Mercredi 14 novembre 2012

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président, et de M. Daniel Reiner, vice-président -

67e session de l'Assemblée générale des Nations unies - Communication

Lors d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission entend une communication de MM. Jean-Louis Carrère, Robert del Picchia, Marcel-Pierre Cléach et Christian Namy sur leur déplacement à la 67e session de l'Assemblée générale des Nations unies, du 8 au 11 octobre 2012.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Mes chers collègues, avec Robert del Picchia, Marcel-Pierre Cléach et Christian Namy, nous nous sommes rendus, début octobre, à New-York, à l'occasion de l'Assemblée générale de l'ONU.

Les rencontres et réunions organisées à notre attention nous ont permis de nous entretenir avec :

- aux Nations unies : le Secrétaire général M. Ban Ki-moon ; M. Jeffrey Feltman, Secrétaire général adjoint aux affaires politiques ; Mme Valérie Amos, Secrétaire générale adjointe aux affaires humanitaires et coordinatrice des secours d'urgence ; M. Edmond Mulet, Sous-Secrétaire en charge des opérations de maintien de la paix ;

- les ambassadeurs-représentants permanents du P5 : M. Li Baodong (Chine), M. Vitaly Tchourkine (Russie), M. Mark Lyall Grant (Royaume Uni), Mme Rosemary DiCarlo (RP-adjointe des Etats-Unis) ;

- M. Thomas Mayr-Harting, Chef de la délégation de l'Union européenne ; M Mohammed Loulichki, représentant permanent du Maroc.

- M. Vuk Jeremic, Président de la 67e Assemblée générale (Serbie) ainsi que M. Gert Rosenthal, représentant permanent du Guatemala, pays qui assumait la présidence du Conseil de sécurité pour le mois d'octobre.

La délégation a pu assister à une séance publique du Conseil de sécurité, consacrée au renouvellement du mandat de la FIAS (Afghanistan) puis à un briefing sur la situation au Sierra Léone. Elle a suivi l'examen du rapport du secrétaire général sur l'activité de l'organisation en réunion plénière de l'Assemblée générale.

Un déjeuner avec les représentants permanents de plusieurs pays africains (Mali, Tchad, Togo, Bénin, Côte d'Ivoire, Gabon, Burkina-Faso, Niger, Mauritanie), qui a constitué un moment très fort de notre visite, nous a permis un échange libre et nourri, particulièrement intéressant, sur la situation dans le Sahel et au Nord Mali.

Un débat autour de M. Youssef Mahmoud, expert du think tank IPI (Institut pour la paix Internationale, spécialiste des enjeux onusiens) a fourni des éclairages et des appréciations sur le bilan et les perspectives des printemps arabes, un an après. Enfin, un déjeuner organisé par le Consul général, M. Bertrand Lortholary, a été l'occasion d'échanges avec des analystes politiques américains et des journalistes sur les thématiques de la campagne présidentielle américaine et ses inflexions à un mois du scrutin. Le résultat de l'élection a pleinement corroboré les analyses qui nous ont été présentées.

Comme vous le voyez notre séjour a été occupé de manière dense par ces rencontres.

Le très grand intérêt de ces missions consiste en la juxtaposition des analyses et des positions des différents pays ou acteurs intervenant au sein de cet outil irremplaçable du multilatéralisme qu'est l'ONU, en dépit de ses défauts et de ses faiblesses. Il permet aussi de juger, dans cette enceinte, de la pertinence de nos choix diplomatiques, de la façon dont ils sont perçus et donc de situer l'action de la France dans le monde.

Il convient d'emblée de rendre hommage à notre représentation à l'ONU pour le très remarquable travail qui y est effectué. L'équipe rassemblée autour de notre ambassadeur, Gérard Araud, est de premier ordre. Les personnalités que nous avons rencontrées, ambassadeurs, responsables de l'ONU, nous ont tous vanté les mérites de notre représentation permanente à l'ONU. C'est un jugement des pairs qui mérite d'être souligné.

Avant de vous rendre compte des quatre principaux thèmes qui ont constitué la trame de nos entretiens, je voulais vous faire part d'une réflexion générale sur ce que je peux analyser de l'évolution actuelle de l'ONU et de la position que nous y occupons.

Le Conseil de sécurité est évidemment le coeur du système onusien. Notre statut de membre permanent nous assure une place et une influence dont il faut reconnaître le caractère exorbitant par rapport à la place réelle de notre pays dans le monde. Cette place, qui nous conduits, avec les Britanniques, à être à l'origine des deux-tiers des initiatives, est un atout fondamental pour notre pays. Il faut la préserver. Pour cela, contrairement à nos amis du Royaume-Uni, nous jouons la carte européenne. Je crois que c'est un bon choix qui n'est pas de nature, comme le craignent, ou feignent de le craindre, les Anglais, à remettre en cause notre appartenance au Conseil. Ceci pour une raison évidente qui est que l'ONU reste avant tout et je dirai, quasi exclusivement, une organisation des Etats et non des organisations régionales, aussi fortes soient elles.

Cette première conclusion est fondamentale : c'est notre intérêt national de jouer la carte ONU, afin de préserver notre statut, gage de notre influence internationale, et de promouvoir en son sein le rôle de l'Union européenne. Pour cela il faut évidemment soutenir notre représentation permanente et lui donner les moyens de son action.

Notre action au sein du Conseil de sécurité n'est évidemment pas isolée. Elle s'appuie sur l'accord du P3 (Etats-Unis - France - Royaume Uni) sans lequel rien ne se fait, mais aussi sur nos réseaux de pays amis, je pense notamment aux pays africains et au groupe francophone. Elle s'appuie aussi sur les fonctionnaires français qui travaillent à l'ONU, à tous les postes de responsabilité. De ce point de vue, il faut encourager la promotion de nos ressortissants aux postes intermédiaires où notre empreinte pourrait être plus forte.

Il faut également s'appuyer sur le Secrétaire général, M. Ban Ki-Moon, qui est un allié et un ami de notre pays dont il a appris la langue. Nous avons eu avec lui un entretien très chaleureux. Son deuxième mandat, que nous avons fortement soutenu, devrait être le moment de pousser la réforme de l'institution qui est tout à fait nécessaire.

Le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, a fait un certain nombre de propositions qui portent sur l'élargissement du Conseil de sécurité, sur la proposition d'un code de conduite sur l'utilisation du veto. Il a également avancé des propositions sur une agence de l'environnement, sur un renforcement des liens avec les émergents, et sur quelques autres thèmes.

Notre intérêt c'est d'avoir une ONU forte et active dans la gestion des crises internationales. Une perte d'influence de l'ONU rendrait le monde plus incertain, ce dont il n'a pas besoin, en déportant au niveau régional la résolution des situations de crises et en affaiblissant le corpus de règles internationales en en régionalisant l'application. Il faut éviter cela et lutter contre les tendances centripètes à une époque ou la multipolarité n'est plus un concept mais une réalité.

Or, que constatons-nous ? Les émergents, les BRICS, s'affirment, ainsi que les néo-émergents. Ces pays ne se considèrent d'ailleurs pas comme « émergeant » mais comme réémergeant après une parenthèse historique d'affaiblissement forcé dont on attribue la responsabilité à la politique coloniale des puissances occidentales pendant près de trois siècles. Comme la Chine, ils mettent en avant leur riche histoire. Avec eux ce sont de nouveaux souverainismes qui s'affirment et qui véhiculent des conceptions sensiblement différentes de celles de l'Occident. On le voit bien au travers de trois exemples :

- la contestation de la responsabilité de protéger par une affirmation absolue de la souveraineté des Etats et le refus de toute velléité de changement de régime,

- la conception de ce qu'est la démocratie, de ce que sont les droits de l'homme et singulièrement ceux de la femme,

- ou encore la reconnaissance des religions avec le débat sur le blasphème.

Laurent Fabius constatait dans une tribune que « Trop souvent, les Nations unies se présentent désormais comme une association de nations aux ambitions concurrentes. Des nations qui acceptent de s'entendre sur des objectifs limités à condition qu'ils correspondent à des intérêts conçus de manière étroite et sans prise en compte suffisante du long terme. »

Ce qui est, plus ou moins ouvertement, contesté aujourd'hui c'est la construction et l'existence même d'un corpus de règles fortement influencé, sinon dicté par l'Occident. Hubert Védrine le souligne depuis longtemps : la chute du mur de Berlin signe la fin de trois siècles de domination occidentale. Nous sommes engagés depuis dans un grand mouvement de rééquilibrage. Le blocage du Conseil de sécurité avec l'affaire syrienne et les vetos russes et chinois en est l'une des illustrations, même s'il donne, à mon avis, une fausse idée d'impuissance et de d'immobilisme. En fait, comme un plongeur qui remonte, l'ONU est à un palier de décompression. Ce n'est pas la première fois que cela arrive dans l'histoire de l'ONU. L'essentiel est, bien évidemment, de ne pas redescendre.

J'ai donné l'exemple de la Syrie mais nous pourrions également parler des négociations sur le changement climatique et de bien d'autres sujets en instance à l'ONU.

Sur ce palier les équilibres sont en train de changer. Il nous faut les accompagner. C'est en partie la raison pour laquelle nous sommes l'un des pays moteurs sur la réforme de l'institution et, en particulier, sur la question de l'élargissement du Conseil de sécurité. Le rôle de notre diplomatie doit être « d'engager » les pays émergents qui s'affirment aujourd'hui et de leur faire prendre conscience que leur montée en puissance leur donne des droits - qu'ils doivent exercer pleinement, notamment au Conseil de sécurité - mais aussi des devoirs.

L'ONU de demain, si elle dépasse le palier actuel, ne sera plus celle du monopole de l'Occident. Il nous faut faire de la place pour les nouvelles puissances et leur montrer qu'il est de leur intérêt de continuer à promouvoir les valeurs qui sont celles de l'institution : démocratie, droits de l'homme, libertés politique au service de la paix et du développement. Pour aboutir à ce résultat, il faudra partager. Je crois que la France peut, et doit, être l'un des instruments principaux de ce mouvement de partage. Elle doit être à l'avant-garde.

Lors de nos entretiens, nous avons abordé quatre sujets d'actualité qui sont, sans surprise, le Sahel et la situation au Nord Mali, la Syrie, la prolifération nucléaire, en particulier au Moyen Orient, et la question palestinienne.

Je passe la parole à Marcel-Pierre Cléach pour nous présenter nos entretiens concernant les deux premiers thèmes et Robert del Picchia conclura par l'Iran et la Palestine.

M. Marcel-Pierre Cléach. - Je vais aborder en premier lieu la situation au Sahel et dans le Nord Mali. Comme vous le savez, la France est en pointe sur cette question au Conseil de sécurité et à l'ONU en général. Le Président de la République a abordé cette question dans son intervention lors de l'ouverture de la 67e session et lors d'un « évènement » de haut niveau sur le Sahel. Il a redit de la manière la plus claire la volonté de la France de soutenir les autorités du Mali et ses alliés africains pour reconquérir le Nord et rétablir la souveraineté du gouvernement malien sur l'ensemble de son territoire. La préoccupation essentielle des ambassadeurs de la zone que nous avons rencontrés, c'est le danger extrême que constituerait le précédent d'une sécession et de la remise en cause de l'intangibilité des frontières en Afrique. La crainte est également celle de voir la contagion terroriste s'étendre sur l'ensemble des pays voisins.

Le jour de notre départ, notre représentation permanente présentait le projet qui est devenu la résolution 2071.

L'initiative française qui a été co-parrainée par les trois membres africains du Conseil de sécurité (Afrique du Sud, Maroc, Togo) et par l'Allemagne, l'Inde et le Royaume-Uni, comporte un dispositif en deux temps avec l'adoption rapide d'un premier projet de résolution comprenant essentiellement trois dispositions :

- une première disposition qui est un appel au dialogue politique ;

- une seconde qui est la demande faite aux autorités maliennes, en lien avec celles de la CEDEAO et l'Union africaine, de définir leurs besoins, c'est ce que l'on appelle un concept d'opération ;

- troisièmement, un appel à toutes les organisations à aider au déploiement de cette force.

Il y aura ensuite l'adoption d'une seconde résolution qui autorisera le déploiement de la force. Cette force est une force africaine et donc, la planification et la génération de force reviennent aux Africains et aux Maliens au premier chef, en coordination avec les pays africains.

Cette première résolution a été soutenue par les Russes et les Chinois. Ces derniers ne se privant néanmoins pas d'observer que le chaos actuel au Nord Mali résulte directement des opérations en Libye : « le Mali était un pays sans histoire avant que certains arsenaux libyens n'essaiment sur son territoire ». Ils condamnent également le coup d'Etat et tout ce qui s'apparente à une tentative de changement de régime. Au-delà de ces remarques, c'est bien la menace terroriste qui motive leur soutien.

Lorsque nous avons rencontré le Secrétaire général de l'ONU, M. Ban Ki-moon, il revenait de Paris. Il nous a affirmé qu'il partageait toutes nos préoccupations, mentionnant explicitement la menace que « les groupes terroristes » faisaient peser sur la stabilité dans la région, tout en mettant l'accent sur le volet humanitaire du problème (sécheresse, malnutrition). La nomination de M. Romano Prodi au poste d'Envoyé spécial est le signe de sa détermination à accélérer le mouvement. Ce dernier avait pour double mission de superviser la mise en oeuvre de la stratégie globale et de consulter toutes les parties prenantes, notamment la CEDEAO et l'UA pour arriver à présenter au CSNU un plan à la date butoir.

Nous avons pu constater la mobilisation des principaux responsables de l'ONU : le Secrétaire général adjoint aux affaires politiques, Mme Amos chargée des affaires humanitaires ainsi que le département des Opérations de Maintien de la Paix qui s'est dit lui aussi à pied d'oeuvre, faisant état des besoins supplémentaires qui se profilaient dans le domaine de l'appui logistique et de la planification militaire.

Lors du déjeuner que nous avons eu avec les ambassadeurs des pays africains limitrophes ou concernés, tous ont remercié la France et fait passer un message central : l'aggravation rapide de la situation au Nord Mali n'était pas un défi de nature locale. C'était l'ensemble de la région, voire du continent africain et de la Méditerranée qui étaient menacés, d'où l'importance d'une réponse globale, appropriée et vigoureuse.

Il existait toutefois des divergences de vues avec l'Algérie qu'il faudrait surmonter. Plusieurs se sont interrogés sur les motivations d'Alger qualifiées « d'illisibles et étriquées ». Attachée avant tout, selon certains, à perpétuer les conservatismes existants, l'Algérie aurait, dans ce dossier comme dans tous les autres, fait du statu quo une stratégie. En fait, l'Algérie poursuit deux objectifs : le premier est de contrôler la négociation et le second d'empêcher toute remontée des groupes terroristes vers le nord, sur son territoire.

C'est effectivement un risque très important car on peut imaginer que ces groupes s'enfuiront sans combattre en cas d'intervention mais qu'ils ne feront que se déplacer sur un immense territoire de 800.000 km².

A cette forte réticence de l'Algérie s'ajoutent les divergences d'analyse entre la CEDEAO et l'UA et les positions particulières de certains pays que plusieurs ambassadeurs ont regrettées.

S'agissant du processus politique, c'est aux autorités maliennes d'entamer des pourparlers avec les organisations qui se dissocieraient du terrorisme. Ce qui parait évident c'est que rien n'est possible sans le soutien des populations civiles et, en particulier, des touarègues. La venue de l'armée malienne dans le Nord pose un problème vis-à-vis de ces derniers, tout comme il conviendra d'être prudent sur la composition des forces de la CEDEAO qui interviendront. Notre collègue Jean-Pierre Chevènement a déjà attiré notre attention sur ce point.

Sur les aspects militaires il convient de former l'armée malienne, de l'entraîner et de l'armer, ce qui prendra entre 6 et 18 mois. Ces délais incompressibles posent du reste un problème puisqu'il faut également tenir compte des réserves maliennes sur une intervention étrangère sur son territoire et veiller à ce que la reconquête soit bien celle des Maliens eux-mêmes et donc de leur armée.

Au jour d'aujourd'hui il semble qu'un concept d'opération ait été adopté par les états-majors de la CEDEAO et qu'un accord soit intervenu pour l'envoi d'une force de 3 300 hommes pour une durée d'un an. Si cela est le cas, le Secrétaire général de l'ONU devrait présenter un plan d'action au Conseil de sécurité, lequel pourrait alors prendre les dispositions pour autoriser une intervention armée sous chapitre VII. Ce sera l'objet d'une nouvelle résolution.

Du côté français, nous aurons à interroger notre ministre de la défense sur la nature du soutien logistique que nous envisageons.

Deuxième grand thème de notre mission et de nos entretiens : la Syrie, qui est bien évidemment, l'autre sujet omniprésent à l'ONU en ce moment. La position de la France est en opposition frontale avec celles de la Russie et de la Chine. Notre pays appelle de la manière la plus claire à un changement de régime. Le 25 septembre dernier, le Président de la République affirmait à la tribune : « j'ai une certitude : le régime syrien ne retrouvera jamais sa place dans le concert des Nations. Il n'a pas d'avenir parmi nous. » Le président ajoutait « j'ai pris la décision au nom de la France de reconnaître le gouvernement provisoire, représentatif de la nouvelle Syrie, dès lors qu'il sera formé. » Le président a annoncé cette reconnaissance hier lors de sa conférence de presse.

Il y a quelques jours a été constituée une « coalition nationale des forces de la révolution et de l'opposition syrienne » sur le modèle de ce qui s'est fait en Libye. Est-ce l'amorce d'une opposition unie sans laquelle rien ne sera possible ? Quel sera le programme de cette coalition complexe pour définir le futur de la Syrie ? Il existe encore bien des incertitudes mais, dans un communiqué du 12 novembre, le MAE indiquait que « la France s'engage à oeuvrer aux cotés de ses partenaires et au sein des Amis du peuple syrien en faveur de la reconnaissance internationale de cette nouvelle entité comme représentant les aspirations du peuple syrien, conformément à l'engagement pris par le Président de la République, François Hollande ».

Le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, synthétisait bien la nature du problème auquel nous faisons face en déclarant à l'ONU en octobre dernier : « Comment faire en sorte que le changement de régime se fasse de la manière la plus pacifique possible et sans tomber dans un chaos encore plus grand ? ».

La délégation a pu constater le pessimisme de nos interlocuteurs et leur convergence de vue sur le caractère tragique d'une situation s'apparentant à une guerre civile. Sans surprise, les analyses et positions divergent sur la réponse à apporter et sur la nature des pressions à exercer.

Après avoir regretté l'inertie actuelle, le Secrétaire général a marqué son investissement personnel dans la recherche d'une solution. L'urgence était un arrêt de la violence. Il avait proposé au chef de la diplomatie syrienne de faire le premier pas en proclamant un cessez-le-feu unilatéral. Ban Ki-moon engagerait alors immédiatement un dialogue avec les forces d'opposition pour les convaincre de renoncer à l'option militaire. M. Brahimi commençait une tournée dans la région quand nous étions à New York avec pour objectif de convaincre les parties que la solution militaire était une impasse et de leur faire accepter un cessez-le-feu pour la fête de l'Aïd. On en connaît l'échec.

Dans l'immédiat, l'ONU fait un important travail humanitaire pour alléger les souffrances des populations. On compte aujourd'hui dans les quatre pays voisins près de 340 000 personnes réfugiées. Selon Mme Amos, Secrétaire générale adjointe aux affaires humanitaires, ce chiffre pourrait atteindre 700 000 d'ici la fin de l'année. Les problèmes se situaient en Jordanie, où il y a de fortes tensions dans les camps, et dans les zones proches de la frontière turque et bien sûr au Liban. Le Secrétaire général était très préoccupé par l'escalade des hostilités à la frontière.

La position russe a été exprimée de manière particulièrement vive par son ministre des affaires étrangères, M. Lavrov, lors de l'ouverture de la 67e session. Tout son discours visait à inverser la charge des responsabilités sur les pays occidentaux. Selon lui, ce sont les capitales occidentales du P5 qui, à travers une approche partiale et leurs encouragements actifs aux groupes d'opposition, poussent encore davantage le pays dans les affres de la guerre civile.

De son coté, la Russie se veut la garante du respect du droit international et de la Charte. Pour ce faire le ministre russe appelle tous les membres du Groupe d'action à confirmer les engagements souscrits à Genève. « C'est le meilleur moyen de faire cesser l'effusion de sang en Syrie » Il rappelle que la Russie a proposé au Conseil de sécurité d'adopter une résolution entérinant le Communiqué de Genève comme base pour l'ouverture de négociations devant mener à une période de transition, et regrette que cette proposition ait été bloquée. « Ceux qui s'opposent à l'application du Communiqué de Genève prennent une énorme responsabilité en insistant sur un cessez-le-feu qui serait imposé seulement au gouvernement syrien, et en encouragent ainsi l'opposition à intensifier les hostilités ». Le ministre russe estime qu'en réalité, « ils ne font que pousser la Syrie encore plus loin vers l'abîme, dans le chaos des luttes intestines sanglantes ». 

Selon le ministre russe, il n'y a pas de solution militaire. L'escalade de la militarisation fait le lit des terroristes, en particulier d'Al Qaeda.

Je vous rappelle que le communiqué adopté à l'issue de cette réunion de Genève a établi les principes et lignes directrices d'une transition en Syrie. Il prévoit que le futur gouvernement de transition puisse inclure des membres du pouvoir actuel, de l'opposition et d'autres groupes et soit formé sur la base d'un consentement mutuel.

La Chine soutient la position russe. Notre impression est qu'il s'agit d'une décision purement politique mais que, seule, la Chine aurait une position plus nuancée. Cela étant, elle reste sur la même ligne que les Russes s'agissant du respect de la souveraineté des pays et la condamnation de toute tentative de renverser des régimes en place.

Commentant les évènements en Libye et leurs conséquences actuelles, le diplomate chinois a souligné l'importance de la crédibilité, du respect de la parole donnée et des conséquences négatives des promesses non tenues. Pour la Syrie, il faut, selon lui, tenir compte des enseignements de l'opération en Libye, avoir une vision à long terme et adopter de meilleures stratégies pour l'avenir.

La Chine est néanmoins extrêmement préoccupée par le risque d'extension régionale du conflit. Elle souligne l'absence de cohérence de l'opposition incapable de s'unir sauf pour renverser le régime d'Assad. Elle partage l'analyse russe sur le fait qu'il n'y a pas de solution militaire et souhaite donc un processus politique dont elle respectera les conclusions. Elle soutient la mission Brahimi.

Elle est la seule parmi nos interlocuteurs qui a estimé que l'Iran est un interlocuteur incontournable dans les consultations. Elle dénonce enfin les ingérences extérieures telles que les appuis logistiques aux parties et les livraisons d'armes.

Les représentants anglais et américain se sont félicités de la solidarité de la cohésion du P3 sur ce dossier. Les trois capitales n'avaient pas ménagé leur peine au niveau du Conseil de sécurité, mais ils constatent leur impuissance en l'absence d'une feuille de route viable. Il faut donc poursuivre une méthode parallèle, permettant de contourner le blocage du Conseil, incluant dialogue (Groupe des amis) et pressions. Les sanctions sont en effet efficaces. L'enjeu était désormais la stabilité de toute la région. Il existait un risque de déstabilisation en Jordanie. Le dossier syrien offrait à Washington l'occasion de bien travailler avec les pays arabes. Moscou pouvait tout débloquer au Conseil.

M. Robert del Picchia. - Je vais m'efforcer de vous résumer la substance de nos entretiens sur la question de la prolifération, notamment en Iran. La représentante des Etats-Unis, Mme Di Carlo, s'est félicitée de l'unité de vues au sein du P3 et, plus globalement, avec l'Union européenne en matière de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive qui constitue la première priorité des Etats-Unis à l'ONU. Elle a rappelé la position américaine et souligné l'utilité des sanctions, manifeste s'agissant de l'Iran.

Sur ce plan de l'efficacité des sanctions il convient de remarquer que, à l'impact des sanctions qui ont été mises en place depuis le mois de juillet 2010, s'ajoute une réduction significative des exportations de pétrole. Dans ce contexte, la situation économique et financière de l'Iran se dégrade extrêmement rapidement depuis les derniers mois de l'année 2011. Toutes les analyses convergent pour dire que l'année 2013 sera une année critique pour l'Iran. Or, c'est une année électorale. La mise en place de l'embargo communautaire sur les exportations de pétrole et ses conséquences rapides expliquent cette dégradation de la situation. Face à cette situation le gouvernement de Téhéran a manifestement fait le choix de mettre en place une économie de guerre, administrée et contingentée. C'était la même logique qui avait prévalu lors de la guerre contre l'Irak.

Les représentants russe et chinois ont regretté que les Occidentaux cherchent à imposer des sanctions unilatérales à l'Iran. Ceci était préjudiciable, disent-ils, à la cohésion du Conseil. Ils ont tous deux avancé qu'il n'y avait au jour d'aujourd'hui aucune preuve incontestable que l'Iran cherche à se doter de l'arme nucléaire, mentionnant le précédent iraquien. Il y avait de la place pour la diplomatie lors de la future rencontre en format E3+3 avec Mme Ashton après l'élection américaine.

Selon le représentant chinois, le concept de « ligne rouge », mis en avant par le Premier ministre israélien dans son discours à l'ONU, est un concept très dangereux. Seule la négociation peut résoudre la question du nucléaire iranien. La guerre ne mènera qu'à un bain de sang dont le monde ne se remettrait pas. Il faut avoir une position responsable et ne pas pousser les Iraniens à bout. On ne peut espérer un changement instantané mais il est possible d'aboutir à long terme. L'Iran devait être traité de façon équitable et ne pas pénaliser le peuple iranien. La Chine est en faveur de sanctions proportionnelles et restreintes au seul secteur nucléaire - « pourquoi les entreprises chinoises devraient-elle être pénalisées ? ». L'Iran, comme tout autre État, a le droit d'utiliser l'atome à des fins pacifiques.

La Chine est extrêmement préoccupée par toute menace d'une attaque contre ce pays. Il n'existe pas de preuves irréfutables que l'Iran cherche à développer des armes nucléaires à des fins militaires. Il existe certes des soupçons mais nous devons nous rappeler les déclarations des États-Unis à l'ONU sur la possession par l'Irak d'armes de destruction massive. Il est très important d'avoir des preuves irréfutables et de les montrer.

Les représentants russe, américain et chinois ont exprimé des positions proches sur la Corée du nord, « nouvel exemple où l'enceinte travaille bien ensemble » et l'objectif d'une péninsule sans arme nucléaire. Mais la situation stagne et il faut reprendre les négociations à six, sur la base de la déclaration conjointe de septembre 2005, tout en veillant à ce que les pays de la région s'abstiennent de toute provocation.

Le président Carrère a rencontré l'ambassadeur iranien à Paris la semaine dernière. Celui-ci sera auditionné par la commission début 2013. Nous connaissons le discours iranien sur son programme nucléaire et le respect de ses obligations en tant que signataire du TNP.

Comme nous l'a fait remarquer le représentant chinois, l'AIEA n'a pas apporté de preuves formelles du caractère militaire du programme nucléaire iranien. Il existe toutefois un faisceau d'indices qui convergent en ce sens. Lors de son audition, nous pourrons nous interroger sur les contradictions du programme iranien : dimensionnement insuffisant pour un programme énergétique civil, mais trop important pour un usage strictement médical ; irrationalité économique compte tenu de la capacité électrique installée dans le pays - 70 000 MW -, des besoins réels constatés au pic de consommation annuelle - 45 000 MW - et du statut d'exportateur d'électricité de l'Iran.

Je vais aborder pour conclure la question du processus de paix et la question du statut de la Palestine à l'ONU. En raison d'annulations de rendez-vous, nous n'avons malheureusement pas pu rencontrer le représentant palestinien à l'ONU, M. Mansour. Cela étant, la question de l'éventualité du dépôt d'une demande palestinienne pour obtenir un statut de non-membre du type de celui du Vatican, a été au coeur de nos entretiens.

Bien évidemment, tout cela s'inscrivait dans le contexte des élections américaines. Comme nous l'avait dit l'un des représentants permanents, la victoire de M. Romney aurait « remis les compteurs à zéro ». Au contraire, la victoire de Barack Obama ouvre de nouvelles perspectives et une réelle opportunité de relance. La France et le Royaume-Uni prendront sans doute l'initiative de faire des propositions aux Etats-Unis pour relancer le processus de paix. Il est néanmoins nécessaire de rappeler deux faits : le premier c'est qu'Israël n'a sans doute jamais été autant soutenu qu'au cours du premier mandat Obama ; le second est que, dans le contexte actuel où les questions économiques ont dominé la campagne électorale, les affaires extérieures, fussent-elles au Moyen Orient, ne sont pas nécessairement prioritaires sur l'agenda du président américain.

Nos interlocuteurs ont dressé un constat unanime et sombre : le statu quo actuel devenait intenable et la solution des deux Etats risquait d'être bientôt caduque. Le Secrétaire général a tiré la sonnette d'alarme, estimant en outre que la situation financière de l'Autorité palestinienne était critique et nécessitait une aide urgente. Il a salué « la France qui a montré l'exemple ». Le temps était compté. La Palestine pourrait difficilement tenir le coup passivement pendant les longs mois qui se profilaient jusqu'au-delà de l'élection israélienne de février 2013.

Lorsque nous étions à New York, il était difficile d'anticiper quel serait au final le choix du Président Abbas s'agissant de la demande de rehaussement du statut de la Palestine cette année. Il avait certes annoncé le dépôt d'un projet de résolution à l'Assemblée générale, qui ne pourrait en tout état de cause intervenir qu'après l'échéance du 6 novembre, sachant qu'un vote dont l'issue favorable est certaine à l'Assemblée générale aurait un prix et signifierait une crise dans les relations avec les Etats-Unis, quel que soit le nouveau Président élu.

Les avis étaient partagés. Cette question est aujourd'hui tranchée. A la session de septembre 2012, Mahmoud Abbas a renouvelé sa démarche et a demandé l'admission comme Etat non-membre qui relève de la seule Assemblée générale. Ce statut confèrerait à la Palestine les prérogatives des Etats sauf le droit de vote. Elle permet d'intégrer toutes les agences de l'ONU, comme c'est déjà le cas pour l'Unesco, grâce notamment au vote positif de la France l'année dernière.

Nous allons donc être rapidement confrontés à la détermination de la position de la France, sachant que le vote est acquis et que, dans son 59e engagement de campagne, le Président Hollande avait indiqué : « Je soutiendrai la reconnaissance internationale de l'État palestinien. »

Une question délicate était celle du financement de l'ONU, puisque la loi américaine oblige l'exécutif à cesser tout financement d'une organisation internationale qui reconnaîtrait la Palestine comme Etat. C'est ainsi que la participation des Etats-Unis à l'UNESCO a immédiatement été supprimée. A une question que nous avons posée à la représentante permanente-adjointe américaine, celle-ci a tenu à préciser que les juristes du département d'Etat avaient déjà été consultés et que, selon eux, les dispositions législatives actuelles pourraient ne pas s'appliquer si la Palestine était reconnue comme Etat non-membre sans droit de vote.

Nous sommes pour l'instant dans l'incertitude quant à la position définitive de notre diplomatie. Les termes de la résolution qui sera présentée à l'Assemblée générale sont en cours de discussion et nous pouvons imaginer les pressions qui s'exercent. Il me semble que les Palestiniens ne peuvent plus reculer et que le résultat du vote est certain. Quelle autre position pourrions-nous adopter que de voter en faveur de ce statut élargi comme nous l'avions fait - de manière plus ferme encore - à l'UNESCO ?

Le paradoxe c'est de voir progresser une reconnaissance internationale vers un Etat de plein exercice dont la base géographique et territoriale et la survie financière sont de plus en plus improbables et impossibles.

M. André Vallini. - S'agissant du statut de la Palestine à l'ONU, le Président de la République a fait part d'une position française plus nuancée, faisant référence à une rencontre avec le président Abbas au cours de laquelle il aurait souligné les risques de rétorsion financière des États-Unis. Ne pensez-vous pas que la position française actuelle est un peu en retrait par rapport à celle adoptée précédemment ?

M. Jean-Louis Carrère, président - Les Français et les Britanniques sont en relations étroites pour élaborer une proposition aux États-Unis permettant de relancer le processus de paix israélo-palestinien. S'il y a une réserve de notre position, elle correspond à une volonté de ne pas remettre en cause une éventuelle accélération du processus.

Sur les conséquences financières pour l'ONU du vote reconnaissant le statut d'Etat non-membre à la Palestine, les propos de la représentante permanente adjointe américaine, Mme di Carlo, ne sont qu'à moitié rassurants puisque rien n'est sûr en droit. Il est évident que l'arrêt du financement américain à l'ONU créerait d'énormes difficultés.

M. Robert del Picchia- S'agissant du projet de résolution que les Palestiniens font circuler, son contenu fait en ce moment l'objet de négociations. Cela étant, compte tenu de la position qu'a pris la France à l'Unesco, je n'imagine pas notre pays s'opposant à l'adoption de ce statut.

M. Christian Cambon. - J'aimerais avoir votre appréciation sur la place de l'Europe à l'ONU. Reste-t-on dans une logique de puissance ? Je souhaiterais savoir également si vous avez abordé la question du Sahara occidental lors de votre mission. La négociation a redémarré avec la reprise des consultations avec l'Algérie par M. Christopher Ross, l'émissaire de l'ONU. Après l'adoption de la résolution 1870 il y avait un certain consensus pour laisser le Maroc proposer une autonomie très large. J'ai l'impression aujourd'hui d'un retour en arrière. Le Maroc joue un rôle essentiel pour préserver la sécurité européenne avec ses 160 000 hommes au Sahara occidental.

M. Robert del Picchia. - Sur le premier point, le président a rappelé tout à l'heure que l'ONU demeure l'organisation des Etats. Les organisations régionales, et en particulier l'Union européenne, ne se situe donc pas sur le même plan. Toutefois, des progrès importants ont été faits pour la reconnaissance de l'Union européenne et de son rôle à l'ONU. L'Union dispose d'un ambassadeur et il existe une coordination sous son égide entre les Etats membres. Nous avons d'ailleurs été reçus dans les nouveaux locaux de l'Union européenne à New York que Mme Ashton a récemment inaugurés.

La question du Sahara occidental ne faisait pas partie de notre agenda lors de cette mission. Toutefois, la situation a été évoquée dans les conversations que nous avons eues avec l'ambassadeur marocain et avec M. Edmond Mulet, sous-secrétaire en charge des opérations de maintien de la paix.

Contrat d'objectifs et de performances de France Expertise Internationale (FEI) - Communication

M. Jean-Louis Carrère, président.- Mes chers collègues, nous allons maintenant entendre le rapport de M. Jacques Berthou sur le contrat d'objectifs et de performances de France expertise internationale. Ce rapport est l'occasion d'apprécier l'ensemble de la politique de promotion de l'expertise française à l'international. C'est un sujet important et un secteur dans lequel les acteurs publics me semblent particulièrement dispersés.

M. Jacques Berthou, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, vous m'avez confié la responsabilité de vous proposer un avis de la commission sur le contrat d'objectifs et de performances de France Expertise Internationale (FEI).

Je m'acquitte de cette tâche avec plaisir et intérêt d'autant plus que je fais partie du conseil d'administration de cette institution. Le rapport que je vous propose d'adopter m'a permis de mieux me rendre compte des enjeux et des perspectives de cet établissement concourant à l'action extérieure de l'Etat.

Quelques mots de contexte pour vous resituer cette procédure. Comme vous vous en souvenez peut-être, le Parlement a adopté en juillet 2010 une loi sur l'action extérieure de l'Etat qui a créé plusieurs opérateurs dont le plus connu est l'Institut Français, mais également France Expertise Internationale qui est l'opérateur du ministère des affaires étrangères en matière de promotion, de l'expertise française à l'international et 3,6 millions d'euros de frais de structure.

La loi prévoit que FEI et le ministère des affaires étrangères sont liés par un contrat. Ce contrat doit faire l'objet d'un avis des commissions compétentes du Parlement. C'est la raison d'être de mon rapport ce matin.

Je crois que c'est une procédure utile. En effet, l'Etat a de plus en plus tendance à externaliser certaines missions au profit d'opérateurs lui offrant plus de souplesse et de réactivité. Si le Parlement veut exercer son rôle de contrôle et d'évaluation, il lui faut suivre et évaluer ces opérateurs. Cette procédure d'avis nous en donne l'occasion. Elle permet d'évaluer l'action d'un établissement public comme FEI mais aussi la qualité du pilotage exercé par l'Etat.

Voilà pour la procédure, venons-en au fond.

Quelques mots pour vous présenter FEI très brièvement avant de resituer cet organisme dans un contexte plus général.

FEI est un EPIC, un Etablissement Public Industriel et Commercial qui sélectionne, recrute des experts internationaux du secteur public et du secteur privé pour répondre à des marchés d'expertise aux quatre coins du monde dans des secteurs très variés qui vont de la gouvernance à des domaines techniques comme les barrages hydrauliques en passant par la construction de systèmes juridiques modernes, la mise en place de réformes agraires, bref tout ce qui a trait au développement économique des pays du Sud. FEI a un chiffre d'affaires proche de 20 millions d'euros, une cinquantaine de salariés au siège de FEI à Paris.

Il s'agit d'un secteur à bien des égards stratégique. Le marché de la prestation intellectuelle est un marché considérable en Afrique, mais aussi dans les pays émergents qui sont dans une phase non seulement de croissance forte mais aussi de construction d'Etats modernes avec la mise en place de politiques publiques pour lesquelles ils ont notamment recours à l'expérience des pays occidentaux. Ce marché est estimé à plus de 100 milliards par an. C'est un marché dans lequel nous avons, nous la France, une valeur ajoutée, une expertise reconnue et donc un enjeu pour notre commerce extérieur d'autant plus important que, évidemment, ces expertises ont des effets induits très importants. Quand vous mettez en place les normes ferroviaires en Chine, si vous vous appuyez sur les standards français, vous maximisez les chances des entreprises françaises, si vous participez à la refonte du droit civil malgache selon que vous vous calquiez sur le système juridique français ou sur la Common law britannique, vous favoriserez les cabinets d'avocats francophones ou anglo-saxons. Les estimations des effets induits de ces marchés sont évidemment à prendre avec précaution. Les experts que j'ai rencontrés, notamment M. Nicolas Tenzer qui a écrit un rapport qui a fait date sur le sujet, parlent de 25 000 milliards de dollars.

Ce marché de l'expertise est loin d'être réservé aux seuls opérateurs publics. Il concerne évidemment les bureaux d'études du secteur privé et il est difficile de définir la part de marché de chacun.

Compte tenu des secteurs abordés qui touchent à la mise en place de politiques publiques, il est naturel que le secteur public soit concerné. C'est d'autant plus naturel qu'il y a là non seulement un enjeu économique, mais un enjeu d'influence majeur. A travers la mise en place de ces politiques publiques, c'est évidemment tout un système de valeurs que nous pouvons promouvoir. Quand la France perd l'appel d'offres de la rénovation du système juridique au Vietnam, elle perd un appel d'offres de 8,5 milliards d'euros mais également la possibilité de promouvoir sa vision du droit et j'allais dire sa vision du monde.

Dernier élément de contexte, ce marché de l'expertise française à l'international est une occasion de bénéficier en quelque sorte notre investissement dans les fonds multilatéraux d'aide au développement. La France contribue, comme nos collègues Cambon et Peyronnet le soulignent chaque année dans leur avis budgétaire, pour une très large part à la Banque mondiale, au fonds européen de développement, au fonds africain de développement, bref à l'ensemble des organisations internationales d'aide au développement. Ces organisations financent des projets de coopération dans lesquels figurent des appels d'offres pour des experts internationaux afin de renforcer les capacités de nos pays partenaires à mettre en oeuvre des projets de développement financés par la solidarité internationale.

On le voit, il s'agit donc là d'un enjeu politique, économique, de solidarité et d'influence. J'en viens à FEI, mais je crois que ce détour n'était pas inutile pour comprendre le contexte.

Quand FEI a été créé en 2010 en tant que établissement public, il prenait la suite d'une autre structure FCI qui avait fait l'objet de critiques assez sévères de la Cour des comptes. Ces critiques portaient sur l'opacité de sa gestion, sur le coût de ses prestations et sur sa dépendance à l'égard du budget de la coopération.

Les éléments d'évaluation dont nous avons pu disposer, notamment une évaluation relative à la gestion des assistants techniques financés par l'AFD, les contacts que nous avons pu avoir avec des personnalités indépendantes ou avec les responsables du ministère des affaires étrangères, nous laissent penser que FEI a ces dernières années considérablement amélioré sa gestion.

C'est aujourd'hui un opérateur qui ne reçoit plus aucune subvention du ministère des affaires étrangères, qui vit donc grâce aux marchés qu'il remporte dans des appels d'offres internationaux. Son chiffre d'affaires croit dans un secteur qui a connu un ralentissement avec la crise financière. Sa part de marché augmente. Son chiffre d'affaires est composé à hauteur de 20 % de projets communautaires, pour 25 % de projets financés par des bailleurs bilatéraux étrangers ou des fondations. Il a par exemple récemment remporté un appel d'offres, financé par la coopération britannique et suédoise en RDC, d'appui aux médias. Pour 25 % de projets financés par l'AFD, 15 % par le ministère des affaires étrangères, le reste 15 % étant réparti entre différents acteurs dont les collectivités locales. FEI est devenu un opérateur agréé de la commission européenne qui est ainsi habilitée à déléguer à FEI la gestion de certains contrats d'expertise.

L'évaluation sur la partie de l'activité de FEI qui concerne l'assistance technique, c'est-à-dire non pas seulement une prestation d'expertise de courte durée, mais la mise à disposition d'experts techniques, notamment au sein de ministères étrangers, souligne les progrès effectués par FEI en matière de gestion des assistants technique et de frais de gestion. Elle souligne qu'au regard des prestations de certains bureaux d'études privés, FEI offre parfois des prestations en plusieurs points meilleurs. Il y a toujours des critiques possibles et des marges de progression. On a entendu ici le directeur général de l'AFD souligner que le coût de certains assistants techniques pouvait être excessif. Il y a sans doute des marges de progression dans l'encadrement et le suivi des missions des assistants techniques et dans l'exploitation des informations que ces assistants recueillent auprès des Etats partenaires, mais globalement la gestion de cet opérateur va dans le bon sens.

J'en viens au contrat d'objectifs et de performances proposé par le ministère des affaires étrangères à l'opérateur.

Ce contrat définit des objectifs généraux et des indicateurs de performances. Le premier objectif est, on ne peut plus général, puisqu'il s'agit de contribuer à l'influence de la France en Europe et dans le monde, rien que cela ! Cet objectif est décliné dans un certain nombre de sous-objectifs dont je vous fais l'économie, mais qui s'appuient tous sur l'idée que FEI est un démembrement du ministère et son bras armé en matière de valorisation de l'expertise française. C'est un peu un paradoxe pour un établissement qui ne reçoit aucune subvention, autrement dit l'État fixe des objectifs de service public sans pour autant donner des moyens à son opérateur pour exercer ses missions. Ce constat est cependant à nuancer, nous le verrons par l'accès privilégié de FEI à certains projets financés par le budget de la coopération française.

Le deuxième objectif est de contribuer à l'amélioration qualitative de la projection de l'expertise française. Il s'agit d'une série d'objectifs qui vise à promouvoir l'expertise française dans les appels d'offres internationaux et à favoriser la qualité des prestations offertes pour répondre aux besoins des Etats partenaires. Le contrat fixe également à FEI pour objectif d'assurer la gestion de « l'initiative 5 % » issue du fonds mondial de lutte contre le Sida, le paludisme et la tuberculose. Un mot sur ce dispositif. Vous savez que nous contribuons à hauteur de 360 millions d'euros au fonds mondial contre le Sida et il a été souvent souligné que ce fonds passait presque exclusivement par des opérateurs anglo-saxons. L'initiative de 5 % vise à ce que 5 % de ces contributions soient alloués à des demandes d'expertise technique adressées à des opérateurs français. Le contrat demande à FEI d'assurer la mise en oeuvre opérationnelle de ce dispositif en faisant appel à l'ensemble des expertises publiques ou privées compétentes dans ce domaine en France mais aussi dans des pays francophones.

Le troisième objectif, lui aussi décliné en sous-objectifs, est de contribuer à renforcer la cohérence de l'offre française d'expertise internationale.

Le contrat demande à FEI de développer des partenariats avec les autres opérateurs d'expertise technique français. Quelques mots sur ce point qui mérite notre attention. J'ai dit que FEI était l'opérateur du MAE dans ce domaine, mais j'ai découvert à ma surprise qu'il existait une trentaine d'opérateurs publics dans ce domaine. Chaque ministère a son opérateur, le ministère des finances a notamment un opérateur, ADETEF, qui travaille dans le domaine financier et budgétaire, mais pas seulement, le ministère de l'intérieur avec CIVIPOL dispose également d'un opérateur important. Au-delà de ces trois opérateurs qui pèsent à peu près 60 millions d'euros, il y a 27 autres opérateurs très spécialisés qui représentent à peu près 15 millions d'euros. Je ne vous les cite pas tous, il y a ADECIA dans le domaine agricole, ADECRI, dans le domaine de la protection sociale ou France Vétérinaire International et j'en passe. Figurent notamment en annexe du contrat des objectifs de partenariats opérationnels. Nous y reviendrons, mais s'il est important de fixer cet objectif à l'opérateur, il revient aussi au Gouvernement de travailler au renforcement de la cohérence du dispositif public de l'expertise technique.

Le quatrième objectif fixé à l'opérateur est de développer une mission de service public au service de la promotion de l'expertise française en assurant une démarche de qualité dans la réalisation de ses activités, des actions de formation et l'animation du conseil d'orientation de l'expertise publique et privée qui rassemble l'ensemble de la profession.

L'ensemble de ces objectifs apparaît cohérent avec les objectifs de la politique de coopération au développement de la France et avec les enjeux politiques et économiques que j'ai indiqués. Les indicateurs de performances utilisés en termes de projets remportés sur appels d'offres ou de gestion de fonds communautaires semblent, autant qu'on puisse en juger, à la fois ambitieux et cohérents avec l'activité passée. En revanche, il nous apparaît que si FEI est en mesure d'assurer sa part de contrat, il conviendrait que l'Etat assume la sienne.

Or, comme l'ont souligné l'ensemble des interlocuteurs que j'ai rencontrés mais aussi ceux auditionnés par la commission au titre du budget de l'aide au développement, l'Etat doit aujourd'hui promouvoir une plus grande cohérence du dispositif public d'expertise publique dans son ensemble.

Pour le dire crûment, aujourd'hui la fragmentation des opérateurs publics français les conduit à être en concurrence les uns contre les autres face à des opérateurs étrangers, notamment britanniques ou allemands unis et qui de ce fait ont des tailles bien supérieures à celles des opérateurs français.

Je vous disais que l'ensemble des opérateurs français avaient un chiffre d'affaires cumulé de 80 millions d'euros, les trois plus gros d'entre eux atteignent un peu plus de 20 millions d'euros, le reste se répartit dans une vingtaine de sociétés. En face, la GIZ allemande avoisine les 300 millions d'euros, son équivalent anglais environ 400 millions d'euros. Autrement dit, les opérateurs français n'ont pas la taille critique pour être compétitifs sur les marchés internationaux. Cette fragmentation ne permet pas aux opérateurs de bénéficier d'économie d'échelle, de partager en commun des services de veille, des services juridiques de rédaction des contrats, etc. Cela ne permet pas de porter à l'étranger une offre française lisible. Non seulement ces opérateurs se font parfois concurrence, c'est-à-dire répondent aux mêmes appels d'offres en ordre dispersé, mais ils se font concurrence avec des modèles économiques assez différents, certains opérateurs comme l'ADETEF bénéficiant de subventions publiques, ce qui fausse la concurrence non seulement avec les opérateurs publics mais également avec les opérateurs privés. La situation est, de ce fait conflictuelle, avec des conflits de périmètre structurel entre les opérateurs.

Le contrat d'objectifs et de performances indique que FEI doit développer l'ingénierie projets dans tous les domaines qui relèvent des objectifs du millénaire pour le développement et en particulier dans le domaine de la santé ou encore de la sécurité. Autant de secteurs où il existe de nombreux opérateurs. Les modèles économiques divergents des différents opérateurs freinent considérablement les tentatives de coordination et dans ce cadre.

On a l'impression selon l'expression d'une personne auditionnée qu'il n'y a « pas de politique, pas de gendarme, pas de pilotage ».

Notre commission avait demandé à travers l'adoption d'un amendement à la loi sur l'action extérieure de l'Etat à ce que le Gouvernement établisse un rapport sur les moyens de renforcer la cohérence du dispositif public de l'expertise internationale. Ce rapport sur le renforcement de la cohérence du dispositif public de l'expertise technique internationale, de Mme Maugüé, a été remis au Parlement. Il comporte un certain nombre de préconisations qui sont loin d'avoir été appliquées. La principale d'entre elles consiste à établir un audit financier de l'ensemble des opérateurs pour apprécier leur viabilité économique et préconiser sur la base de cette évaluation des rapprochements.

Je me propose de souligner dans mon rapport la nécessité de procéder à cet audit et à ces rapprochements. Pour l'instant les ministères, soucieux de conserver, chacun dans leur coin, leur opérateur, ont refusé de procéder à ces audits et semblent assez loin de l'idée d'une coordination, voire d'un regroupement des opérateurs. On retrouve en particulier la concurrence en matière de coopération entre le ministère des affaires étrangères et le ministère des finances. L'un avec FEI, l'autre avec ADETEF. Par ailleurs, ces deux ministères ont fini par accéder à la demande de l'AFD de créer un fonds d'expertise technique. Il n'est pas sûr que ce fonds ne devienne pas un nouvel opérateur, il est possible qu'il passe par des opérateurs existants, mais le directeur général de l'AFD n'a pas exclu qu'il participe à ce qu'il a appelé « une saine émulation » et ce qui peut apparaître comme une division des forces.

Comme le ministre du développement l'a concédé, il y a là un sujet. Il faut se saisir de l'opportunité de la création de ce fonds, du rapport Maugüé et à vrai dire des nombreux rapports Tenzer, Juppé et autres qui se sont succédé sur ce sujet depuis 10 ans pour inviter les pouvoirs publics à faire en sorte que dans ce secteur porteur, l'équipe France parte à la conquête des marchés internationaux unie.

Pour cela, il faudra faire preuve d'imagination et de volonté politique. Il s'agit de dépasser les clivages entre les ministères pour faire émerger un intérêt collectif et de ne pas opposer la solidarité et l'influence. Les solutions ne sont pas évidentes. On peut imaginer qu'une institution joue un rôle de facilitateur et prenne en charge les activités susceptibles d'être mutualisées entre les opérateurs. Cela aurait pu être FEI, ça pourrait être l'AFD avec la création d'un opérateur transversal filiale de l'Agence. Sans doute n'a-t-on pas les moyens de créer ex nihilo un organisme de la taille des britanniques ou des allemands. On peut imaginer à l'inverse une division du travail plus claire entre chaque ministère et une harmonisation du modèle économique. Une chose est sûre en tout cas, le statu quo n'est pas souhaitable, la situation actuelle ne sert pas l'intérêt collectif de la France.

Je vous propose donc de nous saisir de l'occasion de ce contrat pour dire dans le prolongement du rapport de la commission sur la loi relative à l'action extérieure de l'Etat, que nous sommes fermement attachés à ce que ce dossier soit pris en main. Je pense que le ministre des affaires étrangères actuel a l'autorité et la légitimité pour saisir ses homologues de cette question.

M. Christian Cambon. - Je partage entièrement les propos du rapporteur qui corroborent le constat que nous avons fait par le passé avec mon collègue Jean-Claude Peyronnet. Les marchés d'expertise dans le domaine de la coopération sont très importants parce que c'est à travers eux que nous transmettons aux pays du Sud des compétences et des capacités pour mettre en place les politiques publiques modernes. Plus que les dons ou les prêts, cette expertise contribue au renforcement de capacités de nos partenaires. C'est évidemment l'occasion de faire passer notre vision du monde et notamment notre vision d'un développement plus respectueux de la planète. La dispersion des acteurs publics dans ce domaine est regrettable. Cette situation dure depuis trop longtemps. Il faut demander aux différents ministères dans des termes très forts de procéder à une réforme de façon à ce que l'équipe France puisse aborder ces questions de façon coordonnée. C'est pourquoi je considère le rappel à l'ordre du rapporteur particulièrement bien vu.

M. Jeanny Lorgeoux. - Le rapporteur peut-il nous préciser s'il souhaite une coordination de l'ensemble des acteurs ou seulement des acteurs publics ? Il sera difficile de demander aux acteurs privés de s'unir.

M. Jacques Berthou, rapporteur. - Il s'agit de demander aux opérateurs publics de s'unir de façon à limiter le gâchis d'argent public et à mettre en place un acteur ou une coalition d'acteurs qui ait une taille critique suffisante pour faire face dans les appels d'offres internationaux à la concurrence de nos partenaires européens.

M. Jean Besson. - Quand on voit ce que font les Britanniques ou les Allemands, il est évident que nous n'avons pas la taille suffisante. J'aimerais savoir comment se coordonne les acteurs locaux avec FEI ? Dans ma région de Rhône-Alpes, nous menons depuis longtemps des actions de coopération en matière de politique locale, d'urbanisme. Comment s'articule l'action des différents opérateurs ?

M. Jacques Berthou, rapporteur. - FEI n'a pas vocation à fédérer tout le monde, mais certaines collectivités éprouvent le besoin de passer par FEI qui sert d'intermédiaire entre la demande des pays partenaires du Sud mais aussi des agences multilatérales et les viviers d'experts que sont en l'occurrence les collectivités territoriales.

M. André Trillard. -Merci pour cet excellent rapport. On voit bien dans ce domaine comme dans d'autres, que la voix de la France à l'étranger est dispersée. Cette attitude corporatiste des administrations ministérielles est regrettable surtout quand elle contribue à affaiblir l'influence de notre pays à l'étranger. On connaît ça dans d'autres domaines, boulevard saint germain vous trouvez à quelques mètres l'un de l'autre la maison du Poumon, la maison des maladies pulmonaires et la maison de la lutte contre la tuberculose. Cette dispersion des acteurs publics est une maladie très française.

M. Jacques Gautier. - Je remercie le rapporteur pour la qualité de cette communication. Je pense qu'il ne faut pas tout mélanger quand on évoque les associations, les bureaux d'études privés et les opérateurs publics. Je comprends que le propos du rapport est de demander à ce que les opérateurs qui dépendent directement des administrations se coordonnent et mutualisent certaines fonctions, notamment de support. Pour le reste j'estime que ces opérateurs doivent s'autofinancer. Il existe de nombreux bureaux d'études qui gagnent très bien leur vie sur les appels d'offres internationaux et communautaires en matière d'expertise. Il n'y a pas de raison que les opérateurs publics n'en fassent pas de même.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Mes chers collègues, je vous propose de prendre connaissance des conclusions que nous présente notre collègue et qui vous ont été distribuées et de m'indiquer si vous avez des observations. Dans le cas contraire, je vais procéder au vote.

Les conclusions et le rapport sont adoptés à l'unanimité.

Loi de finances pour 2013 - Programme 144 « Environnement et prospective » de la mission « Défense » - Audition de M. Michel Miraillet, directeur des affaires stratégiques du ministère de la défense

M. Daniel Reiner, président. - Nous sommes très heureux, Monsieur le Directeur, de vous accueillir à nouveau devant cette commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat que vous connaissez bien.

Je rappelle à nos collègues, qu'en votre qualité de directeur des affaires stratégiques au ministère de la Défense, vous êtes responsable du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ».

Ce programme regroupe notamment les crédits relatifs à l'analyse stratégique, la diplomatie et la recherche de défense, ainsi que des services en charge du renseignement de sécurité, qui bénéficient de la priorité reconnue à la fonction « connaissance et anticipation » par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Comme chaque année, nous sommes donc très désireux de vous entendre nous présenter les principales évolutions du programme 144 dans le cadre du projet de loi de finances pour 2013.

J'aimerais, si vous en étiez d'accord, que nous élargissions ensuite le cadre de cette audition budgétaire pour vous interroger sur votre perception du nouveau contexte stratégique, une telle analyse ne pouvant qu'être utile pour éclairer les réflexions menées actuellement par la commission chargée de l'élaboration du nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, à laquelle je participe avec deux de nos collègues.

La délégation aux Affaires stratégiques a publié, en avril dernier, un très intéressant document, intitulé « Horizons stratégiques », qui propose une vision prospective à 20-30 ans. Il importe de prendre en considération ce nouveau contexte stratégique - je pense notamment à l'augmentation des dépenses de défense des puissances émergentes ou encore aux nouvelles menaces, comme le cyber - lorsque nous serons appelés à nous prononcer sur les objectifs et la trajectoire budgétaire de notre outil de défense et de sécurité.

Enfin, permettez-moi de vous poser une question au titre de co-rapporteur du programme 146 « équipement des forces ».

Le programme 144 présente la particularité de regrouper des éléments très différents, avec les crédits de deux des trois services de renseignement dépendant du ministère de la défense (la DGSE et la DPSD, la DRM relevant d'un autre programme), les crédits consacrés à la diplomatie de défense et aux exportations d'armement, les crédits destinés à l'analyse stratégique, et les crédits des études amont, destinés à financer l'effort de recherche en matière de défense.

Or, on ne trouve pas grand-chose de commun entre ces différents aspects, ce qui peut sembler délicat au regard de la LOLF.

Par ailleurs, au regard des autres programmes de la mission « Défense », le programme 144 est un « petit » programme, tant en termes de masse budgétaire (moins de 5 % des crédits de la mission) que d'effectifs (3 % des effectifs).

Enfin, si le directeur des affaires stratégiques est le responsable du programme 144, celui-ci ne gère que les crédits relatifs à l'analyse stratégique. Les autres responsables de budget opérationnels de programme sont subordonnés au chef d'état major des armées (pour la diplomatie de défense), au délégué général pour l'armement (pour la recherche et le soutien aux exportations) ou directement au ministre de la défense (pour la DGSE et la DPSD).

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2013, la rationalisation de la présentation des crédits en trois actions permet une meilleure cohérence et lisibilité, et je m'en félicite.

Mais ne pensez vous pas, Monsieur le Directeur, qu'il conviendrait de revoir la maquette budgétaire d'ensemble au sein du ministère de la défense, afin de renforcer la cohérence, ainsi que la lisibilité des dépenses pour le Parlement ?

Ainsi, ne serait-il pas plus logique que les crédits destinés à l'effort de recherche en matière de défense, comme les études amont, relèvent du programme 146 ?

Je vous passe la parole

M. Michel Miraillet, directeur chargé des affaires stratégiques au ministère de la défense. - C'est pour moi la sixième occasion de rendre compte de la situation du programme 144 « environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense », qui supporte l'essentiel de la fonction stratégique « connaissance et anticipation », mise en avant par le Livre blanc sur la défense de 2008.

Ce programme est organisé d'une manière différente des autres programmes de la mission « Défense ». Il se structure autour d'une politique publique, que le responsable de programme coordonne sans être le responsable organique des différents structures qui participent à sa mise en oeuvre, comme la direction générale de la sécurité extérieure ou la direction générale de l'armement.

En ce sens, le responsable du programme joue un rôle de tiers facilitateur, qui permet de piloter harmonieusement l'action du ministère de la défense dans des domaines complémentaires : relations internationales, compréhension de l'environnement stratégique, prospective, soutien et contrôle des exportations d'armement, consolidation de la base industrielle et technologique de défense, lutte contre la prolifération.

Cette fonction de facilitateur n'exclut pas notre intégration au sein des procédures de réforme ministérielle.

Ces dernières années ont vu ainsi la réforme de la diplomatie de défense ou la diminution du report de charges des études amont. Nous accompagnons la montée en puissance de la DGSE, avec la création de près de 700 postes supplémentaires conformément aux conclusions du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008. Nous facilitons ses opérations d'investissement grâce à la souplesse de gestion de l'ensemble du programme. Par exemple, si son directeur a besoin d'une avance de 30 millions d'euros, je peux la lui fournir en prélevant la somme sur une autre masse financière. Cette souplesse, autorisée par la loi organique sur les lois de finances, permet à chaque responsable de budget opérationnel d'atteindre ses objectifs particuliers.

D'une manière générale, il faut retenir que le programme 144 recouvre un effectif de près de 8 800 personnes, réparties dans l'ensemble du ministère, entre l'état-major des armées (EMA), la DGA, le réseau des postes permanents à l'étranger et les services de renseignement - du moins la DGSE et la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) -, la Direction du renseignement militaire (DRM) demeurant, elle, au sein du programme 178, ce dont on peut d'ailleurs s'étonner.

Le programme 144 représente environ 1, 91 milliards d'euros, soit environ 5 % des crédits de paiement de la loi de finances initiale pour 2013 au titre de la mission « Défense », et une part notable des efforts consentis au profit de la recherche en matière de défense.

J'aborderai maintenant devant vous les perspectives de fin de gestion 2012 et les grands choix opérés pour le projet de loi de finances pour 2013.

J'évoquerai d'abord la fin de gestion du budget 2012.

En ce qui concerne les dépenses de personnel (titre 2), bien que s'appuyant sur des bases partiellement consolidées, l'examen de la situation permet de dégager les principales données suivantes :

Sur le plan des effectifs, les cibles de gestion attribuées à l'ensemble du programme sont respectées en volume, de même que leur déclinaison au niveau de chacun des quatre budgets opérationnels de programme (BOP). Ainsi, pour une cible en effectif moyen réalisé prévisionnel (EMRP) de 8 697 équivalents temps plein travaillé (ETPT), le niveau d'occupation des emplois s'élevait à la fin de juillet à 8 680 ETPT. Certains employeurs du programme dépassent néanmoins les limites assignées, mais dans de faibles proportions et surtout en matière d'emploi de cadres civils. L'augmentation du nombre d'agents civils de catégorie A, techniques et administratifs, reste en effet, en 2012, la marque du programme. Cette priorité se concrétisera par une croissance de 5,6 % des emplois destinés aux personnels de ce niveau.

Ce renforcement des moyens concerne plus particulièrement les deux services de renseignements, la DPSD et la DGSE, qui accompagnent ainsi leur modernisation.

Sur le plan budgétaire, et après les efforts de contrôle des coûts de personnel conduits par les quatre employeurs du programme, la dépense en masse salariale tend à être contenue. Le déficit d'environ 2 % de la ressource initiale, sur lequel le programme établit ses prévisions pour l'année 2012, peut être considéré comme une hypothèse probable. Nous mettons en oeuvre les mesures nécessaires pour en limiter le niveau.

S'agissant des autres titres, le programme devrait engager cette année environ 1, 331 milliard d'euros et payer 1,266 milliard d'euros, hors consommation de la réserve qui représente à ce jour 69,66 millions d'euros d'autorisations d'engagement et 62,82 millions d'euros de crédits de paiement.

Comme les années précédentes, s'agissant des paiements, l'enjeu de la fin de gestion 2012 réside dans la levée de la réserve organique et dans l'autorisation donnée ou non de consommer les reports de crédits 2011 afin de limiter le report de charges à la fin de l'année. Une levée de la réserve complète associée à une autorisation de consommer les reports donnerait une capacité de paiement de quelque 1 401 millions d'euros.

Le programme 144 va par ailleurs disposer des ressources du compte d'affectation spéciale « Fréquences », pour un montant de 50 millions d'euros. Elles sont, comme vous le savez, affectées aux études amont.

Il convient de souligner que la non-levée de la réserve de précaution aurait des incidences sur la soutenabilité de ces études amont, auxquelles je sais que votre commission est particulièrement attachée et dont les paiements s'échelonnent tout au long de l'année, affectant ainsi l'objectif de stabilisation de leur périmètre budgétaire à hauteur de 700 millions d'euros par an.

Quoi qu'il en soit, le programme prend à son niveau les mesures nécessaires et mobilise tous les acteurs concernés afin de consommer la totalité de la ressource, se fixant pour objectif de contenir le montant des reports de crédits pour 2013 dans les limites autorisées par la loi organique.

M. Daniel Reiner, président. - Avez-vous bon espoir au sujet de la levée de la réserve de précaution ?

M. Michel Miraillet, directeur des affaires stratégiques. - Je suis plutôt optimiste.

J'en viens maintenant au projet de loi de finances pour 2013. Le détail des demandes de crédits exprimées par le programme 144 figure dans le programme annuel de performance (PAP) qui vient d'être déposé sur le bureau des assemblées. Je vous présenterai la synthèse des points les plus marquants du prochain exercice.

Pour les dépenses de personnel (titre 2), le programme 144 a pour perspective, en 2013 comme cette année, une croissance en effectifs comme en ressource budgétaire, et reste à cet égard une originalité au sein du ministère de la défense.

Pour les effectifs, le plafond d'emplois du plafond ministériel d'emplois autorisés (PMEA) présente en 2013 une variation à la hausse de 60 ETPT (emplois équivalent temps plein travaillé), après avoir bénéficié d'une augmentation de 88 ETPT en 2012.

Cette croissance est la conséquence du solde positif des créations et des économies d'emplois dans la composante « renseignement », mais aussi de la stabilisation des périmètres des BOP « EMA » et « DGA », les mesures de déflation étant compensées par les transferts d'emplois entrants dont bénéficient ces deux entités.

Par ailleurs, la politique de ressources humaines reste prioritairement axée, d'une part, sur l'ouverture des emplois d'encadrement et de haute technicité - pour les militaires comme pour les civils - et, d'autre part, sur la préservation d'un rapport de deux tiers à un tiers entre civils et militaires.

En conséquence de ce développement des effectifs, qualitatif et quantitatif, la dotation en masse salariale croît de manière substantielle. Le socle financier passe d'une dotation de 597 millions d'euros à 633 millions d'euros, soit une augmentation de 6,07 %. Cette variation à la hausse de 36 millions d'euros recouvre en particulier les crédits correspondant aux créations de postes en faveur des services de renseignement prévues par le Livre blanc de 2008 - un effort non négligeable dans le contexte actuel.

Pour les autres titres, la nomenclature du programme 144 est simplifiée sans que son périmètre varie pour autant. Il se compose dorénavant de trois actions : l'action 3, « Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France », dont le périmètre est inchangé ; l'action 7, « Prospective de défense » ; et l'action 8, « Diplomatie de défense ».

L'action 7 regroupe trois anciennes actions : « Analyse stratégique, Prospective des systèmes de force » et « Maintien des capacités technologiques et industrielles », elle-même divisée en deux sous-actions, la sous-action 73, « Études amont », et la sous-action 74, « Soutien et subvention ».

Hors dépenses de personnel (hors titre 2), les crédits du programme connaissent une augmentation, à périmètre identique, de 2,72 % en autorisations d'engagement (AE) et de 6,17 % en crédits de paiement (CP). Cette tendance est la conséquence du maintien à un niveau élevé des études amont menées sous l'égide de la DGA. Les crédits consacrés à ces dernières augmentent de 11,65 % en CP pour atteindre un montant de 706,8 millions d'euros.

Je vais maintenant vous présenter l'évolution de chacune des actions du programme.

L'action 3, « Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France », voit son budget augmenter de 1,2 % en CP pour atteindre 226 millions d'euros de crédits de paiement, qui se répartissent en 214 millions d'euros pour la DGSE et 12 millions d'euros pour la DPSD.

Pour ce qui concerne la sous-action 31 intéressant la DGSE, les 84 millions d'euros de crédits de paiement du titre 5 serviront, d'une part, à l'acquisition de matériels opérationnels dédiés au traitement et à l'exploitation du renseignement obtenu, ainsi qu'au soutien, au support et à la logistique des opérations et, d'autre part, à la construction, à la modernisation et à l'adaptation des locaux abritant les matériels techniques de recueil et de traitement de l'information.

Conformément aux décisions gouvernementales, la DGSE a poursuivi la rationalisation de ses dépenses de fonctionnement, ce qui se traduit par la baisse des dotations concernées. Cette diminution est toutefois atténuée par l'augmentation des effectifs qui, mécaniquement, entraîne celle des dépenses de fonctionnement - surfaces d'accueil, entretien, formation, recrutement. Le recentrage des fonds spéciaux sur leur usage spécifique se poursuit.

Les moyens alloués à la DPSD, retracés dans la sous-action 32, restent stables, l'augmentation étant limitée à 0,42 %. Cette stabilité traduit également la volonté de procéder à des économies de fonctionnement.

Les crédits d'investissement de la DPSD s'élèveront en 2013 à 2,25 millions d'euros afin de maintenir la performance du système d'information et de sécurité à un haut niveau et de former spécifiquement le personnel aux métiers de cette direction.

L'action 7, « Prospective de défense », la plus importante en volume du programme 144, comprend quatre sous-actions. La sous-action 71 rassemble les crédits consacrés par le ministère de la Défense à l'analyse stratégique : 5,11 millions d'euros en crédits de paiement et 8,11 millions en autorisations d'engagement. Les augmentations seront donc, respectivement, de 4 % et de plus de 50 %, cette dernière s'expliquant par le souci de nouer des partenariats de long terme avec les acteurs de la recherche stratégique, sous la forme par exemple de contrats pluriannuels.

Les subventions aux publications stratégiques sont destinées à renforcer la visibilité de la pensée stratégique française. La délégation aux affaires stratégiques (DAS) assure la diffusion des études prospectives et stratégiques, à travers des conventions de publication avec des éditeurs européens pour des publications anglophones ou francophones, ou à travers des actions venant au soutien des positions françaises - organisation d'événements informels et d'échanges de vues ou participation à des rencontres où la présence de représentants français apparaît souhaitable, etc.

Le programme 144 assure également le financement des programmes « Personnalités d'avenir défense » et « Post-doctorats », pour un montant total de 150 000 euros.

Le premier a pour objectif de sensibiliser de futures élites étrangères aux positions françaises en matière de sécurité et de défense et de créer des contacts entre ces jeunes cadres et les correspondants français partageant les mêmes centres d'intérêt. Ces personnalités sont accueillies en petites délégations ou individuellement pour un séjour d'étude d'une durée d'une semaine. Le programme prend en charge toutes les dépenses afférentes à ce séjour.

Quant au programme « Financement des post-doctorats », il vise à favoriser l'émergence, au sein de la communauté universitaire, de pôles d'excellence en identifiant et en soutenant chaque année une dizaine de jeunes chercheurs dont la qualité et les thèmes de recherche présentent un intérêt manifeste pour notre sécurité et pour notre défense.

La sous-action 72, « Prospective des systèmes de force », regroupe les crédits consacrés aux études opérationnelles et technico-opérationnelles (EOTO) qu'il est prévu d'engager en 2013, conformément aux orientations qui ressortent du plan prospectif à trente ans. Ces études, pilotées par l'état-major des armées, visent à consolider les concepts, l'expression des besoins militaires, la préparation des opérations d'armement et les doctrines d'emploi liées à la mise en oeuvre des équipements ; elles évaluent le potentiel opérationnel, actuel et futur, de nouvelles technologies.

Le budget 2013 des EOTO, d'un montant de 24,6 millions d'euros, est stable par rapport à celui voté en loi de finances pour 2012. Le recentrage sur les études de plus grande ampleur et la recherche corrélative d'une réduction des « micro-études » restent au rang des objectifs d'efficience visés par le programme.

La sous-action 73 regroupe les crédits consacrés aux études amont qui sont conduites par la Direction générale de l'armement (DGA), en coopération étroite avec l'état-major des armées. Ces études représenteront en 2013 54,4 % des autorisations d'engagement du programme 144, hors titre 2, et 55,4 % des crédits de paiement, soit respectivement 736 millions d'euros en AE et 706 millions d'euros en CP. C'est dire leur importance dans le programme dont j'ai la responsabilité.

Rappelons que ces études sont des recherches et des études appliquées, de nature technique, rattachées à un besoin opérationnel prévisible ; elles sont définies comme un ensemble de travaux qui contribuent à maîtriser la base industrielle et technologique de défense et de sécurité et la base étatique nécessaire à la réalisation des opérations d'acquisition ou de maintien à niveau d'équipements, notamment par la levée de risques préalablement à leur lancement.

En 2013, les crédits prévus pour les études amont sont stables en ce qui concerne les autorisations d'engagement et en nette augmentation pour ce qui est des crédits de paiement puisque ceux-ci progressent de près de 12 %. Cela situe l'importance accordée à ces études dans une période de forte contrainte budgétaire.

Dans le projet annuel de performances, ces crédits sont divisés en deux opérations stratégiques : d'une part, la prospective et la préparation de l'avenir, pour un montant de 491 millions d'euros d'AE et de 515 millions d'euros de CP, et, d'autre part, la dissuasion, pour un montant de 245 millions d'euros d'AE et de 191 millions d'euros de CP.

Au total, l'enveloppe disponible se stabilise autour de 700 millions d'euros, ce qui traduit une remontée de ces crédits depuis le début des années 2000, date à laquelle les crédits d'études amont avaient atteint leur plus bas niveau - environ 400 millions d'euros de crédits de paiement. L'objectif fixé par la loi de programmation militaire était d'éviter un décrochage technologique vis-à-vis de nos principaux partenaires.

À partir de 2004-2005, la forte croissance de l'engagement des autorisations d'engagement a entraîné de lourds reports de charges, les crédits de paiement n'ayant pas suivi au même rythme. Durant ces dernières années, le responsable du programme, en liaison avec la DGA et la Direction des affaires financières, s'est efforcé de limiter ce report d'un exercice sur l'autre pour améliorer l'exécution des paiements et renforcer l'effet multiplicateur des crédits dévolus aux études amont. Pour l'année 2012, un plafond de 90 millions d'euros de reports avait été fixé. Les reports devraient finalement être limités à quelque 85 millions d'euros. Ce résultat a été obtenu par un « refroidissement » progressif des engagements, qui permet un meilleur pilotage de ce budget.

Dans le domaine des ressources, il faut noter que les recettes issues du compte d'affectation spéciale « Fréquences » - soit, en 2013, environ 45 millions d'euros - sont affectées aux études amont.

Je rappellerai pour finir sur ce point que les études amont sont incluses dans un agrégat plus large appelé « Recherche et développement », comprenant notamment la recherche duale portée par le programme 191 « Recherche duale » de la mission « Recherche » ainsi que la recherche menée par le CEA au titre du programme 146 « Équipement des forces ».

La sous-action 74 est complémentaire de la précédente car elle rassemble les crédits consacrés aux subventions à des opérateurs qui participent eux aussi à l'effort de recherche de défense : il s'agit des écoles de la DGA, de l'École polytechnique, de l'École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA), de l'École nationale supérieure des ingénieurs des études et techniques d'armement (ENSIETA), de l'Institut supérieur de l'aéronautique et de l'espace (ISAE), ainsi que de la part « défense » de la subvention de l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) et de la subvention à l'Institut Saint Louis.

Les sous-actions 73 et 74 forment d'ailleurs l'agrégat « Recherche et technologie », qui représente environ 2 % du budget de la défense français. À titre de comparaison, les Britanniques y consacrent environ 1,5 % de leur budget, les Allemands un peu plus d'1 %. Quant aux États-Unis, en 2010, ils dépensaient pour cet agrégat 10,1 milliards d'euros, contre 0,82 milliard d'euros en France.

Pour les subventions versées aux opérateurs de l'État relevant du programme, les crédits sont stables par rapport à 2012, soit un montant d'environ 270 millions d'euros. Nous participons à l'effort pour rationaliser la tutelle de ces opérateurs, en liaison avec les autres programmes de la mission « Défense ». Nous sommes conscients des efforts à consentir pour que ces opérateurs participent pleinement aux efforts de maîtrise financière accomplis par l'État - y compris l'École polytechnique, qui a parfois du mal à l'accepter ...

L'action 8, « Relations internationales », regroupe les crédits consacrés au soutien aux exportations d'armements et à la diplomatie de défense. En crédits de paiement, cette action est en recul de près de 2 %. Elle représente 43,7 millions d'euros.

La sous-action 81, relative au soutien aux exportations, enregistre une augmentation de plus de 5 %, hors titre 2, pour s'établir à 6,9 millions d'euros environ. Cette augmentation est essentiellement provoquée par la tenue en 2013 du salon de l'aéronautique et de l'espace du Bourget.

La sous-action 82 « Diplomatie de défense » est, pour sa part, en repli de près de 3 % grâce à la poursuite de la réorganisation du réseau. Ses dépenses s'établiront en 2013 à 36,8 millions d'euros.

Les 30,29 millions d'euros de crédits d'intervention relevant de la diplomatie de défense comprennent les versements au titre du Partenariat mondial contre la prolifération des armes de destruction massive et des matières connexes, dit PMG 8 et la contribution à la République de Djibouti.

Par convention signée le 16 mars 2009, l'État a en effet délégué au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) la mission de gérer les actions de coopération bilatérales et multilatérales entreprises dans le cadre du PMG8, adopté lors du sommet de Kananaskis de juin 2002, ainsi que les fonds versés à cette fin. En mai 2011, le sommet du G8 de Deauville a décidé de prolonger ce partenariat au-delà de 2012. La part des crédits relevant du ministère de la défense et des anciens combattants s'élève à 5,742 millions d'euros.

La France est par ailleurs redevable d'une contribution annuelle forfaitaire de 30 millions d'euros au gouvernement de la République de Djibouti, en compensation de l'implantation des forces françaises sur son territoire. Cette contribution relève de la convention bilatérale du 3 août 2003, dont les dispositions financières ont été confirmées dans le nouveau traité de coopération en matière de défense, signé le 21 décembre 2011 entre la France et Djibouti, et qui entrera en vigueur à l'issue de sa double ratification. Sur ces 30 millions d'euros, 24,55 millions d'euros relèvent en 2013 du programme 144.

Pour conclure cette intervention et pour répondre à votre question sur l'architecture du programme, je me permettrai de signaler trois aspects, que je considère comme positifs, du pilotage du programme 144 par la Délégation aux affaires stratégiques (DAS) et son équipe de six personnes - à comparer aux 32 personnes qui gèrent les quelque 3 milliards d'euros du programme 212 « Soutien de la politique de défense ».

Tout d'abord, le programme 144 n'a pas été créé au hasard mais répond à une logique, en regroupant l'ensemble des crédits consacrés à la fonction « prospective ». La coordination a d'ailleurs été renforcée entre tous les acteurs de la fonction « prospective », comme le demandait le Livre blanc de 2008.

Ensuite, ce programme, concentré autour d'une seule priorité, permet de sanctuariser des crédits - comme ceux de la DGSE ou des études amont -, alors que dans un programme regroupant plusieurs priorités, le risque est d'être conduit à prélever des crédits sur une action au détriment d'une autre.

Je ne suis pas certain que le directeur général de la sécurité extérieure - mais c'est à lui qu'il faut le demander - verrait d'un bon oeil d'être rattaché au programme 178, à l'image de la direction du renseignement militaire. Ne serait-il pas logique, au contraire, si l'on veut réellement poursuivre la priorité accordée à celle-ci, identifier comme tels les crédits consacrés à la fonction « connaissance et anticipation » dans les prochaines années et réfléchir à la nécessité d'en tirer toutes les conséquences, par exemple en s'interrogeant sur l'opportunité ou non de voir les crédits de la DRM rattachés au programme 144 ? Ceci pourrait permettre sinon d'éviter, du moins de limiter, l'application à cette direction des multiples contraintes qui s'appliquent à l'état-major des armées en termes de déflation des effectifs et de réduction des dépenses. De la même manière, le fait que les études amont relèvent d'un programme distinct du programme 146 consacré aux équipements permet de bien identifier et, en un sens, de « sanctuariser » - c'est-à-dire de préserver - ces crédits. Dans le cas contraire la tentation pourrait être forte, soit de sacrifier les études amont au profit des équipements, soit de privilégier au nom de la fongibilité une logique de court terme sur une préoccupation de long terme visant à préserver l'effort de recherche en matière de défense. Enfin, je voudrais à nouveau insister sur les avantages de ce programme en termes de souplesse de gestion pour ses différents intervenants, ce qui est d'autant mieux accepté que le responsable du programme se trouve dans une position de neutralité et joue là un rôle de facilitateur et de régulateur.

En dernier lieu, laissez-moi rappeler que le programme permet d'articuler entre elles les différentes études menées au sein du ministère de la Défense. C'est parce que nous connaissons notre environnement international et que nous bénéficions des informations transmises par les utilisateurs de nos capacités militaires que nous sommes à même de programmer au mieux les études amont, qui débouchent elles-mêmes sur les programmes d'armement.

M. Daniel Reiner, président. - Je vous remercie pour ces précisions et je passe maintenant la parole à nos deux co-rapporteurs, MM. André Trillard et Jeanny Lorgeoux.

M. André Trillard, co-rapporteur. - Depuis déjà plusieurs années, d'abord en tant que rapporteur pour avis sur le budget du ministère des affaires étrangères, puis en qualité de rapporteur pour avis sur le programme 144, je suis avec un intérêt particulier les questions relatives à notre diplomatie de défense à notre politique de coopération en matière de défense.

Avec mon collègue Jeanny Lorgeoux, nous avons d'ailleurs auditionné au Sénat le général Gratien Maire, qui est chargé des relations internationales au sein de l'état-major des armées.

Au-delà de la réforme engagée depuis 2008 et de la création de la nouvelle base militaire française à Abu Dhabi, je souhaiterais vous interroger, Monsieur le Directeur, sur vos priorités dans ce domaine, notamment dans l'optique du nouveau Livre sur la défense et la sécurité nationale ?

Alors que le Président de la République vient d'annoncer une nouvelle page dans les relations avec l'Afrique, comment cette priorité va-t-elle se traduire concrètement s'agissant de notre présence militaire sur le continent africain et de notre coopération militaire ? La situation au Sahel et la perspective d'une intervention de l'Union européenne au Mali est-elle de nature à revoir notre stratégie et notre présence dans la région ? Qu'en est-il de notre présence à Djibouti et dans le Golfe ?

Comment renforcer aussi notre présence et notre coopération militaire avec les nouvelles puissances émergentes, comme l'Indonésie par exemple ? Qu'en est-il de notre présence en Asie Pacifique ?

Alors que la France est le principal promoteur d'une relance de l'Europe de la défense, n'est-il pas paradoxal de réduire progressivement notre coopération militaire et la présence de nos attachés de défense en Europe ?

Pourriez-vous nous préciser l'état du dossier concernant la coopération en Afghanistan et la question sensible du financement des forces de sécurité afghanes après 2014 ? Notre pays sera-t-il appelé à contribuer financièrement au paiement des soldes des soldats afghans après 2014 et sur quel budget ?

Enfin, est-ce que la coopération militaire avec la Turquie a été relancée, après les difficultés rencontrées ces dernières années ?

M. Jeanny Lorgeoux, co-rapporteur. - Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2013, les crédits du programme 144 sont en augmentation de 2,7 % pour les autorisations d'engagement et de 6,2 % en crédits de paiement.

Dans un contexte financier difficile, je tiens à souligner que cette augmentation représente un effort notable du ministère en faveur des dépenses d'avenir. Je pense en particulier aux études-amont, qui augmentent de 11,7 %.

Je me félicite aussi de la poursuite du renforcement de la fonction « connaissance et anticipation », et notamment de l'augmentation des crédits de la DGSE, dont nous avons d'ailleurs entendu le directeur en audition, avec notre collègue Jeanny Lorgeoux.

Lors d'une récente visite au siège de la direction de la protection et du secret de la défense nationale (DPSD), j'ai aussi constaté la diminution des effectifs et des moyens de cette direction ces dernières années.

Ainsi, pour 2013, la diminution prévue de 2 millions d'euros sur les dépenses de personnel (titre 2) sera difficilement tenable, alors que la DPSD connaît déjà un sous-effectif de l'ordre de 100 personnes, sur un total de 1190 postes.

Certes, la dématérialisation des procédures permet des économies et des réductions de personnels.

Mais il me semble que face aux menaces, comme l'espionnage, l'ingérence ou le cyber, visant les armées ou les entreprises du secteur de la défense, sur notre territoire ou à l'étranger, les moyens de la DPSD mériteraient d'être préservés dans les prochaines années.

Enfin, je partage les préoccupations de notre collègue concernant notre présence et notre coopération militaire en Afrique.

M. Michel Miraillet, directeur chargé des affaires stratégiques. -Sur la DPSD, je souhaite vous renvoyer à la présentation qui vient d'être faite des crédits. Je ne pense pas que nous puissions considérer que ce service - dont l'utilité et la qualité ont été à nouveau démontrées ces derniers mois sur le terrain en Afghanistan, notamment à la suite des incidents « green on blue », soit délaissé. Depuis plusieurs années, un effort en profondeur a été conduit en liaison étroite avec ses responsables afin d'opérer le repyramidage et une évolution qualitative sensible des personnels affectés, notamment à travers l'affectation d'officiers brevetés. La contrepartie en est naturellement une participation du service à l'effort de rationalisation de ses coûts de fonctionnement. L'objectif n'en reste pas moins toujours le même, garantir l'efficacité du service en l'accompagnant dans sa modernisation.

La diplomatie de défense est une constante du ministère de la défense et une priorité de notre action. Cette diplomatie de défense ne se résume pas au seul réseau des attachés de défense, qui, en liaison étroite avec les chancelleries diplomatiques, jouent un rôle important mais non exclusif.

La diplomatie de défense, c'est aussi les relations avec les autres ministères de la défense et leurs départements politico-militaires lorsque ceux-ci existent, les centres de recherche qui se trouvent aujourd'hui à l'origine de la multiplication d'instances de dialogue politico-militaire, qui présentent l'originalité de rassembler dans les formats les plus variés diplomates, journalistes, universitaires et militaires. Ces enceintes, à l'image des fora gérés par les grands think tanks américains et européens, jouent sur les grands dossiers d'actualité, qu'il s'agisse de l'Afghanistan, du désarmement nucléaire, des questions de prolifération ou de sécurité régionale, de l'actualité au sein de l'Alliance atlantique ou de la défense européenne, un rôle de plus en plus important que nous devons impérativement prendre en compte.

C'est ce que ce ministère, dans toutes ses composantes, s'efforce de faire et de développer depuis plusieurs années, non seulement à travers le dialogue étroit entretenu avec nos principaux alliés, notamment américains, comme avec nos partenaires européens, quels que soient les formats retenus (dialogues stratégiques officiels, participation active à des exercices de types « track 2 », organisations de séminaires en lien avec des centres de recherche français ou étrangers) .

Dans ce paysage, dont je voudrais souligner à quel point il est exigeant en termes de ressources financières et humaines, l'Asie Pacifique joue un rôle croissant, comme vous avez tenu vous-même à le souligner. Nous n'avons pas attendu les tensions actuelles en mer de Chine pour tisser avec le Japon, la Corée du Sud, Singapour, la Malaise, l'Indonésie (avec laquelle nous avons eu à la fin des années 1980 une coopération importante) et l'Australie des liens de plus en plus productifs. Ces liens ont pu être et sont toujours, pour certains pays, motivés par le souci de soutenir le développement de nos coopérations militaires et d'armement mais, dans bien des cas, et tout particulièrement avec Singapour ou l'Australie, ces dialogues revêtent désormais un caractère structurel, un intérêt réciproque et une intimité) dont nous ne pouvons que nous féliciter. Notre présence dans le Pacifique et tout particulièrement en Nouvelle Calédonie est vue par nos partenaires de la zone, y compris dans sa dimension élargie à l'ASEAN, comme un atout et un élément essentiel de notre coopération et de notre diplomatie de défense.... Nous sommes aujourd'hui aux antipodes des rapports difficiles de la fin des années 1980 avec Canberra.

Cette évolution n'est naturellement pas exclusive de la recherche d'un engagement plus affirmé avec les grands émergents au premier chef desquels figurent l'Inde, le Brésil et bien sur, l'Indonésie. Là encore, la diplomatie de défense est là pour soutenir une coopération de défense en pleine expansion mais aussi pour donner sa pleine signification aux partenariats stratégiques décidés au plus haut niveau politique. Le Brésil n'occupe pas seulement une place majeure en Amérique du Sud, mais constitue déjà un acteur majeur bienvenu de la zone de l'Atlantique Sud et à moyen terme pour l'Afrique de l'Ouest, notamment dans le domaine sécuritaire avec pour cible prioritaire la lutte contre la réduction des trafics de stupéfiants qui inondent aujourd'hui le sud Sahel. L'Indonésie après les années de gel de la coopération en raison du coup d'état militaire est redevenue un objectif de notre politique de défense. Le seul poids de ce pays au sein de l'ASEAN le justifie à lui seul, même si le manque de structures politico-militaires développées dans ce pays constitue encore un handicap pour le développement de ces relations.

D'une façon générale, l'Asie du Sud-Est constitue l'une des priorités du ministre de la Défense, M. Jean-Yves Le Drian. Du 1er au 3 juin dernier, celui-ci a ainsi participé à Singapour au XIe Sommet sur la sécurité en Asie, dans le cadre du dialogue de « Shangri-La », organisé par l'Institut international d'Etudes Stratégiques de Londres. Sa présence à ce forum, tout à fait symptomatique de ce qu'est aujourd'hui la diplomatie de défense, lui a permis de rencontrer un très grand nombre de personnalités politiques et militaires de premier plan des pays de la région et d'affirmer le rôle de la France dans cette région qui présente pour nous une importance stratégique majeure.

Plusieurs de vos questions portaient sur l'Afrique et nos priorités sur le continent. Concernant la coopération avec l'Afrique, conformément à l'engagement pris par l'ancien Président de la République, l'ensemble des accords de défense ont été revus et ont fait l'objet d'une approbation parlementaire S'agissant de notre présence militaire à Djibouti, je n'insisterai pas longtemps : celle-ci s'est avérée très utile, fondamentale, dans le cadre de la lutte contre la piraterie maritime et l'opération Atalanta de l'Union européenne dont nous assurons un large soutien, y compris à travers cet atout majeur que représente encore aujourd'hui notre hôpital militaire. Il est d'ailleurs intéressant de noter que nous ne sommes pas les seuls à juger cet investissement nécessaire au regard du caractère central que revêt aujourd'hui l'Océan indien, au-delà du seul problème multi-dimensionnel que représente la Corne de l'Afrique, au plan stratégique, comme l'a souligné le Livre blanc de 2008 : la présence militaire américaine à Djibouti se développe ; après les Japonais et les Chinois, les Russes sollicitent aujourd'hui à leur tour les autorités de Djibouti afin de pouvoir bénéficier de facilités de stationnement pour des avions de patrouille maritime...

Plus généralement, les opérations militaires récentes menées dans la Corne de l'Afrique en Libye ou en Côte d'Ivoire, la situation au sud Sahel - dont le caractère potentiellement déstabilisateur pour la région comme pour les structures gouvernementales et administratives locales ne saurait trop être souligné - sont là pour nous rappeler l'importance du continent pour notre environnement sécuritaire immédiat. Cette donnée de fond porte en germe, comme vous le laissez entendre, une nécessaire réflexion sur l'adaptation éventuelle du dispositif plus restreint dessiné en 2008 par le Livre blanc et limité à deux implantations pour nos forces prépositionnées en Afrique, l'une en Afrique de l'Ouest, au Gabon, et l'autre en Afrique de l'Est, à Djibouti. Cette question, qui doit également être confrontée à nos contraintes financières, n'a encore fait à ce stade l'objet d'aucune conclusion, mais constitue un thème de réflexion de la commission chargée de la rédaction du nouveau Livre blanc.

S'agissant de l'Afghanistan et de la question du financement des forces de sécurité afghanes après le retrait en 2014, comme vous le savez, le Président de la République a indiqué que la France continuerait de soutenir les autorités afghanes après 2014, conformément d'ailleurs à ce que prévoit le traité bilatéral conclu entre nos deux pays. Nous n'avons à ce stade pris aucun engagement sur ce que pourrait être une éventuelle contribution à l'effort de financement de l'ANA comme le souhaitait notre allié américain à Chicago. Cette question est toujours à l'étude et devra, en toute hypothèse, prendre en compte la valorisation de l'effort que nous continuerons de conduire dans la formation des forces afghanes après 2014. Ceci me donne l'occasion de rappeler que la réussite de la transition en Afghanistan dépendra de plusieurs facteurs, à l'image du bon déroulement des prochaines élections présidentielles et législatives de 2014, qui serviront de test pour la crédibilité de la réussite du processus de transition. Nous travaillons étroitement avec le ministère des affaires étrangères pour aider les autorités afghanes, et plus largement, les différentes composantes de la société afghane, à préparer ces échéances cruciales et à fonder les bases d'une véritable vie politique démocratique dans ce pays, même si l'issue du processus de transition reste encore à ce jour incertaine. Le paiement des soldes, le maintien en condition opérationnelle de l'ANA sont bien entendu des conditions nécessaires, mais elles ne sont pas non plus suffisantes : il faut donner aussi le sentiment aux soldats et aux policiers afghans qu'ils se battent pour leur pays, ce qui supposent que les dirigeants à Kaboul, le système politique en place en 2014, disposent d'une réelle légitimité aux yeux de la population.

Enfin, s'agissant d'un éventuel impact de la fermeture de certains postes d'attachés de défense sur nos projets de relance de la défense, je ne pense pas que l'argument ait la moindre valeur... Peut être est-il l'expression de la frustration de certains postes diplomatiques qui auront fait ces dernières années les frais des restrictions budgétaires subies par ce ministère. Je voudrais seulement rappeler que, quelle que soit l'importance au quotidien de la présence et du dévouement de nos officiers en poste sur place, cette politique de relance mobilise avant tout le ministère des affaires étrangères, la DAS et l'Etat-Major des armée, comme nos représentations à Bruxelles. Les attachés de défense constituent d'utiles relais mais cette politique se dessine avant tout au niveau des administrations centrales qui, je le rappelle, entretiennent aussi des liens directs avec leurs homologues européens. C'est d'ailleurs cette facilité de contact qui, dans un certain nombre limité de cas, notamment en Europe centrale, dans des pays où l'effort en matière de défense s'est réduit de manière drastique ces cinq dernières années, a permis de justifier la suppression de certains postes d'attachés de défense.

M. Daniel Reiner, président. - Nous avons d'ailleurs constaté récemment, lors d'un déplacement en République tchèque, à l'occasion de la session annuelle de l'assemblée parlementaire de l'OTAN, que la France n'avait plus d'attaché de défense permanent à Prague, même si l'attaché de défense adjoint, en poste à Varsovie, avait fait le déplacement en République tchèque, puisque ce pays est désormais couvert par la mission militaire en Pologne.

M. Michel Miraillet, directeur chargé des affaires stratégiques. - Compte tenu de la nécessité de supprimer des effectifs, nous avons en effet, après une instruction précise du dossier, estimé préférable de privilégier la Pologne, qui représente pour nous un partenaire majeur dans le cadre du « triangle de Weimar », très impliqué sur les questions d'Europe de la défense, comme sur la modernisation de son armée. Enfin, la République tchèque a été amenée ces dernières années à réduire drastiquement ses dépenses en matière de défense, de l'ordre de 10 % par an, en raison de la crise économique et financière. Le budget de la défense ne représente plus qu'environ 0,75 % du PIB.

A côté de cette rationalisation de notre dispositif, je voudrais néanmoins rappeler que ces mesures de réduction ne constituent en rien un geste de défiance vis-à-vis de nos attachés de défense, bien au contraire. Ceux-ci constituent des rouages indispensables de nos ambassades, des relais nécessaires : l'Etat-Major des armées en tire aujourd'hui toutes les conséquences en améliorant le déroulement des carrières des attachés de défense afin de les rendre plus attractives aux personnels à haut potentiel, au profit même du développement de la fonction internationale dans les armées.

En réponse à M. Jeanny Lorgeoux, je mentionnerai les éléments suivants :

- conformément aux orientations du précédent Livre blanc de 2008, et de la priorité accordée à la fonction « connaissance et anticipation », les services de renseignement, et la DGSE en particulier, ont bénéficié d'une augmentation régulière de leurs moyens ces dernières années. Ainsi, la DGSE poursuit à rythme régulier le cadencement prévu pour le recrutement de près de 700 postes supplémentaires, ce qui, en période de restrictions budgétaires et d'effectifs, représente un effort notable. La DGSE ne rencontre d'ailleurs aucune difficulté particulière en matière de recrutement.

- la priorité accordée au cyber se manifeste partout, dans les services de renseignement, au ministère de la défense, au sein de la direction générale de l'armement même si la cyberdéfense relève davantage de l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information, rattachée au secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale et dirigée par Patrick Pailloux. Cette priorité devrait se poursuivre et même s'amplifier dans les prochaines années, comme pourraient bien le laissent présager les discussions actuelles autour du nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. L'exemple de l'attaque informatique ayant visé cet été la première compagnie pétrolière d'Arabie Saoudite, Saoudi Aramco, dont plus de 30 000 ordinateurs ont été rendus inutilisables dans un court laps de temps, démontre l'ampleur des enjeux et des risques soulevés par les attaques informatiques pour notre sécurité nationale. Or, beaucoup reste encore à faire pour sensibiliser les administrations, les entreprises ou encore le monde de la recherche. Par ailleurs, les moyens dont notre pays dispose restent encore très inférieurs à ceux de nos principaux partenaires et alliés, notamment si l'on veut bien considérer l'effort annoncé par le Premier ministre britannique en 2010 de porter l'effort du Royaume Uni à hauteur de 600 millions de livres, soit 750 millions d'euros, sur les quatre prochaines années.

M. Daniel Reiner, président. - Une délégation de notre commission vient de participer, avec nos collègues députés, à la session annuelle de l'assemblée parlementaire de l'OTAN, qui s'est tenue à Prague, du 9 au 12 novembre. Je souhaiterais à cet égard remercier le ministère de la défense, et la direction aux affaires stratégiques en particulier, pour son aide précieuse dans la préparation de ce déplacement, notamment pour les éléments d'information qui nous ont été très utiles pour relayer les positions françaises au sein de cette assemblée. Cette session a vu l'adoption de plusieurs rapports et résolutions, notamment sur la Syrie, l'Afghanistan ou encore le programme nucléaire militaire de l'Iran. Je souhaiterais connaître votre sentiment sur le rôle de cette assemblée et plus largement sur l'influence de la France au sein de l'Alliance atlantique. Nous avons un peu le sentiment d'un relatif isolement et d'une faible influence française au sein de l'assemblée parlementaire, comme au sein de l'OTAN en général.

M. Jacques Gautier. - Nous avons fait quelques progrès au sein de l'assemblée parlementaire de l'OTAN, puisque la dernière session a vu l'élection d'un certain nombre de parlementaires français au sein du Bureau de l'assemblée et des différentes commissions, à l'image de notre collègue députée Nicole Ameline, qui a été élue vice-présidente. Toutefois, je partage moi-aussi un sentiment étrange de notre participation à cette session, surtout lorsque l'on assiste au discours du Président géorgien Mikhaïl Saakachvili devant cette assemblée et qu'on l'entend vanter le bon déroulement des élections législatives dans son pays, qui témoignent, d'après lui, de la maturité de la démocratie géorgienne, et plaider en faveur de l'adhésion de la Géorgie à l'OTAN, et se faire applaudir par les représentants de la quasi-totalité des vingt-huit pays membres de l'alliance atlantique.

M. Michel Miraillet, directeur chargé des affaires stratégiques. - L'Alliance atlantique peut parfois donner le sentiment d'une lourde machine bureaucratique servant à relayer les positions américaines et qui se contente de développer une vision irénique des relations transatlantiques. La réalité est beaucoup plus complexe, comme le montre le récent rapport de M. Védrine et sa principale recommandation, à savoir nous réapproprier cette organisation et son secrétariat international. Sommes-nous isolés pour autant ? Je ne le crois pas. Encore une fois, cette Alliance dissimule des jeux de rôle complexes, parfois difficiles à déchiffrer pour le non initié. Notre place d'allié majeur ne nous est pas contestée loin de là. Bien au contraire, le conflit libyen a renforcé la perception de notre influence et du savoir-faire de nos armées. Mais nous tenons aussi le rôle d'un allié intransigeant sur le fonctionnement de l'Alliance, notre vision du rôle des nations et du refus d'une évolution de l'OTAN vers le statut d'une agence de sécurité portant en germe la déresponsabilisation de nos alliés.

Dans ce contexte, comme dans cet objectif de rappropriation qui s'inscrit dans le temps long, l'assemblée parlementaire de l'OTAN peut jouer un rôle utile car elle permet aux parlementaires issus des vingt-huit pays membres de l'alliance de débattre et de confronter leurs idées sur les questions de défense et de sécurité, d'échanger avec leurs partenaires et alliés, et de faire état parfois de nuances ou bien d'absence de nuances. Je pense par exemple à l'inquiétude suscitée en France par l'idée, poussée par le secrétaire général de l'OTAN, d'un recours accru et presque aveugle au financement en commun.

Le rapport de M. Hubert Védrine sur les conséquences du retour de la France dans le commandement militaire intégré de l'OTAN, l'avenir de la relation transatlantique et les perspectives de l'Europe de la défense, qui doit être remis incessamment au Président de la République, me semble plein de bon sens et j'en partage très largement le diagnostic et les recommandations s'agissant de l'Alliance. Dès lors que la France a fait le choix de réintégrer le commandement militaire intégré de l'OTAN, notre pays se devait de faire en sorte de retrouver une influence de premier plan au sein de l'Alliance. Ce mouvement est engagé, l'opération libyenne n'a fait que renforcer ce mouvement même si l'une des principales difficultés que nous ne devons pas nous cacher tient au vivier limité dont nous disposons de personnels, civils ou militaires, bons connaisseurs des rouages de cette organisation complexe.

Ceci milite pour que notre pays n'hésite pas à faire valoir ses intérêts, par exemple au sujet du financement en commun, qui peut s'avérer légitime pour certaines capacités dans les domaines du renseignement, de la surveillance et des communications, en d'autres termes afin de financer l'indispensable interopérabilité des forces, la « pointe de la flèche » , mais qui ne saurait servir de modèle de financement par défaut. Ceci milite également pour que soit poursuivi l'effort de modernisation de la gestion financière de l'organisation, quasiment imposé au secrétariat international en 2010, priorité dont un scandale récent autour de l'absence de contrôle de la facturation des carburants livrés à L'ISAF a montré toute l'acuité. Notre pays a, par ailleurs, joué un rôle de premier plan pour promouvoir une profonde réforme de la structure de commandement et pousser à une réforme en profondeur - aujourd'hui largement inaboutie- des agences de l'OTAN.

M. Jean-Pierre Chevènement. - Je souhaiterais vous interroger sur le programme nucléaire militaire de l'Iran, et en particulier, sur l'efficacité des sanctions et les perspectives de reprise des négociations.

M. Michel Miraillet, directeur chargé des affaires stratégiques. - Je commencerai tout d'abord par les sanctions. Il est parfois de bon ton de douter de leur efficacité. La réalité est que celles-ci fonctionnent et ont des conséquences lourdes sur l'économie iranienne comme sur les secteurs de l'économie tenus par les gardiens de la révolution. Les nouveaux trains de sanctions à l'encontre de l'Iran adoptés par les Etats-Unis et l'Union européenne ont récemment encore provoqué un nouvel effondrement de près de 40 % de la valeur du rial ; la multiplication des tentatives iraniennes de contournement souligne aujourd'hui la nervosité croissante des autorités face à la pression qui s'exerce sur elles dans tous les domaines, du secteur bancaire aux hydrocarbures.

Comme vous le savez, les derniers rapports de l'AIEA n'ont fait que confirmer la détermination iranienne à poursuivre son programme d'enrichissement, notamment à travers le développement des capacités de ré-enrichissement à 20 % de l'installation de Qom/Fordo. Dans le même temps, les Iraniens se refusent toujours à répondre aux questions de plus en plus précises posées par l'Agence sur leurs travaux de militarisation. Dans le même temps, nous assistons ces derniers mois à certaines évolutions dans le discours des responsables iraniens qui laissent craindre qu'ils ne cherchent à développer de nouveaux arguments en faveur d'un enrichissement plus poussé de l'uranium. Ceci explique sans doute les annonces récentes - et peu convaincantes sur le fond - selon lesquelles l'Iran envisagerait de multiplier son programme de centrales nucléaires civiles et se lancerait dans la production d'un réacteur de propulsion navale imposant un enrichissement supérieur à 60 %.... Je rappelle que c'est le souci affiché de produire des radio isotopes médicaux par le biais du réacteur de recherche de Téhéran qui avait justifié le lancement d'une unité pilote d'enrichissement à 20 %.

Concernant les négociations avec l'Iran, elles n'ont pas avancé sur le fond, qu'il s'agisse de la suspension de l'enrichissement à 20 %, ou des tentatives de relance lancées par certains membres du P5+1. Dans les faits, nous sommes au point mort, faute de réponse convaincante de la partie iranienne. Encore une fois et plus que jamais, la balle est dans le camp iranien, dans le contexte dégradé que nous connaissons marqué notamment par les lignes rouges israéliennes présentées par le Premier ministre Netanyahou à la tribune de l'Assemblée générale des Nations unies.

Jeudi 15 novembre 2012

- Présidence de M. Daniel Reiner, vice-président -

Audition de M. Eric Chevallier, ambassadeur de France en Syrie

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M. Daniel Reiner, président. - Monsieur l'ambassadeur, soyez le bienvenu dans notre commission que vous connaissez bien. Comme vous le savez, votre audition s'inscrit dans un cycle sur la crise syrienne. Notre président, Jean-Louis Carrère, a souhaité que nous entendions les représentants des différents Etats concernés par cette crise et que ceux-ci puissent donner la position de leur pays sans aucun filtre médiatique. Je tiens du reste à l'excuser auprès de vous de ne pas être là aujourd'hui car il a dû retourner précipitamment dans les Landes à cause d'un décès dans sa famille.

Nous avons déjà entendu les ambassadeurs du Royaume-Uni, d'Allemagne, de Russie, des Etats-Unis, de la Turquie, de la Jordanie, du Liban et d'Israël et leur compte rendu est public, à l'exception toutefois de celui des représentants des Etats-Unis et de l'ambassadeur d'Israël qui ont souhaité être entendus à huis clos. Tous les ambassadeurs étrangers que nous avons auditionnés nous ont dit beaucoup de bien de vous. C'est donc avec beaucoup de plaisir que nous vous écoutons.

Depuis la dernière fois, il y a eu la réunion de Doha, où vous étiez, ainsi que les déclarations du Président de la République sur la Syrie lors de sa conférence de presse. Je vous remercie donc, Monsieur l'ambassadeur, de bien vouloir vous prêter à cet exercice.

M. Eric Chevallier, ambassadeur de France pour la Syrie. - La situation est grave. La violence atteint des niveaux inégalés. Le régime syrien procède à des bombardements atroces sur les populations civiles. Des barils de TNT sont jetés par hélicoptère sur les quartiers rebelles. C'est une sauvagerie jamais vue.

Le régime syrien est en train de perdre le contrôle et cela se manifeste de quatre façons.

La première est la perte de contrôle sur le terrain. Il se dit que le régime aurait déjà perdu jusqu'à 70 % du territoire. Pour ma part, j'invite à regarder ces chiffres avec prudence. Ce n'est pas la même chose de contrôler des zones désertiques qu'un quartier populaire à Damas. En outre, la situation évolue de jour en jour. Mais il n'en reste pas moins qu'il est absolument clair et irréfutable qu'il y a bien un grignotage des zones contrôlées par le pouvoir, ou plus exactement une sorte de diffusion en « taches d'huile » ou en « peau de léopard », avec des taches qui ont tendance à s'agrandir, y compris sur des lieux réputés être des bastions du régime. Alep est très disputée. La banlieue de Damas est quasiment aux mains de la révolution.

Le second élément est l'érosion de la cohésion du système. Le coeur reste soudé semble-t-il. Mais les défections s'accroissent, à commencer par celle de l'ancien Premier ministre qui était présent à la réunion de Doha qui a vu il ya quelques jours la naissance de la nouvelle coalition de l'opposition. Des responsables politiques ou administratifs de niveau inférieur et aussi des responsables militaires, y compris de haut rang, font défection.

Il y a aussi toutes les défections invisibles, c'est-à-dire les responsables du régime qui sont, dans leur tête, passés de l'autre côté, mais à qui l'opposition demande délibérément de rester en place car ils sont plus utiles là où ils sont que dans un camp de réfugiés en Turquie. Par ailleurs, c'est très compliqué de faire défection. Quand vous partez, il ne suffit pas de monter dans une voiture et de partir. Il faut emmener toute sa famille avec soi, pour éviter les représailles. Quand le Premier ministre est parti, il a emmené avec lui quarante-cinq parents ou alliés. Vous comprendrez que c'est un peu compliqué à organiser, d'autant que ces gens là sont surveillés et davantage encore s'ils sont alaouites. C'est du reste pas seulement mais aussi pour cela que les principales défections sont sunnites.

Troisièmement, d'un point de vue financier, le régime a de plus en plus de mal à entretenir la machine répressive. Il y a un an et demi la Banque centrale syrienne disposait de dix-huit milliards de dollars de réserves. Aujourd'hui, elle ne disposerait plus que de trois à quatre milliards. Or il faut entre cinq cent millions et un milliard par mois au régime pour faire marcher l'appareil d'Etat et sa machine répressive.

Quatrièmement, le régime fait l'objet d'un isolement croissant. Lors de la dernière conférence islamique, tous les pays arabes, y compris certains alliés traditionnels de Damas, ont voté pour la suspension de la Syrie.

Dans ces conditions, la question se pose : quand atteindra-t-on le point de rupture ? J'avais dit au printemps 2011 que, malheureusement, la situation durerait longtemps et que ce serait sanglant. Ca dure depuis longtemps et ça été sanglant. Néanmoins, je vois mal comment ce régime pourrait tenir jusqu'à la fin 2013. Et j'espère que l'issue sera plus proche.

En face du régime qui y-a-t-il ?

L'opposition a longtemps été divisée. Ce qui n'est pas surprenant compte-tenu des contraintes qui pèsent sur elle. Le panorama est très divers. Il y a des représentants des anciens partis de gauche, des nassériens, des libéraux, des laïcs, des religieux, des gens de l'intérieur, des gens de l'extérieur... Et puis il y aussi, bien sûr, parfois des querelles de personnes qui durent depuis longtemps.

C'est pour cela que le processus de Doha la semaine dernière a été un vrai tournant. La nouvelle coalition représente une large part de l'opposition, je dirais au moins 70 % ; et s'appuie notablement sur les forces politiques de l'intérieur. Il était important que le Conseil national syrien en fasse partie. C'est le cas.

Comment cette coalition va-t-elle s'organiser et durer ? Cela dépend en partie de nous. Car nous Occidentaux et plus largement internationaux avons beaucoup poussé pour que l'opposition au régime de Bachar El Assad s'unisse. C'est fait. Maintenant l'opposition nous dit : « et vous : que faites vous en retour ? ». D'où l'importance du soutien manifesté par le Président de la République lors de sa conférence de presse et qui a été extraordinairement bien accueilli par l'opposition syrienne et au-delà par une grande partie du peuple syrien. C'est ce qui nous avait été demandé. Les Etats-Unis ont envoyé un signe positif. Le Royaume-Uni s'est exprimé par la voie de son ministre des affaires étrangères et devrait le faire encore plus fortement. Nous avons une vraie responsabilité historique. Si on laisse passer la rare occasion de soutenir une dynamique structurante, il ne faudra pas venir verser des larmes de crocodile après.

L'opposition travaille aussi à constituer un conseil militaire pour réunir la plupart des combattants ; ce conseil devant s'articuler avec la nouvelle coalition et lui être subordonné

Enfin, la coalition va créer une sorte d'entité administrative qui a vocation à devenir le gouvernement transitoire, le moment venu. Ils ne veulent pas d'un gouvernement en exil. Mais ils ont déjà besoin d'une interface avec la communauté internationale, ne serait-ce que pour acheminer l'aide là où c'est nécessaire. Cette structure sera basée au Caire ou en Jordanie. Dès que possible, elle sera transférée à l'intérieur et deviendra le gouvernement transitoire.

Pour ce qui est des combattants, il faut remettre les choses en perspective. La majorité des gens qui ont pris les armes l'ont fait parce que le régime a assassiné l'un de leurs proches ou qu'ils ont été révulsés par la sauvagerie du régime. Mais plus le conflit dure, plus il se radicalise, la violence appelle la violence : les appels au Jihad entrent en résonnance avec les souffrances de la population. Il y a des combattants extérieurs. Ça existe, le nier ne servirait à rien. Ce sont des gens aguerris qui viennent le plus souvent d'autres théâtres ; certains d'Irak, d'autres de Libye, du Maghreb, mais aussi du théâtre afghano-pakistanais. Il y a parmi eux quelques nationaux Français. Le nombre de ces combattants extérieurs est en croissance et plus la violence du régime s'intensifie plus cette composante prospère. Mais ils ne représentent que quelques centaines, voire quelques milliers au grand maximum, sur au moins 100.000 combattants. Il faut donc garder une juste compréhension de la dynamique armée de l'opposition.

La question est de savoir quel type de soutien les uns et les autres reçoivent. Si tous ceux qui ont un agenda radical reçoivent un grand soutien, petit à petit ils prennent l'avantage sur les autres. C'est le discours de tous ceux qui réclament de l'aide à l'Occident.

Enfin, ce conflit a des implications régionales fortes. Au Liban l'attentat contre le chef des services de sécurité, le général Wissam Al-Hassan est évidemment à mettre en relation avec la situation en Syrie, même s'il faut attendre les conclusions de l'enquête. Et il ne faut pas oublier la Jordanie, la Turquie et l'Irak, sans compter Israël. A cause de la dimension religieuse du conflit chiite/sunnite, il y a des combattants irakiens des deux côtés. La Turquie se méfie beaucoup. Le problème n'est pas celui des 100 000 réfugiés. C'est compliqué et ça coûte de l'argent. Mais ce n'est pas l'inquiétude majeure pour la Turquie. La principale inquiétude des autorités turques est de savoir comment la Syrie va instrumentaliser la question kurde.

Certains en Israël se sont posé des questions au tout début des événements : « on n'aime pas le régime syrien, mais en même temps on le connaît ». Néanmoins les Israéliens sont bien conscients depuis de nombreux mois qu'une révolution populaire est en marche et surtout que plus la situation pourrit, plus les chances de voir s'installer le chaos à leur frontière augmente, et qu'il faut donc que le régime tombe vite.

Les grands équilibres internationaux : il y a une dimension d'affrontement religieux chiites/sunnites évidente. Mais encore une fois, ce n'était pas le moteur initial de la révolte, qui comme les autres révoltes du printemps arabe est issue d'une aspiration à plus de liberté et de dignité. Par ailleurs, le nombre d'appuis du régime syrien s'est réduit, mais ce sont encore des appuis de poids, Je pense que Les Russes sont convaincus que le régime va tomber, mais pour l'instant ils n'ont pas infléchi visiblement leur position politique en conséquence. Leur évaluation du rapport de force a changé, mais pas encore leur position politique. Ils doivent se poser la question de savoir comment ils vont gérer l'après Assad, car leur soutien à ce régime leur pose un problème avec le reste du monde arabe. On a vu à certaines occasions déjà évoluer les éléments de langage de la diplomatie russe qui prépare, par touches successives, un changement de position. Nous comprenons bien leur crainte de l'Islam radical. Nous la comprenons d'autant mieux que nous avons la même. Mais ce n'est pas en aidant le régime en place qu'on va conjurer cette menace. Au contraire, c'est l'entêtement du régime actuel qui radicalise l'opposition et fait le lit des jihadistes de tous les pays. S'agit-il de Tartous ? Mais il n'y a pas là-bas une immense base navale russe. Tout au plus un point d'appui pour les navires en route vers les mers chaudes.

Les Chinois je crois se posent beaucoup de questions, et l'enjeu de leur approvisionnement énergétique, venant du Golfe, est à garder à l'esprit.

M. Daniel Reiner, président. - L'ambassadeur russe, M. Alexandre Orlov, a dit devant notre commission que la situation en Syrie n'était que l'expression du conflit millénaire entre les chiites et les sunnites et que son pays ne voulait surtout pas s'en mêler. Il a dit également, et cela nous a beaucoup surpris, que c'était un bras de fer avec les Etats-Unis dans le cadre d'un rapport de forces plus global.

M. Jacques Gautier. - Si j'ai bien compris la démarche stratégique des Occidentaux en général et de la France en particulier, il s'agit d'une part d'unifier l'opposition - et cela est fait depuis Doha - et d'autre part de proposer un gouvernement de transition qui soit acceptable par tous y compris les Russes. Pour ma part, j'ai retenu de l'intervention de l'ambassadeur Orlov le fait qu'il nous ait dit que les Russes n'étaient pas attachés plus que cela à Bachar El Assad. Qu'en pensez-vous ?

M. Eric Chevallier, ambassadeur de France pour la Syrie. - les Russes disent de la question syrienne que c'est un bras de fer avec les Américains. Cela semble être le cas de leur point de vue. Mais qui en a fait un bras de fer ? Il n'empêche que nous devons et souhaitons maintenir un canal de discussion avec les Russes. C'est ce que nous faisons.

Sur l'affrontement entre les chiites et les sunnites, c'est vrai que c'est un des éléments de la question syrienne. Ce n'est pas le principal élément. Mais ça pourrait le devenir.

Concernant la dynamique de l'opposition, la conférence de Doha est un vrai progrès. Mais la capacité de la Coalition à s'ancrer dans le quotidien des Syriens dépend aussi de nous. La France a déjà fait une part du travail. Il faut que les autres pays, notamment occidentaux, le fassent aussi. Sur la question du gouvernement transitoire, ce que les opposants ont fait avec la coalition est intéressant. Est-ce que cela va déboucher sur un gouvernement transitoire ? Nous l'espérons. Il y a maintenant une instance. Mais cette instance n'a pas été mise en place pour négocier avec le régime. En tous les cas pas maintenant. Quand vous vous recevez de ce régime des barils de TNT chaque jour, c'est normal que vous n'ayez pas envie de négocier. Mais à un moment ou à un autre cela deviendra peut-être nécessaire.

Pour ce qui est des Russes, je suis convaincu qu'ils ne sont pas mariés avec Bachar El Assad.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Pour ce qui est des Assad, le fils n'est pas le père. Et puis il y a un risque, c'est que tout cela ne débouche sur la mise en place d'un régime radical islamiste. Pour ce qui est des Russes, l'ambassadeur Orlov ne nous a pas menti ; on sent bien qu'il y a rapport de forces global entre les Russes et les Américains, et que le conflit syrien, parmi d'autres, en fait partie.

M. Eric Chevallier, ambassadeur de France pour la Syrie. - Quant à la possibilité que tout cela évolue vers un régime radical, on ne peut évidemment totalement l'écarter mais ce n'est pas la pente la plus probable. Ce serait du reste un drame absolu quand on connaît bien ce beau pays qui a au cours des siècles été souvent un modèle pour ce qui est de la coexistence harmonieuse des communautés religieuses. Mais une fois que l'on a dit ça, que fait-on ? On s'assoit et on regarde les choses se faire ou bien on essaye de l'éviter, sans pour autant sombrer dans l'angélisme. Je ne peux évidemment garantir que la Coalition réussira à être le rempart qu'elle souhaite être contre la radicalisation. Mais je sais aussi que nous n'aurons pas nécessairement de multiples occasions. C'est pour cela qu'il faut la soutenir fortement.

M. Alain Gournac- Est-ce que l'hypothèse d'un repli des alaouites dans ce que l'on appelle le « réduit alaouite » est une hypothèse crédible ? Est-ce que l'on peut trouver un chef militaire qui soit capable d'unifier le mouvement ? Je pensais que le port de Tartous revêtait plus d'importance que vous ne le décrivez pour les Russes. Enfin, est-ce que les Etats-Unis aident l'opposition ?

M. Eric Chevallier, ambassadeur de France pour la Syrie. - La base navale, c'est un élément important, mais pas déterminant de la politique russe.

Quant au réduit alaouite, c'est clair que certains y pensent. Cela voudrait dire la partition de la Syrie. Il y a des gens qui dans le régime actuel ont préparé le repli. Ce serait compliqué et extrêmement grave, car cela conduirait à déplacer des populations. A Lattaquié, par exemple, il y a de nombreux sunnites. Mais pour certains, cela serait techniquement envisageable. Géographiquement, le réduit alaouite s'étendrait du nord au sud entre la frontière turque et la frontière libanaise. Il est bordé à l'ouest par la méditerranée et à l'est par une montagne très difficilement franchissable. Cette zone est presque de la taille du Liban. En outre, elle garderait de l'intérêt pour les deux principaux parrains du régime : l'Iran et la Russie. La Russie à cause de Tartous, et l'Iran, parce qu'à condition de garder le verrou de Homs, vous avez directement accès à la plaine de la Bekaa et par là au sud-Liban, donc au Hezbollah. Cette solution existe je crois dans la tête de certains piliers du régime.

Pour ce qui est de l'unification des combattants syriens, il n'y a pas de recette magique. Il n'y a pas de leader charismatique capable de les unir. Il n'y a pas un de Gaulle syrien. Il y a eu plusieurs essais, mais cela n'a pas marché. En tous les cas pas si cela vient du haut et de l'extérieur. Quand vous interrogez les chefs de katiba, ils vous répondent : « la Turquie c'est pour les femmes et les enfants. Les combattants sont à l'intérieur, pas à l'extérieur ». En revanche, il y a un début de structuration par le bas, zone par zone. Il y a un petit groupe de leaders militaires dans chaque zone tenue par la rébellion : Alep, Homs, Damas. J'ai notamment rencontré le leader militaire d'Alep. C'est quelqu'un de modéré. Si les deux tiers des forces combattantes se fédèrent et agissent de concert, cela peut changer la donne.

Pour ce qui est de l'armement, les Saoudiens et les Qataris soutiennent l'opposition, mais pas les Américains. Qu'ils agissent dans ce domaine ou pas, il est très important que les principaux soutiens de l'opposition se concertent sur ce sujet

M. Jeanny Lorgeoux- Quelle est la présence des frères musulmans ? Les incidents dans le Golan sont-ils des bavures ou sont-ils délibérés, pour provoquer une intervention israélienne ? Nos amis européens sont-ils sur la même ligne diplomatique que nous ? Le président de la République a, me semble-t-il évoqué la possibilité de livraisons d'armes ?

M. Eric Chevallier, ambassadeur de France pour la Syrie. - Les frères musulmans ont renforcé leur présence au sein du Conseil National Syrien (CNS), ou plus exactement le bloc composé des frères musulmans et des musulmans conservateurs a renforcé son influence, ce qui n'a pas empêché que soit élu un chrétien à la tête du CNS, qui est un homme remarquable, Georges Sabra. Mais dans la nouvelle coalition, je ne dirais pas que les frères sont dominants.

Il y a eu des rumeurs et parfois des informations sur des exactions commises par certains groupes combattants insurgés. Nous avons fait savoir que cela était inacceptable et portait un préjudice considérable à la révolution.

Pour ce qui est de notre position relative avec nos amis européens, la France est clairement en avant du barycentre d'équilibre de la politique européenne. Le Président de la République a été le premier à aller aussi loin. Et l'écho en Syrie, je le redis, est très positif, au-delà même de ceux qui sont engagés dans l'opposition Nos grands alliés européens, notamment les Anglais, ne sont pas éloignés de notre position. D'autres sont un peu plus en retrait.

En ce qui concerne la livraison d'armes, le Président de la République a dit que si la coalition arrivait à mettre en place un gouvernement de transition, cela rouvrirait la question. Il n'en a pas dit plus, ni moins.

M. Jean-Pierre Chevènement. - Pouvez-vous nous parler des chrétiens de Syrie ? Nous avons toujours été considérés nous Français comme les protecteurs des chrétiens de Syrie et du Liban. Mais ces chrétiens de Syrie, contrairement aux alaouites ou aux sunnites, n'ont pas de zone géographique clairement assignée, si je ne m'abuse. Que deviendront-ils dans l'hypothèse d'une fragmentation de la Syrie ? S'ils fuient, où fuiront-ils ? Est-ce que la Russie n'est pas en train de prendre la place de la France en tant que protecteur des chrétiens d'Orient ? La position des Américains est beaucoup moins allante que la nôtre. Où est l'intérêt de la France ? Personne ne comprend ce que nous faisons en Syrie, ni ce qui s'y passe, et encore moins ce qui s'y passera demain en cas de victoire de l'opposition. Où est la cohérence de notre action avec ce que nous avons fait en Libye, avec ce qui se passe au Mali, en Tunisie, à Gaza, en Jordanie ou en Tunisie ? Il y a une porosité naturelle entre les frères musulmans, les salafistes et les jihadistes. On ne peut pas prétendre faire régner l'ordre et la loi dans nos banlieues et soutenir les extrémistes de l'autre côté de la méditerranée.

M. Daniel Reiner, président. - Je rebondis sur la question de mon collègue : quelle est la position des chrétiens de Syrie aujourd'hui, vis-à-vis du gouvernement syrien ?

M. Eric Chevallier, ambassadeur de France pour la Syrie. - C'est une question très sérieuse et importante. Les chrétiens de Syrie sont au nombre d'un million et demi de personnes. Il y a une bonne douzaine d'églises, mais ils sont pour l'essentiel dans la mouvance orthodoxe. Ils ont, dans leur majorité, le sentiment que le père Assad les protégeait, et que le fils continuait l'oeuvre du père. Ce qui a pu, pour partie, être vrai. Mais il ne faut pas oublier que quand le mouvement de révolte a commencé, il y avait des chrétiens dans le mouvement, y compris des figures historiques comme l'opposant Michel Kilo ou Georges Sabra. Cela parce que le moteur de la révolte n'était pas religieux, mais était l'aspiration à la liberté et à la dignité. Avec la confessionnalisation progressive de la crise, largement provoquée par le régime et qu'il faut relativiser, les chrétiens ont eu peur et ont eu tendance, pour une large part, à se ranger du côté du régime. Certains ont suggéré d'aller leur dire : « vous avez tort d'avoir peur de l'opposition ». J'ai refusé. Nous n'avons pas de leçons à leur donner. En revanche, le message de la France, le discours que nous leur avons tenu et leur tenons est le suivant : « ne donnez pas l'impression que vous collez sans nuance à ce régime, car le jour où ce régime tombera, vous serez alors bien plus en difficulté. Ne faites pas de zèle, ni de surenchère, ni de déclarations de soutien inutiles et dangereuses. » On a demandé à tous les groupes de l'opposition de faire une place aux chrétiens, mais pas sur une base de quota, cela afin de faciliter le basculement de la communauté chrétienne dans l'opposition.

Ceci dit la Syrie est majoritairement sunnite. Il faut aussi être à leur écoute, et à celle de toutes les communautés, sans distinction. Si on arrive à persuader les opposants d'aujourd'hui, qui seront les chefs de demain, que c'est leur intérêt de protéger toutes les communautés, nous aurons fait notre travail. Une bonne part le pense. Et notamment les responsables de la nouvelle Coalition.

Les chrétiens n'ont pas de base géographique. C'est vrai. Certains se sont déjà réfugiés vers Tartous. D'autres ont quitté le pays. Ceux qui ont le moins peur sont allés au contact. Si le régime s'effondre, où iront-ils ? J'espère que la grande majorité, la totalité même, trouvera sa place dans la nouvelle Syrie. Ils ont aussi parfois peur car ils ont accueilli les 100 000 réfugiés chrétiens irakiens. Ils les ont accueillis chez eux et les réfugiés leur ont raconté ce qu'ils ont vécu en Irak pendant la guerre civile. Les Arméniens d'Alep nous ont alerté des attaques dont ils auraient fait l'objet de la part de certaines katibas. Mais en y regardant de plus près, c'était avant tout parce que le quartier arménien est sur le chemin de la conquête plus qu'une volonté de cibler les chrétiens. Il y a donc parfois, derrière les apparences, des dynamiques subtiles à l'oeuvre.

Pour ce qui concerne l'armement, je redis ce que le Président de la République a déclaré. Ni plus ni moins.

Le fait est que les choses ne seront plus jamais comme avant et que rien ne sert de regretter le passé, si tant est qu'il faille le regretter, ce qui n'est pas souhaitable. Il nous faut donc accompagner le mouvement, pour éviter qu'il ne bascule vers la radicalité. Cela me semble plus utile.

M. Jean-Pierre Chevènement- Je vais tâcher d'être plus clair : notre zone d'influence traditionnelle se situe au Maghreb, pas en Syrie. S'il y avait des jihadistes en Algérie cela changerait la donne en France. La Syrie c'est important, mais moins que le Maghreb.

M. Robert del Picchia. - L'ambassadeur russe à l'ONU avait une position très claire : il faut arrêter le bain de sang. Il faut trouver une solution. Cette solution, nous devons la trouver tous ensemble. L'ambassadeur chinois avait la même position. Il disait même qu'il fallait trouver une solution tout de suite. Pour ce qui est de nos amis européens, je ne suis pas certain que nos amis allemands, que je connais bien, soient aussi favorables que cela à la position française. Quant à l'Iran, sait-on vraiment ce qu'ils veulent et ce qu'ils font ?

M. Eric Chevallier, ambassadeur de France pour la Syrie. - Il n'y a aucun doute que l'Iran aide le régime syrien, à la fois financièrement et militairement.

Pour ce qui est des Allemands, il y avait deux diplomates allemands à Doha, très compétents, qui ont bien accompagné le mouvement. Il y a une déclaration européenne encourageante, à laquelle l'Allemagne s'est pleinement associée. L'Allemagne ira-t-elle plus loin ? Je l'espère.