Mercredi 29 janvier 2014

- Présidence de M. Raymond Vall, président -

Mise en oeuvre par la France du paquet énergie-climat - Audition de MM. Christian Descheemaeker, président de chambre, Arnold Migus, Jacques Rigaudiat et Henri Paul, conseillers maîtres à la Cour des comptes

M. Raymond Vall, président. - Nous sommes heureux d'accueillir M. Christian Descheemaeker, président de chambre à la Cour des comptes, et MM. Arnold Migus, Henri Paul et Jacques Rigaudiat, conseillers-maîtres pour la présentation d'un rapport qui me semble extrêmement complet, sur un sujet qui intéresse au plus haut point notre commission.

M. Christian Descheemaeker, président de chambre à la Cour des comptes. - C'est un plaisir pour les deux rapporteurs généraux MM. Migus et Rigaudiat, pour le contre-rapporteur M. Paul et pour moi-même, qui ai présidé, pour la préparation de ce rapport, une formation regroupant plusieurs chambres, de venir vous présenter ce travail. Il répond à une demande du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) de l'Assemblée nationale, mais il n'y a pas de raison de ne pas faire bénéficier votre commission de ses résultats !

Vous savez ce qu'est le paquet énergie-climat (PEC). Il comprend un règlement, trois directives et une décision, adoptés en 2008 et qui constituent la politique communautaire de lutte contre le réchauffement climatique. Ces textes créent des dispositifs, prévoient des financements et fixent des objectifs, que chaque État membre doit atteindre par les moyens qu'il détermine librement.

Nous avons interprété largement la commande du CEC. L'examen de la transposition en droit national et de la mise en oeuvre de ces textes a été complété par une réflexion sur la manière dont la France a choisi d'atteindre ces objectifs et sur la pertinence même de ceux-ci - sans procéder pour autant à une évaluation de politique publique, mais nous fournissons des éléments qui peuvent y contribuer. Nous avons eu recours aux méthodes utilisées pour de telles évaluations, en particulier l'appel à un comité d'experts.

Notre rapport prolonge des travaux antérieurs de la Cour sur le coût de la filière électronucléaire, les certificats d'économie d'énergie, les biocarburants ou la politique en faveur des énergies renouvelables. Le premier tome présente nos conclusions, et le deuxième fournit des éléments pour chaque secteur ainsi que des comparaisons internationales, qui ne se limitent pas à l'Energiewende allemand si souvent évoqué.

Nous tirons de nos travaux quatre enseignements. La France s'est fixé des objectifs ambitieux sans tenir compte de ses spécificités. Il est vrai qu'elle présidait l'Union européenne quand le PEC est entré en vigueur, ce qui n'est pas la meilleure position pour négocier âprement. Pourtant, la France est, avec la Suède, le pays européen qui émet le moins de carbone. La Suède a des barrages et quelques centrales nucléaires, nous avons des centrales nucléaires et quelques barrages... En acceptant de baisser sensiblement ses émissions, la France s'inflige donc un effort plus important que d'autres pays. Le principal secteur émetteur de carbone est chez nous celui des transports, et le secteur qui est responsable des plus grosses émissions de gaz à effet de serre est l'agriculture - peu de gaz carbonique mais du méthane, émis par le bétail, et d'autres gaz à effet de serre liés à l'emploi d'engrais. Or le ministère de l'agriculture a une fâcheuse tendance à se dérober lorsqu'il est question de mesures de protection de l'environnement.

Deuxième enseignement, les instruments communautaires de réduction des émissions de gaz à effet de serre ont échoué, en particulier le système d'échange des quotas d'émission. Au niveau national, on observe un foisonnement de mesures : la Cour recommande que leur pilotage, interministériel par nature, soit renforcé, pour éviter les empilements voire les contradictions.

Troisièmement, les premiers résultats du PEC sont positifs, mais ambivalents car indissociables de la dégradation de la situation économique. Une reprise réduirait les chances d'atteindre les objectifs... Ceux-ci sont en effet ambitieux. Ils imposent des investissements considérables et des économies d'énergies drastiques. Or il est plus facile de parler d'économies d'énergie que d'en faire : gageons que si la température de cette salle était de 14 degrés, notre réunion serait écourtée ! Nous devons donc réorienter les outils dont nous disposons vers les secteurs des transports et de l'agriculture, où peu d'efforts ont été faits alors que de substantielles économies d'énergie sont possibles. Bien sûr, cela aura, à long terme, un impact sur notre mode de vie : il est certain qu'en 2050 notre consommation de viande aura diminué.

Quatrièmement, pour limiter le réchauffement climatique, l'Europe ne doit pas se contenter de réduire les émissions nationales de gaz à effet de serre : il faut raisonner en termes d'empreinte écologique. L'ordinateur qui est posé devant moi consomme peu d'électricité sans doute, mais sa fabrication - hélas certainement réalisée hors de France - et son transport en ont requis. Il en va de même de tous les objets que nous utilisons. Sur le plan de l'empreinte écologique, nous sommes moins exemplaires qu'en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Les premiers engagements ont été pris au sommet de Rio en 1992, prolongés dans le protocole de Kyoto en 2005. Depuis 2009, les négociations continuent mais elles n'ont pas permis de fixer des objectifs contraignants pour les États. Avant la crise, l'Union européenne a défini une politique ambitieuse, ayant vocation à l'exemplarité ; or les pays européens ne sont responsables que de 8 % des émissions dans le monde, et la France, de moins de 1 %. Cela donne le vertige : vouloir lutter contre le réchauffement climatique en agissant sur une si petite proportion des émissions est soit extrêmement vertueux, soit assez naïf...

Le PEC fixe trois objectifs à chaque État membre pour 2020 : réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990 (la France a décidé de diviser ce niveau par quatre d'ici à 2050, ce qui est considérable), faire progresser la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique totale jusqu'à 20 % (la France s'est engagée à 23 %) et accroître de 20 % l'efficacité énergétique. Ce dernier objectif est plus difficile à quantifier et n'est pas contraignant. La France indiquera sa cible en 2014. Ces trois objectifs ne sont pas indépendants. Parfois ils se confortent : ainsi la rénovation des modes de chauffage améliorera l'efficacité énergétique tout en accroissant la part des énergies renouvelables. Parfois ils se contrarient : les sources d'énergies renouvelables sont intermittentes et leurs variations souvent imprévisibles. On ne peut prédire la durée d'ensoleillement ou la force du vent. Soit dit en passant, il peut paraître curieux que l'on installe des panneaux photovoltaïques sur les toits de Hambourg...

M. Raymond Vall, président. - Les Allemands sont allés trop loin !

M. Christian Descheemaeker. - Nous savons anticiper les fortes poussées de vent, mais c'est inutile : au-delà de 90 kilomètres par heure, l'éolienne doit être arrêtée. Cette imprévisibilité, en l'absence de possibilités de stockage de l'électricité, désorganise la production et la distribution de l'énergie, comme les Allemands le découvrent actuellement : ils n'ont d'autre recours, en période de creux, que de remettre en marche des centrales à gaz ou à charbon, qui émettent beaucoup de gaz à effet de serre ! Un ancien ministre de l'environnement allemand a d'ailleurs admis que sans soleil et sans vent, ou par temps de neige, les systèmes de production d'énergie renouvelable ne fonctionnent plus.

La France émet 227 tonnes d'équivalent CO2 par million d'euros de PIB. C'est, avec celui de la Suède, le taux le plus faible d'Europe. Il correspond environ aux deux tiers du taux moyen. Notre économie est donc l'une des moins carbonées du continent. Pourquoi ? Parce que 9,6 % seulement de notre électricité est produite à partir de sources thermiques fossiles tandis que plus de 90 % provient des sources non carbonées que sont l'hydroélectricité et surtout le nucléaire. Notre production d'électricité émet donc cinq à six fois moins de carbone que celle de l'Allemagne ou des Pays-Bas, et dix fois moins que celle de la Pologne ou de la Chine, qui ont massivement recours au charbon. Cette situation résulte de la politique, lancée en 1973, de construction d'une cinquantaine de centrales nucléaires.

Le secteur qui émet le plus de gaz à effet de serre est celui des transports routiers : le camion électrique n'existe pas... Ce secteur est responsable de 27,9 % des émissions. Pour des raisons que j'ignore, il n'y a pas eu, dans l'efficience énergétique des camions, de progrès comparables à ceux qu'on a observés pour les voitures. L'industrie quant à elle est à l'origine de 22 % des émissions. Son poids s'est réduit à cause de la crise économique et des délocalisations : les paysages industriels d'autrefois, avec leurs panaches de fumées noires, ont disparu de notre territoire, comme les emplois qu'ils représentaient ! Que se passera-t-il en cas de reprise de l'activité ? Il semble que l'industrie ait déjà fait de gros efforts de réduction de ses émissions : il se peut qu'un palier ait été atteint. Le secteur agricole représente 22 % des émissions nationales, et 9 % des émissions à l'échelle européenne. Il s'agit moins de gaz carbonique que de méthane et de protoxyde d'azote, générés par le bétail et les engrais. Il faudrait nourrir le bétail autrement, peut-être... Il est possible de réduire davantage les émissions dans ce secteur, plus facilement que dans celui des transports. Autre grand secteur émetteur : celui du bâtiment, de l'immobilier résidentiel et du tertiaire. Le niveau des émissions est stable alors que nos voisins parviennent à le réduire. Certes, le Royaume-Uni a connu un échec dans son programme d'isolation des maisons de brique : nul doute que les Anglais essaieront, avec pragmatisme, une autre voie. La tendance à l'amélioration de l'efficacité énergétique des logements est perceptible, mais ceux-ci sont de plus en plus vastes, et la vitalité démographique de la France est l'une des plus élevées d'Europe.

En résumé, la France a des caractéristiques propres et s'est fixé des objectifs plus contraignants que ceux de ses voisins. Il nous faut cibler nos efforts de réduction des émissions sur les secteurs de l'agriculture et des transports.

Les mesures sont trop nombreuses et parfois incohérentes, au sein même d'une filière. Au niveau communautaire, le système d'échange de quotas n'a pas fait émerger un prix du carbone susceptible d'infléchir les calculs économiques. C'est un échec. Les quotas ont été distribués avec une largesse coupable, ils sont surabondants alors que la crise a réduit la demande. De graves défaillances se sont produites, car les premiers à comprendre ce système complexe des quotas ont été les fraudeurs, qui ont monté des sociétés aux noms fantaisistes, ont acheté dans un pays, revendu dans un autre, se faisant au passage rembourser la TVA. La France a ainsi perdu 1,6 milliard d'euros de recettes, l'Union européenne environ 5. Quelques poursuites ont été lancées, mais quelle humiliation ! L'État a même dû acheter pour 207 millions d'euros de quotas afin d'en donner gratuitement à de nouveaux entrants. Il faudra trouver un meilleur système pour intégrer le prix du carbone dans les calculs économiques.

La France a peu utilisé les financements européens prévus pour favoriser l'efficacité énergétique : entre 2007 et 2013, elle n'a consommé que 5,7 % des 48 millions d'euros disponibles chaque année. Les trois pays qui ont le plus utilisé ces fonds sont la République tchèque, l'Italie et la Lituanie. Le captage et le stockage du carbone, chacun en rêve ! Le problème est de concilier faisabilité technique et coût raisonnable, sans oublier l'exigence d'une acceptation par la population, pour le stockage de gaz carbonique qui à haute dose est mortel. Malgré les moyens financiers mis en place par l'Europe, nous en sommes encore au stade de l'expérimentation.

La France a pris une panoplie de mesures, d'un coût global de 19,8 milliards d'euros, dont 3,6 milliards de crédits budgétaires de l'État. Les projets de lois de finances doivent comporter en annexe un document de politique transversale consacré à la lutte contre le changement climatique. Ce document reste très lacunaire. Plusieurs dispositifs censés réduire les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas évalués. Or l'efficience des mesures peut être très variable. Par exemple, appliqué à des travaux d'isolation des toits et des murs, le crédit d'impôt développement durable CIDD évite pour 21 euros l'émission d'une tonne de CO2. Qu'on utilise le CIDD pour financer de l'énergie solaire thermique, et ce coût s'établit à 432 euros ! Nos moyens doivent donc être concentrés sur l'isolation et non sur le solaire thermique : ils seront vingt fois plus efficaces.

Les diagnostics de performance énergétique sont d'une fiabilité insuffisante. C'est un problème massif dans le bâtiment : nous manquons de techniciens compétents. Or, un travail d'isolation mal fait ne sert à rien. Les techniques nouvelles s'apprennent. Hélas, nombreux sont, dans ce secteur, les artisans auto-proclamés qui profitent de l'ignorance des clients. Un Allemand me disait récemment avoir été stupéfait de la manière dont nous construisons, en utilisant des méthodes dignes du XIXsiècle ! Le fonds chaleur est efficace. Ce dispositif ne passe pas par l'électricité. Le soutien aux énergies renouvelables repose sur des tarifs d'achat cependant mal ajustés, qui ont créé une bulle dans l'énergie photovoltaïque. La filière éolienne a vu son développement freiné par la rigidité du cadre réglementaire. Il faut trouver un équilibre pour éviter des délais de sept à huit ans pour l'installation d'éoliennes.

La géothermie, quant à elle, relève du code minier. Celui-ci ne prévoit pas ce type d'activités, et il est difficile d'obtenir l'autorisation d'enfoncer un tuyau à 10 ou 15 mètres dans le sol. Il serait bon que la loi du 22 mars 2012 de simplification des procédures administratives profite à la géothermie. Le secteur agricole a fait l'objet de peu de mesures, et celles-ci, concentrées sur les émissions de CO2, n'ont guère été évaluées. C'est pourtant contre les émissions de protoxyde d'azote et de méthane qu'il faudrait lutter. Les quelques mesures existantes ont touché au plus une exploitation sur cent. En Allemagne, la compétitivité de la filière porcine repose sur les panneaux solaires fixés sur les toits des granges des installations agricoles. Pourquoi ne pas faire de même ?

Dans le secteur des transports, les mesures sont onéreuses et peu efficientes. Pour les infrastructures de transport mentionnées dans le schéma national des infrastructures de transport (Snit), le coût de chaque tonne de CO2 évitée dépasse le millier d'euros. Pour les voitures, les spécialistes estiment qu'une consommation de deux litres pour cent kilomètres est accessible. Il serait intéressant que des efforts équivalents soient fournis pour les camions. Gardons-nous cependant de prendre pour argent comptant les annonces des constructeurs : il suffit de rouler dans un véhicule censé consommer 3,9 litres aux cent kilomètres pour s'apercevoir qu'il est impossible de descendre en-dessous de 5 ! La politique de l'État exemplaire, qui consistait à isoler les bâtiments publics, n'a pas été mise en oeuvre faute de moyens. Tout cela ne constitue pas un ensemble cohérent. La Cour préconise de concentrer les mesures sur les secteurs où elles ont le plus d'efficacité. Il faut un pilote dans l'avion, s'agissant de politiques par nature interministérielles. Le Commissariat au développement durable n'a pas atteint ses objectifs. Il y a une direction générale de l'énergie et du climat, qui semble parfaitement taillée pour ce rôle, sous réserve que son caractère interministériel soit affirmé.

Les émissions de gaz à effet de serre se sont repliées en France de 13 % depuis 2005. Ce n'est pas rien ! Or les transports et l'agriculture ont faiblement contribué à cette baisse. L'industrie davantage... en raison de la crise. Les objectifs pour 2020 sont donc accessibles. Gardons-nous toutefois de considérer que des objectifs sont atteints parce qu'ils ont été annoncés. Les outils de modélisation sont insuffisants et doivent être améliorés. Les énergies renouvelables représentent à présent 13,1 % de la production d'énergie, contre 9,6 % en 2005. Cette hausse concerne surtout l'électricité. Atteindre 20 % est donc possible, mais 23 % semblent hors de portée pour 2020 : il faudrait un effort d'accroissement de la production d'électricité renouvelable six fois plus important qu'entre 2005 et 2011 !

L'électricité renouvelable étant produite de façon intermittente, il faut pouvoir la distribuer. En Allemagne, le vent souffle surtout au Nord et la consommation se fait essentiellement en Bavière. L'adaptation des réseaux de transport a un prix, qu'il faut intégrer au coût de ces énergies. Ce coût est maximal pour l'éolien off shore. Pour assurer la transition écologique, il faudrait que le montant des investissements, actuellement 37 milliards d'euros par an, s'accroisse d'un tiers ou de moitié jusqu'en 2050. Pour cela, les règles et les incitations doivent être stables et la concurrence internationale, loyale.

Il ne faudra pas se contenter de produire de l'énergie avec moins de CO2 mais changer nos modes de vie, nos déplacements, l'aménagement de l'espace, notamment pour supprimer les longs trajets entre lieux d'habitation et lieux de travail.

Enfin, nous allons devoir fixer des objectifs en matière d'empreinte carbone. Quand un État délocalise ses industries polluantes, il améliore son bilan carbone, mais ne change rien au niveau mondial des émissions. Si nous tenions compte des gaz à effet de serre correspondant à nos importations et nos exportations, notre bilan serait moins bon. À terme, il faudrait que tous les États acceptent de raisonner en termes d'empreinte carbone et la France serait bien inspirée de mettre cette question à l'ordre du jour dans les négociations internationales. Une telle évolution se traduirait cependant par des taxes aux frontières, ce que les Chinois refusent bien sûr.

Mme Laurence Rossignol. - Comment faire techniquement pour mesurer l'empreinte carbone ?

M. Christian Descheemaeker. - Ce n'est pas facile à calculer, mais il est possible d'y parvenir.

M. Marcel Deneux. - On en est au stade du laboratoire...

M. Christian Descheemaeker. - Quoi qu'il en soit, pendant que nous nous félicitons de la diminution de nos émissions, notre empreinte carbone augmente. Là est sans doute le vrai sujet.

M. Raymond Vall, président. - Les changements climatiques auraient un impact sur 40% du PIB mondial. Un bureau d'études américain a classé les territoires en fonction des risques de délocalisations. Cette étude est-elle sérieuse ? Car la France est classée 164e sur 194...

M. Louis Nègre. - Oui, les transports sont le principal émetteur de gaz à effet de serre. Vous avez peu parlé cependant des poids lourds dont le trafic a beaucoup augmenté ; on observe de moins en moins de transfert modal vers le rail ou le fleuve. La situation s'aggrave. La Cour des comptes pourrait rappeler le vote à l'unanimité en faveur des transferts modaux dans les lois de mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement. Elle ferait oeuvre pédagogique utile.

M. Raymond Vall, président. - Il sera difficile d'en convaincre les Bretons...

M. Louis Nègre. - Mais aussi les habitants du Sud-Ouest, du Sud-Est...

Pour l'agriculture, la Cour des comptes propose de réduire l'utilisation des engrais, de développer la politique de la forêt et de l'utilisation des sols. En revanche, rien sur le méthane dû à l'élevage : est-il impensable de toucher au steak-frites ? Vous n'en dites rien dans vos conclusions écrites mais vous le reconnaissez à l'oral.

Vous appelez de vos voeux une TVA non pas sociale mais environnementale. Le prix du carbone en Suède est très élevé et les résultats sont positifs. La France a renoncé à cette politique et la Cour des comptes pourrait nous aider à ouvrir à nouveau le débat.

M. Michel Teston. - En matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, vous privilégiez la modification du modèle de consommation plutôt que celui de production. Sans porter de jugement sur la pertinence de vos conclusions, je voudrais vous poser plusieurs questions. Avez-vous évalué les poids respectifs du développement des énergies renouvelables et des effets de la crise économique sur la réduction de nos émissions de CO2 ? En nous concentrant sur le modèle de consommation, ne risquons-nous pas de priver le secteur des énergies renouvelables de financements importants qui pourraient aller à la recherche en matière de stockage ou de réseaux intelligents ?

L'Union européenne a plus travaillé à la libéralisation du marché de l'énergie qu'à la structuration du réseau électrique européen dont dépendent les énergies renouvelables pour se développer. Ne faudrait-il pas se focaliser sur la cohérence des réseaux de distribution ? N'est-ce pas le meilleur moyen d'éviter l'intermittence à l'échelle européenne ?

M. Raymond Vall, président. - Peut-on imaginer une fiscalité mondiale sur l'empreinte carbone ?

M. Alain Fouché. - Doit-on poursuivre les investissements en matière d'énergie renouvelable alors que les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes, notamment pour l'éolien et le photovoltaïque ? Dans les campagnes françaises, il y a d'immenses hangars couverts de panneaux solaires ; ils sont vides, car ils ne servent qu'à produire de l'électricité, qu'EDF est obligée d'acheter plus cher qu'elle ne la vend. Quel gaspillage !

M. Charles Revet. - Vous avez critiqué les bâtiments du XIXsiècle. Laissez-moi vous dire que les chaumières normandes en torchis, pour la régulation thermique, valent les appareils les plus modernes ! Mieux vaudrait parler des immeubles construits au XXe siècle.

Vous avez évoqué les rejets des transports, mais avez-vous calculé la part respective des voitures et des camions ? Vous prônez une évolution des modes de transport grâce aux regroupements, mais les embouteillages aux abords des villes polluent beaucoup ! Pourquoi ne pas remettre en service des lignes de chemin de fer qui sont aujourd'hui abandonnées ?

On dit que les vaches polluent or, que je sache, le réchauffement a commencé à l'ère industrielle, pas avant. L'agriculture existe depuis des temps immémoriaux et elle recycle le gaz carbonique.

Nous avons deux centrales nucléaires dans mon département, le long du littoral...

M. Raymond Vall, président. - Quelle chance !

M. Charles Revet. - C'est vrai ! Mais là encore, quel gaspillage, car on utilise des quantités d'eau de mer énormes pour limiter la chaleur dans les centrales : on pourrait créer des bassins pour l'aquaculture, voire utiliser cette eau comme source de production d'électricité.

Pourquoi la Cour des comptes ne collaborerait-elle pas avec notre commission pour évaluer certaines de nos propositions de loi, à commencer par le texte de Mme Didier sur la nationalisation des sociétés d'autoroutes ?

M. Marcel Deneux. - Si je partage le constat de la Cour, je diverge sur certaines propositions. Nous avons légiféré en France bien avant la directive européenne. J'ai été le rapporteur du paquet dit « trois fois vingt » : rappelez-vous de la conjoncture politique à l'époque ! Celle-ci ne justifie pas, cependant, les erreurs techniques que nous avons commises. Pour aboutir à un accord avec les Allemands, il fallait prendre la référence de 1990, qui les avantageait à cause de l'apport de l'Allemagne de l'Est. Je tiens à préciser que le taux de 23 % a été imposé à la France. En outre, si notre pays fait le choix d'adopter une attitude exemplaire, vertueuse, c'est son droit.

Pourquoi n'a-t-on pas plus mis l'accent sur le méthane, demandez-vous en substance. Je vais vous le dire ! À Cancun, si nous n'avons pas parlé du méthane, c'est à cause de l'Inde et de la Chine qui ont des rizières non cultivées, source d'émissions importantes de méthane. Le CO2 représente les deux tiers des émissions de gaz à effet de serre, mais le méthane pollue quatorze fois plus que le CO2. Le méthane pose un vrai problème. Vous ne faites pas de propositions à ce sujet ; et pour cause, car on n'a pas encore trouvé les réponses techniques.

Actuellement, un groupe de travail international tente de modifier les conditions de digestion des bovins. Dans le Puy-de-Dôme, quatre vaches sont alimentées depuis cinq ans de façon totalement novatrice. À Wellington, le président de l'Assemblée nationale de Nouvelle-Zélande m'a fait remarquer que nous devrions coordonner nos deux organismes de recherche... Mais pour l'instant, nous ne savons pas comment modifier l'estomac des bovins !

Dans mon rapport sur le « trois fois vingt », j'insistais sur la sobriété, qui n'a aucun coût budgétaire. La Cour des comptes serait bien inspirée de se pencher sur le fonctionnement des certificats d'économie d'énergie. Je précise aussi que nous préparons un rapport de l'Office parlementaire, qui sera publié cet été, sur les obstacles qui retardent l'isolation thermique des bâtiments.

Enfin, à Lacq, la population a accepté l'expérimentation du captage du CO2. J'ai visité il y a cinq ans au Danemark une centrale électrique neuve qui consomme 4 000 tonnes de charbon par jour et où l'on récupère le CO2. Seul problème, c'est qu'on ne sait pas quoi en faire ensuite... La technique coûte cher car ce gaz est extrêmement corrosif. Un axe de recherche intéressant est la transformation du CO2 en carburant liquide - on sait déjà le faire en laboratoire. Vous avez raison sur l'empreinte carbone, mais on ne sait pas mesurer celle-ci. Quant à une « concurrence internationale loyale », c'est un rêve !

La Cour des comptes devrait se pencher sur les normes et sur la RT2012, car tout n'est pas limpide et les lobbies sont puissants.

Mme Évelyne Didier. - Merci pour votre exposé lumineux.

Lorsqu'on essaye d'améliorer les choses, les premiers efforts sont toujours les plus faciles et les mieux acceptés : les derniers centimètres sont les plus douloureux à gagner ! Vous avez parlé d'acceptabilité. Cette notion me paraît bien dangereuse, il ne suffit pas qu'une décision soit acceptée pour qu'elle soit acceptable. Si techniquement l'on sait récupérer le CO2 produit, est-il pour autant acceptable de stocker ces gaz dangereux à quelques mètres sous les pieds de nos concitoyens ?

Nous savons désormais rendre les bâtiments plus économes en énergie, mais nos entreprises réalisent-elles correctement ces travaux ? Les courants d'air, dans le passé, étaient un bon moyen d'éviter l'humidité dans les logements. Désormais, on installe des VMC, mais ne risque-t-on pas ainsi d'aller au-devant de lourds problèmes sanitaires, comme la légionellose ?

Les calculs effectués sur les émissions de gaz à effet de serre intègrent-ils celles qui sont liées à la fabrication des produits importés ? Vivre et travailler au pays, relocaliser sur place les industries : ces solutions que vous préconisez ne se heurtent-elles pas à de grands obstacles ?

Mme Hélène Masson-Maret. - Le gouvernement veut que notre pays se montre exemplaire car il espère aboutir, en 2015, à un accord international. Mais nous obtenons des résultats par défaut, parce que des industries s'en vont. Que se passerait-il si elles revenaient ? Serions-nous encore exemplaires ? Le Commission européenne vient de faire de nouvelles propositions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et les communiqués des ministres Thierry Repentin et Philippe Martin expriment aussi cette volonté d'avancer. Le syndicat des énergies renouvelables annonce « nous sommes prêts ». Mais les énergies renouvelables, ce sont de nombreuses techniques, pas toutes opérationnelles, de nombreuses initiatives, un peu en tous sens... Sans lignes directrices précises, donnant un cap, opérant des choix, même arbitraires, je ne vois pas comment nous progresserons. Le 24 janvier, l'Alliance nationale de la coordination de la recherche pour l'énergie (Ancre) a estimé que l'on pourrait faire mieux, mais que cela coûterait 1 000 milliards d'euros d'ici 2050 : ces chiffres me donnent le tournis. Comment allons-nous faire ? Où trouver l'argent ?

M. Yves Rome. - A vous lire, on pourrait croire que nous sommes parmi les nations les plus vertueuses d'Europe. Néanmoins, les transports routiers sont une source importante de pollution. N'est-il pas temps de promouvoir les alternatives à la route ? Quid, par exemple, du canal Seine-Nord-Europe ? Vos propos renforcent la position en faveur de ce grand équipement.

Votre rapport manque à mon sens d'une dimension prospective : vous ne faites pas état des apports de la révolution du numérique, sinon pour stigmatiser la consommation d'énergie induite par les ordinateurs. Or les technologies numériques vont susciter des gains de productivité dans divers domaines. À brève échéance le nombre des objets nomades sera multiplié par trente : il serait bon d'intégrer dans votre réflexion ce que ces outils apportent pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre !

M. Christian Descheemaeker. - Nous ne critiquons pas ceux qui ont négocié, à l'époque, les accords européens ou internationaux, mais nous disons à ceux qui signeront les prochains accords de tenir plus grand compte des facteurs démographiques. Le prochain accord sera négocié à Paris, en 2015, ce qui nous inquiète un peu : nous craignons que le désir d'un succès diplomatique ne réduise notre pugnacité.

M. Henri Paul, conseiller-maître à la Cour des comptes. - Les propositions de la Commission européenne sur le futur paquet énergie-climat sont en ligne avec les nôtres. Nos constats sont partagés. Ainsi, elle reconsidère l'intérêt d'objectifs contraignants en ce qui concerne les énergies renouvelables et entend laisser chaque État s'organiser comme il le souhaite pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

M. Christian Descheemaeker. - Il y a différentes échéances, 2020, 2050, ou encore 2030 qui a été évoqué par le président de la République. Le changement des modes de vie ne pourra se faire qu'à long terme. Les sujets pour 2020 sont déjà largement connus et figurent dans le paquet énergie-climat. Nous nous sommes essentiellement attachés à les analyser, pour voir si les mesures préconisées mènent à de bons résultats.

Les débats sur la sobriété énergétique illustrent l'étendue des divergences : les grandes fédérations syndicales nous ont mis en garde contre un retour à « l'âge des cavernes ». Certains mouvements écologistes veulent, eux, moins de chauffage, de nourriture, de déplacement : c'est ce que disait le Club de Rome de notre jeunesse ! Il y a là un vrai problème d'acceptabilité sociale : il serait difficile de faire accepter à nos concitoyens d'en revenir à des modes de consommation qui étaient ceux des Chinois dans les années cinquante... Ces questions sont complexes : voyez ce qui se passe lorsqu'on isole un bâtiment. Les habitants conservent la même dépense en chauffage, pour obtenir 19 degrés au lieu de 16 ; ils sont très satisfaits, mais le gain énergétique est faible. La Cour des comptes ne peut que constater ces désaccords au sujet de la sobriété.

Certains progrès peuvent être réalisés dans les secteurs industriel ou agricole. Aujourd'hui, à chaque stade de transformation, les produits sont emportés d'un endroit à l'autre, selon une organisation rationnellement fondée sur un coût du transport routier très faible. Si son prix était plus élevé, avec la taxation du gazole par exemple, d'autres logiques économiques se mettraient en place.

M. Jacques Rigaudiat, conseiller-maître à la Cour des comptes. - Le chiffre de 1 000 milliards d'euros ne devrait pas vous inquiéter, il est connu, puisque le débat national sur la transition énergétique a chiffré à 37 milliards les investissements énergétiques annuels.

Toutes les simulations montrent qu'au-delà de ces 37 milliards annuels, il faudrait consacrer entre 0,5 et 2 points de PIB à la transition énergétique. En outre, la durée de vie des centrales nucléaires, autour d'une cinquantaine d'années, soixante peut-être, ne dépassera pas 2050 : c'est ce que l'on a appelé la « falaise du nucléaire ». Nous allons donc devoir investir massivement, mais de façon rationnelle. Je rappelle à M. Rome que notre métier n'est pas de faire de la prospective ; nous avons un peu forcé notre nature dans ce rapport.

La politique qui a été menée jusqu'à présent nous semble complexe, difficilement lisible, mal pilotée. Dans les documents remis à Bruxelles au printemps dernier, le gouvernement indique que l'essentiel des résultats attendus en termes d'efficacité énergétique l'est dans le secteur du logement. Ces projections nous paraissent peu réalistes. Nous n'avons pas réussi à obtenir de réponse précise du ministère de l'agriculture. Enfin, dans le débat sur la transition énergétique, le transport a été ajouté in extremis, sans qu'aucune simulation ait été réalisée ! Ces politiques doivent impérativement être rééquilibrées.

Nous estimons que les énergies intermittentes aléatoires, comme le solaire et l'éolien, ont des coûts récurrents, systémiques, qui ne sont pas pris en compte aujourd'hui, sans parler du stockage qui ne fait pas l'objet d'une recherche intensive. Imaginez le nombre d'éoliennes qu'il faut pour produire l'équivalent d'une centrale nucléaire... Cette source d'énergie est décentralisée, aléatoire et il faut pouvoir la connecter. On manque cruellement de lignes à très haute tension, en Allemagne comme en France. Chez nous, avec des objectifs assez modestes, RTE et ERDF estiment qu'il leur faudra investir 5,5 milliards d'euros d'ici 2020 du fait de l'intermittence. Nous cherchons la vérité des prix, afin de rééquilibrer le panel des énergies, sans doute en faisant une place meilleure à la biomasse et la géothermie.

La France ne fait pas porter suffisamment l'effort sur les secteurs fortement émetteurs, nous l'avons dit. Quant aux logements, les incitations fiscales coûtent à la puissance publique. Je ne crois pas aux 600 000 emplois annoncés lors du Grenelle. Seuls 150 000 emplois directs seraient créés, les autres seraient indirects.

Enfin, vous avez évoqué Lacq, mais la région a un passé qu'on ne peut ignorer. Il n'est pas certain qu'à Bure, où l'on envisage l'enfouissement de déchets nucléaires, l'acceptabilité sociale soit aussi bonne. De manière plus générale, une politique peu lisible, qui ne fait pas l'objet de débats publics, est rarement acceptée.

M. Arnold Migus, conseiller-maître à la Cour des comptes. - Attention, les verrous technologiques ne finissent pas toujours par sauter ! On fixe des objectifs très ambitieux au-delà de 2050, mais on ne connait pas encore les solutions techniques - je songe bien sûr au stockage.

La France représente moins de 1 % des émissions de CO2, mais on oublie de dire que la transition énergétique s'opère parallèlement à la transition démographique dans le monde. En 120 ans, la population mondiale a été multipliée par six, les émissions de gaz à effet de serre par quatre, et les pays émergents veulent parvenir aux mêmes niveaux de consommation que nous. Où est la solution ?

A l'heure actuelle, le fret est assuré à 90 % par la route et à moins de 10 % par le rail. Il est illusoire de penser faire basculer le transport diffus vers le rail. Le Snit prévoyait des investissements de 240 milliards d'euros, notamment en lignes à grande vitesse : les calculs aboutissaient à une économie de 150 millions de tonnes de CO2, soit un coût de 1 500 euros la tonne. Absurde. Pourtant, l'État n'a pas modifié ses projets d'investissement. Chaque année, la loi de finances indique le total des crédits consacrés à la lutte contre le réchauffement. Or chaque année, le mode de calcul et de pondération varie ! Pour 2014, le chiffre a été divisé par deux : le ministère considérait jusqu'à présent que 50 % des investissements en matière d'infrastructures de transport pouvait être mis au compte de la lutte contre le réchauffement climatique. Cette année, comme par miracle, le pourcentage retenu est de 7 % pour le rail, de 5 % pour les canaux, de 0 % pour la route. C'est que l'on a pris en référence le prix raisonnable de tonne de CO2 suggéré par le rapport Quinet, soit 35 euros en 2010, 50 en 2020, 100 en 2050. Une telle politique est peu efficace.

La Cour des comptes suggère de décarboner l'énergie et elle a démontré dans un rapport récent que les biocarburants de première génération n'étaient pas si efficaces. L'électrification des transports est limitée du fait du peu d'autonomie des voitures électriques. Il est possible de moins consommer, avec des moteurs plus économes. Les transports peuvent être plus efficaces, grâce au covoiturage, qui concurrence le TGV. Mais les systèmes d'information coûtent cher : 10 % de l'énergie électrique mondiale est consommée par les ordinateurs. De nouvelles orientations dans l'urbanisme pourraient aussi limiter les déplacements.

Dans l'agriculture, l'élevage et les rizières non cultivées sont les principaux émetteurs de méthane. Au néolithique, lorsque l'homme a inventé la culture du riz, la température mondiale aurait augmenté de 0,3 à 0,4 degré ! Vous le voyez, il n'y a pas une solution mais une combinaison de solutions.

M. Henri Paul. - Le coût des énergies renouvelables est impressionnant. Les investissements sont de l'ordre de 35 milliards par an. En Allemagne, les chiffres sont également importants. Dans nos deux pays, ces investissements reposent sur le financement public mais aussi sur le prix payé par le consommateur. Face à ce « mur » de financement, essayons d'être le plus rationnel possible et de payer les énergies renouvelables à leur coût tout en subventionnant celles qui le méritent tant qu'elles ne sont pas parvenues à la maturité. La Commission européenne, désormais, ne dit plus autre chose, elle est revenue de son emballement initial en faveur des énergies renouvelables. Sans doute une harmonisation des modes de financement entre les États est-elle souhaitable. La France pourrait jouer un rôle non négligeable en ce domaine lors de la négociation du futur paquet énergie-climat.

Nous plaidons pour la transparence des coûts : notre rapport sur les énergies renouvelables donne des chiffres précis et les compare avec ceux du nucléaire. Il faut miser sur la recherche, car la technologie du stockage, par exemple, n'est pas au point. Voilà ce qu'il faut à mon sens répondre au syndicat des énergies renouvelables lorsqu'il tente de faire pression sur la décision publique.

M. Jacques Rigaudiat. - Six magistrats ont travaillé sur le précédent rapport pendant un an, ce qui explique son importance quantitative et le volume d'annexes.

Comment mesurer l'empreinte carbone ? Nous en sommes encore aux balbutiements, mais ce n'est pas impossible. Ce sujet faussement technique pourrait faire l'objet de négociations, tout comme la mesure des émissions de carbone a été négociée dans le passé.

On peut rêver d'une taxe carbone universelle, d'une taxe Tobin mondiale. On peut aussi, en attendant, imaginer une taxation limitée à certains secteurs, gros émetteurs, groupes cimentiers, fabricants de verre... La direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) l'estime possible.

M. Arnold Migus. - Les panneaux photovoltaïques chinois installés en France sont fabriqués à partir de silicium : or le volume de CO2 émis par les usines chinoises qui les produisent est supérieur au volume de CO2 économisé en France durant les 25 ans de leur durée de vie. Si ces panneaux étaient fabriqués dans des usines françaises, le résultat serait inverse, parce que notre électricité est peu carbonée. En Allemagne, il n'en va pas de même car l'électricité est carbonée. Même chose pour la voiture électrique : elle a un sens en France mais pas en Allemagne, puisque ce pays a recours à des centrales thermiques au charbon et au lignite.

Mme Hélène Masson-Maret. - J'ai reçu une vidéo sur l'empreinte des éoliennes : le coût énergétique d'une éolienne semble supérieur aux bénéfices escomptés. Est-ce vrai ?

M. Arnold Migus. - Nous n'avons pas fait ce calcul pour les éoliennes. En revanche, nous l'avons fait pour le TGV : pour la ligne Rhin-Rhône, RFF estime qu'il faut 18 ans d'utilisation pleine pour compenser le CO2 émis à cause du ciment utilisé.

Mme Évelyne Didier. - Après, c'est bénéfique !

Mme Laurence Rossignol. - Il faut comparer chaque fois le bilan carbone des différentes sources d'énergie. Sinon, on disqualifie très facilement une source d'énergie, par un discours de propagande...

M. Raymond Vall, président. - Le Sénat a été le premier, en 1998, à créer un organisme pour évaluer le coût du changement climatique et des mesures destinées à lutter contre. Je retiens de votre communication qu'il faut réorienter les aides vers les secteurs où elles seront le plus efficaces, au lieu de soutenir un secteur - comme le photovoltaïque - sur lequel votre précédent rapport nous avait déjà bien renseignés. Vous avez évoqué les délocalisations et le transport des produits au cours de leur transformation. À cet égard, la grande distribution joue un rôle fort néfaste. Il faudrait fixer de la valeur ajoutée sur le lieu de production ; mais la réduction drastique des marges des producteurs, au profit de marges commerciales scandaleuses pour les distributeurs, empêche toute recherche, tout investissement. Il me reste à remercier nos invités pour ce rapport si intéressant.