Mardi 15 mai 2018

- Présidence de M. Michel Boutant, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Michel Boutant, président. - Nous sommes heureux d'accueillir Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, accompagnée de M. Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces, M. Stéphane Bredin, directeur de l'administration pénitentiaire, M. Jérôme Simon, conseiller pour la politique pénale et M. Nicolas Heitz, conseiller chargé de la coordination des politiques de la justice.

Notre commission d'enquête, qui a débuté ses travaux en janvier, entend mettre en lumière et analyser les difficultés actuellement rencontrées par les membres des forces de sécurité intérieure dans l'exercice de leurs missions.

Parmi les causes du mal-être que l'on rencontre fréquemment au sein des unités de police et de gendarmerie figurent certes la confrontation avec la délinquance et avec la violence, une charge de travail qui s'est accrue depuis la vague d'attentats de 2015 et la crise migratoire, ou encore des conditions de travail et des équipements insatisfaisants. Un autre aspect a toutefois été très régulièrement évoqué par les personnes que nous avons auditionnées : les relations des forces de sécurité intérieure avec la justice. Les difficultés évoquées concernent en particulier la mise en oeuvre de la procédure pénale, mais aussi la réponse pénale en elle-même.

Nous souhaiterions donc, Madame la ministre, pouvoir vous interroger sur ces sujets afin de savoir si vous et vos services prenez en compte ces difficultés et quelles sont les améliorations éventuelles que vous entendez mettre en oeuvre.

Cette audition est ouverte à la presse et sera diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Nicole Belloubet, M. Rémy Heitz, M. Stéphane Bredin, M. Jérôme Simon et M. Nicolas Heitz prêtent successivement serment.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Alors que nous en sommes au quatrième mois de nos investigations et de nos auditions, nous avons constaté la réalité d'une césure, je dirai même plus d'un divorce entre police et justice. Nous nous étions engagés dans ce travail sans préjugés, sans faire crédit aux lieux communs de l'opinion largement diffusés dans les médias, mais à entendre les policiers, à quoi j'ajoute les syndicats de magistrats que j'ai en l'occasion d'entendre sur comme rapporteur sur d'autres textes, on se demande comment le système tient encore et comment policiers et magistrats peuvent travailler ensemble.

Chez les policiers, chez les gendarmes, on sent, au-delà des difficultés matérielles et budgétaires auxquelles ils sont confrontés, une réelle interrogation sur le sens de leur engagement et de leur action, conduite dans des conditions de plus en plus difficiles, avec des risques physiques et juridiques accrus, pour des résultats qu'ils estiment décevants - même s'ils s'abstiennent, pour la majorité d'entre eux, de juger la justice.

On ressent, de fait, une incompréhension mutuelle. Nous savons que les magistrats se forment en faisant des stages dans des commissariats de police ou des unités de gendarmerie, mais ne pensez-vous pas qu'il faudrait bien plus pour que ces deux mondes s'interpénètrent ? Dans les parquets, les jeunes magistrats frais émoulus abordent la police et la gendarmerie avec des idées préconçues, quand les magistrats de plus de métier entretiennent des relations plus faciles. Ma première question est celle-là : comment améliorer les relations entre police, gendarmerie et justice et faciliter l'interpénétration des cultures ?

Ma deuxième question concerne la procédure pénale, dont les policiers et les gendarmes disent qu'elle absorbe les deux tiers de leur temps, ne leur laissant qu'un tiers de temps pour l'opérationnel. Si l'on se tourne vers des pays comparables au nôtre, on constate que les policiers et les gendarmes, en nombre équivalent, consacrent beaucoup plus de temps à l'opérationnel. En France, nous n'avons pas choisi entre l'inquisitoire et l'accusatoire, si bien que nous cumulons les inconvénients des deux systèmes ; et cela ne s'est pas arrangé ces dernières années. Alors que policiers et gendarmes mettaient beaucoup d'espoirs dans la réforme de la procédure pénale annoncée, ils sont déçus. Ils n'y trouvent pas la simplification qu'ils attendaient. Dans ma ville, le bureau de police croule sous les piles de dossiers. Et il en va de même dans tous les commissariats de France.

Les forces de sécurité intérieure ont formulé des propositions complémentaires de nature à simplifier leur travail. Je pense à l'oralisation de certains actes, dans le cadre des affaires simples, avec établissement d'un procès-verbal final de synthèse ; à la simplification du formalisme, via par exemple l'introduction, pour les affaires en flagrance, d'un procès-verbal unique des diligences ; à l'adaptation du régime des nullités, pour limiter notamment l'impact des erreurs de formalisme sur une procédure, fréquentes tant les règles applicables sont complexes. Quelles sont les raisons qui ont conduit le ministère à ne pas reprendre ces propositions ?

Ma troisième question porte sur la numérisation. Police et gendarmerie souffrent d'un grand retard dans la révolution informatique. Ne pourrait-on envisager la mise en place des logiciels communs aux forces de sécurité intérieure et aux parquets, ainsi que de liaisons vidéos permettant au magistrat ou au juge d'instruction d'assister à une audition des services de police judiciaire ? Cela faciliterait les relations et le partage en temps réel des évolutions de l'enquête.

Ma dernière question, enfin, concerne les tâches indues, qui pourraient relever de la police municipale, de l'administration pénitentiaire ou de la sécurité privée.

L'action du policier municipal est limitée par une qualification judiciaire des plus basses, celle d'agent de police judiciaire adjoint. Dès lors qu'une amende n'est pas forfaitaire, s'agît-il d'une simple contravention liée au non-respect d'un arrêté municipal d'interdiction de fréquentation d'un square après 22 heures, il faut que policiers ou gendarmes entendent les contrevenants ou, s'ils sont mineurs, leurs parents, pour que le dossier soit transmis au ministère public, car le policier municipal, aussi expérimenté fût-il, ne peut procéder à aucune audition.

Je n'ignore pas la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (Lopsi), qui avait censuré le rehaussement de la qualification judiciaire des policiers municipaux au motif, un peu surprenant, que les policiers nationaux étaient placés sous les ordres du Procureur de la République et les policiers municipaux sous ceux du maire. Mais dès lors que les uns ou les autres mettent en oeuvre une prérogative de police judiciaire, ils sont, de toutes façons, subordonnés au Procureur de la République. La loi pourrait le préciser, en indiquant même qu'ils sont subordonnés à l'officier de police judiciaire territorialement compétent, habilité par le Procureur. C'est d'ailleurs ainsi que cela se passe dans la réalité. Un rehaussement de la qualification des policiers municipaux, au moins dans le cadre de la réglementation municipale ou du code de la route allègerait considérablement les forces de l'ordre.

S'agissant de la sécurité privée, il existe certainement des pistes à développer, mais cela relève peut-être davantage du ministère de l'Intérieur.

En ce qui concerne, enfin, l'administration pénitentiaire, où en est-on du transfèrement ? Alors que des moyens ont été dévolus à la Justice afin qu'elle s'en charge, les progrès, sur le terrain, restent très lents. Les unités de police ou de gendarmerie qui ont une maison d'arrêt dans leur secteur se disent au reste sollicitées par l'administration pénitentiaire pour des incidents à l'intérieur des murs. La loi de sécurité publique a accru les prérogatives de celle-ci, mais on a le sentiment que la Chancellerie est réticente - elle n'a d'ailleurs pas voulu prendre en charge le périmètre immédiat, ce qui renvoie la responsabilité de l'action à la police nationale et la gendarmerie pour mettre fin aux jets d'objets ou aux conversations par-dessus le mur. Bref, nos forces de l'ordre sont toujours amenées à intervenir dans les prisons : ne pourrait-on envisager de doter certains agents de l'administration pénitentiaire de prérogatives de police judiciaire, pour éviter que celle-ci ne soit amenée à solliciter, pour des faits souvent mineurs, les forces de sécurité intérieure ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. - Vous évoquez, monsieur le rapporteur, un « divorce » entre police et justice. Je comprends que vous faites état d'un propos que vous avez entendu, mais comme garde des sceaux, je m'inscris en faux contre ce propos. Nous sommes très loin de cet état d'esprit. Avec Gérard Collomb, nous sommes au contraire animés d'un état d'esprit de collaboration et d'intercompréhension et d'évolution réciproque.

Nous connaissons bien, au ministère, le malaise des forces de sécurité, et c'est pourquoi, dans le cadre des cinq chantiers de la justice lancés en octobre dernier par le Premier ministre, j'avais souhaité que l'un soit consacré à la procédure pénale. Ce chantier, piloté par MM. Jacques Beaume et Franck Natali, est conduit avec les forces de sécurité intérieure. J'ai participé, à plusieurs reprises, à des rencontres entre magistrats et forces de sécurité intérieure ; à Amiens, où nous nous sommes rendus avec Gérard Collomb, les uns et les autres ont exposé leurs souhaits, leurs attentes, et donné corps à ce dialogue institutionnel dont nous voulons être porteurs.

Je ne suis pas naïve pour autant et sais que la présence de ministres à de telles rencontres ne facilite pas l'expression de ce qui est réellement ressenti, mais il reste que ces rencontres ont témoigné d'une écoute, d'un dialogue, et donné lieu à des propositions.

Outre votre souci de voir s'approfondir l'échange des cultures entre les institutions, sur lequel je reviendrai, vous avez évoqué la question de la procédure pénale, dans une perspective d'amélioration du fonctionnement de la chaîne pénale, et celle des tâches indues, sur lesquelles vous souhaitez une clarification.

On constate effectivement une désaffection pour la mission de police judiciaire au sein de la police ou de la gendarmerie nationales, souvent imputée à la technicité, à la complexité de la procédure pénale. Vous vous faites le porteur du reproche que l'on entend parfois formuler sur les propositions du texte que je serais amenée à défendre dans les prochains mois ne seraient pas assez ambitieuses. Il faut le dire clairement : les travaux que nous avons conduits n'aboutiront pas à une refonte du code de procédure pénale. Un tel travail ne pouvait être conduit en quelques mois. Avec Gérard Collomb, nous nous sommes donc accordés sur l'idée de conduire des réformes pragmatiques, venues du terrain, permettant de dénouer une certaine complexité lourde à porter pour les services d'enquête et les magistrats.

L'enquête pénale a pour objectif le recueil de preuves et la recherche de la vérité grâce au recours, en tant que de besoin, à des instruments coercitifs que sont la garde à vue, les perquisitions, etc, sous le contrôle des magistrats, gardiens, aux termes de l'article 66 de la Constitution, des libertés individuelles.

La procédure pénale doit, à ce titre, concilier l'intérêt social et l'intérêt individuel, la recherche des preuves mais aussi la protection contre l'arbitraire. C'est dans cet équilibre que nous avons construit le projet de réforme que je vous présenterai.

Nous savons que les auteurs d'infractions sont sans cesse à la recherche d'une plus grande « discrétion » et n'hésitent pas à recourir à de nouveaux moyens de déjouer la surveillance mise en place par les enquêteurs. Face à des délinquants qui peuvent avoir recours à des modes opératoires toujours plus astucieux, notamment grâce aux nouvelles technologies, les investigations s'inscrivent, en pratique, dans un temps nécessairement long et requièrent de plus en plus le concours et l'expertise de services techniques.

Dans ce contexte, et y compris face à la délinquance du quotidien, l'enquête pénale peut apparaître contraignante, fastidieuse, d'où une forme de désaffection. Mais c'est aussi la raison pour laquelle, dans le respect des exigences conventionnelles et constitutionnelles, la philosophie globale de projet de loi à venir va à la recherche de la simplification, dans un souci de pragmatisme et d'écoute des praticiens de terrain. Nous avons beaucoup consulté, adressé des questionnaires à toutes les juridictions, ainsi qu'au ministère de l'Intérieur, qui les a répercutés sur l'ensemble des forces de police et de gendarmerie. Nous avons également consulté les professions du droit - avocats, greffiers, notaires. Jacques Beaume et Franck Natali ont analysé ces remontées du terrain, et les ont synthétisées dans le rapport qu'ils m'ont remis en janvier. Ils ont eux même été conduits à entendre les syndicats de police et de gendarmerie, les conférences des procureurs, les représentants des différentes professions. C'est sur le fondement de ce travail de consultation que nous avons rédigé le projet de loi, un texte à mon sens équilibré, pour plus d'efficacité et de rapidité des enquêtes, tout en veillant à ce que celles-ci se fassent toujours dans le respect des libertés dont les magistrats sont les garants.

Ces mesures de simplification portent sur cinq priorités. Le projet vise en premier lieu à renforcer l'efficacité de l'enquête pénale en harmonisant les techniques d'enquête. En l'état du droit chaque technique spéciale d'enquête répond à un régime particulier, avec des dispositions différentes qui nécessitent, de la part des enquêteurs et des magistrats, la réalisation d'analyses juridiques parfois complexes pour déterminer la norme applicable, sa portée, son adéquation avec une procédure donnée. Pour simplifier le cadre juridique actuel, le projet que je vous présenterai unifie le régime juridique applicable aux techniques spéciales d'enquête, de sonorisation, de captation d'images, de recueil des données techniques de connexion et de captation de données informatiques. Il prévoit une harmonisation de leurs conditions d'autorisation de durée de mise en oeuvre et de conservation. Afin d'accroître l'efficacité des enquêtes, cette disposition ouvre également la possibilité de recourir à ces techniques spéciales d'enquête pour les crimes et non plus seulement pour les infractions qui relèvent de la criminalité de la délinquance organisée. Le projet simplifie et renforce également la cohérence des dispositions relatives aux interceptions par la voix de communications électroniques et de géolocalisation.

M. Michel Boutant, président. - Les techniques que vous venez d'évoquer sont proches de celles qu'a autorisées la loi sur le renseignement de 2015.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Absolument.

M. Michel Boutant, président. - Vous parlez d'unification : faut-il comprendre qu'une seule autorité sera chargée de fournir une autorisation ou de donner un avis au Premier ministre ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Pas du tout.

M. Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces. - Les deux filières restent distinctes, même si les mêmes techniques sont utilisées et par les services de renseignement et par la Justice.

M. Michel Boutant, président. - Mais il existe un certain parallélisme. Ma question porte sur l'autorité chargée de fournir l'autorisation.

M. Rémy Heitz. - Le juge des libertés et de la détention.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Le projet prévoit également d'étendre l'enquête sous pseudonyme à l'ensemble des infractions qui sont punies d'une peine d'emprisonnement puisque les enquêteurs qui sont spécialement habilités et formés à l'utilisation de ces techniques pourront, en utilisant une identité d'emprunt, participer à des échanges sur les réseaux sociaux et entrer ainsi en contact avec les auteurs des infractions.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Envisagez-vous une extension aux personnels techniques et scientifiques ou à d'autres intervenants dans l'enquête ? C'est une question souvent soulevée par ces personnels.

M. Rémy Heitz. - Il ne s'agit pas ici de l'anonymisation des enquêteurs intervenant dans les procédures. Il s'agit de permettre à des agents de constater une infraction en utilisant une identité d'emprunt pour démasquer, par exemple, un trafic de stupéfiants.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Je pense aux incidents intervenus à l'Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants. Certains enquêteurs se sont émus du fait que la doctrine retenue par certains magistrats n'était plus celle de leurs successeurs.

M. Rémy Heitz. - Vous évoquez la question des coups d'achat, des livraisons surveillées, de l'infiltration des réseaux. Nous avons mis en place un groupe de travail pour y réfléchir avec les services d'enquête du ministère de l'Intérieur et des Douanes.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Le fait est que les policiers ne courent pas seulement des risques physiques mais aussi juridiques.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Nous travaillons à définir des règles partagées et par ailleurs, le texte que je vous proposerai rendra les choses plus simples et plus lisibles, grâce à l'harmonisation que j'évoquais.

Afin de renforcer l'efficacité de l'enquête, nous prévoyons d'étendre les pouvoirs des enquêteurs : tel est le deuxième point qui figurera dans la loi.

Nous souhaitons doter ceux-ci de prérogatives plus larges pour répondre aux évolutions de la criminalité. Le projet prévoit ainsi d'étendre la durée de l'enquête de flagrance, par exemple, lorsque la procédure concerne un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement contre cinq ans actuellement.

Nous prévoyons également d'accroître les possibilités de réaliser des perquisitions dans le cadre de l'enquête préliminaire, le projet de loi permettra en outre aux enquêteurs, à la demande du procureur de la République, de pénétrer de jours dans un domicile aux seules fins d'interpeller une personne suspectée d'un crime ou d'un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement, comme c'est déjà le cas pour les mandats de recherche.

Il est également prévu de simplifier le déplacement des officiers de police judiciaire sur le territoire national, en supprimant l'exigence d'obtenir à chaque fois une autorisation préalable du Procureur de la République, comme le souhaitaient depuis longtemps les gendarmes et les policiers.

Enfin, le projet de loi permettra aux enquêteurs de consulter plus facilement les fichiers administratifs qu'ils ne peuvent le faire aujourd'hui, et ce, sans qu'il leur soit nécessaire de solliciter au préalable une autorisation du procureur à cette fin, comme c'est le cas actuellement.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Ce qui est chronophage tant pour les forces de l'ordre que pour les parquets.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Cette mesure, qui peut sembler technique, est de fait très demandée, puisque les enquêteurs pourront obtenir des éléments de preuve plus rapidement.

Le troisième point de ce projet de réforme porte sur l'allégement d'un certain nombre de tâches incombant aux enquêteurs.

Le projet de loi prévoit, par exemple, de simplifier sur plusieurs points les dispositions relatives à la garde à vue. Il rend notamment facultative la présentation de la personne devant le procureur de la République ou le juge d'instruction pour la première prolongation de 24 heures de la garde à vue.

Il étend, par ailleurs, les prérogatives des APJ, les agents de police judiciaire, qui auront le droit d'effectuer des actes d'enquête non coercitifs du type réquisition à sachant, mesures de dépistage des conducteurs en matière d'alcoolémie ou d'usage de stupéfiants etc.

Le quatrième point porte sur la forfaitisation d'un certain nombre de délits. La loi pour une justice du XXIème siècle de 2016 a déjà introduit la possibilité de cours recourir à la procédure d'amende forfaitaire pour les délits de conduite sans permis et de défaut d'assurance. Des travaux interministériels importants ont été conduits entre le ministère de la Justice et le ministère de l'Intérieur, notamment avec la délégation à la sécurité routière et l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions pour concrétiser ces dispositions au mois de juillet prochain, avec un déploiement national à la fin de l'année.

Par ailleurs, nous prévoyons, dans le projet de loi que je vous présenterai, la possibilité de prononcer une amende forfaitaire pour la consommation de stupéfiants, tout en conservant le caractère délictuel de l'infraction

Le cinquième point porte sur la consécration d'une procédure pénale numérique - ce qui répond, monsieur le rapporteur, à votre troisième question.

Je souhaite simplifier la réalité du travail des enquêteurs et des magistrats, mais aussi des personnels de greffe dans les tribunaux, en mettant en place un dossier pénal numérique unique qui ira du dépôt de la plainte jusqu'au jugement. Et ce ne sont pas que des mots puisque le 10 novembre dernier, nous avons, avec le ministre de l'Intérieur, annoncé une équipe interministérielle de préfiguration. Cette équipe s'est mise en place, elle a travaillé avec deux objectifs : alléger les tâches des enquêteurs en favorisant la transmission instantanée des procédures entre le service enquêteur et la juridiction ; utiliser les potentialités offertes par le numérique, par la création d'un logiciel commun entre le ministère de l'Intérieur et le ministère de la Justice. Ce groupe a déjà remis un rapport préfigurant le cahier des charges qui va nous servir de base pour construire cette application visant à mettre en place le dossier pénal numérique unique, dont nous espérons la mise en place dans moins de deux ans, en 2020.

Le ministère de la Justice dispose des moyens financiers et en personnel pour aboutir ; cela fera partie de la loi de programmation et de réforme pour la justice qui nous permettra de concrétiser cette ambition à laquelle je tiens vraiment tout particulièrement.

Tels sont les cinq points sur lesquels nous proposons d'avancer, en attendant une refonte complète du code de procédure pénale, à laquelle je me suis engagée, mais qui reste un travail de longue haleine.

M. François Grosdidier, rapporteur. - La frustration des forces de l'ordre tient au renoncement à l'oralisation. Ils ont peur que rien ne change, et que le scan ne vienne remplacer la photocopie.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Ce ne sera pas le cas si la procédure est numérique.

Il faut se méfier de propositions qui peuvent apparaître séduisantes mais présentent en réalité des inconvénients difficilement surmontables. L'oralisation de la procédure pénale n'est pas une proposition nouvelle, puisque le rapport de Jacques Beaume remis en juillet 2014 évoquait déjà la possibilité de renforcer l'oralisation de certains actes, dans le cadre de procédures simples. L'enregistrement avait, dans cette optique, vocation à devenir une pièce de procédure.

Dans le prolongement de ce rapport, une expérimentation de déscripturalisation totale de la procédure a été conduite par la direction générale de la police nationale, qui l'a toutefois jugée non concluante.

En 2015, dans le cadre d'un groupe de travail entre Justice et Intérieur sur la simplification de la procédure pénale, la question de l'oralisation a de nouveau été étudiée. La direction générale de la gendarmerie nationale a alors proposé d'expérimenter ce dispositif pour des procédures simples, relevant d'un contentieux de masse, en versant au dossier les auditions, sous forme d'enregistrements, et un procès-verbal de synthèse récapitulant les mentions importantes et le déroulé. La direction des affaires criminelles et des grâces a consenti à expérimenter l'oralisation de la procédure, de la phase d'enquête à la phase de jugement, mais la direction de la gendarmerie nationale n'a finalement pas donné suite à son souhait d'expérimentation et elle a privilégié une réflexion sur l'usage des logiciels de dictée.

Le rapport remis par MM. Beaume et Natali au mois de janvier dernier, dont je parlais tout à l'heure, relève que l'oralisation totale des procédures est l'objet d'avis globalement très critiques, mais il souligne que les services de police et de gendarmerie souhaiteraient qu'une expérimentation soit conduite dans les procédures les plus simples.

Je suis pour ma part assez réservée sur l'oralisation. En premier lieu, lieu l'oralisation complète des auditions en phase d'enquête, sans rédaction de procès-verbaux, aurait pour conséquence d'alourdir considérablement la tâche des magistrats et d'allonger les délais de traitement des procédures par les juridictions, notamment au stade du jugement. Or, la simplification escomptée ne saurait bénéficier qu'aux seuls services d'enquête, au détriment de l'activité juridictionnelle. Si simplification il y a - ce qui est évidemment notre objectif - il faut qu'elle porte et sur la phase d'enquête et sur la phase juridictionnelle.

En second lieu, les magistrats et les avocats sont, dans leur grande majorité, opposés à l'oralisation de certains actes de procédure, les premiers craignant une perte de temps considérable à l'écoute des enregistrements et les seconds arguant de l'impossibilité d'examiner de manière effective la régularité des actes d'enquête.

En troisième lieu, j'attire votre attention sur le fait que le gain de temps espéré par les services d'enquête risque d'être faible. Outre que l'atteste l'expérimentation conduite par la DGPN en 2014, les rapports précités préconisent de limiter l'oralisation à des procédures simples, qui supposent la reconnaissance des faits par l'auteur de l'infraction, lesquelles peuvent déjà faire l'objet d'un traitement simplifié.

Enfin, je rappelle qu'un décret du 7 septembre 2016 portant simplification du code de procédure pénale, a mis fin à la règle de procédure « un acte, un procès-verbal ». Ce décret permet désormais aux enquêteurs de présenter au sein d'un procès-verbal unique l'ensemble des investigations et éventuellement la réponse pénale qui a été apportée pour les infractions les plus simples et les plus courantes. Beaucoup d'enquêteurs, cependant, ignorent l'existence de ce décret.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Il y a peut-être une voie entre le tout ou rien. Ceux qui militent pour l'oralisation n'excluent pas la rédaction de synthèses. Le problème qu'ils soulèvent est celui de la transcription intégrale d'auditions dans le cas d'affaires mineures auxquelles très souvent, le Parquet décide de ne pas donner suite.

S'agissant du procès-verbal unique, on s'est rendu compte, en effet, que les enquêteurs ne s'appropriaient pas les possibilités de simplification. Est-ce force de l'habitude, manque de communication entre la Justice et l'Intérieur, crainte de manquer à une règle formelle qui ferait s'effondrer la procédure ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Le directeur des affaires criminelles vous répondra sur ce point. Si l'oralisation totale n'est pas une bonne idée, nous encourageons le recours à des logiciels de dictée ou de reconnaissance vocale pour faciliter la vie des enquêteurs, tout en laissant une trace écrite.

M. François Grosdidier, rapporteur. - L'écrit est-il indispensable pour la notification des droits, alors qu'il suffit de voir la vidéo pour s'assurer qu'elle a bien eu lieu ?

M. Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces. - Cette simplification est envisagée par la réflexion en cours sur la procédure numérique, qui prévoit des modules audio. La notification des droits pourrait se faire de manière orale, être enregistrée comme un module et être ainsi consultée facilement.

Sur le volet évolution à droit constant, nous avons pleinement conscience que toutes les mesures de simplifications de 2016 ne sont pas appliquées. Un groupe de travail commun Intérieur-Justice sur l'appropriation par les services d'enquêtes de toutes ces mesures de simplification prépare un memento.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Espérons qu'il ne sera pas aussi épais que le code de procédure pénale...

M. Rémy Heitz. - Il ne le sera pas ! Nous travaillons également sur l'évolution du logiciel de dictée LRPPN pour la police et de son équivalent pour la gendarmerie.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Nous devons maintenant traduire le résultat des travaux de ce groupe de travail dans la procédure numérique

Mme Brigitte Lherbier. - Je suis ravie de vous entendre, Madame la ministre. Universitaire, j'ai longtemps été directrice des études de l'institut des études judiciaires de Lille. Les futurs commissaires étaient pleins d'aspirations...

Cela me fait mal quand j'entends qu'on attaque la justice. Personne mieux qu'un juge ne peut mesurer la vulnérabilité des citoyens. Cependant, lors de ma cellule de veille hebdomadaire tous les vendredi matin, j'entendais le doute s'exprimer : que vont faire les magistrats de tous ces gens que nous avons mis hors d'état de nuire ? Lors des auditions, nous avons entendu les mêmes propos.

Lorsqu'ils étaient étudiants, les futurs commissaires étaient enthousiastes. Pourquoi perdent-ils ensuite leur attirance pour la police judiciaire ? C'est dommage !

Le meurtre dans le Nord d'une petite fille par un pédophile a suscité une réaction que l'on pourrait résumer ainsi : la police a fait son travail, la justice aussi, puisque le violeur et assassin a été mis en prison. Mais que s'est-il passé après qu'il a purgé sa peine ? Le manque de suivi judiciaire étonne aussi les policiers, qui considèrent que ce suivi est de la responsabilité des juges. Dans le Nord, les policiers plaident pour que la justice se réapproprie la chaine pénale jusqu'au bout, concernant les criminels qui mettent en danger la société. Il est regrettable que le suivi pénal ne soit pas systématique. Même chose pour les violences faites aux femmes. A-t-on appréhendé la dangerosité des délinquants, les a-t-on soignés lorsqu'ils étaient en prison ?

M. Alain Cazabonne. - Quand je vois les relations difficiles entre police et justice, je me demande si elles ne seraient pas liées à l'accumulation des textes, qui engendre un surcroit de travail. Or les responsables de cette accumulation sont devant vous ! Il y a 9 000 lois en vigueur en France, auxquelles s'ajoutent 520 000 textes réglementaires !

Maire de Talence pendant 24 ans, j'ai essayé de ne prendre des arrêtés que s'ils étaient applicables. Les policiers me le disaient, ils sont surchargés d'affaires qui leur demandent beaucoup de travail pour finalement ne pas aboutir. Concernant l'usage de cannabis, mieux vaut une bonne contravention que le classement sans suite d'une affaire qui a demandé beaucoup de paperasse.

Une main aux fesses d'une jeune fille dans le tramway peut valoir en théorie jusqu'à quatre ans de prison, mais la justice ne prononcera jamais une telle peine. N'avez-vous pas le sentiment qu'il y a trop de lois ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Madame Lherbier, je ne sais pas s'il existe une réponse unique à la perte d'attractivité de la police judiciaire. Nous espérons que la simplification de la procédure que nous entreprenons contribuera à y remédier. Je connais le malaise lié au sentiment que la justice serait laxiste vis à vis de la délinquance et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique. Nous luttons pour que ce sentiment s'estompe, car la réalité, selon nous, est différente : nous cherchons au contraire à réprimer sévèrement, notamment les atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique, qui font l'objet soit d'infractions spécifiques, soit d'aggravations d'infractions de droit commun. J'ai signé une circulaire de politique pénale générale le 21 mars dernier qui cible cet enjeu.

La crédibilité des peines fera partie des thèmes de la réforme que je présenterai, en résonnance avec les propos du Président de la République à l'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire. Il s'agit de disposer d'un système de peines mieux adapté à la réalité de la délinquance. Prévoir systématiquement une peine d'emprisonnement, surtout de courte durée, n'est pas le plus adapté. Il faut par ailleurs s'assurer qu'une peine prononcée soit effectivement exécutée. Nous construisons notre politique pénale autour de ces deux axes, avec des peines autonomes qui ne sont plus de simples substitutions à l'emprisonnement. Des interdictions de se rendre sur un territoire donné peuvent parfois être très utiles, par exemple.

J'espère qu'une procédure moins complexe, des peines plus adaptées et mieux appliquées, des sanctions efficaces pour protéger les personnes dépositaires de l'autorité publique, permettront de dissiper ce malaise.

Vous avez évoqué le meurtre d'Angélique à la suite de son viol et vous vous interrogez sur le suivi des personnes ayant commis de tels crimes. Les coupables de tels actes sont inscrits, depuis 2004, au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV). Ces personnes ont l'obligation de déclarer leur domicile : c'est ce qui a permis de retrouver très vite le mis en cause dans le cas d'espèce.

Concernant le suivi judiciaire et médical, l'affaire Angélique est singulière : le premier viol a été commis il y a 24 ans ; les dispositions prises en 1998, qui entrainent un suivi socio-judiciaire avec possibilité d'un suivi thérapeutique obligatoire n'étaient pas applicables. Vous le savez, l'obligation de soin peut aller jusqu'à la prise d'inhibiteurs de libido. Ce genre de situations est mieux pris en charge aujourd'hui.

Monsieur Cazabonne, je partage votre point de vue sur l'accumulation des textes. Nous veillons, avec le Conseil d'État, à ce que les lois soient normatives et claires et, même si c'est sans le dire, moins nombreuses. Dans cette même optique, nous avons également considérablement réduit le nombre de circulaires aux procureurs, qui en étaient auparavant quelque peu inondés.

Mme Brigitte Lherbier. - Disposez-vous des effectifs suffisants pour assurer le suivi dont vous venez de parler ? En matière de violences faites aux femmes, nous avons constaté d'importantes difficultés...

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Plus que pour les juges, il me semble que des difficultés peuvent apparaître pour les médecins et les éducateurs, sur lesquels repose une bonne part du suivi socio-judiciaire.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Vous ne dites donc pas que le budget est suffisant...

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Le budget du ministère de la Justice augmentera, en cinq ans, d'environ 1,7 milliard d'euros, soit une progression de presque 25 %, ce qui représente la plus forte augmentation depuis fort longtemps !

M. François Grosdidier, rapporteur. - Nous partons de tellement bas qu'on n'a pas vraiment le sentiment que cela couvre tous les besoins constatés sur le terrain !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Rien n'est jamais suffisant pour la justice...

M. Jean Sol. - Je salue votre ambition de refondre partiellement la procédure pénale. Vous affichez deux objectifs majeurs : la simplification et l'harmonisation. De manière concrète, aurez-vous les moyens matériels et humains pour remplir ces objectifs, en particulier en termes de formation ? Comment entendez-vous assurer le suivi et l'évaluation de cette réforme ?

Mme Gisèle Jourda. - Les droits de la défense sont évidemment très importants. La simplification des tâches qui incombent aux enquêteurs aura-t-elle des conséquences sur la place des avocats durant la garde à vue ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - En ce qui concerne les moyens de la Justice, le projet de loi de programmation et de réforme de la justice prévoira 1,7 milliard d'euros supplémentaires entre 2017 et 2022 et ouvrira le recrutement de 6 500 emplois - magistrats, fonctionnaires, surveillants de l'administration pénitentiaire... La réduction de la complexité des tâches et la création d'emplois devraient nous permettre de faire fonctionner la justice plus rapidement et plus efficacement.

Au sujet de l'évaluation de cette réforme, je vous rappelle que la révision constitutionnelle proposée par le Gouvernement entend renforcer les pouvoirs du Parlement en matière d'évaluation des politiques publiques. Je reviendrai donc naturellement vers vous au moment opportun.

En ce qui concerne la présence des avocats durant la garde à vue, je vous rappelle qu'il s'agit d'une obligation constitutionnelle réaffirmée à plusieurs reprises. La simplification que nous envisageons profitera aux avocats et n'obèrera pas les droits de la défense. Il faut savoir que, lorsque les forces de sécurité intérieure n'ont pas pu obtenir satisfaction sur certaines de leurs demandes, c'est en raison d'obligations conventionnelles et constitutionnelles ; cela fait partie de mon rôle en tant que garde des sceaux, j'y suis très attachée.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Je souhaite maintenant que nous puissions évoquer la question des tâches indues, qui regroupe trois volets : l'administration pénitentiaire, la police municipale, avec l'éventuelle qualification judiciaire de ses membres, et la sécurité privée. Sur ce dernier point, le conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) et les employeurs sont-ils suffisamment informés des antécédents judiciaires des candidats ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Je souhaite tout d'abord rappeler que les extractions judiciaires, qui doivent assurer la comparution des personnes placées sous main de justice, répondent évidemment à un intérêt public ; il n'apparaît donc pas illégitime que leur charge soit supportée par l'ensemble des forces de sécurité intérieure - ce qui inclut les agents de l'administration pénitentiaire.

Le transfert de la charge des missions d'extraction judiciaire du ministère de l'Intérieur vers celui de la Justice a été décidé lors d'une réunion interministérielle qui s'est tenue en 2010. Malheureusement, les effectifs nécessaires à une reprise intégrale de ces missions par l'administration pénitentiaire ont été, à l'origine, insuffisamment évalués. Pour autant, ce processus a débuté en 2011 et doit se poursuivre progressivement jusqu'en novembre 2019. À ce jour, 70 % des extractions judiciaires effectuées par les forces de sécurité intérieure ont été transférées à la direction de l'administration pénitentiaire.

Toutefois, l'insuffisance du transfert des équivalents temps plein nécessaires pour assumer cette mission, l'insuffisante diminution du volume des extractions requises et l'organisation du maillage territorial retenue par la direction de l'administration pénitentiaire ont occasionné un certain nombre d'impossibilités de faire. Ces situations ont cependant diminué entre 2016 et 2017, leur taux passant de 21 % à 12 % avec des disparités importantes selon les régions.

À la suite d'un rapport d'inspection interministérielle, un plan d'action a été adopté par les ministres de l'Intérieur et de la Justice, le 3 mars 2017, et une circulaire, qui décline ce plan, cosignée par Gérard Collomb et moi-même, a été diffusée le 28 septembre 2017.

Plusieurs mesures de ce plan impliquent une mobilisation accrue tant du ministère de l'Intérieur que du ministère de la Justice.

Ainsi, le ministère de l'Intérieur doit adapter le calendrier de reprise pour répondre aux délais de recrutement, de formation et d'affectation, tout en conservant, évidemment, le principe d'une reprise totale en 2019. Dans 21 établissements pénitentiaires, la prise en charge des extractions vicinales, c'est-à-dire celles requises par une juridiction située à proximité de l'établissement, est assurée, par dérogation à la règle générale, par les forces de sécurité intérieure. Les extractions judiciaires présentant un enjeu procédural majeur sont également prises en charge par les forces de sécurité intérieure, lorsque l'administration pénitentiaire est dans l'incapacité absolue d'exécuter les réquisitions afférentes. Ces trois points impliquent la mobilisation du ministère de l'Intérieur.

Le ministère de la Justice doit également fournir un effort supplémentaire, en s'organisant pour faire face aux difficultés qui ont été identifiées. L'administration pénitentiaire doit, d'une part, revoir le maillage territorial et l'organisation des structures dédiées aux extractions judiciaires - les fameux pôles de rattachement d'extractions judiciaires (PREJ). Par ailleurs, le recours à la visioconférence doit être optimisé : d'un point de vue technique, des progrès ont d'ores et déjà été constatés ; d'une manière générale, je vous proposerai, dans le cadre du projet de loi de réforme de la justice, d'accroître la possibilité de recourir à la visioconférence, en supprimant la nécessité de l'accord du détenu, à l'exception de la première comparution. Les magistrats doivent aussi, désormais, signaler les réquisitions d'extractions qui comportent un enjeu procédural majeur, en particulier lorsqu'il existe un risque de remise en liberté, et qui doivent être exécutées en priorité par la direction de l'administration pénitentiaire ; en cas de carence absolue des moyens, l'extraction doit alors être réalisée par les forces de l'ordre. Nous essayons de nous organiser pour que cette situation ne se présente pas.

Vous le voyez, les choses s'améliorent des deux côtés. Nous sommes aussi en discussion avec le ministère de l'Intérieur, qui sollicite une révision des tarifs kilométriques des missions d'extraction - ils n'ont pas été revus depuis 1993... Enfin, je signale que nous avons mis en place un comité stratégique des directeurs, qui réunit les deux ministères et veille à la bonne exécution de ces missions.

M. Stéphane Bredin, directeur de l'administration pénitentiaire. - En ce qui concerne la direction de l'administration pénitentiaire et au-delà des points qui ont été évoqués par Mme la garde des sceaux, nous poursuivons les recrutements des personnels qui seront affectés dans les pôles régionaux d'extractions judiciaires. Il faut savoir que ces pôles ne font pas partie des structures pénitentiaires les plus attractives pour les personnels et qu'ils sont parfois rattachés à des établissements eux-mêmes peu attractifs - je pense notamment aux régions parisienne, lyonnaise et marseillaise. C'est pourquoi nous menons une réflexion sur les moyens de fidéliser les agents concernés.

Le deuxième axe important d'amélioration concerne la réflexion que nous menons sur le maillage : il existe des disparités extrêmement fortes entre les territoires en termes d'impossibilité de faire. Il est relativement facile de rationaliser le processus d'extraction dans des zones disposant d'établissements pénitentiaires et de tribunaux importants, par exemple en organisant des extractions groupées. C'est plus difficile lorsque le territoire est vaste et que le pôle régional est éloigné de certains tribunaux et établissements. Dans ce cas, les extractions vicinales ont été reprises, en partie, par le ministère de l'Intérieur et, pour celles qui restent de la compétence du ministère de la Justice - plus de la moitié d'entre elles -, nous passons d'une logique strictement régionale à une organisation par établissement.

Enfin, le recours à la visioconférence, qui ne relève pas strictement de la compétence de l'administration pénitentiaire, a quasiment doublé entre avril 2017 et mars 2018, passant de 900 à environ 1 600 : cette progression révèle l'évolution des mentalités et la levée de différents prérequis techniques, mais surtout la confiance que les juridictions, les justiciables et leurs défenseurs lui accordent. En outre, le projet de loi de programmation ouvrira de nouvelles possibilités d'utilisation.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Que pensez-vous d'une éventuelle qualification judiciaire du personnel de l'administration pénitentiaire et du rehaussement de la qualification judiciaire des policiers municipaux dans certains domaines pour décharger la police nationale de charges indues ? Enfin, l'information mise à la disposition des employeurs de sécurité privée pour recruter est-elle suffisante ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Les policiers municipaux sont des agents de police judiciaire adjoints et interviennent sous le contrôle des OPJ. Une évolution de leur statut peut éventuellement être envisagée, mais il existe aujourd'hui d'importantes différences de niveau en termes de recrutement et de formation, ce qui rend cette question délicate. À tout le moins, il faut bien réfléchir à l'ensemble de ces paramètres et articuler correctement le rôle de chacun, sous le contrôle du procureur.

M. Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces. - En ce qui concerne le recrutement des personnels des sociétés de sécurité privée, un mécanisme permet au CNAPS d'avoir accès au fichier des antécédents judiciaires (TAJ) par l'intermédiaire des procureurs. Ce secteur recrute beaucoup et nous sommes donc très attentifs à ce que les choses se déroulent au mieux et à ce que les employeurs connaissent les antécédents de leurs agents.

M. Stéphane Bredin. - Une éventuelle qualification judiciaire pour les personnels de l'administration pénitentiaire pourrait constituer une forme de paradoxe au regard de l'évolution que nous constatons depuis une quinzaine d'années, tendant à ce que les ministères de l'Intérieur et de la Justice se recentrent sur leurs missions. Il est clair qu'aujourd'hui, les agents de l'administration pénitentiaire ne sont pas formés au métier, très spécifique, d'officier de police judiciaire.

En outre, les finalités de nos missions sont très différentes : en simplifiant, l'administration pénitentiaire poursuit une double mission, sécuritaire - protéger la société et punir les condamnés - et sociale - favoriser l'amendement du condamné et préparer les conditions de sa réinsertion -, tandis que la police judiciaire vise à recevoir les plaintes, constater les infractions, rechercher leurs auteurs, rassembler des preuves...

Enfin, les agents de l'administration pénitentiaire et les détenus ont un rapport à la fois de proximité et de suggestion. Ajouter des pouvoirs de police judiciaire dans une telle relation asymétrique entraînerait une difficulté supplémentaire.

M. Michel Boutant, président. - Je vous remercie, madame la garde des sceaux, messieurs, de vos interventions. N'hésitez pas à nous transmettre des éléments écrits si vous l'estimez nécessaire.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion, close à 11 heures, est reprise à 14 heures.

Audition de M. Éric Voulleminot, directeur central adjoint de la police judiciaire

M. Michel Boutant, président. - Nous allons entendre M. Éric Voulleminot, directeur central adjoint de la police judiciaire. Notre commission d'enquête analyse les difficultés rencontrées par les forces de sécurité intérieure dans l'exercice de leurs missions. La lourdeur et la complexité de la procédure pénale est l'une des causes du malaise que celles-ci expriment. Nous avons notamment entendu MM. Beaume et Natali, auteurs du rapport consacré à la question, ainsi que la ministre de la justice, ce matin même. Nous avons également effectué un déplacement à Bordeaux consacré à ce thème. Quelles sont les mesures prises au sein de la police judiciaire (PJ) pour remédier à ce problème ?

Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Enfin, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Éric Voulleminot prête serment.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Notre commission d'enquête a été constituée après la vague de suicides dans la police, et à la suite du mécontentement fort exprimé par les policiers d'une manière qui débordait le cadre syndical. Quelles sont les causes de ce malaise ? Que proposer pour y remédier ? À l'échelle individuelle, nous avons déjà beaucoup de réponses. Dans la police judiciaire, quelles mesures sont mises en oeuvre pour prendre en charge les risques psychosociaux ? Sont-elles suffisantes ? S'inscrivent-elles dans le même cadre d'action que celles prise par la Sécurité publique ou les CRS ?

Beaucoup de policiers dénoncent le fossé grandissant entre les trois corps de la police nationale. À l'inverse, alors que la gendarmerie nationale est très hiérarchisée, un général s'y considère comme le camarade d'un brigadier. Une telle fraternité semble manquer entre les commissaires, les officiers et les gardiens de la paix. Qu'en pensez-vous ? La formation ne fait pas en sorte que les commissaires partagent la condition des policiers. Comment réduire ce fossé ? Il y a quelques décennies, existait un esprit de corps dans la police. La situation semble s'être dégradée à cet égard, notamment sous la pression de contraintes extérieures transformant les commissaires en gestionnaires plus qu'en meneurs d'hommes sur le terrain.

La police nationale ne souffre-t-elle pas d'une organisation en tuyaux d'orgue ? Dans la gendarmerie, il y a une forme d'horizontalité à chaque niveau territorial. La césure entre les services régionaux de police judiciaire et la sûreté départementale est plus grande qu'entre les sections de recherche et les brigades de recherche.

Certains dénoncent une politique du chiffre. A-t-elle vraiment existé ? Existe-t-elle encore ? Difficile à dire. Quid de la PJ à cet égard ? Y a-t-il des exigences plus quantitatives que qualitatives, qui ne seraient pas comprises par la hiérarchie intermédiaire, ce qui ne ferait qu'accroître la pression sur les subordonnés ?

Les policiers se plaignent aussi de la lourdeur de la procédure judiciaire et des tâches administratives : d'après eux, celles-ci absorbent les deux tiers de leur temps. Est-ce le cas dans la PJ ? La réforme de la procédure pénale qui s'esquisse répond-elle aux attentes de vos services ? Avez-vous le sentiment d'avoir été entendus par le ministère de l'Intérieur ?

On évoque parfois la création d'une académie de police. Ne faudrait-il pas développer les formations communes aux différents corps ? La formation initiale de votre personnel le prépare-t-il suffisamment à exercer son métier ? La formation continue est-elle satisfaisante ?

M. Éric Voulleminot, directeur central adjoint de la police judiciaire. - Les travaux de votre commission d'enquête portent sur le mal-être que les forces de sécurité ont ouvertement manifesté fin 2016. Vos auditions visent à dresser un diagnostic, à déterminer les causes du problème et à définir des solutions. Ce mal-être résultait d'une superposition de problématiques : baisses d'effectifs, réductions budgétaires, engagement maximal et durable dans la lutte contre le terrorisme - cause légitime mais ayant fini par générer une certaine fatigue - complexification de la procédure, niveau croissant d'insécurité dans les interventions de terrain, sentiment d'insécurité permanent ressenti par les fonctionnaires de police du fait de leur profession, pour eux-mêmes comme pour leur famille - surtout depuis l'attentant de Magnanville, dont nos services ont eu à connaître - manque de reconnaissance enfin.

Les services de la PJ ont été impactés par ce mal-être, et le directeur central de la police judiciaire (DCPJ), Mme Mireille Ballestrazzi, tout son état-major ainsi que les chefs de services centraux et territoriaux se sont mobilisés pour faire face à ces problématiques.

Cela dit, leur impact sur la PJ a été moindre que dans d'autres services, pour quatre raisons.

D'abord, en raison de la nature et du niveau des affaires qui nous sont confiées. La direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) est une direction spécialisée, qui lutte contre la criminalité organisée, la délinquance spécialisée, la cybercriminalité et le terrorisme. Elle est organisée autour de sept services centraux et onze services territoriaux, qui couvrent la totalité du territoire national, et emploie quelque 5 300 personnes, des enquêteurs aux personnels administratifs en passant par la police technique et scientifique. Les enquêtes engagées sur des dossiers sensibles donnent lieu à des missions valorisantes.

De plus, la DCPJ bénéficie d'un budget opérationnel de programme national, et le DCPJ est lui-même un officier de police judiciaire (OPJ), comme le sont son adjoint et tous les chefs des services centraux et territoriaux.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Pas le préfet ?

M. Éric Voulleminot. - Non ! Le DCPJ peut être saisie directement par l'autorité judiciaire de toute affaire majeure, surtout en matière de terrorisme. Il mobilise alors le nombre adéquat de services - la chaîne hiérarchique répond parfaitement. Ainsi, lors de l'attentat de Nice, plus de 300 fonctionnaires de la PJ ont été projetés sur les lieux au cours de la nuit. Ils venaient de Marseille et Montpellier, mais aussi de la sous-direction antiterroriste de Levallois et de la sous-direction anti-cybercriminalité de Nanterre. Et, le jour de l'attentat de Trèves et Carcassonne, 170 fonctionnaires ont été projetés sur les lieux dans les trois heures, issus des deux mêmes sous-directions ou bien venus de Marseille, ou encore de Lyon.

Les fonctionnaires impliqués dans des affaires aussi emblématiques ont une motivation toute particulière, et veulent être engagés. De telles enquêtes fédèrent, tous grades confondus.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Tout cela a-t-il un impact sur le nombre de suicides ?

M. Éric Voulleminot. - J'y viens. Dans la police judiciaire, les services ont vocation à engager des enquêtes d'initiative, sur la base de renseignements qu'ils ont recueillis. C'est aussi très valorisant.

Je vois une deuxième raison dans la spécialisation des fonctionnaires de la DCPJ : criminalité organisée, cybercriminalité, lutte contre le terrorisme... Nos fonctionnaires bénéficient de formations organisées par nos soins, soit pour s'initier à un domaine, soit pour s'y perfectionner. Ainsi, chacun bénéficie de l'expérience et des connaissances accumulées dans la maison.

Troisième raison : l'engagement de toute la chaîne hiérarchique dans le management opérationnel des enquêtes. Sur les dossiers majeurs, emblématiques, difficiles, ou lorsque les enjeux sont particulièrement élevés, des fonctionnaires de corps différents s'impliquent à tous les stades de l'enquête. Dès la constatation, il n'est pas rare qu'un commissaire se transporte, par exemple, sur la scène d'un règlement de comptes à Marseille. Les commissaires peuvent aussi s'impliquer dans des filatures ou des interpellations sensibles, dans les séquences de garde à vue et, d'une manière générale, dans le déroulé et le suivi de l'enquête. Ils contrôlent en tous cas la rigueur de la procédure. Cet engagement de la chaîne hiérarchique, qui est l'ADN de la police judiciaire, se poursuit jusqu'au stade du jugement, puisque le président de la Cour d'assise cite à la barre plusieurs enquêteurs, en commençant par le commissaire de police, qui présente la stratégie de l'enquête et les éléments recueillis à l'encontre de l'accusé, avant d'appeler d'autres fonctionnaires à témoigner sur la partie de l'enquête qu'ils ont menée.

Quatrième raison, enfin : la PJ ne recrute pas en sortie d'école, puisque les jeunes recrues sont envoyées dans des directions généralistes ou à la Préfecture de police de Paris, qui manque toujours d'effectifs, mais sur dossier et après un entretien visant à évaluer le profil du candidat, sa disponibilité, son expérience professionnelle et sa motivation. Les candidats connaissent bien sûr les exigences de disponibilité et de réactivité de la PJ et, lorsqu'ils sont retenus, ils en adoptent rapidement les valeurs : travail collectif, solidarité, rigueur et efficacité.

Ces quatre raisons expliquent, à mon sens, pourquoi le mal-être des forces de sécurité a été moins fort au sein de la PJ. Pour autant, il n'a pas été inexistant, et le DCPJ s'est mobilisé pour y faire face. Les problèmes touchent, en gros, soit aux ressources humaines, soit au matériel et à l'équipement.

La baisse de nos effectifs s'est poursuivie mécaniquement jusqu'en 2015. La mise en oeuvre des plans de lutte antiterroriste et du pacte de sécurité ont permis de passer de 4 900 personnes en 2015 à plus de 5 000, avant d'atteindre 5 350 aujourd'hui. C'est une hausse de 10 %, qui a essentiellement profité à la sous-direction anti-terroriste ainsi qu'aux unités de surveillance, de filature et d'interpellation d'individus dangereux, et à celles où la charge de travail était particulièrement lourde. Et la création, en avril 2017, du service central de police technique et scientifique, a mobilisé quelque 200 fonctionnaires supplémentaires. Nos services s'en sont trouvés renforcés, et remis à niveau.

Pour fidéliser nos fonctionnaires, nous assurons pour eux formation et perfectionnement. Ainsi, nous organisons chaque année 19 ou 20 stages thématiques, ouverts aux fonctionnaires d'autres directions : enquêtes économiques et financières, analyse criminelle, saisie des avoirs criminels, surveillance, filature et interpellation d'individus dangereux, lutte anti-terroriste, investigations en cybercriminalité... Nous avons aussi réformé la nomenclature des postes, ce qui permet à des membres des corps d'encadrement et d'application d'exercer des fonctions jusqu'alors réservées à des OPJ.

Deuxième point : les heures supplémentaires. C'est un sujet difficile, notamment dans la PJ.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Êtes-vous concernés par les 21 millions d'heures supplémentaires non payées ?

M. Éric Voulleminot. - Nous en avons notre part. L'activité de la PJ est imprévisible par définition, les affaires qui nous sont confiées n'ayant pas obligatoirement lieu entre 8h30 le lundi et 18h30 le vendredi... Cela génère un grand nombre d'heures supplémentaires. De plus, il est fréquent que les saisines se succèdent en quelques heures, ce qui nous oblige à rappeler des personnels. Enfin, beaucoup d'enquêtes menées par la PJ débouchent sur des gardes à vue de 96 heures : vol en bande organisée, trafic de stupéfiant, terrorisme... Nous demandons aux chefs de service d'autoriser des prises de poste décalées en cas de départ tardif le soir, et recourrons de plus en plus à des moyens technologiques pour réduire les besoins en personnel, pour la surveillance ou les vérifications techniques à distance.

La simplification de la procédure pénale ne concerne pas que la PJ. Des groupes de travail se sont réunis, associant des enquêteurs de tous grades. Ils ont formulé 29 propositions de simplification, les ministères de l'intérieur et de la justice ont travaillé sur cette base et un projet de loi a été déposé le mois dernier.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Combien de vos 29 propositions y sont-elles reprises ?

M. Éric Voulleminot. - Quasiment toutes. L'objectif n'est pas de revoir toute la procédure pénale, ce qui prendrait des années, mais à simplifier à court terme pour alléger le travail des enquêteurs.

L'anonymisation, demandée depuis longtemps par les policiers, l'est encore plus depuis l'attentat de Magnanville. L'article 706-24 du code de procédure pénale attribue l'anonymisation aux fonctionnaires en charge de la lutte antiterroriste : un numéro administratif leur est attribué par le Parquet général de Paris. L'article 15-4 du même code est plus général et touche l'ensemble des enquêteurs : après autorisation du chef de service, le fonctionnaire peut acter de manière anonyme en utilisant son numéro référentiel des identités et de l'organisation lorsque les faits sont punissables d'une peine d'emprisonnement de trois ans ou plus.

M. François Grosdidier, rapporteur. - La loi n'incluait pas certains auxiliaires de l'enquête, comme les traducteurs ou les experts. Cela pose-t-il des problèmes ?

M. Éric Voulleminot. - L'anonymisation est possible pour l'ensemble des acteurs de l'enquête. Autrefois, les personnels techniques et scientifiques, qui opèrent sur les scènes de crime, n'étaient pas protégés.

Notre parc automobile était vieillissant. Il comporte 2 000 véhicules, dont 1 700 véhicules de tourisme directement engagés dans des filatures ou de la surveillance.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Ils ne sont donc pas sérigraphiés.

M. Éric Voulleminot. - Non, et certains sont même acquis d'occasion - avec un faible kilométrage - pour un meilleur panachage des marques, garant de discrétion.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Sans compter les saisies...

M. Éric Voulleminot. - En effet. En deux ans et demi, nous avons renouvelé un peu moins de 700 véhicules de tourisme. D'après les règles du ministère, seuls 20 % d'entre eux seraient éligibles au renouvellement. Mais, depuis trois ans, un plan de saisie-attribution nous a permis de recevoir 365 véhicules. C'est une solution pragmatique et efficace.

Depuis trois ans, de très gros efforts budgétaires ont été consentis pour renouveler l'armement du personnel et le matériel de protection de nos unités d'intervention, ainsi que notre parc informatique.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Quid du matériel plus sophistiqué ?

M. Éric Voulleminot. - Je ne développerai pas ce point, mais nous avons quelques IMSI-catcher. Certains crédits sont fléchés pour cela. Ces outils sont utilisés par un seul service.

M. Michel Boutant, président. - Et sous autorisation judiciaire.

M. Éric Voulleminot. - Les besoins exprimés par les services croissent de manière exponentielle.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Et l'équipement n'est pas à la hauteur...

M. Éric Voulleminot. - Nous disposons déjà d'un parc de balises important.

M. François Grosdidier, rapporteur. - L'équipement fait gagner du temps.

M. Éric Voulleminot. - Mais il ne remplace pas la présence physique.

Mme Samia Ghali. - En cas de grosse arrestation, les fonctionnaires touchent-ils une prime ? Si oui, sous quelle forme ?

M. Éric Voulleminot. - Sur proposition du chef de service, dans certaines affaires qui sortent de l'ordinaire, le DCPJ peut envoyer une lettre de félicitations, avec laquelle ils peuvent demander l'attribution d'une prime. Cela ne porte que sur un nombre limité d'affaires. Les critères sont la durée de l'engagement, les résultats judiciaires et les saisies réalisées. Si les primes sont modestes - quelques centaines d'euros -, les fonctionnaires de police sont très sensibles à la reconnaissance qu'elles manifestent.

M. Henri Leroy. - Je compatis : quand on sait ce qu'il faut comme énergie pour faire aboutir une enquête, et ce qu'en font les magistrats, on se demande si ce n'est pas démotivant pour les OPJ !

M. Éric Voulleminot. - Les enquêteurs de la PJ sont passionnés. C'est une vocation. Et le fait d'intervenir sur des affaires emblématiques leur apporte une certaine reconnaissance sociale. Comme nous traitons le haut du spectre de la délinquance, les poursuites judiciaires suivent. Même, la stratégie d'enquête fait l'objet d'échanges nourris avec l'autorité judiciaire. C'est vraiment un combat commun.

M. Henri Leroy. - Je ne parlais pas des OPJ, dont je connais la passion et la motivation. Mais, souvent, les résultats ne sont pas à la hauteur de leur investissement. Quel impact psychologique cela a-t-il sur eux ?

M. Éric Voulleminot. - Dans la police, la mission est d'identifier les malfaiteurs, de les arrêter et de les déférer à l'autorité judiciaire. La satisfaction est d'abord dans l'accomplissement de cette mission.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Ce qui mine le travail des gendarmes, ce sont les affaires de petite délinquance. Comme le parquet est débordé, elles sont classées sans suite et les délinquants sont relâchés le lendemain.

Mme Gisèle Jourda. - Ancienne élue locale de Trèves, je confirme que la promptitude du déploiement de vos hommes lors de l'attentat a évité des effusions de sang.

M. Michel Boutant, président. - Belle conclusion !

Audition de M. Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières, et de Mme Brigitte Lafourcade, directrice centrale adjointe

M. Michel Boutant, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. Fernand Gontier, Directeur central de la police aux frontières, et de Mme Brigitte Lafourcade, Directrice centrale adjointe.

Notre commission d'enquête s'efforce d'établir un diagnostic objectif sur l'existence ou non d'un mal-être au sein des forces de sécurité intérieure, ce mal-être ayant notamment pu se manifester par des expressions de colère débordant, en particulier depuis la fin de l'année 2016, les canaux traditionnels. Ensuite, elle tente de comprendre les causes de ce phénomène, qu'elles soient matérielles ou morales, et d'examiner l'efficacité des mesures qui ont déjà été prises pour y porter remède au cours des dernières années. Enfin, elle souhaite proposer des pistes pour améliorer la situation.

Nous voulons vous entendre sur ces différents sujets s'agissant de la police aux frontières (PAF), qui a été particulièrement sollicitée au cours des dernières années. Nous avons déjà rencontré des agents de la PAF lors de notre déplacement à Calais. Nos collègues vous poseront ensuite des questions sur des points plus particuliers.

Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Enfin, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Fernand Gontier et Mme Brigitte Lafourcade prêtent serment.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Cette commission d'enquête a pour but d'identifier les causes du malaise policier tel qu'il s'est exprimé par une vague de suicides et par l'expression de leur colère hors du champ syndical, et nous souhaitons présenter des propositions pour y remédier.

La police nationale a pris diverses mesures pour prévenir les risques psychosociaux : correspondent-elles aux attentes de la PAF ? L'esprit de corps y est-il développé ?

En raison de la pression migratoire, vos effectifs ont-ils été renforcés ? Dans le cadre de la création de 7 500 postes de policiers, bénéficierez-vous d'effectifs supplémentaires ?

De nombreux policiers ont dénoncé la politique du chiffre, mais certains nous ont affirmé qu'elle n'avait jamais existé tandis que d'autres estimaient qu'elle n'était plus en vigueur. A-t-on fixé des objectifs strictement quantitatifs à la PAF ? Ou bien y a-t-il des critères qualitatifs ? Si tel est le cas, comment sont-ils pris en compte et récompensés ?

Les policiers et les gendarmes souffrent de la lourdeur de la procédure pénale : ils consacrent les deux-tiers de leur temps à des tâches administratives et un tiers seulement aux missions opérationnelles. Est-ce aussi le cas à la PAF ? En outre, la complexification du droit accroît le risque d'erreur de procédure. Votre service en souffre-t-il ? Le projet de loi réformant le code de procédure pénale répond-il à vos attentes ?

Votre parc immobilier et vos véhicules sont-ils aussi vétuste que dans le reste des forces de l'ordre ? Disposez-vous des équipements nécessaires ?

M. Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières. - La particularité de la PAF est d'être confrontée depuis 2015 à des situations de crise. La crise migratoire qui a touché l'Europe n'a pas épargné la France. En 2015, l'Europe a vu l'arrivée de 2 millions de migrants, 500 000 en 2016 et 250 000 en 2017. La situation n'est pas meilleure cette année, dans la mesure où les flux migratoires se poursuivent à nos frontières et sont marqués par des mouvements secondaires. Depuis le 13 novembre 2015, nous avons rétabli les contrôles aux frontières qui se poursuivront jusqu'au 31 octobre 2018. Depuis plus de deux ans et demi, nous sommes donc dans une situation atypique pour notre service. Avec Schengen en 1995, les frontières avaient été graduellement supprimées. Aujourd'hui, tel n'est plus le cas : nous avons redéployé massivement nos effectifs aux frontières, à savoir 3 000 à 4 500 agents, en fonction des évènements.

En 2018, nous comptons 11 039 ETP, contre 9 332 au 1er janvier 2008. Si nos effectifs ont augmenté, la situation n'est plus la même non plus : en 2015, nous avons connu la vague migratoire, les attentats et le durcissement du code frontière Schengen. Depuis avril 2017, les contrôles aux frontières extérieures doivent être systématiques à l'entrée et à la sortie : l'ensemble des bases de données nationales et européennes doivent ainsi être interrogées pour chaque voyageur. En 2017, 80 000 personnes recherchées ont été détectées par la PAF, dont un nombre significatif de personnes fichées « S ». Prévention du terrorisme et prévention du risque migratoire peuvent être parfois liés, car nous ignorons souvent les antécédents, l'identité, la nationalité des personnes que nous contrôlons.

L'année 2015 a été une année de fracture : nous sommes passés de la libre circulation au contrôle. La crise migratoire n'a pas disparu : les routes migratoires orientales reprennent de la vigueur. La Méditerranée centrale est pour l'instant maîtrisée avec une baisse de 73 % des flux passant par la Libye. En revanche, la route migratoire en provenance du Maroc a repris de la vigueur, avec un flux attendu cette année de 30 000 migrants. Fin 2018, nous devrions enregistrer 200 000 entrées en Europe. Les migrants viennent traditionnellement d'Afrique de l'ouest, mais aussi de pays en guerre : Irak, Afghanistan, Syrie...

On demande beaucoup à la PAF sur les frontières mais aussi sur le territoire. Depuis octobre 2017, notre service a dû éloigner massivement les étrangers en situation irrégulière. Aujourd'hui, nos 23 centres de rétention administrative en métropole et nos 4 centres outre-mer sont complets alors qu'auparavant, ils étaient occupés à 60-65 %.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Vous êtes à saturation ?

M. Fernand Gontier. - Tout à fait et c'est pourquoi M. le ministre a décidé d'ouvrir de nouvelles places de rétention : aux 1 550 places actuelles devraient s'ajouter d'ici la fin de l'année 400 places supplémentaires.

La PAF a dû aussi se préparer au schéma national d'intervention, former et doter les personnels de moyens lourds d'intervention. Lors de l'attentat d'Orly en mars 2017, la PAF a été confronté à une situation de crise. Des policiers de la PAF assurent la sécurisation des aéroports, de l'Eurostar, du Thalys.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Je n'ai pas évoqué la question des charges indues. La sécurité privée dans les aéroports a-t-elle allégé vos missions ?

M. Fernand Gontier. - Pas vraiment. L'externalisation des missions d'inspection, de filtrage et de sureté est en place depuis 1994.

La planche de salut de la PAF réside dans les nouvelles technologies, qu'il s'agisse de la sécurisation des sites ou de contrôles aux frontières. Ces derniers pourraient être automatisés en grande partie. À l'heure actuelle, la reconnaissance faciale des passagers européens n'est pas assez développée : alors qu'on ne traite que 5 % des passagers, il serait possible d'en contrôler 40 %. Il n'est pas possible d'externaliser les contrôles aux frontières, mais il est possible de le faire pour les inspections filtrages. En revanche, nous travaillons avec la direction générale des étrangers en France sur les missions qui pourraient être externalisées dans les centres de rétention. Aujourd'hui, les policiers sont polyvalents dans ces centres : ils font l'accueil, la sécurité incendie, le transport... Nous estimons que 300 à 350 postes pourraient revenir à des personnels privés, ce qui libèrerait d'autant nos policiers. Des personnels administratifs pourraient aussi se substituer à des policiers pour des tâches de greffe, d'accueil, de contentieux...

La PAF risque de ne pas pouvoir répondre à toutes les tâches qui lui sont confiées. Ainsi, la lutte contre les filières repose essentiellement sur nous. En 2017, nous avons démantelé 303 filières.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Comment vos rôles s'articulent-ils entre la PAF et la police judiciaire (PJ) ?

M. Fernand Gontier. - Cela se passe sans problème dans la mesure où la PAF dispose d'un office central spécialisé dans le démantèlement des filières. C'est le seul office de police qui n'appartient pas à la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ).

Rien que pour le trafic de migrants, 7 000 passeurs, logeurs, employeurs ont été mis en cause en 2017. La PJ ne vient pas nous concurrencer sur ce terrain car nous avons des effectifs dédiés à la lutte contre les filières. Notre office central coordonne toutes les enquêtes. Il n'y a donc pas de guerre des polices. Depuis 2005, on nous a confié la lutte contre l'immigration irrégulière et contre les filières.

La police européenne des frontières va se développer dans les années à venir. Le nouveau règlement Frontex permet depuis 2016 de disposer d'un droit de tirage sur des effectifs nationaux. En cinq jours, Frontex peut disposer de 1 500 gardes-frontière sur n'importe quelle frontière européenne. La France doit fournir 17 % de cet effectif. À l'automne 2017, nous avons testé ce dispositif en Bulgarie. Chaque année, nous déployons entre 800 et 900 experts sur les frontières extérieures. La PAF est donc également engagée sur les frontières extérieures de l'Union, voire dans les pays d'où partent les migrants. Ainsi, la PAF travaille-t-elle au Niger pour lutter contre les filières qui opèrent en Afrique et qui alimentent les réseaux libyens.

La mise en place du PNR pèse essentiellement sur la PAF : la totalité des vols extra-communautaires sont rattachés au PNR et, à la fin de l'année, les vols intra-communautaires devraient également l'être. Ce fichier permet de nombreuses interpellations de personnes recherchées.

Pour répondre à vos questions, les technologies doivent nous permettre de réaffecter les effectifs. En 2018, il faudra régler la question des contrôles automatisés par recours à la reconnaissance faciale : tous les pays européens y seront éligibles.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Ce n'est pas le cas aujourd'hui ?

M. Fernand Gontier. - Les passeports comprennent des puces dans lesquelles figurent les empreintes digitales codées et le visage, en accès libre. Or, nous ne pouvons accéder à toutes les puces de tous les passeports européens. Seuls quatre pays ont accepté d'échanger les clés de cryptage qui permettent de lire leurs puces. Avec les sas d'accès pour la reconnaissance faciale, plus besoin de disposer des clés de cryptage. Cette technologie est actuellement testée à la gare du Nord et en gare de Saint-Pancras, à Londres, ainsi qu'à Roissy. Si ces sites pilotes donnent satisfaction, il sera possible de les déployer massivement sur le territoire français.

À l'horizon 2021, de grands fichiers européens vont être activés : le contrôle aux frontières va donc s'alourdir.

En 2017, il y a eu 175 millions de passagers aériens, contre 135 millions en 2010. En 2021, ces nouveaux fichiers européens nécessiteront la biométrie des ressortissants des pays tiers. Leurs empreintes digitales seront donc relevées à leur passage à la frontière. Le temps de contrôle d'un passager est de 7 secondes pour un Européen, de 45 secondes pour un passager non soumis à un visa et d'une minute trente pour un détenteur de visa. Il n'est pas possible d'alourdir le processus, sinon les aéroports seront bloqués. Il faudra donc avoir recours au pré-contrôle : le passager se présentera devant un kiosque et déposera son passeport pour que les fichiers de police soient interrogés et son visage sera reconnu. Le contrôle sera ensuite plus rapide.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Qui paye ? L'État ou ADP ?

M. Fernand Gontier. -Les sas automatisés relèvent des aéroports, mais le système central dépend du ministère de l'intérieur. Les aéroports souhaitent aller de l'avant car ils savent qu'ils ne pourront échapper aux fichiers européens, comme ES (Entrée - Sortie) et Etias (European Travel Information and Authorization System).

M. Michel Boutant, président. - Les informations ainsi collectées seront-elles conservées ou détruites ?

M. Fernand Gontier. - Les ressortissants européens ne seront pas concernés. Seuls le seront les ressortissants des pays tiers. Les données du PNR, alimenté par les compagnies aériennes et non par la PAF, sont conservées pendant cinq ans, mais il n'existe pas d'enregistrement systématique des passages à la frontière.

Nous avons besoin de technologies mobiles pour les investigations et les contrôles sur le territoire, notamment de moyens biométriques pour les personnes dont la date de visa a expiré. Nous avons été dotés de 3 000 tablettes Néo, mais il leur manque la fonction biométrie pour lire les empreintes et interroger Eurodac ou VIS (Visa information system). Depuis la dépénalisation des séjours irréguliers en 2012, les étrangers en situation irrégulière ne font plus l'objet d'un enregistrement de leurs empreintes digitales. Les forces de police ne savent donc pas qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement. Le projet SBNA (système biométrique national de l'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France) permettra d'enregistrer la biométrie de façon administrative. Pour les étrangers, tout se passe désormais au niveau administratif et non plus judiciaire : il n'y a plus de gardes à vue, plus de pouvoirs d'investigation, plus de relevés d'empreintes digitales, et cela depuis cinq ans. Or, la police a besoin de savoir qui est qui.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Pour lutter contre les filières, disposez-vous des mêmes moyens que vos collègues ?

M. Fernand Gontier. - Nous avons accès à toutes les technologies d'investigation, d'écoute, de géolocalisation. Nous disposons d'un office et de 44 brigades mobiles de recherche, soit 600 enquêteurs spécialisés dans le démantèlement des filières.

M. Michel Boutant, président. - Ils relèvent du pouvoir judiciaire ou administratif ?

M. Fernand Gontier. - Du pouvoir administratif. Nous sollicitons le ministère de l'intérieur, puis la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), puis enfin le cabinet du Premier ministre pour obtenir une écoute administrative qui dure, en général, un mois. Il n'y a donc pas de procédure particulière. Si l'écoute donne des résultats, l'autorité judiciaire est saisie. La procédure administrative est d'une complexité inouïe. La PAF a mis au point un logiciel pour la rédaction des procédures administratives.

Nous disposons de 1 244 véhicules et nous en renouvellerons 164 cette année. Nombre de ces voitures comptent plus de 200 000 kilomètres. Les véhicules des centres de rétention roulent beaucoup. Pour les consuls, le critère de compétence est le lieu d'interpellation, ce qui impose des déplacements parfois très longs. Nous sommes là dans le domaine diplomatique.

À la PAF, il a pu y avoir des objectifs chiffrés, mais c'est terminé. Nous disposons néanmoins d'indicateurs de référence. Mais des situations peuvent se dégrader très vite, comme à la frontière italienne ou dans le nord, à Calais et à Dunkerque. Qualitativement, nous avons valorisé la lutte contre les filières : nous préférons remonter les filières dans leur intégralité plutôt que d'arrêter les petits passeurs.

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Vous avez évoqué des externalisations dans les centres de rétention. Une telle privatisation m'inquiète.

M. Fernand Gontier. - Les fonctions régaliennes dans les centres de rétention doivent bien évidemment rester aux mains de la PAF. La privation de liberté d'une personne - garde et escorte - ne peut être déléguée. En revanche, tout ce qui touche à l'accueil, à la sécurité incendie et à la conduite d'un véhicule peut être assuré par des personnes qui ne sont pas de la PAF mais elles resteraient sous le contrôle du chef du centre de rétention. Aujourd'hui, le policier fait tout. Dans les aéroports, les mesures de sûreté sont réalisées sous le contrôle d'un officier de police judiciaire.

Mme Gisèle Jourda. - Depuis 2015, le fonctionnement de l'espace Schengen a été bouleversé et nous sommes désormais bien loin de la libre circulation des personnes.

Il aura fallu des années avant de mettre en place le PNR et je me félicite que ce soit enfin le cas.

J'ai fait partie d'une commission d'enquête sur l'espace Schengen et d'une commission d'information sur l'accord entre l'Union européenne et la Turquie. D'après ce que vous avez dit, les flux de migration restent identiques, même si les routes ont changé. Est-ce bien le cas ?

M. Fernand Gontier. - Les flux ont diminué puisque nous sommes passés de deux millions de migrants en 2015 à 250 000 l'année dernière. L'accord UE - Turquie y est pour beaucoup. Mais nous sommes désormais confrontés à des flux secondaires : les migrants qui se trouvent en Italie ou en Allemagne circulent et le rétablissement des contrôles aux frontières permet de mesurer ces mouvements. Si ce contrôle s'arrêtait demain, nous ne saurions plus quels sont les flux entre nos pays. Ainsi, depuis le début de l'année, la pression migratoire à la frontière italienne s'est accrue. Or, il existe 200 000 étrangers en situation irrégulière - dont de nombreux francophones - en Italie.

L'Algérie nous préoccupe aussi beaucoup : sa jeunesse est en désespérance et quitte le territoire. La France reste très attractive.

Avec divers pays, nous obtenons de bons résultats. Ainsi en est-il avec l'Albanie : depuis l'automne 2017, grâce à notre coopération avec les autorités albanaises, nous enregistrons une chute des flux albanais. Nous menons des enquêtes conjointes avec la gendarmerie ou avec la PJ. Nous intervenons sur les filières mais aussi sur l'éloignement des étrangers délinquants. Les 600 Albanais qui se trouvent dans nos prisons n'ont pas vocation à rester sur notre territoire. Nous préparons donc leur départ et, depuis trois mois, quatre officiers de liaison albanais sont en France - deux à la PAF, un à la PJ et un à la gendarmerie - et ils nous aident à organiser le démantèlement des filières. Aujourd'hui, la vigilance s'impose en ce qui concerne la Géorgie.

Mme Samia Ghali. - À Marseille, il existe des filières dédiées à la prostitution, à la drogue, à la contrebande de cigarettes, aux ventes d'armes. Nous connaissons des migrations de délinquants et leur capacité à s'installer est surprenante. Comment ces personnes peuvent-elles passer inaperçues ?

Je m'interroge sur la délivrance des visas en Algérie : pour certains Algériens, il est extrêmement difficile d'en obtenir et, pour d'autres, la délivrance est d'une facilité déconcertante.

M. Fernand Gontier. - Le travail avec la PJ est naturel. Nous avons créé des bureaux de liaison et d'investigation sur les filières et nous échangeons en permanence des informations avec nos collègues tant au niveau central que territorial. Nous avons des co-saisines judiciaires, notamment en matière de proxénétisme, qui est de la compétence exclusive de la DCPJ, mais il y a de grandes connexions entre immigration, proxénétisme et trafics transfrontaliers.

Nous expérimentons des protocoles d'échanges à Lyon sur la prise en compte d'individus pendant les procédures judiciaires menées par la DCPJ. Nous coopérons très bien avec cette direction et nous transmettons les informations dont nous disposons. La PJ a ainsi souhaité que la PAF s'occupe des faux documents alors qu'initialement, c'était de sa responsabilité.

Les Algériens représentent la deuxième communauté la plus importante en situation irrégulière sur notre territoire. Nous effectuons plus de 10 000 interpellations par an. Beaucoup d'Algériens arrivent avec des visas mais ne repartent plus. Le directeur général des étrangers en France s'occupe de ce dossier. En outre, des Algériens arrivent illégalement en France par bateau. Nous devons être très vigilants sur les procédures de délivrance des visas. Nous proposons des formations au réseau consulaire car il est possible d'obtenir un vrai visa avec de faux documents. En Algérie, il y a des fraudes évidentes. Des vérifications s'imposent. Enfin, le phénomène des mineurs algériens et marocains nous préoccupe car la minorité permet de s'exonérer de la situation irrégulière.

Je souhaite qu'un comité scientifique nous aide à déterminer l'âge réel des mineurs. Le niveau d'incertitude pour l'âge osseux est de plus ou moins 18 mois. Le test de référence remonte aux années 1950 et concernait une population caucasienne.

M. Michel Boutant, président. - Nous nous sommes éloignés du sujet. La PAF est sur tous les fronts et son travail peut être ingrat, d'autant que vous êtes parfois montrés du doigt par des associations. Quel est le ressenti de vos troupes ?

M. Fernand Gontier. - Ce n'est pas un métier ingrat.

M. Michel Boutant, président. - Ce n'est pas ce que je voulais dire : certaines tâches peuvent sembler ingrates.

M. Fernand Gontier. - Très peu de policiers de la PAF ont été concernés par le malaise que vous évoquiez dans vos propos liminaires : nous en avons eu quelques-uns à Hendaye et à Montpellier avec des renvois d'habilitation d'OPJ mais, globalement, leur motivation est élevée car cette mission a été placée au plus haut niveau par le ministère. Je suis à la PAF depuis 33 ans et je puis vous assurer que la considération dont nous jouissons est réelle. M. le ministre a d'ailleurs annoncé que nous disposerions de plusieurs centaines de policiers supplémentaires.

En interne, nous avons pris des mesures d'adaptation : les cycles horaires de la DCPAF sont quelque peu dérogatoires. Nous ne sommes pas sur un régime de quatre week-ends travaillés pour deux week-ends de libre : les policiers de la PAF disposent de deux week-ends sur quatre de repos.

En revanche, les controverses et les mises en cause nous font du mal : les incidents sont très rares au regard des dizaines de milliers de personnes que nous contrôlons. Des associations nous prêtent des agissements qui ne sont pas les nôtres. La PAF est certainement la police la plus contrôlée, qu'il s'agisse du Défenseur des droits, du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, des autorités judiciaires ou des autorités européennes.

Les policiers de la PAF sont respectueux du droit des personnes. Nous avons été mis en cause à Menton. Ne nous trompons pas d'adversaires ! Ceux qu'il faut combattre, ce sont les passeurs, les trafiquants, pas la PAF.

Notre mission essentielle a besoin d'être soutenue. Beaucoup de pays européens envient notre organisation qui est centralisée, hiérarchisée et spécialisée.

Nous bénéficions de primes pour les petites équipes et de primes individuelles. Nous avons soutenu les 66 policiers de la PAF qui ont vécu le cyclone Irma et qui sont restés sur place alors que tout était dévasté.

En 2016, nous avons mis en place une réforme territoriale avec un commandement très déconcentré où les officiers tiennent un grand rôle.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Quid de la répartition des 7 500 postes ? Votre besoin supplémentaire reste-t-il conjoncturel ?

M. Fernand Gontier. - Le ministre l'a dit : la PAF sera renforcée. Nos études évaluent les besoins. Pour les centres de rétention, une place créée nécessite le recrutement de 1,5 fonctionnaire. Si l'on en crée 400...

M. François Grosdidier, rapporteur. - Vous proposez d'externaliser certaines missions.

M. Fernand Gontier. - Nous allons l'expérimenter à Marseille et à Palaiseau, dans les centres de rétention. D'autres missions devront être externalisées, notamment la lutte contre les filières.

M. Michel Boutant, président. - Merci.

La réunion est close à 16 h15.

Mercredi 16 mai 2018

- Présidence de M. Michel Boutant, président -

La réunion est ouverte à 14 h 20.

Table ronde d'organisations syndicales des surveillants pénitentiaires

M. Michel Boutant, président. - Notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition des représentants des syndicats des surveillants pénitentiaires.

Notre commission d'enquête s'efforce d'analyser les différents aspects de l'actuel sentiment de malaise qui semble régner au sein des forces de sécurité intérieure, d'en comprendre les causes et de proposer des pistes d'amélioration.

Les auditions des personnels de la police et de la gendarmerie nationale que nous avons menées nous ont permis de constater que, malgré les réformes récentes, certaines difficultés persistent au sujet de la répartition des missions entre les forces de l'ordre et les surveillants pénitentiaires. Ces difficultés concernent les transfèrements mais aussi le maintien de l'ordre au sein des établissements ou aux abords de ceux-ci. Il existe en outre actuellement un malaise propre au monde pénitentiaire, que vous pourrez également évoquer.

Cette audition est ouverte à la presse et sera diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, prêtent serment

Je passe à présent la parole au rapporteur.

M. François Grosdidier, rapporteur - Les blocages de plusieurs centres pénitenciers au mois de janvier ont révélé l'existence d'un malaise profond parmi les personnels pénitentiaires. Pourriez-vous, brièvement, nous indiquer les principales causes de ce malaise ? Les mesures annoncées par le Gouvernement dans le cadre de l'accord signé avec les syndicats vous paraissent-elles à la hauteur des enjeux ? La création de cette commission d'enquête a été impulsée par la vague de suicides au sein de la police et de la gendarmerie nationales à l'automne dernier. L'administration pénitentiaire est-elle également confrontée à ce phénomène ? Quels sont les dispositifs de prise en charge des risques psycho-sociaux au sein de l'administration pénitentiaire ? Estimez-vous qu'il existe des insuffisances dans ce domaine ? L'administration pénitentiaire fait face à des difficultés importantes de recrutement, notamment s'agissant du corps des surveillants pénitentiaires. Comment améliorer, selon vous, l'attractivité de la profession ? Les forces de sécurité intérieure revendiquent, depuis des années, la suppression des tâches indues, parmi lesquelles la prise en charge des extractions judiciaires. Quelle est votre position sur le sujet ? Plus généralement, estimez-vous nécessaire, compte tenu du niveau d'insécurité de certaines prisons, de recevoir l'appui des forces de sécurité intérieure pour mener à bien vos missions ? La formation initiale et continue vous parait-elle adaptée dans l'administration pénitentiaire ? Quelles seraient pour vous les voies d'amélioration ?

M. Emmanuel Guimaraes, trésorier général FO pénitentiaire - Le malaise n'est pas nouveau. L'élément déclencheur a été une agression au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil dans le Nord, dans une maison centrale ultra-sécuritaire, par un détenu radicalisé, sur quatre collègues. La mobilisation a pris une ampleur régionale puis nationale. Les organisations syndicales se sont mobilisées autour de ce cas. Malheureusement il y a eu un effet de contagion avec des faits similaires à Mont-de-Marsan, et à Borgo où deux collègues ont reçu 31 coups de couteaux. Nous sommes en recherche de reconnaissance, ce qui passe par le statut : nous souhaitons la « parité-police » en ce qui concerne notamment la rémunération. Notre grille indiciaire, si on enlève la prime de sujétion de 26 %, est de 1 200 euros en début de carrière, après les huit mois (bientôt six !) de formation. Soit 1 450 euros net par mois avec la prime. Il y a les heures supplémentaires obligatoires, 40 ou 50 heures par mois : c'est seulement ainsi qu'on arrive à un salaire décent. C'est aussi une façon d'inciter les jeunes fonctionnaires. Un jeune de 20-22 ans qui vient de province avec 2 000 euros par mois pour travailler à Paris avec les dépenses que cela implique, va être en difficulté.

En 1958 déjà, les surveillants exprimaient des revendications : on leur a accordé la prime de sujétion mais on les a privés du droit de grève. Aujourd'hui les surveillants restent de simple « porte-clefs », or la population pénale n'est plus la même ! La méthode de gestion des tensions n'a pas changé. Le boulot ne donne pas envie !

M. François Grosdidier, rapporteur - Quand vous êtes victimes d'agression, comment cela est-il traité ? L'administration vous encourage-t-elle à porter plainte et vous assiste-t-elle ?

M. Emmanuel Guimaraes - Quand nous sommes agressés, nous sommes considérés comme dépositaires de l'autorité publique. L'administration ne nous assiste pas. Il y peu de suivi de l'administration. On peut aussi parler de la sécurité. L'architecture, la gestion ne sont pas adaptées. Sur certaines maisons d'arrêt il y a 200 % de surpopulation avec des détenus de genre très différents mélangés. Les conditions de détention du détenu, ce sont celles du surveillant ! Selon les Gouvernement, les propositions d'évolution du parc immobilier changent de plusieurs dizaines de milliers de places. Il y a un vrai besoin.

M. Philippe Kuhn, délégué régional à la direction interrégionale de Paris de SPS non gradés - Cela fait 25 ans que la pénitentiaire n'avait pas été aussi révoltée. Il y a un raz-le-bol sur la violence. Nous sommes confrontés depuis plus de trois ans au terrorisme sans y être préparés. En septembre 2016 un collègue a été lâchement attaqué à la maison d'Osny par un homme qui lui a perforé la gorge avec une lame. Aujourd'hui ça continue, les agressions se poursuivent malgré l'accord qui a été signé.

M. François Grosdidier, rapporteur - Sur les agressions, que proposez-vous ? Des nouvelles constructions ont été annoncés, mais pour le reste que préconisez-vous ?

M. Philippe Kuhn - Nous demandons qu'on remette de la sécurité dans les prisons. Dans les maisons d'arrêt surpeuplées, il faut occuper les détenus en permanence. Quand il y a trois détenus ou quatre au lieu d'un dans une cellule, c'est générateur d'agression. Les équipes locales d'appui et de contrôle prévues de longue date ne sont pas en place dans tous les établissements. Nous demandons que ce qui avait été prévu il y a deux ans soit appliqué.

M. Emmanuel Guimaraes - L'ancien directeur de l'administration pénitentiaire avait demandé la création de 20 équipes locales d'appui et de contrôle dotées chacune de 7 ETP. Aujourd'hui seuls 6 ou 7 sont déployées, qui plus est prélevées sur les autres personnels. Elles n'ont pas de prérogatives judiciaires. Il y deux ans une instruction a permis aux surveillants d'intervenir sur les abords des établissements pénitentiaires avec un fusil à pompe pour appréhender les individus tentant de projeter des objets dans l'établissement et les maintenir en « garde à vue » le temps de contacter un OPJ pour qu'il prenne le relais. Mais dans les faits c'est impossible : pas de formation, pas de locaux spécifiques en dehors de l'établissement.

M. Wilfried Fonck, secrétaire national UNFAP UNSA Justice - Nous nous considérons comme membres des forces de sécurité intérieure. L'élément déclencheur du mouvement de janvier 2018 est effectivement l'agression de Vendin-le-Vieil. Le fait que le détenu soit un condamné pour terrorisme a un peu occulté le caractère général du problème. C'est la goutte de sang de trop. En 1992, deux collègues avaient perdu la vie et il y avait eu un mouvement très dur. Ce qui nous motive ce n'est pas les revendications statutaires, c'est de pouvoir exercer les missions dans de bonnes conditions de sécurité. Depuis des dizaines d'années, quels que soient les gouvernements, personne ne s'intéresse à la question pénitentiaire. Il s'agit juste de mettre quelqu'un derrière quatre murs puis on se moque de ce qui se passe, de savoir si les personnels ont les moyens de faire face. Or la personne va ressortir et ce n'est pas pris en compte. Si la sécurité des surveillants n'est pas assurée, la mission de réinsertion ne risque pas de l'être.

Mme Brigitte Lherbier. - Comment, à l'intérieur de la prison, sont gérés les détenus qui présentent des problèmes psychiatriques ? Avez-vous les moyens de gérer cela, ainsi que la réinsertion ?

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Vous avez souligné l'évolution de la population carcérale, en particulier avec la radicalisation. Quelle est votre relation avec les détenus, quel est l'impact de ces relations sur les surveillants, en terme de risques psycho-sociaux ?

M. Wilfried Vicherat, secrétaire local, SPS non gradés - Concernant le suivi psychologique des personnes ayant commis des agressions sexuelles, je considère qu'il n'y a pas de moyens et de personnels suffisants pour réaliser un vrai suivi. Les détenus ont tous les moyens en détention pour visualiser des vidéos pornographiques. Ils ont le droit à un ordinateur qui permet de lire des vidéos. En théorie il y a un blocage mais dans la prison il y a beaucoup de théorie.

M. François Grosdidier, rapporteur - Est-ce que le fait de pouvoir consulter sur internet des vidéos pédophiles ou djihadistes est l'exception ou la règle ? On sait que les smartphones sont répandus...

M. Wilfried Vicherat - Les brouilleurs nécessaires ne sont pas présents. Un test va être fait au deuxième semestre 2018 à la prison d'Osny mais cela va aussi brouiller le wifi, d'où un problème pour les personnels... Dans la prison du centre-ville de Melun, la 4G fonctionne parfaitement. Nous ne pouvons pas garantir qu'il n'y a pas de portables faute de pouvoir correctement fouiller.

M. Henri Leroy. - En prison on peut tout faire !

M. Emmanuel Guimaraes - Au nom d'une certaine paix sociale, certains établissements pénitentiaires permettent aux détenus d'acheter des CD avec des images et des films pornographiques.

M. François Grosdidier, rapporteur - Le législateur a permis à l'administration pénitentiaire de se doter d'IMSI-catchers. Yen a-t-il dans les établissements ?

M. Emmanuel Guimaraes - On sait qu'il y a eu des tests, mais on ne sait pas où ni quand. 31 000 téléphones ont été saisis en 2015 dans les prisons françaises, 33 000 en 2016, 40 000 en 2017 : le phénomène n'est pas nouveau. Les téléphones installés légalement dans les établissements n'intéressent pas les détenus : on est censés, nous surveillants, les écouter... Le projet de Mme Belloubet d'installer un téléphone dans chaque cellule ne les intéressera pas plus car là aussi nous devrons les contrôler. Si nous pouvions exercer un tel contrôle, nous n'aurions pas eu comme ce matin l'évasion d'un détenu fiché S à Brest pendant une extraction médicale.

M. Wilfried Fonck - Il n'y a qu'un IMSI-catcher qui ait été acheté, mais il n'est pas utilisé car les techniciens ne sont pas formés ; en outre cela a des effets sur la santé des utilisateurs. Tout comme les brouilleurs : il ne s'agit jusqu'à présent que d'un brouillage temporaire et partiel pour ne pas exposer les personnes : c'est l'application du principe de précaution. En outre les brouilleurs ont aussi des effets sur les habitations des alentours.

M. Jean-François Forget, secrétaire général UFAP UNSA Justice - Les articles 57-1 et 57-2 de la loi pénitentiaires empêchent les fouilles corporelles systématiques. Une mission parlementaire de l'Assemblée nationale est lancée depuis avril sur ce sujet. Il n'y a pas que les téléphones portables, il y a aussi la drogue, les armes blanches voire les armes lourdes qui entrent dans nos prisons. Récemment une arme a été retrouvée dans un sac de linge. Nous réclamons que dès qu'il y a contact avec l'extérieur, il puisse y avoir fouille. Nous n'avons évidemment aucun plaisir à fouiller un détenu à nu. Mais les moyens technologiques ne sont pas efficaces. Si nous ne pouvons pas fouiller les détenus, il faut que les familles passent par des portiques comme dans certains aéroports.

Aujourd'hui, on trouve plein de portables, qui sont utilisés à toutes sortes de fin. En Martinique, un détenu a même commandité un meurtre de la prison avec son portable.

Il faut certes plus de places de prison, mais depuis 20 ans on ne fait que créer des places de prison sans réfléchir. Je fais partie des surveillants du plan Chalandon, qui était censé résorber la surpopulation. Il faut réfléchir à quel type de places de prison nous voulons, mais à la façon dont on gère les différentes populations de la prison. Les Canadiens ont des prisons très « light » et des prisons très sécuritaires avec très peu de places pour les détenus les plus dangereux. On ne tend pas vers cela ! On a aboli la peine de mort en 1981 mais on n'a pas lancé de réflexion sur l'échelle des peines. Par ailleurs, il a été décidé pour des raisons économiques de pénaliser la démence mentale, ce qui fait qu'aujourd'hui il y a énormément de problèmes psychiatriques en prison. Nous avons obtenu le développement des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), mais cela ne suffit pas. La maison centrale de Château-Thierry a un savoir-faire qui mérite d'être exploité.

Nous avons également des centres médico-psychologiques régionaux (CMPR), mais le problème est le même : il est impossible d'affecter un détenu au sein de ces centres sans accord du détenu. Le législateur doit corriger cette erreur. Nous avons besoin de développer les CMPR tout comme les UHSA.

Plus généralement, nous revendiquons qu'une réforme pénale vienne donner un cadre juridique clair pour la prise en charge des détenus présentant des problèmes psychiatriques. Il faut sortir ces détenus des prisons pour les confier aux centres qui ont les compétences nécessaires pour les prendre en charge. Depuis des années, nous n'affrontons pas les problèmes.

Créer 35 ou 40 000 places supplémentaires dans les établissements pénitentiaires ne règlerait rien. Cela fait 20 ans que nous créons des places de prisons, mais sans jamais réfléchir au modèle d'incarcération.

M. François Grosdidier, rapporteur. - En création nette, il n'y a pas eu tant de places de créées, car les prisons ouvertes n'ont parfois fait que compenser les pertes engendrées par des fermetures d'établissements.

M. Jean-François Forget - Il nous manque bien sûr des places, des moyens, des effectifs, des outils législatifs et réglementaires, mais ce qui fait défaut, c'est surtout la cohérence de la politique carcérale. Notre système est fondé sur un enfermement non définitif et orienté vers la réinsertion. Pour cela, il nous faut des moyens et des effectifs, mais cela ne sera pas suffisant.

S'ajoute à ces difficultés un phénomène nouveau pour le monde carcéral : le terrorisme. Les projets se succèdent, au gré des différents drames, mais aucun ne va dans la bonne direction ; l'administration fait le contraire de ce que nous proposons.

Enfin, une des difficultés du système carcéral français est liée au fait que l'on gère à la fois des prévenus et des condamnés. Trouvez-vous normal qu'en France les prévenus aient moins de droits que les condamnés ?

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Ma question portait sur les conditions de travail.

M. Jean-François Forget - Les conditions de travail découlent de tout ça : le manque de moyens et d'effectifs, l'insuffisance de réglementation, etc.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Que faudrait-il pour que les choses fonctionnent correctement ?

M. David Besson, secrétaire général adjoint UFAP UNSA Justice - Il faut de l'autorité avant tout. Le détenu est théoriquement à disposition de l'administration pénitentiaire et doit répondre à certaines obligations, à l'égard de soi-même, à l'égard de ce qu'il doit à la société et à l'égard des victimes. Sur ces trois faisceaux, on ne travaille malheureusement que très peu.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Que se passe-t-il actuellement quand un détenu ne respecte pas les règles ?

M. Jean-François Forget - Pas grand-chose malheureusement. Dans la plupart des établissements pénitentiaires, les infractions commises par les détenus ne sont pas traitées en temps utiles, car il y a une embolisation totale.

La loi pénitentiaire de 2009 ne prévoit aucune obligation pour les détenus de travailler ou d'avoir une activité. En revanche, l'administration pénitentiaire a elle l'obligation de propose une activité et un plan de réinsertion aux détenus. Ne serait-ce pas plutôt au détenu de s'investir dans son projet de réinsertion ?

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - J'attendais une réponse plus précise sur les agressions. Êtes-vous réellement incités à déposer plainte ou au contraire subissez-vous des pressions ?

M. Philippe Kuhn - Nos collègues hésitent souvent à déposer plainte, car ils craignent les représailles pour leurs familles. Il y a un manque d'accompagnement de l'administration pénitentiaire dans le dépôt de plainte et un manque de soutien psychologique. En l'absence d'accompagnement par les représentants syndicaux, cela ne se fait pas. Près de 10 % de nos collègues quittent l'administration pénitentiaire.

M. Yoan Karar, secrétaire général adjoint FO pénitentiaire - Un surveillant pénitentiaire a un uniforme, pas une armure.

En 2012, au centre pénitentiaire de Fresne, une jeune surveillante a été agressée. Sa hiérarchie l'a interrogée sur ce qu'elle avait fait au détenu. Elle s'est suicidée. L'administration met en cause les personnels dans l'exercice de leurs missions, au quotidien.

M. Emmanuel Guimaraes - Une étude démontre que l'administration pénitentiaire présente le plus important taux de suicide parmi ses fonctionnaires.

M. Dominique de Legge. - J'ai été frappé, dans votre discours, par la manière dont vous opposez la théorie et la pratique. La défaillance du système semble être la norme. J'aurais trois questions à vous poser.

En premier lieu, le principal problème réside-t-il pour vous plutôt dans un manque de moyens ou d'effectifs ou dans des insuffisances juridiques ? Que proposez-vous concrètement pour améliorer les procédures ?

En deuxième lieu, que répond votre hiérarchie face à ces difficultés ?

Enfin, quelle est la réaction des juges d'application des peines lorsque vous évoquez les difficultés que vous soulevez ?

M. Henri Leroy. - Pourriez-vous nous faire parvenir, par écrit, un inventaire des difficultés que vous soulevez et de vos propositions ?

M. Wilfried Fonck - Je souhaiterais répondre à Mme Raimond-Pavero. Comme ma l'a indiqué il y a quelques années un chef d'établissement, l'administration pénitentiaire est devenue aujourd'hui un service public, et le détenu un usager de service public. Nous n'avons clairement pas la même perception.

Trouver des solutions à ces difficultés, c'est à la fois un choix sociétal et un choix politique. Nous devons nous interroger sur l'utilité de la prison dans notre société, car aujourd'hui elle ne fait plus peur.

M. Michel Boutant, président. - Je suis frappé par le fait que la cellule de prison puisse, comme on l'entend parfois, être considérée comme un lieu d'habitation. Cela implique qu'on ne puisse s'y livrer à certaines pratiques, et cela aura notamment impact pour le renseignement pénitentiaire.

M. Jean-François Forget - Aucun texte législatif ne fait de la prison un lieu d'habitation. En revanche, il est prévu qu'un coffre soit mis à disposition de tout détenu pour qu'il puisse conserver ses effets personnels. La cellule n'est donc pas un lieu d'habitation, même s'il s'agit d'un débat récurrent.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous refusons la judiciarisation de nos missions et le statut d'OPJ, car cela nous ferait dépendre du parquet. Nous ne pouvons à la fois faire du réglementaire et du judiciaire.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Les agents de police municipale ont cette possibilité.

M. Jean-François Forget - Nos dispositifs disciplinaires sont d'ores et déjà embolisés. Que serait-ce si les procédures disciplinaires donnaient lieu à des procédures judiciaires ? Cela impliquerait en outre que les fouilles ne puissent pas être réalisées sans la présence de l'autorité judiciaire.

Pour répondre aux autres questions, il me semble qu'il faut bouger tous les paramètres et activer tous les leviers. Il faut s'interroger, je l'ai déjà dit, sur la place de la prison dans la société. Je regrette que la prison fonctionne en vase clos ; cela entretient beaucoup de spéculation sur son fonctionnement, qui n'est pas connu, et sur la pseudo-corruption de ses fonctionnaires.

Nous avons besoin de d'avantage de moyens, d'effectifs et de moyens techniques pour renforcer la sécurité dans les prisons.

Sur le rapport avec les juges de l'application des peines, nous exigeons que les surveillants assistent à la commission d'application des peines. Cela permettrait au juge de l'application des peines d'avoir un meilleur éclairage sur les situations. Certains établissements pénitentiaires, comme à Varenne, impliquent les surveillants dans ces commissions. Le retour des juges de l'application des peines est très positif ! Cela a par exemple permis de réorienter des décisions de permission de sortie.

Le rôle des surveillants pénitentiaires est essentiel. Or, il est devenu un porte-clés et un porte-douleur. Nous sommes devenus des bonnes à tout faire. Les profils doivent être plus spécialisés et les moyens adaptés au profil des détenus. Nous devons impulser une nouvelle logique.

Pourquoi ne pas créer une journée citoyenne pour que les citoyens puissent découvrir d'eux-mêmes les prisons ? C'est une idée défendue par notre syndicat.

M. Yoan Karar - Nous vous transmettrons nos propositions. La vraie problématique est la carence de l'autorité. Il suffit de voir que des détenus se lèvent à midi, refusent de prendre une douche, voire refusent même de se soigner.

Le syndicat FO revendique le statut d'OPJ pour les surveillants pénitentiaires. Cela pourrait constituer une réponse à la lenteur administrative dans le traitement des incidents. Nous effectuons d'ores et déjà des missions qui relèvent de la police judiciaire, comme les fouilles ou les perquisitions, sans avoir pour autant ni le statut d'APJ, ni celui d'OPJ.

En ce qui concerne les relations avec les juges de l'application des peines, la loi prévoit la possibilité que les surveillants pénitentiaires soient consultés. Nous souhaiterions que cette pratique soit généralisée.

L'armement des surveillants a été une révolution. Il ne faut pas avoir peur de parler de « police pénitentiaire ». C'est pourquoi nous revendiquons le statut de force de sécurité intérieure. Le personnel pénitentiaire doit pouvoir se protéger, non seulement dans le cadre des extractions, mais également au sein des établissements de détention. Nous souhaiterions par ailleurs être autorisés à porter des pistolets à impulsion électrique au sein des quartiers de détention les plus dangereux.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Vous avez indiqué que les prévenus ne bénéficient pas du même traitement que les détenus. Pourriez-vous préciser ce point ?

Par ailleurs, j'ai cru comprendre dans vos propos que vous vous sentiez en insécurité y compris en dehors du service. Quelles sont les réponses de l'administration pénitentiaire en la matière ?

M. Emmanuel Guimaraes - Je souhaite rappeler que l'article 12 de la loi pénitentiaire confère un statut de force de sécurité intérieure aux agents de l'administration pénitentiaire.

Nous réalisons au quotidien des gestes qui peuvent s'apparenter à des actes relevant des prérogatives des APJ ou des OPJ. Le ministère de la justice doit travailler sur le statut des personnels pénitentiaires.

M. Jean-François Forget - L'article 12 de la loi pénitentiaire ne fait pas référence à la sécurité publique, mais concerne uniquement les prérogatives des surveillants pénitentiaires dans le périmètre périphérique des établissements. Nous ne sommes pas mentionnés dans le code de la sécurité intérieure. La question n'est pas de savoir si nous sommes pour ou contre, mais je constate que nous n'appartenons pas aux forces de sécurité intérieure.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Nous sommes dans une situation paradoxale. Des débats ont lieu au Parlement sur la définition du périmètre d'intervention des surveillants pénitentiaires.

M. Jean-François Forget - Il faut trancher le débat dans un sens ou dans l'autre. Cela aura une conséquence sur notre statut, en particulier sur le fait de nous conférer ou non des prérogatives judiciaires.

Pour répondre à la question de Mme Loisier, les prévenus sont placés dans des maisons d'arrêt au sein desquelles les conditions sont plus rudes qu'en détention. Prenez l'exemple des parloirs : les prévenus n'ont pas les mêmes droits que les détenus !

Plutôt que de se poser la question de la séparation entre prévenus et condamnés, nous devrions réfléchir au sens de la peine et de la prison.

M. Jean Sol. - Je voudrais tout d'abord saluer votre travail, qui demeure malheureusement peu reconnu.

Pourriez-vous nous préciser les taux de surpopulation carcérale et de manque d'effectifs ?

M. Emmanuel Guimaraes - Les violences commises à notre encontre en dehors du service augmentent. Beaucoup de personnels ne portent pas plainte car leur identité est révélée à l'avocat de l'autre partie. Les agents se sentent menacés. À Reims, l'identité de plusieurs personnes a récemment été taguée sur les murs du centre pénitentiaire. Il faudrait un anonymat dans les procédures, comme les policiers.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Est-ce que cela aurait vraiment un sens ? Les détenus connaissent les gardiens.

M. Emmanuel Guimaraes - Nous n'utilisons que rarement nos noms et prénoms. Les détenus m'appellent « gardien » ou « chef », les collègues m'appellent « collègue ».

Pour répondre à M. Sol, le taux moyen d'occupation des maisons d'arrêt est actuellement de 140 %. Toutefois, la création de nouvelles places de prison ne sera pas suffisante pour faire disparaître la surpopulation carcérale.

M. Michel Boutant, président. - La situation est-elle identique chez nos voisins ?

M. Jean-François Forget. - C'est un phénomène européen !

Dans certaines maisons d'arrêt, nous atteignons 280 % d'occupation !

M. Michel Boutant, président. - Y a-t-il un pays dont on pourrait s'inspirer ?

M. Jean-François Forget. - Certains pays, comme le Canada ou la Suède, travaillent déjà, comme nous le proposons, sur le rôle social de la prison et sur le profilage des détenus, avec des résultats positifs. Le système canadien est sans aucun doute le plus abouti, même si nous sommes conscients qu'il ne pourrait être purement et simplement transposé en France, sans adaptation aux spécificités de notre population.

Une statistique est éclairante : huit détenus sur dix entrent en prison alors qu'ils sont déjà connus de l'administration pénitentiaire et ont donc déjà un parcours judiciaire. Le choc carcéral n'existe plus. Nous devons poser les bonnes questions. La question ne doit plus être de savoir su la prison est une bonne ou mauvaise réponse. Il s'agit d'une réponse parmi d'autres.

M. Michel Boutant, président. - Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de MM. Michel Delpuech, préfet de police de Paris, Thibaut Sartre, préfet, secrétaire général pour l'administration de la préfecture de police de Paris, Frédéric Dupuch, directeur de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne, Christian Sainte, directeur régional de la police judiciaire, Éric Belleut, directeur adjoint de l'ordre public et de la circulation, Philippe Dalvavie, conseiller technique chargé des affaires juridiques, Lucas Demurger, conseiller technique chargé de la prospective au cabinet du préfet, Denis Safran, conseiller technique, professeur agrégé de médecine chargé des questions de santé en matière de sécurité intérieure

M. Michel Boutant, président. - Notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de M. Michel Delpuech, préfet de police, accompagné par ses collaborateurs. Notre commission d'enquête s'efforce, d'abord, d'établir un diagnostic objectif sur l'existence ou non d'un « mal-être » au sein des forces de sécurité intérieure, ce mal-être ayant notamment pu se manifester par des expressions de colère débordant des canaux traditionnels, en particulier depuis la fin de l'année 2016. Elle s'efforce ensuite de comprendre les causes de ce phénomène, qu'elles soient matérielles ou morales, et d'examiner l'efficacité des mesures qui ont déjà été prises pour y porter remède au cours des dernières années. Enfin, il s'agit pour nous de proposer des pistes pour améliorer la situation.

Nous souhaiterions ainsi vous entendre d'abord brièvement sur ces différents sujets s'agissant des agents de la préfecture de police de Paris. J'inviterai ensuite le rapporteur et les autres membres de la commission d'enquête à vous poser des questions sur des points plus particuliers.

Cette audition est ouverte à la presse et sera diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM.  Michel Delpuech, Thibaut Sartre, Frédéric Dupuch, Christian Sainte, Éric Belleut, Philippe Dalvavie, Lucas Demurger et Denis Safran prêtent serment.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Comme l'a rappelé le président, notre commission d'enquête a été mise en place après la vague de suicides au sein de la police nationale et l'expression, hors champ syndical, d'une colère spontanée qui a surpris la représentation nationale et, peut-être, aussi la hiérarchie. Nous souhaitons donc identifier les causes de ce malaise et tenter d'esquisser des propositions et des solutions.

Quelles mesures sont mises en oeuvre pour prévenir les risques psychosociaux dans la police nationale ? La préfecture de police de Paris s'inscrit-elle dans la même politique que la direction générale de la police nationale, pour laquelle un premier plan de prévention des risques psychosociaux (PPRPS) avait été élaboré lorsque M. Bernard Cazeneuve était ministre de l'Intérieur ? Des mesures spécifiques ont-elles été prises par la préfecture de police ?

Nombre de personnes auditionnées à ce jour ont fait état d'un malaise particulier sur la « plaque parisienne », qui couvre beaucoup de secteurs réputés sensibles, avec de fortes tensions entre les forces de l'ordre et une fraction de la population, où le décalage est le plus grand entre effectifs théoriques et effectifs réels, où les personnels - parfois même les encadrants - sont les plus jeunes. Il ne semble pas que ce problème soit en voie de résolution, puisque même si les recrutements compenseront les déficits, la probabilité est forte que les promotions ainsi recrutées et formées quitteront rapidement la plaque parisienne pour aller en province. Comment pensez-vous réussir à faire en sorte que les effectifs réels correspondent aux effectifs théoriques et comprennent des personnels plus expérimentés ? Des mesures sont-elles à l'étude pour créer des éléments d'attractivité, notamment à travers la rémunération des fonctionnaires qui accepteront une affectation en région parisienne ?

L'accès au logement constitue une difficulté supplémentaire, qui nous a été décrite par des policiers eux-mêmes. Elle concerne notamment les personnels qui sortent d'école ou qui ont déjà une famille. Dans la gendarmerie, bien que les locaux soient souvent vétustes, ce problème ne se pose pas. Au cours de précédentes auditions, il nous a été indiqué que sur 2 500 demandes de logement, 1 500 étaient traitées de manière satisfaisante. Parmi les auteurs des 1 000 restantes, certains doivent se loger dans les pires conditions, ce qui crée un malaise chez les policiers entrants dans le métier et nuit à l'attractivité de la plaque parisienne. Des solutions sont-elles envisagées ? Y a-t-il des partenariats avec les collectivités territoriales ou des bailleurs ? Dans le système du bail social, éventuellement sur contingent réservataire, le locataire relève du droit commun, à la différence d'un logement de fonction. Sur les 25 000 logements du contingent réservataire, combien restent occupés par des policiers qui pourraient se loger ailleurs, voire par des retraités ?

J'en viens à ce qu'on appelle la « politique du chiffre ». La commission a entendu beaucoup de gradés de la police et de syndicalistes, qui avaient tous prêté serment, et elle n'arrive pas à savoir qui a raison : ceux qui affirment qu'une telle politique n'a jamais existé, ceux qui expliquent qu'elle a existé mais n'existe plus, ou ceux qui disent qu'elle perdure. Ce qui est certain, c'est que la base et le sommet n'en ont pas la même perception. Nous voulons donc savoir si la « politique du chiffre » existe et, le cas échéant, quelles en sont les modalités. Les objectifs quantitatifs sont-ils définis de manière parfois quelque peu absurde au regard de leur utilité réelle ou s'agit-il d'un fantasme imaginé par certains policiers ? Parce qu'il est légitime d'avoir une exigence de résultat, détermine-t-on des critères un peu plus qualitatifs que quantitatifs ?

On sent qu'il y a une crise morale beaucoup plus forte au sein de la police nationale que de la gendarmerie, alors que les conditions d'exercice, tant matérielles que juridiques, sont les mêmes. Les difficultés liées au sous-équipement ou à la vétusté des locaux sont identiques, les interrogations sur le sens de l'action en l'absence de réponse pénale adaptée sont partagées, ... Les raisons de la différence d'état d'esprit ne s'expliquent pas par le statut militaire des gendarmes : les compagnies républicaines de sécurité, qui ont un statut civil, ne connaissent pas cette crise. Au sein de la gendarmerie nationale, il y a un esprit de corps, un général considérant comme un camarade un gendarme auxiliaire ou un brigadier, alors que les trois corps de la police nationale développeraient plutôt un esprit de caste. Les commissaires et, moins encore, les préfets ne souffrent à aucun moment de leur formation ou de leur carrière aux côtés des policiers qu'ils doivent diriger ; ils ne partagent pas les mêmes conditions. Au fil des auditions et des déplacements sur le terrain, cette problématique, qui peut sembler secondaire, s'est révélée être un élément important du malaise des policiers.

Comment rapprocher les formations initiales et continues entre les trois corps afin, notamment, de former les commissaires dans des conditions plus proches de celles des agents qu'ils auront à commander ? Concernant le management, il a été déploré devant la commission d'enquête que les « meneurs d'hommes » d'autrefois aient disparu au profit des « gestionnaires », en raison de la formation qu'ils reçoivent, mais aussi des contraintes nouvelles qui leur sont imposées. Le « meneur d'hommes » devient le marginal ; le gestionnaire est la norme. J'aimerais connaître votre sentiment sur ce sujet.

Par ailleurs, pensez-vous que la formation technique initiale des policiers les prépare à ce qu'ils pourront trouver sur le terrain, c'est-à-dire parfois des scènes de terrorisme ou une violence qui peut leur être incompréhensible ? Les personnels sont-ils également accompagnés lorsqu'ils y sont confrontés ? La délinquance et la société étant évolutives, comme le montre le développement de l'enregistrement vidéo d'interventions policières au moyen de téléphones portables, la formation continue prend-elle en compte ces transformations ?

Ma question suivante porte sur la police de sécurité du quotidien (PSQ), qui ne concerne peut-être qu'à la marge la préfecture de police de Paris. Il a été considéré qu'une police déconcentrée, jouissant localement d'une plus grande autonomie, pouvait mieux répondre à la demande de terrain, qui est parfois, en province, prise en charge par la police municipale. Quel est votre avis sur cette déconcentration ?

Par ailleurs, tout le monde conviendra qu'il est très bien de renforcer les contacts entre la police nationale, les élus, les institutions et la population, mais si on sanctuarise ce « temps de contact » à effectifs et volumes horaires constants, cela ne se fera-t-il pas au détriment du temps d'intervention et d'investigation ? L'expérimentation de la police de proximité, sur laquelle j'avais travaillé, a montré que sans une augmentation des moyens, les renseignements supplémentaires collectés ne pouvaient pas être traités, faute de ressources ; le résultat était donc très décevant. Ne risque-t-on pas d'observer la même chose avec la police de sécurité du quotidien ?

Pour disposer de personnel, de temps de travail supplémentaire, on imagine qu'on pourrait économiser sur la procédure pénale et les tâches administratives, et renforcer le déploiement sur le terrain. On commence à connaître les projets du gouvernement en ce qui concerne la réforme du code de procédure pénale. Pensez-vous que ce qui est envisagé suffise pour gagner du temps de travail de policiers et redéployer ceux-ci sur le terrain ? Y a-t-il d'autres pistes pour alléger la procédure pénale, que ce soit au travers du code de procédure pénale ou par le recours à de nouveaux moyens techniques et logiciels ? Les policiers et les citoyens n'aspirent qu'au redéploiement des effectifs sur le terrain.

M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris. - Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Messieurs les Sénateurs, je voudrais d'abord dire l'honneur qui est le nôtre d'être devant la commission d'enquête. J'ai souhaité être entouré de collaborateurs : M. Thibaut Sartre, préfet, secrétaire général pour l'administration, qui a sous son autorité les grandes fonctions de soutien à la préfecture de police (budget, immobilier, ressources humaines, dont l'action sociale et le logement), M. Frédéric Dupuch, directeur de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne, qui couvre l'activité de sécurité publique de Paris et de la petite couronne, M. Christian Sainte, directeur de la police judiciaire, qui est également compétente sur Paris et la petite couronne, M. Éric Belleut, directeur adjoint de l'ordre public et de la circulation, l'ordre public étant - et je suis très attaché à cette spécificité parisienne - confié à une direction à temps plein pour préserver les autres services de cette activité et professionnaliser l'intervention, MM. Philippe Dalvavie et Lucas Demurger, conseillers chargés respectivement des affaires juridiques et de la prospective au sein de mon cabinet, qui m'ont aidé à préparer le dossier, et le professeur Denis Safran, bien connu pour sa proximité avec la police et notamment la brigade de recherche et d'intervention (BRI), aux côtés de laquelle il se trouvait lors des attentats au Bataclan.

Je voudrais rappeler brièvement ce que sont la préfecture de police de Paris et le préfet de police. Il peut y avoir des confusions ou des besoins de clarification autour de cette institution, bien que celle-ci soit assez connue.

Ainsi que vous l'indiquiez, la préfecture de police se trouve très fortement mobilisée sur plusieurs fronts, et tout particulièrement au cours de ces dernières années : la lutte contre la menace terroriste - la plus grande part, en nombre, des actes terroristes qui ont frappé notre pays depuis 2015 ont été commis sur la plaque parisienne -, la lutte contre la délinquance, qu'elle soit de haut vol ou qu'il s'agisse de violences et de trafics de drogue dans certains quartiers de la petite couronne, la gestion des conséquences des flux migratoires en matière de lutte contre l'immigration irrégulière, enfin, le maintien de l'ordre à Paris, qui a connu des épisodes extrêmement violents et éprouvants pour les effectifs au moment de la contestation de la loi dite « El Khomri » en 2016 ou, très récemment encore, lors de la manifestation du 1er mai 2018, lors de laquelle 1 200 « Black Blocks » étaient présents. Les fonctionnaires de la préfecture de police sont donc extrêmement sollicités.

La préfecture de police est une institution territoriale, non une direction générale du ministère de l'Intérieur, à la différence de la direction générale de la police nationale et de la direction générale de la gendarmerie nationale. Elle regroupe l'ensemble des services placés sous l'autorité du préfet de police pour lui permettre d'exercer ses missions et ses compétences. Cela signifie par exemple que je ne suis pas responsable de programme (RPROG) au sens de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), mais simplement responsable de budget opérationnel de programme (RBOP), comme lorsque j'étais préfet à Bordeaux puis à Lyon. Pour prendre la mesure des compétences du préfet de police, le plus simple est de se représenter trois cercles : premièrement, Paris, deuxièmement, la petite couronne et les aéroports, et troisièmement, l'Île de France.

Sur le territoire de Paris, qui est le territoire historique, le préfet de police exerce toutes les missions régaliennes d'un préfet dans les domaines de la sécurité intérieure et de la sécurité civile, ainsi que les missions de secours et l'autorité de police générale assumées par le maire dans les autres communes de France.

En petite couronne, il y a un héritage historique et une évolution récente : la préfecture de police couvrait originellement le département de la Seine. Lorsque celui-ci a disparu et que les trois départements de la petite couronne ont été créés, un partage des tâches est intervenu avec ces trois préfets, autorités de droit commun, et le préfet de police de Paris a gardé la compétence de gestion des effectifs de la petite couronne - notamment ceux rattachés à la direction de la sécurité publique - au travers du secrétariat général pour l'administration de la police (SGAP) de Paris, créé en 1971. Plus récemment, lorsque M. Nicolas Sarkozy, qui était alors président de la République, a porté le thème du Grand Paris, la volonté de prendre les devants sur le terrain de la sécurité intérieure s'est fait jour et le préfet de police s'est vu attribuer la compétence sur Paris et la petite couronne pour l'ordre public, la sécurité publique et la direction des forces de l'ordre, ce qui atteste d'une vision intégrée de la compétence du préfet et des services. La loi du 28 février 2017 a élargi la compétence du préfet en matière de sécurité et de police - mais non de flux migratoires - aux plateformes aéroportuaires. Cet héritage relatif à la petite couronne induit une particularité par rapport aux questions que la commission d'enquête se pose : nombre de dispositifs de suivi social sont compétents seulement pour Paris, les effectifs de la petite couronne relevant pour ces sujets des préfets de département. Je souhaite que ce point d'incohérence, que j'ai déjà soulevé, fasse l'objet d'une évolution : il faut que l'ensemble des policiers de la préfecture de police soit suivi, au plan de l'action sociale, par les services de la préfecture de police, qui ont une grande expérience et un savoir-faire en la matière.

Enfin, la région d'Île de France constitue une zone de défense et de sécurité (ZDS), qui est placée sous l'autorité du préfet de police. En tant que préfet de zone de défense et de sécurité, celui-ci a donc, d'une part, la responsabilité de la gestion de crise et de la résilience face aux épisodes de neige, d'inondation ou de catastrophes de toute sorte, d'autre part, de la gestion des moyens de la police nationale et partiellement de la gendarmerie nationale, notamment pour l'immobilier - le secrétariat général pour l'administration du ministère de l'intérieur (SGAMI) d'Île de France est dirigé par le préfet, secrétaire général pour l'administration de la préfecture de police, sous l'autorité du préfet de police. Enfin, le préfet de police dispose des pouvoirs accrus à Paris par rapports à ses homologues en province en matière d'animation des politiques de sécurité intérieure, de circulation et d'ordre public lorsque les événements le justifient.

L'organisation de la préfecture de police repose sur plusieurs directions actives de police : la direction de la sécurité de proximité compte environ 20 000 fonctionnaires pour Paris et la petite couronne ; la direction de l'ordre public et de la circulation représente à peu près 4 500 fonctionnaires et intervient également en petite couronne, comme, par exemple, lors de grands événements sportifs au Stade de France. La direction de la police judiciaire regroupe 2 200 fonctionnaires et la direction du renseignement, dont je rappelle qu'elle couvre le spectre du renseignement territorial et celui de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) pour la prévention de la radicalisation, 800. Il y a également une direction de soutien technique et logistique. Les effectifs sous l'autorité du préfet de police s'élèvent donc à environ 30 000 fonctionnaires. Si l'on considère le périmètre couvert par le SGAMI Paris, s'y ajoutent 12 000 fonctionnaires supplémentaires.

Concernant la prévention des risques psychologiques et sociaux (RPS), je veux mettre en lumière le mode d'organisation que nous avons à la préfecture de police. Au sein de la direction des ressources humaines, une sous-direction de l'action sociale dispose de 25 assistantes sociales, de quatre médecins du travail et demi, de psychologues du travail, ainsi que d'une trentaine de médecins statutaires (ou médecins d'aptitude). L'idée est d'organiser une interface aussi efficace que possible entre ces professionnels et les unités dédiées à cette tâche au sein des directions actives, au plus proches des fonctionnaires.

Nous avons déploré l'an passé sept suicides, dont quatre à Paris et trois en petite couronne. Ce chiffre est en diminution sur la longue période. Chaque cas donne lieu à une enquête d'environnement, afin d'identifier la part de ce qui peut relever d'éléments personnels - souvent des questions sentimentales - et ce qui est lié au travail, même si le distinguo est toujours très difficile à établir. Ce qui est important, ce sont les efforts de détection et de prévention qui sont faits à la préfecture de police comme ailleurs, puisque nous nous inscrivons totalement dans les initiatives nationales. Ces efforts passent par un souci de repérage, d'attention accrue, par un meilleur dialogue entre médecines statutaire et de prévention, par un décloisonnement entre les métiers de psychologue et de médecin. Si vous le permettez, les deux directeurs vont dire un mot de leur organisation interne sur ces sujets.

M. Frédéric Dupuch, directeur de la sécurité de proximité. - Au sein de la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), nous avons un service d'accompagnement et de soutien (SAS), rattaché à la gestion des ressources humaines, qui reçoit les demandes propres des agents ou les signalements de collègues interpellés par une attitude ou l'évolution d'un comportement. Cela se traduit soit par des entretiens téléphoniques, soit par des entretiens en face à face ; nous en avons réalisé respectivement 1 400  et 132 en 2017. Une fois que l'on a ciblé la cause du mal-être (problème de logement, problème familial, problème d'affectation, problème relationnel avec des collègues, problème hiérarchique), nous essayons de résoudre en interne ce qui peut l'être, par exemple, le fonctionnement hiérarchique. Pour le reste, grâce au fonctionnement intégré en réseau que nous avons avec la préfecture de police, nous nous tournons vers le service compétent dépendant du préfet, secrétaire général pour l'administration, afin d'assurer un relai. Nous avons ainsi déjà résolu des situations de véritable urgence. Nous rencontrons actuellement le cas, comme cela se produit parfois en-dehors de Paris, d'agents surveillés par des malfaiteurs qui leur font savoir qu'ils connaissent leur adresse, leur véhicule, etc. Cette situation, qui génère bien évidemment chez les fonctionnaires concernés un certain malaise, est portée à notre connaissance et nous cherchons alors très rapidement un nouveau logement - aspect privé - et une nouvelle affectation - aspect administratif.

M. Éric Belleut, directeur adjoint de l'ordre public et de la circulation. - Au sein de la direction de l'ordre public et de la circulation, l'unité de prévention et de soutien comprend une dizaine de fonctionnaires, qui réalise des entretiens téléphoniques ou en face à face (une centaine en 2017), ainsi que des déplacements dans les services et sur le terrain. Pour les cas les plus complexes, elle se tourne vers la direction des ressources humaines et de la formation de la préfecture de police, afin d'obtenir l'aide de ses psychologues.

M. Christian Sainte, directeur régional de la police judiciaire. - La direction régionale de la police judiciaire est une maison bien plus petite, organisée en groupes d'enquête hiérarchisés et fédérés autour d'un chef de groupe.

Il y a deux ans, cependant, un fonctionnaire de l'identité judiciaire s'est suicidé avec son arme de service, sur son lieu de travail, un dimanche matin. On s'interroge alors nécessairement pour savoir si on n'a pas négligé des signaux qui auraient pu être envoyés avant le passage à l'acte. Mais il s'agissait de problèmes personnels et ni les collègues, ni la hiérarchie n'avaient pu percevoir le danger.

Lorsqu'un problème se fait jour, nous organisons immédiatement la prise en charge par la sous-direction des affaires sociales et resserrons le dispositif de suivi. Se pose alors très rapidement la question du désarmement du fonctionnaire concerné. Le passage à l'acte est évidemment facilité par la mise à disposition d'une arme à feu et, dans ces conditions, l'examen médical et le suivi dans la durée, avec un psychologue, sont très importants.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Cependant, le désarmement est susceptible d'aggraver le sentiment de dévalorisation du fonctionnaire. De surcroît, si l'on veut vraiment trouver une arme, on peut le faire ailleurs.

M. Christian Sainte, directeur régional de la police judiciaire. - On se pose la question du désarmement à chaque fois. Tous les cas ne relèvent pas de schémas présuicidaires : il peut aussi s'agir de quelqu'un qui traverse une difficulté, dont la consommation d'alcool devient anormale ou les horaires de travail, erratiques, qui adopte un comportement détaché vis-à-vis de son emploi... La question se pose alors de savoir s'il faut désarmer cette personne, au risque de la mener dans une impasse en lui donnant l'impression d'être dans un trou, ou au contraire lui maintenir la confiance en l'accompagnant. Le premier réflexe des chefs de service est de proposer immédiatement le désarmement. Il est alors important que nous ayons un entretien avec l'environnement du fonctionnaire concerné, avec le corps médical : au bout du compte, il appartient à l'autorité hiérarchique de se prononcer. Une telle décision est lourde de conséquences ; on ne désarme pas systématiquement.

M. Denis Safran, conseiller technique, professeur agrégé de médecine chargé des questions de santé en matière de sécurité intérieure. - Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous ai entendu dire que nous nous émouvions naturellement devant la vague récente de suicides. J'aimerais remettre les choses en perspective, au moins en ce qui concerne la préfecture de police.

En 2017, la préfecture de police a déploré sept suicides de policiers, quatre pour Paris intra-muros et trois pour l'agglomération parisienne. Si l'on rapporte ce chiffre à l'effectif total, soit 30 000 fonctionnaires, la proportion est très faible, même si chaque suicide constitue un drame pour l'individu, sa famille et ses collègues. On peut relever que ce chiffre reste relativement constant au fil des années et on ne saurait parler, en ce qui concerne la zone de compétence de la préfecture de police, d'une quelconque « explosion ». Néanmoins, le nombre de suicides est toujours trop élevé et nous devons tout mettre en oeuvre pour prévenir ces actes.

Deux dispositifs principaux ont été mis en place. Le dispositif a posteriori consiste en une enquête environnementale, qui est menée systématiquement après un suicide pour en expliquer les raisons. Les causes sont toujours multifactorielles et relèvent majoritairement de situations personnelles ou familiales ou de problèmes d'endettement, entre autres.

Le dispositif a priori vise à prévenir le suicide dans toute la mesure du possible, sachant que malheureusement le « risque zéro » n'existe pas. À la préfecture de police, il est assez robuste. Il repose d'abord sur l'environnement immédiat : collègues et hiérarchie doivent être formés à détecter des signaux faibles tels qu'un changement de comportement, des difficultés, etc. Il repose ensuite sur des structures pluridisciplinaires constituées de médecins de prévention, médecins du travail qui examinent de manière de plus en plus fréquente les fonctionnaires de police, de médecins d'aptitude qui sont en étroite relation avec les médecins de prévention bien que leurs métiers soient différents, de psychologues du réseau psychologique et de psychologues du travail. À la préfecture de police, il y a un véritable fonctionnement en réseau, qui permet des consultations régulières de cette équipe pluridisciplinaires. Sept réunions médico-sociales se sont tenues, par exemple, en 2017, dans l'objectif d'appréhender l'ensemble des problématiques liées à des situations de souffrance au travail ou de souffrance tout à fait personnelle. Enfin, il y a les cellules de veille et les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

J'insiste sur le fait que le point d'entrée pour la détection d'un risque psychosocial est bien la médecine de prévention : seul le médecin de prévention peut connaître tout l'historique des problèmes médicaux du patient, puisqu'il détient son dossier. Or dans le risque suicidaire, il n'y a pas seulement les problèmes psychologiques, mais il peut aussi y avoir des problèmes somatiques ou autres. Ceci doit être pris comme un tout. Le psychologue est une aide et, comme pour un médicament, on y a accès sur prescription.

M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris. - Je précise que je souhaiterais que ce dispositif soit étendu aux fonctionnaires travaillant en petite couronne, et notamment au sein de la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Combien de personnels sur les 30 000 cités bénéficient de cette politique ? Quelle est la répartition entre Paris et la petite couronne ?

M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris. - Il y a environ 4 000 agents dans le département de Seine-Saint-Denis et 3 000 respectivement dans les départements des Hauts-de-Seine et du Val-de-Marne, donc au total 10 000 en petite couronne et 20 000 à Paris.

J'en viens à la question de la gestion des effectifs sur la plaque parisienne. Le constat que vous faites et les questions qu'il génère ne nous surprennent pas. J'ai été secrétaire général pour l'administration de la police à Paris avant de devenir directeur de cabinet du préfet de police pendant un peu plus de quatre ans. J'y ai donc passé plus de 15 ans. Ce phénomène de l'arrivée de jeunes fonctionnaires sur la plaque parisienne et de turnover permanent, qui alimente les services de police en province, ne s'est guère corrigé depuis ce temps où je l'avais découvert. Ces difficultés s'expliquent en premier lieu par l'origine géographique des lauréats des concours, qui dans leur immense majorité ne sont pas parisiens, ni même franciliens. La plupart souhaitent retourner dans leur région d'origine. L'Île-de-France n'est pas représentée à la part de sa démographie dans les concours de catégorie B. En second lieu, il y a également un problème lié au coût de la vie en région parisienne et qui s'aggrave à mesure qu'on va vers son centre. C'est un élément pénalisant, qui peut pousser les fonctionnaires à rejoindre ou à se rapprocher du « berceau natal ».

En revanche, le fait que les sollicitations opérationnelles soient très fortes et très denses n'est pas nécessairement de nature à faire fuir les agents. Au contraire, l'acquisition de compétences sur un territoire aussi riche est bien vécue par les jeunes fonctionnaires. Par exemple, l'équipage de la police de proximité intervenu samedi est constitué de très jeunes fonctionnaires. Celui qui a neutralisé le terroriste a un an d'ancienneté, les deux autres sont également de jeunes gardiens. Le fait d'être dans cette situation n'est pas vécu comme quelque chose de pénalisant.

Une autre explication au problème du turnover est que les jeunes fonctionnaires que nous accueillons se voient confier des tâches auxquelles ils ne s'attendaient pas, telles que la circulation. Toutefois, ce n'est pas parce que des tâches ne plaisent pas qu'elles sont indues - je pense notamment à la protection des grandes institutions de la République.

Surtout, j'observe que tous les mécanismes compensatoires mis en place depuis plusieurs années se sont peu à peu érodés : la prime de fidélisation a été étendue à d'autres circonscriptions, qui n'ont rien à voir avec la plaque parisienne. La prime « coût de la vie » représente 1 700 euros brut annuels, ce qui n'est pas à la mesure du différentiel du coût de la vie. Quant à l'obligation statutaire, qui est de huit ans pour le concours national à vocation régionale Île de France et de cinq ans pour le concours à affectation nationale, on peut penser qu'elle n'a pas encore sa pleine portée.

M. Thibaut Sartre, préfet, secrétaire général pour l'administration. - La prime de fidélisation augmente par pallier annuel de 200 euros et peut atteindre 1 800 euros au bout de 10 ans. Elle concerne l'ensemble de l'Ile de France, où elle est versée sans distinction entre les circonscriptions. Il n'y a ainsi pas de différence entre les Hauts-de-Seine et la Seine-Saint-Denis, par exemple. Progressivement, la prime a été accordée à des fonctionnaires se trouvant dans une dizaine de circonscriptions en province ; ce n'est donc plus un dispositif spécifique.

M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris. - Le fait de recevoir des jeunes sortis d'école n'est pas nécessairement une chose négative. Ces fonctionnaires sont plutôt allants, récemment formés et ont envie de s'impliquer fortement dans le métier qu'ils exercent. En revanche, il y a deux conséquences inquiétantes. La première est celle d'un déficit d'encadrement. La seconde, c'est le manque d'officiers de police judiciaire (OPJ). Leur part s'élève aujourd'hui à 13 % des officiers du troisième corps de la plaque parisienne, alors que la moyenne nationale est de 23 % (mais celle-ci prend en compte les effectifs d'OPJ de la préfecture de police de Paris).

M. François Grosdidier, rapporteur. - Ces chiffres sont nettement inférieurs à ceux de la gendarmerie. Peut-on imaginer des dispositifs non financiers incitatifs pour engager les policiers vers cette qualification ?

M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris. - Il existe une voie d'avancement pour les OPJ mais ce n'est pas l'option que nous recommandons. En effet, un certain nombre de fonctionnaires ne demandent pas mieux que de devenir OPJ pour accroître leurs chances de quitter la plaque parisienne. La réflexion que nous menons porte sur la mise en place, dès la formation initiale des gardiens de la paix, pour une partie des promotions, d'une formation complémentaire permettant de faire en sorte qu'ils aient cette qualification dès l'arrivée dans les services. Ceci permettrait aussi de mettre en lumière l'investigation en tant que filière à part entière, alors qu'elle a du mal à recruter.

M. Frédéric Dupuch, directeur de la sécurité de proximité. - Nous partageons le regret que vous avez exprimé de voir des fonctionnaires particulièrement jeunes confrontés à des situations particulièrement difficiles. Cependant, le vrai sujet est la fuite de l'encadrement. Au sein de la DSPAP, le taux d'encadrement dans le corps des gardiens et gradés n'atteint pas 17 %, et ce taux varie fortement selon les services et les circonscriptions. C'est au centre de rétention administrative qu'il est le plus faible : il n'y est que de 4 %. Je conçois que cette affectation puisse être particulièrement peu engageante mais, constitutionnellement, la surveillance d'êtres humains doit être assurée par des êtres humains relevant du secteur public.

Par ailleurs, le dispositif de fidélisation, avec l'obligation de servir huit années, porte sur la région Île-de-France, non sur un site d'affectation en particulier. Or La Courneuve, ce n'est pas Versailles, et les agents ne sont pas tenus de rester huit ans à La Courneuve.

Dans mes fonctions, j'observe cet exode progressif des personnes formées. Pour devenir OPJ, il faut deux ans d'ancienneté, donc au bout de deux ans, les agents les plus brillants et les plus travailleurs passent le « bloc OPJ », entrent en formation et leur expérience à la préfecture de police de Paris constitue un atout supplémentaire pour obtenir une mutation. La DSPAP réalise 80 000 gardes à vue par an et ce chiffre progresse de 1 000 par an, alors que le nombre d'OPJ ne cesse de décroître : fin 2014, ils étaient 3 200 ; aujourd'hui, ils sont 2 700. Cela nous conduit à des réorganisations permanentes. On va être obligé d'effectuer de plus en plus de tâches avec de moins en moins de personnes ayant l'expérience pour le faire.

M. François Grosdidier, rapporteur. - La complexification de la procédure rebute-t-elle les fonctionnaires ?

M. Christian Sainte, directeur régional de la police judiciaire. - Dans une direction spécialisée telle que celle que je dirige, on a une perte en ligne d'effectifs, avec des départs qui s'accélèrent : le renouvellement générationnel est une réalité, mais il y a également beaucoup de départs vers la province et nombre d'enquêteurs spécialisés se tournent vers le renseignement, où ils trouvent la satisfaction de se renouveler professionnellement et de travailler en s'affranchissant, dans une certaine mesure, de la lourdeur de la procédure. Enfin, le manque d'attractivité se ressent aussi sur les ouvertures de postes : en 2013, pour la police judiciaire, 25 postes étaient ouverts pour les officiers ; cette année, il y a 76 postes vacants, dont tous ne suscitent pas de candidature.

En ce qui concerne le continuum de la hiérarchie, on se rend compte de l'existence d'un maillon faible : le manque d'encadrement par les officiers fragilise toute la chaîne hiérarchique. Ce phénomène est aussi, certainement, un facteur de dichotomie perceptible entre la hiérarchie supérieure et la base.

Enfin, comme cela a déjà été évoqué par M. le préfet de police, le nivellement par le bas des quelques avantages et compensations qui valaient pour les fonctionnaires affectés en région parisienne rend que le maintien à Paris pénalisant. Les conditions de vie étant déjà dégradées par rapport à la province, les contraintes financières deviennent alors rapidement un enjeu majeur pour les personnels.

M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris. - Le sujet du logement suscite à juste titre des préoccupations, puisque c'est une question clef. La politique du logement spécifique aux fonctionnaires de la préfecture de police de Paris existe déjà depuis les années 1980. Sa particularité est de réserver sur des crédits d'État des logements à destination de ses fonctionnaires, avec un financement par le programme 176. Il s'agit de droits de présentation ; le bailleur qui a construit - que ce soit un bailleur social ou non - s'engage à réserver des logements à des fonctionnaires de police qu'on lui présente par l'intermédiaire du bureau du logement. Cela représente une ressource de 13 300 logements financés par l'État. Le parc a été mis en place par Pierre Joxe alors qu'il était ministre de l'intérieur et a toujours reçu le financement nécessaire à son maintien. L'idée est maintenant d'améliorer le positionnement en abandonnant certains sites et en en investissant d'autres, afin de rendre l'offre plus attractive.

M. Thibaut Sartre, préfet, secrétaire général pour l'administration. - Il y a aujourd'hui environ 13 500 logements, dont 90 % dans le parc social et 10 % dans le parc privé. Le système repose sur le principe de la réservation et des droits de présentation : nous présentons des candidats aux bailleurs sociaux ; le bail est signé par ces deux parties directement. Le fonctionnaire a alors la même relation avec son bailleur que n'importe quel autre locataire.

Lorsque le locataire résilie le bail, soit le droit de réservation nous revient et nous pouvons présenter un nouveau candidat, soit le droit de réservation est perdu. Cela dépend du type de réservation.

M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris. - L'idée de départ était de s'engager sur un droit de réservation pour une durée de 15 à 20 ans. Si le locataire que nous avons présenté au bailleur part - parce qu'il change d'affectation, parce qu'il acquiert un logement, ... - nous récupérons un logement et le droit de réservation nous reste acquis. Au bout d'un certain temps, il devient caduc.

M. Thibaut Sartre, préfet, secrétaire général pour l'administration. - Chaque année, ce sont à peu près 13 millions d'euros qui sont affectés au droit de réservation. Nous proposons environ 1 500 à 1 600 logements par an. Le turnover est d'à peu près 15 % par an.

Nous avons reçu, l'an dernier, 2 700 demandes pour 1 600 logements. La situation des personnes concernées peut être très diverse ; certaines occupent déjà un logement de la préfecture de police et souhaitent changer de lieu de résidence. Le différentiel de 1 000 entre l'offre et la demande est évolutif : ce ne sont jamais les mêmes personnes qui le composent. Parmi les demandeurs, certains fonctionnaires ont refusé un logement que nous leur avions proposé parce qu'il ne leur convenait pas en termes de localisation ou de structure.

Aujourd'hui, nous avons un peu moins de 1 700 demandes en stock, dont 1 000 ont moins de six mois d'ancienneté. Il y a donc un stock frictionnel. Sur les 1 000 personnes ayant déposé une demande il y a moins de six mois, 425 se sont déjà vu proposer un logement, c'est-à-dire un « bon de visite ». Parmi les 600 demandes qui ont plus de 6 mois, toutes ont déjà donné lieu à un bon de visite au moins. Elles émanent souvent de fonctionnaires déjà logés dans le parc social : ce n'est pas une primo-demande. Concernant les besoins immédiats, nous mettons un accent particulier sur la situation des jeunes arrivant à la préfecture de police, qui sont le moins payés et n'ont généralement pas d'attaches familiales en Île-de-France - nous leur portons donc une attention toute particulière. L'an dernier, 400 gardiens de la paix sortis d'école ont formulé une demande auprès du bureau du logement de la préfecture de police, quelle que soit leur affectation (Paris ou petite couronne).

M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris. - Je voudrais souligner le fait que sur 3 200 arrivées, nous n'avons reçu que 400 demandes : c'est peu.

M. Thibaut Sartre, préfet, secrétaire général pour l'administration. - Nous avons trouvé une solution pour l'ensemble des 400 demandeurs, soit en parc social, soit en résidence... Tous les fonctionnaires sortis d'école qui nous ont sollicités ont obtenu une solution de logement.

M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris. - La question est de savoir pourquoi tous ne s'adressent pas au bureau du logement. La réponse se trouve dans nos développements et échanges précédents : le système du turnover n'incite pas certains à s'engager de manière durable dans un logement de type familial, qui privilégieront une logique de colocation tout en conservant le logement qu'ils occupent hors de l'Île-de-France.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Les fonctionnaires restent en Île-de-France entre cinq et huit ans tout de même.

M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris. - Lorsque j'étais en poste à Béthune, qui fournit de nombreux fonctionnaires de police, « l'effet TGV » incitait beaucoup d'entre eux à adopter un mode de vie que nous désapprouvions : leur épouse ou future épouse étant dans le bassin minier du Pas-de-Calais, ils préféraient garder leur pavillon à Béthune, par exemple, et choisissaient des services de nuit, en « trois-trois », avec un logement précaire et à moindre coût dans la capitale ; ils rentraient dans leur département quand le service le leur permettait.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Il nous a été rapporté qu'il y aurait un décalage dans le versement des salaires après la sortie d'école. L'affectation au premier poste génère une augmentation de traitement, mais il se passe parfois jusqu'à six mois avant que celle-ci ne soit répercutée sur la feuille de paie du fonctionnaire après l'arrivée en poste en région parisienne, c'est à dire au moment où le policier a le plus besoin de cet argent pour son installation.

M. Thibaut Sartre, préfet, secrétaire général pour l'administration. - La paie est assurée au niveau régional. Je n'ai jamais été saisi par les organisations syndicales notamment de décalages aussi longs que ceux que vous évoquez, même s'il peut y avoir des délais d'un ou deux mois, mais je vais faire vérifier ce point.

M. Alain Cazabonne. - Il me semble que certains policiers nous ont dit qu'ils avaient dû rembourser une partie de ce qu'ils avaient touché pendant leur formation.

M. Thibaut Sartre, préfet, secrétaire général pour l'administration. - La rémunération au cours de l'année qui suit la sortie de l'école, pendant laquelle les fonctionnaires sont stagiaires, est significativement supérieure à celle des élèves, notamment par le jeu des primes.

Mme Brigitte Lherbier. - Je voudrais insister sur le fait que la police attire les jeunes. On s'aperçoit que ce sont surtout les filles qui passent et réussissent les concours. Or vous n'avez jamais abordé la situation de ce public féminin. Les jeunes filles sont-elles également touchées par ces problèmes d'épuisement professionnel ? S'adaptent-elles plus ou moins bien à l'environnement parisien ?

M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris. - Le suicide est un phénomène très masculin. Nous n'avons pas évoqué le sujet des femmes à la préfecture de police parce qu'il n'y a pas de problème spécifique et qu'il n'est pas nouveau. Il y a maintenant plus d'un quart des gardiens de la paix qui sont des femmes et tout le monde s'en réjouit. Par le dynamisme et l'équilibre que ce taux de féminisation apporte dans les services, il y a eu un vrai changement très positif dans le mode de fonctionnement. Il y a quelques commissaires féminins dans des arrondissements un peu difficiles de la capitale et les élus y sont très contents. Ce n'est pas un sujet.

Mme Brigitte Lherbier. - Les pompiers de Paris restent pour la population nationale, et notamment pour les jeunes, un corps très attractif. Comment expliquez-vous cela ? Avez-vous pour les sollicitations opérationnelles un travail de coordination avec eux ?

M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris. - La brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) est placée sous mon autorité puisqu'en tant que préfet de police je coordonne les secours. La force du système parisien, c'est le fait qu'il soit complètement intégré, sous l'autorité d'un seul chef. Le statut des sapeurs-pompiers est un statut militaire, comme les marins-pompiers à Marseille, qui sont sous l'autorité du maire. Le financement de la BSPP relève du budget spécial de la préfecture de police, qui est voté par le conseil de Paris mais auquel contribuent, à parts égales, l'État, la Ville de Paris, les départements et les communes de la petite couronne. Les pompiers de Paris attirent beaucoup de jeunes mais très peu de jeunes femmes. Je pense qu'il y a là une progression à faire, mais on ne passe pas du jour au lendemain d'un paradigme à l'autre.

M. Alain Cazabonne. - Le citoyen n'est pas hostile à la « politique du chiffre ». Mais il semblerait que celle-ci ait conduit au versement de primes réservées à la hiérarchie.

Par ailleurs, je me demande si ce serait une bonne chose que les policiers puissent entrer dans des lieux privés, tels que des supermarchés, avec leur arme de service.

M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris. - Cette interrogation pose la question de l'utilisation de l'arme en-dehors des heures de service. Il y a des éléments en faveur de cette option, d'autres contre... Je ne suis pas certain que cela relève du domaine de la loi. Les fonctionnaires tiennent beaucoup à avoir l'usage de l'arme en-dehors du service mais on est renvoyé à la règle de l'endroit : le « maître de maison » doit garder la maîtrise.

M. Philippe Dalvavie, conseiller technique chargé des affaires juridiques. - Si un fonctionnaire de police souhaite assister à un spectacle avec son revolver et si le responsable du théâtre ne le veut pas, il ne peut pas entrer. Je rappelle d'ailleurs qu'il y a eu un mouvement de panique dernièrement dans un cinéma, lorsqu'un fonctionnaire a, en enlevant sa veste, fait apparaître son revolver.

M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris. - Personnellement, je ne m'aventurerais pas sur ce terrain.

Concernant la politique du chiffre, il y a deux écueils permanents : soit on instaure une dictature - avec tout ce qui en découle - et cela pervertit l'activité ; soit il n'y a aucun objectif ni élément d'appréciation et alors, lorsque l'on évalue l'encadrement, c'est « à la tête du client ». Donc le préfet de police délivre des lettres de mission aux directeurs, qui fixent des objectifs aux collaborateurs.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Demandez-vous un chiffre précis de contraventions, de gardes à vue, etc. ?

M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris. - Trois fois non ! En revanche, j'aime savoir, par exemple, le nombre de gardes à vue réalisées par officier de police judiciaire (OPJ) et par an dans chaque circonscription. Si je m'aperçois que ce chiffre est de 50 dans une circonscription alors qu'il est de 260 dans une autre, je constate qu'il y a un problème de répartition de la ressource et je peux le régler. Il n'y a aucune incidence sur l'indemnité de responsabilité et de performance (IRP) des fonctionnaires concernés.

M. Frédéric Dupuch, directeur de la sécurité de proximité. - Je pense qu'il y a une confusion entre les chiffres-objectifs et les chiffres-bilan. Certes, on utilise des chiffres. Mais la caricature selon laquelle on dirait : « Vous devez faire tant de contraventions en stationnement, tant en feu rouge » ne fait pas partie du tout des stratégies même si je ne saurais jurer que personne, parmi les 20 000 fonctionnaires de la direction, ne l'a jamais dit. En revanche, nous mesurons le taux d'occupation de la voie publique et le nombre de patrouilles qu'on a dégagées, le délai entre la réception d'un appel téléphonique au 17 et l'arrivée de l'équipe sur place, le nombre de gardes à vue, de cambriolages et de vols avec violence, etc. Nous exploitons les chiffres au plan des bilans, pas en tant qu'éléments d'objectifs chiffrés à atteindre.

M. Christian Sainte, directeur régional de la police judiciaire. - L'IRP est liée principalement aux fonctions de l'intéressé et indexée sur son niveau de responsabilité. Lorsqu'il y a une prime pour un résultat exceptionnel, elle est accordée collectivement, à un groupe, de manière indifférenciée entre le chef de groupe et les autres fonctionnaires.

M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris. - L'une de vos questions, Monsieur le Rapporteur, portait sur « l'esprit police », l'esprit de corps, l'esprit de caste. Notre vision, c'est que la police est une maison et que son unité est un impératif - à Paris, cela est peut-être mieux vécu qu'ailleurs. Nous devons tout faire pour éviter une cassure entre les chefs et ceux qui sont, comme l'on dit familièrement, « au bas de l'échelle » : par exemple, les chefs de service ne sauraient rester derrière leur bureau ; il faut qu'ils soient chaque jour au contact des équipes au moment de l'appel, à l'accueil, etc.

Il est vrai qu'en raison du mode de recrutement, les origines des fonctionnaires sont très différentes. Beaucoup de gardiens arrivent par la voie des adjoints de sécurité (ADS), ce qui permet d'avoir des effectifs qui reflètent la diversité de la population française actuelle. Le niveau du concours des commissaires est élevé et nombre d'entre eux sont diplômés de Sciences-Po. Pour ceux-ci, la préfecture de police de Paris leur offre l'avantage d'être intégrés dans une structure importante, ce qui évite l'isolement et leur permet d'acquérir de l'expérience avant d'être nommés chefs de service.

Par ailleurs, nous avons mis en place une formation « transport » avec l'École nationale supérieure de police (ENSP), destinée à une cohorte regroupant des membres des trois corps, et cette première expérience a été unanimement jugée très positive, tant par la hiérarchie que par les participants. Enfin, nous avons entamé une réflexion autour du management. Nous sommes très allants pour développer cultiver un esprit de corps intégré, spécifique, me semble-t-il, à la préfecture de police.

En ce qui concerne la formation initiale, l'attaque survenue samedi 12 mai dernier à Paris a montré que les gardiens étaient bien préparés. J'aimerais signaler la situation de la filière investigation. Je pense qu'il faut, en permanence, adapter la formation initiale au type de police que l'on souhaite mettre en place. Les fonctionnaires doivent être préparés à la fois au pire, aux cas extrêmes, et, en même temps, à la police de sécurité du quotidien, de contact, de partenariat, à la fidélisation dans les quartiers, ... Nous devons bien expliquer que c'est l'un et l'autre, non l'un ou l'autre.

J'en viens à la police de sécurité du quotidien. Nous la mettons en place partout sur la plaque parisienne, c'est-à-dire Paris et la petite couronne, et non seulement dans les « quartiers de reconquête républicaine » (à Aulnay-sous-Bois et Sevran, à Champigny-sur-Marne et Chennevières, ainsi que l'an prochain à Asnières-Gennevilliers-Colombes et dans la zone de sécurité prioritaire des 10e et 18e arrondissements de Paris), qui ne sont pour nous que des pastilles sur lesquelles nous allons faire un effort supplémentaire. La police de sécurité du quotidien, c'est partout.

D'une part, il y a des stratégies locales de sécurité, des partenariats, la police mieux connectée, les téléphones intelligents « Neo », qui sont très appréciés des fonctionnaires parce qu'ils leur font gagner énormément de temps et d'efficacité. D'autre part, avec M. Frédéric Dupuch, nous avons engagé une réforme globale de l'organisation des circonscriptions pour mieux faire apparaître les missions. Il y a deux ensembles de grandes missions. Le premier a trait à la police de sécurité du quotidien, avec « Police Secours », qui doit être sanctuarisée pour être en capacité d'intervenir à tout instant et peut-être faire l'objet, sur certaines plages horaires, d'une mutualisation entre circonscriptions voisines (comme cela était le cas samedi dernier), avec des brigades territoriales de contact et avec les brigades anti-criminalité (BAC). Le second a trait au judiciaire et, compte tenu de nos difficultés, nous réfléchissons à des mutualisations intelligentes. En effet, on peut avoir intérêt à regrouper des activités au niveau pertinent, surtout lorsque cela est complètement neutre pour le public - peu importe, par exemple, l'endroit où se déroule une garde à vue ; en revanche, il faut que l'accueil des plaintes se fasse dans la proximité. Nous n'écartons pas l'idée d'une fermeture nocturne de certains commissariats si très peu de personnes y sont accueillies la nuit ; cela pourrait permettre de dégager des moyens pour déployer des brigades supplémentaires sur la voie publique.

Voici rapidement présentés nos projets pour la police de sécurité du quotidien. Nous commencerons la mise en place de nos circonscriptions rénovées par Nanterre, Saint-Denis, Créteil-Bonneuil et le 20e arrondissement de Paris. Nous développerons partout l'écoute, les capteurs, la présence sur les réseaux sociaux, les modes de patrouille adaptés (vélos tout-terrain et véhicules électriques).

M. François Grosdidier, rapporteur. - Merci pour vos réponses. Existe-t-il un retard d'investissement sur les parcs automobile et immobilier ?

Par ailleurs, que pensez-vous de la réforme du code de procédure pénale et des outils destinés à faciliter les transcriptions ou les liaisons avec le parquet ? Qu'en est-il et que souhaiteriez-vous de plus ?

M. Christian Sainte, directeur régional de la police judiciaire. - Concernant l'aspect procédural, il y a une grande attente de la part des enquêteurs. La montée en puissance du parquet a autorisé des enquêtes préliminaires dans le souci, je pense, de soulager un certain nombre de cabinets d'instruction. De fait, les enquêteurs s'adressent très naturellement au parquet pour solliciter des actes d'investigation et obtenir des outils qui leur paraissent utiles. En parallèle, les textes ont évolué, afin d'instaurer un contrôle, une vérification de ces outils par le juge des libertés et de la détention, saisi par le parquet lui-même. Cet alourdissement du formalisme de la procédure et de la protection des droits, en application de normes européennes qu'il ne s'agit pas du tout de remettre en cause, nécessite des adaptations.

M. François Grosdidier, rapporteur. - En France, les modes accusatoire et inquisitoire coexistent, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays européens.

M. Christian Sainte, directeur régional de la police judiciaire. - La procédure orale n'est pas dans notre culture ; nous avons un mode de procédure écrite, dans lequel tout ce qui est dit doit être retracé et retranscrit. La procédure est donc assez complexe. La moitié des procès-verbaux sont de pure forme, mais ils obèrent néanmoins le temps dédié à l'enquête et l'investigation. Cet alourdissement des procédures est l'un des facteurs de démobilisation des personnels.

Ceux-ci sont donc dans l'attente de dispositifs d'allègement, à la fois sur le fond et sur la forme : outils de bureautique, facilitation des échanges - des projets sont menés avec le ministère de l'intérieur et la chancellerie - et des transmissions de procédures, modification de règles de forme pour sortir de la nécessité de tout retranscrire par écrit et ainsi regagner du temps d'enquête à effectif constant voire en baisse.

Je ne peux pas, à ce jour, mesurer les effets que cela induira à terme, ni sur nos capacités d'investigation, ni sur la mobilisation des enquêteurs et le degré d'attractivité de la filière d'investigation que je défends.

M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris. - À Paris, l'essentiel (90 à 95 %) des procédures judiciaires, en volume, est réalisé par la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne. Si l'on réduisait de deux heures la durée moyenne d'une garde à vue, nous gagnerions l'équivalent de 200 officiers de police judiciaire sur le territoire de la préfecture de police.

Au-delà du droit, une réflexion plus fondamentale sur les nouvelles technologies et le numérique pourra apporter bien des réponses en termes d'allègement : dématérialisation et outils technologiques constituent une partie de la solution, à droit constant. Nous sommes très allants sur la modernisation. Les tablettes numériques rencontrent un grand succès. Les caméras-piéton devraient équiper à l'avenir tous les équipages.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Pourquoi n'est-ce pas encore le cas ?

M. Thibaut Sartre, préfet, secrétaire général pour l'administration. - Nous en avons déjà 600 et 1 300 supplémentaires ont été commandées.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Qu'en est-il en du taux d'équipement en sécurité publique ?

M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris. - Tout le monde n'est pas encore équipé. Plutôt que de saupoudrer la dotation, nous la distribuons de manière groupée, circonscription par circonscription. Les fonctionnaires ont bien compris que la caméra était pour eux un outil de protection.

L'autre grand sujet est celui des besoins immobiliers. Le ministre de l'intérieur a annoncé un plan extrêmement important, qui comprend des projets sur la plaque parisienne et en Île-de-France, mais le temps de l'immobilier est long.

Comme observateur de la vie publique, je note que l'État a fait des sacrifices touchant au coeur des fonctions régaliennes - police, gendarmerie, administration pénitentiaire, justice - au cours des dernières années et qu'il y a maintenant un rattrapage à faire. Compte tenu du fait que le budget de l'État correspond principalement aux dépenses de personnel (titre 2 du projet de loi de finances), l'effort ne semble pas hors de portée et le président de la République a fait état de sa détermination sur ce sujet.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Pouvez-vous nous communiquer les chiffres relatifs au retard d'investissement à la fois sur l'immobilier et sur le parc automobile ?

M. Thibaut Sartre, préfet, secrétaire général pour l'administration. - Sur le parc de véhicules, la moyenne d'âge est légèrement inférieure à sept ans. Au-delà de la question de l'ancienneté, se pose le problème de l'entretien et de la disponibilité du parc. Grâce à des réorganisations internes à la préfecture de police, nous avons pu, au cours des six derniers mois, récupérer 150 véhicules supplémentaires.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Quel effort serait aujourd'hui nécessaire pour rattraper le retard d'investissement et parvenir à maintenir un niveau correct de décence, de dignité et d'efficacité pour les forces de l'ordre ?

M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris. - Nous vous communiquerons les éléments chiffrés par écrit. Sur l'immobilier, nous pouvons vous donner l'évaluation des besoins à ce jour.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Le commissariat de Coulommiers relève-t-il de la préfecture de police ?

M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris. - Il dépend du SGAMI Paris et on est venu m'en parler.

M. Jean Sol. - À quel rythme - annuel, semestriel, trimestriel - ont lieu les visites auprès de la médecine préventive ? Sont-elles faites à la demande ou programmées ?

Pouvez-vous, par ailleurs, préciser le taux de turnover, ce phénomène semblant occuper une place prépondérante ?

M. Thibaut Sartre, préfet, secrétaire général pour l'administration. - Concernant la médecine de prévention, le rythme dépend du régime d'emploi. En théorie, le médecin de prévention doit voir les fonctionnaires tous les trois ans ; pour ceux travaillant en régime de nuit, il me semble, de mémoire, que ce doit être tous les ans. On a remonté la pente en la matière : en 2017, les 4,5 médecins exerçant à Paris ont effectué 5 500 visites, contre 4 000 en 2016. À chaque fois qu'un fonctionnaire demande à rencontrer un médecin, ou si son service le souhaite, parce qu'il est signalé comme étant « en risque », il est vu.

M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris. - Le turnover concerne environ 3 000 fonctionnaires par an, sur les 30 000 que compte la préfecture de police ; le taux est donc de 10 % par an. Il affecte toujours les mêmes couches. Dans les grandes brigades centrales et les services spécialisés, il y a un attachement.

Le « mouvement général de l'été », dont les syndicats vous ont peut-être parlé, permet de pourvoir les postes en province. C'est un grand exercice auquel chacun est attaché. Si on veut modifier le paradigme, il faut aussi modifier cet aspect-là. Le sujet est simple à exposer, il est plus compliqué à régler, et il suppose sans doute une concertation et une intelligence collectives.

M. Michel Boutant, président. - Monsieur le préfet de police, Messieurs, merci beaucoup de vous être rendus disponibles. Merci aussi aux sénateurs et aux administrateurs.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 15.