Mercredi 22 mai 2013

- Présidence de M. Jean-François Humbert, président -

Audition de M. David Lappartient, président de la fédération française de cyclisme

M. Jean-François Humbert, président. - Bonjour et merci d'avoir rejoint cette commission d'enquête. Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.

Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. David Lappartient prête serment.

M. Jean-François Humbert, président. - Merci. Ces rencontres commenceront par la possibilité qui vous est donnée de vous exprimer de dix minutes à quinze minutes, pour nous faire part de ce que vous avez à nous dire sur le problème de la lutte contre le dopage. Je me permettrais, si vous dépassiez par trop la fenêtre prévue, de vous l'indiquer.

Je vous laisse la parole, puis le rapporteur et les autres membres de la commission d'enquête auront des questions à vous poser.

M. David Lappartient, président de la fédération française de cyclisme. - C'est avec beaucoup de plaisir que je me trouve devant vous, pour vous donner le point de vue et l'analyse de la fédération française de cyclisme (FFC), que je représente, sur la lutte contre le dopage. Je répondrai également aux questions que vous ne manquerez pas de me poser.

Je commencerai par une note optimiste en vous disant que ça va mieux dans notre sport. On le voit au quotidien. La lutte contre le dopage peut toujours être considérée avec optimisme ou pessimisme mais, même si tout n'est pas parfait, les choses se sont améliorées et continuent à s'améliorer.

Pour la fédération française de cyclisme et comme pour la plupart des acteurs du sport, le dopage est tout simplement la négation des valeurs du sport. À la fédération française de cyclisme, nous combattons toute forme de tricherie, quelle qu'elle soit.

Ne nous le cachons pas, notre sport a été l'un des plus touchés par le dopage, et depuis des temps anciens. C'est pour cette raison que nous avons mis en place diverses mesures. Sans remonter jusqu'aux premiers contrôles antidopage, avant les années 1970, d'importantes avancées ont été observées avec la mise en place de contrôles sanguins, les interdictions de l'EPO, la mise en place du passeport biologique ou le suivi médical réglementaire. Toutes ces actions ont globalement concouru à améliorer l'état sanitaire du peloton.

Certaines affaires ont néanmoins été perçues comme des séismes dans notre sport. Je commencerai par évoquer l'affaire Festina, en 1998, et plus récemment l'affaire Armstrong. Personnellement, je n'avais guère de doute sur la crédibilité de ses résultats, et cette affaire n'a fait que confirmer mes soupçons. Au fond, même s'il peut sembler que les affaires se succèdent les unes après les autres, ces affaires deviennent aujourd'hui relativement anciennes.

Vous trouverez toujours deux ingrédients dans les affaires de dopage : un directeur sportif et un médecin à la vertu douteuse. En l'absence de ces deux intervenants, le dopage ne peut exister. Il faut ensuite disposer d'un coureur qui accepte de ne pas poser trop de questions. Il est impossible en tout cas qu'un directeur sportif ignore ce qui se passe dans son écurie.

Le cyclisme a été durablement impacté par les affaires de dopage. Aujourd'hui, même si le grand public peut encore associer cyclisme et dopage, c'est bien moins vrai. Il demeure certes des affaires de dopage, mais leur nombre a nettement diminué. Nous nous trouvons donc à la sortie du tunnel, tandis que d'autres sports ne font qu'y entrer et risquent d'y rester pour un certain temps.

De notre côté, nous nous réjouissons de toute mise en oeuvre de nouvelles mesures de lutte contre le dopage. D'importantes avancées internationales ont été constatées, avec notamment la création de l'Agence mondiale antidopage, du CPLD en France puis de l'AFLD. En m'autorisant une comparaison un peu simpliste, je dirais qu'il existe un radar et une patrouille qui arrête les contrevenants. Dans certains sports, il ne se trouve que des radars, sans patrouille, et dans d'autres il ne se trouve ni radar ni patrouille. Sur le plan statistique, tout va bien, alors que l'état de leur sport est sensiblement plus dégradé que le nôtre. Notez d'ailleurs que le cyclisme est le seul sport qui joue le jeu de la localisation des athlètes, qui était nécessaire pour la crédibilité de notre sport. Je souscris donc tout à fait à l'obligation de localisation de l'ensemble des athlètes, même si c'est difficile, et même si ces athlètes peuvent se sentir surveillés, écoutés et observés. La crédibilité de notre sport en dépend, et je pense que certains sports collectifs devraient suivre cette même voie.

Nous avons vécu dans notre sport des périodes difficiles. La crédibilité des résultats du cyclisme entre 1996 et les environs de 2005 a été sérieusement altérée. D'ailleurs, je n'accorde pas de crédit aux résultats enregistrés dans cette période. Entre 1996 et 2010, un seul des quinze vainqueurs du Tour de France n'a pas été impliqué dans un scandale, et ce n'était pas celui à la réputation la plus irréprochable, en particulier quand on connaît son surnom en Espagne.

Depuis quelques années, on revoit du vrai vélo. D'ailleurs les coureurs roulent moins vite. Ils prennent le départ d'une course avec l'ambition de gagner, alors qu'auparavant les coureurs savaient qu'ils allaient forcément se faire battre par des coureurs dopés. On constate aussi de vraies défaillances physiques parmi les coureurs. Nous sommes très clairement sur la bonne voie. Il n'y a néanmoins pas de victoire définitive contre le dopage. Il faut lutter sans cesse et tous les jours.

Nous souffrons par ailleurs de la présence de certains manageurs, qui sont aujourd'hui des propriétaires d'équipes. Ce sont les personnes que nous voudrions ne plus voir dans le cyclisme. J'aurai peut-être des propositions à vous faire les concernant.

Notre sport affiche une réelle volonté de s'en sortir, à la différence du football, par exemple. Aucun contrôle sanguin n'a par exemple été conduit lors de la dernière Coupe du Monde de football, sous prétexte que c'était trop compliqué et trop cher. Il apparaît manifestement une différence d'approche entre les sports.

Le travail de la fédération a été exemplaire et sans relâche. Moi-même et mes prédécesseurs avant moi, que ce soit le président Baal, le président Alaphilippe, le président Pitallier, nous avons eu de cesse de lutter contre le dopage et de mettre en place de nouvelles mesures. J'en suis à mon cinquième mandat au sein de la fédération. J'ai été élu relativement tôt. Je me souviens, en 1996, quand Daniel Baal, à l'époque président de la fédération française de cyclisme, Roger Legeay, président de la ligue nationale de cyclisme et Jean-Marie Leblanc, directeur du Tour de France, avaient lancé un appel solennel à l'aide au président du Comité international olympique (CIO) et à la ministre Marie-George Buffet. Nous demandions de l'aide, car notre sport partait dans des errements qu'il nous fallait à tout prix corriger.

C'était l'appel de 1996. Nous y avons répondu en 1998 à la fédération en mettant en place ce qui sous-tend aujourd'hui la loi française : le suivi médical longitudinal contrôlé, qui est devenu le suivi médical réglementaire. Il a été voté par le comité directeur de la fédération une semaine avant l'affaire Festina. On a souvent dit que la fédération n'avait pris des mesures qu'après l'affaire Festina, mais c'est incorrect. Le cyclisme a alors fait sa révolution culturelle et le suivi médical réglementaire a ensuite été inscrit dans la loi. Les fédérations sportives ont maintenant obligation de mettre en place un suivi médical réglementaire pour les athlètes de haut niveau et les athlètes en liste espoir, ce qui signifie que nous étendons aussi les contrôles aux espoirs. Au final, il nous faut suivre 1 200 athlètes, ce qui représente un travail important pour la fédération, qui bénéficie du soutien du ministère.

J'ai souvenir en 1998 d'un président de la fédération, Daniel Baal, dont on connaît l'intransigeance dans la lutte contre le dopage, qui a été mis en examen dans une affaire, avant de bénéficier d'un des non-lieux les plus rapides de l'histoire. La position de la justice nous concernant a depuis lors bien évolué. Nous nous portons partie civile dans toutes les affaires de dopage. Par le passé, notre constitution de partie civile était difficilement recevable. Aujourd'hui, c'est l'inverse. Nos efforts sont reconnus et notre démarche ne rencontre pas de difficultés. Nous pensons que c'est nécessaire de nous porter partie civile dans toute affaire de dopage. J'étais par exemple présent en Guadeloupe la semaine dernière, où des peines de prison ont été demandées vis-à-vis de neuf prévenus.

Nous engageons également des actions de prévention auprès des jeunes, en expliquant les dangers et la manière d'éviter les écueils du dopage. Paradoxalement, nous rencontrons finalement moins de problèmes avec les professionnels qu'avec le meilleur niveau du cyclisme français amateur, car la surveillance y est moins resserrée.

Je suis président de la fédération européenne depuis mars. Un comité directeur de l'Union européenne se réunira la semaine prochaine. Nous tâcherons d'y dupliquer ce système au niveau européen, en espérant que ce soit aussi possible au niveau mondial.

Il est à souhaiter que tous les sports en fassent autant que nous, mais il faut reconnaître que certains n'engagent guère de mesures.

Il convient de renforcer l'action collective et les échanges entre les acteurs : Agence française de lutte contre le dopage, autorités de police et de gendarmerie (en particulier l'OCLAESP qui est compétent en la matière), les autorités judiciaires, les fédérations nationales et internationales et l'Agence mondiale antidopage. Les cloisonnements et interdictions d'échanger sont sans doute trop nombreux, ce qui est préjudiciable. Il nous est interdit de partager certaines informations. Il faudrait pourtant que nous puissions échanger entre nous, car nous pouvons contribuer ensemble à l'amélioration de la situation, notamment avec l`Agence française de lutte contre le dopage, dont le travail est très satisfaisant. Ses moyens devraient d'ailleurs être encore accrus. Cette action de lutte nécessite des fonds et des besoins.

Je pense en outre que les conditions d'exercice des professions de manageur ou de directeur sportif devraient être plus règlementées, en particulier au niveau international. Il semble nécessaire de demander l'obtention d'une licence ad hoc, en apportant des preuves de probité. Une personne condamnée pour des affaires de dopage ne devrait plus pouvoir exercer cette profession, tout comme une personne ne peut plus exercer dans la fonction publique d'État ou territoriale dès lors que son casier judiciaire n'est plus vierge. Certains directeurs techniques seraient ainsi écartés.

Il faut renforcer les sanctions. Une interdiction de deux ans semble courte en cas de prise volontaire d'EPO. Je préconise plutôt une durée de quatre ans, avant une interdiction à vie en cas de récidive.

Il faut également sanctionner financièrement les contrevenants. L'athlète tire en effet profit de son dopage. Il faut frapper ceux qui trichent au porte-monnaie, à hauteur du préjudice qu'ils causent. Quand un athlète gagne 6 à 8 millions d'euros par an en s'étant dopé, il doit être sanctionné à de tels montants.

Il faut aussi que l'athlète arrivé deuxième, et qui a été lésé, attaque le premier, qui s'est dopé. Quand ce sera possible, la situation évoluera grandement.

Je suis favorable à la pénalisation de l'usage de produits dopants en vue de modifier ses performances et donc d'organiser une tricherie sportive. En revanche, le pénal n'est peut-être pas la réponse adaptée si un athlète utilise un produit dopant sans intention de se doper ou parce qu'il se soigne et a oublié de le déclarer.

Il faut aussi décloisonner le suivi médical réglementaire et la lutte contre le dopage. Le suivi médical réglementaire se rapproche en un sens de la médecine du travail, alors que l'antidopage s'inscrit dans le champ de la sanction. Comme l'analyse du passeport biologique et l'antidopage se rejoignent sur certains points, une mutualisation des coûts est possible. Elle favoriserait en outre les relations entre les instances.

Je suis favorable à l'interdiction des corticoïdes, hormis bien évidemment en cas de prescription médicale. Dans ce cas, leur usage doit être associé à un arrêt de travail de dix ou quinze jours. Il apparaît sur ce point une réelle différence de méthodologie entre les Anglo-Saxons et les autres participants. En tout cas, comme les corticoïdes améliorent les performances, il faut les bannir.

Enfin, je prône la localisation de tous les athlètes, pas seulement pour notre sport. Pour autant, son existence dans le cyclisme ne doit en aucun cas constituer une circonstance atténuante, même si la situation s'est déjà quelque peu améliorée.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous avez évoqué ce qui peut être présenté comme un terreau favorable à la pratique du dopage, en particulier la présence dans une équipe d'un directeur sportif et d'un médecin qui seraient les éléments incitateurs pour passer à une pratique interdite. Ne pensez-vous pas qu'il soit très difficile de sérier les responsabilités dans une équipe professionnelle ? Est-il possible d'opérer des distinguos entre les uns et les autres ?

M. David Lappartient. - Les degrés de responsabilité peuvent effectivement être différents, mais il existe au fond deux types d'équipe. Dans le premier type d'équipes, le dopage est institutionnalisé. Dans le second type, il n'y en a pas du tout. Rappelez-vous qu'il se trouve en général entre vingt et trente coureurs par équipe. Nous ne sommes donc pas à l'abri d'un comportement individuel déviant.

Je reste persuadé qu'il revient au manageur de s'organiser pour que son équipe fonctionne correctement. Il est de sa responsabilité de mettre en oeuvre toutes les mesures nécessaires pour que la lutte contre le dopage soit optimale. De son côté, le médecin intervient pour soigner des pathologies, pas pour améliorer les performances. Il n'est pas un entraîneur.

Par définition, les responsables sont le patron de l'équipe et le manageur, qui opèrent dans un cercle restreint. Une équipe est un petit monde. Les informations circulent nécessairement. Si un manageur n'est pas informé des pratiques de son équipe, il s'agit alors d'un mauvais manageur.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous avez soumis une réflexion concernant un statut qui pourrait être délivré aux manageurs, notamment au niveau européen, dans votre volonté de faire progresser l'exigence. Or certains directeurs sportifs d'équipes professionnelles ont eu affaire au dopage par le passé. Le moment n'est-il pas venu d'être plus sélectif les concernant ?

M. David Lappartient. - Très certainement. Pour autant, peut-être un homme peut-il changer ? Après un égarement datant d'il y a vingt ans, certains sont peut-être devenus des convaincus de la lutte antidopage. D'autres, en revanche, ont continué leurs agissements de coureur quand ils sont devenus directeurs sportifs. Ce sont ceux que nous ne voulons plus voir dans le vélo.

Il apparaît néanmoins une difficulté au niveau du World Tour. Alors que ces personnes étaient auparavant de simples directeurs sportifs, il arrive qu'ils soient aujourd'hui propriétaires de la licence Pro Tour. Il s'agit bien souvent des mêmes personnes. Les convaincus de la lutte antidopage sont rarement propriétaires de leur licence. Ceux qui souhaitent continuer à utiliser des oreillettes ou mettre en place un circuit fermé sont ceux que nous souhaitons combattre. Manifestement, deux visions du cyclisme s'affrontent. J'espère que la vision vertueuse l'emportera. C'était aussi le sens de ma candidature au niveau européen, qui prend appui sur le suivi réglementaire que nous avons mis en place en France, et qui est indépendant. Au niveau mondial, en revanche, le suivi réglementaire est conduit au niveau des équipes, et je n'ai pas confiance dans toutes les équipes.

M. Jean-François Humbert, président. - Vous dites que deux conceptions s'affrontent dans le cyclisme. Avez-vous le sentiment que cette double vision se retrouve aussi dans d'autres sports ?

M. David Lappartient. - J'ai bien peur qu'une seule vision soit en vigueur dans certains sports. Quoi qu'il en soit, tout sport compte des gens vertueux et d'autres moins. Il faut faire en sorte que les moins vertueux n'aient pas le choix et deviennent vertueux.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous avez parlé de « sports dont l'état sanitaire est plus dégradé que le cyclisme ». À quel sport faisiez-vous allusion ?

M. David Lappartient. - Il y a quelques temps, le Docteur Lasne a cité certains de ces sports en évoquant des résultats particuliers. De même, le rapport annuel de l'AFLD ne place pas le cyclisme en tête des sports connaissant le plus de contrôles positifs.

J'ai souvenir d'un rapport du Président Bordry qui avait produit des résultats statistiques non nominatifs sur des cheveux d'athlètes. Dans ce rapport, le cyclisme était loin d'occuper la première place des sports qui présentaient le plus d'usages de dopants, de manière interdite ou de manière festive. En proportion, les contrôles positifs ne sont finalement pas si nombreux dans le cyclisme.

Par ailleurs, les fédérations nationales organisaient elles-mêmes les contrôles antidopage, jusqu'à l'arrivée de la loi Bambuck. 93 % des contrôles antidopage en France étaient alors réalisés dans le cyclisme. La loi Bambuck a ensuite passé le dispositif sous le contrôle du Ministère, ce qui a développé les contrôles dans les autres sports et a réduit la proportion des contrôles dans le cyclisme. Je tiens à ce propos à saluer le travail de qualité conduit par l'AFLD.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Ne croyez-vous pas qu'il soit nécessaire de faire très attention à l'expression publique quand une affaire de dopage éclate, notamment en termes de prévention et autour de la nécessité de faire passer des messages en direction de la jeunesse ?

Rappelons que le président de l'UCI disait en 1998 que l'affaire Festina était un cas isolé. N'est-ce pas préjudiciable à une vision saine de la pratique sportive ?

M. David Lappartient. - Les faits ont démontré que cette affaire n'était pas un cas isolé. Cette équipe avait institutionnalisé la pratique du dopage. Notre expression publique doit rester teintée de réalisme face à ce qui se passe. Mais la fédération avait mis en place le suivi médical réglementaire une semaine avant que cette affaire n'éclate, ce qui prouve que nous avions connaissance de la situation, sans disposer de moyens pour lutter. Il faut donc demeurer prudent.

M. Dominique Bailly. - Vous évoquez une difficulté relationnelle entre le cyclisme professionnel, la gouvernance et la place des fédérations, sachant que vous intervenez ici comme responsable fédéral. Depuis votre prise de fonction, quelles mesures avez-vous lancées pour contrarier le phénomène du dopage dans le cyclisme amateur, sachant qu'il s'agit d'un véritable fléau dans les compétitions amateurs ? Quelles actions locales ont été engagées ?

M. David Lappartient. - Les coureurs amateurs de première catégorie sont tout d'abord soumis au suivi médical règlementaire, par décision de la fédération française de cyclisme. C'est une vraie mesure.

Nous avons par ailleurs responsabilisé un médecin par équipe de division nationale. Il a la charge du suivi et de la prévention.

Nous disposons aussi d'une ligne budgétaire dédiée aux contrôles sanguins inopinés, qui peuvent occasionner une interdiction de départ. Il s'agit de vérifier les taux d'hématocrite ou de procéder à des stimulations d'hémoglobine. Ces contrôles portent plutôt pour les courses à étape où les coureurs sont regroupés. Un contrôle urinaire peut également être demandé dans la foulée, ce qui permet de repérer des contrevenants.

Le cyclisme amateur va mieux, mais les contrôles y sont moins nombreux qu'au niveau professionnel. Nous souhaiterions en engager davantage. Pour cela, nous avons aussi besoin d'aide.

M. Dominique Bailly. - Quel est le montant de la lutte antidopage dans votre budget ?

M. David Lappartient. - Le budget de la lutte antidopage s'élève à 600 000 euros, sur un budget de 15 millions d'euros.

M. Jean-Pierre Chauveau. - J'ai des questions à poser sur les tours comme la Vuelta ou le Giro : les contrôles sont-ils similaires à ceux effectués sur le Tour de France ? Par ailleurs, en tant que Président de l'Union européenne de Cyclisme, entretenez-vous des relations avec les fédérations des autres pays, au niveau européen ?

M. David Lappartient. - Les contrôles sont les mêmes sur la Vuelta ou le Giro, avec tout de même des approches politiques différentes. La volonté de lutter contre le dopage est la même en Italie et en France. Il n'en va pas de même en Espagne. Sachez quand même qu'au moment où Contador a été contrôlé positif, le premier ministre de l'époque et le leader de l'opposition ont tous deux immédiatement appelé à le soutenir. Je n'ose même pas imaginer que ça se passe ainsi en France.

L'affaire Puerto est également assez éloquente. Un prévenu a souhaité donner le nom de ses clients lui ayant acheté des produits dopants, et il lui a été interdit de les donner.

En France, la peur du gendarme est forte, et pas seulement dans le cadre des contrôles antidopage, qui sont stricts et renforcés. Des gendarmes et des policiers en civil sont aussi répartis à différents endroits durant les courses. Cette peur est au moins aussi efficace que la lutte en elle-même. C'est pour cette raison que j'invite au renforcement des collaborations entre ceux qui détiennent des moyens d'action et ceux qui détiennent des informations.

J'ai pour ma part été élu au niveau européen avec un programme très strict concernant la lutte contre le dopage. J'ai notamment proposé de généraliser au niveau européen ce qui est engagé au niveau français. J'ai obtenu 72 % des voix, ce qui tend à montrer que les fédérations européennes se sont retrouvées dans mon programme. Nous discuterons par ailleurs la semaine prochaine de la feuille de route de la commission médicale, présidée d'ailleurs par le Dr Mégret, le médecin fédéral de la fédération, qui a été chargé de réfléchir à une extension du système au niveau européen. Je souhaite maintenant aller encore plus loin, jusqu'au niveau mondial. Même si l'Europe représente 85 % du cyclisme, ce n'est pas 100 %.

M. Alain Dufaut. - Je souhaite revenir sur la peur du gendarme. Elle a été accentuée par la loi votée il y a quatre ou cinq ans, qui permet aux gendarmes de mettre des contrevenants en garde à vue dès que des produits dopants sont saisis. Cette pratique est très efficace pour interroger les contrevenants et remonter les filières, car ce sont aussi les pourvoyeurs de produits dopants qui nous intéressent.

Passons à l'affaire Armstrong. L'UCI a fait preuve d'importantes complicités pour couvrir cette affaire. Ne pensez-vous pas qu'il faille changer la direction de l'UCI pour enfin tourner la page ?

M. David Lappartient. - La limite de clôture des candidatures à la présidence de l'UCI a été fixée au 27 juin. Le président McQuaid s'est déclaré candidat. Il serait sain pour la démocratie qu'il y ait plusieurs candidats. Reconnaissons tout de même les efforts de l'UCI. Aucune autre fédération internationale n'en a fait autant. En revanche, il est vrai que l'image de l'institution reste très dégradée.

Il reviendra aux 42 votants de se prononcer à la fin septembre sur le candidat qui leur semblera le mieux à même de conduire aux destinées de l'UCI.

De mon point de vue, il me semble que notre fédération internationale ne pourra pas entretenir éternellement un conflit avec l'Agence mondiale antidopage, avec l'USADA ou avec l'ensemble des acteurs C'est préjudiciable à l'image de notre sport. Les trois prochains mois promettent d'être intenses.

M. Jean-François Humbert, président. - N'êtes-vous pas tenté vous-même d'être candidat ?

M. David Lappartient. - On m'a effectivement sollicité pour que je me porte candidat à la présidence de l'UCI. Cette mission pourrait être intéressante. Néanmoins, j'ai encore beaucoup de missions à mener à bien dans ma fédération et la fédération européenne. Attendons de voir qui seront les autres candidats.

M. Stéphane Mazars. - Vous avez déclaré être favorable à la pénalisation des dopants. Est-ce une crainte parmi les coureurs ? Cette évolution pourrait-elle présenter un effet dissuasif ?

Vous avez également déclaré que vous vous constituiez systématiquement partie civile dans les affaires de dopage. Demandez-vous uniquement un euro symbolique de dédommagement, ou bien des sommes considérables vous sont-elles octroyées par les juridictions, sachant que l'image de votre sport est à chaque fois ternie par ces affaires ?

M. David Lappartient. - Il faudrait déjà déterminer quelle est la sanction pénale encourue par l'athlète. Il reste en tout cas que la pénalisation fait réfléchir. Pour ma part, je cherche à faire punir pénalement la volonté de tricher en vue d'améliorer des performances. Je pense sincèrement que cette mesure dissuaderait des athlètes souhaitant utiliser ces produits.

Nous aurons franchi un pas important le jour où nous percevrons des dommages et intérêts d'un montant supérieur à un euro symbolique. Je précise que notre constitution de partie civile est quasiment toujours acceptée. Il arrive que des sommes parfois plus importantes soient versées. Dans l'affaire Gaumont, qui vient de décéder, nous avions reçu 15 000 euros. Nous réfléchissons actuellement à ce que nous pourrions demander dans le cadre de l'affaire Armstrong. Sachez que nous disposons de seulement 49 000 euros pour engager des actions en justice. Il faudra aussi déterminer dans quelle juridiction l'attaquer. Nous avons déjà demandé dès le 30 août dernier que ses sept Tour de France lui soient retirés, que les 2,95 millions d'euros de prix de course perçus soient restitués, et qu'il soit condamné en préjudice d'image. J'ai bien l'intention de continuer à avancer dans ce dossier, dans la limite de nos moyens. Peut-être une action concertée pourrait-elle être montée.

M. Alain Néri. - Un accord a été atteint avec le ministère de la jeunesse et des sports pour mettre en place des contrôles antidopage. Comment allez-vous être impliqués pour que l'accord prévu soit respecté ? Par ailleurs, où en est l'affaire Longo ? Quelles actions peuvent encore être engagées ?

M. David Lappartient. - J'aurais du mal à faire appliquer l'accord entre l'UCI et l'AFLD. Toute course internationale est placée sous la compétence de l'Union cycliste internationale, qui a elle-même traité avec l'Agence française de lutte antidopage.

Nous, fédération nationale, sommes chargés de la mise en oeuvre technique des contrôles. Comme un accord direct de traitement a été signé, des dispositions propres au Tour de France s'appliquent, mais nous sommes moins impliqués dans ces contrôles que dans les autres contrôles. C'est l'Agence française de lutte contre le dopage qui aura la responsabilité de la mise en place technique de ces contrôles. Je pense que l'accord entre l'UCI et l'AFLD est une bonne chose.

Dans l'affaire Longo, il y a d'un côté l'affaire Longo et de l'autre l'affaire Ciprelli, du nom de son mari. Jeanny Longo n'a pas été mise en examen. Elle a été renvoyée devant une commission disciplinaire de la fédération pour des vices de forme de l'AFLD sur sa notification d'appartenance au groupe cible. Notre fédération a dû constater le vice de forme, que l'AFLD a d'ailleurs confirmé ensuite, elle aussi. Elle n'encourt aucune sanction, mais il n'en est pas de même pour son mari. Une procédure judiciaire a été ouverte, et nous sommes partie civile dans ce dossier, comme dans tous les dossiers. Nous avons accès à tous les éléments du dossier. Le juge d'instruction n'a pour l'instant pas levé le contrôle judiciaire qui pèse sur M. Ciprelli. Sans doute a-t-il des interrogations fortes sur son implication dans certaines affaires de dopage. Les produits servaient-ils à sa femme ? Il conviendra au juge de le dire.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Combien de sanctions sont prises par an ?

M. David Lappartient. - Je crois que nous avons transmis un tableau à la commission d'enquête, avec des statistiques disciplinaires. 17 coureurs ont été sanctionnés en 2006, 23 en 2007, 13 en 2008, 16 en 2009, 14 en 2010, 10 en 2011, 13 en 2012. Nous comptons environ une quinzaine de sanctions disciplinaires antidopage par an, amateurs et professionnels confondus. Nous avons rarement dépassé un professionnel par an. 90 % des cas concernent des amateurs.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous menez un combat européen en tant que président de l'union européenne de cyclisme. J'ai noté en particulier que votre adversaire avait été Andreï Tchmil, qui est Moldave. Or la Moldavie est un pays qui fabrique des stéroïdes anabolisants en toute liberté. Ferez-vous de votre mandat un combat contre ce type de produits ? Ils sont normalement interdits à l'exportation, mais la circulation reste bien évidemment libre sur le territoire européen.

M. David Lappartient. - Mon concurrent a également été ministre des sports de la Moldavie, ce qui prouve que deux versions du sport peuvent s'affronter. Il ne faut pas non plus surestimer les pouvoirs d'une fédération européenne qui ne compte qu'un seul salarié, face à des organisations gouvernementales. Au-delà de la Moldavie, sachez que ces produits sont fabriqués un peu partout. Il faut s'attaquer aux lieux de productions mais aussi aux trafics. Celles et ceux qui les utilisent doivent avoir la certitude d'être démasqués et condamnés.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Mettrez-vous au coeur de votre campagne électorale la question du dopage ?

M. David Lappartient. - Il me semble essentiel que le sujet de la lutte antidopage soit au coeur de la prochaine campagne de l'UCI.

Toutefois, les campagnes internationales - et je suis moi-même élu local, maire et conseiller général - ne se mènent pas de la même manière que les campagnes nationales. Elles sont plus feutrées et comptent moins de votants, seulement 42. Elles se jouent quasiment au corps à corps avec l'électeur. Il s'agit presque d'une élection sénatoriale, avec un corps électoral beaucoup plus faible. Dans ce contexte, les sujets du grand public ne sont peut-être pas les principaux sujets d'un certain nombre de votants. La gouvernance du sport mondial mériterait en tout cas une après-midi de débat.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Votre médecin général, M. Mégret, évoque souvent un retour des corticoïdes. Le confirmez-vous ?

M. David Lappartient. - Nous avons effectivement constaté une recrudescence de l'usage des corticoïdes après sa légalisation par l'Agence mondiale antidopage, que je regrette profondément. L'Agence a considéré que ce n'était pas forcément un produit dopant. Des études scientifiques l'ont pourtant prouvé. Un coureur qui en prend pour des raisons médicales doit arrêter le vélo pendant la durée de son traitement.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - La fédération française de cyclisme est-elle destinataire des résultats des contrôles conduits sur le Tour de France ?

M. David Lappartient. - Non. Je ne crois pas que nous les ayons reçus jusqu'à présent. Nous ne recevons que les contrôles positifs qui concernent des coureurs français. J'ai par exemple reçu aujourd'hui le dossier d'un coureur français, qui est porteur d'une licence française.

M. Alain Néri. - Vous étiez défavorable à la dépénalisation des corticoïdes. J'imagine donc que vous êtes opposés à l'usage des AUT ?

M. David Lappartient. - Je suis défavorable aux AUT de circonstance. Toutefois, les personnes qui présentent des pathologies ont le droit de faire du sport. C'est de la responsabilité des médecins de déterminer si ce produit renforce les performances.

M. Jean-François Humbert, président. - Je vous invite à conclure.

M. David Lappartient. - Je forme le voeu d'une vision prospective dans la lutte contre le dopage. Des faits se sont passés dans notre sport. Nous le savons. Il ne faut pas pour autant s'appesantir sur des faits datant d'il y a quinze ans. En revanche, il faut développer l'ensemble des coopérations qui permettront efficacement de lutter contre le dopage, entre les États, les acteurs du monde sportif, le CIO, les acteurs des fédérations internationales, le code mondial antidopage et la police. Il faudra aussi étendre ces mesures dans un autre domaine où des affaires ne manqueront pas d'éclater, le domaine des paris en ligne, domaine dans lequel nous avons pour l'instant été épargnés.

M. Jean-François Humbert, président. - Merci pour votre intervention. Je retiens en particulier de vos propos la pénalisation de l'usage. Nous avons bien pris note de votre message, qui me semble important. Dans l'hypothèse où nous aurions besoin de précisions complémentaires, nous nous permettrions de faire à nouveau appel à vous. Dans ce cas, nous vous préviendrions à l'avance. Merci à vous.

M. David Lappartient. - Merci.

Audition de MM. Francis Luyce, président de la fédération française de natation (FFN) et Lionel Horter, directeur technique national de la FFN

M. Jean-François Humbert, président. - Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.

Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Francis Luyce et Lionel Horter prêtent serment.

M. Francis Luyce, président de la fédération française de natation (FFN). - C'est assez impressionnant de se retrouver dans cet établissement du fait de l'invitation qui a été faite à la fédération française de natation.

Je vous propose de suivre une présentation préparée par l'ensemble des services de la fédération française de natation. Cette présentation permettra de vous présenter la fédération française de natation et de traiter le sujet qui nous rassemble.

Je suis président de la fédération française de natation depuis vingt ans. J'entame mon sixième mandat. Je suis accompagné en ce jour du tout jeune directeur Lionel Horter, qui a succédé à notre regretté directeur technique national, Christian Donzé, décédé tragiquement le 21 octobre dernier.

La natation est le troisième sport olympique Nous comptons 1 300 clubs, et 290 000 licenciés pour 500 000 adhérents, au motif que nous constatons dans nos études respectives que 50 % des adhérents des clubs ne se licencient pas à la fédération française de natation. Notre budget s'élève à 13 millions d'euros.

Nous avons eu la chance de récolter sept médailles dont quatre d'or, une d'argent et deux de bronze aux derniers Jeux olympiques. Nous sommes classés troisième nation mondiale, première nation européenne et meilleure fédération olympique du comité national olympique et sportif français (CNOSF).

L'ensemble de nos activités sont les disciplines olympiques (natation, natation synchronisée, water-polo et plongeon libre), les autres disciplines associées aux activités non olympiques, les maîtres et la natation estivale, ainsi qu'un certain nombre d'activités éducatives et de santé, sur lesquelles je ne m'étendrai pas.

2 187 contrôles ont eu lieu entre 2006 et 2012 sur 1 325 athlètes. 64 ont débouché sur des procédures disciplinaires. 35 dossiers ont été classés sans suite, 28 sanctions ont été prononcées dont 17 relatives à la prise de cannabis. Une décision de l'organisme disciplinaire d'appel a annulé la décision de première instance.

Sur ces 64 tests positifs, 17 dossiers concernaient les athlètes de haut niveau, c'est-à-dire les athlètes inscrits sur les listes ministérielles (élite, senior et jeune).

La fédération française de natation, par l'intermédiaire de l'AFLD, a enregistré 1 697 contrôles entre 2006 et 2013, auxquels il faut ajouter les 490 contrôles diligentés par la fédération internationale de natation, Le total a donc atteint 2 187 contrôles.

Tous les médaillés olympiques ont été évalués entre 14 et 39 fois. Laure Manaudou a subi 25 contrôles, sachant qu'elle n'a pas été contrôlée pendant sa période de maternité. Florent Manaudou, tout jeune athlète et surprise des Jeux olympiques de Londres a lui aussi été contrôlé à plusieurs reprises. Pour rappel, il a remporté la médaille d'or sur 50 mètres nage libre.

Parmi les 17 tests positifs, trois sanctions ont été prononcées (dont un avertissement), avec deux à trois mois de suspension prononcés, ce qui reste relativement modeste.

Les délégués aux contrôles antidopage sont formés une fois par an. La fédération française de natation s'attelle à ce que la formation et la prévention soient liées.

Il convient de s'assurer de l'absence de dérive dans les équipes de France, tant dans les équipes de France jeunes que dans les équipes de haut niveau. De telles dérives nous mettraient en effet en grande difficulté. Diverses interventions sont organisées les concernant, en particulier des campagnes de pédagogie, qui est l'art de la répétition.

Même si nous ne sommes pas enseignants, la fédération et la direction technique apportent de nombreuses informations en termes de formation et de prévention. Grâce à l'animation du directeur technique, une certaine vigilance s'observe pour que les encadrants (médecins, kinésithérapeutes, etc.) interviennent bien au titre des missions qui leur sont confiées. Nous prenons la précaution de bien faire porter les messages, mais aussi d'éditer un guide pratique du sport de haut niveau. Chaque athlète inscrit sur les listes ministérielles le reçoit et ce document vous sera également remis. Vous constaterez qu'il s'agit d'un sujet majeur. Il ne comporte que cinq pages, mais un autre document de quinze pages de recommandations permettant d'éviter des situations délicates avait déjà été produit en 2007. Nous pourrons aussi vous le faire parvenir. Il va être réédité à l'occasion de la nouvelle olympiade.

Nous ne nous contentons pas de réserver l'information au siège et à la direction technique. Nous procédons également à des déclinaisons régionales, départementales et au niveau des clubs.

La formation, la prévention et l'information passent par ce que nous appelons une cellule de veille, qui est chargée de l'édition du guide de l'athlète de haut niveau, d'une veille sur les compléments alimentaires et d'une information et d'un partage entre les médecins. Enfin, des échanges sont organisés lors de regroupements à la direction technique avec les athlètes, pour leur communiquer des informations susceptibles de les intéresser.

La fédération française de natation souhaiterait développer la coordination entre l'AFLD et la fédération internationale de natation.

Nous envisageons d'utiliser un outil informatique unique très opérationnel, tout en conservant une option papier.

Nous exprimons par ailleurs des inquiétudes s'agissant des prélèvements sanguins des mineurs. La natation est un sport qui se pratique relativement jeune, et nous émettons des interrogations sur cette absolue nécessité.

Nous souhaiterons en revanche - et il s'agirait de l'un des points essentiels de notre démarche devant vous - que l'organisme disciplinaire passe par une procédure externalisée et n'intervienne plus en dépendance des fédérations. Nous aurions beaucoup à y gagner.

Nous voulons également souligner le décalage de législation entre pays, tant au niveau international qu'au niveau européen. Il faudrait que les législateurs se prononcent sur l'équité internationale. Pour l'heure, il n'apparaît guère d'équité dans la gestion des dossiers.

Il est fréquemment question du taux de marijuana. Je considère que la dépénalisation de certaines substances est beaucoup trop largement applicable.

Nous souhaiterions réfléchir à la formation des médecins et des pharmaciens. Une meilleure information sur les responsabilités mérite d'être mise en place autant que possible.

Nous souhaiterions lancer un jeu-programme d'éducation par Internet, appelé Real Winner. Il s'agit d'un jeu très qualifiant, qui permet de s'amuser tout en restant sérieux.

Enfin, nous ne comprenons pas pourquoi les tests AUT sont payants à l'AFLD et gratuits à la FINA.

M. Lionel Horter, directeur technique national de la fédération française de natation (FFN). - Je préciserai simplement que seuls 17 des 64 procédures disciplinaires engagées depuis 2007 concernaient des sportifs de haut niveau (élite, senior ou jeunes). Sur ces 64 procédures disciplinaires : 28 sanctions prononcées dont 17 relatives à la prise de cannabis. 35 dossiers ont été classés sans suite au niveau de la testostérone, du fait de la variation individuelle des jeunes hommes, qui les conduit parfois à la limite du seuil, de manière temporaire. Enfin, une décision disciplinaire a annulé la décision de première instance.

Un contrôle conduit en 2011 a par ailleurs concerné Frédérick Bousquet, nageur de l'équipe de France. Il s'agissait d'un contrôle d'une substance dite spécifiée, l'Heptaminole, qui n'est pas classée dans les produits amenant à une suspension d'office (pour ces produits, le sportif n'est pas suspendu avant que l'organisme d'appel soit réuni).

M. Jean-François Humbert, président. - Ces trois dernières années, la fédération internationale de natation a suspendu des athlètes russes, chinois et brésiliens, mais pas d'athlètes français. Est-ce une conséquence de la bonne prévention du dopage que vous avez menée ? Par quels moyens cette politique est-elle conduite ?

M. Francis Luyce. - La fédération française de natation prend très au sérieux l'information. Je crois en avoir fait la démonstration par le guide pratique du sportif de haut niveau que nous éditons. Nous engageons également diverses actions de pédagogie. De plus, la direction technique compte en son sein un département qui s'intéresse exclusivement au suivi de la carrière des sportifs de haut niveau. Cette cellule fait en sorte que nous soyons suffisamment réceptifs à l'émission de la meilleure information

Comparaison n'est pas raison. Je n'essaierai pas de savoir comment les Chinois, les Allemandes de l'Est à une époque, les Brésiliens ou les Tunisiens se sont organisés. La fédération française de natation, de son côté, met en place un dispositif permettant d'éviter de se trouver face à ce genre de situation. Un équilibre de confiance existe entre les différents intervenants pour proposer de l'information et de la prévention, au motif des regroupements lors des épreuves internationales, mais aussi lors des séminaires des athlètes de haut niveau, en début de saison. La formation des médecins et des kinésithérapeutes, mais aussi des directeurs techniques nationaux et de leurs adjoints laisse supposer que nous essayons d'anticiper autant que possible les éventuelles dérives. Le traitement de la décision de Yannick Agnel de partir aux États-Unis est un bon exemple récent. La fédération française de natation s'est montrée réactive pour faire en sorte que tout se passe au mieux, dans l'intérêt de l'athlète, du club et dans son propre intérêt.

M. Lionel Horter. - Les suspensions sont toujours consécutives à des contrôles sur des produits bien précis. Nous engageons toutes les actions nécessaires pour éviter que ce genre de cas ne se produise. Ce n'est encore jamais arrivé. Je suis en incapacité de vous affirmer que ça n'arrivera jamais, mais ce n'est simplement jamais arrivé.

Les pays que vous avez cités comptent une population de nageurs de haut niveau bien supérieure à la nôtre. Nous avons rencontré une réussite maximale cet été, mais elle fut vraiment exceptionnelle. En tout cas, la capacité à dialoguer avec la population des nageurs est bien plus réelle en France qu'aux États-Unis. Il se trouve en effet 2,5 millions de licenciés aux États-Unis, contre 200 000 en France, et 180 nageurs de haut niveau en France. Il est possible et aisé d'échanger avec ces sportifs.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Avant d'assumer les responsabilités qui sont les vôtres, vous avez été des nageurs de haut niveau. Le président a même été recordman du monde du 800 mètres. Durant votre parcours de pratiquant de très haut niveau, avez-vous été confrontés au dopage ? Étiez-vous persuadés que certains de vos adversaires étaient dopés ? Avez-vous été approchés par certains pourvoyeurs ?

M. Francis Luyce. - Ma courte carrière professionnelle s'est étalée de 1961 à 1969, avec deux participations aux Jeux olympiques, à Tokyo en 1964 et Mexico en 1968, et un record du monde battu. Je n'ai jamais eu le moindre sentiment de soupçon pendant mon activité de nageur de haut niveau, que ce soit au sein de l'équipe olympique, de l'équipe de France ou dans l'environnement des Jeux olympiques.

Je dis souvent, en plaisantant, que la seule amélioration que l'on aurait pu observer de mon état physique aurait été due à mon habitude de consommer des bananes. Cela corrobore notre recherche actuelle d'un sport propre, pour parvenir à la certitude que la natation soit un sport propre, et nous nous engageons à travailler dans cette voie, au sein de la fédération française de natation, encore pour quatre ans. J'espère terminer mon mandat avec la même satisfaction qu'actuellement, en considérant que la natation française est un sport propre.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Quels seraient les produits illicites ou interdits susceptibles d'être utilisés dans la natation ? L'EPO serait-il utile à un tricheur ?

M. Lionel Horter. - Je suis né en 1965. Je n'ai pas eu le bonheur de remporter des médailles internationales. J'ai participé à des compétitions internationales dans les années 1980. Nous nous trouvions alors dans un contexte de fort dopage de la part des pays de l'Est. Nous côtoyions régulièrement des jeunes femmes barbues, du fait des produits qu'elles absorbaient. Comme les trois meilleurs athlètes de chaque pays pouvaient participer aux Jeux olympiques, les podiums des femmes n'étaient occupés que par des représentantes des pays de l'Est, y compris face à la natation américaine et australienne.

L'éclatement des pays de l'Est a ensuite changé la donne. Ces pays se sont alors engagés dans un contrôle démocratique. Sur le plan sportif, la dynamique du dopage d'État a disparu. Ils sont passés à des aventures plus individuelles, comme il peut s'en rencontrer dans le reste du monde, où des personnes trichent individuellement.

J'ai alors été personnellement confronté à des situations de ce genre. J'entraînais alors une nageuse appelée Roxana Maracineanu, qui a été la première championne du monde française de natation, en 1998, à Perth. À ce moment-là, je n'ai honnêtement pas eu le sentiment que nous nagions contre des nageuses dopées. Tel fut mon sentiment en tant qu'entraîneur.

Par ailleurs, Roxana Maracineanu a battu à l'époque au 100 dos une nageuse appelée Christine Loto, la reine de la natation mondiale dans les années 1990, qui a confessé à la fin de sa carrière, vers 2002 ou 2003, qu'elle s'était dopée du temps des pays de l'Est. En 1998, Roxana nageait encore contre cette nageuse et l'a battue. Ce point m'a toujours interrogé, voire questionné sur l'utilité du dopage.

Nous avons aussi connu divers nageurs qui ont eu construit leur carrière en se dopant. Bien souvent, ceux qui se dopent ne travaillent pas intelligemment et passent très vite au haut niveau mais, au fond, je ne sais pas si quelqu'un qui se dope est vraiment plus fort que quelqu'un qui ne se dope pas.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Aviez-vous des doutes quant à l'authenticité de certaines performances chinoises ?

M. Lionel Horter. - La nageuse en question n'a pas été contrôlée positive. En outre, les entraînements des nageurs sont très contraignants. Si nous arrivons par du travail à atteindre de bons résultats, d'autres peuvent aussi y arriver. Je n'ai donc pas de regard trop suspicieux.

Quoi qu'il en soit, le cas des personnes qui s'éloignent de la norme n'est pas propre au sport. Elles sont toujours montrées du doigt, à tort ou à raison.

M. Dominique Bailly. - Un travail de fond a été mené et semble avoir porté ses fruits, vu le faible nombre de nageurs français contrôlés positifs.

Comment analysez-vous l'évolution de certains clubs français qui font preuve d'une volonté d'autonomie, voire de gouvernance particulière ?

Un nageur qui pourrait partir aux États-Unis ne risque-t-il pas d'être plus difficile à suivre ? Son départ ne pourrait-il pas poser problème au niveau relationnel ?

M. Francis Luyce. - Nous nous attachons à chaque olympiade à dresser les lignes d'un parcours d'excellence sportif. Dans ce parcours figurent les clubs auxquels vous faites allusion. La dynamique de la fédération française de natation se concentre à l'heure actuelle à Marseille, Antibes, Nice, Amiens et Mulhouse, et la fédération française de natation contrôle intelligemment le fonctionnement de ces clubs.

En premier lieu, chacune de ces structures a signé un contrat de préparation olympique, en lien direct avec la direction technique. Nous prenons également la précaution de maintenir le dialogue en évitant d'isoler les clubs dans leur fonctionnement. Ils font partie intégrante de la fédération française de natation, sans marginalisation au motif de leur développement. Ils font partie de la famille de la natation française. Vous n'auriez aucun exemple de club fonctionnant en indépendance. La fédération française de natation a toujours eu une politique stable en ce sens, mais sans conservatisme, avec des évolutions intelligentes. Avant de prendre des décisions, nous y associons le plus grand nombre de responsables, pour atteindre l'objectif que nous nous fixons.

Yannick Agnel n'est pas le seul à s'expatrier pour tâcher de devenir quadruple médaillé à Rio en 2016. Nous espérons qu'il le sera.

Clément Lefert ou Frédérick Bousquet ont eux aussi pris la décision intelligente de partir aux États-Unis. C'est une chance extraordinaire. Yannick Agnel va d'abord découvrir un autre monde et un nouveau fonctionnement. Le système universitaire américain est bien supérieur au système français. Leurs campus sont extraordinaires, tant au niveau sportif qu'intellectuel. Ils apportent des bénéfices tant sur le plan de la santé que de la formation.

J'ai à ce propos une anecdote à vous rapporter. Elle concerne le seul regret que j'ai eu dans ma carrière. Je n'ai pas pu partir à l'Université de Californie du Sud en 1963, car le secrétaire de l'époque ne m'en a pas donné les moyens. Un concurrent l'a pourtant obtenu en 1964, car ce sportif était originaire de la même ville que le secrétaire.

La décision de Yannick Agnel est formidable et nous l'accompagnons. Peut-être serais-je parti avec lui si je n'étais pas président de la fédération. Nous poursuivons nos relations étroites avec lui. C'est un garçon intelligent. Je n'ai aucune crainte. Il prendra toute précaution utile pour ne pas mettre la fédération en difficulté.

M. Alain Néri. - Nous nous félicitons des résultats de l'équipe de France de natation. Ils s'expliquent par le travail en profondeur qui est conduit. Nous nous sommes récemment rendus aux États-Unis, et les responsables de la fédération américaine n'ont exprimé aucune suspicion vis-à-vis des nageurs français.

Pensez-vous que des progrès ont été enregistrés dans le contrôle antidopage pour arriver à une égalité des chances ?

Que pensez-vous du suivi longitudinal ? Êtes-vous favorable aux contrôles inopinés et êtes-vous opposés aux AUT ?

M. Lionel Horter. - Le contrôle antidopage offre la possibilité d'une compétition plus saine par rapport aux horreurs d'il y a trente ans. Or les femmes nagent aujourd'hui plus vite que les femmes-hommes qui nageaient alors, tout d'abord grâce au matériel.

Au demeurant, le sport est souvent un condensé de la vie réelle. Nous disposons aujourd'hui de meilleures capacités de contrôle de l'entraînement. Nous travaillons mieux et plus juste qu'il y a trente ans, comme dans beaucoup d'autres domaines. C'est effectivement assez étonnant, en particulier avec des personnes qui, je le pense, sont majoritairement non dopées.

Je suis favorable par ailleurs au contrôle longitudinal, qui garantira un réel contrôle.

M. Francis Luyce. - Je rejoins les propos de mon directeur technique. Les contrôles longitudinaux sont nécessaires. En revanche, certaines expériences nous permettent de considérer que les contrôles inopinés ne sont pas toujours opportuns.

M. Lionel Horter. - Le principal problème à ce niveau reste la gestion des contrôles par les organismes. Il peut arriver que les organismes engagent deux ou trois contrôles dans un même weekend. Or il est toujours dommage de faire rater un entraînement à un nageur, d'autant plus quand un autre contrôle est conduit l'après-midi du même jour, puis encore un autre le lendemain matin.

M. Alain Néri. - Le fait de réveiller un coureur à six heures du matin, puis encore le lendemain à la même heure, est également assez désagréable. Toutefois, si les contrôles n'avaient pas autant fait preuve de fermeté, certains coureurs n'auraient peut-être pas été contrôlés.

M. Lionel Horter. - Les nageurs n'ont simplement pas la capacité et l'habitude de répéter des contrôles sur un à deux jours.

M. Alain Néri. - Tel est pourtant le principe d'un contrôle inopiné.

M. Lionel Horter. - Certes, mais la procédure n'est jamais la même. Ce sont des organismes différents qui s'en chargent : la FINA, le ministère des sports et parfois la direction départementale jeunesse et sports, sans coordination. Est-ce souhaitable de fonctionner ainsi ? Je n'ai pas la réponse.

M. Francis Luyce. - Voulez-vous bien nous répéter l'anecdote concernant Yannick Agnel au motif de l'invitation du Président de la République lors de la remise de sa légion d'honneur ?

M. Lionel Horter. - Il n'était pas disponible, car il était alors en contrôle antidopage. Il n'a pas été possible de lui signifier cette invitation. Il a depuis pu recevoir sa médaille.

M. Alain Dufaut. - Votre fédération regroupe les cinq disciplines de la natation. Vous montrez-vous aussi exigeants vis-à-vis du waterpolo, de la natation synchronisée ou du plongeon ?

M. Lionel Horter. - La cible reste le haut niveau. Or il n'existe pas de haut niveau en waterpolo. L'intérêt de la démarche de contrôle en haut niveau est donc quasi nul. En revanche, la quasi-totalité des contrôles au cannabis concerne cette discipline, ce qui explique peut-être le faible niveau de ces nageurs.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Quelle est l'utilité du cannabis pour le waterpolo ?

M. Lionel Horter. - Sans doute avons-nous ici la preuve que le cannabis n'apporte rien, puisque ces sportifs ne sont pas performants. Le ministère des sports ne nous verse d'ailleurs plus aucune aide au titre de la convention d'objectifs sur le waterpolo, compte tenu des résultats obtenus.

Le plongeon reste pour sa part une toute petite discipline, avec cent plongeurs sur l'ensemble du territoire. Le principal problème reste un problème d'équipement.

Quant à la natation synchronisée, elle compte 18 000 licenciées en France, pour une centaine de jeunes filles inscrites sur le parcours d'excellence des sportives de haut niveau.

C'est donc majoritairement la natation qui est concernée.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Pensez-vous que les athlètes paralympiques soient eux aussi concernés par le dopage ?

M. Francis Luyce. - Je ne me prononcerai pas au nom des présidents de la fédération française handisport ni de la fédération française du sport adapté. Je les pense suffisamment sérieux pour adopter la même discipline que la nôtre. Nous avons d'ailleurs signé diverses conventions.

Nous tâchons d'intégrer de plus en plus les paralympiques ou les sports adaptés à nos clubs et ils contribuent aussi au développement de notre fédération. Nous tâchons par ailleurs de nous mettre en ordre de marche afin de constituer aux JO de 2020 une fédération internationale de natation paralympique. Il s'agirait pour la fédération internationale, que je représente dans d'autres circonstances, d'intégrer dans ses programmes le programme de la fédération handisport et de la fédération du sport adapté. Ce ne semble toutefois pas être la tendance actuelle.

De notre côté, nous faisons en sorte de partager nos expériences avec nos partenaires, dès lors qu'elles peuvent servir. Je n'ai pas d'inquiétudes dans ce domaine, au vu de nos bonnes relations à ce niveau. En outre, les résultats des délégations paralympiques sont très bons. La natation est l'une des disciplines paralympiques qui affichent les meilleurs résultats.

Au demeurant, la fédération française de natation est souvent surprise de subir des contrôles antidopage dans une animation très qualifiante, la catégorie des maîtres. Il s'agit de jeunes gens de 25 à 92 ans qui participent à nos championnats de France, et qui subissent régulièrement des contrôles antidopage. Ces contrôles sont peut-être un peu excessifs, notamment du fait de leur coût. Cet argent pourrait être mieux affecté qu'au contrôle de personnes de 92 ans.

M. Jean-Pierre Chauveau. - Il y a eu un déficit de champions après l'époque faste des années 80 et avant l'apparition d'une conjonction de très bons entraîneurs et de nageurs d'exception. Le grand public a alors pu constater combien il était exceptionnel de voir arriver de tels champions.

M. Francis Luyce. - Vous avez raison. Nous avons d'excellents souvenirs liés à des nageurs d'exception comme Roxana Maracineanu, Stéphane Caron, Christine Caron, Alain Gottvallès, Michel Rousseau et tant d'autres.

La fédération française de natation a pris conscience de sa situation, après son bilan très mauvais des Jeux olympiques de 1996. Nous nous sommes interrogés à partir de cette date, avec le directeur technique de l'époque et ses successeurs, et la fédération française de natation a mis en place une politique de rigueur. Les athlètes de 1996 avaient confondu une invitation aux JO à une quinzaine au Club Med. La rigueur a ensuite été de mise, au motif de règles très précises de participation aux épreuves internationales. Aux championnats du monde, à Fukuoka, L'Équipe avait titré que la sélection française pouvait se déplacer en Smart, car elle ne comptait que cinq qualifiés. Désormais, quand nous nous déplaçons aux championnats du monde de Barcelone, 25 nageurs sont qualifiés.

Au-delà de cette politique de rigueur, des moyens plus conséquents ont également été affectés à la recherche de partenariats, pour faire en sorte que les moyens et les ambitions se rejoignent.

Nous bénéficions par ailleurs d'une conjonction de nombreux jeunes entraîneurs. Les entraîneurs précédents étaient de bon niveau, mais le nombre de bons entraîneurs est aujourd'hui plus élevé. De même, nous rencontrons de nombreux nageurs de très haut niveau (Yannick Agnel, Alain Bernard, Frédérick Bousquet, Hugues Duboscq, Amaury Leveaux, Florent Manaudou, William Meynard, Jérémy Stravius, etc.). Sans prétention aucune, car nous ne pouvons présager de l'avenir, il se pourrait que Rio confirme le bilan de la natation française, peut-être dans des proportions supérieures à celles de Londres 2012. Nous y travaillons, avec des entraîneurs de haut niveau qui sont parmi les meilleurs du monde, et des nageurs de talent, tant sur le plan physique qu'intellectuel. Ces jeunes gens et ces jeunes filles sont intelligents. En les écoutant parler en interview, on peut être fier d'appartenir à la fédération française de natation.

M. Alain Dufaut. - Votre réponse et votre affirmation concernant le championnat des maîtres me surprend. Il s'agit en quelque sorte d'un championnat de masse. Je me permets de vous préciser que nous avons modifié les propositions de loi Bambuck et Buffet, dont j'étais le rapporteur, en ajoutant que la loi devait être considérée comme « contre le dopage et pour la protection de la santé des sportifs ». De plus, cette loi s'applique aussi bien aux sportifs de haut niveau qu'aux autres sportifs, jeunes et moins jeunes. Or la bêtise n'épargne personne, quel que soit l'âge. Il faut donc maintenir la protection de la santé des sportifs à tous les niveaux, car ce n'est pas seulement l'argent qui motive les sportifs. Certains peuvent désirer à tout prix être champion de leur quartier, pour obtenir une petite gloriole personnelle.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Avez-vous eu des échanges avec les DTN des autres sports français ou étrangers ? Quelles sont vos relations avec le département des contrôles de l'AFLD ?

M. Lionel Horter. - Je n'ai aucun contact avec l'AFLD. Je ne sais pas si j'y suis autorisé sur le plan réglementaire. Je rappelle que j'ai été nommé le 1er février dernier.

Vous m'interrogez ensuite sur mes échanges avec les DTN français. Un déjeuner est prévu avec eux mercredi prochain. Je les connais déjà de manière informelle, depuis les JO. Nous nous rencontrons dans le village olympique, pour nous consoler ou nous féliciter. De manière générale, je connais mieux les DTN étrangers ou les fédérations de natation amies (bien que nous n'ayons pas d'ennemis), ou les personnes qui occupent le même poste que moi à l'étranger.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Pensez-vous que le volet dopage soit suffisant dans la formation des maîtres-nageurs ?

M. Lionel Horter. - Ce volet existe et fait partie du cursus des maîtres-nageurs, qui est un diplôme en cours d'évolution. Il s'agit d'un diplôme très lourd, qui prend 18 mois de formation. Ce métier est aujourd'hui devenu extrêmement formé. Les gens qui sortent de ces formations sont très compétents et très pointus, car ils sont à la fois entraîneurs, surveillants de baignade et éducateurs. En outre, ce diplôme donne à coup sûr un travail, car nous sommes actuellement en déficit de maîtres-nageurs en France. Les collectivités locales rencontrent de grandes difficultés pour trouver des maîtres-nageurs. L'activité syndicale - si ce n'est corporatiste - des maîtres-nageurs a verrouillé leur parcours, dont le diplôme est difficile. En tout cas, il comprend bien un volet antidopage.

M. Francis Luyce. - J'ajouterai que nous avons créé il y a quelques années le conseil interfédéral des activités aquatiques (CIAA), qui fédère les fédérations comme la fédération française de triathlon, le handisport et le sport adapté, mais aussi des groupements dont la FNMNS (la fédération nationale des maîtres-nageurs sauveteurs), pour avancer groupés et réfléchir à toutes ces thématiques. On est toujours beaucoup plus fort ensemble.

L'assemblée plénière du CIAA s'est tenue jeudi dernier, et nous avons eu des préconisations à faire valoir, notamment sur le sujet de la formation. Nous n'excluons pas la possibilité d'inclure dans la formation des futurs enseignants de la natation une information sur les messages que la fédération française de natation et le CIAA souhaitent apporter.

Nous avons eu une grande joie à vous rencontrer, avec une certaine anxiété, car c'est la première fois que nous sommes auditionnés par le Sénat. Nous espérons avoir répondu à votre attente.

Je remercie le DTN adjoint, Philippe Dumoulin, qui a préparé notre dossier avec l'ensemble de mon équipe, le directeur technique national, Louis-Frédéric Doyez, le directeur général. Un volume de documentation important a été préparé collectivement. Je vous laisserai également un guide pratique du sportif de haut niveau.

Nous lisons régulièrement La Lettre de l'économie, et nous attendons avec beaucoup d'intérêt la future loi que le Sénat promet de rédiger et de faire voter. Je vous remercie.

M. Jean-François Humbert, président. - Merci pour votre participation et pour les propos que vous avez tenus. Au-delà des documents que vous nous avez remis, faites-nous part avant la mi-juin des informations complémentaires que vous auriez à nous présenter. Tout élément complémentaire compte. Merci à vous.

Audition de M. Denis Masseglia, président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF)

M. Jean-François Humbert, président. - Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.

Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Denis Masseglia prête serment.

M. Jean-François Humbert, président. - Vous allez nous donner votre sentiment pendant un quart d'heure sur la lutte contre le dopage. Les membres de la commission présents, à commencer par le rapporteur, vous poseront ensuite des questions.

M. Denis Masseglia, président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). - Votre interrogation première porte sur mon sentiment vis-à-vis de la lutte contre le dopage. D'après moi, les paramètres de la lutte contre le dopage, de la santé des sportifs et de la lutte contre la suspicion de dopage (qui est l'autre fléau qui nous concerne) sont tous liés.

Compte tenu de tout ce que nous avons vécu par le passé, c'est une nécessité absolue de développer un véritable arsenal pour garder notre sport aussi propre que possible. Il faut tout mettre en oeuvre pour que notre sport reste en adéquation avec les valeurs qu'il véhicule, même si cet arsenal crée des contraintes. Il faut que les progrès de la législation et de la science se placent au service du sport et des athlètes, pas de ceux qui voudraient triche et en tirer profit.

Il faut commencer au plus jeune âge. C'est aux jeunes qu'il faut inculquer l'envie de faire du sport. Rappelons à ce propos qu'un jeune sur trois ne fait pas de sport. Cette problématique devrait être l'une des préoccupations majeures des gouvernants. En parallèle à la sensibilisation au sport, il faudrait sensibiliser sur la nécessité pour le sport d'être pratiqué avec loyauté et respect, mais aussi indiquer que le dopage est une mise en danger de soi-même et du fondement de ce qui fait la pratique elle-même, c'est-à-dire la loyauté. La prévention est donc incontournable.

Par ailleurs, la lutte antidopage concerne à la fois les mesures prises vis-à-vis des sportifs de haut niveau, mais aussi les pratiquants dits de second niveau, qui sont eux aussi contrôlés. Les moyens mis en oeuvre dans ces contrôles ne peuvent bien évidemment pas être comparables à ceux des sportifs de haut niveau. En ce qui concerne ces derniers, il est évident que les contrôles et dispositifs sont la meilleure garantie pour que le sport pratiqué ne souffre d'aucune suspicion, ou du moins que la suspicion soit la moindre possible. Je sais que ce système est contraignant. Nombre d'athlètes m'ont fait part des contraintes du système ADAMS. Tous ne partagent pas la même opinion le concernant, ce qui est compréhensible, mais je pense tout de même qu'ils s'expriment plutôt favorablement vis-à-vis de ce système, même s'il leur crée des difficultés. Il est en effet une manière de conserver à l'esprit l'importance de la propreté du sport. Il est toujours satisfaisant de les entendre s'exprimer en ce sens.

Comme beaucoup ont dû le dire avant moi, nul n'est à l'abri d'une initiative personnelle ou de chimères d'amélioration des performances que certains feront miroiter, en particulier via des moyens ultramodernes qui pourraient être indétectables. À ce titre, il est important d'évoquer l'autorisation des techniques de congélation d'échantillons d'urine et de sang. Cette pratique permet de remettre à plus tard la détection de produits dont la présence était indétectable au moment du prélèvement. Ce système fait planer une formidable épée de Damoclès au-dessus des tricheurs et me semble constituer un élément essentiel de la lutte antidopage. On a vu des athlètes disqualifiés pour dopage jusqu'à trois ans après la course. Ce procédé me semble extrêmement positif pour l'efficacité de la lutte antidopage, car il génère du doute parmi les apprentis-sorciers qui pourraient chercher à contourner la législation.

Il demeure que nous ne pouvons nous prémunir de toutes les tentatives de dopage. Au-delà des athlètes qui ont pu être sanctionnés par l'analyse de prélèvements congelés, l'omerta semble elle aussi levée en partie. Si Lance Armstrong est tombé, ce n'est pas suite à des analyses de prélèvements congelés, mais parce qu'il a lui-même été dénoncé par d'autres. Ce contexte-là me semble aussi être important. Je constate une véritable prise de conscience parmi celles et ceux qui ne souhaitent pas rester complices d'un système - pour peu qu'ils en avaient connaissance.

Ne faisons pas preuve de naïveté ou d'angélisme. Il est clair que la tricherie fait partie de la nature humaine. Néanmoins, plus elle sera traitée en amont, plus les athlètes seront sensibilisés et menacés de sanctions, plus les risques diminueront.

Je considère que les progrès dans la lutte antidopage ont été énormes, tout comme les progrès dans la suspicion de dopage. Il ne faut pas penser que seuls les vainqueurs sont dopés et que les perdants sont parfaitement propres. Fort heureusement, de nombreux vainqueurs gagnent en étant propre, sur la base de leur travail et de leur talent.

Tout cela nécessite une information permanente des jeunes et une approche fiable et indéniable sur le plan technique et médical. Le passeport biologique et l'établissement de paramètres stricts constituent des progrès incontestables dans la lutte antidopage. En tout cas, toute mesure dissuasive doit être soulignée et prise en considération.

Je souhaite par ailleurs exprimer une opinion sur un autre paramètre, et qui n'est peut-être pas partagée. Je suis défavorable à toute peine pénale, toute peine de prison, car le tricheur n'est pas non plus un hors-la-loi. Le préjudice vis-à-vis du sport, tant via le dopage que la corruption ou la violence, m'amène en revanche à appeler de mes voeux des sanctions financières à l'égard des accusés, pour atteinte à l'image du sport. Il faudra bien évidemment peser auparavant les conditions des faits.

M. Jean-François Humbert, président. - Avant de donner la parole à notre rapporteur, je souhaite vous interroger : quelle appréciation portez-vous sur l'engagement du Comité national olympique et sportif dans la lutte contre le dopage ? Ses moyens humains et financiers sont-ils suffisants ?

M. Denis Masseglia. - Le CIO a été extrêmement volontariste pour créer la fédération Internationale antidopage, mais aussi pour harmoniser les dispositifs de prévention et les systèmes de sanction. Sans la volonté du CIO de mettre en avant certaines mesures, nous n'aurions pas atteint les progrès dont j'ai fait l'écho.

Pour y parvenir, il a fallu que des cas soient constatés, et que les difficultés soient suffisamment importantes et médiatisées pour que la réaction soit à la mesure du fléau. On pourrait néanmoins lui reprocher de ne pas avoir agi de façon plus anticipée.

Je ne souhaite pas reprendre l'adage « tout le monde savait mais personne ne savait », qui a entretenu le statu quo. Néanmoins, les présomptions de dopage peuvent ne pas déboucher sur des sanctions en cas d'absence de preuve absolue, voire placer en difficulté celui qui exprime ces présomptions. J'ai souvenir d'une époque où Butch Reynolds avait la capacité de mettre la fédération internationale d'athlétisme en réelle difficulté financière. Ce genre de conséquences peut forcer un directeur sportif à s'interroger, non pas sur sa volonté de lutter, mais sur l'appréciation des risques encourus, en particulier face à une décision de justice qui pourrait lui être défavorable sur la forme. À l'heure actuelle, personne n'est à l'abri. Néanmoins, le fait d'avoir associé les États à la lutte contre le dopage, qui est une cause humanitaire, a apporté davantage de garanties.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Merci pour votre contribution. Vous avez été sportif de haut niveau avant d'avoir exercé des responsabilités fédérales. Avez-vous rencontré des cas de dopage quand vous pratiquiez l'aviron ? L'aviron est-il un sport à risque, qui pourrait être incité à recourir au dopage ?

M. Denis Masseglia. - Mon meilleur titre de gloire a été de terminer dixième au championnat d'Europe d'aviron. Je n'ai donc pas atteint un très haut niveau. En tout cas, je n'ai jamais vu de mes yeux de pratiques illicites pendant mes deux ans de présence en équipe nationale. J'ai eu en revanche des contacts avec des rameurs qui étaient mes coéquipiers ou qui ont fait carrière, et qui ont pu être privés d'une médaille par des rameurs dopés. En 1980, les rameurs bulgares ont battu les rameurs français à une demi-seconde et leur ont indiqué ensuite comment faire pour être médaillés la fois suivante.

J'ai fait partie pendant douze ans de la fédération internationale d'aviron. Cette fédération a établi pour principe l'exclusion à vie de tout rameur dopé, dès la première incartade. Nous avons beaucoup réfléchi sur l'efficacité de cette règle, que nous étions presque les seuls à appliquer au début des années 2000. Pour ma part, j'étais plutôt favorable à donner une seconde chance aux contrevenants. La création du code mondial antidopage a ensuite accéléré la procédure. Désormais, ce sont les règles de l'AMA qui s'appliquent. Tout cas de dopage avéré par des produits nocifs entraîne une exclusion de deux ans. La récidive est punie d'une exclusion à vie.

Plusieurs équipages russes contrôlés positifs se sont présentés il y a quatre ou cinq ans. La fédération internationale d'aviron a alors indiqué qu'elle n'accepterait plus de rameurs russes tant que la fédération russe ne changerait pas de dirigeants. Elle a alors procédé au changement de ses dirigeants, pour regagner la confiance des instances.

Des cas ont donc été relevés dans mon sport mais ils sont restés rares. J'espère que nous luttons suffisamment. Sans doute notre lutte ne sera-t-elle jamais parfaite. En tout cas, les rameurs se conforment toujours aux règles. Je n'ai jamais entendu de récriminations face à l'idée de se soumettre à un contrôle, que ce soit dans un bassin national ou étranger. Les règles sont bien assimilées dans le milieu, mais j'ai conscience que cela ne nous garantit pas contre le risque zéro.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous fédérez l'ensemble des fédérations, notamment au niveau olympique. Avez-vous parfois le sentiment d'une inégalité de traitement entre les disciplines, en termes de contrôles et de sanctions ?

M. Denis Masseglia. - Je crois qu'il faut tout faire pour éviter que l'on puisse le penser. Le traitement égalitaire doit prévaloir. Je suis donc favorable à une forme de cohérence qui le confirmerait. Or il demeure des politiques insuffisamment volontaristes dans certaines fédérations. L'agence mondiale antidopage s'est fixée comme objectif d'oeuvrer pour cette cohérence.

M. Jean-François Humbert, président. - Pensez-vous que les moyens actuels soient suffisants pour atteindre les objectifs ?

M. Denis Masseglia. - Voulez-vous dire en termes d'arsenal technique, de contrôles, sur le plan juridique ou bien des sanctions ?

M. Jean-François Humbert, président. - Je m'interroge d'une part sur les contrôles techniques et ensuite sur les éléments de législation.

M. Denis Masseglia. - Les contrôles et en particulier les contrôles inopinés sont un moyen important de lutte contre le dopage. Pour sa part, le passeport biologique constitue une véritable carte d'identité qui permettra d'inventorier les paramètres qui ne doivent pas évoluer au cours du temps. Il ne peut exister de politique efficace sans moyens adaptés.

Plusieurs faits divers mettant en cause des laboratoires justifieraient de mettre en place une incitation spécifique des laboratoires, de la part de toutes les autorités (gouvernementales, sportives, médiatiques ou économiques). Il pourrait être intéressant qu'une loi française incite les laboratoires à investir dans la lutte antidopage, qui a besoin de 7 à 8 millions d'euros pour mener à bien sa mission. Il serait intéressant de recherche un financement via les laboratoires, qui peuvent directement bénéficier d'une campagne d'amélioration de leur image. Le coût d'une telle action resterait modique au regard du chiffre d'affaires astronomique de l'industrie pharmaceutique. Je pense que cette piste mériterait d'être explorée, ne serait-ce qu'au regard des dégâts qu'un contrôle positif peut causer sur les rêves de nombreux jeunes ou sur l'image du sport. Nous n'en ferons jamais assez pour davantage de contrôles ou d'actions de prévention dans la lutte contre le dopage ou la suspicion de dopage, sujets que je place toujours ensemble.

M. Jean-François Humbert, président. - Je crois avoir compris que vous écartiez la pénalisation de l'acte de dopage. Le fait de se doper ne serait pas pénalisable. Est-ce votre position ?

M. Denis Masseglia. - Je ne suis pas favorable à une sanction pénale, comme une peine de prison. Je suis en revanche favorable à une sanction financière, car le préjudice vis-à-vis de l'image du sport est réel, notamment face à quelqu'un qui a pu s'enrichir. Pour l'instant, la sanction ne porte que sur le plan sportif et il me semble illogique que le contrevenant ne participe pas à la prise en charge financière du préjudice.

M. Jean-François Humbert, président. - Votre position est originale et intéressante. Nous avons plutôt entendu des intervenants défendre la sanction pénale ou l'absence de toute sanction.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Nous avons effectivement connu des appréciations divergentes. Pensez-vous que les sanctions doivent échapper aux mouvements sportifs ? Faut-il externaliser le processus, via l'Agence française de lutte contre le dopage par exemple, pour éviter que les fédérations soient à la fois juge et partie ?

M. Denis Masseglia. - Il s'agirait de faire en sorte d'éviter toute iniquité de traitement entre discipline. Ce serait sans doute très intéressant, dans la mesure où chaque fédération est aujourd'hui responsabilisée dans les procédures de contrôle et de sanction.

Il me gêne toutefois de penser que dans le dispositif actuel certaines fédérations sont plus laxistes en termes de sanction, ce qui pourrait justifier une externalisation.

Pour ma part, je pense qu'un système efficace doit être confié à des experts expérimentés et choisis par le mouvement sportif. Toutefois, si nous devions passer par une cellule constituée de personnes choisies de manière paritaire entre la structure gouvernementale et le mouvement sportif, il faudrait avant tout qu'elle inclue des personnes dont la compétence ne pourrait être mise en cause. Il ne faudrait pas non plus que le pouvoir sportif se défile. Le problème doit être traité, avec un mouvement sportif responsabilisé et responsable, mais pas nécessairement acteur.

Le choix des membres de cette commission ou cellule pourrait être une piste à explorer. Il s'agirait d'aboutir à une cohérence maximale et d'éviter que certains se montrent plus volontaristes que d'autres.

M. Stéphane Mazars. - Vous avez souligné l'intérêt de demander des comptes d'un point de vue financier à ceux qui trichent. Est-ce que le comité national olympique et sportif se constitue partie civil dans des affaires de dopage de sportifs, notamment dans des affaires de trafic de produits dopants ?

Nous avons auditionné le président de la fédération française de cyclisme. Il a indiqué que la fédération française de cyclisme se constituait systématiquement partie civile et demandait des dommages et intérêts. Pourriez-vous vous aussi engager une démarche similaire ?

M. Denis Masseglia. - Si je comprends bien, vous m'interrogez sur ma position dans le cas de trafics de produits dopants, pas d'affaires de dopage individuelles. J'ai simplement indiqué qu'il me semblait nécessaire que les sportifs dont les dérives ont causé le plus de dommages à l'image du sport puissent être poursuivis et sanctionnés. Je précise que je ne suis pas juriste. Peut-être la recherche de sanctions financières n'est-elle pas envisageable dans des cas de ce type. En tout cas, il me semblerait recevable de prononcer des sanctions financières, pour que ces contrevenants participent à la réparation du préjudice de l'image du sport. N'oublions pas que son image est ce que le sport a de plus précieux.

Si une fédération est directement concernée par un trafic, il n'est pas nécessaire que le comité national olympique et sportif se porte partie civile. En revanche, la fédération pourra solliciter le comité national olympique et sportif pour qu'il se place à ses côtés et l'aide à obtenir réparation.

Le contenu de la loi est effectivement utilisé par la fédération française de cyclisme, et c'est tout à fait louable. Nous n'avons pas à agir plus avant, sauf si la fédération le souhaite.

M. Alain Néri. - Vous dites être favorable à une sanction financière. Seriez-vous favorable à ce que l'argent récupéré lors des condamnations soit fléché et affecté à un fonds dédié à la lutte contre le dopage ?

M. Denis Masseglia. - Pourquoi pas. Sous réserve d'une vérification par un juriste, il me semble important d'ouvrir la possibilité de sanctions financières pour réparation du préjudice de la dégradation de l'image du sport. La lutte contre le dopage va d'ailleurs dans ce sens. Je suis donc favorable à ce genre d'option. La participation de l'industrie pharmaceutique me semblerait également bénéfique.

M. Alain Néri. - Que pensez-vous de l'idée d'un prélèvement sur certaines recettes d'événements sportifs, au crédit de la lutte antidopage ?

M. Denis Masseglia. - Les événements sportifs lucratifs apportent un impact économique, mais aussi un impact en termes de cohésion sociale. Or de nombreuses actions de solidarité ont déjà été mises en oeuvre, notamment la taxe sur la retransmission télévision. Aller dans votre sens pourrait tracer un parallèle entre un événement médiatisé et le dopage. Je n'y suis donc pas favorable.

M. Alain Néri. - Nous savons que les contrôles doivent être conduits rapidement après les épreuves. Les contrôles inopinés sont également très importants. Certains représentants de fédération ont pourtant exprimé leur désaccord vis-à-vis de ces contrôles, qui pourraient présenter des contraintes importantes et notamment faire manquer des entraînements à des sportifs. Ne pensez-vous pas que la lutte contre le dopage nécessite d'accepter certaines contraintes ?

M. Denis Masseglia. - J'apporterai une réponse en deux étapes. Le citoyen que je suis trouve que les lois sont parfois trop nombreuses, alors que seuls 4 à 5 % de la population globale risque de les enfreindre. Au fond, la loi va pénaliser les 95 % de personnes qui font bien leur travail. Pour répondre à votre question, je dirai que nous ne nous trouvons pas dans un contexte qui nécessite une généralisation sur le plan juridique.

Les contrôles inopinés peuvent se dérouler tout à fait bien. Ils sont d'ailleurs très bien acceptés. Je pense que ces contrôles sont le prix à payer pour avancer. Le système ADAMS est par exemple très bien accepté par Roger Federer, qui s'y soumet normalement. Ce système renvoie au souci de montrer que sa performance n'est due qu'à son talent et son travail.

Des critiques dont j'ai été l'écho renvoient à de rares excès qui ont pu être observés. Un médecin préleveur a par exemple sonné à 7 heures du matin à la porte d'un sportif et n'a pas attendu suffisamment longtemps pour que l'athlète se lève. Celui-ci a alors fait l'objet d'une alerte vis-à-vis de son engagement de présence. Toutefois, ces cas ne représentent sans doute que 2 % à 3 % des cas. Il ne faut pas généraliser.

M. Alain Néri. - Vous êtes donc favorables aux contrôles inopinés.

M. Denis Masseglia. - Incontestablement oui. Je n'ai jamais émis de doute sur ce point. Je suis également favorable au programme ADAMS, qui va bien au-delà du précédent système de contrôle inopiné. Dans les années 1990, un athlète n'avait qu'à communiquer le lieu de son stage, pas sa localisation précise.

M. Jean-François Humbert, président. - Est-on allé trop loin ?

M. Denis Masseglia. - Non. Nous sommes simplement allés beaucoup plus loin pour garantir la probité du sport, qui est un métier pour les sportifs professionnels et la passion de tous les pratiquants.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - La question que j'ai posée renvoie au fait que l'action internationale du sport relève désormais du mouvement sportif lui-même. Dans quelques semaines, des élections auront lieu pour la présidence de l'AMA. Que pensez-vous de la candidature éventuelle d'un compatriote, Patrick Schamasch ?

M. Denis Masseglia. - Tous les six ans, la présidence de l'AMA revient soit à un haut représentant des autorités gouvernementales, soit à un représentant du mouvement sportif. Patrick Schamasch a émis son ambition d'être élu à la présidence de l'AMA. Il affiche toutes les compétences nécessaires pour cela. Sa nationalité n'entre pas en ligne de compte. Sur le plan de la lutte antidopage, c'est surtout la compétence qui compte. M. Schamasch affiche une expérience importante, car il a été le médecin du CIO. Il a de plus participé à toutes les commissions juridiques chargées d'évaluer des dossiers. La qualité de son engagement et de ses compétences ne fait aucun doute.

Sa candidature est extrêmement intéressante, et sa nationalité reste secondaire.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Le CNOSF et le Sénat ont exprimé la volonté de mettre en place un passeport sanguin à compter du 1er juillet 2013. Pensez-vous que nous serons prêts ?

M. Denis Masseglia. - Si nous ne sommes pas prêts, nous ne sommes pas loin de l'être. Je n'ai néanmoins pas suivi de près l'état de ces travaux. Je vous apporterai une réponse plus précise après avoir pris connaissance de la réalité exacte de ces travaux. Je préfère ne pas apporter présentement de réponse erronée.

M. Jean-François Humbert, président. - Je vous propose de conclure, si vous le souhaitez.

M. Denis Masseglia. - Je crois sincèrement qu'il existe des aspects pervers et négatifs qui mettent en danger l'existence même du sport. Il ne s'agit pas seulement du dopage, mais aussi de la corruption et de la violence, ou d'autres problèmes sociétaux comme le racisme.

En concertation avec les parties prenantes politiques, économiques ou médiatiques, les autorités sportives doivent faire en sorte de lutter pour préserver l'intégrité du sport et des sportifs. Le sport reste en effet un bien précieux pour l'humanité. Il est un élément constitutif des sociétés, quelle que soit leur histoire.

Il est toujours plus courant de citer les trains qui déraillent, et je regrette parfois que l'image du sport soit ternie par des affaires qui, au fond, ne représentent qu'une infime partie de ce que l'ensemble des participants peuvent exprimer. C'est à ce niveau que j'évoquais une sanction financière : même si une sanction financière ne réparera jamais le préjudice, il me semble important de nous sensibiliser sur l'importance de l'épanouissement de l'être humain dans le sport, quel que soit son niveau de pratique. Cet épanouissement ne doit pas passer au second plan face aux aspects pervers. Il faut certes lutter contre ces effets pervers, mais ils ne constituent pas l'essentiel de la pratique sportive. Mon travail consiste aussi à promouvoir les points positifs. N'oublions pas que 80 % des Français ont été licenciés et que 15 millions de français le sont actuellement. Grâce à l'action de 3 millions de bénévoles.

M. Jean-François Humbert, président. - Merci.

M. Denis Masseglia. - J'ai par ailleurs eu le plaisir de rédiger avec Pascal Boniface un livre, Le Sport c'est bien plus que du sport. Ce livre inclut quelques pages sur mon expérience personnelle, mais il présente surtout des perspectives qui ne peuvent vous laisser indifférents quant à l'organisation du sport dans notre pays. L'importance transversale du sport me semble insuffisamment reconnue. Je rêve que l'on organise un jour les Jeux olympiques, non pas pour le plaisir de les organiser, mais pour inspirer une génération. Il doit s'agir de notre principal souci pour l'avenir : faire en sorte que les jeunes fassent du sport. N'oublions pas qu'un jeune sur trois ne pratique pas de sport, et un jeune sur deux dans les quartiers difficiles. J'ai commencé en évoquant cette idée. Il m'apparaissait important de terminer aussi sur cette idée.

Jeudi 23 mai 2013

- Présidence de M. Jean-François Humbert, président -

Audition de M. Christophe Blanchard-Dignac, président directeur général de la Française des jeux

M. Jean-François Humbert, président. - Merci d'avoir répondu à notre invitation. La commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.

Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Christophe Blanchard-Dignac prête serment.

M. Christophe Blanchard-Dignac, président directeur général de la Française des jeux. - On me demande souvent pourquoi la Française des jeux a une équipe cycliste et continue à soutenir un sport qui fait régulièrement l'objet de scandales. Ma première réponse, c'est que le cyclisme est un sport populaire, que nous sommes une entreprise populaire, que le Tour de France est un grand évènement qui appartient au patrimoine sportif mondial.

Le cyclisme est aussi, avec la voile, l'une des rares disciplines dans lesquelles le sponsor donne son nom à l'équipe. Enfin, c'est un sport qui mérite que l'on se batte pour lui et pour le respect des règles qui doivent y présider.

Voilà dix-sept saisons que nous avons une équipe. Alors qu'au départ du Tour de France notre premier coureur se classait 76e, il arrivait 10e l'an dernier. C'est une mesure des progrès accomplis dans la lutte contre le dopage. Les premières années, il était impossible d'espérer un podium et les autres équipes se moquaient de nos coureurs, qui appliquaient les règles au pied de la lettre.

En donnant notre nom à notre équipe, nous avons voulu d'emblée en prendre le contrôle. Le sponsor n'est pas un simple financeur, il est responsable. Notre équipe est l'une des seules qui soit propriété de son sponsor, puisque notre participation directe est de 34 % tandis que l'association l'Échappée, qui dépend aussi de la Française des jeux, possède les 66 % restants. En cas de problème, c'est nous qui serions en première ligne, autant donc s'assurer du contrôle. Notre équipe peut compter sur le commissaire aux comptes de la Française des jeux, sur nos services juridiques et comptables. Son budget est de 11,6 millions, assuré, pour 9,5 millions, par la Française des jeux, et pour 1,2 million par Lapierre, qui fournit les vélos. Le conseil d'administration de la Française des jeux est systématiquement associé à notre engagement. Il émet des résolutions, certaines assorties de conditions. Ce fut le cas s'agissant du Pro Tour, pour lequel l'UCI (union cycliste internationale) nous avait sélectionnés, et auquel le conseil ne nous a autorisés à participer que sous réserve d'un strict respect des règles éthiques. L'équipe bénéficie d'une visibilité pluriannuelle, sur quatre ans.

Nous ne nous contentons pas d'un engagement marketing, mais pesons tant sur les règles du jeu que sur l'engagement sociétal, via la Fondation Française des jeux, qui accompagne de jeunes cyclistes dans leur parcours. Il est essentiel, pour un coureur, de disposer, dans le cadre du fameux « double projet », d'un bagage scolaire solide. C'est aussi un moyen de lutter contre le dopage. Emblématique, de ce point de vue, est le parcours de Jeremy Roy, sorti major de sa promotion d'ingénieur, ce qui lui assure pour l'avenir la possibilité d'une reconversion. Nous sommes soucieux d'accompagner nos coureurs dans leur double projet. Nous avons même embauché l'un de nos anciens coureurs dans notre équipe marketing, après ses études.

Le sponsor doit être actif, engagé. C'est nous qui nommons le directeur sportif et le médecin de l'équipe. Car le choix des personnes n'est pas neutre. Notre directeur sportif, Marc Madiot, est un ancien champion cycliste, compétent, loyal, actif. Quant au docteur Guillaume, il a été embauché en 1999 pour être le fer de lance de la prévention. L'un de nos entraîneurs, qui est un chercheur, travaille sur les profils des puissances record. Il s'agit d'accompagner la performance des coureurs, qui sont à leur zénith autour de 22 ans, en mesurant leur potentiel physique, pour savoir quel est leur maximum, et s'ils sont en retrait sur leur potentiel. Quand un coureur est au maximum de ses possibilités sur certains aspects, il travaille sur les autres. Les performances en course de nos coureurs s'expliquent ainsi par le potentiel de chacun d'eux, et non par l'absorption de quelque potion magique.

Il importe, aussi, que l'environnement soit vertueux. Cela passe par le mode de rémunération de l'encadrement. Jamais notre directeur sportif, et encore moins notre médecin sportif, n'ont été intéressés aux résultats. Ce n'est pas le cas dans toutes les équipes sportives.

Les coureurs cyclistes qui respectent les règles ne doivent pas être pénalisés. Avec notre appui, la ligue cycliste, a doté les coureurs d'une convention collective, qui engage des droits et des devoirs. Si aucune équipe n'est à l'abri d'une défaillance individuelle, toute défaillance collective s'explique, en revanche, par une chaîne de complicités et un défaut de surveillance. Quand on constate année après année des cas de dopage avérés dans une équipe, on ne peut l'expliquer autrement. Une défaillance unique, un seul « no show », l'absorption ponctuelle d'une substance, cela peut arriver, mais lorsque l'on est au-delà du cas individuel, cela dénonce une organisation.

En 2000, nous étions bien seuls dans notre combat. Peu à peu, toutes les équipes françaises se sont fédérées, puis quelques équipes étrangères nous ont rejoints. À l'initiative de Roger Legeay, alors à la tête de l'association internationale des groupes cyclistes professionnels, un plafond d'hématocrite a été fixé. Son successeur, Manolo Saiz, n'avait pas le même profil... Créé en 2007, le Mouvement pour un cyclisme crédible (MPCC) rassemble aujourd'hui onze des dix-neuf équipes de la division mondiale. Certaines ont été admises avec une période probatoire. Amaury sport organisation (ASO), organisatrice du Tour de France, nous a donné un coup de main formidable en déclarant qu'elle privilégierait dans sa sélection les équipes membres du MPCC. Nous sommes même allés au-delà des règles des organisations mondiales, en prenant des engagements plus stricts sur les corticoïdes ou en posant la règle de l'autoexclusion en cas de dopage, après deux défaillances.

Comment améliorer la situation ? Tout d'abord, grâce à une implication beaucoup plus forte des sponsors, qui doivent s'investir, regarder de près ce que l'équipe qui porte leur nom fait de leur argent. C'est pourquoi le sponsor, je l'ai dit, doit être actionnaire. En prenant, ensuite, des sanctions dissuasives et collectives, appliquées à l'équipe et aux dirigeants, quand les dérapages se répètent. Cela suppose de s'appuyer sur des contrôles inopinés, en faisant appel aux moyens d'investigation des forces de police. Je ne suis pas, pour autant, un maniaque des sanctions. Ne parler que de cela, ce n'est pas rendre service au sport ; il faut aussi valoriser les bonnes pratiques et les sportifs qui respectent les règles. C'est pourquoi je propose, depuis plusieurs années, d'instituer une notation sportive des équipes, des fédérations et des organisateurs d'épreuves. Ceux qui sont vertueux, qui s'impliquent dans la formation, dans l'intégration par le sport, doivent être mis en valeur. Heureusement ceux-là sont aujourd'hui beaucoup plus nombreux que ceux qui s'affranchissent des règles ; mettons-le en avant. L'initiative Athletes for Transparency, à laquelle a participé notre coureur Jérémy Roy qui, lors du Tour de France 2007, a rendu public, au quotidien, tous ses paramètres médicaux, va dans ce sens. Ceux qui n'ont rien à cacher n'ont pas peur de la transparence. En matière de prévention, le double projet compte aussi beaucoup.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - La Française des jeux est partenaire du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), dont le président doit être aujourd'hui élu. Pensez-vous que l'ambition du Comité olympique est assez forte, qu'il en fait suffisamment en matière de lutte contre le dopage ?

M. Christophe Blanchard-Dignac. - Le combat contre le dopage est l'affaire de tous. Et d'abord des pouvoirs publics, car bien des moyens d'action relèvent de l'ordre public. C'est ainsi qu'ils ont agi après l'affaire Festina. Il faut des initiatives fortes, au niveau français mais aussi européen, comme la convention du Conseil de l'Europe relative au dopage dans le sport, pour donner l'impulsion. Le comité olympique et son président sont évidemment impliqués à fond pour préserver l'intégrité des rencontres sportives et nous prémunir contre le danger d'infiltration d'organisations criminelles dans certains sports. Se pose également la question des moyens, qui devraient être substantiellement augmentés.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Comment ?

M. Christophe Blanchard-Dignac. - En sanctionnant plus durement ceux qui ne respectent pas les règles. Le règlement de l'UCI prévoyait que l'amende puisse atteindre un an de salaire. L'Agence française de lutte contre le dopage pourrait bénéficier du produit des amendes. Et s'il faut faire appel aux moyens de telle entreprise publique, soit !

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Publique ou privée...

M. Christophe Blanchard-Dignac. - Sur le financement du sport, on pense plus souvent à la Française des jeux... D'ores et déjà, les équipes contribuent au passeport sanguin. La contribution de la Française des jeux s'élève à 120 000 euros par an, ce n'est pas négligeable.

Je n'ai aucun doute sur la sincérité de l'engagement du Comité olympique, mais le respect des règles doit être le combat de tous. Ainsi, les organisateurs du Tour de France, en habilitant en priorité les équipes vertueuses, incitent toutes les équipes à adhérer au MPCC. Quand en 2008, grâce au courage du président de la fédération française cycliste de l'époque, qui n'a pas craint les menaces de l'UCI, les contrôles ont été intensifiés et surtout conduits par l'AFLD. Les performances de bien des coureurs en vue ont chuté, des coureurs français peu considérés se sont retrouvés mieux classés. Cette année-là, notre premier coureur « Française des jeux » s'est classé 13e, quand nous n'apparaissions, en 2000, qu'à la 76e place.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous avez évoqué le Mouvement pour un cyclisme crédible, vous auriez pu parler aussi de « Changer le cyclisme maintenant », personnalisé par Greg LeMond. Mais j'observe que depuis quelques mois, alors que s'engage la campagne à la présidence de l'UCI, on n'entend plus guère parler d'éthique. Ne serait-ce pas, au contraire, le moment d'en parler plus fort ?

M. Christophe Blanchard-Dignac. - La Française des jeux, des années durant, au-delà de son engagement de sponsor et en faveur du sport amateur, s'est efforcée d'infléchir l'action des autorités fédérales et internationales. Mais il est vrai que ces dernières années, l'ouverture maîtrisée des jeux à la concurrence m'a beaucoup occupé.

Il faut que les autorités fédérales fassent leur travail. C'est à elles d'édicter les réglementations antidopage, de donner les règles du jeu. Nous pouvons prêter notre concours résolu à ce combat, comme nous le faisons quand nous décidons de licencier un coureur contrôlé positif sans indemnités, mais nous ne pouvons pas nous substituer à elles.

Je me suis longtemps battu dans l'indifférence. Quand j'ai proposé, en 2006, des licences à points, je n'ai eu droit qu'à quelques commentaires dans la presse, sans autre effet. Si l'on décidait de prendre des initiatives fortes, je serai le premier à les appuyer.

M. Stéphane Mazars. - Y a-t-il d'autres exemples d'équipes qui auraient mis en place des procédures allant au-delà des règles que les fédérations mettent en place ?

M. Christophe Blanchard-Dignac. - Outre notre équipe, toutes celles qui sont membres du MPCC. Le financement du CNDS provient à 80 % d'un prélèvement sur la Française des jeux. Nous sommes aussi sponsors de certaines fédérations : lorsque nous renouvelons nos partenariats, nous faisons en sorte qu'ils aillent au-delà du seul marketing, en leur adjoignant un volet sociétal - aide à l'insertion des publics handicapés ou défavorisés, participation au Tour de France pénitentiaire, par exemple - et un volet éthique. Les partenaires du sport ne doivent pas se contenter d'acheter l'image, ils doivent aussi tout faire pour que les règles soient respectées. Notre priorité, dans ces partenariats, va à la lutte contre les atteintes à l'intégrité du sport, que ce soit dans le foot, le basket ou le handball. C'est pourquoi j'ai proposé que l'on avance sur l'idée de notation sportive, en faisant reconnaître la vraie valeur des équipes.

M. François Pillet. - Il est en effet essentiel de mettre en valeur l'éthique des équipes, ce qui suppose d'être très attentif au contrôle du contrôle, car rien de plus ravageur qu'une éthique labellisée prise en faute. Quel rôle peuvent jouer les fédérations ? Peut-on concevoir une notation, et si oui, par qui ?

M. Christophe Blanchard-Dignac. - Idéalement, la notation, nous en avons discuté avec le Comité olympique, devrait être dès le début appliquée à au moins une fédération, un club et un évènement. La fédération d'aviron a manifesté son intérêt. L'équipe de la Française des jeux est elle aussi toute prête. Reste à trouver l'événement. Et à déterminer les critères à retenir pour apprécier la qualité d'une fédération, d'une équipe, d'un événement. Enfin, il faudra trouver qui confier la certification, comme dans toute démarche qualité.

Alors que l'on souhaite mettre en avant les événements français et les équipes françaises, une telle notation, pour peu qu'elle prenne de l'ampleur en Europe, deviendrait un atout pour nos compétitions et nos équipes. Nous sommes à la pointe dans le combat contre le dopage et les atteintes à l'intégrité du sport ; nous avons tout à gagner à reconnaître la vraie valeur de nos équipes et de nos fédérations.

M. François Pillet. - Tout cela est bel et bon, mais combien de temps faudra-t-il pour passer du rêve à la réalité ? Me faudra-t-il attendre d'être titulaire de la carte vermeil pour le voir se réaliser ?

M. Christophe Blanchard-Dignac. - Je crains qu'il ne faille être patient. Il faut d'abord regarder, sous l'égide du Comité olympique, si cela est faisable. Puis élaborer un référentiel, qui pourrait s'inspirer des normes de responsabilité sociale d'entreprise. La Française des jeux a été notée, et l'organisme de notation nous a indiqué que nous étions au plus haut niveau. Un groupe de travail pourrait, sous l'égide du CNOSF, élaborer, puis tester ce référentiel sur le terrain, avant de le promouvoir au niveau européen.

Il faudra donc du temps, mais on finira par y arriver. Notre savoir-faire est considérable en matière d'organisation d'événements. Ce qu'il faut, c'est valoriser les retombées sociétales - insertion des jeunes, comportement du public...

M. Jean-François Humbert, président. - J'ai tout de même le sentiment que ce sont nos petits enfants qui devront attendre d'avoir la carte vermeil pour voir cela se réaliser.

M. Christophe Blanchard-Dignac. - Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas que les choses sont difficiles, comme disait Sénèque.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Quelles sont pour vous les principales menaces à contrer ?

M. Christophe Blanchard-Dignac. - Avant tout l'infiltration d'organisations criminelles dans le sport, en particulier en Asie, mais aussi dans certaines régions d'Europe. Dans le football, mais aussi dans d'autres sports, comme on le voit en Asie, au point que sur certaines rencontres, les paris ne sont plus proposés, les opérateurs asiatiques se repliant sur des équipes européennes de deuxième ou troisième division.

Le dopage n'est pas sans lien avec tout cela. Il existe, en la matière, des organisations qui ne sont pas loin de l'organisation mafieuse. Le cyclisme a une tradition de dopage artisanale, si je puis ainsi m'exprimer, mais il existe aussi désormais un dopage industriel, qui use de médicaments qui ne sont pas même encore commercialisés, qui dispose de médecins très actifs, de moyens financiers considérables, de nombreuses complicités, ainsi que l'a révélé le rapport de l'Agence américaine antidopage, l'USADA.

Reste que la première menace, aujourd'hui, c'est bien le trucage des rencontres. Nous y sommes tous très attentifs, et au premier chef la Française des jeux, en raison de notre monopole. Nous avons d'ailleurs signalé de nombreuses affaires.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Avez-vous connu des cas dans l'équipe de la Française des jeux ?

M. Christophe Blanchard-Dignac. - Un cas, qui s'est soldé par un licenciement sans indemnités. Nous n'avions pas à nous demander s'il a fauté « à l'insu de son plein gré », comme certains l'ont suggéré. Ce sont des sportifs professionnels : c'est la règle. Quand une équipe rencontre des problèmes récurrents, c'est que le sponsor n'a pas fait son travail.

M. François Pillet. - Vous avez évoqué la convention collective. Quel est le salaire moyen d'un coureur sélectionné pour le Tour de France ?

M. Christophe Blanchard-Dignac. - La masse salariale de notre équipe est de 6 millions d'euros, le salaire le plus bas est à 34 000 euros annuels, le plus élevé à 360 000 euros, supérieur à la rémunération du président directeur général de la Française des jeux...

M. François Pillet. - Cela vaut la peine de pédaler...

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Votre jugement sur l'affaire Armstrong ? Aviez-vous des suspicions ?

M. Christophe Blanchard-Dignac. - Évidemment. Je connaissais mal le cyclisme. Venant du Sud-ouest français, j'étais plus spontanément porté vers le rugby... J'ai donc observé les compétitions de près, en accompagnant notre directeur sportif sur certaines étapes du Tour. J'ai vu les coureurs arriver en haut des étapes de montagne ; les nôtres étaient livides, à ramasser à la cuillère. Mais pas celui que vous avez cité. Plus la côte était ardue, plus il donnait l'impression d'aller vite. Et il arrivait tout frais. Tout observateur normal ne peut que constater que certaines performances frisent l'inhumain. Mais il ne suffit pas d'avoir des soupçons, encore faut-il trouver des preuves. Certaines performances, je l'ai déclaré alors à un journal sportif, me paraissaient « stupéfiantes ».

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Quelques mots pour conclure ?

M. Christophe Blanchard-Dignac. - Nous allons poursuivre notre engagement contre vents et marées, mais rien n'est facile. Le cyclisme est un sport très populaire, comme en témoigne son public si nombreux ou l'appétit des collectivités locales à accueillir des étapes. Mais il est assimilé au dopage. C'est un sport qui s'est mondialisé. Se maintenir, comme cela est notre cas, en division mondiale est un challenge. Il n'est pas inimaginable que dans deux ou trois ans, aucune équipe française ne soit plus automatiquement qualifiée au départ du Tour.

La France mène un combat actif pour le respect des règles et nous groupons nos forces pour que les couleurs françaises continuent de rayonner sur les routes du Tour.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Il nous reste à vous remercier.

Audition de M. Gérard Nicolet, ancien médecin du Tour de France cycliste

M. Jean-François Humbert, président. - Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.

Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Gérard Nicolet prête serment.

M. Gérard Nicolet. - Je suis très honoré que vous ayez demandé à m'auditionner. En tant que médecin du sport, j'ai la chance d'être à la fois en cabinet, sur le terrain et au laboratoire, ce qui me donne une vision globale du sportif.

Ma formation a commencé au Bataillon de Joinville, où j'étais médecin. Je suis ensuite devenu médecin jeunesse et sport pour le Jura, avant de m'occuper de courses cyclistes, comme le Tour de l'Avenir, Paris-Nice, le Tour méditerranéen, le Tour de France, que j'ai suivi durant douze ans, contre 25 pour Paris-Nice, et 29 pour le Tour méditerranéen. Ce sont des situations où, comme sur le Tour VTT, on pouvait côtoyer et rencontrer les sportifs de façon beaucoup plus forte qu'aujourd'hui. Il y a actuellement bien plus de distance avec les médecins de courses qu'à mon époque.

J'ai également travaillé dans le ski de fond, ayant été médecin du Tour des Massifs. J'ai eu la chance d'être le médecin des arbitres de la Coupe du Monde de football en 1998. Ces quarante-cinq jours m'ont donné une certaine expérience de la lutte antidopage appliquée à ce sport.

J'ai été attaché au Centre hospitalo-universitaire (CHU) de Besançon en médecine du sport. Je pilote le Centre d'évaluation de médecine du sport à Dole. Je suis médecin responsable du centre national ski nordique à Prémanon, où nous disposons d'un plateau technique et surveillons les athlètes du pôle France. On y trouve des chambres d'hypoxie, qui font débat dans le cadre de la lutte antidopage...

J'ai exercé des fonctions à la fédération française de cyclisme. Je suis toujours médecin fédéral régional, et j'ai été médecin élu au comité directeur durant douze ans. J'ai siégé à la commission de discipline de cette fédération, où j'ai succédé à Pierre Chany, du journal L'Équipe, qui était parti en expliquant qu'il en avait assez de juger les voleurs de poules, alors que les vrais bandits restaient en liberté ! Une fois élu, j'ai siégé au conseil fédéral d'appel, où arrivaient toutes les situations difficiles concernant le dopage dans le cyclisme.

Ceci m'a donné l'occasion de nombreuses rencontres avec les médias. J'ai ainsi découvert leur puissance et rencontré de grands journalistes. J'ai écrit avec l'un d'eux un petit ouvrage sur le dopage édité chez Flammarion. La collection a malheureusement été arrêtée depuis...

J'ai eu la chance de rester au contact du sportif, de demeurer omnipraticien et de continuer à évoluer dans la culture du médecin du sport.

Tous les intervenants l'ont dit, la définition du dopage est difficile à donner. Elle est d'ailleurs très restrictive : c'est le fait d'utiliser les produits dopants. Jusqu'à présent, pour le médecin, il s'agissait plutôt du mésusage des médicaments. À l'occasion de vos auditions, le professeur Audran a dit qu'il ne s'agissait plus seulement des médicaments.

Bien entendu, ce mésusage persiste. Pour s'intéresser au dopage, il faut revenir à son historique. Certains l'ont très bien fait ici même. En tant que médecin, je retiens que, depuis le début, la croyance en l'efficacité du produit n'a jamais changé, qu'il s'agisse de lait de chèvre pour mieux sauter, de viande pour aller plus vite, ou de sang pour permettre au guerrier de demeurer vaillant. Cette notion est très forte chez les sportifs, et perdure de nos jours.

Puis les produits ont changé. Le dopage commence véritablement au début du XXe siècle. Auparavant, le mot n'existait même pas. On prenait des produits sans savoir que l'on se dopait. C'est la même chose pour la toxicomanie, qui est un mot d'usage récent. À son époque, Baudelaire prenait de l'opium pour augmenter ses performances poétiques ; au début du XXe siècle, on utilisait encore l'opium, mais aussi l'alcool. Une championne de tennis s'en servait pour augmenter ses performances. On recourait également à la strychnine, ou à l'atropine, avec des dégâts parfois considérables.

Le dopage a toujours été contemporain des produits. À partir des années 1930, on assiste à la révolution biochimique, avec les anabolisants, les amphétamines, etc.

Là encore, la croyance est très forte : dans les années 1960, on pensait qu'on avait gagné la guerre contre les nazis grâce aux amphétamines, les aviateurs alliés pouvant rester plus longtemps que les autres dans leur avion. Les sportifs se sont appropriés ce message...

Vinrent alors les anabolisants, l'érythropoïétine (EPO), les hormones peptidiques. Actuellement, comme l'a indiqué le professeur Audran, on trouve des « designer drugs » et de nouveaux produits fabriqués de façon artisanale. Le président de la Française des jeux (FDJ) parlait, quant à lui, d'un dopage très organisé et d'un dopage artisanal ; ce n'est pas totalement vrai : n'importe qui peut aller sur Internet et trouvé un produit courant fabriqué de façon artisanale. Un coureur qui a fait fabriquer des perfluorocarbures (PFC), produits détonants, s'est ainsi retrouvé à l'hôpital ! Je ne peux pas en parler, du fait du secret médical, mais on peut actuellement trouver sur la toile des produits qui sont de véritables bombes, sans que ce dopage soit vraiment organisé.

Puis est venu le temps de la lutte antidopage. Je n'en parlerai pas ici, d'autres l'ayant fait mieux que moi, mais je voudrais évoquer les idées reçues et les clichés qui perdurent...

Jean-Pierre Paclet, qui est l'un de mes amis, ancien médecin de l'équipe de France de football, lors de son audition par votre commission d'enquête, a établi une distinction entre les sports d'endurance et ceux qui, comme le football, sont considérés comme techniques. C'est un discours que j'ai entendu en 1998, lors de la Coupe du Monde, qui a coïncidé avec l'affaire Festina. Que n'ai-je entendu à ce moment sur le cyclisme ! J'avais alors répliqué à ses détracteurs : « Mais que croyez-vous qu'il se passe à la Juventus de Turin ? ». On m'avait expliqué que les choses étaient différentes, le football étant un sport technique. J'ai vu l'équipe de France à la peine contre le Danemark, à Lyon ! J'étais au stade de France, le jour de la finale. Quand Emmanuel Petit est parti tout droit marquer le troisième but de l'équipe de France, je me suis tourné vers l'entraîneur, en lui disant : « J'ai compris ! Il court tout droit, mais de façon technique ! » J'ai ainsi voulu lui montrer que le football n'était pas différent...

Selon moi, aucun sport n'est épargné ! Ce n'est pas le sport qui fait que l'on décide de se doper ! Le 100 mètres a toujours fait 100 mètres mais, pour Ben Johnson, c'est l'entraînement plus intense qu'il pratiquait qui le poussait à se doper. Le sport n'est donc pas toujours à l'origine du dopage : c'est la façon dont on le pratique qui change tout !

Les sportifs ne sont pas différents d'un sport à l'autre. On a tendance à considérer que, sur le plan socioculturel, les cyclistes sont moins intelligents que les autres. Je pense que ce n'est pas vrai du tout ! Quand j'écoute les interviews des joueurs après les matchs de football, les cyclistes me paraissent aussi « cortiqués » que les footballeurs, voire davantage !

L'idée selon laquelle le cycliste vient d'un milieu modeste et a besoin de gagner n'est pas totalement vraie -même si elle n'est pas entièrement fausse. Les médecins parlent de « mosaïque de la performance ». C'est un profil, un ensemble. Michel Serres le définit comme un « manteau d'Arlequin ». Il s'agit d'un état qui regroupe la génétique, la préparation physique, la préparation mentale... Ce sont des choses sur lesquelles on devrait pouvoir s'appuyer.

Est-ce un problème de santé publique ? Serge Simon a estimé, devant vous, qu'il n'existait pas de risque sanitaire majeur. On a compté un mort dans le Tour de France de 1967, Tom Simpson. Le suivant a été Fabio Casartelli. C'est moi qui l'ai évacué en hélicoptère. Quand on est médecin, que l'on voit ce que subissent les sportifs et les drames qui peuvent se produire, cela rend un peu plus philosophe et permet de prendre quelque hauteur... Ce problème de santé publique a fait qu'on s'est précipité sur le dopage. Or, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Visiblement, c'est ce que l'on a fait...

En 1998-1999, c'était normal. En médecine, quand on a un traitement d'urgence à appliquer, ce n'est pas forcément le bon, mais il faut le mettre en oeuvre. Je pense qu'on l'a fait, mais il faut maintenant réfléchir autrement.

Une autre idée reçue ne me paraît pas justifiée, celle selon laquelle les médecins sont tout-puissants. Tous les « docteurs » auxquels on fait référence, à l'étranger, ne sont pas forcément médecins. J'ai été entendu par la police au sujet de l'affaire TVM. Le docteur en question n'était absolument pas médecin ! De nombreux préparateurs ne le sont pas non plus. On disait qu'en Italie, les médecins étaient préparateurs ; en France, ce sont plutôt les préparateurs qui sont devenus médecins, mais pas les médecins qui ont emprunté la voie inverse. Nous avons la chance, dans notre pays, de ne pas trop connaître ce genre de personnages...

En tant que médecin, lorsqu'on veut faire de l'information et de l'éducation en direction des jeunes, on se méfie des mots : je trouve que l'on parle beaucoup trop de conduite dopante ! Quelqu'un qui prend une vitamine ou de l'aspirine avant une épreuve adopte une conduite dopante. C'est un premier pas ! Je me suis surpris, dernièrement, à rouler un peu vite : je me suis dit que c'était une conduite dopante et que j'allais devenir un chauffard ! Il faut être réaliste, et ne pas effrayer la population en inventant des conduites dopantes à tout propos. C'est mon point de vue...

Je pense aussi que le dopage est un phénomène de société. Dans un monde où l'on veut en faire de moins en moins, on demande au sportif d'en faire plus ! Il y a là une contradiction, un piège pour lui...

J'ai dit que l'on s'était précipité en matière de lutte antidopage. C'est vrai... Certaines personnes sont apparues comme des chevaliers blancs et en ont vécu. C'est désastreux !

Un élu de la République m'a dit un jour : « Quand il existe un phénomène qu'on n'a pas bien analysé, que l'on ne comprend pas bien et que l'on veut néanmoins faire quelque chose, il existe deux façons d'agir. La première est l'effet d'annonce. On dit que l'on va agir ». En 1998, on a dit que l'on repérait l'EPO. Ce n'était pas vrai. Françoise Lasne vous l'a dit : c'est en 2000 que sa méthode a pu être validée ! On a fait de fausses annonces.

La seconde technique est celle du bouc émissaire. Cela me gêne que tout le monde se précipite en ce moment sur Armstrong, tout comme on s'était précipité sur Richard Virenque à une certaine époque. Selon le dictionnaire, « un bouc émissaire est un individu choisi par le groupe auquel il appartient pour endosser, à titre individuel, une responsabilité ou une faute collective ». Dans les deux cas, c'est tout à fait cela -même si cela ne dédouane en rien Richard Virenque, ni Lance Armstrong. La fausse information est très dangereuse...

En 1998, j'étais sur les bords du Léman, et j'ai failli devenir le médecin de la FDJ... Ce jour-là, un coureur demande à me voir. Il me confie que cela fait deux ans qu'il s'entraîne comme jamais, fait le métier, s'impose tout et, cependant, recule tous les dimanches ! Il me demande conseil : « Que dois-je faire ? » Je me suis retrouvé impuissant, comme le médecin qui ne sait que dire à un patient atteint d'une maladie incurable ! Je n'avais rien à lui proposer, et je savais que, deux mois plus tard, il ferait partie des 98 % de coureurs qui, sur le Tour de France, prenaient quelque chose ! Je me suis alors dit qu'il fallait faire quelque chose.

On a l'habitude, dans le domaine sportif, de parler de « chaîne de la performance ». Le sportif en est le dernier maillon, après les parents, les entraîneurs, les éducateurs, les journalistes, les médias, les pouvoirs publics, les élus. On définit la performance par l'interaction qui existe entre le sportif et son environnement. Ce dernier joue donc un grand rôle, et je pense qu'on l'oublie. Cette interaction suppose que l'on n'isole pas le sportif, en le rendant responsable de tout : c'est tout le système qui doit être revu !

Dans mon livre, j'ai évoqué la spirale du dopage pour le sportif et pour le médecin. Le tricheur né va utiliser un produit dès qu'il va se présenter. Celui qui a un plus d'éthique ne va pas céder tout de suite mais, voyant que cela fonctionne, va finir par faire de même. Le sportif le plus éthique, lui, va se poser la question : « Dois-je en prendre ou arrêter ? ». À ce moment, il ne peut en parler à quiconque. Il est seul, isolé, et le premier fournisseur venu va lui vendre ses produits ! C'est terrible pour le sportif...

J'ai connu cette spirale pour le médecin. Quelqu'un, au cours des auditions, a parlé de « gloriole ». Elle peut s'adresser au sportif ou à ses parents, mais également au médecin. Quelques mois avant l'affaire Festina, à l'occasion du Tour méditerranéen, je me suis entretenu durant deux heures avec le médecin de cette équipe, qui avait besoin de me parler. La scène se déroulait à l'hôtel Primotel, à Marseille. Sans me dire qu'il existait du dopage dans son équipe, il m'a parlé de sa situation. Il rêvait d'être dans ce milieu, et avait envie d'y rester. Il savait bien qu'il y existait un dopage organisé, même s'il n'en était pas l'organisateur, mais il était dans cette spirale, et n'en est pas sorti ! Il est décédé quelques mois plus tard. Lui aussi était tombé dans ce véritable piège qui se referme sur le sportif !

Cet isolement me paraît délicat et on ne s'intéresse pas assez au sportif. Je pense que l'isoler est une erreur. Ceux qui pensent qu'il suffit de le sanctionner seul commettent également une erreur.

Comment le médecin doit-il faire ? Il doit essayer de respecter l'éthique collective et individuelle. Ce n'est pas toujours facile... Le médecin du sport n'est pas un juge, mais appartient à la chaîne de la performance. Il doit, dans cet environnement, assurer le suivi du sportif, en particulier du sportif en devenir. Le travail le plus intéressant est d'essayer d'intervenir en amont.

La mission du médecin est de suivre le sportif, mais il faudrait plutôt le conduire sur les chemins de la pratique sportive, de compétition ou de loisir, dans le respect des règles éthiques, qu'il faut lui apprendre, en protégeant sa santé. Il est important que le sportif sente que la préoccupation première du médecin est celle-ci. Ce sont les risques des pratiques dopantes et les effets de ces pratiques qui doivent être au centre des préoccupations, en particulier chez le jeune sportif.

Pour cela, il existe un certain nombre de conditions. Il faut être au contact du sportif, respecter le secret médical. On ne peut imaginer que le médecin divulgue des informations sur le sportif. Les États ont inventé le secret défense, les journalistes bénéficient de la protection de leurs sources et le médecin ne pourrait jouir du secret médical ? Cela me paraît capital si l'on veut que les gens puissent se confier et que l'on puisse démonter le mécanisme. Il n'y a pas d'autre solution !

C'est pourquoi les antennes de lutte antidopage ouvertes dans les régions, où les sportifs devaient se présenter à une agence de lutte antidopage, ne pouvaient fonctionner. Personnellement, j'aurais refusé, comme le Conseil de l'Ordre nous l'avait demandé, de lever le secret médical !

En conclusion, l'avenir est sombre pour certains. Le professeur Audran s'est montré très inquiet face à l'avènement de nouveaux produits, l'efficacité des contrôles diminuant du fait de la méconnaissance des produits. Certains proposent d'augmenter les sanctions : les contrôles étant de moins en moins positifs, il s'agit encore ici d'un effet d'annonce ! On sanctionnera ce qu'on n'aura pas trouvé !

L'isolement du sportif est une erreur. Il faut recruter tous ceux qui évoluent autour de lui. Nous avions, en Franche-Comté, avec un professeur de gymnastique, essayé de créer une commission afin de former des éducateurs à la prévention du dopage, jusqu'à un certain niveau. Dès qu'on arrive à un niveau supérieur, avec l'argent et les contraintes, on est dépassé ! Il faut donc tenter de responsabiliser les membres de la chaîne de la performance. C'est pourquoi je suis heureux de pouvoir m'exprimer aujourd'hui !

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Avez-vous la conviction que les joueurs de la Juventus de Turin, en 1998, prenaient des produits dopants et, si oui, lesquels ?

M. Gérard Nicolet. - J'ai lu dans le compte rendu de vos auditions -et certains l'ont écrit- que des produits interdits avaient été utilisés, en particulier l'EPO, mais que l'enquête s'était arrêtée. Il suffisait, paraît-il, de regarder les photographies des joueurs de l'époque pour le comprendre. Je rappelle, qu'en 1998, avant la Coupe du Monde, la fédération internationale de football (FIFA) avait décidé de ne pas reconnaître les tests antidopage du laboratoire de Châtenay-Malabry. La polémique s'était ensuite arrangée : le chargé de communication ayant dit qu'il s'agissait d'une erreur, les tests avaient été réalisés en France.

J'étais au stade de France le jour du match d'inauguration. Le médecin qui était au ministère à l'époque, qui était franc-comtois, avait été médecin de l'équipe Toshiba. Il est ensuite devenu directeur médical de l'Agence mondiale antidopage (AMA). Il s'agit d'Alain Garnier. Nous étions sur le terrain, et il trépignait de n'avoir pu obtenir les contrôles. En Italie, l'affaire a été portée devant le juge et les choses ont été reconnues. Des cas ont existé. On n'a pas dit lesquels, mais cela a selon moi été largement documenté !

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous avez été médecin du Tour de France de 1984 à 1995. Quelles ont été les conditions de votre recrutement et de votre départ ?

M. Gérard Nicolet. - J'ai fait médecine du sport à Besançon. Je me suis retrouvé militaire au Bataillon de Joinville. J'y ai rencontré Gérard Porte, qui était médecin du Tour et qui est devenu médecin chef. À partir de 1980, j'ai intégré les courses cyclistes -championnats du monde sur piste à Besançon, Paris-Nice, Etoile des Espoirs, Tour de l'Avenir, que je fais à nouveau depuis l'an dernier, parce qu'il s'agit d'une épreuve intéressante pour voir les jeunes cyclistes arriver sur le marché. Je me suis ensuite retrouvé assez naturellement sur le Tour de France.

En 1995, on a proposé aux médecins qui ne suivaient que les épreuves mineures pour Amaury sport organisation (ASO) de permuter avec ceux chargés du Tour de France. La responsable ayant ensuite disparu, je suis resté en quelque sorte sur la touche, mais je n'ai pas choisi de partir. Il ne s'est rien passé d'anormal.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Si vous n'avez pas choisi de partir, c'est qu'on vous a incité à partir...

M. Gérard Nicolet. - Non, c'est un problème de positionnement des médecins. Certains suivaient les mêmes épreuves depuis plusieurs années. On nous a demandés si l'on pouvait permuter. En 1996, j'ai fait le Tour de France VTT avec ASO, Paris-Roubaix, Paris-Tours. Je suis resté sur le Tour de France VTT jusqu'à sa disparition, durant quatre ans.

J'étais déjà à la Fédération, où je m'occupais de toutes les organisations. Je n'ai pas quitté la société. On ne m'a pas non plus incité à partir...

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Aviez-vous des responsabilités en matière de lutte contre le dopage en tant que médecin du Tour de France ?

M. Gérard Nicolet. - Absolument aucune ! Il y avait ceux qui traitaient et ceux qui contrôlaient -ce qui me paraît une nécessité. Nous étions médecins de course, sachant que, sur le Tour de France -et sur les autres courses- la situation a bien changé au cours du temps. En 1984-1985, nous visitions toutes les équipes. Il n'y n'avait pas de médecin dans les équipes. Le soir était le moment le plus fabuleux. Nous rencontrions les coureurs et les soignions dans leurs chambres, avant de les revoir le lendemain.

Au fil du temps, la médicalisation s'est faite dans les équipes. Maintenant, les médecins de course ne pénètrent quasiment plus dans les chambres des coureurs, sauf pour des raisons très précises. Nous n'avons plus cette présence, ni cette participation, très fortes à l'époque.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - J'ai sous les yeux un extrait d'un article remontant à 2000, à propos des méthodes et les produits, portant notamment sur les risques du dopage génétique, dans lequel vous confiiez alors : « Le sport pourrait être bientôt confronté aux détournements des thérapies géniques ». Treize ans plus tard, où en est-on ?

M. Gérard Nicolet. - L'EPO existe depuis 1905 ou 1906, mais a pu être fabriquée industriellement grâce au génie génétique. Au début des années 2000, les scientifiques disaient que d'autres produits arrivaient sur le marché. On commençait à faire des greffes de cartilage chez le sportif en lui inoculant, grâce à un procédé de génie génétique, un virus développant des cellules cartilagineuses. On pensait à l'époque que les choses iraient très vite dans de domaine du dopage...

Michel Audran, dont les analyses sont les plus pertinentes selon moi, nous dit maintenant que les choses ne vont pas aussi vite que prévu, et que la thérapie génique suppose, pour être exploitable, beaucoup de conditions, qui ne sont pas forcément réunies. D'autres produits ont en revanche pris la place. Ceux auxquels on ne pensait pas à l'époque sont arrivés aujourd'hui sur le marché.

Cette inquiétude n'a donc pas pris corps. Malheureusement, il existe beaucoup d'autres produits et beaucoup d'autres arrivent encore...

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Quels sont les plus dangereux pour la santé ?

M. Gérard Nicolet. - Il existe toujours une polémique à ce sujet. Le journal L'Équipe avait réalisé un dossier sur le dopage et interrogé un certain nombre de médecins. On m'avait demandé mon avis, mais je n'avais pas souhaité voir mon nom apparaître dans le journal... Certains médecins sérieux estimaient que l'EPO augmentait le transport d'oxygène dans le sang et qu'il était préférable pour un sportif d'avoir une bonne oxygénation. J'avais objecté que si l'on boostait une voiture de 150 chevaux pour lui donner une puissance de 200 chevaux, il se passerait assurément autre chose.

La dangerosité des produits a probablement été exagérée, et les sportifs s'en moquent un peu à présent, mais certains ayant pris de l'EPO sont morts durant la nuit, leur taux d'hématocrite dépassant 60 % ! À l'époque de l'hormone de croissance, un petit polype devenait de la taille d'un gros chou-fleur ! Les sportifs prenaient de la mâchoire et des pointures -pas tellement dans le vélo, d'ailleurs. Ces produits sont bien entendu extrêmement dangereux !

De 1998 à 2000, on administrait de l'insuline, qui stimulait les hormones peptidiques. Celles-ci bloquant le niveau central, il fallait alors les stimuler à nouveau. Ce genre de cocktails est éminemment dangereux.

L'EPO augmente également le stock de fer dans le sang. Celui-ci, ne pouvant être éliminé, provoque des hémosidéroses qui attaquent le rein, le foie, le coeur, etc. Quant aux nouveautés, on en ignore les dangers, puisqu'on ne connaît pas les produits.

Michel Audran a bien dit que l'on pouvait presque commander sur Internet un produit qui n'est pas encore dans le commerce, et qui peut être fabriqué d'après la formule qui existe sur la toile ! Cette pratique est extrêmement dangereuse : il s'agit presque là de tests de médicaments...

M. François Pillet. - C'est peut-être moins au médecin du Tour de France que je souhaite poser ma question qu'au médecin lui-même...

Vous avez évoqué, en les estimant moins dangereuses, les conduites dopantes. Pourtant, on conseille aux jeunes -sportifs scolaires, juniors- de prendre des vitamines ou des boissons plus ou moins dangereuses avant une épreuve. Ce n'est peut-être pas dangereux, mais n'est-on pas en train de créer une dérive comportementale ? Si ces enfants passent un jour professionnels ou deviennent amateurs d'un certain niveau, ce ne sont plus des vitamines qu'ils vont réclamer, mais d'autres produits ! N'est-on pas en train de créer des dérives comportementales ?

M. Gérard Nicolet. - Je suis d'accord avec vous ! Ce que j'ai voulu dénoncer, c'est l'excès d'utilisation du terme « conduite dopante ».

Les jeunes n'ont pas la même vision du dopage que les adultes. Pour eux, le cannabis n'est pas un dopant, c'est un produit festif. Ne parlons pas de la caféine !

Le plus terrible réside dans l'information. Où les jeunes glanent-ils autant d'informations sur le dopage ? À peu près exclusivement dans les médias ! Au cours d'une soirée sur le dopage, nous avions utilisé un article pour attirer l'attention des jeunes sportifs sur le dopage. On y décrivait tous les produits pouvant améliorer la performance ! Ils disposaient ainsi du nom de tous les produits dopants !

Lorsqu'on tente de prévenir les jeunes contre la colle à rustine, les marchands de vélos sont dévalisés le lendemain !

Les jeunes ne devraient pas être traités comme les autres. Ce ne sont pas des adultes en réduction. Ils n'ont pan le même mental, ni les mêmes conceptions. Il y a sûrement un travail extraordinaire à mener sur ce sujet, mais leur faire peur me paraît plus dangereux qu'efficace ! Les laisser s'habituer à être sans arrêt assistés est très dangereux...

M. François Pillet. - Cela me rappelle le livre qui avait fait débat, il y a quelques années de cela : « Suicide, mode d'emploi » !

M. Jean-François Humbert, président. - Quelles sont les structures qui devraient agir en faveur de l'information ? Le club, l'école ?

M. Gérard Nicolet. - Je pense que l'information devrait être réalisée à tous les niveaux de la chaîne de la performance. Malheureusement, certains parents veulent que leur enfant réussisse et ait son nom dans le journal. Il est très important que l'entraîneur, qui est au contact du sportif, ait une idée éthique dans la façon de s'en occuper. Il faut que le sportif puisse s'adresser à quelqu'un et ne se sente pas seul au moment où certaines solutions illicites vont lui être proposées.

M. Jean-François Humbert, président. - Certains sportifs -je ne vise personne en employant ces termes- prétendent que ce sont les médecins qui leur ont administré, à leur insu, des produits interdits. Ceci vous semble-t-il crédible ?

M. Gérard Nicolet. - D'après ce que l'on m'a rapporté, le choix du traitement, dans une équipe, pouvait être uniquement réalisé par le médecin. En 1967, le Français qui avait la grippe prenait des amphétamines, les achetant librement à la pharmacie. À l'époque, lorsque les médecins donnaient des médicaments, le sportif ne posait aucune question. Certains médecins ont probablement abusé de cette pratique. Actuellement, l'intérêt est que le sportif se prenne en charge et connaisse les produits qu'il prend.

L'équipe AG2R, en France, va s'arrêter de courir durant huit jours, le premier de ses cyclistes ayant pris de l'EPO, et le second de l'heptaminol -du ginkor fort, pour lequel on fait de la publicité à la télévision pour les jambes des femmes. L'un a été pris en ville à 52 kilomètres à l'heure en ville et l'autre à 220 kilomètres à l'heure sur autoroute ! Cette information n'est donnée ni aux cyclistes professionnels, ni aux médecins généralistes. Les médecins sportifs, ne veulent d'ailleurs généralement plus vérifier sur la liste réactualisée le 1er janvier si le médicament qu'ils prescrivent est un produit dopant ou non ! Ils refusent même de recevoir l'information. Aucun médecin ne connaît donc vraiment bien la liste, ni les produits, et rejette toute nouvelle règle administrative contre le dopage.

M. François Pillet. - Vous avez été médecin du Tour de France. Les médecins perçoivent-ils une rémunération en fonction des résultats de l'équipe ?

M. Gérard Nicolet. - C'est strictement interdit. En France, le système est d'une totale transparence. On le cite souvent en exemple -et c'est justifié. On ne sait toutefois pas ce qui se passe dans les autres équipes. Le médecin est là pour prendre les sportifs en charge et perçoit une rémunération. Il est soumis à un cahier des charges très précis, sans intéressement à la performance.

M. Stéphane Mazars. - Que pensez-vous des compléments alimentaires ? Représentent-ils un danger, en l'absence d'informations ?

Estimez-vous par ailleurs qu'en matière sportive, il conviendrait de confier l'encadrement médical à des spécialistes parties prenantes de l'organisation ? Est-ce possible ?

M. Gérard Nicolet. - On incite tout le monde à prendre des compléments alimentaires. Les radicaux libres et les oméga-3 sont très à la mode...

Une amie qui travaille avec le médecin de l'AS Monaco, Catherine Garrel, a fait une étude sur les équipes professionnelles pour étudier l'intérêt de ces produits. C'est une élève du professeur Montagnier. Elle cherchait à savoir si ces produits avaient une efficacité sur les radicaux libres, très dommageables pour la santé. Son étude doit sortir prochainement dans une revue de médecine du sport. Elle considère que cela ne sert à rien ! Ces produits sont au pire inefficaces, mais probablement dangereux, parce qu'ils modifient l'homéostasie. Prendre des médicaments comme si l'on avait pratiqué un sport, alors que ce n'est pas le cas, n'est pas bon. Il existe un excès certain dans l'utilisation des compléments alimentaires. Les compléments sont là pour compléter. Si l'on n'en a pas besoin, il n'est pas nécessaire d'en prendre !

Un véritable travail est à réaliser sur ce sujet. Jean-Pierre Fouillot l'a fait. Certains s'intéressent aux compléments alimentaires. Ce n'est pas seulement une conduite dopante : ce peut être une façon de lutter contre l'utilisation de produits qui ne servent à rien !

Je me souviens d'un jeune cycliste suisse qui réclamait de la B 15, molécule qui n'existait pas à l'époque. Je lui ai dit qu'il ne fallait pas qu'il passe professionnel s'il en avait besoin, mais que si tel n'était pas le cas, il ne fallait pas qu'il en prenne ! Encore faut-il avoir l'information. Il y a un véritable travail à réaliser dans ce domaine, par le biais des spécialistes qui existent.

Quant à votre seconde question, j'avais proposé, en son temps, qu'un pool de médecins, en quelque sorte détachés du système, puisse intervenir dans chaque épreuve. C'est ce que l'on faisait lorsqu'il n'existait pas de médecins dans les équipes. Alain Ducardonnet, Gérard Porte et moi jouions alors un rôle qui nous mettait en contact avec les sportifs, tout en étant reconnus et neutres. Je ne me souviens plus si j'en avais parlé à Christian Prudhomme, mais l'idée est très intéressante...

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Quelle est votre appréciation sur les conditions d'attribution des autorisations d'usage à des fins thérapeutiques (AUT) ? Ne croyez-vous pas qu'il y ait beaucoup trop de complaisance en la matière ?

M. Gérard Nicolet. - Les AUT sont délivrées par l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD). Je pense que si l'on met en question leur pertinence, on met également en cause la pertinence des experts de l'AFLD. Il existe une certaine confusion dans le domaine des AUT. Celles-ci sont délivrées par les experts en fonction de certains critères médicaux. Les médicaments qui faisaient l'objet d'une AUT, comme les bêta-2-mimétiques, destinés à lutter contre l'asthme, ou certains corticoïdes, ne sont plus soumis à ces autorisations. Si l'on délivre une AUT, cela signifie que les experts se sont intéressés au cas médical. Il faut donc se tourner vers l'AFLD, et lui demander comment elle les attribue. Selon moi, elle le fait convenablement...

Dès qu'il s'agit de dopage, on oublie quelque peu le principe de précaution : on dit que 5 à 15 % de la population française présente de petits signes d'asthme. Chez les sportifs de haut niveau, ce chiffre passe à 30, voire à 50 %. Il faut savoir qu'un cycliste, qui fournit un effort important, augmente sa ventilation, reçoit des aérocontaminants, et peut brusquement passer d'une atmosphère très froide à une atmosphère très chaude. Il risque donc de développer un asthme d'effort. Les experts qui doivent trancher de tels cas prescrivent tous un médicament pour lutter contre cette affection.

J'ai cru comprendre que le président de la fédération française de cyclisme voulait que l'on moralise les AUT. Je ne pense pas que ce soit son rôle. C'est l'AFLD qui est au centre de la problématique. Le seul problème est de savoir, dans certains cas très précis, si un sportif peut tricher en réclamant une AUT... Probablement !

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Quelle appréciation portez-vous sur l'efficacité du passeport biologique ?

M. Gérard Nicolet. - J'ai écouté attentivement ce que le professeur Audran, qui a établi un distinguo entre le suivi médical longitudinal et le passeport biologique. En France, le suivi longitudinal est pratiqué de façon simple et répétitive.

D'autre part, Gérard Dine a rappelé ici même qu'il le pratiquait déjà en 1985. J'ai été, quant à moi, responsable de l'équipe Toshiba avant Alain Garnier, puis je me suis arrêté pour me consacrer au Tour de France. À l'époque, nous faisions exactement la même chose que maintenant : quatre examens par an, réalisés au Centre hospitalo-universitaire (CHU) de Besançon, avec prises de sang et épreuves d'effort. Patrick Cluzaud était alors manager, et Yves Hézard entraîneur. Nous disposions également d'un psychologue...

Pour le professeur Audran, le passeport biologique va un peu plus loin, dans la mesure où il permet de rechercher des paramètres comparables. C'est cette grande novation qui permet de se faire une idée, pour un individu donné, par rapport à ses propres critères. J'ai toutefois le souvenir, lors d'un Conseil fédéral d'appel, d'un sportif venu nous dire : « Je ne suis pas dopé ! D'ailleurs, mon passeport biologique le démontre ! » Or, il ne s'agissait pas de son passeport biologique, mais de son suivi longitudinal !

Le professeur Audran a bien précisé que, s'agissant par exemple de l'EPO, de très petites doses répétitives font disparaître les variations, certains produits y échappant par ailleurs.

Je pense cependant qu'il s'agit globalement d'une bonne chose.

La véritable difficulté réside dans le fait qu'on ne sait plus où l'on se situe. Le suivi médical est destiné à protéger la santé du sportif, mais si on se contente de le suivre uniquement dans certains domaines, cela devient de la lutte antidopage. Il y a là un vrai débat. Le suivi ne peut être réalisé par tout le monde...

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Ne croyez-vous pas que le moment est venu d'alléger le calendrier des compétitions ? Un calendrier lourd et contraint ne favorise-t-il pas ce type de pratiques ?

M. Gérard Nicolet. - Les médecins estiment que toute pression sur le coureur cycliste est dommageable. Certains calendriers sont caricaturaux. Il faut donc les changer.

Les premiers Tours de France connaissaient des distances bien plus importantes. On a progressivement diminué la longueur des étapes. L'étape la plus rapide du Tour s'est courue un jour où je m'y trouvais. C'est Charly Mottet qui l'avait gagnée. Il s'agissait de 150 kilomètres seulement, mais courus à une vitesse folle, à plus de 50 kilomètres à l'heure. À l'arrivée d'une telle épreuve, le sportif est plus fatigué qu'au bout de 200 kilomètres à vitesse de croisière. Le calendrier est donc facteur de pression, mais la longueur et le nombre ne sont pas toujours significatifs. On ne peut cependant courir sans arrêt des marathons tout au long de l'année ! Médicalement, il y a un véritable travail à faire, qui est déjà entrepris dans certains domaines. Il faudra toutefois traiter avec ceux qui pilotent les calendriers -médias, chaînes de télévision, etc.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Avez-vous été étonné par l'affaire Armstrong ? Quels enseignements en tirez-vous ?

M. Gérard Nicolet. - En 1998, on disait que 98 % du peloton prenait des produits. On estime qu'on en comptait encore la moitié en 1999, le dépistage de l'EPO n'ayant toujours pas été réalisé. Il l'a été en 2000, pour les jeux de Sydney.

J'ai toujours porté la même appréciation sur Armstrong : grand champion, mental exceptionnel, professionnalisme. En 1995, le médecin d'équipe, Massimo Testa, qui était un grand médecin, m'appelait chaque fois qu'Armstrong avait un problème traumatologique. Il n'intervenait pas sur l'appareil locomoteur, ne se chargeant que de la préparation. L'équipe s'entourait de tous les professionnels possibles et disposait déjà, en 1995, d'un cuisinier pour cuire les pâtes !

On ne peut imaginer que quelqu'un de très professionnel ne recourt pas au dopage lorsque les autres sportifs s'y adonnent. Il était à peu près évident qu'il usait de produits illicites.

Médicalement, je pense qu'Armstrong est un grand champion, qui a utilisé certains produits. Cela paraissait hautement probable. Je n'ai jamais dit qu'il se dopait, ne le sachant pas directement, mais je l'ai toujours pensé. Ce qui me gêne aujourd'hui, c'est que l'on se focalise uniquement sur le cas Armstrong : pendant ce temps, d'autres phénomènes se produisent. Cela me paraît peu pertinent en matière de lutte antidopage.

M. Jean-François Humbert, président. - Avez-vous quelques mots de conclusion à ajouter ?

M. Gérard Nicolet. - J'ai voulu apporter mon point de vue en tant que médecin. Je sais que la lutte antidopage suppose que les gens travaillent chacun leur domaine, mais s'il existe des domaines où cela fonctionne très bien -douanes, police- je trouve dommage que l'on criminalise trop le dopage. Isoler le sportif est une grave erreur. Il faut au contraire faire en sorte qu'il puisse disposer d'une écoute, et fasse entendre sa problématique avant de recourir au dopage.

Il faut aux sportifs un environnement qui leur apprenne l'éthique et à utiliser des méthodes afin de ne pas avoir besoin de se doper. Pour ce qui est des athlètes de très haut niveau, je n'ai absolument pas d'idée, en tant que médecin, sur ce qu'il convient de faire. Il faut rester modeste quant aux possibilités dont nous disposons, mais j'estime que tous les procédés ne sont pas mis en oeuvre. C'est un problème de société ; si elle ne change pas, ce sera difficile !