Mercredi 21 mars 2018

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Audition de M. Pierre-Louis Bras, président du Conseil d'orientation des retraites (COR), et de Mme Yannick Moreau, présidente du Comité de suivi des retraites (CSR)

M. Alain Milon, président. - Nous ouvrons un cycle d'auditions destiné à préparer la réforme des retraites annoncée par le Gouvernement, afin de mieux comprendre à la fois notre système de retraite actuel et les enjeux d'une telle réforme. J'ai en effet souhaité que notre commission se saisisse en amont de ce sujet complexe.

Notre collègue René-Paul Savary, rapporteur « assurance vieillesse » de la commission, a été désigné en décembre dernier, dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss), rapporteur de la mission d'information visant à examiner les conditions de réussite d'une réforme systémique des retraites. Il mène actuellement, avec notre rapporteur général Jean-Marie Vanlerenberghe, une série de déplacements, qui les ont conduits à Rome, à Stockholm et Copenhague avant Berlin au mois d'avril. Ils sont accompagnés pour ces voyages d'étude du Haut-Commissaire à la réforme des retraites Jean-Paul Delevoye et de la députée Corinne Vignon, membre de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. Notre commission organise également, le 19 avril prochain, un colloque sur la réforme des retraites réunissant des experts français et étrangers. Il sera ouvert par le Président du Sénat et la ministre de la santé et des solidarités Agnès Buzyn. Je vous invite à y assister car le programme est riche et les tables rondes devraient être particulièrement intéressantes.

Nous accueillons Yannick Moreau, présidente du Comité de suivi des retraites (CSR), et Pierre-Louis Bras, président du Conseil d'orientation des retraites (COR). Depuis la réforme des retraites de 2014, le CSR rend chaque année un avis, s'appuyant sur le rapport annuel du COR, pour évaluer si notre système de retraite remplit les objectifs qui lui sont assignés par la loi : pérennité financière, niveau de vie suffisant des retraités et équité du système. Pour la première fois cette année, le CSR a formulé une recommandation estimant, sur le fondement des projections du COR de juin 2017, que l'objectif de pérennité financière n'était pas assuré. À l'automne, le COR a publié de nouvelles projections plus favorables qui ont pu susciter une certaine incompréhension.

Aussi, j'ai souhaité vous inviter conjointement pour présenter d'abord les missions de vos instances respectives et l'articulation entre vos rapports annuels qui résulte de la loi ; ensuite pour aborder les dernières projections financières du COR pour notre système des retraites et les éventuelles conclusions que pourrait en tirer le CSR - des recommandations plus précises que celles de cette année pourraient-elles être formulées ? - ; pour évoquer enfin les autres objectifs que représentent l'équité et le niveau de vie des retraités. Nous consacrons chaque année 14 % de notre richesse nationale au financement des retraites : ces 330 milliards d'euros sont-ils bien employés ?

M. Pierre-Louis Bras, président du Conseil d'orientation des retraites (COR). - Le COR, créé au début des années 2000, regroupe des parlementaires (quatre députés et quatre sénateurs), des représentants des partenaires sociaux (les syndicats de salariés, ainsi que les trois principales fédérations d'employeurs auxquelles s'ajoutent un représentant de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles et de l'Union nationale des professions libérales), les administrations concernées par le dossier des retraites (directions du budget et de la sécurité sociale notamment), ainsi que des personnalités qualifiées. L'instance a pour mission d'établir un diagnostic partagé sur la situation des retraites. Il aurait en effet été présomptueux d'attendre une prise de position commune sur d'éventuelles mesures, compte tenu de la diversité du conseil. Le COR, sous l'impulsion de sa première présidente Yannick Moreau, a d'abord produit des rapports réguliers, puis, en application de la loi du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraite, un rapport annuel au 15 juin rendant compte de la situation du système de retraite au regard des objectifs de pérennité financière, d'équité et de niveau de vie des retraités fixés par la loi. En aval de la publication de ce rapport intervient le CSR.

Mme Yannick Moreau, présidente du Comité de suivi des retraites (CSR). - Le COR a été créé dans un contexte historique particulier. Après la réforme de 1993, puis les mouvements sociaux de 1995, la reprise du dialogue fut difficile. Le rapport de Jean-Michel Charpin au Premier ministre pour le commissariat général au plan, commis en 1999 après huit mois de travaux auxquels les syndicats ont été associés dans des conditions discutables, fut ainsi l'occasion d'un désaccord profond sur les chiffres. Le rapport réalisé par René Teulade pour le Conseil économique et social, publié en janvier 2000, annonce d'ailleurs, à rebours de celui de Jean-Michel Charpin, qu'il n'est nul besoin de financement supplémentaire pour le système de retraite. Il est alors apparu nécessaire de disposer d'un organisme permanent chargé de réaliser un diagnostic partagé et des projections banalisées et dépolitisées, indépendamment des études demandées par l'exécutif. Le COR a parfaitement rempli cette mission, malgré des désaccords en son sein sur les solutions à apporter. Pourquoi, dès lors, créer le CSR ?

Lorsque j'ai piloté la commission en charge de la préparation de la réforme des retraites de 2014, à laquelle il était demandé d'établir trois scénarii permettant de réaliser, à court terme, 8 milliards d'euros d'économies, ainsi que de dresser des perspectives de long terme, j'ai réalisé, en m'entretenant notamment avec Didier Blanchet, un expert émérite, à quel point le système de retraite était dépendant de la croissance économique. La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites avait, à juste titre, prévu un rythme quinquennal de réforme des retraites, qui, en réalité, ne correspond pas forcément au temps politique. Les réformes ont donc été réalisées de manière plus erratique. Les régimes spéciaux - on l'oublie trop souvent - ont ainsi été réformés par décret en 2007, et ce pour la première fois. La loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, dans un contexte de crise économique, visait ensuite à répondre à un besoin de financement, qui apparaissait alors considérable. Mais, si une réforme d'envergure n'intervient pas tous les cinq ans, des ajustements, sur les avantages familiaux ou les pensions de réversion par exemple, devraient pouvoir être réalisés facilement, via notamment le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Tel n'est malheureusement pas le cas, les politiques ne faisant pas montre d'un goût immodéré pour réformer au long cours les retraites : lorsqu'ils réussissent à imposer une réforme, ils n'ont guère envie d'y revenir.

Le COR est chargé d'apporter des données fiables au débat - son moteur de recherche est d'ailleurs de grande qualité -, mais les partenaires sociaux qui composent une partie de son collège ne veulent pas en faire pour autant un instrument d'alerte ni de proposition de mesures. Ils préfèrent en effet dialoguer directement de ces questions avec l'exécutif. Seuls les experts, à condition qu'ils demeurent à leur place, peuvent jouer le rôle d'alerte du Gouvernement ; tel est le rôle du CSR et la raison de sa création. Il s'appuie sur les données, par nature légitimes, publiées dans le rapport annuel du COR sur les indicateurs fixés en fonction des objectifs assignés au système de retraite par la loi de 2014. Si les indicateurs apparaissent préoccupants, le CSR fait une recommandation au Gouvernement, qui se doit alors d'agir. Pendant quatre ans, il a estimé qu'il n'y avait pas motif à recommandation, sauf s'agissant des régimes de retraites complémentaires, qui dépendent des partenaires sociaux, point qu'il a signalé au Gouvernement. En revanche, en 2017, en raison de la modification des hypothèses démographiques de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), que le COR prend comme base à raison, le rapport du COR a fait apparaître de nouveaux besoins de financement, conduisant le CSR à faire une recommandation au Gouvernement, assortie néanmoins de larges marges de manoeuvre s'agissant du calendrier et des solutions à apporter.

Notre avis a été rendu en juillet 2017 alors que le nouveau Gouvernement venait d'entrer en fonction en annonçant une vaste réforme des retraites. Formuler une recommandation précise nous est alors apparu hors de propos.

Le Gouvernement doit, désormais, suivre notre recommandation ou expliquer son choix s'il venait à préférer l'immobilisme. Au-delà de cette recommandation, le CSR s'est senti libre également de transmettre certaines observations, sans qu'elles n'aient toutefois de valeur juridique. Le CSR aurait en réalité pu se nommer « comité de pilotage », mais le Président de la République de l'époque ne souhaitait pas heurter les partenaires sociaux. Quoi qu'il en soit, nos travaux représentent la première version d'un pilotage nécessaire du système de retraite.

M. Pierre-Louis Bras. - Le rapport du COR publié en juin 2017, que je vais essayer de vous résumer par plusieurs documents graphiques, propose de nouvelles hypothèses de projection sur le fondement des données démographiques modifiées par l'INSEE en 2016 et des prévisions économiques régulièrement revues par la direction du trésor. Notre rapport de 2016 reposait sur des données de l'Insee datant de 2010, qui prévoyait un indice de fécondité de 1,95 enfant par femme, une espérance de vie à la retraite de 32,3 ans pour les femmes et de 28 ans pour les hommes en 2060 et un solde migratoire positif de 100 000 personnes par an. Désormais, si l'indice de fécondité est demeuré identique, l'Insee prévoit une espérance de vie à la retraite de 32,5 ans en 2060 et de 33,6 ans en 2070 pour les femmes, ces chiffres s'établissant respectivement à 29,7 ans et à 31 ans pour les hommes. Pour mémoire, ils atteignaient, en 2010, 27,8 ans pour les femmes et 23,2 ans pour les hommes. Quant au solde migratoire annuel, il est revu à la baisse à 70 000 personnes, mais il reste particulièrement délicat à prévoir à long terme dans la mesure où il dépend grandement de décisions politiques. Il peut, en outre, être observé un recul régulier du ratio de dépendance démographique (ratio entre actifs et personnes à la retraite), qui marque un changement fondamental d'équilibre entre générations et pèse lourdement sur notre système de retraite.

Les hypothèses économiques réalisées par la direction du trésor sont au coeur de nos projections, dans la mesure où notre système de retraite est étroitement corrélé à la croissance : les pensions sont indexées sur les prix, tandis que les recettes dépendent des salaires. La croissance est elle-même envisagée en fonction de la double évolution de la productivité horaire du travail et de la population active. Entre les mois de juin 2016 et de novembre 2017, les hypothèses économiques relatives au PIB effectif et potentiel - c'est-à-dire corrigé des effets de conjoncture -, comme à l'écart de production, ont évolué et déjà, les nouveaux chiffres sont caducs dans la mesure où l'Insee a prévu une croissance de 2 % du PIB en 2017, contre 1,7 % envisagé initialement. La croissance du PIB potentiel ayant, selon les données de l'automne 2017, été revue à la baisse (1,25 % au lieu de 1,4 % par exemple pour 2018), les résultats de nos projections en ont été fortement dégradés. Sur la base d'une estimation du taux à chômage de 7 % et d'une évolution variable du PIB en volume, le COR a établi une estimation de la croissance annuelle de la productivité après 2032 allant de 1 % à 1,8 % selon quatre scénarii. Le même exercice a été réalisé en faisant varier le taux de chômage à 4,5 % et à 10 %. Ces projections font l'objet de vifs débats entre économistes selon le poids donné par chacun à la révolution des technologies de l'information et de l'intelligence artificielle sur la croissance et à ses conséquences sur le taux d'emploi. Si les hypothèses économiques, établies par consensus entre les membres du COR, se veulent raisonnables, reste que nul ne peut prédire avec certitude l'évolution démographique, le rythme du progrès technique et, partant, la variation de la productivité du travail. De fait, le choix d'une hypothèse de référence pour fonder une éventuelle réforme du système de retraite ressort d'une responsabilité politique, le COR se contentant de fournir un spectre des possibles pour permettre de discuter ce choix.

Les perspectives financières du système de retraite dépendent à la fois de l'évolution de ses dépenses et de ses ressources. Dans le scénario le plus défavorable établi par le COR, selon lequel la croissance annuelle de la productivité se limiterait à 1 % après 2032, les dépenses de retraites, qui représentent actuellement 14 % de la richesse nationale, atteindraient 14,5 % du PIB en 2070. Dans les trois autres scénarii, la charge des retraites diminue, jusqu'à 11,7 % du PIB selon les prévisions les plus optimistes. Ce résultat dépend d'un double déterminant : la pension moyenne relative au revenu d'activité (de 52 % en 2017, elle pourrait reculer, selon les scénarii, entre 33 % et 41 % en 2070), et le rapport entre les effectifs des cotisants et ceux des retraités de droit direct, qui pourrait passer de 1,74 % à 1,27 % sur la période. De fait, même dans le scénario le plus défavorable, les dépenses de retraites ne dérapent pas, grâce aux réformes réalisées ces dernières années : l'indexation des pensions sur les prix, l'augmentation de l'âge de la retraite et le durcissement des conditions de départ.

Les ressources du système de retraite (13,8 % du PIB aujourd'hui) devraient diminuer en proportion dans les années à venir, pour s'établir entre 12,7 % et 12,8 % à taux de cotisations constant. Cette relative stabilité pourrait en revanche être remise en cause sous l'effet de mouvements de structure majeurs. Les ressources sont en effet déterminées à la fois par le taux de prélèvement sur l'ensemble des revenus d'activité des secteurs public et privé (31,2 % en 2017, puis entre 28,8 et 29,2 % en 2070) et par la part de la fonction publique dans la masse salariale totale, qui pourrait chuter de 11,1 % à 8,3 % sur la période. Dès lors, dans la mesure où les taux de cotisations de la fonction publique, notamment de la contribution des employeurs, est supérieur à celui du privé, tout recul de la proportion de fonctionnaires au sein de la population active fragilise les ressources du système de retraite. Or, le Gouvernement prévoit une diminution de 120 000 du nombre d'agents publics et une évolution des traitements moins dynamique que dans le privé.

Le solde financier du système de retraite, soit la différence entre le niveau de dépenses et le niveau de ressources, est en 2017 de - 0,2 % du PIB. Il pourrait varier selon les scénarii, de + 1 % à - 1,7 % en 2070, dans l'éventualité où la contribution de l'État au financement du système diminuerait de 2,1 % à 1,4 % du PIB compte tenu de l'évolution à la baisse du nombre de fonctionnaires. Si elle était maintenue au niveau actuel de 2,1 % du PIB, le solde financier s'établirait, en revanche, entre + 1,7 % et - 1 %, toujours selon les scénarii de croissance de la productivité au travail, un seul scénario (1 % de croissance de la productivité) prévoyant alors un solde négatif, contre deux (1 % et 1,3 %) dans l'hypothèse précédente. La variation du solde financier du système de retraite est, en outre, sensible au taux de chômage envisagé à partir de 2032. En conséquence, quand la réflexion publique et les commentaires journalistiques se concentrent sur le niveau du solde, il faut avoir à l'esprit qu'il dépend en réalité très largement d'hypothèses relatives à la fonction publique et à la contribution de l'État aux retraites. La question de la part des dépenses destinées au financement des retraites dans le PIB me semble donc plus pertinente : quel effort doit-on demander aux actifs pour financer les retraites ? En effet, si les dépenses de retraite ne dérapent plus, voire se réduisent dans la majorité de nos scénarii, cela ne signifie nullement qu'elles se situent à un niveau satisfaisant. Deux éléments permettent d'apprécier ce niveau : d'une part, l'effet économique de l'effort demandé aux actifs sur le coût et l'incitation au travail et, d'autre part, le rapport entre dépenses de retraite et préférence sociale de la population pour tel ou tel système. En d'autres termes, combien les actifs seraient-ils prêts à cotiser, pour quelle durée et pour quel montant de pension ? La réponse à ces questions est, certes, économique, mais surtout éminemment politique.

M. René-Paul Savary, rapporteur. - Votre présentation, monsieur Bras, montre bien la complexité du système. Pourriez-vous nous préciser les différences de fonctionnement entre le régime par points et celui en comptes notionnels par rapport au système par répartition en annuités que nous connaissons ? Quels sont les avantages et les risques respectifs de ces différents régimes ? Nous avons pu observer en Suède, où cohabitent un régime de base en comptes notionnels et des régimes complémentaires, la nécessité, pour les salariés, de réaliser pour leur retraite un important effort de capitalisation. Qu'en pensez-vous ? Un récent rapport conteste les conclusions du COR sur les niveaux de conversion entre retraites du public et du privé. Quelle est votre opinion sur ce point ? Enfin, madame Moreau, avez-vous, depuis le rapport du CSR de novembre dernier, de nouvelles recommandations à formuler en faveur d'un retour à l'équilibre du système de retraite ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Monsieur Bras, à combien estimez-vous, en milliards d'euros annuels, le besoin de financement du système de retraite ? Nous parlons de milliards d'euros dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le Gouvernement considère que l'équilibre est atteint, évacuant le problème du fonds de solidarité vieillesse (FSV), qui pèse tout de même près de 4 milliards d'euros. Vous avez, pour votre part, évoqué, selon plusieurs de vos scénarii, un retour à l'équilibre à l'horizon 2035 avec l'extinction progressive de la génération du baby-boom. Pensez-vous que certaines mesures devraient être prises d'ici cette échéance, notamment concernant l'âge de départ à la retraite ? Notre commission des affaires sociales avait, par le passé, préconisé de le fixer à
63 ans.

M. Jean-Noël Cardoux, président de la Mecss. - Mon constat sera pragmatique car votre présentation pose question s'agissant des prévisions de croissance et de l'évolution de la courbe démographique à long terme. Certes, les dépenses ne dérapent plus mais les pensions diminuent ! Le niveau des cotisations, celui des pensions et l'âge de départ à la retraite représentent les trois paramètres sur lesquels il est possible d'agir. Les Français sont-ils prêts à travailler plus longtemps pour préserver, voire augmenter, le niveau de leurs pensions ?

Mme Yannick Moreau. - Le CSR n'a pas toujours utilisé les mêmes critères d'appréciation que le COR. Pierre-Louis Bras vous a expliqué son approche, fondée sur les dépenses de retraite, qui pèsent sur le niveau des cotisations. La politique de l'État sur la fonction publique joue aujourd'hui à cet égard un rôle déterminant : si le nombre de fonctionnaires était réduit d'un million d'agents, le régime pourrait se trouver en faillite, les conventions du Cor dressent donc des projections à contribution constante. La réflexion du COR est extrêmement élaborée mais l'expérience montre que les pouvoirs publics raisonnement plus simplement sur le rapport entre dépenses et ressources. Compte tenu des modifications importantes des projections du COR en 2017, le CSR n'a pas jugé pertinent de faire concomitamment la pédagogie du nouvel indicateur que constitue la contribution de l'État, raison pour laquelle il s'est contenté du critère simple du déficit, qui l'a conduit à émettre une recommandation. Nous n'avons donc pas débattu de l'approche fort intéressante du COR, qui montre le caractère arbitraire du système de retraite français, dans lequel la politique salariale de la fonction publique (évolution de l'indice, prise en considération des primes, niveau des recrutements, etc.) a un effet démesuré. Lorsque l'Etat décide l'augmentation des primes et non des traitements de base, cela a un effet. J'ajoute, par ailleurs, que la retraite des fonctionnaires ne pose en réalité pas question par rapport au privé, mais entre les différentes fonctions publiques !

Évoquer le niveau de la contribution de l'État pour équilibrer les comptes constitue, à notre sens, une recommandation, mais d'autres éléments pourraient être avancés.

Pierre-Louis Bras a bien montré tout à l'heure que certaines caractéristiques du système étaient obsolètes, en tout cas très difficiles à piloter. Sincèrement, le régime de retraite des fonctionnaires est construit pour être piloté par la seule direction du budget...

M. Pierre-Louis Bras. - Ne voyez dans mes analyses aucune préconisation ! Nous présentons des constats qui donnent à chacun des éléments de réflexion. Par exemple, lorsque j'ai dit, M. Cardoux, que le niveau relatif des retraites allait baisser, je n'ai pas porté de jugement de valeur. C'est à la représentation nationale de décider entre les trois paramètres principaux (taux de prélèvement, âge de départ et niveau des pensions) : elle peut tout à fait opter pour repousser l'âge de départ, tout en maintenant les dépenses globales, ce qui permettrait de moins baisser le niveau relatif des retraités.

Pour lever toute ambiguïté et parce que cela est parfois mal repris dans les médias, j'insiste sur le fait que nous parlons bien ici du niveau relatif des retraites par rapport aux revenus : dans les quatre hypothèses dont je vous ai parlé, le niveau de vie des retraités augmentera moins vite que les revenus d'activité nets moyens, mais il sera tout de même supérieur à celui d'aujourd'hui. Il est vrai que ce n'est pas forcément ce qui préoccupe les personnes à titre individuel...

Aujourd'hui, le niveau de vie moyen des retraités atteint 106 % de celui de l'ensemble de la population ; toutes choses égales par ailleurs, il diminuera dans les années à venir pour en représenter entre 82 % et 94 %, soit l'ordre de grandeur que l'on constatait au milieu des années 1980. Le niveau de vie des retraités a rejoint celui de l'ensemble de la population dans les années 1990 et l'a dépassé depuis lors.

Pour répondre à M. Vanlerenberghe au sujet des chiffres que j'ai évoqués tout à l'heure, nous estimons que le déficit de financement des retraites s'élève aujourd'hui à 0,2 % du PIB, soit 4,4 milliards d'euros. Par ailleurs, nous préférons projeter ces chiffres en pourcentage du PIB plutôt qu'en milliards d'euros, parce que le PIB aura beaucoup évolué d'ici 2070 - il sera multiplié par au moins 1,9 - et que les milliards d'alors auront peu de sens par rapport à ceux d'aujourd'hui.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Mais des corrections sont-elles nécessaires à court terme ?

M. Pierre-Louis Bras. - Pour les années à venir, le solde financier reste plutôt stable, mais le déficit se creuse fortement ensuite, notamment parce que la croissance potentielle de l'économie française sera plus faible.

Une mesure d'âge a naturellement un effet favorable sur l'équilibre du système, si tant est qu'elle ne soit pas concomitante à une augmentation du niveau des pensions. Cet effet est très fort au début, mais diminue avec le temps, simplement parce que les retraites augmentent si les personnes travaillent plus longtemps.

Mme Yannick Moreau. - Rappelons-nous que le niveau de vie des retraités était faible dans les années 1960 et que des mesures très importantes ont été prises dans les années 1970 avec la loi Boulin ou la généralisation des régimes complémentaires, à une époque - je le signale - où il n'était pas facile de faire des projections comme celles que nous réalisons aujourd'hui. Ces mesures ont progressivement produit des effets, qui ont été très forts à partir des années 1980. Il faut ajouter qu'on ne savait pas dans les années 1970 que la durée de vie allait augmenter autant.

Les réformes adoptées depuis les années 1990 ont finalement visé à tempérer les effets des décisions antérieures pour revenir au niveau de vie moyen que l'on connaissait dans les années 1980, qui ne correspondait pas à une situation de pauvreté. C'est plutôt le niveau des années 2000 qui est quelque peu exceptionnel.

Nous devons être conscients de ces évolutions historiques et assumer un certain nombre d'éléments sur les réformes passées, le niveau de vie des retraités et le coût global du système. Ces évolutions doivent nous amener à réfléchir sur le niveau relatif des pensions par rapport aux actifs, mais il n'est pas question, à mon sens, pour le système de retraite de s'engager vers une baisse des pensions en valeur absolue. D'ailleurs, je rappelle que notre système n'est pas du tout dans une situation catastrophique.

Mme Florence Lassarade. - Je m'interroge sur vos hypothèses démographiques : vous estimez que le taux de fécondité sera constant ; or, chacun sait que certaines mesures prises ou envisagées, par exemple sur le quotient familial, produisent des effets dans ce domaine.

Par ailleurs, j'ai l'impression que nous posons toujours le débat en termes d'âge de départ à la retraite, mais ne pourrions-nous pas aussi réfléchir à l'âge où les jeunes commencent à travailler et à cotiser ? Avoir un CDI plus tôt dans la vie, comme en Suède, améliorerait aussi le système de retraites.

M. Jean-Louis Tourenne. - Vous faites un amalgame entre les fonctionnaires et les salariés du secteur privé en ce qui concerne les recettes et le montant des retraites. Or, pour les fonctionnaires de l'État, cela relève directement du budget de la nation, il n'y a donc pas d'influence sur le déficit.

Par ailleurs, vos projections reposent sur le rapport entre le nombre d'actifs et de retraités et sur la productivité. Pourtant, la part des cotisations assises sur le travail tend à diminuer dans le total des ressources de la sécurité sociale, notamment du fait du recours croissant à la CSG. Si vous ne tenez pas compte de cette évolution, on peut s'interroger sur la pertinence du résultat des projections.

Enfin, vous estimez que le pouvoir d'achat des retraités sera maintenu, même si leur niveau de vie relatif diminue. C'est complètement faux ! Le seuil de pauvreté est déterminé par rapport au salaire médian et vous savez que les prix augmentent en lien avec l'évolution des salaires et le développement technologique. Le pouvoir d'achat des retraités diminuera donc ! Il est impossible de dire qu'il n'y aura pas de retraités pauvres en 2070.

M. Bernard Bonne. - Les projections ne se réalisent jamais exactement comme on le pense ! Or, elles déterminent une politique publique, qu'il est ensuite nécessaire d'adapter en permanence...

Je m'inquiète de la diminution annoncée du pouvoir d'achat des retraités, certes pas en valeur absolue, mais en valeur relative, alors que les personnes âgées ont déjà beaucoup de difficultés à assumer le reste à charge lorsqu'elles sont hébergées en Ehpad.

Par ailleurs, les femmes vivent souvent plus longtemps que les hommes, ce qui pose la question des pensions de réversion.

Comment prendre en compte dans la réforme le problème de la dépendance et la situation des femmes ?

Mme Élisabeth Doineau. - Vous nous avez présenté un exposé macroéconomique, mais nos concitoyens vivent souvent les choses de manière très différente. Pour prendre une analogie inspirée de l'actualité, c'est un peu le contraste qui peut exister entre les températures effectives et ressenties. Dans le domaine des retraites, certaines personnes ressentent une injustice, parce que les écarts entre les pensions sont très importants. Il faut réduire ces écarts, que les moyennes cachent malheureusement. J'ai notamment à l'esprit les retraites agricoles, dont nous avons récemment débattu au Sénat.

Comme vient de le dire Bernard Bonne, il faut aussi penser à la question du reste à charge pour les personnes dépendantes.

Mme Patricia Schillinger. - Les cotisations payées par les individus et les entreprises financent 80 % du risque vieillesse et les impôts et taxes affectés, comme la CSG, 14 %, le reste provenant de subventions publiques. Les ressources fiscales - impôts et taxes - participent de plus en plus au financement des régimes de retraite. Est-ce une tendance qui s'observe dans d'autres pays dont le système de répartition est équivalent ?

Mme Catherine Fournier. - Vous avez cité des chiffres globaux, mais pourriez-vous nous apporter des précisions sur les régimes spéciaux ? Cette question sera évidemment abordée dans les débats sur la future réforme.

Trois paramètres sont toujours mis en avant au titre des recettes et finalement nous utilisons à chaque réforme les mêmes outils, tout en se retrouvant au pied du mur la fois suivante... Le monde évolue très vite - je pense notamment au numérique et à la robotique - et le chômage se maintient à un niveau élevé. On ne peut donc pas tout baser sur la masse salariale. Dans ce contexte, comment imaginer d'autres ressources pour pérenniser le système de retraites par répartition ? Je rappelle que le Sénat a proposé que les retraites des agriculteurs soient financées en partie par un prélèvement sur les mouvements financiers.

M. Alain Milon, président. - Le Sénat n'a pas encore pu voter définitivement sur ce prélèvement...

M. Yves Daudigny. - Vous avez rappelé que les retraites représentent 14 % du PIB, soit un niveau supérieur à celui des dépenses d'assurance maladie. Comment la France se situe-t-elle par rapport aux autres pays de ce point de vue ?

En ce qui concerne les comptes notionnels, je crois me souvenir qu'on avait constaté en Suède, au moment de la crise économique, qu'un tel système pouvait être très pénalisant. En particulier, l'effort demandé en cas de crise repose principalement sur quelques générations, pas sur l'ensemble de la population.

Par ailleurs, vous avez évoqué un déficit du système de retraite de 0,2 % du PIB, soit 4,4 milliards d'euros. Or, il me semble qu'en 2018, les comptes sont équilibrés. Comment expliquer cet écart ?

Enfin, je dois dire que je suis toujours assez perplexe sur des projections s'étalant sur cinquante ans... Beaucoup de choses changeront nécessairement. Quelle est la crédibilité de telles études ?

M. Michel Forissier. - Votre étude porte sur l'ensemble du système de retraites et vous présentez certaines orientations, mais il me semble qu'il faut avoir une vision globale : quelles conséquences sur les autres politiques sociales, par exemple en matière d'emploi et de chômage, peuvent avoir les évolutions du système de retraite ?

Ce qui me parait important, c'est la question du pouvoir d'achat des retraités. Le Président de la République a clairement dit au moment où il annonçait le relèvement de la CSG : les retraités peuvent payer, parce que leur niveau de vie est supérieur à celui des actifs. C'était un choix politique.

Aujourd'hui, les jeunes commencent à travailler plus tard, ce qui alimente le déficit des cotisations qui sont nécessaires à l'équilibre du système. En outre, le rapport entre le nombre d'actifs et de retraités se dégrade, ce qui nous oblige à trouver une source différente de financement.

La France produit beaucoup d'études et de rapports ; pourtant, elle ne suit pas toujours très bien l'évolution des choses au fil de l'eau. Or, je crois plus à des correctifs ponctuels décidés très en amont qu'à des réformes permanentes.

M. Daniel Chasseing. - Vous avez parlé de la suppression d'un million de postes de fonctionnaires. Je ne me souviens pas qu'un candidat à la présidence de la République ait émis cette proposition.

Pouvez-vous nous indiquer à quel âge les gens partent à la retraite en Europe ? Par ailleurs, à quel âge les Français devraient-ils partir en retraite pour que le niveau des pensions soit conservé au niveau actuel ?

Mme Martine Berthet. - Avez-vous réalisé des projections pour les retraites des travailleurs indépendants ? En ce qui concerne la retraite des fonctionnaires, l'État paye-t-il réellement ses cotisations ? Comment les choses sont-elles contrôlées de ce point de vue ?

M. René-Paul Savary, rapporteur. - Nous avons effectué plusieurs déplacements à l'étranger et allons continuer en ce sens afin de comprendre comment fonctionnent les systèmes de retraite de nos voisins européens. Tout n'est pas applicable tel quel en France, mais nous pouvons sûrement en retenir quelques expériences.

Mme Yannick Moreau. - En ce qui concerne la dépendance, je répondrai à titre personnel. Beaucoup de choses avaient été préparées sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, mais cela n'avait pas abouti. Sous le quinquennat de François Hollande, des décisions ont été prises, mais pas la mise en place d'un système spécifique pour la dépendance. Nous ne pouvons pas demander au système de retraite de régler ce problème, par ailleurs très important. Face à la dépendance, les situations personnelles sont très variées et n'ont pas de rapport avec la durée de versement des pensions...

Par ailleurs, il existe en fait plus de trois paramètres d'ajustement. La France a un tropisme certain sur la question de l'âge - paramètre qui rapporte beaucoup à court terme -, mais on peut aussi parler du taux d'activité des seniors ou des jeunes. La reprise économique peut être l'occasion de s'interroger là-dessus. Je rappelle aussi qu'il existe un fonds de réserve des retraites...

Enfin, vous avez évoqué un rapport de l'Ifrap au sujet de la retraite des fonctionnaires. Cet institut produit régulièrement des études, qui sont préparées selon un mode de raisonnement qui lui est propre et qui tendent souvent à montrer que les travaux du COR sont faux... Personnellement, j'ai davantage confiance dans les études du COR, qui me semblent plus objectives.

Les régimes spéciaux sont entrés dans le mouvement des réformes en 2008 et les écarts entre les régimes diminuent régulièrement. Pour autant, nos concitoyens ont encore du mal à comprendre l'organisation d'ensemble du système. Je rappelle à cette occasion que les calendriers sont très longs en matière de retraite et que les mesures mettent beaucoup de temps à s'appliquer pleinement. En outre, les modalités de calcul des pensions entre le privé et le public sont très différentes et ne peuvent pas être comprises, même si elles se rapprochent beaucoup de l'équité. Cela pose un problème essentiel de lisibilité.

M. Pierre-Louis Bras. - J'ai entendu des critiques sur le fait que nous faisions des prévisions à 2070. Je l'ai dit, nous ne prétendons pas prévoir le futur ! Néanmoins, le système de retraite est comme un paquebot : les évolutions sont très lentes et leurs effets ne sont parfois perceptibles qu'à très long terme... Nous faisons aussi des projections sur des durées plus courtes. C'est au lecteur, au législateur, de prendre les éléments qui l'intéressent et lui semblent pertinents. Je ne crois pas que nous devions a priori réduire l'horizon de ces projections, même si elles vont au-delà de ma propre espérance de vie...

J'ai aussi entendu des remarques critiques sur l'utilisation des moyennes. Le COR peut aussi s'exprimer sur la dispersion des retraites, mais il nous faudra beaucoup plus de temps que ce matin... Aujourd'hui, les inégalités entre les retraités sont moins importantes que celles qui existent entre les actifs. En effet, le système est largement contributif - en cela, il reproduit les inégalités de la vie active -, mais il est aussi solidaire, ce qui réduit ces inégalités : je peux par exemple citer le plafonnement des cotisations et des pensions ou encore les nombreux mécanismes qui rehaussent les petites retraites (minimum contributif, ASPA, avantages pour les femmes...). Ainsi, pour les actifs, le rapport entre les revenus du premier et du dernier décile s'élève à 3,9 ; il est de 3,5 pour les retraités. Des éléments de solidarité l'emportent donc, malgré de forts aspects anti-redistributifs.

Vous m'avez interrogé sur les comparaisons internationales. Une personne qui commence sa carrière à 22 ans partira en retraite à 65 ans en France avec une pension complète, lorsque toutes les réformes seront en vigueur, ce qui est un ou deux ans de moins que dans les autres pays. En France, les gens partent donc plus tôt en retraite.

De son côté, le rapport entre le niveau de vie des plus de 65 ans et celui de l'ensemble de la population est sensiblement plus favorable en France pour les ainés que dans les autres pays : ce rapport y atteint 103, tandis qu'il dépasse tout juste 80 en Belgique ou au Royaume-Uni, un niveau proche de celui qui sera atteint en France dans plusieurs années dans le droit actuel. Les comparaisons avec les États-Unis sont moins fiables, parce que beaucoup de retraités travaillent.

Le système de retraite français est donc plus généreux que dans les autres pays, tant en termes d'âge que de niveau des pensions, ce qui explique que sa part dans le PIB est aussi plus élevée. En Allemagne, cette part du système de retraites dans le PIB est inférieure d'environ 4 à 5 points, dont un point s'explique par une convention statistique liée à la manière de prendre en compte les régimes complémentaires.

Les réformes déjà faites aboutissent à une relative et lente normalisation par rapport aux autres pays. Je note que prélever de la CSG supplémentaire sur certaines retraites revient finalement à baisser les pensions. Tout est affaire de convention statistique...

Nous avons publié en novembre 2017 un rapport présentant le bilan des retraites, régime par régime. Vous y trouverez donc des éléments sur les travailleurs indépendants.

En ce qui concerne les régimes spéciaux et l'étude de l'Ifrap qui conteste non pas les conclusions du COR, mais celles de la Drees, le service statistique des ministères sociaux, je rappelle que celle-ci a réalisé une simulation, visant à appliquer aux fonctionnaires les règles du secteur privé afin d'évaluer les éventuelles iniquités.

Sur l'âge, il est évident que de nombreux fonctionnaires (policiers, pompiers, aides-soignants...) devraient dans ce schéma partir plus tard en retraite, parce qu'ils sont actuellement classés en catégorie active et partent donc aujourd'hui plus tôt. En revanche, certaines femmes fonctionnaires partiraient plus tôt si les règles du privé s'appliquaient à elles, parce que la majoration de durée d'assurance y est plus importante : deux ans contre six mois.

Sur le niveau des pensions, la Drees conclut qu'il serait globalement similaire si les règles du privé s'appliquaient aux fonctionnaires. Il s'agit évidemment d'une moyenne, mais les fonctionnaires qui ont peu de primes gagneraient plutôt à se voir appliquer les règles du privé et ceux qui en ont beaucoup et sont dans la limite du plafond y perdraient.

Ces résultats me paraissent solides. L'Ifrap a fait le même exercice, mais sur un échantillon plus petit et en ne prenant pas en compte les primes, ce qui n'est guère convaincant. Sincèrement, je fais confiance aux services statistiques de mon pays et je ne jette pas la suspicion du simple fait que les études sont réalisées par des fonctionnaires... Le débat est toujours intéressant, mais il doit reposer sur des bases saines de discussion.

Mme Yannick Moreau. - Je relève que cette polémique soulève aussi la question de l'absence d'un réel régime de retraite des fonctionnaires. Personne ne se sent réellement en charge de répondre à de tels discours, ce qui serait différent s'il existait un véritable régime.

M. Pierre-Louis Bras. - Je reviens maintenant sur la question relative aux différences entre des systèmes par points, par comptes notionnels ou par annuité. Il faut tout d'abord rappeler que nous parlons toujours ici de régimes par répartition, non par capitalisation, ce qui est un élément fondamental.

Dans un système par points ou comptes notionnels, toute la carrière est prise en compte et les cotisations versées par un assuré déterminent son niveau de retraite, hors éléments de solidarité. Dans notre régime par annuité, la pension n'est pas liée aux cotisations, mais aux salaires et à la durée d'assurance. De ce fait, la liberté est moins grande dans un système par points ou comptes notionnels de modifier le système à un moment ou à un autre. Toutefois, les régimes par points qui existent en France fonctionnent parfois avec un taux d'appel, c'est-à-dire des cotisations qui ne servent à rien pour la retraite... On le voit, on peut toujours développer des moyens de contourner la logique première d'un système.

C'est dans ce contexte qu'il faut relire l'expression du Président de la République, véritable mantra de la réforme : un euro cotisé donnera les mêmes droits, quel que soit la date de versement ou le statut de la personne. Vous le voyez, cette définition pointe logiquement vers un système par points ou par comptes notionnels plus contributif.

À partir de ce mantra, la question fondamentale, c'est : quels droits ?

Dans un système par points, les choses peuvent varier selon la date : le gestionnaire du régime dispose de différents leviers, comme la valeur d'achat du point ou celle de service, pour ajuster les équilibres en fonction des prévisions. De ce fait, le rendement de la retraite peut être modifié. Le système n'est donc pas complètement bouclé dès l'origine.

Les systèmes en comptes notionnels sont très cartésiens : un euro cotisé doit donner les mêmes droits, quelle que soit la date de la cotisation ou la génération des personnes. Ainsi, les Suédois estiment que la cotisation peut être assimilée à un investissement et ils calculent un taux de rendement interne. Or, dès lors qu'elle est équilibrée, la répartition aboutit mathématiquement à un taux de rendement interne équivalent à l'évolution de la masse des rémunérations sur lesquelles sont assises les cotisations. Les Suédois appliquent cette règle, ce qui entraîne une absence de transfert entre les générations et un système équilibré à terme. En toute logique, un tel système, qui dépend de calculs complexes opérés par des actuaires, est donc en pilotage automatique et ne doit pas subir d'interventions extérieures.

Vous le voyez, la différence entre ces systèmes pose aussi la question de la confiance de la population.

M. René-Paul Savary, rapporteur. - Nous verrons bien comment les choses évoluent entre les propositions contenues dans le programme du candidat Macron et celles qui seront effectivement présentées par le Gouvernement. En tout cas, un pilotage mathématique par des comptes notionnels me semble difficilement applicable à la France...

La réunion est close à 11 h 45.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.