Jeudi 9 février 2017

- Présidence de M. Michel Magras, président -

Normes en matière de construction, d'équipement et d'urbanisme dans les outre-mer - table ronde

M. Michel Magras, président. - Mes chers collègues, nous parvenons aujourd'hui au terme de notre cycle d'auditions et de visioconférences relatif au second volet de notre étude sur les normes, qui concerne le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP). Je vous rappelle qu'Éric Doligé, sénateur du Loiret, en est le rapporteur coordonnateur, et que Karine Claireaux, sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon, et Vivette Lopez, sénatrice du Gard, sont corapporteurs pour les normes applicables au BTP. Au cours des auditions, nous avons déjà entendu la Fédération des entreprises d'outre-mer (Fedom), la Fédération française du bâtiment (FFB), les représentants de grandes entreprises qui interviennent outre-mer, telles que Bouygues, Vinci ou Colas, ainsi que l'AFNOR qui accompagne la Nouvelle-Calédonie, désireuse de se doter d'un corpus normatif propre en matière de construction. Par le biais de la visioconférence, nous avons également recueilli d'importantes informations auprès des acteurs du BTP de Saint-Pierre-et-Miquelon, de la Martinique et de la Guyane, illustrant bien la diversité des situations. Les rapporteurs et moi-même complèteront enfin ces données par un déplacement à La Réunion au cours de la première semaine de suspension des travaux du Sénat, fin février début mars.

La réunion conclusive d'aujourd'hui, en forme de table ronde, nous permet d'accueillir des représentants de l'ensemble des segments de la chaîne de la réglementation et de la normalisation, jusqu'aux bureaux de contrôle et aux assureurs.

Mme Aurélie Deregnaucourt, chef du bureau de l'économie de la construction et de l'outre-mer au ministère de l'environnement. - Au préalable, je souhaite rappeler que la construction est un domaine sous la double tutelle du ministre du logement et du ministre de l'environnement. Depuis 2013, le bureau de l'économie de la construction s'est doté d'une cellule outre-mer, qui emploie 2,5 équivalents temps plein (ETP), soit deux chefs de projet de catégorie A et la moitié de mon poste. Cette cellule est chargée de tout le champ de la réglementation technique, de la politique d'incitation à la rénovation énergétique, du soutien au développement de filières alternatives à la construction classique et de la veille sur les coûts de construction et le parc de logements dans les DOM.

L'adaptation aux outre-mer de la réglementation technique est un des axes forts de notre activité. Nous nous inscrivons dans la démarche de simplification du programme « Objectif 500 000 » engagée en 2013. Les professionnels ultramarins ont été interrogés à cette occasion et ils ont fait des propositions. La Réunion s'est montrée particulièrement réactive et productive. Un groupe de travail avait été mis en place en Guyane un an auparavant et ses conclusions ont été prises en compte. Les Antilles ont également participé. Les principales demandes de simplification ou de modification émises par les professionnels portaient sur l'accessibilité des personnes à mobilité réduite (PMR), sur la sécurité incendie, sur la réglementation thermique - aussi bien la réglementation thermique, acoustique et d'aération (RTAA DOM) que les réglementations thermiques régionales de Guadeloupe et de Martinique -, ainsi que sur la norme NF C 15-100 en matière électrique.

Il faut reconnaître qu'il est difficile d'examiner et d'évaluer leurs propositions dans le cadre d'un groupe de travail national parisien, et encore davantage pour inscrire celles qui ont été jugées pertinentes dans le travail de concertation interministériel. Par exemple, le régime de sécurité incendie est prévu par un arrêté de 1986 dont la révision est déjà engagée depuis bien longtemps, de telle sorte que les demandes des outre-mer sont très difficiles à intégrer dans le processus. Je pense en particulier à la question des coursives déportées et à l'obligation de mettre des portes coupe-feu en extérieur, qui renvoient à des problèmes de conception très spécifiques aux outre-mer. Il faut beaucoup d'exemples, de conviction et de ténacité pour faire avaliser le point de vue ultramarin par des instances nationales.

Nous avons toutefois la main sur certains pans de la réglementation, dès lors qu'elle est propre aux DOM. Je pense en particulier à la RTAADOM. Pour préparer la révision de 2016, nous avons mené pendant un an et demi un travail assez large et en profondeur de consultation des acteurs locaux. L'architecture du système demeure complexe puisque le volet acoustique et aération est commun aux cinq DOM, tandis que le volet thermique concerne seulement La Réunion et la Guyane, bientôt Mayotte, des réglementations thermiques régionales s'appliquant en Martinique et en Guadeloupe. En outre, la RTAA concerne uniquement la construction neuve et le logement, elle ne couvre pas l'existant, ni le tertiaire, pour lesquels il n'existe pas de réglementation. Il n'y a pas non plus de diagnostic de performance énergétique (DPE) pour asseoir des dispositifs incitatifs de rénovation énergétique. Par conséquent, il est difficile d'adapter l'application de la loi de transition énergétique aux DOM, en particulier les décrets qui ont un impact fort sur le bâtiment, car le rattrapage réglementaire demeure inachevé et certains outils n'existent pas encore.

Pour l'adaptation des règles de l'art, je mettrai l'accent sur le programme PACTE. Un important travail est mené depuis un an dans ce cadre, notamment pour décliner les cahiers des charges, pour financer les travaux d'actualisation des règles de l'art, en particulier les règles Antilles, et pour faire réaliser des études préalables à l'adaptation des documents techniques unifiés (DTU). Ce travail n'a pas été facile à organiser. Nous voulions créer des groupes de travail locaux pour y concentrer l'expertise. Nous n'avons pas réussi en Guyane, ni à Mayotte car nous n'avons pas reçu de réponse depuis ces territoires à notre appel à manifestation d'intérêt. Notre information sur ces territoires ne peut nous venir, en l'état, que des DEAL. Cela reste un problème, car nous ne pouvons pas travailler uniquement avec les acteurs de La Réunion, qui sont extrêmement dynamiques, et dans une moindre mesure avec les Antilles.

Au-delà du programme PACTE, nous aurons besoin de structurer des commissions locales pour pérenniser ces groupes de travail dont l'animation n'est pas aisée. Les groupes de travail existants sont aujourd'hui animés par les DEAL, mais est-ce bien leur rôle ? Certes, les DEAL occupent une position de neutralité mais ce n'est pas leur mission première. Si des commissions locales à vocation permanente sont constituées, il faudra réfléchir à leur poids face aux différentes commissions nationales et à leur articulation avec celles-ci. Nous aurons toujours un problème de timing et de délai d'engagement des travaux de révision des normes, qui se situent à un horizon de long terme. Il faut aussi considérer qu'au niveau national existent des ressources d'expertise que l'on ne trouve pas forcément dans les DOM. Les experts ultramarins ne seront, en effet, pas en mesure de suivre constamment la somme de tous les travaux visant à faire évoluer l'ensemble des normes portant sur le secteur au niveau national. Ces problèmes sont récurrents. Un autre point qu'il nous faudra résoudre est celui de la représentation et du poids des fédérations des DOM. Pour relire et réécrire les corpus de règles professionnelles, les fédérations régionales n'ont pas forcément les ressources, l'expertise et la compétence nécessaires.

Votre étude ne peut manquer de s'intéresser aux coûts de construction outre-mer. Malheureusement, nous ne disposons pas nous-même d'une vision claire du sujet. Nous avons lancé une coopération avec le ministère des outre-mer pour accroître notre information mutuelle. Quelques études existent. Certains facteurs sont identifiés comme les coûts d'importation et la fragilité de certaines filières. Nous pensons que la diversification et la structuration de filières de matériaux amélioreraient la qualité de la construction et la performance environnementale, tout en favorisant le maintien de l'emploi local et en contribuant à abaisser les coûts. Des expérimentations en ce sens sont menées. Quelques opérations sont engagées sur le bois en Guyane mais les surcoûts restent énormes et la filière très fragile. Nous fondons aussi des espoirs sur la brique de terre crue compressée (BTC) à Mayotte, et également en Guyane, mais nous rencontrons des problèmes, de nouveau, de structuration de la filière mais aussi de stabilité de la qualité du produit. Les biosourcés en Guadeloupe pourraient également offrir des perspectives intéressantes. Développer de telles filières demande une volonté locale forte.

Vous avez pointé la question des laboratoires locaux. Il existe deux structures intéressantes : la Maison du bois en Guyane, qui possède un laboratoire capable de qualifier certaines essences et le CIRBAT à La Réunion. Il est évident que la dépendance technique à l'égard des centres métropolitains pèse sur l'emploi des matériaux locaux et de techniques innovantes outre-mer. La réalisation d'un test dans l'Hexagone dure trois mois au moins. Au retour, l'échantillon n'est plus le même. Bref, tout cela est source de délais - plusieurs années parfois - et de surcoûts.

Les normes de matériaux, les obligations de marquage CE et les éventuelles équivalences avec d'autres pays de l'environnement régional méritent également de faire l'objet d'une réflexion. Sur proposition de la DEAL de Guyane, nous avons engagé avec le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) un travail de comparaison des normes en vigueur au Suriname et au Brésil avec les normes CE/NF. Ensuite, nous nous accordons la possibilité de réaliser des tests sur un matériau donné répondant à des normes étrangères. Nous avons choisi d'essayer le ciment brésilien pendant un an pour apprécier son comportement. Ces tests sont plus complexes à mener. Une des difficultés qui se posent, cependant, est de parvenir à récupérer les matériaux de façon constante et à en authentifier la provenance.

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur. - Merci pour cette présentation claire et précise. Votre bureau ne s'occupe-t-il que des DOM ou bien couvre-t-il également la construction dans les COM et en Nouvelle-Calédonie ? Vos propos rejoignent à la fois ce que nous avons entendu des professionnels eux-mêmes et ce que notre expérience des questions ultramarines en général nous enseigne : les problèmes sont connus, les diagnostics sont posés, des pistes de solutions sont tracées mais nous restons confrontés à des noeuds de difficulté. À vous entendre, ils paraissent même inextricables malgré les efforts des uns et des autres. Iriez-vous jusqu'à dire que la Délégation s'est assignée une mission impossible ? Il nous semble pourtant que l'on doit faire aboutir concrètement le dossier de l'adaptation des normes dans le secteur du BTP comme nous avons essayé de le faire auparavant pour l'agriculture.

Mme Aurélie Deregnaucourt. - Étant donné l'éventail très large de dossiers que notre petite cellule doit traiter, nous nous concentrons essentiellement sur les DOM. Toutefois, lorsque nous sommes sollicités par des collectivités d'outre-mer, nous pouvons également les accompagner. Nous avons ainsi travaillé avec la Polynésie française sur la structuration de filières (bois, habitat en terre). En outre, le programme PACTE est ouvert aux collectivités d'outre-mer.

Je ne dirai pas que la tâche est impossible. Nous sommes conscients de son ampleur, des problèmes et du contexte particulier mais nous restons motivés !

Mme Vivette Lopez, rapporteure. - Au fond du problème ne retrouve-t-on pas la difficulté de faire porter la voix des outre-mer au niveau national ? Plus précisément, pourquoi les commissions locales qui commencent à travailler ne parviennent-elles pas à faire inscrire leurs propositions dans le processus national d'élaboration des normes techniques ?

Mme Aurélie Deregnaucourt. - Pour l'instant, ce ne sont pas des commissions, que je conçois comme des structures plus formelles et permanentes, mais des groupes de travail qui ont été réunis. Ces derniers regroupent les parties prenantes (entreprises, architectes, bureaux de contrôle, etc.). Les participants sont interrogés par les DEAL et leur transmettent des réponses écrites. Ensuite, une ou deux réunions ont été organisées sur cette base. Précisément, le problème vient de ce que ce mode de travail demeure ponctuel et n'est pas assez pérenne. C'est pourquoi l'installation de commissions locales pérennes serait certainement une avancée.

M. Jean-Michel Rémy, président de la commission P03A du Bureau de normalisation des techniques et équipements de la construction du bâtiment (BNTEC). - Nous nous étions déjà rencontrés pour traiter de l'accompagnement par l'AFNOR de la Nouvelle-Calédonie dans la constitution de son corpus technique autonome. Nous avions notamment évoqué le positionnement de la Nouvelle-Calédonie par rapport aux standards australiens et européens. Je reviens devant vous en tant que président de la commission de normalisation du BNTEC, qui est en charge de la norme NF P03-001, pierre angulaire des marchés privés de travaux dont elle régit le cahier des clauses administratives générales (CCAG). Cette norme en cours de révision renvoie à l'application des DTU et participe au système assurantiel. Elle donne les règles d'écriture et d'élaboration des marchés de travaux de construction. Nous pensons qu'elle peut tout à fait être appliquée dans les DOM et les COM dans la mesure où elle condense de bonnes pratiques de conduite de projets.

Cette norme évoque la sous-traitance, le financement et beaucoup d'autres aspects de gestion administrative des marchés. Il est vrai qu'elle impose le respect des DTU, dont l'adaptation aux conditions spécifiques qui prévalent dans les DOM pose parfois question. Peut-être devrions-nous adopter une démarche en termes de risques (vent, cyclone, alcaliréaction, etc.) à examiner DTU par DTU. On sait que les eurocodes posent problème en Nouvelle-Calédonie comme à La Réunion. Des vents de 270 km/h ne sont pas du même ordre que les vents de 140 km/h que l'on a connus la semaine passée en Aquitaine et qui nous ont amenés à la limite du désordre.

La norme NF P03A001 renvoie également à certaines normes de matériaux et à des marquages CE. C'est un point délicat. La comparaison des normes est très difficile et il serait préférable de comparer directement les produits. Sans doute vaudrait-il mieux examiner chaque cas de produits étrangers qui pourraient être reconnus équivalents au fur et à mesure que la question se pose, au moment de leur arrivée sur le marché, plutôt que de construire un système global d'équivalence entre normes.

À la demande de la CAPEB de La Réunion, le BNTEC avait réalisé, il y a une dizaine d'années, une norme sur les briques de terre crue. Certes, on n'a pas fait vivre cette norme mais il faut noter qu'aujourd'hui c'est dans l'Hexagone, en Aquitaine, qu'elle est appliquée comme méthode alternative !

M. Valéry Laurent, directeur du Bureau de normalisation des techniques et équipements de la construction du bâtiment (BNTEC). - Le BNTEC fut créé en 1990 sur sollicitation de l'AFNOR au moment où arrivait la directive européenne sur les produits de construction. Il est issu de la profession. Il a été mis en place par la Fédération française du bâtiment (FFB) qui continue de l'animer. C'est un bureau de normalisation qui est très proche du terrain et des techniques de travaux mises en oeuvre par les entreprises. Les retours d'expérience des professionnels se retrouvent notamment dans la rédaction des clauses types de marchés de travaux que sont les NF DTU. Les problèmes des outre-mer sont connus depuis longtemps du BNTEC et des membres du groupe de coordination des normes du bâtiment, une instance de l'AFNOR. Un premier travail fut conduit à l'initiative du ministère du logement avec le CSTB dans les années 1990 pour dresser la liste des DTU qui évoquaient l'outre-mer. Ce travail a incité le groupe de coordination des normes du bâtiment à préconiser que les DTU mentionnent explicitement s'ils portent ou non sur les outre-mer. C'est désormais systématique.

Le secteur du BTP dans certains territoires ultramarins est mieux organisé que dans d'autres pour nous faire remonter des données techniques pertinentes pour modifier ou adapter les normes. La Réunion se détache. Plus ponctuellement, des relais comme les antennes d'expertise des assureurs-construction ou les bureaux de contrôle nous apportent aussi leur concours. Cela a été le cas pour la Martinique et la Guyane notamment. L'organisation locale de la filière est un point important à renforcer.

Nous avons été contactés récemment par la FRBTP de La Réunion qui a constitué un groupe de travail avec les acteurs locaux (services de l'État, CAPEB, assureurs, contrôleurs techniques) pour formaliser des propositions, en réaction me semble-t-il à l'initiative de votre Délégation. Ce groupe de travail nous a adressé un premier document listant des normes DTU de mise en oeuvre dont l'adaptation pourrait faire l'objet d'une expérimentation. Ce document est très précieux pour nous car il nous permet d'identifier des axes de travail clairs. Nous avons récemment répondu favorablement aux professionnels de La Réunion en vue de tenter une expérimentation technique. Nous ne croyons pas au document unique qui couvrirait tous les besoins, version grande cathédrale normative. Cela ne fonctionne jamais. Nous croyons plutôt aux bienfaits d'un travail plus progressif et segmenté, norme par norme pour répondre à des besoins techniques bien spécifiques. L'expérimentation que nous souhaitons mener se fera en coordination avec le programme PACTE. Le BNTEC projette à cet effet d'ouvrir une sorte d'antenne locale à La Réunion, étant entendu qu'elle aura vocation à travailler avec les autres territoires ultramarins, y compris ceux qui sont moins organisés. Cette antenne s'appuiera sur des personnes que nous aurons formées à la normalisation pour préparer des adaptations ou des révisions de DTU, en lien avec les commissions nationales du BNTEC. Nous inverserons la logique classique pour tenir compte du fait que les commissions métropolitaines n'ont pas nécessairement la compétence et la connaissance du contexte ultramarin. Ce seront donc les ultramarins qui piloteront l'adaptation. Les commissions nationales faciliteront l'organisation des travaux et seront garantes de leur légitimité et de leur transparence. Cette supervision générale fera intervenir les partenaires habituels que sont le CSTB et les contrôleurs techniques nationaux. Ce renversement de perspective est nouveau car, historiquement, nous n'avons jamais pu disposer des compétences locales pour travailler sur les outre-mer.

Après avoir interrogé le service juridique de la FFB, ainsi que la fédération régionale de La Réunion, j'ajoute que personne ne se manifeste pour demander une adaptation de la norme d'écriture des marchés de travaux ; j'entends les CCAG/CCTG. Le respect du cadre réglementaire français s'impose. Peut-être pouvons-nous intégrer quelques révisions éditoriales pour préciser des points de souplesse, dès lors que les spécificités des outre-mer sont reconnues par le législateur et le pouvoir réglementaire. Par exemple, lorsqu'un DTU ne s'applique pas in extenso outre-mer, on peut faire preuve d'une certaine souplesse. J'insiste sur un point déjà évoqué : pour réussir l'adaptation des normes, une structuration des acteurs locaux est nécessaire. Les assureurs et les contrôleurs techniques seront des relais intéressants sur le terrain.

J'en viens à la question des matériaux et produits de construction. Il est exact que les outre-mer enregistrent un flux d'achats en provenance de leur environnement régional de produits qui ne satisfont pas les normes NF. Je rappelle qu'en France les normes de produits sont largement d'origine européenne et harmonisées à l'échelle de l'Union européenne. Le marquage CE a pour but précisément de rendre possible la libre circulation des produits au sein du marché intérieur européen. Il repose sur l'obligation faite au fabricant de remettre une déclaration de performances de son produit sur la base de caractéristiques réglementées. Il est d'ordre réglementaire et non contractuel, si bien qu'il est automatiquement pris en compte dans les normes de mise en oeuvre d'un produit. Lorsque nous définissons techniquement ces normes de mise en oeuvre et les critères généraux de choix d'un produit, le marquage CE est en quelque sorte présupposé et n'a pas besoin d'être directement pris en considération, car nous ne pouvons pas faire autrement que de partir du principe que les produits respectent la réglementation.

Définir des critères de choix nous demande d'identifier les besoins d'information technique sur tel ou tel produit à utiliser selon des techniques éprouvées de mise en oeuvre. L'innovation n'entre pas dans le champ des DTU, qui se restreignent aux techniques courantes. Une technique éprouvée au niveau local peut être intégrée dans un DTU. L'intérêt des DTU est aussi d'offrir une référence commune au plan national qui s'applique à tous les départements français. C'est pourquoi nous ne voulons surtout pas les émietter, au nom des spécificités de Paris, du Var ou de la Côte-d'Or. Cela n'aurait plus de sens. Les DTU ne traitent que de la technique. Pour tenir compte du risque sismique ou des vents en outre-mer, on analysera les sollicitations mécaniques et d'autres effets que nous savons traiter, le cas échéant en prévoyant des études complémentaires. Nous savons traiter techniquement ces problèmes et nous savons inscrire les solutions techniques dans une norme. C'est ainsi que peuvent être pris en compte les besoins des outre-mer.

M. Charles Baloche, directeur général adjoint et directeur technique du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). - Le CSTB est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) sous tutelle du ministre de l'équipement et du logement, exercée concrètement par la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP). Il répond à un double objet : la recherche appliquée, qui doit porter ses fruits sur le terrain, et l'évaluation technique. Sur ce deuxième volet, plus précisément, le CSTB est chargé d'apprécier l'aptitude à l'emploi de techniques innovantes de construction, au sens de ce qui n'est pas déjà largement connu et utilisé par la profession. L'idée est de donner confiance aux acteurs de la construction, aux maîtres d'ouvrage et aux assureurs en précisant les conditions de succès de l'emploi d'une technique innovante. Son activité de recherche apporte au CSTB la légitimité scientifique nécessaire à la juste appréciation de la fiabilité des innovations proposées par le monde industriel. Ses évaluations techniques reposent sur des avis volontairement sollicités, sans caractère obligatoire pour le demandeur.

Pour mener à bien l'évaluation technique, les modèles de calcul sont souvent insuffisants. C'est pourquoi le CSTB déploie une forte activité d'essais. Apprécier la performance de techniques nouvelles demande de bien qualifier les conditions de succès de leur utilisation, les risques encourus et leurs limites d'emploi. Une technique, au sens où nous employons le terme, est composée d'un ou plusieurs produits - de plus en plus sophistiqués et difficiles à mettre en oeuvre - qui doivent être incorporés à un ouvrage selon des conditions d'emploi spécifiques (séchage, température, prescriptions de l'industriel, etc.).

Le CSTB est l'organe de référence pour juger des techniques innovantes. Il réalise en propre 250 évaluations techniques environ par an. En outre, il est, depuis le 2 décembre 1969, la cheville ouvrière d'une procédure d'État sous l'autorité de la Commission chargée de formuler les avis techniques, mise en place auprès du ministère de l'équipement et du logement. Précisément, il mène l'instruction des demandes d'avis formulées auprès de cette commission. Sont mobilisés, à cet effet, un peu plus de 400 experts nommés par ladite commission. Ils sont répartis en une vingtaine de groupes techniques spécialisés, dont le CSTB anime les quelque 150 réunions par an. Dans ce cadre, ont déjà été rendus 25 000 avis techniques depuis 1969. Sont rendus environ 750 avis techniques par an. Au total, le CSTB produit donc approximativement 1 000 évaluations par an, soit directement pour 250 d'entre elles, soit indirectement pour les 750 restantes en tant que pourvoyeur d'informations techniques auprès des experts de la Commission chargée de formuler les avis techniques. D'après les assureurs, il ne se présente pas plus en moyenne de pathologies dans le domaine des techniques innovantes que dans celui des techniques courantes. C'est pour nous un gage de fiabilité de nos évaluations. Nous participons à créer le climat de confiance nécessaire à l'innovation et à sa diffusion.

Les demandeurs sollicitent un avis pour un couple procédé-emploi en précisant le champ géographique d'application. Pour l'essentiel, les industriels retiennent une application dans l'Hexagone. Seule une minorité opte pour une extension à l'outre-mer. Sur 750 avis techniques par an, 60 seulement répondent à des demandes couvrant aussi l'outre-mer. Pourquoi en est-il ainsi ? Pour pouvoir couvrir les outre-mer, nous devons tenir compte de conditions très particulières : risque sismique plus sévère qu'en métropole - surtout aux Antilles -, vents forts et cyclones, ambiance thermohygrosaline sévère qui entraîne une corrosion accélérée et pose des problèmes de durabilité. Pour examiner l'aptitude à l'emploi des matériaux et produits dans ces conditions, nous devons mener des essais de nature différente et d'intensité plus sévère. Cela renchérit le dossier de preuves que l'industriel doit déposer à l'appui de sa demande. Se pose alors la question du rapport entre coûts et bénéfices attendus : le marché potentiel peut-il justifier les frais supplémentaires aux yeux de l'industriel ? C'est un choix propre qui appartient au demandeur. En un mot, les preuves à apporter pour l'emploi en métropole ne peuvent pas couvrir les conditions réelles prévalant dans les outre-mer, d'où des surcoûts dans le montage des dossiers qui expliquent le faible taux de couverture des outre-mer par les avis techniques. C'est un frein indéniable à l'emploi de techniques innovantes outre-mer.

Pour abaisser le coût des matériaux de construction en outre-mer, peut-on suivre le chemin de la reconnaissance de normes étrangères et recourir à des matériaux étrangers ? Je n'y vois pas d'obstacle majeur. En effet, lorsque les demandes d'avis techniques englobent les outre-mer, les dossiers intègrent bien souvent des fournitures locales, ce qui amène le CSTB à examiner des produits provenant de l'environnement régional sur la base de leurs performances caractérisées par le pays d'origine. Il est devenu classique pour les experts des groupes spécialisés et pour le CSTB d'examiner des produits sud-africains lors de demandes d'avis visant La Réunion ou des produits américains pour les Antilles. Cela ne nous pose pas de problème. Une des voies les plus efficaces pour abaisser le coût de l'approvisionnement outre-mer serait justement de recourir davantage à des matériaux locaux, y compris ceux qui sont issus de l'environnement régional.

Le projet de constituer des commissions techniques locales me paraît a priori réalisable à condition qu'elles disposent bien des informations scientifiques dont elles ont besoin et qu'elles se raccordent aux instances nationales par un biais ou un autre. Pour garantir la crédibilité de ces instances, il faut s'assurer qu'elles disposent de toutes les informations scientifiques nécessaires pour apprécier et qualifier le risque. En outre, elles doivent être à l'abri de l'influence des groupes de pression et lobbys. En d'autres termes, il faut que les experts combinent la maîtrise scientifique et l'indépendance de jugement. Si cette double condition est remplie, les commissions locales pourront contribuer à ce que les innovations techniques soient employées aussi aisément outre-mer que dans l'Hexagone.

M. Michel Magras, président. - Je vous avoue ma surprise lorsque vous estimez qu'il n'existe pas d'obstacle à l'emploi de matériaux étrangers. J'aurais aimé que cela s'avérât ! Mon expérience des marchés publics sur une très large palette de bâtiments et d`équipements m'amène à penser immédiatement à toute une série de contraintes réglementaires qui freinent l'emploi de matériaux non européens.

M. Charles Baloche. - Je ne visais que d'éventuels obstacles techniques à l'emploi de matériaux locaux. Ceux-ci ne me semblent pas significatifs, mais je reconnais qu'il peut exister des obstacles de nature administrative.

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur. - Pensez-vous que les différents territoires ultramarins, dont vous avez rappelé qu'ils constituent des marchés étroits, sont en capacité d'ores et déjà de disposer de tous les éléments d'appréciation scientifique qui seraient nécessaires à la mise en place de commissions techniques locales ? Votre schéma d'analyse vous conduit-il à préconiser une forme de tutelle du CSTB sur ces commissions locales ? Ne peut-on pas leur donner un statut indépendant tout en prévoyant que le CSTB leur apportera accompagnement et soutien technique ?

M. Charles Baloche. - Il me semble qu'à tout le moins, une condition forte doit être respectée : pour qu'une commission locale ait autorité, il faut qu'elle dispose des connaissances scientifiques nécessaires. Cela exige de la concertation, des échanges d'experts, des missions sur place. Cela demande de pouvoir bénéficier aussi de l'expertise de nos groupements techniques spécialisés. Tout cela a un coût qu'il faut assumer. À défaut, s'il n'y avait aucune interaction avec le niveau national, nous courrions le risque d'appréciations et de décisions erronées, prises sur des bases insuffisantes, mais aussi de divergences injustifiées dans les critères d'évaluation. Ne dira-t-on pas, selon le cas, que la commission locale est plus laxiste ou plus sévère que l'instance nationale ? Ne sera-ce pas un motif utilisé pour contester ses avis ? Pour le moment, il n'existe aucune commission locale. Je crois que leur mise en place impliquerait un effort significatif ; tout est question de moyens.

Le CSTB a pris l'initiative de constituer un réseau national d'accompagnement dans les territoires pour éviter aux innovateurs de devoir se rendre systématiquement à Paris avec les délais et les frais induits. Nous avons donc des représentants en région, soit une dizaine d'organismes partenaires qui reçoivent à notre place les demandeurs locaux et les aident à monter leur dossier. L'outre-mer n'est pas absent de nos préoccupations, mais nous n'avons pas réussi pour l'instant à établir un contact en outre-mer susceptible d'intégrer ce réseau d'accompagnement. Nous avons une piste à La Réunion mais elle n'a pas encore débouché.

M. Marc Saluden, chef de projet chez Socotec France. - J'ai été manager opérationnel des filiales de Socotec dans l'océan Indien, comme directeur général de Socotec La Réunion-Mayotte et cogérant de Socotec Madagascar. J'ai également conduit des missions en Polynésie française. De mon expérience dans l'océan Indien, je tire deux enseignements pour l'outre-mer : d'abord, la spécificité de l'activité de construction dans un contexte très exposé aux risques naturels ; ensuite, une structuration économique très différente, avec des divergences également entre territoire ultramarins. Il suffit de comparer Mayotte qui fait face à des difficultés considérables et La Réunion, un département très actif, dont on peut heureusement s'inspirer pour trouver des solutions pertinentes pour Mayotte.

Pour illustrer les problèmes de contraintes pesant sur l'emploi des matériaux dans les outre-mer, je donnerai deux exemples. Nous sommes obligés d'utiliser le parpaing NF classique en zone sismique sur certains bâtiments, même s'il peut être pertinent d'essayer d'autres matériaux. Cela freine les économies potentielles. Les règles de sécurité incendie dans les établissements recevant du public (ERP) imposent en particulier l'emploi de matériaux marqués CE et il paraît très difficile d'y déroger si l'on veut obtenir l'avis favorable de la commission de sécurité sur le rapport obligatoire d'un organisme de contrôle. Cela freine encore l'emploi d'autres matériaux pour les ERP.

L'implantation de laboratoires et de centres techniques locaux me semble une piste intéressante. La Réunion offre des ressources utiles puisqu'elle dispose déjà de trois laboratoires très actifs au sein du Centre d'innovation et de recherche du bâti tropical (CIRBAT). Le CIRBAT joue un rôle important de recherche de solutions techniques adaptées et d'accompagnement de l'innovation auprès des entreprises locales. En tant que contrôleur technique, nous avons participé aux travaux du CIRBAT qui ont débouché sur l'élaboration d'un guide de bonnes pratiques pour la pose de bardages de bois. Pour faire face aux conditions climatiques locales, il faut en effet recourir à des modes de pose plus contraignants. L'Observatoire régional de lutte anti-termites (ORLAT) est un instrument précieux de la lutte anti-termites, qui est un sujet sérieux dans l'ensemble des outre-mer. Il contribue à optimiser les traitements pour améliorer la durabilité des bâtiments et faire baisser la sinistralité. Ce laboratoire réalise aussi des diagnostics sur demande. Le Laboratoire d'essais de menuiserie (LEM) apporte sa contribution au classement des performances des produits, notamment des menuiseries extérieures, selon la caractérisation AEV qui s'applique également à La Réunion. Le LEM a également pour mission de développer des menuiseries adaptées au climat tropical. Il faut aussi mentionner le laboratoire de vieillissement des matériaux (LVM) qui conduit des études prometteuses.

L'utilisation de matériaux locaux comme le bois mérite d'être encouragée. Le recours au cryptomeria, une essence de résineux, paraît prometteur. L'ONF participe à un projet de référencement permettant d'étendre son utilisation comme bois de construction au-delà du bardage. Le CIRBAT a réalisé des essais mécaniques, d'aptitude au séchage et au collage, etc. C'est un bois local plus économique dont l'exploitation permet aussi de maintenir l'activité des scieries sur place, donc de favoriser l'emploi local. Nous sommes optimistes pour l'emploi de cryptomeria d'ici cinq ans. Néanmoins, l'utilisation du bois local ne va pas sans difficultés en particulier dans les marchés publics ; il faudrait repenser la formulation des CCAG et CCTG car la réglementation n'est pas parvenue à une caractérisation suffisamment aboutie.

Il est dommage que les demandeurs d'avis techniques visent essentiellement l'Hexagone car l'outre-mer offre un terrain propice à l'expérimentation de solutions techniques nouvelles, en particulier dans le logement social où les besoins sont énormes. Nous sommes confrontés à des difficultés tant pour la construction neuve que pour la réhabilitation de logements sociaux anciens. Prenons un cas précis : la pose d'isolation thermique par l'extérieur. Des avis techniques existent en la matière mais ils ne couvrent que l'Hexagone et pas les outre-mer pour éviter d'avoir à réaliser des tests sismiques et cycloniques. C'est dommage car le besoin existe, donc le marché potentiel. En effet, ce type de technique offre de vraies réponses pour la réhabilitation des façades d'immeubles construits depuis 30 ou 40 ans à La Réunion. Une des difficultés vient de ce que la peau extérieure actuelle est amiantée. Pour maîtriser les coûts considérables du désamiantage, une des solutions est d'encapsuler les matériaux existants. L'outre-mer offre donc des pistes de recherche et des opportunités économiques intéressantes.

En matière de réglementation, le gros sujet demeure l'accessibilité extérieure aux personnes à mobilité réduite (PMR). Pour la sécurité incendie, on peut proposer en tant que contrôleur technique des mesures compensatoires aux services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) et aux commissions de sécurité. Il reste toutefois la question de la conjugaison de la réglementation de sécurité incendie avec la RTAA DOM dans les logements. Les outre-mer se distinguent par le recours à une ventilation transversale du logement : les logements sont accessibles depuis l'extérieur par des coursives déportées. La superposition des réglementations contraint fortement les architectes et les constructeurs. Une étude a été menée à La Réunion par Efectis, laboratoire agréé pour la réalisation d'essais de résistance au feu des éléments de construction, pour réaliser une simulation de foyers d'incendie multiples, modéliser le flux thermique sur les façades et apporter des réponses techniques sur la construction de la coursive extérieure et sur les matériaux de façade. Il pourrait se révéler intéressant de reprendre cette étude, de la refondre et de l'annexer à un texte. Aujourd'hui, nous défendons systématiquement les bonnes pratiques préconisées dans cette étude dans chaque chantier local. Il serait bon de pouvoir apporter une réponse plus globale.

Les nouvelles règles parasismiques sont contraignantes pour La Réunion. Elles augmentent de 30 % le coût du gros oeuvre. Le ministère et l'AQC ont réalisé des plaquettes utiles et des documents passionnants. Demeure un gros besoin de formation auprès des entreprises et des bureaux d'études locaux. Le grand défi à venir demeure l'extension de l'application des nouvelles règles parasismiques à la rénovation et à la restructuration des ERP. Nous allons être confrontés à des bâtiments qui n'ont pas été faits pour cela.

Par ailleurs, le SYCODES (SYstème de COllecte des DÉSordres) s'est penché récemment sur la sinistralité à La Réunion. Certaines pathologies nouvelles vont se présenter de plus en plus massivement à l'avenir, notamment la condensation dans les parois qui augmente avec les constructions en altitude, de plus en plus fréquentes entre 500 m et 1000 m et qui demanderaient quelques compléments dans la RTAADOM. Par ailleurs, il faut savoir que les organismes de contrôle ajoutent localement des règles adaptées plus sévères en matière de fondation, de dallage, de couverture, d'étanchéité, de menuiserie, d'eaux pluviales, etc. Nous allons au-delà des minima réglementaires en nous appuyant sur nos retours d'expérience.

M. Thierry Lamadon, directeur technique de Bureau Veritas. - J'ai fait l'expérience des spécificités des outre-mer, il y a plus de 25 ans, après le violent cyclone Hugo qui frappa les Antilles en septembre 1989. J'avais alors été envoyé en Guadeloupe pour examiner comment le corpus des règles Antilles pouvait évoluer pour tenir compte des événements. J'ai, à cette occasion, beaucoup travaillé sur les effets du vent.

En préambule, il me paraît important de rappeler que les outre-mer présentent des différences de statut importantes. Dans les DROM, en particulier, la loi du 4 janvier 1978 dite Spinetta s'applique, de même que le corpus de réglementation et de normalisation. Il y a par ailleurs les COM et enfin la Nouvelle-Calédonie au statut particulier. J'étais aux Antilles la semaine dernière et à La Réunion il y a trois mois. L'important me semble toujours de concentrer les innovations et les bonnes pratiques et d'en encourager localement la reprise dans des règles.

Du côté des groupes spécialisés rattachés à la Commission chargée de formuler les avis techniques, avec l'émergence d'une nouvelle génération d'entreprises, de maîtres d'oeuvre et de contrôleurs techniques bien implantés dans les DROM, les avis techniques ont peu à peu intégré certaines demandes, émanant des industriels, d'extension du domaine d'emploi de leur procédé aux DROM. Il faut l'encourager, en ayant conscience des problèmes de coûts, notamment pour mener les expérimentations.

En matière d'ossature et d'enveloppe du bâtiment, les problèmes locaux liés aux climats tropicaux humides sont connus. Il faut compter outre-mer avec le vent, avec les corrélats de l'humidité (corrosion, putréfaction, plantes qui poussent dans quelques millimètres d'eau, etc.), avec les chocs thermiques et l'exposition aux ultraviolets. En outre, le risque sismique ne peut être ignoré.

J'ai examiné, en préparation de l'audition, environ 80 dossiers que nous avons eu à traiter en outre-mer et je n'y ai pas trouvé plus de problèmes qu'en métropole. Les sinistres restent classiques à deux exceptions : d'une part, des sinistres de béton causés par une qualité insuffisante du produit avec des problèmes dus aux granulats locaux et des phénomènes de carbonatation ou d'alcaliréaction ; d'autre part, des effondrements de toiture causés par des évacuations insuffisantes, ainsi que des envols de toiture. On peut remarquer quelques pathologies plus prégnantes dans certains territoires. Ainsi, la Guyane est marquée par des tassements de terrain et la prégnance de la corrosion des structures métalliques. La Guadeloupe connaît plus de sinistres liés au vent, un peu plus même qu'en Martinique. C'est dans ces départements que l'on retrouve également des sinistres parasismiques. Sur ce point, je remarque que les bureaux d'études n'ont pas toujours connaissance de la nouvelle donne et qu'un besoin de formation et d'accompagnement des acteurs locaux se fait sentir. Enfin, beaucoup de sinistres à La Réunion viennent de ce que les terrains du bas de l'île ne sont plus disponibles, si bien qu'on construit à des altitudes plus élevées, sur de moins bons sols, à flanc de montagne, voire sur des poches de lave, d'où de la condensation sur parois et des tassements de sols.

Je suis assez favorable au développement des filières locales. Pour réussir, il faudrait commencer par référencer les opérations pilotes. Je signale l'existence d'opérations pilotes assez remarquables sur les bois composites On assiste, en Guadeloupe notamment, au développement de chantier en panneaux composites « bois cloué ». Il faudrait également encourager les initiatives locales fédérées principalement par les régions. Je prendrais volontiers l'exemple du programme DURAMHEN aux Antilles permettant de mieux définir l'étendue des classes de service de l'Eurocode 5 pour favoriser la construction en bois. Bureau Veritas y intervient à la demande du secteur professionnel local en tant qu'expert. Enfin, il faudrait créer la confiance tout le long de la chaîne des acteurs en rédigeant des documents paranormatifs - j'entends par là des textes consensuels susceptibles d'évoluer à très court terme comme les fascicules documentaires publiés par l'AFNOR. Cela devrait se faire sous l'égide d'une autorité reconnue pour garantir l'indépendance de jugement et la rigueur scientifique.

La reconnaissance des matériaux étrangers nécessiterait, en revanche, un travail très important. Nos services implantés à La Réunion ou en Nouvelle-Calédonie en reçoivent de nouveaux tous les jours. Il est très difficile d'investiguer et d'en définir le niveau de qualité. En outre, il faut ensuite analyser leur capacité d'incorporation dans des ouvrages en fonction de l'environnement.

La piste des centres techniques locaux peut se révéler intéressante, si elle répond à une volonté forte de faire émerger des filières. Il faudrait néanmoins réaliser un inventaire plus structurant sous la responsabilité d'une délégation générale pour éviter la dispersion.

Je suis, en revanche, très réservé sur une obligation d'extension de tous les avis techniques aux outre-mer, qui in fine reposera sur les demandeurs. Tout le système est fondé sur une démarche volontaire des industriels. Les obliger à déposer un dossier d'avis technique couvrant l'outre-mer renchérirait fortement les coûts. La qualification du risque sismique nécessite des expérimentations qui pèsent lourd économiquement. Il n'est pas sûr que cela soit tenable par tous. En revanche, il me paraît souhaitable de faire moins de démarches individuelles et d'encourager des demandes d'avis techniques de la part de structures collectives. Remarquablement, lorsqu'un avis technique sur un matériau ou une technique innovante couvre l'outre-mer, nous ne rencontrons aucun problème d'utilisation en tant que contrôleur technique. Le développement des avis techniques pour l'outre-mer est donc bien une piste à suivre. Cela mérite une nouvelle impulsion pour couvrir tous les territoires.

Mme Marie-Claude Bassette-Renault, responsable production de la SMABTP. - En préambule, j'aimerais rappeler le principe de l'assurance-construction qui veut que le constructeur soit, aux termes de l'article 1792 du code civil, présumé responsable de tous les dommages à l'ouvrage qui affectent sa solidité ou qui le rendent impropre à sa destination. Le régime actuel de l'assurance construction est prévu par la loi Spinetta du 4 janvier 1978 qui s'applique aux DROM. Cette loi vaut également pour la Polynésie française mais ce territoire ne connaît pas l'obligation d'assurance. La Nouvelle-Calédonie reste pour l'heure sous l'empire de l'ancien code civil et ne prévoit qu'une responsabilité limitée à la solidité.

L'article A 243-1 du code des assurances impose le respect de clauses-types portant sur les assurances de responsabilité et de dommages dans tous les contrats portant sur des travaux de bâtiments. Ces dispositions spécifiques portent sur les garanties, leur nature et leur étendue. Elles encadrent strictement les clauses d'exclusion. Dans ce cadre, pour évaluer son risque et définir ses garanties, l'assureur se fonde sur la nature des travaux. Pour les travaux mobilisant des techniques courantes, les garanties de base s'appliquent. Pour le domaine non courant, l'assureur apprécie au cas par cas et accompagne ses assurés. Il n'est pas question de s'opposer à l'emploi de techniques non courantes de façon systématique. Il faut simplement réaliser des investigations plus poussées que dans le domaine courant.

L'application de normes étrangères, en particulier pour les matériaux, trouve sa limite du point de vue de l'assureur dans les problèmes que pose la mixité des normes, puisqu'il y aura nécessairement au sein d'un ouvrage une coexistence des normes étrangères (américaines, canadiennes, australiennes, etc.) sur certains éléments et des normes françaises ou européennes sur d'autres. Or, une telle configuration me paraît difficilement envisageable. En effet, on constate que les acteurs du secteur de la construction ont déjà des difficultés à assimiler et s'approprier notre corpus normatif. Assimiler de surcroît des systèmes étrangers de manière à mettre en oeuvre les produits de façon appropriée et cohérente paraît une tâche redoutable. Il faut garder à l'esprit que les produits étrangers ne répondent pas forcément aux mêmes conditions d'emploi que les matériaux NF/CE. Comment dans ces conditions garantir la durabilité décennale et la sécurité des personnes ? Il faut s'assurer impérativement que les matériaux et produits étrangers puissent apporter les mêmes garanties de durabilité et de sécurité que les matériaux certifiés NF/CE.

Nous pensons que le développement des filières locales est une bonne piste et que l'avis technique est le bon instrument pour initier une dynamique. Nous sommes favorables à une extension systématique des avis techniques à l'outre-mer. C'est la démarche indispensable pour éviter l'application par défaut de DTU inadaptés qui aboutirait à des sinistres. Par ailleurs, l'actualisation des règles Antilles paraît nécessaire. Il existe aujourd'hui des souplesses et des adaptations locales dans l'application des DTU outre-mer, mais sans que cela soit formalisé dans des règles écrites. Par exemple, en matière de revêtement extérieur des logements, le DTU ne s'applique en principe qu'à la rénovation mais on en étend outre-mer l'application aux constructions neuves.

Prévaut déjà une volonté d'adaptation des règles de l'art ; il faut l'encourager et transcrire les solutions pertinentes dans un corpus normatif en s'appuyant sur des structures locales, comme des commissions techniques locales, qui ont la connaissance du terrain. Il conviendra d'asseoir leur légitimité en veillant à leur indépendance. Nous préconisons d'assurer une mutualisation des travaux entre les territoires ultramarins pour prévenir le risque d'éparpillement avec les coûts afférents et le risque d'émiettement des règles qui pourrait aboutir à des divergences injustifiées. Par exemple, même adaptées, les règles relatives aux effets du vent pourraient être valables sur tous les territoires et en matière parasismique la Guadeloupe et la Martinique peuvent travailler ensemble. Une instance nationale de coordination des travaux locaux serait également bienvenue. Par ailleurs, le programme PACTE en faveur de l'adaptation des règles de l'art pourrait être étendu à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française.

Quant aux pathologies, nos constats rejoignent ceux des bureaux de contrôle. L'étanchéité est un point sensible. L'exposition aux risques naturels est telle que les plus petits écarts par rapport aux normes aboutissent à des sinistres. Le risque sismique est une donnée incontournable même en l'absence de séismes avérés et toute infraction aux règles parasismiques dans les Antilles constitue par elle-même une cause de démolition-reconstruction. La qualité défectueuse des matériaux avec des problèmes d'alcaliréaction et de zéolithes sur les bétons est un autre problème, notamment en Nouvelle-Calédonie. Cela aboutit dans certains cas à la démolition-reconstruction. Sont en cause la fourniture des agrégats, la qualité des ciments et les conditions de mise en oeuvre (température, vibration des bétons, rajout d'eau intempestif). La formation initiale et surtout continue des acteurs de la construction mérite d'être renforcée, ne serait-ce que pour tenir compte des évolutions incessantes de la réglementation ou des nouveaux objectifs environnementaux.

M. Jean-Paul Laborde, directeur des affaires parlementaires de la Fédération française de l'assurance (FFA). - La question de la qualité de la construction me paraît centrale. En tant qu'assureurs, nous en avons une perception à travers le prisme du risque, dont je rappelle qu'il pèse sur le constructeur au premier rang mais aussi in fine sur le maître d'ouvrage.

La Fédération française de l'assurance n'a pas de vision globale d'éventuels surcoûts d'assurance en outre-mer car elle ne dispose que d'informations comptables sur les chiffres d'affaires des sociétés. Néanmoins, permettez-moi quelques remarques générales. Le coût de l'assurance dépend essentiellement des acteurs, à la fois de la politique des compagnies et du jeu de la concurrence. Or, la tendance est à l'intensification de la concurrence dans les outre-mer ce qui devrait jouer plutôt en faveur d'une modération des coûts. L'évolution des saisines du Bureau central de tarification (BCT) par des entreprises des DOM est intéressante. Il s'agit d'une autorité administrative indépendante chargée de trouver une solution en cas de refus d'assurance en définissant un tarif approprié auquel l'assureur sera obligé de couvrir le demandeur assujetti à l'obligation d'assurance. De 20 dossiers examinés chaque année par le BCT il y a dix ans, nous sommes passés à 4 dossiers en 2015, après 2 en 2014 et un seul en 2013. Cette baisse très significative est bien le signe d'une plus grande concurrence qui permet d'offrir plus d'opportunités d'assurance aux entreprises.

Pour parvenir à ce résultat, le BCT avait initié dès 1997 une démarche intéressante en mettant en place des instances locales dans les DOM. Une commission spécialisée rassemblant des professionnels assujettis et des assureurs était placée sous l'égide du préfet et chargée de l'instruction des dossiers. Cela montre combien il est important de s'appuyer sur les compétences techniques locales, tout en gardant un objectif d'harmonisation.

Par ailleurs, l'article 88 de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine ouvre des possibilités d'expérimentation de règles dérogatoires en matière de construction qu'il faudra examiner pour en tirer le meilleur profit. Le décret d'application qui se prépare reprend la même idée d'instances locales d'une coordination nationale.

Enfin, nous connaissons un certain nombre de projets hors normes réalisés outre-mer. Leur prise en charge par les assureurs n'a pas posé de difficultés particulières, pas plus qu'en métropole. Lorsque la construction sort du cadre traditionnel, nous savons nous adapter en différenciant notre appréciation du risque.

M. Michel Magras, président. - Il me revient de clore cette table ronde très riche en vous remerciant de vos contributions qui ont su éclairer notre délégation. Je ne doute pas que vous en trouverez trace dans les conclusions des rapporteurs.