Mercredi 14 septembre 2016

- Présidence de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président -

Audition de représentants d'organisations représentatives de salariés

La réunion est ouverte à 14 h 30.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Mesdames, Messieurs, la mission d'information sur l'intérêt et les modalités d'un revenu de base en France vous reçoit aujourd'hui. Elle revient d'un déplacement à Helsinki, car la Finlande a pris les devants dans la réflexion en ce domaine. Il est rare que les Finlandais soient ainsi sur le devant de la scène ; c'est ce qui fait tout l'intérêt de leur expérimentation, dont ils sont d'ailleurs très fiers.

Je laisse le soin aux représentants de chaque organisation syndicale de salariés de se présenter. Nous attendons que vous nous disiez ce que vous pensez de cette idée de revenu de base, ou d'allocation universelle, suivant le nom qu'on lui donne. Les objectifs sont partagés par des représentants de formations politiques de droite comme de gauche, bien que tout le monde ne soit pas forcément sur la même longueur d'ondes, souvent par méconnaissance du sujet.

On rencontre parfois des réactions instinctives. On a entendu dans nos propres rangs que ce projet constituait une prime à la paresse : pourquoi travailler si l'on touche un revenu de subsistance ? Comment le financer ? Ce sont toutes ces questions que nous avons retrouvées en Finlande, dont le gouvernement de coalition, présidé par un centriste, s'est saisi du sujet.

Les différents partis finlandais, à droite comme à gauche, s'y intéressent. Cette question est en débat et donnera vraisemblablement lieu, en cas d'adoption par le Parlement, à une expérimentation restreinte dans son périmètre, puisqu'elle ne concernera pour l'essentiel que deux mille demandeurs d'emploi. Le gouvernement finlandais espère toutefois pouvoir multiplier ce nombre par quatre ou cinq grâce à l'enveloppe de 20 millions d'euros dont il dispose.

Un certain nombre de questions vous ont été posées. Nous attendons de connaître votre opinion. Notre mission devra également en débattre pour dégager si possible un consensus sur une position commune. Ce sera ensuite au Gouvernement de décider s'il se saisit ou non de nos préconisations.

L'idée nous apparaît généreuse. Aucun Français ne s'opposerait à vaincre la pauvreté. Le problème est de savoir comment faire. D'où part-on ? Avec quoi finance-t-on ce projet ? Quel objectif nous assignons-nous ?

La parole est au rapporteur.

M. Daniel Percheron, rapporteur. - Vous l'avez dit, monsieur le président, à la surprise générale, le gouvernement finlandais a décidé de se saisir de cette belle idée, qui vient de loin. Ceci est d'autant plus intéressant que le débat a lieu chez nous : chaque côté de l'échiquier politique s'en est saisi, parfois avec beaucoup de talent. Je pense à l'audition de M. Lionel Stoléru, qui s'est exprimé sur plusieurs thèmes : recul de la pauvreté, défis technologiques, chômage de masse. Le revenu inconditionnel de base pour tous est une idée qui réapparaît au moment où, à travers le monde, nous assistons à un transfert de richesses sans précédent dans sa rapidité et son intensité. Il n'est qu'à considérer les débats passionnés autour du site d'Alstom à Belfort.

L'Europe se pose des questions quant à son avenir industriel, économique, et à la façon de maintenir la protection sociale.

Nous avons entendu en Finlande des acteurs mesurés et apaisés parler de cette expérience. Il s'agit d'un pays où la protection sociale est la plus développée au monde, dont la richesse est comparable à la nôtre et où le nombre d'habitants équivaut presque à celui de la population des Hauts-de-France. C'est donc avec beaucoup d'intérêt que nous les avons écoutés.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - La parole est aux organisations représentatives des salariés.

Mme Chantal Richard, secrétaire confédérale en charge du dossier insertion, pauvreté, chômage de la Confédération française démocratique du travail. - Le revenu de base pose question à la CFDT, qui n'a pas de position arrêtée, même si nos militants vont débattre du sujet. Je ne sais s'il est souhaitable que nous ayons une position, ni si nous parviendrons à en dégager une.

Nous réfléchissons cependant en fonction de nos valeurs et de notre domaine de compétences, en tentant de concilier l'émancipation individuelle et la solidarité au sein d'un modèle de développement de qualité.

Comment le revenu de base s'articulera-t-il au regard du droit et des devoirs de l'individu vis-à-vis de la société et vice-versa ?

Le revenu de base porte plusieurs noms : allocation, revenu universel, revenu citoyen. Il faudra veiller aux termes utilisés, qui ne veulent pas dire la même chose pour tout le monde.

Les choix devront être arrêtés en fonction des critères, mais les choses ne sont pas simples.

Pour la CFDT, le revenu de base ne signifie en aucun cas la fin de l'emploi salarié. L'activité salariée connaît de multiples mutations mais, selon la CFTD, le travail demeure une activité indispensable à l'émancipation et au lien social. Même si l'emploi se développe sous plusieurs formes, le revenu de base pourrait servir à lisser des périodes d'inactivité ou de transition. L'accès à l'emploi doit être de qualité et facteur d'inclusion sociale.

Il est hors de question de culpabiliser les individus par rapport à leurs échecs. Pour la CFDT, la société a une responsabilité à l'égard des individus, celle de les mettre en capacité de vivre la vie qu'ils souhaitent. Le revenu de base pourrait servir à participer à cet objectif, mais il n'y suffit pas à lui seul.

S'agissant de la protection sociale, la CFDT réfléchit à la sécurisation des parcours. Le revenu de base peut en être un des éléments, mais il convient de prévoir un triptyque autour du revenu, des services et de l'accompagnement.

Le revenu de base pourrait constituer le moyen de sécuriser les parcours, notamment des jeunes, mais il faudra cependant assurer un niveau de vie satisfaisant pour que les individus puissent rebondir après une perte d'emploi ou prendre des risques pour innover ou développer un projet personnel.

Le revenu de base peut répondre aux aspirations des individus afin de mieux gérer des étapes de leur vie professionnelle et personnelle. Il pourrait constituer un partage du temps de travail plus souple à l'échelle des cycles de vie et d'accès à l'autonomie des jeunes.

Le revenu de base devra également s'articuler avec d'autres éléments de la sécurisation des parcours professionnels, comme les droits sociaux contenus dans le compte personnel d'activité.

Le revenu de base pourrait contribuer à l'émancipation et à la solidarité afin de lutter contre les inégalités et la pauvreté. Il faudra cependant conserver des garanties collectives fortes dans un système de mutualisation.

On pourrait par ailleurs être tenté de faire basculer dans le secteur marchand certaines activités considérées comme socialement utiles. Toutefois, toutes ne pourront être concernées. Les activités bénévoles, par exemple, comptent déjà des professionnels. Il ne faut pas cesser de professionnaliser ce secteur grâce à la formation, à un plus grand accompagnement et à des diplômes. Les activités bénévoles ne doivent pas percuter le champ professionnel.

M. Boris Plazzi, membre de la direction confédérale de la Confédération générale du travail. - La France compte actuellement neuf millions de personnes sous le seuil de pauvreté, dont beaucoup travaillent et sont payées au SMIC - ou presque. Beaucoup sont à temps partiel. Un certain nombre sont des femmes et des jeunes.

Environ six millions de Français sont privés d'emploi stable - chômeurs, travailleurs précaires, « petits boulots », CDD de très courte durée. Environ 2,5 millions de personnes sont au RSA. On estime le salaire médian à 1 650 euros et le SMIC net à 1 160 euros. On peut évaluer à 2,5 millions le nombre de personnes touchant le SMIC.

La situation économique est donc particulièrement inquiétante. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. La CGT estime que c'est le fruit des politiques d'austérité mises en oeuvre depuis quelques années par les pouvoirs pour satisfaire les financiers : pression salariale, pression sur l'emploi.

Au premier semestre 2016, les entreprises du CAC 40 ont réalisé 40 milliards d'euros de profits. Il semblerait que l'on aille dans la même direction pour l'année en cours. C'est le cas depuis maintenant quelques années, même en période de crise. Celle-ci n'est donc pas la même pour tout le monde.

On estime que, chaque année, 300 milliards d'euros sont reversés sous forme de dividendes aux actionnaires. Ces 200 milliards d'euros d'argent public donnés aux entreprises sous forme d'exonérations de cotisations fiscales et sociales, comme le CICE, servent globalement assez peu à l'emploi, aux salaires ou aux investissements. La CGT a d'ailleurs trouvé le rapport du Sénat sur le CICE intéressant, celui-ci disant des choses assez proches de ce que nous disons. Ce n'est pas toujours le cas, je tenais donc à le souligner.

A ce contexte social s'ajoutent des déclarations de « déclinistes » qui prédisent quasiment la fin de l'emploi salarié, notamment pour les catégories socio-professionnelles peu qualifiées.

Au lieu d'aller dans le sens des défaitistes, nous estimons qu'il existe quelques alternatives à la soi-disant fin de l'emploi. Nous pensons tout d'abord que la répartition du travail peut être réalisée autrement. La CGT milite par exemple beaucoup pour une réduction réelle du temps de travail. On a évoqué la possibilité d'un débat national sur une réduction à 32 heures par semaine ou une réflexion portant sur une réduction du temps de travail à l'année.

La discussion sur la finalité du travail nous intéresse. Que signifie aujourd'hui travailler, que ce soit dans le service public ou dans le privé ?

Le débat sur le revenu universel n'intervient pas par hasard : la CGT estime qu'un certain nombre de choix et d'orientations politiques visent à mettre à mal le système de protection sociale. Le financement de la sécurité sociale, par exemple, est de plus en plus remis en cause avec les exonérations de cotisations sociales et fiscales. L'argent qu'on ne consacre pas à la protection sociale et qu'on verse aux entreprises creuse forcément les déficits et les dettes.

La CGT, un peu comme la CFDT, refuse de se laisser abuser par un slogan qui pourrait paraître généreux.

La CGT refuse également de céder à la diversion d'un débat qui occulterait les problématiques d'emploi, de répartition des richesses, de travail, etc.

Le revenu universel offre cependant la possibilité de discuter, d'échanger des points de vue sur l'évolution rapide du système social actuel. La CGT considère que celui-ci offre certes des aspects positifs mais pose aussi de gros problèmes, que je viens d'évoquer.

Le débat sur le revenu universel intervient alors que la campagne présidentielle est sur le point de débuter. On a déjà eu ce débat en 2007 sur la flexisécurité. Dix ans plus tard, on voit où on en est : a priori, on n'a pas tellement avancé ! Il y a beaucoup de flexibilités et très peu de sécurité pour les salariés. Le revenu universel soulève donc quelques inquiétudes. Il y a fort à parier que son instauration n'est pas pour demain.

Le préambule au questionnaire qui nous a été adressé et le sens donné aux questions sont assez significatifs de l'orientation du débat : est-ce que le revenu universel a vocation à se substituer aux minima sociaux et aux aides ? On remet en cause la place du travail, considérant le recul durable du travail et de l'emploi comme inéluctable. C'est grave ! La CGT est favorable au fait de sortir des sentiers battus et à l'innovation. Un projet politique cohérent serait de nature à lutter efficacement contre la pauvreté. Vous l'avez dit : qui, en France, pourrait y être opposé ?

Peut-être faut-il immédiatement augmenter le RSA ! Le RSA, pour une personne, s'élève aujourd'hui à 536 euros environ par mois et à 803 euros par mois avec un enfant. L'augmentation du SMIC qui doit intervenir au 1er janvier 2017, si elle est de même nature que les années précédentes, ne réglera pas la pauvreté ! Une augmentation significative peut éradiquer une grande partie de la pauvreté.

Un revenu universel à 500 euros, par exemple, qui se dessine apparemment en Finlande, ou un revenu à 1 500 euros ne représente pas la même chose, mais pose d'autres questions : comment fait-on pour passer de 500 euros à 1 500 euros ? On estime que 1 500 euros pour tous représentent 40 % du PIB, soit 2 200 milliards d'euros. C'est une somme conséquente !

Nous avons quelques idées. J'ai évoqué les résultats du CAC 40, les dividendes versés aux actionnaires, l'argent distribué allègrement aux entreprises. Peut-être y a-t-il des choses à faire sur ce plan si l'on veut lutter contre la pauvreté. On peut le faire simplement. Les conditions administratives pour bénéficier du RSA ou même du chômage sont aujourd'hui très compliquées. Beaucoup de personnes ne sont pas indemnisées parce qu'ils n'entreprennent pas les démarches administratives nécessaires, faute de les connaître. Il existe aussi une forme de honte dans le fait de solliciter une aide, même si celle-ci constitue un droit.

Si l'on veut régler un certain nombre de problèmes liés à la pauvreté, on peut donc le faire. Si le revenu universel doit se substituer aux minima sociaux, il ne faut surtout pas abandonner notre système d'assurance chômage ou d'assurance maladie. La CGT considérerait qu'il s'agit d'un coin supplémentaire enfoncé pour démanteler l'État social. Nous y sommes particulièrement attentifs.

Un revenu universel à 1 500 euros qui ne remettrait pas en cause les dispositifs existants constituerait cependant une avancée considérable.

Néanmoins, cette réforme demande une volonté politique forte. On voit combien réformer la fiscalité en France est difficile. Accorder demain à chacun un revenu universel nécessitera d'établir des rapports de force. Je n'en dis pas plus...

La rémunération du travail utile a été évoquée. C'est une idée assez vague, selon laquelle il n'y aurait pas de travail pour tout le monde. La CGT s'inquiète de la création d'une catégorie de salariés définitivement privés d'emploi. On créerait donc un salariat de seconde zone. Dans une république comme la nôtre, on ne peut accepter ce genre de choses.

Quand on interroge les salariés, certains parlent d'augmentation de la productivité, d'un temps de travail effectif de 39 heures, qui peut aller jusqu'à 45 heures voire 50 heures pour les cadres, avec une connexion totale à l'entreprise du lundi au dimanche, et du travail à la maison le soir. Il y a donc certainement des choses à faire en matière de réduction du temps de travail et d'amélioration des conditions de travail. La réduction du temps de travail à 32 heures peut constituer une piste.

S'agissant de l'automatisation et de l'« uberisation », les travailleurs uberisés souhaitent un statut social, des garanties individuelles et collectives qui les protègent des aléas de la vie et du travail. Être salarié, c'est avoir un statut, créer des richesses et s'investir dans le développement du pays. La remise en cause du salariat fragiliserait un certain nombre de droits.

Vous savez sûrement que l'URSAFF a décidé de poursuivre Uber en justice pour réclamer les cotisations et requalifier le statut des chauffeurs en salariés...

Quant au renfort de la négociation sur les salaires, la CGT pense qu'il s'agit d'un moyen supplémentaire donné au patronat pour faire pression sur les salaires. Le premier affrontement entre le capital et le travail porte sur les salaires et la répartition des richesses. C'est un affrontement qui existe depuis très longtemps. Le capital a intérêt à générer du profit et à dégager des marges. Quand il faut les répartir en faveur des salaires, cela pose tout de suite problème. Un patron pourrait estimer que le salarié disposant déjà d'un revenu assuré par l'État, il n'y a aucune raison d'augmenter son salaire.

Enfin, le revenu universel pourrait-il encourager l'assistanat ? Cela peut arriver, mais cela ne peut durer. Un travail, c'est un salaire, un moyen de s'émanciper, de vivre dignement, de se socialiser, de sortir de la marginalité ou du cercle familial. Avoir un travail, c'est avoir le sentiment d'être utile à la société. C'est aussi une forme de reconnaissance : travailler, c'est être reconnu collectivement, individuellement, dans sa famille, par ses amis. La CGT estime donc que les salariés aspirent à travailler - même s'ils aiment de temps en temps profiter d'un peu de repos et bénéficier de RTT.

Si l'on souhaite mener une expérience, on peut immédiatement relever les minima sociaux et inclure tous les chômeurs dans l'assurance chômage. Avec le système actuel, un chômeur sur deux n'est pas indemnisé. On a beau être les meilleurs, il y a encore des choses à faire. Peut-être pourrait-on également ouvrir les minima sociaux aux moins de vingt-cinq ans, qui en sont pour le moment privés. Cela permettra de commencer à réfléchir à la lutte contre la pauvreté.

M. Gérard Mardiné, secrétaire national confédéral en charge de l'économie, de l'industrie et du développement durable de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres. - Dans le document que vous nous avez adressé, vous abordez deux problématiques, la lutte contre la pauvreté et l'accompagnement de l'évolution des modes de travail à travers l'automatisation et l'uberisation.

Il existe d'autres problématiques qui sont importantes, comme la cohésion sociale, les inégalités de revenus - qui peuvent d'ailleurs conditionner la cohésion sociale - la démographie. Comment ce type de mesures se traduit-elle en matière de natalité, sur laquelle repose le financement des retraités par les actifs ? Comment l'impute-t-on ? Cela joue-t-il sur la compétitivité de notre économie, dans un contexte aujourd'hui assez mondialisé, pour parler pudiquement ?

Pour la CFE-CGC, le revenu de base ne constitue pas une solution, mais une famille de solutions. En effet, à quelles prestations ce dispositif se substitue-t-il ? Quels sont les moyens de financement ? C'est forcément une évolution systémique majeure. Un revenu universel d'environ 500 euros par mois, proche du RSA, représente 16 % du PIB. Une somme de 1 000 euros par mois, à peu près l'équivalent du seuil de pauvreté, équivaut à 31 % du PIB. Ce sont des éléments très significatifs qui méritent des études d'impact, dont la CFE-CGC considère qu'elles n'ont pas encore été suffisamment conduites.

Nous sommes favorables à une expérimentation, mais il est préférable de faire les choses dans l'ordre : comment va-t-on le gérer ? Comment assurer la transition ? Il existe tout un tas de points sur lesquels il faudrait donc approfondir l'étude avant de se positionner de manière pertinente.

En effet, d'autres solutions sont envisageables, comme le regroupement d'un certain nombre d'aides sociales, etc. Il faudrait comparer ces différentes solutions entre elles pour avancer sur le sujet, ce qui n'empêche pas, le moment venu, de conduire une expérimentation locale - à condition de pouvoir en extrapoler des éléments.

La lutte contre la pauvreté est un vrai sujet, auquel on doit s'atteler. En l'absence d'études plus fouillées, la CFE-CGC pense que regrouper les aides sociales constituerait probablement un premier pas pragmatique et plus rapidement applicable que le revenu de base.

À quel système aurait-il vocation à se substituer ? Pour nous, comme cela a déjà été dit par d'autres, l'assurance chômage et la retraite doivent rester contributives. On voit mal comment la maladie peut se retrouver incluse dans le revenu de base. 50 % des dépenses d'assurance maladie sont constituées par l'hospitalisation : il s'agit de pathologies lourdes, contre lesquelles on peut douter que les gens pourront se couvrir individuellement grâce à un revenu de base. Ce pourrait même être un frein à la prévention ! On préférera manger qu'aller chez le dentiste ! Retraite, assurance chômage et maladie doivent donc être exclues de ce type de dispositif.

Nous pensons que le statut de salarié n'est pas prêt de disparaître, car il offre un véritable intérêt. On ne développera pas des voitures ou des avions en se mettant à son compte, et on n'embauchera pas des gens au motif qu'ils sont à leur compte. Le salariat va donc demeurer encore et pour longtemps le mode d'activité le plus important. Il y a de bonnes raisons à cela.

Nous nous interrogeons cependant sur le rôle de l'économie, qui permet de satisfaire les besoins des individus et de la société. On a quand même inventé le concept d'économie sociale et solidaire parce que l'économie de marché n'était plus capable de répondre aux besoins essentiels de la population, comme l'aide aux personnes âgées, etc.

Le revenu de base apparaît presque comme un palliatif. On ne se pose pas la question de savoir quels sont les problèmes à traiter. On renonce à produire des biens et des services pour la population. C'est une sorte de démission. On sait que l'économie est mondialisée, mais peut-être faut-il mieux structurer la gouvernance mondiale.

L'uberisation comporte deux aspects, le mode d'organisation du travail et la capacité d'intégrer rapidement le progrès technique. D'aucuns parlent aussi de « freesation », en référence à l'opérateur téléphonique qui, tout en offrant une société structurée, avec des salariés, détient une capacité à intégrer le progrès technique supérieure à ses concurrents. Pourquoi associer à l'intégration du progrès technique des modes d'organisation du travail qui fragilisent les personnes et leur offrent moins de perspectives ? Quand on est moins assuré de son avenir, on investit moins, que ce soit en matière de logement ou autres. Au final, c'est l'économie qui en souffre.

Il est donc clair que le salariat a tout intérêt à demeurer le mode d'organisation dominant. D'ailleurs, le taux de travailleurs indépendants a plutôt eu tendance à décroître depuis trente ans, en particulier parce que tous les petits commerçants ont disparu, absorbés par les grandes surfaces. On fait maintenant quelque peu machine arrière, mais on n'en est pas au taux d'indépendants des années 1970 ou 1980.

Nous voyons un autre risque à la mise en place d'un tel système, même si nous n'avons pas de positionnement définitif : on risque de créer une société à deux vitesses, comme le disait à l'instant Boris Plazzi. Certains auront un travail très qualifié et seront probablement submergés de travail. D'autres seront considérés comme des assistés ou effectueront des travaux moins qualifiés risquant de les marginaliser, avec un effet négatif sur la cohésion sociale. Les citoyens seront divisés en deux catégories, ceux à forte contribution, très qualifiés, et les autres, qui bénéficieront probablement de conditions moins favorables. Pour ceux qui n'auront pas de travail, 1 000 euros par mois, ce n'est pas grand-chose ! S'il y a de moins en moins de travail du fait d'une plus grande automatisation jusque dans les tâches tertiaires - comme dans les banques où existent des algorithmes d'intelligence artificielle - on risque d'amplifier le phénomène et de se retrouver avec une moitié de population fortement contributive qui, étant très sollicitée, trouvera normal de bénéficier d'une plus grosse part de gâteau, et une moitié qui contribuera moins. Cela ne nous paraît pas très positif.

Pour la CFE-CGC, le travail représente une activité professionnelle. Nous croyons au travail, qu'elle que soit la forme qu'on lui donne - aidants, etc. - comme un moyen d'accomplissement de l'individu. Peut-être y aura-t-il des effets d'aubaine, mais la plupart des gens aspirent à contribuer à l'activité économique de leur pays et y voient un moyen d'accomplissement.

M. Pascal Pavageau, secrétaire général de Force ouvrière. - Vous l'avez rappelé, Monsieur le président, la notion de revenu de base ou de revenu universel qui réapparaît semble plutôt séduisante. Elle est aujourd'hui parée de toutes les vertus. Elle permettrait de rendre plus libre et de s'affranchir du joug du travail. Elle pourrait également réduire la pauvreté.

On voit bien que, derrière toutes les analyses ultralibérales sur ce sujet, à la base plutôt marxiste, se trouvent des éléments de contexte - austérité et chômage. Ce qui prime, c'est une logique de réduction des minima sociaux, de la dépense sociale, de la dépense publique, des moyens des organismes sociaux, des prestations sociales, de l'assurance chômage et des services publics.

S'agissant des différents montants, il existe deux grandes écoles. L'une prône un montant compris entre 400 euros et 900 euros, très faible, voire ridicule, inférieur au seuil de pauvreté. C'est ce qu'on pourrait qualifier de « montant de survie ». L'autre va jusqu'à 2 000 euros. En Suisse, même lorsque le montant est élevé, l'acceptation est loin d'être évidente. Si un tel montant - qui nous paraît totalement utopique - venait à se mettre en place, l'impact sociétal serait fort, potentiellement peu incitatif, avec une sorte de revenu équivalent ou supérieur au salaire médian actuel, qui bouleversait complètement la valeur et l'importance du travail dans notre société.

Je ne reviens pas sur le rôle du travail, le lien social, le développement personnel, sur la reconnaissance, l'épanouissement, ou l'adhésion à des droits et à des valeurs collectives et républicaines liés au travail.

Prenons garde à la logique qui consisterait à dire que, demain, des missions publiques ou des métiers traditionnels pourraient recourir au bénévolat, le bénévolat pouvant être le fait de gens sans formation, sans qualification, voire sans rémunération. C'est le cas aujourd'hui. Or, certains promoteurs du revenu de base aimeraient bien que les femmes « retournent à la maison ». Gare aux dérives. Je le dis parce qu'on l'a lu et entendu.

Enfin, en cas de revenu de base élevé, que se passe-t-il une fois celui-ci en place, une fois que des gens sortent du système du travail et que, plusieurs années après, une nouvelle majorité en baisse le montant ou le réduit largement ? On créerait une exclusion très forte en réduisant la capacité d'emploi et de travail...

La question du financement, qu'il s'agisse d'un montant relativement faible ou relativement élevé, demeure la même mais elle se pose davantage encore si le montant est élevé. Nous ne sommes pas favorables à l'idée d'utiliser la TVA. Nous sommes en effet contre les impôts indirects. Même si c'est 400 euros, il faut pouvoir vivre et survivre. S'il s'agit de reprendre ce qu'on a donné par la TVA en l'augmentant de 100 % comme certains le disent, cela revient à utiliser de façon immédiate ce revenu de base.

Attention à ne pas financer le revenu de base par l'impôt sur le revenu, car seuls ceux qui ont des emplois salariés ou complémentaires verraient leurs impôts augmenter. L'acceptabilité de l'augmentation à 30 % risque d'être difficile, mais si on doit en outre financer un revenu de base pour ceux qui, soi-disant, ne font rien, on risque de diviser la société et de faire naître le populisme.

Imposer le revenu de base lui-même reviendrait à reprendre d'un côté ce qu'on a donné de l'autre. Nous ne sommes pas preneurs.

Si ce système devait se mettre en place, nous ne serions pas favorables à une logique d'expérimentation ou de territorialisation. Pour nous, les choses doivent se faire à égalité de droits. Nous ne sommes pas non plus favorables, à l'instar de nos camarades finlandais, à la sélection ou au tirage au sort de personnes comme cela se passe en Finlande. Si cela se met en place, cela doit se faire à égalité de droits et de traitement.

Si le montant est faible, ce qui nous parait le plus probable si le système est mis en oeuvre, on est dans une logique de revenu de survie qu'il faudra compléter. On entre alors dans l'uberisation. Ce n'est pas pour rien que le débat est revenu sur le devant de la scène avec l'avis du Conseil national du numérique de janvier dernier, qui a expliqué que les effets de l'uberisation nécessitent un minimum de revenu de base pour tout un chacun. La logique entraînant vers le tâcheron et non plus vers le salariat nous semble donc extrêmement dangereuse.

Ce serait indubitablement une trappe à bas salaires, quel qu'en soit le montant. Il est évident que le SMIC serait baissé d'autant, et que nous aurions toutes les peines du monde à négocier des augmentations de salaire dans les entreprises ou les administrations. Ce serait une déresponsabilisation sociale des entreprises et, d'une manière plus large, du monde du travail, ce qui affaiblirait la négociation collective, à l'échelle de l'entreprise comme de la branche. C'est l'argument majeur de nos camarades finlandais. Je pense qu'ils vous l'ont expliqué.

C'est aussi une manière de détourner peu à peu l'influence des syndicats. Plusieurs économistes l'ont théorisé, dont Steve Randy Waldman, un économiste scandinave, qui aide à la mise en place de ce système en Finlande.

Nous sommes donc plus que prudents sur les effets sur la négociation et les salaires d'une telle mise en oeuvre.

Lutter contre la pauvreté, c'est d'abord éviter la paupérisation, augmenter les minima sociaux et les aides en la matière et surtout viser le plein-emploi, avec des salaires les plus décents et élevés possibles, adossés à une fiscalité progressive. Celle-ci permet de réduire par deux les inégalités de niveau de vie. C'est bien en ce sens qu'il faut continuer à oeuvrer, et ne pas considérer que, le retour au plein-emploi étant impossible, il faut trouver des moyens de substitution.

Il est hors de question de supprimer la redistribution collective en faveur de ceux qui en ont besoin. Le système actuel fait plutôt preuve d'équité en aidant à progresser vers l'égalité. Pour FO, on ne saurait renoncer à prendre en compte le handicap, la maladie ou l'accident du travail de façon spécifique. Il en va de même d'un certain nombre d'aides familiales, sans parler du chômage.

Il est essentiel de ne pas créer d'exclusions en développant un système assurantiel où chacun percevrait 300 euros par mois ou 900 euros par mois, chacun devant ensuite se débrouiller quelle que soit sa situation. La force de la solidarité républicaine et de cette tentative d'aller vers l'égalité de droits selon un système redistributif, auquel chacun contribue selon ses moyens et dont chacun bénéficie selon ses besoins est ce qui caractérise notre modèle social français et fait notre fierté. Ceux qui ont bénéficié d'une certaine chance dans leur parcours doivent pouvoir contribuer pour ceux qui sont dans une situation de handicap ou d'accident. Nous y sommes très attachés.

Derrière cette logique assurantielle complémentaire en lieu et place d'un système solidaire républicain apparaît à nouveau la logique d'individualisation de la société, de réduction des droits collectifs et de la sécurité sociale. À l'instar du compte personnel d'activité (CPA), nous craignons qu'il s'agisse d'un outil supplémentaire pour aller vers l'individualisation des droits.

Pour nous, le revenu de base constitue un levier potentiel donné aux entreprises pour baisser les salaires et un certain nombre de droits, une attaque contre le système de protection sociale collective et solidaire, les missions de service public, la fin de la recherche d'un plein-emploi - suicidaire pour notre société - dans une logique d'individualisation de celle-ci.

Vous l'aurez compris, FO n'est pas favorable à la mise en place de ce revenu de base, qui revient pour nous à un solde de tous comptes permettant le détricotage de toutes les avancées sociales et libérant le fameux « marché du travail ».

Dans l'historique de la confrontation entre le capital et le travail déjà évoquée, le revenu de base consacre pour nous la victoire des détenteurs du capital. Ledit revenu ne permettant pas de vivre, il faudra obligatoirement le compléter, quel que soit son montant, par un marché de plus en plus flexible sur lequel le travailleur n'aura plus prise et où il n'aura plus de droits.

Le lien entre revenu de base et uberisation de la société traduit surtout pour nous la précarité et la pauvreté engendrées par ce modèle économique. La mise en place d'un revenu de base n'est pas un moyen d'affranchir le travailleur du salariat. Bien au contraire, c'est le constat que, sans le salariat, sans les droits et les règles sociales qui y sont associées, un travailleur ne peut vivre décemment de ces différentes activités.

Pour FO, sous un visage plutôt généreux, le revenu de base sape le droit à un travail décent pour tous.

M. Joseph Thouvenel, vice-président confédéral de la Confédération française des travailleurs chrétiens. - Monsieur le rapporteur l'a dit, le revenu de base est une belle idée ! Encore faut-il savoir s'il s'agit d'un rêve ou d'une utopie inatteignable. La question est d'être sûr que ce système présente plus d'avantages que d'inconvénients.

L'idée que chacun puisse bénéficier dans notre pays d'un revenu de base est séduisante, mais ceux qui sont nés Français ou qui vivent en France bénéficient du labeur et du sacrifice des générations précédentes. Il s'agit d'un patrimoine énorme en termes d'infrastructures, de services publics, de système de santé, etc. Il faut bien en avoir conscience. On bénéficie déjà de beaucoup de choses comparées au reste de la planète, et c'est indirectement bien plus que le revenu de base.

La grille de lecture de la CFTC, sur ce sujet comme sur d'autres, tient compte de deux principes. Le premier, c'est celui de la valeur travail. Travailler, c'est participer au bien commun. Grâce à cette participation, je me réalise et je deviens cocréateur. C'est essentiel !

La partie travail rémunérée est celle qui nous intéresse le plus ici, mais on doit considérer que le jeune qui encadre des mouvements de scouts le dimanche travaille bel et bien : il participe au bien commun et se réalise. Les parents qui élèvent leurs enfants travaillent aussi, même s'ils ont parfois moins de temps à leur consacrer parce qu'ils doivent travailler le dimanche, ce qui constitue une régression sociale...

S'agissant du travail rémunéré, l'objectif à atteindre n'est certainement pas l'inversion d'une courbe, mais le plein-emploi. Cela a déjà été dit. Quelle société décente peut ne pas souhaiter que chacun se réalise par son travail ? C'est notre grille de lecture.

Il nous apparaît que le travail constitue la contrepartie d'un revenu versé par la collectivité. Cette contrepartie peut prendre des formes différentes, comme la rémunération, mais aussi la formation : on perçoit un revenu parce qu'on est en période de chômage pour différentes raisons et que l'on se forme. On peut affiner cet aspect des choses, mais nous sommes en complet désaccord avec la définition du revenu de base présenté par le Mouvement français pour un revenu de base (MFRB), selon laquelle « le revenu de base est un droit inaliénable, inconditionnel, cumulable avec d'autres revenus, distribué par une communauté politique à tous ses membres, de la naissance à la mort, sur la base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, dont le montant et le financement sont ajustés démocratiquement ».

Pour nous, cela ne convient absolument pas. Nous rejetons totalement cette idée. Il va falloir connaître exactement la définition qu'on veut donner du revenu de base.

Chacun est capable de rendre un service à la communauté. Nul n'a le droit de dénier cette faculté. Ce serait déshumanisant. Des théoriciens comme Adam Smith ont abordé le revenu de base de ce point de vue. Je ne prétends pas que tous ceux qui l'évoquent ont cette vision, mais on voit se rejoindre sur ce terrain les ultralibéraux et l'extrême gauche.

Les ultralibéraux ont une idée simple : selon eux, une partie de la population est incapable de travailler. En accordant quelque chose à celle-ci, on évite la révolution...

D'autres ont une conception plus sociale, mais cela revient à dénier aux personnes la capacité de participer activement à la vie sociale.

Les dispositifs actuels ont permis de lutter contre la pauvreté durant les Trente Glorieuses - ou au moins d'en sortir pour une majorité de nos concitoyens. Aujourd'hui, c'est moins efficace. Pourquoi ? Il existe différentes explications. Le rapport Cotis, en 2009, explique qu'à partir de 1983, la part de la valeur ajoutée consacrée au travail chute de dix points et que, dans le même temps, la part versée au capital augmente de dix points. Ce n'est sans doute pas la cause, mais une partie de celle-ci.

Le rapporteur a évoqué l'Europe en disant que celle-ci commençait à se poser des questions son avenir industriel. Vous avez raison. Il est temps ! Le fond du problème ne réside-t-il pas dans le marché unique, la mondialisation faisant que l'on joue le même jeu sans avoir les mêmes règles ?

Tant qu'on n'aura pas résolu le problème de la concurrence déloyale en matière fiscale, environnementale, et sociale, on ne résoudra rien. C'est là le coeur du sujet que constitue la politique industrielle. Dans un marché qui se veut unique, avec une concurrence déloyale, lorsqu'on n'a pas les mêmes règles, cela ne peut pas fonctionner. On le voit chaque jour.

Deux approches du revenu de base sont possibles. J'ai parlé des théories du néolibéralisme. Il en existe une autre, celle du revenu de dignité. Saint Thomas d'Aquin, au XIIIe siècle, en parlait déjà, et disait : « Chacun, de par son labeur, doit pouvoir vivre dignement, lui, sa famille, et épargner ». Nous sommes alors au Moyen Âge. Aujourd'hui, avec le salaire minimum, puis-je vivre dignement, moi, ma famille, et épargner ? Quand je parle du salaire minimum, je parle de la valeur travail. Si le travail a une valeur, celle-ci est aussi monétaire. Un des enjeux est de revaloriser la fonction monétaire du travail, et non de la dévaloriser, risque que l'on a déjà évoqué.

Pour ceux qui ne peuvent travailler, un revenu de dignité est possible, mais il existe un système d'assurance chômage. Peut-être faut-il l'améliorer pour la dignité de chacun.

On peut par ailleurs se poser bon nombre d'autres questions. Si je fais par exemple toute ma carrière à l'étranger, et qu'au moment de la retraite je commence à développer une maladie, m'octroie-t-on le revenu de base si je reviens en France, alors que je n'ai jamais cotisé ? Comment finance-t-on le système ? Selon le Conseil national du numérique, qui a repris l'idée, le transfert des budgets - minima sociaux, bourses d'étudiants, aides au logement, allocations familiales - représente 200 euros par adulte et 60 euros par enfant. Si c'est là le revenu de base, c'est plus qu'une trappe à pauvreté ! S'il doit être supérieur, comment le finance-t-on ? Il me semble que c'est un sujet important. Nous n'avons pas trouvé de réponse à ce jour.

Concernant l'uberisation et l'évolution de la société, on peut effectivement penser que des emplois vont disparaître, mais d'autres ne vont-ils pas se créer ? Quand le métier à tisser est apparu, il a également supprimé des emplois, mais il en a créé d'autres.

L'uberisation de la société pose un problème : nous connaissons le salariat et le contrat de travail, mais ne doit-on pas aujourd'hui se poser la question d'activités dites indépendantes, qui sont en fait des activités de subordination économique où l'on n'a aucune liberté et où l'on n'est absolument pas indépendant ? Peut-être doit-on faire évoluer nos textes en matière de subordination économique, directe ou indirecte. C'est un enjeu.

Que l'on soit salarié, indépendant ou chef d'entreprise, on reste un travailleur. Tous les travailleurs ont des droits, quelle que soit leur situation et quel que soit leur statut, notamment le droit à la retraite, ce qui signifie que tous les travailleurs doivent financer cette retraite.

Dans le cas des travailleurs handicapés, la société ne s'exonère-t-elle pas du fait qu'un certain nombre pourrait travailler ? Quel effort fait-on pour développer des centres d'aide par le travail (CAT) ? Ces personnes travaillent peut-être moins vite, le résultat est peut-être parfois imparfait, mais ils apportent bien d'autres choses. La société doit faire en sorte que chacun ait sa place et vive dignement de son labeur.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Tous les angles que vous avez choisis les uns et les autres pour aborder le sujet sont très semblables, avec cependant quelques originalités, ce qui est normal, étant donné les approches philosophiques qui ont été employées pour tirer une analyse du revenu de base - ou tout au moins de ce qui est aujourd'hui défini par les partisans du revenu de base, que nous essayons pour notre part de clarifier, avant de proposer ou d'expérimenter une solution.

La Finlande a lancé une expérimentation. Vous avez les uns et les autres déjà évoqué cette question, en y ajoutant un cadre. C'est bien la question que nous nous posons : quelle population pourrait être concernée par une expérimentation ? Expérimenter signifie trouver un intérêt dans une question et vérifier que la solution proposée constitue une réponse.

Un certain nombre d'objectifs ressortent de vos interventions. J'ai bien compris que la valeur travail est essentielle. Il n'est pas question pour nous de la remettre en cause. Elle peut s'incarner dans des statuts différents, comme l'uberisation. La vraie question - que certains ont évoquée - est de connaître les droits liés à cette nouvelle forme de travail.

À travers notre mission, nous souhaitons clarifier le débat, éviter les raccourcis, comprendre pourquoi cette question est sur la place. Vous avez cherché à nous éclairer, et je vous en remercie. C'est à nous de cadrer le sujet pour avancer. Ce n'est guère facile. On a bien quelques idées d'expérimentation.

Vous évoquiez les uns et les autres une difficulté d'insertion pour les jeunes. Vous avez rejeté le fait que cela ne concerne souvent que les demandeurs d'emploi, notamment en Finlande. Nous avons entendu la critique. Je pense qu'ils vont dépasser ce stade pour éviter d'avoir un échantillon uniquement représentatif des demandeurs d'emploi.

Quelles seraient, selon vous, les populations qu'il serait intéressant de tester ? Faut-il tester l'ensemble de la population dans toutes ses représentations, toutes ses générations, toutes ses professions ? Je crains que ce ne soit guère lisible. Un sondage suffirait peut-être, ce qui n'est pas le but. Il existe des conséquences qu'on ne pourrait mesurer à travers un sondage, aussi précis soit-il. Nous sommes devant une série de questions auxquelles il serait intéressant que vous puissiez répondre.

La parole est au rapporteur.

M. Daniel Percheron, rapporteur. - C'était une belle leçon de syndicalisme français ! Je suis vraiment très heureux de vous avoir entendus les uns et les autres. Il y avait là de la conviction, de la clarté, de la capacité de dépasser le sujet, tout en en reconnaissant soit l'aspect utopique, soit les limites éventuelles pour la société française.

Par ailleurs, la France est le numéro un mondial en matière de politique sociale - 34 % du PIB y sont consacrés - et c'est votre oeuvre ! Nous sommes à quatre ou cinq points de PIB devant le modèle scandinave. Cela nous donne une qualité d'écoute et confère un sens à cet échange.

Enfin, je vous rassure - le président et nos collègues y ont été très attentifs : en Finlande, nos interlocuteurs, quels qu'ils soient, ne nous ont parlé que du travail et d'abord du travail. Le revenu universel, le revenu de base, l'allocation universelle, pour eux, est destiné à augmenter le taux d'activité, pour remettre les gens au travail. Ils ont un taux de chômage de 8 % et se sentent déstabilisés. Ils sentent également arriver la pression de la mondialisation. Leur homogénéité commence à s'ébrécher. Face à cette nouveauté, leur réponse réside dans le travail, qui constitue une obsession dans l'expérimentation qu'ils vont mener.

Ce que vous nous avez dit va nous permettre, en tant que représentants de la vie parlementaire, de la social-démocratie, du social-libéralisme, de faire des propositions.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - La parole est aux membres de la mission.

M. Jean Desessard. - Je suis partisan du revenu de base, ce qui n'est pas forcément l'option de l'ensemble des participants de la mission - même si cela dépasse les rangs des écologistes.

Force ouvrière prétend que ce sont les libéraux qui défendent le revenu de base. Lors du vote au Sénat, ils se sont tous prononcé contre, sauf un. Certains libéraux défendent l'idée d'un regroupement de l'ensemble des allocations en une allocation unique. Celle-ci n'est plus déterminée en fonction de paramètres, mais on la dote d'un montant maximum. Cette allocation unique est destinée à quelques catégories qui en ont besoin. Ce n'est pas un revenu de base accordé à tout le monde.

Le revenu de base est plutôt revendiqué, comme en Finlande, par des mouvements associatifs, comme le MFRB, les écologistes, une partie de la gauche, ou quelques centristes. Les libéraux et l'extrême gauche traditionnelle y sont plutôt opposés, considérant comme vous qu'il faut augmenter la valeur travail, et mieux rémunérer l'emploi.

Monsieur Thouvenel, vous dites que le travail comprend à la fois le revenu salarié et les activités que l'on peut avoir à côté. Il s'agit d'une contrepartie du revenu de base. Aujourd'hui, il existe des chômeurs qui ne peuvent assurer un certain nombre de fonctions ou qui les assurent sans être rémunérés. Vous l'avez dit vous-même : c'est du travail. Vous avez établi une différence entre la rémunération et le travail effectué. Vous êtes ensuite revenu en arrière : c'est votre droit, chacun a sa propre logique...

M. Joseph Thouvenel. - Ne confondez pas le bénévolat et la gratuité avec le travail en entreprise. C'est autre chose. Au sens socio-chrétien du terme, tout ceci constitue du travail.

M. Jean Desessard. - Si les gens bénéficient d'un revenu de base leur permettant de passer du temps chez eux, il est hors de question d'accepter qu'ils ne s'occupent pas davantage de leurs enfants. Cela ne signifie pas que la valeur travail n'existe pas, mais on ne peut admettre que ceux qui sont rémunérés par une société riche qui n'a plus les moyens de donner du travail à tout le monde ne s'occupent pas de leurs proches. Cette faculté n'existe pas lorsqu'on doit se lever à cinq heures du matin pour aller faire le ménage dans les entreprises. On n'a alors même pas le temps de voir ses enfants partir pour l'école, et quand ils rentrent, on recommence à travailler.

La question fondamentale, qui a été soulevée, c'est le montant du financement. Est-il suffisant ? Si c'est le cas, cela pose des problèmes de fiscalité énormes, car si l'on donne 12 000 euros par an à des gens qui en gagnent déjà quatre mille, il est évident qu'il faut mener une réforme fiscale pour récupérer ces sommes. L'objectif n'est évidemment pas de donner 12 000 euros par an à tout le monde sans pouvoir les récupérer, soit par le biais de la TVA, soit par le biais de la fiscalité sur le revenu.

Quel est donc le montant acceptable pour la société ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Loin de nous l'idée de considérer que le revenu de base est destiné à lutter contre le travail et à en finir avec le travail !

Le travail ne se résume pas non plus au salariat, et ce depuis la nuit des temps. Nous vivons dans une période où la majorité des travailleurs sont salariés, mais toutes les formes de statuts existent et existeront sans doute après nous.

On est bien entendu en droit de défendre un statut particulier ou le travail bénévole. Je le défends aussi et nous sommes tout à fait en accord sur ce point. Ce qui est important, c'est de répondre à la question de savoir comment cette idée séduisante, généreuse, peut dépasser le stade de l'utopie et permettre, comme en Finlande - ce qui nous est d'abord apparu comme un paradoxe - de lutter contre le chômage, de remettre les gens au travail, d'en augmenter le taux.

Vous l'avez dit, il existe un risque de voir le travail mal valorisé, mal rémunéré, précaire, morcelé. Nous l'entendons bien. Voilà l'ensemble de questions que vous avez soulevées, dont on va certainement débattre...

Mme Chantal Richard. - Je désire intervenir sur l'expérimentation, sujet que je n'ai pas abordé dans mon propos liminaire.

Habituellement, la CFDT considère plutôt favorablement les expérimentations, mais on n'a pas défini à qui celle-ci s'adresse, ce que l'on veut en faire et les raisons pour lesquelles on veut la mener. Tout cela nous paraît précoce.

Même si elle n'a rien à voir avec le revenu de base en tant que tel, l'expérimentation d'ATD Quart monde appelée « Territoires zéro chômeur » remonte à des années et comporte aujourd'hui des objectifs et une évaluation. Cela ne peut se faire à la va-vite. Ce n'est pas mûr du tout, surtout dans le contexte actuel.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Nous sommes tout faits d'accord : on ne peut tenter une expérience si on ne sait pas où l'on va ni pourquoi on la mène. C'est une évidence.

Mme Marie Poissonnier, secrétaire confédérale au secrétariat général de la Confédération français démocratique du travail. - Nous nous interrogeons également sur les enseignements que l'on pourrait tirer d'une expérimentation à l'échelle d'un territoire ou d'une catégorie de la population. S'il s'agit d'un revenu universel et inconditionnel distribué à chacun, cela ne peut constituer une réforme additionnelle ou paramétrique, mais devrait s'articuler avec une réforme plus globale de la fiscalité, voire de l'organisation économico-sociale - que sais-je - très ciblée. Je ne sais dans quelle mesure on pourrait réellement en tirer des enseignements.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - C'est une question que nous nous posons également...

M. Alain Dru, secrétaire général de la Confédération générale du travail - Protection judiciaire de la jeunesse. - Ce n'est pas un hasard si mes amis de la CFDT se sont approprié une partie de mon intervention. C'est un sujet que nous voulions également aborder. L'idée que soutiennent un certain nombre d'associations comme ATD Quart monde sur cette question est celle consistant à lutter contre la pauvreté, et notamment contre le non-recours, qui est un vrai problème. Nous en sommes tous conscients, pour siéger ensemble au Comité national de lutte contre l'exclusion. On se rend bien compte que c'est une catastrophe.

S'il existe une précaution à prendre avant de se lancer dans une expérimentation, c'est bien de mieux cerner les personnes qui renoncent au recours, afin d'en avoir une idée extrêmement précise en fonction des territoires, afin de comprendre les mécanismes qui expliquent pourquoi ces personnes ne veulent pas revendiquer les droits auxquels ils peuvent prétendre. Le revenu de base étant universel, tout le monde y a forcément droit ! Cela éviterait que des gens, notamment dans les campagnes, renoncent à réclamer le RSA au secrétaire de mairie par crainte de la stigmatisation - sans parler de la difficulté des questionnaires.

Ce projet a été soutenu avec quelques nuances par l'ensemble des organisations syndicales, des partis politiques et du Conseil économique, social et environnemental (CESE). La question va au-delà de l'expérimentation. On va résoudre techniquement un certain nombre de questions sur des territoires parce qu'il reste une part de budget au ministère de la formation professionnelle, mais on ne pourra, demain, élargir le système, la question du financement n'étant pas résolue.

La question que soulève le revenu de base est de même nature : on trouvera le budget au stade de l'expérimentation, mais on ne pourra dépasser celui-ci.

Où le revenu de base fonctionne-t-il ? On peut citer de l'Alaska, qui est un tout petit État...

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Il s'agit d'une prime qui est versée grâce aux revenus tirés du pétrole...

M. Alain Dru. - En effet. Elle s'élevait à 2 300 dollars lorsque le prix du baril était au maximum.

À Las Vegas, cette prime est assise sur les bénéfices issus des jeux. La France dégage peu de revenus de ses casinos. Elle exploite peu le pétrole ou les matières premières. Je ne vois donc pas sur quelle base on pourrait asseoir le revenu de base.

Compte tenu du fait que celui-ci dépend du PIB, des choix devront s'opérer en situation de crise économique, au risque de recréer la trappe à pauvreté d'où on voulait sortir. La question de fond est donc celle de l'élargissement de l'expérimentation.

M. Gérard Mardinié. - Répondre à un problème qui ne concerne que 5 % de la population justifie-t-il d'impliquer l'ensemble de celle-ci, le revenu universel étant par principe versé à tout le monde, même aux enfants, après adaptation ? Pourquoi pas ? En tout état de cause, ce concept mérite d'être comparé à d'autres solutions.

De la même façon, quel pourcentage de la population le non-recours aux aides représente-t-il ? Ne peut-on répondre différemment à ce point précis ? Il faut que le revenu de base soit comparé de la manière la plus objective possible. Où est le pour, où est le contre ?

Il en va de même de l'expérimentation. Mener une expérimentation sans conclure en faveur d'une généralisation ne sert à rien. Étant donné que ce revenu concernerait l'ensemble de la population, il faudrait l'expérimenter sur une zone géographique où tout le monde en bénéficierait, mais on ne peut expliquer aux retraités que, dorénavant, cela empiétera sur leur revenu de base. Ils ont des droits acquis. Ce n'est donc pas simple.

Une expérimentation devrait selon moi être menée sur un échantillon représentant l'ensemble des ayants droit futurs. En revanche, il faut s'assurer auparavant qu'on peut en tirer quelque chose, sinon l'expérimentation ne sert à rien.

M. Pascal Pavageau. - Nous avons précisé que nous n'étions pas favorables à une logique d'expérimentation. Plusieurs arguments se rejoignent. Nous ne pouvons nous comparer à la Namibie s'agissant de la pauvreté ou de l'accès aux droits élémentaires. Il ne fait pas encore aussi froid ici qu'en Alaska, et nous ne sommes pas un casino de Las Vegas. Une expérimentation, dans la République dans laquelle nous nous trouvons encore, doit viser l'égalité de droits.

Que veut-on mesurer ? S'il s'agit de mesurer le retour à l'emploi, comme en Finlande, on est bien dans le piège qu'on évoque depuis tout à l'heure lorsqu'on parle de dénaturer l'emploi, d'accompagner l'uberisation et de forcer des gens qui ne voudraient pas retourner vers l'emploi. S'il doit y avoir une intervention pour aider un retour à l'emploi - moyens supplémentaires à Pôle emploi, structures territoriales supplémentaires - on doit mener une politique ciblée, financée, afin de revenir au plein-emploi. C'est un débat à part entière, mais qui n'a rien à voir avec le revenu de base.

S'il s'agit de lutter contre la pauvreté - le Conseil national de lutte contre la pauvreté (CNLE) en débat - c'est un débat avec la puissance publique, qui cherchera à financer la lutte contre la précarité énergétique, la paupérisation et la pauvreté. Dans ce cas, on parle d'une politique ciblée.

Nous restons totalement persuadés que la question du revenu de base remettra complètement en cause l'ensemble des fondamentaux de notre société, de l'égalité de droits et de la valeur travail. Nous maintenons que ce sont aujourd'hui les tenants économiques les plus ultralibéraux qui y poussent, de façon à pouvoir justifier la transformation du modèle économique et de l'emploi - uberisation, etc.

Je répète que le fait que le débat soit introduit par le Conseil national du numérique n'est pas anodin. Il n'y a pas plus ultralibéral que ce rapport ! Il s'agit d'une promotion de ce nouveau modèle, dont on se sert comme alibi pour casser les fondamentaux.

Quant à son financement, à partir du moment où plus personne n'a de revenu, il n'y a plus d'impôt sur le revenu non plus. Le modèle ne s'autofinancera pas : on tombera dans une paupérisation et une pauvreté générale. C'est un piège économique et social dans lequel nous ne voulons pas tomber !

Si l'on devait financer un revenu de base sans toucher à quoi que ce soit de ce qui permet de financer aujourd'hui les politiques publiques, les minima sociaux, etc., nous préférions que cette source de richesse nouvelle vienne abonder l'assurance chômage et les moyens consentis à la lutte contre la pauvreté, dans un cadre respectant le contrat de travail, qui a fait notre richesse.

Avec un revenu de base, la France ne serait pas recordman du nombre de travailleurs protégés : 93 % de nos travailleurs sont couverts par une convention collective ou par un statut. Ceci est bien dû au fait que nous avons lutté les uns et les autres, politiquement, comme socialement et syndicalement, contre les tentatives de dérives ultralibérales, et que nous ayons réussi à maintenir des droits collectifs.

Nous affirmons que le risque de transformation de notre société sur un plan quasi philosophique réside dans le fait de donner 300 euros, 900 euros, ou 2 000 euros, et de laisser ensuite les gens se débrouiller seuls, parce qu'il aura fallu financer ce système avec ce qui permet aujourd'hui de payer la solidarité et la redistribution collective républicaine !

M. Daniel Percheron, rapporteur. - Dans les manifestations, nous, élus de la majorité, n'avons pas beaucoup entendu parler du record du monde des travailleurs protégés...

M. Pascal Pavageau. - Je vous invite demain après-midi à 14 heures à la Bastille !

M. Daniel Percheron, rapporteur. - Mais que nous puissions en débattre intimement est réconfortant !

Ces échanges sont passionnants. Je vous remercie de vous livrer autant. Cependant, le monde entier, l'Europe et le pays, à leur manière, avec ce nouveau clivage opposant ceux d'en bas à ceux d'en haut, nous réclament d'adapter la protection au monde d'aujourd'hui et à ses incertitudes. Nous devons donc être très attentifs, en tant qu'élus, aux possibilités d'évoluer, sans remettre en cause quoi que ce soit.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - J'ai bien compris les positions des uns et des autres : elles ont le mérite de la franchise et de la clarté. Nous ne sommes pas là pour réaliser un rapport à l'eau de rose ou adouber qui que ce soit. Ce n'est pas le Conseil national du numérique - que nous avons auditionné - qui a soulevé la question. Certes, elle est posée à travers son rapport, mais beaucoup d'autres s'en sont saisis, et on peut penser que cela viendra dans le futur débat des élections présidentielles. Je vois mal certains candidats ne pas s'approprie la question pour « faire rêver ». Ce n'est pas ce que nous voulons ! Nous désirons poser raisonnablement un débat pour le ramener à sa juste proportion.

Beaucoup d'idées parmi celles que vous avez exposées sont fort justes et définissent les limites à ne pas dépasser dans la société qui est la nôtre, et que nous ne cherchons pas à remettre en cause. Il est évident que certains voudraient mettre à terre notre haut niveau de protection sociale. Telle n'est pas l'intention de la mission, ni à droite ni à gauche. Il s'agit de se poser la question à laquelle ni les uns ni les autres n'avons répondu jusqu'à présent de façon précise : comment avoir un très haut niveau d'emploi ? On ne peut pas dire qu'on a répondu à la question avec un niveau actuel de chômage à 10 %. Je sais que la CGT a des solutions. On l'entend répéter au Sénat à longueur de débats...

M. Pascal Pavageau. - Il faut les mettre en oeuvre !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Peut-être faut-il les mettre en oeuvre. Ce n'est pas un sentiment partagé par tout le monde. Vous n'êtes pour l'instant pas une majorité - en tout cas pas chez les politiques...

M. Pascal Pavageau. - Il n'y a pas non plus de majorité sur la loi travail !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Je ne dis pas le contraire, mais essayons de nous écouter pour avancer.

Ce qui me gêne beaucoup, c'est de voir des jeunes qui n'arrivent pas à s'insérer dans le marché du travail, et de rencontrer plus de 20 % de chômage chez eux ! Cela me retourne les tripes. Il suffit de l'avoir vécu chez soi ou autour de soi ou, lorsqu'on est élu, de recevoir à longueur de journée des jeunes qui viennent plaider leur cause pour entrer dans la collectivité, qui n'en peut mais ! Un senior, à cinquante-cinq ans, n'est pas fichu ! Nous en sommes ici la meilleure preuve, puisque nous travaillons toujours et qu'on a en général dépassé cinquante-cinq ans ! Voilà deux populations concernées par la valeur travail et, tout simplement, par le travail.

Ces questions ressurgissent à travers le débat. Vous avez rappelé qu'une expérimentation limitée dans le périmètre du chômage de longue durée était engagée. Les deux se recoupent, mais cela ne représente pas tout. Peut-être ce débat sur le revenu de base est-il l'occasion de remettre ces questions sur le tapis et d'essayer de les poser d'une autre façon.

Vous allez me dire que c'est aux politiques publiques d'y répondre. Bien sûr ! Je ne le nie pas. C'est d'ailleurs bien la question que nous posons. Nous sommes en train d'essayer d'inventer une nouvelle politique publique. C'est notre rôle, tout comme c'est également le vôtre d'y contribuer.

M. Joseph Thouvenel. - Je reviens sur ce que j'ai dit : tant qu'on aura une concurrence déloyale en matière fiscale, environnementale et sociale, le reste sera littérature !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - C'est très juste, mais cela ne résoudra pas le problème : nous avons nos propres responsabilités !

M. Joseph Thouvenel. - En effet, le coeur du sujet est sans doute là. Le reste demeure à la marge.

Bien évidemment, il faut étudier l'expérimentation qui se déroule en Finlande, en mesurant aussi que les différences culturelles peuvent faire qu'avec les mêmes règles, on arrive à des résultats différents. Nous ne sommes pas finlandais ! Il n'est besoin que de mesurer la différence qui existe entre nos amis Alsaciens et nos amis de Marseille !

Par ailleurs, on n'a pas insisté sur le risque de développement du travail illégal, qui est certain, et qu'il faut pouvoir mesurer.

Enfin, s'il faut absolument un segment pour expérimenter le revenu de base, expérimentons-le avec les parents qui s'arrêtent de travailler pour éduquer leurs enfants. Beaucoup ne peuvent aujourd'hui le faire parce qu'ils n'en ont pas les moyens financiers. Ce serait offrir un choix, un espace de liberté, à un segment de population sur lequel on pourrait l'expérimenter.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Voilà une belle idée supplémentaire !

Mme Chantal Richard. - Je voudrais revenir sur le non-recours, les minima sociaux, et la simplification administrative.

Je ne pense pas que le revenu de base soit la solution miracle pour résoudre le problème du non-recours au RSA. Cette question est une réalité. Le dossier compte dix-sept pages et nécessite de nombreuses copies.

Remplir un dossier administratif constitue une façon de rencontrer les gens en difficulté, et permet de les accompagner en cas de besoin. Il ne faut donc pas faire de raccourcis.

Le non-recours se rencontre plus dans le cas du RSA activité que dans celui de la prime d'activité. Il faut donc se pencher sur ce sujet, sans présenter le revenu de base, de manière simpliste, comme la solution aux problèmes que l'on constate aujourd'hui, quels qu'ils soient.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Je l'ai bien noté.

M. Daniel Percheron, rapporteur. - Je n'ai aucune objection à formuler.

M. Boris Plazzi. - Il existe quelques mesures que le législateur pourrait prendre pour lutter contre la pauvreté et l'exclusion.

Le chômage est source de précarité et de pauvreté. Ne plus faciliter les licenciements constitue une mesure pour lutter contre le chômage, comme à Alstom Belfort...

M. Daniel Percheron, rapporteur. - Interdire les licenciements ?

M. Boris Plazzi. - Arrêter de les faciliter...

M. Daniel Percheron, rapporteur. - Il y a une nuance !

M. Boris Plazzi. - En effet ! Aujourd'hui, n'importe quelle entreprise, quel que soit son carnet de commandes ou les bénéfices qu'elle réalise, licencie comme elle le veut, favorisant la précarité, envoyant des personnes au chômage, les condamnant à la misère. C'est une petite mesure : on peut agir tout de suite !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Nous ne sommes pas tout à fait d'accord sur ce point...

M. Boris Plazzi. - Vous pouvez ne pas être d'accord. Les chiffres parlent d'eux-mêmes !

En matière de chômage des jeunes, je suis comme vous. Cela me remue également les tripes quand des jeunes ne trouvent pas d'emploi. J'ai été jeune - on l'a tous été à un moment ou un autre. Une politique volontariste qui s'adresserait à la jeunesse et aux entreprises pour les contraindre à se tourner vers des jeunes qui sont souvent très diplômés, qualifiés, disponibles et motivés, participerait efficacement à l'éradication de la pauvreté et de la précarité.

Dernier cas sur lequel vous pouvez agir en tant que législateur. Le 1er janvier 2017 interviendra l'augmentation du SMIC. Je vous invite à considérer que les 0,5 %, 0,6 % ou 0,8 % d'augmentation ne sont pas suffisants pour lutter contre la pauvreté ! Le pays compte deux millions de « smicards ». Deux millions de personnes vivent avec 1 160 euros par mois. Si vous voulez lutter contre la pauvreté - comme tout le monde - il existe des mesures qui peuvent s'appliquer dès le 1er janvier 2017 ! C'est votre rôle. On n'a pas de pétrole, mais on a plein d'idées : il n'y a plus qu'à les mettre en oeuvre !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Nous ne fixons pas le SMIC, je le précise.

M. Boris Plazzi. - Vous avez certainement un rôle à jouer.

M. Yannick Vaugrenard. - Nietzsche disait : « C'est la certitude qui rend fou ». Je n'ai donc pas de certitude. Cette mission est une mission d'information. Nous sommes là pour nous informer et nous forger une opinion. Pour moi, il n'existe pas de solution toute faite, qu'elle soit économique ou sociale, mais des discours qui font plaisir à ceux qui les écoutent.

Je veux faire preuve de beaucoup d'humilité. Je suis l'auteur d'un rapport sur la pauvreté, et j'interviens demain matin devant le Conseil national de lutte contre les exclusions, le CNLE, sur le vingt et unième critère de discrimination, une proposition de loi que j'ai déposée au Sénat, où elle a été adoptée à l'unanimité, moins quelques abstentions, ainsi qu'à l'Assemblée nationale.

Si j'ai voulu participer à cette mission d'information, c'est parce que je trouvais cruel le phénomène du non-recours. Le président du CNLE, M. Étienne Pinte, le rappelait : le non-recours représente dix milliards d'euros, ce qui est énorme !

Le RSA activité, selon M. Martin Hirsch lui-même, est un échec absolu, parce qu'il est compliqué, et délicat sur le plan administratif. Les hommes et les femmes - et, de plus en plus, les enfants - qui sont en situation de grande précarité en ont assez de raconter leur histoire une fois, deux fois, trois fois.

J'ai rédigé un certain nombre de préconisations. Je trouve terrible que nous soyons l'un des pays où la protection sociale est la plus forte pour ceux qui ont un travail, mais non pour les autres. Aujourd'hui, on compte deux millions de chômeurs. C'est un chiffre extrêmement important. Entre 9 % et 10 % de la population se situe en dessous du seuil de pauvreté, soit 987 euros par mois. Un enfant sur cinq est pauvre - un sur deux dans les zones urbaines sensibles.

Il s'agit d'une question d'urgence absolue. C'est pourquoi je participe à cette mission. Des propositions de loi pourraient être déposées. On pourrait prendre en considération ce qui a été dit par les uns et les autres. J'ai écouté chacun avec beaucoup d'attention. Je crois qu'il est indispensable de mener une expérimentation - avec les risques que cela peut bien entendu comporter - afin de sonder le terrain, puisqu'il n'existe nulle part de solution toute faite, pas plus en Finlande qu'ailleurs.

Il faut essayer de comprendre la réalité, mais en partant du fait qui, selon moi, s'impose à tous : cette pauvreté qui sévit dans notre pays - le pays des droits de l'homme - doit être impérativement combattue. Comment faire ? Le phénomène de non-recours est extrêmement important. Les choses ne se régleront pas d'un coup de baguette magique : nous devons être les porte-paroles de ceux qui n'ont plus la force de s'exprimer !

Je m'interroge, mais je n'ai pas de réponse. La réunion d'aujourd'hui ne m'en apporte pas. Tout juste fournit-elle quelques éclairages et dégage-t-elle quelques éléments que vous avez fournis les uns et les autres. Certains remèdes peuvent être pires que le mal. Soyons prudents. De grâce ! Faisons preuve d'une certaine forme de modestie et d'humilité. C'est compliqué, c'est difficile, mais l'objectif doit être partage par tous : il s'agit de lutter contre la pauvreté, et le plus rapidement possible !

Le revenu de base peut constituer un élément de cette lutte, à condition qu'on ne mette pas de côté les allocations chômage ou notre système de protection sociale. Ce ne peut être qu'un plus par rapport aux droits sociaux que nous sommes parvenus à conquérir collectivement, syndicalement et politiquement. On ne peut fermer la porte. Elle est ouverte. On a mis le pied en travers : essayons de voir comment cela peut fonctionner. Avançons en évitant les écueils, afin de déterminer si cela peut permettre d'éviter la grande pauvreté et l'exclusion.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - J'en ferai bien volontiers ma conclusion ! Cela permet à chacun d'être devant ses responsabilités, vous comme nous. Essayons d'avancer ensemble. J'espère que le rapport que nous publierons le 12 octobre vous conviendra. Vos auditions y seront reprises, et nous essayerons de les traduire de façon synthétique dans une proposition que je ne connais pas à ce stade, puisque nous n'en avons pas encore débattu à ce jour.

Audition de M. Louis Gallois, président du Fonds d'expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée

M. Jean-Marie Vanlerenberghe président. - Mes chers collègues, nous recevons maintenant M. Louis Gallois, président du Fonds d'expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée.

Votre mission recoupe, monsieur le président, une préoccupation qui ressort de nos travaux, même si le revenu de base ou le revenu universel ne concerne pas uniquement les chômeurs de longue durée. Il nous est apparu utile au fil de nos auditions de recueillir votre point de vue, dans la mesure où vous avez mis en place l'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ».

L'objet de l'audition est de nous éclairer sur cette expérience ainsi que sur les conditions de mise en oeuvre du Fonds d'expérimentation. Nous partageons en effet cette idée d'expérimentation, mais pour le revenu de base. Nous souhaiterions nous entretenir avec vous de la question des obstacles à éviter en la matière.

M. Louis Gallois, président du Fonds d'expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée. - Je vous remercie de m'avoir convié à m'exprimer sur ce sujet.

Je présenterai d'abord l'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Nous verrons ensuite si l'on peut établir un lien entre ce projet et l'idée du revenu de base, sur laquelle je suis amené à réfléchir au sein de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale, la FNARS, que je préside et qui réunit les grandes associations de solidarité. Cette réflexion n'est pas achevée et les opinions sont assez divergentes au sein de cette fédération. Ce débat paraît d'ailleurs naturel s'agissant d'une question aussi importante.

Le projet « Territoires zéro chômeur de longue durée », qui a été élaboré par ATD Quart Monde, repose sur trois constats qui peuvent ne pas paraître évidents : personne n'est inemployable ; il y a du travail pour tous ; il y a de l'argent.

Premier point, personne n'est inemployable : c'est le postulat de départ. Il est trop facile de dire qu'un chômeur de longue durée devient inemployable. Ainsi, nous considérons au sein de la FNARS que toute personne est employable dès lors que l'on s'en donne les moyens, d'une part, en définissant les emplois que ces personnes peuvent occuper et, d'autre part, en les accompagnant et en les aidant à accéder à ces emplois.

Deuxième point, ce n'est pas le travail qui manque. C'était pour moi une découverte, dans la mesure où je ne suis pas membre d'ATD Quart Monde - ce mouvement ne fait d'ailleurs pas partie de la FNARS, ce que je regrette. Il suffit cependant pour s'en convaincre de considérer quels sont, dans des territoires donnés, les tâches d'intérêt collectif à effectuer et les emplois non marchands susceptibles d'être occupés. En réalité, il y a beaucoup plus d'emplois que de chômeurs de longue durée, et des emplois d'une grande diversité : animation d'un club photo, mobilité des personnes isolées en zone rurale, nettoyage des sous-bois, désherbage...

Troisième point, il y a de l'argent disponible. Selon les calculs d'ATD Quart Monde, un chômeur de longue durée coûte entre 18 000 et 20 000 euros par an à la nation. C'est à peu près le niveau du SMIC brut. L'idée est de financer de l'emploi en économisant ce coût. Ce concept général a donné lieu à une loi votée à la quasi-unanimité à l'Assemblée nationale et à l'unanimité au Sénat.

La procédure a été complexe pour aboutir au décret, puisqu'il a dû être approuvé par quatre entités : le Conseil supérieur de l'économie sociale et solidaire, le CSESS, le Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles, le CNEFOP, le Conseil d'État, et le Conseil de la simplification pour les entreprises. Ce fut une autre de mes découvertes... Mais Mme El Khomri s'est débrouillée pour que cette procédure se déroule en moins d'un mois.

La loi ayant été votée et le décret publié, nous avons pu élaborer l'appel à candidatures et l'envoyer aux territoires candidats à l'expérimentation à la fin du mois de juillet. La réponse doit nous être apportée avant le 28 octobre. Nous attendons entre 40 et 50 candidatures. Certains feront peut-être machine arrière, car le dossier est complexe à constituer. Actuellement, environ une soixantaine de territoires sont intéressés.

L'expérimentation doit porter au maximum sur 10 territoires, comptant chacun 6 000 à 10 000 habitants. Seraient concernés de 200 à 250 chômeurs de longue durée par territoire. En tout, et c'est la contrainte budgétaire qui nous est imposée, 2 000 personnes bénéficieront donc d'un emploi. Nous souhaitons que ce public soit d'une grande diversité.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Dans le texte que nous avons voté, il était plutôt question de bassins d'emploi...

M. Louis Gallois. - Il faut que le dispositif soit gérable et qu'un comité local puisse se constituer une entité. Si l'on avait retenu l'échelle du bassin d'emploi, seules une ou deux expérimentations auraient été possibles.

Le processus de sélection est inclus dans l'appel à candidatures. Outre les critères de type « oui/non », sont prévus des critères classants qui permettront de choisir les meilleurs territoires.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - N'y a-t-il pas déjà 5 territoires prédéterminés ?

M. Louis Gallois. - On a pensé à certains territoires, mais ils ne sont pas prédéterminés...

Nous sommes confrontés à un problème d'égalité d'accès de tous les territoires à cette expérimentation. On ne peut pas dire a priori que certains d'entre eux seront dispensés de concourir.

La liste des territoires que nous allons établir sera validée par le ministre de l'emploi, qui devra constater que nous avons respecté la procédure prévue. Ce point est très important, car nous sommes soumis à de très nombreuses pressions. Notre démarche doit donc être tout à fait professionnelle.

Nous suivons pour cela quelques principes essentiels.

Le premier est l'exhaustivité. Grâce aux collectivités locales, nous disposons pour chaque territoire de la liste exhaustive des chômeurs de longue durée. Chacun d'entre eux sera contacté et, s'il le souhaite, devra pouvoir postuler. Tous ceux qui seront candidats bénéficieront d'un emploi.

M. Jean Desessard. - Quel sera le délai entre le moment où la personne postule à un emploi et celui où elle l'obtient ?

M. Louis Gallois. - Dès lors que l'expérimentation sera lancée, ce sera rapide. Les capacités de la personne seront examinées lors d'un entretien, de même que ses souhaits : veut-elle travailler à temps partiel ou à plein temps ? Accepte-t-elle d'être payée au SMIC, d'être embauchée en CDI ? Un emploi se rapprochant autant que possible de ce que veut le candidat doit lui être proposé.

Le deuxième principe est la non-concurrence. Le seul moyen de s'assurer que ce principe est respecté est d'interroger ceux qui pourraient souffrir d'une éventuelle concurrence. Il est donc très important que les entreprises soient associées à l'expérimentation dans les territoires concernés et puissent s'exprimer.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Ce principe s'applique-t-il par rapport au secteur marchand ?

M. Louis Gallois. - Oui. Pour ce qui concerne le secteur public, les syndicats veilleront à ce que le dispositif n'entre pas en concurrence, par exemple, avec le travail des employés municipaux.

Le troisième principe est la mobilisation de l'ensemble des acteurs du territoire ayant leur mot à dire en matière d'emploi : collectivité locales, entreprises, syndicats, Pôle emploi, direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE). Il s'agit là d'un critère non pas classant mais de type « oui/non ».

Sans mobilisation de l'ensemble du territoire, l'expérimentation ne pourra pas fonctionner. Dans les 5 territoires que vous évoquiez, monsieur le président, tous les acteurs sont mobilisés.

La gestion du dispositif, j'y suis attaché, devra rester aussi locale que possible. Cela ne sera pas évident, car le financement, dont le Fonds d'expérimentation sera responsable et qu'il gérera, sera central. Il est très important que les comités locaux pilotent les entreprises « à but d'emploi », les EBE, qu'ils auront créées dans chaque territoire, et dont ils recrutent actuellement les directeurs.

Les EBE embaucheront les chômeurs de longue durée et les mettront à disposition des différentes entités - agriculteurs, mairies, associations... - qui souhaitent travailler avec eux. Il y aura 1 ou 2 EBE par territoire, voire 3 dans les plus importants.

Le budget dont sera doté le Fonds d'expérimentation est actuellement négocié avec le ministre de l'emploi. Ses ressources proviendraient en partie de la contribution des entités ayant recours aux services des chômeurs de longue durée embauchés par les EBE. Les départements participeraient également à son financement, dès lors qu'ils n'auraient plus à verser le RSA. Pour le reste, l'État donnera une enveloppe dont le montant, je le répète, n'est pas encore déterminé. Nous estimons ce montant, en année pleine et pour 2 000 emplois assurés, à environ 20 millions d'euros. Mais cette montée en régime n'aura pas lieu immédiatement, car les premières EBE seront créées au plus tôt au début de l'année prochaine.

Notre objectif est d'établir une liste de territoires le plus rapidement possible afin que nous puissions engager l'expérimentation, au moins partiellement, dès le 1er janvier 2017.

Le Fonds d'expérimentation est une association. Le premier conseil d'administration s'est d'ores et déjà réuni ; le deuxième se tiendra la semaine prochaine. Il est assez pléthorique, mais un bureau plus resserré aura la responsabilité de gérer les fonds reçus et de financer les EBE ; il négocie également son propre budget de fonctionnement, car un effectif de 4 à 6 personnes sera nécessaire pour piloter les opérations au départ.

Qu'en sera-t-il des territoires qui ne seront pas retenus ? Ils constituent, selon nous, un potentiel et nous ne voulons pas les décourager. Nous souhaitons, si la première phase de l'expérimentation est un succès, qu'une deuxième, plus vaste, soit engagée afin de valoriser pleinement les potentialités du mécanisme.

L'évaluation est un point très important. Le décret prévoit la constitution d'un comité scientifique composé, entre autres membres, d'universitaires et de statisticiens. Nous bénéficierons aussi du soutien de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES.

Il nous faudra, tout d'abord, évaluer l'exhaustivité : a-t-on identifié tous les chômeurs de longue durée ? Combien ont été reçus ? Combien se sont portés volontaires pour participer à l'expérimentation ?

Il n'y aura pas 100 % de volontaires. Il faut savoir que certains chômeurs de longue durée qui sont sortis des statistiques de Pôle emploi et ne touchent aucune indemnité chômage ont trouvé des équilibres de vie, et parfois des ressources partielles. Ils ne veulent pas remettre en cause cet édifice fragile au profit d'une expérimentation dont ils ne savent pas ce qu'elle deviendra.

Il faudra, ensuite, analyser les résultats en termes de résorption de chômage de longue durée et de création d'emplois supplémentaires, vérifier que ceux-ci ne sont pas des emplois de substitution par rapport aux emplois existants, connaître le degré de satisfaction des personnes les ayant occupés, mesurer le succès des EBE et le « turn over », c'est-à-dire combien de temps les chômeurs restent dans ces emplois et combien d'entre eux trouvent un emploi marchand.

Il conviendra, enfin, d'examiner l'impact sur les finances publiques. Quelles prestations sociales, quels coûts, individualisables ou non, ont-ils été économisés ? Combien le nouveau dispositif aura-t-il coûté ? Le bilan est-il équilibré ?

Nous ne cherchons pas à faire des économies par rapport au système actuel. Il s'agit non pas de supprimer le RSA, par exemple, mais d'utiliser l'argent existant pour permettre aux personnes de retrouver un travail.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Les ressources dont bénéficient les chômeurs de longue durée sont donc transférées aux EBE pour financer l'emploi ?

M. Louis Gallois. - C'est l'objectif à atteindre. Mais pour amorcer la pompe, il faudra d'abord des financements publics pour partie. Il sera en effet très compliqué de rassembler toutes les allocations, mis à part le RSA.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Au sein des collectivités territoriales, la problématique est différente : nous ne transférons pas de fonds aux entreprises, nous donnons un revenu aux individus.

M. Louis Gallois. - Dernier point : il faudra évaluer l'impact sur l'économie globale, par exemple en termes de distribution de pouvoir d'achat et de coût de fonctionnement des EBE, et déterminer si ces entreprises peuvent ou non assurer leur pérennité.

M. Daniel Percheron, rapporteur. - Votre présentation présente beaucoup de similitudes, notamment chiffrées, avec ce que nous avons entendu à Helsinki. C'est en Finlande, où le taux de chômage est de 8 % et la protection sociale remarquable - le cumul des allocations peut aboutir à 1 800 euros par mois ! -, que l'idée du revenu de base a été lancée. Mais les Finlandais sont revenus sur cette idée en limitant, comme vous, ce revenu au chômage de longue durée. L'échantillon retenu est également de 2 000 personnes.

Le problème qui se pose en Finlande est de savoir si le cumul de ce revenu de base avec les prestations sociales essentielles - l'APL, par exemple - peut favoriser la reprise de l'emploi. Le taux d'emploi dans ce pays est actuellement de 69 %. Les Finlandais cherchent à atteindre celui de la Suède, soit entre 72 et 73 %.

M. Louis Gallois. - En France, le taux est de 56 ou 57 %...

M. Daniel Percheron, rapporteur. - Ma question n'est pas malicieuse, mais les territoires qui ne seront pas retenus pourraient-ils concourir à une expérimentation du revenu de base ? Ou bien voyez-vous une contradiction entre les deux ou une complication supplémentaire ?

M. Louis Gallois. - Non, je n'y vois pas de contradiction. Sur le revenu de base, la FNARS n'a pas encore pris position, aussi m'exprimerai-je à titre personnel.

Nous ne voulons pas désespérer les territoires non retenus ; nous souhaitons au contraire qu'ils se préparent, car cette phase de préparation est très longue. Vous évoquiez, monsieur le président, les cinq territoires préconisés. Cela fait deux ans qu'ils y travaillent ! Faire l'inventaire complet des chômeurs de longue durée, contacter chacun d'entre eux, aller les chercher - ils ne viennent pas aux convocations ! - est un travail considérable. On veut leur dire qu'il y aura une seconde vague, et que nous allons nous battre pour qu'il en soit ainsi.

Cela étant dit, certains territoires peuvent être ouverts à l'idée d'expérimenter le revenu de base en attendant.

M. Jean Desessard. - Pourquoi attendre que tout le monde soit d'accord ? Vous dites qu'il faut deux ans de préparation. C'est inquiétant, car cela signifie que la mandature qui a lancé ce projet n'en verra pas les retombées positives.

M. Louis Gallois. - Comme l'Assemblée nationale et le Sénat ont voté à l'unanimité, je n'imagine pas que le processus soit interrompu !

M. Jean Desessard. - Vous êtes un homme de consensus !

Mais si deux territoires sont d'ores et déjà très actifs, il serait intéressant de les faire commencer tout de suite, pour voir les difficultés techniques du dispositif. Cela permettrait aux autres territoires de les éviter. Je vois bien l'intérêt de lancer l'expérimentation pour tous en même temps : cela nous donnera des repères ; si ce n'est pas satisfaisant dans un territoire, les neuf autres pourront compenser pour assurer la fiabilité de l'étude...

Mais, j'insiste, pourquoi ne pas expérimenter tout de suite dans un ou deux territoires pour observer les difficultés techniques ? Quel type d'emplois recherche-t-on ? Dispose-t-on des formateurs ?...

M. Louis Gallois. - Vous allez dans le sens du directeur de cette expérimentation, M. Patrick Valentin, qui a inventé ce dispositif. C'est un homme extraordinaire, qui a trente ans d'expérience dans le domaine de l'insertion par l'activité économique.

M. Jean Desessard. - C'est flatteur de me comparer à lui !

M. Louis Gallois. - Il vient d'ATD Quart Monde, mais il est aussi un entrepreneur. Il est favorable à l'idée de faire démarrer tout de suite les territoires qui sont déjà prêts. En tant que vieux briscard - c'est le bénéfice de l'âge ! -, je l'ai mis en garde contre les éventuels recours contentieux. Il y a 10 places pour 60 candidats. Si nous commençons par choisir deux territoires qui nous paraissent remplir les critères, il n'y aura plus que 8 places. Cela créerait une inégalité au sein de cette procédure publique, qui est financée par de l'argent public. On s'exposerait, je le répète, à des recours contentieux.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Est-ce parce que vous voulez que soient recensés tous les candidats potentiels, c'est-à-dire tous ceux qui sont au chômage de longue durée ?

M. Louis Gallois. - Non, je parle des territoires candidats. Actuellement, nous avons 50 territoires intéressés. Peut-être qu'une quarantaine d'entre eux pourront déposer un dossier. Sur ces 40, nous ne pouvons pas choisir a priori. Nous avons des critères, il faut que nous les appliquions. Comme c'est un concours et non un examen, il nous faut des critères classants. Or, pour classer, il faut tout le monde ! On ne peut pas permettre à certains d'être hors concours.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - J'entends bien que vous essayez d'être très loyal.

M. Louis Gallois. - Nous n'avons pas le choix !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - J'imagine les pressions dont vous allez faire l'objet de la part de tous les politiques.

M. Louis Gallois. - C'est déjà fait !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Je n'imagine pas que Mme la ministre n'y mettra pas son nez.

M. Louis Gallois. - Je déconseille vivement à Mme la ministre de le faire, par prudence, car elle fera des mécontents. Il y aura 40 mécontents pour 10 retenus !

M. Jean Desessard. - Elle en a déjà fait pas mal !

M. Louis Gallois. - Quand ce sont des élus...

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Pourquoi attendre d'avoir recensé tous les chômeurs de longue durée ?

M. Louis Gallois. - On n'attend pas ! Nous avons besoin qu'ils soient listés et qu'ils aient été contactés. Ensuite, leurs réponses arriveront progressivement... Certains vont hésiter et, si ça marche, ils viendront.

Les plus difficiles à joindre sont les jeunes. Ils ont l'impression de se faire embrigader. Il ne faut pas que les propositions soient assimilées aux travaux d'intérêt général qui servent de peines alternatives à la prison, même si, en l'occurrence, ils seront payés !

Il faudra convaincre ces jeunes. Cela se fera progressivement. C'est un pari, je ne vous le dissimule pas, et cette méthode est très étrangère à la France. Il est bon de ne pas se lancer d'un seul coup dans un processus national.

On ne peut pas imposer ce dispositif à des personnes qui ne voudraient pas y participer.

M. Daniel Percheron, rapporteur. - Il ne faut ni posture nationale ni médiatisation excessive, mais une participation des acteurs du terrain.

M. Yannick Vaugrenard. - Monsieur Gallois, vous êtes certainement plus à l'aise pour nous répondre aujourd'hui sur la question qui nous préoccupe que si vous étiez toujours responsable de la SNCF, compte tenu de la période que nous traversons...

Cette expérimentation est une très belle ambition. Mais on peut craindre les difficultés d'une telle entreprise. Je pense en particulier à la question de l'encadrement des chômeurs de longue durée. Qui les suivra - un responsable de collectivité locale, une personne dans l'entreprise ? Cela suppose des coûts. Or les conservatismes existent partout, à gauche comme à droite. Comment faire pour que le coût ne soit pas trop élevé, ce qui conduirait à un recul du volontarisme ?

ATD Quart Monde estime de 18 000 à 20 000 euros le coût d'un chômeur de longue durée, soit l'équivalent du salaire médian (1 656 euros). Comment le calcul a-t-il été fait ?

M. Louis Gallois. - Le SMIC annuel brut s'élève à 17 600 euros. ATD Quart Monde a fait une étude extrêmement complète que je peux leur demander de vous fournir. Je ne dis pas que ce chiffre est exact à 1 000 euros près ; mais c'est un ordre de grandeur qui montre que l'on peut financer le SMIC.

M. Yannick Vaugrenard. - Cela nous permet d'avoir des éléments de réponse qui correspondent à la réalité.

Je vais me faire l'avocat du diable pour ma dernière question. Les jeunes vivent des situations de plus en plus difficiles et ont du mal à trouver un emploi, alors même qu'on leur demande toujours davantage de diplômes. Que répondre à ceux qui nous disent qu'au lieu de s'occuper des chômeurs de longue durée, on ferait mieux de s'occuper des jeunes ?

M. Louis Gallois. - Les EBE sont des structures très légères : elles embauchent et mettent à disposition. Pour certains chômeurs de longue durée, il faudra un accompagnement. Le secteur associatif sait faire cela. Je suis à la tête d'un réseau qui réunit l'essentiel des structures d'insertion par l'activité économique, la FNARS, et nous savons ce qu'est l'accompagnement.

Dans les EBE, nous pourrons embaucher des personnes susceptibles de nous aider. De nombreux chômeurs de longue durée - par exemple, des comptables - ont plus de 50 ans, et ne sont donc pas embauchables ailleurs, alors même qu'elles ont des capacités.

En ce qui concerne les jeunes, dès lors qu'ils sont au chômage depuis plus d'un an, ils sont considérés comme des chômeurs de longue durée. Mais nous devrons faire un effort particulier pour aller les chercher, car ce ne sont pas ceux qui viennent le plus spontanément.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Il faudra travailler avec les missions locales.

M. Louis Gallois. - Bien sûr, elles sont parties prenantes.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - J'en préside une. C'est déjà un problème pour elles de recenser tous les jeunes. Nombre d'entre eux ne veulent pas entrer dans le dispositif.

M. Louis Gallois. - Les jeunes sont une priorité : 150 000 jeunes sont chaque année sans emploi, sans formation et sans revenu.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Il existe la Garantie jeunes, une expérimentation qui a été prolongée...

M. Louis Gallois. - ... et amplifiée. La loi Travail a augmenté le nombre de jeunes qui pourront en bénéficier.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Cette expérimentation devait se terminer à la fin de 2017. Elle concernait 80 000 jeunes ; ce chiffre va doubler. Pour les jeunes les plus éloignés de l'emploi, c'est déjà une réponse.

M. Louis Gallois. - Les missions locales ont énormément de difficultés à aller chercher ces jeunes.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - On peut certes fixer le chiffre à 150 000 jeunes, mais je peux vous dire que la mission locale que je préside a, malgré ses efforts, du mal à remplir ses objectifs.

M. Louis Gallois. - Il est plus facile de s'occuper d'une personne volontaire que d'une autre qu'il faut aller chercher, pour laquelle il faut déployer des efforts plus importants.

Actuellement, 25 % de la population des centres d'hébergement que nous gérons sont des jeunes de 18 à 25 ans. Il y a dix ans, ce pourcentage était de l'ordre d'epsilon.

M. Daniel Percheron, rapporteur. - Venons-en au revenu de base.

M. Louis Gallois. - Pour moi, le revenu de base soulève des questions très lourdes, en premier lieu celle de son financement. Ses défenseurs sont très divisés : les ultra-libéraux y voient une alternative à la protection sociale ; d'autres, l'occasion donnée à chaque personne de gérer son projet personnel.

Je suis interloqué par les chiffres. Un revenu de base à 800 euros par personne, soit à peu près le minimum vieillesse, coûterait de l'ordre de 600 à 650 milliards d'euros, c'est-à-dire environ le budget social de la nation. Alors, certes, il y aura un effet de substitution - le RSA disparaîtrait, etc. Mais ce n'est pas avec les 20 milliards d'euros des minima sociaux que l'on va le financer. Si l'on réduit trop le revenu de base, on retombe sur le RSA.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - C'est la base qui est le plus souvent proposée.

M. Louis Gallois. - Si l'on étend le RSA à tous les Français, le fisc pourra le reprendre à ceux qui payent l'impôt sur le revenu, mais près de la moitié des Français n'y sont pas soumis. Le coût net devrait être de l'ordre de 45 milliards d'euros, soit plus de 2 points de PIB.

Si l'on instaure un revenu de base égal au RSA, qui seront les gagnants et les perdants ? C'est extrêmement complexe à déterminer, mais la suppression d'un certain nombre d'allocations entraînera nécessairement un grand nombre de perdants : ceux qui sont un peu moins pauvres que les plus pauvres.

Enfin, j'estime que, dans une société, il ne doit pas y avoir de salaire sans travail. Cet « argent distribué par hélicoptère », comme disent certains, encourage le débat détestable sur l'assistanat.

Le revenu de base modifiera les équilibres macroéconomiques de notre pays. Il faut donc lancer ce système que si l'on est certain du résultat, pour ne pas casser la machine.

Vous l'aurez compris, cette idée ne suscite pas un enthousiasme délirant de ma part. Mais je lis beaucoup sur le sujet, pour ne pas en rester à ma seule intuition. Je suis plutôt sur la ligne du rapport Sirugue : simplifier les minima sociaux. C'est une aventure compliquée - les Anglais sont engagés dans ce processus depuis quatre ans. L'allocation unique, avec des modulations pour tenir compte soit des projets d'insertion, soit des handicaps spécifiques, me paraît être une perspective beaucoup plus riche.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Faut-il l'expérimenter ?

M. Louis Gallois. - Ce serait intéressant de le faire sur un territoire cobaye, pour voir les effets de bord.

La croissance ne suffira pas. On ne résoudra pas le chômage de longue durée sans expérimentation, car les entreprises n'embaucheront pas de chômeurs de longue durée. Elles recruteront d'abord les chômeurs de courte durée.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Vous connaissez sans doute André Dupon, le président de Vitamine T, qui se dit prêt à embaucher tous les chômeurs de longue durée dans le cadre de l'expérimentation et recommande - il m'a d'ailleurs convaincu - que l'on ouvre le système au secteur marchand, avec la perspective pour les entreprises de toucher les aides.

M. Louis Gallois. - C'est de la main-d'oeuvre gratuite.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Non, il faut quand même payer le complément pour atteindre le SMIC.

M. Louis Gallois. - Je connais bien André Dupon, qui est imaginatif et enthousiaste. Je discuterai d'ailleurs avec lui dans un avenir proche, puisqu'il souhaite participer à l'expérimentation pour Vitamine T.

Il faut veiller à ne pas créer une nouvelle catégorie d'emplois aidés. Les GEIQ, les groupements d'employeurs pour l'insertion et la qualification, qui réunissent aussi bien des entreprises de taille honorable comme Vinci que des plus petites, se sont fixés comme objectif l'embauche de chômeurs de longue durée. Qu'une aide transitoire soit prévue sous forme de soutien financier et d'accompagnement de l'entreprise et du salarié, j'y suis favorable. Les entreprises ont un rôle à jouer dans l'immersion et dans le contact avec le secteur marchand : stages, contrats de professionnalisation...

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - C'est le cas avec la Garantie jeunes. Un jeune doit obligatoirement passer la moitié de son temps en immersion. Il faut donc un panel d'entreprises volontaires. Sur le territoire de ma mission locale, à Arras, près de 200 entreprises sont prêtes à accueillir des jeunes dans ce cadre. Sinon, cela ne marche pas !

M. Louis Gallois. - Les GEIQ sont des institutions intéressantes. Les entreprises doivent s'y mettre. Ne nous faisons pas d'illusion : sans mécanisme spécifique pour les chômeurs de longue durée, sans formations, sans expérimentations, sans discussions avec les entreprises, via le MEDEF ou les GEIQ, on ne réglera pas ce problème. Je le redis, les entreprises n'embaucheront pas spontanément de chômeurs de longue durée, même avec 3 % de croissance.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Je vous remercie, monsieur Gallois.

M. Jean Desessard. - On attend vos expérimentations dans les territoires !

La réunion est levée à 17 h 35.

Jeudi 15 septembre 2016

- Présidence de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Audition de M. Audition de MM. Emmanuel Amon et Sébastien Rouchon du Centre des jeunes dirigeants d'entreprise (CJD)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Mes chers collègues, nous accueillons, pour cette nouvelle après-midi d'auditions, les représentants du Centre des jeunes dirigeants, le CJD.

En 2011, le CJD a présenté un projet dénommé Oïkos - « la maison », en grec ancien - visant à une refonte générale du système fiscal et social. Ce projet recommandait notamment la mise en place d'un revenu universel, ou d'un revenu de base, venant se substituer à une grande partie des allocations sociales. J'ai découvert ce projet de réforme globale lors d'un colloque du CJD, à Marcq-en-Baroeul. Il m'a semblé intéressant que les membres de notre mission puissent vous entendre.

Cinq ans après, que reste-t-il de votre proposition ? Faut-il y apporter des aménagements ? Qu'entendez-vous par « revenu universel » ?

Sur le plan de de la méthode, est-il envisageable, selon vous, d'expérimenter le revenu de base ? Si tel est le cas, à quelles conditions et sous quelle forme l'envisageriez-vous avant une éventuelle généralisation ?

M. Emmanuel Amon. - Je vous remercie, monsieur le président, de nous avoir invités et d'avoir su décliner en quelques mots la totalité de notre argumentation. Nous allons gagner du temps !

Le Centre des jeunes dirigeants travaille sur le revenu d'existence, encore appelé revenu de base ou revenu universel, non pas depuis 2011, mais depuis 1970. Il ne s'agit donc pas d'un sujet nouveau, et je suis ravi que vous nous donniez l'occasion de replacer ce dossier au-dessus de la pile, si j'ose dire.

J'ai 46 ans et je fais partie du Centre des jeunes dirigeants depuis huit ans. Je suis l'un des membres du comité exécutif du CJD, mouvement patronal, laïc et apolitique. Il s'agit du plus ancien mouvement patronal de France - nous fêterons notre quatre-vingtième anniversaire dans deux ans. L'une des particularités de ce mouvement est de représenter 4 500 chefs d'entreprise TPE-PME, répartis sur tout le territoire français, dans plus de 117 sections, ce qui nous assure une représentativité très forte.

Accessoirement, car je travaille aujourd'hui à mi-temps, je suis également dirigeant d'entreprise. J'ai créé une société d'informatique voilà onze ans, qui conçoit des logiciels de reporting financier dans le Cloud. Nous comptons 90 collaborateurs en France, au Maroc et en Allemagne.

M. Jean Desessard. - Qu'entendez-vous par « jeunes dirigeants » ?

M. Emmanuel Amon. - C'est une question d'état d'esprit, monsieur le sénateur. On peut être jeune très longtemps.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Vous êtes vous-même un jeune écologiste, monsieur Desessard !

M. Emmanuel Amon. - Pour des raisons statutaires, nous avons décidé de ne pas confier de nouveaux mandats à nos membres au-delà de 45 ans. J'ai donc réussi à attraper mon dernier mandat juste avant l'âge fatidique et, dans deux ans, comme nous sommes opposés à la fois au cumul et à la multiplication des mandats, je quitterai mon poste.

M. Sébastien Rouchon. - Je vous remercie à mon tour de nous avoir invités.

Je suis entré au Centre des jeunes dirigeants en 2011, peu avant la sortie du rapport Oïkos. J'occupe aujourd'hui la fonction de délégué national du CJD en charge de la vie politique.

Je suis également chef d'entreprise. J'ai repris, en 2007, la direction de l'entreprise familiale, Rouchon Paris, qui compte une cinquantaine de collaborateurs. Nous sommes le leader des studios photo à Paris. Nous y recevons des équipes du monde entier. C'est une belle histoire de famille.

M. Emmanuel Amon. - Notre nouveau président, qui a pris ses fonctions en juillet dernier, a décliné son action autour de l'idée que, plus que des entreprises, nous sommes des citoyens.

Nous dirigeons des entreprises révélatrices de citoyens. Cela signifie que nous regardons nos 300 000 à 500 000 collaborateurs, avec leurs familles, comme autant de citoyens. Nous considérons que chacun d'entre nous a le droit, et même l'obligation de mener une action citoyenne dans son entourage.

Nous incluons la question du revenu universel dans notre logique de mandat. Nous sommes extrêmement mobilisés sur les questions d'exclusion, de perte d'identité, de perte de présence au sein de la Cité.

M. Sébastien Rouchon. - Nous intervenons en tant que chefs d'entreprises et en tant que citoyens, comme vient de le rappeler Emmanuel Amon.

À ce dernier titre, nous ne pouvons que constater l'inefficacité du système actuel. J'ai été allocataire du RMI et certains de mes proches sont aujourd'hui bénéficiaires du RSA. Nous voyons bien que certains effets pervers du système empêchent ou dissuadent de revenir dans l'emploi, par peur soit de perdre son revenu, soit des complications liées aux démarches administratives inhérentes au système. Nous ne souhaitons pas nous placer sur le terrain moral. Encore une fois, nous constatons simplement que le système actuel dissuade un certain nombre de nos concitoyens d'aller vers l'emploi.

Or l'universalité du revenu, donc sa simplification, représente selon nous une mesure de justice et d'efficacité sociales dans le cadre de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion.

M. Emmanuel Amon. - Il faut bien mesurer les conséquences économiques et sociologiques du changement de paradigme que nous proposons.

Nous souhaitons remettre l'économie au service de l'homme. Il est donc essentiel, à nos yeux, que tous les citoyens - tout du moins tous nos citoyens, c'est-à-dire tous nos collaborateurs - soient dans une dynamique positive.

Lors de leurs dernières universités d'été, la première préoccupation des membres du MEDEF était de savoir comment atteindre 3,5 % de croissance pour parvenir au plein emploi. Je considère qu'il s'agit d'une aberration totale : il n'est plus possible d'atteindre 3,5 % de croissance, et pas un pays dans le monde ne peut y prétendre, sauf à sacrifier ses ressources ou ses concitoyens.

Nous sommes obligés, aujourd'hui, de prendre en compte le bien-être de nos salariés, de nos collaborateurs. Nous allons donc également travailler sur les conséquences sociologiques et psychologiques de telles mesures.

S'agissant des enjeux économiques, je tiens à préciser qu'il existe une différence fondamentale entre emploi et travail. L'emploi, c'est la promesse du chef d'entreprise ; c'est quelque chose que l'entrepreneur - ou l'auto-entrepreneur - a la capacité de créer.

Le travail est une notion beaucoup plus large : on peut travailler sans avoir de véritable emploi, tout comme on peut travailler en ayant de multiples emplois. Il s'agit d'une distinction importante, car l'emploi est la clef de voûte de nos actions.

Pour créer de l'emploi, il faut pouvoir s'appuyer sur une vision prospective de l'évolution des individualités et de l'économie. Or les seules visions dont nous disposons sont celles d'une destruction d'emplois via l'automatisation et la robotisation.

Je suis expert-comptable de formation. J'ai toujours refusé d'embrasser cette profession, car je sentais que quelque chose n'allait pas. Il semble que l'histoire m'ait donné raison : l'automatisation des tâches a conduit à une paupérisation de cette profession. Plus personne ne confie ses factures à son expert-comptable : elles sont scannées, puis envoyées vers un centre de traitement quelque part dans le monde. L'expert-comptable ne sert plus qu'à contrôler. Les professionnels eux-mêmes se donnent une durée de vie comprise entre dix et vingt ans...

Cette destruction d'emplois est aussi liée en partie aux contraintes fiscales et sociales. Les charges des entreprises sont telles qu'il est plus coûteux d'embaucher que d'investir dans l'automatisation.

La question du revenu de base est absolument fondamentale. Ce dernier peut nous permettre d'offrir une sécurité à long terme à toutes les personnes désireuses de travailler. Quand on accepte un emploi aujourd'hui, on sait que l'on y restera 5, 10 ou 15 ans... Pour la suite, on verra bien. Je dois en être à ma deuxième vie professionnelle ; mes enfants, qui commencent leur première, en auront sans doute trois, quatre ou cinq... Il faut donc avoir une capacité de rebond. Et le revenu de base permet d'avoir une telle capacité.

Économiquement, ce dispositif a du sens. Il va servir de terreau favorable à tous les acteurs. Les gens pourront chercher un emploi sans crainte. Ils pourront eux-mêmes créer leur travail.

M. Sébastien Rouchon. - Le revenu de base aurait sa place dans le dispositif de sécurisation des parcours professionnels dont il est aujourd'hui question. Son côté universel et simple en fait un outil très intéressant, équitable et juste.

S'agissant de la lutte contre la pauvreté, ce n'est pas une allocation de 470 euros par mois qui va permettre à des millions de Français de vivre sans activité ni travail - si certains y arrivent et sont très heureux comme cela, grand bien leur fasse ! Encore faut-il qu'ils trouvent du travail.

Le revenu de base, ou revenu universel, peut permettre aux personnes en situation de précarité, à ceux qui travaillent à temps partiel - qu'ils l'aient choisi ou non -, à ceux qui gagnent le SMIC, de maintenir un niveau de vie plus digne.

Pour nous, chefs d'entreprise, cette sécurité, c'est aussi de la tranquillité, de la sérénité pour nos collaborateurs, elle-même source de bien-être, donc de performance.

Par ailleurs, sans ouvrir le débat sur les insiders et outsiders du marché du travail, un tel dispositif permettrait de réguler quelque peu les inégalités inhérentes à la transformation du monde du travail. On parle des auto-entrepreneurs, du travail à temps partiel... On peut vouloir faire entrer tout le monde dans le CDI à temps plein, mais on peut aussi trouver d'autres solutions, telles que le revenu universel, pour permettre à ceux qui subissent cette situation de précarité, dont il est de plus en plus difficile de sortir, de mieux la vivre.

M. Emmanuel Amon. - Je crois fondamentalement que la pyramide de Maslow, qui distingue les catégories de besoins humains, existe. On en revient toujours au même principe : il faut couvrir notre besoin de survie. Le revenu universel va nous permettre non seulement de couvrir ce premier besoin, mais aussi de donner le goût, l'envie, à tout un chacun de développer du travail.

C'est là que les choses se compliquent : comment donner le goût du travail ? Quel sens donner au travail ? Comme je vous le disais, l'emploi est un débat de chefs d'entreprise ou de statisticiens de l'INSEE. Je laisse aux politiques le soin de discuter des chiffres.

Le travail est l'un des fondements de notre vie. Il est absolument nécessaire de redonner le goût du travail à tout le monde. Une des problématiques est celle de l'éducation. Les enfants sont parfois abandonnés sur des chemins qui ne sont pas les leurs. Par ailleurs, certaines personnes perdent leur emploi et se retrouvent à l'abandon, faute d'un relais idoine. Quand vous arrivez chez Pôle emploi, on vous dit que vous avez dix-huit mois pour vous reconfigurer, sans vous donner les bons rails pour y parvenir !

Il faut absolument se montrer pédagogue, dès le plus jeune âge des individus. Nous devons expliquer le sens du travail. Tout au long de leur vie, nos collaborateurs doivent chercher à étendre cette notion de travail. L'entreprise peut alors devenir un lieu de pédagogie où il est possible de parler à la fois emploi et travail.

Cela signifie aussi que les collaborateurs aient envie de venir dans leur entreprise - il faut donc de bonnes conditions de travail  - et que le chef d'entreprise se fixe comme objectif d'amener ses collaborateurs à cet épanouissement.

Il faut également prévoir une forme de régulation pour que certains chefs d'entreprise ne soient pas tentés de profiter de la mise en place du revenu de base pour baisser les salaires.

Enfin, pour faciliter la capacité de rebond que j'évoquais voilà quelques instants, les collaborateurs devraient disposer d'une sorte de passeport travail qui leur permettrait, dès la sortie des études et tout au long de leur vie professionnelle, de profiter de formations adaptées ou, par exemple, d'aides à la création d'entreprises.

Tout cet aspect sociologique peut donc être encadré par diverses mesures. Et nous n'avons même pas encore abordé le volet fiscal !

M. Sébastien Rouchon. - Vous l'avez compris, philosophiquement, nous sommes très attachés à ce revenu universel. Maintenant, il nous faut peut-être aborder les sujets qui fâchent...

Sans vouloir entrer dans une discussion très technique, car nous ne sommes pas de grands économistes et nous aurions du mal à estimer le financement d'une telle mesure...

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Vous pouvez tout de même nous donner une estimation...

M. Sébastien Rouchon. - ... je ne sais même pas si la mise en place d'un revenu universel est réalisable. Je pense qu'un tel dispositif doit s'inscrire dans une grande refonte fiscale.

Pour lutter contre la pauvreté, nous sommes tous prêts à créer de l'emploi. Moi, j'ai du travail à fournir, mais je ne sais pas comment le rémunérer : certains de mes collaborateurs sont surchargés, mais comme je ne fais quasiment pas de bénéfice, je ne peux transformer ces gisements de travail en emplois. Ce sont pourtant de ces emplois dont ont besoin tous ceux qui sont au chômage ou en situation d'exclusion.

Il faut se pencher sur l'efficacité sociale et économique du revenu universel.

M. Emmanuel Amon. - S'il est quelque chose que les entrepreneurs adorent, c'est bien le millefeuille fiscal. S'il vous plaît, créez une taxe ou un impôt supplémentaire ! Nous adorons remplir des papiers, c'est tellement intéressant !

La priorité des priorités est de repenser notre système fiscal. Nous n'avons pas changé d'un iota sur cette question depuis des années. En 2011, on devait en être à 253 taxes diverses et variées ; cinq ans plus tard, nous approchons le seuil des 300. Il faut parvenir à réduire ce nombre. Il faut oublier pour de bon les dix mesures qui couvrent le salaire minimum et dont je suis incapable de retenir les dénominations. Si c'est universel, c'est sans condition !

Sans entrer dans des questions de politique migratoire qui ne nous regardent pas, il faut bien avoir en tête que fournir un revenu universel peut très bien générer un flux de migrants. Il faut aussi faire en sorte de verser ce revenu à ceux qui viennent travailler en France.

Refondre le paysage fiscal au niveau des aides signifie également prendre en compte certaines étapes de vie.

Sur les chiffres, nous allons vous répéter ce qui vous a sans doute déjà été indiqué : il faudrait que le montant de ce revenu de base tourne aux alentours de celui du RSA, c'est-à-dire entre 450 et 470 euros.

Ce qui est sûr, c'est qu'il faut, pour que le mécanisme fonctionne, prendre en compte la cellule familiale, c'est-à-dire les enfants. Le revenu de base doit être versé à ceux qui ne sont pas en âge de travailler comme à ceux qui ne sont plus en âge de le faire. Dans ce dernier cas, je vous laisse fixer la limite. Selon nous, c'est 75 ans, pour d'autres, 55 ans... La fourchette est large !

Il faut aussi prendre en compte la question du handicap. Il n'y a pas de raison pour qu'une personne qui ne peut accéder à l'emploi en raison d'un handicap bascule dans une paupérisation.

En mettant tous ces éléments bout à bout, l'idée est de parvenir à un montant à peu près équivalent aux dépenses de l'État en matière d'aides sociales - RSA, allocations familiales...

M. Sébastien Rouchon. - La refonte de l'impôt sur le revenu et la question du foyer fiscal constituent un vrai sujet...

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Si j'ai bien compris, dans votre proposition, vous ne taxez plus le revenu, mais l'actif : entreprise ou individu, c'est l'actif net qui est pris en considération. Est-ce bien cela ?

Vous proposez un revenu de base de 470 euros -  un peu moins pour les enfants. Nous avons besoin d'éléments très précis sur votre projet, lequel s'inscrit dans un système fiscal rénové, refondu, mais conçu pour rester à l'équilibre dans les termes du marché et du PIB actuels. Il n'y a donc rien d'irréaliste.

M. Emmanuel Amon. - Tout à fait ! L'objectif d'équilibre n'est absolument pas irréaliste.

Pour parler de fiscalité, il faut aborder la question du financement de ce revenu universel. Contrairement à certaines théories selon lesquelles il faut refondre la totalité du système fiscal en une fois, nous pensons qu'il est possible de procéder par étapes : d'abord, la mise en place du revenu universel, puis, dans un second temps, la création de la taxe sur l'actif net, la TAN. On peut également revoir la TVA et les différents mécanismes existants. Il est tout à fait possible d'envisager une période de transition.

Il faut se montrer très pragmatique et très humble par rapport à l'existant. On a des modèles économiques qui fonctionnent, un environnement qui se prête à cette approche. Si vous expliquez à un bénéficiaire du RSA que le revenu de base va lui permettre de couvrir son besoin primaire et d'amorcer un retour vers le travail, puis vers l'emploi, il va entendre ce discours de sortie par le haut.

La notion de prélèvement à la source est importante dans notre économie, car nous touchons des revenus qui proviennent de salaires, mais pas seulement. Nombre de personnes sont propriétaires fonciers, par exemple, et perçoivent des loyers. Le patrimoine doit donc aussi entrer en ligne de compte.

Il faut faire très attention. Si l'on commence à financer le revenu universel par l'impôt sur le revenu, dont le barème est progressif, on va se retrouver à taxer les hauts salaires et non les bas salaires... Cela risque de créer davantage de déséquilibres. Et si nous faisons reposer son financement sur les charges sociales des entreprises, cela risque de plomber nos comptes, alors que nous sommes juste à l'équilibre.

Notre modèle de revenu universel est fondé sur un taux de TAN ou de TVA - l'une des taxes les plus équitables qui soit - suffisamment élevé. Il est possible de s'appuyer sur l'impôt sur le revenu et sur une taxation des entreprises, mais de façon réduite et plus équitable.

M. Sébastien Rouchon. - Il ne faut pas attendre du revenu universel qu'il sorte tout le monde de la pauvreté. Il s'agit d'un élément parmi d'autres, comme l'activité et le travail.

Aidez-nous à créer des emplois. Nous avons envie de créer des emplois, nous avons du travail à offrir ! Si l'on veut redonner aux entrepreneurs les moyens de créer de l'emploi, si l'on veut rendre à nos concitoyens l'envie d'aller chercher un travail, il faut faire en sorte que cette recherche ne soit pas pénalisante.

Si le fait d'accepter un emploi, ne serait-ce qu'un CDD d'un ou de deux mois, provoque l'arrêt des aides sociales et qu'il faut entrer dans un enfer administratif pour en bénéficier de nouveau, cela ne marchera jamais.

Il faut permettre aux entreprises de créer les emplois dont ces gens ont besoin et dont nous avons besoin. Aujourd'hui, il y a beaucoup de travail qu'on ne peut payer 15 euros de l'heure. Quand on compare le SMIC, les charges et le temps administratif associés à un emploi, d'une part, au coût de la robotisation, d'autre part, le travail n'est pas compétitif. Quand l'entreprise est juste à l'équilibre, elle ne peut se permettre le luxe de recruter trois personnes au lieu d'investir dans la machine.

Le projet Oïkos envisageait de porter le taux de la TVA à 25 %. Si l'on veut créer des emplois, si l'on érige la lutte contre le chômage en priorité des priorités, pourquoi la chose la plus taxée dans notre pays est-elle le travail ?

De même, si l'on dit qu'il faut limiter la consommation pour sauver notre planète, pourquoi la consommation est-elle relativement peu taxée dans notre pays ?

M. Jean Desessard. - Tout à fait !

M. Emmanuel Amon. - Le CJD est tout à fait à même de créer un terrain expérimental. Nous l'avons déjà fait pour les comités d'entreprise, l'intéressement et même le travail à la carte, devenu les 35 heures. Nous sommes capables de mener des campagnes d'envergure.

Nous pouvons monter, pendant six mois ou plus, des simulations dans lesquelles les entrepreneurs calculeraient les impôts et reverseraient aux salariés l'équivalent monétaire de ce qu'ils percevraient, revenu universel inclus. Nous saurions le faire, dans toute la France et dans tout type d'industrie ou d'entreprise, à la condition d'être accompagnés. C'est notre grande force.

M. Daniel Percheron, rapporteur. - Hier, tous les syndicats étaient réunis autour de cette table pour une leçon limpide de syndicalisme à la française.

Nous vous avons écoutés avec beaucoup d'intérêt. Vous êtes allé sereinement à l'essentiel : la société française est profondément inquiète, ce que nous sentons tous. Nous sentons même qu'elle serait collectivement capable, ici ou là, à telle ou telle occasion, de faire des bêtises. Vous avez bien expliqué qu'elle est inquiète parce que le monde, tel qu'il est, lui semble difficile à vivre et à conquérir.

En tant que chefs d'entreprise, vous avez dit très justement que la sécurisation des parcours est au coeur d'une demande plus ou moins exprimée des Français, salariés ou chefs d'entreprises.

Les réponses venues d'en haut - je pense, par exemple, au compte personnel d'activité - n'ont pas encore rencontré une véritable adhésion. Le labyrinthe des aides sociales, dont nous sommes les champions du monde, n'est plus capable de rassurer nos concitoyens. Nous sommes entièrement d'accord avec votre approche.

Le revenu universel peut être l'une des réponses à cette inquiétude profonde. En France, un peu plus qu'ailleurs, contrairement à ce que disent les différents analystes, l'obsession de supprimer des emplois, de rationaliser et de robotiser pour gagner en productivité est au coeur même de la sphère publique.

Jusqu'à présent, nous avons comblé cette faille dans notre dispositif par l'endettement. Nous vivons socialement notre cohésion par l'endettement. Nous empruntons 200 milliards d'euros par an. Le miracle, contrairement à ce que tout le monde dit, accompagne bien le Président de la République et le Premier ministre : nous empruntons à 0 % ! Mais si, demain, ces taux montent à 2 %, 3 % ou 4 %, nous serons plus proches du modèle espagnol que du modèle scandinave.

Selon vous, le consommateur pourrait faire plus d'efforts que le salarié ou l'entreprise. Nous partageons également cette approche.

Nous écoutions les syndicats avec beaucoup de respect. Le fait de renvoyer la charge de la protection sociale vers l'entreprise et l'endettement est une facilité que les Trente Glorieuses nous ont appris à maîtriser. Quand nous avions quelques difficultés, la dévaluation venait à notre secours. Aujourd'hui, ce n'est plus possible, à moins de recourir à la dévaluation intérieure, c'est-à-dire à la baisse du niveau de vie d'une nation. Mais ce que nous avons infligé aux Grecs et aux Portugais, les Français ne sauraient le supporter.

Je pense que la manière dont vous abordez le projet est tout à fait remarquable. Vous avez évité de brandir le chiffon rouge du financement. Même à 560 euros, c'est 7 % du PIB ! Mais il existe des marges de manoeuvre.

Je lisais avec étonnement, même si je m'en doutais, que l'aide publique aux entreprises était de 130 milliards d'euros par an et les charges pesant sur ces mêmes entreprises de 150 milliards d'euros. Il y a d'immenses gisements à explorer et à redéployer pour, progressivement, par l'expérimentation, apprivoiser la notion de revenu universel.

M. Jean Desessard. - Je vais m'inscrire dans les pas de Monsieur le rapporteur.

J'ai eu beaucoup de plaisir à vous entendre. Il est intéressant de voir que la plus ancienne association des entreprises de France a un langage différent de celui qui est prêché par le MEDEF !

De la même manière, vous posez le problème du revenu de base d'une manière différente, même s'il reste à en chiffrer les modalités.

Il paraît que je n'aime pas les patrons ! Monsieur le président, vous pourrez dorénavant dire, même en séance publique si nécessaire, que j'aime bien ce type de patron ! Il existe des patrons dont j'apprécie la philosophie, les projets et leur façon de voir les choses. Les écologistes ne sont pas opposés aux entreprises. Nous partageons les objectifs d'un certain type de patronat.

Je partage aussi votre souhait d'augmenter la TVA pour baisser les cotisations et être compétitifs au niveau mondial. Il n'est pas possible de se mettre des chaînes que ne portent pas les autres pays. En matière de cotisations, il faut opérer un transfert des salaires vers la consommation. C'est une démarche que notre président partage, de même que le rapporteur, représentant du groupe socialiste, même si ce n'est peut-être pas encore le cas de l'ensemble de son groupe...

M. Daniel Percheron, rapporteur. - Les consommateurs doivent prendre lucidement leur part.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Merci de cet exposé. Le CJD est connu et reconnu comme agitateur d'idées. Il nous aide à défricher certains terrains.

Dans la dernière partie de votre propos, vous disiez être volontaires pour expérimenter à la fois le prélèvement à la source et la distribution du revenu de base. N'y a-t-il pas un risque que la rémunération du travail se fasse de façon résiduelle, c'est-à-dire à la tête du client ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Il s'agit d'une très bonne question, en effet. C'était l'un des arguments des syndicats, qui décrivaient ce dispositif comme une trappe à bas salaires, comme un « cadeau aux patrons ».

S'agissant de l'expérimentation - j'en discutais hier avec Monsieur de Basquiat -, vos idées nous intéressent. Quel type d'expérimentation est-il possible d'envisager ? Quel objectif, quel modèle, quelle évaluation ? L'idée est de parvenir à une généralisation du revenu, même par étapes. Faites-nous part de vos idées, et nous en ferons bon usage.

M. Emmanuel Amon. - Sur la question de l'expérimentation, ce qui est compliqué, c'est de monter le mécanisme. Toutefois, si nous sommes accompagnés, sur une période définie et en posant le cadre nécessaire, nous pouvons le faire, nous savons le faire.

M. Daniel Percheron, rapporteur. - L'expérimentation pourrait recouper ce que Louis Gallois disait, d'une autre manière, à propos des territoires « zéro chômage de longue durée » : il y a du travail pour tout le monde. Vous avez nuancé les choses en ajoutant que vous ne pouviez transformer ce travail en emplois au SMIC.

Dès lors, pour éviter que le revenu de base ne devienne l'alibi de la rémunération résiduelle, vous pourriez vous associer à la vision des territoires « zéro chômage de longue durée », qui deviendraient aussi des territoires « revenu de base ». Le travail existe, le revenu de base n'est pas fait pour l'oisiveté. Je salue votre engagement à faire vivre, dans les contraintes de vos entreprises, le revenu de base.

M. Sébastien Rouchon. - On a déjà su parfaitement créer des mécanismes de trappes à bas salaires. Je pense à la réduction Fillon et au CICE, par exemple. Je ne sais pas si l'on peut faire bien pire... Tout ce qui est conditionné crée les conditions de distorsion du marché.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Il s'agit toujours d'un salaire basé sur le SMIC et non d'un bas salaire.

M. Daniel Percheron, rapporteur. - Nous avons la tentation de circonscrire le revenu de base aux jeunes de 18 à 25 ans qui ne bénéficient d'aucune prestation sociale.

Notre objectif est de faire en sorte que le revenu de base, à l'instar des territoires « zéro chômage », permette à ces jeunes de trouver du travail, y compris dans le secteur marchand. Nous voulons que le travail soit transformé en emploi, comme on nous l'a expliqué hier. Pourriez-vous vous associer à cette vision ?

M. Sébastien Rouchon. - Personne ne peut ignorer que les bas salaires existent aujourd'hui : ils sont simplement illégaux, ce qui permet de jeter un voile sur eux. Si l'on voulait les rendre légaux, ils n'existeraient plus.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Il s'agit du travail clandestin, mais aussi des travailleurs détachés.

M. Sébastien Rouchon. - On dispose aujourd'hui de moyens pour faire diminuer non pas les salaires, mais le coût du travail, ce qui libérerait de l'emploi. Il y a de la marge de manoeuvre avant de baisser le salaire net.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Si l'on veut convaincre les syndicats de la justesse de cette vision, il faut pouvoir répondre à l'argument de la diminution des salaires. Le revenu de base ne doit pas être un alibi permettant de ne pas rémunérer le travail et l'effort des hommes au juste prix.

M. Emmanuel Amon. - Les syndicats ont surtout peur des réactions des dirigeants d'entreprises. Pour y répondre, on pourrait mettre en place une sorte de permis à points, similaire au permis de conduire, pour les chefs d'entreprise. Un crédit d'impôt représente une autre solution possible, à l'instar du CICE. Celui-ci s'est certes révélé formidable pour les grandes entreprises, mais pour nous, PME, c'est la pire des choses ; du moins en profitons-nous de façon très modérée. On peut néanmoins envisager un système de crédit d'impôt dont l'entreprise bénéficierait sous réserve qu'elle n'ait pas procédé à des baisses de salaire.

M. Sébastien Rouchon. - Un système similaire existe déjà dans mon domaine, l'audiovisuel. La Commission nationale de la certification sociale vérifie tous les deux ans que nous respectons nos obligations légales et conventionnelles, en contrepartie desquelles nous pouvons employer des intermittents du spectacle. On sait aujourd'hui contrôler la réalité du travail dans les entreprises et leur capacité à bénéficier de certains dispositifs.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Nous devons malheureusement clore ce débat fort intéressant. Je vous remercie de vos interventions.

Audition de représentants des associations de lutte contre l'exclusion

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Merci de votre présence devant la mission. Nous attendons avec impatience vos propositions et vos considérations sur le sujet qui nous réunit, le revenu de base. Celui-ci, tel que l'ont imaginé avant nous ses partisans, qu'ils soient de gauche ou de sensibilité plus libérale, serait un outil pour vaincre la pauvreté. Son universalité permettrait d'éviter la question des contreparties qui est souvent, en France comme ailleurs en Europe, au coeur du débat autour des allocations sociales.

Nous souhaitons bénéficier de votre expérience du terrain social et, notamment, de votre contact avec l'exclusion, afin de savoir si le revenu de base peut constituer une réponse aux problèmes que vous rencontrez et aux questions que vous vous posez.

Nous envisageons une expérimentation d'un tel mécanisme. Nous nous sommes rendus en Finlande, où une telle expérimentation est prévue l'an prochain, notamment auprès des chômeurs. Dans ce cadre, nous aimerions recueillir votre sentiment quant à cette éventuelle expérimentation.

M. Guillaume Almeras, responsable du département emploi, économie sociale et solidaire au Secours catholique français. - J'aborderai la question de la pauvreté et de l'éventuelle utilité du revenu de base pour la combattre ; mon collègue Dominique Redor complètera mon intervention d'un point de vue économique.

Le revenu universel nous est présenté comme un outil non seulement de lutte contre la pauvreté, mais aussi d'évolution de la manière de travailler. Un principe majeur du Secours catholique est qu'il est bon que chacun puisse contribuer à la société par son travail et bénéficier de ressources d'existence. Il nous semble à cet égard que le revenu de base comporte plus de risques que de bénéfices pour les plus fragiles. Nous y sommes donc plutôt opposés. Selon nous, un tel système, qui n'est ni économiquement solvable, ni juste, ni écologiquement souhaitable, ne favoriserait pas l'inclusion sociale.

Quel est notre regard sur la pauvreté ? Près de 80 % des personnes que nous rencontrons sont au chômage, très peu sont en formation et la plupart ont de grandes difficultés pour accéder au monde du travail. Ces personnes ont un revenu typique de 530 euros, alors que le seuil de pauvreté est fixé à 1 000 euros. Les indicateurs de pauvreté que nous utilisons ne sont pas seulement monétaires : les questions relationnelles sont elles aussi très importantes. Si l'aide matérielle peut représenter une porte d'entrée, les personnes qui viennent nous voir demandent d'abord et essentiellement du lien social et de l'écoute, préalables nécessaires à l'estime de soi. Le capital social importe.

Selon nous, le revenu de base ne serait pas un rempart contre la pauvreté. Au contraire, on risque ainsi de s'affranchir moralement du devoir de solidarité. Il s'agirait de verser aux plus fragiles un « solde de tout compte », sans se soucier de prendre des mesures favorisant le retour à l'emploi : accompagnement, formation, prise en charge sociale et expérimentations.

Le capital social des personnes est un levier premier, avant leur capital économique. Il faut bien plutôt travailler sur cet enjeu. Les personnes que nous rencontrons nous disent bien que ce ne sont pas les 500 euros du RSA qui les feront sortir de la pauvreté et leur amèneront un mieux-vivre. C'est plutôt à partir de 700 ou 800 euros que les gens peuvent avoir un logement stable ; au-dessous, on ne dispose pas de conditions d'existence dignes permettant de construire une vie.

Par ailleurs, le revenu de base faciliterait-il le retour à l'emploi ? Ses bénéficiaires, dit-on, pourraient exercer des « petits jobs » complémentaires. Or les personnes que nous accompagnons connaissent dans leur recherche d'emploi des freins multiples et corrélés. La position familiale, le logement et la mobilité comptent davantage. Le revenu de base ne modifiera pas leur rapport de travail ou leur estime de soi. Des femmes n'ayant jamais travaillé et se trouvant séparées de leur conjoint ne seraient pas plus en mesure qu'aujourd'hui d'aller négocier leurs conditions salariales auprès d'un employeur ou même de mener un entretien d'embauche qui fasse valoir leurs compétences. Le revenu de base ne renforcera pas ces capacités, comme le montre bien la dernière étude du Centre d'études de l'emploi sur les pratiques et impacts des activités réduites : les titulaires de « petits jobs » en restent prisonniers. La formation et l'accompagnement tout au long de la vie sont des questions bien plus fondamentales : si l'économie de demain est une économie de la connaissance, on ne pourra s'affranchir d'un travail très important avec les personnes en précarité pour élever considérablement leur niveau d'éducation.

On ne peut pas, par ailleurs, concevoir le revenu de base sans penser à ceux qui n'ont pas accès au droit au travail, en particulier les demandeurs d'asile, présents légalement sur le territoire, mais sans accès au travail, ce qui crée des trappes de travail informel, notamment pour ce qui est des travaux les moins agréables.

En outre, il nous semble que le revenu de base renforcerait les inégalités. Le modèle du Liber de MM. Koenig et de Basquiat n'est pas nécessairement le plus favorable aux plus précaires... L'avantage fiscal octroyé dans ce modèle aux entreprises pourrait s'élever à 250 milliards d'euros.

Par ailleurs, faire reposer un tel système de revenu pour les personnes sur la taxation des entreprises nous semble très délicat. Certes, on a tendance à penser qu'il faut aller taxer les grandes entreprises multinationales qui génèrent des sommes énormes. Néanmoins, c'est très problématique à nos yeux, car le modèle économique actuel est fou : ce capitalisme détruit la planète et nuit au corps social par le renforcement des inégalités. Faire reposer un revenu d'existence sur un système si malade nous semble paradoxal, surprenant et dangereux, comme si l'on s'asseyait sur une branche qu'on aurait envie de scier. Cela dit, la question d'une fiscalité plus juste est très importante pour nous.

Nous sommes donc défavorables au revenu de base. La priorité, selon nous, est de permettre aux personnes de travailler. Les personnes sans emploi que nous rencontrons nous disent à quel point c'est insupportable : ils sont mis au rebut de la société et souhaitent simplement avoir une existence et une utilité sociale. Cela passe par le travail et sa reconnaissance. Ces gens ne sont pas en capacité d'inventer leur travail et d'aller le promouvoir : ils sont fragiles et il faut les accompagner. S'imaginer qu'un revenu de base leur permettra de trouver le « petit job » qui leur apportera la sécurité nous semble illusoire. Il faut plutôt entrer dans une logique d'investissement social qui permette d'outiller les plus fragiles, y compris ceux qui arrivent ici par le jeu des migrations.

Quant à l'expérimentation envisagée, il nous semble fondamental qu'elle se déroule dans des zones définies. ATD-Quart monde et nous-mêmes sommes favorables aux « territoires zéro chômeur de longue durée », mais il ne faut pas mettre le revenu avant le travail : ce serait mettre la charrue avant les boeufs.

M. Jean Desessard. - Vous étiez contre le RMI, alors ? L'argument était le même il y a vingt ans.

M. Guillaume Almeras. - Nous avons toujours souhaité que le travail soit une priorité par rapport au RMI. Nous sommes aujourd'hui en faveur d'un revenu minimum social qui s'adresse aux gens qui n'ont aucun revenu.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - L'expression que vous avez utilisée au sujet du revenu et du travail, monsieur Almeras, ne me paraît pas tout à fait juste : le RMI en fournit une contradiction immédiate. Il existe bien une aide au départ, avant le travail. Vous avez cité à juste titre les « territoires zéro chômeur de longue durée » ; nous avons auditionné hier M. Louis Gallois, qui dirige cette expérimentation. Il s'agit de transférer ces allocations sociales aux entreprises. Il reste à en définir les modalités, mais tel en est le principe. Que ce revenu soit orienté vers le travail, j'y souscris complètement.

M. Guillaume Almeras. - Il existe une dépense publique qui permet de favoriser le travail.

Mme Henriette Steinberg, secrétaire générale du conseil d'administration du Secours populaire français. - Merci de nous avoir invités à cette table ronde. Les questions que vous posez recoupent, pour nombre d'entre elles, nos préoccupations de plusieurs décennies. Dès la fin des années 1980, le Secours populaire a identifié, sur l'ensemble de notre territoire, la montée de nouvelles pauvretés ; nous avons appelé l'attention des pouvoirs publics sur ce que notre président, M. Julien Lauprêtre, qualifiait déjà de « raz-de-marée de la misère ».

Au moment de la création du RMI, nous avions souligné que, si celui-ci pouvait constituer un bol d'oxygène, il ne résolvait pas, sur le fond, les difficultés auxquelles les personnes se trouvaient de plus en plus souvent confrontées.

Dans notre enquête statistique d'octobre 1987, nous écrivions en conclusion : « C'est une population vivant dans la pauvreté laborieuse, nullement marginale, dont les ressources proviennent davantage des transferts sociaux que du travail. Cela étant, le revenu minimum d'insertion reste inaccessible à la majeure partie des enquêtés du Secours populaire. »

Nous relevions déjà que les personnes frappées par le chômage et, plus gravement encore, soumises à la précarité de leur situation, se trouvaient confinées dans une survie à bas bruit. Nous écrivions : « Ce qui les distingue, c'est la faiblesse de leurs ressources, quand bien même seraient-elles, via les divers types d'allocations, régulières. Cette insuffisance, doublée de l'absence de travail, se traduit à la veille de l'an 2000 par le fait que, dans un pays développé comme la France, près de 90 % des personnes enquêtées en sont à se restreindre sur l'alimentation. Par ailleurs, et c'est le plus inquiétant, elles sont comme tout le monde. »

Devant vous, mesdames, messieurs, lors de l'audition de votre mission commune d'information Pauvreté et exclusion, au Sénat, le 12 février 2008, je répondais à la question de M. Humbert sur la mise en place éventuelle d'un revenu minimum d'existence : « Cette approche n'est pas retenue par le Secours populaire. Nous insistons sur l'importance du travail et du revenu qui en est issu pour la dignité de la personne. »

Nous sommes en 2016. La situation ne s'est pas améliorée. Des millions de nos concitoyens sont concernés ; que nous parlions de 4 millions de personnes ou de près de 8 millions ne devrait pas nous faire oublier que nous parlons de personnes humaines, chacune avec ses difficultés et ses souffrances, d'autant plus intenses qu'elles touchent de plein fouet plus de 2 millions d'enfants de notre pays.

Le Secours populaire faisait savoir, il y a vingt-cinq ans, que les dispositifs retenus lui semblaient enfermer les personnes dans un statut d'assistés dont elles peinaient à sortir. Nous avons étudié, année après année, les statistiques. Il nous était dit que le passage par le RMI était temporaire, de façon majoritaire, et que les personnes retrouvaient ensuite un autre type de statut. Nous rencontrions rarement ces évolutions positives, mais nous nous disions que, peut-être, les personnes ne revenaient plus parce que leur situation s'était améliorée.

Après le RMI, dont le « I » portait sur l'insertion, dans des conditions relativement égales sur l'ensemble du territoire, les pouvoirs publics ont mis en place le RSA, revenu social d'assistance socle, auquel pouvait être agrégée l'activité. Notre président, reçu par le ministre d'alors, M. Martin Hirsch, lui faisait part de notre interrogation sur le sens même du projet, si tout n'était pas fait pour aider les personnes à sortir de l'engrenage.

Nous étions en effet très dubitatifs face à l'idée selon laquelle le retour au travail devait se traduire, pour les personnes, par un montant plus élevé de revenu social, dont l'employeur aurait connaissance. Nous avions le sentiment que cela tirerait les salaires vers le bas. Les employeurs pouvaient être amenés à penser que, entre les décharges de cotisations sociales sur les salaires les plus bas et le fait qu'une partie du revenu relevait de la solidarité nationale, ils n'avaient aucune raison de rémunérer mieux les personnes.

Pour autant, le Secours populaire, ayant choisi de peser sur les conséquences des drames, laissant à l'ensemble du champ social toute capacité à s'interroger sur les causes, ne demandait qu'à être détrompé.

Malheureusement, notre connaissance fine du terrain - plus de 2 000 adresses physiques dans tous les départements, dans des centaines de communes et dans les régions - nous a permis de noter que la situation s'aggravait d'année en année, au point que nous en sommes à soutenir près de 3 millions de personnes - 2,8 millions en 2015 - dans notre pays, sous des formes diverses.

Nous savons aussi que, malgré le soutien alimentaire apporté par nos soins comme par les associations amies que sont les Restos du coeur, la Banque alimentaire et la Croix rouge, nous ne permettons pas aux personnes et familles soutenues, dont de nombreuses centaines de milliers d'enfants vivant sur notre sol, d'avoir au moins un repas par jour toute l'année. L'aide alimentaire mise en oeuvre en France par quatre associations fournit moins d'un repas tous les trois jours aux personnes qu'elle soutient : 107 équivalents repas par an par personne.

Aujourd'hui revient l'antienne, cette fois qualifiée de revenu de base. Son montant est variable selon les orientations des interlocuteurs - entre 200 et 900 euros par mois. Cela se substituerait partiellement ou complètement au dispositif social qui existe encore dans notre pays. Ainsi aurions-nous mis un terme à la très grande pauvreté.

Le Secours populaire est très réservé sur le concept même du revenu de base et a fortiori sur les conditions de sa mise en oeuvre. Selon nous, le respect des personnes et de leur dignité doit constituer un prérequis. De ce fait, l'idée selon laquelle tout s'achète et se monnaye ne correspond pas à l'esprit même du Secours populaire, qui met en oeuvre tout le possible pour que les personnes soient reconnues dans leur richesse et leurs qualités propres. Le Secours populaire les invite à renouer avec d'autres pour sortir de leur enfermement moral et matériel par l'activité commune conduite collectivement, ce que nous résumons par la formule « pauvres, mais pas que » et par la promotion de « Copain du monde », notre mouvement pour enfants.

Le Secours populaire est une association pragmatique de collecte et de mise en mouvement, qui rassemble 80 000 collecteurs et un million de donateurs. Nous savons donc que les personnes veulent d'abord trouver un travail rémunéré convenablement qui leur permette de subvenir de façon indépendante à leurs besoins et à ceux de leur famille, c'est-à-dire sans recours à l'assistance sociale ni à un revenu social financé par la collectivité. Cela pourrait aller sans dire, mais la situation dans notre pays nous conduit à penser qu'il faut de nouveau le préciser et y insister.

La situation des personnes est différente selon que leur rémunération est le produit de leur travail ou de prestations sociales. Elle est différente en termes de respect de soi et de capacité à en donner exemple à ses enfants et à son entourage. Elle est différente aussi en termes de sécurité psychologique. La situation n'est pas la même selon que l'on gagne sa vie ou que l'on reçoit des prestations qui peuvent être retirées si les textes changent. Certes, cette sécurité est aujourd'hui ébranlée, mais elle constitue encore une référence, et tout ce qui la battrait un peu plus en brèche nous paraîtrait aller vers le pire.

Aussi une partie importante de notre action a-t-elle pour objet de créer ou de recréer les conditions pour que les personnes puissent travailler et gagner leur vie.

Le Secours populaire est par ailleurs très attentif à créer à travers son action les conditions d'une relation d'égal à égal à l'autre, dans laquelle deux ou plusieurs personnes échangent et cheminent pour trouver des réponses aux difficultés rencontrées. Cette action généraliste part du besoin de l'individu considéré dans sa globalité et non au regard de telle ou telle problématique. Dans cette perspective, le besoin financier n'est pas toujours le premier problème et il n'est jamais l'unique difficulté.

Le Secours populaire attache une importance particulière à la réciprocité, qui est au fondement des relations par lesquelles les hommes font société. C'est d'ailleurs ce qui nous a toujours conduits à témoigner de notre solidarité concrète aux hommes, aux femmes et aux enfants migrants réfugiés, que ce soit près de leurs frontières ou dans notre pays.

Le Secours populaire traduit ce principe de réciprocité quotidiennement, en donnant la possibilité à tous ceux qui le souhaitent et le peuvent de participer, sous quelque forme que ce soit - contribution financière, bénévolat, témoignage -, à la réalisation et au développement des missions de l'association.

Le versement automatique qu'implique le revenu de base est aux antipodes de cette orientation.

Sur le fond, cette idée de revenu de base acquis de façon universelle pour répondre à des besoins vitaux nous semble un leurre. Elle est d'ailleurs contraire au principe de l'article 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui a servi de socle à celle de 1958 : la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. »

Nous savons que la situation s'aggrave pour les personnes les plus fragiles. L'accès de tous à égalité de droits et de devoirs aux services publics, qui se délitent, est présenté comme une vieille lune. Notre dernier sondage montre bien à quel point la population en est consciente et s'en inquiète dès aujourd'hui et pour l'avenir, notamment au travers de l'idée qu'elle se fait de l'avenir de ses enfants. Ainsi, quelque 83 % des personnes interrogées craignent que leurs enfants connaissent un jour une situation de pauvreté.

Dès lors, faudrait-il déterminer si 200 euros, 400 euros ou 500 euros par mois suffisent ? Cela pourrait s'apparenter à l'achat du silence et de la passivité au moindre prix. Nous n'y souscrivons pas. Les personnes de notre pays valent mieux que cela. Il nous semble aussi que ces questions ressortent souvent quelques mois avant des échéances nationales pour disparaître ensuite.

Nous pensons qu'il serait au moins aussi important de se mobiliser très largement pour faire reculer toutes les formes de stigmatisation, que ce soit dans les attributions de logements, dans les seuils fatidiques qui incitent à surtout ne pas bouger pour ne pas perdre le peu que l'on a, dans le développement de l'éducation et le déploiement de la culture dans les quartiers les plus déshérités de notre pays, dans la réimplantation de services publics accessibles à tous et, plus largement, dans tout ce qui permet de vivre ensemble sans avoir besoin de quémander.

Mme Michèle Pasteur, directrice générale de l'Agence nouvelle des solidarités actives. - L'ANSA n'est pas positionnée de la même façon que les autres acteurs, dans la mesure où elle n'intervient qu'en second niveau par rapport aux personnes concernées. Nous accompagnons les associations, l'État ou les collectivités dans la mise en oeuvre de politiques sociales innovantes.

Nous ne nous prononcerons donc pas pour ou contre le revenu de base, mais l'ANSA a été conçue par MM. Martin Hirsch et Benoît Genuini comme une alliance entre public et privé pour répondre aux questions relatives à sa mise en place. L'expérimentation du RSA n'a pas été menée à son terme avant que le dispositif soit transformé, mais nous tirons beaucoup d'enseignements de l'accompagnement des départements qui ont mis en oeuvre le RSA.

Le premier point à souligner, c'est qu'il a toujours été difficile de savoir précisément de quoi l'on parle : s'agit-il de revenu de base, de revenu d'existence, d'allocation unique ? Ce foisonnement de clés d'entrée montre que le sujet est complexe, de même que les positions adoptées par les acteurs. Il importe donc de définir les périmètres pertinents avant de décider de lancer des expérimentations.

Vous faites référence au rapport Sirugue. Il évoque une allocation intégrée à la base, peut-être un revenu d'existence, mais cela ne semble pas très clair. M. Marc de Basquiat avance quant à lui une définition différente.

Il importe donc de savoir de quoi nous parlons. Nous avons préparé une sorte de typologie des différents revenus envisagés, présentée dans un tableau synthétique que nous vous transmettrons.

L'ANSA a pour vocation de lutter contre la pauvreté et pour l'inclusion. Pour esquisser la toile de fond de notre intervention, je citerai ce texte issu de la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne de la Commission européenne :

« L'inclusion sociale est un processus qui garantit que les personnes en danger de pauvreté et d'exclusion obtiennent les possibilités et les ressources nécessaires pour participer pleinement à la vie économique, sociale et culturelle et qu'elles jouissent d'un niveau de vie et de bien-être considéré comme normal pour la société dans laquelle elles vivent. L'inclusion sociale leur garantit une meilleure participation aux processus de prise de décision qui affectent leur vie et un meilleur accès à leurs droits fondamentaux. »

Ce texte, validé au niveau européen, correspond à ce que prône l'ANSA. La problématique de l'inclusion recouvre un ensemble de dimensions sociales, culturelles et économiques et ne se limite pas à la seule question du revenu. L'instauration d'un revenu d'existence ne résoudra donc pas tous les problèmes liés à l'exclusion - nous nous accorderons sur ce point -, mais elle contribuera peut-être à libérer du temps et des énergies pour aller vers une inclusion sociale, culturelle et, de fait, économique.

Des expérimentations sont bien entendu nécessaires. Vous avez évoqué l'expérience finlandaise, mais d'autres, moins connues car menées hors d'Europe, en Iran ou au Brésil, par exemple, peuvent également présenter de l'intérêt. Des débats ont lieu ailleurs dans le monde sur ce sujet ; il est nécessaire de les prendre en compte.

Il importe d'affirmer dès le départ l'intention de transformation sociétale de ceux qui vont porter cette expérimentation, laquelle ne saurait servir d'alibi. Pour être sérieuse et crédible, et pour produire des résultats probants, elle suppose la mise en oeuvre d'un dispositif coûteux en argent, en personnes, en structures.

Ensuite, comme MM. Denis Clerc, Marc de Basquiat et d'autres l'ont affirmé, il s'agit d'une question sociale et sociétale, même si elle doit avoir des dimensions juridiques et financières. Le travail sur ce revenu ne saurait se résumer à une discussion entre experts pour préparer une expérimentation. Il faut donc envisager une forme d'animation pertinente, comme un jury citoyen, pour construire les termes de référence de l'expérience en associant les personnes concernées, les citoyens, les collectivités territoriales, l'État, mais aussi les entreprises.

J'entends le Secours catholique et le Secours populaire souligner l'importance du travail en tant que présence à la société. S'agit-il toutefois du travail salarié ou de la contribution à la société sous toutes ses formes ? La société se numérise et peut laisser de côté certaines personnes et certains métiers. Se pose donc la question de la place même du travail.

Il faut lancer une expérimentation en s'assurant de la volonté de transformation à l'oeuvre et en lui accordant un temps suffisant. Cela ne se fera pas en deux ans : s'il faut s'en donner dix, eh bien soit !

Il est important que cette démarche soit soutenue par une politique publique engageant l'État et les collectivités territoriales. Ces dernières sont proches des publics concernés et doivent être associées ; cela vaut pour les départements, dont c'est le coeur de métier, mais également pour les autres niveaux. Il en va de même de la société civile, avec les associations et les partenaires sociaux, comme du monde académique et, enfin et surtout, des personnes intéressées. Cette dernière exigence est inscrite dans tous les projets, mais n'est pas toujours respectée. Les associations ici représentées sont là pour faciliter la relation avec les personnes concernées.

Mettre en place une telle expérimentation, rassemblant des acteurs si nombreux, aux points de vue souvent différents, nécessite que la structure chargée de la mener soit choisie avec soin. L'entité qui animera le processus devra être experte, mais neutre, et apte à maintenir le cap sur l'objectif final sans pour autant empêcher quiconque de s'exprimer. Elle devra enfin favoriser la créativité afin de parvenir à un résultat. Je ne cherche pas à faire la promotion de l'ANSA, mais il est vrai que cela correspond à notre profil ! S'agissant d'un sujet aussi complexe et impliquant aussi profondément tous les acteurs, il importe de détenir un véritable savoir-faire en matière d'animation.

Du fait de notre expérience de l'accompagnement des dynamiques d'inclusion, nous savons qu'apporter un revenu ou une allocation ne doit pas amener à se défausser de l'obligation d'accompagner les personnes concernées afin qu'elles puissent trouver leur place dans la société et exercer pleinement leur citoyenneté.

M. Pascal Lallement, délégué national d'ATD Quart Monde. - J'ai reçu ce matin un courrier que je ne comptais pas évoquer ici, mais les débats m'y ont fait penser. Une personne en situation de pauvreté, invitée à participer à une université populaire Quart Monde organisée à Toulouse sur le thème du revenu de base, nous a écrit qu'elle refusait de s'y rendre, car elle n'avait pas envie de parler de ce sujet. Elle cherche du travail, indique-t-elle, et elle participera à ce genre de débat quand elle en aura trouvé un, mais pas avant. C'est là un point très important.

ATD Quart Monde est très réservée sur le revenu de base, même si nous n'avons pas encore arrêté une position officielle. Nous y réfléchissons, avec d'autres, comme M. Marc de Basquiat et son équipe. Cela pourrait être, en effet, une réponse aux dysfonctionnements des minima sociaux.

Comme le Secours populaire, nous mettons l'accent sur le Préambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel tout être humain en incapacité de travailler est en droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables pour vivre. C'est là tout le sens de notre action. Nous ne voyons pas ce que le revenu de base peut apporter aux très pauvres. Mettons d'abord en oeuvre la Constitution, et soutenons les personnes qui sont dans l'incapacité de travailler ; le RMI allait dans ce sens. Il reste la nécessité d'exister dans la société, d'être utile aux autres et d'avoir sa place. Les deux démarches vont de pair.

Dans cette perspective, il faut rendre les minima sociaux moins complexes, comme le préconise le rapport Sirugue. Demander le RSA est très compliqué, il est presque impossible de mener à bien cette démarche, qui est aussi très intrusive. Qui a envie de déballer ainsi son intimité et sa vie ? Cela aboutit à des non-recours : beaucoup ne demandent pas le RSA parce qu'ils ont honte.

Malgré cela, nous sommes sceptiques quant au revenu de base, parce que nous ne sommes pas certains qu'il représente un progrès pour les très pauvres. La question de l'utilité et du refus de l'inactivité forcée est importante et doit faire partie de la réflexion. Trop de gens sont laissés pour compte, n'ont pas leur place dans la société et doivent être reconnus.

C'était tout l'objet du RMI. Dans les années quatre-vingt, Michel Rocard s'était appuyé sur une expérimentation que nous menions en Ille-et-Vilaine pour lancer le RMI, nous prenant un peu de court. Il faut également organiser la société pour que les gens puissent travailler et que chacun puisse être reconnu.

Voilà ce que les gens concernés nous expriment. On peut réfléchir au rapport au travail, car la société a évolué, mais les familles très pauvres nous rappellent constamment que cette dimension est pour elles absolument essentielle.

De ce point de vue, le revenu automatique présente un danger, car la question du travail et de l'utilité sociale est laissée de côté. Sa mise en oeuvre risque de renforcer l'inactivité forcée.

Appliquons donc pleinement la Constitution, simplifions l'accès aux minima sociaux ; nous n'avons pas forcément besoin de mettre en place un revenu de base pour cela.

À nos yeux, la garantie jeunes, qui se double d'un processus d'insertion, d'accompagnement et de formation permettant de travailler en entreprise, est plus intéressante qu'un RSA rendu accessible dès l'âge de dix-huit ans - cette idée est également évoquée. En effet, le risque serait alors que l'on se dise : « ce jeune a le RSA, inutile de continuer à nous en occuper ». Les très pauvres vivent constamment ces situations. Le bénéfice de la garantie jeunes devrait pouvoir durer plus d'un an, car les jeunes en grande précarité ont besoin de plus de temps. Le dispositif sera d'ailleurs évalué et, sans doute, étendu en 2017.

Nous menons également une expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Dans ce cadre, nous organisons des réunions de chômeurs de longue durée dans les territoires. Je me souviens d'un homme très découragé, en recherche d'emploi depuis des années. Chaque fois qu'on lui donnait la parole, il ne pouvait que dire : « je veux être utile ». C'est pour lui fondamental, comme pour chaque être humain.

Expérimentons ! La région Nouvelle-Aquitaine nous a déjà sollicités pour cela, mais je ne sais pas à quelle échelle elle compte agir et je ne connais pas encore les détails.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - J'ai moi aussi reçu un courrier de cette région, qui anticipe un peu sur les conclusions de notre rapport. Cela prouve que les territoires sont intéressés !

M. Pascal Lallement. - Une telle démarche permettrait de conduire une évaluation avec des personnes qui connaissent la plus grande insécurité. Les plus pauvres savent de quoi ils parlent et il faut les écouter, car ils détiennent la solution.

M. Dominique Redor, économiste au Secours catholique français. - Je suis membre de la commission « emploi » du Secours catholique, et je suis également professeur émérite de sciences économiques à l'université Paris-Est.

Dans le prolongement direct de ce qui a été dit, je souhaite intervenir sur un thème qui a été peu abordé : la situation du marché du travail, les chômeurs et les inactifs.

On dénombre en France entre trois et cinq millions de chômeurs, selon que l'on tient compte ou pas des chômeurs partiels. Or la question du revenu de base ou du revenu universel émerge également en raison des difficultés grandissantes que l'on observe sur le marché du travail.

Je vais évoquer les travailleurs pauvres, d'abord, puis les gens qui bénéficient d'emplois stables, mais connaissent des conditions de travail de plus en plus dures. Comment peut-on avoir un emploi et être pauvre ? D'un autre côté, comment peut-on subir un stress professionnel et une intensification des rythmes de travail alors qu'il y a de trois à cinq millions de chômeurs ?

Le marché du travail connaît une segmentation en deux grands secteurs très étanches.

Le segment secondaire est formé de gens dont la situation est instable. De nombreuses études statistiques et qualitatives montrent que l'on reste prisonnier de ce segment. Les personnes concernées enchaînent les contrats à durée très courte, les temps partiels non choisis, les missions d'intérim, etc., ainsi, bien sûr, que les périodes de chômage. Le segment secondaire rassemble donc tous ceux qui se trouvent à la marge du marché du travail. Il s'agit toujours des mêmes personnes, qui sont prisonnières de cette situation. Elles sont plusieurs millions, puisque l'instabilité de l'emploi concerne malheureusement beaucoup de monde. Une des grandes difficultés que rencontre actuellement la protection sociale tient au fait qu'elle doit non seulement s'adresser aux inactifs ou aux chômeurs, mais aussi à ces travailleurs pauvres.

Le secteur primaire du marché du travail rassemble quant à lui ceux dont la situation est relativement stable. Fort heureusement, ils sont plus nombreux que les précédents. Ils sont souvent employés en CDI, avec une bonne ancienneté, un bon diplôme, un salaire convenable, et ne connaissent que des épisodes de chômage relativement courts.

L'étude des trajectoires professionnelles indique que ces gens parviennent très souvent - mais pas toujours ! - à préserver cette situation. Ils subissent toutefois une concurrence très forte à l'intérieur de ce segment pour s'y maintenir et ne pas être déclassés dans le secteur secondaire, ce qui arrive malheureusement, notamment à l'occasion de restructurations d'entreprises.

Cette situation du marché du travail a plusieurs causes. La première est la ségrégation et la discrimination suivant le genre, l'âge, l'origine nationale, ainsi que l'origine sociale. On sait aujourd'hui que résider dans certains quartiers représente un handicap pour être recruté. À ces facteurs s'ajoute la situation connue de l'éducation et de la formation : c'est pour nous une cause essentielle des problèmes sociaux que l'on rencontre aujourd'hui, en lien avec le marché du travail.

Quel est aujourd'hui le degré de liberté d'un individu relevant du segment secondaire en vue de trouver ou retrouver un travail stable et décent ? Les études l'ont montré, la probabilité qu'il accède au segment supérieur est extrêmement faible, au regard du contexte de ségrégation et de discrimination ainsi que, parfois - il faut le dire -, du contexte institutionnel et réglementaire. Ce très faible degré de liberté constitue à nos yeux un des éléments de la pauvreté de certains travailleurs.

Nous sommes extrêmement surpris de constater que beaucoup de partisans du revenu de subsistance universel emploient le terme de « liberté » à tort et à travers. Aujourd'hui, quelle est la liberté, au sens économique, de trouver un emploi stable pour quelqu'un qui ne dispose que d'un faible niveau de formation, pour un « décrocheur » - sur une cohorte de 800 000 jeunes chaque année, on en compte entre 100 000 et 120 000 - qui vit dans un quartier stigmatisé ? Elle est à peu près nulle !

S'ajoute à cela la question de la stigmatisation, sur laquelle je ne m'étendrai pas. On sait bien que les gens qui ne sont pas formés et qui ont connu des épisodes de chômage à répétition sont stigmatisés.

En quoi le revenu de subsistance, destiné à apporter une aide financière aux personnes qui se trouvent exclues du marché du travail ou à sa marge et qui, de toute façon, sont stigmatisées et victimes de ségrégation, changera-t-il cette réalité ?

Ces personnes seront d'autant plus stigmatisées qu'elles porteront la marque de ceux qui ne peuvent vivre qu'avec le revenu de subsistance. Si l'on introduit demain ce revenu, leur liberté ne sera pas plus grande qu'elle ne l'est aujourd'hui, et nous n'aurons pas résolu les problèmes auxquels elles sont confrontées.

Les précédents intervenants ont déjà insisté sur ce qu'il faudrait faire, et leurs propos se sont sensiblement éloignés de la simple définition du type de revenu de subsistance à verser à ceux qui sont en situation de grande difficulté, voire de difficulté moyenne !

M. Daniel Percheron, rapporteur. - Je respecte vos analyses, mais vos propos sont quelque peu paradoxaux. Le Secours catholique condamne le système capitaliste dominant, qui fait du tort à la planète. En même temps, devant les esquisses de régulation, comme le revenu de base, vous êtes sceptiques. Nous entendons bien votre hymne au travail, entonné également hier par les représentants des organisations syndicales. Néanmoins, la société européenne se demande aujourd'hui si le travail, et à travers lui le salariat, sera toujours au rendez-vous demain. Ne devons-nous pas inventer d'autres formules face à la mondialisation ?

Certains pays, comme les États-Unis, connaissent quasiment une situation de plein emploi, mais les dépenses de protection sociale y sont inférieures à 20 % du PIB. Il existe une manière à la française d'aborder la question, qu'il s'agisse de la pauvreté, du numérique, de la robotisation ou de la sécurisation des parcours.

Le Secours populaire français a évoqué à juste titre la culture dans les quartiers. L'exception française en matière culturelle est unique au monde. Elle repose sur un subtil équilibre entre financements publics et loi du marché. « La culture n'est pas une marchandise », voilà un merveilleux slogan !

Nous nous inscrivons dans cette démarche avec le revenu de base. En Finlande, les revenus les plus bas sont de l'ordre de 1 000 euros, pour des dépenses de protection sociale s'élevant à 30 % du PIB. Les dirigeants de cet extraordinaire petit pays où le taux de chômage atteint presque 9 % estiment que le revenu universel de base pourrait être une des solutions. Ils envisagent sérieusement d'en expérimenter la formule tout d'abord pour les chômeurs, avant de progressivement la généraliser. Leur méthode nous a fortement impressionnés.

ATD Quart Monde nous a semblé bien catégorique. Louis Gallois l'a été un peu moins hier sur les « territoires zéro chômeur de longue durée ». Quoi qu'il en soit, vos interventions sont d'un intérêt fondamental et nous en tiendrons le plus grand compte.

M. Jean Desessard. - Le revenu de base, selon vous, ne répondrait pas à la problématique principale, qui est de redonner de la dignité à nos concitoyens les plus fragiles par le retour au travail. En ce cas, votre critique vaut aussi pour le RSA ! Lorsque le RSA « activité » a été mis en place, j'ai prédit à M. Martin Hirsch que le dispositif ne fonctionnerait pas. On voit aujourd'hui le résultat ! Quoi qu'il en soit, l'instauration d'un revenu de base versé à tout le monde présenterait au moins l'avantage de simplifier la procédure.

Vous dénoncez également un retour à l'inactivité forcée. Je ne comprends pas très bien votre raisonnement. En quoi l'assurance d'avoir un revenu pour faire vivre sa famille poussera-t-elle à l'inactivité ?

Selon vous, il faudrait mettre l'accent sur la formation pour favoriser le retour à l'emploi. M. Dominique Redor a opposé deux catégories : les « précaires » et les « inclus ». Or il reconnaît lui-même que ces deux mondes ont du mal à se rejoindre, en raison d'une étanchéité quasiment systémique. Il ne sera pas simple aux politiques que nous sommes de créer des passerelles pour surmonter tous les obstacles qu'il a énumérés ! Il serait important que vous nous suggériez des pistes pour régler le problème avant dix ans. En attendant le retour au plein emploi, il me paraîtrait utile que chacun puisse disposer d'un revenu inconditionnel. Une telle solution ne relève pas de l'assistanat. Il est fondamental que la société donne à chacun les moyens de vivre !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - La liberté, c'est le travail. Nous sommes tous d'accord sur ce point. Encore faut-il qu'il y ait du travail...

Aujourd'hui, les jeunes ont du mal à accéder à l'emploi. Les séniors, eux, ont du mal à conserver leur travail. Comment sécuriser les parcours ? C'est toute l'idée du RSA, dont la mise en oeuvre n'est certes pas très heureuse - je rejoins d'autant plus volontiers les critiques formulées par M. Jean Desessard que j'avais déposé, avec Mme Valérie Létard, une proposition de loi dont le dispositif était à mon sens préférable à celui de M. Martin Hirsch. Le revenu doit-il être universel ? Hier, M. Louis Gallois reconnaissait que, étant donné son niveau de salaire, lui verser un revenu de base n'aurait aucun sens. En revanche, quand on est précaire, percevoir un tel revenu en a un, à condition que cela mène vers le travail - salarié ou pas - qui demeure encore une valeur essentielle en termes d'autonomie et de liberté.

Notre rôle est de clarifier la situation afin d'aboutir à une terminologie commune, pour que nous soyons bien sûrs de parler des mêmes choses. Il serait utile, si nous arrivions à nous mettre d'accord, de trouver un terrain d'expérimentation. Loin de nous l'idée d'imposer. Il s'agit plutôt de tester afin de déterminer in concreto la meilleure solution. Certes, l'expérimentation n'est pas chose aisée, car se trouve mis en jeu tout notre environnement fiscal, social et humain. Les interactions sont multiples. Nous sommes conscients des difficultés. Mais nous voulons faire avancer la cause que vous défendez et que nous soutenons, comme les partisans du revenu de base. Il importe de faire converger nos problématiques, au bénéfice de l'humanité.

M. Dominique Redor. - Je voudrais apporter quelques clarifications. Nous sommes tous d'accord pour reconnaître que le travail et le marché du travail sont des questions centrales. La segmentation du marché du travail n'est pas non plus contestée. Elle trouve son origine dans la discrimination, la ségrégation, la stigmatisation, mais aussi dans les insuffisances de notre système de formation première et de formation continue. Si nous voulons moins de travailleurs pauvres et un travail décent pour le plus grand nombre, il faudra nous attaquer aux racines de la segmentation.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Nous le faisons déjà ! Peut-être pas très bien, peut-être de manière insuffisante, mais nous agissons en faveur de la formation, même si le système de formation professionnelle n'est pas réellement adapté. Pour moi, la première source de discrimination, avec la naissance, c'est que trop de jeunes sortent de l'école primaire sans savoir lire, écrire ni compter correctement ! ATD Quart Monde s'est battu contre cette situation.

M. Pascal Lallement.  - Nous continuons !

M. Dominique Redor. - Je constate, monsieur le président, que nous sommes d'accord ! Le revenu de base, qu'il soit de conception minimaliste - amélioration du système de protection sociale - ou plus étendue - instauration du revenu universel -, ne remédiera pas aux facteurs fondamentaux de la segmentation du marché du travail, qui est l'un des grands déterminants du chômage et de la situation des travailleurs pauvres.

M. Pascal Lallement.  - Plusieurs écoles existent pour la mise en oeuvre du revenu universel. Soyons attentifs à ne pas précariser encore plus les personnes. Quand j'entends dire que l'instauration du revenu de base supprimerait toutes les aides sociales, y compris la couverture maladie et les allocations logement, cela m'affole !

Par ailleurs, quelle société voulons-nous pour demain ? L'informatique et l'automatisation des tâches ont supprimé des emplois. Devons-nous nous satisfaire de cet état de fait ou ne vaudrait-il mieux pas chercher à créer du travail ? C'est toute l'idée du projet « Territoires zéro chômeur de longue durée ».

Mme Henriette Steinberg. - Le degré d'exaspération d'une partie toujours plus grande de la population n'est pas correctement pris en compte. Croire qu'il serait possible d'acheter la paix sociale est une erreur fondamentale. Notre rôle n'est pas de trouver des solutions au chômage. Nous disons simplement que si l'on ne place pas résolument ces interrogations au coeur d'une réflexion collective nous courrons droit à la catastrophe. Le Secours populaire a une histoire, tant en France qu'à l'étranger. Rien ne nous permet de penser que les pouvoirs publics prennent bien toute la mesure du danger. Le sentiment d'inquiétude et d'urgence que nous ressentons doit être un des moteurs de la réflexion. Il s'agit d'une question majeure, même si elle ne figurait pas sur la liste des sujets que nous devions aborder aujourd'hui. Il est important que les personnes mises à l'écart puissent renouer le contact avec les autres, qu'elles se sentent utiles sous une forme ou sous une autre. La violence s'exprimera alors moins. Notre réflexion sur les enfants n'est pas une clause de style. Concrètement, si les pouvoirs publics mettent demain en place un revenu de base, nous ferons comme d'habitude, c'est-à-dire que nous ferons avec !

Quoi qu'il en soit, il convient de prendre la mesure de ce que nous vivons, en France, en Europe et dans le monde.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président. - Je dois vous quitter pour participer à une autre réunion. Je cède la présidence à M. Jean Desessard.

M. Guillaume Almeras.  - De quoi parlons-nous ? Le sujet paraît simple, car le concept est très accessible. Néanmoins, l'instauration d'un revenu de base suppose une réflexion élaborée tenant compte de la fiscalité des entreprises et des ménages. Le revenu de base est présenté comme une solution pour lutter contre la pauvreté, mais ce n'est pas que ça, comme l'a reconnu l'an dernier M. de Basquiat. L'effort qu'il faudra consentir pour transformer la fiscalité française est colossal. Pour quel gain ? Le débat ne doit être ni politique ni en trompe-l'oeil.

M. Jean Desessard, vice-président. - Je vous remercie tous de vos observations. Je retiens deux idées principales. Premièrement, instaurer un revenu de base ne doit pas nous détourner de l'objectif selon vous essentiel : favoriser le retour à l'emploi. Deuxièmement, l'exaspération ou le ressentiment sont tels que toute réforme qui ne porterait pas sur les points essentiels ne serait pas comprise. Une fois que nous aurons lutté avec succès contre les causes du chômage, vous ne seriez pas opposés à l'expérimentation d'un revenu de base.

M. Guillaume Almeras. - Il convient surtout d'étudier les effets d'une telle réforme et de réaliser des études macroéconomiques pour s'assurer que le système fonctionnera sur le plan fiscal.

Mme Sylvie Hanocq. - J'insisterai sur les propos précédents de Michèle Pasteur. Il est important de réaliser une étude de faisabilité avec les acteurs concernés. Il convient de nous interroger sur les conséquences juridiques d'un alignement de tous les minima sociaux, de déterminer l'impact d'une telle mesure sur le budget de l'État et d'examiner les différents systèmes de recettes possibles. Bref, il y a de quoi occuper un bon groupe de travail !

M. Jean Desessard, vice-président. - Je vous remercie tous de vos propositions et du travail que vous accomplissez par ailleurs.

La réunion est levée à 17 h 15.