Mardi 22 novembre 2016

- Présidence de M. Michel Magras, président -

Normes en matière de construction, d'équipement et d'urbanisme dans les outre-mer - Audition de la direction des territoires, de l'alimentation et de la mer (DTAM) et de la Fédération des entrepreneurs et artisans du bâtiment et des travaux publics de Saint-Pierre-et-Miquelon

M. Michel Magras, président. - Nous nous retrouvons aujourd'hui pour poursuivre nos travaux sur les normes applicables au secteur du BTP outre-mer. Je vous rappelle que nous avons déjà entendu sur le sujet la Fedom, la Fédération française du bâtiment, de même que les représentants de grandes entreprises qui interviennent outre-mer, Vinci, Bouygues et Colas.

Nous avons également évoqué avec l'Afnor, jeudi dernier, la situation particulière de la Nouvelle-Calédonie : elle a pleine compétence sur son code de la construction et de l'habitat et elle est en train de se doter d'un corpus normatif propre, quoique très inspiré par les normes françaises.

C'est vers une autre collectivité d'outre-mer à statut particulier que nous tournons notre regard aujourd'hui, Saint-Pierre-et-Miquelon, qui a la particularité de connaître des conditions climatiques très spécifiques. Ce n'est pas le climat tropical qui, cette fois, nécessite une adaptation des normes nationales, mais les contraintes d'un climat subarctique. La place de l'archipel dans son environnement régional, en particulier sa proximité avec le Canada et ses conséquences en matière de familiarité avec des normes non européennes, d'une part, d'approvisionnement en matériaux de construction d'autre part, intéressera très certainement les rapporteurs.

Je remercie de participer à notre visioconférence Monsieur Roger Hélène, président de la Fédération des entrepreneurs et artisans du bâtiment et des travaux publics et Monsieur Patrick Mercier, chef du service « énergie, risques, aménagement et prospectives », accompagné de Madame Mélanie Joly, chef de l'unité « constructions publiques », de la direction des territoires, de l'alimentation et de la mer (DTAM) de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Avant d'aborder notre sujet du jour, je vous rappelle que nous nous retrouverons en séance publique ce soir pour l'examen et l'adoption de notre proposition de résolution européenne sur les normes agricoles et la politique commerciale de l'Union européenne.

M. Roger Hélène, président de la Fédération des entrepreneurs et artisans du bâtiment et des travaux publics de Saint-Pierre-et-Miquelon. - Merci de votre invitation. Le code de la construction et de l'habitat ne s'applique pas à Saint-Pierre-et-Miquelon. Les spécificités locales sont mal connues de la métropole, y compris des maîtres d'oeuvre hexagonaux. Seules les entreprises et les architectes locaux, ainsi que la DTAM en conservent la mémoire. Les normes canadiennes ATS de la Canadian Standards Association (CSA) sont nettement différentes des normes françaises NF et européennes CE. Tout notre problème, en particulier pour les marchés publics où cela peut générer de grandes difficultés, est d'obtenir une équivalence des normes portant sur les matériaux.

M. Patrick Mercier, chef du service « énergie, risques, aménagement et prospective » de la direction des territoires, de l'alimentation et de la mer (DTAM). - En effet, le code de la construction et de l'habitat ne s'applique pas dans sa totalité à Saint-Pierre-et-Miquelon. Plus précisément, toutes les dispositions relevant du code civil s'appliquent. Seules les dispositions relatives proprement au bâtiment et aux travaux publics ne s'appliquent pas. C'est relativement gênant. Pour y remédier, nous proposons que la partie « bâtiment et travaux publics (BTP) » du code de la construction et de l'habitation (CCH) soit adossée au code de l'urbanisme local sous la compétence de la Collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon. Cela renforcerait le corpus technique opposable qui serait tiré vers le haut.

Mme Karine Claireaux, rapporteur. - Pourriez-vous préciser davantage votre proposition ?

M. Patrick Mercier. - Le volet bâtiment du CCH pourrait être adossé au règlement d'urbanisme local. Un pétitionnaire déposant un permis de construire, qu'il soit un particulier ou un maître d'ouvrage, s'engagerait à respecter le règlement d'urbanisme local ainsi que la partie BTP du CCH métropolitain qui lui serait adjointe.

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur. - Qu'en pensent les entreprises ? Souhaitent-elles également cette adjonction de la partie BTP du CCH au code de l'urbanisme propre à Saint-Pierre-et-Miquelon ?

M. Roger Hélène. - Je resterai prudent. Pour les marchés privés, les normes et les matériaux canadiens sont souvent utilisés. Il ne faut pas tout chambouler car nous avons des habitudes qui fonctionnent bien. Par ailleurs, pour tous les marchés publics, nous sommes astreints au respect de la réglementation française. Nous suivons le code des marchés publics et les documents techniques unifiés (DTU) au plus près. C'est notre devoir. Nous engagerions notre responsabilité en ne le faisant pas.

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur. - Vous utilisez donc les normes et les matériaux canadiens à Saint-Pierre-et-Miquelon pour la construction privée mais pas pour les bâtiments publics ?

Mme Mélanie Joly, chef de l'unité « Constructions publiques » de la direction des territoires, de l'alimentation et de la mer (DTAM). - Il faut faire un distinguo entre les constructions privées et les constructions publiques. Les constructions privées ne sont absolument pas réglementées comme en métropole. Les constructions publiques sont soumises au code des marchés publics (CMP). La question centrale est celle de la possibilité d'utiliser des matériaux canadiens pour la réalisation de marchés publics de construction de travaux.

M. Patrick Mercier. - On pourrait imaginer un scénario catastrophe. Prenons l'exemple d'un particulier qui construit lui-même sa maison. Il n'est pas soumis au CMP. Il ne passe pas par une entreprise et n'est donc pas assujetti aux DTU. Supposons qu'il soit malhabile et fasse n'importe quoi, qu'en conséquence sa maison s'écroule en faisant des blessés, voire des morts. Il n'y aurait pas clairement de faute car rien ne lui est imposable. On se trouverait face à un vide juridique.

M. Michel Magras, président. - Aux termes du statut de Saint-Barthélemy, la Collectivité dispose de la compétence en matière d'urbanisme, de construction, d'habitat et de logement. Malgré tout, le code civil y est applicable.

Mme Karine Claireaux, rapporteur. - C'est également le cas à Saint-Pierre-et-Miquelon.

M. Michel Magras, président. - Qu'en est-il des bâtiments recevant du public ? Ce sont parfois des constructions privées mais des règles de sécurité particulières doivent s'y appliquer, avec l'intervention d'une commission de sécurité et la délivrance d'une autorisation d'ouverture.

Mme Mélanie Joly. - Absolument.

Mme Vivette Lopez, rapporteure. - Considérez-vous que les normes canadiennes sont mieux adaptées que les normes françaises aux conditions climatiques de Saint-Pierre-et-Miquelon ?

Mme Mélanie Joly. - Nous sommes en présence de deux cultures de la conception très différentes, ce qui rend les comparaisons difficile. Il faut également distinguer au sein des normes canadiennes entre celles qui régissent les matériaux et celles qui concernent les modalités de construction. Les normes canadiennes sur les matériaux, sans être forcément préférables, sont au moins adaptables et compatibles avec les normes françaises. En revanche, les normes canadiennes de construction proprement dites ne sont pas du tout compatibles avec le modèle français car elles ne sont pas calculées selon le même principe.

M. Patrick Mercier. - La conception canadienne est particulièrement éloignée de la nôtre en matière de protection contre les incendies et de « sécurité-solidité », au sens général. La réglementation qui prévaut en Amérique du Nord - États-Unis et Canada ne se distinguent pas de ce point de vue - a pour objet la protection des biens. En pratique, elle conduit à mettre en oeuvre quasiment systématiquement une installation d'extinction automatique des incendies (sprinkler) pour empêcher le développement du feu. Partant du principe que le feu ne se développera pas, la stabilité au feu du bâtiment lui-même n'est pas recherchée. La réglementation française, en revanche, vise à permettre aux personnes présentes dans le bâtiment au moment du sinistre de disposer du temps suffisant pour évacuer les lieux. Le bâtiment est alors construit en déterminant une résistance au feu pendant un certain délai fixé.

Autre différence de conception de la construction : les Canadiens envisagent différemment la notion de durabilité du bâtiment. Ils admettent deux niveaux de qualité distincts. Le niveau le plus bas qu'on pourrait qualifier de low cost correspond à des bâtiments construits à partir de matériaux peu onéreux en utilisant des assemblages simples. Dans ce cas, le bâtiment est assimilé à un bien de consommation avec une durée de vie limitée à 20 ou 30 ans. Le niveau le plus élevé, plus sophistiqué et plus onéreux, correspond approximativement aux modes de construction retenus par la réglementation française, par exemple pour bénéficier de la garantie décennale. Selon le choix que le constructeur canadien fait, low cost ou haute qualité, il ne recourt pas du tout aux mêmes matériaux. C'est pourquoi des entreprises françaises achetant des matériaux canadiens peuvent sans le vouloir acquérir des matériaux low cost inadaptés pour nos modes de construction. Ces différences de conception de la construction nous invitent à être prudents dans l'utilisation de matériaux canadiens sur les chantiers français.

M. Roger Hélène. - Les matériaux canadiens sont connus depuis longtemps à Saint-Pierre-et-Miquelon. Les constructions privées de type pavillon et maison individuelle sont à 70 % construites par les gens eux-mêmes, des fondations à la toiture et aux finitions. C'est pour ce type de chantier que le recours aux matériaux canadiens est fréquent. En revanche, dans les projets privés recevant du public, les entreprises respectent des normes beaucoup plus strictes, comme en matière de marchés publics. La référence aux réglementations françaises, aux DTU et aux demandes des bureaux de contrôle s'impose alors. En général, cela se passe plutôt bien.

M. Patrick Mercier. - Il ne faut pas perdre de vue la question des sinistres et de l'assurance. Prenons l'exemple d'un bâtiment public construit par un maître d'ouvrage public. Si l'attributaire du marché propose l'emploi de matériaux canadiens, qui ne bénéficient pas de la garantie décennale - puisqu'elle n'existe pas au Canada -, on peut imaginer, en cas de sinistre, qu'un expert de l'assurance sourcilleux tente de mettre en cause le produit canadien pour refuser de dédommager les dégâts.

Autre exemple : une entreprise peut toujours proposer un matériau canadien (revêtement mural, moquette, ...) dont elle estime les propriétés équivalentes à celles d'un matériau français. Le maître d'oeuvre et le bureau de contrôle examinent cette proposition au regard des fiches techniques canadiennes. Admettons qu'ils valident l'équivalence. Même dans ce cas, le produit canadien ne bénéficiera toujours pas de l'estampille des normes NF ou CE, ce qui ouvre une incertitude juridique : que se passera-t-il en cas de sinistre ? Comment l'assurance prendra-t-elle en charge les dommages ? Comment les responsabilités seront-elles distribuées entre le maître d'ouvrage, le maître d'oeuvre, le contrôleur technique et le constructeur ?

Nous n'avons heureusement pas eu de sinistre mais nous ne savons pas ce qui se passerait juridiquement si ce type de cas survenait.

M. Roger Hélène. - Je ferai une distinction entre les matériaux. Ainsi le ciment n'est pas un bon exemple si l'on veut pointer l'insécurité juridique qui pourrait être causée par un défaut d'assurance de matériaux canadiens. En effet, Lafarge est largement implantée au Canada où il produit des ciments qui sont canadiens pour leur provenance plus que pour leur qualité intrinsèque. Les références et les fiches techniques sont très proches des normes françaises. Nous construisons depuis des décennies à Saint-Pierre-et-Miquelon avec des ciments canadiens sans constater de sinistres et nous avons fait réaliser en laboratoire des essais techniques en métropole pour vérifier la performance de ces ciments. En revanche, sur d'autres matériaux comme les isolants, la question soulevée par la DTAM peut effectivement se poser car les résistances au feu ne sont pas calculées de la même façon. Il faut être extrêmement précis pour établir une équivalence.

Mme Mélanie Joly. - Les entreprises de Saint-Pierre-et-Miquelon qui connaissent bien les normes et les produits canadiens sont en réalité très peu nombreuses. Bien sûr, elles ont l'habitude de les utiliser. Je vise les entreprises véritablement capables de les adapter pour un bâtiment qui respecterait les normes françaises. Celle de Monsieur Hélène en fait partie pour ne pas la citer. Il faut bien reconnaître que, dans bien des cas, les correspondances et les équivalences entre matériaux et normes canadiens et français sont très difficiles à apprécier. Il est essentiel pour les entreprises de Saint-Pierre-et-Miquelon de s'appuyer sur les maîtres d'oeuvre.

M. Patrick Mercier. - Les normes françaises sont déjà conséquentes à assimiler. Le corpus canadien est aussi énorme. La compréhension des équivalences possibles, de surcroît, est un défi. Cela demande en effet beaucoup d'expérience et de connaissances techniques. C'est pourquoi nous avons une proposition à faire pour faciliter et sécuriser les démarches des entreprises. Nous pourrions procéder à la reconnaissance des normes sur les produits canadiens via l'établissement d'un tableau de correspondances qui associerait précisément une norme canadienne à une norme française. Par exemple, tel isolant requis pour une certaines construction selon les normes françaises X aurait dans le tableau un produit équivalent défini par la norme canadienne Y. C'en serait alors fini pour les entreprises, les maîtres d'oeuvre et les contrôleurs des recherches compliquées et des tests à renouveler sur les matériaux. Nous laisserions de côté les normes sur les modalités de construction. Le tableau des correspondances aurait l'avantage de constituer un document de référence établi par les experts de la profession qui pourrait être validé par un arrêté ministériel pour lui octroyer une reconnaissance officielle. Cela serait plus confortable du point de vue juridique comme opérationnel.

M. Michel Magras, président. - Je comprends l'intérêt de ce document opposable. Qui serait chargé de l'élaboration du tableau d'équivalences ? Cela viendrait-il des services de l'État ? Des entreprises de Saint-Pierre-et-Miquelon ?

M. Patrick Mercier. - L'établissement du tableau de correspondances pourrait être confié à un centre technique comme le CSTB dans le cadre d'une coopération avec le Canada. Les professionnels du bâtiment sont rassemblés au sein du CSTB, qui est en plus adossé aux administrations ministérielles. Cela pourrait concerner les parpaings, les isolants, les revêtements muraux...

Le document serait évolutif et mis à jour en fonction de l'évolution des matériaux et des normes, avec des rendez-vous réguliers entre 2 et 5 ans.

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur. - La fixation de correspondances précises permettrait-elle de substituer des matériaux canadiens aux matériaux européens ? Cette substitution éventuelle abaisserait-elle les coûts de revient des bâtiments publics et établissements recevant du public (ERP) ? Faciliterait-elle les approvisionnements ?

M. Roger Hélène. - Je ne suis pas sûr des effets de cette mesure. Prenons l'exemple de l'acier. L'alliage canadien est très peu utilisable à cause de son dimensionnement - 2 mm de diamètre de plus - et de sa moindre élasticité qui le rendent très difficile à façonner. On ne peut l'utiliser à Saint-Pierre-et-Miquelon que pour des éléments rudimentaires comme des fonds de coffrage. On ne peut pas le façonner. Il ne sera donc pas davantage possible de l'utiliser dans nos charpentes métalliques après établissement d'un tableau de correspondances qu'aujourd'hui. En revanche, cette proposition peut être intéressante pour les matériaux simples et basiques, comme les isolants et les placoplatres. Reste qu'il ne faudrait pas tomber non plus dans le piège de la révision permanente des correspondances qui serait très lourde à gérer. Les techniques du bâtiment évoluent sans cesse et on ne peut l'ignorer.

Mme Mélanie Joly. - Nous pensions aussi aux fenêtres. Toutes les fenêtres posées à Saint-Pierre-et-Miquelon sont d'origine canadienne. Aucune fenêtre française ne présente les caractéristiques nécessaires en termes d'étanchéité et de longévité. Or, il est paradoxalement difficile de parvenir à faire valider la pose de fenêtres canadiennes par les bureaux de contrôle.

M. Patrick Mercier. - Nous sommes partis du classement air-eau-vent (AEV) qui encadre les caractéristiques des fenêtres françaises pour essayer d'en trouver l'équivalent canadien. Puis, nous nous sommes dit que des correspondances méritaient d'être établies pour les isolants.

Je reconnais qu'il serait très lourd de balayer l'ensemble des matériaux de construction mais nous pourrions cibler certains produits prioritaires. Cela faciliterait leur utilisation ainsi que le dialogue entre les maîtres d'oeuvre, les entreprises et les bureaux de contrôle autour d'une référence commune. En revanche, il ne faut pas en attendre ni un raccourcissement des délais, ni un abaissement du prix de revient.

Mme Karine Claireaux, rapporteur. - Je souscris à ce que vous dites des fenêtres françaises qui prennent l'eau dès leur pose car la pluie tombe à l'horizontale à Saint-Pierre-et-Miquelon. Cela nous oblige à recourir à d'autres types de menuiseries.

M. Roger Hélène. - J'aimerais revenir sur l'impact du code des marchés publics. Je crois que l'on peut dire qu'il est désormais entré dans les moeurs et est assez bien accepté par les PME. Il est heureux qu'il s'applique à Saint-Pierre-et-Miquelon car le respect de ce type de règles est important pour garantir une bonne réalisation des ouvrages. Il reste que, dans l'exécution des marchés, nous discutons avec les bureaux de contrôle et les maîtres d'oeuvre lorsque nous envisageons l'emploi des produits canadiens.

Mme Mélanie Joly. - Le code des marchés publics s'applique dans son intégralité à Saint-Pierre-et-Miquelon, à l'exception d'un article spécifique qui est toutefois hors du champ strict de la construction. Il encadre donc les chantiers des bâtiments et des travaux publics. En matière d'habitat individuel bien entendu, le code des marchés publics ne trouve pas d'application, si bien que l'application des normes de construction est laissée à la discrétion de l'opérateur, sans que nous n'ayons constaté de problème.

M. Patrick Mercier. - Il existe un véritable dualisme de normes en matière de construction. D'un côté, l'État, la Collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon et les communes sont contraints par le code des marchés publics qui impose le respect des normes françaises et européennes, des DTU et des avis techniques du CSTB. De l'autre, les constructions des particuliers ne sont encadrées par aucun garde-fou.

M. Roger Hélène. - Il faut revenir à la situation particulière de Saint-Pierre-et-Miquelon qui rend l'archipel complètement dépendant de l'extérieur pour son approvisionnement en matériaux, notamment en ciment, en sable et en acier, qui entrent dans la composition du béton. Nous disposons seulement d'une carrière pour les agrégats. Or, l'acheminement de ces produits pauvres impose une forte contrainte économique aux opérateurs de Saint-Pierre-et-Miquelon. Le transport de tels pondéreux, à la fois lourds et volumineux, nécessite le recours à des containers portés par bateau avec des délais et des coûts largement majorés par rapport à l'Hexagone. Par exemple, entre le transport et la douane, l'acheminement depuis la métropole renchérit les coûts d'un facteur de 2,2 pour une plaque de plâtre et de 2 pour une barre d'acier.

M. Patrick Mercier. - Nous partageons totalement ce constat. C'est pourquoi nous aimerions vous soumettre la proposition suivante : pour soulager la trésorerie des entreprises tout en optimisant les crédits de paiement des collectivités, les acheteurs publics pourraient payer les fournitures de matériaux à leur arrivée à Saint-Pierre-et-Miquelon et non à la livraison des travaux, même si les matériaux ne sont effectivement mis en oeuvre que plusieurs mois après leur acheminement. L'entreprise peut alors payer ses fournisseurs et l'administration est satisfaite de consommer rapidement ses crédits.

Mme Karine Claireaux, rapporteur. - Dans votre idée, le maître d'ouvrage public est-il celui qui doit réceptionner les matériaux et les entreposer en attendant leur mise en oeuvre ?

Mme Mélanie Joly. - Non, l'entreprise réceptionne les fournitures, établit un certificat de propriété pour le maître d'ouvrage public et conserve sous sa garde les matériaux dans un local sécurisé et assuré.

Mme Karine Claireaux, rapporteur. - Les assurances suivraient-elles ?

Mme Mélanie Joly. - Tout à fait.

M. Patrick Mercier. - C'est le cas en Nouvelle-Calédonie où j'ai exercé mes fonctions. Par exemple, je me souviens pour des chantiers routiers que 400 000 euros de bitume étaient payés à l'entreprise prestataire dès l'arrivée de la cargaison au port de Nouméa. Le bitume devenait propriété du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie avant sa mise en oeuvre.

Mme Karine Claireaux, rapporteur. - La difficulté ne sera-t-elle pas reportée sur les collectivités qui devront avancer des fonds alors que la construction n'aura pas commencé ?

Mme Mélanie Joly. - Cela ne peut être mis en place que sur certains marchés, assurément.

M. Patrick Mercier. - De toute façon, il faudra payer la fourniture et la mise en oeuvre. Notre proposition dissocie les deux temps pour payer les fournitures dès qu'elles sont disponibles sur le territoire, puis ensuite la mise en oeuvre.

M. Roger Hélène. - J'irai assez dans votre sens mais je proposerai plutôt de faire bénéficier les entreprises d'avances sur le marché à hauteur de 30 ou 40 % du coût total. En effet, entre la commande de matériaux, leur acheminement depuis l'Hexagone et la mise à disposition sur le chantier, peuvent s'écouler 4 mois pendant lesquels la trésorerie des entreprises doit soutenir seule la charge des fournitures nécessaires.

Mme Mélanie Joly. - Dans ce cas, il faut prendre garde au mécanisme de remboursement d'avance en fin de marché. La trésorerie des petites entreprises leur permettra-t-elle de rembourser l'avance lorsqu'elle leur sera réclamée ? Dans les dernières années, des entrepreneurs nous ont mis en garde car le code des marchés publics prévoit le remboursement de l'avance en toute fin de marché, ce qui pose des problèmes aux très petites entreprises.

M. Roger Hélène. - Il faut adopter le mécanisme en jouant sur les pourcentages et les montants.

M. Patrick Mercier. - Aux termes du code des marchés publics, pour une avance forfaitaire de 10 % du coût total, le remboursement intervient dès que le paiement atteint 60 % de la valeur du marché. La prise en compte de ce type de difficultés nous a amenés à privilégier la solution du paiement préalable des fournitures avec transfert de propriété à l'acheteur public. C'est un sujet à creuser avec la fédération des entreprises du bâtiment et les maîtres d'oeuvre.

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur. - À ma connaissance, ce type de mécanisme existe déjà et les collectivités territoriales ne manquent pas d'y recourir.

M. Patrick Mercier. - Tout à fait.

M. Roger Hélène. - Le système des avances sur marché me paraît meilleur pour préserver la trésorerie des entreprises. Pour la construction de l'hôpital, l'avance de 30 % du montant a beaucoup conforté les entreprises en leur permettant de se mettre en ordre de marche. Le début d'un marché est souvent difficile, en particulier quand il faut réactiver l'entreprise après plusieurs mois d'inactivité pendant l'hiver. La trésorerie est mise à mal pendant ces périodes et un gros marché sans avance est dur à gérer.

Mme Mélanie Joly. - C'est vrai mais il faut aussi convenir que sur le chantier de l'hôpital, après l'avance, certaines entreprises n'ont pas été payées pendant 4 mois ! C'est intéressant mais il faut faire attention.

M. Patrick Mercier. - Pour en revenir strictement à la question des normes applicables et des obstacles qu'elles pourraient induire pour le développement du secteur du BTP, je crois qu'il faut distinguer ce qui relève des textes relatifs à la sécurité et à la solidité des bâtiments, auxquels il est impossible de déroger, de l'ensemble des normes techniques professionnelles pour lesquelles nous pourrions valider des équivalences entre le Canada et la France. Par exemple, la réglementation française demande de poser des plaques de plâtre coupe-feu. Nous ne dérogeons pas à cette norme de sécurité incendie. Comme le Canada ne produit pas ces matériaux, nous gardons uniquement les plaques de plâtre français.

Il ne faut pas toutefois se cacher qu'au-delà des normes sur les matériaux les méthodes de construction divergent fortement. Si on examine le cas des poutrelles, par exemple, on peut constater que les poutrelles canadiennes n'ont pas le même profil que les poutrelles françaises en raison d'approches de la sécurité incendie différentes. Nous ne disposons pas des méthodes de calcul et des protocoles de contrôle canadiens. Les valeurs mentionnées sur les fiches techniques canadiennes ne présentent aucun rapport avec les caractéristiques définies dans les avis techniques français, ce qui rend de fait la transposition directe irréalisable. Pour utiliser une poutrelle canadienne à Saint-Pierre-et-Miquelon, il faudrait procéder à un relevé complet des caractéristiques de la poutrelle et saisir les données dans un logiciel pour les recalculer dans une base NF ou Eurocode.

M. Roger Hélène. - Cet obstacle se dissipe lorsque l'entreprise dispose d'un bureau d'études intégré qui lui permet de réaliser ce type de travail et de calculs.

Mme Mélanie Joly. - Les entreprises de Saint-Pierre-et-Miquelon doivent prouver au contrôleur technique que leurs calculs de charpente ont été faits en appliquant des règles adéquates de conversion vers les normes françaises. Un bureau d'études intégré constitue un avantage certain dans cette démarche mais c'est loin d'être le lot de toutes les entreprises de Saint-Pierre-et-Miquelon.

M. Roger Hélène. - Je dirais que les entreprises cumulent trois difficultés lorsqu'elles veulent mettre en oeuvre des procédés et des matériaux canadiens : une difficulté proprement technique, une difficulté d'accès à la documentation canadienne et la barrière linguistique. Au-delà du Québec, nous avons des contacts avec les provinces anglophones à Halifax et Saint-Jean.

M. Patrick Mercier. - La DTAM peut agir comme maître d'oeuvre ou comme conducteur d'opérations. Comme conducteur d'opérations, elle bénéficie de la présence à ses côtés d'un maître d'oeuvre qui gère la question des équivalences avant de passer le relais au contrôleur technique qui rend un avis sur les propositions du maître d'oeuvre. La DTAM lorsqu'elle agit en conducteur d'opérations se cale sur l'avis des sachants.

Quand la DTAM se trouve en position de maître d'oeuvre, elle reprend un peu la même démarche en s'appuyant sur ses compétences en interne. Ses techniciens examinent les fiches techniques des produits proposés et reprennent les avis techniques des centres canadiens et du CSTB. Ils comparent et vérifient les unités. Si le produit canadien est mis en oeuvre depuis longtemps sans problème, la DTAM valide.

Lorsque nos services ne connaissent pas le matériau ou le procédé en cause ou lorsqu'ils constatent qu'ils ont déjà présenté des inconvénients, la demande est rejetée. La DTAM ne prend aucun risque.

Mme Mélanie Joly. - Le contrôle technique n'est pas obligatoire à Saint-Pierre-et-Miquelon. La DTAM n'agissant comme maître d'oeuvre que sur de petites opérations, notamment de réhabilitation, elle est beaucoup plus confrontée à des produits canadiens que les maîtres d'oeuvre chargés de grosses opérations sur des bâtiments neufs, même si ces derniers ont un gros volume d'activité.

M. Patrick Mercier. - Nous faisons confiance à nos maîtres d'oeuvre, bureaux de contrôle et aux techniciens de la DTAM pour valider les équivalences de performance.

Cependant, notre situation est juridiquement assez inconfortable en cas de sinistre au regard des règles de responsabilité et du respect de la garantie décennale, d'où notre idée d'établir un tableau officiel de correspondances entre produits canadiens et français. Monsieur Hélène évoquait la question de l'acier canadien qui ne répond pas du tout aux caractéristiques souhaitées par les entreprises de Saint-Pierre-et-Miquelon. Rien n'empêche dans ce cas que le tableau mentionne que tel acier canadien ne trouve aucun correspondant aux normes françaises et que l'homologation lui soit à ce titre refusée.

M. Roger Hélène. - En interne, dans mon entreprise, les techniciens réalisent le même type de travail. Les entreprises se réunissent aussi avec la DTAM et les bureaux de contrôle pour obtenir des validations de matériaux canadiens autant que la réglementation le permet. Nous travaillons en bonne intelligence.

Mme Mélanie Joly. - L'absence de contrôle obligatoire rend donc en théorie possible la mise en oeuvre de méthodes et de produits canadiens. Si le recours aux bureaux de contrôle est aujourd'hui facultatif, la Collectivité est compétente pour le rendre obligatoire. Sur tous les bâtiments publics ou recevant du public, les maîtres d'ouvrage imposent un contrôle technique.

M. Patrick Mercier. - Le bureau de contrôle examine les avis émis par le maître d'oeuvre et les produits proposés par l'entreprise. Il transmet son avis au maître d'ouvrage. L'avis du contrôleur technique ne lie pas le maître d'ouvrage mais, dans les faits, il est quasiment toujours suivi. Dans le cas contraire, il devrait assumer une responsabilité très importante en cas de sinistre. Le contrôleur technique joue donc un rôle essentiel. C'est le dernier garant avant le bon pour construction.

Lorsque le bureau de contrôle valide le remplacement d'un matériau NF ou CE par un produit équivalent canadien, le maître d'ouvrage est prévenu. Théoriquement, le maître d'ouvrage pourrait refuser. De facto, il ne le fait pas et s'en remet à l'avis du contrôleur technique.

Nous proposons de rendre obligatoire le contrôle technique pour tous les bâtiments publics et tous les ERP qu'ils soient construits par un particulier comme les supermarchés, par exemple, ou par une collectivité.

M. Michel Magras, président. - Qu'en est-il du contrôle des installations électriques ? Y a-t-il délivrance d'un certificat de conformité en fin de travaux ?

Mme Mélanie Joly. - Tout à fait. Je signale qu'il n'y a pas de contrôleur technique installé à Saint-Pierre-et-Miquelon. Les grands bureaux viennent en mission à échéance fixe dans l'archipel pour réaliser leur programme de contrôle.

M. Patrick Mercier. - Veritas était, par exemple, cette semaine à Saint-Pierre-et-Miquelon.

M. Roger Hélène. - Concernant le coût de la validation, j'ai essayé de faire valider des produits aux normes canadiennes par le passé. Cela représente 50 000 dollars canadiens pour du matériel électrique, par exemple.

Mme Mélanie Joly. - La validation de l'emploi d'un produit canadien sur une construction française est à la charge de l'entreprise. Nous avons rencontré un problème lors de la construction de l'hôpital. Le calcul de résistance de l'isolant canadien en cause a nécessité un examen en métropole qui a duré trois mois. L'entreprise ne nous a pas dit quel coût cela représentait.

M. Michel Magras, président. - C'est une information qu'il nous intéresserait de connaître.

Mme Mélanie Joly. - Je vais me rapprocher de l'entreprise pour l'obtenir.

M. Roger Hélène. - L'opposition de la DTAM à l'utilisation de charpentes en bois et de plaques de plâtre canadiennes n'est pas levée car il n'existe pas d'équivalents. Il existe des règles de portée sur les charpentes. Hors constructions individuelles privées, certaines entreprises ont pu calculer que la fermette canadienne était adaptée à un certain type d'ouvrages donnant lieu à des marchés publics mais les eurocodes imposent une résistance à une surcharge de neige de 300 kg/m² alors qu'à Terre-Neuve, à 25 kilomètres de nos côtes, la norme est de 180 kg/m². Les normes européennes demandent des charpentes très puissantes et empêchent l'utilisation des charpentes en bois canadiennes bien qu'elles soient parfaitement adaptées à nos latitudes.

Mme Mélanie Joly. - En effet, ce type de normes ne bénéficie pas d'un zonage tenant compte de la spécificité géographique de Saint-Pierre-et-Miquelon. Nous sommes alors tenus soit d'appliquer la norme la plus contraignante, soit celle de la région française qui s'apparente le plus à l'archipel. Pour le calcul des charges de neige que doivent supporter les constructions, par exemple, cela conduit à des aberrations. Il n'existe pas, en effet, de village alpin où l'on trouve à la fois les mêmes chutes de neige et autant de vent qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon.

M. Patrick Mercier. - Nous proposons donc que Saint-Pierre-et-Miquelon soit cartographié comme tel dans les eurocodes et dans la réglementation thermique française. Pour l'instant, le territoire est tantôt assimilé au Pas-de-Calais, tantôt aux départements alpins. Nous souhaiterions moins d'analogies et plus de professionnalisme. Les maîtres d'oeuvre disposeront de paramètres fiables et pertinents, ce qui permettra notamment d'appliquer la RT 2012 à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Mme Mélanie Joly. - Pour poser une charpente canadienne à Saint-Pierre-et-Miquelon - nous avons eu le cas récemment - le calcul de transposition aux normes françaises coûte 5 000 euros. Ces résultats ont imposé ensuite un renforcement de la structure et des étais, qui est revenu à 20 000 euros supplémentaires. Dans cet exemple concret, le surcoût est donc significatif. Pourtant, les charpentes canadiennes sont résistantes, simplement elles ne sont pas certifiées NF.

M. Patrick Mercier. - L'inadéquation de la norme française en matière de charge de neige vient de ce qu'à la différence des normes canadiennes en la matière elle ne tient pas compte des effets du vent. La force du vent à Saint-Pierre-et-Miquelon a des effets limitatifs sur la charge de neige effectivement supportée par les constructions puisqu'il souffle une partie de la neige accumulée. À l'inverse, le vent peut à d'autres endroits favoriser l'accumulation de la neige et la formation de congères. Le CSTB est tout à fait à même de cartographier correctement Saint-Pierre-et-Miquelon.

M. Roger Hélène. - Cet exemple montre bien combien il faut être prudent dans l'application de normes de construction à Saint-Pierre-et-Miquelon car les conditions climatiques y sont très spécifiques. La neige rentre par les dessous de toiture, la pluie a tendance à frapper horizontalement les bâtiments. Tout cela ne peut être anticipé depuis l'Hexagone. Il ne faut pas que l'on nous impose des règles ou des modèles qui n'ont aucune chance de fonctionner à Saint-Pierre-et-Miquelon. Il faut tenir compte de l'expérience accumulée localement par le maître d'oeuvre et les entreprises.

Mme Vivette Lopez, rapporteure. - Nous avons bien compris que les normes européennes ne sont pas toujours pertinentes au regard du climat de Saint-Pierre-et-Miquelon. Si Saint-Pierre-et-Miquelon était correctement cartographié, du point de vue des normes techniques, les entreprises et la collectivité bénéficieraient-elles d'une baisse des coûts de revient ?

Mme Mélanie Joly. - Si l'on adapte les normes en matière de charge de neige, on pourra réduire sans doute le coût de construction des charpentes.

M. Patrick Mercier. - Il faut donc que les experts du CSTB viennent réaliser une cartographie sur mesure de Saint-Pierre-et-Miquelon afin que nous disposions d'un référentiel technique adapté comme dans l'ensemble des départements de métropole.

Notre proposition vaut pour tous les outre-mer, car il n'y aurait pas de sens à appliquer aux Antilles les mêmes règles sismiques que dans le Massif central ou les Pyrénées.

M. Michel Magras, président. - C'est tout le sens de notre démarche de différencier les normes selon les territoires lorsque c'est pertinent.

M. Patrick Mercier. - La DTAM travaille avec discernement, maîtrise et professionnalisme lorsqu'elle accorde des dérogations sans prendre de risques. Toutefois, il est vrai qu'un avocat ou un expert d'assurance sourcilleux pourrait tenter de contester devant le juge nos décisions.

Mme Mélanie Joly. - Notre chance est de ne jamais avoir connu de sinistre causé par des produits canadiens. La contrepartie, c'est que nous ne savons pas ce que donnerait un éventuel contentieux sur les conséquences d'une équivalence prononcée par la DTAM.

M. Roger Hélène. - L'État est son propre assureur, ce qui est une sécurité pour les entreprises qui répondent à la commande publique.

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur. - Mais qu'en est-il des particuliers qui construisent eux-mêmes leur maison ? Sont-ils assurés sans difficulté ?

M. Roger Hélène. - Les assureurs locaux couvrent leurs risques sans problème particulier.

M. Patrick Mercier. - Même s'ils utilisent des matériaux canadiens ?

M. Roger Hélène. - Oui absolument, même s'ils utilisent des matériaux canadiens. Le raisonnement est simple : ce qui tient au Canada, tiendra à Saint-Pierre-et-Miquelon. C'est plutôt sur les lots techniques que le respect de la réglementation nécessite d'être vigilant, pas sur les charpentes en bois.

Mme Mélanie Joly. - Le code de la construction et de l'habitation ne s'appliquant pas en totalité à Saint-Pierre-et-Miquelon, les particuliers n'ont pas d'obligation et les assureurs ne font pas particulièrement de difficulté à assurer, dès lors qu'on leur montre que c'est correctement construit.

M. Michel Magras, président. - C'est un point délicat tout de même, si je prends comme référence nos assurances « séismes », « tempêtes », « raz-de-marée, Saint-Pierre-et-Miquelon est plus chanceux que Saint-Barthélemy de ce point de vue.

M. Patrick Mercier. - Le climat étant rigoureux, la population a construit des maisons robustes qui résistent à la neige et au froid. Les constructions sont de bonne qualité par nécessité. C'est pourquoi nous n'enregistrons pas de sinistre. J'ai exercé ailleurs outre-mer et je sais que ce n'est pas le cas partout, loin de là. On y réalise des constructions d'habitation plus légères dans des zones plus difficiles. Lorsque les maisons sont faites en empilant des tôles sur des charpentes légères, la moindre pluie un peu forte cause des dégâts importants, voire l'effondrement de la structure.

M. Roger Hélène. - Depuis une quinzaine d'années, le bois est de plus en plus abandonné dans les constructions individuelles au profit du béton avec coffrage isolant canadien, même si la charpente reste en bois. Ce type de produits nous rapproche de la RT 2012. Les gens commandent davantage leur maison sur plan qu'auparavant, en choisissant parmi les « packages » canadiens proposés. Ils recherchent davantage de confort, de solidité et de protection contre l'humidité.

M. Patrick Mercier. - Il serait difficile d'autoriser de manière systématique des normes et des textes issus d'un pays étranger sur une partie du territoire national. En revanche, nous pourrions avec discernement reconnaître les normes canadiennes sur les matériaux, via le tableau de correspondances dont nous parlions.

M. Roger Hélène. - Nous ne disposons pas vraiment d'une réglementation thermique. Nous nous calquons sur les normes canadiennes pour l'instant. Toutefois, avec l'appui de la Fédération française du bâtiment, nous travaillons à un label de rénovation énergétique ainsi qu'au déploiement de formations adaptées pour les entreprises.

M. Patrick Mercier. - Une adaptation de la RT 2012 à Saint-Pierre-et-Miquelon serait nécessaire pour permettre son application. Des économies pourraient être réalisées par la généralisation du chauffage indépendant au fioul dont le coût serait deux fois moins élevé que celui du chauffage électrique produit par la nouvelle centrale thermique d'EDF. En appliquant la RT 2012, on favoriserait la production locale au fioul plutôt que la production centralisée électrique. On soulagerait la production d'EDF et cela ferait baisser les coûts tout en réduisant l'émission de gaz à effet de serre.

M. Roger Hélène. - Un chiffre seulement : à Saint-Pierre-et-Miquelon, les gens sont des auto-entrepreneurs et 95 % sont propriétaires de leur résidence principale et l'ont construite eux-mêmes.

M. Michel Magras, président. - C'est souvent le cas dans nos îles. En quoi l'adoption de la RT 2012 ferait-elle diminuer les coûts ?

M. Patrick Mercier. - La RT 2012 ne favorise pas le chauffage par convecteurs. Elle privilégie la production locale de chaleur au sein de l'habitation, au détriment de la production électrique qui doit être acheminée et redistribuée par convecteur ce qui est moins performant.

M. Roger Hélène. - Pour produire un kilowatt d'électricité, la centrale électrique d'EDF en consomme 2 ou 3, si bien que le coût de production de l'électricité est deux à trois fois plus élevé à Saint-Pierre-et-Miquelon qu'en métropole.

M. Patrick Mercier. - En d'autres termes, il vaudrait mieux fournir du fioul aux particuliers pour leur chaudière plutôt qu'à la centrale EDF pour alimenter des convecteurs électriques.

Mme Karine Claireaux, rapporteur. - Par ailleurs, le chauffage au fioul est beaucoup plus confortable, souple et linéaire que le chauffage électrique. L'ambiance est moins sèche.

M. Patrick Mercier. - Les architectes de Saint-Pierre-et-Miquelon partagent cette opinion.

M. Roger Hélène. - Ce sont 1 800 maisons individuelles sur 2 500 foyers qui devraient être réhabilitées pour garantir une meilleure résistance au froid et une meilleure performance énergétique.

Mme Mélanie Joly. - L'État et la Collectivité en association ont mis en place des aides pour soutenir l'isolation thermique des habitations sans condition de ressources. Le dispositif fonctionne bien.

M. Patrick Mercier. - EDF et Collectivité sont partenaires pour payer le renouvellement des chaudières. On incite ainsi l'achat d'installations au fuel pour soulager la production électrique.

M. Roger Hélène. - À l'achat, l'équipement électrique coûte deux fois moins cher à installer mais, in fine, le chauffage électrique revient plus cher.

Mme Karine Claireaux, rapporteur. - Les maisons anciennes étaient construites en prévoyant un mécanisme de circulation d'air grâce à des ouvertures de la cave au grenier. Il est un peu compliqué de les doter d'une isolation moderne. Il faut les isoler de l'extérieur pour éviter d'avoir à poser une ventilation mécanique contrôlée (VMC). Le système ancien réhabilité et isolé par l'extérieur est tout aussi performant que les constructions neuves et garantit des maisons saines.

M. Roger Hélène. - L'isolation par l'extérieur est effectivement recommandée.

Mme Mélanie Joly. - Les maisons anciennes sont en effet en général isolées par l'extérieur sur leur toiture et leur façade.

Mme Vivette Lopez, rapporteure. - N'y a-t-il aucune production de matière première sur le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon ?

M. Roger Hélène. - La carrière de Saint-Pierre-et-Miquelon fournit des agrégats. Elle constitue une source de valeur ajoutée pour le territoire, même si tous les produits ne sont pas fabriqués à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Mme Karine Claireaux, rapporteur. - Je mettrai un bémol. La carrière est installée sur la seule colline de l'île volcanique de Saint-Pierre. On ne peut pas étendre l'activité jusqu'à l'araser complètement. De même, il faut rester prudent lors de l'extraction d'agrégats marins pour éviter d'amplifier le recul du trait de côte.

M. Roger Hélène. - Nous sommes d'accord.

M. Michel Magras, président. - Je vous remercie de ces fructueux échanges.

Mercredi 23 novembre 2016

- Présidence de M. Michel Magras, président -

Foncier dans les outre-mer - Audition en visioconférence avec la Guyane

M. Michel Magras, président. - Nous poursuivons aujourd'hui nos auditions sur les stratégies d'aménagement territorial, les conflits d'usage et les outils de planification, thème auquel est consacré le troisième et dernier volet de notre étude sur le foncier.

Après avoir entendu la position des administrations centrales des ministères de l'environnement et du logement, ainsi que du ministère de l'agriculture, nous engageons aujourd'hui une série de visioconférences avec nos territoires ultramarins pour mieux appréhender leurs différentes orientations stratégiques et leurs contraintes spécifiques. Nous commençons par la Guyane avant de joindre, demain matin, La Réunion.

Nous procéderons en deux temps : la première séquence sera centrée sur la stratégie des collectivités territoriales, la seconde réunira les acteurs socioéconomiques dont l'activité dépend de la capacité à mobiliser le foncier.

Pour la première séquence de notre visioconférence, je remercie de leur présence Madame Hélène Sirder, première vice-présidente de la Collectivité territoriale de Guyane (CTG), que nous avions eu le plaisir de rencontrer à Cayenne lors de notre étude sur la gestion du domaine de l'État et Monsieur Patrice Pierre, secrétaire général de l'Établissement public d'aménagement de Guyane (EPAG).

M. Patrice Pierre, secrétaire général de l'Établissement public d'aménagement de Guyane (EPAG). - Merci de votre invitation. L'EPAG constitue un outil de mise en oeuvre de la politique de la CTG. Les réponses que je peux vous apporter relèvent d'aspects essentiellement techniques. La question de la prise en compte du schéma d'aménagement régional (SAR) dans les projets d'aménagement est essentielle, mais il n'y a pas d'autre choix pour un opérateur comme l'EPAG que se baser sur les outils de planification mis en place par la CTG pour proposer des projets d'aménagement et les réaliser. Il me semblait important de le rappeler en introduction.

L'EPAG est un établissement public de l'État qui intervient sur trois missions principales :

- une mission d'aménagement : construire la ville équatoriale ;

- une mission foncière : aider les collectivités territoriales, les personnes publiques et l'État à définir des stratégies foncières ;

- une mission d'intervention rurale, à l'instar de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) pour accompagner les installations d'agriculteurs.

Sa gestion est paritaire. Il est administré par six administrateurs issus de l'État et par six administrateurs représentant les élus, dont quatre provenant de la CTG.

Mme Hélène Sirder, première vice-présidente de la Collectivité territoriale de Guyane. - Vous connaissez la situation particulière de la Guyane : l'État y est propriétaire de la très grande majorité du foncier. Or, nous ne cessons de demander la rétrocession du foncier depuis 2011. Nous avons réclamé 60 000 hectares pour assurer le développement économique de la région. Nous avons ensuite demandé 40 000 hectares supplémentaires en forêt. Cependant, nous n'avons pas obtenu de réponse satisfaisante à nos demandes de rétrocession pour 10 000 hectares au total. Je n'ai nul besoin de vous convaincre de la situation anachronique dans laquelle la Guyane se trouve : l'État est le propriétaire principal du foncier. Les textes existent pourtant pour permettre la création de forêts régionales, mais ils n'ont pas trouvé d'application en Guyane pour l'instant. Même sur ce point nous n'obtenons pas satisfaction.

Permettez-moi d'en venir aux conséquences. Les conflits d'usage résultent des besoins d'une population en forte croissance. Les besoins explosent pour répondre à l'impératif d'industrialisation et de développement économique de la Guyane. Nous avons besoin de développer notre pays, un pays en train d'émerger. Or, nous nous heurtons, de la part de l'État et du Conservatoire du littoral en particulier, à une politique de protection systématique des espaces naturels. Cette politique semble s'infléchir dans les discours, mais pas dans les faits.

Pourtant, nous disposons en Guyane d'une superficie suffisante pour effectuer les aménagements que nous jugeons nécessaires. Nos revendications sont claires, nous souhaitons que des espaces de développement soient aménagés à côté de nos espaces naturels. Nous désirons aussi créer des emplois en valorisant les espaces, notamment en matière d'écotourisme et de recherche. Le Conservatoire du littoral a pour credo : « je protège, je protège, je deviens propriétaire foncier mais je n'aménage pas, je n'ai ni plan, ni financement pour aménager ». De nombreuses zones se trouvent ainsi gelées.

Autre caractéristique, l'État propriétaire a distribué du foncier sans avoir de politique foncière. Ce manque de stratégie a créé du mitage. Nous constatons une explosion des habitats spontanés illégaux, notamment sur terres agricoles. Aujourd'hui, l'ampleur du phénomène est telle que les « constructions spontanées » dépassent les constructions de logement régulières. Il n'a pas été endigué. L'État admet aujourd'hui son impuissance, malgré la création de l'EPAG en 1998 qui avait aussi pour mission de travailler à la résorption de cet état de fait.

Nous déplorons surtout un manque de lisibilité. Ceux qui s'installent de façon anarchique, sans précaution, sont aussi ceux qui vont être relogés en priorité alors que d'autres respectent les démarches régulières pour s'installer. Nous demandons à l'État de nous céder du foncier. La cession de terrains constitue une condition de l'efficacité des politiques de la CTG.

Nous souhaitons gérer en propre le foncier, conformément à la loi. En effet, la loi de 2011 créant la CTG nous a accordé de nouvelles compétences, en particulier sur le foncier et le domaine forestier. Elle prévoit notamment que l'État cède le foncier à la CTG qui le répartit aux communes, en procédant par voie de convention. Aucune défiance vis-à-vis de la CTG ne serait justifiée. Nous sommes en phase de définition de notre stratégie foncière, que je ne pourrai hélas détailler aujourd'hui.

Nous soulevons par ailleurs le problème de l'Office national des forêts (ONF). Il souffre d'un déficit financier, traduisant selon moi la fin d'un cycle. La forêt de Guyane n'a jamais été véritablement valorisée. Tout le domaine forestier a été mis sous le boisseau, alors qu'il faudrait, au contraire, le rendre disponible pour la recherche de ressources du sous-sol et leur exploitation. Je déplore que des terres aient été données pour de l'agriculture, alors qu'elles recèlent de nombreux et précieux gisements, en particulier en carrières et en sable. Précisément, je songe à un gisement sableux à Iracoubo, cédé pour un projet de biomasse. J'estime que ces décisions étatiques manquent cruellement de cohérence. En tant qu'élus de la CTG, nous nous attelons au contraire à définir les cadres d'une véritable stratégie foncière.

M. Michel Magras, président. - Merci Madame. Monsieur le Secrétaire général de l'EPAG, souhaitez-vous ajouter quelques éléments ?

M. Patrice Pierre. - Je m'inscris totalement dans le constat et l'analyse formulés par Madame Sirder. J'estime qu'elle a parfaitement cadré la problématique, celle de la gestion par l'État de son domaine. Cette gestion nous semble dépourvue de vision globale à l'échelle du territoire ou d'un secteur. Elle nous paraît strictement comptable et administrative. Sans doute est-ce naturel de la part des services de l'État dont c'est le mode de fonctionnement quotidien.

En résumé, une vision stratégique et de développement s'avère nécessaire pour avancer plus efficacement dans la valorisation du territoire. La transformation à opérer devrait s'incarner dans de nouvelles personnes et institutions : la CTG et l'EPAG. Les enjeux demeurent considérables, tant la superficie et la valeur du domaine privé de l'État s'avèrent conséquentes. La CTG a entamé avec l'EPAG la définition et la mise en oeuvre de stratégies d'aménagement. En premier lieu, nous devons mieux maîtriser le territoire, qui est mité très régulièrement, voire quotidiennement, de manière légale et illégale. En particulier, lorsque les instructions individuelles des procédures de cession de parcelles appartenant à l'État se poursuivent sur une durée jugée prohibitive, les populations prennent possession elles-mêmes du foncier.

Je répondrai à vos questions précises et techniques sur la stratégie et l'aménagement. En ce qui concerne les aspects réglementaires, n'oublions pas que de nombreux textes et règlements existent, mais ne sont pas appliqués. Par conséquent, il serait préférable de faire appliquer ces textes plutôt que de créer une couche réglementaire supplémentaire. Surtout, nous devons comprendre les raisons justifiant leur inapplication.

Par exemple, le code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) permet depuis quelques années la constitution, pour les collectivités et les communes, de forêts communales. Or, aucune forêt communale n'a vu le jour à ma connaissance. Pourtant, disposer de forêts est un élément essentiel pour que les collectivités puissent répondre aux besoins économiques et de la population. Nous constatons donc que malgré les volontés affichées par les responsables des exécutifs et les textes existants, le transfert de compétences vers la CTG et les communes ne s'opère pas. S'agit-il d'un problème d'instruction, de montage de dossier ou d'application de textes ? Je ne peux que constater la non-application des textes.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Vous venez d'aborder les problématiques de gestion foncière, sous les angles économiques d'aménagement et d'habitation. La définition et la mise en oeuvre du schéma de développement économique (SDE) et du schéma d'organisation du territoire, deux rendez-vous majeurs, ne permettront-elles pas d'apporter des réponses aux questions cruciales que vous venez de poser ? L'État sera alors mis devant ses responsabilités. En effet, j'imagine mal l'État vous demander cet exercice, sans vous accorder les moyens nécessaires de mener à bien cette projection dans le futur.

Mme Hélène Sirder. - Nous avons déjà conçu et formulé de nombreuses programmations et schémas. Nous sommes actuellement en phase d'élaboration de nos stratégies. Par conséquent, nous ne pourrons guère être très précis aujourd'hui sur les stratégies économiques, territoriales et forestières. Nous mettons en place les schémas parallèlement à l'installation de la CTG. Les outils de planification existent, nous verrons comment mieux les appliquer.

Nous demanderons des habilitations sur la fiscalité du foncier. Nous souhaitons également intervenir sur la gestion de l'ONF. Nous considérons que l'État s'exonère de ses responsabilités. Nous souhaitons un droit de propriété complet, et non un simple droit d'usage. Quoi qu'il en soit, nous désirons avancer dans notre stratégie. Nous voulons valoriser notre foncier et bâtir notre territoire.

Nous disposons des outils de planification nécessaires : le SAR et la charte du parc naturel régional (PNR), qui se met en place actuellement. Cependant, nos outils de planification devront être appliqués. En effet, ils n'empêchent ni les constructions, ni le contrôle, ni l'éradication des habitations spontanées. D'une part, nous ne disposons pas des moyens pour contrôler. D'autre part, l'État ne réagit pas et s'est dessaisi de ses missions régaliennes. Il n'assure plus la protection des terrains des propriétaires privés touchés par les habitats spontanés.

M. Michel Magras, président. - Notre démarche se veut constructive, vous l'avez bien compris. Vous avez insisté sur la jeunesse de la CTG, collectivité créée par la loi de 2011. Cependant, vous avez déjà engagé des démarches très concrètes auprès de l'État, qui ne réagit pas.

Quel est le degré de concertation avec les communes ? Autrement dit, quelle est la qualité de la relation entre la CTG et les communes de Guyane ? Les échanges ont-ils lieu et les jugez-vous satisfaisants ? Considérez-vous que les communes sont prêtes à récupérer du foncier ? Par ailleurs, quels sont vos rapports avec le Conservatoire du littoral ? Je connais sa politique, il n'a pas vocation à gérer les terres qu'il a achetées.

Mme Hélène Sirder. - Nous souhaitons que la CTG soit reconnue par les autres collectivités guyanaises, comme la collectivité majeure de la Guyane. La CTG a explicitement pour mission d'aménager le territoire, avec l'ensemble des partenaires institutionnels. Nous nous y employons. Notre demande porte sur le transfert du foncier de l'État vers la CTG. Celle-ci se chargera ensuite de la répartition entre et avec les différentes communes, en fonction des orientations d'aménagement et de développement économique choisies.

En ce qui concerne le Conservatoire du littoral, ma position est claire et bien connue. Le Conservatoire se conduit comme un propriétaire foncier, qui n'aménage pas. J'ai échangé avec ses dirigeants. Ils m'ont répondu que le Conservatoire s'occupait de foncier et non d'aménagement. Je m'inscris en faux contre ses pratiques. De fait, le Conservatoire a reçu de nombreux hectares, gratuitement ou à très bon marché. Dans la plupart des cas, le Conservatoire a obtenu ces terrains sans proposer de plan d'aménagement par la suite. Par conséquent, le Conservatoire ne valorise pas le territoire. Il ne crée pas non plus d'emplois de gardes pour surveiller les intrusions.

La CTG a été évincée de la nouvelle stratégie de compensation foncière en cas de projet de développement économique mis en place par l'État. La direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Deal) discute directement avec les propriétaires : le Centre national d'études spatiales (Cnes) par exemple, pour le projet Ariane VI à Kourou. La Deal a demandé au Cnes des compensations foncières, qui ont été accordées au Conservatoire du littoral. Je suis intervenue rapidement dès que je l'ai appris. Avec l'aide de la commune de Kourou, je me suis démenée pour que le foncier revienne au PNR de Guyane, et que le Cnes finance sa valorisation pour trente ans. Ce principe a été validé, mais n'a pas encore été conclu formellement. Pendant ce temps, des pans entiers de foncier continuent de nous échapper, morceau par morceau.

En outre, je déplore la faible représentativité de la Guyane au sein du Conservatoire du littoral. Ce dernier est un établissement public de l'État. J'ai déjà indiqué que je trouvais anormal que son conseil d'administration, situé à Paris, ne compte qu'un seul représentant pour tous les outre-mer. Par conséquent, la CTG n'a pas véritablement voix au chapitre. Nous regrettons que l'aménagement s'effectue sans notre participation. Mais sachez que nous restons vigilants sur les politiques menées, dans la mesure du possible.

M. Antoine Karam, rapporteur. - Je partage parfaitement la position de ma collègue et amie, première vice-présidente de la CTG. En effet, l'histoire du foncier en Guyane relève de l'arbitraire et de l'injustice depuis la départementalisation, et même depuis bien avant.

Depuis plus d'un demi-siècle tous les exécutifs, locaux, départementaux, régionaux par la suite, ont déposé des rapports. Députés et sénateurs ont rédigé des rapports, des contre-rapports. Ils ont effectué tout ce qui était en leur pouvoir. Mais rien n'y fait, l'État continue de garder jalousement sa propriété.

La superficie de la Guyane, 84 000 km2, est supérieure à celle de l'Autriche. Au total, l'État dispose de 19 665 km2 de terrains potentiellement sans contraintes et aménageables, appartenant à son domaine privé. Or, l'effort de l'État se montre nettement insuffisant.

Avec le président de la CTG et mon collègue de la Guyane, Georges Patient, nous étions hier à l'Élysée pour mettre au point la dernière touche du Pacte d'avenir. Nous sommes déçus des engagements de l'État. Pourtant, les besoins demeurent considérables. L'État considère qu'il accomplit un effort majeur, alors qu'il s'avère très insuffisant s'il rétrocède chichement 100 000 hectares à la CTG, pour toutes les communes et collectivités.

Je crains que ce sujet sensible ne se règle que par l'établissement d'un rapport de force. Pour ma part, j'estime que l'État doit rétrocéder ces 19 665 km² de domaine privé à la Guyane. L'État n'a-t-il pas cédé, facilement, 1 000 km² au Centre spatial guyanais, soit quasiment la superficie de la Martinique ? Nous devons mener ce combat.

Lors de nos échanges au sein de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer, certains collègues ont fustigé la gestion de l'ONF. La Guyane est le seul territoire de France sans forêt communale, ni territoriale. Il existe seulement une forêt domaniale d'État. Il en résulte une spéculation foncière, des habitations illégales et des phénomènes de squats, dessinant une forme d'anarchie.

La Guyane constitue un véritable sujet et mérite un traitement plus attentif. À ce propos, je remercie la délégation et son président d'avoir pris l'initiative de cette audition. Nous disposerons ainsi d'éléments tangibles pour peser auprès des institutions. La Guyane mérite une véritable politique foncière et forestière. Je crains que le règlement du différend ne se déplace dans la rue. Souvenons-nous des événements en Nouvelle-Calédonie dans les années 1980...

M. Georges Patient. - Lors du Congrès des maires de Guyane, auquel je participais la semaine dernière, les questions sur le foncier ont suscité un débat approfondi. Les élus ont estimé être bien représentés par les sénateurs. Ils m'ont confié partager les conclusions du rapport de notre délégation sur la gestion du domaine de l'État outre-mer rendu public en 2015.

M. Michel Magras, président. - Je m'en réjouis. La délégation applique sa stratégie. Nos trois rapports sur le foncier se complètent. Le premier volet s'intitulait « trente propositions pour mettre fin à une gestion stérile et jalouse » du domaine de l'État. Notre diagnostic a été reconnu. Le second volet portait sur l'articulation entre propriété coutumière et droit civil. Le dernier traite maintenant de l'aménagement et de la planification du foncier.

J'ai toujours considéré qu'il était anormal que l'État soit propriétaire de plus de 90 % du territoire guyanais, sans que la population ne puisse en disposer. Cette situation me semble aberrante. Nous ne détenons certes pas de pouvoir contraignant mais notre rôle consiste à placer les sujets sur l'agenda.

M. Michel Vergoz. - Vous évoquez l'État ; or, nous sommes l'État ! Selon moi, nous ne pouvons parler d'État guyanais, ni d'État réunionnais. Je suis passionné par la nature, pourtant celle-ci constitue une forte contrainte à La Réunion : volcans, rivières... Or, je signe avec l'ONF une convention de gestion de la forêt domaniale. Via cette convention, ma commune devient propriétaire de son foncier.

Pour autant, je ne souhaite pas mettre « sous cloche » le foncier. En effet, nous souhaitons également un développement intégré et durable. Sur une forêt domaniale, au coeur d'un espace naturel exceptionnel, j'ai signé la mise en place d'aménagements : gestion de boxes, de snacks, de restaurants...

Par ailleurs, vous exprimiez votre insatisfaction à l'égard du Conservatoire du littoral. Par définition, celui-ci a vocation à conserver. À La Réunion, nous travaillons aussi avec le Conservatoire. J'estime que la relation avec ce dernier dépend d'une question de personnes. Le responsable du Conservatoire du littoral de Guyane ne peut mener une politique dissemblable de celle de son homologue de La Réunion. Or, je viens de signer avec le Conservatoire une autorisation d'occupation temporaire (AOT). Le Conservatoire nous a même accordé l'autorisation de construire un snack sur le sentier littoral, appelé sentier des laves.

En résumé, je ne conçois pas de distinguer plusieurs États. La France compte un seul État, une seule République. De plus, gardons en mémoire que les institutions survivent largement aux hommes. Ce ne sont pas les hommes qui font la loi, mais les institutions. Ayez donc confiance.

Par ailleurs, Madame Sirder, vous avez dit compter davantage d'habitats spontanés que légaux ? Pourriez-vous le confirmer ? Les populations bénéficient-elles des commodités les plus élémentaires (eau, électricité, sanitaires, ordures ménagères) ? Si ce n'est pas le cas, vous vous trouvez sur un champ de mines !

M. Antoine Karam, rapporteur. - Précisément !

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur coordonnateur. - J'invite à se référer aux rapports de notre délégation. Je les défends bec et ongles. Nos rapports sont des études transversales et comparatives. Nous nous étions rendus en Guyane pour examiner très concrètement le statut et la gestion du foncier domanial. Nous avons formulé des propositions fortes. Nous revenons vers la Guyane pour parler de stratégie d'aménagement. En effet, disposer d'exemples précis et localisés permet de prévenir certaines erreurs et de s'inspirer des réussites.

Les concessions de foncier ne s'opèrent pas toutes aussi bien qu'à La Réunion. À Mayotte, par exemple, l'État rechigne à céder des terrains sur la fameuse bande littorale appelée zone des cinquante pas géométriques (ZPG), où les prix sont élevés. Même sur la partie urbanisée de la bande littorale, l'État renâcle à transférer des espaces à la collectivité, contrairement à Saint-Martin où le transfert s'est effectué, malheureusement sans moyens et sans accompagnement. Par conséquent, nous devons persévérer, car, à force d'insistance, nous parviendrons à débloquer ces situations aberrantes.

Mme Hélène Sirder. - Je salue et envie la chance de Monsieur Vergoz. Il a obtenu tout ce qu'il avait demandé. Peut-être pourra-t-il nous livrer quelques secrets de sa réussite. Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas ménagé nos efforts. Ainsi, comment expliquer que la Corse ait obtenu un transfert de toute sa forêt et que la Guyane n'obtienne rien, alors même que nous avions formulé notre demande en nous fondant sur le précédent corse ? Le Conservatoire du littoral nous remet simplement un document intitulé « stratégie foncière » et nous demande notre avis sur ce document. Par conséquent, j'estime que nous sommes laissés de côté : nous ne sommes même pas consultés.

Monsieur Vergoz, vous considérez un État unique. Certes, mais pour ma part, je distingue aussi l'État local de l'État central. Ce dernier comporte le Gouvernement, le ministère des finances, les directions des administrations centrales. Au sein de l'État local, c'est-à-dire les administrations déconcentrées, en Guyane, je considère en effet, comme vous, que l'efficacité de notre travail résultera grandement de la compétence de nos interlocuteurs et de la qualité de nos relations. J'ai confiance en la loi. Je crois beaucoup également aux relations humaines et aux conventions que nous pouvons établir.

Quoi qu'il en soit, nous aurions dû pouvoir avancer plus rapidement. Les résultats s'avèrent très insatisfaisants. En 2016, je confirme que l'habitat spontané, dépourvu d'eau, d'électricité, de gestion des déchets et de transport, est plus nombreux que l'habitat légal. De plus, les plans de lutte contre l'insalubrité s'avèrent totalement inopérants. Les élus de Guyane devraient disposer des moyens nécessaires pour aménager et développer le territoire, conformément aux stratégies pour lesquelles ils ont été élus.

Je partage le sentiment de Monsieur Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte, sur les blocages de l'État. Nous vivons en effet une situation similaire en Guyane. Nous n'expliquons pas la réticence de l'État. Peut-être sommes-nous victimes d'une vision de la forêt amazonienne devant être extrêmement protégée et conservée. Fort heureusement, les discours étatiques de « mise sous cloche » refluent à mesure que les besoins d'aménagements émergent cruellement.

M. Michel Vergoz. - Vous êtes dotés en Guyane du SAR, document devenu exécutoire en 2016. Or, vous déplorez être pieds et poings liés. Comment l'expliquez-vous alors que le SAR a été validé par la CTG et donc par les Guyanais eux-mêmes ?

Mme Hélène Sirder. - L'habitat spontané n'est pas traité dans le SAR car nous ne pouvons le prévoir et le planifier. Pourtant, nous le subissons. Je vous démontre donc par l'exemple que nos projections ne peuvent pas systématiquement coïncider avec la réalité de la situation guyanaise. Dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) en cours d'élaboration, nous prévoyons d'alimenter la Guyane en énergie renouvelables, à partir d'hydraulique et de biomasse principalement pour valoriser notre forêt. Pourtant, les dossiers n'aboutissent pas. Ils ne sont pas instruits. Nous devons redéfinir nos stratégies afin qu'elles soient plus cohérentes, qu'elles soient mieux mises en oeuvre et enfin contrôlées dans leur application.

M. Patrice Pierre. - La CTG intervient à deux niveaux : d'abord, elle intervient de façon classique pour définir les outils de planification et éclairer la ligne de développement du territoire. C'est ainsi pour tous les acteurs, dont l'EPAG qui est un des instruments de cette stratégie. Ensuite, la CTG a aussi la volonté de mettre en oeuvre cette politique en tant que quasi-maître d'ouvrage. Ce n'est pas en faisant des statistiques sur la mise en oeuvre du SAR que cela va spontanément s'améliorer. La CTG veut donc prendre la main.

L'EPAG constitue un outil de mise en oeuvre de la politique d'aménagement sur des terrains de l'État, sur des parcelles publiques et privées, y compris de la CTG. La CTG aura le choix de ses outils de mise en oeuvre et de planification calendaire de son schéma stratégique. Pour l'EPAG lui-même, la question de la propriété foncière se ramène surtout à celle de l'accélération des procédures. À ce titre, je souhaiterais vous soumettre un exemple éloquent. L'EPAG peut bénéficier de terrains gratuits pour réaliser ses missions. Or, le délai d'instruction moyen pour obtenir un acte de transfert de terrain de l'État est actuellement de quatre ans, à partir du moment où le projet a déjà été validé. Avec une CTG plus volontariste et propriétaire foncière, nous pourrions sans doute aller plus vite pour réaliser nos projets d'aménagement, au service du développement économique.

M. Michel Magras, président. - Je vous remercie de ces précisions. Vous nous avez permis de mieux connaître et comprendre la situation qui est la vôtre et les retards.

M. Serge Larcher. - Cette audition confirme les conclusions de nos précédents rapports. La Guyane présente de fortes particularités et ne peut pas être assimilée à La Réunion, par exemple.

En ce qui concerne l'habitat dit spontané, une distinction s'impose entre les habitats indignes comme les bidonvilles insalubres et les habitats informels, accaparés de manière opportuniste lors de chantiers sur le long des routes.

En Martinique comme en Guyane, l'objectif consiste en un transfert des domanialités de l'État vers la Collectivité territoriale de Martinique (CTM) et la CTG. La difficulté supplémentaire en Guyane, c'est qu'elle subit une déferlante migratoire très difficile à canaliser.

M. Michel Magras, président. - Permettez-moi de replacer cette audition dans le contexte des travaux de la délégation. Nous avons déjà produit deux rapports d'information sur la thématique foncière en Guyane : un premier sur le domaine de l'État ; un deuxième sur l'indivision et les problématiques de droits coutumiers. Nous échangeons aujourd'hui autour de l'utilisation du foncier, des conflits d'usage et des difficultés d'aménagement.

Nous avons déjà entendu les administrations centrales, les ministères de l'environnement, du logement et de l'agriculture. Nous venons d'échanger par visioconférence avec les représentants de la CTG et de l'EPAG.

Madame Joëlle Prévot-Madère, présidente de la CGPME Guyane, est présente à Paris avec nous et participera également à notre visioconférence.

M. Claude Mathis, directeur général de la Société immobilière de Kourou (SIMKO). - La SIMKO constitue l'un des bailleurs sociaux de Guyane. À cet égard, nous sommes directement concernés par l'aménagement du foncier, qui conditionne les constructions de logements sociaux.

La disponibilité de foncier viabilisé s'avère fondamentale pour la construction de logements sociaux. Or, le foncier viabilisé manque cruellement en Guyane. Des études répétées engagées par la Deal ont établi qu'il faudrait construire près de 3 500 logements par an, pendant dix ans, afin de résorber le déficit actuel, estimé à 13 000 logements, soit l'équivalent de l'ensemble du parc social actuel, et de faire face à l'accroissement naturel et au flux migratoire.

Si l'on considère une densité moyenne de 20 logements à l'hectare, il faudrait donc produire et viabiliser annuellement environ 175 hectares. Or, la production de surfaces viabilisées annuellement atteint seulement 50 hectares. Nous sommes donc loin du compte.

Les trois grands pôles urbains, l'île de Cayenne, Kourou et Saint-Laurent du Maroni constituent, naturellement, les zones les plus tendues en matière de foncier viabilisé disponible. Sa production se heurte à des freins de différents ordres. Il faut d'abord considérer les obstacles financiers. Dans les centres urbains, le foncier est trop cher. Le coût du foncier a explosé en périphérie immédiate des agglomérations, compte tenu de sa rareté et de la forte demande de terrains viabilisés. Certes, le coût du foncier nu diminue si l'on s'éloigne des centres urbains, mais les réseaux primaires (eau potable, eaux usées, électricité, téléphone) demeurent inexistants. Généralement, les voiries et réseaux primaires devraient pourtant être pris en charge par les collectivités locales, les réseaux secondaires par les aménageurs et les réseaux tertiaires par les promoteurs. Dans les faits, les communes ne participent pas au financement des infrastructures primaires, faute de moyens financiers. Par conséquent, la prise en charge échoit finalement aux promoteurs privés ou sociaux, qui supportent donc l'intégralité du poids de la viabilisation.

À cela s'ajoutent les obstacles géographiques. Dans les communes de l'intérieur ou sur les fleuves, le coût du foncier viabilisé est renchéri par les frais d'approche. Hormis dans certaines zones très limitées (Mont Baduel, Mont Cabassou, rivages et littoral à Cayenne, Rémire-Montjoly et Kourou), les expositions aux risques s'avèrent peu contraignantes.

Enfin, existent des aléas juridiques. Les occupations illégales de terrains privés comme publics ne cessent de progresser, principalement par des populations immigrées. Par ailleurs, les procédures se révèlent extrêmement longues lorsque l'État rétrocède des terrains. Cependant, l'État accorde un abattement du prix de vente quand les terrains sont destinés à des opérations de constructions de logements sociaux. Enfin, à notre avis, beaucoup trop de terrains aptes à l'urbanisation, situés en zone littorale, sont grevés de zones protégées ou de zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF).

Vous nous avez demandé notre appréciation du travail effectué par l'EPAG. Nous estimons que le bilan de l'EPAG en matière de logement est positif. Cependant, la production de zones d'aménagement concerté (ZAC) est freinée par l'insuffisance des crédits du fonds régional d'aménagement foncier urbain (FRAFU), censés pallier l'absence de participation des collectivités.

En ce qui concerne la charge foncière, son coût atteint 460 euros le m² de surface de plancher, soit environ 25 % du coût de la construction. C'est considérable. La charge foncière s'enchérit en raison de la mauvaise portance ou qualité des sols, qui nécessitent souvent de réaliser des fondations profondes.

Vous nous interrogez sur le plan logement outre-mer. Mon jugement est abrupt. Ce plan n'étant pas doté d'enveloppe financière propre, l'impact sur l'emploi dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) se révèle totalement insignifiant.

En conclusion, tous les espoirs des bailleurs sociaux en Guyane reposent sur une augmentation des crédits de la ligne budgétaire unique (LBU) et du FRAFU, et sur la mise en oeuvre de l'opération d'intérêt national (OIN).

M. Éric Dubois, directeur régional de l'Office National des Forêts (ONF) de Guyane. - Je vous remercie de nous associer à votre réflexion. L'ONF est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), dont la mission principale est la gestion des forêts publiques, qu'il s'agisse des forêts domaniales de l'État ou de celles des collectivités, le cas échéant.

L'ONF remplit des missions régaliennes, comme la surveillance de l'intégrité du domaine qui lui est remis en gestion et l'établissement des actes qui ont pour objet l'utilisation ou l'occupation des bois et forêts de l'État. L'ONF a également la charge de valoriser le domaine qui lui est confié, sur le plan environnemental, social et économique. Cela passe notamment par l'approvisionnement de la filière bois, une filière importante pour le développement endogène de la Guyane. La valorisation peut aussi toucher le tourisme et le secteur minier.

Or, en tant que gestionnaire d'un domaine aussi vaste que celui de la Guyane, l'ONF est confronté à des conflits d'usage. Il doit trouver les moyens de les anticiper et de les régler. Ces conflits s'expliquent notamment par la multifonctionnalité des espaces forestiers. À cette fin, nous disposons d'un outil de planification, appelé l'aménagement forestier. Il a pour objet de planifier, sur un horizon de 20 ans, l'utilisation du domaine forestier public. Nous arbitrons entre les différents usages en sectorisant les enjeux. Ainsi, nous distinguons les espaces plus particulièrement dédiés à l'exploitation forestière, à l'exploitation minière, à l'accueil du public, à la préservation de la biodiversité ou de la ressource en eau.

Le code forestier confie la rédaction et la préparation de cet aménagement forestier à l'ONF. Toutefois, cela nécessite tout naturellement une concertation étroite avec le propriétaire (le cas échéant, pour les forêts des collectivités) et les différentes parties intéressées (communes de situation dans le cas des forêts domaniales, associations d'usagers, etc.). Les documents d'aménagement sont ensuite arrêtés par l'autorité administrative, via un arrêté ministériel ou préfectoral. Ce cadre général s'adapte aux spécificités du territoire guyanais : un espace vaste, essentiellement boisé et relevant très majoritairement du domaine privé de l'État.

En Guyane, l'ONF assure la gestion d'un patrimoine forestier supérieur à six millions d'hectares. Il assure également l'approvisionnement d'une filière bois générant un chiffre d'affaires annuel de 75 millions d'euros, hors industrie de la biomasse. Le secteur représente 830 emplois directs et 1 245 emplois induits. Il s'agit donc d'une filière structurée et productrice de richesses pour le territoire. De plus, son potentiel de développement est élevé et prometteur, notamment avec l'émergence d'une importante filière de biomasse.

Les massifs forestiers ouverts à l'exploitation forestière sont clairement identifiés dans les documents de planification de l'aménagement du territoire. En particulier, le SAR identifie deux millions d'hectares d'« espaces forestiers de développement », ouverts à l'exploitation forestière. Ces terrains sont juxtaposés à des espaces forestiers à vocation principale de conservation et d'espaces forestiers destinés à être convertis en zones de développement agricole ou urbain.

Par ailleurs, une activité minière légale importante se développe sur les terrains gérés par l'ONF. L'action de l'Office y est plus limitée puisqu'il s'agit d'un régime de concession : l'État concède des titres miniers à des opérateurs. Cependant, l'ONF est chargé d'encourager l'exploitation, sur des fondements de recherche de rentabilité économique et de respect des milieux et des autres usagers. En particulier, l'ONF se montre très impliqué dans la lutte contre l'orpaillage illégal. Ce dernier affecte gravement les milieux et la pérennité économique de la filière légale. Enfin, le patrimoine forestier géré par l'ONF constitue également un support de développement de l'écotourisme. Cette activité demeure embryonnaire pour le moment. Cependant, son avenir est prometteur.

En conclusion, l'action de l'ONF et la mise en oeuvre d'outils de planification conformes aux grands schémas d'aménagement (SAR, SCOT, schéma de cohérence écologique, trame verte et bleue...), permettent d'anticiper et d'aplanir les conflits d'usage. Certes, l'action de l'ONF présente un coût important. En Guyane, le déficit financier de l'ONF atteint 2,4 millions d'euros, soit 25 euros par m² vendu. L'ONF étant un opérateur national, des mécanismes de péréquation et de solidarité permettent une compensation.

Les arbitrages suscitent parfois des mécontentements. Par exemple, la fermeture des pistes forestières à la circulation publique est très contestée. Je signale que des projets de plantations forestières à grande échelle, souhaités par des acteurs de la filière bois, risquent de se heurter à des problèmes de disponibilité foncière et d'interférences conflictuelles avec des zones à vocation agricole ou de conservation environnementale.

Je précise enfin qu'en cas de transferts fonciers vers les collectivités territoriales ou des opérateurs privés, le code forestier continue de s'appliquer. Les principes de planification de la gestion forestière, détaillés dans le code forestier, restent aussi valables dans une moindre mesure pour la propriété forestière privée.

Mme Nathalie Ho-A-Chuck Abchee, première vice-présidente du MEDEF Guyane. - Je remercie la délégation sénatoriale d'avoir associé le MEDEF à ces échanges. Nos adhérents dénoncent le coût bien trop important du foncier viabilisé au regard des capacités de financement des entreprises. Lorsque l'on trouve du foncier, bien souvent il n'est pas viabilisé. Monsieur Mathis a fait part du coût prohibitif du foncier viabilisé qui ne permet pas à de nombreuses entreprises de l'acquérir, malgré leurs besoins.

De plus, la rareté du foncier viabilisé dans les zones denses force les entreprises à s'éloigner des centres de population, et donc à s'éloigner de leurs bassins de consommation potentiels. Elles se heurtent alors au problème de la desserte en transports qui complique encore leurs décisions d'investissement.

En résumé, l'absence de foncier viabilisé grève lourdement le potentiel de développement des entreprises.

M. Roland Léandre, président du Groupement des associations foncières de Guyane (Grafoguy). - Je vous remercie de nous donner la parole. Le Grafoguy comprend douze associations adhérentes et quelques autres qui gravitent autour de lui. Notre groupement représente environ 3 000 familles, qui n'ont guère l'occasion de faire entendre leur voix. Je vous remercie donc, à nouveau, d'avoir associé notre groupement à votre réflexion.

Le Grafoguy existe depuis 2003. Nous défendons les intérêts de nos associations adhérentes. Nous souhaitons mettre en valeur les terrains de l'État, en l'occurrence des parcelles de un à deux hectares nous concernant. L'objectif consiste à mettre en valeur ces terrains à des fins de production agricole en vue de parvenir à l'autosuffisance alimentaire du territoire.

Nous souhaitons nous installer sur les terrains de l'État, si possible en parfaite coordination avec lui ; jamais sur des terrains appartenant à des propriétaires privés. En effet, nous combattons les installations sauvages. Par conséquent, nous collaborons activement avec l'État depuis 2004, afin de respecter les procédures réglementaires. Nous nous appuyons sur les plans locaux d'urbanisme (PLU).

Jusqu'à présent, nous avons financé nos actions sur nos fonds propres. Le Grafoguy a valorisé des centaines d'hectares de terrains et construit des kilomètres de voies. Le groupement n'a reçu aucune aide pour le moment, alors que nos actions permettent de lutter contre le chômage, l'exclusion sociale et le manque d'intégration. Afin de nous aider dans notre développement, nous souhaitons obtenir des financements de l'État. Alors que la société guyanaise est en perte de repères en raison de difficultés économiques, permettre à la population d'accéder à un lopin de terre se révèle crucial.

Nous sommes aussi convaincus que les attributions foncières pourraient permettre d'intégrer les populations migrantes à condition de les réorganiser. La situation migratoire impose une réaction collective. Nous souhaitons travailler en bonne harmonie avec l'État. Nous rencontrons encore des difficultés dans l'accès aux titres de propriété permettant aux personnes occupantes de jouir pleinement de leurs droits sur leurs terrains. Nous avons mis en place une procédure de société civile immobilière d'attribution (SCIA). Elle a vocation à aider les personnes installées sur des terrains de l'État à devenir propriétaires de leur logement. Cette procédure, pourtant préparée en concertation avec l'État, rencontre des difficultés de mise en place.

Mme Joëlle Prévot-Madère, présidente de la CGPME Guyane. - Je souhaite appuyer mon propos sur des données statistiques. La superficie de la Guyane atteint 83 534 km², dont 76 211 km², soit 91 % du territoire, constituent des zones protégées au titre d'une multitude de dispositifs : zones de coeur et de libre adhésion au PAG, PNR, réserves naturelles, Conservatoire du littoral, arrêtés de biotope, ZNIEFF et enfin RAMSAR pour les zones humides.

Il reste 9 % non classés, mais tous ces terrains ne sont pas mobilisables. L'État possède 95,2 % du territoire guyanais, comme le rappelait votre premier rapport de 2015 sur le domaine de l'État. Les 4,8 % restants du territoire constituent des zones déjà occupées et habitées, appartenant à des propriétaires privés, les collectivités ne disposant quasiment pas de foncier. Encore faut-il considérer les phénomènes d'indivision et de carence de titrement que vous avez analysés dans votre deuxième rapport de 2016 sur les titres de propriété. Cette accumulation de contraintes explique largement les difficultés considérables rencontrées pour développer l'agriculture et pour accéder à des terrains disponibles pour du logement, en particulier social. Comme l'a souligné la SIMKO, les terrains disponibles - de droit privé sans être en indivision - présentent un coût trop élevé. Par conséquent, on ne peut répondre à la demande en matière de logement social. Je me suis rapprochée de la Chambre d'agriculture qui m'a transmis les éléments suivants. Parmi les 50 000 hectares environ du domaine de l'État mis à disposition de personnes à des fins agricoles, 27 000 hectares seulement sont effectivement utilisés pour de la production agricole. Par conséquent, que faire pour traiter les autres demandes de terrain ? En particulier, de la part de jeunes souhaitant s'installer. De plus, les terrains les plus facilement accessibles et valorisables ont déjà été accordés. Il faut donc aller de plus en plus loin, s'enfoncer de plus en plus profondément dans la forêt pour réaliser des attributions foncières. Dans ces espaces plus reculés, le coût du déboisement atteint 3 500 à 5 000 euros par hectare. De tels prix s'avèrent prohibitifs pour les jeunes agriculteurs qui se lancent.

La chambre d'agriculture a estimé que l'EPAG avait accompagné de manière satisfaisante une opération à Wayabo. Cependant, l'opération n'a pu être menée jusqu'au bout, puisque l'électrification n'a pu être mise en place alors qu'elle est essentielle. En Guyane, lorsqu'un jeune agriculteur obtient un terrain, ce dernier est boisé, dépourvu d'accès à l'eau et à l'électricité et de toute voirie. Par conséquent, il s'avère extrêmement difficile et lourd de développer l'agriculture guyanaise dans de telles conditions.

Comment développer plus solidement l'agriculture guyanaise à l'horizon 2030 ? La Chambre d'agriculture s'est penchée sur le sujet et a établi une projection, principalement sur la filière d'élevage. Pour les bovins, l'objectif consiste à parvenir à 50 % de taux d'occupation de surface, contre 17,3 % actuellement. La cible de 50 % est la même pour les porcins, elle est fixée à 30 % pour les ovins et 20 % pour les volailles. À cet effet, il faudrait installer 100 agriculteurs par an et attribuer globalement 3 200 hectares par an, sachant que l'État reste maître de 400 000 hectares mobilisables environ.

En ce qui concerne les logements, je me suis rapprochée de la cellule économique régionale de la construction de la Guyane (CERC Guyane). Ils ont vérifié les données relatives aux volumes de logements sortis et aux démarrages de chantier. Il semblerait que la CERC commence à être rassurée. Elle s'inquiétait de constater que le volume d'appels d'offres n'avait cessé de diminuer depuis 2012, soit bien avant le début de la crise du logement en 2014. Par conséquent, la filière ne vivait depuis 18 à 24 mois que sur des stocks accumulés lors des pics de construction de 2011 et 2012. L'année 2015 s'est révélée catastrophique et les stocks de travaux s'étaient épuisés. Cependant, la reprise est apparue en 2016. En effet, le volume d'appels d'offres, en termes d'ordres de services (OS) et de démarrages de chantier (DEM) atteint déjà en novembre 2016 un niveau supérieur à l'année entière de 2015. La demande redémarre. L'augmentation de la ligne budgétaire unique (LBU) versée ces deux dernières années commence à porter ses fruits. Il est donc impératif que, non seulement son montant ne diminue pas, mais encore qu'il continue d'augmenter. En effet, les besoins demeurent considérables. L'objectif est de parvenir à 3 500 nouveaux logements par an.

M. Antoine Karam, rapporteur. - Et pendant 15 ans ?

Mme Joëlle Prévot-Madère. - En ce qui concerne les préconisations pour soutenir les demandes de Grafoguy, la chambre d'agriculture suggère de fournir des parcelles constructibles sur le domaine de l'État à tout Guyanais qui souhaite acheter sa parcelle pour construire sa maison.

M. Michel Magras, président. - Monsieur Dubois, vous avez confié que la gestion forestière assurée par l'ONF permettait aux collectivités d'en tirer un réel bénéfice. Pourriez-vous nous préciser quelles sont la nature et l'étendue de ces bénéfices ? De plus, vous avez souligné avoir été amené à fermer des pistes forestières. Pourriez-vous nous réexpliquer la raison de cette fermeture, qui peut donner lieu en effet à des contestations ?

Par ailleurs, Monsieur Léandre, vous avez signalé être en relation avec l'État. L'État met-il des terrains à votre disposition par convention ? Le cas échéant, de quels types de conventions s'agit-il ? En outre, jugez-vous la relation avec l'État satisfaisante ?

M. Éric Dubois- Les bénéfices que j'évoquais concernent les retombées économiques de la filière bois. Un peu plus de 2 000 emplois sont générés par les activités d'exploitation forestière, de sciage, d'utilisation du bois dans la charpente et la construction. Le bois constitue ainsi l'une des richesses du territoire guyanais. Son exploitation participe du développement endogène du territoire et permet de répondre à une part importante de ses besoins, notamment en substitution à des importations.

Le déficit opérationnel de l'ONF vient du fait que les produits des ventes de bois et le montant des redevances cumulées sont inférieurs aux coûts de gestion. La forêt ne constitue pas pour l'instant une richesse pour son propriétaire. Nous souhaitons parvenir à rendre rentable l'exploitation forestière en Guyane. Cet objectif d'efficience s'avère d'autant plus important si nous avons pour horizon - et je pense que c'est le sens de l'Histoire - de restituer tout ou partie des terrains aux collectivités territoriales.

Si la forêt ne représente pas une source de richesse pour l'État, en revanche les revenus induits par la gestion de l'ONF demeurent non négligeables pour le territoire. En particulier, la filière de l'exploitation de bois, ainsi que d'autres secteurs comme le tourisme, bénéficient de la gestion forestière assurée par l'ONF. La forêt est bien une richesse pour le territoire.

Vous m'interrogez sur les causes de la fermeture au public de pistes forestières. Celles-ci remplissent une fonction extrêmement importante, essentiellement pour l'exploitation forestière et le trafic de grumiers et d'engins pour les activités minières. Or, la circulation de ces véhicules rend impossible l'ouverture à la circulation des pistes forestières, pour des raisons de sécurité. De surcroît, les coûts d'entretien induits par une mise en conformité des pistes à la circulation publique seraient absolument rédhibitoires. En effet, le budget annuel que nous consacrons à l'ouverture de pistes et à leur entretien s'élève respectivement à deux et un million d'euros. Nos revenus propres ne nous permettent donc pas d'entretenir un patrimoine routier qui soit compatible avec l'ouverture au public.

Par ailleurs, l'ouverture des pistes forestières aurait un impact environnemental fort, en favorisant la chasse dans des zones jusque-là préservées de toute activité humaine. La fermeture au public des pistes forestières constitue souvent une clause conditionnelle d'attribution des aides à l'investissement. Cette décision n'émane pas de l'ONF. Elle a fait l'objet d'une discussion et a été validée par l'autorité administrative.

M. Michel Magras, président. - Partant de ces constats, auriez-vous des préconisations pour rendre plus rentable l'exploitation du bois ? L'État y consacre-t-il suffisamment de moyens ?

M. Éric Dubois- L'exploitation forestière est structurellement complexe en Guyane, en raison notamment de la très forte saisonnalité. Pendant la saison des pluies, il est quasiment impossible de sortir du bois des massifs forestiers. De plus, les distances entre la zone de récolte et la zone de transformation s'avèrent très importantes.

En outre, la forêt guyanaise constitue la seule forêt tropicale humide d'Europe. De ce fait, elle bénéficie d'une attention particulière et a une obligation d'exemplarité. Elle est notamment soumise aux contraintes de l'exploitation dite à faible impact écologique. Or, les précautions imposées engendrent un surcoût. En particulier, l'éco-certification engendre un niveau de prélèvement relativement faible, de cinq tiges à l'hectare, afin de ne pas bouleverser l'écosystème. Il s'agit d'une exploitation diffuse employant de forts moyens de mécanisation avec des coûts d'approche importants.

Par ailleurs, afin de soutenir financièrement la filière en Guyane, le prix de vente du bois est en effet fixé par l'administration, à un niveau volontairement bas. Ce prix ne permet pas à l'ONF de couvrir ses frais de gestion. Il soutient cependant la compétitivité de la filière bois. Les aides européennes de la politique agricole commune (PAC), via le fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) tendent à diminuer au cours des dernières années. Les acteurs de la filière bois de Guyane cherchent à obtenir un dispositif analogue à celui du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI) des agriculteurs. Ce système compenserait les handicaps naturels liés à la difficulté de l'exploitation des massifs guyanais.

M. Michel Magras, président. - J'entends bien votre propos sur les aides de l'État et sur les aides européennes, en l'occurrence pour le FEADER et le POSEI. Cependant, une économie subventionnée ne peut être pleinement compatible avec un développement endogène durable.

Vous avez souligné les conséquences néfastes de la circulation humaine pour la chasse. Or, je connais des pays qui exploitent du bois sans compromettre aucunement la biodiversité ni la richesse biologique, ni la vie même de la forêt. Par conséquent, vous satisfaites-vous de la situation actuelle ou estimez-vous que des portes sont à ouvrir pour la Guyane ? J'entends que 91 % du territoire guyanais est protégé. Cependant, la protection exclut-elle de manière systématique, définitive et radicale, la possibilité pour l'homme de valoriser son environnement ?

Mme Joëlle Prévot-Madère. - J'ajoute que les sociétés exploitantes de bois souhaiteraient obtenir des quotas plus élevés. Or, l'ONF le refuse en général. L'office accorde seulement un pourcentage de production supplémentaire en fin d'année, lorsque tous les besoins n'ont pas été satisfaits. Nous l'avons auditionné au Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur la gestion des forêts. Chaque année, les exploitants forestiers guyanais émettent la demande de quotas supplémentaires, sans qu'elle soit satisfaite.

Auparavant, les exploitants de bois coupaient principalement les essences précieuses. Depuis, des experts ont mené des études. D'autres types de bois bénéficient désormais de certifications de la part de l'Union européenne. Auparavant, seules les essences précieuses pouvaient être coupées, ce qui engendrait un surcoût important puisque les bois précieux étaient dispersés sur de grandes surfaces diffuses.

M. Antoine Karam, rapporteur. - Nous étions en visioconférence précédemment avec les responsables de la CTG et de l'EPAG. Les élus de Guyane se demandent pourquoi aucune forêt territoriale ou communale n'existe en Guyane. Sur tous les autres territoires de France hexagonale, la différenciation entre forêt domaniale et forêt de collectivité existe. S'agit-il pour l'ONF de mieux protéger les massifs, en raison d'une fragilité financière des communes guyanaises qui ne leur permet pas de soutenir une politique de gestion et d'aménagement de la forêt ?

Je salue mon ami Roland Léandre, président du Grafoguy. S'il nous a indiqué avoir aujourd'hui de bons rapports avec l'État, je peux le confirmer, cela est le fruit d'un travail difficile. Il y a une trentaine d'années, nous étions déjà descendus dans la rue pour réclamer une rétrocession du foncier. Nous ne comprenions pas que les citoyens guyanais puissent être parqués dans des HLM, dans des tours, alors que nous disposions d'une superficie de 84 000 km². Or, le Grafoguy reprend nos revendications des décennies précédentes. Il fédère des associations et défend le droit des Guyanais à la propriété, droit républicain inscrit dans la Constitution française et né de la Révolution française.

Mme Vivette Lopez. - Je souhaiterais poser une question à Madame Prévot-Madère. Vous rappelez que 91 % du territoire guyanais est protégé. En outre, 95 % de la superficie de la Guyane appartient à l'État. Par conséquent, la population guyanaise dispose de peu de terres disponibles pour ses activités. Estimez-vous indispensable de protéger 91 % du territoire guyanais, de surcroît lorsque les besoins exprimés par les experts en construction s'élèvent à 3 500 nouveaux logements par an ?

En France métropolitaine, les terrains sont interdits à la construction lorsqu'ils menacent la sécurité des populations ou protégés pour préserver l'environnement faunistique et floristique.

Mme Joëlle Prévot-Madère. - Un quart du territoire de la Guyane est classé en ZNIEFF, soit près de 23 000 km². La décision de classer des espaces est censée se fonder sur des critères précis. La procédure réglementaire pour les espaces classés impose un cadre strict. En effet, un arrêté préfectoral doit être signé, affiché en mairie et mentionner un bureau d'études. De plus, le propriétaire doit être prévenu. Or, pour de nombreuses ZNIEFF de Guyane, nous ne sommes pas en mesure de disposer de l'ensemble des pièces justificatives et des actes nécessaires. Nous nous interrogeons.

Je ne remets pas en cause la légitimité des ZNIEFF. En revanche, les besoins d'espaces préservés doivent pouvoir se concilier avec d'autres espaces, à disposition des besoins de la population. Des terrains constructibles sont nécessaires afin de répondre à l'augmentation de la population. La natalité reste vigoureuse et la Guyane reçoit de nombreux migrants sur son sol. Or, si l'État n'accède pas à la demande de logements, les personnes s'installent et construisent illégalement. Le défaut de contrôle du territoire par l'État se pose également. En effet, l'État français se trouve en difficulté en Guyane et à Mayotte pour assurer ses prérogatives régaliennes de surveillance des frontières face à une immigration très importante.

M. Michel Magras, président. - Le Grafoguy reçoit des terrains pour construire. Quelle est la nature juridique de l'accord conclu entre l'État et le Grafoguy ? S'agit-il de conventions ?

M. Roland Léandre. - Les terrains attribués présentent une vocation agricole, avec un objectif d'autosuffisance alimentaire et de diversification de l'agriculture, en fonction des capacités et des propriétés des sols. C'est bien la production agricole et non la construction de maisons qui est visée.

Quels sont nos rapports avec l'État ? Nous avons dû frapper sur la table, afin de nous faire entendre. En 2004, avec le soutien du président de région de l'époque, Antoine Karam, les associations et l'État se sont réunies. Les premières rencontres ont été difficiles pour définir des procédures. Progressivement, nous avons pu obtenir le principe que l'État nous cède à un prix avantageux et abordable des parcelles, autour de 400 euros l'hectare, dans des zones plus ou moins périphériques des villes. L'évaluation a été établie sur des bases saines, sans spéculation. Les collectivités devaient donner leur accord quant à la destination des terrains. Progressivement, des terrains ont pu être vendus à des particuliers. Près d'un millier d'actes de vente ont été réalisés par l'intermédiaire du Grafoguy. Cependant, la conjoncture a changé. Depuis quelques temps en effet, l'investissement de l'État s'est fortement ralenti. Les effectifs dans l'administration ont décru ou n'ont plus la disponibilité pour entériner les actes. Pourtant la demande reste forte. Par conséquent, de nombreux dossiers demeurent en souffrance.

Pour pallier les retards dans l'instruction des dossiers, nous avons fait le choix de la constitution d'une société civile immobilière d'attribution (SCIA), afin que les parcelles soient vendues dans leur ensemble à la SCIA, sans devoir rédiger autant d'actes que d'adhérents. Nous constatons malheureusement un revirement de l'État qui se traduit par la volonté d'imposer unilatéralement de nouveaux prix de vente des parcelles, sur une frange comprise entre 8 000 et 15 000 euros l'hectare, au lieu des 400 euros initiaux. Pourtant, le Grafoguy a lui-même mis en valeur les terrains qui lui ont été confiés : construction des routes, électrification. De plus, l'augmentation substantielle du prix des terrains compromet la justice sociale, puisque ces terrains étaient principalement destinés à des populations fragiles. L'État entend-il écarter le citoyen guyanais de l'accession à la propriété ?

M. Michel Magras, président. - Votre propos a le mérite de la clarté. Hélas, nous sommes arrivés au terme de notre discussion. Je vous remercie des réponses que vous avez pu nous apporter et qui enrichiront notre rapport.

Jeudi 24 novembre 2016

- Présidence de M. Michel Magras, président -

Foncier dans les outre-mer - Audition en visioconférence avec La Réunion

M. Michel Magras, président. - Nous poursuivons aujourd'hui les auditions du troisième et dernier volet de notre étude sur le foncier, consacré aux conflits d'usage et aux outils de planification. Après avoir dialogué hier après-midi avec la Guyane, nous nous projetons ce matin à La Réunion pour continuer notre série de visioconférences destinées à mieux apprécier les différentes stratégies territoriales et les contraintes spécifiques de chaque collectivité.

Nous procéderons en deux temps : la première séquence sera centrée sur l'intervention des collectivités territoriales et, au premier rang, du conseil régional chargé de définir le schéma d'aménagement régional, document prescriptif ; la seconde séquence réunira les acteurs socio-économiques dont l'activité dépend étroitement du foncier mobilisable.

Je remercie de leur présence Madame Virginie K'Bidy et Monsieur Bachil Valy, conseillers régionaux, Monsieur Jean-Louis Grandvaux, directeur de l'Établissement public foncier de La Réunion (EPFR) et Monsieur Anthony Rasolohery, directeur de l'aménagement de la région Réunion.

Je précise pour nos interlocuteurs que Thani Mohamed Solihi, sénateur de Mayotte, est notre rapporteur coordonnateur ; Antoine Karam, sénateur de la Guyane, et Daniel Gremillet, sénateur des Vosges, sont co-rapporteurs.

Pouvez-vous d'abord retracer les grands enjeux et objectifs qui structurent le schéma d'aménagement régional (SAR) ?

M. Bachir Valy, conseiller régional. - Merci de votre invitation. Pour exposer les grands enjeux et objectifs qui structurent le SAR adopté en 2011, Monsieur Rasolohery est le mieux placé !

M. Anthony Rasolohery, directeur de l'aménagement de la région Réunion. - Le SAR a identifié quatre grands défis : la dynamique démographique, les changements climatiques, les effets de la mondialisation, les effets structurants des infrastructures majeures. Quatre objectifs ont été définis : répondre aux besoins d'une population en croissance et protéger les espaces agricoles et naturels, préserver la cohésion d'une société réunionnaise de plus en plus urbaine, renforcer la dynamique économique dans un territoire solidaire et, enfin, sécuriser le fonctionnement du territoire pour anticiper les changements climatiques.

Pour freiner la consommation d'espaces agricoles, le SAR préconise d'inclure dans les documents d'urbanisme locaux, plan local d'urbanisme (PLU) et schéma de cohérence territoriale (SCOT), un classement approprié afin de faire obstacle à tout changement de destination inapproprié.

Il s'agit aussi de contenir l'étalement urbain, en délimitant des espaces déjà urbanisés à densifier, des espaces d'urbanisation prioritaire dont la vocation urbaine est déjà affirmée et qui vont accueillir des opérations d'aménagement et de construction, et des zones préférentielles d'urbanisation, qui seront inscrites sur la carte comme ouvertes à l'urbanisation. Les volumes définis sont répartis entre les bassins de vie.

Deux grands chapitres de prescriptions inscrits dans le SAR visent à décliner les orientations pour maintenir les grands équilibres spatiaux (urbains, agricoles, naturels) et pour dessiner une armature urbaine hiérarchisée.

Le schéma de mise en valeur de la mer (SMVM) tend à protéger les écosystèmes littoraux, à organiser l'activité littorale et à contenir le développement urbain.

Plusieurs grands projets structurants inscrits dans le SAR sont en cours de réalisation : la nouvelle route du littoral, le développement des voies consacrées aux transports collectifs, la construction de logements - car l'objectif de 9 000 par an préconisé dans le SAR est loin d'être atteint, la moyenne ayant été de 4 500 entre 2009 et 2013, et la réalisation étant descendue à 3 300 en 2014 et 2 700 en 2015.

D'autres projets concernent les infrastructures de transport : la déviation routière de Saint-Joseph, qui a été réalisée pour fluidifier la circulation dans cette ville, les pôles d'activité à vocation régionale, notamment celui du Sud, ou coeur d'agglomération, le projet de coeur d'agglomération sur le Territoire de la côte Ouest (TCO), qui a été labellisé « éco-cité », le seul en outre-mer.

M. Jean-Louis Grandvaux, directeur de l'Établissement public foncier de La Réunion. - Le territoire compte peu de terrains de l'État mobilisables pour des logements. L'EPF en a déjà acquis quatre, l'un à Saint-Benoît pour des aménagements touristiques, un autre à La Possession pour la construction de logements (1,5 million d'euros et 1,8 hectare), un autre encore pour des logements (1,5 million d'euros également) et enfin un terrain à Saint-Benoît (270 000 euros et 3 000 mètres carrés) pour une opération de logement. Nous négocions actuellement tous les terrains autour du Port, qui comportent quelques maisons appartenant à l'État, qui nous intéressent dans le cadre de la reconquête de la zone.

L'État possède peu de terrains mobilisables, sauf en bord de mer où sont installés des résidences de vacances ou des centres d'entraînement pour l'armée. Certains présentent un enjeu touristique important compte tenu du faible espace littoral disponible. Ces très belles parcelles pourraient donner lieu à des opérations exceptionnelles à vocation touristique, créatrices d'emplois.

Mme Gélita Hoarau. - Quelle surface, précisément, est disponible, notamment sur le littoral ? Et quelle est la surface disponible des terrains des collectivités locales ?

M. Jean-Louis Grandvaux. - Le terrain de Saint-Benoît qui comporte un bâtiment intéressant du point de vue du patrimoine - une ancienne gare - a une dimension de 1,5 hectare. Celui de La Possession, 1,8 hectare, sera affecté à une opération comportant 60 % de logements sociaux. Celui du Port représente 1,28 hectare, et un autre à Saint-Benoît est plus petit, 3 000 mètres carrés. Ils sont destinés également à des opérations de logement. Ceux-là ont été acquis. Nous négocions un terrain au Port de 1,5 hectare sur lequel sont bâties des maisons inscrites au patrimoine dont il faudra tenir compte car nous ne pouvons les démolir. Nous avons fait dans le passé un inventaire des terrains d'État et un inventaire des terrains des collectivités locales : peu pourraient accueillir des opérations d'aménagement. Beaucoup d'espaces naturels, peu de terrains constructibles pour les collectivités !

En revanche, l'EPF a acquis de nombreux de terrains constructibles : il a acheté depuis 2002 480 terrains, soit 395 hectares, pour un investissement cumulé de 220 millions d'euros ; nous avons revendu 230 terrains sur 205 hectares, pour 230 millions d'euros. Il en reste la moitié, ce qui constitue un potentiel de terrains constructibles très important. Entre 5 et 6 000 logements ont été réalisés sur ces terrains, il reste des possibilités équivalentes en volume de logements ainsi que des possibilités pour des équipements publics, des projets économiques et touristiques. Le potentiel des terrains acquis est très important, grâce aux mandats que nous ont confiés les collectivités. Nous avons établi sur toute l'île des plans d'action fonciers, documents stratégiques pour chaque commune, où sont repérés tous les terrains disponibles à acquérir, publics et privés, et les priorités des collectivités. Nous les tenons à jour en fonction des risques, des PLU, des constructions nouvelles, des évolutions politiques, de la demande... Nous avons donc une bonne connaissance du foncier stratégique et constructible. Nous ne nous occupons pas, en revanche, des espaces naturels et non constructibles. Nous travaillons en complémentarité totale avec la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer).

M. Michel Magras, président. - Comment se fait-il, alors, que le nombre de nouveaux logements ne cesse de diminuer ? Où sont les blocages ?

M. Jean-Louis Grandvaux. - Plusieurs facteurs jouent : les collectivités locales ont des difficultés financières, les bailleurs sociaux aussi ; la gestion de la ligne budgétaire unique (LBU) a fait l'objet de remises à plat ; les lois de défiscalisation - Girardin en particulier - arrivent à leur terme, si bien que les investissements privés reculent alors qu'ils finançaient à La Réunion la moitié des constructions de logement ; et le parc des bailleurs sociaux vieillit, sa réhabilitation consommant des financements non négligeables. Enfin, les documents d'urbanisme doivent être mis en conformité avec le SAR, ce qui se fait progressivement.

M. Michel Magras, président. - Quel est l'écart actuel entre l'offre et la demande de logements sociaux et de logements intermédiaires ? Les besoins sont-ils couverts ?

M. Jean-Louis Grandvaux. - On dénombre 20 000 personnes en attente de logement aidé. Peu de Réunionnais ont les moyens d'accéder à la propriété, d'acheter un terrain et de faire construire. La demande de logements locatifs est donc importante. La défiscalisation a été bénéfique pour la construction et a permis d'absorber une partie des besoins, mais elle se tasse alors que la croissance démographique s'accentue.

M. Anthony Rasolohery. - Des PLU sont en cours d'élaboration, des SCOT compatibles avec le SAR ont déjà été achevés, et la région accompagne les collectivités dans cette mise en compatibilité, veillant à la bonne retranscription des objectifs du schéma régional dans les documents d'urbanisme, notamment les plans d'aménagement et de développement durable (PADD). Un guide méthodologique d'application du SAR réalisé en lien avec les services de l'État est disponible.

M. Jean-Louis Grandvaux. - Sur vingt-quatre communes que compte La Réunion, dix-huit ont donné délégation à l'EPF pour exercer le droit de préemption urbain (DPU). Cela concerne, sur les 27 000 hectares constructibles de l'île, les 10 000 hectares stratégiques pour l'urbanisation. Sur les autres s'exerce une moindre pression, nous n'avons pas de délégation et ne souhaitons pas l'avoir. L'EPF préempte pour le compte des communes, sans jamais outrepasser le prix des Domaines - c'est une règle - et uniquement pour les motifs d'intérêt général stipulés par les communes conformément à la loi statutaire. Lorsque la commune reçoit une déclaration d'intention d'aliéner, elle s'adresse à nous si elle souhaite préempter le terrain sans avoir la capacité financière propre de l'acheter.

M. Michel Magras, président. - Sur les espaces naturels sensibles, le droit de préemption du département est-il appliqué ? Avez-vous des relations avec le Conservatoire du littoral ?

M. Jean-Louis Grandvaux. - Oui, mais nous ne préemptons pas, ce sont nos partenaires compétents qui le font.

Mme Virginie K'Bidy, conseillère régionale. - C'est la Safer qui s'en charge pour le compte du département, voire du Conservatoire du littoral.

M. Jean-Louis Grandvaux. - Quant aux expropriations, deux grandes opérations sont en cours. L'EPF a commencé la première avec l'accord du préfet, sur 90 hectares, pour construire 2 700 logements et des commerces, à Saint-Paul, sur la zone d'aménagement concerté (ZAC) Renaissance 3. Une autre est menée par le Territoire de la côte Ouest (TCO), elle porte sur un terrain de 500 hectares dans la zone de Cambaie, sur lequel une ancienne antenne Omega de l'armée a dû être démantelée. Le projet est de bâtir une éco-cité. Sur le même projet, l'EPF devrait également acquérir des terrains du TCO, pour 50 millions d'euros - en achetant en second rang, non en expropriant... L'expropriation n'est pas courante, ces dernières années.

M. Michel Magras, président. - Cela génère-t-il des contentieux ?

M. Jean-Louis Grandvaux. - Oui, nécessairement. Nous savons déjà que des contentieux seront soulevés dans la ZAC sur laquelle nous procédons à des expropriations. Il y a des contentieux en cours sur la zone de Cambaie. Nous sommes en instance d'appel.

Nous essayons de tenir compte des plans de prévention du risque inondation (PPRI) ou mouvements de terrain (PPRMT), lorsqu'ils existent. La non-concomitance de leur élaboration avec celle des documents d'urbanisme, dans des îles comme La Réunion, peut avoir de lourdes conséquences. Certains terrains classés comme constructibles deviennent de fait inconstructibles après la réalisation du PPRI... Nous avons la chance à La Réunion d'avoir des systèmes d'information géographiques performants ; nous comptons également sur les échanges d'informations avec les services de l'État et des différentes collectivités qui se déroulent bien, mais les risques évoluent quotidiennement... À Salazie, commune dont le sol bouge beaucoup et connaît de fréquents glissements de terrain, nous avons acheté un terrain constructible, deux ans avant qu'une faille ne s'ouvre en son milieu : la commune, désormais grevée d'un terrain inconstructible, a perdu de l'argent et transformé en jardin public son projet initial. Idéalement, il faudrait que l'État et les collectivités se tiennent informés mutuellement de l'état d'avancement des documents en temps réel pour les faire évoluer simultanément, car ces désagréments peuvent coûter cher.

M. Bachil Valy. - Je suis maire d'une commune en cours de révision simplifiée de son PLU, afin d'anticiper les futurs aménagements à y apporter et d'estimer les réserves foncières dont nous disposons.

Un mot sur les tensions entre les communes et le parc national de La Réunion. Sept des vingt-quatre communes de La Réunion n'ont pas signé la charte du parc national, ce qui représente environ un tiers de sa superficie. Le dialogue entre les élus de ces zones agricoles et d'élevage et l'administration du parc n'a jamais été simple ; celle-ci s'est aussi heurtée à la population de ces zones. Les tensions sont aujourd'hui retombées, mais beaucoup reste à faire. Tous les outils contraignant le développement économique - plan de prévention des risques, plan d'occupation des sols (POS), plan local d'urbanisme -, conjugués aux nouvelles réglementations du parc national, ont refroidi les ardeurs des élus que nous sommes car l'activité existante était remise en cause. Les communes des hauts de La Réunion ont une vocation de développement touristique plus qu'industrielle qui est incontestablement freinée par ces contraintes. Une convention devait précéder la signature de la charte, pour faciliter le dialogue et lever ces freins : nous ne pouvons accepter celle-ci sans avoir conclu celle-là... C'est la raison du blocage. Le président de la région a engagé une étude complémentaire pour susciter l'adhésion des communes réticentes. Notez que celles qui ont signé la charte, limitrophes ou n'ayant qu'une partie de leur territoire sur celui du parc national, sont les moins concernées par ses réglementations.

M. Jean-Louis Grandvaux. - Le nombre de transactions sur les marchés fonciers diminue depuis cinq ans, mais les prix sont restés élevés. L'établissement public foncier de La Réunion a réalisé 30 millions d'euros d'acquisition en 2014 et 2015, mais seulement 18 millions en 2016. Selon la direction générale des finances publiques (DGFiP), le nombre de transactions a chuté de 30 % entre 2011 et 2015. La fin du dispositif Girardin, l'impact de la crise financière sur les particuliers ou celle de certains dispositifs fiscaux sur l'immobilier expliquent en partie ce phénomène de rétention foncière. Lorsque la plus-value réalisée par un particulier est taxée à 35 % ou 40 %, il arrive qu'il refuse de vendre. Enfin, de nombreuses communes rechignent à lancer de grandes opérations compte tenu de l'accroissement des risques financiers et juridiques.

Les mutations ont diminué de 50 % depuis 2007, tendance que confirme la Safer et qui touche aussi les milieux naturel et agricole. Malgré la chute des transactions, les prix se maintiennent : ils restent élevés et sont même repartis récemment à la hausse. Cette tendance s'observe sur tous les segments de marché : bâti, non bâti, urbain, agricole.

M. Michel Magras, président. - Avez-vous un ordre de grandeur ?

M. Jean-Louis Grandvaux. - À Saint-Denis, le mètre carré non bâti se négocie à 1 000 euros en centre-ville. Dans une ville moyenne, un terrain coûte 200, 300, ou 400 euros le mètre carré. À l'Entre-deux par exemple, commune bien située au sud de l'île, le mètre carré coûte 250 euros. Les parcelles à bâtir peinent à trouver preneur au-delà de 400 mètres carrés. Nous avons néanmoins acheté des terrains à 4 ou 5 euros le mètre carré ou, dans la zone d'activité de Pierrefonds, près de Saint-Pierre, à 15,24 euros le mètre carré, il y a cinq ans : nous n'avons acheté que les quatre cinquièmes de la parcelle à ce prix intéressant en permettant à son propriétaire de faire une plus-value sur le cinquième restant.

Mme Gélita Hoarau. - Était-ce un terrain agricole ?

M. Jean-Louis Grandvaux. - Non, nous n'achetons jamais de terrain agricole. Il s'agissait d'une zone d'urbanisation future, mais non aménagée. Les agriculteurs qui s'y trouvaient ont été indemnisés. Heureusement, la continuité politique a été forte dans cette zone puisque le précédent maire de Saint-Pierre avait proposé aux agriculteurs 100 francs le mètre carré il y a quinze ans ; nous avons préféré conclure un accord en leur laissant la jouissance d'un cinquième du terrain, contre l'achat des quatre cinquièmes à un prix maîtrisé pour la puissance publique.

M. Anthony Rasolohery. - Le schéma départemental des carrières a déjà fait l'objet d'une modification pour prendre en compte des besoins en matériaux - de la route du littoral notamment. En ce moment, une procédure de modification du SAR est en cours, qui intègre l'inscription de certains espaces dans la carte des carrières.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur coordonnateur. - Merci pour vos réponses et vos éclairages.

La cession de terrains semble bien se passer à La Réunion, mais ce n'est pas toujours le cas. En Guyane, par exemple, l'État possède plus de 90 % des terres et les conserve jalousement. Les choses ont-elles toujours été aussi simples ? Quel est votre secret ?

Dix-huit communes sur vingt-quatre ont conféré leurs prérogatives de préemption à l'établissement public foncier. Comment font les autres pour mobiliser des terrains ?

M. Jean-Louis Grandvaux. - Il y a une vingtaine d'années, les financements étaient plus abondants à La Réunion, et les bailleurs sociaux disposaient parfois de trésors de guerre : la mobilisation du foncier était donc relativement simple. La région, les communes et les bailleurs sociaux, tout le monde achetait des terrains. C'était une période florissante. Puis ces acquisitions se sont trouvées en concurrence frontale avec les opérations de promoteurs privés désireux de profiter des dispositifs de défiscalisation, ce qui a renchéri les prix. Les collectivités ont alors pris, en 2002, l'initiative de créer un EPF, qui peut prélever une taxe spéciale d'équipement dans la limite de 20 euros par habitant. À La Réunion, cette taxe a été votée sur une base de 12,6 millions d'euros. Cette somme s'ajoute chaque année au produit des reventes de terrains et aux emprunts, ce qui dote l'EPF de capacités d'acquisition non négligeables. Dans l'état actuel des finances des collectivités, il serait difficile pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de constituer des réserves foncières sans notre force de frappe. Nous revendons nos terrains au prix où nous les achetons, que nous l'ayons gardé en notre possession un, deux ou quinze ans, hors les très faibles frais de portage nécessaires pour faire tourner notre équipe de douze personnes, de l'ordre de 1 % sur le capital restant dû. La taxe spéciale d'équipement sert intégralement à financer l'achat des terrains revendus aux collectivités. Je travaille aussi dans l'association des EPF locaux en métropole et j'ai un contact avec les EPF d'État : nous n'avons jamais eu de remarques sur le montant de cette taxe spéciale d'équipement. C'est un outil bien fléché et bien utilisé, sans lequel nous ne pourrions pas faire grand-chose.

Le périmètre des communes qui nous ont délégué leur DPU évolue régulièrement. La commune du Tampon vient de s'associer à l'EPF. Certaines grosses communes restent encore à l'écart. La commune de Saint-Denis ne nous a pas délégué le droit de préemption, car elle mène une politique foncière avec des moyens suffisants, mais nous négocions actuellement avec elle. La commune du Port, depuis sa création, a constitué énormément de réserves foncières. Cette anticipation l'a autorisée à mener une politique très active et économe de constructions. Aujourd'hui, les besoins sont plus réduits car elle a davantage de réserves. Certaines petites communes ont de moindres besoins comme Cilaos, où il n'y a pas de délégation du droit de préemption. Tout cela peut changer demain. L'EPFR pourra-t-il faire face à tous les besoins ? Il ne peut préempter à guichet ouvert, partout sur les 24 communes pour des sommes importantes. C'est possible actuellement, mais jusqu'à quand ?

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Merci pour la clarté de vos propos, qui nous donnent une bonne photographie de la situation. L'EPF et la Safer, les deux grands intervenants de l'organisation territoriale, travaillent-ils étroitement ensemble ?

M. Jean-Louis Grandvaux. - Nous avons d'excellents rapports avec la Safer : elle siège à la commission foncière de l'EPF qui se réunit avant chaque conseil d'administration pour examiner toute demande d'acquisition. Nous n'intervenons jamais sur les terrains agricoles naturels, mais rachetons à la Safer certains terrains déclassés. Nous ne faisons pas le même métier mais nous sommes complémentaires. La Safer préempte les terres agricoles afin de les donner aux agriculteurs. Réciproquement, elle nous informe de son programme pluriannuel d'aménagements, nous invite à des réunions ou à son assemblée générale. Nous entretenons des échanges très réguliers.

M. Michel Magras, président. - Merci pour toutes vos réponses précises et éclairées.

Nous auditionnons à présent Madame Sylvie Le Maire, déléguée générale du Syndicat du sucre de La Réunion, accompagnée de Madame Aurore Bury, chargée de mission foncier et aménagement du territoire ; Messieurs Éric Wuillai, membre du Medef Réunion, président directeur général (PDG) de CBo Territoria, Bernard Fontaine, président, et Michel Oberlé, délégué de l'Association régionale des maîtres d'ouvrage sociaux (Armos), Gérard Sorres, président, et Michaël Fourel, directeur de la Safer de La Réunion. Monsieur Jean-Bernard Gonthier, président de la Chambre d'agriculture de La Réunion, est présent parmi nous.

Mme Sylvie Le Maire, déléguée générale du Syndicat du sucre de La Réunion. - Nous répondrons à vos questions en tant qu'usagers du foncier agricole. La filière canne-sucre représente le tiers de la production agricole de l'île, avec une filière agroindustrielle intégrée : la canne est produite et transformée dans l'île en sucre, avec valorisation des coproduits et des sucres spéciaux.

L'enjeu foncier est majeur pour l'agriculture. La Réunion a une surface de 2 500 km2, mais seulement un tiers de son foncier est utilisable : 62 % du territoire est recouvert de bois et de forêts - contre 40 % en métropole. Dans cet espace, la surface agricole utile (SAU) représente 42 000 hectares, pour un objectif de 50 000 hectares affiché dans tous les documents de planification : le SAR bien sûr, et le programme régional d'agriculture et d'agroalimentaire durable.

Ces 50 000 hectares ne sont pas atteints. Les conflits d'usage n'apparaissent pas au sein de la filière agricole qui répond, à La Réunion, à un modèle social et familial articulé autour de cultures complémentaires : d'une part la canne à sucre, pour l'export notamment, d'autre part la diversification, tant animale que végétale, à destination du marché local. La pression s'exerce majoritairement entre l'agricole et l'urbain, avec une croissance démographique encore nette. Il faut trouver un mode optimisé d'organisation pour préserver les terres agricoles tout en développant les logements pour accueillir la population. Nous n'avons pas trop de terres agricoles : la SAU représente 16 % du territoire, contre 54 % en France métropolitaine.

Oui, le foncier est un paramètre limitant. Les gains de compétitivité passent par une augmentation du foncier. Or, nous n'avons pas la capacité d'accroître fortement le foncier agricole qui se stabilise depuis une dizaine d'années à 42 000 hectares. Aujourd'hui, lorsqu'on libère du foncier pour installer un agriculteur, il y a sept à huit candidats pour un seul terrain. L'espace reste limité pour répondre à la demande.

Nous souhaitons que la ville se construise sur la ville, pour éviter de déclasser des terres. Les pertes foncières ont été très importantes dans les années 1980 et 1990. Deux documents ont permis de stabiliser le foncier : le SAR de 1995, puis celui de 2011. La filière canne couvrait plus de 28 000 hectares en 1980, avant de chuter à 25 000 hectares en 2000. Désormais, grâce aux grands projets d'irrigation et de basculement des eaux d'Est en Ouest, nous avons stabilisé la surface agricole cannière autour de 24 000 hectares. Les deux SAR successifs prenant en compte l'importance du foncier ont évité des dérives, même si tous les risques ne sont pas supprimés. Selon les deux scénarios extrêmes envisagés à titre d'hypothèses par le SAR, à horizon 2030, 6 à 34 % des terres pourraient être perdues. Autant le SAR est un document régional d'encadrement qui circonscrit les pertes foncières, autant on peut craindre actuellement des pertes importantes en fonction de la gestion effective des outils de planification et de présentation du foncier agricole.

La pression foncière est beaucoup plus importante près des grands centres urbains comme Saint-Denis et Saint-Pierre. La taille des parcelles est un autre paramètre. La zone de l'Est résiste mieux à la pression foncière, avec des parcelles plus structurées, à la différence du Sud avec un parcellaire plus réduit, territoire plus fragile du point de vue de l'unité des terres agricoles.

La filière canne représente 57 % de la SAU. Nous n'avons pas atteint nos objectifs : nous voulons reconquérir plus de foncier, sans en perdre. Une des solutions serait de mobiliser les 5 à 7 000 hectares de terres agricoles en friche. Reconquérir les terres incultes en améliorant les procédures est une priorité. Il faut aussi recenser le foncier urbain disponible. L'année dernière, 5 800 hectares de dents creuses se trouvaient dans les villes. Certaines intercommunalités veulent construire dans ces dents creuses, comme le Territoire de la côte Ouest. Un travail fin sur ces espaces optimisera le foncier disponible, notamment en commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), afin d'examiner ensemble les permis de construire sur les terres agricoles.

Autre élément-clé de la loi d'avenir agricole, le dispositif « éviter-réduire-compenser » (ERC) est en cours de mise en place à La Réunion, avec une analyse du foncier préalable pour choisir des terres qui pénalisent le moins l'agriculture, avant de réduire l'impact et de compenser, si possible à potentiel productif constant. La tentation est grande de prendre les terres du littoral les plus plates et les plus faciles d'accès pour les remplacer par les terres de moyenne ou haute altitude ; mais le potentiel agricole n'est pas le même pour le jeune agriculteur qui s'y installe. Aujourd'hui, on produit en moyenne 76 tonnes de canne par hectare. Sur les terres déclassées, en moyenne, on arrive à 90 tonnes par hectare : ce sont les meilleures terres de production qui sont remplacées par des terres moins productives.

M. Jean-Bernard Gonthier, président de la Chambre d'agriculture de La Réunion. - Madame Le Maire a bien résumé la situation du foncier agricole. Nous avons atteint un équilibre ; il faut le conforter. La concurrence n'est pas entre filières mais entre les secteurs d'activité. Pour développer notre agriculture, il faut aussi lutter contre l'importation de denrées agricoles à La Réunion. L'équilibre doit être conservé grâce à des gains de productivité et à l'intégration des terres en friche, sans attenter aux filières existantes. Il manque ainsi 4 000 hectares pour assurer notre autosuffisance en élevage, qui pourraient être récupérés dans les terres en friche, quitte à échanger avec le secteur de la canne. Il manque entre 500 et 800 hectares pour atteindre l'autosuffisance dans le maraîchage. Il reste encore de la marge pour produire. Nous devons récupérer les marchés d'importation. Selon les années, nous sommes entre 75 et 80 % autosuffisants en produits frais. Consolidons nos positions.

M. Gérard Sorres, président de la Safer de La Réunion. - Aujourd'hui, 300 hectares sont perdus chaque année. Avec la loi d'avenir agricole, la préemption partielle nous fait perdre autant sans qu'on la contrôle. Les règles qui s'appliquent dans les DOM sont compliquées. Quand on préempte une maison à 200 ou 300 000 euros, il y a 4 000 mètres carrés de terres en SAU à côté. Si la Safer préempte le foncier agricole, il a 3 à 4 000 euros à payer, mais la Safer ne peut pas payer les 200 000 euros ; dès lors, il est impossible d'installer des jeunes ou d'agrandir les exploitations.

Pour compenser le foncier, pour un hectare dans les bas, il faut 4 à 5 hectares dans les hauts. Installé sur 2 hectares de terres en friche il y a 40 ans, je suis bien placé pour dire qu'on ne peut pas s'emparer de la ceinture littorale de l'île pour reléguer la production agricole dans les hauts. Trouvons des compensations justes et appliquons les règles. Chaque maire aujourd'hui devrait instaurer des règles et les faire appliquer. Nous devons tirer l'oreille des agriculteurs car ce sont les premiers à construire sur le foncier agricole pour se loger. Comment résoudre ce problème de fond ? Pour produire sur les terres du haut, il faut entreprendre de gros travaux d'amélioration foncière, mais on y renonce car l'agriculteur ne peut faire l'avance d'un tel investissement avant même d'exploiter.

M. Bernard Fontaine, président de l'Association régionale des maîtres d'ouvrage sociaux (Armos). - Quittant la problématique du foncier agricole, je vais aborder celle du logement. Je dirige un organisme de logement social, la Société immobilière du département de La Réunion (SIDR). Tous les organismes de logement social sont également aménageurs, c'est consubstantiel à notre métier.

Il n'y a pas de concurrence directe entre le foncier à usage agricole et le foncier à usage du logement - les projets de construction de logement sont situés dans les zones constructibles. À quel endroit le foncier est-il optimal pour des projets de construction ?

La situation foncière répond à différents critères géographiques et topographiques. Dans l'Est de l'île, la situation foncière est détendue car l'offre de logements est au moins égale à la demande. Elle obéit aussi à une approche financière : le foncier est rare donc cher à La Réunion. On constate des évolutions. Le prix moyen d'un logement social était de 110 000 euros il y a cinq ans, dont 15 000 euros de foncier, alors que désormais il est de 170 000 euros, dont 45 000 euros de foncier. Cette inflation des coûts du foncier pose problème.

Oui, il faut construire la ville sur la ville. La recherche de densification urbaine répond à des objectifs clairs. Il est beaucoup plus intéressant, pour optimiser des équipements publics, des transports, des équipements scolaires, de construire les logements à proximité des aménités urbaines : c'est la tendance naturelle de tout bailleur. Mais précisément, en zone urbaine, le foncier est le plus coûteux et inaccessible, car les parcelles sont souvent éparpillées. Des économies d'échelle sont difficiles à obtenir.

Distinguons aussi le foncier brut du foncier aménagé. Le foncier brut n'est pas équipé, il n'est pas connecté aux équipements de voirie, de réseau ou de distribution, à proximité des grandes fonctionnalités urbaines - administrations, écoles... Quelle est la meilleure politique de production de foncier aménagé ? La problématique du foncier est inséparable de celle de l'aménagement et du logement. Une des plus grandes difficultés des bailleurs sociaux est de disposer de foncier aménagé, parce que c'est la façon la plus intelligente et la plus efficace financièrement de produire du logement.

En zone urbaine, à Saint-Denis, Saint-Pierre ou Saint-Paul, le prix du foncier est prohibitif, de 1 000 euros le mètre carré, contre 100 euros le mètre carré dans des zones détendues. Nous aurions intérêt financièrement à construire dans les zones détendues, mais pas commercialement car nos logements resteraient vacants. Il faut surmonter cette contrainte de coût.

Nous avons d'autres contraintes structurelles : les architectes-conseils de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) - ou les architectes des bâtiments de France si le terrain est à proximité d'un bâtiment classé - nous imposent des règles qui renchérissent nos opérations. Les collectivités territoriales nous demandent moins de densité, en raison du rêve réunionnais d'une « case à terre » pour une population essentiellement rurale. De grands ensembles urbains seraient voués à l'échec. En dehors de Saint-Denis, les logements comptent 3 à 4 étages au maximum.

Existent aussi des contraintes réglementaires, comme l'accessibilité pour les personnes à mobilité réduite, dans une île montagneuse où la topographie renchérit le coût de la construction, avec des terrains en forte pente à terrasser.

On ne peut aborder la question du logement et du foncier sans celle de la politique d'aménagement du territoire, clé pour une politique agricole harmonieuse, et pour une politique de l'habitat et de l'urbanisme la plus efficace possible.

M. Éric Wuillai, membre du Medef Réunion, président directeur général de CBo Territoria. - Je préside aussi la fédération des promoteurs immobiliers de La Réunion. CBo Territoria est un aménageur et opérateur privé, spécialiste de l'aménagement. Nous possédons également quelques terres agricoles.

Nous rencontrons de grandes difficultés pour récupérer des terrains qui ont été attribués à des agriculteurs, il y a dix ans, et les proposer à d'autres. Les délais nous semblent trop longs mais, dans le logement, nous sommes sans doute habitués à des délais plus courts que dans le monde agricole. Entre la promesse de bail et l'installation de l'agriculteur, il se passe parfois jusqu'à deux ans. Il faut donc améliorer les procédures pour récupérer rapidement les nouvelles friches et les remettre en culture.

Je ne suis pas un défenseur des grandes propriétés, mais les grandes exploitations ont constitué la meilleure protection de l'espace agricole. À La Réunion, le mitage est un problème. Comme le rappelait Monsieur Sorres, on construit pour ses enfants, à côté de chez soi, mais lorsqu'une parcelle de 5 hectares est divisée en cinq, puis encore en cinq une génération plus tard, il ne reste plus que de petits îlots en zone agricole. En outre, le maire ne pouvant pas proposer de logement, il lui est difficile d'interdire la construction.

Nous menons actuellement une opération de GIE (groupement économique et environnemental) avec la Safer sur 500 hectares de terres récupérés dans l'Ouest grâce au basculement des eaux, sur lesquels près d'une centaine d'hectares peuvent déjà être remis en culture. En dix ans, nous avons remis 500 hectares en culture, parmi lesquels 150 hectares sont déjà quasiment en friche. Nous avons besoin d'outils permettant d'aller plus vite.

Je souscris aux propos de Bernard Fontaine de l'Armos au sujet du schéma d'aménagement régional, le SAR. Nous avons besoin de documents de planification afin de connaître la vision politique de développement du territoire.

Il semble que l'on cherche à refaire la ville sur la ville, mais la loi SRU, par exemple, impose 25 % de logements sociaux. Sur une commune dans laquelle on ne peut pas construire sur le littoral parce que s'y trouvent l'aéroport et des terres agricoles, c'est un niveau difficile à atteindre. L'application de la loi SRU devrait donc être envisagée à l'échelle des territoires et pas seulement des municipalités.

Une autre difficulté réside dans la qualification du foncier dont nous parlons. S'agit-il de terrains nus ou de terrains aménagés ? Aujourd'hui, toutes les opérations supportent les coûts d'investissement foncier. Les nouveaux habitants paient la totalité des équipements, qui profitent pourtant également aux usagers déjà installés. C'est un grand débat !

Je confirme que la tension est plus forte sur les secteurs Nord et Ouest. Les superficies existent à La Réunion mais, soyons honnêtes, cette île est une vaste conurbation sur le littoral. Les grandes zones d'activité ne peuvent pas être installées sur des pentes à 25 %. Dans les hauts, sans routes et sans transports en commun, il est aussi compliqué de faire de la ville que de l'agriculture. Il faut maintenant trouver les bons équilibres. Il reste bien des interstices urbains à récupérer, mais les rapports d'acquisition de terrains nus ne sont pas les mêmes !

M. Bernard Fontaine. - Les documents d'urbanisme existent à La Réunion : les plans locaux d'urbanisme, le schéma de cohérence territoriale, le schéma d'aménagement régional, les instruments de cadrage territorial sont disponibles. Ce qui manque, c'est une boîte à outils d'incitation financière, qui permettent aux communes de décliner les prescriptions qui leur sont faites et d'accompagner l'effort d'aménagement. Celui-ci pèse sur les opérateurs, qui deviennent de véritables substituts des collectivités locales lorsqu'il faut construire en périphérie des centres urbains.

Il importe donc de consacrer des moyens publics à l'aménagement, notamment ceux de la région. C'est ainsi que pourra être mise en oeuvre une politique du logement plus efficace.

Mme Aurore Bury, chargée de mission « Foncier et aménagement du territoire » au Syndicat du sucre de La Réunion. - En complément de cette boîte à outils financière, nous avons renforcé depuis 2010, avec la loi de modernisation de l'agriculture puis avec la loi d'avenir pour l'agriculture, les outils réglementaires et législatifs nécessaires au contrôle de la division parcellaire et au suivi de l'occupation du sol et de ses usages.

Toutefois, le contrôle par les services de l'État n'a pas suivi, car celui-ci s'est désengagé de ces outils. La commission départementale de la consommation des espaces agricoles (CDCEA) ne s'est ainsi réunie qu'une dizaine de fois, et n'a instruit que douze dossiers. En Guadeloupe, par exemple, cette commission a traité 600 dossiers durant la même période, en instruisant systématiquement les permis de construire sur les espaces agricoles. Auparavant, la direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF) les traitait, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Le résultat est une recrudescence du mitage agricole sans contrôle, car ni l'État ni les communes ne souhaitent s'en occuper.

La taille de la propriété cadastrale est déterminante pour l'usage du sol. Cet outil doit nous permettre de limiter les divisions parcellaires, mais aucun contrôle n'est réalisé. Des demandes parviennent au Conseil départemental, qui est chargé de cette thématique, mais nous ne savons pas quelle proportion des dossiers est effectivement traitée et nous ne disposons d'aucun suivi ni d'aucune capitalisation des données. Il faudra traiter ce problème pour garantir que le foncier agricole le reste.

Une particularité - regrettable ! - de La Réunion est que le siège d'une exploitation n'est pas cédé en même temps que les terres. Avec le temps, la parcelle est délimitée autour du bâti, puis les générations suivantes, privées de siège, demandent à nouveau un permis de construire. C'est un cercle vicieux.

D'autres outils existent. À La Réunion, nous réceptionnons chaque jour une image satellite du territoire. Ces données sont extraordinaires mais il n'existe pas d'observatoire de l'usage du sol susceptible d'en tirer profit, comme le préconisait pourtant la loi qui a mis en place la CDCEA. Notre lecture du territoire est donc encore très passive, nous ne sommes pas suffisamment réactifs face aux mutations des usages.

M. Michel Vergoz. - Il est très important de rappeler que la responsabilité de l'aménagement du territoire est partagée. Elle n'incombe pas seulement à tel ou tel élu, plus encore sur une île.

Je suis dans les affaires agricoles depuis des années, et je souhaite obtenir une réponse à une interrogation qui perdure. Vous évoquez des éléments récurrents : tant d'hectares sont nécessaires pour protéger le foncier cannier, avec tels rendements, etc.

Nous disposons aujourd'hui de tous les outils pour suivre l'évolution de la terre réunionnaise au mètre carré près. Le satellite, cela vient d'être dit, nous permet de tout voir. Il y a deux usines sucrières à La Réunion, l'une au Gol, l'autre à Bois Rouge, et treize balances dont nous connaissons la répartition. On estime à 24 000 hectares ce qui serait nécessaire pour sauvegarder la filière, alors même que les rendements diminuent. J'habite une zone rurale escarpée, très difficile, mais les terres de ma commune produisent 120 tonnes de canne à l'hectare, car nous nous sommes attelés à la modernisation des chemins et de l'exploitation. Si nous avons obtenu de tels résultats sur un territoire très difficile, cela doit être possible ailleurs !

Ces 24 000 hectares à préserver pour la canne, où sont-ils ? Ne sommes-nous pas capables de dire où l'on produit les deux millions de tonnes de canne traités au Gol et à Bois Rouge chaque année ? Les deux usines ne peuvent pas broyer plus de canne. En 1996, nous avons fixé ce seuil défensif, mais il n'a jamais été atteint. En réalité, chacune broie plutôt 900 000 tonnes de canne. Il nous appartiendra de demander à tel ou tel acteur de faire des efforts spécifiques pour sauvegarder son usine. En effet, si l'une d'entre elles devait fermer, toute la filière serait en danger.

Je termine la préparation du plan local d'urbanisme de ma commune, et j'observe que les autorités agricoles me demandent toujours plus. Je n'en ferai pas plus. J'ai fait passer la balance de la Ravine Glissante de 60 000 tonnes à 120 000 tonnes en moyenne, j'ai servi La Réunion et je suis en droit d'attendre, sur mon territoire rural sous pression, un juste retour de mes efforts !

Mme Sylvie Le Maire. - Il n'est pas facile d'indiquer où sont les terres cannières sans une carte. La surface agricole utile s'étend sur le pourtour de l'île, puisque plus de 40 % de la surface totale du territoire est occupée par des cirques et des montagnes, en son centre.

La zone Est, qui comprend Sainte-Rose, est en effet très productive. Toutes les zones réunionnaises sont couvertes par l'agriculture, à l'exception peut-être du Port, qui joue toutefois un rôle important de terminal sucrier.

La canne pousse entre le niveau de la mer et 600 ou 700 mètres d'altitude au plus aujourd'hui, car elle exige de l'eau et de la chaleur. De ce point de vue, le bassin Est résiste mieux que le bassin Sud et l'Ouest est protégé, car le basculement des eaux a imposé la protection des terres, grâce aux projets d'intérêt général, les PIG. Les zones les plus fragiles sont le Nord, autour de Saint-Denis, où il ne reste plus grand-chose, et le Sud, très sujet au mitage.

Un rendement de 120 tonnes par hectare, c'est excellent, mais les conditions d'exploitation sont disparates. La production oscille entre 60 tonnes et 120 tonnes à l'hectare, avec une moyenne de 76 tonnes. Les 3 100 exploitations ont chacune un chef qui choisit sa stratégie, ses variétés et son modèle de production. La moyenne globale cache de grandes disparités. En raison de l'urbanisation dans les bas, nous avons perdu les meilleures terres sur lesquelles les rendements atteignaient en moyenne 90 tonnes à l'hectare.

M. Michel Magras, président. - Il y a donc besoin à la fois de terres et d'une amélioration du rendement de la production.

M. Jean-Bernard Gonthier - Je rejoins les propos du sénateur Vergoz. Certaines zones difficiles produisent mieux que d'autres dites faciles. Il faut réfléchir à un plan d'action pour identifier les problèmes des zones fragiles. L'Ouest est en difficulté, il faut y redynamiser le secteur cannier.

Dans le Sud, à proximité des villes, un découragement se fait jour, parce que les meilleures terres sont urbanisées. Monsieur Sorres, président de la Safer, l'a bien expliqué : valoriser un terrain en friche dans les hauts, cela coûte très cher. Le nouveau programme ne nous facilite pas la tâche, de ce point de vue, en raison des conditions posées à l'attribution des aides. Les agriculteurs sont donc en difficulté.

Aujourd'hui, dans les zones difficiles, les producteurs qui n'ont que de petites surfaces n'ont pas d'autre choix que d'essayer d'augmenter les rendements pour vivre de leur terre. Il est urgent de réfléchir à l'urbanisation des terres agricoles dans différentes zones.

M. Michel Vergoz. - Donc, 76 tonnes par hectare, c'est la moyenne officielle de rendement ?

Mme Sylvie Le Maire. - Oui !

M. Michel Vergoz. - Entre 1994 et 1996, période très difficile d'asphyxie de la filière, j'étais président de la commission agricole du département. Nous étions alors à 75 ou 76 tonnes par hectare en moyenne. Depuis lors, pourtant, le plan de modernisation de l'économie sucrière (PMES) a permis de débloquer des dizaines de millions de francs - à l'époque - de fonds européens. Il a été suivi d'un plan de consolidation. Nous avons donc, aujourd'hui, tous les indices pour déclencher l'alerte rouge !

M. Gérard Sorres. - À propos de rendement de la canne, il faudra revoir le document. Je considère qu'une terre irriguée dans les bas qui produit 40 tonnes par hectare est en friche, et que son exploitant n'est pas un agriculteur. Il faut arbitrer !

Nous perdons donc 300 hectares de terre agricole chaque année. À ce rythme, dans cent ans, il ne restera plus un seul hectare agricole sur l'île. Il faut mener une réflexion intense, nous avons besoin de tout le monde pour faire fonctionner les outils et appliquer les règles afin de définir des zones agricoles et des zones constructibles pertinentes. Ce n'est pas sorcier, les gens intelligents doivent se mettre autour d'une table !

Mme Sylvie Le Maire. - On ne peut pas dire que les plans n'ont servi à rien. Aujourd'hui, la production a été stabilisée. L'année dernière, nous avons produit 1,9 million de tonnes de canne. Une partie des terres des bas a été perdue et nous avons reconquis des terres en moyenne altitude. Nous avons également récupéré les zones de l'Ouest, moins productives, grâce au basculement des eaux. Le travail a été mené pour récupérer du potentiel.

À la fin des années 1990, la surface agricole était inférieure à 24 000 hectares. Le basculement a permis la reconquête mais, à l'Ouest, de jeunes agriculteurs se sont installés, le parcellaire n'est pas bien délimité et l'irrigation pose parfois problème. Le potentiel de production est donc plus faible. Il ne me semble pas pertinent de raisonner sur la moyenne à l'échelle de l'île.

M. Michel Magras, président. - La dynamique me semble claire, des terres disparaissent ici, on en récupère là, pour au moins maintenir l'équilibre. Il est toutefois possible aussi de rêver d'un rendement de 120 tonnes à l'hectare partout !

M. Michel Vergoz. -Il n'est pas utopique de viser 90 tonnes. C'était possible hier, cela ne l'est plus. C'est inquiétant !

M. Éric Wuillai. - Monsieur Vergoz, je vous propose de venir en parler avec nous en présence de la Safer. Nous travaillons depuis deux ans avec elle dans l'objectif de remettre des terres en culture. Depuis deux ans, entre Saint-Leu et Saint-Paul, cela a été le cas pour plus 150 hectares. Nous n'avons pas vocation à supprimer les terres agricoles.

M. Michel Vergoz. - J'accepte votre invitation !

M. Éric Wuillai. - Je voudrais évoquer la question du logement intermédiaire. À La Réunion, l'habitat est diversifié. Il s'agit de faire de la ville, avec de la place pour tous, et pas seulement du logement social.

Nous avons subi une modification substantielle des lois de défiscalisation. Le dispositif Pinel a succédé au Duflot et la baisse a été drastique : de 2 500 logements intermédiaires financés par an, nous sommes passés à seulement 450 cette année. Les investisseurs institutionnels étaient auparavant encouragés par la loi Girardin à construire du logement intermédiaire, mais la loi a été modifiée de telle sorte que les sociétés qui dégagent plus de 20 millions d'euros de chiffre d'affaires sans appartenir au secteur productif ne peuvent plus investir dans cette catégorie de logement.

Aujourd'hui, si l'on veut densifier verticalement, seul le secteur social est susceptible de produire de l'habitat collectif. Nous n'arrivons plus à vendre de l'intermédiaire en collectif par manque d'investisseurs. Depuis deux ans, la demande s'oriente vers le lotissement et la maison de ville. Pourtant, dans le logement intermédiaire collectif, le taux de vacance n'est que de 5 %. Il constitue donc bien une réponse possible aux besoins. Certes, le Réunionnais veut sa maison et son lopin, mais l'extension urbaine concernera seulement les gens qui ont les moyens de le payer et le collectif se limitera au logement social.

Nous menons un projet avec 50 logements par hectare au-dessus de l'aéroport, en construisant sur cinq étages, mais nous sommes aujourd'hui en panne car nous ne pouvons plus produire du logement intermédiaire en collectif. Il n'est pourtant pas question de refaire les ZUP des années 1960 avec 100 % de logements sociaux ! Nous avons donc besoin de cohérence dans les aides incitatives en appui des politiques.

Je vous propose d'ouvrir à nouveau la possibilité d'investissement aux investisseurs institutionnels. L'Assemblée nationale a pris en compte nos propositions dans la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer. Le risque, c'est de continuer à favoriser l'étalement urbain. Mais alors, on ne pourra plus nous reprocher de consommer des terres agricoles !

M. Michel Magras, président. - Le Sénat va à son tour examiner le projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer. La commission des affaires économiques s'en saisit le 11 janvier. Nous entendons votre demande.

M. Michel Oberlé, délégué de l'Association régionale des maîtres d'ouvrage sociaux (Armos). - L'Armos regroupe les sept bailleurs sociaux de La Réunion, gérant 70 000 logements sociaux. Nous en construisons 2 à 3 000 par an. J'aborderai trois thématiques. Tout d'abord, nous rencontrons des difficultés majeures pour densifier les terrains constructibles, comme le demandent, à raison, les différents documents d'aménagement. Plusieurs facteurs rendent difficile le passage de la planification à la réalisation, en particulier la fixation des prix par France Domaine. Les terrains urbains coûtent très cher, et les décisions de France Domaine ne reflètent pas les possibilités réelles de constructibilité.

En centre-ville, les prix peuvent atteindre plus de 1 000 euros le mètre carré. Il est très compliqué de lancer une opération de logement social équilibrée sur un terrain de ce prix.

En outre, France Domaine ne tient pas compte de la constructibilité réelle du terrain. Ses agents procèdent par forfait sur les parcelles, sans considération des contraintes architecturales, par exemple la proximité d'un site protégé ou des obligations des plans de prévention des risques (PPR). Les niveaux de constructibilité théoriques contenus dans les PLU ne sont donc pas réalisés. Certains élus, qui autorisent des constructions de trois ou quatre étages dans leurs plans, nous demandent même ensuite de n'en construire qu'un seul.

Ensuite, le protocole de préfiguration du plan logement outre-mer a été signé en 2015 à La Réunion. Cette année-là, toutefois, le montant issu de la LBU attribué à La Réunion a été réduit de 20 millions d'euros. Je m'interroge donc sur la réalité de ce plan.

Enfin, vous m'interrogiez sur les effets de la loi Letchimy. Celle-ci concernait d'abord la résorption de l'habitat insalubre. À La Réunion, tous les grands bidonvilles urbains ont été démantelés dans les années 1980 et 1990. Ce succès a été obtenu grâce à l'intelligence collective des collectivités, de l'administration et des opérateurs, qui ont travaillé ensemble. Cette loi ne nous a donc pas beaucoup apporté.

M. Michel Magras, président. - Merci des renseignements que vous nous avez transmis durant ce débat de qualité. Il est agréable, grâce à la technologie, de nous trouver chaque jour dans une nouvelle région du monde !