Mercredi 28 juin 2017

- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, présidente -

La réunion est ouverte à 13 h 45.

Compte rendu par MM. Michel Canevet et Michel Vaspart du déplacement de la délégation dans le Finistère et les Côtes-d'Armor, les 26 et 27 avril 2017

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Nous allons aujourd'hui entendre le compte-rendu que vont nous faire nos collègues MM. Michel Canevet et Michel Vaspart du déplacement que nous avons effectué les 26 et 27 avril dernier en Bretagne.

M. Michel Canevet. - Merci, Madame la Présidente, d'avoir permis ce déplacement dans le Finistère et les Côtes-d'Armor... avec un petit passage en Ille-et-Vilaine. Outre mon collègue Michel Vaspart et moi-même, y ont également participé nos collègues Gilbert Bouchet, Guy-Dominique Kennel, Patricia Morhet-Richaud et Claude Nougein.

Notre journée dans le Finistère a débuté par la visite de Savéol, coopérative agricole créée en 1981, qui regroupe 125 producteurs. Elle emploie directement une centaine de salariés permanents et plus de 400 salariés saisonniers. Son chiffre d'affaires est d'environ 200 millions d'euros, en augmentation de 10 % par rapport à 2014.

La coopérative est leader national dans la production de tomates mais ses producteurs cultivent une gamme de 30 variétés de fruits et légumes de haute qualité. La production s'élève notamment à environ 80 000 tonnes de tomates et 2 000 tonnes de fraises en 2015 (et s'étend marginalement aux concombres). Elle est vendue essentiellement mais en France mais l'export représente 14 % de la production totale (vers l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, la Grande-Bretagne et même Dubaï...). Le Maroc est son premier concurrent sur les tomates.

Savéol dispose de deux stations de conditionnement à proximité des producteurs, l'une à Guipavas et l'autre à Plougastel-Daoulas où se situe son siège social. À Guipavas, où nous avons été accueillis, elle dispose aussi d'un élevage d'insectes, sur un site unique en Europe construit en 2013.

Savéol est en effet impliquée dans la préservation de l'environnement : elle a été pionnière dans la protection biologique intégrée en créant, dès 1983, un élevage d'insectes pour protéger naturellement ses cultures, une initiative encore inédite en France dans un groupement de producteurs. Ainsi, pour protéger les plants de tomates des aleurodes (mouches blanches), elle élève des punaises Macrophulus, qui se nourrissent d'aleurodes, ainsi que des micro-guêpes - sur des plants de tabac, qui appartiennent à la même famille que les plants de tomates - qui s'attaquent aux larves d'aleurode : ces micro-guêpes sont libérées dans la serre de tomates une fois par semaine en prévention. Saveol en produit 100 millions par an. Saveol évite ainsi l'utilisation de produits chimiques et produit des tomates de qualité, dans le respect de l'environnement et de la santé.

En 1989, elle s'est lancée dans la pollinisation naturelle des cultures en serres : elle élève des bourdons qui, en butinant, transportent le pollen des étamines vers le pistil. 15 000 ruches de bourdons sont ainsi produites chaque année pour assurer la fécondation de 260 hectares de serres.

Elle a obtenu en 2005 la certification GlobalGAP, programme mondial de certification basé sur le respect des bonnes pratiques agricoles. En outre, elle s'est engagée en 2007 sur la voie du développement durable en ayant notamment recours aux éco-emballages et aux énergies renouvelables pour réduire l'empreinte carbone de ses productions.

Même si une quinzaine de jeunes agriculteurs se sont installés en quatre ou cinq ans, le dirigeant de Savéol reste vigilant tant le métier est décrié et l'agriculture présentée comme pollueuse : il appelle à en finir avec le discours ambiant qui critique le mode de production des agriculteurs. Il dénonce aussi la pression de la distribution sur la production. Il invite à travailler tous ensemble, y compris avec les petits producteurs, pour produire le volume requis, avec la bonne qualité et au juste prix. Il s'inquiète enfin pour la transmission des exploitations, devenue très compliquée tant les outils sont devenus capitalistiques.

Nous avons ensuite été accueillis à la station biologique de Roscoff, fondée en 1872. Ce centre de recherche et d'enseignement en biologie et écologie marines dépend de l'Université Pierre et Marie Curie (UPMC) et du CNRS. Les recherches menées par la station visent à relever les grands défis de la biologie et de l'écologie modernes.

Ces recherches couvrent quatre grandes thématiques :

- l'étude des organismes marins et des écosystèmes ;

- la compréhension des processus d'adaptation et d'évolution en milieu marin ;

- le développement de nouveaux modèles biologiques marins ;

- la recherche de molécules actives.

300 personnes y travaillent, dont plus de 200 chercheurs. Les recherches font appel à la biologie moléculaire et cellulaire, en particulier les dernières avancées techniques en génomique, mais aussi à la chimie, aux mathématiques et aux sciences de l'environnement. Elles s'appuient sur des observations de la biodiversité et de l'environnement côtier dans un contexte de changement global et d'impacts croissants des activités humaines sur le littoral.

En ce qui concerne l'enseignement, la station biologique de Roscoff est l'un des trois sites de formation délocalisés de l'UPMC et accueille à ce titre de nombreux étudiants chaque année, y compris étrangers. La station biologique de Roscoff est d'ailleurs engagée dans de nombreux partenariats scientifiques nationaux et internationaux et assure aussi de la formation continue.

À l'échelle interrégionale, elle est membre du groupement Biogenouest qui coordonne plus de 20 plateformes de génomique dans les domaines de la mer en Bretagne et Pays-de-la-Loire. Elle est membre fondateur du pôle de compétitivité Pôle mer Bretagne Atlantique qui oeuvre au développement de partenariats entre laboratoires de recherche publics et entreprises dans le domaine maritime.

Au niveau européen et international, la station est leader européen de la communauté scientifique en biologie marine : avec l'unité de Sète, elle co-anime le consortium européen des sciences marines, Euromarine, qui coordonne la recherche fondamentale européenne en sciences marines ; avec les deux autres stations de Banyuls et Villefranche-sur-mer, elle participe à la composante française du Centre européen de ressources biologiques marines - EMBRC - , infrastructure intergouvernementale qui propose aux scientifiques comme aux entreprises divers services comme l'accès aux ressources, aux données et à l'expertise marines, et renforce la coopération transmanche et ses partenariats privilégiés avec l'Amérique latine (Chili et Brésil notamment en matière d'algues).

Depuis les années 2000, le transfert de connaissances vers les entreprises est aussi l'un des axes de travail entre la Station biologique de Roscoff et le Pôle de compétitivité Mer Bretagne Atlantique. Le déploiement d'un parc scientifique « Blue valley », situé au Laber à Roscoff (sur 2,3 hectares), a ainsi été lancé en mai 2015. Ce projet à effet cluster associe recherche, formation, innovation et vie étudiante autour des biotechnologies marines. Son ambition est de faire de la Bretagne la place mondiale de l'étude des océans et de leur valorisation, pour conquérir des marchés à fort potentiel. Les secteurs d'application sont très vastes, depuis la mise au point de composés bioactifs en nutrition et santé jusqu'à l'amélioration génétique des espèces cultivées, en passant par la bio remédiation, la chimie bleue et les études d'impacts environnementaux. L'objectif est de marier le rayonnement international de la station avec le développement territorial, afin que le dynamisme du site du Laber diffuse sur tout le territoire breton: Blue Valley va concentrer la R&D mais la production devrait déborder sur la Bretagne, pour en faire la première région française en biotechnologie marines.

Nous avons pu rencontrer plusieurs entreprises qui participent à ce projet en cours de déploiement :

- Agrival, spécialiste de la fabrication d'ingrédients naturels d'origine végétale ; cette société est dirigée par le président de la SICA de Saint-Pol-de-Léon, qui est le premier groupement de producteurs de légumes français ;

- la société ostréicole René Brest & Fils, qui est dirigée par l'ancien président du comité national de la conchyliculture et travaille à la réintroduction de l'huître plate ;

- Olmix, spécialiste des solutions naturelles à base d'algues pour l'agriculture et l'élevage : le groupe a son équipe R&D à Blue Valley mais développe ses sites de production dans le Morbihan et en Vendée.

Ce projet offre une illustration édifiante de la façon dont la recherche fondamentale peut nouer des relations avec les entreprises et produire un effet d'entraînement territorial.

À Roscoff toujours, nous nous sommes ensuite rendus chez Brittany Ferries (BF). Les présidents du Conseil de surveillance et du Directoire nous ont présenté cette compagnie maritime française - qui transporte passagers et véhicules entre la Bretagne, la Normandie, le sud de l'Angleterre, l'Irlande et l'Espagne -, créée en 1973 pour participer au désenclavement de la Bretagne. Ils en ont rappelé la genèse : dans les années 1960, le développement du territoire Breton est au coeur de la réflexion du comité d'Études et de Liaison des Intérêts Bretons (CELIB). Diverses actions sont menées en ce sens : développement des activités agricoles et maritimes, pôle universitaire en Bretagne occidentale, extension des réseaux (routiers et TIC), développement des activités industrielles dans le port de Brest et construction d'un port en eau profonde à Roscoff.

Le projet aboutit à la création de la BAI (Bretagne-Angleterre-Irlande) destinée au transport transmanche des productions agricoles bretonnes, sous l'impulsion de coopératives agricoles, actionnaires majoritaires de BF : la SICA de St Paul a acheté le premier bateau.

La compagnie a appareillé pour la première fois le 2 janvier 1973, le lendemain de l'entrée du RU dans l'UE, pour la traversée Roscoff/Plymouth. Brittany Ferries a, au fil des ans, développé son offre de liaisons maritimes : dès 1978, des lignes relient la Bretagne, l'Angleterre (Plymouth, Portsmouth) et l'Irlande. Elle opère aujourd'hui 12 lignes et 11 navires.

La compagnie est à présent un transporteur maritime de premier plan mais aussi un tour-opérateur européen proposant à ses clients des destinations en Grande-Bretagne, Irlande, Espagne, Portugal et France. L'Autoroute de la mer Espagne - Royaume-Uni rencontre un franc succès : entre 2008 et 2014, le service de navettes de BF a capté près de 15 % de la totalité des poids lourds et des remorques routières qui transitent entre le Royaume-Uni et la péninsule ibérique.

Brittany Ferries emploie 2 770 emplois en moyenne, son chiffre d'affaires 2016 était de 455 millions d'euros, avec 63 % provenant des 2,5 millions de passagers annuels, 15 % des ventes à bord et 21 % du fret. Les retombées économiques sont nombreuses, que ce soit en matière d'activités touristiques de la clientèle et de nuitées sur le continent, d'achats de l'entreprise, de retombées fiscales et d'emplois. Les activités de BF génèrent ainsi 4 500 emplois indirects - achats, approvisionnements et opérations de maintenance -, profitant à 81 % aux régions Bretagne, Normandie, Pays de Loire et Ile-de-France. Brittany ferries détient 13 % de part de marché sur le marché des touristes ramenés en France, mais représente beaucoup plus en termes de montant rapporté par chaque passager car les trajets sont plus longs.

Les dirigeants de Brittany ferries ont présenté les défis que doit affronter l'entreprise : le renouvellement de la flotte transmanche (ce qui requiert une rentabilité structurelle stabilisée), l'adaptation numérique, l'intégration de la problématique sûreté et le développement sur l'arc atlantique, ceci dans un contexte de dépendance à l'égard de l'attractivité des destinations touristiques (pour l'activité passagers) et du dynamisme des hinterlands des ports de la façade atlantique (pour l'activité fret). C'est pourquoi Brittany ferries aurait besoin :

- pour les projets innovants, de petits cliquets de financement attestant le soutien de l'État, ce qui est très important pour les investisseurs ;

- de moyens pour les projets d'infrastructure maritime. Selon les dirigeants de BF, la Caisse des dépôts, qui aurait le volume nécessaire, se positionne plutôt en actionnaire qu'en investisseur, ce qui est moins intéressant pour BF qui a un petit capital de 22 millions d'euros.

BF a dégagé des résultats positifs de 2000 à 2008 (avec un record en 2007), mais, en raison de la chute de la livre sterling qui fait 80 % du chiffre d'affaires, ses résultats sont devenus négatifs. En 2012, les résultats ont nécessité un plan de retour à la compétitivité avec une hausse du temps de travail supérieure à la hausse des salaires, mais sans aucun licenciement. La sortie de la tourmente s'est faite après dix jours d'arrêt total de l'activité de l'entreprise.

Malgré son redressement, BF souffre d'une visibilité floutée par le Brexit car, avec 85 % de passagers britanniques, un siège social et des marins français, BF a une double dépendance, économique et financière : son avenir dépend de la dynamique de l'économie et de la bonne tenue de la devise britannique. Enfin, les dirigeants de BF ont souligné le risque d'augmentation du décalage de compétitivité entre le pavillon britannique et le pavillon français.

M. Michel Vaspart. - Madame la Présidente, à mon tour, je souhaiterais vous remercier d'avoir organisé ce déplacement en Bretagne sur deux jours. Avec Michel Canevet -qui s'est davantage orienté vers l'agriculture- nous nous sommes efforcés de prévoir des visites complémentaires.

Ainsi, dès le premier soir, nous nous sommes rendus dans une station touristique de la baie de Saint Brieuc, à Pléneuf-Val-André. Nous avons débuté par un débat avec des professionnels du tourisme, respectivement directeurs d'un spa, d'un golf et d'un centre nautique, ainsi qu'avec le maire de Pléneuf-Val-André et le conseiller départemental en charge du secteur. Une fois de plus les excès de réglementation ont été critiqués ; ils pèsent lourdement sur le golf, qui doit affronter une compétition internationale très forte. Les remarques ont également porté sur la mise en place de la réforme des rythmes scolaires - le temps d'activité périscolaire (TAP) ayant manifestement pesé sur la fréquentation, par les jeunes, du Centre nautique de Pléneuf-Val-André. C'est la première fois qu'une telle remarque était exprimée, ce qui est intéressant à avoir à l'esprit. Le directeur du Spa Marin a quant à lui vivement critiqué Pôle Emploi, précisant que le moyen le plus sûr pour recruter est aujourd'hui le site Internet du « Bon Coin » ! Je vous livre là les observations des professionnels rencontrés.

La journée du jeudi 27 avril a débuté très tôt sous le signe de la mer. Nous avons effectivement visité la criée d'Erquy qui, avec celle de Saint-Quay Portrieux, se situe au quatrième rang français des ports de pêche et vend 20 000 tonnes de produits de la mer par an pour un chiffre d'affaires de 60 millions d'euros. Cet ensemble est géré par la chambre de commerce et d'industrie (CCI). J'ajoute que la spécificité d'Erquy est la gestion de la ressource des coquilles Saint Jacques, mise en place depuis longtemps avec les services de l'État, le conseil général des Côtes d'Armor et les pêcheurs. Ce système, qui repose sur des contrôles draconiens, rend possible un maintien des prix permettant aux pêcheurs de vivre convenablement.

Sur ces deux ports, qui réunissent 22 bateaux hauturiers, on constate une très grande inquiétude liée au Brexit. Actuellement, ces bateaux hauturiers vont pêcher près des côtes anglaises, plus précisément à l'ouest des Cornouailles et jusqu'au sud de l'Irlande. Le Brexit constitue donc un vrai défi car, si les négociations ne permettent plus à la flottille bretonne de pêcher dans les eaux britanniques, alors les hauturiers risquent de se rabattre sur les eaux françaises et gêner ainsi les pêcheurs côtiers qui seront confrontés à une raréfaction du poisson et à un déclin de l'activité. Nous devrons suivre avec vigilance la mission confiée à Michel Barnier, négociateur en chef pour la préparation et la conduite des négociations avec le Royaume-Uni.

Après avoir visité une unité de découpe de poissons, nous avons enchaîné avec la visite du Pôle Cristal, un centre d'essais et d'innovation en réfrigération et génie climatique. Créé il y a une vingtaine d'années à l'initiative de la Communauté de communes de Dinan et du Lycée La Fontaine des Eaux, le Pôle Cristal est labellisé par le Ministère de la recherche. Dès le départ, l'idée était de mettre un centre de ressources à destination des entreprises, adossé à des formations en BTS (brevets de techniciens supérieurs). Fort de huit salariés, le Pôle est subventionné par trois collectivités : l'intercommunalité, le département et la région. Il développe également des ressources propres en réalisant des missions de recherche et développement pour des entreprises privées.

Nous avons, sur place, pu également organiser une table ronde, comme notre présidente le souhaite à chaque déplacement. Nous avons ainsi pu écouter les entrepreneurs du club des entreprises du pays de la Rance (CEPR) qui réunit 150 entreprises de toutes tailles, représentant tous les secteurs. Leurs témoignages ont convergé avec ceux que nous avions déjà recueillis, au sujet de la complexité administrative. La simplification est ainsi une demande récurrente, ainsi que la baisse des charges qui affectent la compétitivité des entreprises. Ce sont des sujets que nous connaissons bien et pour lesquels il nous faudra essayer d'apporter des solutions.

Enfin pour clore notre déplacement, nous avons visité l'entreprise qui produit les gavottes, c'est-à-dire les célèbres petites crêpes dentelles. Nous avons été reçus par Christian Tacquard, le président du groupe Loc Maria. Arrivé il y a environ 25 ans à Dinan, il a fait le pari de racheter l'usine des gavottes, qui n'était alors pas à vendre. Il a accompli avec succès une série d'opérations de croissance externe permettant l'union de 7 biscuiteries en 20 ans. Aujourd'hui son groupe produit en France 8 500 tonnes de biscuits par an, dont 5 000 tonnes de gavottes, soit un chiffre d'affaires de 64,3 millions d'euros avec 370 salariés. Un quart de cette production est destiné à l'exportation et la moitié des gavottes est destinée aux États-Unis. Enfin le groupe consacre 15 % de son chiffre d'affaires à l'innovation. Nous avons été remarquablement bien reçus et avons ainsi pu découvrir un outil de production neuf et extrêmement performant. Nous avons pu admirer la gestion de cette entreprise dont les effectifs augmentent à mesure que les robots sont modernisés et qui fait l'objet d'une transmission de direction progressive du président à son fils.

Mme Élisabeth Lamure. - Je vous remercie pour ce compte rendu. Je dois dire que la dernière entreprise visitée, qui nous a frappés, n'est pas sans nous rappeler l'entreprise Valrhona, découverte grâce à notre collègue Gilbert Bouchet. Elles partagent le même état d'esprit, accordant une place importante aux relations humaines.

M. Gilbert Bouchet. - Je souhaiterais remercier nos deux collègues qui nous ont permis d'effectuer un déplacement particulièrement intéressant. J'ai découvert les problèmes auxquels sont confrontés les pêcheurs, y compris en termes d'emplois, ainsi que le défi posé par le Brexit. Je suis d'accord avec notre présidente sur la comparaison entre Loc Maria et Valrhona, les brisures de gavottes s'associant d'ailleurs au chocolat.

Mme Annick Billon. - Bien que connaissant la Bretagne, je regrette de n'avoir pu participer à cette visite de terrain. Il me semble que le déplacement organisé sur deux jours permet de gagner en efficacité grâce à une meilleure immersion. J'ai quelques questions complémentaires. Les premières concernent l'entreprise Savéol : le modèle choisi pour éviter l'usage de produits nocifs est-il reproduit ailleurs ? L'entreprise communique-t-elle sur cette technique? Je m'interroge ensuite sur le Pôle Cristal : son financement repose-t-il toujours sur des fonds publics ? N'est-ce pas un risque pour sa pérennité dans le temps ? Enfin, s'agissant de la criée d'Erquy, a-t-elle une spécialité, à l'instar du poisson bleu pour la Vendée ?

M. Guy-Dominique Kennel. - Je souhaiterais me joindre aux remerciements. J'estime également que les déplacements sont encore plus intéressants sur deux jours. Pour ma part, j'ai découvert la criée, la qualité de son accueil et son fonctionnement : j'ai été étonné de trouver une salle quasiment vide, le numérique ayant transformé l'activité. J'ajoute que les représentants de Savéol -autre belle découverte- ont fait part de la difficulté qu'ils rencontraient à communiquer sur leur démarche et à la diffuser ; ils espèrent que les parlementaires pourront contribuer à cette communication.

M. Michel Canevet. - Savéol utilise cette technique depuis des décennies, mais apparemment elle est restée inédite en France. Cependant l'entreprise a ouvert, l'année dernière, un centre d'information du grand public qui bénéficie à l'ensemble des 125 producteurs.

Mme Annick Billon. - Certains maraîchers suivent ces techniques, de façon plus artisanale. Il serait intéressant de les divulguer pour que d'autres cultures s'en emparent, par exemple celle des fleurs sous serre.

M. Michel Canevet. - Concernant le Brexit, les pêcheurs craignent non seulement de ne plus avoir accès aux eaux britanniques, mais aussi que les Britanniques ne soient plus soumis aux quotas annuels de capture. S'ils s'en affranchissent, ils risquent d'inonder le marché, de faire baisser les cours et de porter atteinte à la préservation des ressources naturelles.

M. Michel Vaspart. - Pour répondre à la question de notre collègue sur les criées d'Erquy et de Saint-Quay, je précise qu'il n'y a pas de différence entre elles, aucune n'ayant de spécialisation. Concernant le Pôle Cristal, les fonds publics représentaient 100 % du financement lors de sa création, puis progressivement 70 %. La mission confiée aux directeurs du Pôle est d'inverser la tendance : les ressources propres s'élèvent aujourd'hui à 50 % et devront représenter 70 % d'ici 2024. J'ajoute que le passage de 3 à 8 salariés a été financé exclusivement sur fonds propres.

M. Henri Cabanel. - Je regrette de n'avoir pu être présent mais je souhaite rebondir sur les sujets évoqués. Il semble que Savéol, bien que membre de l'organisation professionnelle Coop de France, ait développé un lien insuffisant avec le consommateur pour lui permettre de mesurer son action pour une agriculture durable. Par ailleurs vous avez évoqué les craintes liées au Brexit, mais une étude d'impact a-t-elle été menée afin de chiffrer les conséquences économiques pour la pêche du scénario redouté ? Cela me paraît essentiel.

Mme Élisabeth Lamure. - Notre collègue Michel Vaspart a fait allusion à Michel Barnier mais je vous rappelle qu'au Sénat, notre collègue Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, assure un suivi des négociations du Brexit. Il a d'ailleurs déjà évoqué la question de la pêche. Il serait utile de se rapprocher de lui et de susciter une rencontre avec Michel Barnier.

M. Michel Vaspart. - Nous pourrions proposer à Michel Barnier de venir en Bretagne.

M. Michel Canevet. - Le Brexit est un sujet extrêmement préoccupant pour nous. Les eaux britanniques sont moins profondes, rendant le poisson plus accessible. La carte des zones de pêche qui nous a été montrée à Erquy le mettait parfaitement en évidence et les professionnels préparent des argumentaires. La France est le deuxième espace maritime or, en produits de la mer, notre balance commerciale est déjà déficitaire. J'insiste sur le fait que le Brexit est un enjeu pour l'avenir des zones littorales mais aussi pour l'avenir des ressources naturelles !

S'agissant de Savéol, il est vrai que Coop de France a effectivement intérêt à faire connaître les bonnes pratiques environnementales de ses membres.

Je voudrais également revenir sur la difficulté de recrutement décrite par tous les entrepreneurs du pays de Rance présents à la table ronde. Malgré des carnets de commandes bien remplis, ils ne parviennent pas à trouver la main d'oeuvre recherchée. Cela montre une réelle inadéquation entre les besoins des entreprises et la qualification des personnes inscrites à Pôle Emploi. Un effort doit être fait en matière de formation professionnelle.

M. Henri Cabanel. - Ce phénomène touche aussi les métiers saisonniers.

Mme Élisabeth Lamure. - ...Pas seulement ! Je me souviens notamment du témoignage saisissant d'un électricien présent à cette rencontre : les personnes compétentes n'acceptent de travailler que sous forme d'intérim et pas plus de six mois dans l'année, afin de bénéficier des avantages sociaux. Il existe une véritable organisation souterraine qui est choquante.

Échanges sur la Journée des entreprises organisée au Sénat le 16 mars 2017

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Mes chers collègues, je vous propose de faire un point sur ce moment fort que fut la Journée des entreprises le 16 mars dernier. Nous avions invité près de 1 175 entrepreneurs. Parmi ces invités, nous en avions rencontré un quart dans les territoires lors de nos déplacements ou à l'occasion de nos travaux (soit près de 300) ; le reste des entrepreneurs invités nous avaient été recommandés par nos collègues. La liste des invités concernait 63 départements français.

Comme l'an dernier, nous avons finalement reçu au Sénat près de 130 entrepreneurs, venant de 37 départements différents, un venant du Royaume-Uni ; l'an dernier, des entrepreneurs supplémentaires nous avaient rejoints, invités par l'AFNOR qui co-organisait avec nous la fin de journée pour la remise des prix EFQM. 25 % des entrepreneurs qui ont participé à la journée des entreprises cette année nous connaissaient déjà puisqu'ils avaient rencontré la Délégation. Alors que la session parlementaire était suspendue à cette date, 27 sénateurs ont également participé à cette journée, dont 15 appartiennent à notre délégation. Je remercie tous ceux d'entre vous qui se sont mobilisés pour accueillir les entrepreneurs présents dans nos murs ce jour-là.

Je vous rappelle que nous avons consacré la matinée à des échanges sur le sujet de la transmission d'entreprise, en s'appuyant sur le rapport que nous ont présenté nos collègues Michel Vaspart et Claude Nougein. Les échanges étaient animés par une journaliste du Figaro.

Lors du déjeuner, nous avons célébré les créateurs et les innovateurs, en rendant hommage à Roland Moreno, inventeur de la carte à puce, et en entendant le témoignage très intéressant de Xavier Niel, vice-président du groupe Iliad/Free.

L'après-midi fut consacrée à débattre de la simplification pour les entreprises. Le rapport qu'Olivier Cadic et moi-même vous avons présenté sur le sujet a nourri les échanges. Le Président Directeur Général de Public Sénat en était l'animateur. La présence de M. Johannes Ludewig, président du NKR, organe allemand dédié à la simplification, m'a paru très enrichissante.

Il me semble que nous pouvons tirer un excellent bilan de cette journée. Je reste à l'écoute de vos remarques et suggestions, et tout particulièrement des réactions de ceux qui ont participé à cette journée.

M. Dominique Watrin. - J'ai pu consulter les comptes rendus des travaux menés durant cette journée des entreprises. Très rapidement, les chefs d'entreprises posent d'autres questions, que j'entends également dans mon département, concernant la faiblesse de nos PME à l'export. Au Vietnam, j'ai pu entendre des dirigeants vietnamiens faire valoir diverses opportunités d'import au Vietnam voire de reprise d'entreprises locales par des entreprises pas nécessairement de grande taille. Or les banques renâclent à financer le fonds de roulement aussi bien que les reprises d'entreprises. D'autres sujets méritent notre attention : la question non résolue des délais de paiement, la perte d'entreprises manufacturières... Dans mon département, je vois que certains grands groupes s'entendent pour organiser la fermeture de sites industriels, notamment dans l'industrie papetière, dans l'idée de faire remonter les prix : cela mériterait un travail commun de notre délégation avec les commissions concernées.

Enfin, je considère que l'entreprise ne se résume pas à son chef, même si on entend parfois cela dans la bouche des entrepreneurs : un patron a besoin des salariés pour faire fonctionner son entreprise et simplifier jusqu'à diminuer la représentation des salariés peut être très dangereux pour la compétitivité.

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Merci. Je rappelle que la mission de la délégation est de comprendre les freins au développement des entreprises, non pas de se pencher sur le dialogue social, même si évidemment l'entreprise ne se réduit pas à son dirigeant. Lors de nos visites de terrain, on rencontre souvent d'autres membres de l'entreprise, ses cadres, ses ateliers...

Par ailleurs, il est vrai que les PME peinent à exporter et qu'elles rencontrent souvent des difficultés de financement à cet égard car cela demande un effort financier particulier. La plupart des CCI font en tout cas beaucoup d'efforts pour les accompagner, ainsi que Business France que les entreprises n'utilisent peut-être pas assez.

Concernant la journée des entreprises, il est certain que nous sommes contraints de cibler les débats sur des thèmes plus précis, même si les entreprises ont beaucoup à nous dire. C'est pourquoi les tables rondes que nous organisons lors de nos déplacements de terrain sont très importantes.

M. Michel Canevet. - Une idée pourrait être de cibler un type d'entreprises dans nos invitations à la journée des entreprises. Ceci pourrait nous prémunir contre le risque de routine.

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Tout à fait. Nous pouvons y réfléchir pour la prochaine édition.

- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises, et de Mme Michèle André, présidente de la commission des finances -

La réunion est ouverte à 15 heures.

Étude sur l'impact, pour les entreprises, du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu - Présentation par MM. Nicolas Meurant, avocat, et Julien Pellefigue, économiste, associés au cabinet Taj

Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises. - Madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, je me réjouis que la commission des finances et la délégation aux entreprises, que j'ai l'honneur de présider, soient aujourd'hui réunies pour entendre Maître Nicolas Meurant, avocat, et M. Julien Pellefigue, économiste, tous deux associés du cabinet Taj : ils sont venus nous présenter les résultats d'une étude sur l'impact, pour les entreprises, du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu. Maître Annaïg Delannay, avocate du cabinet Taj, les accompagne.

La loi de finances pour 2017 prévoit en effet que l'impôt sur le revenu sera prélevé à la source à partir du 1er janvier 2018 : il reviendra à l'employeur de retenir l'impôt lors du paiement des revenus salariaux. Le gouvernement précédent avait donc choisi de basculer rapidement vers le prélèvement à la source, dont on parle en France depuis quatre-vingts ans, en faisant supporter aux entreprises le poids du changement, et ce sans compensation.

Ce choix suscite beaucoup d'inquiétude auprès des entreprises : elles sont nombreuses à en avoir fait part à la délégation sénatoriale aux entreprises. Étouffant déjà sous les charges administratives, elles redoutent le coût supplémentaire que ce nouveau dispositif représentera pour elles.

Dès l'automne dernier, le rapporteur général de la commission des finances, M. Albéric de Montgolfier, déplorait dans son excellent rapport, intitulé Le prélèvement à la source : un choc de complexité, que le Gouvernement n'ait fourni aucune estimation chiffrée du coût de la mesure pour les entreprises.

Il y a un risque réel que cette réforme pèse sur la compétitivité de nos entreprises et l'attractivité de notre territoire. La délégation aux entreprises a donc décidé de faire réaliser une étude d'impact pour évaluer cette nouvelle charge. Elle a lancé à cet effet un marché début 2017 ; le conseil de questure l'a attribué fin mars au cabinet Taj. Ce sont les résultats de cette étude, réalisée en moins de trois mois, qui nous sont présentés aujourd'hui.

Entre-temps, les élections présidentielle et législatives ont changé la donne : le nouveau gouvernement a affiché son souci de mieux mesurer l'impact de la réforme sur les entreprises et, pour ce motif, il a annoncé son intention de reporter d'un an sa mise en oeuvre. Ce matin même a été présenté en conseil des ministres le projet de loi visant à habiliter le Gouvernement à réformer le code du travail : son article 9 tend à autoriser le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure propre à permettre le report d'un an du prélèvement à la source.

Notre réunion tombe donc à point nommé : j'en ai déjà prévenu M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, qui a manifesté de l'intérêt pour les conclusions de l'étude que nous examinons aujourd'hui. Je compte donc la transmettre au Gouvernement sans délai, dans l'espoir qu'elle puisse lui être utile.

En tout cas, cette étude permettra d'éclairer nos débats parlementaires sur le texte d'habilitation, dont le Sénat sera saisi prochainement. C'est pourquoi j'ai proposé à Mme Michèle André, présidente de la commission des finances, que cette commission et la délégation aux entreprises puissent ensemble prendre connaissance de ses résultats.

Je vous remercie, madame la présidente, d'avoir accepté cette proposition et je vous cède la parole.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. - Je vous remercie, madame la présidente de la délégation aux entreprises, d'associer la commission des finances à la présentation de l'étude, menée par le cabinet Taj, sur l'impact, pour les entreprises, du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu. Vous l'avez dit, le Gouvernement a annoncé son souhait de reporter d'un an l'entrée en vigueur de ce dispositif. La commission des finances aura à se prononcer très rapidement sur cette question, dans le cadre de la demande d'habilitation à légiférer par ordonnance.

La direction générale des finances publiques (DGFiP), que nous avons entendue, a mobilisé des moyens importants pour mettre en oeuvre la modernisation du prélèvement et de la gestion de l'impôt, dans le but de faciliter la vie des Français. Nous avons pu constater avec quel sérieux elle prépare cette réforme. On avait annoncé aux acteurs économiques et aux ménages une « année blanche » en 2017, qui sera donc reportée. Quoi qu'il en soit, les esprits se préparent, et M. le rapporteur général a lui-même travaillé sur ce sujet.

La décision de reporter d'un an la mesure doit être étayée de manière précise. C'est tout l'intérêt de cette audition, qui devrait nous permettre de nourrir nos analyses et d'apaiser certaines inquiétudes.

Me Nicolas Meurant, avocat associé au cabinet Taj. - Nous avons réuni une équipe pluridisciplinaire d'avocats fiscalistes et d'économistes, pour étudier deux aspects principaux de la réforme : premièrement, son coût pour les entreprises et, deuxièmement, le « ressenti » qu'elle provoque, un certain nombre de salariés et d'entrepreneurs étant déjà relativement bien informés en la matière.

Me Annaïg Delannay, avocate au cabinet Taj. - Le prélèvement à la source prendra deux formes : soit une retenue à la source effectuée par le débiteur sur les salaires, pensions et rentes viagères ; soit le paiement d'un acompte contemporain, qui sera acquitté directement par le contribuable pour un certain nombre d'autres revenus. Nous nous préoccuperons exclusivement aujourd'hui de la retenue à la source, effectuée par l'employeur sur les revenus d'emploi.

L'employeur est au coeur du dispositif mis en place par la législation, et ce à plusieurs titres. Ainsi, lors du recrutement d'un salarié, l'employeur devra en informer l'administration, en communiquant le numéro fiscal de référence du collaborateur, ainsi qu'un certain nombre d'informations le concernant, afin de permettre à l'administration fiscale, grâce à un fichier de données collectif, d'utiliser une grille de concordance permettant de déterminer le taux applicable au contribuable. Celui-ci sera ensuite communiqué à l'employeur, via la déclaration sociale nominative (DSN), ou le dispositif « prélèvement à la source pour les revenus autres » (PASRAU) pour les employeurs qui ne seraient pas à la DSN. L'employeur, sur la base de ce taux, procédera à la collecte de l'impôt, qu'il reversera à l'administration fiscale par télérèglement.

Toutefois, l'employeur n'est pas l'interlocuteur du salarié dans le cadre de la détermination du taux applicable pour la retenue à la source. Si le contribuable souhaite se voir appliquer un taux particulier, à charge pour lui de contacter l'administration fiscale via le site impots.gouv.fr, pour demander l'application soit d'un taux neutre soit d'un taux destiné à moduler sa situation personnelle.

Point important, le taux appliqué pendant les huit premiers mois de l'année est basé sur les revenus de l'année N-2, tandis que le taux appliqué pendant les quatre derniers mois de l'année est basé sur les revenus de l'année N-1, bien qu'il s'agisse d'une retenue à la source contemporaine de la perception du revenu. Un mécanisme de transition a été mis en place pour l'année d'instauration de la retenue à la source, afin d'éviter un double versement de l'impôt par les contribuables, sur les revenus à la fois de l'année antérieure et de l'année en cours. Il s'agit du crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement (CIMR), qui ne s'appliquera qu'aux revenus non exceptionnels du collaborateur. Il existe de grandes inquiétudes concernant ce point dans les entreprises : quels revenus seront considérés comme « exceptionnels » ou « non exceptionnels » ?

Un mécanisme de rescrit a été prévu : les employeurs pourront solliciter de l'administration la confirmation du traitement applicable à une rémunération variable donnée. Néanmoins, il existe des incertitudes, notamment pour ce qui concerne un nouveau type de gratifications, labellisées gratifications surérogatoires.

Bien entendu, les revenus qui ne donneront pas droit à un crédit d'impôt feront l'objet d'une imposition selon les modalités standard, à savoir une déclaration l'année N+1.

Me Nicolas Meurant. - Pour ce qui concerne l'année de transition, la loi a prévu une période plus longue - elle passe de trois ans à quatre ans - pour procéder à un contrôle fiscal.

M. Julien Pellefigue, économiste associé au cabinet Taj. - Nous avions pour mission d'évaluer le coût total de la mesure pour les entreprises. Nous nous sommes donc efforcés de répondre aux quatre questions suivantes : quel serait le coût administratif de la collecte pour l'entreprise ? Quel serait l'impact de la mesure sur les négociations salariales et, donc, sur la dynamique des salaires ? La possibilité, pour les très petites entreprises (TPE), de conserver pendant trois mois l'impôt prélevé, est-elle de nature à faciliter leur financement ? Quel serait l'effet de la mesure sur les relations sociales au sein de l'entreprise ?

Nous avons procédé par sondage, en soumettant à un grand nombre d'entreprises un questionnaire. Nous avons obtenu 482 réponses, émanant d'entreprises de toutes tailles, ce qui est satisfaisant d'un point de vue statistique. Nous avons complété l'analyse quantitative par des entretiens téléphoniques lorsque cela est apparu nécessaire. Nos conclusions, tirées de ce questionnaire, reflètent, pour l'essentiel, l'opinion des entreprises sur le prélèvement à la source. Toutefois, ces dernières se sont avérées incapables de répondre à un certain nombre de questions. Cela s'explique par leur manque de préparation sur certains sujets. Une majorité écrasante d'entreprises sont finalement mal informées. Ainsi, pour les questions auxquelles les entreprises ont été incapables de répondre, nous avons procédé à des estimations.

S'agissant du coût administratif de la collecte supporté par les entreprises, nous l'avons estimé à 1,2 milliard d'euros l'année de la mise en place du prélèvement à la source. Quant au coût récurrent, il devrait atteindre 100 millions d'euros. À souligner, le coût de la réforme sera supporté à 70 % environ par les TPE, dont le nombre, je le rappelle, s'élève à 1,6 million.

L'effet de la mesure sur les salaires est une question beaucoup plus complexe. Selon la théorie économique orthodoxe, le prélèvement à la source ne devrait avoir aucun effet sur le comportement des agents économiques, dans la mesure où le montant de l'impôt n'est pas modifié, seul le calendrier de paiement étant en cause. Toutefois, l'expérience nous enseigne une autre leçon : lorsque le président Bush, en 1992, avait décidé de réduire le taux de prélèvement à la source appliqué par les entreprises, et, en compensation, d'augmenter le paiement final, on avait anticipé qu'une telle mesure n'aurait aucun effet sur la consommation or, en réalité, tel n'a pas été le cas. Un certain nombre de ménages ont consommé davantage chaque mois. Par conséquent, une partie des ménages sont surtout sensibles au montant de leurs revenus mensuels disponibles, en fonction duquel ils prennent leurs décisions de consommation. Si nous extrapolons ce résultat au prélèvement à la source qui sera mis en place en France, nous pouvons craindre que la mesure ne suscite auprès des ménages un sentiment d'appauvrissement, créant des conséquences négatives non seulement sur leur consommation, mais affectant aussi, à terme, les négociations salariales. Une telle analyse est partagée par l'ensemble des entreprises que nous avons interrogées. Toutefois, les éléments dont nous disposons sont tout à fait insuffisants pour démontrer avec certitude que le prélèvement à la source aurait un tel effet négatif.

J'en viens à la question de l'impact de la mesure sur le financement des très petites entreprises, donc des entreprises de moins de 10 salariés. La réforme prévoit en effet que celles-ci pourront conserver l'impôt dans leur trésorerie, ne le reversant au Trésor que tous les trois mois. Nous avons pris l'exemple d'une très petite entreprise représentative de l'économie française, employant 2,1 employés gagnant chacun environ 30 000 euros annuels. Leur impôt sur le revenu s'élève ainsi à 2 730 euros par an, soit 228 euros par mois. Pour 2,1 employés environ, cette TPE aurait donc 478 euros de plus dans sa trésorerie. Si l'on considère le taux d'intérêt moyen sur les découverts bancaires, qui est aujourd'hui de 2,5 %, le gain financier pour les entreprises atteint environ 12 euros par an, soit un montant tout à fait négligeable, qui n'est pas de nature à avoir le moindre effet sur la problématique du financement des TPE.

Me Nicolas Meurant. - Nous avons également identifié des effets psychologiques, dont nous avons tiré trois enseignements principaux.

Tout d'abord, malgré la volonté que l'entreprise ne soit pas le contact direct du salarié-contribuable, la crainte que celle-ci ne s'immisce dans la vie privée des salariés est très présente. À cet égard, permettez-moi de rappeler ce qu'est le taux neutre. Il s'agit, par définition, du taux que le contribuable demandera à l'administration de faire appliquer, à la place du taux correspondant à son niveau de rémunération. Autrement dit, l'existence du taux neutre, louable possibilité prévue par la loi, indiquera immédiatement aux employeurs que le salarié n'est pas dans une situation ordinaire, c'est-à-dire qu'il a des revenus personnels significatifs au regard de ses revenus professionnels.

Plus surprenant, on s'aperçoit que les entreprises s'attendent à ce que la diminution de la rémunération nette indiquée au bas du bulletin de paye des salariés conduise à une augmentation des revendications salariales.

Enfin, un sujet nous préoccupe au premier chef en tant qu'avocats fiscalistes : la possible mise en cause de la responsabilité de l'employeur par le salarié, si d'aventure, dans le cadre de l'année de transition, ce dernier ne percevait pas en septembre 2019 un crédit d'impôt effaçant l'impôt sur les revenus exceptionnels de l'année de transition. Ce point a fait l'objet d'échanges avec les représentants de l'administration. En l'état actuel des choses, il n'existe pas de définition des revenus exceptionnels de l'année de transition. On peut donc tout à fait s'attendre à ce que le salarié reproche à son employeur d'avoir signalé à tort à l'administration que telle partie de sa rémunération variable était exceptionnelle.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. - Je remercie la délégation aux entreprises d'avoir abordé spécifiquement cette question de l'impact du prélèvement à la source sur les entreprises. La commission des finances y a elle-même déjà beaucoup travaillé, menant des auditions à l'occasion desquelles tous, syndicats comme entreprises, s'étaient prononcés à l'unanimité contre la réforme proposée. Le Sénat avait également amendé le projet de loi de finances pour 2016, y introduisant l'exigence de la remise par le Gouvernement d'un rapport sur les solutions alternatives au prélèvement à la source.

Le rapport que j'ai moi-même rédigé au nom de la commission des finances apportait, sur ces questions, des éclairages importants, et l'étude commandée par la délégation aux entreprises complète utilement, s'agissant de l'impact direct sur les entreprises, le travail déjà effectué. Le Gouvernement vient d'ailleurs de suspendre l'application du prélèvement à la source ; plusieurs options restent sur la table. Le débat arrive donc à point nommé.

À étudier les tentatives passées, très nombreuses et toutes infructueuses, de mise en place du prélèvement à la source, on constate que les commentaires qui accompagnèrent ces échecs, et notamment ceux du Sénat en 1973, pourraient être aujourd'hui repris mot pour mot, concernant par exemple l'effet psychologique de la baisse du montant net figurant sur le bulletin de paie. Toutes les analyses alors produites gardent leur pertinence. Notre système fiscal est complexe, d'une complexité compensée par des outils informatiques très performants ; il repose sur le quotient familial et l'imposition par foyer. On tente de plaquer sur ce système conjugalisé un dispositif individualisé ; c'est la raison des échecs successifs d'une telle réforme en France.

Je poserai deux questions. D'abord, pourquoi tous ces efforts ? Le taux de recouvrement de l'impôt sur le revenu est, en France, parmi les plus élevés au monde ; un seul et unique problème se pose : l'imposition se fait sur la base des revenus de l'année N-1. C'est le seul inconvénient du système en cours.

J'ai proposé, au nom du Sénat, que soit institué un prélèvement contemporain de l'impôt, fondé sur la transmission instantanée, par les entreprises, des informations relatives aux salaires, le prélèvement étant effectué non par les entreprises, mais par l'administration fiscale. Si un changement de situation survient, qu'il s'agisse d'une naissance ou d'un divorce, il suffirait au salarié de le mentionner sur le portail dédié, le prélèvement étant adapté dès le mois suivant.

D'où ma question : l'outil existant de transmission des données sociales, à savoir la déclaration sociale nominative (DSN), vous semble-t-il suffisamment performant pour alimenter en temps réel la direction générale des finances publiques (DGFiP) ? Avec le système que je propose, la relation se ferait bel et bien et uniquement entre contribuables et administration, mais sur une base actualisée en temps réel, celle du revenu du mois précédent, et non de l'année précédente !

Deuxième remarque : je voudrais nuancer ce que vient de dire Julien Pellefigue. Il a affirmé qu'il revenait au même, en théorie, du point de vue du contribuable, d'être prélevé automatiquement chaque mois sur son compte bancaire ou directement sur sa fiche de paie. Non ! En cas de retenue à la source, le calcul du prélèvement ne tient pas compte de certains crédits et réductions d'impôt : le contribuable avance les sommes. Il existe donc bien un effet de trésorerie, lequel n'est pas négligeable. En particulier, l'impôt payé aujourd'hui l'est après déduction d'une partie des dépenses liées, par exemple, à l'emploi d'un salarié à domicile, ou à des dons aux oeuvres. Le contribuable aura donc moins d'argent à consacrer à la générosité publique chaque mois.

Vu la manière dont le prélèvement à la source est aujourd'hui conçu, le contribuable se retrouverait donc à alimenter la trésorerie de l'État. Ce n'est pas neutre du tout ! Le revenu disponible diminuerait d'autant.

Me Nicolas Meurant. - À votre première question, j'apporterai une réponse directe. Chaque année, au 1er février, par voie dématérialisée, les administrations fiscale et sociale disposent d'une vision complète des rémunérations perçues l'année précédente par le contribuable, ce qui permet notamment de préremplir le montant de la rémunération imposable sur les formulaires.

On pourrait tout à fait imaginer qu'après réception de ces données via la déclaration sociale nominative, l'administration calcule un taux d'imposition, par exemple sur la base de la rémunération nette imposable des trois dernières années. Les outils pour le faire existent ; les ajustements nécessaires seraient minimes.

Une remarque, toutefois : le système en voie d'être suspendu ne permet toujours pas de régler la question de l'imposition sur la base des revenus de l'année précédente. Deux taux d'imposition, en effet, seront communiqués ; du 1er janvier au 31 août, c'est bien toujours le taux calculé sur la base des revenus de l'année précédente qui sera appliqué. C'était pourtant le point technique qui posait problème dans la collecte de l'impôt.

S'agissant de votre deuxième question, le fiscaliste que je suis ne peut que vous rejoindre. On peut tout à fait concevoir que le taux soit calculé sur la base du dernier montant d'impôt connu par l'administration fiscale, et non sur celle du revenu net avant imputation des crédits d'impôt. Un certain nombre d'associations reconnues d'utilité publique nous ont fait part de leur inquiétude s'agissant d'une probable baisse conséquente des dons durant les années de transition.

M. Julien Pellefigue. - Sur la non-neutralité du dispositif, je suis d'accord ; je faisais référence à la théorie du revenu permanent, enseignée à l'université, qui indexe le comportement des agents non pas sur leur revenu de l'année, et encore moins sur leur trésorerie, mais sur leurs anticipations de revenus futurs. Dans le monde merveilleux de l'économie théorique, cette mesure, dont l'effet porte simplement sur la trésorerie, n'aurait donc aucune incidence sur le comportement des agents. En réalité, évidemment, les choses sont plus complexes. De nombreux exemples prouvent la non-neutralité de la mesure sur les agents, et pas seulement sur ceux, d'ailleurs, pour qui la contrainte de liquidité est forte.

Je suis donc d'accord avec vous !

Me Annaïg Delannay. - S'agissant des revenus de 2015, par exemple, 58 % des contribuables sont d'ores et déjà mensualisés. Pour eux, compte tenu de la mensualisation de l'impôt, l'écart entre le chiffre figurant au bas de leur bulletin de paie et la somme qui sera réellement à leur disposition ne devrait donc pas être significatif.

M. Thierry Carcenac. - La question posée est celle de l'impact sur les entreprises. Nous n'allons pas refaire le débat que nous avons déjà eu sur le prélèvement à la source ! Ce qui me préoccupe, c'est le coût pour les entreprises. Que va-t-il se passer ?

Nos entreprises ont déjà l'habitude de faire des déclarations de taxe sur la valeur ajoutée. Ce n'est pas nouveau ! Par ailleurs, des éléments de simplification ont été mis en oeuvre, notamment via la déclaration sociale nominative (DSN). On sait quelles sont les entreprises, notamment des très petites entreprises, qui auraient dû se mettre en règle eu égard au dispositif de la DSN, mais ne l'ont toujours pas fait. Une estimation de leur nombre est donc disponible.

La mise en place de la DSN revient à supprimer 24 déclarations sociales. Il y a donc eu un coût initial de mise aux normes informatique ; je suppose que tous les éditeurs de logiciels s'y sont mis. A-t-on une idée du coût de cette mise aux normes pour les entreprises ?

Je lisais l'autre jour un article du Figaro daté du 16 juin dernier : « Social : pari gagné ! Après quatre ans de travail acharné, la DSN est désormais entrée en vigueur dans 1,5 million d'entreprises, soit 98 % des entreprises ciblées. » Quelles sont les pénalités prévues pour les TPE, les entreprises de moins de dix salariés, qui ne mettraient pas en oeuvre la DSN ? Je suis président d'un conseil départemental ; à ce titre, je connais une mutuelle qui versait jusqu'en 1992 des retraites aux anciens conseillers départementaux ; elle emploie toujours un salarié. On m'a parlé d'une pénalité de 16 euros par mois en cas de manquement à l'obligation de déclaration informatisée.

Une expérimentation grandeur nature aura lieu en juillet 2017. Je suppose que le Gouvernement attendra les résultats de cette expérimentation pour prendre de nouvelles décisions.

S'agissant du gain de trésorerie lié à la déclaration trimestrielle, il existe déjà pour la taxe sur la valeur ajoutée ; l'effet est négligeable. Chaque fois qu'un dispositif est modifié, tout le monde s'affole. Attendons de voir !

M. Julien Pellefigue. - L'étude donne des détails sur la manière dont nous avons calculé le coût supplémentaire qui sera supporté par les entreprises. Quatre postes de coût ont été identifiés.

Le plus important est le coût de mise à niveau du système de paie lui-même ; il s'avère néanmoins, en définitive, relativement faible, en raison de la mise en oeuvre de la déclaration sociale nominative. Les prestataires de services de paie ont déjà effectué la mise à niveau des logiciels ; la retenue à la source de l'impôt sur le revenu présente donc un coût incrémental assez faible. Les frais occasionnés par la réforme seraient essentiellement des coûts de service, liés aux questions posées par les entreprises à leur prestataire de paie, et non à une augmentation des tarifs du prestataire.

Le deuxième poste de coût concerne la communication interne - les entreprises vont mettre en oeuvre des démarches d'information auprès de leurs salariés, ce qui pèsera sur leur budget-temps.

Les deux derniers postes sont un peu plus techniques.

Me Nicolas Meurant. - L'un concerne l'année de transition : pour accompagner et rassurer les salariés sont prévues des opérations de rescrit, c'est-à-dire de demande préalable auprès de l'administration.

M. André Gattolin. - Nous connaissons !

Me Nicolas Meurant. - Enfin, dernier poste de coût, le traitement des salariés en situation de mobilité internationale : le dispositif repose sur la déclaration sociale nominative (DSN), laquelle fonctionne à merveille pour les salariés en France sous contrat français, mais beaucoup plus mal pour ceux qui se trouvent en situation de mobilité internationale. Or la France est le troisième pays émetteur de salariés détachés au sein de l'Union européenne, et le troisième pays importateur de salariés détachés en provenance de l'Union. Ces salariés ne font pas l'objet d'une DSN ; pour autant, ils auront le statut de résidents fiscaux, et leur employeur sera bien soumis à l'obligation de retenue à la source.

Me Annaïg Delannay. - Concernant les entreprises dans lesquelles existe un important turn-over de collaborateurs, lorsque le contrat à durée déterminée est d'une durée inférieure à deux mois, l'employeur a la charge d'appliquer un abattement de 10 % sur l'assiette du revenu imposable, ce qui requiert une intervention supplémentaire de sa part dans le cadre du calcul du prélèvement à la source.

Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises. - Votre commande avait pour sujet l'impact sur les entreprises. Au nombre des employeurs français, néanmoins, comptent également l'État et les collectivités territoriales. Avez-vous une idée de l'effet d'une telle mesure sur ces acteurs ? Serait-il à peu près similaire à celui que vous avez mesuré pour les entreprises ?

Me Nicolas Meurant. - Les coûts de gestion devraient augmenter dans les mêmes proportions, étant entendu que les logiciels utilisés par les collectivités sont parfois, mais pas toujours, aussi performants que ceux dont sont équipées les entreprises. Lorsqu'une contrainte nouvelle oblige à repenser intégralement le logiciel de paie, le surcoût est difficile à quantifier.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. - Le sujet avait été traité de manière approfondie par la commission des finances, laquelle dispose désormais, en la matière, de bonnes connaissances, que les apports de cette étude achèvent de compléter. Fort de ces éclairages, le Gouvernement s'est mis au travail. Que faudra-t-il changer ? Nous verrons cela en séance, au cours de la deuxième quinzaine de juillet. La commission des finances sera saisie et fera des propositions, comme l'a déjà évoqué le rapporteur général.

Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises. - Le Gouvernement pourra en effet utiliser cette étude pour finaliser son texte ; quant à nous, parlementaires, nous pourrons intervenir dans les discussions, éventuellement par voie d'amendement.

La réunion est close à 15 h 55.