M. Jean-Pierre Caffet rapporteur spécial du compte de concours financiers « Avances aux organismes de la sécurité sociale ».

Programmation et gouvernance des finances publiques - Audition de M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget

La commission procède enfin à l'audition de M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget, sur le projet de loi organique n° 43 (2012-2013) relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.

M. Philippe Marini, président. - Le projet de loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, qui vient d'être examiné et légèrement amendé par l'Assemblée nationale, est un texte structurant. Ce sera l'outil de travail des deux commissions des finances, le cadre concret de nos discussions futures, lesquelles s'inscriront dans le respect de la convergence.

Ce texte a été évoqué la semaine dernière lors du débat sur le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'union économique et monétaire (TSCG), dont le projet de loi organique met en oeuvre l'article 3. La convergence s'applique aux finances publiques dans leur ensemble : État, sécurité sociale et collectivités territoriales. Participe d'ailleurs à la présente réunion Yves Daudigny, le rapporteur général de la commission des affaires sociales. Le ministre du budget est le ministre des finances publiques dans leur ensemble : les membres de la commission des finances souhaiteraient qu'il ait encore plus de pouvoirs, par solidarité fonctionnelle, à défaut d'être tous d'accord sur les orientations du projet de loi de finances.

Ce nouvel outil de travail devra être un outil commun, à l'instar de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), élaborée en commun et qui appartient à tous. Vieux naïfs que nous sommes, nous espérons que l'on procédera aujourd'hui de la même façon que naguère. Nous savons qu'une partie au moins de votre coeur appartient au Parlement, M. le ministre, malgré vos nouvelles fonctions. Nous ne doutons pas que vous entendrez les observations du rapporteur général et des membres de la commission, afin que nous avancions ensemble.

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget. - Merci pour ces mots d'accueil. Dans une vie politique, on est plus souvent élu que ministre. Quelles que soient mes responsabilités actuelles, je me souviens que j'ai été parlementaire et j'espère le redevenir un jour : raison de plus pour être respectueux du Parlement. Quant à mon champ de compétences, je rappelle que les décrets d'attribution me confient la responsabilité des comptes sociaux.

Certains souhaitaient que le traité européen soit renégocié avant d'être soumis au Parlement. Dès lors qu'il a été complété, j'en juge les termes acceptables. Le contexte européen a changé. Premier élément : le plan de relance européen de 240 milliards d'euros qui sera mis en oeuvre notamment par la Banque européenne d'investissement. Celle-ci pourra, certes pour un faible montant, émettre des project bonds, ce qui n'allait pas de soi il y a quelques mois. La Banque centrale européenne a lancé son programme d'opérations monétaires sur titres (OMT), autrement dit le rachat sans plafond de dette à court terme d'États de la zone euro ; reste à faire de même pour les emprunts à long terme. La Cour constitutionnelle de Karlsruhe a validé la démarche institutionnelle. Les taux se détendent dans les pays du sud de l'Europe et la France emprunte à long terme à des taux historiquement bas, ce qui nous accorde un répit pour procéder à un ajustement budgétaire résolu - c'est ce à quoi s'emploie le projet de loi de finances initiale.

Le projet de loi organique vous est connu, je n'entrerai pas dans les détails. Permettez-moi seulement de dire ce que ce texte n'est pas. D'abord, ce n'est pas un abandon de souveraineté de la France à quelque institution ou organisme supranational, ce qui explique que nous vous présentions non pas une réforme constitutionnelle mais une loi organique. Ensuite, ce texte ne fixe que des règles de procédures : il ne contraint en rien sur le fond le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, qui restent maîtres de leurs choix. La souveraineté du Parlement n'est en rien altérée. Ce qui ne veut pas dire que cet outil commun soit sans importance, loin s'en faut. La clé de voûte en sera le Haut Conseil des finances publiques, dont la composition, telle qu'imaginée par le Gouvernement et complétée par l'Assemblée nationale, garantit l'indépendance. Ses avis ne s'imposeront pas au Gouvernement ni au Parlement, mais qui peut imaginer qu'ils ne soient pas suivis ? Ce conseil aura de fait une force considérable, tout en respectant les prérogatives de l'exécutif et du législateur.

Le projet de loi organique indique quelles seraient les cordes de rappel au cas où les finances publiques ne suivraient pas la trajectoire souhaitée par le Gouvernement et décidée par le Parlement. Nous n'avons pas souhaité de réforme constitutionnelle, car nous estimons que la volonté politique doit l'emporter. Il n'y a pas lieu de se méfier par principe d'un gouvernement, quel qu'il soit, ou du Parlement. C'est un appel à la responsabilité collective. Il y a un quasi-consensus pour dire que le rétablissement de nos finances publiques est un impératif absolu. Il y va de la souveraineté nationale, du respect de la parole de la France. Notre endettement, véritable impôt à la naissance, est un handicap insupportable en termes de compétitivité. L'assèchement des liquidités empêche l'investissement dans le secteur productif. Le désendettement entraînera une détente des taux, y compris pour le secteur privé.

Voilà donc l'outil qui est proposé à votre assemblée. J'espère ardemment que ce texte sera adopté, dans des termes qui feront que personne, à l'intérieur mais surtout hors de nos frontières, ne pourra douter de notre volonté de rétablir les finances publiques.

M. Philippe Marini, président. - Merci de cette introduction. En effet, il n'y a pas d'abandon de souveraineté. C'est pourquoi j'ai voté le TSCG et pourquoi j'accepterai la loi organique, si elle me semble suffisamment de nature à guider nos pas.

Les règles de procédure sont d'une extrême importance, elles permettent au débat public de se dérouler sans ambigüité. Avec le président Arthuis, nous n'avons eu de cesse de demander qu'en matière financière, les notions et concepts soient incontestables, non manipulables au gré de l'opportunité. En effet, personne, hors de nos frontières, ne doit pouvoir douter de notre volonté.

Nous raisonnerons désormais en solde structurel. La notion n'est pas franco-française : elle sert à comparer les approches des uns et des autres au sein de la zone euro et à s'assurer ainsi de la soutenabilité de la monnaie unique. Echanges, allers-retours entre parlements nationaux, États et Commission européenne, telle est la méthode proposée. Un texte qui conduira à une meilleure information de l'opinion publique et aidera le Parlement à prendre ses décisions sera protecteur pour le Gouvernement - qui est toujours à lui-même son pire ennemi !

C'est dans cet esprit que nous abordons le débat. Il faudra préciser la définition du rôle du conseil, son indépendance, sa compétence. Ses avis ont beau n'être que des avis, ils auront une force considérable. À nous de bien organiser les choses. Nous le pouvons. Ce texte n'est sans doute pas le plus médiatique de la séquence automnale, mais peut-être le plus important !

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. - Merci, M. le ministre, de ces éclairages. Nous entrerons plus dans les détails la semaine prochaine, quand je présenterai mon rapport, ainsi que quelques amendements sur le texte.

Au Sénat, la discussion sur le TSCG a été sereine, malgré quelques interrogations sur la signification de certains concepts et leur mise en oeuvre. J'examinerai ce projet de loi organique sous trois angles. D'abord, la sécurité juridique, car le traité prévoit que les États défaillants dans la transposition peuvent être traduits devant la Cour de Justice de l'Union européenne. Ensuite, notre commission plaide depuis des années pour davantage de précision dans les définitions. Les documents budgétaires ne s'appuient pas sur des prévisions budgétaires suffisamment indépendantes, et s'éloignent par trop des anticipations d'observateurs éclairés. Je déposerai quelques amendements sur ce point... Troisième inquiétude : le respect des prérogatives des autorités politiques. Il faudra clairement définir les missions du Haut Conseil et veiller à ce qu'il n'outrepasse pas son rôle. Le nouveau dispositif ne doit pas conduire à donner les clés de la politique budgétaire à un organisme indépendant et non élu !

Où en est le groupe de travail européen consacré à la recherche d'une méthodologie harmonisée du calcul du solde structurel ? Quel est le calendrier de ses travaux ? Quand disposerons-nous d'une référence transversale à l'échelle européenne pour nous guider dans notre propre interprétation ?

Le Haut Conseil formulera-t-il des commentaires généraux sur la politique budgétaire ou se contentera-t-il de réponses sobres aux questions posées ? Sur quelles prévisions économiques portera son avis : taux d'inflation, taux d'intérêt, parité euro-dollar ? Quel sera son champ d'investigation et de préconisation ?

L'article liminaire porte sur les prévisions de solde de l'ensemble des administrations publiques, non du seul État. Quelles seront les conséquences de cette novation sur l'examen au Parlement du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale ?

M. Jérôme Cahuzac. - Le texte instaure le pilotage des finances publiques par le solde structurel. Cependant, adopter le traité européen et la loi organique n'exonère pas du respect de l'objectif nominal de 3 % de déficit public en 2013. À compter de 2015, le déficit structurel ne devra pas dépasser 0,5 % du PIB. L'année 2014 sera celle de la transition.

Cette novation n'est pas une facilité, mais un outil dont se dotent l'ensemble des États de la zone euro pour rendre les comparaisons entre États pertinentes et pour que chacun, y compris les marchés, puisse juger de la réalité des efforts d'ajustement. Au cours de la dernière mandature, le déficit structurel est passé de 3,9 % en 2007 à 4,8 % en 2011 - en dépit des efforts réalisés et en neutralisant les effets de la crise. Preuve que le déficit structurel n'est pas un outil complaisant : il révèle cruellement les actes masqués derrière les mots... L'obligation d'un solde structurel inférieur à 0,5 % du PIB en 2015 n'est pas un objectif médiocre, ni facile à atteindre. Il faut donc que l'objectif nominal de 3 % de déficit soit respecté en 2013.

Reste à s'entendre sur la méthode de calcul, qui doit absolument être harmonisée : la Commission européenne a une méthode, la Cour des comptes en a une autre, la direction générale du Trésor, une troisième... sans parler des autres pays de la zone euro. Il faut s'entendre sur la définition de la croissance potentielle, c'est-à-dire l'écart entre ce qu'un pays pourrait produire et ce qu'il produit effectivement. La méthode de la Commission est simple, trop peut-être : une baisse d'un point de croissance correspondrait mécaniquement à une baisse de 0,3 point de la croissance potentielle. Ce qui ne tient pas compte des mesures d'âge en matière de retraite, par exemple, et est exagérément pro-cyclique - alors que le but, précisément, est de ne pas entacher le solde structurel des effets cycliques. Le texte s'appliquera courant 2013 : il faut donc trouver rapidement une définition commune, qui traduise objectivement les efforts consentis. Ce solde structurel peut déclencher des réactions de nos partenaires ou des marchés, il est un enjeu majeur.

M. Philippe Marini, président. - Accepteriez-vous que les commissions des finances, par la voie de leurs rapporteurs généraux et présidents, soient informées, voire associées à cet exercice de définition ?

M. Jérôme Cahuzac. - Informées, à n'en pas douter. Associées ? Cela dépendra de ce que décident les autres États membres... Veillons au parallélisme.

M. Philippe Marini, président. - Nous nous satisferions d'avoir autant de poids que le Bundestag !

M. Jérôme Cahuzac. - L'autorité du Haut Conseil sera celle qu'il parviendra à conquérir. Jusqu'où ira-t-il pour l'exercer ? « Tout homme va jusqu'au bout de son pouvoir », nous enseigne Thucydide. Je ne doute pas que les membres de ce Haut Conseil en feront autant. Il y aura un équilibre à trouver, mais inutile de fixer des limites : le jeu institutionnel se déploiera. Faisons confiance à ce nouvel organisme pour se saisir de toutes ses prérogatives.

Le principe qui veut que l'on juge les comptes de toutes les administrations publiques n'est pas négociable. Vouloir dispenser telle ou telle de cet exercice serait radicalement adverse au traité, ainsi qu'à l'esprit de la décision du Conseil constitutionnel, qui précise dans son considérant 24 qu'aucune administration publique ne peut être exonérée du jugement d'ensemble. Le Conseil a aussi estimé que cette exigence générale ne violait aucun principe constitutionnel. Je n'ai pas besoin d'y insister, vous voyez bien à quoi je fais allusion.

M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. - Merci de m'avoir convié à vos travaux. Le projet de loi organique est un bon texte, qui donne toutes les garanties d'une application effective du traité, d'une programmation crédible des finances publiques, tout en respectant la souveraineté du Parlement.

La commission des affaires sociales s'est saisie pour avis de ce texte, en raison de l'importance croissante des dépenses publiques et prélèvements obligatoires affectés à la protection sociale. Elle examine le projet de loi organique avec un double prisme : celui du projet de loi de programmation des finances publiques pour 2013-2017 et celui du projet de loi de financement de la sécurité sociale - quel sera l'impact des présentes dispositions sur les conditions d'examen du PLFSS ?

Il est possible à mon sens d'aller plus loin demain dans le contenu des lois de programmation - je m'exprime uniquement sur les finances sociales. On peut tirer parti de la qualité de ces textes, qui proposent une programmation non glissante, pour déterminer un objectif pluriannuel de dépense pour la vieillesse et la famille. Cela permettra aussi aux membres de la commission des affaires sociales de s'intéresser davantage à la loi de programmation et de sortir ainsi de leur ghetto financier...

Il faudrait préciser les annexes relatives aux administrations de la sécurité sociale. L'Unedic ou les régimes complémentaires, en effet, contribuent de manière décisive au solde, mais sont en dehors du champ du PLFSS. Nous manquons d'informations...

Enfin, il faut mieux articuler lois de programmation et PLFSS, comme cela se fait pour le PLF. Osons un saut conceptuel : le PLFSS doit devenir le texte de référence de toutes les administrations de sécurité sociale, et disposer, dans un article liminaire, des prévisions de solde structurel et de solde effectif pour cette catégorie d'administrations publiques.

En matière de prévisions macroéconomiques, le Parlement dispose déjà des hypothèses variées de nombreux instituts économiques. J'ajoute que les magistrats de la Cour des comptes ne sont pas des économistes. Le Haut Conseil des finances publiques ne jouera-t-il pas au fond le même rôle que le Comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie ?

M. Philippe Marini, président. - Vous avez mis l'accent sur des sujets très importants.

M. Jérôme Cahuzac. - Je comprends les interrogations sur un article liminaire qui comprendrait un tableau de bord retraçant le solde de toutes les administrations publiques. Il n'est pas pour autant nécessaire de reproduire ce tableau dans tous les textes financiers. Dans la séquence budgétaire, la loi de finances est votée en dernier. Si ce tableau était voté préalablement dans d'autres textes, il serait susceptible d'être bouleversé par la suite, il en résulterait des difficultés institutionnelles insurmontables. Quel tableau l'emporterait : celui du PLFSS, ou celui du PLF ? Pour des raisons de logique institutionnelle, je plaide pour que ce tableau figure seulement dans la loi de finances initiale, votée après la loi de financement. Je rappelle au passage que ce tableau est purement indicatif, et ne contraint pas le législateur. Le Parlement doit se soumettre aux procédures, mais demeure libre sur le fond. N'y voyez aucune désinvolture à l'égard de la loi de financement ; toutes les explications et les données seront bien entendu fournies aux commissions des affaires sociales et à leurs rapporteurs.

M. Philippe Marini, président. - La vraie solution serait de fusionner les premières parties de la loi de finances et de la loi de financement, comme l'avait proposé la commission Camdessus... mais cette proposition se heurte à certaines difficultés.

M. Roger Karoutchi. - D'abord, je veux manifester un regret éternel : que tout cela n'ait pas pu être constitutionnalisé.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - C'est sûr !

M. Roger Karoutchi. - Une règle constitutionnelle aurait été à la fois plus simple et plus durable.

Le Haut Conseil des finances publiques sera présidé par le Premier Président de la Cour des comptes et composé de dix membres, dont cinq magistrats de la Cour, le directeur de l'Insee et quatre personnalités nommées par le Parlement. Placé auprès de la Cour des comptes, il ne disposera pas d'autres services que ceux de la Cour. Les membres non magistrats de la Cour ne seront pas rémunérés. Bref, n'aurait-il pas été plus simple de confier ces missions à la Cour des comptes, dont personne ne conteste l'indépendance ? Pourquoi créer un organisme supplémentaire ?

Le Président de la République vient de donner une interview au Monde et à d'autres journaux européens. Questionné sur le déficit, il répond que les 3 % demeurent l'objectif pour 2013. Interrogé sur la volonté de certains États de reporter cet objectif d'un an, le Président répond qu'il « y aura une discussion en ce sens début 2013, car la situation des uns et des autres n'est pas identique ». Est-ce à dire que le Président de la République est disposé à reporter d'un an l'objectif de 3 % ?

M. Albéric de Montgolfier. - En matière de prévisions macroéconomiques, le Haut Conseil s'appuiera-t-il sur les services de la Cour des comptes ? Comment faire le consensus avec les prévisions des économistes ? Qu'entend faire l'exécutif de l'avis rendu ? Imaginons un budget fondé sur une prévision de croissance de 0,8 %, quand la croissance réelle est de 0,2 %. Si le Haut Conseil confirme la tendance, le Gouvernement révisera-t-il son projet de loi de finances, ou l'avis n'aura-t-il aucune conséquence ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Ce texte traduit le traité européen dans notre droit et notre procédure parlementaire. Comme M. Karoutchi, je pense que, abandon de souveraineté ou pas, il fallait constitutionnaliser la règle de l'équilibre budgétaire. Aucune majorité, de droite comme de gauche, n'a réussi à voter un budget en équilibre, même en période de croissance, depuis 1973 : preuve que la question n'est pas partisane.

Dans cette perspective, il est fondamental que le Haut Conseil soit indépendant.

Demain, il faudra, avec rigueur et détermination, traduire nos engagements non seulement en droit mais dans notre économie. Or je doute que les choix économiques du Gouvernement aident la France à respecter ses engagements !

Je crains que dans vos rangs on ne veuille discréditer la règle des 3 % et c'est sans doute pour cela que vous n'avez pas voulu la constitutionnaliser.

M. Edmond Hervé. - Vous avez bien fait, M. le ministre, de rappeler les termes de votre décret d'attribution. Nous sommes dans un contexte totalement nouveau et durable. Nous devons aborder la question des dépenses publiques de façon globale, faire de la prospective - et rester unis, car nous sommes tous coresponsables du grand désordre actuel. Si l'État est le premier financeur des collectivités territoriales, pas une politique publique, même régalienne, ne se mène plus sans la participation des collectivités territoriales. Nous sommes à l'ère des partenariats. Rappelons aussi que 30 % des ressources de la sécurité sociale proviennent de l'impôt.

Nous divergeons sur la politique de prélèvements obligatoires. Pour nous, le premier impératif est la justice. Viennent ensuite l'efficacité, la souveraineté, la relance de la croissance et la cohésion de la nation.

Soyons attentifs à bien définir les concepts. En 2003, la majorité sénatoriale s'était mobilisée sur le thème de l'autonomie fiscale. Hélas, au moment de créer l'article 72-2 de la Constitution, nous nous sommes arrêtés à l'autonomie financière. La commission des finances devra veiller au respect de la Constitution mais également écouter les avis, y compris ceux du Haut Conseil.

L'État est le garant du pacte républicain. Mais il doit aussi savoir nouer des partenariats et rétablir la confiance, thèmes largement abordés la semaine dernière lors des états généraux de la démocratie territoriale.

M. Philippe Dallier. - Je ne crois pas que nous soyons formellement obligés de créer une structure telle que le Haut Conseil...

M. Philippe Marini, président. - Si.

M. Philippe Dallier. - ... qui va dessaisir le Parlement de ses prérogatives. Il parlera d'or et nous n'aurons pas d'autre choix que de nous aligner sur ses avis, sauf à jeter le doute sur la sincérité du budget.

De plus, nous passons notre temps à dénoncer les autorités indépendantes et nous en créons une nouvelle. Et cette fois, aucune chance qu'elle tombe peu à peu dans l'oubli, comme tant d'autres, car ses avis seront sous les feux de la rampe...

La Cour des comptes a diverses occasions de donner son avis, elle le fait tous les ans et va jusqu'à formuler des propositions très concrètes : pourquoi créer ce Haut Conseil ? La pensée que chaque année le projet de budget lui sera soumis me chagrine.

M. Jean-Paul Emorine. - Je partage l'analyse de Philippe Dallier. Les experts financiers s'accordent tous pour prédire une croissance zéro, voire négative pour 2013. Or, sans croissance, le pays s'appauvrit.

Le programme de François Hollande comprenait le maintien des effectifs de la fonction publique. Or, la France compte 23 % de fonctionnaires, contre 10 % en Allemagne. Je suis convaincu que nous pouvons moduler le nombre de fonctionnaires, grâce aux nouvelles technologies - voyez ce que fait la Banque de France. Quand nous aurons accompli cet effort, alors nous pourrons songer à créer une nouvelle structure.

Et que dire de la loi de finances qui alourdit les charges des entreprises ! Comment nos entreprises pourront-elles s'adapter pour gagner en compétitivité ? La Cour des comptes porte bien son nom : pourquoi ne pas l'utiliser ?

M. Philippe Marini, président. - Elle n'a pas de compétence en matière macroéconomique.

M. Joël Bourdin. - Nous devrons réaffirmer les prérogatives du Parlement car le Haut Conseil, tel qu'il nous arrive de l'Assemblée nationale, donnera son avis sur la cohérence du projet gouvernemental et piétinera les prérogatives des assemblées. Qu'il soit chargé d'établir les prévisions économiques sur lesquelles reposera le budget de l'année, cela est tout à fait acceptable - c'était la conception initiale qu'en avait le Gouvernement et je l'approuve, car les ministres du budget ont toujours surestimé la croissance à venir.

En revanche, un avis est excessif. D'autres ajouts de l'Assemblée nationale m'étonnent. Comment écrire que lorsque le droit de l'Union européenne exigera des coordinations, des débats pourront être organisés au Parlement ? Celui-ci débat quand il le souhaite et de quoi il souhaite !

M. Philippe Marini, président. - Cette mention semble effectivement superfétatoire. M. le rapporteur général nous dira ce qu'il faut penser des ajouts de l'Assemblée nationale.

M. Francis Delattre. - Ce débat est intéressant mais assez contradictoire. On nous dira : « le consensus est possible, puisqu'il n'y a pas de transferts de souveraineté ». Mais à la souveraineté, je préfère la légitimité. La jeune génération nous donnera-t-elle quitus de notre gestion ? J'en doute. Elle estime que nous la protégeons mal des soubresauts de la mondialisation. Comment proclamer que nous sommes souverains, quand notre endettement atteint des sommets ? Interrogeons-nous, comme le réclame Angela Merkel, sur les futures institutions de l'Europe. L'évoluera passera par la souveraineté partagée.

La création du Haut Conseil vient sanctionner le refus français de doter le Parlement des outils d'expertise nécessaires.

M. Philippe Marini, président. - Nous n'avons jamais voulu nous doter de tels instruments ! Ne cherchons pas la responsabilité ailleurs !

M. Francis Delattre. - Non, M. le président : dans une autre assemblée, j'ai voulu obtenir de tels outils, mais en vain. Pourquoi remettre nos responsabilités à un Haut Conseil qui sera majoritairement constitué de membres issus de la Cour des comptes et des grands corps de l'État ?

Par sa décision, le Conseil constitutionnel a refusé la responsabilité qu'on lui proposait à travers le traité constitutionnel. Pourquoi ? Parce qu'il ne dispose pas non plus des outils d'expertise. Sa compétence est essentiellement juridique. C'est un aveu d'humilité, honorable, mais qui pose un vrai problème. Pourquoi ne pas prévoir un avis officiel de la Cour des comptes sur le projet de loi de finances et doter le Parlement de véritables outils d'expertise, exigence démocratique ? J'ajoute que ce Conseil n'inquiètera pas vraiment Bercy, du fait de l'interpénétration des grands corps dans ce pays.

Vous avez cité Thucydide, M. le ministre. Je vous répondrai Tocqueville. Il rappelle, dans « De la démocratie en Amérique », que le pouvoir est plus souvent exercé par des nommés que par les élus.

M. Philippe Marini, président. - Plus tôt ce matin, on a cité l'exemple d'une forte personnalité non élue exerçant le pouvoir à la Philharmonie de Paris.

M. Jérôme Cahuzac. - Mais si les cordes sont bien accordées...

M. Vincent Delahaye. - Je voterai ce projet de loi organique, mais en regrettant que l'on parle de croissance potentielle et de solde structurel, notions qui vont compliquer le débat budgétaire et la compréhension des finances publiques par nos concitoyens.

La réponse du ministre sur le solde structurel ne me convient pas vraiment. L'information des membres des commissions des finances est de droit. Quant à les associer à la négociation méthodologique, il semble réticent. Pour moi, je juge nécessaire de renforcer le contrôle du Parlement sur l'action du Gouvernement. Amendons le texte issu de l'Assemblée nationale pour prévoir, à l'article 1er, que les commissions des finances des deux assemblées valident les modalités de calcul du solde structurel.

Je suis plutôt favorable à la création du Haut Conseil et je suis d'accord avec les députés pour interdire toute rémunération de ses membres. Les nominations du directeur général de l'INSEE et d'un des membres par le Conseil économique, social et environnemental ne me semblent pas utiles. Il est en revanche important que des personnes extérieures donnent leur avis sur les prévisions de croissance. Comme le disait Pierre Dac, « les prévisions sont difficiles, surtout quand elles concernent l'avenir ». L'année dernière, j'avais proposé au Gouvernement de fonder le projet de budget sur la moyenne des prévisions des économistes, minorée de 0,5 %. En 2012, si l'on m'avait suivi, la réalisation n'aurait pas été très éloignée de la prévision. L'avis, qui ne liera nullement le Gouvernement, modèrera son optimisme naturel.

M. Philippe Marini, président. - Chaque pays de la zone euro aura son Haut Conseil, quel qu'en soit le nom.

M. Jean Germain. - En obtenant de lever l'impôt, le Parlement a conquis son pouvoir sur la monarchie absolue. Progressivement, le modèle démocratique s'est imposé. En 1958 et 1959, diverses ordonnances ont limité le pouvoir des assemblées en matière de finances publiques et limité son contrôle sur l'exécution budgétaire, grâce notamment aux annulations de crédits.

Aujourd'hui, nous ne pouvons demeurer isolés. Nous nous refusons à accepter les diktats de l'Allemagne. Hier, d'autres États membres renâclaient devant ce qu'ils appelaient eux aussi des diktats, en l'occurrence des propositions conjointes de la France et de l'Allemagne.

Depuis vingt ans, les déficits ont été creusés par les gouvernements de gauche et de droite, au nom de certaines conceptions. Aujourd'hui, nous avons abandonné notre monnaie nationale pour entrer dans la zone euro. Celle-ci regroupe des pays qui ont des législations sociales diverses, des problèmes de financement différents. Quant à la BCE, elle n'accepte que progressivement de racheter de la dette. Il nous reste donc à construire une autre Union européenne, avec une véritable monnaie unique, et à rassurer les marchés.

Je suis favorable à ce Haut Conseil, mais la formulation de l'avis pose problème. La Cour des comptes est trop présente. Je l'estime beaucoup, mais respectons la séparation des pouvoirs ! La Cour est le juge de l'équilibre des finances publiques, mais la politique budgétaire vise également des objectifs de croissance et d'emploi, sujets dont les magistrats ne s'occupent pas. La composition du conseil devra faire de la place à des économistes et pas seulement à des experts de l'équilibre des finances, car une autre vision de l'économie est nécessaire.

Revenons à Thucydide : « Un homme qui ne se mêle pas de politique mérite de passer non pas pour un citoyen paisible mais pour un citoyen inutile ». C'est au moins un réconfort pour nous.

M. Philippe Marini, président. - Cela figurera au procès verbal !

M. François Fortassin. - Je ne sais si Thucydide en a parlé, mais je vous prédis que si nous ne respectons pas le seuil des 3 % comme prévu, notre souveraineté deviendra très encadrée, car il nous faudra rendre des comptes. Je suis favorable au Haut Conseil sous la condition qu'il se borne à émettre ses avis, sans endosser le rôle du censeur sous l'effet de la pression médiatique. Enfin, il faudrait que les membres soient nommés pour une période brève, plus courte que celle prévue par le projet de loi.

M. Philippe Marini, président. - Leur mandat sera de cinq ans, non renouvelables s'agissant des membres n'appartenant pas à la Cour des comptes.

M. Jérôme Cahuzac. - Les critiques de M. Emorine concernent la loi de finances pour 2013, non le projet de loi organique. La moyenne des prévisions de croissance des économistes pour 2013 est de 0,3 %, certains envisagent un recul de 0,7 % tandis que d'autres prévoient une croissance de 1,3 %. Je m'étonne toujours que l'on pare de toutes les vertus du consensus ce qui n'est qu'une moyenne entre des prévisions divergentes. Accordons de la valeur à ce chiffre, mais pas au-delà de ce qu'il mérite.

A défaut de nouvelles citations d'auteurs antiques, je me réfèrerai aux propos de Mathilde Lemoine, chef économiste à la banque HSBC, qui a aussi exercé des responsabilités à Matignon lorsque M. de Villepin était Premier ministre. Ces dernières années, elle s'est rarement trompée dans ses prévisions. Or elle annonce 0,9 % pour 2013. Vous rétorquerez que cela m'arrange. Certes. Mais accordons une valeur relative au « consensus des économistes ».

La loi de finances pour 2013 prévoit la suppression de 2 317 postes dans la fonction publique d'État. En outre, la masse salariale augmentera de 0,2 %, contre 1,2 % en 2007, 0,7 % en 2008, 1 % en 2009, 0,7 % en 2010, 0,5 % en 2011. Nous ferons mieux l'an prochain que durant les cinq années de la précédente législature. Certaines critiques méritent donc d'être nuancées. Si nous sommes laxistes avec 0,2 %, comment qualifier nos prédécesseurs ?

Ne méconnaissez pas l'article 34 de la Constitution, Mme Des Esgaulx : l'objectif d'équilibre des comptes y figure déjà, du fait d'une révision que vous avez votée. Faut-il faire du Conseil constitutionnel le censeur ex post de la loi de finances ? Je n'ai pas eu l'impression que le juge constitutionnel réclamait cette prérogative, non pas parce qu'il ne disposerait pas de moyens d'expertise suffisants, mais parce qu'il estime, n'ayant pas la légitimité du suffrage populaire, qu'il n'est pas dans son rôle de censurer une politique économique.

Faut-il créer un Conseil indépendant ? Oui, l'article 3 du traité est explicite, M. Dallier : il n'y a pas de marge de manoeuvre. Dès lors qu'il n'y a pas de jugement ex post, il faut bien une structure qui dise ex ante si la politique budgétaire et financière proposée par le Gouvernement est en adéquation avec la trajectoire de retour à l'équilibre telle qu'adoptée par le Parlement. Le Haut Conseil ne prescrira pas de recettes économiques mais se prononcera sur la cohérence entre les textes. Il aura à sa disposition les administrations d'État, comme les services de la Cour des comptes dans leurs travaux d'audit.

Fallait-il retenir la Cour des comptes comme l'organisme indépendant mentionné à l'article 8 ? Je ne le crois pas : son rôle est défini par la Constitution. Elle est une juridiction. Ses méthodes de travail impliquent le contradictoire et le délibéré. Comment pourrait-elle se prononcer en deux ou trois semaines avec des procédures si lourdes ? En outre, il y aurait conflit d'intérêt puisqu'elle se prononcerait avant et après le projet de loi de finances : autant mettre tout de suite le Gouvernement et le Parlement en congé pour la laisser régner seule ! Enfin, je comprends assez mal la position de M. Karoutchi : la Cour des comptes ne réclamait pas ce rôle.

Nous ne nous laissons pas aller à la facilité. Le solde structurel, certes, n'est pas d'une vérité mathématique absolue, mais le solde nominal non plus, qui dépend des règles de la comptabilité nationale et des décisions d'Eurostat. Il y a, dans l'un et l'autre cas, une part de convention.

Merci à M. Hervé pour ses appréciations. Le fait de regrouper sous une même responsabilité gouvernementale les comptes de l'État et ceux de la sécurité sociale date de 2007 : il s'agit d'une initiative heureuse et cet usage va sans doute se pérenniser.

M. Philippe Marini, président. - Merci de l'avoir rappelé !

M. Jérôme Cahuzac. - L'avis du Haut Conseil ne s'imposera pas, M. de Montgolfier. Nous avons récusé toute injonction au Gouvernement et au Parlement. Mais il sera très délicat pour un gouvernement de s'affranchir de cet avis. Si la politique menée s'écartait de la trajectoire de retour à l'équilibre, la sanction des marchés serait immédiate, sans parler de la sanction politique, qui interviendrait plus tard. Un point de taux d'intérêt en plus équivaut à des milliards supplémentaires pour rembourser la dette.

M. Philippe Marini, président. - De plus, dans le cadre du semestre européen, la Commission européenne peut demander à un pays de redresser sa prévision budgétaire, en s'appuyant sur les prévisions d'un organisme indépendant prévu par le traité.

M. Francis Delattre. - Et voilà ! Transfert de souveraineté !

M. Philippe Marini, président. - Pas transfert, mais partage.

M. Jérôme Cahuzac. - Le Conseil constitutionnel a conclu à l'absence de transfert de souveraineté.

Je veux rassurer M. Bourdin : le Haut Conseil ne se prononcera pas sur les mesures budgétaires elles-mêmes. Il n'appréciera pas les politiques menées. Il fera masse de l'ensemble pour se prononcer sur la cohérence avec la trajectoire financière.

Le Haut Conseil ne sera pas composé exclusivement de membres issus des grands corps de l'État : certes, il y aura des magistrats de la Cour des comptes - devenus, après le vote à l'Assemblée nationale, minoritaires. Le Sénat appréciera mais le Gouvernement a estimé que rajouter le Directeur général de l'Insee et une personnalité désignée par le Conseil économique, social et environnemental était une bonne idée. Le texte de l'Assemblée nationale exclut la possibilité de désigner des élus. Je suis certain que les présidents des assemblées et les présidents des commissions des finances seront particulièrement attentifs aux nominations qu'ils feront, car leur propre crédibilité sera en jeu. Chacun prendra ses responsabilités.

Le Parlement conservera toutes ses prérogatives et sa liberté de débat. Si le Conseil constitutionnel avait été le juge ultime du respect du retour à l'équilibre de nos finances publiques, son appréciation définitive, sans appel, aurait déresponsabilisé le Parlement. Celui-ci aura la responsabilité de voter des lois de finances qui ne soient pas contraires à l'intérêt général, c'est-à-dire au respect des engagements de notre pays.

M. Philippe Marini, président. - Merci pour votre disponibilité, M. le ministre. Vous nous avez mentionné la prévision de Mathilde Lemoine, je prolonge la citation : car elle prévoit 0,9 % de croissance, mais avec un déficit à 3,5 % du PIB. Le ministre a retenu ce qui l'arrange, cela est bien normal, j'ajoute ce qui m'arrange, c'est bien naturel.

M. Jérôme Cahuzac. - Un déficit à 3,5 % n'arrange personne.

M. Philippe Marini, président. - J'en conviens. Ceci prouve au moins que nous avons bien besoin d'un conseil indépendant.