Mercredi 15 mai 2019

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 09 h 30.

Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord-cadre relatif à la coopération en matière de sécurité sanitaire entre le Gouvernement de la République française et la Principauté de Monaco et de l'accord relatif à la coopération en matière de transfusion sanguine entre le Gouvernement de la République française et la Principauté de Monaco - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Gilbert Bouchet, rapporteur. - Nous examinons ce matin le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord-cadre relatif à la coopération en matière de sécurité sanitaire entre la France et la Principauté de Monaco, et de l'accord franco-monégasque relatif à la coopération en matière de transfusion sanguine.

Les questions sanitaires sont l'un des axes de coopération transfrontalière les plus importants entre nos deux pays, dont les relations s'inscrivent dans la « communauté de destin » consacrée par le traité d'amitié de 2002.

Les échanges existent déjà entre la France et Monaco en matière de sécurité sanitaire. La Principauté a toutefois souhaité officialiser cette coopération à travers un accord-cadre qui permettra, en outre, la prise en compte des besoins de la population monégasque dans les plans d'urgence en cas de crise sanitaire - par exemple en cas de pandémie.

Par ailleurs, la France et Monaco sont membres de l'Organisation mondiale de la santé et, à ce titre, parties au règlement sanitaire international de 2005. Ce règlement est destiné à aider à protéger tous les États de la propagation internationale des maladies et des risques de santé publique, qui est favorisée par l'augmentation croissante des flux internationaux de voyageurs et de marchandises.

Or, à ce jour, la Principauté ne répond toujours pas à ses obligations au regard du règlement. Pour s'y conformer, les autorités monégasques souhaitent bénéficier d'un appui technique de la France afin de développer ses capacités de réponse aux urgences sanitaires internationales, en particulier lorsqu'une alerte sanitaire survient à bord d'un navire. Le règlement sanitaire international impose aux parties de disposer d'un port de secours vers lequel les navires pourraient, le cas échéant, être déroutés. Ne disposant que d'un seul port, la Principauté souhaiterait disposer d'un port d'entrée de secours sur le territoire français, qui pourrait être celui de Marseille.

Le présent accord encadre ainsi les modalités de la coopération transfrontalière destinées à prévenir et traiter les situations d'urgence sanitaire, ce qui permettra à Monaco de répondre à ses obligations internationales. Compte tenu de l'intrication de nos territoires, il est de notre intérêt d'appuyer les autorités monégasques en cas de dépassement de ses infrastructures sanitaires, et circonscrire, autant que faire se peut, la propagation d'une maladie sur notre territoire.

J'en viens à présent à l'accord relatif à la coopération en matière de transfusion sanguine dont je souhaiterais vous présenter les points saillants.

La coopération entre l'Établissement français du sang (EFS) et la Principauté de Monaco est à l'oeuvre depuis 1963 et s'est depuis bien développée. Actuellement, les dons du sang sont prélevés par le centre de transfusion sanguine monégasque et les composants du sang (globules rouges, plaquettes et plasma) sont séparés sur place. Des échantillons sont ensuite transférés à Montpellier, sur un site de l'EFS, pour la réalisation des tests virologiques et bactériologiques nécessaires à la qualification biologique des dons. Les résultats sont ensuite envoyés à Monaco par voie électronique.

Eu égard au faible nombre de dons réalisés à Monaco (environ 1 700 dons par an), l'EFS cède à la Principauté la quantité de produits sanguins labiles lui permettant de couvrir ses besoins. Cela n'entraine aucune conséquence négative notable pour la partie française, puisqu'il s'agit de quantités très faibles au regard des stocks de l'EFS.

Sa faible taille a rendu le site transfusionnel monégasque fragile, si bien que les autorités de Monaco souhaitent désormais sous-traiter à l'EFS les activités de prélèvement, de préparation du sang et de qualification biologique des dons. La Principauté continuera néanmoins d'organiser des campagnes de collecte de sang sur son territoire ; pour ce faire, le centre hospitalier Princesse Grace de Monaco mettra à disposition de l'EFS le personnel, les locaux et le matériel nécessaires.

À l'avenir, les dons effectués à Monaco seront intégrés sans distinction au circuit français avant leur qualification biologique. À cet égard, le droit monégasque s'est aligné sur le droit français, et continuera de s'adapter au fil des évolutions de notre législation. En effet, les référentiels juridiques applicables sur le territoire monégasque doivent être strictement similaires aux normes françaises.

Enfin, deux autres remarques méritent d'être soulignées :

- premièrement, un décret devra être pris pour permettre l'importation en France de sang ou de ses composants n'ayant pas encore fait l'objet d'une qualification biologique ;

- deuxièmement, la Principauté de Monaco n'est pas reconnue par l'Union européenne comme un État justifiant d'un niveau de protection des données à caractère personnel adéquat. Or, l'EFS partagera sa base de données de donneurs avec le centre de collecte monégasque pour permettre à un donneur français de réaliser un don sur le territoire monégasque, et réciproquement. Le caractère sensible des informations médicales contenues dans cette base de données appellera donc un strict encadrement juridique, à travers des stipulations conventionnelles entre l'EFS et le centre hospitalier Princesse Grace ; il s'agira de clauses contractuelles types, établies par la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), qui permettront d'apporter les garanties appropriées.

Pour conclure, ces nouveaux accords répondent au souhait émis par les autorités monégasques d'une coopération efficace entre nos autorités respectives en matière de sécurité sanitaire et de transfusion sanguine, en définissant précisément leur cadre juridique et en simplifiant les démarches administratives et financières.

La France ne supportera aucune charge financière du fait de ces accords, dans la mesure où l'intégralité des coûts engendrés par ces coopérations sera prise en charge par les autorités monégasques compétentes.

En conséquence, je préconise l'adoption de ce projet de loi dont le Sénat est saisi en premier. La Principauté de Monaco ratifiera ces deux accords par ordonnance souveraine une fois la procédure parlementaire achevée en France.

L'examen en séance publique au Sénat est prévu le jeudi 23 mai prochain, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la conférence des présidents, de même que votre rapporteur, ont souscrit.

M. Michel Boutant. - La précision apportée par le rapporteur, relative à la prise en charge de cette coopération, est heureuse !

M. Gilbert Bouchet, rapporteur. - Il est en effet très utile de le souligner.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.

Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Arménie relatif à l'emploi des membres de la famille des agents des missions officielles de chaque État dans l'autre - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Gilbert-Luc Devinaz, rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et l'Arménie relatif à l'emploi des membres de la famille des agents des missions officielles.

Cet accord, construit selon un modèle type, s'inscrit dans la stratégie de rénovation du ministère de l'Europe et des affaires étrangères - « Ministère du XXIe siècle » - lancée en 2015, dont l'un des piliers repose sur la modernisation du cadre d'expatriation des agents en poste diplomatique et consulaire à l'étranger. Cette nouvelle politique a conduit le Quai d'Orsay à se préoccuper des conditions visant à permettre aux conjoints, de même sexe ou non, mariés ou pacsés, voire des enfants sous certaines conditions, d'exercer une activité professionnelle rémunérée dans l'Etat d'accueil. En dehors des pays de l'Espace économique européen et de la Suisse où prévaut le principe de la libre circulation des travailleurs, le statut diplomatique ou consulaire spécifique de ces derniers, notamment les immunités et privilèges accordés par les conventions de Vienne de 1961 et de 1963, rend compliqué l'accès au marché du travail local. Pour contourner ces obstacles, le Quai d'Orsay s'est lancé dans la conclusion d'un nombre important d'accords de réciprocité permettant aux intéressés d'exercer une activité professionnelle rémunérée tout en conservant les privilèges et immunités octroyés par les conventions de Vienne en dehors du cadre de l'exercice de l'activité professionnelle. Depuis 2015, une douzaine d'accords ont ainsi été conclus et une quinzaine de notes verbales non contraignantes échangées. Ce dispositif, qui globalement profite davantage aux conjoints français qu'à ceux des autres pays venant en France, est susceptible de bénéficier, au total, aux conjoints des 2 000 agents titulaires mariés ainsi qu'aux conjoints des 750 agents issus d'autres administrations (finances, défense, éducation...) présents dans l'ensemble du réseau diplomatique et consulaire français.

Cet accord conclu à l'initiative de la France est analogue aux 11 accords déjà examinés par la commission et conclus respectivement avec la Bolivie, le Chili, l'Equateur, le Pérou, l'Albanie, la Moldavie, la Serbie, le Bénin, le Congo, la République dominicaine et le Nicaragua. Il concerne l'Arménie.

Cet accord a pour objet la délivrance d'autorisations d'exercer une activité salariée dans l'Etat d'accueil aux membres de la famille des agents des missions officielles disposant d'un titre de séjour spécial ou d'une carte diplomatique et ce, sur la base de la réciprocité.

S'il n'est pas fait mention explicitement des conjoints « de même sexe ou de sexe différent » - la législation arménienne ne permet pas le mariage des couples de personnes de même sexe -le ministère des affaires étrangères arménien a indiqué que la notion de conjoint est laissée à l'appréciation de la partie française qui transmet les demandes d'autorisation de séjour pour les membres de famille des agents. Aucune preuve du lien juridique n'est exigée par les autorités arméniennes.

La procédure de demande d'autorisation d'exercer une activité salariée prévoit l'envoi de cette demande, au nom du membre de la famille, par la mission officielle concernée au Protocole du ministère des affaires étrangères de l'Etat d'accueil, accompagnée d'un certain nombre de pièces justificatives. Cette autorisation prend fin avec la perte de qualité de membre de la famille ou avec la fin de la mission de l'agent diplomatique ou consulaire. Le bénéficiaire a l'obligation de se conformer à la législation de l'Etat d'accueil, y compris en matière d'imposition et de sécurité sociale, et doit satisfaire à toutes les exigences requises pour l'occupation de l'emploi en question.

Enfin, les immunités de juridiction civile ou administrative ainsi que l'immunité d'exécution ne s'appliquent pas dans le cadre de l'exercice de l'activité professionnelle rémunérée, à la différence de l'immunité de juridiction pénale qui continue de s'appliquer. L'Etat d'accueil pourra toutefois demander la levée de celle-ci, l'Etat d'envoi pouvant la refuser s'il estime que c'est contraire à ses intérêts.

En conclusion, je recommande l'adoption de ce projet de loi. Selon les informations transmises par le Quai d'Orsay, cet accord serait susceptible de concerner 4 de nos ressortissants qui pourraient trouver des débouchés professionnels à l'Université française en Arménie (UFAR), à l'Ecole française Anatole France (EFAF), à l'Alliance française d'Arménie ainsi que dans des organisations internationales et des fondations. La Chambre de Commerce et d'Industrie franco-arménienne (CCIFA) peut également constituer une porte d'entrée efficace vers le réseau des entreprises françaises en Arménie, au nombre desquelles Pernod Ricard, Carrefour, Veolia et Crédit Agricole.

Côté arménien, 11 conjoints sont susceptibles d'occuper un emploi rémunéré en France. Actuellement, avant même l'entrée en vigueur du présent accord, 18 titres de séjour spéciaux ont été délivrés par le service du protocole du ministère de l'Europe et des affaires étrangères à des conjoints d'arméniens en France.

À ce jour, l'Arménie n'a pas fait connaître à la partie française l'accomplissement des formalités requises par son droit pour l'entrée en vigueur de cet accord bilatéral.

L'examen en séance publique est prévu le jeudi 23 mai 2019 selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.

Proposition de loi visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l'exploitation des réseaux radioélectriques mobiles - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis

La commission a décidé de se saisir pour avis de la proposition de loi n° 454 (2018-2019) visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l'exploitation des réseaux radioélectriques mobiles et a nommé M. Pascal Allizard rapporteur sur ce texte.

Questions diverses

M. Christian Cambon, président. - Mes chers collègues, le Gouvernement nous a annoncé le lundi 13 mai qu'il entendait renouveler M Rémy Rioux à la tête de l'AFD.

Comme vous le savez, en application de l'article 13 de la Constitution, notre commission et la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale seront consultées et devront voter sur cette proposition de désignation.

L'audition de M Rioux et le vote devraient avoir lieu la semaine prochaine en commission.

Je charge nos rapporteurs « aide au développement » Jean-Pierre Vial et Marie-Françoise Pérol-Dumont de préparer activement cette audition.

Merci à eux.

À l'initiative de notre collègue Jean-Marie Bockel, la présidente de la commission des affaires économiques Mme Sophie Primas m'a sollicité pour former un groupe de travail conjoint à nos deux commissions pour travailler sur les enjeux spatiaux.

Étaient membres de l'ancien groupe parlementaire de l'espace, et sont donc d'emblée membres de ce nouveau groupe de travail nos collègues : Jean-Marie Bockel, Joëlle Garriaud-Maylam et Hélène Conway-Mouret. Un appel à candidature sera lancé auprès des groupes pour désigner des membres de notre commission dans ce groupe pour permettre le respect de la représentation proportionnelle.

Je signale que nous entendons en audition le 22 mai prochain les présidents d'Arianespace et du CNES, conjointement avec la commission des affaires économiques.

Comme vous le savez, la commission se rend à Cherbourg le 23 mai pour visiter le chantier du sous-marin Barracuda. Je remercie les 16 sénateurs qui se sont inscrits.

Par ailleurs, la commission se rendra au salon du Bourget le mercredi 19 juin au matin : un formulaire d'inscription va vous être envoyé.

Enfin, les Universités d'été de la défense auront lieu les 12 et 13 septembre prochains à Bourges et sur la base aérienne d'Avord, sur le thème des mutations de la guerre. C'est auprès de la société CEIS, organisatrice, qu'il vous revient de vous inscrire. Les sénateurs de la commission qui ont publié des rapports sur les sujets « défense » vont être sollicités pour participer aux différents ateliers de travail.

Loi de programmation militaire - Communication

M. Christian Cambon, président. - Mes chers collègues, comme vous le savez, la commission s'est engagée à suivre de très près l'exécution de la loi de programmation militaire.

Je voulais donc vous signaler que chacun d'entre vous avait reçu le 15 avril dernier, sur sa messagerie électronique, à ma demande, et conformément à un amendement parlementaire à la LPM, un rapport d'exécution avec le détail des livraisons, travaux et recrutements, effectués en application de la LPM.

Nous aurons l'occasion d'en reparler puisque la loi prévoit un rendez-vous avec la ministre sur ce sujet, avant le 30 juin. Mais d'ores et déjà, comme c'est un document assez technique, je voulais vous en faire une très brève synthèse, rapidement, sur 3 points : matériels, recrutements, infrastructures.

Pour les matériels, ce bilan révèle un retard significatif concernant l'état d'avancement de l'emblématique programme SCORPION, fer de lance de la modernisation des forces terrestres. Les trois véhicules blindés Griffon dont la livraison était prévue en 2018 ne sont toujours pas livrés, et surtout, aucun des 89 Griffon prévus pour 2019 ne sera livré d'ici au 30 juin 2019. Livrer 92 Griffon en seulement 6 mois, ce sera très serré. J'ai d'ores et déjà pris des contacts avec les entreprises concernées, en particulier Thalès et Nexter, pour faire le point sur le dossier. Il apparait qu'il est à ce stade toujours possible de rattraper, avec de premières livraisons prévues dès le 1er juillet. Naturellement, je resterai vigilant et je compte bien mettre à profit le rendez-vous avec la Ministre que j'évoquais il y a quelques instants, pour obtenir des assurances sur ce dossier.

Pour les recrutements, le rapport met en évidence un déficit de recrutements de 583 emplois depuis le 1er janvier 2019, lié à des difficultés de recrutement et de fidélisation. Ces difficultés ne sont pas nouvelles, nous les évoquons régulièrement, mais ce phénomène préoccupant témoigne d'un problème d'attractivité de nos armées dans un environnement de plus en plus concurrentiel avec le secteur privé. Toutes les catégories sont concernées : il manque 100 recrutements d'officiers, pour cause de départs (démissions, retraite, détachements) non compensés par des recrutements ; il manque 300 sous-officiers, dont 2/3 dans l'armée de l'air et 1/3 dans la marine, du fait de départs en retraite à liquidation immédiate ou de dénonciations de contrats ; il manque 150 militaires du rang.

Mécaniquement, cela se traduit par une sous-consommation des crédits de rémunération, de 214 millions d'euros. Ces crédits de rémunération non consommés servent à financer le surcoût OPEX et MISSINT. C'est exactement la même logique que celle que nous avons dénoncée fin 2018 : des crédits de personnel servent à financer les opérations, faute d'arriver à recruter. La capacité du ministère à remonter en puissance est ainsi mise en cause, et c'est une discussion qu'il faudra avoir avec la ministre : des changements organisationnels seront sans doute nécessaires.

Pour les infrastructures, le rapport détaille les avancées d'une quinzaine de programmes d'infrastructures dont le montant est supérieur à 15 millions d'euros.

Il s'agit notamment des infrastructures d'accueil des grands programmes d'armement : SNA Barracuda, FREMM, MRTT, Rafale et Scorpion. Les engagements pris entraîneront des pics de paiement au cours des années 2020-2022.

La question de la soutenabilité de cette trajectoire, en termes de moyens financiers et humains, se pose. Le ministère nous assure que le service des infrastructures (SID) a atteint sa cible d'engagements en 2018. C'est une question sur laquelle nous devront rester vigilants. Je rappelle que le SID a été bâti depuis 2005 dans la perspective d'un milliard d'euros de dépenses immobilières annuelles, alors que la LPM fixe un objectif de plus de 2 milliards d'euros par an. Le doute subsiste sur sa capacité à absorber ce flux d'affaires nouveau, sans que nous puissions encore en juger à ce stade.

Je n'ouvre pas le débat mais je vous confirme que nous restons en alerte et que je demanderai à la ministre que les rapporteurs défense et moi-même puissions évoquer avec elle ces questions d'ici au 30 juin.

Situation humanitaire au Moyen Orient et l'action du CICR - Audition de M. Fabrizio Carboni, directeur Moyen Orient du Comité international de la Croix Rouge

M. Christian Cambon, président. - Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Fabrizio Carboni, Directeur pour le Proche et le Moyen-Orient du Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

Monsieur le Directeur, les sujets à aborder avec vous semblent innombrables, tant la région est frappée par les crises humanitaires et les conflits. Je dois vous indiquer que notre commission consacre, ces derniers mois, une attention particulière à cette région du monde, berceau de notre civilisation devenu foyer d'une violence terrible qui ne semble pas pouvoir s'apaiser.

Je pense bien sûr d'abord au Yémen, que les Nations unies ont qualifié de plus grande catastrophe humanitaire du monde en ce moment. Je pense ensuite au long calvaire de la Syrie, déchirée par la guerre civile. Nous avons reçu hier avec le Président du Sénat le Patriarche d'Antioche qui nous a appelés à l'aide pour la reconstruction de ce pays. La Syrie supporte toujours les conséquences du conflit avec l'État islamique. Je pense enfin aux exactions terribles subies par les minorités de la région, notamment les Yézidis ou les chrétiens d'Irak. Toutes ces tragédies ont transformé des millions d'êtres humains, souvent les plus démunis et les plus fragiles, en réfugiés. Je ne serai pas plus long sur ces sujets, que nous suivons de façon continue. Nous avons hâte que vous nous présentiez votre compréhension de la situation.

J'oserai enfin une question personnelle : peut-être pourrez-vous nous dire comment on peut, lorsque l'on est dans votre fonction, faire face mois après mois à l'accumulation de ces horreurs sans céder au découragement. C'est un point important : comment garder l'espoir, pour rester mobilisés ? Je vous rappelle que cette audition est enregistrée et est diffusée sur le site internet du Sénat. Merci de votre présence ; je vous cède la parole pour une dizaine de minutes.

M. Fabrizio Carboni, Directeur pour le Proche et le Moyen-Orient du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). - Je vous remercie de me donner l'occasion d'engager un dialogue avec vous sur les actions du CICR dans le Proche et le Moyen-Orient. Le concept de dialogue est important. En effet, une chose est certaine dans cette région : personne ne peut réussir seul, que ce soit dans l'action humanitaire ou en matière politique.

Après une brève analyse de la situation, je vous présenterai quelques enjeux qui nous paraissent aux confins de l'humanitaire et de la politique. En effet, l'un n'est pas séparé de l'autre.

Je souhaite avant tout rappeler que le CICR est une organisation humanitaire de terrain et de conflits. La spécificité de notre action est d'être directement au contact des gens. Nous n'utilisons pas d'intermédiaires. Cela présente de nombreux avantages : nous pouvons contrôler, dans une grande mesure, la qualité de notre action. Nous avons une compréhension, à mon avis assez unique, des gens que nous essayons d'aider et de protéger. Toutefois, cela comporte aussi des inconvénients : plusieurs de nos collègues sont tous les ans séquestrés, blessés, ou tués. Notre capacité à agir est basée sur la confiance des parties en conflit. Ces derniers doivent être convaincus que notre objectif est uniquement humanitaire. C'est la carte la plus importante de notre action et sa qualité : nous sommes perçus comme des acteurs neutres dans un conflit. Or, dans un environnement tel que le Moyen et Proche Orient, extrêmement polarisé, où la tentation est grande d'avoir une vision manichéenne de la situation, il n'est pas toujours évident de continuer à être perçu comme neutre. Chaque jour, mes collègues sur le terrain me le rappellent.

Nous sommes présents de l'Iran jusqu'à l'Egypte, en passant par le Yémen, l'Irak et la Syrie. Nous sommes également en Jordanie et au Liban que l'on tend à oublier. Enfin, dans un autre contexte, nous sommes en Israël et dans les territoires occupés, zone qui a pu être délaissée ces dernières années. En effet, la plus grande partie de l'attention s'est portée sur la Syrie, l'Irak et le Yémen. On parle de 3 700 à 4 000 employés répartis sur toute la région, un budget de 560 millions de francs suisses, soit environ 500 millions d'euros. On constate une croissance de celui-ci, liée à la violence qui a commencé avec le printemps arabe en 2011. Aujourd'hui, nous sommes dans une phase de transition. Cela ne signifie pas que l'on va inévitablement vers la paix, ou une amélioration de la situation. Mais, nous sommes dans un moment - principalement en Irak ou en Syrie - où le futur est en train de se dessiner. Celui-ci sera-t-il meilleur ? D'un point de vue humanitaire, nous avons de sérieux doutes sur la réunion des ingrédients pour une stabilisation de la région. Je reviendrai sur les éléments qui nous laissent croire à la construction en cours du prochain cycle de violence dans la région.

A côté de cette situation de transition se trouvent des situations de conflit toujours présentes. Je pense notamment à la Syrie et Idlib. D'autres régions oscillent entre stabilité et instabilité - la paix n'y règne pas totalement. L'Irak nous inquiète car tout le monde pousse pour une fin heureuse. Or, si l'on regarde certains chiffres en termes d'attaques, il me semble que ce pays mérite une attention qui ne soit pas uniquement focalisée sur le développement et la dimension sécuritaire : il me semble primordial de s'intéresser aux causes fondamentales de la violence de cette région. Or, tel n'est pas le cas aujourd'hui.

Des millions de personnes sont déplacées. On se focalise sur les réfugiés. Mais, les déplacés internes sont plus nombreux que les réfugiés. Cela pose beaucoup de problèmes dans une logique de transition et de stabilisation. Des centaines de milliers de personnes ont disparu. Je souhaite m'attarder sur celles-ci. Il est très difficile d'expliquer la dimension humanitaire des personnes disparues. On a parfois du mal à faire comprendre la souffrance, la douleur, l'aspect disruptif que cela représente. Je donne toujours cet exemple : lorsque mes collègues retournent vers une personne dont le père ou le fils a disparu et qu'ils lui annoncent après cinq ou dix ans l'avoir retrouvé, mais mort, c'est probablement la seule situation où l'on voit une personne soulagée par l'annonce d'un décès. Cet exemple est la seule manière d'expliquer l'aspect dévastateur de la disparition. En anglais, on utilise le concept de « ambiguous loss » - la perte ambigüe. Est-elle vivante ou pas ? Comment fait-on pour continuer à vivre avec cette absence ? Au Liban, encore aujourd'hui, des dizaines de milliers de personnes sont disparues depuis 25-30 ans. Les personnes dans l'attente de nouvelles vous parlent de cette expérience dévastatrice. Je dis toujours préférer de loin perdre une jambe que de perdre quelqu'un de ma famille et de ne pas savoir où il est. Si je perds une jambe, tout d'abord cela va se voir et j'attirerais la sympathie de chacun. En outre, il est possible de faire quelque chose. Pour les personnes disparues, cela ne se voit pas ; c'est ennuyeux, et cela attire très peu de sympathie et de soutien. Au-delà des personnes disparues, il faut prendre en compte les conséquences psychologiques de la violence.

Le sujet de la détention est également important. Ce n'est un secret pour personne : le nombre de détenus liés au conflit dans la région est élevé. Les conditions de détention sont très difficiles. Il suffit de savoir que dans les sociétés occidentales où de nombreux moyens sont disponibles, certaines prisons font face à des difficultés comme la surpopulation. Vous pouvez imaginer, dans cette région, ce que cela veut dire d'être détenu.

La destruction massive est aussi un problème. Je travaille depuis 20 ans dans l'humanitaire. J'ai eu l'occasion d'aller plusieurs fois en Syrie. Le niveau de destruction est indescriptible. La situation est presque apocalyptique. Cela ne concerne pas seulement un quartier : si vous prenez la voiture de Damas à Alep en passant par Homs, les destructions sont visibles partout et en permanence. C'est également vrai dans une certaine mesure pour l'Irak. Dès lors, comment sortir de cette situation ? Outre la destruction physique, les systèmes de santé et de services publics en général sont également détruits. En outre, on constate une perte de ressources humaines. Il n'y a plus beaucoup de médecins ou d'ingénieurs. La plupart des gens qui avaient des ressources sont partis, s'ils n'ont pas été tués.

Je vais maintenant évoquer les défis. Le premier est celui du retour. Mes collègues sur le terrain me posent souvent la question suivante : certes on parle de retour, mais vers quel espace physique ? Les habitations en Syrie ou en Irak par exemple sont fortement détruites. A cela s'ajoutent les enjeux de contamination par les mines, par munitions. Tous les jours, des enfants, des femmes, des hommes sautent sur des mines, sur des munitions qui n'ont pas explosé, sur des pièges. La sécurité est également un enjeu important. Un réfugié se pose souvent la question de savoir s'il va se faire arrêter en rentrant - or, j'ai évoqué les conditions de détention.

Autre défi important : la politique de reconstruction. Pour les États traditionnellement donateurs dans cette région, la reconstruction pure est un enjeu politique. Mais entre l'action humanitaire de pure substitution et la reconstruction, il y a un espace qui nous semble toujours être un espace humanitaire, même s'il répond à certains enjeux structurels. Nous avons parfois des difficultés à expliquer la dimension humanitaire d'une action qui n'est pas seulement de la substitution et une réponse à un instant t. Aujourd'hui, la plupart des conflits durent plus d'une dizaine d'années, voire une vingtaine d'années. Je travaille depuis 20 ans au CICR. De tous les conflits sur lesquels j'ai pu travailler, seul un est aujourd'hui en paix relative. L'action humanitaire ne peut plus se comprendre uniquement comme une réponse d'urgence.

L'effondrement du système judiciaire et de l'état de droit est également une de nos préoccupations. Cela regroupe des problèmes qui indirectement concernent les États occidentaux : ceux qui ont des ressortissants liés au groupe État islamique en Syrie et en Irak. Justice doit être faite, mais dans le cadre d'un état de droit, ou du moins dans un cadre juridique acceptable et cohérent avec les engagements internationaux pris par les États.

La stigmatisation des populations est certainement le plus gros défi que l'on ait en Syrie et en Irak. Le groupe État islamique a couvert un espace géographique très important. Il a « gouverné » des millions de personnes. Ces dernières ont perdu leurs papiers, ont dû prendre des papiers de l'État islamique par obligation. Aujourd'hui, indépendamment de ce que ces personnes ont fait ou non, elles sont considérées comme étant affiliées au groupe « État islamique ». Il y a une forme de punition collective. Celle-ci correspond malheureusement aussi à des lignes de fractures communautaires. Si l'on pense au futur de ces régions, il n'est pas de bon augure que des fractures à l'origine de phénomènes de violence continuent à exister, mais sous d'autres formes. Je suis également conscient que la solution est compliquée. Nous le voyons sous l'angle humanitaire. A côté de cela, il y a l'angle politique, l'angle sécuritaire. Il nous semble - sans être des experts - que la plupart des réponses proposées portent sur le court terme. On ne voit pas comment les réponses sécuritaires ou politiques, aux multiples enjeux liés au groupe État islamique mèneront à long terme à une région plus stable et une Europe plus sûre. Cet enjeu doit être vu sur la longueur. La stigmatisation d'une grande partie de la population, une incapacité à déconstruire le narratif créé autour de l'État islamique comme étant au-delà de l'humanité et donc au-delà de l'application des règles de base les plus minimales, n'aident pas.

Beaucoup de législations sont adoptées actuellement - et à juste titre -, afin d'éviter le financement des organisations mises sur la liste des organisations terroristes. Il faut savoir que ces législations ont également un impact sur les capacités à travailler sur le terrain. Tout d'abord, en tant qu'organisation, notre sécurité est basée sur notre capacité à parler à tout le monde - sans faire de distinction sur le fait que ce soient de bonnes ou mauvaises parties à un conflit. D'ailleurs, le droit des conflits armés qui est la convention internationale la plus largement adoptée dans le monde, inscrit au coeur de ce droit la nécessité d'avoir un acteur comme le CICR qui ait cette capacité à parler à tout le monde. Les législations visant à prévenir le terrorisme affectent dans certaines mesures notre action. La deuxième dimension du contre-terrorisme qui nous affecte parfois est que le droit des conflits armés estime que toute personne a droit à un accès à des services minimums. Un blessé a droit aux soins médicaux, qu'il s'agisse ou non d'un terroriste. Certaines législations, je crois de manière involontaire, portent parfois atteinte à notre capacité à respecter le droit des conflits armés. Or, il représente le strict minimum. Si on ne le respecte pas, on est en-deçà de l'humanité. Le dialogue nous permet de créer un espace humanitaire qui ne soit pas en tension avec la nécessité de lutter contre le terrorisme. D'ailleurs, la France a pris une position forte et courageuse au conseil de sécurité de l'ONU. II y a quelques mois, le conseil de sécurité a débattu d'une résolution sur le financement du terrorisme. La France est l'État sur lequel nous avons pu compter pour remettre au centre de cette résolution les principes essentiels de l'action humanitaire.

Nous devons faire face à une militarisation et une politisation de l'action humanitaire. L'exemple le plus flagrant de cette militarisation a été l'accès ou non à certaines zones assiégées. On a ainsi pu entendre : « vous aurez accès à l'aide humanitaire si vous rendez les armes » ou encore : « on laissera le CICR visiter des détenus, si vous acceptez de discuter des accords de paix ». On conditionne de plus en plus l'action humanitaire à certains objectifs étrangers à celle-ci. Nous sommes victimes de notre succès. Il y a dix ans, l'humanitaire n'intéressait pas grand monde et était périphérique aux grands enjeux politiques. Aujourd'hui, face à l'incapacité du politique à apporter des solutions à la plupart des conflits dans la région, toute l'attention se tourne désormais vers l'humanitaire. Celui-ci devient une forme de substitut à la responsabilité et au courage politiques nécessaires pour affronter ces situations. Cela a un effet positif : cela nous permet d'engager des acteurs politiques qui ont un impact sur l'humanitaire. Evidemment, cela a un côté négatif : notre action est teintée d'un aspect autre qu'humanitaire.

Enfin, la destruction du tissu social et politique des pays en conflit nous inquiète. Permettez-moi cette expression : ces pays vont devoir courir un 100 mètres amputés. Une grande partie de leur population est soit en dehors du pays, soit blessée et dans l'incapacité de pouvoir travailler. Les forces vives pour faire rebondir ces pays ne sont pas toujours présentes. Cela représente un enjeu humanitaire important. C'est un domaine dans lequel nous voulons nous investir de manière importante : il n'y aura pas de futur si cet enjeu-là n'est pas considéré.

Une grande partie de la population n'a plus de papiers d'identité. Elle ne peut donc pas obtenir un certificat de décès ou un acte de naissance. Cela a des conséquences très concrètes. En Irak, si vous n'avez pas de papiers, vous n'avez pas accès à la santé, à l'éducation et aux services publics de manière générale. Cet enjeu est très complexe Il y a une volonté de faire face à cette problématique. Mais nous n'avons pas encore atteint les résultats espérés. J'aime mettre cet enjeu sur la table, car ce sujet est en général périphérique à l'attention des humanitaires ou des politiques. Or, avec un petit peu d'efforts, on peut réussir à faire une très grande différence pour les populations dans ces régions.

M. Gilbert Roger. - Nous revenons avec plusieurs collègues d'une mission en Jordanie. Nous avons vu le travail efficace et remarquable que vous y faites, en particulier sur le camp de Zaatari. Nous avons été choqués d'entendre que pour les réfugiés syriens souhaitant faire la démarche de rentrer, il y a désormais un marché organisé par les autorités syriennes qui vendent pour des sommes avoisinant les 350 dollars les papiers nécessaires. Nous comprenons toutes les difficultés et l'importance de votre action.

J'ai été en mission en septembre dernier en Palestine et en Israël. Tout y est complexe pour parvenir à une paix. Cela fait plusieurs fois que je m'y rends et que l'accès à Gaza m'est interdit par les autorités israéliennes. Pourriez-vous nous dire la manière dont vous voyez la situation à Gaza, en particulier sur l'eau ?

Mme Sylvie Goy-Chavent. - J'ai pu visiter de nombreux camps de réfugiés en Jordanie ou au Liban, et j'ai pu constater la qualité de votre action que je salue. Toutefois, j'ai pu noter un manque de communication entre les diverses organisations humanitaires, voire un travail très clivé. Cela est surprenant, voire choquant. Ne pensez-vous pas que dans un souci de plus d'efficacité financière et humanitaire, il serait judicieux de travailler différemment et de renforcer la concertation ? Vous allez sans doute me répondre que j'ai mal vu. Pourriez-vous me donner un exemple très concret de travail main dans la main avec les autres organisations humanitaires ?

M. André Vallini. - Que savez-vous du blocus alimentaire et de médicaments du Yémen ? A votre connaissance, des bateaux fabriqués en France participent-ils à ce blocus ?

M. Jacques Le Nay. - Nous avons pu constater que les professions dont on a le plus besoin sont en partance pour nos pays. Nous l'avons vérifié dans le camp de déplacés dans la plaine de Ninive. Que peut-on faire pour les maintenir dans leurs pays ?

On comprend également que le danger vient de partout, et notamment des engins de guerre qui restent sur le terrain. Je pense notamment à un enfant, le 6 mai 2015, qui en rentrant de l'école à Gaza a ramassé un de ces engins, le prenant pour un jouet. Y a-t-il des mesures de précaution, d'information auprès des populations, pour essayer d'éviter ce genre d'accident ?

M. Joël Guerriau. - Au Yémen, après des mois d'immobilisme, les rebelles houthis ont commencé à retirer, samedi 11 mai, leurs combattants des zones portuaires d'Hodeïda, de Salif et du terminal pétrolier de Rass Issa, à l'ouest du pays. Quelles avancées concrètes ce retrait pourrait-il permettre sur le terrain?de l'aide humanitaire ?

M. Pascal Allizard. - Vous nous avez parlé de votre capacité à discuter avec tout le monde et du droit international des conflits armés. Dans un certain nombre de camps, y a-t-il des réseaux de passeurs ? Sont-ils à l'oeuvre pour recruter des candidats au départ pour l'Europe ? Quid de criminels de guerre infiltrés dans ces camps ? Comment luttez-vous contre cela ?

M. Jean-Pierre Vial. - Vous avez évoqué le domaine de l'urgence, celui de la reconstruction et la période entre les deux. Je vous interroge sur cette dernière. Nous avons bien compris que la reconstruction est liée à un aspect politique qui n'est pas pour aujourd'hui. Je relie cette période intermédiaire aux propos introductifs de notre président et à ceux du Patriarche Youssef Absi qui insistait sur les conséquences de l'embargo et des sanctions. Il nous a ainsi dit que le peuple syrien souffrait aujourd'hui plus qu'hier pendant la guerre et que les populations continuaient à quitter le pays compte tenu de la situation. Quelle est votre vision de la situation, qui pourrait être le premier degré politique dans le prolongement d'une première réponse à la situation d'urgence ?

M. Fabrizio Carboni. - Je vous remercie tout d'abord pour l'intérêt de vos questions. Il est pour nous important de vous savoir connectés à cette réalité. Les humanitaires sont parfois désespérés. Aussi, savoir, même si on ne partage pas tous le même point de vue, que d'autres personnes sont dans la réflexion est important et que vous alliez sur le terrain c'est intéressant aussi.

En Europe on entend beaucoup parler de camps. Mais le camp ne représente que 5 % de l'enjeu humanitaire. La plupart des gens, même réfugiés, ne sont pas dans des camps. Ce sont principalement des déplacés internes. Ils ne sont pas dans des camps comme on peut se l'imaginer avec des tentes ou des allées bien faites. Le camp dans lequel nous sommes impliqués, et qui attire peu les regards est celui dans le nord-est syrien. Y sont arrivées les dernières personnes qui vivaient dans les territoires contrôlés par l'Etat islamique. Il y a tout un enjeu de protection des personnes s'y trouvant. Ce sont principalement des femmes et des enfants de moins de 12 ans - les enfants de plus de 12 ans sont enfermés avec les combattants.

La question de la coordination rejoint celle de l'information. Nous ne sommes pas très présents dans les camps en Jordanie : notre action est plutôt une action proche des lignes de front et de conflit. L'Etat en tant que donateur a un rôle à jouer pour faciliter celle-ci. Il peut faciliter l'échange d'informations et éviter les doublons et surtout les trous dans la réponse humanitaire. Je ne crois pas qu'il s'agisse uniquement d'une question de bonne ou mauvaise volonté - parfois ça l'est - mais plutôt d'une question d'organisation structurelle. Certes, nous nous sommes fortement améliorés ces dix à quinze dernières années, mais du chemin reste à parcourir.

Vous avez mentionné les réfugiés souhaitant rentrer mais devant verser de fortes sommes d'argent pour obtenir des papiers : c'est une réalité. En outre, quand ils ont la possibilité de payer, on est déjà dans un processus avancé : il faut encore arriver à contacter les autorités, il faut qu'il y ait un cadre institutionnel délivrant ces documents. Le coût est exorbitant, y compris dans des pays de la région plus stables. A nouveau, la France, en tant qu'acteur politique, est mieux à même de porter une solution que les acteurs humanitaires.

En ce qui concerne le Yémen, notre rôle n'est pas de savoir si des bateaux français participent au blocus. Ce que je peux constater, c'est que même sans le conflit, la situation serait dramatique. La sécheresse, selon certaines estimations, va faire que d'ici 5 à 10 ans il n'y aura plus d'eau à Sanaa. Certaines parties de la côte yéménite, en prenant en compte la chaleur et l'humidité, seront bientôt inhospitalières. Il y a également des enjeux structurels d'éducation, d'accès à la santé. Ainsi, lorsque j'entends certains s'alarmer d'un risque d'écroulement du Yémen, je tiens à rappeler que, dans les faits, ce pays est déjà au sol. Les dégâts sont déjà là. Structurellement, ce sera difficile de remonter la pente. A cela s'ajoute la situation de conflit et de violence, teintée d'enjeux géopolitiques navrants. Il y avait une lueur d'espoir autour des accords de Stockholm. Ces derniers prévoyaient trois mesures pour rétablir la confiance entre les parties. Elles nous semblaient être de bon sens. En tant que Croix Rouge, nous avions pris la responsabilité de faciliter la libération simultanée des détenus. Nous avons présidé certaines négociations entre les différentes parties au conflit à Amman. Nous avions de grands espoirs. Nous attendons toujours. La solution au Yémen dépend de la volonté de tous les acteurs politiques. Il va falloir faire des concessions. Aujourd'hui, on a le sentiment que toutes les parties au conflit ne sont pas prêtes à en faire. Vous entendez parler de famine au Yémen. Or, les marchés sont très bien achalandés. Mais il n'y a pas d'argent pour faire des achats. De même, il n'y a pas d'argent pour payer le transport jusqu'à l'hôpital le plus proche. Les parents attendent la dernière minute pour amener leurs enfants mal nourris à l'hôpital et c'est souvent trop tard. A nouveau, nous espérons que la France, considérant les relations historiques ou plus récentes qu'elle a avec certaines parties au conflit, va pouvoir peser de tout son poids pour que des concessions soient faites au minimum dans la dimension humanitaire ou sur certains points qui faciliteraient des discussions permettant peut-être d'arriver à une situation de paix et de stabilité au Yémen.

Comment parler de Gaza tout en restant neutre ? Poser la question montre toute la difficulté de la réponse. L'enjeu de l'eau va au-delà de Gaza : toute la région est concernée. Des accords ont été pris pour faciliter l'accès à l'eau à certaines parties de la population. En tant qu'acteurs humanitaires, nos réponses souvent ne prennent pas en compte la dimension environnementale. C'est un aspect nouveau à intégrer dans nos processus. Permettez-moi cette caricature : en général, lorsqu'il n'y a pas d'eau dans une zone, on fait un trou et on cherche la première nappe phréatique possible pour apporter de l'eau aux populations. Cela n'est pas une solution durable. Des réflexions sont en cours, mais l'acteur humanitaire n'est pas la solution pour des enjeux de développement ou environnementaux. Nous pouvons juste essayer de ne pas rendre la situation plus compliquée. Nous sommes dans l'attente de la proposition d'un nouveau plan de paix pour Gaza, la Cisjordanie et les territoires occupés. On espère tous qu'il sera crédible et permettra de tourner la page. L'espoir est la seule chose qui nous reste. J'ai eu l'occasion d'aller à Gaza il y a trois semaines. La situation est dramatique. Je souhaite également évoquer les populations israéliennes qui vivent autour. Elles ont reçu environ 500 roquettes. En tant qu'acteur humanitaire, nous ne nous prononçons pas sur la cause du conflit. C'est un enjeu politique et cela ne nous regarde pas. Nous avons une valeur importante : les personnes qui ne participent pas directement au conflit ne peuvent pas être attaquées - peu importe de quel côté elles sont, qu'il s'agisse de bonnes victimes ou de mauvaises victimes. Le droit humanitaire ne tient pas compte de la justesse ou non d'une cause. Même si une cause est juste, il y a des principes de base dans la conduite des hostilités qui doivent être garantis.

Un enjeu très important est cet espace intermédiaire entre l'humanitaire et la reconstruction. Nous avons constaté que certaines populations - par exemple en Syrie - étaient sous contrôle de l'opposition armée. Tout le monde trouvait alors normal qu'elles aient accès à des services de base. Une fois que ces populations ne sont plus sous le contrôle de ces groupes armés, tout d'un coup, alors que leurs besoins sont toujours présents, ils ne semblent plus faire partie de la préoccupation collective. En tant qu'humanitaire, nous considérons que les services de base, l'accès à l'eau, à la santé ne devraient pas être déterminés par la présence ou non d'un groupe pour lequel nous aurions plus ou moins de sympathie. Cette zone intermédiaire est la continuité de l'humanitaire. La reconstruction n'est pas de notre domaine : on parle de milliards de dollars, de changement de société. Cela va très au-delà de nos capacités et nos ambitions. Nous visons « seulement » à permettre aux gens d'avoir un minimum de dignité. On peut définir la dignité, mais c'est quelque chose de très basique. Dans une grande partie de la Syrie, et en Irak, on a du mal à fournir ce minimum de dignité.

Si les sanctions ont pour effet de ne plus permettre aux gens d'avoir accès aux services de base, on pourrait se poser des questions sur la légalité de celles-ci et leur nécessité. Nous avons tous en mémoire les sanctions qui ont frappé l'Irak dans les années 1990. Il ne faut pas que l'on répète cette expérience désastreuse ailleurs dans la région.

M. Hugues Saury. - Même si cela ne concerne que 5 % de l'action humanitaire, je souhaite poser une question sur les camps en Syrie et en Irak, lesquels sont constitués en grande partie de femmes et d'enfants. La question du retour en France des enfants français se pose. Certains se sont emparés de cette problématique dénonçant les conditions d'hygiène et de vie exécrables à la limite de la dignité humaine. Disposez-vous d'informations plus précises sur les conditions de vie dans ces camps ? La Croix Rouge a-t-elle les moyens de porter assistance à ces enfants qui ne seront pas tous renvoyés en France ? Le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian a récemment évoqué les liens étroits avec le CICR. Quels sont-ils ?

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Je vous remercie pour votre exposé fait avec beaucoup de respect de la dignité humaine. Le président du CICR - Peter Maurer -a déclaré fin mars que les États devaient faire preuve de courage et que les réfugiés devaient bénéficier d'une procédure judiciaire régulière. A quels États pensait le président ? De quelles procédures judiciaires parlait-il ?

M. Jean-Marie Bockel. - Je vous remercie d'avoir recadré les choses sur Gaza et Israël. Je souhaite revenir sur le Yémen. Vous dites qu'il serait bien qu'un pays comme la France pèse sur les parties au conflit, notamment en matière humanitaire. Qu'en est-il aujourd'hui du cessez-le-feu ? Y a-t-il une réalité ? Qu'en est-il de l'action humanitaire de belligérants comme l'Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis ? Je préside le groupe d'amitié « Pays du Golfe » au Sénat. Ces pays nous indiquent qu'ils sont parties prenantes d'actions humanitaires importantes et nous montrent ce qu'ils font chez eux, ainsi que dans la partie du Yémen où ils sont présents. Qu'en est-il réellement ?

M. Richard Yung. - Vous avez déjà répondu à ma première question portant sur l'eau à Gaza. Vous avez évoqué la neutralité. Comment assumez-vous cette neutralité ? Je la comprends dans votre ligne d'action. Vous avez expliqué que votre axe essentiel est celui de l'humanitaire. En même temps, vous devez discuter avec des gens peu recommandables. Comment faites-vous pour vous assoir à la table avec Daesh, Assad ou d'autres de ces personnes ? N'est-ce pas un peu schizophrénique pour vous-même ?

M. Michel Boutant. - Vous intervenez dans une région essentiellement musulmane. Quelle relation entretenez-vous avec le Croissant Rouge ? Plus largement, comment considérez-vous l'aide apportée par les organisations humanitaires - ou non - islamiques, ainsi que par les pays qui peuvent financer ces organisations ?

M. Olivier Cigolotti. - Permettez-moi de revenir sur la Jordanie, où nous étions il y a quelques semaines. Nous avons eu l'occasion de visiter deux camps : le camp palestinien d'Al Husn, et le camp de Zaatari au nord d'Amman évoqué par mon collègue Gilbert Roger. Ce camp nous a permis de découvrir les problématiques liées aux papiers. Mais nous avons été « agréablement surpris » par la prise en compte des besoins des populations déplacées, qu'il s'agisse des besoins de scolarité, des besoins alimentaires ou en matière de santé, ou encore de prise en compte de la condition de la femme. Lorsque vous évoquiez un retour de ces personnes dans leurs pays, nous avons eu l'occasion d'échanger avec des femmes qui n'étaient pas pressées de rentrer et de retrouver leur lieu de vie antérieur, notamment dans les zones rurales au sud de la Syrie. La Jordanie met à disposition des enseignants ainsi que des services de sécurité. Ce pays fait-il figure d'exception en matière de prise en compte et d'accompagnement des personnes déplacées ?

M. René Danesi. - En 1965, la XXe conférence internationale de la Croix-Rouge a proclamé ses 7 principes fondamentaux : humanisme, impartialité, neutralité, indépendance, volontariat, unité et universalité. Vous avez résumé cela en indiquant que vous parliez avec tout le monde. Toutefois, la Croix Rouge semble avoir du mal à respecter ses principes lorsqu'elle se trouve dans les pays où opère également le Croissant-Rouge. Ainsi, les chrétiens de Syrie se plaignent d'avoir été privés de l'aide humanitaire d'urgence par le Croissant Rouge et par ricochet par la Croix-Rouge, qui paraît-il aurait été écartée très souvent et très délibérément. L'un des témoignages marquants à ce sujet est celui de Monseigneur Jacques Behnan Hindo, évêque catholique syriaque d'Hassaké. Ne peut-on pas mettre en place des moyens de contrôle externe onusiens par exemple sur les organisations humanitaires, afin d'éviter toute discrimination ethnique et religieuse dans l'aide d'urgence ? Y seriez-vous favorable, au nom du principe de l'universalité, même si votre principe d'indépendance devait en souffrir ?

M. Olivier Cadic. - vous avez indiqué que l'action humanitaire est conditionnée de plus en plus souvent à l'action politique. Elle est parfois conditionnée à des enjeux de paix, mais elle peut être aussi instrumentalisée comme partie prenante du conflit. Le CICR a indiqué le mois dernier avoir suspendu ses activités en Afghanistan après l'annonce par les Talibans d'une interdiction d'exercer visant le CICR ainsi que l'OMS. Dans un communiqué, les Talibans vous accusent de ne pas avoir respecté « les accords » entre les deux parties, et pour l'OMS de « mouvements suspects lors d'une campagne de vaccination ». Etes-vous à nouveau en contact avec les Talibans ? Pensez-vous pouvoir reprendre les activités en Afghanistan ? Est-ce que cela vous arrive souvent d'être instrumentalisé de la sorte ?

Mme Christine Prunaud. - Je vous remercie pour votre présentation bouleversante. Il est nécessaire de mettre des mots sur les situations catastrophiques pour nous montrer la réalité du terrain. La France est intervenue en Syrie et en Irak. Or, les guerres n'ont pas stabilisé ces pays. Cela me fait beaucoup réfléchir sur notre action. Vous n'avez pas évoqué la Libye. Nous nous sommes rendus à la frontière libyenne l'année dernière. Je suis inquiète pour les nombreux migrants se trouvant dans des conditions dramatiques. Pouvez-vous circuler dans ce pays, dans le sud notamment ? D'autres ONG que nous avions rencontrées ne pouvaient pas s'y rendre. Ce sont des situations qui sont bouleversantes, car nous sommes responsables pour y être intervenus. Nous devons trouver des solutions.

M. Pierre Laurent. - Je vous remercie pour votre action dans toutes ces zones extrêmement difficiles. Vous avez commencé vos propos par un constat alarmant relatif à l'ouverture d'un nouveau cycle de violence. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui vous fait porter ce jugement ?

Je me suis rendu récemment en Palestine. La situation est dramatique. Nous sommes actuellement dans une impasse politique totale. Quelles sont les conséquences pour les réfugiés de la décision américaine de couper les vivres à l'UNRWA ? Au-delà se dessine le débat sur la redéfinition possible du statut du réfugié. Celui-ci va avoir lieu à l'ONU à l'automne. Les Américains semblent vouloir réduire la portée de la définition et du droit international concernant les réfugiés. Qu'en pensez-vous ?

Mme Gisèle Jourda. - Ma question porte sur les conditions d'exercice de votre mission. Vous êtes au plus près des zones de conflit et sur des théâtres d'opération très dangereux. Au mois d'avril dernier, vous avez publié l'identité de trois personnes enlevées en Syrie. Il semblerait que pour Mme Akavia des signes de vie auraient été donnés. Ces personnes étaient en train d'amener des médicaments vers des unités de soin. Les conditions sont de plus en plus difficiles. Quel que soit le pays ou la zone, les organisations humanitaires ont du mal à déployer leurs actions. C'est le coeur de votre engagement. Nous sommes très respectueux de votre rôle. On sent de plus en plus que les États portent un regard pas toujours bienveillant sur le rôle des organismes humanitaires. Il faut le dire. Qu'attendez-vous de nous parlementaires pour que nous puissions contribuer à vous aider et faire évoluer les accords et les législations internationales en ce sens ? Je suis très inquiète de l'exercice des missions dévolues à votre organisation, mais aussi à d'autres organisations. On les taxe à tort de quelques maux pour pouvoir déployer des actions contestables.

M. Christian Cambon, président. - Il y a quelques mois, un documentaire diffusé notamment sur Public Sénat portait sur l'industrie de l'aide humanitaire. Au cours de ce reportage, le CICR a été mis en cause sur un certain nombre de procédures non respectueuses d'appels à concurrence, les droits individuels de l'homme, l'identification des publics que vous aidez. Quel commentaire pouvez-vous avoir sur cette question ?

M. Fabrizio Carboni - Je vais commencer par la situation très compliquée de ressortissants étrangers se trouvant en Irak et en Syrie et qui sont liés directement ou indirectement à l'État islamique. Pour nous, des principes et un socle fondamental doivent s'appliquer indépendamment de la nationalité des gens. On revient à l'enjeu de stigmatisation des populations. Un cadre juridique doit être respecté. Si les gens ont commis des crimes, qu'ils soient poursuivis, jugés, condamnés et le cas échéant mis en prison. En revanche, il n'est pas acceptable de les maintenir dans des limbes juridiques ou de les soumettre à des mesures qui ne rentrent pas dans un cadre juridique acceptable. Je ferai ensuite une différence d'un point de vue humanitaire entre la Syrie et l'Irak. Dans le nord-est syrien se trouvent ces camps. Ils sont sous contrôle d'un groupe non-étatique (les FDS). Ces groupes se sont battus, également pour des États qui voulaient en finir avec l'État islamique. Pour le CICR, les États qui appuient des intermédiaires sur le terrain ont des responsabilités également sur le comportement actuel et futur de ces groupes. Ils ont ainsi une responsabilité à aider ces groupes à respecter le droit des conflits armés. Dans le cas du nord-est syrien où se situent des femmes et enfants, ainsi que des détenus dont les enfants de plus de 12 ans, il y a une obligation pour tous les États qui ont appuyé ce groupe armé sur le terrain de remplir leurs obligations humanitaires. Le premier article des conventions de Genève est de respecter et faire respecter le droit des conflits armés. Voici le cadre. Pour les ressortissants, cela pose la question de la responsabilité de leurs Etats d'origine. Chaque État a sa propre législation. En tant qu'humanitaires, nous abordons cette question sous un angle différent. Nous voyons la situation de ces personnes dans le nord-est syrien, qui est une zone contestée et pourrait potentiellement être une zone de combat. Nous nous demandons quel est le meilleur pour ces enfants, pour ces femmes, et dans une certaine mesure, pour ces combattants d'un point de vue humanitaire. On a du mal à envisager une solution qui n'implique pas les États, et notamment les États d'origine. Nous avons beau tourner le problème dans tous les sens, nous ne voyons pas de solution. Le camp d'al-Hol est littéralement au milieu de nulle part. L'hiver dernier, une vingtaine d'enfants sont littéralement morts de froid. L'été, les températures vont atteindre les 50 degrés, sur des tentes se trouvant dans des zones dégagées. Ces gens-là ne vont pas s'évaporer - en tout cas je ne nous le souhaite pas. Ils vont rester là. On peut tourner la tête, faire semblant de ne pas les voir, mais ils vont rester. Il n'y a pas de solution qui n'ait pas un coût politique et sécuritaire. Il n'y a pas de solution sans douleur. C'est la raison de l'appel de notre président à faire preuve de courage politique. Il n'y a pas de solution facile. Nous jouons notre rôle. Nous sommes présents dans ce camp. Dans les semaines qui viennent, nous allons y déployer un hôpital de campagne. Nous avons presque une centaine de personnes qui y travaillent. Vous évoquiez le camp de Zaatari. Ce dernier contient 78 000-80 000 personnes. Si on regarde le nombre d'acteurs présents - et qu'on le compare à ceux présents dans le nord-est, c'est sans commune mesure. Je ne pense pas voir Georges Clooney dans le nord-est syrien d'ici peu. Or, nous allons être jugés sur la manière dont nous allons nous occuper de ces personnes. On ne peut pas seulement avoir une réponse de vainqueur. Les populations qui sont liées d'une manière ou d'une autre aux gens présents dans ce camp regardent la manière dont on se comporte. Pour nous qui avons prêché en tant qu'organisation humanitaire ou parfois comme État, certaines valeurs humanitaires comme le respect de l'autre, c'est le moment de vérité. Il est trop facile de prêcher ces valeurs lorsque l'on n'est pas affecté. Je prends l'exemple des enfants. Pendant des décennies, au conseil de sécurité de l'ONU, dans toutes les enceintes internationales, beaucoup d'États ont dit qu'en dessous de 18 ans, les enfants ne sont pas des combattants mais des victimes. Or, aujourd'hui ces mêmes États, eux-mêmes victimes de la violence, se rendent compte qu'ils ont du mal à respecter les principes qu'ils ont prêchés pour les autres. Nous avons déjà été confrontés à cette situation avec les réfugiés. J'étais au Liban lorsque l'on a vu arriver un million de réfugiés en un an. Quelques mois plus tard, il y a une vague de réfugiés se dirigeant vers l'Europe. Je peux vous assurer que comme acteur humanitaire, nous avions du mal à discuter avec les autorités jordaniennes ou libanaises en leur demandant de montrer de la compassion, d'accueillir ces gens, de nous laisser travailler et de laisser les portes ouvertes, lorsqu'en même temps d'autres États fermaient leurs portes, criaient à l'invasion, dépeignaient cette arrivée comme étant la fin de l'Europe. Dans ce camp du nord-est, c'est le même problème. Quant aux solutions, en tant qu'acteur humanitaire, nous enregistrons les enfants, les femmes, les détenus et nous les notifions aux États. Lorsque c'est possible, nous essayons d'organiser leur rapatriement. Mais c'est très compliqué pour des raisons politiques et de sécurité. Nous allons essayer de leur maintenir la tête au-dessus de l'eau, mais nous ne ferons pas beaucoup plus car nous n'avons pas les moyens. La solution est dans vos mains et elle sera douloureuse.

En Irak, la situation est différente. Il y a un État. Mais, et c'est de notoriété publique, l'Irak est confronté à une situation très difficile dans les lieux de détention. Le nombre de personnes détenues est important. La législation prévoit une responsabilité pénale des enfants à partir de 9 ans. Les garanties judiciaires ne sont pas faciles à appliquer. Le cadre juridique n'est peut-être pas assez clair pour permettre aux Etats d'origine d'agir. En tout cas, qu'il s'agisse du cadre humanitaire et sécuritaire, on a le sentiment que le statu quo n'est pas une option et qu'il ne va pas nous aider collectivement. C'est facile à dire. Il faut ensuite trouver des voies d'action qui sont très compliquées ; je le reconnais bien volontiers.

Nos principes sont des principes de valeurs : l'humanité et l'universalité. Nous fournissons de l'assistance à tout le monde. On ne veut pas être neutres, mais être perçus comme neutres. C'est différent. Notre neutralité se fait par rapport aux causes du conflit. En outre, à un moment, il faut que quelqu'un fasse le travail. Lorsque la maison brûle, quelqu'un doit rentrer dans la maison. Il ne va pas commencer à se demander si la personne qu'il évacue est, ou non, responsable de l'incendie. A un moment, il faut y aller. Par ailleurs, et c'est une expérience que tous les délégués du CICR font, le bien et le mal sont des notions assez complexes. En fonction des perspectives, ce qui nous paraît être une évidence ne l'est pas. Avant de prendre mon poste, j'ai été pendant un an au Myanmar au moment de la crise des populations musulmanes. Il y a des divergences de vue significatives et ancrées profondément dans une vision du monde qui est différente de la nôtre. Il y a des moments de schizophrénie, des moments douloureux, pénibles, de frustration, de rage. Mais il y a toujours le sentiment de se dire que si ce n'est pas nous qui intervenons, il n'y aura personne d'autre.

Je ne peux pas m'exprimer sur le cas spécifique de la Syrie, savoir si oui ou non les populations chrétiennes ont été discriminées. Je vais dire que j'ai des doutes sur ce sujet, mais je serai intéressé de poursuivre l'échange avec vous. Je ne crois pas que la dichotomie se situe entre le Croissant-Rouge et la Croix-Rouge. Je prends l'exemple des volontaires du Croissant-Rouge syrien. 67 sont morts en allant sur les lignes de front, porter assistance. Je ne peux pas exclure ce que vous dites, mais je n'ai pas aujourd'hui d'éléments pour vous répondre. La spécificité des sociétés nationales tient au fait qu'elles travaillent avec des volontaires et donc des gens de la communauté. C'est une garantie de connexion à la population. En matière de contrôle, on constate que « les victimes du conflit » s'expriment de plus en plus. Un des changements dans l'action humanitaire est que les personnes que l'on assiste deviennent les experts de leurs besoins. Ils vont pouvoir de plus en plus nous dire ce dont ils ont besoin et de manière précise. Avec ce changement vient une capacité de nous interpeller. Aujourd'hui, il n'y a presque plus d'opérations du CICR qui n'ait pas une ligne téléphonique pour les bénéficiaires. Nous avons aujourd'hui des standards où les gens confrontés à des situations d'abus, de violence ou qui ne sont pas satisfaits peuvent nous contacter. Vous allez peut-être nous dire que l'information ne remonte pas. Nous avons un bureau de contrôle très présent au CICR, même lourd - et à juste titre - afin de contrôler et superviser nos actions. Est-ce parfait ? Sans doute. Y a-t-il des cas où on est passé à côté de quelque chose ? Probablement. Je ne peux pas vous répondre spécifiquement et je suis intéressé pour échanger avec vous sur ce point précis, mais je crois que l'avenir sera de donner davantage la parole aux personnes que l'on assiste.

L'assistance n'est pas faite sur base confessionnelle que ce soit par la Croix-Rouge ou le Croissant-Rouge. Je vais encore régulièrement dans ces zones - au Yémen, en Syrie, en Irak. Je n'ai pas constaté cela. Certes, certains États financent une organisation plutôt qu'une autre. Mais cela arrive aussi aux États occidentaux. Chaque État a sa politique humanitaire et sa liste de contextes prioritaires dans lesquels il veut mettre son argent humanitaire. On constate dans le sud-est asiatique où se déroulent de nombreuses crises humanitaires une diminution de l'argent disponible. Les donateurs traditionnels de l'action humanitaire que sont les Occidentaux ont recentré leurs ressources sur les pays d'où proviennent les réfugiés. On est dans un environnement où l'action humanitaire est politisée. Nous avons le privilège d'avoir une structure financière et une relation avec les Etats qui nous permettent encore aujourd'hui - et espérons que cela dure - de décider où nous investissons notre argent. Si aujourd'hui, nous sommes capables de travailler au Mali comme on le fait, c'est parce qu'il y a dix ou quinze ans, quand personne n'envisageait encore ce pays comme étant potentiellement une source d'instabilité et de violence, nous avons ouvert un bureau à Gao, car nous savions que c'était seulement une question de temps. Si nous avions dû dépendre de l'aide humanitaire des États, on n'aurait jamais pu l'anticiper. Personne ne s'intéressait à l'Afghanistan avant 2001. Nous avons été capables de rester dans ce pays. Cela nous donne la possibilité, certes avec grande difficulté, d'être un acteur important de l'action humanitaire.

Je ne supervise pas l'action du CICR en Afghanistan. Les contacts avec les Talibans sont maintenus. La situation est préoccupante, mais pas plus que d'habitude. Cela fait partie du dialogue et de notre démarche de diplomatie humanitaire. Ce n'est pas plaisant, mais cela arrive souvent ; c'est notre pain quotidien.

Nous sommes présents à Tripoli. Nous avons été à Bengazi. Nous ne partons pas, mais je crois que vous connaissez la situation. De manière générale, en tant qu'humanitaire, il faut rester très humble par rapport au contexte dans lequel on opère. Souvent, nous ne sommes pas la solution. Nous permettons de gagner du temps pour que les politiques trouvent une solution. Ce n'est pas notre seul rôle, mais cela en fait partie.

Je ne peux pas garantir la survenue d'un nouveau cycle de violence, mais je constate seulement que le printemps arabe a été l'expression d'un désarroi des masses. On a beau le recouvrir d'un label islamique ou autre, au bout du compte une grande section de la population demande un peu plus d'accès à la justice, d'avoir son mot à dire au cadre politique, d'avoir un plus grand accès aux ressources économiques ou de bénéficier d'une plus grande égalité dans le traitement. La réponse uniquement sécuritaire apportée ne répond pas à ces demandes. C'est ce qui nous inquiète. On ne s'adresse pas aux causes de base de cette violence. Ce que l'on voit dans les régions que je viens de décrire ce sont des États qui veulent, mais qui n'y arrivent pas seuls. Cela s'exprimera-t-il à travers un conflit armé ou d'une autre manière ? Il est probable, mais non certain, qu'il y ait à un moment ou un autre de nouveaux cycles d'expression de cette frustration.

Quant au reportage évoqué, je ne l'ai pas vu. Mais je peux vous dire qu'il y a de très nombreux audits internes et externes de nos comptes, de nos appels d'offres. J'entends nos collègues de la logistique se plaindre de la longueur des appels d'offres. Je ne sais pas ce qui a été dit dans ce documentaire, mais je doute que ces critiques soient fondées. Certes, il y a toujours des moyens de s'améliorer et on trouvera toujours des problèmes, car on ne travaille pas dans des pays comme la Norvège ou la Suède. Il est probable que l'on puisse trouver, sur l'ensemble des opérations, quelques malversations. Mais tous les mois, nous recevons du bureau de contrôle notre liste d'enquêtes et de sanctions.

M. Régis Savioz, chef de délégation régionale du CICR à Paris - Je pense que le CICR a parmi les contrôles financiers les plus sophistiqués de toutes les organisations humanitaires au monde. Aujourd'hui, regardez qui est capable d'opérer physiquement en Syrie et de contrôler ce qu'il est en train de faire. Vous constaterez facilement qu'il y a une organisation qui passe les lignes de front, avec des négociations dans la durée qui ont été extrêmement difficiles avec les autorités syriennes.

Je souhaite revenir sur vos interrogations concernant la Croix-Rouge et le Croissant-Rouge. Je pense que toute la beauté de ce mouvement est d'avoir des composantes internationales qui permettent d'amener cet élément de neutralité et d'impartialité là où les situations sont les plus difficiles. Il faut reconnaître qu'être auxiliaires des pouvoirs publics n'est pas une tâche facile. Cela fonctionne très bien en Suisse, mais c'est beaucoup plus difficile quand cela commence à chauffer. Je ne veux souhaiter à personne que cela arrive en Europe. Lorsque vous vous retrouvez demain avec votre voisin qui tire sur votre voisine, la neutralité devient très compliquée à maintenir. C'est là où une organisation comme le CICR qui n'a pas d'intérêt politique dans ce qui est en train de se passer fait une différence énorme. Cela nous permet de passer les lignes de front.

Les principes ne servent à rien s'ils ne peuvent pas être appliqués dans l'action. J'ai été un jeune délégué en Afghanistan. Les Talibans me disaient que toutes les personnes arrivant en Afghanistan se disaient neutres, impartiales, y compris les armées. Dès lors les Talibans observaient pour voir qui apparaissait neutre et impartial. Ils nous ont identifiés en tant que tel. Ces négociations, nous les avons avec tout le monde. Des fois, nous sommes confrontés à des dilemmes. Nous aimerions aider toutes les populations et le principe de neutralité nous dit que nous devrions le faire. La réalité est qu'un groupe nous dit que nous ne pourrons pas mettre les pieds dans telle zone sous peine de se faire tirer dessus. Est-ce qu'on laisse mourir les personnes d'un côté de la ligne de front, parce qu'on nous refuse l'accès de l'autre côté ? Ce sont les dilemmes de la Syrie. Les besoins sont tellement énormes. Nous ne sommes peut-être pas dans l'impartialité théorique pure, mais nous devons essayer d'agir d'une manière ou d'une autre pour ramener ce minimum d'humanité. En revanche, je peux garantir que nous n'avons pas délibérément non agi dans une zone. Notre président s'est rendu de très nombreuses fois sur place, a négocié pour obtenir le droit d'intervenir dans des zones plus larges. Nous visitons aujourd'hui des prisons en Syrie. Cela ne s'est pas fait en deux jours, mais a nécessité d'atteindre un niveau de confiance. La négociation est permanente. Trois mois de négociation ont été nécessaires à notre chef de délégation précédent pour entrer à Homs, pour se faire ensuite tirer dessus dans la voiture de tous les côtés et au final pour pouvoir y livrer des médicaments.

Enfin, il ne faut pas croire que les violations du droit international humanitaire viennent simplement des groupes radicaux non étatiques. Il faut sortir de ce schéma. Lorsque l'on voit les destructions massives évoqués par Fabrizio Carboni, cela va au-delà de ces seuls groupes.

Si vous regardez les budgets du CICR, vous constaterez que, sur les dix dernières années, nous avons un taux de réalisation au-delà de 90%. Cela signifie que nos budgets ne sont pas faits en fonction des besoins. On pourrait avoir un budget dix-huit fois plus élevé pour la Syrie. Cela n'est pas le cas, car nous sommes conscients que nous n'aurions pas les moyens humains, ni les accès et la sécurité pour dépenser ces sommes. Les budgets du CICR représentent la réalité telle que l'on peut l'analyser et prennent en compte notre capacité réelle à agir. Il y a aujourd'hui un écart entre besoins et réponse humanitaire qui n'arrête pas de croître. Cette problématique me fait penser à ce que disait un général de l'armée française : gagner la guerre, tout le monde sait plus ou moins faire ; en revanche gagner la paix est beaucoup plus compliqué. Si les principes de base du droit humanitaire, la dignité et l'humanité ne sont pas injectés dès le début de l'intervention militaire, on ne gagnera pas la paix. On va créer de nouveau ces tensions dans les populations qui par définition se sentent stigmatisées et rejetées. Elles n'auront pas d'autres solutions que de réagir par plus de violence. Le mot central est l'humilité. Votre proposition de contrôle par les Nations unies n'est pas réaliste. Les Nations unies n'ont aucun moyen de faire une quelconque vérification de ce qui se passe dans les territoires contrôlés par l'État islamique. On a réussi à créer des liens de confiance suffisants afin qu'il nous laisse l'espace pour pouvoir travailler. Le conflit syrien a mis en avant de manière très spectaculaire les dilemmes auxquels nous sommes confrontés au quotidien.

M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie pour votre témoignage fort sur l'action du CICR. A l'issue de cette audition et des questions qui vous ont été posées, vous voyez l'intérêt que nous portons à votre action. Si l'on se sent souvent assez impuissants lors de nos visites, la moindre des choses est d'être au courant de ce qui se passe vraiment et de ce que vous y faites. Vous avez illustré le fait que la dimension humaine est au coeur de votre action en dehors de toute considération politique. Nous avons également entendu le message d'humilité. Nous avons souvent tendance à regarder le conflit avec des grilles de lecture selon notre sensibilité. Il est important qu'au milieu de ces drames il y ait un organisme qui ne s'occupe que du bien-être des populations. Je ne peux que vous assurer de notre soutien à votre action, ainsi que la nécessité de nous tenir informés. Très souvent, dans un conflit les informations sont partielles. Ainsi, lorsque nous interrogeons nos collègues israéliens, ils nous demandent à quoi va servir l'argent donné aux Palestiniens si ce n'est pour acheter des roquettes. Immédiatement, nous rentrons dans la dialectique du conflit. Or, vous n'y entrez jamais, et c'est important. Nous avons vu les attentes de celles et ceux qui viennent nous voir et nous demandent que la France parle, notamment en Syrie. Nous avons discuté longuement du fait que la France refuse d'avoir une représentation diplomatique car cela serait déjà un signe de reconnaissance et de dialogue. Contrairement à ce que font d'autres pays, la France devrait-elle se décider enfin à avoir une représentation afin d'être sur place et mieux appréhender les choses ? Voilà les sujets qui nous sont posés. L'ensemble de nos interrogations ont montré - je l'espère - notre intérêt pour ces sujets.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Louis Gautier, ancien SGDSN, chargé d'une mission sur la défense de l'Europe

M. Christian Cambon, président. - Monsieur le Secrétaire général, merci d'avoir accepté notre invitation. Je rappelle que vous êtes conseiller maître à la Cour des comptes et que vous avez exercé l'éminente fonction de Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale de 2014 à 2019. À ce titre vous avez joué un rôle clef dans la coordination, la préparation et la mise en oeuvre des mesures de défense et de sécurité sur le territoire national ; la montée en puissance de la cyber-défense et la problématique des exportations d'armement. Vous aviez été notamment au coeur des négociations pour clore l'affaire de la vente des BPC Mistral à la Russie.

Vous avez été chargé l'an dernier par le Président de la République d'une mission sur la défense européenne. Vous lui avez présenté en mars dernier votre rapport, qui s'intitule : « Défendre notre Europe. Vers une union de la sécurité et de la défense ».

Tandis que nous venons de célébrer le 70ème anniversaire de l'OTAN, le contexte stratégique n'a cessé de se dégrader. En effet, le terrorisme demeure une menace de tous les instants ; les tensions avec la Russie suscitent de fortes inquiétudes chez nos voisins de l'Est ; la Turquie est un partenaire de plus en plus difficile. Enfin, bien sûr, l'attitude des États-Unis est préoccupante et difficilement prévisible.

Tout ceci pose la question de l'architecture de sécurité en Europe. Certes, l'Union européenne tente de s'affirmer dans le domaine de la défense, avec des instruments tels que la coopération structurée permanente et le Fonds européen de défense. Est-ce un réel tournant ? L'Europe court par ailleurs le risque de la diffraction, avec le Brexit. Elle perd une énergie considérable pour défaire l'existant, alors qu'il faudrait aller de l'avant. Comment allons-nous intégrer nos amis anglais au terme du Brexit ?

Alors que la relation franco-allemande doit être un axe majeur de la défense de l'Europe, les sujets de frictions ne manquent pas avec nos voisins d'outre-Rhin, s'agissant notamment des exportations d'armements. Peut-être pourrez-vous nous en dire un mot, puisque c'est un sujet que vous connaissez bien.

Quelles sont vos préoccupations et vos préconisations pour la défense de l'Europe ; thématique qui a été placée à notre ordre du jour durant cette année 2019 ? Comment ont-elles été accueillies par le Président de la République ?

Nous sommes très heureux de vous entendre sur ces sujets essentiels, trop peu présents dans la campagne pour les élections européennes alors qu'ils sont déterminants pour l'avenir de l'Europe et que les États membres et les institutions européennes devront s'en saisir très rapidement, pour donner un contenu concret aux déclarations de principe du sommet de Sibiu.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur le site internet du Sénat. Sans plus attendre, je vous passe la parole.

M. Louis Gautier, ancien SGDSN, chargé d'une mission sur la défense de l'Europe.- Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je me réjouis d'intervenir devant vous sur mon rapport et de répondre à vos questions. Je sais que votre commission, dont j'ai rencontré les rapporteurs, travaille également sur le sujet de la relance de la défense européenne. À la suite de la mission que le Président de la République m'a confiée en avril 2018, j'ai rendu, le 10 octobre dernier, une note d'étape contenant des conclusions intermédiaires et éclairant les enjeux du dernier trimestre de 2018 et du premier semestre de 2019 qui marquaient la fin des travaux de l'actuelle Commission européenne.

Le 6 mars dernier, j'ai rendu un rapport définitif au Président de la République. Ce rapport, sorte de boîte à outils, comporte 91 propositions qui font aujourd'hui l'objet d'un approfondissement interministériel au terme duquel une feuille de route devrait être dégagée. Vous comprendrez cependant qu'il ne m'appartient pas de m'engager sur un travail qui est en cours et que je veille à ne pas gêner d'éventuelles négociations diplomatiques sur un certain nombre de sujets.

J'en viens aux constats à partir desquels j'ai construit ma réflexion. Le premier concerne la dégradation du contexte de sécurité internationale et de notre environnement stratégique proche, c'est-à-dire européen. On a vu revenir vers l'Europe un certain nombre de conflits. Ainsi, avec la situation en Géorgie, en Ukraine et en Syrie, le spectre de la guerre s'est rapproché de l'Europe, alors qu'on pensait que la chute du Mur de Berlin marquait la dissipation de telles menaces. Or, ces conflits concernent principalement les Européens. Outre le terrorisme, des menaces sont apparues dans les domaines comme  le cyber et l'espace, alors que se confirme la fragilité du modèle démocratique européen suite aux pressions d'autres systèmes de valeur et au caractère dysfonctionnel de son système institutionnel. Divisés, les Européens seront les grands perdants du système international du XXIe siècle, faute d'avoir fait l'effort de définir leurs intérêts collectifs en même temps que leurs valeurs ; ce qui n'est pas, d'ailleurs, sans interroger la crédibilité de leur outil militaire et de leur cohésion diplomatique. En l'état actuel, l'Union européenne serait incapable de faire face, dans de bonnes conditions, à une crise majeure.

Je ne reviendrai pas non plus sur l'outil militaire européen qui est collectivement en attente d'être rationalisé, comme l'indiquent les chiffres suivants : si le montant global des budgets militaires européens s'élève à 230 milliards d'euros, soit un montant supérieur au budget militaire de la Chine et équivalent à trois fois le budget militaire de la Russie, l'absence de rationalisation de ces moyens à l'échelle européenne conduit à l'accumulation de capacités ou à des obsolescences, tout en aggravant des carences problématiques. L'ensemble de ce constat a d'ailleurs été lucidement tiré par le Président de la République, dans son discours de la Sorbonne du 26 septembre 2017 et auparavant, par toute une série de documents émanant de l'Union européenne, comme la stratégie globale, le discours sur l'état de l'Union du Président Juncker et son plan, les conclusions sur l'avenir de la défense européenne de 2017, ainsi que le traité franco-allemand du 22 janvier dernier ; tous ces éléments réaffirmant la nécessaire cohésion de l'Union européenne face aux défis de la sécurité.

Néanmoins, une dynamique significative, durant ces deux dernières années, a notamment donné lieu aux deux projets structurants que vous avez cités ; le Fonds européen de défense (FEDef) - c'est en effet la première fois que des crédits communautaires sont mobilisés pour le financement de l'effort de défense - et le Système de combat aérien du futur (SCAF), dont dépend l'avenir de nos industries aéronautiques. Outre les 13 milliards d'euros de crédits communautaires prévus pour le FEDef, 35 milliards d'euros seront au total consacrés à l'espace, au cyber, ainsi qu'à la mobilité. Il y a manifestement un changement de donne sur ce sujet.

Ces effets très positifs doivent cependant être revus à la lueur de la dégradation continue de la situation stratégique des Européens, notamment suite à divers événements : la dénonciation de l'Accord de Vienne, le désengagement diplomatique américain sur le théâtre syro-irakien, le retrait du traité sur les forces nucléaires intermédiaires, la prolifération de nouvelles gammes de missiles, l'intensification des menaces cyber et, enfin, le démantèlement de l'architecture européenne de sécurité. Tous ces événements conduisent à questionner, en retour, la capacité des Européens à structurer leur paysage stratégique. L'Europe doit ainsi réagir dans un environnement qui ne lui est pas favorable et il faut se demander si les moyens financiers mobilisés permettent à eux seuls de faire progresser la défense européenne.

Dans le passé, nous avons connu des dynamiques similaires, comme lors des Accords de Maastricht en 1992, les Accords de Saint-Malo en 1998, ou encore la réintégration de la France dans le commandement militaire intégré de l'OTAN et le Traité de Lisbonne en 2007. Le trop plein d'initiatives explique-t-il l'absence de réussite de telles dynamiques ? Sans doute faut-il interroger la méthode fonctionnaliste sous-jacente à ces projets, ainsi que le bienfondé d'une démarche limitée au volet capacitaire. Au stade où en est le projet européen, la définition de moyens communs conduit-elle nécessairement à l'élaboration d'une politique commune ? Peut-on réellement considérer que la politique de « Pooling and Sharing » capacitaire prônée par l'Agence européenne de défense aboutit à une politique de défense et de sécurité européenne ? Ces sujets touchent au coeur de la souveraineté et ne peuvent prospérer sans un accompagnement politique. D'autant que les politiques de souveraineté sont partiellement en crise : la zone Euro a été ébranlée par la crise de 2008 et le domaine Schengen du contrôle des frontières a connu des crises qui concernent plus particulièrement le volet régalien partagé. Ainsi, sans renforcer les logiques internes de l'Union européenne, celle-ci aura du mal à progresser dans les domaines de la sécurité et de la défense.

Au fond, si l'Europe doit être bâtie en fonction du monde et non de conceptions autocentrées, la défense européenne doit répondre à la nécessité, pour les Européens, de s'affirmer stratégiquement dans un contexte où les rapports de forces reprennent droit de cité au détriment du multilatéralisme. En ce sens, l'Union européenne doit évoluer d'une gestion de la norme à celle, plus politique et difficile, des événements que sont les crises et les conflits internationaux.

À un tel contexte s'ajoute la dégradation de la situation intérieure de l'Union européenne durant ces derniers mois, suite notamment à des dissensions internes sur la gestion de certains dossiers, au fait que les coalitions politiques dans la plupart des capitales européennes ne sont pas assurées de leur stabilité et que les priorités nationales sont renforcées dans la plupart des agendas politiques nationaux. Les prochaines élections européennes et leurs conséquences institutionnelles, tout comme les vicissitudes du Brexit, avivent également cette incertitude. Tout cela tend à minimiser l'importance d'un effort en faveur de la défense européenne. Or, en 2019 et en 2020, nous nous trouvons dans un moment critique pour la réussite de projets déjà sur la table et à un tournant historique, en raison des défis stratégiques qui se posent aux Européens.

La seconde étape de notre démarche a été de proposer certains éléments de précaution, des clarifications utiles et des préconisations. Trop d'ambition parfois effraie ! C'est pourquoi rejoindre l'horizon d'attente de nos partenaires pour le faire évoluer, dans le sens d'une augmentation des objectifs et des ambitions, me semble être une démarche plus raisonnable. De ce fait, nous avons tout intérêt à utiliser le langage des traités qui fournit des repères communs à l'ensemble des Européens, quitte à nous déprendre de la grande inventivité conceptuelle et sémantique qui est la nôtre. En réalité, ce sont moins les mots qui comptent que le contenu qu'on leur donne ; celui-ci devant être commun à nos partenaires. Évitons ainsi de discuter sans relâche de la terminologie !

S'agissant des clarifications, il faut préciser l'articulation entre l'Union européenne et l'OTAN, afin d'éviter les éventuelles disputes sur les questions qui lui sont relatives, alors qu'a priori, celles-ci ne devraient avoir aucune raison d'être. Les relations franco-allemandes doivent également être clarifiées. À ce sujet, j'évoquerai le titre du livre d'André Fontaine : « Un lit pour deux rêves ». La relation avec Berlin doit être privilégiée, car elle est structurante. Elle ne doit pour autant être ni exclusive ni dominée par une forme d'exaltation qui conduirait à identifier toute divergence comme une dégradation importante. D'ailleurs, les Français et les Allemands se sont toujours accordés, lors des situations difficiles qui ont scandé l'histoire du projet européen.

Les relations franco-britanniques ont quant à elles été rendues très difficiles avec le Brexit. Elles doivent être redéfinies, tout en rappelant que le Royaume-Uni reste un partenaire de défense essentiel avec lequel nous partageons de nombreuses compétences opérationnelles. Nous avons, par ailleurs, nos propres lignes rouges à établir dans le domaine de la dissuasion, et des précautions à prendre en matière de patrimoine technologique, de maintien de notre capacité propre de renseignement, ainsi que d'évaluation, de conduite et de planification opérationnelle.

Notre recommandation générale consiste à amorcer un processus graduel visant au partage des tâches. Certes, la France était en tête de pont sur le plan opérationnel, avec les conflits du Mali, de la Syrie et de l'Irak et sur le plan institutionnel, en assurant la direction française de l'Agence européenne et de l'état-major de l'Union européenne. Dès lors, la visibilité manifeste de la présence française à la tête d'organismes européens a pu nourrir l'idée, chez les autres États-membres, d'une moindre volonté de la France d'inciter à l'effort collectif de défense.

En outre, l'OTAN est reconnue comme l'organisation chargée de la défense collective et joue un rôle en matière de standardisation des équipements et d'interopérabilité. Quelles que soient les instances, - l'Union européenne, l'OTAN ou des coalitions de circonstances -, ce sont les mêmes capacités et la même vision qui l'emportent en matière d'engagement des Européens. Ne faisons pas de cette question un sujet polémique : l'autonomie de la défense européenne ne signifie pas l'autonomisation par rapport à l'OTAN ! Il ne faut pas pour autant hériter d'un carcan otanien qui empêcherait les Européens de se concentrer sur un certain nombre de scénarios de crise qu'il leur faudra gérer seuls, à l'instar de certaines situations qui l'ont été, dans le passé, par des coalitions ou des nations-cadres.

Aussi, le volet capacitaire de l'Union européenne est aujourd'hui le plus porteur. Il doit être conforté dans les prochains mois grâce à l'installation de nouvelles instances, comme le FEDef. Cependant, une vision strictement capacitaire est insuffisante : si la défense européenne n'est pas fondée sur une doctrine militaire, comment opérer des choix capacitaires dé-corrélés des enjeux opérationnels ? Le dimensionnement des capacités militaires européennes doit couvrir tout le spectre des opérations possibles et rendre possible la gestion de crises touchant le cyber, les infrastructures critiques européennes et la sécurisation des frontières. La capacité à intervenir à la périphérie de l'Union doit également être privilégiée. Or, aujourd'hui, ces différents domaines d'intervention ne bénéficient même pas d'un portage, fût-il institutionnel, au sein de l'Union européenne !

Il est logique, tant au niveau militaire que diplomatique, que l'Union européenne soit en capacité de conduire un certain nombre d'actions, que ce soit en termes de prévention de conflits, de surveillance d'espace, d'interposition et d'évacuation de ressortissants. Cependant, on constate désormais une carence en matière d'évaluation, de planification et de conduite d'opérations qu'il faut corriger en rapprochant mieux les capacités existantes du pilier civil et militaire. L'implication de l'Union européenne doit se faire au coeur du continuum de sécurité et de défense afin de mieux réagir à des crises comme celles que nous avons déjà connues, à l'instar des menaces cyber ou du franchissement de nos frontières par les migrants. Aussi, de telles situations ne s'inscrivent pas dans l'ordre du possible, mais ont déjà souligné les grandes difficultés des États à se coordonner pour y répondre. Toute une série d'éléments de transversalité manquent ainsi, à commencer par le fondement d'une culture commune, en matière de protection des données notamment. Pour preuve, la protection du secret diffère entre les instances européennes ! Comment, de ce fait, avancer dans le partage capacitaire sans disposer d'une culture commune de la protection des données ?

Sur le capacitaire, il est nécessaire de fixer une gouvernance et d'être attentif à la convergence des processus décisionnels entre ce qui relève de l'intergouvernemental et du communautaire, et veiller au rapprochement de certaines instances, comme l'Agence européenne de défense, l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAR) et le FEDef. Il faut également organiser, lors des échanges entre les États et ces différents organes européens, une planification reposant sur l'identification des besoins en équipements militaires. Cette démarche doit néanmoins viser au renforcement de la compétitivité européenne et non nourrir une compétition fratricide. Pour la France se pose en particulier la problématique d'accompagnement de ses petites et moyennes entreprises et industries (PME-PMI) qui doivent être accompagnées pour s'insérer dans ce jeu européen.

À partir de ces réflexions, le rapport formule 91 recommandations concrètes organisées en fonction de grands axes. Il ne s'agit pas de proposer de grand soir institutionnel, mais de promouvoir la cohérence et la convergence des agences existantes. Notre rapport ne prévoit pas non plus de réviser les traités ni d'ouvrir un chantier juridique. En revanche, à l'instar de ce qui s'est produit pour la création du FEDef, il s'agit d'interpréter de manière différente les articles existants - notamment les articles 41, 42-7, 44 et 222 du Traité européen -, sans pour autant négliger certains aménagements, s'agissant notamment de notre relation avec le Royaume-Uni. Encore faut-il y joindre le calendrier, nécessairement plus long, de la négociation juridique pour parvenir à une construction politique viable.

Le rapport repose sur cinq axes, dont trois sont repris des documents de l'Union. Le concept d'union de sécurité et de défense est largement partagé parmi les 27. Déjà cité par Jean-Claude Juncker et nos partenaires allemands, il se décline en plusieurs volets : l'affirmation stratégique, la protection des frontières et des citoyens de l'Union, la capacité de réaction aux crises, l'amélioration des capacités militaires tout autant que la formulation d'une politique industrielle visant à consolider la base technologique et industrielle des Européens. À partir de là, les 91 propositions sont alors structurées en trois axes : le premier est celui de l'anticipation, qui implique la juste évaluation des menaces, la programmation des moyens et la définition d'outils communs nécessaires ; le second, celui de l'autonomie ; le troisième, enfin, celui de l'articulation et la cohésion institutionnelle. Le rapport propose en outre un calendrier. N'oublions pas que l'année 2020 sera celle de tous les dangers !

Il est ainsi nécessaire d'apporter une crédibilité aux projets en cours, en s'assurant notamment des montants et de la gouvernance du FEDef. Une séquence importante se jouera, avec les présidences allemande et française de l'Union européenne, qui interviendront respectivement en 2020 et 2022. Aussi, une feuille de route, partagée avec nos partenaires européens, permettrait de faire avancer les projets en cours et d'assurer la réalisation d'un certain nombre de propositions contenues dans le rapport. Enfin, à plus long terme, soit d'ici à 2027, le rapport propose des aménagements plus substantiels.

M. Christian Cambon, président. - Merci, Monsieur le Secrétaire général, de votre présentation très dense qui remet en perspective les différents problèmes. Je suis sensible au souhait partagé de ne pas entretenir de fausses querelles. Or, les Français ont parfois à coeur d'en initier, à l'instar de celle provoquée par le Président de la République, lors de son annonce de la création d'une « armée » européenne qui n'a pas toujours été bien reçue par nos partenaires européens...

M. Louis Gautier.- Dans le même temps, ces sujets sont décisifs pour le destin de l'Europe et il est difficile de les faire partager au-delà du nécessaire débat d'experts, a fortiori lors du débat électoral européen. Comment s'assurer de leur appropriation démocratique ? Cette difficulté n'est donc pas nouvelle.

M. Ronan Le Gleut. - Monsieur le Secrétaire général, comme vous l'avez rappelé, nous avons eu l'occasion de vous auditionner dans le cadre de la rédaction de notre rapport sur la défense européenne. Ma question portera sur la cohérence à créer en matière de besoins capacitaires entre l'Union européenne et l'OTAN. Il y a en effet un risque de redondance entre le processus OTAN de planification de défense (NDPP) et le plan de développement capacitaire européen (CDP). De la même manière, il est nécessaire d'établir un dialogue permanent entre l'Agence européenne de défense et la Science and Technology Organisation de l'OTAN. Cette mise en cohérence et ces éléments figurent-ils parmi vos 91 propositions ?

Mme Hélène Conway-Mouret.- La France a choisi l'Allemagne comme partenaire privilégié, comme l'illustrent le Traité d'Aix-la-Chapelle et les régulières rencontres de nos ministres de la défense respectives, ainsi que les programmes phares de construction de l'avion et du char du futur. Mais lorsqu'on prend le temps de parler aux décideurs à Berlin, comme nous l'avons fait avec mon collègue Ronan Le Gleut, il apparaît que cette entente cordiale n'est pas si forte et que la confiance doit être consolidée, tant du côté allemand que français. En novembre dernier, vous avez déclaré que 2019 serait une année cruciale pour la défense européenne. Notre rapport présentera un certain nombre de propositions. S'il est vrai que l'Europe de la défense ne va pas se construire à deux, avec qui et comment pouvons-nous affirmer nos intérêts stratégiques européens ? Pour que cette Europe fonctionne, - même si la France est à l'origine de propositions, pas toujours comprises par nos partenaires -, comment mieux coordonner ce qui existe ? La création d'un commissaire européen affecté à la défense et d'une direction générale destinée à coordonner l'ensemble des projets soutenus par le FEDef vous parait-elle pertinente ?

M. Cédric Perrin. - Vous avez évoqué la consolidation de la Base Industrielle et Technologique de Défense et de sécurité (BITDS) européenne, que nous approuvons. En revanche, la BITDS française nous importe également, notamment le soutien à nos PME et à nos entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui agissent, pour le moment, de façon disparate, à l'inverse de leurs homologues allemandes qui sont plus organisées. Il est capital de coopérer au niveau européen, faute de quoi nous perdrons toute capacité en matière aérienne ou terrestre. Les projets qui sont en cours sont importants. Pour être concurrentiel, il faut être crédible ; et pour être crédible, il faut obtenir une taille critique suffisante. Or, pour y parvenir, encore faut-il exporter ! Or, à l'occasion d'une réunion avec nos collègues allemands, j'ai souligné que le préalable à toute coopération industrielle en matière de défense impliquait un accord pour l'exportation de nos produits. Sans exportation, comment rendre rentable le drone européen, alors que son concurrent américain est immédiatement vendu à l'US Air Force ? Quelles préconisations faites-vous en la matière dans votre rapport?

M. Olivier Cigolotti. - Entre les expressions d'Europe de la défense et de défense de l'Europe, l'interprétation est ténue. L'Europe de la défense se fait non seulement aux frontières de l'espace européen, mais aussi à plusieurs milliers de kilomètres. L'actualité dramatique de ces derniers jours nous rappelle d'ailleurs qu'elle se fait notamment en Afrique de l'Ouest. Sans revenir sur les difficultés du G-5 Sahel à remplir sa mission, vous avez évoqué la coopération franco-allemande et la nécessité pour les Européens de s'affirmer stratégiquement. Or, en Afrique de l'Ouest notamment, nous avons l'impression que la France, dont les militaires accomplissent un travail remarquable, est un peu seule. Quelle est votre vision de la stratégie à suivre sur cette question ?

M. Jean-Marie Bockel. - Je reviendrai sur la piste des coopérations renforcées et ainsi sur l'Europe de la défense, ou la défense européenne, qui doit être à géométrie variable. Une coopération existe déjà en matière industrielle. Comment, selon vous, la renforcer ? Enfin, sur les conséquences du Brexit, dans le contexte actuel, peut-on aller plus loin sans les Britanniques ? À mon avis, non !

M. René Danesi.- Le Président Macron a présenté, à plusieurs reprises, la défense européenne comme l'unique réponse aux menaces extérieures. Or, pour la grande majorité des membres de l'Union, cette Europe de la défense doit être inscrite dans les plans géopolitiques des États-Unis d'Amérique. C'est pourquoi, toute l'infrastructure militaire de l'Allemagne est adaptée au fonctionnement de l'OTAN et à lui seul. Si l'Europe de la défense ne peut être indépendante de l'OTAN, quel est son intérêt pour la France ? Autre problème : la modernisation permanente et, in fine la doctrine de la dissuasion nucléaire française qui est au coeur de la souveraineté de notre État. La France est-elle prête à partager celle-ci avec ses voisins ? En outre, la collaboration militaro-industrielle apparaît problématique : ainsi, le porte-avions franco-anglais est resté à l'état de vague projet et il s'avère difficile de tracer la feuille de route du char d'assaut franco-allemand  que souhaite le Président de la République. Le Général Jean-Pierre Bosser, chef d'état-major de l'armée de terre, nous a d'ailleurs rapporté les paroles de ses interlocuteurs allemands qui revendiquaient comme spécialités le blindage, le moteur, le canon et les chenilles  et laissaient ainsi généreusement aux Français les accessoires. Or, le Général de Gaulle rappelait fort bien qu'il n'est pas de politique qui vaille en dehors des réalités. Comment des réalités comme celles que je viens d'évoquer - et qui sont loin d'être les seules - pourront-elles, selon vous, être résolues, un jour même lointain ?

M. Gilbert-Luc Devinaz.- Il y a treize ans, dans votre ouvrage « Face à la guerre », vous déclariez : « Il n'y a pas d'avenir pour les forces nucléaires françaises à terme, sans un cadre stratégique européen, ni sans intégration au niveau stratégique de la défense européenne ; la dissuasion française va inéluctablement en se périmant. » Avec le recul, avez-vous toujours le même avis et si tel est le cas, comment voyez-vous évoluer l'idée du parapluie nucléaire français pour l'Europe ?

M. Christian Cambon, président. - Ce point a d'ailleurs été évoqué par un dirigeant allemand, il y a peu.

M. Jacques Le Nay.- Comment la cyber-défense s'inscrit-elle dans la stratégie globale de défense et de sécurité de l'Union européenne ? Comment peut-elle également s'intégrer dans un dispositif permettant de renforcer la solidarité et l'efficacité des forces européennes ? Ce point est essentiel comme l'on connaît les conséquences des cyber-attaques lors du conflit entre la Russie et l'Ukraine.

M. Pascal Allizard. - La différence entre la défense de l'Europe et l'Europe de la défense peut paraître ténue, surtout si l'on ne connaît pas ce sujet. C'est pourquoi il importe de mettre en oeuvre une pédagogie renforcée. Je demeure perplexe quant au partenariat avec l'Allemagne. En effet, la société Rheinmetall investit en Grande-Bretagne en rachetant BAE Systems pour la conception et la construction de véhicules militaires et cherche à prendre le contrôle de KNDS en France. L'avenir du SCAF ne va-t-il pas être obéré par le complexe militaro-industriel germanique ? C'est sans doute également la conséquence de la problématique allemande de la défense, dont nous connaissons l'origine et que nous pouvons comprendre. Les blocages à l'export représentent, me semble-t-il, un frein majeur à la coopération. N'est-ce pas là, au final, un marché de dupes, susceptible d'être ainsi résumé : l'Allemagne fabrique et facture, tandis que la France tire et, de temps à autre, pleure ses morts. En outre, j'ai plutôt le sentiment que le Brexit est un élément favorable au renforcement de la coopération avec les Britanniques, et notamment dans le secteur nucléaire. Il faudrait ainsi corriger cet effet de myopie vis-à-vis de l'Allemagne et renforcer notre position vis-à-vis de la Grande-Bretagne.

M. Yannick Vaugrenard.- Le chiffre de 230 milliards d'euros que vous avez évoqué au début de votre audition m'a frappé. Les budgets de la défense des pays de l'Union additionnés représentent un montant supérieur au budget militaire de la Chine et plusieurs fois celui de la Russie ! Un deuxième élément que vous avez souligné dans votre intervention me paraît lui aussi majeur : il s'agit de l'instauration, le mois dernier, du FEDef susceptible d'aider à la réduction de notre dépendance aux importations et aux exportations. Vous nous avez également rappelé que trop d'ambition effrayait. Certaines déclarations faites au plus haut niveau peuvent avoir un effet contraire à celui recherché. Il est important pour nos populations que l'ambition soit tempérée par le réalisme. Or, celui-ci impose aujourd'hui de considérer qu'une armée européenne ne correspond pas à la réalité objective, notamment politique. Ne faut-il pas plutôt proposer une politique de petits pas dans les réalisations, dans les domaines de la coopération industrielle, du renseignement et de la cyber-sécurité, voire dans le domaine spatial ou dans la protection des frontières, plutôt que de se fixer de grands objectifs inatteignables à très court terme ?

M. Christian Cambon, président. - Comme le démontre d'ailleurs la coopération franco-belge sur le véhicule Scorpion qui permet l'interopérabilité totale de la formation et des équipements ?

M. Olivier Cadic.- Nous sommes confrontés à une force qui a pour objectif de dominer le monde d'ici 2050. Quelle est notre vision à long terme et notre stratégie pour faire face à la politique de la Chine qui est prévue pour les trente années qui viennent ?

M. Louis Gautier.- Sur les problématiques de cohérence capacitaire, le rapport insiste sur la nécessité d'articuler l'Union européenne à l'OTAN de manière précise. Certains textes, à l'instar des deux accords co-signés par le Secrétaire général de l'OTAN, le Président du Conseil européen et le Président de la Commission européenne, y concourent. Autant au plan capacitaire, la structuration du processus de décision est assurée au niveau de l'OTAN ; autant c'est loin d'être le cas dans l'Union européenne, s'agissant notamment de ceux qui vont devoir identifier les priorités dans le catalogue capacitaire - en précisant les rôles respectifs de l'état-major européen et de l'agence européenne de défense- avant que le FEDef ne soit en mesure de lancer des appels d'offres sur une feuille de route. Un tableau de notre rapport l'illustre : les calendriers de chacune de ces institutions sont, en termes de restitutions, en décalage. Il est donc nécessaire d'accorder, en priorité, le processus européen avant de l'articuler à celui de l'OTAN. Cette démarche renvoie aux choix, non seulement capacitaires, mais aussi technologiques et d'approvisionnement, que les Européens vont être amenés à conduire. Notre rapport insiste ainsi sur les processus de conduite de programme et d'approvisionnement à l'intérieur des États et leur lien avec les décisions prises à l'échelle de l'Union afin d'identifier, s'agissant de la France, ce qui peut être mutualisé, cofinancé ou ce qui doit demeurer strictement national. Avant d'envisager leur articulation poussée avec l'OTAN, les processus d'identification et de choix capacitaires européens doivent atteindre un réel niveau de crédibilité et être davantage intégrés. Ce qui implique le rapprochement de toute une série de structures qui travaillent, pour le moment, sans réelle coordination.

La relation franco-allemande, que j'ai qualifiée de privilégiée, n'est certainement pas exclusive. En ce sens, le SCAF, qui résulte d'un accord franco-allemand, est voué à associer d'autres partenaires. La relation avec l'Allemagne a d'ailleurs évolué vers un nouveau stade et il faut accepter de la dépassionner. Pourquoi serions-nous dans une relation plus émotive avec les Allemands lorsque nous essuyons un refus que celle qui est la nôtre lors de l'échec de programmes de coopération avec le Royaume-Uni ou l'Italie ? C'est pourquoi je préconise de limiter le traitement de certains sujets techniques au niveau des États-majors et des administrations et de laisser libre le jeu des industriels. En effet, ceux-ci ont joué toute leur part dans l'intégration d'EADS devenu Airbus qui représente une véritable réussite franco-allemande, en accompagnant les négociations entre États et industriels. Preuve qu'il n'est pas nécessaire de traiter au niveau politique des questions susceptibles d'être réglées lors des concertations entre industriels.

Ensuite, sur la séquence qui nous sépare de la fin de la Guerre froide, le consensus de défense a été difficile à obtenir par la Cinquième République qui a réussi à éteindre la querelle militaire. Ce consensus, qui reposait sur la conscription, le caractère central de la dissuasion et l'indépendance nationale, s'est révélé d'une remarquable plasticité en évoluant vers plus d'interopérabilité et d'interdépendance. La mission de dissuasion, elle-même, est devenue moins exclusive et a évolué vers plus de projection du territoire. En outre, après les attaques terroristes de 2015, la priorité accordée à la protection a conduit à un nouvel emploi des armées dans l'opération Sentinelle. Ce consensus est aussi partagé par une très large portion de la population. En Allemagne, ce consensus obéit à des règles qui le rendent moins évolutif. Nous n'avons pas la même culture que les Allemands, pour lesquels les opérations extérieures relèvent de procédures beaucoup plus cadrées, avec des expériences contrastées, entre le Kossovo et l'Afghanistan. Il faut comprendre notre partenaire et non envisager de le convertir à notre culture stratégique. De la même façon, si notre manière de penser s'avère proche de celle des Britanniques, leur vision des choses diffère de la nôtre. C'est pourquoi il est important de reconnaître la relation avec l'Allemagne comme structurante depuis le début du projet européen. Nous n'avons certes pas une identité totale d'objectifs, mais nous devons réaliser en commun un coeur d'actions, en particulier dans le domaine capacitaire et industriel, en raison des budgets et de nos tissus industriels respectifs. Pour autant, on ne saurait imaginer une sorte de condominium dans ce domaine franco-allemand ; il est nécessaire d'y associer les autres États, y compris le Royaume-Uni malgré le Brexit. D'ailleurs, l'intégration la plus réussie concerne le secteur des missiles grâce aux Britanniques !

Je suis à la fois d'accord pour souligner la nécessité d'une mobilisation sur la problématique PME-PMI et d'avoir une organisation pour soutenir leur participation aux appels d'offres du FEDef. Certains secteurs demandent d'ailleurs à être intégrés ; si le SCAF devrait favoriser l'intégration dans le domaine des moteurs, l'intégration des bâtiments de surface n'a pas été aussi aboutie que les accords le prévoyaient. La consolidation de la BITD implique la structuration de certains secteurs en favorisant, de manière assez souple, des regroupements, de manière à être compétitif à l'international et à favoriser nos exportations.

La défense européenne n'est pas la même chose que l'Europe de la défense qui est un concept français et repose sur une approche généraliste. Nous sommes désormais à un moment de clarification du projet porté par l'Union européenne en matière de défense et de sécurité ; cette dernière dimension reflétant les principales interrogations de nos concitoyens. Il faut tirer des constats objectifs de notre action en Afrique de l'Ouest : si la défense collective repose a priori sur l'OTAN, les opérations collectives, qui visent notamment au rétablissement de la paix, seront effectuées grâce à la coalition des nations-cadres, à l'instar de ce qui se passe aujourd'hui. Il faut donc être attentif afin d'éviter les faux-fuyants : l'Initiative européenne d'intervention (IEI) pouvant rapprocher les États susceptibles de s'impliquer davantage dans la conduite d'opérations.

Le projet européen  de défense est d'ores et déjà à géométrie variable : l'OCCAR et l'IEI ne regroupent pas l'ensemble des États-membres. En réalité, l'Europe de la défense a donné l'impression d'un émiettement et la vision française de la coopération structurée permanente (CSP) se limitait à quelques États. Or, le souhait des autres États d'y adhérer témoigne d'une volonté d'intégration. En outre, cette géométrie variable existe au niveau industriel, du fait du faible nombre d'États disposant d'une réelle industrie de défense parmi les 27. Cette réalité est un obstacle à la réussite du FEDef, que tous les membres de l'Union ont accepté de financer mais qui, au final, est voué à porter principalement des projets industriels conduits par seulement  quelques États : la France, l'Italie, l'Espagne et l'Allemagne. Il ne faut donc pas freiner les projets, même portés par quelques-uns, qui favorisent une intégration accrue, sans pour autant mépriser l'inscription d'une défense européenne dans un cadre plénier. Les enjeux de sécurité nous concernent tous ; toute faille dans la cyber-sécurité d'un seul État membre vulnérabiliserait l'ensemble de l'Union ! Or, la force de l'Union européenne doit reposer sur la réaction de ses vingt-sept États-membres lors d'une crise internationale.

Il faut accepter que la construction de la défense européenne procède par étapes. Ce qui ne signifie pas pour autant qu'il faille éluder un niveau d'ambition important destiné à consacrer une forme de souveraineté européenne ou à affirmer la capacité stratégique de l'Europe à agir et réagir collectivement.

S'agissant de la construction du char franco-allemand, il ne faut pas oublier le rôle prééminent de Nexter dans l'agencement de systèmes, capacité essentielle. Évidemment, la coopération implique le partage des tâches.

Avec le recul, ce que j'écrivais en 2006 dans mon ouvrage « Face à la guerre » ne me semble pas aujourd'hui erroné. Certes, la dissuasion est toujours au coeur de notre doctrine de défense, mais j'anticipai à l'époque que celle-ci allait être confrontée à toute une série d'évolutions liées, d'une part, à la prolifération des acteurs nucléaires et, d'autre part, à la nécessité de trouver une conciliation entre l'expression de la souveraineté nationale et les perspectives d'une doctrine européenne. Je constate que cette doctrine européenne se retrouve plutôt à travers l'OTAN qui reconnaît la dissuasion nucléaire comme un facteur de consolidation de la sécurité européenne. D'ailleurs, les Européens ne se sont plus prononcés sur cette question depuis les travaux conduits au sein de l'Union occidentale. Nous étions ainsi en avance de phase vis-à-vis des évolutions constatées dans les actions de coopération avec les Britanniques conduites dans le cadre des accords de Lancaster House. Pour la France, la dissuasion nucléaire reste un pilier fondamental et les différents présidents de la République, depuis François Mitterrand et Jacques Chirac, notamment dans son discours de l'Ile-Longue, ont eu l'occasion de s'exprimer sur cette question : s'il appartient au Président de la République de définir les lignes et les modalités de la doctrine dans ce domaine, la France considère que sa dissuasion nucléaire contribue à la sécurisation de l'Europe.

La cyber-défense présente une difficulté : la coopération s'y fait entre pairs, à niveau d'échanges équivalents, à l'instar de ce qui se fait pour le renseignement. En d'autres termes, les grands discutent entre eux. Notre rapport contient des propositions pour diffuser une culture de la sécurité et aider certains pays à mettre à niveau leurs systèmes de protection. La question se pose de savoir si la nouvelle direction aura ou non le domaine de la cyber-défense dans son portefeuille et comment celle-ci sera articulée avec la responsabilité de DG-Connect en matière de cyber-sécurité des données. En outre, quels seront le rôle de l'Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l'information (ENISA) ainsi que le niveau des crédits de l'Union européenne permettant de financer un rôle d'appui des grandes agences nationales ? Ce défi collectif n'est, pour l'heure, pas assez pensé en termes de moyens, de doctrine ou d'articulation.

La demande britannique existe manifestement. À peine le référendum passé, j'avais d'ailleurs pu constater cette demande. Il est nécessaire de maintenir forte cette relation, que nous avons, d'abord en bilatéral, avec les Britanniques dans les domaines de la défense et de la sécurité. La France doit soutenir l'aménagement, après octobre prochain, de la relation de sécurité entre le Royaume-Uni et l'Union européenne.

La problématique de la déperdition des moyens au regard des crédits consacrés par chaque État membre à la défense peut aussi être illustrée par la difficulté de déployer, pour l'Union européenne, un contingent de trois milles hommes, alors que les armées européennes représentent un effectif global de près d'un million et demi de soldats.

L'effet de levier du FEDef est estimé à près de 75% à travers des coopérations nécessairement tripartites. Les chiffres que j'évoque - 500 millions d'euros par an pour la recherche - s'avèrent certes importants, mais ils restent conditionnés par le vote du prochain Parlement européen.

La question de la vision recoupe celle de l'anticipation. Aujourd'hui, les Européens n'ont pas de doctrine, faute d'avoir identifié leurs intérêts stratégiques communs. Si la stratégie globale a été saluée par le Conseil européen, elle n'a pas pour autant été agrée ou portée. La définition au plan technique d'une doctrine de défense et de sécurité européenne, qui identifierait des intérêts stratégiques, évaluerait des menaces et définirait les missions et les moyens fait actuellement défaut. Notre rapport le souligne : il faut à la fois trouver un processus de validation de cette doctrine et la faire approuver au niveau du Conseil des chefs d'État et de gouvernement.

M. Christian Cambon, président. - Merci, Monsieur le Secrétaire général, d'avoir structuré notre réflexion sur un sujet sur lequel notre commission prépare actuellement un rapport. Vous nous avez bien fait sentir à la fois la nécessité de travailler de concert et les différences d'appréciation que nous avons, ici même, pu mesurer, en recevant nos homologues du Bundestag qui concevaient notre coopération différemment des dirigeants de nos deux pays. Sur l'articulation entre l'OTAN et l'Union européenne, nos collègues Sénateurs, qui siègent à l'assemblée parlementaire de l'OTAN, n'y entendent parler que du danger que représente la Russie et il y est difficile d'y aborder ce qui se passe au Sud et ailleurs dans le monde. Néanmoins, il nous faut avancer. Je vous remercie, enfin, d'avoir évoqué les grandes lignes du rapport que vous avez remis au Président de la République.

La réunion est close à 12 h 55

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est ouverte à 17 heures

Situation internationale - Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères (sera publiée ultérieurement)

Le compte rendu sera publié ultérieurement.

La réunion est close à 18 h 55.