Mardi 6 novembre 2012

- Présidence de M. Daniel Raoul, président -

Loi de finances pour 2013 - Mission « Économie » - Audition de Mme Sylvia Pinel, ministre de l'artisanat, du commerce et du tourisme

La commission auditionne Mme Sylvia Pinel, ministre de l'artisanat, du commerce et du tourisme sur la mission « Économie » du projet de loi de finances pour 2013.

Mme Sylvia Pinel, ministre de l'artisanat, du commerce et du tourisme. - L'artisanat, le commerce et le tourisme sont des leviers majeurs du développement économique français. Ils symbolisent la liberté d'entreprendre, l'esprit d'entreprise et l'innovation. Fortement créateurs d'emplois et peinant même à pourvoir tous les emplois proposés, ils représentent près de 28 % du PIB et plus de 9 millions d'emplois directs et indirects. Présents dans les territoires, les centres-villes, les zones rurales, mais aussi dans les quartiers sensibles, ces secteurs créateurs de lien social sont au coeur du pacte Républicain. Enfin, n'oublions pas que le  tourisme contribue positivement à hauteur de 7.5 milliards d'euros à notre balance des paiements, tandis que le commerce et l'artisanat apportent plus de 4 milliards d'euros à notre balance commerciale. C'est toute notre économie et toute notre societé qui dépendent de l'activité et de la bonne santé des PME et des TPE de ces trois secteurs-clé. Alors ne parlons pas seulement des grands groupes, des PME innovantes, des nouvelles technologies, comme si notre tissu economique et industriel n'était fait que de cela !

D'autant que ces secteurs ne sont pas protegés. Ce sont des secteurs en mutation, qui doivent s'adapter à l'évolution des modes de consommation, au développement d'internet, à la concurrence accrue qu'il entraine. Ils doivent se moderniser et se transformer pour adapter le travail quotidien, les horaires et les produits vendus aux demandes des clients, dans un contexte de pouvoir d'achat en difficulté.

L'objectif de mon action au sein de ce ministère est donc de permettre le développement de ces secteurs, essentiels à tous les territoires et en particulier les plus fragiles. Ils font d'ailleurs pleinement partie du pacte de compétitivité annoncé ce matin par le Premier ministre. En même temps cependant mon ministère participe aussi aux efforts nécessaires au redressement de nos finances., ce qui impose de mieux utiliser nos budgets, de mieux faire travailler ensemble l'État, les collectivités, les opérateurs publics et de mieux organiser les filières.

Ainsi, les crédits relatifs au tourisme passent de 43,5 millions d'euros en 2012 à 38,7 millions d'euros en 2013, soit une baisse de 11 %. La ligne principale correspond au budget de l'opérateur Atout France, qui passe de 33,3 millions d'euros à 31,8 millions d'euros, soit une baisse de 4,5 %. C'est une des baisses les plus modérées de ce budget. Je voulais préserver le budget de cet opérateur, qui est le bras armé de l'État dans la politique de promotion et d'ingénierie touristique et qui a un bilan remarquable.

En termes de promotion touristique, je souhaite donner la priorité à trois actions :

- la poursuite et le développement du partenariat d'Atout France avec des acteurs publics ou privés. Lorsqu'Atout France met un euro dans une action, le partenaire en met en moyenne 5. Cet effet de levier est vertueux pour les finances publiques constitue une garantie que le projet est utile aux partenaires ;

- une meilleure coordination entre les actions de promotion d'Atout France, des comités régionaux du tourisme, et des comités départementaux du tourisme. En coordonnant les actions de ces différents partenaires, par exemple par une bannière France unique dont ces acteurs se réclameraient, on peut mettre en place une force de frappe beaucoup plus importante qu'aujourd'hui ;

- la mise en place d'une meilleure adéquation entre la mission prioritaire d'Atout France et son organisation, en regardant les synergies qui pourraient être degagées entre les bureaux d'Atout France, ceux d'Ubifrance, de l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII) et les ambassades.

Atout France doit être l'outil de la réorganisation de la filière touristique, qui pese 7 %, du PIB et qui représente 2 millions d'emplois, mais qui est atomisée et peu visible. Je souhaite privilégier la généralisation des contrats de destination pour fédérer ces différents acteurs sur la base d'une destination touristique clairement identifiée et cohérente qui peut transcender les découpages administratifs.

Dans le domaine du tourisme, j'ai également à coeur de permettre à chaque Francais de partir en vacances. C'est une question complexe qui nécessite de dresser un véritable état des lieux des dispositifs existants, ce qui n'a jamais été encore fait. C'est pour cela que j'ai nommé une personnalité qualifiée chargée de faire d'ici le début de l'année prochaine des propositions ambitieuses pour résorber cette inégalité inacceptable.

Je veux aussi évoquer devant vous la question du financement de la rénovation des structures de tourisme. La loi du 11 février 2005 pour « l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » a des conséquences économiques sur les établissements : retour sur investissement très faible, risques sur l'équilibre économique, menaces de fermetures d'établissements et de pertes d'emplois en raison de l'incapacité à réaliser ces mises aux normes. Le 12 septembre dernier Mme Marie-ArletteCarlotti a publié un rapport, remis fin 2011 au précédent Gouvernement, qui évoque explicitement les difficultés du secteur du tourisme et préconise certaines pistes d'évolutions. Le Premier ministre a confié une mission à la sénatrice Claire-Lise Campion, afin que les évolutions proposées soient expertisées. Je lui demanderai que les conséquences sur les professionnels du tourisme, mais également dans les commerces, soient prises en compte. Il existe une réelle urgence désormais à proposer des solutions concrètes à ces professionnels dont de nombreux projets d'investissements sont bloqués, voire dont la continuité de l'exploitation est en jeu.

J'en arrive à la question de la TVA dans la restauration. Vous avez tous entendu les annonces de ce matin sur la TVA. Celles-ci n'impactent en rien le bilan que je mène avec les restaurateurs. En effet, la question que nous nous posons est : faut-il maintenir ou non un taux réduit de TVA pour la restauration, au regard des engagements pris dans le contrat d'avenir ? C'est un sujet important et complexe compte tenu du nombre d'entreprises concernées, de leurs tailles diverses, du nombre de salariés et du CA dégagé. C'est un sujet important également au regard de l'avantage fiscal concédé aux restaurateurs : 3 milliards d'euros par an. Le bilan doit donc être réalisé dans la sérénité, avec précision et exhaustivité, avec les professionnels. Je ne souhaite pas agir dans la polémique et dans les batailles de chiffres. C'est pour cela que j'ai réuni des groupes de travail sur les quatre volets du contrat d'avenir (emplois, prix, investissements, conditions de travail) depuis le 24 septembre. Nous avons pris le temps de réunir plusieurs fois certains groupes afin de réaliser un bilan qui soit également qualitatif et qui prenne en compte les différences de taille des entreprises concernées et de types de restauration. Sur certains sujets, des divergences sont apparues. A l'issue du bilan contradictoire, à la mi-novembre, nous prendrons la décision de maintenir ou non la restauration dans un taux intermediaire de TVA.

Sachez que je mesure pleinement l'importance de la question de l'emploi. Les professionnels du tourisme évoquent le chiffre de 50 000 emplois non-pourvus. Nous ne pouvons pas nous résoudre à ce constat de carence alors que tant de nos jeunes sont au chômage, tant de seniors également. Pour préparer l'avenir, nous devons favoriser l'accès à l'apprentissage, et à l'enseignement professionnel. C'est pourquoi, en lien avec les réseaux consulaires et les ministres concernés, je travaille à mener un travail exhaustif d'évaluation réelle des besoins et à mettre en place des développeurs de l'apprentissage, qui auront pour mission d'aller chercher des emplois en apprentissage dans toutes les entreprises pour les mettre à disposition des jeunes qui en cherchent. Je souhaite également que l'apprentissage des langues étrangères soit renforcé dans les centres de formation. Tout cela est totalement cohérent avec l'engagement signé entre l'État et les régions, nos partenaires, le 12 septembre, pour diviser par deux en cinq ans le nombre de jeunes sortant sans formation du système scolaire et pour parvenir à pourvoir ces emplois.

En ce qui concerne les crédits relatifs à l'artisanat et au commerce, ils sont pour 2013 en forte baisse, puisqu'ils passent de 87,5 millions d'euros à 66,8 millions d'euros, soit une baisse de 24 %. La majorité des outils dont je dispose pour accompagner les entreprises de ces secteurs ont cependant été maintenus, avec une baisse des crédits que l'on peut qualifier de « raisonnable ». Je pense en particulier à l'aide au départ, au comité professionnel des distributeurs de carburants, à I'Epareca. C'est le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (FISAC) qui subit la plus lourde contribution, avec une baisse de 10 millions d'euros. Ses crédits atteignent un niveau critique au regard des dossiers en cours : 700 dossiers instruits pour environ 35 millions d'euros mi-octobre, 1 600 dossiers en cours d'instruction ou non encore instruits et 80 dossiers nouveaux tous les mois, soit environ 120 millions d'euros pour solder le passif de trois ans successifs de report.

Comment en est-on arrivé là ? Le précédent Gouvernement a réduit de manière drastique les crédits alloués au FISAC, tout en étendant ses missions suite à l'adoption de la loi de modernisation de l'économie en 2008. Cette contradiction a conduit mon prédécesseur a redéfinir, dans l'urgence et sans concertation, le cadre d'intervention du FISAC par l'intermediaire d'une simple circulaire. Certains dossiers, qui étaient éligibles au début de leur instruction, ne le sont plus au moment de la décision d'octroi de la subvention. De ce fait, de nombreux commerçants et artisans se trouvent aujourd'hui dans une situation extrêmement difficile. Il convient donc de remettre à plat ce dispositif. J'ai demandé au contrôle général économique et financier d'évaluer la situation et de me faire des propositions pour le mois de novembre. Je souhaite privilégier un dispositif plus sélectif, sur les zones les plus fragiles, et visant les opérations les plus efficaces, sur la base d'appels à projets. Nous ne pouvons plus garder la logique de guichet qui était celle du FISAC jusqu'à présent.

Je suis aussi favorable à une meilleure association des régions aux actions des chambres consulaires, chambres de commerce et d'industrie et chambres des métiers et de l'artisanat. Ces chambres arrivent au bout d'une réforme de grande ampleur. Je souhaite désormais qu'elles puissent se concentrer sur leur coeur de métier, l'accompagnement des entreprises, et sur leur rôle dans le domaine de la formation, notamment par l'apprentissage. La méthode que je souhaite utiliser est celle de la contractualisation. Les régions doivent être associées à l'élaboration d'un volet de ces contrats de performance, pour que les objectifs des chambres consulaires s'inscrivent dans les orientations des territoires dans lesquels elles sont implantées. En ce qui concerne le PLF, un plafonnement des taxes pour frais de chambre interviendra des 2013 pour les chambres de commerce et d'industrie (CCI) et pour les chambres des métiers et de l'artisanat (CMA). Il correspond à la juste contribution de ces acteurs au redressement des comptes publics. Avec l'amendement adopté lors de la première partie du PLF, le plafond sera de 1,368 milliard d'euros pour les CCI (819 millions d'euros pour la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) + 549 millions d'euros pour la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de 280 millions d'euros pour les CMA.

Voici mesdames et messieurs, comment mon ministère contribue aux 10 milliards d'euros d'économies annoncées par le président de Ia République.

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis. - Nous devons sortir de notre pays de l'endettement massif que vous avez trouvé en arrivant au pouvoir mais en veillant à préserver les leviers de croissance. Le cas du FISAC doit être traité en tenant compte de ce double objectif. Le FISAC n'est pas qu'un guichet qui distribue des subventions ! En tant que maire, j'ai mis en place des opérations dans le cadre du FISAC et j'ai pu mesurer l'intérêt d'une approche qui croise développement du commerce et urbanisme. On ne peut pas réussir une opération de revitalisation commerciale sans requalification urbanistique. Or, les crédits du FISAC s'effondrent. Ils sont passés de 64 millions d'euros il y a deux ans, à 41 millions l'année dernière et le projet de budget prévoit de les réduire à 32 l'an prochain. Si le Sénat est aussi attaché à la préservation du FISAC, c'est parce que c'est un levier de croissance remarquable : un euro obtenu du FISAC permet de lever cinq à six euros ensuite auprès d'autres financeurs. Nous devons donc lui conserver un volume de crédits satisfaisant. Pourquoi ne pas imaginer un autre mode de financement ? Ne pourrait-on pas augmenter le taux de la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) et affecter au FISAC ce supplément de recettes ? Le secteur de la grande distribution, qui n'est pas autant touché par la crise que d'autres domaines d'activité, pourrait participer à cet effort. Nous devrons avoir un débat sur ces questions pendant l'examen du projet de loi de finances initiale et, je l'espère, aboutir à un amendement.

Ma deuxième question porte sur l'accompagnement des créateurs d'entreprise. Moins d'un sur cinq est accompagné. C'est insuffisant. Il faut relever ce taux.

Mon troisième point concerne les relations inter entreprises et la sous-traitance. De nombreuses PME m'ont fait part des difficultés considérables auxquelles elles font face dans leurs relations avec la grande distribution ou avec leurs donneurs d'ordre. On est à la limite de la spoliation de la part de certains groupements d'achat et ces pratiques d'exploitation en viennent jusqu'à menacer la pérennité même des fournisseurs. C'est le cas notamment quand les contrats de fourniture ou de sous-traitance ne permettent pas de répercuter les hausses de prix des matières premières. C'est le cas aussi quand les donneurs d'ordre ou les grands acheteurs utilisent le crédit inter entreprise pour se financer à bon compte en reportant les charges de trésorerie sur leurs sous-traitants ou leurs fournisseurs. Il y a, sur toutes ces questions, un travail à mener pour faire en sorte que la coopération supplante la domination et la prédation au sein des filières. Il me semble que le Sénat doit se saisir de cette problématique et réaliser, en coopération avec les services du Gouvernement, un travail d'évaluation et de proposition.

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur pour avis. - Je voudrais vous interroger sur la question de la croissance de nos PME. La France est une terre d'émergence de PME innovantes, mais nos entreprises ne parviennent pas ensuite à atteindre une taille suffisante. De nombreux rapports, notamment le rapport Attali, ont mis en cause, à cet égard, l'impact des seuils relatifs au nombre de salariés. 10, 20, 50 salariés : le franchissement de chacun de ces seuils entraîne des surcoûts importants pour une entreprise. Avez-vous des propositions à faire dans ce domaine ?

Ma deuxième question concerne le tourisme. La loi a prévu la révision du classement hôtelier pour cette année. Pouvez-vous nous préciser dans quelles conditions cette révision a eu lieu et nous en dresser un premier bilan.

M. Pierre Hérisson. - En ce qui concerne le calendrier scolaire, dont l'activité des professions du tourisme dépend très largement, je fais observer que, dans le passé, un compromis a quasiment toujours pu être trouvé car les ministres successifs en charge du tourisme sont presque toujours parvenus à influencer la décision du ministre de l'Éducation nationale sur ce sujet. Plus encore que la plupart des acteurs de l'économie, les professions du tourisme, ont avant tout besoin de stabilité car elles travaillent avec des « tours opérateurs » ou des organismes de pré-réservation dans un cadre contractuel qui s'accommode mal de bouleversements de calendriers.

En second lieu, on entend souvent dire que l'abaissement du taux de TVA sur la restauration a été une erreur. On oublie cependant de rappeler que la restauration est très largement liée à l'hôtellerie et qu'aujourd'hui ces deux secteurs sont soumis au même taux. Si un changement devait intervenir il serait hautement préférable qu'il ne porte que sur l'année 2014 parce que les propositions tarifaires de l'année 2013 figurant dans les catalogues de l'hôtellerie et de la restauration sont d'ores et déjà établies.

Je plaide également pour plus de discernement dans l'application des règles relatives à l'accessibilité et à la sécurité incendie des locaux de ce secteur: j'observe sur le terrain de très grandes inégalités territoriales dans l'application des normes. Il est souhaitable d'harmoniser les critères d'appréciation pour contrecarrer le risque de fermetures pouvant apparaitre comme arbitraires.

S'agissant du FISAC, l'analyse que vous nous avez présentée mérite, à mon sens, un complément d'enquête, si vous me permettez cette expression. Je rappelle que, dans le passé, il semble bien que certaines collectivités territoriales aient pu opérer des prélèvements sur le FISAC pour réaliser des aménagements comme les zones piétonnes, c'est-à-dire pour financer des actions qui ne soutiennent pas directement l'activité commerciale ou artisanales. Dans l'hypothèse d'une réduction des crédits du FISAC, il me parait nécessaire d'apporter un soutien prioritaire aux artisans et commerçants situés en zone rurale

Mme Sylvia Pinel, ministre. - Tout d'abord, en réponse à MM. Martial Bourquin et Pierre Hérisson, je souligne que l'effet de levier des crédits alloués par FISAC est avéré. Dès ma prise de fonctions, j'ai constaté qu'une proportion importante de dossiers qui sont présentés pour bénéficier de ce dispositif correspond à des projets ayant une efficacité incontestable pour le soutien du commerce et de l'artisanat. Toutefois, la situation budgétaire difficile que nous connaissons nous oblige à faire des choix. Nous devons tout d'abord gérer le stock de dossiers existant qui incorpore le financement de projets particulièrement attendus par les professionnels et les collectivités territoriales et je comprends leurs préoccupations.

C'est pourquoi, au vu du rapport d'évaluation du FISAC qui me sera remis en novembre, mon ministère s'efforcera de trouver les solutions les plus opportunes, en privilégiant vraisemblablement non seulement les zones rurales mais aussi les quartiers des territoires ruraux ou le commerce joue un rôle essentiel de lien social. Nous connaissons également tous, dans nos départements, des projets qui peuvent utilement aider les commerçants et les artisans à se structurer. En tout état de cause, le volume budgétaire du FISAC ne permet plus d'améliorer l'aménagement commercial urbain. Nous sommes aujourd'hui contraints de mieux cibler le dispositif et de le rendre plus efficace.

A priori séduisantes, vos propositions de financement alternatif semblent toutefois difficiles à mettre en oeuvre. Le Gouvernement a constaté que d'ores et déjà de nombreuses taxes pèsent sur le commerce et décidé que l'éventuelle création de nouveaux prélèvements devra être précédée d'une très sérieuse évaluation.

Par ailleurs, la création et l'accompagnement des jeunes entreprises sont une de nos priorités majeures et le réseau consulaire a un rôle essentiel à jouer dans ce domaine. Le plan artisanat que je divulguerai avant la fin de l'année s'attachera également à améliorer l'accompagnement dans ce secteur. Simultanément, le pacte pour la croissance et la compétitivité qui a été présenté ce matin par le Gouvernement, met au premier plan des priorités le thème de la simplification et de la lisibilité pour les entreprises qui ont parfois du mal à identifier le bon interlocuteur ainsi que la formation.

Les relations inter entreprises et la sous-traitance ont été très largement évoquées, au sein du Gouvernement, dans le cadre du « mieux produire ensemble » et de la politique des filières : nous souhaitons que les grandes entreprises prêtent une attention beaucoup plus grande à leurs sous-traitants. Ces derniers feront l'objet de mesures de soutien, notamment financier avec la mise en place de la Banque publique d'Investissement (BPI).

En ce qui concerne les relations entre les fournisseurs et la grande distribution, je rappelle tout d'abord qu'en tant qu'élue de terrain, j'ai bien conscience des difficultés qui subsistent, en particulier entre les agriculteurs et les distributeurs. Nous souhaitons encourager, à la fois pour l'agriculture et pour l'industrie, la grande distribution à s'approvisionner davantage en produits « made in France ». De nombreux producteurs locaux souhaitent ardemment s'associer à une telle démarche : nous réfléchissons à des mesures incitatives.

A Mme Elisabeth Lamure, qui a soulevé la question des seuils pour les PME, j'indique - au-delà des diverses mesures relatives à la sous-traitance et au « mieux produire ensemble » que je viens d'évoquer - que le Gouvernement a présenté ce matin des dispositifs de nature à faciliter la coopération et la structuration des PME, ce qui leur permettra de franchir plus aisément les étapes de leur croissance. Par ailleurs, pour atteindre ce dernier objectif prioritaire, nous allons mettre en place une démarche durable de simplification : c'est une préoccupation commune à plusieurs ministères

S'agissant de la modification du classement hôtelier qui résulte de la loi du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques, je précise d'abord que la difficulté majeure, pour l'hôtellerie de plein air, réside dans le fait que la date d'entrée en vigueur de la loi était fixée au 23 juillet 2012 : à cette date beaucoup de campings n'avaient pas pu finaliser leur démarche de classement, ce qui aurait pu entrainer l'application d'un taux de TVA plus élevé. Pour ne pas pénaliser les vacanciers, j'ai du, en urgence, dès ma prise de fonctions, trouver une solution qui a consisté à différer l'application du taux de TVA grâce à un rescrit fiscal valable jusqu'à la fin de l'année 2012. Nous avons constaté, depuis, une forte augmentation des demandes de classement et j'invite les parlementaires à encourager les professionnels à accomplir ces démarches. Pour les hôtels, la situation est différente parce qu'il n'y a pas d'enjeu fiscal similaire : nous en sommes aujourd'hui à un taux de 80 % de classement. Il y a donc encore une marge de progression et nous devons être incitatifs parce qu'il y va de la qualité et de l'attractivité de l'offre touristique.

A M. Pierre Hérisson, qui a évoqué la problématique des normes d'accessibilité et de sécurité, je fais observer que sur le terrain, j'ai constaté que ce n'est pas tant la démarche de classement qui soulève des difficultés pour les hôteliers que l'avalanche de règles qui ont un coût non négligeable, surtout pour l'hôtellerie indépendante ou familiale qui s'interroge parfois sur sa viabilité économique. C'est pourquoi nous travaillons sur le sujet de l'accessibilité en lien étroit avec ma collègue Marie-Arlette Carlotti. Il ne s'agit pas de remettre en cause les prescriptions de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, mais nous nous attachons à les rendre compatibles avec la réalité économique vécue par nos entreprises du secteur hôtelier.

A propos de la fixation des rythmes scolaires, je rappelle que nous avons été associés à leur élaboration dans le cadre des travaux relatifs à la refondation de l'école. Nous avons décidé, avec le ministre en charge de l'Éducation nationale, de recevoir conjointement les organisations professionnelles du secteur du tourisme pour entendre et relayer leurs préoccupations. Les revendications tendant à définir un calendrier scolaire pluriannuel ont été entendues et prises en compte mais la démarche de fixation des rythmes scolaires constitue une étape préalable.

Vous avez également souligné l'inquiétude des professionnels au sujet des modalités d'application d'une éventuelle modification du taux de TVA applicable à la restauration. Je vous rassure : le changement de taux n'interviendrait qu'au 1er janvier 2014 assurant ainsi une visibilité satisfaisante aux professionnels

Mme Renée Nicoux. - Je suis inquiète de la baisse des fonds du FISAC, après une réduction considérable l'année passée. D'autant que vous m'avez indiqué, Madame la ministre, dans un courrier concernant le territoire de la Creuse, l'existence d'un retard de plus d'une année dans les dossiers à traiter ; avec des crédits en diminution de 10 millions d'euros, comment comptez-vous le résorber ?

Ce dispositif est pourtant d'un grand intérêt, qu'il soit de droit commun ou inscrit dans les conventions territorialisées, au niveau des pays, où l'État a contractualisé avec la région et le département. Faisant l'objet d'études particulièrement fines, elles ne sont pas utilisées par les municipalités pour réaliser de grands travaux, mais directement affectées à l'artisanat et au commerce, qui ne bénéficient pas d'autres soutiens ; elles ont donc un impact essentiel sur la dynamique de nos territoires. Je constate par ailleurs que la taxe sur les grandes surfaces destinée à alimenter le FISAC a été dévoyée.

M. Yannick Vaugrenard. - Les délais de paiement des entreprises donneuses d'ordre aux PME sous-traitantes sont souvent excessivement longs. Il n'y a pas de système de contractualisation entre les deux, alors que ce serait dans leur intérêt mutuel.

Madame la ministre, comptez-vous soutenir le tourisme social, qui constitue un enjeu important en période de crise, mais également le tourisme industriel, dont les vertus sont tout aussi nombreuses ?

La faiblesse des relations entre l'ensemble des acteurs du tourisme au niveau local - comités départementaux et régionaux, offices de tourisme... - est regrettable ; peut-être les représentants de l'État auraient-ils un rôle à jouer pour les fédérer ?

M. Robert Tropeano. - Vous avez déclaré à raison, Madame la ministre, que le régime de l'auto-entrepreneur créait une concurrence déloyale avec les artisans. Des agents territoriaux à temps partiel s'installent en effet, ce qui met en péril l'activité de petites et moyennes entreprises, et ne donne pas lieu à des créations d'emplois. Le président de la République a d'ailleurs lui-même pointé ces dérives : près de 40 % des personnes se lançant dans l'auto-entreprise ne créent pas d'activité effective, les professionnels sont soumis à des règles sociales et fiscales différentes des auto-entrepreneurs... Quelles mesures entendez-vous prendre à cet égard, Madame la ministre ?

M. Michel Bécot. - Votre ministère, Madame la ministre, est sans doute l'un des plus beaux. Je plaide d'ailleurs pour un ministre du tourisme de plein exercice. C'est un secteur stratégique pour le développement de notre pays ; l'argent que l'on utilise en ce domaine doit être appréhendé comme un investissement, et non comme une dépense, tant nos équipements touristiques doivent être réhabilités pour accueillir au mieux les visiteurs étrangers.

Nous avons imposé de telles normes en matière d'adaptation des résidences, pour l'accueil des handicapés par exemple, que les contraintes engendrées sont parfois manifestement excessives et coûteuses.

Il nous faut absolument mutualiser l'ensemble des moyens institutionnels que nous possédons en matière touristique, afin de réaliser des économies.

Atout France va perdre 4,5 % de crédits ; or, nous devons promouvoir nos produits à l'étranger ; je vous soutiendrai pour conserver le maximum de moyens.

L'oenotourisme attire cinq millions de touristes en France, dont la moitié d'étrangers. Il présente un rôle économique, social, environnemental et territorial considérable. Or, personne n'en parle. J'ai cru comprendre que vous alliez le prendre en considération à travers la TVA sur la restauration, qui a permis de maintenir en activité beaucoup de petits restaurants qui auraient à défaut disparu...

M. Claude Bérit-Débat. - Sur le FISAC, je partage le point de vue de mes deux collègues. Je comprends les décisions que vous êtes amenée à prendre, Madame la Ministre, ainsi que les objectifs futurs que vous définissez. Reste la question du stock des dossiers déposés : nous sommes saisis par des artisans et des collectivités nous demandant quoi faire passé un délai d'un an ...

Sur le statut d'auto-entrepreneur, que projetez-vous, au regard des critiques des chambres consulaires ?

Ces dernières, avez-vous dit, ont acquis une force plus importante à travers la régionalisation. Or, toutes n'en sont pas satisfaites ; je fais là allusion aux chambres de commerce et d'industrie, et non de métiers. En région Aquitaine, d'où je suis élu, quatre départements sur cinq sont opposés à la réforme. Se pose la question du transfert de personnel, à la fois complexe et coûteuse. Allez-vous entendre, Madame la Ministre, les responsables de chambres demandant davantage de souplesse ?

M. Jean-Claude Lenoir. - Je tiens à vous féliciter, Madame la ministre, pour avoir été capable, avec un grand talent, de nous expliquer qu'on allait faire mieux avec moins de crédits !

Une lettre de vous, datant d'il y a un mois, avait soulevé de grandes espérances dans le territoire que je représente. Vous y indiquiez que le gouvernement précédent avait élargi les conditions d'accès au FISAC, engendrant une forte augmentation des demandes, tout en réduisant drastiquement les crédits, ceci expliquant les grandes disparités entre les sommes disponibles et les financements sollicités. J'en avais conclu que vous alliez ajuster les recettes en conséquence... En tout cas, reconnaissons unanimement que les crédits du FISAC sont insuffisants au regard des besoins de nos territoires.

En 1998, un dispositif règlementaire obligeait les stations-service à se mettre aux normes en douze ans. Deux ans plus tard, le gouvernement de l'époque ayant supprimé la taxe parafiscale, c'est une subvention de votre ministère qui a servi à financer leur modernisation. Le délai a été rallongé de trois ans et se termine en fin d'année prochaine. Mais les dernières stations-service à se mettre aux normes sont celles ayant les plus grandes difficultés financières, et des pans entiers de nos territoires ruraux en sont aujourd'hui dépourvus, ce qui nuit au petit commerce de proximité. Les collectivités territoriales sont prêtes à s'y substituer, pour certaines. Encore faut-il qu'on les y aide. Or, le comité professionnel de la distribution de carburants manque de moyens financiers !

Enfin, où en êtes-vous, Madame La ministre, de vos réflexions concernant la réglementation de l'urbanisme commercial ?

M. Jean-Jacques Lasserre. - Je rejoins les autres intervenants sur le FISAC. On parle beaucoup, à cet égard, d'effet levier ; je ne trouve pas que cette notion soit opérationnelle et j'aimerais que l'on en sorte, au profit de formules partenariales associant État, conseils régionaux et généraux.

En matière de tourisme, nous avons des avantages concurrentiels manifestes et des perspectives économiques très favorables pour la décennie à venir ; aussi, je regrette que l'on réduise les moyens d'Atout France.

M. Joël Labbé. - En ces périodes de difficultés budgétaires, vous avez l'audace, Madame la ministre, de soutenir le tourisme social ; par quels moyens comptez-vous intervenir ?

Les ouvertures de grandes surfaces le dimanche matin se multiplient en périphérie de centre-ville et de centre-bourg, concurrençant les commerces de proximité ; envisagez-vous une mesure générale d'interdiction ?

M. Alain Bertrand. - Dans mon département de Lozère, les infrastructures touristiques sont vieillissantes. Manquent des financements et un chef de file. Il serait naturel soit que l'État intervienne, soit qu'il délègue cette action à une collectivité, et en tout cas qu'il clarifie la situation. La promotion touristique est assurée par de multiples acteurs sur des images très différentes. Atout France n'est connu de personne, en-dehors des spécialistes ; son budget est largement insuffisant. Il faut concentrer les crédits, en matière touristique, sur la ruralité et l'hyper-ruralité, qui en ont tout particulièrement besoin.

Je ne partage pas l'avis selon lequel il faut réserver le FISAC aux commerçants et artisans : dans ma commune de Mende, nous allons construire un marché couvert, indispensable au développement de la vie locale ; nous ne le pourrions sans les apports de ce fonds. Un amendement instaurant une taxe sur les grandes surfaces pourrait permettre de l'abonder.

S'agissant de l'accessibilité, il serait bon de reporter la mesure ; à défaut, cela affectera les hôteliers de gamme moyenne qui n'ont pas les moyens de s'adapter.

Mme Sylvia Pinel. - Merci pour toutes ces questions pertinentes, auxquelles je souhaite apporter les éléments de réponse suivants :

- il faut trouver une solution sur le stock de dossiers FISAC. J'y travaille dans le projet de budget pour 2013 avec le ministre délégué au budget, M. Jérôme Cahuzac. Il s'agira ensuite de recentrer le dispositif sur les territoires les plus fragiles, et j'accueillerai volontiers les propositions des parlementaires à cet égard ;

- la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) était en effet affectée au FISAC. Cette affectation a disparu lors de la réforme de la taxe professionnelle, s'agissant à présent d'une ressource locale, dont on ne saurait priver les collectivités ;

- notre priorité, en ce qui concerne les délais de paiement, est de faire appliquer la loi, et non de les modifier. Nous allons lancer un plan d'action à cet effet. Dans le futur projet de loi de consommation, nous proposerons des sanctions administratives en cas de non respect. L'État et les collectivités locales doivent montrer l'exemple en la matière ;

- il est vrai que l'on parle peu du tourisme social, alors que 46 % des Français ne partent pas en vacances, dont trois millions de jeunes. Aussi ai-je fait de cette question une priorité dès ma prise de fonctions, en demandant à une personnalité qualifiée de faire un état des lieux de l'existant. De nombreuses initiatives ont été prises, mais elles manquent de visibilité et de cohérence. Le fonds « tourisme social investissements » sera lancé afin de procéder à la réhabilitation des équipements. Une attention particulière sera portée aux jeunes et aux familles monoparentales. Les conclusions de cette mission me seront communiquées en début d'année prochaine, avant une mise en oeuvre des mesures proposées, avec une expérimentation à l'échelle régionale, si des collectivités le souhaitent. Il s'agit d'un sujet d'une grande importance, dont j'ai plaisir à voir qu'il suscite également votre intérêt ;

- s'agissant plus généralement du tourisme thématique, qu'il soit industriel ou eonologique, nous constatons sa meilleure résistance à la crise et à la météo estivale. Ils doivent trouver leur place dans le cadre des contrats de destination, que je souhaite développer afin de permettre à des territoires de mieux se fédérer. Mes services y travaillent actuellement, nous aurons l'occasion d'en reparler ;

- les problèmes de concurrence déloyale posés par les agents territoriaux auto-entrepreneurs sont effectivement choquants. L'évaluation lancée en lien avec d'autres ministères permettra, métier par métier, de réaliser un état des lieux précis et de proposer les ajustements que l'équité nécessite. La mission commune de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) rendra ses conclusions en fin d'année ;

- lorsque je suis arrivé à mon poste, le stock de dossiers FISAC représentait 120 millions d'euros, pour un solde de crédits pour l'année 2012 de 12 millions d'euros... La logique de partenariat entre les collectivités existe déjà dans les faits, mais l'effet de levier aussi, et il est indispensable ;

- la présence de stations indépendantes de carburant dans les zones rurales est essentielle en termes de lien social. 5 000 seulement subsistent aujourd'hui. J'ai engagé, avec la ministre l'écologie, du développement durable et de l'énergie, Mme Delphine Batho, une discussion afin de prendre en compte les contraintes de ces entreprises, en vue de les préserver ;

- en matière d'urbanisme commercial, le président de la République, M. François Hollande, s'était engagé durant sa campagne sur la stabilité législative et réglementaire. Cela n'empêche pas pour autant des ajustements, par exemple sur les drives, qui y échappent totalement, mais aussi sur la mise en conformité des dossiers déposés devant les commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) et des demandes d'autorisation de permis de construire. Vous avez été nombreux à prendre part à un colloque organisé en lien avec la ministre de l'égalité des territoires et du logement, Mme Cécile Duflot, pour identifier ces problèmes et y trouver des solutions ;

- le bilan d'Atout France est remarquable. J'ai demandé à son nouveau président de mettre en oeuvre des actions simples, telles que le regroupement sous une unique bannière France des multiples intervenants nationaux dans les foires et salons à l'étranger ;

- la filière touristique doit mieux se coordonner et se structurer. Cela passe par une impulsion donnée par l'État, bien sûr. Mais cela doit se décliner dans les territoires, en associant l'ensemble des acteurs intéressés, publics comme privés, de façon articulée avec les contrats de destination. Le conseil national du tourisme doit jouer ce rôle de fédérateur ;

- le tourisme est en effet un sujet capital et prioritaire concourant au redressement de notre pays. Il a d'ailleurs motivé la mise en place, pour la première fois, d'un ministère de plein exercice, même s'il possède par ailleurs d'autres attributions. Pour demeurer attractifs au niveau international, nous devons améliorer la qualité de l'offre. Je souhaite travailler sur ce point, en lien avec les collectivités. Un groupe de travail avait été chargé de formuler des propositions ; elles contribueront à la mise en oeuvre d'un plan de réhabilitation touristique destiné à maintenir notre compétitivité ;

- la question de la taille des entreprises est effectivement importante en matière de TVA sur la restauration. Le bilan que je mène actuellement prend en compte cet aspect qualitatif. Ses conclusions seront connues à la mi-novembre ;

- je ne pense pas que le report des mesures d'accessibilité soit une bonne solution. Il ne permettra pas davantage aux entreprises n'ayant pu les réaliser de procéder aux travaux d'aménagement. Tout est question d'équilibre entre ce qui est exigé des professionnels du tourisme et les besoins des personnes handicapées, tout en préservant cette hôtellerie familiale et indépendante si importante dans certains de nos territoires ;

- la question de l'ouverture des commerces du dimanche relève surtout du ministre du travail, M. Michel Sapin. Le dialogue social et une simplification de la législation sont des préalables en ce domaine. Je tiens à maintenir une activité dans les centres-villes et les zones rurales ; j'ai d'ailleurs des propositions pour accompagner la modernisation des commerçants de proximité face aux nouvelles formes de commerce, telles que le e-commerce. Le contrat de génération sera un outil privilégié à cet égard.

M. Martial Bourquin. - Merci Madame la ministre pour la qualité de vos propos. Nous nous retrouverons prochainement sur le bilan - qualitatif, ai-je noté avec satisfaction - de la TVA sur la restauration ; c'est une bonne chose qu'il y ait un débat parlementaire sur ce sujet.

Régulation économique outre-mer - Examen des amendements sur le texte de la commission mixte paritaire

La commission procède à l'examen des amendements sur le projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer dans la rédaction du texte n° 90 (2012-2013) proposé par la commission mixte paritaire.

Article ou division

Objet de l'article

Numéro d'amendement

Auteur de l'amendement

Avis de la commission

Article 5 bis A

Possibilité pour l'observatoire des prix, de marges et des revenus de proposer au préfet l'affichage du prix d'achat au producteur et du prix de vente au consommateur

1

Gouvernement

Favorable

Article 6 quater

Obligation par les opérateurs d'apporter les éléments établissant la réalité de la répercussion des taxes, dans le cadre du contentieux de la répétition de l'indu

2

Gouvernement

Favorable

Article 11 bis

Possibilité pour les chambres de commerce et d'industrie d'outre-mer de tenir le registre du commerce et des sociétés

4

Gouvernement

Favorable

Article 11 sexies

Adaptation de la loi sur les rapports locatifs à la Nouvelle-Calédonie

3

Gouvernement

Favorable

M. Joël Labbé. - Je m'interroge sur la taxe spéciale de consommation sur les carburants.

M. Serge Larcher, rapporteur. - Cette taxe finance les travaux des régions et communes. Lorsque les régions ont baissé les taxes, cela n'a pas toujours eu de répercussion sur les prix.

M. Michel Bécot. - Mon vote sur ces amendements est favorable mais personnel, il n'exprime pas la position de mon groupe.

Loi de finances pour 2013 - Mission « Outre-mer » - Examen du rapport pour avis

La commission procède à l'examen du rapport pour avis sur les crédits de la mission « Outre-Mer » inscrits au projet de loi de finances pour 2013.

M. Serge Larcher, rapporteur pour avis. - J'ai l'honneur de vous présenter mon rapport sur les crédits de la mission « Outre-mer » inscrits au projet de loi de finances pour 2013.

Je souhaite au préalable vous rappeler que le périmètre cette mission ne correspond qu'à une partie de l'effort budgétaire de la Nation en faveur de nos outre-mer. Un peu plus de 2 milliards d'euros sont inscrits au titre de la mission « Outre-mer », alors que l'effort budgétaire de la Nation en faveur de nos outre-mer, tel qu'il figure dans le document de politique transversale (DPT) annexé au projet de loi de finances, atteint environ 13 milliards d'euros.

Le budget 2013 concrétise un net changement de cap par rapport aux années précédentes. A mes yeux, il s'agit là d'un véritable « budget du changement » pour les outre-mer.

L'évolution des crédits de la mission est tout d'abord très positive : les crédits budgétaires progressent en effet de 3,4 % en autorisations d'engagements (AE) et de 3,8 % en crédits de paiement (CP) en 2013. Je note que le périmètre de la mission connaît deux évolutions : d'une part, la consécration du ministère des outre-mer en tant que ministère de plein exercice conduit à la création d'une nouvelle action au sein du programme 138 « Emploi outre-mer ». Cette action regroupe des dépenses de fonctionnement du ministère des outre-mer jusque là prises en charge par le ministère de l'intérieur, à hauteur de 2,9 millions d'euros ; d'autre part, le financement de l'agence de santé de Wallis-et-Futuna, jusqu'alors assuré par le programme 123 « Conditions de vie outre-mer » à hauteur de 26 millions d'euros, est judicieusement transféré vers la mission « Santé ». Ces modifications de périmètre conduisent à ce que, à périmètre constant, l'augmentation des crédits de la mission est encore plus importante : ils augmentent de 4,5 % en AE et de 4,9 % en CP. Cette forte augmentation des crédits de la mission constitue un signal fort adressé par le Gouvernement aux outre-mer.

Au-delà de cette réalité mathématique, j'observe que cette augmentation des crédits constitue une véritable rupture par rapport aux années précédentes. L'année dernière, je vous présentais en effet des crédits en diminution de 1,1 % en AE et en augmentation de 0,1 % en CP. Le budget 2013 succède ainsi à un budget qui était, à mes yeux, sans ambition pour les outre-mer, et, surtout, en net décalage avec les annonces du Conseil interministériel de l'outre-mer (CIOM) de novembre 2009.

Ma deuxième observation est que l'augmentation des crédits de la mission « Outre-mer » peut faire des envieux, à l'heure de l'effort national de redressement des finances publiques. Pour autant, cette augmentation, qui est pleinement cohérente avec les engagements du Président de la République pour les outre-mer, est justifiée par la gravité de la situation économique et sociale des outre-mer. En matière d'emploi tout d'abord, le taux de chômage atteignait, au deuxième trimestre 2011, 21 % en Guyane, 22,6 % en Guadeloupe, 20,8 % en Martinique et 29,5 % à La Réunion, contre 9,2 % dans l'Hexagone. La situation est encore plus dramatique pour la jeunesse ultramarine : le taux d'emploi des jeunes, qui atteint 27,7 % dans l'Hexagone n'est que de 9,7 % en Guadeloupe, 8,8 % en Martinique, 9,9 % en Guyane et 12,1 % à La Réunion. En matière de logement ensuite, les outre-mer connaissent une crise d'une gravité exceptionnelle. Il manque ainsi près de 100 000 logements sociaux sur l'ensemble de l'outre-mer, un habitat indigne persiste au coeur des centres-villes, touchant près de 65 000 personnes, et la sur-occupation des logements atteint près du double du taux hexagonal. L'augmentation des crédits de la mission « Outre-mer » constitue donc une réponse à cette situation spécifique. Il ne s'agit donc en rien d'un quelconque « privilège », mais de la simple reconnaissance par la Nation de la nécessaire solidarité à l'égard de territoires en souffrance.

J'ajoute une troisième observation : la mission « Outre-mer » ne reste pas à l'écart de l'effort national de redressement des finances publiques. L'opérateur rattaché au ministère des outre-mer, à savoir l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) participera aux efforts imposés par les normes gouvernementales d'évolution des dépenses et des emplois. Par ailleurs, le service militaire adapté (SMA) accroîtra son effort de productivité et ses dépenses de fonctionnement seront donc stables.

J'en viens maintenant aux programmes qui composent la mission. Les crédits du programme 138 « Emploi outre-mer » augmentent en 2013, de 7,1 % en AE et de 4,3 % en CP, sous l'effet de plusieurs phénomènes. Comme chaque année, plus de 80 % des crédits de ce programme sont destinés à compenser les exonérations de charges sociales spécifiques aux outre-mer. Les crédits destinés à cette compensation augmentent de près de 8 %. Cela illustre le maintien intégral de dispositifs qui sont essentiels au soutien à l'emploi dans les outre-mer. En 2013, le taux de croissance de l'emploi salarié dans les entreprises ultramarines exonérées devrait être trois fois supérieur à celui dans les entreprises analogues de l'Hexagone.

Pour autant, je ne peux que m'inquiéter cette année encore de la persistance d'une dette, qui atteignait près de 50 millions d'euros à la fin 2011, à l'égard des organismes de sécurité sociale. En 2013, les crédits destinés à la compensation de ces exonérations ne devraient encore une fois pas permettre de compenser la totalité du coût de ces exonérations.

Je note que l'année 2011 a constitué la première année de la mise en oeuvre effective de deux dispositifs issus de la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM) : l'aide au fret et l'aide à la rénovation hôtelière. L'aide au fret a pu ainsi bénéficier à 82 entreprises pour un montant d'environ 7 millions d'euros. L'aide à la rénovation hôtelière, qui peut jouer un rôle important dans la relance du tourisme notamment aux Antilles, a bénéficié en 2011 à 22 hôtels pour un montant de 6,2 millions d'euros et en 2012 à 17 hôtels pour un montant de 6,8 millions d'euros.

Enfin, la montée en puissance du service militaire adapté (SMA) se poursuit, conformément au « plan SMA 6 000 » annoncé par le président de la République en février 2009. Je me réjouis que le budget 2013 ne remette pas en cause le principe de ce plan et confirme la progression des moyens destinés au SMA. L'objectif de 6 000 volontaires, fixé initialement pour 2013, est cependant légèrement reporté, à 2015-2016, en raison des contraintes budgétaires.

Les crédits du second programme de la mission « Outre-mer », à savoir le programme 123 « Conditions de vie outre-mer », diminuent quant à eux de 2,7 % en AE et augmentent de 2,7 % en CP. A périmètre constant, ils augmentent cependant de 0,6 % en AE et de 6,9 % en CP. Deux évolutions me paraissent extrêmement importantes :

Tout d'abord, les crédits de l'action « Logement », c'est-à-dire la « ligne budgétaire unique » LBU, sont stables en AE et progressent fortement, de près de 6 %, en CP. Cette remise à niveau de la LBU constitue à mes yeux un signal fort : elle illustre la volonté du Gouvernement d'apporter des réponses à la grave crise du logement que traversent nos outre-mer ; par ailleurs, elle témoigne du fait que la LBU constitue à nouveau l'instrument prioritaire de financement du logement social. Le Gouvernement fixe pour 2013 des objectifs ambitieux en matière de construction de logements sociaux : 6 260 logements sociaux devraient être financés par la LBU en 2013, avec un maintien de la subvention unitaire à son niveau de 2012, ce qu'il convient de saluer. Un point a néanmoins attiré mon attention : 1 million d'euros est inscrit pour 2013 pour le financement du « GIP Indivision », c'est-à-dire le groupement d'intérêt public (GIP) chargé de rassembler les éléments permettant de reconstituer les titres de propriété outre-mer. L'article 35 de la LODEOM avait prévu la création de ce GIP, l'indivision constituant incontestablement un point de blocage aux projets de construction de logements. Pour autant, plus de 3 ans après le vote de la loi, ce GIP n'existe toujours pas. Une mission de préfiguration a été lancée, qui a rendu son rapport en mai 2011. Le Conseil d'État s'est cependant opposé au projet de décret, estimant qu'il n'était pas conforme à la loi puisqu'il prévoyait la constitution d'un GIP par collectivité. J'espère donc que le Gouvernement pourra proposer prochainement une modification de la loi sur ce point et que le GIP pourra être mis en place au plus vite.

Une autre évolution notable est celle des crédits de l'action « Fonds exceptionnel d'investissement », qui augmentent très fortement en 2013, de près de 200 % en AE pour atteindre 50 millions d'euros et de presque 40 % en CP, marquant ainsi l'amorce d'un plan de rattrapage en matière d'investissements publics, ceci conformément à un engagement fort du président de la République. Ce programme d'investissements doit être salué : le rattrapage du retard des outre-mer en matière d'équipements structurants est en effet indispensable pour améliorer les conditions de vie de nos concitoyens ultramarins. D'après les informations qui m'ont été transmises, ce programme devrait permettre de financer des investissements notamment en matière d'adduction d'eau potable, de gestion des déchets ou encore des équipements publics de proximité dans le domaine sanitaire et social. J'espère cependant que les 50 millions d'euros inscrits pour 2013 ne sont qu'une première étape et que ce plan de rattrapage pourra monter en puissance dès 2014.

Pour conclure, je souhaite évoquer le maintien des règles relatives à la défiscalisation dans les outre-mer, qui constitue un nouveau signe de l'attention portée par le Gouvernement et apporter une réponse aux critiques de ces dispositifs. Les outre-mer ont largement contribué à la politique de réduction des « niches fiscales » au cours des dernières années. La LODEOM a ainsi été marquée par la suppression de la dépense fiscale liée au logement libre et intermédiaire ou la réforme des exonérations de charges sociales. La loi de finances pour 2011 a conduit au « rabot » des avantages fiscaux accordés dans le cadre des dispositifs d'aide à l'investissement outre-mer ou à la suppression de l'avantage fiscal dans le domaine de la production d'énergie photovoltaïque. La loi de finances pour 2012 a enfin supprimé l'abattement d'un tiers sur le résultat des exploitations situées dans les DOM et « raboté » une nouvelle fois les avantages fiscaux. Autrement dit, depuis 4 ans, les outre-mer ont contribué à hauteur de plusieurs centaines de millions d'euros à la réduction des dépenses fiscales.

Il était souhaitable que le projet de loi de finances pour 2013 ne comprenne pas de mesures de diminution du coût des dépenses fiscales spécifiques aux outre-mer. Si son article 56 prévoit l'abaissement de 18 000 à 10 000 euros du plafonnement général des réductions et crédits d'impôt à caractère incitatif ou liés à un investissement, cette règle ne s'appliquera pas, conformément à un engagement du président de la République, aux économies ultramarines. Sans être un défenseur acharné de la philosophie de la défiscalisation, dont chacun a pu constater par le passé certains effets pervers, je considère cependant que le maintien des plafonds spécifiques aux outre-mer est une mesure positive. Tout d'abord, la défiscalisation permet la création - ou le maintien - d'emplois dans les outre-mer. D'après les données de la direction générale des finances publiques, près d'un millier d'emplois ont ainsi été créés en 2008 puis en 2009 grâce aux projets agréés. Ensuite, il faut relativiser le coût des différents dispositifs de défiscalisation spécifiques à l'outre-mer : ces dispositifs devraient coûter en 2012 un peu plus d'un milliard d'euros, en baisse par rapport à 2011. On est bien loin du coût de certaines autres niches fiscales, telles que le taux réduit de TVA dans la restauration. Enfin, le dispositif de défiscalisation contribue clairement au développement économique des outre-mer et à l'amélioration des conditions de vie de nos concitoyens ultramarins. Cette dépense fiscale assure ainsi la réalisation d'opérations structurantes, telles que l'installation de câbles sous-marins en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, mais aussi la construction de logements sociaux.

S'agissant du logement social, nos collègues Georges Patient et Éric Doligé viennent ainsi de rendre, au nom de la commission des finances, un excellent rapport sur la défiscalisation. Ils concluent que le dispositif de défiscalisation en faveur du logement social constitue, je cite, « un dispositif attractif pour les contribuables, favorable au logement social et qui commence à atteindre ses objectifs ». On assiste en effet depuis deux ans à une relance de la construction de logements sociaux dans les DOM, avec un quasi-doublement de logements financés entre 2007 et 2011. Cette relance s'explique clairement par la défiscalisation, puisque près de 90 % des logements financés ont eu recours, au moins partiellement, à la défiscalisation. Ainsi, loin des clichés, la défiscalisation constitue un outil au service du développement économique des outre-mer. Il convient cependant de réfléchir à l'avenir de cet outil et à la manière de le rendre plus efficace et, si cela s'avère nécessaire, plus transparent.

En conséquence, je propose à la commission d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».

M. Michel Bécot. - Je partage les propos du rapporteur : la défiscalisation outre-mer est un véritable outil au service de l'aménagement du territoire ultramarin. Ce n'est d'ailleurs pas une mauvaise affaire car l'État récupère la TVA sur les investissements effectués dans les territoires d'outre-mer grâce aux dispositifs de défiscalisation.

M. Claude Bérit-Débat. - Je félicite le rapporteur pour sa présentation et pour sa défense de l'effort fiscal de l'État outre-mer.

M. Michel Bécot. - On trouvera toujours des abus dans l'utilisation des dispositifs fiscaux, comme pour toute politique, mais il faut se garder de tout jugement sans nuance sur la défiscalisation outre-mer.

M. Joël Labbé. - Par principe, mon groupe n'est jamais très favorable aux niches fiscales, mais il convient d'effectuer une analyse fine de celle-ci pour en évaluer la pertinence.

M. Serge Larcher, rapporteur pour avis. - La défiscalisation permet par ailleurs de soutenir le BTP, secteur économique vital dans nos outre-mer.

M. Claude Bérit-Débat. - L'utilité de la défiscalisation outre-mer doit être expliquée à l'opinion publique qui les comprend mal.

M. Martial Bourquin, président - Le rapport de notre collègue Serge Larcher montre la situation difficile des outre-mer. Pour y remédier, l'État doit favoriser l'investissement. Parmi les niches fiscales, sachons distinguer celles destinées à aider l'investissement et celles favorisant la spéculation.

A l'issue de ce débat, et suivant l'avis de notre rapporteur pour avis, la commission émet, à l'unanimité, un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».

Autorité de sûreté nucléaire (ASN) - Audition de M. Pierre-Franck Chevet, candidat désigné aux fonctions de président

La commission auditionne Pierre-Franck Chevet, candidat désigné aux fonctions de Président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), en application des dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

M. Daniel Raoul, président. - En application du 5e alinéa de l'article 13 de la Constitution, nous procédons à l'audition de M. Pierre-Franck Chevet, candidat aux fonctions de président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Sa nomination par décret en Conseil des ministres ne peut intervenir qu'après l'audition du candidat devant les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.

À l'issue de l'audition, publique et ouverte à la presse, nous procèderons à un vote à bulletin secret, que nous dépouillerons après avoir averti nos homologues de l'Assemblée nationale afin qu'ils procèdent à la même opération.

Vous avez, monsieur le directeur général, commencé à l'ASN avant de passer par les directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (Drire) d'Alsace et du Pas-de-Calais, où vous avez acquis une expérience pratique des risques industriels. Depuis février 2007, vous pilotez la direction générale de l'énergie devenue, depuis 2008, direction générale de l'énergie et du climat. Pouvez-vous, après nous avoir rappelé votre parcours professionnel, nous dire quels sont votre projet pour l'ASN et vos préconisations quant à l'avenir du nucléaire et à sa place dans le mix énergétique français ?

M. Pierre-Franck Chevet, candidat à la présidence de l'ASN. - Mon ambition est avant tout d'inscrire mon action dans la continuité de celle d'André-Claude Lacoste, qui a fait de l'ASN une référence mondiale. Pour avoir largement travaillé pour l'ASN, ou à ses côtés, j'assume cette exigence de continuité d'autant plus aisément que le bilan de l'Autorité est, de l'avis même de ses homologues étrangers, très positif.

Depuis vingt-six ans, je travaille pour l'État, essentiellement dans des fonctions touchant à la sécurité ou à l'environnement. J'ai d'abord passé neuf ans à l'ASN, où j'ai débuté en septembre 1986. Cette date n'est pas anodine : les images de l'accident de Tchernobyl vues à la télévision ont pesé sur mon choix de m'investir sur la question du nucléaire. J'ai d'abord exercé, trois années durant, des fonctions spécialisées d'expert, travaillant, par exemple, sur la tenue des fissures dans les cuves de réacteurs - question à laquelle est confrontée la Belgique pour deux de ses centrales. Avoir exercé de telles fonctions m'a été très utile, ensuite, à l'heure de prendre des décisions : je sais ce que peut un expert et ce qu'il ne peut pas dire. J'ai fini comme adjoint d'André-Claude Lacoste en charge du contrôle du parc nucléaire français, y compris Superphénix.

J'ai ensuite passé dix ans, à partir de septembre 1995, sur le terrain, à la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, de deux régions industrielles, l'Alsace et le Nord-Pas-de-Calais, où j'ai eu à gérer deux accidents majeurs, l'explosion de l'usine de Nitrochimie (6 morts), situation de crise courte, à la différence de l'épidémie de légionellose de la région de Lens, qui a provoqué vingt décès et duré deux mois et demi - je souligne cette différence parce que gérer une crise courte, ce n'est pas la même chose que gérer une crise avec des conséquences dans la durée. On imagine mal ce que suppose la gestion d'une crise comme Fukushima, sur deux à trois mois, tant pour la puissance publique que pour l'exploitant.

Entre 2005 et 2007, je suis passé par Matignon où j'étais en charge de questions touchant à l'industrie, à la recherche, à l'environnement, à l'énergie. J'y ai participé à l'élaboration de deux lois nucléaires, la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, et la loi de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, deux lois considérées comme structurantes, y compris à l'étranger, et qui touchent aux deux préoccupations premières de nos concitoyens en matière nucléaire.

Je suis, depuis 2007, directeur général en charge de l'énergie et, désormais, du climat - le rapprochement entre les deux dossiers, éminemment liés, constituait alors une novation, et nous avons été depuis rejoints par les Britanniques et les Danois.

J'ai toujours été très proche de l'ASN. Si, dans les fonctions que j'occupe aujourd'hui, je n'interfère pas, bien entendu, dans ses décisions, nous n'en travaillons pas moins de concert, par exemple pour la construction du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs. J'ai suivi toutes les avancées de l'ASN, d'où ma conviction qu'il faut poursuivre dans la continuité. Car je partage les valeurs qui s'y sont progressivement construites : compétence et rigueur, indépendance et transparence.

L'ASN est devenue une référence internationale. Nous sommes les premiers à avoir mis en place une échelle de gravité des incidents et accidents conduisant à communication au public. Trois ans après Tchernobyl, cela n'a pas été simple, mais nous avons été bientôt suivis à l'international, avec l'échelle Ines (International Nuclear Event Scale). Même chose pour les incidents de radioprotection. Enfin, les suites d'inspections sont rendues publiques, de même que les avis intermédiaires des experts.

L'ASN a engagé une réflexion sur les critères de sûreté pour la troisième génération de réacteurs. Le travail est déjà entamé avec les Allemands, sur les actes de malveillance, par exemple. La réflexion est également engagée sur la gestion des déchets, avec l'appui constant du Parlement. La loi de 2006, après celle de 1991, a prévu un rendez-vous en 2015 sur la question de l'autorisation du projet de stockage profond. L'Agence s'est également investie sur la question de la radioprotection, notamment dans le domaine médical et hospitalier.

L'Agence a tôt su développer ses relations internationales, afin de tirer le meilleur parti, concrètement, de ce que font ses homologues. C'est sous l'impulsion d'André-Claude Lacoste que s'est créé le club des autorités de sûreté de l'Europe de l'Ouest. Après Fukushima, lorsqu'il a fallu définir ce que devaient être les stress tests, les membres de la WENRA (Western European Nuclear Regulator's Association) ont ainsi réussi à se mettre d'accord en quinze jours sur ce que devait être le cahier des charges technique. Voilà le fruit de quinze ans de relations suivies.

Je suis animé d'une double conviction : un accident nucléaire est toujours possible, y compris en France, et il n'est pas possible d'avoir une sûreté nucléaire mondiale à deux vitesses. Cela implique de rechercher un progrès continu, en termes de matériel, d'organisation, et d'autorité de contrôle.

Les chantiers de l'avenir sont nombreux. Se pose tout d'abord la question du vieillissement des installations et de ce que doit être la durée de leur fonctionnement. Bien que la législation française ne fixe pas de durée de vie maximale, l'extension de trente à quarante ans est considérée au cas par cas.

M. Pierre Hérisson. - Très bien !

M. Pierre-Franck Chevet. - Bugey 2 sera le prochain réacteur à faire l'objet d'un examen, en début d'année prochaine. L'extension au-delà de quarante ans n'est pas acquise en France, malgré les exemples étrangers. Une procédure d'examen est en cours, qui doit déboucher sur des conclusions en 2015.

Deuxième sujet, le renouvellement des compétences chez les opérateurs, avec l'arrivée à l'âge de la retraite d'une génération, dans les dix ans à venir. Vraie question, qui touche à celles de l'organisation, des qualifications, de la transmission. Même si, bien sûr, il revient aux exploitants d'agir, l'ASN ne peut s'en désintéresser.

Troisième sujet, Fessenheim. André-Claude Lacoste a rappelé que la loi prévoit une procédure aussi complexe pour arrêter une centrale que pour la mettre en route. Il faut cinq ans.

Quatrième sujet, le projet Cigeo de stockage géologique profond. Le débat public aura lieu en 2013. La Commission nationale du débat public, que l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a saisie, prépare cet important rendez-vous.

Je suis moins familier de la radioprotection médicale, mais la lecture des travaux de l'ASN me porte à y voir trois axes : améliorer les pratiques de radiothérapie, afin de minimiser les incidents ; prévenir la hausse des doses d'exposition lors des examens ; engager la recherche sur les radiosensibilités individuelles, très différentes, au point qu'un même dosage, insuffisant pour l'un, peut être excessif pour un autre.

Il faudra également suivre, évidemment, le chantier de l'EPR de Flamanville. Mais l'autre objectif à poursuivre est aussi international, pour que les meilleurs standards de sécurité soient adoptés et mis en oeuvre.

Il y a, à mon sens, trois conditions pour assurer la sécurité : les compétences humaines chez les opérateurs comme à l'ASN ; un suivi de ce qui se fait ailleurs, non seulement à l'étranger, mais dans les autres industries à risque, comme l'aéronautique ; un cadre institutionnel robuste. La loi de 2006 est satisfaisante, mais le cadre doit être solide et stable.

M. Daniel Raoul, président. - L'ASN a en charge trois missions : en amont la réglementation, puis le contrôle de son respect et l'information du public - d'où l'importance des commissions locales d'information. Elle emploie 456 personnes sous l'autorité de cinq commissaires, trois nommés par le président de la République, un par l'Assemblée nationale, un par le Sénat. Son budget est de 68 millions. Elle est dotée d'un important pouvoir, celui de faire interdire la poursuite de l'exploitation d'une centrale.

M. Pierre-Franck Chevet. - En effet.

M. Pierre Hérisson. - Autant que ce soit décidé par des gens compétents...

M. Roland Courteau. - L'ASN a autorisé la centrale de Fessenheim à fonctionner dix ans de plus à condition que des travaux soient entrepris avant le 30 juin 2013 pour augmenter la résistance du radier. Où en sont ces travaux ? S'ils ne pouvaient être ordonnés à temps, êtes-vous prêt à ordonner l'arrêt de la centrale fin 2013 ?

Faut-il porter la compétence réglementaire et de contrôle à l'échelon européen, voire mondial, ou pensez-vous que l'exercice national est préférable, compte tenu de la rigueur du travail de l'ASN ?

Notre parc nucléaire, qui remonte aux années 1970-1990, va voir arriver nombre de ses employés à l'âge de la retraite. Comment garantir le maintien des compétences, partant la sûreté des installations ? Un effort de formation supplémentaire vous paraît-il nécessaire ?

M. Daniel Raoul, président. - Si en juin 2013, les travaux réclamés à Fessenheim n'étaient pas réalisés, l'ASN pourrait demander l'arrêt de la centrale, mais selon une procédure, si je vous ai bien compris, qui prendrait cinq ans ?

M. Jean-Claude Lenoir. - Je veux souligner ici le travail extraordinaire d'André-Claude Lacoste, premier président de l'ASN, et qui en a fait une référence mondiale. Nous lui devons beaucoup.

Autant vous le dire tout de suite, notre proposition de candidature nous convient.

M. Daniel Raoul, président. - Le vote est secret...

M. Jean-Claude Lenoir. - Il n'est pas interdit d'exprimer son opinion.

L'ASN est au coeur de l'actualité : le rapport Gallois souligne son rôle majeur dans le fonctionnement de notre parc nucléaire et confirme ce que disait André Claude Lacoste il y a quelques semaines : c'est bien l'ASN qui décide des tranches d'autorisation à dix ans, mais aussi des arrêts en cas d'incident ; c'est elle qui a la main, en somme, sur le fonctionnement des centrales. Voilà qui contredit les propos que l'on a entendus au plus haut niveau de l'État, et qui laissaient entendre que le pouvoir politique peut décider. Qui, selon vous, devra décider de l'arrêt du premier et du deuxième réacteurs de Fessenheim, dont l'ASN a validé la continuation sous réserve de l'exécution de certains travaux ? Il faut couper le lien avec le pouvoir politique. La puissance publique, qui définit les grandes lignes, doit-elle interférer dans le fonctionnement ?

Enfin, autre membre du collège de l'ASN, dont le mandat s'achève le 9 novembre, va être renouvelé, mais selon quelle procédure ?

M. Pierre-Franck Chevet. - Il s'agit de Mme Marie-Pierre Comets. C'est au président de l'Assemblée nationale qu'il reviendra de nommer son successeur. Je ne saurais en dire davantage.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Ma question porte sur le volet médical. Vous avez parlé d'incidents radiologiques, mais dans le cas d'Épinal et de Toulouse, c'est bel et bien d'accidents qu'il faut parler. Comment, à l'avenir, s'assurer que l'introduction, en thérapeutique, de techniques très innovantes, est bien précédée d'une validation du principe et des modalités de mise en oeuvre ? A Toulouse, on est allé trop vite. Six mois se sont écoulés avant que l'on ne se rende compte que l'utilisation intempestive d'un générateur en radiothérapie stéréotaxique provoquait des lésions irréversibles. On comprend mal que la puissance publique ne soit pas capable de dire dans quelles conditions elle délivre une autorisation. Cela risque de disqualifier aux yeux du public une technique puissamment innovante puisqu'elle épargne les tissus sains.

M. Bruno Sido. - Nous connaissons vos compétences et je me félicite d'autant de votre candidature que cette audition me fait découvrir combien la sûreté nucléaire vous est familière.

Vous n'avez guère parlé, cependant, de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Comment travailler avec eux ?

M. Jean-Jacques Mirassou. - Oui !

M. Bruno Sido. - L'on a l'impression que l'entente n'a pas toujours été parfaite du temps d'André-Claude Lacoste.

L'ASN a donné des indications sur le contrôle-commande de l'EPR. On parle quatrième génération, mais à horizon lointain, 2035 ou 2040. Ne peut-on aller plus vite vers plus de sûreté, et à quelles conditions pouvons-nous résoudre les problèmes des générateurs de 2e et 3e générations ?

M. Daniel Raoul, président. - Si l'on n'avait pas fermé Superphénix, nous serions déjà à la quatrième génération.

M. Jean-Claude Lenoir. - J'approuve !

M. Daniel Raoul, président. - On n'a pas la solution idéale pour les déchets, mais enfin...

M. Pierre-Franck Chevet. - Les travaux prescrits à Fessenheim s'imposent. Et la perspective d'un arrêt en 2016 ne saurait en exonérer. Non seulement pour le radier, au plus tard en juin 2013, mais dès la fin de cette année, pour la sécurisation de la source froide. L'ASN peut prononcer une décision d'arrêt rapide quand l'urgence le dicte. Ce cas de figure pourrait se présenter si les travaux n'étaient pas réalisés.

Quel échelon pertinent pour l'autorité de régulation ? Le principe de base est que les responsabilités soient claires - cela vaut d'ailleurs pour l'autorité française. La multiplication des responsabilités n'est pas bonne ; il faut une tête. Si l'ensemble des parlements, au niveau européen ou même mondial, est prêt à créer une autorité, mais une seule, je n'ai rien à redire. Mais toute situation médiane introduirait un flou dans la responsabilité

M. Roland Courteau. - Très bien.

M. Pierre-Franck Chevet. - En ce cas, mieux vaut rester au niveau national.

M. Roland Courteau. - Et le niveau européen ?

M. Pierre-Franck Chevet. - Je vous laisse juge quant à la probabilité que l'ensemble des Etats membres européens soient prêts à se dessaisir au profit d'une autorité unique. Reste que tout ce qui peut se faire, à l'échelon européen, en faveur d'une harmonisation est bon à prendre. Les clubs d'échange technique, que nous devons à l'initiative de l'ASN, mériteraient d'être codifiés.

La question des départs en retraite est un vrai sujet. Plus de formation ? Sans doute. Il faut aussi organiser sur le terrain la transmission intergénérationnelle, notamment par le compagnonnage. Tout cela est de la responsabilité de l'exploitant, mais, encore une fois, l'ASN doit y regarder de près, car cela impacte la sûreté.

Je n'ai pas encore pu lire le rapport Gallois dans son intégralité. Il est juste, en effet, de citer André-Claude Lacoste : il rappelle que l'ASN peut arrêter une centrale pour raisons de sûreté, mais aussi que le gouvernement peut le faire pour toute autre raison.

M. Bruno Sido. - Il évoquait aussi une troisième possibilité, que l'exploitant décide de l'arrêt...

M. Pierre-Franck Chevet. - Bien sûr. Une fois que l'ASN a jugé, le gouvernement prend sa position, par la loi. Le faire comme actionnaire peut être plus compliqué.

Juridiquement, je partage l'analyse d'André-Claude Lacoste. Sur la procédure, je confirme que la procédure des décrets de démantèlement est lourde, de l'ordre de cinq ans. Cela s'applique pour Fessenheim. Je n'en insiste pas moins sur les modifications qu'exigent les enseignements de Fukushima et qui doivent se faire selon le calendrier prévu.

Lorsque j'ai parlé d'incidents radiologiques, M. Jean-Jacques Mirassou, je ne parlais ni d'Epinal ni de Toulouse. La question de la validation préalable est, en effet, centrale. Il n'en reste pas moins que l'on doit trouver une balance entre le bénéfice thérapeutique et le risque. C'est en se rapprochant des thérapeutes que l'on évitera la répétition de tels accidents.

Les relations, M. Bruno Sido, avec l'IRSN ? Je vous l'ai dit, la relation avec l'expertise est toujours complexe. Elle entraîne nécessairement débat. J'ai parlé de tout cela avec André-Claude Lacoste, qui m'a confirmé que, malgré de possibles frictions entre les personnes, les relations entres les institutions étaient bonnes. Quant à l'hypothèse, au demeurant ancienne, d'une réorganisation, d'une fusion, sur le modèle de la NRC américaine, où sûreté nucléaire et radioprotection coexistent, elle présente certes l'intérêt de constituer un bloc, plus facile à administrer. En revanche, il devient plus compliqué de faire appel à une expertise extérieure - songez au contrôle-commande, par exemple - et l'on y perd en liberté de parole des experts, tant une organisation hiérarchique suscite des représentations de ce que souhaite le chef. Faut-il réanimer ce vieux débat ? J'ai le sentiment, avec André-Claude Lacoste, que le système fonctionne. Ce qu'il a fait, pendant et après Fukushima, est remarquable. Les avis de l'IRSN sont rendus publics en direct, ainsi que ceux du groupe d'experts avant les prises de décision ; c'est un système qui met en confiance, pour le bien de tous.

Peut-on aller plus vite vers la quatrième génération ? Celle-ci est surtout conçue pour optimiser la gestion des déchets. Doit-on aller vers une quatrième génération de sûreté ? Il existe, là-dessus, un débat technique. Parle-t-on d'un objet éloigné qui n'aura pas l'EPR pour référence et qu'il faut imaginer ? Nous attendons un rapport du Commissariat à l'énergie atomique en préalable au débat sur Cigeo. Les générateurs de quatrième génération sont intéressants mais très exigeants. Réclamant des températures élevées, ils requièrent des matériaux très innovants et non encore validés. Moyennant quoi, un réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium peut constituer une référence facilement accessible... Tout est question du temps que l'on se donne pour ouvrir des possibles. L'ASN doit regarder plus avant ce qui se fait en matière de recherche. La génération qui sera proposée en dépendra, y compris en termes de sûreté.

M. Daniel Raoul, président. - Dans la sûreté, vous n'oubliez pas les compétences humaines ?

M. Pierre-Franck Chevet. - La question se pose aussi pour l'ASN. Pour ses inspecteurs, la formation est obligatoire. Les exploitants ont des procédures de qualification internes. Nous les vérifions lors des inspections, de même que le système de formation : il est toujours possible d'interroger un soudeur sur la procédure et de voir comment il la lit.

M. Daniel Raoul, président. - N'oublions pas que le plus grand risque vient de l'homme. Je vous remercie.

Puis la commission procède au vote à bulletin secret sur la candidature de M. Pierre-Franck Chevet, candidat à la présidence de l'Autorité de sûreté nucléaire.

Avis sur une candidature aux fonctions de président de l'ASN.

M. Daniel Raoul, président. - Voici les résultats du scrutin : sur dix suffrages exprimés, il y a dix votes favorables.

Mercredi 7 novembre 2012

- Présidence de M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques, et de M. Philippe Marini, président de la commission des finances -

Compétitivité de l'industrie française - Audition de M. Louis Gallois, commissaire général à l'investissement

La commission procède ensuite, lors d'une réunion conjointe avec la commission des affaires économiques, à l'audition de M. Louis Gallois, commissaire général à l'investissement, à l'occasion de la remise de son rapport sur la compétitivité de l'industrie française.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économique. - Les deux commissions, des affaires économiques et des finances, entendent aujourd'hui M. le commissaire général à l'investissement, sur le rapport qu'il a remis lundi au Premier ministre. Au « Pacte pour la compétitivité de l'industrie française » que propose M. Louis Gallois, le gouvernement a déjà réagi en annonçant 35 mesures regroupées en 8 catégories.

M. Louis Gallois, votre parcours professionnel a fait de vous un véritable capitaine d'industrie : vous avez été président de la Snecma entre 1989 et 1992, président-directeur général de L'Aérospatiale pendant quatre ans, puis président de la SNCF de 1996 à 2006, où vous avez accompli un travail remarquable avec les partenaires sociaux. Enfin, vous avez présidé EADS entre 2006 et 2012. Votre rapport puise sans nul doute à l'expérience ainsi accumulée et aux nombreux travaux de réflexion sur la croissance et l'industrie française auxquels vous avez participé. Nous souhaitons avoir un éclairage sur les éléments qui ont structuré vos propositions et entendre vos réactions aux annonces faites hier au cours du séminaire gouvernemental.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Nous avons en effet le plaisir d'auditionner M. le commissaire général, que nous avions déjà accueilli en juillet dernier. C'est aujourd'hui en sa qualité de missionnaire de la compétitivité qu'il s'adresse à nos deux commissions - ce qui est en soi un premier succès, car nos périmètres respectifs semblent difficiles à réconcilier : tandis que l'économie a trait aux cycles de moyen terme, les finances s'attachent à l'immédiateté des choses, au rythme des marchés, aux résultats d'un exercice budgétaire. Or, votre réflexion s'efforce de tracer des pistes pour réconcilier court, moyen, et long termes. Nous sommes en outre sensibles au fait qu'il s'agit de votre première audition publique depuis la remise de votre rapport et les annonces, inattendues, du Premier ministre hier. Cet après-midi en séance publique, nous examinerons le projet de loi de programmation des finances publiques que les annonces d'hier modifient substantiellement.

Y a-t-il un problème de compétitivité-prix en France ? Nous avons entendu sur ce sujet de nombreuses thèses ces derniers mois. Comment vous situez-vous dans ce débat ?

Ensuite, vous préconisez un transfert de 30 milliards d'euros. Comment êtes-vous parvenu à ce chiffre ? Sous le mandat précédent, j'en étais venu à considérer que la TVA sociale n'aurait d'impact significatif qu'à partir d'un transfert de 30 milliards d'euros également, mais je souhaiterais savoir sur quelles données ou analyses macroéconomiques ou empiriques vous vous fondez pour calculer les effets de ce transfert sur la croissance, le commerce extérieur, l'emploi. Que ce transfert ait lieu à partir des cotisations patronales, salariales, ou les deux, et qu'il aille vers la fiscalité indirecte ou la CSG : en quoi cela constitue-t-il le meilleur choix possible pour l'intérêt général - qui reste notre objectif commun ?

M. Louis Gallois, commissaire général à l'investissement. - Je suis honoré d'être entendu par vos deux commissions réunies. L'exercice auquel je me livre n'est pas facile : j'ai remis mon rapport avant-hier, le gouvernement a pris des décisions hier. J'essaierai par conséquent de naviguer, aussi adroitement que possible, entre les deux...

La logique d'ensemble du rapport est fondée sur un diagnostic sévère : le décrochage industriel de notre pays est non seulement avéré, mais il s'accélère depuis une dizaine d'année. Les 22 mesures principales que je propose visent d'abord à stopper ce dérapage. Soutenir l'investissement est le plus urgent ; il y faut un choc de compétitivité, autrement dit un choc de confiance. Il s'agit ensuite de procéder à une reconquête industrielle. Celle-ci demandera du temps, de la persévérance, et l'appui indispensable des Français, puisque ce magnifique projet collectif porte sur notre modèle économique et social. Ce rapport a au moins le mérite de faire naître un débat. Personne ne conteste plus la réalité, ni la nécessité d'agir. Engager les efforts nécessaires imposera enfin de renouveler le dialogue social à tous les niveaux : celui des entreprises, des branches, comme au niveau régional et national. Nous devons rebâtir un pacte social analogue à celui que les Français ont su nouer à la sortie de la seconde guerre mondiale, mais qui est aujourd'hui à bout de souffle.

L'industrie française, sauf exceptions, n'a pas réussi sa montée en gamme. Par conséquent, elle se trouve prise en étau entre d'une part les industries qui sont parvenues, par leur montée en gamme, à se dégager de la pression mortifère des prix - Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Danemark, Suède, Italie du Nord - et d'autre part celles qui bénéficient d'une structure de coûts plus avantageuse, dans les pays émergents ainsi qu'en Europe de l'Est, ou en Espagne. Celle-ci devient en effet un pays à bas coût, comme en témoigne l'amélioration rapide de sa balance commerciale.

M. Philippe Marini, président. - L'Espagne, ce n'est pas un modèle !

M. Louis Gallois. - Il n'y a pas de modèle. J'observe toutefois que l'industrie automobile s'installe en Espagne, pas en France...

M. Philippe Marini, président. - Nous ne souhaitons pas connaître le niveau de chômage espagnol...

M. Louis Gallois. - Le modèle allemand ne serait pas non plus applicable en France. Le problème de l'industrie française, c'est qu'elle est confrontée à ces divers compétiteurs. Pour continuer à exporter, nos entreprises ont dû baisser leurs prix. Cet alignement vers le bas a rogné leurs marges, qui ont chuté de manière catastrophique ces dix dernières années, passant, dans le cas de l'industrie manufacturière, de 30 % à 21 %, contre une hausse de 7 points en Allemagne. L'écart de taux de marge entre nos deux pays atteint 15 %, soit 105 milliards d'euros. Par conséquent, la capacité d'autofinancement des entreprises françaises a plongé : à 64 %, elle se situe à un niveau historiquement bas depuis une trentaine d'années.

M. Philippe Marini, président. - Soulignons le paradoxe, selon ce schéma, qui veut que l'Italie gagne en compétitivité par rapport à nous, alors qu'elle est en détresse financière. Cette contradiction apparente souligne, s'il en était besoin, la différence entre le financier et l'économique.

M. Daniel Raoul, président. - Laissons M. Louis Gallois aller au bout de son exposé.

M. Louis Gallois. - L'Italie est compétitive sur le plan industriel. Elle connaît un excédent primaire de son budget et un excédent de sa balance industrielle. En valeur absolue, l'industrie italienne est plus importante que l'industrie française. L'Italie du Nord est la première région industrielle d'Europe ! Mais la dette contractée depuis de nombreuses années l'a placée dans une situation financière dégradée.

M. Philippe Marini, président. - Pourquoi alors être solidaire financièrement avec ce pays ?

M. Louis Gallois. - Cette question dépasse mes compétences. La baisse de notre capacité d'autofinancement empêche le décollage de l'investissement en France : celui-ci stagne depuis dix ans, nuisant à la montée en gamme. Cette situation est due à de nombreuses faiblesses structurelles. D'abord, le niveau élevé des dépenses publiques alourdit la fiscalité qui pèse sur nos entreprises.

M. Philippe Marini, président. - Aussi bien les grandes que les petites ?

M. Louis Gallois. - Oui, d'une manière générale. Ensuite, l'empilement administratif, la sur-réglementation, l'instabilité réglementaire brouillent l'horizon des entreprises. Ce point a été analysé par la commission Attali, mon rapport ne le détaille donc pas. Notre appareil de recherche et de formation n'est pas assez articulé avec le secteur industriel. L'épargne des Français n'est pas suffisamment dirigée vers le financement de celui-ci. Notre tissu industriel est trop éclaté, avec de nombreuses PME, mais trop peu d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) : si nous en avions une proportion équivalente à celle de l'Allemagne ou de l'Italie, elles seraient deux fois plus nombreuses ! Ajoutons à cela que la solidarité de notre tissu industriel est insuffisante : interrogez nos équipementiers sur les rapports qu'ils entretiennent avec les entreprises françaises et allemandes, ils vous confirmeront le manque de solidarité dont font preuve les donneurs d'ordre français avec leur chaîne de fournisseurs.

Notre dialogue social est peu productif et le marché du travail fonctionne mal. Dans 80% des embauches, le contrat à durée déterminée (CDD) ou l'intérim sont préférés au contrat à durée indéterminée (CDI), jugé trop rigide. Le marché du travail accuse alors une dualité qui oppose les salariés protégés sous CDI à des salariés à statut précaire dont les liens avec leur entreprise se distendent. Pôle emploi, malgré tous ses mérites, est submergé par la masse des demandeurs d'emploi qu'il ne peut accompagner correctement, et cette institution demeure trop éloignée d'un appareil de formation dont ne bénéficient que 9 % des chômeurs.

Le fatalisme n'est cependant nullement de mise car notre industrie a de nombreux atouts. De nombreux pays ont montré leur capacité à redresser une situation difficile : la Suède ; l'Italie, dont on pouvait croire l'industrie perdue en 2008-2009 ; le Canada, quoique la présence d'importantes ressources naturelles ait contribué au rétablissement. Nous avons des atouts sectoriels de premier plan : l'aéronautique, le luxe, la pharmacie, le nucléaire...

M. Philippe Marini, président. - Le nucléaire ? Je n'ai pas vu M. Placé...

M. Louis Gallois. - Je vois de nombreuses pépites dans tous ces secteurs. Nous avons des groupes mondiaux puissants, plus nombreux, en proportion, qu'en Allemagne ou en Italie : l'Air Liquide, Safran, Total, Danone... En matière de recherche, nous faisons partie des quatre ou cinq nations au monde présentes sur l'ensemble du spectre, bien que notre recherche soit insuffisamment articulée avec le secteur industriel. Notre productivité du travail est forte, mais croît à un rythme insuffisant ; et la productivité globale des facteurs de production, elle, stagne. Nous avons 35 000 robots, lorsque l'Italie en a 62 000, l'Allemagne 150 000. La génération des robots français est plus ancienne que celle des robots italiens. Le robot n'est pas l'ennemi de l'emploi, il contribue au contraire à le fixer en France.

Nous bénéficions de prix de l'énergie compétitifs, c'est un atout à préserver. L'Allemagne nous montre la voie : en dépit d'une facture énergétique plus élevée que celle de la France, elle assure aux industries électro-intensives des prix inférieurs à ceux pratiqués en France.

M. Philippe Marini, président. - Mais avec un prix de revient de l'énergie plus élevé !

M. Louis Gallois. - Oui. Enfin, nous avons des infrastructures et services publics de qualité, à l'exception de nos ports.

M. Philippe Marini, président. - La CGT est passée par là...

M. Louis Gallois. - Notre ambition industrielle est claire : il faut monter en gamme. Nous ne gagnerons pas la bataille des coûts contre la Chine. Nous devons parier sur l'innovation, la compétitivité, les secteurs d'avenir, en nous appuyant sur ce qui marche. Il nous faut reconstituer le club France. C'est un véritable appel au patriotisme. Nous n'y parviendrons pas sans développer les liens entre l'appareil de recherche et l'industrie, entre les grandes entreprises et les PME, entre les territoires. Voici le principal avantage comparatif allemand : le soutien inconditionnel à son industrie, quelles que soient les positions sur l'échiquier politique ou syndical.

M. Philippe Marini, président. - Est-ce une leçon pour le personnel politique français ?

M. Louis Gallois. - Pas du tout. Je dis que nous avons besoin de ce type de cohésion. Il nous faut avancer de manière ordonnée et cadencée et nous attaquer à la question cruciale, celle de l'investissement. C'est pourquoi je plaide pour une politique de l'offre. En tant que vieux keynésien, j'ai quelques difficultés à l'admettre, mais une politique de demande n'est plus en mesure de fonctionner sans mettre en péril notre commerce extérieur. En effet, lorsque la demande intérieure augmente de 1 %, nos importations augmentent de 1,4 %, et même 1,6 % à court terme...

Pour relancer la machine, il faut que les industriels aient envie d'investir. Or, ce sont les chefs d'entreprise qui prennent de telles décisions. Pour restaurer un écosystème favorable à l'investissement, mes préconisations tiennent en trois mots : reconnaissance, stabilité et visibilité.

Reconnaissance d'abord : les entrepreneurs doivent être reconnus comme des acteurs économiques essentiels, ils le méritent au même titre que les salariés. Stabilité ensuite : sur le plan réglementaire...

M. Philippe Marini, président. - Fiscal également ?

M. Louis Gallois. - Oui, aussi. Sur les huit premiers mois de l'année 2012, 41 textes relatifs à la gestion des déchets sont entrés en vigueur. Je connais une entreprise de taille intermédiaire qui a mis en place une cellule spéciale d'étude de la réglementation applicable...

M. Philippe Marini, président. - Elle pourrait vendre son savoir-faire...

M. Louis Gallois. - Je le lui souhaite ! La stabilité suppose également que les actionnaires n'entraînent pas les industriels dans la recherche de performance à court terme. Je propose deux mesures pour y faire obstacle : d'une part, un double droit de vote au bout de deux ans de détention des actions, sauf opposition de l'assemblée générale à la majorité des deux tiers ; d'autre part, l'entrée avec voix délibérative de quatre représentants du personnel aux conseils d'administration des entreprises de plus de 5 000 salariés, afin d'y équilibrer les points de vue.

La prévisibilité, enfin : l'État doit donner des repères aux entreprises, leur fournir des horizons de développement. Je propose la création d'un commissariat à la prospective pour coordonner les différents conseils existants, tels la conférence nationale de l'industrie...

M. Philippe Marini, président. - Ne pourrait-on en supprimer quelques uns ?

M. Louis Gallois. - Justement, je propose aussi que toute création d'une administration s'accompagne de la suppression d'une autre. Ce dont nous avons besoin, c'est d'une structure permettant aux acteurs de se parler, hors négociations formelles. Le commissariat général du plan avait le mérite de permettre aux gens de dialoguer sans enjeu, sans négocier.

J'ai proposé, pour créer ce choc de compétitivité, un transfert des charges sociales sur la fiscalité. Les charges sociales financent en partie un système assurantiel : il est normal qu'elles reposent sur le travail. Une telle assise se justifie moins s'il s'agit de financer des dépenses de solidarité. La fiscalité doit prendre le relai du financement des allocations familiales, d'une partie de la CMU, etc. Même si le plan du Gouvernement ne s'engage pas dans ce sens, pour des raisons compréhensibles, la réflexion devra être conduite par le Haut conseil du financement de la protection sociale. La France est l'un des rares pays européens qui fait supporter l'essentiel du financement de sa protection sociale sur le facteur travail dans les entreprises. Ce n'est bon ni pour l'emploi, ni pour les entreprises elles-mêmes.

Au risque de décevoir le président Philippe Marini, j'ai obtenu ces 30 milliards en additionnant en quelque sorte des choux et des carottes. Les 20 milliards de cotisations patronales sont un véritable transfert de nature à soulager les entreprises.

M. Philippe Marini, président. - Est-ce suffisant ?

M. Louis Gallois. - J'y viens. Les 10 autres milliards, des cotisations salariales, sont destinées à diminuer l'impact sur le pouvoir d'achat des mesures fiscales que je propose. Ces 30 milliards représentent la moitié de la perte de marge des entreprises depuis 2001 et le tiers de l'écart avec l'Allemagne. Nous faisons, de la sorte, la moitié du chemin. Est-ce suffisant ? Qu'il s'agisse des 20 milliards que propose le gouvernement ou de mes 20 milliards de transfert de charges sociales - seul le mécanisme diffère -, l'important est de créer un choc de confiance. Nous disons aux entreprises : voilà ce que la collectivité fait pour vous, le climat vous est favorable, la balle est dans votre camp.

Ce transfert est partiellement financé par l'augmentation du taux intermédiaire de TVA, qui rapporte environ 6 milliards d'euros. Je n'ai pas proposé de toucher au taux normal, sachant que le gouvernement y était hostile. J'ai retenu la CSG en raison de son caractère modulable, qui peut épargner les plus démunis. Je ne suis pas hostile à la TVA, qui présente l'avantage de s'appliquer aux importations, mais elle ne présente pas la même souplesse que la CSG. Soit dit en passant, je sais que je rends la CSG indisponible pour financer la sécurité sociale. Le gouvernement semble l'avoir anticipé : le relais sera pris par la réduction de la dépense publique.

M. Philippe Marini, président. - Il l'a annoncé... Mais entre les annonces et la réalisation, il y a parfois un monde.

M. Louis Gallois. - Je connais votre vigilance, monsieur le président, je ne doute pas qu'elle s'exercera. L'intention du gouvernement reste louable, et à ce stade, je m'en satisfais.

Je trouve le dispositif du gouvernement assez astucieux, et à certains égards, meilleur que le mien. Il n'est pas absurde de laisser la question des charges sociales à la négociation. Mais sur les 20 milliards, une partie revient à l'État par l'intermédiaire de l'imposition des bénéfices des entreprises. Or, les entreprises peuvent mettre à profit ces 20 milliards pour réduire leurs prix, embaucher ou encore investir. Je raisonnais donc sur 20 milliards bruts. Dans le dispositif du gouvernement, il s'agit de 20 milliards après impôt. Quoi qu'il en soit, les entreprises peuvent inclure ces montants dans leurs comptes pour 2013 et bénéficier d'un effet en trésorerie, renvoyant l'impact le plus important sur la fiscalité de 2014-2015.

M. Philippe Marini, président. - Dans l'immédiat, on adopte un budget pour 2013 qui fait l'inverse !

M. Louis Gallois. - Je propose également des mesures sur l'énergie. Je ne parle pas du coût du travail, non car je pense qu'il n'existe pas, mais parce qu'il faut regarder l'ensemble des coûts supportés par les entreprises. Or les coûts de l'énergie sont un atout français qu'il est indispensable de préserver. Les énergies renouvelables doivent être encouragées - et le commissariat général à l'investissement s'y emploie - mais nous devons veiller à ce qu'elles n'entraînent pas de hausse de la facture énergétique à moyen et long termes - nous savons que ce sera le cas à court terme. S'agissant du parc nucléaire, c'est à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) de décider si une centrale doit fermer ou non, en fonction du danger que son exploitation représente. Si une centrale, même vieillissante, n'est pas dangereuse, pourquoi s'en priver ?

M. Philippe Marini, président. - Autrement dit, 50 %, ce n'est pas raisonnable ?

M. Alain Fauconnier. - C'est insupportable ! Nous sommes venus pour entendre M. Gallois et il est sans cesse interrompu !

M. Louis Gallois. - Cela dépendra entièrement de l'évolution de la consommation d'énergie dans les prochaines années.

M. Philippe Marini, président. - Il ne fallait pas le promettre...

M. Louis Gallois. - Mon rapport est en outre favorable à la poursuite de la recherche relative aux techniques d'exploitation des gaz de schiste. Actuellement, la fracturation hydraulique telle que pratiquée aux Etats-Unis présente des risques. Des programmes de recherche sur les techniques sont engagés par les Américains, par les Anglais également. L'Allemagne a pris une décision en ce sens : la France pourrait s'associer à ce projet, voire proposer un programme européen !

La montée en gamme requiert aussi de l'innovation. Nous devons améliorer l'articulation entre l'appareil de recherche et l'industrie. Il ne s'agit pas de mettre celui-là à la remorque de celle-ci - ayant été directeur de cabinet du ministre de la recherche, je connais la sensibilité des chercheurs à ce sujet - mais d'ouvrir le dialogue avec l'industrie. Le mouvement est en train de s'engager, nous devons l'accélérer. L'innovation nécessite une forte collaboration entre les différents acteurs, pôles de compétitivité, instituts de recherche technologique, sociétés d'accélération des transferts technologiques...

J'en viens aux solidarités du tissu industriel. Il n'y a pas de miracle pour faire grandir les entreprises. Les obstacles à leur croissance sont nombreux. Mon rapport ne fournit pas une liste exhaustive des mesures pour les lever, mais donne des pistes, montre la direction. Transmission d'entreprise, financement des entreprises innovantes, lissage des seuils sociaux et fiscaux, soutien aux chefs d'entreprises par leurs pairs ou par des organismes dédiés... J'ai proposé que tout ceci fasse l'objet d'un small business act.

M. Philippe Marini, président. - Une idée qui figure dans les programmes de tous les candidats depuis dix ans ! Small is beautiful...

M. Louis Gallois. - Non, small doit grandir !

Deuxième aspect : les filières. L'État ne peut pas tout. Aux entreprises de prendre leurs responsabilités. Je propose que l'État accorde son soutien à des programmes de recherche lorsqu'ils sont menés par une grande entreprise en lien avec ses sous-traitants. Le soutien de l'État doit engager les filières dans leur ensemble. Le commissariat général à l'investissement applique déjà ce principe. Il faut en outre faire appel au patriotisme des chefs de grandes entreprises françaises : au-delà de leur engagement citoyen, il est dans leur intérêt d'avoir en France une chaîne de fournisseurs compétitive.

J'ai proposé que les grandes entreprises élaborent des chartes relatives aux relations avec leurs fournisseurs. L'expérience de l'industrie aéronautique est assez remarquable, bien qu'un peu isolée en France : elle est due au Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas), syndicat professionnel actif, qui réunit tous ses patrons une fois par mois. La conférence nationale de l'industrie est utile, mais les syndicats professionnels doivent néanmoins se structurer, ce qui implique que les entreprises leur versent davantage de cotisations. Les solidarités régionales sont essentielles. L'engagement croissant des régions dans le soutien à l'appareil productif est positif : celles-ci ont en effet une vision plus concrète et plus proche des entreprises de taille moyenne et intermédiaire.

La formation initiale est insuffisamment valorisée dans les métiers techniques, mal articulée avec les besoins de l'industrie. Je propose que les entreprises soient présentes dans la gouvernance du système éducatif technique et professionnel, et à l'inverse, que les entreprises s'engagent dans les formations en alternance. J'ai proposé le doublement de celles-ci sur cinq ans.

La formation continue représente, elle, 31 milliards d'euros, ce qui n'est pas rien. Un audit de l'efficacité du système serait du reste le bienvenu. Les durées de formation se réduisent. L'accent est davantage mis sur l'adaptation au poste de travail que sur l'employabilité globale des salariés. Au surplus, les moins qualifiés sont ceux qui bénéficient le moins de la formation continue. J'ai donc proposé la création d'un compte individuel de formation sur toute la vie active, avec un droit quantifié. Chaque salarié devrait gagner au moins une qualification durant l'ensemble de sa carrière.

Le crédit interentreprises pose un vrai problème : il représente en volume cinq fois le crédit bancaire. Il est utilisé par les grands donneurs d'ordre comme un outil de pression sur les fournisseurs. La loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 (LME) n'est pas respectée. Le fournisseur produit sur simple engagement de commande. La commande proprement dite est passée au dernier moment, juste avant réception des produits, afin de retarder le déclenchement du délai de paiement de soixante jours. Des sanctions administratives doivent être prises, car aucune entreprise n'ira se plaindre devant les tribunaux des agissements d'un gros client.

M. Philippe Marini, président. - Il faut donc multiplier les contrôles ?

M. Louis Gallois. - Depuis la LME, les commissaires aux comptes doivent rédiger un rapport sur les crédits clients et fournisseurs, mais ils ne le font jamais. Les chambres de commerce et d'industrie devront imposer aux commissaires aux comptes de procéder à ce contrôle.

M. Philippe Marini, président. - Bon courage ! Élisabeth Lamure et moi avons été rapporteurs de la LME. Déjà en 1978, jeune inspecteur des finances au commissariat au plan, j'avais rapporté sur le crédit interentreprises...

M. Louis Gallois. - Si on ne règle pas la question, notre industrie agro-alimentaire, soumise à la dictature des grandes centrales d'achat, continuera à péricliter.

L'épargne de long terme devra être placée dans les entreprises.

M. Philippe Marini, président. - Et la fiscalité ?

M. Louis Gallois. - Elle devra encourager ces placements. Il serait normal que les contrats d'assurance-vie en unités de compte aient une fiscalité plus favorable puisqu'il s'agit de contrats en actions, non en obligations.

La future banque publique d'investissement (BPI) est intéressante pour son effet de levier sur le financement de l'économie, en une période où l'argent va se faire rare pour les entreprises, du fait des contraintes prudentielles, Bâle III notamment.

M. Philippe Marini, président. - La BPI ne sera pas soumise à Bâle III ?

M. Louis Gallois. - Si, elle le sera, mais elle conservera un effet de levier. France Investissement a soutenu le capital investissement, qui s'est effondré depuis 2008, passant de 12,5 à 6 milliards d'encours. Le commissariat général à l'industrie devrait faire travailler tous les acteurs ensemble, sur l'innovation et les technologies génériques, la santé, les sciences du vivant et la transition énergétique.

La politique industrielle européenne reste trop générale. Au moins l'Union européenne a-t-elle une stratégie industrielle, mise à jour en août dernier. Malheureusement, celle-ci n'est pas déclinée dans des politiques, à l'exception de la politique du marché intérieur et de la politique de recherche. Le budget européen de la recherche va considérablement augmenter lors du prochain programme-cadre de recherche et de développement (PCRD). En revanche, l'Union européenne n'a aucune politique en matière d'énergie ou de matières premières. Cela me paraît très grave, d'autant que les choix énergétiques de l'Allemagne auront pour conséquence de relever le prix de l'énergie dans toute l'Europe. Pour les matières premières, la Chine, les Etats-Unis et certains pays émergents mènent une politique extrêmement affirmée. Si l'Europe ne se mobilise pas, elle sera bientôt dans la main de ses fournisseurs.

M. Philippe Marini, président. - Faut-il acheter des mines de métaux rares ?

M. Louis Gallois. - Quelques entreprises européennes en possèdent, mais elles ne travaillent pas de manière coordonnée.

Enfin, la politique monétaire extérieure, la politique de la concurrence et la politique du commerce extérieur posent problème. L'euro fort renforce les forts et affaiblit les faibles, ce qui accroît les inégalités entre les pays membres.

M. Philippe Marini, président. - Donc, vous êtes pour un euro ni fort ni faible.

M. Alain Fauconnier. - Arrêtez d'interrompre l'orateur ! Quel Zébulon !

M. Philippe Marini, président. - Cela soutient votre intérêt !

M. Alain Fauconnier. - Vous n'êtes pas mon professeur. Cessez donc d'intervenir sans cesse, ce n'est pas vous que nous sommes venus entendre !

M. Louis Gallois. - Je suis pour un euro qui soit à sa parité de pouvoir d'achat, soit 1,15 euro pour un dollar.

J'en viens au pacte social. Nous sommes dans une période qui peut devenir historique : trois négociations sont en cours, l'une sur le financement de la protection sociale, l'autre sur les instances représentatives du personnel et la dernière sur la sécurisation de l'emploi. Sécurité sociale, représentation syndicale et contrat de travail, tous trois créés par le Conseil national de la Résistance ! Il convient de renouveler le pacte social de 1946 qui est à bout de souffle, ce qui implique une vision large pour aboutir à des compromis d'ensemble. Les chefs d'entreprise recherchent souplesse, capacité d'adaptation et sécurité juridique. Les personnels veulent pouvoir s'exprimer, avoir du poids dans les décisions et être mieux protégés face à un monde instable. Voilà les composantes de l'équilibre à trouver. Et aucune politique de compétitivité ne réussira si la nation ne se rassemble pas autour des objectifs de la reconquête industrielle. (Applaudissements)

M. François Marc, rapporteur général. - Je remercie M. Louis Gallois pour la qualité de son exposé et son rapport synthétique, 60 pages seulement mais qui fourmillent de propositions fort utiles. Je rends hommage à son expérience de chef d'entreprise, à sa hauteur de vue : ses propositions sont ambitieuses, pragmatiques. Il a établi un diagnostic sans fard concernant l'industrie française. Il a su s'affranchir des querelles d'écoles et insister sur l'urgence à agir. Le gouvernement envisage déjà des dispositions sur lesquelles nous reviendrons cet après-midi. Ce qu'il propose ne modifie pas la trajectoire de redressement des finances publiques.

La mesure phare consiste en 30 milliards d'euros d'allègements de cotisations sociales. Quel en sera l'impact économique ? Comment en mesurer les effets ? Selon les simulations disponibles, si l'on veut créer des emplois, il faut plutôt concentrer les baisses de charges sur les bas salaires ; si l'on veut améliorer la compétitivité, il faut plutôt les concentrer sur des salaires plus élevés, comme ceux versés dans l'industrie. Pourquoi avoir proposé que les transferts de charge portent sur les salaires jusqu'à 3,5 fois le smic ? Quel serait l'effet de cette mesure sur le PIB et sur la balance commerciale ? En outre, son impact macro-économique sur les investissements dépendra de la manière dont les entreprises répercuteront la baisse des cotisations sur les prix, les investissements ou la distribution des bénéfices. Pourquoi ne pas avoir conditionné le bénéfice des allègements de cotisations aux investissements réalisés ?

Des fiscalités alternatives ont été évoquées : que faut-il entendre par fiscalité écologique ? Quel dynamisme en attendre ?

Dans son rapport de septembre 2012 sur la sécurité sociale, la Cour des comptes proposait d'intégrer les allègements généraux de charges dans le barème des cotisations sociales - cela aurait pour vertu de mettre fin à l'affichage d'une forte ponction sur les salaires bruts, qui fausse l'appréciation des coûts et noircit le tableau...

Votre rapport préconise de ne pas modifier le crédit d'impôt recherche (CIR), qui bénéficie pour les deux tiers à l'industrie alors que les allègements de cotisations sociales que vous proposez ne lui profitent que pour un tiers. Pourquoi dès lors avoir écarté une réforme du CIR ? N'aurait-on pu le renforcer ?

Vous souhaitez que l'on recherche de nouvelles techniques d'exploitation des gaz de schiste. Mais l'Amérique du Nord dispose de 60 % des réserves connues, l'Europe de seulement 3%. Cela provient sans doute en partie d'une moindre prospection en Europe, mais est-on sûr que les réserves en Europe aient une importance analogue ?

Parmi les causes structurelles de décrochage de l'industrie française, vous dénoncez une mauvaise articulation entre la recherche, l'innovation, la formation et l'industrie. Les investissements d'avenir n'ont-ils pas amélioré la situation ? Une part de ceux-ci n'a pas encore été engagée : pourquoi un tel retard quand on clamait, en 2009, l'urgence de la situation ? L'enveloppe résiduelle sera-t-elle réservée aux filières industrielles ? Si oui, sous quelle forme ?

M. Martial Bourquin. - Je remercie également M. Louis Gallois pour la qualité de ses propos et de son rapport, qui ne doit pas rester lettre morte. Je me suis réjoui que le gouvernement, sur la base de ce rapport, présente dès hier ses mesures pour améliorer la compétitivité. Mais ne nous y trompons pas, ce sont avant tout les mentalités qui provoquent l'échec français. Pourquoi un tel échec ? Nous avons rédigé, Alain Chatillon et moi-même, un rapport sur la désindustrialisation et les chiffres que vous citez révèlent une nette aggravation de la situation. L'idéologie post-industrielle a été funeste : à chaque fois qu'une société fermait, on croyait qu'une entreprise de service prendrait le relais. L'industrie était présentée comme une nuisance avec son cortège de pollutions, jamais comme un atout essentiel. Les pays qui ont surmonté la crise de 2008-2009 sont ceux qui avaient une véritable politique industrielle.

Vous sonnez le tocsin et vous avez raison. Les relations entre donneurs d'ordre et sous-traitants sont malsaines. Les PME de l'agro-alimentaire sont presque dans une situation d'esclaves par rapport à leurs maîtres de la grande distribution. M. Jean-Claude Volot a accompli un travail extraordinaire lui aussi. Il faudra une évolution législative pour simplifier la loi LME et pour que les commissaires aux comptes soient contraints de mettre en relief les problèmes rencontrés avec les sous-traitants.

Vous proposez un choc de compétitivité : le glissement de la fiscalité des entreprises vers les ménages pouvait provoquer un choc de récession. Du reste les Etats-Unis et le FMI craignent que l'Europe ne s'enlise dans la récession en menant des politiques presque déflationnistes. Ne faudrait-il pas restaurer une taxe carbone ? Les propositions du gouvernement contournent le problème, mais ne faudrait-il pas encourager une fiscalité européenne sur le carbone, ce qui ne serait ni une mesure frileuse, ni une marque de défiance à l'égard de l'Asie ?

M. Philippe Marini, président. - Elle pèserait sur l'industrie !

M. Martial Bourquin. - Essayez d'écouter, M. le Président, et arrêtez d'intervenir à tout propos. Pendant une heure, vous avez gêné M. Louis Gallois.

M. Philippe Marini, président. - Je l'ai gêné ? La prochaine fois, j'éviterai de vous gêner et il n'y aura plus d'audition conjointe avec la commission de l'économie. Ce sera plus simple. Vous serez ainsi entre vous : il y a quatre socialistes à la tribune, je suis différent et vous avez du mal à l'accepter !

M. Louis Gallois. - Vous n'avez pas le droit de me classer ainsi ! Je n'ai la carte d'aucun parti et je ne peux accepter ces propos ! (Applaudissements sur divers bancs)

M. Martial Bourquin. - L'avenir de l'industrie française devrait transcender les courants.

M. Philippe Marini, président. - Et vous parlez d'une taxe carbone qui ne pèserait que sur l'industrie : bravo !

M. Alain Fauconnier. - Arrêtez, Zébulon !

M. Martial Bourquin. - En Allemagne, l'industrie est une priorité, quelles que soient les alternances politiques.

Le pays bénéficie également d'un facteur de compétitivité important à travers le prix des logements. Le prix du mètre carré construit y est de 1 300 euros, contre 3 500 euros en France, ce qui pèse terriblement sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens.

Une question demeure : un allègement de charge induira-t-il systématiquement de l'investissement productif ? Dans la restauration, certaines entreprises ont tiré parti de la baisse de la TVA pour investir, d'autres n'ont fait qu'engranger des bénéficies supplémentaires. Comment faire pour traduire ces allègements de charge en investissements ?

M. Louis Gallois. - M. François Marc m'a demandé comment centrer sur l'industrie les 30 milliards d'euros. Il n'y a pas de miracle. J'ai proposé d'aller jusqu'à 3,5 smic, car plus on monte dans les salaires, plus la mesure profite à l'industrie et aux services à haute valeur ajoutée - l'industrie est bénéficiaire de 35 % de la mesure. En y ajoutant les services de transport, de nettoyage, de gardiennage, on arrive à 50 %. Le dégrèvement sur les charges sociales que je propose, comme le CIR, ne cible pas uniquement l'industrie mais il a un impact direct ou indirect sur elle.

Le rapporteur général m'a également interrogé sur l'impact macro-économique de mes propositions. J'ai été très déçu par les modèles économiques que nous avons fait tourner car... ils n'intègrent pas l'investissement ! Celui-ci n'est pris en compte que par le biais des consommations intermédiaires qu'il engendre. Quand l'investissement a diminué de 14 % dans les entreprises en 2009, la perte de PNB a été de 1,5 %. Quoi qu'il en soit, il faudrait rebâtir une modélisation, en incluant l'investissement. Les modèles actuels, je n'y crois pas, ils sont trop frustes.

Si j'ai proposé 30 milliards d'allègements de charges, c'est que nous risquons d'assister à l'effondrement de l'investissement industriel dès 2013 et l'impact sur la croissance en serait aussi important qu'en 2009. C'est un changement de climat qu'il faut créer.

M. Philippe Marini, président. - Ces réformes s'appliqueront-elles dès 2013 ?

M. Louis Gallois. - Elles se retrouveront dès cette année dans les comptes des entreprises, comme pour le CIR.

M. Philippe Marini, président. - Mais en 2013, ce seront aussi 10 milliards d'impôt supplémentaires !

M. Louis Gallois. - Pour évaluer l'impact macroéconomique, il faut faire tourner les modèles, je ne suis pas capable de me prononcer.

J'ai manqué de courage sur la fiscalité écologique : j'ai parlé de taxe carbone, mais il aurait fallu s'attaquer au diesel. Faut-il maintenir les avantages fiscaux ? Cela me démangeait d'en proposer la suppression. Cependant, 80 % du parc français d'automobiles roule au diesel et le coût de l'essence est déterminant pour de nombreuses personnes qui travaillent...

Il n'est pas sûr que les allègements de charges bénéficient aux investissements. D'abord, il faudra que les financements externes - notamment la BPI et l'épargne longue - viennent relayer les investissements internes. Mais si le climat est favorable, l'investissement repartira. Tous les chefs d'entreprise disent vouloir investir en France.

Noircir le tableau sur les coûts salariaux ? Pour ma part je ne parle pas du coût du travail, mais des marges, qui prennent en compte tous les coûts et les prix, orientés à la baisse sous la pression internationale. A 20 % de marge, les entreprises n'investissent pas, faute d'autofinancement.

Le CIR est un bon instrument et ses effets sont globalement positifs : c'est pourquoi je propose de ne pas y toucher, même s'il peut être amélioré.

Personne ne sait ce qu'il en est des réserves de gaz de schiste : j'entends dire tout et son contraire, mais seuls trois pays européens semblent avoir un potentiel : la Grande-Bretagne, la France et la Pologne. Le seul moyen de le confirmer est de procéder à des forages, mais nous n'en sommes pas là : les techniques d'exploitation devront s'améliorer, ce qui n'exige d'ailleurs pas des investissements particulièrement importants. Les Américains surestiment probablement les réserves françaises pour obtenir des permis d'exploration.

Je veux rendre hommage à mon prédécesseur au commissariat général à l'investissement, René Ricol, dont le travail a été remarquable et qui a déjà débloqué 27 milliards d'euros sur les 35 milliards prévus pour les investissements d'avenir. Nous ne sommes pas encore au niveau de l'Allemagne avec les instituts Fraunhofer, un appareil de formation professionnelle performant et un apprentissage extrêmement développé, mais un mouvement se dessine : à nous de l'encourager.

Je partage l'avis de M. Martial Bourquin sur les mentalités : les Français ne croient plus suffisamment aux progrès techniques parce qu'on ne leur en montre que les aspects négatifs, jamais les potentialités. Le principal risque pour notre pays n'est pas de prendre des risques, mais de n'en prendre aucun. Pour les sous-traitants, je me suis largement inspiré du rapport Volot dont les remarques sur le crédit interentreprises sont pertinentes : si l'on ne parvient pas à un accord entre les centrales d'achat des grandes surfaces et l'industrie alimentaire, cette dernière sera laminée. J'ai proposé un choc de compétitivité sur deux ans, à raison de 10 milliards par an. Le gouvernement reporte ce choc.

M. Philippe Marini, président. - Avec 10 milliards de plus ou de moins, il ne se passera rien.

M. Louis Gallois. - Je ne suis pas un spécialiste de l'immobilier, mais je sais que le coût du logement induit une pression considérable à la fois sur le revenu et sur la mobilité des ménages.

M. Jean Arthuis. - Je salue votre rapport, M. Louis Gallois : peut-être vivons-nous un moment historique. Vous nous invitez à sortir du déni de réalité et à lever un certain nombre de tabous. Il est de notre responsabilité collective d'aller au bout de cette logique. Il y a quelques années, M. Michel Camdessus, chargé d'une commission de réflexion sur la croissance...

M. Louis Gallois. - J'en étais membre !

M. Jean Arthuis. - ...avait parlé d'un risque de décrochage sous anesthésie. Il semble qu'on soit enfin sorti de l'anesthésie et que l'on constate le risque de décrochage.

Vous n'hésitez pas à parler d'un choc de compétitivité et vous soulignez l'urgence d'agir. Cependant, vous n'allez pas toujours au bout de votre démarche : les cotisations destinées à financer la politique familiale, pas plus que les cotisations maladie ne doivent reposer sur les entreprises. Mais êtes-vous sûr que 30 milliards suffiront ? Ne faudrait-il pas aller au-delà ? Puisqu'il faut privilégier l'offre, pour créer de l'emploi, l'heure n'est-elle pas venue de taxer la consommation, avec l'accompagnement pédagogique nécessaire, pour mettre un terme à ces débats enflammés qui nous condamnent à ne rien faire et à nous rendre complices du déclin ?

M. Michel Teston. - Comment faire pour que les allègements de charges servent bien à réduire le coût des produits et à créer des emplois, non à augmenter les marges des entreprises ?

M. Serge Dassault. - Il n'y a pas que des manchots en France : certaines entreprises marchent bien, notamment dans les secteurs aéronautique, spatial, électronique, informatique. Vous avez passé sous silence les 35 heures qui plombent la compétitivité et qui coûtent chaque année à la France 21 milliards d'euros. La participation est essentielle au dialogue social, elle sert à faire la paix : les chefs d'entreprise et les syndicats ne sont pas des ennemis, ils doivent travailler ensemble.

M. Jean-Claude Lenoir. - Votre rapport rappelle la place essentielle de l'énergie, notamment nucléaire. La demande d'électricité va s'accroître, du fait des nouveaux appareils et des véhicules électriques qui vont se multiplier. Les coûts de l'électricité pourraient s'accroître, en raison de certaines pesanteurs que notre commission d'enquête sur les prix de l'électricité avait soulignées. Notre avantage compétitif risque de disparaître. La transition énergétique voulue par le gouvernement ne risque-t-elle pas de nous dépouiller de l'un de nos atouts majeurs ?

Vous estimez à juste titre qu'il faut renforcer le lien entre industrie et recherche. Le gouvernement ne devrait-il pas regrouper sous un même ministère ces deux domaines ? En 40 ans, seulement deux ministres se sont montrés très volontaristes : Michel d'Ornano avec l'électronucléaire entre 1974 et 1978 et Jean-Pierre Chevènement dont le directeur de cabinet était un certain Louis Gallois...

Enfin, si la question vous était posée dans les quatre ans qui viennent, accepteriez-vous d'être Premier ministre ?

Mme Marie-France Beaufils. - Votre exposé était très intéressant, même si nous ne partageons pas toutes vos conclusions. Vous préférez parler des marges des entreprises plutôt que du coût du travail. Parlons d'un autre facteur : la rémunération des actionnaires, qui a vertigineusement augmenté. Vous avez dénoncé les objectifs à court terme des actionnaires. Pensiez-vous aux leveraged buy-out (LBO) ? Pour bénéficier du CIR, certaines grandes entreprises ont opportunément divisé leurs activités en petites unités filialisées. Les entreprises consacrent-elles suffisamment d'argent à la recherche ?

Mme Élisabeth Lamure. - Notre pays ne devrait-il pas s'appuyer davantage sur ses grands groupes pour développer ses exportations, sachant que les 200 premières entreprises françaises réalisent 50 % du total de nos exportations ?

Vous n'avez pas parlé de la durée du travail : une heure de plus dans la semaine serait indolore. Le gouvernement n'aime pas les chocs mais le Premier ministre a ouvert la boîte de Pandore.

M. Louis Gallois. - Trente milliards, est-ce assez, demande M. Jean Arthuis ? Je crois que nous sommes parvenus à un point d'équilibre pour provoquer un vrai choc tout en prenant en compte la situation financière et économique de notre pays. Lorsque M. Gerhard Schröder a présenté le programme Hartz, la croissance européenne était proche de 3 % et l'euro se négociait à moins de 1 dollar. Aujourd'hui, la croissance européenne est nulle et l'euro est à 1,30 dollar alors que sa parité de pouvoir d'achat avec le dollar se situe à 1,15.

Nous n'avons pas d'assurance sur l'utilisation des marges, M. Michel Teston. M. Arnaud Montebourg a beaucoup réfléchi à d'éventuelles conditionnalités, mais la mécanique aurait été infernale : les systèmes trop complexes sont sans impact. J'ai proposé un avantage fiscal aux bénéfices réinvestis, contre une taxation plus lourde des rachats d'actions. Espérons que le climat général portera les entreprises vers l'investissement : la balle est désormais dans le camp des entreprises et des syndicats. A chacun de prendre ses responsabilités.

M. Serge Dassault a raison de le souligner, beaucoup d'entreprises marchent bien. Mais quand on regarde la part de l'industrie dans le PNB, la France est en quinzième position dans la zone euro, avec derrière elle, la Grèce, Chypre, et le Luxembourg ; la part de l'industrie dans notre PNB s'est effondrée.

Je n'ai jamais été fanatique des 35 heures, mais il s'agit désormais d'un fait social établi. Le problème principal est ailleurs, il tient au taux d'emploi de nos concitoyens, qui rentrent particulièrement tard - 28 ans - sur le marché du travail et en sortent tôt - 58 ans - en moyenne. La population active est plus petite qu'ailleurs et les charges sociales qui pèsent sur elle, plus lourdes.

J'ai regretté les mesures fiscales qui ont touché la participation.

M. Serge Dassault. - La participation, c'est fondamental !

M. Louis Gallois. - M. Jean-Claude Lenoir, je ne crois pas, moi non plus, à une réduction de la consommation d'électricité : il faudra essayer de conserver un prix aussi bas que possible. Dans les 25 prochaines années, le gaz restera une énergie essentielle, mais il s'agit de savoir si on l'achètera à M. Bouteflika, à M. Poutine ou si l'on essayera de trouver d'autres sources d'approvisionnement. La principale énergie renouvelable, c'est l'économie d'énergie : elle est propre, rapporte immédiatement et ne provoque pas d'effets induits.

Un seul ministère pour l'industrie et la recherche ? Je ne peux être contre, mais je ne voudrais pas peiner Mme Fioraso ! Je ne répondrai pas non plus à la dernière question de M. Lenoir. Il oublie que je suis à la retraite.

M. Jean-Claude Lenoir. - Vous êtes donc disponible.

M. Philippe Marini, président. - Il faut continuer à travailler !

M. Louis Gallois. - Pour ceux qui n'ont pas connu des conditions de travail difficiles, pourquoi effectivement ne pas leur permettre de travailler plus tard ?

Mme Marie-France Beaufils a raison : les distributions de dividendes ont été généreuses ces dernières années, du moins dans les grandes entreprises françaises, car cela est moins vrai dans les PME. C'est pourquoi je souhaite favoriser le réinvestissement des bénéfices.

Il ne s'agit pas d'encourager les LBO, mais d'apporter aux entreprises de taille moyenne innovantes les fonds propres dont elles ont besoin pour innover. J'ai proposé de créer des actions sans droit de vote mais avec un dividende préférentiel que puisse accorder la BPI pour éviter de modifier la propriété de l'entreprise. J'ai également proposé que 2% des investissements des compagnies d'assurance soient orientés vers des entreprises non cotées. Il faut avantager ceux qui prennent des risques : la rente immobilière en France existe !

Certaines grandes entreprises ont contourné le plafonnement par la technique du saucissonnage, créant des filiales pour engranger plus de CIR. Il faudra y mettre un terme. La part de la R&D financée par les entreprises n'est pas particulièrement basse par rapport à nos voisins. En revanche, la part de soutien public à l'effort de recherche des entreprises est plus faible qu'en Allemagne, 1,4 % contre 5 %. En France, on privilégie la recherche publique et moins la recherche industrielle. L'objectif européen de 3 % pour la recherche à l'échelle de l'Union européenne doit être tenu : nous sommes à 2,2 % et les Allemands à 2,6 %.

Certes, Mme Elisabeth Lamure, les grands groupes doivent entraîner les entreprises de taille moyenne à exporter : certaines le font très bien, comme Michelin ou Safran.

Vous voulez augmenter la durée du travail, est-ce à rémunération constante ?

Mme Élisabeth Lamure. - Oui !

M. Louis Gallois. - Vous risquez de vous heurter à certaines résistances. (Applaudissements)

M. Philippe Marini, président. - Merci pour ces propositions, monsieur Gallois.

M. Daniel Raoul, président. - Nous vous remercions.

- Présidence de M. Daniel Raoul, président -

Stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques à l'horizon 2020 - Débat et présentation de deux propositions de résolution

La commission, en commun avec la commission des affaires européennes et la délégation sénatoriale à l'Outre-mer, organise un débat sur les régions ultrapériphériques, et examine deux propositions de résolution européenne n° 93 (2012-2013) de MM. Roland du Luart, Georges Patient et Serge Larcher, présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, relative à la stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques à l'horizon 2020, et n° 113 (2012-2013), présentée par M. Georges Patient au nom de la commission des affaires européennes en application de l'article 73 quater du Règlement, relative à l'Union européenne et au financement des régions ultrapériphériques françaises.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - Comme en avril dernier à propos de la réforme de la politique commune de la pêche (PCP), cette réunion est commune à la commission des affaires européennes, à la commission des affaires économiques et à la délégation à l'Outre-mer. Ce travail en commun est utile car les régions ultrapériphériques (RUP) sont souvent les oubliées de la construction européenne. Seuls trois États membres, à savoir l'Espagne, le Portugal et la France, disposent de RUP. Les autres États ne mesurent pas toujours que les RUP sont une chance pour l'Europe, de la même manière que l'Europe est une chance pour les RUP. Il est donc impératif de rappeler l'importance de celles-ci et la spécificité de leurs problèmes.

Notre réunion est une première étape. Nous allons examiner en commun deux propositions de résolutions européennes. La semaine prochaine, la commission des affaires économiques se prononcera sur les éventuels amendements à ces deux propositions de résolution. Troisième étape : le 19 novembre, le Sénat examinera ces deux propositions de résolution en séance publique.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Avec l'examen en séance publique du projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer, cette semaine est clairement consacrée aux outre-mer.

M. Serge Larcher, président de la délégation sénatoriale à l'Outre-mer. - Depuis plusieurs années, dans les plans de financement des projets dans les outre-mer, l'État a disparu et c'est l'Europe qui joue le rôle clé. Nous avons donc tout intérêt à suivre les décisions prises par l'Union européenne (UE) et sa stratégie à l'égard des RUP. Nous sommes aujourd'hui inquiets : une fois de plus, l'Union ne semble pas désireuse de prendre en compte les spécificités de nos outre-mer. L'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) n'est pas suffisamment utilisé. La délégation sénatoriale à l'Outre-mer a souhaité donc réagir à la communication présentée en juin dernier par la Commission européenne sur sa stratégie à l'égard des RUP en initiant une proposition de résolution européenne.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - Hier après-midi, la commission des affaires européennes a adopté, sur la proposition de notre collègue François Marc, une proposition de résolution européenne sur le cadre financier pluriannuel de l'Union européenne. Ce texte prend en compte la problématique des RUP. Cette proposition de résolution européenne va être transmise à la commission des Finances et devrait devenir résolution du Sénat.

Nous allons donc examiner tout d'abord la proposition de résolution initiée par la délégation sénatoriale à l'Outre-mer.

M. Roland du Luart, auteur de la proposition de résolution européenne. - Le 30 octobre, Georges Patient et moi-même présentions devant la délégation sénatoriale à l'Outre-mer, qui nous avait désignés comme co-rapporteurs, la proposition de résolution européenne que je suis chargé de vous exposer.

Les deux propositions de résolution que nous examinons aujourd'hui sont tout à fait complémentaires et l'on ne peut que se féliciter de cette synchronisation des travaux de la commission et de la délégation qui permettra de porter ces textes sur les fonds baptismaux de la séance publique le 19 novembre. L'onction du vote donnera toute sa solennité à la démarche qui pourra constituer un appui appréciable pour le Gouvernement dans les négociations à Bruxelles. Les instances européennes sont en effet attentives, nous l'avons vérifié pour la pêche, à l'expression de la représentation nationale ! Cet appui sera d'autant plus précieux dans un contexte budgétaire tendu, la présidence chypriote de l'Union entendant proposer 50 milliards de coupes budgétaires.

J'en viens au contenu de notre proposition de résolution. Le 20 juin dernier, la Commission européenne publiait une communication intitulée « Les régions ultrapériphériques de l'Union européenne : vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive », exposant la stratégie de l'Union européenne à l'égard des régions ultrapériphériques (RUP). Cette communication intervenait bien tardivement dans le processus des négociations puisque les propositions de la Commission sur le cadre financier pluriannuel avaient été publiées dès juin 2011 et celles sur le paquet réglementaire en octobre 2011.

Je vous dirai d'emblée que l'accueil réservé à cette communication par les RUP elles-mêmes, qu'il s'agisse des RUP françaises mais également des RUP espagnole (Canaries) et portugaises (Açores, Madère), a été extrêmement mitigé. Cela fut exprimé très clairement au Forum des régions ultrapériphériques, tenu à Bruxelles début juillet, et réitéré à la Conférence des présidents des RUP, aux Açores, en septembre. Le point de vue des deux députés européens que nous avons auditionnés le 11 octobre, MM. Younous Omarjee et Patrice Tirolien, avait la même tonalité.

En dépit de timides avancées relatives à la reconnaissance d'une diversité de situations caractérisant les RUP et à la nécessité de leur meilleure insertion régionale, ainsi que de grandes orientations stratégiques globalement acceptables, la communication de la Commission européenne reste largement redondante et incantatoire et reflète une position en net décalage avec les attentes et la situation concrète des RUP.

En réaction à cette approche de l'avenir européen des RUP qui n'est guère satisfaisant, la résolution que nous vous soumettons aujourd'hui s'articule autour de deux axes principaux et intègre les préoccupations exprimées à maintes reprises par ces régions : elle appelle ainsi à une prise en compte effective des contraintes et de la diversité de ces régions ; elle appelle également à une meilleure cohérence dans la mise en oeuvre des politiques européennes entre elles, les RUP étant trop fréquemment les victimes collatérales de leurs contradictions.

S'agissant de la première série de préconisations, qui vise à assurer la prise en compte effective des contraintes et de la diversité des RUP, il s'agit de plaider pour une stratégie européenne équilibrée prenant en compte effectivement, et pas seulement dans le discours, d'une part, à la fois le retard en termes d'équipements structurants des territoires et un contexte économique et social très dégradé, et, d'autre part, les contraintes propres aux RUP et la diversité de leurs situations.

Tout d'abord, et Georges Patient y reviendra tout à l'heure en présentant la proposition de résolution de la commission des affaires européennes, il nous est apparu nécessaire, dans le cadre de la politique de cohésion, de renchérir sur la demande d'un assouplissement de ce qu'il est convenu d'appeler en langue européenne « la concentration thématique », c'est-à-dire les critères d'objectifs auxquels doivent satisfaire les projets pour être éligibles aux fonds structurels. Je n'entre pas dans le détail des objectifs thématiques qui sera exposé ultérieurement avec la politique de cohésion.

Cet assouplissement en matière de fléchage des projets éligibles aux financements européens, ainsi qu'un abaissement du taux de concentration thématique devraient contribuer à éviter que ne se matérialise un décalage de plus en plus important entre les objectifs stratégiques ambitieux définis par la Commission européenne, axés sur la compétitivité et l'innovation, et la réalité du terrain qui appelle un rattrapage structurel.

En outre, les objectifs de développement ne pourront être atteints en l'absence de consolidation des secteurs traditionnels qui, eux aussi, ont besoin des aides européennes. Ces secteurs, garants de la cohésion sociale, constituent le socle de développement sans lequel l'émergence de secteurs innovants restera une fiction.

De même que la Commission européenne scande un discours incantatoire sur la nécessité de valoriser les atouts des RUP dans le développement d'une « croissance intelligente, durable et inclusive », en « (tenant) compte (de leurs) spécificités et contraintes » mais n'évoque que bien peu les nécessaires politiques de rattrapage, elle se contente d'inviter chaque région à « trouver sa propre voie vers une prospérité accrue, en fonction de ses particularités » et reste hostile à l'instauration d'instruments spécifiques d'aide aux RUP bien que, reconnaît-elle, « certains (...) aient fait leurs preuves ». Ainsi, en contradiction avec ce discours sur les atouts que représentent les outre-mer et, fait nouveau, la mention explicite et la reconnaissance de leur diversité, la Commission européenne veille à une interprétation et à une mise en oeuvre très restrictive de l'article 349.

En deuxième lieu, la proposition de résolution invite à mobiliser plus largement et plus fréquemment au bénéfice des RUP le fondement juridique de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

Conformément à la position traditionnellement réductrice de la Commission, sa communication de juin 2012 ne fait que de rares références à l'article 349 du traité qui justifie pourtant que des mesures spécifiques soient prises en faveur des RUP afin de tenir compte de leurs handicaps.

La France est déterminée à obtenir une meilleure utilisation de ce fondement juridique et nous pouvons, par notre résolution, peser dans les négociations et aider le gouvernement dans ce dossier majeur. Il s'agit de mettre en place un cadre global approprié qui pourrait prendre la forme d'un « règlement plurisectoriel en faveur du soutien aux filières d'avenir dans les RUP », à savoir des filières identifiées comme stratégiques et contribuant à leur désenclavement telles que les énergies renouvelables, les TIC, les transports, le tourisme ou encore une filière bois en Guyane. Ce mécanisme pourrait comprendre un programme - de type POSEI - d'aides aux entreprises et couvrant ces secteurs porteurs de croissance.

Il s'agit également de multiplier les déclinaisons sectorielles de l'article 349 afin de permettre l'adaptation des politiques européennes aux réalités des RUP. Cette prise de position, déjà martelée dans les négociations sur la réforme de la politique commune de la pêche (PCP), semble en voie d'aboutir pour ce secteur.

La prise en compte des contraintes spécifiques aux RUP sur le fondement de l'article 349 du TFUE doit enfin pouvoir se décliner dans les programmes européens horizontaux, tels que l'instrument financier pour l'environnement (LIFE) ou le programme « Horizon 2020 » pour la recherche. Il apparaît nécessaire, pour rendre effectif l'accès des RUP à ces programmes, d'assurer un accompagnement spécifique des porteurs de projet issus des RUP ainsi que des appels à projets spécifiques à ces régions.

L'accès des RUP à certains programmes horizontaux reste en effet aujourd'hui théorique, faute pour ces régions de pouvoir répondre aux critères d'éligibilité qui ne tiennent pas compte de certaines contraintes telles que, par exemple, l'éloignement. C'est ainsi que la jeunesse des RUP françaises se trouve largement privée du bénéfice du programme Erasmus dans la mesure où celui-ci ne permet pas la prise en charge financière du transport de l'étudiant originaire d'une RUP entre sa région et la capitale de son État membre.

Il apparaît par ailleurs nécessaire, pour compenser les handicaps structurels auxquels sont confrontés les acteurs économiques, de faire des aides d'État un levier plus efficace. L'article 107, paragraphe 3, du traité permet la prise en compte des spécificités des RUP. Compte tenu de l'éloignement géographique et de l'étroitesse de leurs marchés, les aides aux entreprises des RUP ne peuvent en effet être considérées comme des menaces à la libre concurrence. Il apparaît donc aujourd'hui indispensable que les taux actuels d'intensité et l'éligibilité des aides au fonctionnement valables dans les RUP soient maintenus et il serait même utile d'aller plus loin en introduisant un seuil de minimis spécifique à ces régions.

Enfin, il est singulier que la communication de la Commission n'évoque pas le cas particulier de Mayotte, collectivité en voie de « rupéisation ». Il convient que la Commission accorde une attention toute particulière à cette collectivité qui présente d'importantes spécificités et que de larges dérogations lui soient accordées sur le fondement de l'article 349 pour lui permettre de bénéficier effectivement des aides européennes.

La seconde catégorie de préconisations figurant dans la proposition de résolution souligne la nécessaire cohérence des politiques communautaires à l'égard des RUP : il s'agit de la problématique de la politique commerciale.

À deux reprises au cours des deux dernières années, le Sénat a souligné l'incohérence de la politique commerciale avec les autres politiques sectorielles de l'Union à l'égard des RUP. Je vous rappelle nos initiatives successives qui ont conduit à l'adoption de la résolution du 3 mai 2011 tendant à obtenir compensation des effets, sur l'agriculture des départements d'outre-mer, des accords commerciaux conclus par l'Union européenne, ainsi qu'à l'adoption de la résolution du 3 juillet 2012 visant à obtenir la prise en compte par l'Union européenne des réalités de la pêche des régions ultrapériphériques françaises.

La politique commerciale de l'UE constitue en effet une menace pour l'économie des RUP et entrave l'intégration régionale de ces régions.

La mise en cohérence de la politique commerciale avec les autres politiques communautaires doit notamment passer par l'évaluation systématique et préalable des effets des accords commerciaux conclus par l'UE sur l'économie des RUP, les mécanismes de compensation financière ne pouvant constituer qu'un pis aller et n'étant pas en mesure, à terme, d'empêcher la disparition de pans entiers de l'économie des RUP, en particulier dans le secteur agricole.

Dès sa communication de 2004, la Commission affirmait que « en ce qui concerne les nouveaux accords préférentiels de l'UE avec d'autres pays tiers, la Commission effectuera une analyse d'impact des effets de ces accords sur l'économie des régions ultrapériphériques ». Il est donc troublant de trouver une déclaration analogue de la Commission huit ans plus tard, dans la communication de 2012 : « les accords conclus par l'UE tiendront dûment compte des RUP, par exemple lorsque ces accords couvrent des produits fabriqués dans les RUP », dont l'application paraît loin d'être garantie. Encore une fois, il y a loin du discours aux mesures concrètes : les sombres perspectives pour les marchés de la banane, du sucre et du rhum en sont une illustration !

Ce constat justifie que nous prenions encore une fois une position très ferme sur cette question.

M. Georges Patient, rapporteur. - Mes chers collègues, vous ne serez pas étonnés que je vous appelle à adopter la proposition de résolution européenne que j'ai déposée avec le président Serge Larcher et notre collègue Roland du Luart. Il était impératif que la délégation sénatoriale à l'Outre-mer réagisse à cette nouvelle stratégie européenne pour les RUP, qu'a publiée la Commission à la veille de la conclusion de plusieurs négociations décisives pour ces régions : celle sur le cadre financier pluriannuel 2014 2020 et celle sur la nouvelle politique de cohésion de l'Union européenne pour la même période.

Je ne reviendrai pas sur le caractère décidément incantatoire des communications successives de la Commission au sujet des RUP. Malgré trois communications en dix ans sur ce sujet, la cause des RUP ne semble pas avoir avancé à Bruxelles, du moins pas dans certains bureaux. Je le regrette beaucoup évidemment. Cette dernière communication, publiée fin juin par la Commission, m'offre toutefois un motif d'espoir : pour la première fois, elle reconnaît la nécessité de prendre en compte la spécificité de chacune des RUP, et non simplement des RUP dans leur ensemble par rapport au reste de l'UE. Il nous faudra être vigilants sur la concrétisation de cette avancée.

La proposition de résolution qui est aujourd'hui soumise à la commission des affaires européennes me semble insister sur deux points majeurs : l'article 349 du TFUE et la nécessité de favoriser l'intégration régionale des RUP dans leur environnement géographique immédiat.

L'article 349 du TFUE, je le rappelle, prévoit que le Conseil adapte le droit de l'UE pour prendre en compte les handicaps des RUP, qu'il s'agisse de l'éloignement, de l'insularité, de la faible superficie, du relief et du climat difficiles, ou encore de leur dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de produits. Or, nous peinons à obtenir de la Commission, qui a le monopole du pouvoir de proposition au Conseil, la mise en oeuvre de cet article qui figure dans le traité et doit donc bénéficier aux RUP. Vous verrez dans la proposition de résolution que je vous soumettrai tout à l'heure, que cet article 349 doit également trouver à s'appliquer en matière fiscale et en matière de fonds structurels européens.

Le second point que je veux souligner dans la proposition de résolution que nous vous soumettons au nom de la délégation à l'Outre-mer, c'est la nécessité de faciliter l'intégration des RUP dans leur environnement géographique. Ce n'est que la contrepartie obligée de leur éloignement du continent européen. La délégation à l'Outre-mer insiste, à ce sujet, sur les obstacles que les accords commerciaux conclus par l'UE peuvent représenter pour cette intégration régionale. C'est un fait, je le déplore. J'évoquerai tout à l'heure une autre entrave à l'intégration régionale : les normes qui s'imposent dans nos DOM de la même manière que dans l'Hexagone ; cela asphyxie certaines productions, complique les échanges des DOM avec leurs voisins et rend souvent plus coûteux leur approvisionnement.

Comment l'UE peut elle encore ignorer l'incohérence entre, d'une part, son souci de faciliter l'intégration régionale des RUP, souci d'ailleurs manifeste dans ses propositions sur la future politique de cohésion et, d'autre part, l'application aveugle dans les RUP d'accords commerciaux ou de normes inadaptées ? Je ne m'attarde pas plus sur ces deux éléments essentiels de la proposition de résolution soumise à notre commission : mise en oeuvre de l'article 349 et cohérence dans la stratégie d'intégration régionale des RUP. Leur importance capitale explique qu'ils soient également défendus dans un autre texte que je vais vous soumettre tout à l'heure en mon nom propre.

Mais, pour l'heure, je vous invite à adopter cette proposition de résolution.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - Je vous rappelle le contexte de ces propositions de résolution : des décisions sont sur le point d'être prises s'agissant du budget de l'Union européenne sur la période 2014-2020. C'est un moment décisif : il s'agit de savoir quelle partie du budget sera consacrée à la politique de cohésion et, au sein de cette enveloppe, quelle part sera consacrée aux RUP.

Les deux propositions de résolution européenne que nous examinons aujourd'hui visent, d'une part, à sensibiliser le Gouvernement. La commission des affaires européennes a entendu M. Bernard Cazeneuve, ministre des affaires européennes, il y a deux semaines : il a indiqué qu'il réunirait les parlementaires des RUP et qu'il se rendrait dans ces régions. On ne peut que saluer cette décision. Il s'agit par ailleurs de faire savoir à la Commission européenne que, pour parler clairement, nous ne nous laisserons pas faire. Nous n'accepterons pas que ces crédits, essentiels au vu de la situation de ces territoires, soient diminués.

Je pense que cette proposition de résolution doit susciter une large adhésion sur tous les bancs.

La proposition de résolution européenne est adoptée à l'unanimité par la commission des affaires européennes.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - Nous allons maintenant entendre M. Georges Patient présenter à notre commission une autre proposition de résolution européenne, relative à l'UE et au financement des RUP françaises.

M. Georges Patient, rapporteur. - Le financement des RUP françaises se trouve largement tributaire des décisions qui vont être prises prochainement à Bruxelles. Deux sujets préoccupent particulièrement les RUP : l'avenir des fonds structurels européens et celui du régime de l'octroi de mer.

Concernant l'avenir des fonds structurels, il dépend du cadre financier pluriannuel dont l'Union européenne va bientôt se doter pour la période 2014-2020.

Sur la période 2007-2013, les RUP françaises sont les seules régions de la République française à être éligibles à l'objectif « convergence » et bénéficient d'une enveloppe de 3,2 milliards d'euros. Sur ces 3,2 milliards, 482 millions d'euros sont attribués au titre d'une dotation complémentaire qui est versée aux RUP, pour compenser les surcoûts liés à leurs handicaps structurels. Cette allocation additionnelle s'élève à 35 euros par habitant.

Ce soutien européen à l'investissement local est essentiel pour les RUP. Il exprime la volonté de l'UE de tirer parti des « atouts uniques qu'elles possèdent et de leur valeur ajoutée pour l'UE » : je ne fais ici que reprendre les mots de la Commission dans sa récente communication sur les RUP du 20 juin 2012. Effectivement, les RUP sont aux avant postes de l'UE dans l'océan Atlantique, les Caraïbes, l'Amérique latine et l'océan Indien. Elles représentent plus de la moitié de la zone économique exclusive de l'UE ; elles constituent aussi une réserve potentielle de ressources marines et un laboratoire en eau profonde unique pour la recherche. Leur biodiversité exceptionnelle offre également de nombreuses opportunités. Leurs situations géographiques permettent à l'UE de développer des activités spatiales, mais aussi d'exploiter certaines sources d'énergie renouvelables (éolienne, solaire, géothermique ou photovoltaïque). Des gisements de pétrole ont même été découverts l'an dernier au large de la Guyane.

Le Sénat devrait plaider pour que le cadre financier pluriannuel 2014-2020 traduise concrètement cette reconnaissance des régions ultrapériphériques (RUP) comme un atout pour toute l'Union européenne.

Car, pour l'instant, ce n'est pas le cas. La Commission européenne propose au contraire une baisse d'environ 43 % de l'allocation spécifique pour les régions ultrapériphériques (RUP), ce qui mettrait en péril la continuité des projets initiés pendant l'actuelle période de programmation. De fait, la Commission propose de ramener de 35 à 20 euros par habitant le montant de l'allocation spécifique RUP.

Par ailleurs, au-delà de la question de l'enveloppe budgétaire, il ne faut pas entraver la consommation des crédits dans les RUP et, pour cela, il faudrait adapter les règles aux situations locales, conformément à l'article 349 du TFUE. De ce point de vue, il serait utile d'aligner le taux de cofinancement pour l'allocation spécifique RUP sur celui prévu pour les fonds européens « classiques » en outre-mer, soit 85 % au lieu de 50 % aujourd'hui.

Dans le même esprit, il serait nécessaire d'adapter le « fléchage » des fonds aux réalités locales. En effet, la Commission propose que, pour les RUP, 50 % des crédits du FEDER soient consacrés à trois objectifs : la recherche et innovation, la compétitivité des PME et la promotion d'une économie à faible teneur en carbone. Les RUP doivent certes prendre ainsi leur part au succès de la stratégie Europe 2020, mais le retard que certaines RUP accusent en termes d'infrastructures justifierait plus de souplesse sur le fondement de l'article 349 du TFUE. A cet égard, le Sénat doit soutenir deux demandes : d'une part, exonérer de toute conditionnalité et de tout fléchage l'utilisation de l'allocation spécifique RUP, parce que, précisément, cette allocation est destinée à compenser les handicaps des RUP ; d'autre part, prévoir que l'affectation de la moitié des crédits du FEDER se fasse non pas sur trois mais quatre objectifs, le quatrième devant être laissé au libre choix des RUP.

En complément du FEDER et du FSE, les régions européennes peuvent mobiliser des crédits européens au titre de la coopération territoriale avec des collectivités ou États voisins.

Toutes ces possibilités pourraient être mises à profit pour favoriser l'indispensable intégration des DOM dans leur environnement géographique immédiat. Pour cela, il faut combattre l'idée que les crédits de coopération transfrontière ne devraient pas être mobilisés au-delà de 150 kilomètres des frontières de l'UE. Cette idée semble aujourd'hui abandonnée, mais nous devons en avoir confirmation.

Sur un plan plus général, il faut souligner que l'application stricte des normes européennes dans les RUP n'est pas cohérente avec la nécessité reconnue par la Commission européenne de promouvoir l'intégration des RUP dans leur environnement régional. Par exemple, les exigences phytosanitaires s'appliquant à la production du riz dans l'UE ont conduit la Guyane à délaisser cette culture, et à importer du riz des États voisins (comme le Suriname) qui ne respectent pas ces normes. Pour remédier à l'absurdité de telles situations, des adaptations des normes doivent être décidées chaque fois que nécessaire sur le fondement de l'article 349 du TFUE, pour mieux prendre en compte les réalités locales.

Le second sujet européen qui met en jeu le financement des RUP françaises est l'avenir du régime de l'octroi de mer après le 1er juillet 2014, date à laquelle expire la décision du Conseil de 2004 ayant autorisé le régime actuel.

Ce régime fiscal très ancien, puisqu'il remonte au XVIIème siècle, s'applique à la fois aux marchandises importées et aux biens fabriqués localement. Son taux de base diffère selon les régions : de 6,5 % à La Réunion à 17,5 % en Guyane. Dans chaque DOM, le Conseil régional, qui fixe les taux, peut décider d'exonérer totalement ou partiellement les biens produits sur place, ce qui crée de fait un différentiel de taxation par rapport aux produits importés. Une décision du Conseil de 2004 encadre ces différentiels de taux.

Les recettes générées par l'octroi de mer et l'octroi de mer régional représentent de 130 millions d'euros pour la Guyane à 366 millions pour La Réunion. Cela représente une part importante des recettes fiscales des collectivités, jusqu'à 90 % pour certaines communes guyanaises.

Or l'avenir de ce régime fiscal, qui déroge au principe de liberté de circulation des marchandises dans le marché intérieur, est incertain. Le régime actuel d'octroi de mer est encadré par la décision du Conseil du 10 février 2004 relative au régime de l'octroi de mer dans les DOM, qui a autorisé ce régime pour dix ans, jusqu'au 1er juillet 2014. Un rapport à mi-parcours était néanmoins attendu des autorités françaises afin de vérifier l'impact de ce régime.

Si la France a bien remis ce rapport en 2009, la Commission a jugé que son contenu ne permettait pas d'étayer sérieusement le bien-fondé du régime dérogatoire.

Or l'échéance du 1er juillet 2014 approche et la France n'a pas encore pris l'attache de la Commission européenne pour préparer l'avenir de ce régime fiscal. Or, les vingt mois qui nous séparent du 1er juillet 2014 ne seront pas trop longs pour mener à bien ce dossier et le Sénat doit marquer son inquiétude devant l'incertitude qui règne encore.

Plusieurs scénarios d'évolution sont envisageables, de la reconduction d'un dispositif d'octroi de mer simplifié et plus flexible, à l'évolution vers un système de TVA régionale permettant de maintenir un effet de soutien à la production locale, en passant par un scénario hybride mêlant les deux options.

Or le ministère des outre-mer ne semble travailler que sur l'hypothèse d'une reconduction de l'octroi de mer, moyennant quelques adaptations.

Le Sénat doit faire valoir que la piste de la TVA régionale mériterait aussi d'être explorée, même si elle représenterait un changement radical. Au vu des échanges avec la Direction générale TAXUD (Fiscalité et union douanière) de la Commission européenne, il m'apparaît que la Commission européenne attend des autorités françaises la présentation de différentes options, pour dégager celle qui serait la moins discriminatoire et la plus propice au développement économique local. Le Sénat doit donc demander au Gouvernement de s'atteler sans délai à cette tâche, pour que les RUP ne vivent pas avec l'épée de Damoclès d'un refus européen de prolonger le régime de l'octroi de mer.

C'est pourquoi je vous propose d'adopter la proposition de résolution européenne que je viens de vous présenter.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Pouvez-vous nous donner des indications sur la part que représentent les recettes de l'octroi de mer dans les recettes fiscales des collectivités d'Outre mer, afin que la commission des affaires économiques puisse se prononcer en toute connaissance de cause la semaine prochaine ?

M. Georges Patient, rapporteur. - Oui, nous pouvons évidemment vous les fournir sans délai.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - L'important est en effet de sécuriser le financement des collectivités territoriales dans les DOM.

M. Georges Patient, rapporteur. - Effectivement, tout nouveau dispositif qui viendrait se substituer au régime actuel de l'octroi de mer devrait être calibré pour préserver les recettes fiscales des collectivités.

M. Serge Larcher, président de la délégation sénatoriale à l'Outre-mer. - Les plus pessimistes à l'égard de l'avenir de l'octroi de mer inclinent à croire que tout droit de douane de ce type est incompatible avec les règles de l'Union européenne. En fait, il suffirait que le Gouvernement démontre que le régime de l'octroi de mer est un outil pertinent pour soutenir l'activité et l'emploi en Outre-mer. Jusque là, aucun rapport suffisant n'a été fourni à cette fin par le gouvernement français à la Commission européenne. Or, il devient urgent en 2012 d'apporter cette preuve. Le Gouvernement semble tabler sur une décision politique mais ce scénario n'est que la réplique de celui de 2004, lequel s'était soldé par l'octroi d'un délai de dix ans, que la France n'a pas mis à profit pour réfléchir. Nous sommes désormais dos au mur. Il importe donc, aujourd'hui, soit d'apporter la justification du bien-fondé de l'octroi de mer, soit d'imaginer un dispositif alternatif. Dans cette perspective, je souligne qu'une TVA régionale frapperait les services qui n'entrent pas, aujourd'hui, dans l'assiette de l'octroi de mer. Par ailleurs, la TVA suffira-t-elle à assurer aux collectivités territoriales un niveau de recettes équivalent à aujourd'hui ? Il est en tous cas urgent d'intervenir dans la mesure où l'État, en l'état actuel de ses finances publiques, serait incapable de combler le manque à gagner.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - Finalement, l'avenir de l'octroi de mer est une question française plutôt qu'européenne : c'est à la France, dans le cadre des règles européennes auxquelles elle a consenti, de trouver un dispositif équivalent et compatible avec ces règles. Le ministre des affaires européennes, que notre commission a entendu le 24 octobre dernier, a affirmé sa volonté de prendre ce dossier à bras le corps. Mais il est utile de lui dire notre inquiétude par cette proposition de résolution européenne, dont l'autre volet, consacré à la politique de cohésion, est également important, tant l'investissement local dépend des fonds européens.

M. Yannick Vaugrenard. - La France s'est-t-elle rapprochée des deux autres États membres directement concernés par la problématique des régions ultrapériphériques : l'Espagne et le Portugal ?

M. Serge Larcher, président de la délégation sénatoriale à l'Outre-mer. - Les députés européens de ces régions ont déjà l'occasion d'échanger au sein de la Conférence des députés des RUP qui les réunit. Et nous savons par ailleurs que l'Espagne, qui dispose d'un régime analogue à l'octroi de mer dans ses RUP, a déjà entrepris des démarches auprès de la Commission européenne pour assurer l'avenir, si bien que nos homologues sont beaucoup moins inquiets.

M. Yannick Vaugrenard. - Et, concernant la politique de cohésion, avez-vous rapproché vos points de vue avec vos homologues portugais et espagnols ?

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - En effet, trois États dont la France sont directement concernés au Conseil. Mais l'issue dépendra de l'ensemble de la négociation du cadre financier pluriannuel qui est encore cours.

M. Serge Larcher, président de la délégation sénatoriale à l'Outre-mer. - Je note que nous avons déjà adopté deux résolutions européennes dans les derniers mois, l'une sur la politique commerciale de l'Union, l'autre sur la pêche, et nous avons à chaque fois obtenu des résultats. Il est donc utile de mobiliser le Parlement national pour conforter la position des autorités françaises dans la négociation européenne, et un vote à l'unanimité de la proposition de résolution qui nous est soumise lui conférerait encore plus de poids.

A l'issue de ce débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne présentée par M. Georges Patient.

Nomination d'un rapporteur et fixation de délais limites de dépôt d'amendements

La commission procède à la désignation d'un rapporteur et à la fixation des délais limites de dépôt des amendements en commission sur les deux propositions de résolution européenne sur la stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques à l'horizon 2020.

M. Serge Larcher est nommé rapporteur :

- Sur la proposition de résolution européenne, présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, relative à la stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques à l'horizon 2020, adoptée sans modification par la commission des affaires européennes et contenue dans le rapport n° 112 (2012-2013) de M. Georges Patient ;

- Et sur la proposition de résolution européenne n° 113 (2012-2013), présentée par M. Georges Patient au nom de la commission des affaires européennes en application de l'article 73 quater du Règlement, relative à l'Union européenne et au financement des régions ultrapériphériques françaises.

En application de l'article 73 quinquies, alinéa 3, du Règlement, la commission des affaires économiques a fixé, pour ces deux textes, le délai limite de dépôt des amendements de commission au lundi 12 novembre 2012 à midi.

Loi de finances pour 2013 - Mission « Agriculture » - Audition de M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt

La commission auditionne Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, sur la mission « Agriculture » du projet de loi de finances pour 2013.

M. Daniel Raoul, président. - Nous sommes heureux d'accueillir M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, pour la présentation du budget de son ministère.

S'agissant de notre réunion de ce matin, je souhaite préciser que nous avons reçu M. Louis Gallois qui nous a présenté son rapport intitulé « Pacte pour la compétitivité de l'industrie française » et que nous avions invité la commission des finances à se joindre à nous, et non l'inverse.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. - Le budget de l'agriculture pour 2013 s'inscrit dans un double contexte, marqué en premier lieu par la réforme de la politique agricole commune (PAC), elle-même dépendante des nouvelles perspectives financières de l'Union européenne. La bataille a commencé après le sommet européen d'octobre, qui a réglé les problèmes relatifs au mécanisme européen de stabilité, à la supervision des banques et à la taxe sur les flux financiers. La position française est claire : nous voulons maintenir le budget de l'agriculture à son niveau actuel. Par conséquent, nous nous engageons à maintenir le budget global de l'Union européenne, sans remettre en cause par exemple la politique de cohésion. Si la France, comme elle avait décidé de le faire il y a quelques mois, ne défendait que la PAC, quitte à sacrifier les fonds de cohésion, elle perdrait inévitablement le soutien des pays d'Europe centrale, comme de l'Allemagne, l'Italie, ou encore l'Espagne. J'ai rencontré les ministres roumains, polonais, je rencontrerai le ministre hongrois bientôt, pour leur indiquer nos lignes directrices.

La nouvelle PAC prévoit la convergence vers un taux unique d'aide à l'hectare pour toute l'Europe. Des pays comme la France, l'Espagne, l'Italie, l'Autriche, l'Irlande ou la Suède vont aussi devoir sortir des références historiques pour aller vers un taux unique d'aide à l'hectare au sein de leur territoire. Chez nous, les aides variant de 400 à 170 euros par hectare, converger vers un taux unique impliquerait, dans certaines régions, des pertes de 100 à 120 euros par hectare. L'élevage et la polyculture-élevage, le secteur laitier en particulier, mais également les élevages bovins engraissés au maïs, en seraient fortement affectés. C'est pourquoi la France plaide d'une part pour une sortie des références historiques ne conduisant pas à un taux unique d'aide au niveau national dès 2020, objectif sur lequel nous avons l'accord de nos partenaires ; d'autre part, pour la possibilité de primer davantage les premiers hectares - les 50 premiers, dans notre projet. Cette dégressivité des aides serait inédite dans le cadre de la PAC. Nous n'avons pas encore gagné...

Le verdissement de la PAC constitue un autre élément fondamental. La France est favorable aux propositions de la Commission européenne visant à organiser un assolement diversifié avec trois cultures différentes par exploitation et arriver à 30 % de verdissement. En revanche, l'idée de constituer 7 % de surfaces d'intérêt écologique n'est acceptable qu'à la condition de coupler cet objectif avec celui de produire des protéines végétales, voire de la luzerne, intéressantes pour fixer l'azote. Toutes ces questions restent en discussion. Le débat à l'échelle européenne consiste donc pour l'heure à préserver les engagements du président de la République sur la diversité de l'agriculture française et européenne, en particulier de l'élevage.

Le deuxième élément de contexte est notre situation économique et budgétaire. Le budget de l'agriculture participe comme les autres à l'effort de réduction des déficits. Il faut adapter nos objectifs à des moyens très contraints. La France doit réaliser 10 milliards d'économies sur ses dépenses, effort équivalent à celui demandé aux ménages et aux entreprises. La mission « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » représente 3,4 milliards d'euros sur les 5 milliards de budget global du ministère - le reste étant consacré à l'enseignement agricole.

J'ai fixé un certain nombre de priorités. La jeunesse est la première d'entre elles. L'effort porte d'abord sur l'enseignement agricole : celui-ci fait partie du pacte éducatif présenté par le président de la République, et constitue de plus un outil à préserver pour conforter les mutations économiques et écologiques à venir dans l'agriculture. La dotation sur ce poste augmente de 2 % : 200 postes d'enseignement et 30 d'auxiliaires de vie scolaire individualisés seront créés dès la rentrée 2013.

M. Didier Guillaume. - C'est du jamais vu !

M. Stéphane Le Foll, ministre. - En effet. La Révision générale des politiques publiques (RGPP) a conduit dans la période récente à la suppression de nombreux postes dans l'enseignement agricole, y compris l'enseignement privé agricole, alors même que le nombre d'élèves progressait. Le système de plafonnement a limité cet impact dans l'enseignement public.

L'effort budgétaire du ministère consiste ensuite à aider les jeunes à s'installer. Le renouvellement des générations l'exige. L'objectif est simple, lisible et clair : augmenter d'un millier le nombre d'installations par rapport au chiffre de 5 000 installations aidées constaté en 2012. Pour y parvenir, 300 millions d'euros de crédits sont inscrits dans le budget 2013. Dans cette enveloppe, le Fonds d'incitation et de communication pour l'installation en agriculture (Ficia) a suscité la discussion. Une dotation de 11 millions d'euros avait été annoncée l'an dernier, mais en loi de finances initiale seulement 7,4 millions d'euros étaient prévus. Les 4 millions d'euros de différence seront trouvés sur la gestion globale du ministère, en particulier sur les directions régionales de l'agriculture et de la forêt. Le montant de 11 millions sera bien maintenu en 2013. J'ajoute que nous avons lancé des assises de l'installation, destinées à favoriser la concertation avec les jeunes agriculteurs, les mouvements ruraux de jeunesse chrétienne (MRJC) et tous ceux qui souhaitent redéfinir l'installation. Aujourd'hui, près de 70 % des installations se font hors cadre familial. Je suis d'ailleurs très satisfait d'observer que le président des Jeunes agriculteurs, un producteur de reblochon, n'est lui-même pas issu d'un milieu d'agriculteurs.

L'élevage est notre deuxième priorité. Même si le budget est contraint, nous avons souhaité préserver les aides existantes : la prime nationale supplémentaire à la vache allaitante (PNSVA) pour 165 millions d'euros, les indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) à hauteur de 248 millions d'euros, ainsi que la prime herbagère agro-environnementale (PHAE), 60 millions, soit un total de 473 millions d'euros. Vous allez m'interroger sur la modernisation des bâtiments d'élevage : mais dans un budget, il y a des choix à faire... Dès 2012, nous avons débloqué 10 puis 5 millions d'euros. En 2013, nous mobiliserons 20 millions d'euros supplémentaires sur le fonds de roulement actuel de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer). Je cible plus particulièrement les jeunes, afin que la modernisation des bâtiments agisse durablement sur la compétitivité de l'agriculture française. Les mesures agro-environnementales du deuxième pilier augmentent, elles, de 12 % : notre dispositif est donc parfaitement cohérent avec la stratégie européenne. L'élevage restera une priorité forte dans ce budget qui accuse une baisse globale de 3 %, et de 4,7 % sur la partie agriculture alimentation forêt.

Ma troisième priorité est l'emploi. Les exonérations de cotisations sociales bénéficiant aux travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi (To-De) font l'objet d'un débat récurrent et complexe. Dans la loi de finances pour 2012, ce dispositif était budgété à hauteur de 506 millions d'euros. La ligne inscrite dans le budget pour 2013 est identique. Or, durant l'année 2012, les dépenses de ce programme ont dérapé pour s'élever à 620 millions d'euros. Ce dépassement s'explique par l'efficacité du dispositif.

M. Gérard César. - Son succès !

M. Stéphane Le Foll, ministre. - Si l'on veut. Néanmoins, un dépassement avait aussi été constaté en 2011. Pourquoi la situation n'a-t-elle pas été anticipée en 2012 ? Nous réformons cette année le dispositif en mettant fin à l'exonération de la cotisation concernant les accidents du travail, et nous recentrons les exonérations sur les salaires n'excédant pas 1,5 smic. Le dépassement de 506 à 620 millions d'euros s'explique en effet par l'exonération des cotisations pour les travailleurs occasionnels payés au-delà de 1,5 smic. Ayant ramassé des pommes à une époque, je sais qu'il faut ramasser l'équivalent de 56 cageots pour gagner un smic. La plupart des travailleurs saisonniers en ramassent environ 45. Ont sans doute été intégrées dans le salaire des primes et des heures supplémentaires : dans ce cas les salaires se situent plutôt entre 1,5 et 2 smic. Nos exonérations s'appliquent à 1 à 1,25 smic et se réduisent jusqu'à 1,5 smic. Je précise que les heures supplémentaires ne doivent pas être prises en compte dans le calcul. Elles bénéficient d'un dispositif spécial d'exonération applicable aux entreprises de moins de 20 salariés - ce que sont les entreprises agricoles en général - sur le fondement du dispositif Fillon, et sont en outre défiscalisées en vertu du dispositif introduit par la loi pour le travail, l'emploi et le pouvoir d'achat (Tepa).

Nous nous sommes livrés, avec la mutualité sociale agricole (MSA), à un calcul pédagogique portant sur une exploitation maraîchère du Lot-et-Garonne. Celle-ci, de taille moyenne, passe dans l'année 14 contrats de travail saisonnier et rémunère 4 268 heures de travail pour 44 000 euros de masse salariale. Le travailleur saisonnier gagne autour de 1,1 smic, il accomplit en moyenne 14 heures supplémentaires sur la durée de son contrat. Dans ce cas de figure, le montant des exonérations To-De s'élève à 16 409 euros ; il n'est que de 14 329 euros avec notre nouveau dispositif, soit une perte d'exonération de 2 000 euros. Vous le voyez : on ne passe pas de 100 à 0, comme je l'ai entendu dénoncer. Le montant des exonérations passe ainsi de 1 100 à 1 022 euros, et la part des charges patronales exonérées, de 89 % à 82 %, à comparer aux 51 % auxquels le seul dispositif Fillon aurait donné lieu. Pour les heures supplémentaires, rien ne change. Il y a une perte, je l'assume, mais il ne s'agit ni d'une suppression du dispositif, ni d'un obstacle à l'embauche.

M. Didier Guillaume. - Dans ce budget, c'est la principale pierre d'achoppement... Les primes de précarité et les congés payés sont-ils compris dans votre calcul ?

M. Stéphane Le Foll, ministre. - Notre dispositif inclut les primes et les congés payés, à l'exclusion des primes de précarité. Nous proposons en outre de mettre fin aux exonérations de cotisations relatives aux accidents du travail : l'agriculture est le seul secteur à pratiquer cette exonération, qui entraîne une vraie déresponsabilisation.

Le rapport Gallois et la décision prise relative au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) changent quelque peu la donne depuis hier. Nous avons souhaité que cette mesure s'applique à l'agriculture et au secteur agroalimentaire. Notre maraîcher du Lot-et-Garonne recevra 2 640 euros de crédit d'impôt. Le taux d'exonération sur les charges patronales passe donc de 89 % à 92 % en année pleine. Si j'ai souhaité préserver le dispositif, c'est qu'il a un effet direct sur les emplois.

La filière bois est un autre chantier important. J'ai trouvé l'Office national des forêts (ONF) dans une situation extrêmement dégradée : malaise du personnel, situation financière fragile à cause de la détérioration du marché du bois... Je demanderai l'aide du Sénat pour réfléchir à cette question. L'engagement en faveur de l'ONF sera malgré tout maintenu à hauteur de ce que prévoit le contrat d'objectif et de performance dans le budget 2013 de mon ministère, soit 185,5 millions d'euros. J'ai été amené à réviser de manière significative le plan chablis établi à la suite de la tempête « Klaus » de 2009 ayant affecté la forêt landaise. Au passage, cultiver du maïs dans les Landes rapporte aujourd'hui près de 300 euros la tonne et je salue ceux qui continuent à produire du bois, ils assurent un service d'intérêt général ! Le plan relatif à la tempête Klaus avait été budgété à hauteur de 415 millions d'euros sur huit ans. Quatre ans se sont écoulés, 286 millions ont été consommés, 70 par an environ. Aux 32 millions prévus avant notre arrivée, nous en avons ajouté 12 par an pour les cinq années suivantes. La demande faite par les départements est évaluée à 80 millions d'euros : cela m'a semblé excessif. Néanmoins, il faut faire un geste : nous rajouterons ainsi 15 millions d'euros grâce au redéploiement de fonds issus du fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), pour arriver à 59 millions d'euros en 2013. Nous verrons s'ils sont consommés.

Mais compte tenu de la mauvaise situation sur le marché du bois, nous devrons trouver des recettes supplémentaires pour les forêts françaises. Celles-ci disposent d'un potentiel fort en termes de surface, mais faible en termes de rentabilité en raison de l'organisation de la filière, de l'éclatement des parcelles, et d'une gestion plus patrimoniale qu'économique. La balance commerciale forestière française est aujourd'hui déficitaire de 6 milliards d'euros ! Nous exportons du bois mais importons des meubles et des produits transformés ! Il y a véritablement un effort d'investissement, d'organisation de la filière et de gestion des forêts à fournir. L'Allemagne ou encore la Pologne replantent davantage que nous. Il faut adapter le choix des espèces au changement climatique, sélectionner des espèces plus rentables économiquement, tout en gardant à la forêt son rôle de puits de carbone, de gardienne de la biodiversité, de lieu de loisirs. Dans l'utilisation du fonds carbone, la priorité a été donnée au logement, mais il serait logique que la forêt en bénéficie également. Pour l'heure, j'ai obtenu du ministère du logement que l'isolation bois soit favorisée, notamment dans les contrats publics.

Mme Renée Nicoux. - Celle qui utilise du bois français !

M. Stéphane Le Foll, ministre. - Bien sûr.

Enfin, la politique d'alimentation et de sécurité sanitaire est dotée de 511 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, soit une augmentation de 4 %, traduisant la volonté du gouvernement dans ce domaine. Si le contrôle vétérinaire des abattoirs est aujourd'hui très difficile à gérer, la direction de l'alimentation doit conserver les moyens d'une bonne protection des consommateurs. Le contrôle sanitaire restera dans le giron de l'État, les intérêts privés pouvant en la matière être aisément juges et parties. Les crédits de cette direction ont été augmentés de 4 %.

La santé et la protection des animaux et des végétaux bénéficient également d'une augmentation budgétaire. Un effort particulier de 11 millions d'euros est réalisé pour lutter contre la tuberculose bovine. Soyons attentifs à ce que la France conserve le statut « indemne », sous peine de placer la filière dans une situation catastrophique, ne pouvant plus exporter. A cet égard, la Dordogne et la Côte d'or se trouvent aujourd'hui en situation délicate.

M. Claude Bérit-Débat. - Alors qu'ils avaient fait le pari de l'excellence...

M. Stéphane Le Foll, ministre. - Nous ne leur jetons pas la pierre, aidons-les. Nous travaillons sur de meilleures méthodes de gestion de la tuberculose bovine, mais cela nécessite un cadre européen clair : c'est en effet la Commission européenne qui donne les labels.

Enfin, le ministère de l'agriculture participe à la maîtrise des dépenses dans son fonctionnement, comme ses opérateurs. Ses moyens généraux diminuent de 3,2 %. L'Agence de services et de paiements (ASP) et l'Institut français du cheval et de l'équitation participent à cet effort. Globalement, les effectifs du ministère de l'agriculture seront réduits en 2013, comme l'année dernière et les années précédentes. La différence, c'est que nous créons 230 emplois dans l'enseignement agricole et en supprimons 280  dans la totalité du ministère.

Le budget de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, je le répète, s'élève à 3,4 milliards d'euros, 5 milliards en y intégrant l'enseignement agricole, sans compter les 10 milliards d'euros de la PAC. Si on y ajoute l'ensemble des dépenses de la sécurité sociale de la MSA, on atteint 28 milliards d'euros. L'agriculture reste un enjeu important.

Mme Renée Nicoux, rapporteur pour avis des crédits de la mission. - L'exposé est clair, le budget équilibré, malgré les efforts demandés à l'agriculture.

Les entreprises et les organisations professionnelles s'inquiètent de la modification du dispositif d'exonération de charges pour les contrats saisonniers. Celles qui versent des rémunérations supérieures à 1,25 smic s'interrogent sur leur compétitivité, par rapport à leurs concurrentes qui de l'autre côté de la frontière recourent à des salariés sous-payés, venant souvent des pays d'Europe centrale et orientale. Elles craignent une situation de concurrence déloyale. Mais peut-être accepterez-vous de déplacer le curseur de la dégressivité ?

La réforme de FranceAgriMer se poursuivra en 2013 : 20 millions d'euros seront à prélever sur son fonds de roulement. Avec une réserve prudentielle réduite à 9 millions d'euros, que se passera-t-il en cas de crise ? Le ministère est-il prêt, dans ce cas, à intervenir ?

Enfin, pour le renouvellement de la forêt, il serait juste que le fonds carbone soit mis à contribution !

M. Gérard César, rapporteur pour avis des crédits de la mission. - Je partage les craintes de Mme Nicoux au sujet d'une crise agricole : FranceAgriMer serait alors totalement démunie. L'établissement pourra-t-il s'appuyer sur le ministère ?

Envisagez-vous de relever les plafonds de la dotation pour investissements (DPI) et de la dotation pour aléas (DPA) ? Dans le secteur viticole, vous vous êtes également engagé lors de votre première audition à défendre les droits de plantation au niveau européen. Pourriez-vous nous le confirmer ?

M. Roland Courteau. - La bataille fait rage entre les gros et les petits...

M. Gérard César, rapporteur pour avis. - Enfin, les Américains, qui n'hésitent pas à mélanger les productions viticoles de plusieurs Etats convoitent notre appellation château. Quelle est votre position à ce sujet ?

M. Yannick Botrel, rapporteur spécial de la commission des finances. - Nous ne savons pas quelles réactions suscitera votre réponse technique au sujet de l'exonération des travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi agricole (To-De) parmi ceux qui nous ont fait part de leurs inquiétudes.

Les associations de remplacement en agriculture mettent à disposition des agriculteurs, en cas de maladie, d'accident ou de congé un personnel compétent, adaptable, formé et donc rémunéré à des niveaux supérieurs à la moyenne. Elles indiquent que la modification du dispositif d'exonération entraînera un surcoût de 15 euros par jour et par salarié. Comme Renée Nicoux, je serais donc favorable à un relèvement du seuil de ce dispositif à 2 smic.

Certaines distorsions de concurrence au sein de l'Union européenne mettent à mal des filières entières. Dans ces conditions, comment en faire émerger de nouvelles, notamment pour la production d'énergies alternatives ? La méthanisation connaît un succès considérable en Allemagne et peine à se développer chez nous : quand elle y parvient, c'est grâce à des machines allemandes, faute d'avoir su construire une filière intégrée en France. Nos exploitations ne sont donc pas compétitives.

Je partage également les interrogations formulées au sujet de FranceAgriMer.

Enfin, il semblerait que les autorisations d'engagement du plan de modernisation des bâtiments d'élevage soient en diminution de 50 % : pourra-t-on faire face aux nombreuses demandes à venir ?

M. Stéphane Le Foll, ministre. - Concernant les exonérations To-De, passer de 1,5 smic à 2 smic coûterait 50 millions d'euros. Or, les entreprises vont bénéficier du crédit d'impôt. En volume, l'aide va dépasser l'exonération précédente, et elle aura l'avantage de concerner les salariés permanents comme les saisonniers.

En 2012 avait été votée une exonération sur le travail permanent, financée par une recette de 210 millions d'euros provenant notamment de la taxe sur les boissons sucrées. Cette recette figure dans le budget mais les crédits correspondants n'ont jamais été distribués car l'Europe a considéré ce dispositif comme une subvention directe à une industrie, contraire au droit de la concurrence. Si l'instauration réelle de cette exonération avait été possible, croyez bien que le gouvernement de François Fillon l'aurait fait. Nous tenons à votre disposition les courriers de Bruxelles. Vous connaissez les problèmes que nous avons sur les plans de campagne, l'Europe nous impose un remboursement des aides et elle ne fait pas de cadeaux !

Enfin, ne nous cachons pas derrière notre petit doigt : il est difficile de lutter par des mécanismes d'exonération de charges contre le recours à des travailleurs provenant des pays d'Europe centrale et orientale, payés au prix de leur pays, comme la directive sur le détachement de travailleurs l'autorise. L'harmonisation fiscale et sociale s'impose. Les entreprises allemandes n'ont pas, dans le secteur agricole, de convention collective comme dans l'industrie...

Nous allons ponctionner à peu près 20 millions d'euros sur le fonds de réserve de FranceAgriMer, qui se monte à 50 ou 60 millions d'euros. Je préfère ne pas prévoir le pire, mais s'il se produit, il faudra trouver des solutions. Nous pouvons aussi utiliser la fongibilité des fonds régionaux, pour la modernisation des bâtiments d'élevage en particulier. A ce sujet, j'entends nous fixer des objectifs précis : les opérations doivent être structurantes. Pas de guichets ni de gaspillages comme on en a connu sur le programme de maîtrise des pollutions d'origine animale - plus de 40 % des exploitations mises aux normes ont aujourd'hui disparu.

Nous allons réformer la DPI et la DPA, car le système ne fonctionne pas. Les conditions d'accès à la DPA la rendent inutilisable - je songe à l'obligation d'assurance. Et l'on continue à défiscaliser l'investissement en matériel agricole avec la DPI. Nous voulons inscrire dans la loi de finances rectificative de fin d'année un rééquilibrage du système. L'achat de matériel agricole n'est plus comme dans les années soixante-dix un critère de modernisation. J'ajoute que les machines achetées proviennent de l'étranger et contribuent à creuser notre déficit commercial.

L'élevage reste une priorité. J'intégrerai aussi dans cette réforme les stocks longs et en particulier les stocks fourragers : un éleveur pourra investir et défiscaliser ses réserves. Les agriculteurs pourront ainsi se prémunir contre la sécheresse. En outre, nous assouplirons les règles du compte bloqué. Et ce ne sont pas les pressions des organisations syndicales agricoles et des céréaliers qui nous motivent.

Je me bats pour préserver l'appellation château au niveau européen. J'ai tiré la sonnette d'alarme dès le mois de juillet, et je suis intervenu à nouveau en septembre. La France est seule, et l'on a agi dans son dos. J'ai indiqué mon désaccord au commissaire européen : si les Européens doivent faire des concessions aux Américains, que ce soit dans un paquet global. Et que l'on interdise l'appellation château lorsque les vins sont issus de mélanges !

Au départ, nous étions quatre pays à soutenir le régime des droits de plantation : la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne. Nous sommes aujourd'hui 13, les Roumains étant les derniers en date à nous avoir rejoints. Nous comptons bien convaincre les deux derniers pays producteurs qui manquent encore à l'appel. Le parlement européen s'est prononcé en notre faveur. Mais la Commission abrite des idéologues... Au prochain conseil agricole, un des pays ayant signé le document s'exprimera publiquement pour demander à la Commission un projet plus conforme à nos souhaits. Certains poussent dans un autre sens, notamment quelques négociants, y compris chez nous. Ne relâchons pas notre vigilance.

Je confirme que le crédit d'impôt sur le remplacement des agriculteurs sera maintenu pour deux ans : un amendement parlementaire soutenu par le gouvernement pourra être adopté.

Nous travaillons à un plan destiné à structurer notre politique en matière de méthanisation. Le cadre des groupements d'intérêt économique et écologique me semble excellent. Un soutien exploitation par exploitation n'est pas envisagé, il faut une politique structurante. Doit-on, pour obtenir la cellulose, faire comme en Allemagne, c'est à dire produire du maïs qui ira directement dans le digestat ? Je ne le pense pas : je préfère qu'on l'obtienne à partir de déchets autres que ceux d'une production agricole et alimentaire. Le digestat doit ensuite devenir un fertilisant. Nous aurons ainsi un cycle complet. Je ne peux plus accepter qu'en Bretagne, on achète de l'azote minéral alors que la production d'azote organique est excédentaire. Méthanisation, utilisation du digestat, cadre juridique, règles d'application dans les zones d'excédent structurel : il faut mettre en place un ensemble. Mon objectif n'est pas simple, mais j'y tiens.

Oui les crédits du plan de modernisation des bâtiments d'élevage sont réduits de 50 % : nous irons à l'essentiel en ciblant l'élevage, en mobilisant le fonds de roulement de FranceAgriMer et en jouant sur la fongibilité des lignes.

M. Daniel Raoul, président. - Bruxelles aura son mot à dire sur la norme des composts et des digestats ...

M. Stéphane Le Foll, ministre. - J'entends bien.

M. Didier Guillaume. - Dans la conjoncture économique actuelle, on aurait pu craindre une plus forte régression de ce budget : je salue donc les arbitrages budgétaires qui préservent la compétitivité de notre agriculture. Je me félicite également de votre volonté de réformer le système des DPI et DPA qui ne peut être maintenu en l'état. Les conseillers poussent les agriculteurs à s'endetter, pour acheter du matériel neuf. Or les dotations DPA ne sont pas utilisées parce que le mécanisme fonctionne mal ! Même en cas de fusion entre DPI et DPA, il resterait assez d'argent pour financer le relèvement du plafond des exonérations pour les To-De de 1,5 à 1,7 smic...

Autre sujet, l'assurance récolte. Dans mon département, un arboriculteur s'est assuré, cela lui a coûté 120 000 euros. Il a été sinistré - et remboursé en-deçà de ce qu'il avait payé. Résultat, l'année suivante, il n'a pas pu s'assurer à nouveau. Quand aurons-nous enfin une véritable assurance récolte ?

Enfin, comment ne pas parler du loup ? Des bêtes ont encore été égorgées ces derniers jours par ce prédateur. Menez-vous une réflexion en commun avec votre collègue ministre de l'écologie ? Sachez que les éleveurs ne veulent pas vivre de compensations, ils veulent vivre de leur exploitation. Il est urgent de leur réserver des zones. Je le dis avec force : pastoralisme et loup sont incompatibles.

M. Roland Courteau. - Je remercie le ministre de son action sur les droits de plantation. Nous attendons une proposition de la Commission européenne. Méfions-nous de l'administration européenne, sur ce dossier en particulier.

Je me réjouis de votre politique en faveur de l'installation des jeunes : 6 000 installations en 2013, 11 millions pour le Ficia. En effet, le nombre d'enregistrements comme chef d'exploitation aurait diminué de 38 % au cours des douze dernières années.

Les coopératives d'utilisation de matériel agricole (Cuma) ont eu du mal à financer leurs projets en 2011 et 2012. A quel montant s'établit l'enveloppe des prêts bonifiés aux Cuma en 2013 ? Enfin, les dispositifs fiscaux en faveur de l'investissement créent des différences de traitement entre les agriculteurs qui investissent individuellement ou collectivement : y aura-t-il une révision ?

M. Gérard Bailly. - Je partage un bon nombre de vos analyses, mais suis sceptique sur votre objectif de 6 000 installations. Nous y sommes tous favorables, mais plus qu'une prime, ce sont les charges qui sont déterminantes. Il faut aussi des candidats, et surtout, des installations pérennes. Les installations hors cadre familial ne sont pas les plus durables. Enfin, faut-il continuer à exiger l'apport de terres par les jeunes agriculteurs qui s'installent ? Ils vont les chercher de plus en plus loin et sont prioritaires. Mais autour du siège de l'exploitation, il n'y pas assez de terre pour alimenter le cheptel. On fait alors du zéro pâturage : une bêtise !

Les 50 premiers hectares que vous souhaitez primer davantage seront-ils calculés par exploitation ou par unité de travail homme (UTH) ? Je m'interroge également sur les grandes centrales d'achat. Comment les inciter à acheter français ? Il y a un travail à faire pour développer leur civisme. Enfin, j'ai évoqué avec mon collègue François Fortassin le problème du lynx. Faut-il attendre qu'un loup dévore un enfant, comme cela s'est produit en Irlande, pour que l'on prenne des mesures contre ces animaux féroces ? De plus en plus d'éleveurs déprimés quittent l'élevage ovin à cause des attaques de lynx sur les troupeaux. Notre taux d'importation de viande ovine est déjà de 50 %. De grâce, trouvons des solutions !

M. Philippe Leroy. - Je me réjouis de vos solides connaissances sur le dossier des forêts et du gaz carbonique. Vous avez sollicité le Sénat pour vous aider à obtenir un retour de la taxe carbone vers le budget de la forêt : le groupe forêt et bois du Sénat a décidé hier à l'unanimité de déposer un amendement sur l'article 30 de la loi de finances afin de faire bénéficier la forêt d'une fraction des crédits carbone.

M. Stéphane Le Foll, ministre. - C'est bien la première fois qu'on veut me donner de l'argent !

M. Claude Bérit-Débat. - Je remercie le ministre pour la clarté de son propos et sa franchise. Une précision sur les propos que vous avez tenus dans les Landes à propos du plan Chablis : vous ajoutez bien 15 millions aux 12 millions en 2013 ?

M. Stéphane Le Foll, ministre. - Oui.

M. Daniel Dubois. - Dans le département de la Somme, 48 exploitations laitières représentant 6 millions de litres de lait ont fermé cette année. En même temps, on assiste à une extension des zones vulnérables. Or, nous savons que le maintien de prairies permanentes joue un rôle essentiel pour améliorer la qualité de l'eau. Ne nous trompons-nous pas en imposant des normes drastiques aux éleveurs, qui maintiennent aujourd'hui des prairies permanentes, et seront contraints demain à cause de ces normes, d'arrêter leur activité ? Monsieur le ministre, serez-vous le premier ministre de l'agriculture qui n'impose plus aux agriculteurs de normes nationales plus exigeantes que les normes européennes ?

M. Gérard Le Cam. - Je me réjouis de votre soutien au plafonnement dans le cadre de la future PAC. Je tiens également à vous encourager sur les droits de plantation. Et je suis rassuré de vous entendre réaffirmer le rôle de l'Etat dans le contrôle de la sécurité sanitaire dans les abattoirs.

J'espère que les exonérations concernant les saisonniers seront accordées directement aux maraîchers, aux fruiticulteurs ou aux arboriculteurs, et non aux négriers des temps modernes qui leur amènent de la main-d'oeuvre.

Un mot de l'installation hors cadre réglementaire. Mon groupe demande depuis longtemps une aide à l'installation quelles qu'en soient les conditions. Pour l'instant seules les installations dans le cadre réglementaire peuvent être aidées par la puissance publique.

Où en est-on des normes Corpen, qui ont des effets désastreux, réduisant le temps de pâture des vaches laitières ? C'est un problème qui me tient à coeur, je vous ai déjà adressé une question écrite à ce sujet.

Quelles aides peuvent attendre les exploitants agricoles dont certaines parcelles sont classées en zones humides ? En Bretagne, elles peuvent représenter une part importante de certaines exploitations laitières.

Enfin, votre ministère peut-il se rapprocher du ministère de l'écologie concernant l'amiante dans les anciens bâtiments d'élevage ? En Bretagne, des milliers de mètres carrés d'anciens bâtiments s'effondrent à chaque tempête : les normes sont si contraignantes que l'on renonce à démanteler les bâtiments, qui tombent peu à peu en ruine... A quand une simplification, en particulier des normes concernant les plaques d'amiante - car c'est le flocage qui est de manipulation dangereuse ?

M. Joël Labbé. - Je partage ce qui vient d'être dit sur les normes Corpen.

Je connais votre détermination, monsieur le ministre. Elle sera indispensable pour espérer tenir nos objectifs, notamment de surface agricole bio : nous devions atteindre 6 % en 2012, nous en sommes seulement à 3,5 %, tandis qu'en Autriche on a atteint 17 %, en Italie 8,6 % et en Allemagne 5,9 %.

Nous venons d'achever, sous la présidence de Mme Sophie Primas, nos travaux sur les pesticides. Le plan Ecophyto 2018 coûte annuellement 140 millions d'euros, mais on est loin de la baisse de consommation de 50 % des pesticides attendue : depuis trois ans, elle a augmenté de 2,6 %. Il est temps de changer de modèle. J'apprends que le remboursement partiel de la taxe intérieur sur le gazole agricole représente deux milliards d'euros en 2013 : un beau cadeau fiscal... De même, 250 millions d'euros pour les agrocarburants, sur 6 % de la surface agricole nationale... Il y a deux agricultures, l'une qui souffre et lutte pour sa survie, une autre que l'on aide et qui n'en a pas forcément besoin.

Mme Sophie Primas. - Sur Ecophyto, je ne partage pas les conclusions de M. Joël Labbé. Le plan est lancé, c'est une bonne chose et je compte sur vous monsieur le ministre pour réaliser les ajustements nécessaires. Parmi les recommandations de la commission d'information, nous proposions de supprimer le plafond d'emplois à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), ce qui n'aurait pas d'incidence sur son budget, en partie alimenté par les recettes provenant de son activité liée aux autorisations de mise sur le marché.

M. Alain Bertrand. - Malgré les contraintes, les priorités de ce budget sont les bonnes : jeunesse, élevage, emploi. Je souhaiterais qu'on nous parle de convergence française entre la polyculture, les céréaliers et les éleveurs. J'aurais aimé que l'on supprime des niches fiscales pour pouvoir maintenir le budget de l'agriculture et même augmenter le budget européen.

De même, j'aurais aimé qu'on revienne sur l'extension de l'ICHN dans les zones sèches, un problème qui concerne la Lozère, l'Aveyron, le Cantal, la Haute-Loire et plusieurs départements du Massif central.

Didier Guillaume a cent fois raison au sujet du loup, il n'est pas compatible avec le pastoralisme. Nous avons rédigé une proposition de loi créant des zones d'exclusion et espérons rallier de nombreux élus, indépendamment de leur couleur politique.

Enfin, les sommes engagées pour le remplacement lors des congés seront bien déductibles de l'impôt : je m'en réjouis.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Quelle que soit l'évolution du prix des productions agricoles, le consommateur ne constate jamais la moindre baisse. Pourra-t-on un jour sortir de cette fatalité ?

Chaque année, le béton mange un nombre considérable d'hectares de terres agricoles. Envisagez-vous de vous rapprocher des ministères concernés pour stopper le phénomène ?

Le loup, le lynx ont été évoqués : où en est le dispositif simplifié d'indemnisation des dégâts causés par le gibier aux cultures ?

M. Stéphane Le Foll, ministre. - Faut-il fusionner DPI et DPA ? Ce qui est certain, c'est que le système n'est pas satisfaisant et qu'il faut le réformer rapidement.

J'ai constaté les limites de l'assurance récolte privée, surtout dans les zones où le risque d'aléas climatiques est élevé. Quand elle est possible, son coût est souvent prohibitif. L'Etat ne peut tout prendre en charge et nous devons réfléchir à un système mutualisé. Selon quelles modalités ? Doit-il être obligatoire ? Je n'ai pas encore la réponse.

Je travaille avec Delphine Batho sur la question du loup ; nous avons rencontré ensemble la Fédération nationale ovine (FNO) et notre discussion a été fructueuse. Nous devons faire comprendre aux défenseurs du loup que si l'on ne fait rien, le loup sera éradiqué hors de tout cadre légal. Et nous devons « faire comprendre au loup » qu'il risque sa survie en s'attaquant à des troupeaux. Nous allons mettre en place un dispositif de prélèvement et de défense. Je propose même la délivrance de brevets de louveterie à des chasseurs titulaires de permis de chasse et rapidement mobilisables sur le terrain. Nous avons travaillé avec un chercheur de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra). Aux Etats-Unis, des expériences ont été menées dans plusieurs régions. Il apparaît que la pression prédatrice a fortement diminué là où les loups ont été soumis à des mécanismes de défense et prélèvement. La gestion préventive, cela fonctionne ! Chaque ministre, dans ses attributions, n'a pas toute latitude. D'où l'intérêt de travailler en commun. Nous ne revenons pas sur la convention de Berne, mais sortons du débat caricatural entre l'éradication et la sauvegarde. Pour la première fois, un ministre de l'environnement parle de régulation.

Roland Courteau évoque les droits de plantation. A la Commission, certains sont convaincus que l'Europe doit conquérir les marchés mondiaux du vin. Leur logique est simple : pour réussir, il faut planter. Nous avons vu, avec l'expérience du Bordelais, où mène ce genre de logique. Je ferai mon maximum pour préserver les droits de plantation, et j'entends bien venir en Languedoc-Roussillon le jour où j'aurai obtenu ce succès.

Les crédits des Cuma diminuent. C'est un fait. Le vrai problème est qu'elles ont été organisées autour du matériel agricole. Aujourd'hui, nous devons reprendre le dialogue pour faire évoluer leurs missions.

Nous avons prévu de financer 6 000 nouvelles installations d'agriculteurs et aurons peut-être une bonne surprise : en Lorraine, le préfet m'indique que l'enveloppe est dépassée. Reste la question foncière : le débat entre l'agrandissement et l'installation ne date pas d'hier. Doit-on revenir aux Safer, à une politique de structure ? Nous traiterons de ces deux options dans le cadre de la loi d'avenir.

Gérard Bailly, les premiers hectares seront comptés par exploitation. Mais si dans un groupement, on passe de trois exploitations à deux, on comptera deux fois 50 hectares, non pas trois...

M. Gérard Bailly. - Les agriculteurs qui s'installent vont chercher des terres à des dizaines de kilomètres. Ils font l'aller retour en tracteurs, encombrent les routes et polluent. Ce n'est bon ni pour l'exploitation, ni pour la planète.

M. Stéphane Le Foll, ministre. - Cela fera partie de nos réflexions.

Sur la question des prix, une discussion est prévue le 21 novembre, associant les producteurs, les transformateurs, la grande distribution, pour définir un cadre contractuel plus satisfaisant, avec une clause de revoyure tous les six mois.

Pour le plan chablis Klaus, la dotation prévue en 2013 s'établissait à 32 millions d'euros. Dans les Landes, j'ai annoncé une dotation supplémentaire de 60 millions d'euros sur cinq ans, soit 12 millions par an. A quoi s'ajoute un redéploiement du fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) de 15 millions d'euros : le plan Chablis sera doté de 59 millions d'euros en 2013. Mais j'attends de voir si les crédits seront consommés.

Le fonds carbone doit alimenter le budget forestier et celui de l'ONF, à la condition que nous en profitions pour revoir nos objectifs. Un gros travail reste à fournir sur les coopératives forestières et l'organisation de la filière, pour mettre un terme à l'atomisation et la parcellisation. De véritables choix stratégiques devront être effectués, sur l'énergie-bois, sur le bois-matériau, les maisons de bois, les isolants. Enfin, la question des agro carburants de deuxième génération - la cellulose du bois pouvant produire de l'éthanol - doit être examinée. La filière bois est ancrée dans nos territoires : elle mérite que l'on se batte pour elle.

Nous avons inventé les normes Corpen pour rentrer dans le cadre de la directive nitrates, et nous avons fini par considérer qu'une vache dans une prairie pollue plus qu'une vache en stabulation. Or, le verdissement de la PAC consiste à maintenir des prairies permanentes. La technocratie n'a pas de quoi se vanter ! Quelle contradiction ! Il est vrai que la responsabilité est politique : nous avons refusé de poser les bonnes questions et préféré raisonner au coup par coup : à un problème sur l'eau répond une directive sur l'eau, à un problème sur les sols répond une directive sur les sols, et ainsi de suite. Segmenter ainsi les sujets nous prive de cohérence. Nous allons donc repartir à zéro et repenser le modèle dès son origine.

Un colloque se tiendra le 18 décembre au Conseil économique, social et environnemental. Nous y réfléchirons à un nouveau modèle de production : comment, simultanément, faire des économies sur les intrants, garantir la biodiversité, maintenir un taux important de matières organiques dans le sol, entretenir une vie microbienne, pour, en définitive, moins polluer et produire autant ? Le plan Ecophyto souffre lui aussi de la segmentation. Il a le mérite en tout cas d'obliger ceux qui le mettent en oeuvre à se poser des questions, sur la rotation, le choix des espèces, etc. Nous allons devoir nous battre ensemble, pour lever les résistances : ce sont les coopératives qui vendent de l'azote, des pesticides et des herbicides, il faut leur trouver des compensations, car nous n'avons pas l'intention de les faire disparaître. De même, faire du digestat un fertilisant supposera d'impliquer les coopératives. L'installation différenciée est un sujet difficile, qui risque de poser des problèmes d'égalité de traitement. Les assises de l'installation évoqueront le sujet.

L'extension des zones vulnérables a été mise en oeuvre par la France pour répondre à la Commission européenne : celle-ci estimant que la France n'appliquait pas suffisamment les dispositions de la directive nitrates. Un contentieux est pendant aujourd'hui devant la Cour de justice de l'Union européenne sur ce point. Notre marge de manoeuvre est faible. Nous essayons donc de repenser le système. En France, nous considérons par exemple de la même façon le fumier et le lisier sur paille, ce qui est ridicule. Dans l'élevage, il est possible de stocker du fumier sur place, en plein air, toute l'année. L'Allemagne, elle, procède de cette façon. En outre, nous essayons d'harmoniser les taux d'eutrophisation. De la sorte, nous devrions pouvoir répondre aux exigences de la Commission et de la Cour de justice sans traumatiser l'ensemble de la filière. Dans l'intervalle toutefois, nous pourrions être sanctionnés par le juge européen.

Nous étudions la possibilité d'alléger les normes relatives à l'amiante pour les bâtiments d'élevage.

M. Daniel Dubois. - Il n'y a aucun danger à enlever la tôle amiantée d'un toit !

M. Stéphane Le Foll, ministre. - Mais les règles sont tellement lourdes que personne ne s'y risque, et les toits peuvent tomber.

Le budget du plan Ecophyto représente 100 millions d'euros. Il sera maintenu.

Une discussion est en cours avec le ministère du budget sur la question du déplafonnement des emplois de l'Anses. L'agence fonctionne bien. A la suite de l'étude du professeur Gilles-Eric Séralini, je vais aller discuter avec la ministre allemande des protocoles d'autorisation des OGM.

Nous travaillons sur les problèmes posés par la présence de loups.

M. Alain Bertrand. - Les zones sèches se déplacent. Faut-il revoir le handicap attaché à ces zones ?

M. Stéphane Le Foll, ministre. - La question de l'extension des zones concernées par l'ICHN ne pourra être traitée que lorsque nous connaîtrons le cadre général européen.

La question de la répercussion à la hausse et non à la baisse des prix agricoles sur la consommation est complexe. Les prix agricoles ne sont pas seuls en cause. L'augmentation de la baguette de pain n'est pas davantage réversible avec la baisse du prix des céréales. Le prix est en effet composé de nombreux éléments indépendants du coût de production de la matière brute. Nous aurons lundi prochain une conférence de presse avec le professeur Chalmin pour présenter le nouveau rapport de l'Observatoire des prix et des marges, qu'il préside. Un document très intéressant montre comment fluctuent les marges. Les grands perdants en cas de crise peuvent être les transformateurs, plus spécialement les industriels de l'abattage porcin. Vous verrez sur quoi la grande distribution fait ses marges, et pour la première fois le raisonnement est fait en marge nette et non plus brute.

L'artificialisation des terres est un sujet global. L'augmentation de la fiscalité sur les transferts de terrain agricoles à d'autres usages, sur le fondement de la loi de modernisation agricole, a un effet de renchérissement. Les outils réglementaires en matière d'urbanisme peuvent être rendus plus stricts. Installer des ronds-points partout gaspille l'espace ; l'étalement horizontal des parkings - originalité française - également ; leur lessivage à chaque épisode de pluie est, en outre, une source de pollution non négligeable. Mon idée serait d'affecter à chaque mètre carré commercial un coefficient déterminant l'espace de parking autorisé, comme pour la construction d'habitations. La taille des parkings est de plus calculée sur les heures de pointe et ils restent vides la majeure partie de la semaine. La politique de lotissement a été analogue : en encourageant les lotissements dans des zones périurbaines, on a fait peser sur les acheteurs des coûts de transport élevés. On a, de plus, isolé les gens de leurs voisins, de la vie sociale de village. La géographie des votes des dernières élections témoigne de cet isolement. Dans la nécessaire revalorisation des bourgs et des villages, et la nouvelle socialisation de nos territoires, le Sénat a un rôle capital à jouer. Il nous faut trouver des réponses à ces nouvelles questions d'urbanisme.

M. Daniel Raoul, président. - Merci pour la pédagogie dont vous avez fait preuve.