Mardi 17 juin 2014

-Présidence de Mme Jacqueline Gourault, Présidente-

Audition de MM. Alain Lambert et Martin Malvy sur leur rapport « Pour un redressement des finances publiques fondé sur la confiance mutuelle et l'engagement de chacun »

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Mes chers collègues, nous avons aujourd'hui la chance d'auditionner deux anciens ministres du Budget, qui vont nous exposer leurs réflexions et leurs propositions à l'issue de la mission que le Président de la République leur a confiée en octobre 2013, d'élaborer des propositions pour bâtir un pacte durable entre les collectivités territoriales et l'État. Leur rapport a été présenté le 16 avril dernier. Nous connaissons tous le contexte financier. Les collectivités, qui ont commencé à faire leurs comptes, ont compris que le choc serait rude. Il est nécessaire, pour autant, de participer à l'effort national. Les élus de terrain n'en sont pas moins très attachés à ce que cette participation soit empreinte de justice et d'équité.

M. Alain Lambert. - Je vous remercie Madame la présidente. Je vais vous exposer le préalable de nos travaux, Martin Malvy vous présentera ensuite leur contenu, puis je terminerai sur quelques outils auxquels nous avons pensé et sur lesquels nous aimerions recueillir votre point de vue.

Nous sommes partis du constat que vous venez de rappeler, et qui est double : d'une part, la dégradation des finances publiques de la France, avec un déficit public systématique depuis quatre décennies et une dette proche des 2 milliards d'euros, ce qui représente 30 000 € par habitant et, d'autre part, l'attachement de nos concitoyens au maintien d'un service public de qualité.

Pour élaborer nos analyses et nos propositions, nous avons rencontré près de 250 personnes, nous nous sommes appuyés sur une comparaison internationale et nous avons étudié plus en détail un certain nombre d'enjeux spécifiques, tels que les aides économiques, la problématique des personnes âgées, les transports, la culture et les ressources humaines.

En fonction de ces entretiens et de ces analyses préalables, nous avons articulé notre démarche en trois temps : la restauration préalable de la confiance, la conclusion d'un nouveau « deal territorial » pour clarifier les rôles, et le besoin d'outils individuels et collectifs pour maîtriser les finances publiques. Je vais évoquer le premier de ces points.

La restauration de la confiance nous est apparue en effet comme un préalable indispensable à un nouveau départ. Tout d'abord, nous avons dû faire le constat de la défiance qui s'est peu à peu instaurée entre l'État et les collectivités territoriales. Les deux partenaires, au fond, se connaissent mal. Il est évident que les administrations centrales de l'État connaissent mal la réalité locale. Par ailleurs, il faut bien faire le constat de ce que chacun tient un double discours : l'État veut réaliser des économies mais sollicite financièrement les collectivités pour investir et financer de multiples actions, et les collectivités demandent l'intervention de l'État, par exemple pour faire face au problème des emprunts toxiques, ou s'étonnent au contraire de son retrait dans des secteurs qui pourraient être décentralisés.

La défiance est aussi entretenue par le fait que l'État territorial s'affaiblit sans que ce processus ait été accompagné d'une clarification de son rôle au regard de celui des collectivités, ce qui a contribué à déstabiliser la relation entre les deux partenaires.

La prégnance du flux et du stock de normes étatiques asphyxiantes et des décisions gouvernementales peu ou pas concertées est la troisième cause du climat de défiance dont nous avons fait le constat. Je rappelle à cet égard que les coûts associés à la réforme des rythmes scolaires représentent une dépense de 600 millions d'euros pour les communes au titre des activités périscolaires et de 60 millions d'euros pour les départements au titre des transports scolaires, en année pleine. Autre exemple, la revalorisation du point d'indice de 1 % pour tous les fonctionnaires territoriaux a un impact de près de 547 millions d'euros sur les collectivités. Je mentionne pour mémoire le coût résultant des dépenses engagées pour faciliter le passage des tritons ou des crapauds sous la voirie... Toutes ces obligations d'origine étatique sont rédigées jusqu'à un niveau de détail qui interdit toute application intelligente.

Dans ces conditions, l'instauration de la confiance suppose que les responsabilités respectives de l'État et des collectivités territoriales soient clairement identifiées en fonction d'un principe : qui décide paye.

Dans cette perspective, il s'agit en particulier de reconnaître le rôle des collectivités territoriales dans la modernisation des services publics. Aujourd'hui, l'action publique repose en partie sur les collectivités. Celles-ci doivent trouver toute leur place dans la gouvernance des politiques publiques. Il faut, par ailleurs, associer les collectivités territoriales aux décisions qui les concernent. De ce point de vue, les multiples lieux d'échange qui permettent d'aborder telle ou telle thématique entre l'État et les collectivités territoriales ne sont pas des lieux de gouvernance partagée, et la discussion intervient trop souvent en aval de la décision. Il faut, enfin, alléger les contraintes normatives qui pèsent sur les collectivités territoriales. Celles-ci, comme d'autres acteurs économiques, demandent des normes moins nombreuses et plus stables afin d'agir plus vite aux services des Français et de diminuer les coûts.

C'est pourquoi la mission a proposé de refonder une gouvernance aujourd'hui inexistante, en créant « dialogue national des territoires », instance devant constituer un espace de travail régulier entre responsables politiques de l'État et des collectivités territoriales. Les réunions de cette instance seraient préparées par des discussions entre administrations. En vue du même objectif, il s'agirait, deuxièmement, de partager les données et les analyses au sein d'un observatoire des collectivités territoriales qui réunirait les associations d'élus et les principales administrations de l'État, afin de nourrir le dialogue entre l'État et les collectivités. Aujourd'hui, ce partage n'existe pas.

Une seconde proposition consiste à limiter le niveau de détail des lois et des prescriptions réglementaires. Dans cet esprit, il s'agirait de laisser plus d'initiative aux collectivités afin de conforter la responsabilité des acteurs locaux et de donner tout son sens au caractère décentralisé de l'organisation des pouvoirs publics. Cela ne suppose pas une réforme de la Constitution, mais implique que l'État accepte de légiférer moins et de façon différente, en adoptant des lois et des textes réglementaires fixant uniquement des objectifs et laissant les moyens à l'appréciation des collectivités responsables. Ainsi seraient conciliées l'universalité de la norme et son adéquation aux territoires, sans pour autant aller jusqu'au pouvoir réglementaire autonome.

Il faut enfin mieux mesurer l'impact financier des nouvelles normes sur les collectivités, en amont de la prise de décision. Pour cela, il s'agirait de communiquer en amont, selon une procédure formalisée, les projets de textes ayant un impact sur les collectivités, de prévoir la saisine des instances d'évaluation avant la finalisation des textes, et d'assurer une représentation collégiale des employeurs publics lors des discussions en matière salariale et de ressources humaines ayant un impact sur l'ensemble des fonctions publiques.

Telles sont les conditions de la confiance. Martin Malvy va maintenant vous parler des perspectives pour chaque échelon territorial.

M. Martin Malvy. - Je suis très heureux de témoigner devant la délégation. Ce qui m'a frappé, lors de notre première rencontre avec les cinq inspecteurs généraux qui ont travaillé avec nous sur cette mission, c'est leur affirmation d'une méconnaissance du fonctionnement des institutions par l'administration centrale, ainsi que de la méfiance qui existe entre les différentes strates des collectivités territoriales. À titre personnel, je suis président de conseil régional depuis seize ans, mais je n'ai jamais accueilli une mission d'administration centrale ou une mission parlementaire. Cela me paraît incroyable, dans une république décentralisée, que l'on n'aille pas voir comment fonctionne le pays. De nombreuses difficultés, y compris en termes de compréhension, viennent de là. Par exemple, lors de la préparation de son rapport, M. Peretti est à peine resté une demi-journée. J'avais également proposé à M. Balladur d'accueillir pendant plusieurs jours trois administrateurs chargés de l'aider à rédiger le rapport afin de leur montrer de manière un peu plus approfondie le fonctionnement d'une collectivité territoriale.

Nous connaissons tous le constat : le nombre de collectivités territoriales est très élevé et nous n'avons fait aucune réforme pour en diminuer le nombre, au contraire de pays proches de nous. En France, pour 100 000 habitants, il y a en moyenne 58 communes, et 2 au Danemark. Aux Pays-Bas, le nombre de communes a été divisé par quatre ; en Suède, il a été divisé par dix. Il y a eu des mouvements un peu partout. En outre, il existe une autre singularité française : le principe d'interdiction de tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre, qui pose des problèmes d'organisation territoriale - on le voit aujourd'hui dans le débat sur le département. En Allemagne, les Kreis, ou, en Espagne, les Provinces, sont des structures intermédiaires entre la région et la collectivité de base, avec un pouvoir de tutelle.

Par ailleurs, l'imbrication des compétences est ressentie de manière très forte. Elle entraîne des flux de financement croisés. Illustration de ces flux : lors de l'inauguration d'une réalisation modeste à laquelle je participais, il y avait sept paires de ciseaux sur les coussins d'inauguration, et sept discours ont été prononcés ; il y avait sept financeurs...

Le premier enjeu est de clarifier le partage des compétences pour suivre et rationaliser la dépense par politique et par territoire avec une préoccupation : prendre en compte la diversité des territoires et des collectivités. Les besoins des milieux ruraux ne sont pas ceux des villes. Cette clarification nécessaire doit commencer par l'État. Dans un certain nombre de domaines non régaliens, la compétence résiduelle de l'État ne constitue ni un facteur d'équité, ni un facteur de pertinence. On constate un décalage entre la présence de l'État autour de la table et sa très faible participation financière, en matière culturelle ou en termes d'aide économique.

En outre, il faut redéfinir le partage des compétences entre les acteurs locaux. Premièrement, une compétence ne doit se retrouver qu'à un ou deux niveaux ; deuxièmement, la clause générale de compétence doit être supprimée et les textes qui fondent les compétences des collectivités doivent être toilettés. Par ailleurs, la décentralisation doit être achevée en transférant les moyens d'intervention dans les domaines où les collectivités territoriales interviennent de manière notable. Enfin, il faut diminuer le nombre de satellites et démembrements des collectivités territoriales.

S'agissant des régions, elles doivent être dotées des moyens de leur ambition. Il faut leur transférer un certain nombre de compétences, notamment le volet économique, aujourd'hui mené par la DIRECCTE, leur confier le pilotage de l'économie touristique ainsi qu'une partie de l'action culturelle qui ne relève pas des pouvoirs régaliens, de l'action sportive ou encore du domaine du patrimoine, l'État ne conservant alors plus que le contrôle des normes et le niveau national.

En termes d'impulsion et de coordination, les pouvoirs de la région doivent être renforcés. Il faut pour cela rendre opposables les principaux documents régionaux, comme le schéma régional économique ou le schéma régional d'aménagement et de développement du territoire. En effet, l'élaboration de ces schémas nécessite une vaste concertation, ils ne doivent pas rester un voeu pieux. Toutefois, se pose aujourd'hui le problème de la tutelle. Mais il existe des décisions qui, prises au niveau local et avalisées par l'État, s'imposent à tout le monde. C'est le cas pour la gestion de l'eau, avec les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux, qui s'imposent aux collectivités locales, aux agriculteurs, aux pécheurs, aux utilisateurs de canoës. Les régions doivent également disposer d'une taille critique suffisante.

S'agissant du département, des évolutions sont nécessaires mais doivent être différenciées. Certaines compétences de l'État doivent être transférées à l'échelon départemental, par exemple les routes nationales, car il reste aujourd'hui 9 000 km de routes nationales, soit moins que ce que gèrent certains départements. En outre, dans le domaine social, le transfert des compétences doit être achevé en ce qui concerne la gestion des pupilles de la Nation ou la prise en charge de l'enfant handicapé. Une tarification des prestations sociales du département est nécessaire. Deux pistes ont été évoquées : soit le département dispose d'une marge de manoeuvre pour exercer une vraie compétence décentralisée - nous avons en effet constaté l'existence d'inégalités de traitement d'un département à l'autre - soit on recentralise cette compétence et le département devient simplement un guichet au compte de l'État, mais sans responsabilité financière.

S'agissant du conseil général, il est possible de le faire évoluer de deux manières : Dans les territoires urbains - et on prenait l'exemple de ce qui se passe dans le Rhône -, là où une métropole englobe la quasi-totalité du territoire et prend le pouvoir du département, que reste-t-il de ce dernier ? Soit les territoires non inclus restent d'une superficie et d'une population suffisantes pour continuer à former un département, soit encore les communes restantes pourraient être réparties dans les départements voisins, soit enfin, comme dans les territoires ruraux de moins de 200 000 habitants, la piste d'une transformation du conseil général en une fédération d'intercommunalités pourrait être étudiée.

Nous proposons également un renforcement de l'intégration au sein des intercommunalités, avec un élargissement des compétences obligatoires transférées. À horizon de six ans, nous proposons qu'au moins 60% des dépenses soient faites au niveau intercommunal. Nous reprenons également l'idée d'attribuer la dotation globale de fonctionnement à l'intercommunalité afin qu'elle la redistribue aux communes selon des règles préétablies. Cela éviterait de nombreux allers et retours entre l'intercommunalité et les communes. Enfin, le nombre de syndicats doit être réduit, car on en dénombre aujourd'hui plus de 10 000.

Je passe le témoin à Alain Lambert pour évoquer les nouveaux outils susceptibles de redresser les finances publiques.

M. Alain Lambert - Il s'agit des outils qui permettraient d'apporter la contribution des collectivités territoriales au redressement des finances publiques. Je vais essayer de faire vite car il s'agit là de macro budgétaire et non plus de relations financières directes entre l'État et les collectivités territoriales. Certains outils concernent chaque collectivité territoriale individuellement par rapport à l'État, d'autres concernent les collectivités dans leur ensemble.

Apparaissent ainsi susceptibles d'améliorer l'efficacité et le contrôle de la dépense de chaque collectivité un certain nombre de propositions dérivées d'un constat détaillé dans le rapport. Les comptes des communes et des EPCI ne sont pas consolidés, n'intègrent pas les démembrements et ne permettent donc pas d'appréhender globalement les politiques locales. Les collectivités ne disposent que rarement d'une anticipation financière pluriannuelle. Enfin, le coût de fonctionnement des équipements n'est pas toujours appréhendé. L'enjeu est ainsi de renforcer l'information financière des citoyens et des gestionnaires en vue d'une meilleure maîtrise de l'évolution de la dépense locale. Nous proposons de renforcer l'information financière à destination des citoyens en inscrivant dans la loi l'obligation de présenter à la délibération de l'assemblée locale, avec la publicité nécessaire, en début de mandat un plan de mandature, des données précises sur la situation financière de la collectivité sur la base d'un tableau de bord des indicateurs de gestion, à l'occasion du vote du budget, une programmation pluriannuelle actualisée des investissements, ainsi qu'un recensement exhaustif des engagements hors bilan et une présentation des structures satellites de la collectivité.

Nous proposons aussi de renforcer les règles comptables pour mieux anticiper les évolutions financières. Il s'agirait de réaliser et de transmettre à l'assemblée délibérante, pour information, une étude d'impact socio-économique sur les projets d'investissements significatifs. Il s'agirait, par ailleurs, de renforcer les obligations de provisionnement des risques sur les structures satellites des collectivités. Il s'agirait enfin de provisionner un an de fonctionnement d'un équipement lors du vote du budget et de mettre en place un mécanisme de provisionnement des recettes exceptionnelles de droits de mutation à titre onéreux en ce qui concerne les départements.

À côté de ces outils individuels d'amélioration de l'efficacité de la dépense de chaque collectivité, nous proposons de mettre en place un outil collectif : un pacte financier pour restaurer les équilibres budgétaires. Nous sommes partis du constat de la dégradation globale des finances publiques et de l'absence de gouvernance collective dans ce domaine, dans la mesure où les collectivités ne sont ni informées, ni consultées et encore moins associées à l'élaboration du programme de stabilité. Par ailleurs, aucun mécanisme collectif n'est disponible en cas de déclenchement d'un mécanisme de correction. Or, chez la plupart de nos voisins de la zone euro, il existe des pactes internes ou des règles assurant une gouvernance commune entre les différentes administrations nationales et locales. Ces pactes contraignent les finances des collectivités. Dans ces conditions, nous faisons les propositions suivantes :

- fixer une trajectoire budgétaire simple et intelligible en limitant à 2 % en valeur la croissance des dépenses des administrations de sécurité sociale et en stabilisant en valeur les dépenses des administrations publiques centrales et locales, sauf en cas de « retour à meilleure fortune » ;


· associer les collectivités au programme de stabilité. Il serait nécessaire, à cet égard, que les présidents des principales associations de collectivités soient réunis autour du Premier ministre et des ministres concernés pour débattre ;


· à Constitution constante, il faudrait formaliser dans une loi financière les évolutions des dotations de l'État et les perspectives d'évolution des principaux agrégats budgétaires des collectivités. Sans être prescriptif, ce texte permettrait d'identifier des objectifs nationaux d'évolution des dépenses des administrations locales par strate de collectivités. Il constituerait un point d'aboutissement des travaux de concertation sur les finances publiques, cette concertation étant indispensable pour assurer le respect de nos engagements européens ;


· il conviendrait de proposer aux régions, aux départements et aux principales agglomérations un pacte volontaire individualisé avec l'État, assorti de mécanismes d'incitation financière pour les deux parties et précisant l'évolution minimale de la dotation globale de fonctionnement sur trois ans, la compensation des décisions de l'État impactant sans accord préalable les finances des collectivités, l'évolution des dépenses, prélèvements, déficit et l'endettement, et éventuellement les fusions ou regroupements de collectivités ;


· les collectivités non signataires du pacte ne bénéficieraient pas des garanties prévues et seraient soumises à une plus forte minoration des concours de l'État ;


· des règles plus contraignantes seraient instaurées en cas de mise en oeuvre du mécanisme de correction.

Voilà les principaux éléments de structuration des négociations budgétaires entre l'État et les collectivités que nous avons analysées.

M. Martin Malvy. - Plus de 80% de la dépense publique est assurée par les 26 régions, les 101 départements et les 150 plus grandes agglomérations. En outre, 1% des collectivités territoriales emploient 49% des effectifs de la fonction publique territoriale.

En guise de conclusion, je tiens à souligner le fait que de nombreuses charges sont imposées aux collectivités territoriales, dont beaucoup sont les conséquences de décisions ou d'un retrait de l'État. Nous recommandons la création d'un observatoire et la fin de tout engagement de dépenses décidé par l'État ayant un impact sur les collectivités territoriales qui n'ait pas au préalable fait l'objet d'une concertation entre l'État et les principales associations d'élus. J'ai également remarqué qu'en matière de sport, par exemple, les élus présents aux concertations ne sont pas les décideurs des budgets locaux et sont plus prompts à demander une dépense.

Un exemple frappant de décisions prises par l'État avec des conséquences financières pour les collectivités territoriales est la réforme des rythmes scolaires. Elle entraîne une augmentation de 2% de la fiscalité communale. Un autre exemple consiste en l'augmentation des salaires pour les agents des catégories C. Or, 90% de ces agents travaillent dans les collectivités territoriales. Il faut un retour à la confiance, se parler avant de prendre les décisions.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - La perspective que vous venez d'évoquer de légiférer chaque année sur le contenu des rapports financiers entre l'État et les collectivités territoriales apporterait, sans aucun doute, plus de transparence. En effet, un vrai débat pourrait alors s'ouvrir devant le parlement, alors qu'il est aujourd'hui confiné au sein du comité des finances locales (CFL), où il semble que quelques spécialistes font prévaloir leur point de vue, qui n'est pas toujours conforme à la stricte équité, notamment en matière de péréquation.

Cette instance de dialogue ne mériterait-elle pas d'être transformée ?

M. Rachel Mazuir. - Vous avez souligné que les nombreuses auditions auxquelles vous avez procédé ont mis en lumière la méconnaissance qu'a l'administration centrale du fonctionnement des territoires. Cette méconnaissance suscite un climat mutuel de défiance entre l'État et les collectivités territoriales, alors que le Président de la République a appelé de ses voeux l'établissement d'un pacte de confiance.

J'ai récemment eu l'occasion d'assister aux assises des maires ruraux qui se sont tenues à Lyon. Ces élus manifestent une vive inquiétude face à l'éventualité de la disparition de leurs communes au profit des intercommunalités. Ils s'interrogent particulièrement sur les modalités de réduction des coûts que la réforme en cours est censée permettre. Je partage leur perplexité : alors que la problématique prioritaire est de susciter des économies, j'ai plutôt le sentiment que les futurs regroupements engendreront des coûts.

Ainsi, mon département, l'Ain, est le seul à pratiquer la gratuité des transports scolaires ; mais qu'en sera-t-il à l'avenir ?

Les personnels de catégorie C sont payés, au niveau départemental, 40 % moins cher qu'au niveau régional. Les services déconcentrés de l'État sont de plus en plus évanescents : ainsi, il a été nécessaire de mettre en place une agence d'ingénierie pour réaliser de petits travaux d'entretien, là où antérieurement la direction départementale de l'équipement effectuait ce travail de conseil.

Votre rapport souligne la nécessaire prise en compte de la diversité des territoires : j'estime qu'il s'agit également de la condition nécessaire à la réussite de la future réforme.

Je terminerai par la question de l'organisation optimale en matière de tourisme. Mon département engrange chaque année 300 millions d'euros de chiffre d'affaires dans ce domaine, notamment grâce au recours à 50 % de personnels bénévoles. Qu'adviendra-t-il si cette compétence est transférée à la région, qui en serait le chef de file ?

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Je partage totalement votre analyse selon laquelle le prescripteur doit être le payeur. J'en veux pour preuve la réforme des rythmes scolaires, qui va me contraindre à augmenter les impôts dans ma commune, tout comme les normes en matière d'accessibilité, qui engendrent des coûts énormes et d'insolubles difficultés pratiques pour des résultats quasi-inexistants. En effet, la situation de nos concitoyens handicapés n'en est en rien améliorée.

S'agissant de la réforme territoriale à venir, je m'étonne qu'elle n'ait pas été précédée d'une consultation préalable, qui en aurait démontré certaines incongruités, telle la perspective d'associer Villeneuve d'Avignon à Toulouse. Je comprends que des économies sont attendues de ces rapprochements, mais il faut avoir conscience que « les fourches ne sont pas rentrées ».

M. Raymond Couderc. - Puisque cette réforme vise à remettre à plat notre organisation territoriale, j'aurais souhaité qu'elle le fasse totalement, y compris dans la remise en cause du rattachement des départements à telle ou telle région.

S'agissant des chambres régionales des comptes (CRC), je constate que leurs personnels ont une bonne connaissance théorique des finances locales, mais aucune des réalités de la vie des collectivités. Ainsi, dans un rapport paru en novembre 2013, la CRC de ma région a considéré comme excessifs des recrutements indispensables à l'établissement du plan local d'urbanisme, du schéma environnemental et des conséquences à tirer de la directive Natura 2000.

De même, lorsque la compétence en matière de tourisme et le personnel qui lui était affectés ont été transférés de Béziers à la communauté d'agglomération, ceci a été considéré, à tort, comme des recrutements supplémentaires. Il ne faut donc pas s'étonner, au vu de ces exemples, qu'une défiance mutuelle existe entre les services de l'État et les collectivités territoriales.

M. Martin Malvy. - La communauté de communes du Grand Figeac, que je préside, regroupe 79 communes et plus de 40 000 habitants.

Si certains maires ont exprimé des craintes face à l'essor de l'intercommunalité, ils se sont rendu compte de son intérêt : l'intercommunalité permet en effet de développer des politiques publiques, telles que l'économie et la culture, que les communes ne peuvent plus financer et qui intéressent nos concitoyens.

En outre, compte-tenu de la plus grande mobilité des personnes, certains administrés exigent de la part des communes rurales des services équivalents à ceux des villes, qu'elles ne sont pas en capacité de délivrer.

Je suis favorable à l'intercommunalité car elle assure la survie des communes.

M. Rachel Mazuir. - Comme M. Martin Malvy, je pense que l'intercommunalité a pour fonction essentielle la mise en commun des moyens ; elle doit être une « coopérative de communes ».

La crainte exprimée par les maires des communes rurales est que l'élection des conseillers communautaires n'amoindrisse les responsabilités des communes.

Une autre préoccupation concerne la citoyenneté. Si les intercommunalités prennent en charge la plupart des compétences des communes, alors la participation des citoyens à la vie locale risque de décliner.

À titre d'illustration, dans le département de l'Ain, dont je préside le conseil général, ce sont les maires qui ont permis la création de 180 centres de première intervention non intégrés (CPINI) et l'engagement de 500 jeunes sapeurs-pompiers.

Bien que les intercommunalités aient leur utilité, en matière d'aménagement notamment, il faut préserver la dimension humaine propre aux communes.

M. Martin Malvy. - En ce qui concerne les économies budgétaires, dont M. Rachel Mazuir a parlé, je pense que celles-ci ne pourront être réalisées qu'à long terme, par des mutualisations et des restructurations. Il existe par ailleurs un risque d'augmentation des dépenses à court terme, dû à l'harmonisation des statuts des personnels.

Au sein de notre communauté de communes, nous envisageons de coordonner l'action de la communauté de communes, du pays et des principales communes. Nous souhaitons créer des services intercommunaux, tels que celui de l'urbanisme, à effectif constant. Il s'agit d'atteindre une plus grande efficacité et de réaliser des économies.

S'agissant du tourisme, la notion de chef de file n'est pas synonyme de compétence exclusive. Comme d'autres activités économiques, le tourisme doit faire face à la concurrence internationale. Or, les moyens d'action des pouvoirs publics dans ce domaine sont émiettés. Dans la région Midi-Pyrénées, que je préside, la communication touristique est réalisée par huit comités départementaux et différents offices intercommunaux. Une mutualisation, ne serait-ce que de moitié, de tous les budgets consacrés au tourisme, permettrait de réaliser des campagnes promotionnelles de rayonnement international. Le comité régional, les comités départementaux et les offices intercommunaux peuvent travailler ensemble et réaliser des économies.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Les actions de communication non coordonnées nuisent à l'image d'un même territoire. Dans la région Centre, chaque collectivité assurait la promotion du château présent sur son territoire, alors qu'il est plus efficace de communiquer sur les châteaux de la Loire dans leur ensemble, qui bénéficient d'une renommée internationale.

M. Alain Lambert. - Je souhaiterais évoquer la proposition relative à la loi financière des collectivités territoriales. Les collectivités territoriales ont longtemps été réservées sur cette initiative, dans la mesure où elles craignaient qu'une telle loi ne réduise leur autonomie. Il en était de même pour l'État, qui ne souhaitait pas remettre à plat ses relations financières avec les collectivités territoriales. Si les collectivités territoriales tendent aujourd'hui à changer de point de vue, l'État ne fait pas montre d'un grand enthousiasme.

Le comité des finances locales pourrait être associé à la préparation de la loi financière des collectivités territoriales, à l'instar des instances d'arbitrage interministérielles dans le cadre de la loi de finances initiale. Le comité des finances locales pourrait rendre des avis et le parlement légiférerait en dernier ressort. Cette réforme constituerait un progrès en termes de démocratie et d'équité.

Je partage les doutes qui ont été exprimés par M. Rachel Mazuir quant à la réalité des économies budgétaires. Il est important de confier les responsabilités aux bons échelons. Contrairement à bon nombre d'experts, je ne suis pas convaincu de la nécessité de transférer les compétences relatives à la voirie routière et au transport scolaire aux régions. M. Martin Malvy et moi-même avons considéré, dans notre rapport, que les départements étaient les mieux à mêmes de réaliser ces politiques publiques. Transférer de telles compétences aux régions complexifierait la situation et accroîtrait la dépense.

Pour revenir sur l'excès de normes, mentionné par Mme Marie-Thérèse Bruguière, la loi financière des collectivités territoriales permettrait de mettre à la charge du décideur national le coût des normes appliquées localement. Ainsi la mise en accessibilité des bâtiments publics serait-elle considérée comme une dépense d'État.

S'agissant de l'intervention de M. Raymond Couderc relative aux chambres régionales des comptes (CRC), je crois que l'amélioration de la qualité des comptes des collectivités territoriales est indispensable, d'autant plus qu'elle permettrait aux collectivités locales de se prémunir contre les rapports parfois critiques des CRC. Je suis convaincu qu'une marge d'amélioration existe sur ce point. Il est grand temps que les élus locaux s'intéressent à la comptabilité locale de manière générale, et non aux comptabilités municipale, départementale ou régionale selon le cas.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Cette approche consolidée est une bonne idée. L'intercommunalité a d'ores et déjà fait progresser la situation. Les conseillers communautaires se sont rendu compte que l'on ne peut pas parler du budget intercommunal sans parler des budgets communaux.

M. Martin Malvy. - Depuis l'annonce par le gouvernement de la suppression des conseils généraux d'ici le 1er janvier 2020, j'ai rencontré plusieurs présidents de départements. Plusieurs d'entre eux, notamment en milieu rural, n'étaient pas hostiles à l'idée de transformer les conseils généraux en fédération des intercommunalités.

Je ne suis pas favorable, pour ma part, à l'élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires, car cette mesure encouragerait non l'intercommunalité, mais la supracommunalité. Les conseils communautaires doivent être composés de manière importante, sinon exclusive, par les maires.

M. Martin Malvy. - On continuera toujours d'aller à l'école, au collège ou au lycée de sa commune ou de son canton. Et, à titre personnel, je suis favorable au regroupement des régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées parce que je reste persuadé que la réorganisation territoriale de la France est une nécessité. C'est une obligation, et même une contrainte pour nous, Français, qui apparaissons encore comme un « village gaulois » dans le paysage européen aujourd'hui.

La dynamique économique, l'innovation, la recherche, l'entreprise, la modernisation des PME, constituent des compétences essentielles des régions, les pays européens ayant fait ce choix s'en portent d'ailleurs mieux que nous. Pour y parvenir, il faudra naturellement une certaine puissance. Au vu de la carte territoriale, nous avons des régions de taille critique, comme Provence-Alpes-Côte-d'Azur et Rhône-Alpes, ou encore, de l'autre côté de la frontière, la Catalogne, qui compte elle aussi près de 7 millions d'habitants. En face, il nous faut donc constituer une région au moins équivalente en nombre d'habitants et en métropoles. Je suis donc favorable à ces regroupements, car ils seront de nature à changer les rapports de force dans les vingt ou trente prochaines années.

M. Rachel Mazuir. - Je trouve qu'il y a encore trop de régions dans les projets du gouvernement.

M. Martin Malvy. - Il est certain qu'il n'y a pas de carte idéale.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - L'habitante de la région Centre que je suis peut vous dire qu'effectivement il n'y a pas de découpage idéal. De surcroît, chez nous, à la différence d'autres grandes régions, il n'y a pas une capitale identifiée mais plutôt une chaîne de villes moyennes.

M. Martin Malvy. - Dans le projet qui nous est proposé au niveau de Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, nous avons effectivement deux métropoles qui sont puissantes et complémentaires, à savoir Montpellier et Toulouse.

M. Rachel Mazuir. - Je souhaite revenir sur ce qui a été dit s'agissant des chambres régionales des comptes. Il est vrai qu'elles rédigent des rapports, que nous lisons et qui permettent parfois de corriger les choses à la marge, certes, mais il est extrêmement rare que le parquet soit saisi.

S'agissant ensuite des transports scolaires, que vous avez également évoqués tout à l'heure, je remarque que dans mon département, qui compte 600 000 habitants, nous transportons gratuitement chaque jour près de 42 000 enfants. Demain, si cela doit être géré depuis la région Rhône-Alpes, je demande à voir !

Enfin, il a été question des sapeurs-pompiers, sujet que personne n'a encore évoqué. Or, cela ne vous a sans doute pas échappé - et je le vis en tant que coprésident en charge de la sécurité civile -, ils dépendent aujourd'hui des départements. Quid des sapeurs-pompiers s'il n'y a plus de département demain ? Je peux vous assurer qu'ils sont à cran sur le sujet. Je pose donc la question : qui va gérer cette compétence ?

M. Alain Lambert. - André Vallini a répondu que le mieux serait probablement que cette compétence revienne à l'État. Je suis désolé de l'affirmer ainsi, mais il faut reconnaître que la sécurité civile du ministère de l'Intérieur est tout à fait incapable de les gérer.

M. Rachel Mazuir. - C'est ce que je pense aussi.

M. Alain Lambert. - Je me suis renseigné avant d'affirmer cela.

M. Rachel Mazuir. - Si on prend le cas de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, elle comptera la métropole toulonnaise, la métropole niçoise, plus les métropoles d'Aix-en-Provence et de Marseille ! Je souhaite bien du bonheur au président de région...

M. Martin Malvy. - C'est pour cela que nous sommes dans une évolution qui est évidente. Je suis un défenseur du monde rural, dont je suis issu, mais si nous n'avons pas de métropoles puissantes, nous sommes perdus. On ne peut plus aujourd'hui empêcher des grandes villes d'exercer des compétences économiques, sociales, universitaires. De ce point de vue, les conseils généraux vont évidemment perdre des compétences. Cela, quoi qu'il arrive, pose le problème du conseil général. On ne peut se passer d'une structure intermédiaire, comme le disait Alain Lambert, entre la région et l'intercommunalité.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Absolument.

M. Rachel Mazuir. - Si vous enlevez Aix et Marseille, il reste environ 117 000 habitants dans le département des Bouches-du-Rhône.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - C'est la même chose en Haute-Vienne, où la ville de Limoges représente 80 % de la population.

M. Raymond Couderc. - C'est pour cela qu'il ne faut pas se limiter à dire que l'on regroupe des régions existantes. On a créé les régions, un peu à l'emporte-pièce, à un moment où l'on ne savait pas très bien comment organiser le territoire. Aujourd'hui, on a cette opportunité de faire quelque chose de cohérent et d'intelligent. On évoquait le département du Gard. Ses habitants se sentent provençaux, tournés vers Marseille et pas du tout Languedociens du Haut-Languedoc. C'est pourquoi, selon moi, le découpage doit être cohérent et conforme aux aspirations des populations, qui se sentent appartenir à un ensemble commun et pas à quelque chose qui leur est étranger. Il faut avoir la souplesse d'inclure un département dans une région ou une autre en fonction de ce que les habitants ressentent.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - J'ai l'impression que le gouvernement a empêché une sorte de démembrement des régions car il avait le sentiment - que je pense fondé - que cela allait être la foire d'empoigne. Je pense que le gouvernement avait raison, d'ailleurs tous les gouvernements ont agi de cette manière lorsqu'il s'est agi de cette question.

À ce stade, je voudrais interroger nos invités : s'il apparaît qu'à la fin du processus certaines évidences méritent d'être prises en compte, des démembrements pourront-ils être envisagés ?

M. Martin Malvy. - Mais la loi le permet déjà aujourd'hui ; un département peut passer d'une région à l'autre.

M. Raymond Couderc. - Sauf que le ministre a dit non !

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Et actuellement, les procédures sont très lourdes.

M. Martin Malvy. - Effectivement, il faut un référendum, et que la région d'origine et la région qui accueille soient d'accord.

Quel que soit le découpage, il n'y a pas de carte idéale. Depuis les projets de cartes établis à la Libération, jusqu'au rapport Balladur, qui comptait pas moins de 15 cartes, il y a toujours eu une grande diversité dans les projections. Que l'on songe au découpage des départements !

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Oui, la volonté était de casser les provinces, conformément à l'esprit révolutionnaire de renforcer le pouvoir central contre les provinces. Ce n'est pas l'esprit aujourd'hui, la volonté étant au contraire de poursuivre la décentralisation. Prenons l'exemple de la Loire-Atlantique : on sait bien que les Pays-de-la-Loire ne veulent pas du départ de la Loire-Atlantique, au contraire des Bretons, qui eux le souhaitent. Et c'est ce qui explique que les Pays-de-la-Loire veulent se rapprocher de la Bretagne car, privés de Nantes, ils se disent qu'ils n'existeront plus ! Alors qu'en face, la région Centre aimerait se rapprocher des Pays-de-la-Loire.

M. Martin Malvy. - Cela nous promet de beaux débats en perspective.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Oui, en effet. Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.