Mercredi 4 juillet 2018

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Accueil d'une nouvelle commissaire

M. Alain Milon, président. - Je salue madame Cathy Apourceau-Poly, sénatrice du Pas-de-Calais, qui vient de rejoindre notre commission, en remplacement de Dominique Watrin. Je souhaite à notre collègue la bienvenue, au nom des membres de la commission.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je vous remercie beaucoup de ces mots de bienvenue. Je m'efforcerai de m'inscrire dans les pas de Dominique Watrin, dont j'ai compris qu'il s'est montré un membre assidu de cette commission et qu'il contribuait activement au débat d'idées dans un parfait respect de ses contradicteurs. Pour ma part, je suis originaire de la commune d'Avion, dont je suis élue municipale et je préside une structure locale originale, la mission du bassin minier du Pas-de-Calais. J'ai tout lieu de penser que ces sujets seront abordés de façon plus large au cours de nos travaux à venir.

Situation des finances sociales - Examen du rapport d'information fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale

M. Alain Milon, président. - Nous passons à l'examen du rapport de notre rapporteur général, Jean-Marie Vanlerenberghe sur la situation des finances sociales dans la perspective du débat d'orientation des finances publiques du 12 juillet prochain. Je vous indique que l'horaire du débat a changé, il aura lieu à 15 h 30.

Il s'agit d'un travail réalisé dans le cadre du programme de travail annuel de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la Mecss, dont je salue le président, Jean-Noël Cardoux.

Je rappelle que la publication des rapports de la Mecss doit être autorisée par la commission dans son ensemble.

Notre commission examine ce rapport pour la quatrième année consécutive dans le contexte particulier du débat sur la révision constitutionnelle.

Je rappelle que ce travail est né d'une triple insatisfaction : l'examen de l'application de la loi de financement échappe largement au contrôle parlementaire, car il est tardif, expéditif et partiel.

Ce contrôle est tardif : le compte rendu de l'application de la loi de financement au mois de juin s'effectue en dehors du Parlement, dans le cadre de la commission des comptes de la sécurité sociale créée en 1979, soit bien avant la création du PLFSS ;

Il faut attendre la fin du mois de septembre avec la publication du rapport de la Cour des comptes sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale pour disposer d'une analyse plus fine.

Ce contrôle est expéditif : l'examen de la première partie de la loi de financement ne prend le plus souvent que quelques secondes en séance publique.

Ce contrôle est partiel : le périmètre est celui du régime général de sécurité sociale qui ne correspond pas à celui du PLFSS alors que notre commission examine plus largement le périmètre des ASSO, qui fait l'objet de la loi de programmation des finances publiques

Pour toutes ces raisons, nous avons demandé au rapporteur général de faire ce travail et de le restituer au moment où nous en avons besoin, c'est-à-dire avant l'été.

J'ajoute que nous n'avons pas jugé nécessaire que nos collègues députés en inscrivent le principe dans la Constitution pour entendre les ministres chargés du budget sur les comptes sociaux, ce que nous faisons chaque année au printemps depuis 4 ans.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Comme ces dernières années, la MECSS m'a invité à dresser devant notre commission le tableau de la situation des finances sociales à l'approche du débat d'orientation des finances publiques (DOFP) en séance publique. C'est avec plaisir que je vous en livre les éléments les plus saillants, étant entendu que vous trouverez des informations plus détaillées dans le rapport écrit que vous m'autoriserez peut-être à publier à l'issue de nos échanges.

Comme le veut cet exercice, il convient de distinguer deux périmètres d'examen des comptes sociaux :

- d'une part, en comptabilité générale, le périmètre de la « sécurité sociale », qui correspond au périmètre actuel des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) sur lesquelles nous nous prononçons chaque automne ;

- d'autre part, en comptabilité nationale, l'ensemble des administrations de sécurité sociale (ASSO), qui est le périmètre de nos engagements européens, celui à partir duquel sont appréciés le solde des administrations publiques et la dette publique au sens du Traité de Maastricht. En plus de la sécurité sociale, il inclut les retraites complémentaires obligatoires, l'assurance chômage ou encore la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES). C'est par ce dernier périmètre que je débuterai mon propos.

Comme vous l'avez entendu ces dernières semaines, en prenant en compte l'ensemble des ASSO, les comptes sociaux sont enfin à l'équilibre en 2017 pour la première fois depuis une décennie : + 5,1 milliards d'euros, soit 0,2 % du produit intérieur brut (PIB).

Il s'agit d'une bonne nouvelle, dont nous ne pouvons que nous féliciter.

Pour autant, nous ne pouvons éluder les fragilités qui demeurent au-delà de cette bonne performance.

Tout d'abord, ce résultat positif intègre les 14,3 milliards d'euros amortis par la Cades l'année dernière. Cette intégration n'est pas contestable d'un point de vue comptable. Mais en dehors du résultat de cette structure provisoire en grande partie financée par une ressource - la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) - destinée à s'éteindre en 2024, les administrations de sécurité sociale ont enregistré, en 2017, un besoin de financement de 9,2 milliards d'euros. La notion d'équilibre retrouvé est donc à relativiser.

En outre, le bon résultat de l'année dernière est très largement le fait du dynamisme des recettes. Poussées par la très bonne conjoncture économique, à laquelle elles sont intimement liées du fait de l'assiette salariale de la majorité d'entre elles, les recettes de l'ensemble des ASSO sont en effet passées de 580,7 milliards d'euros en 2016 à 604 milliards en 2017, soit une hausse de près de 4 % en un an. Les prélèvements obligatoires, impôts et cotisations, sont prépondérants : avec 553,1 milliards d'euros l'an dernier, ils ont représenté 53,3 % de l'ensemble des prélèvements obligatoires, et 24,1 % du PIB.

Dans son rapport sur les comptes publics, en prenant un peu de recul, la Cour des comptes souligne que, depuis 10 ans, les administrations de sécurité sociale ont bénéficié d'une hausse de leurs recettes de 2,3 points de PIB, dont :

- 1,2 point d'évolution « spontanée », avec un fort effet de l'année 2009 au cours de laquelle la masse salariale s'est globalement maintenue malgré une nette baisse du PIB ;

- et 0,9 point dû à des mesures de hausse des prélèvements en faveur des ASSO, en distinguant deux périodes contrastées, une période 2010-2014 au cours de laquelle les mesures ont abouti à une hausse de 1,2 point et une période depuis 2014 qui voit ce mouvement quelque peu refluer (- 0,3 point dû aux mesures prises depuis lors).

En allant un peu plus dans le détail, les comptes de l'Unédic ont affiché un déficit de 3,6 milliards d'euros en 2017, en repli par rapport aux 4,3 milliards de 2016. Là encore, c'est l'augmentation des recettes qui explique cette amélioration, les dépenses de l'assurance chômage ayant légèrement augmenté, de quelque 300 millions d'euros pour atteindre 39,9 milliards d'euros l'année dernière. On relèvera, à cet égard, que les effets de la nouvelle convention conclue par les partenaires sociaux en 2017 n'ont guère pu se faire sentir sur l'exercice précédent, ce texte étant entré en vigueur au mois de novembre. C'est donc l'année 2018 qui permettra d'en faire un premier bilan. En tout cas, au 31 décembre, la dette de l'Unédic représentait un montant de 33,5 milliards d'euros ; sans anticiper sur la suite, vous vous souvenez sans doute que les responsables de l'organisation que nous avons entendus en commission prévoient un « pic » de dette de l'ordre de 35 milliards d'euros en 2019 avant que la décrue ne s'amorce à compter de 2020.

S'agissant des régimes complémentaires obligatoires de retraite, l'Agirc-Arrco a enregistré un déficit technique de 2,9 milliards d'euros en 2017, en repli par rapport aux 4,2 milliards de 2016 mais surtout en « avance » d'environ 2 milliards d'euros par rapport à la prévision d'un déficit de 5 milliards en 2017 qui figurait dans l'accord du 30 octobre 2015. Après prise en compte des résultats financiers, ce déficit est ramené à 569 millions d'euros, prélevés sur les réserves puisque les régimes complémentaires ne peuvent avoir recours à l'endettement. La réserve de financement de l'Agirc-Arcco s'établissait à 62,5 milliards d'euros à fin 2017.

J'en arrive à présent au périmètre de la LFSS. Le résultat 2017, quoique poursuivant son amélioration de ces dernières années, reste déficitaire de 5,1 milliards d'euros :

- 2,2 milliards d'euros pour le régime général ;

- et 2,9 milliards d'euros pour le fonds de solidarité vieillesse (FSV).

Il est permis de relever que ce chiffre est moins bon que la prévision que nous avons votée dans le cadre du PLFSS 2017, c'est-à-dire un déficit de 4,2 milliards d'euros. Il est en revanche, en ligne avec la prévision rectifiée du PLFSS 2018.

En allant au niveau des branches, la branche maladie affiche un déficit de 4,9 milliards d'euros, quasiment stable par rapport à 2016. Les recettes comme les dépenses ont augmenté de 3,5 %. Cela correspond pour l'essentiel à l'augmentation des cotisations en ce qui concerne les recettes. Quant à la hausse des dépenses, elle correspond, d'une part, à l'Ondam, tenu comme prévu à 2,2 %, et d'autre part à des changements de périmètre, notamment le transfert (compensé) de l'État à l'assurance maladie du financement des établissements et services d'aide par le travail (ESAT).

De manière un peu moins marquée que lors des exercices précédents, mais de manière réelle, on relèvera (sans surprise) que la tenue de l'Ondam ne signifie pas que chacun de ses sous-objectifs a respecté son enveloppe prévisionnelle. Comme l'indique le comité d'alerte, par rapport aux objectifs initiaux, les dépenses de soins de ville sont supérieures de 0,6 milliard d'euros, tandis que les versements de l'assurance maladie aux établissements, notamment hospitaliers, sont en retrait du même montant par rapport à la prévision.

La ministre semble consciente du fait qu'avec la fragilisation financière croissante des hôpitaux, nous avons sans doute atteint les limites de ce type de régulation. Il est en tout cas indispensable que l'effort de tenue de l'Ondam soit mieux partagé à l'avenir et inclue donc une meilleure maîtrise des dépenses de ville, notamment des indemnités journalières et des frais de transport médicalisé.

L'excédent de la branche AT-MP a fortement augmenté en 2017 pour s'établir à 1,1 milliard d'euros. Les recettes ont presque connu le même dynamisme que dans les autres branches (+ 2,4 %) malgré une baisse du taux de cotisation, tandis que les dépenses de la branche ont diminué de 0,6 %.

La branche retraites est également restée excédentaire en 2017, à + 1,1 milliard d'euros. Là encore, du côté des recettes, les cotisations ont été relativement dynamiques (+ 2,5 %). En revanche, la branche a subi les effets du transfert de la fraction de la taxe sur les salaires dont elle bénéficiait en contrepartie de l'affectation intégrale de la CSSS, qui n'a pas compensé cette perte. Du côté des charges, les prestations servies ont connu une progression maîtrisée (+ 1,9 % contre 2,2 % en 2016) ; comme le souligne la commission des comptes de la sécurité sociale, les effets modérateurs des mesures de report d'âge ont été forts en 2017.

La branche famille a considérablement réduit son déficit l'année dernière, celui-ci étant passé de 1 milliard d'euros à 200 millions d'euros. On relèvera une croissance très modérée des charges (+ 0,7 %) avec, pour la troisième année consécutive, une baisse des prestations légales (- 0,2 %), en particulier des dépenses liées à la petite enfance (- 3,8 %). Dans le même temps, comme pour l'ensemble des branches, la croissance économique a stimulé les recettes (+ 2,4 %).

Le solde du FSV a été de - 2,9 milliards d'euros en 2017, après un déficit de 3,7 milliards en 2016. Cette amélioration s'explique essentiellement par l'évolution des dépenses, en assez nette diminution du fait de la réforme du financement du minimum contributif décidée dans le cadre de la LFSS 2017.

Pour conclure ce regard sur l'année 2017, observons qu'en raison de conditions d'emprunt atypiques, l'Acoss a paradoxalement affiché un résultat positif de 125 millions d'euros de gestion de trésorerie malgré une situation de trésorerie défavorable : - 23,4 milliards d'euros au 31 décembre, soit une dégradation de 6,1 milliards d'euros par rapport à l'année précédente. Le point bas de l'année s'est établi à - 32,7 milliards d'euros en septembre, soit un niveau proche de l'autorisation de découvert de 33 milliards d'euros que le Parlement avait octroyé à l'agence en LFSS 2017.

En résumé, l'exercice 2017 s'est donc traduit par une amélioration du solde de l'ensemble des régimes, hors assurance maladie, pour aboutir à une situation d'équilibre, du fait de l'inclusion (certes logique) de la Cades dans le périmètre des ASSO. Pour le reste, l'Agirc-Arrco, l'assurance chômage, le régime général et le FSV ont en fait connu une situation de moindre déficit par rapport à 2016 sans avoir encore équilibré leurs comptes (à l'exception des branches retraites et AT-MP).

Mais, vous le savez, notre exercice ne consiste pas seulement à regarder dans le rétroviseur mais aussi à tracer des perspectives d'avenir, pour l'exercice 2018 en cours et à plus long terme.

Pour 2018, vous avez sans doute lu la presse, l'optimisme semble de mise. La contribution des ASSO au solde des administrations publiques bondirait à + 0,7 % de PIB. Par la suite, nous y reviendrons, il atteindrait un plafond de 0,8 point de PIB.

Les évolutions les plus significatives de 2018 seraient les suivantes :

- l'Unédic prévoit un net repli de son déficit pour l'année en cours ; celui-ci passerait de 3,5 milliards à 1,3 milliard, avec, toujours, un dynamisme des recettes et, en parallèle, une diminution des dépenses allocataires ;

- et, de façon encore plus spectaculaire pour l'opinion publique, les dernières prévisions de la commission des comptes de la sécurité sociale font état d'un quasi équilibre de l'ensemble régime général + FSV, avec un déficit ramené à quelque 300 millions d'euros, toujours sous l'effet d'une forte croissance de la masse salariale. Le régime général stricto sensu serait même en excédent de 2,5 milliards d'euros. Comme l'ont titré certains journaux, le « trou » de la sécurité sociale serait-il donc en passe d'être comblé ?

Sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais augure, je dois vous livrer quelques éléments qui tempèrent quelque peu cet enthousiasme. Si équilibre des comptes sociaux il y a, disons qu'il s'agit d'un équilibre instable...

En premier lieu, sans remettre en cause tous les équilibres, la prévision pour 2018 de la commission des comptes inclut une compensation de l'État aux organismes de sécurité sociale de 600 millions d'euros au titre du crédit d'impôt sur la taxe sur les salaires (CITS) dont il y a tout lieu de penser qu'elle sera supprimée dans le cadre de la LFSS 2019. Un déficit de 900 millions d'euros pour le régime général et le FSV est donc sans doute plus réaliste que les 300 millions affichés.

Ensuite, la prévision de 2018 repose sur une croissance une nouvelle fois très forte de la masse salariale, de l'ordre de 4 %. Cet objectif n'est pas inatteignable. Il est néanmoins ambitieux, d'autant que la croissance du PIB a nettement marqué le pas au premier trimestre de l'année selon l'Insee.

Ce relatif optimisme du Gouvernement sur la croissance à venir est encore plus net pour les années suivantes puisque le scénario retenu est celui d'une croissance de 1,9 % du PIB en 2019 puis 1,7 % chaque année de 2020 à 2022. Comme le relève la Cour des comptes, ce scénario repose sur l'hypothèse d'un écart entre croissance effective et croissance potentielle qui resterait durablement positif pendant six années consécutives, ce qui ne s'est jamais produit au cours des 40 dernières années.

Les hypothèses économiques sur lesquelles se fonde le redressement des comptes sociaux méritent donc d'être vérifiées, dès cette année et plus encore à moyen terme.

S'agissant des dépenses, nous avons déjà évoqué l'Ondam, pour lequel l'enjeu des années à venir est davantage celui du rééquilibrage entre sous-objectifs que sa tenue globale.

Mais des évolutions notables sont susceptibles de survenir dès 2019, année durant laquelle le traitement du financement de la dépendance et la réforme des retraites peuvent remettre en cause les équilibres connus aujourd'hui. Nous devrons alors, mes chers collègues, nous montrer très attentifs à ce que les décisions que nous prendrons ne recréent pas une situation de déficit structurel des comptes sociaux.

Enfin, vous le savez, le principal facteur de déséquilibre à moyen terme réside peut-être dans la révision annoncée des relations financières entre l'État et la sécurité sociale. Je vous rappelle qu'aux termes de l'article 27 de la dernière loi de programmation des finances publiques, « Avant la fin du premier trimestre 2018, le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur la rénovation des relations financières entre l'État et la sécurité sociale. Ce rapport détaille l'ensemble des compensations par type de mesure, en précisant s'il s'agit de compensation totale ou partielle. » Nous sommes à présent le 4 juillet, nous abordons le débat d'orientation des finances publiques et le Parlement ne dispose toujours pas de ce fameux rapport. Je considère cela comme difficilement acceptable et je ne manquerai de le faire savoir aux ministres lors de la séance publique.

Réviser périodiquement les relations financières entre l'État et la sécurité sociale n'est évidemment pas malsain. Nous le savons, celles-ci sont pour le moins complexes, pour ne pas dire illisibles.

De plus, d'un point de vue financier, reconnaissons qu'il serait étrange que, dans un scénario « rose », les organismes de sécurité sociale, ou de protection sociale au sens large, accumulent les excédents tandis que l'État continuerait, lui, d'accumuler des déficits tout en transférant des ressources financières importantes aux organismes sociaux.

Néanmoins, il nous revient, me semble-t-il, de rappeler quelques principes qui semblent ne plus être tout à fait des évidences aux yeux de tous :

- d'une part, le financement des différents régimes de protection sociale ne saurait s'aborder à des considérations uniquement budgétaires puisqu'ils correspondent chacun à des logiques différentes (assurantielles et solidaires, pour faire bref) qui devraient correspondre à des modes de financement différents (cotisations ou impôts). Les débats actuels sur le financement de l'assurance chômage illustrent d'ailleurs la confusion qui règne parfois de ce point de vue ;

- d'autre part, tant que subsiste une dette de la sécurité sociale, qu'elle soit portée par l'Acoss ou par la Cades, mais cela vaut aussi pour la dette de l'Unédic, la priorité doit être de la rembourser. Ce n'est pas parce que, depuis quelques décennies, les Français se sont habitués à ce que puisse exister un « trou » de la sécurité sociale que cette situation n'est pas profondément anormale. Au vu de la nature de ces dépenses, toute dette sociale correspond, par définition, à un transfert de nos charges aux générations à venir, ce qui ne serait pas responsable. La révision des relations financières entre l'État et la sécurité sociale ne saurait donc être acceptée que si elle permet le remboursement intégral et à l'échéance de la dette sociale, sauf à conduire la « politique des Shadoks », où on comble un trou en en creusant un autre ;

- enfin, pour les mêmes raisons, cette révision ne doit pas conduire à ce que les comptes sociaux soient tout juste à l'équilibre les années économiques fastes et en déficit les mauvaises années, ce qui conduirait inéluctablement à recreuser un « trou de la sécu » avant même d'avoir comblé le précédent. Une situation de déficit structurel de moyen terme serait tout aussi peu satisfaisante qu'une situation d'excédent structurel.

Ce n'est qu'à ces conditions, mes chers collègues, que les comptes sociaux, enfin revenus à l'équilibre, pourront passer d'un équilibre instable à l'équilibre stable que nous souhaitons tous. Il nous reviendra d'y veiller ensemble lors des débats à venir.

Je vous remercie de votre attention.

M. Jean-Noël Cardoux. - Je remercie beaucoup le rapporteur général de cette intervention, notamment des tempéraments qu'elle a su apporter au vent d'optimisme ambiant qui me paraît excessif à bien des égards.

Si l'on s'en tient aux strictes données macroéconomiques, je ne suis pas sûr que le Gouvernement ait entièrement intégré la tendance actuelle baissière de la croissance, ainsi que le renchérissement du coût de l'énergie. Maîtrise-t-il bien l'impact à venir, à mon sens décisif, du prélèvement à la source sur la consommation des ménages ? Je formule la même question pour les mouvements de grève dont on nous annonce une relance pour septembre, et dont on mesure rarement l'effet sur les comportements économiques.

Concernant l'équilibre des comptes, en tant que président de la Mecss, je suis intervenu à ce sujet au conseil d'administration de la Cades. Cette dernière se montre pour l'heure très optimiste quant à sa capacité de remboursement de ses emprunts d'ici 2024, notamment grâce à l'engagement de plusieurs souscriptions aux États-Unis. Fort bien. Mais cette assurance ne prend pas en compte les déficits persistants et non transférés de l'Acoss, qui demeurent un problème structurel. Je rappelle qu'il est impossible à l'Acoss de les transférer à la Cades sans autorisation expresse du Parlement. Je serais pour ma part d'avis de rediriger une fraction de la CRDS vers le remboursement de ces déficits non transférés.

Mme Catherine Deroche. - Je partage entièrement l'avis de notre rapporteur général quant à l'effet d'optique qu'induit une observation du rythme du seul Ondam, sans prise en compte de ses sous-objectifs. J'exprime à cet égard mon inquiétude quant à la volonté affichée du Gouvernement, à des fins de protection de l'Ondam hospitalier, de faire peser l'essentiel de l'effort de dépenses sur l'Ondam soins de ville. Le développement de la prise en charge ambulatoire et la chronicisation de certaines pathologies ont au contraire vocation à accompagner le patient hors les murs de l'hôpital et à le faire relever de la médecine de ville. C'est par ailleurs une vision de très court terme, qui ne tient absolument pas compte du retour sur investissement potentiel de certains médicaments innovants dont les prix, au cours de la première phase de leur cycle de vie, seront nécessairement élevés et que l'assurance maladie se doit d'absorber.

M. Yves Daudigny. - Je rejoins totalement le rapporteur général sur tous les points de son exposé, et particulièrement sur celui où il souligne à quel point la protection sociale ne saurait être réductible à des considérations budgétaires. Je tenais néanmoins à rappeler que, bien que les objectifs annoncés n'aient pas tous été atteints, c'est au Gouvernement précédent qu'il revient d'avoir impulsé en premier la dynamique d'effort dont on recueille les fruits aujourd'hui.

Ayons par ailleurs toujours à l'esprit que les dépenses de protection sociale, parce qu'elles visent l'humain, ne sont pas qu'un coût mais également un investissement. Il y a certaines économies dont il n'est pas de bon ton de se réjouir. Nos hôpitaux sont soumis à des pressions budgétaires difficilement tolérables - il me suffit à ce titre d'évoquer le souvenir de la tentative de suicide d'un médecin de renom il y a seulement quelques jours. La grande réforme de la santé promise par la ministre des solidarités est reportée à septembre prochain.

Enfin, les données économiques sur lesquelles reposent les scénarios les plus optimistes sont pour le moins sujettes à caution. Une croissance qui se ralentit, une consommation qui stagne, un pouvoir d'achat qui recule de 0,6 % au premier trimestre sont autant d'indicateurs qui, malgré la reprise, fragilisent considérablement le redressement de nos comptes sociaux.

Mme Laurence Cohen. - Je souscris absolument aux propos de mes collègues qui ont rappelé que l'on ne doit pas traiter la protection sociale sous l'unique angle budgétaire, mais également intégrer la dimension humaine sous-jacente. Une baisse des dépenses de protection sociale se traduit toujours par une baisse de la qualité des soins. Ainsi, plutôt que de se réjouir d'une trajectoire budgétaire maîtrisée en raison d'économies importantes, mon groupe propose une réforme ambitieuse du financement de la protection sociale, que j'aurai ultérieurement l'occasion de vous exposer.

Mme Deroche a parfaitement raison d'évoquer le trompe-l'oeil du montant général de l'Ondam, lorsque l'on sait que l'essentiel se joue au niveau de ses sous-objectifs. Le niveau de l'Ondam hospitalier fait certes peser un risque indéniable d'asphyxie financière sur les établissements hospitaliers publics, mais la solution qui consiste à faire du seul Ondam soins de ville la variable d'ajustement n'est pas plus viable. Les deux milieux de soins sont complémentaires et ne peuvent pas être financièrement montés l'un contre l'autre : comment répondra-t-on au problème des déserts médicaux si les efforts doivent tous être supportés par la médecine de ville ?

J'exprime enfin une inquiétude relative à l'article 7 du projet de loi constitutionnelle actuellement examiné par nos collègues de l'Assemblée nationale. Ces derniers ont récemment adopté en commission des lois un amendement substituant le terme de « protection sociale » à celui de « sécurité sociale ». Mon groupe reste pour sa part farouchement attaché au système assurantiel, qui garantit au salarié une couverture contre les risques sociaux indépendamment de son revenu. Or nous savons fort bien que le terme « protection sociale », qui renvoie au champ de la solidarité nationale, conditionne le versement des prestations aux ressources du bénéficiaire, ce que nous ne pouvons tolérer.

M. Michel Amiel. - En écho aux propos qu'ont tenu jusqu'à présent mes collègues, je me permettrais cette incise de René Char : « les mots savent de nous ce que nous ignorons d'eux ». Il est tout à fait vrai que derrière les chiffres, se cachent des réalités humaines et médicales de plus en plus difficilement supportables. Comme médecin, je ne me prononcerai que sur les dépenses d'assurance maladie. Malgré les espoirs suscités par les réformes impulsées dans chacun des deux principaux secteurs financés par les sous-objectifs de l'Ondam - tarification à l'activité (T2A) pour les hôpitaux et télémédecine pour la médecine de ville - le poids de certaines structures nous expose à ce que les choses mettent au moins une vingtaine d'années à profondément se modifier. D'ici là, il nous faut à mon sens nous résoudre à ce que ces secteurs souffrent de pénuries financières importantes.

Permettez-moi d'émettre trois réserves sur les économies de près de 2 milliards d'euros qui nous sont annoncées par le directeur général de la caisse nationale d'assurance maladie. Le virage ambulatoire, dont on espère beaucoup, ne pourra pas être étendu aux patients du 3e ou du 4âge, qui représenteront tout de même une partie importante de la patientèle à venir ; l'économie sur les indemnités journalières ne me paraît pas non plus compatible avec l'allongement de la durée du travail et l'exposition plus sensible des travailleurs âgés aux arrêts-maladie ; enfin, les médicaments innovants demeureront diffusés sur le marché à des prix de départ exorbitants - j'en veux pour preuve l'exemple des médicaments pour le traitement de l'hépatite.

J'ajoute qu'à ces stricts problèmes budgétaires viendra s'ajouter la question de plus en plus prégnante de la démographie médicale, que ne règleront ni les mesures d'incitation, ni les mesures de sanction.

M. René-Paul Savary. - Ce rapport est d'une qualité incontestable, bien que le sujet dont il traite me pose de nombreux problèmes. Notre système de protection sociale présente tout de même d'importantes incohérences de fond auxquelles il me paraît urgent d'apporter une réponse systémique. Je suis tout de même très surpris que ne soit jamais remis en question son caractère profondément contra-cyclique : les dépenses ne sont jamais aussi fortes que lorsque les recettes sont les moins dynamiques !

Par ailleurs, rien n'est jamais dit de la nécessité de mener une politique de natalité, qui seule présente la garantie de la pérennité de notre système de retraite. On doit effectivement à tout prix sortir de ces raisonnements et de ces approches dichotomiques entre budgétaire et humain, entre chacune des branches de la sécurité sociale, entre les sous-objectifs de l'Ondam, qui, réduisant excessivement l'échelle de nos analyses, nous font passer à côté de l'essentiel.

Je souscris enfin aux propos de ma collègue sur l'article 7 du projet de loi constitutionnelle.

M. Olivier Henno. - Ne pourrait-on justement profiter de ce moment d'équilibre - bien que celui-ci soit discutable - pour aborder le sujet plus structurel du financement de notre protection sociale ? La demande de clarification est forte de la part de nos citoyens, et la conjoncture est peut-être propice à ce que nous nous y adonnions.

M. Jean-Louis Tourenne. - Je souhaiterais pour ma part revenir sur l'évocation par le rapporteur général d'un scénario « rose » aux termes duquel les organismes de sécurité sociale accumuleraient les excédents tandis que l'État continuerait, lui, d'accumuler des déficits. Je trouve cette hypothèse fort dangereuse, non pas, comme l'entend le rapporteur général, parce qu'elle entretiendrait le déficit de l'État qui continuerait de transférer des recettes à la sécurité sociale, mais parce qu'au contraire elle induit la tentation pour l'État d'aller puiser dans les caisses de la sécurité sociale pour combler son propre déficit. Je suis persuadé qu'il nous faut aller plus loin dans l'autonomie de gestion du système de sécurité sociale, qu'il faut protéger des ponctions injustifiées que pourrait y faire un État en déficit structurel. Il faut vraiment laisser à la sécurité sociale le soin d'adapter son budget et ses prestations.

M. Daniel Chasseing. - Les soins ambulatoires ont été fréquemment mentionnés comme sources d'économies, mais permettez-moi de signaler qu'une personne prise en charge en ambulatoire et soignée à domicile, surtout quand elle est âgée, requerra de toute façon un niveau important de soins infirmiers. Je ne suis absolument pas sûr de l'économie !

Les hôpitaux présentent certes un déficit important en fonctionnement, mais également en investissement.

Enfin, le vieillissement de la population appelle selon moi une médicalisation accrue des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ainsi qu'un renforcement de leurs effectifs, ce qui, là encore, n'engendrera certainement pas les économies souhaitées. Si j'ajoute à tout cela la croissance en berne, je suis contraint d'émettre les plus grandes réserves sur l'atteinte de l'équilibre de nos comptes sociaux.

M. Alain Milon, président. - Je souhaiterais pour ma part que nous prêtions une plus forte attention aux organismes de protection complémentaire, qui participent au financement de la protection sociale mais qui se distinguent par les gains financiers qu'ils en retirent.

Par ailleurs, je ne parviens pas à comprendre pourquoi les établissements hospitaliers publics sont tenus au remboursement de leurs dépenses d'investissement immobilier. Il me semble que les établissements scolaires ne sont pas soumis aux mêmes exigences, sans que cette différence de traitement ne se justifie.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Sur cette dernière question, c'est effectivement le souhait réitéré de la commission des affaires sociales que l'investissement immobilier ne soit pas intégré au budget des hôpitaux publics, mais soient supporté par un fonds distinct. Je partage également les préconisations du président concernant les organismes de protection complémentaire, d'autant que plusieurs études ont chiffré leur contribution potentielle à près de 6 milliards d'euros.

Je prends acte des inquiétudes manifestées par nos collègues. Je tiens à les assurer du maintien de notre vigilance sur toutes les questions abordées, notamment sur la tendance à plafonner les excédents des organismes de sécurité sociale au profit de l'État et sur la résorption de la dette non transférée de l'Acoss.

La gouvernance et le pilotage de l'Ondam doivent être intégralement revus. Il est exact que les soins de ville et les soins hospitaliers sont beaucoup trop interdépendants pour être financés de façon aussi cloisonnée. Nous ne pourrons pas nous satisfaire en septembre prochain d'un simple « Plan Hôpital », là où un plan général de la santé est nécessaire. J'ai également bien pris en compte les avertissements que vous avez émis sur la nature relative des excédents à venir, en regard des dépenses non anticipées et non couvertes. Notre collègue a évoqué à ce titre les dépenses de médicalisation des Ehpad, qui sont pour l'heure fort modestes, mais dont l'augmentation annoncée n'est pas chiffrée.

Je tempérerais toutefois l'alarmisme de certaines interventions en mentionnant la dimension de prévention, censée endiguer les dépenses de soins, dont ce Gouvernement a fait une composante importante des mesures de santé, et qu'on peine à faire apparaître d'un strict point de vue comptable. Elle ne doit pas pour autant être négligée.

Enfin, la remise, que nous espérons, du fameux rapport sur la rénovation des relations financières entre l'État et la sécurité sociale pourra servir de base à la grande réforme structurelle de la protection sociale que plusieurs d'entre vous avez évoquée.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

Conditions de réussite d'une réforme systémique des retraites - Compte rendu des déplacements en Italie, en Suède, au Danemark et en Allemagne - Communication au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale

M. René-Paul Savary, rapporteur. - Nous nous étions engagés à vous livrer régulièrement des informations au sujet de la préparation de la réforme systémique des retraites, cette communication constitue un rapport d'étape relatif aux trois déplacements que nous avons réalisés en Italie en janvier, en Suède et au Danemark en mars et en Allemagne en avril.

En inscrivant l'été dernier, à son calendrier social, la promesse de campagne du Président de la République d'une réforme systémique des retraites, le Gouvernement a sans doute engagé la réforme la plus difficile du quinquennat.

Les retraites ne sont pas seulement la plus importante dépense sociale et publique de notre pays - 315 milliards d'euros par an, soit près de 14 % de notre richesse nationale -, elles concernent surtout chacun d'entre nous, jeunes, actifs, retraités. Elles interrogent notre rapport au travail, à la famille, à la solidarité mais aussi à l'égalité entre les femmes et les hommes.

Notre commission a pris la mesure de la promesse du Président de la République et s'est donné les moyens de participer pleinement au débat en lançant, dès décembre dernier, des travaux sur les conditions de réussite d'une réforme systémique des retraites en France.

Nous le devions en cohérence avec la position ancienne de notre commission, qui dès 2001 soulignait les mérites des réformes systémiques entreprises en Suède et en Italie et commandait, en 2009, le fameux rapport du Conseil d'orientation des retraites (Cor) sur les modalités techniques de remplacement du système actuel par un régime par points ou en comptes notionnels, qui demeure de référence.

Au cours de ce semestre, nous avons contribué à lancer le débat national sur la réforme en organisant le colloque du 19 avril dernier au Sénat dont les actes vont être publiés à l'issue de cette réunion. Ils constituent un document inédit présentant les forces et les faiblesses du système actuel et dessinant les perspectives et les difficultés soulevées par le projet de réforme.

J'ai également rencontré depuis près d'un an, en tant que rapporteur « assurance vieillesse », l'ensemble des régimes de retraite de notre pays en particulier les régimes spéciaux dont il importe de mieux connaître l'histoire pour en comprendre les spécificités.

C'est également dans le cadre de ces travaux, que nous avons initié, en lien avec le Haut-commissaire chargé de la réforme des retraites Jean-Paul Delevoye, des déplacements dans trois pays ayant mis en oeuvre des réformes systémiques dans les années 1990 : l'Allemagne, la Suède et l'Italie. Bien qu'il n'ait pas mené de réforme systémique à part entière, le Danemark, où nous sommes allés au retour de Stockholm, offre une expérience de la capitalisation tout à fait intéressante.

Nous y avons rencontré à chaque fois les responsables politiques et administratifs des retraites, les partenaires sociaux ainsi que des universitaires. Ces entretiens nous ont permis de prendre conscience de l'importance du contexte historique, démographique, social et économique dans lequel s'inscrivent chacune de ces réformes ou plus exactement de ces « paquets de réforme » :

- en Allemagne, l'impératif de compétitivité économique des entreprises, dégradée à la fin des années 1990, explique la priorité affichée des réformes, non plus de maintenir le niveau des retraites, mais de sécuriser leur financement sans augmenter le taux de cotisation. La Cour des comptes rappelait en 2015 que les retraités allemands avaient perdu 10 % de leur pouvoir d'achat entre 1991 et 2013 alors que celui des retraités français demeurait stable ;

- en Italie, la contrainte démographique est au coeur des préoccupations avec une population de 25 millions de retraités sur 60 millions d'Italiens, une baisse importante du nombre des naissances et un exil massif des jeunes confrontés à la précarité et au chômage ;

- en Suède et au Danemark, j'ai été frappé par la relative tranquillité de tous les acteurs, y compris des syndicats de salariés, à envisager le recul de l'âge de départ à la retraite. La culture scandinave promouvant des rythmes plus souples - il nous a été impossible d'auditionner après 16 h 30 ! - un cadre de travail agréable et une gestion des fins de carrière plus adaptée a depuis longtemps favorisé le travail des seniors.

Nous sommes donc rentrés de ces déplacements avec la conviction qu'il est impossible d'importer tel quel un modèle de réforme. La réforme systémique dans notre pays ne réussira que si nous façonnons un modèle de réforme « à la française » : respectueux de notre histoire et de notre choix collectif d'assurer un bon niveau de vie aux retraités. Nous dépensons en moyenne pour les retraites deux points de PIB de plus que nos partenaires de l'OCDE.

Au-delà de cette conviction, nous avons dressé la liste des dix enseignements tirés de ces expériences étrangères éclairent le débat sur la réforme en France.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Enseignement n° 1 : la France n'a pas à rougir des réformes des retraites accomplies qui ont permis de maîtriser la trajectoire des dépenses de retraite comme l'ont fait les quatre pays visités.

Dans les années 1990, tous les pays européens prennent conscience du choc démographique que représente l'allongement de la durée de la vie et la perspective de l'arrivée à la retraite des générations du baby-boom. L'arrivée à l'âge de la retraite de ces générations, nombreuses et au sein desquelles le taux d'emploi des femmes est important, menacent alors la soutenabilité financière des régimes de retraites européens, fonctionnant en répartition et assurant un haut niveau de pension.

C'est dans le but de répondre à ce défi démographique qu'ont été menées les réformes dites systémiques en Allemagne en 1992, en Suède entre 1994 et 1998 et en Italie en 1995.

Ces réformes systémiques, qui entraînent un changement complet des règles d'accumulation des droits à retraite et de leur liquidation, ont été entreprises en même temps que la première grande réforme paramétrique des retraites menée en France : celle du gouvernement d'Édouard Balladur en 1993, à la suite du Livre blanc commandé par Michel Rocard deux ans auparavant.

Sans réforme, les dépenses de retraite auraient fortement augmenté partout en Europe.

En Italie, la part des dépenses de retraite dans le PIB serait passée de 14 % en 1992 à 23 % en 2040, alors que les projections actuelles indiquent qu'elles demeureront stables, entre 15 et 16 %, soit le niveau d'aujourd'hui.

En Suède, les réserves financières qui atteignaient dans les années 1980 un montant de 40 % du PIB auraient été épuisées en 2015. L'importance de ces réserves financières a été un facteur clé de la réussite de la réforme et a permis d'en amoindrir certains effets.

En France, la part des retraites dans le PIB qui était de 11 % en 1990 aurait atteint 20 % à l'horizon 2060.

Or, comme le montre le dernier rapport du Conseil d'orientation des retraites, la part des retraites dans la richesse nationale, qui est aujourd'hui de 13,8 %, n'augmentera que d'un demi-point maximum en 2070, dans le pire scénario de croissance de la productivité du travail, et diminuera même dans tous les autres scénarii.

Il est donc important de souligner l'effort de réforme accompli par la France qui a réagi avec responsabilité pour maîtriser ses dépenses de retraite.

Le second enseignement tiré est que, contrairement au projet de réforme annoncé en France, les réformes systémiques observées n'avaient pas pour objectif d'unifier l'architecture du système de retraite.

L'unification des régimes avait été, soit entreprise au préalable comme en Italie ou en Suède, soit écartée comme en Allemagne.

En Suède, l'affiliation des fonctionnaires au régime général remonte aux années 1980. Le système était donc unifié avant la réforme systémique. De plus, l'ensemble des données de carrière individuelles, nécessaires à l'instauration des comptes notionnels étaient connues et stockées dans les bases.

En Italie, « le labyrinthe des pensions » que constituaient les 200 caisses de retraite avait commencé à être simplifié par une première réforme des retraites en 1992. La réforme systémique de 1995, la réforme Dini, a approfondi l'unification en mettant fin aux fonds spéciaux dans les secteurs de l'électricité, de la téléphonie et de l'aviation.

S'ils demeurent aujourd'hui juridiquement distincts, les 50 régimes de retraite existant encore en Italie fonctionnent selon les mêmes règles et sont tous gérés par l'Institut national de la protection sociale (INPS), qui est la première administration de l'État italien.

Ne demeurent plus que quelques cas particuliers : les personnels de défense, de sécurité et de secours comme les pompiers.

En Allemagne, le système de retraite s'est construit, comme en France, sur un modèle assurantiel organisé à partir des différentes catégories professionnelles.

La réforme systémique n'a pas supprimé les régimes spécifiques. Si le régime général, dit DRV, verse les trois-quarts des pensions, il existe encore :

- des régimes spéciaux pour les cheminots et les marins ;

- un régime spécial des fonctionnaires, au sein duquel l'État employeur supporte l'intégralité du financement et qui continue à être géré en annuités et non en points comme le régime général ;

- des régimes spécifiques pour les travailleurs indépendants, alors qu'ils ne sont pas tous soumis à l'obligation de cotiser à une assurance vieillesse (en particulier les chefs d'entreprise et les commerçants). Les professions libérales continuent à être gérées par plus de 89 caisses professionnelles et régionales et il existe aussi un régime des exploitants agricoles.

Au regard de l'ambition du Gouvernement en France d'unifier les 42 régimes de retraite, le modèle italien, dans lequel des règles et une administration communes régissent des régimes distincts, constitue un exemple intéressant de gouvernance du futur système au moins dans une période transitoire.

M. René-Paul Savary, rapporteur. - Enseignement n° 3 : le débat entre régimes par points ou régimes en comptes notionnels n'a qu'une faible portée politique.

Les trois réformes systémiques observées ont toutes transformé des régimes dits à prestations définies gérés en annuités, en des régimes à cotisations définies gérés en points ou en comptes notionnels.

Un mot au préalable sur la distinction entre « régime à prestations définies » et « régime à cotisations définies ». Dans un régime à prestations définies, le risque financier est supposé reposer sur l'État qui s'engage sur un niveau de pension quelle que soit la situation financière du régime. Dans un régime à cotisations définies, le risque est porté par l'assuré qui peut voir sa pension diminuer en cas de déséquilibre du régime.

Cette distinction me paraît devoir être relativisée.

Lorsqu'en France, dans un système à prestations définies, la réforme des retraites de 1993 modifie la règle d'indexation des « salaires portés au compte » et des retraites en la fondant non plus sur l'évolution des salaires mais sur celle de l'inflation, moins dynamique, elle diminue relativement les prestations des assurés et leur fait porter l'ajustement financier du système de retraite. Il en est de même pour les 60 % de retraités qui ont vu leur CSG augmenter et donc leur retraite baisser.

Je le dis, car on agite souvent des peurs faciles en dénonçant la logique d'un système à cotisations définies qui serait par nature plus injuste pour les retraités.

J'en viens aux différences entre les comptes notionnels et les points, dont je rappelle qu'ils sont tous des régimes par répartition (les actifs payent toujours pour les retraités en accumulant leurs propres droits).

Dans un régime en annuité, l'assuré cotise pendant une certaine durée et lorsqu'il atteint un âge pivot (âge minimum légal), sa pension est calculée en fonction d'un salaire moyen de référence calculé sur une période variable (par exemple les six derniers mois ou les X « meilleures années »).

Les régimes par points ou en comptes notionnels, changent cette logique en fondant le calcul de la pension, non plus sur un nombre de trimestres cotisés et un salaire de référence, mais sur l'accumulation tout au long d'une carrière d'un capital virtuel convertible en rente.

L'Allemagne en 1992 a fait le choix pour son régime de base d'un système en points. L'assuré accumule tout au long de sa carrière des points dont le nombre dépend chaque année d'un ratio entre la rémunération du salarié et la rémunération moyenne des assurés.

Un salarié au salaire moyen acquiert ainsi un point par an. Le nombre de points accumulés est ensuite converti en rente par un coefficient lors de la liquidation de la retraite.

Pour leur régime de base, la Suède et l'Italie ont opté pour un système en comptes notionnels. En cotisant, chaque actif alimente un capital retraite virtuel en euros (ou couronnes suédoises). Ce capital est revalorisé chaque année en fonction, non pas de l'inflation, mais de l'évolution des salaires de façon à permettre qu'un euro cotisé rapporte la même chose quel que soit le moment où il a été cotisé. Comme pour les points, ce capital virtuel est ensuite converti par un coefficient pour le transformer en rente.

Qu'ils soient en points ou en comptes notionnels, ces régimes sont essentiellement pilotés par le coefficient de conversion qui ajuste le niveau des pensions en fonction de l'espérance de vie d'une même génération. Le régime est soutenable par nature car le montant des pensions d'une même génération (personnes nées la même année) est défini en fonction des cotisations qu'elle a versées tout au long de la vie active.

Les régimes par points ou en comptes notionnels relèvent de cette même logique. L'arbitrage entre les deux repose plus sur des arguments techniques que politiques. Le choix d'un futur régime en points semble d'ailleurs acquis.

Quatrième enseignement : empiriquement, « réforme systémique » ne signifie pas « réforme définitive ».

Les réformes systémiques observées ont toutes été suivies de multiples réformes, devenues alors paramétriques, visant à renforcer soit les mécanismes d'équilibre financier des systèmes en limitant les dépenses de retraite, soit au contraire en corrigeant certaines règles trop sévères des régimes mis en place.

Ces deux aspects se retrouvent dans les réformes qui ont suivi la réforme systémique allemande de 1992.

En 2001 sous le Gouvernement de Gerhard Schröder, la perspective d'une diminution du niveau de vie des retraités induite par les nouvelles règles a entraîné la création d'un dispositif de retraite complémentaire individuelle par capitalisation, les « Plans Riester » sur lesquels nous reviendrons tout à l'heure. La réforme de 2001 acte ainsi que la priorité est donnée à l'équilibre financier du régime de base et non plus au maintien du niveau de vie des retraités.

Deux nouvelles réformes sont intervenues en 2004 et 2007 pour introduire un facteur de viabilité dans le coefficient de conversion des points et augmenter l'âge de la retraite à taux plein à 67 ans. Une première mesure de recul de l'âge à 65 ans était déjà intervenue en 1992. Les réformes de 2014 et 2017 ont au contraire augmenté les retraites des mères de familles et assoupli les départs anticipés.

En Italie, la réforme Dini a été suivie d'une série de réformes dans les années 2000 qui ont accéléré la transition vers le système contributif tout en augmentant l'âge de départ à la retraite.

Mais c'est véritablement la réforme de 2011, menée par la ministre du Travail Elsa Fornero en plein coeur de la crise de la dette publique italienne, qui en constitue le principal ajustement. Adoptée en 15 jours sous la pression des marchés financiers dans un paquet législatif et budgétaire appelé « Salva Italia », la réforme Fornero a introduit un mécanisme de recul automatique de l'âge de départ à la retraite en fonction de l'augmentation de l'espérance de vie. La réforme a prévu également d'aligner l'âge de départ à la retraite des femmes sur celui des hommes.

En Suède, après le vote en 1994 et 1998 des textes instaurant la réforme systémique des retraites à compter du 1er janvier 2003, un troisième texte a été adopté en 2001 pour instituer les mécanismes d'équilibre du régime. Une réforme est actuellement en réflexion pour augmenter l'âge minimum légal de 61 à 64 ans, le niveau des pensions étant jugé trop faible.

La conclusion que nous tirons de cette chronique des réformes postérieures aux réformes systémiques est bien qu'elles ne signifient en rien une réforme définitive !

Le Président de la République entendait pendant sa campagne « stabiliser les règles du jeu, une fois pour toutes ». Qu'il nous soit permis, à la lumière des expériences étrangères, d'être moins catégoriques.

Des réformes paramétriques seront toujours nécessaires pour adapter notre système de retraite à l'allongement de la durée de la vie et à la baisse du ratio démographique.

Elles seront d'autant plus nécessaires que la question de l'équilibre financier du système de retraite n'est pas, à ce stade, prise en compte.

Le dernier rapport du Cor, s'il montre la maîtrise de la dépense dans le temps, constate qu'à législation constante le système de retraite demeure déséquilibré financièrement dans tous les scénarii de croissance jusqu'en 2035. Il convient donc d'être lucide : la réforme de 2019 devra traiter inévitablement de cette question !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Enseignement n° 5 : la définition de seuils d'alerte semble préférable à la fixation de mécanismes automatiques d'équilibre financier.

Le mécanisme d'équilibre en Suède, mis en place en 2001, semble le plus abouti en ce qu'il définit à la fois un seuil d'alerte et une règle de rééquilibrage devant s'appliquer automatiquement.

Le seuil d'alerte se déclenche lorsque les réserves financières augmentées des cotisations futures du système sont inférieures à ses engagements futurs.

Dans ce cas, la règle de revalorisation des droits accumulés, indexée sur la croissance moyenne des salaires, est modifiée pour y introduire un ratio d'équilibre correspondant au rapport entre les recettes et les engagements futurs inférieur à 1.

Ce mécanisme automatique touche également les retraités. Les pensions sont en effet revalorisées chaque année en fonction de l'index de revalorisation des droits accumulés. Il y a donc un partage de l'effort de rééquilibrage entre actifs et retraités.

En Allemagne depuis la réforme de 1992, le régime de base repose sur trois exigences : le maintien de réserves financières équivalentes à un mois de dépenses ; un taux de cotisation qui ne doit pas dépasser un certain seuil (20 % jusqu'en 2020, 22 % jusqu'en 2030) et un taux de remplacement qui ne doit pas être inférieur à un taux plancher (46 % jusqu'en 2020 ; 43 % jusqu'en 2030).

Lorsqu'un de ces seuils n'est pas respecté, l'alerte se déclenche et le Gouvernement fédéral est tenu de faire des propositions pour prendre des mesures correctrices.

En Italie, la réforme Fornero a introduit également un mécanisme automatique de recul de l'âge de la retraite liée à l'espérance de vie.

L'application de ces mécanismes automatiques n'est toutefois pas si évidente.

Confrontée en 2010 à un taux de croissance négatif de - 4,9 %, à une hausse du chômage et à une perte de valeur des actifs sur les fonds de réserve, la Suède a déclenché le mécanisme automatique. Les pensions servies devaient alors diminuer de 4,2 %.

Les cinq partis politiques composant le groupe de suivi parlementaire de la réforme, sur lequel nous reviendrons tout à l'heure, ont toutefois décidé de ramener cette diminution à 3 % en la lissant sur trois ans et en mobilisant les fameux fonds de réserve.

En Italie, la première application du recul automatique de l'âge de départ à la retraite en novembre 2017, pour le fixer à 67 ans, a provoqué une vive contestation dans un climat électoral tendu. Les deux partis désormais coalisés au pouvoir, la Ligue du Nord et le Mouvement Cinq Etoiles, ont promis de revenir sur cette réforme.

Dans le cadre de la future réforme, nous estimons qu'il est nécessaire de définir clairement un mécanisme d'alerte mais que l'introduction de règles automatiques de rééquilibrage n'est pas souhaitable.

Elles sont non seulement d'une application délicate mais donnent le sentiment d'un système autogéré qui échapperait au contrôle démocratique en dégageant de leurs responsabilités les dirigeants politiques.

Nous pensons que ces derniers doivent assumer leurs décisions au regard de seuils d'alerte clairement établis.

Le cadre législatif actuel soumet déjà notre système de retraite à trois objectifs - pérennité financière, équité et niveau de vie acceptable des retraités - sans toutefois les définir précisément.

Le comité de suivi des retraites, créé par la réforme de 2014, est tenu de rendre un avis annuel sur le respect de ces objectifs. En juillet dernier, il a pour la première fois recommandé au Gouvernement d'intervenir car notre système de retraite s'éloignait trop de l'objectif de pérennité financière.

Le Gouvernement a alors opportunément décidé de reporter toute mesure à la réforme systémique des retraites.

Il pourrait être intéressant, pour clarifier le débat, de définir plus précisément ces objectifs à commencer par la condition de pérennité financière. La question de la période sur laquelle cette pérennité se mesure doit être posée.

Les débats méthodologiques du Cor soulignent la fragilité des exercices de projection à 50 ans. Ne conviendrait-il pas d'affirmer la nécessité d'un équilibre du système sur une période plus courte ?

La démarche actuarielle de la Suède, consistant chaque année à comparer engagements et ressources futures du système, apparait à ce titre pertinente. Cette démarche pourrait guider les travaux du Cor dans le cadre fixé par la future réforme.

Enseignement n° 6 : malgré les réformes systémiques, l'âge de la retraite demeure le paramètre central des systèmes de retraite autant pour assurer leur équilibre financier qu'un niveau de vie suffisant aux retraités.

Nous sommes partis avec l'idée, souvent évoquée, que l'individualisation de la retraite induite par les systèmes en points ou en comptes notionnels faisait perdre, à la fixation d'un âge de départ à la retraite, le caractère « totemique » qu'il peut avoir dans un système en annuités.

En effet, la logique sous-jacente à ces deux systèmes est de laisser l'individu libre de décider de son départ à la retraite en arbitrant entre la rente obtenue en fonction de son capital accumulé et le coût représenté par une année supplémentaire de travail.

Pourtant, dans les trois pays que nous avons visités, la question des âges de la retraite demeure centrale.

Comme en France actuellement, trois âges demeurent fixés dans les réglementations des systèmes en points ou comptes notionnels :

- un âge minimum légal, à partir duquel il est possible de liquider ses droits à retraite si l'assuré justifie d'une durée minimale de cotisation et/ou d'une rente suffisante. Par exemple : 61 ans en Suède et 65 ans en Allemagne si l'assuré justifie de 45 ans de cotisations ;

- un âge d'annulation de la décote pour tous les salariés, quelles que soient la durée de cotisation et la pension obtenue : 67 ans en Allemagne et en Italie ;

- un âge d'accès aux minima de pension soumis parfois à des conditions de durée de résidence.

Des règles particulières existent également pour les départs anticipés mais il serait trop long de les évoquer ici.

La question de l'âge se pose actuellement dans les trois pays visités pour des raisons différentes.

En Allemagne et en Italie, toutes les personnes entendues ont évoqué les difficultés posées par un âge d'obtention du taux plein à 67 ans. Des réponses récentes ont été apportées en matière de départ anticipés dès 63 ans sous condition de durée de cotisation et prenant en compte des critères de pénibilité.

De plus, depuis les années 2000, l'Allemagne a mis en place des mesures d'aides à l'emploi des seniors, avec des allègements de cotisations et des investissements en matière de formation.

En Suède, il est observé une dispersion inégalitaire dans l'âge de départ en retraite qui renforce les écarts de pension. Les personnes qualifiées partent plus tard avec un niveau de pension beaucoup plus élevé. À l'inverse, les femmes et les travailleurs moins qualifiés partent plus tôt avec des niveaux de pension insuffisants. Une réflexion est donc en cours pour augmenter l'âge minimum de 61 à 64 ans de façon à augmenter les pensions les plus faibles.

Nous appelons donc l'attention du Gouvernement sur la difficulté qui consisterait à ne pas augmenter l'âge minimum légal, pour respecter la promesse de campagne du Président de la République, mais qui aurait pour conséquence de « fabriquer » des retraités plus pauvres.

L'âge moyen de départ à la retraite en France demeure inférieur de deux à trois ans aux âges observés dans les quatre pays visités.

La réforme des retraites ne pourra éluder cette question. La position de notre commission, appelant depuis plusieurs années au relèvement de l'âge minimum légal à 63 ans, demeure plus que jamais d'actualité.

M. René-Paul Savary, rapporteur. - Enseignement n° 7 : les systèmes visités combinent de façon équilibrée une gestion en répartition pour leur régime de base et en capitalisation pour leurs régimes complémentaires.

En Suède, la capitalisation est présente dans les trois étages du système :

- dans l'étage de base, le taux de cotisation s'élève à 18,6 %, dont 16,1 points alimentent les comptes notionnels gérés en répartition et 2,5 points un fonds de pension, choisi par l'assuré, géré en capitalisation.

Nous avons visité le plus grand des 800 fonds de pension gérant cette partie du régime de base : le fonds AP7.

Considéré comme le fonds du non-choix, pour les assurés qui refusent de choisir un fonds de pension, AP7 est un fonds gouverné par les partenaires sociaux. Il réalise des performances de long terme tout à fait satisfaisantes avec une politique de placement équilibrée ;

- l'étage complémentaire concerne uniquement les travailleurs salariés (90 % sont couverts) et est organisé en quatre fonds de pension résultant d'accords collectifs de retraite complémentaire négociés dans les secteurs des services (cols blancs), de l'industrie et de l'agriculture (cols bleus), de la fonction publique d'État et des collectivités locales.

Cet étage complémentaire est important pour les salariés dont les rémunérations dépassent le plafond de cotisation du premier étage. Les cotisations employeurs peuvent y être très importantes et elles sont perçues comme un élément de rémunération différée du salarié. La sortie du fonds peut se faire en capital ou en rente, dès 55 ans ;

- enfin, l'étage supplémentaire qui prend la forme de contrats individuels de prévoyance.

L'organisation du système de retraite au Danemark est similaire à celui de la Suède et laisse une place importante également à la capitalisation.

Un premier pilier en répartition sert une pension de base, correspondant à un minima social de subsistance. Le taux de remplacement est surtout le fait des deuxième et troisième piliers de retraite complémentaire, collective et individuelle, intégralement gérés en capitalisation.

Deux dimensions, présentes à un moindre degré en Suède, m'ont marqué au Danemark :

- les Danois ne conçoivent pas la retraite comme une prestation sociale mais comme un salaire différé et les cotisations sont considérées comme une épargne et non comme un prélèvement obligatoire. Les assurés négocient individuellement les cotisations sociales que leurs employeurs et eux-mêmes consacrent au financement du second pilier en capitalisation ;

- le système danois est considéré comme l'un des plus performants au monde réussissant à allier un bon niveau de prestations retraite avec une excellente soutenabilité financière puisque l'essentiel des dépenses contributives est provisionné.

En Allemagne également, la capitalisation occupe une place de plus en plus importante à travers deux étages complémentaires, l'étage de base étant géré en points et par répartition :

- un étage complémentaire collectif qui concerne les contrats d'entreprises, devenus un droit depuis 2003. Cette couverture complémentaire est très développée dans le secteur de l'industrie mais ne concerne que moins d'un quart des salariés ;

- un étage complémentaire individuel avec les « plans Riester ». Instaurés par la réforme des retraites de 2001, ces plans sont censés compenser la diminution du taux de remplacement du premier pilier.

Ces contrats individuels, qui prennent généralement la forme d'un contrat de prévoyance aux profils plus ou moins risqués, bénéficient d'avantages fiscaux et d'une subvention publique notamment pour les enfants. Un tiers des actifs en 2017 avait souscrit un contrat de ce type.

En combinant répartition et capitalisation, ces pays tirent profit des avantages des deux systèmes : la stabilité et le rendement garanti de la répartition ; le provisionnement et l'absence de sensibilité à la démographie permis par la capitalisation.

Aucun débat n'émerge pourtant à ce stade sur la question de la capitalisation en France. Les esprits, en particulier des partenaires sociaux, ne semblent pas encore assez mûrs...

Si les premières pistes avancées par le Haut--commissaire, d'un large système universel couvrant les rémunérations jusqu'à trois plafonds de la sécurité sociale soit près de 10 000 euros par mois, étaient retenues il n'y aurait alors plus de place pour un étage complémentaire important.

Cela rejoindrait l'architecture du système italien qui a mis en place un second étage de retraite complémentaire individuelle en capitalisation mais qui demeure très peu développé.

De façon surprenante, alors que le projet de réforme systémique en est à ses balbutiements, le projet de loi « Pacte » réforme d'ores et déjà les produits d'épargne retraite supplémentaire existant en France. Il vise à en simplifier l'offre, à en faciliter la portabilité et à en alléger la fiscalité, mais plus avec un objectif de réorientation de l'épargne vers le financement de l'économie qu'avec un objectif d'épargne retraite.

Nous suggérons de mener une réflexion plus globale sur le développement pérenne d'un troisième (ou second ?) étage de retraite supplémentaire en fonction de l'architecture retenue pour le futur système.

Favoriser les produits d'épargne retraite individuelle ou collective permettrait, au niveau des complémentaires, d'augmenter le taux de remplacement des retraités concernés, de mieux se protéger contre le risque démographique mais également d'orienter davantage l'épargne des Français vers le financement de long terme de l'économie.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Enseignement n 8 : les dispositifs de solidarité sont parfaitement transposables dans des systèmes en points ou en comptes notionnels.

Bien évidemment, des dispositifs de solidarité existent dans chacun des systèmes de retraite des pays que nous avons visités :

- nous y retrouvons l'équivalent de notre minimum vieillesse, à des niveaux variables : légèrement inférieur en Suède (829 euros) et soumis à un critère de durée de résidence sur le sol national, beaucoup moins important en Allemagne (un peu plus de 400 euros). En Suède et au Danemark, ces pensions minimales sont complétées par des aides au logement ;

- des droits familiaux de retraite : la réforme des retraites de 2014 en Allemagne les a d'ailleurs augmentés pour les mères de famille en relevant les bonifications pour chaque enfant qui permet désormais d'obtenir non plus une mais trois années de bonifications pour la retraite. Des droits similaires sont attribués en Italie et en Suède ;

- des pensions de réversion : la Suède considère pourtant cette prestation comme contraire à l'égalité entre les femmes et les hommes et ne la verse que pendant un an, à la suite du décès du conjoint.

La part de la solidarité, souvent financée directement par le budget de l'État, demeure élevée dans les systèmes réformés.

L'Allemagne consacre sa première dépense d'intervention civile au système de retraite avec une dépense globale de plus de 80 milliards d'euros par an réparties entre le financement des dispositifs de solidarité (25 milliards d'euros), des avantages familiaux de retraite (15 milliards) et une subvention d'équilibre dont l'objectif est d'éviter un relèvement des taux de cotisation (40 milliards d'euros).

La réforme en France doit être l'occasion de remettre à plat et de simplifier le financement de la solidarité au sein de la branche vieillesse. Notre commission en avait souligné les limites dans son rapport sur le fonds de solidarité vieillesse, signé de nos anciens collègues Gérard Roche et Catherine Génisson.

La solidarité représente environ 20 % des dépenses de retraite, soit une part équivalente à celle de l'Allemagne. Nous considérons que l'effort doit être maintenu dans le futur système ! Restent à en définir les modalités...

Enseignement n° 9 : la durée de la transition entre l'ancien et le nouveau système est un facteur clé de la réussite d'une réforme systémique.

On oppose souvent les exemples italiens et suédois.

En 1995, la réforme Dini qui substituait au système « rétributif », plus généreux, le système contributif ne concernait pas les actifs ayant plus de 18 ans d'ancienneté sur le marché du travail (générations nées jusque dans les années 1970) au moment de la réforme.

Les actifs travaillant depuis moins de 18 ans passaient sous un système mixte et seuls les nouveaux entrants sur le marché du travail étaient pleinement touchés par la réforme.

Cette transition longue - plus de 40 ans - a été reprochée à la réforme Dini puisque ses effets ne pouvaient être perçus qu'à partir de... 2031. Les réformes postérieures et en particulier la réforme Fornero ont accéléré la montée en charge du système contributif en réponse à la crise de l'endettement public italien.

Lors du colloque au Sénat, l'ancien vice-ministre du travail qui a conduit la réforme Fornero, Michel Martone, a parlé à propos de cette transition longue « d'égoïsme générationnel qui protège les travailleurs en activité et reporte les conséquences les plus dures sur les générations suivantes ».

La Suède avait placé au coeur de sa réforme l'objectif d'équité intergénérationnelle et de partage équilibré de l'effort entre les générations. Elle a donc fait le choix d'une transition plus courte, sur 20 ans.

Nous sommes enclins à considérer que c'est un calendrier raisonnable pour la réforme française.

Une transition plus longue fait courir le risque italien d'un report excessif dans le temps des effets de la réforme. Nous manquerions alors l'objectif d'équité intergénérationnelle.

Une transition plus courte menacerait en revanche l'unification des régimes de retraite. Cet objectif implique une convergence des taux de rendement entre les 42 régimes, ce qui supposera pour certains des augmentations de cotisations. Pour qu'elles puissent être acceptables, elles devront être lissées dans le temps et une période d'au moins 10 à 15 ans semble raisonnable.

M. René-Paul Savary, rapporteur. - Enseignement n° 10 : les expériences étrangères éclairent la voie d'une réforme systémique sans en fournir pour autant une méthode clé en main.

L'Italie sert d'exemple et de contre-exemple. Contrairement à ce qui a souvent été dit, la réforme Dini a fait l'objet d'une très large concertation avec les salariés et les retraités, à l'image d'ailleurs de ce qu'entreprend actuellement le Haut-commissaire. Elle a même été soumise à un référendum dans les entreprises auquel ont participé plus de quatre millions de salariés.

À l'inverse, la réforme Fornero, bouclée dans l'urgence sans aucune concertation avec les organisations syndicales de salariés, est l'exemple à ne pas suivre et demeure comme un véritable traumatisme pour les acteurs sociaux italiens.

Nous avons la chance de ne pas avoir à réformer sous la contrainte budgétaire et la pression des marchés financiers.

Étonnamment, la méthode de réforme suédoise a laissé de côté les partenaires sociaux et a été discutée uniquement au Parlement. Un consensus a été trouvé parmi les cinq partis représentés au Parlement qui ont su trouver des compromis.

Depuis, ces partis portent la responsabilité politique de la réforme au sein d'un groupe de suivi parlementaire, présidé par le ministre chargé des affaires sociales. Ce groupe, que nous avons rencontré à Stockholm, apporte un regard politique sur l'évolution du système. C'est lui qui avait par exemple décidé de l'application lissée dans le temps de la baisse des pensions en 2009.

De ces deux modèles, le Gouvernement français semble s'être inspiré. La méthode nous a été présentée par le Haut-commissaire lors de son discours de clôture du colloque du 19 avril.

Les partenaires sociaux sont actuellement consultés sur les différentes questions alimentant les six blocs de négociations discutés jusqu'à la fin de l'année. La participation des parlementaires gagnerait toutefois à se densifier.

Nous considérons à ce stade que la méthode adoptée par le Haut-commissaire et son équipe est pertinente et qu'elle n'élude aucune question essentielle. Plusieurs points nous paraissent devoir être approfondis : l'équilibre financier, la place des complémentaires et d'une éventuelle capitalisation mais aussi la gouvernance et le devenir des fonds de réserve des régimes.

Monsieur le Président, chers collègues, voici les enseignements tirés des expériences étrangères dont nous souhaitions vous faire part.

Nous sommes confiants dans la capacité de notre pays à pouvoir mener à bien une telle réforme qui devrait redonner sens et confiance dans notre système de retraite, en particulier auprès des plus jeunes.

Mais nous sommes aussi conscients des difficultés qui vont se présenter dès que les premières propositions concrètes seront dévoilées. Le récent débat sur les pensions de réversion l'a bien montré. Derrière chaque élément de retraite, il y a des bénéficiaires et le seul fait de s'interroger sur la pertinence de ces dispositifs revient à lancer un débat explosif.

Nous serons attentifs à la suite des travaux du Haut-commissaire et nous continuerons, dans les prochaines semaines, à vous en tenir régulièrement informés.

M. Alain Milon, président. - Comment se partage la responsabilité politique de la réforme entre la ministre de la santé et des solidarités et le haut-commissaire chargé de la réforme des retraites ?

Mme Catherine Deroche. - Vous indiquez qu'il ne serait pas souhaitable d'instituer un mécanisme d'équilibrage automatique. Comment s'assurer qu'une réponse sera bien apportée lorsque les seuils d'alerte seront franchis ?

M. René-Paul Savary, rapporteur. - Nous poserons la question aux intéressés s'agissant du partage de la responsabilité politique de la réforme. Dans un régime de retraite à cotisations définies, l'équilibre financier se fait selon les générations avec le coefficient de conversion qui transforme les euros cotisés ou les points en une pension. Lorsque le régime s'éloigne trop de l'équilibre financier, on peut introduire un mécanisme d'équilibrage automatique qui modifie le coefficient de conversion. Autant il nous parait souhaitable de disposer de paramètres nous permettant d'évaluer la situation du régime au regard de ses objectifs, autant l'instauration d'un mécanisme d'équilibre nous semble priver les responsables politiques de leur responsabilité. Une équation mathématique ne peut agir seule ! Des choix politiques doivent être pris et assumer pour assurer l'équilibre.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Un système similaire au comité d'alerte de l'Ondam, auquel le Gouvernement est tenu de répondre pourrait être envisageable.

M. René-Paul Savary, rapporteur. - Le comité de suivi des retraites a déjà ce rôle aujourd'hui mais les seuils d'alerte ne sont pas suffisamment précis.

M. Alain Milon, président. - Je demande par ailleurs à la commission l'autorisation de publier, sous la forme d'un rapport d'information, les actes du colloque organisé le 19 avril dernier, sur la réforme des retraites.

La commission autorise la publication des actes du colloque.

Projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace - Demande de saisine et nomination d'un rapporteur pour avis

La commission demande à se saisir pour avis du projet de loi constitutionnelle n°911 (A.N. XVe lég.) pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, sous réserve de sa transmission, et nomme M. Jean-Marie Vanlerenberghe rapporteur pour avis.

La réunion est close à 11 h 30.