Jeudi 9 juillet 2020

- Présidence de M. Michel Magras, président -

Urgence économique en outre-mer à la suite de la crise du Covid-19 - Présentation du rapport

M. Michel Magras, président. - Mes chers collègues. Nous examinons ce matin les conclusions de nos rapporteurs sur l'urgence économique outre-mer, sujet dont notre délégation a décidé de se saisir lors de sa réunion du 10 avril 2020, à la suite de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19.

Le choix de ce sujet s'est imposé à nous dans ces circonstances en remplacement de l'étude que nous avions initialement programmée en novembre dernier sur l'aide publique aux investissements des collectivités ultramarines.

Comme vous le savez, notre délégation a, en effet, une triple mission institutionnelle qui figure depuis 2017 dans la loi : informer le Sénat de la situation des collectivités ultramarines, veiller à la prise en compte de leurs caractéristiques, contraintes et intérêts propres et participer à l'évaluation des politiques publiques les intéressant.

À l'instar du remarquable travail mené par les commissions parlementaires pendant la période de confinement, et en particulier de celui de la commission des affaires économiques réalisé dans le cadre de ses « cellules de veille, de contrôle et d'anticipation sectorielles », la délégation se devait de donner un éclairage complémentaire sur la situation dans les outre-mer, et d'apporter sa contribution aux travaux de réflexion menés par le Sénat sur la crise du Covid-19.

Je voudrais remercier tout particulièrement nos trois rapporteurs Stéphane Artano, Viviane Artigalas et Nassimah Dindar, qui ont eu la redoutable mission de conduire de nombreuses auditions, par visioconférence et en un temps record, avec des acteurs économiques intervenant depuis les trois bassins océaniques.

Compte tenu des délais et de la complexité des problématiques, une telle étude ne peut prétendre être ni exhaustive, ni définitive. Il s'agit plutôt d'« une remontée » de témoignages et d'observations recueillis « à chaud » et au plus près des territoires. Il appartiendra à d'autres sans doute de poursuivre ce travail que nous avons lancé dans l'urgence - c'est le cas de le dire - afin de peser sur la politique du Gouvernement.

Je voudrais vous livrer quelques éléments qui témoignent de l'ampleur et du sérieux de nos travaux qui sont en quelque sorte la « marque de fabrique » de notre délégation.

Au total, la Délégation sénatoriale aux outre-mer a procédé, en à peine deux mois, à plus de 34 heures d'auditions dans le cadre de 14 réunions plénières ayant réuni 73 participants !

Pour le présent rapport, comme à l'accoutumée les comptes rendus des auditions seront annexés au rapport d'information dont la retranscription représente environ 400 pages soit presque autant que chacun des deux rapports sur les risques naturels majeurs. Vous n'ignorez pas que la volonté du Sénat est de faire des rapports plus courts et ciblés mais celui-ci sera encore dans le format classique de la délégation...

Je voudrais insister aussi sur le fait que toutes ces réunions se sont tenues en visioconférence. Comme vous le savez, la délégation a été pionnière dans ce domaine malgré les contraintes de cet exercice que vous connaissez bien, comme les décalages horaires et l'articulation délicate avec le planning, également chargé, des commissions et autres délégations. Il faut se féliciter du fait que le confinement a obligé l'ensemble des instances du Sénat à adopter cette technologie que nous pratiquons à la délégation depuis 2014 !

Je précise à cet égard que pour la première fois notre réunion d'adoption du rapport se tient également en visioconférence. De plus, le président du Sénat a bien voulu nous accorder à titre exceptionnel une dérogation pour poursuivre notre travail selon ce mode de fonctionnement au-delà du 10 juillet et jusqu'à la fin de la session extraordinaire. Cela nous permettra de tenir une réunion le 16 juillet pour l'adoption du rapport sur les enjeux européens en 2020 que nous avons dû suspendre avec le confinement.

Pour mener à bien l'étude sur l'urgence économique outre-mer, je vous rappelle brièvement que la délégation a procédé à deux séries d'auditions.

Une première série, de nature transversale, a visé à dresser un panorama d'ensemble de la crise. La délégation a ainsi entendu la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM), l'Association des chambres de commerce et d'industrie des outre-mer (ACCIOM), l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE) spécialisée dans la microfinance ainsi que trois grandes institutions financières très mobilisées durant cette crise : l'Agence française de développement (AFD), la Banque des territoires du groupe Caisse des dépôts (CDC) et Bpifrance.

Après un large échange avec la ministre des outre-mer, le 14 mai, un premier point d'étape a été adressé au Premier ministre ainsi que 20 propositions articulées autour de deux axes : l'évaluation des dispositifs nationaux au regard des spécificités du tissu entrepreneurial ultramarin et l'accompagnement nécessaire des collectivités locales.

Dans sa réponse, le Premier ministre Édouard Philippe a bien voulu m'indiquer que les perspectives tracées dans ce document étaient « pleinement partagées par le Gouvernement » et a détaillé un certain nombre de points d'accord, concernant notamment le maintien de la capacité d'investissement et du soutien à l'économie des collectivités locales d'outre-mer. Nous avons également pris acte, avec satisfaction, des assouplissements opérés par les récentes lois de finances rectificatives et par voie règlementaire, élargissant l'accessibilité des dispositifs pour les très petites entreprises qui constituent l'essentiel du tissu économique local.

Dans un second temps, les rapporteurs ont lancé une nouvelle série d'auditions axées sur des thématiques sectorielles : le transport aérien, le BTP et le logement social, l'agriculture et la pêche, le numérique, les données statistiques et le tourisme. Chacune des six tables rondes a constitué une première et souvent une prouesse technique vu les décalages horaires : lorsqu'il était 14 heures à Paris - l'heure généralement de nos réunions -, il était minuit à Wallis-et-Futuna, 2 heures en Polynésie, 8 heures aux Antilles, 15 heures à Mayotte, 16 heures à La Réunion et 23 heures en Nouvelle-Calédonie....

Ces échanges ont été particulièrement riches car nous avons ainsi pu réunir en moyenne une dizaine d'acteurs économiques simultanément depuis leurs territoires respectifs. Je crois qu'une fois de plus nous avons été précurseurs et j'espère que la délégation conservera cet acquis lors de ses futurs travaux.

Notre ambition est que ce travail d'investigation et les recommandations qui en découlent servent au nouveau Gouvernement et au nouveau ministre des outre-mer pour « bâtir la relance » qui peine à voir le jour dans nos territoires.

En effet, après l'urgence sanitaire - et nous n'oublions pas pour autant la situation à Mayotte et en Guyane -, l'heure est aujourd'hui à l'urgence économique face à la brutalité d'une crise dont la délégation a recueilli de nombreux témoignages auprès des acteurs de terrain.

Je n'en dirai pas plus car nos rapporteurs dont je salue à nouveau le travail vont vous en rendre compte.

J'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises au cours de ces dernières semaines. Face aux évènements, les ultramarins ont pour habitude de garder espoir et nous devons avoir foi dans notre capacité à nous relever. Nous avons également tous constaté l'émergence de nombreuses initiatives et expérimentations démontrant une formidable capacité d'adaptation et d'innovation dans les territoires.

Résolus à capitaliser sur les expériences positives de la période récente, à l'exemple des acteurs du monde agricole et de la pêche qui ont su faire face aux besoins des populations locales, les outre-mer manifestent une forte volonté d'aller résolument de l'avant.

Il faut que l'État de son côté accepte de mieux accompagner les économies ultramarines dans leur nécessaire transformation, désormais incontournable. Vous savez combien cette question me tient à coeur et nourrit le travail sur la différenciation que je mène dans le prolongement des conclusions du groupe de travail sur la décentralisation et qui fera l'objet d'une publication en septembre avant la fin de mon mandat.

Je vous rappelle enfin, pour ceux qui pourront y assister, qu'une conférence de presse se tiendra dans le prolongement de cette réunion, toujours en visioconférence.

Sans plus tarder, je cède la parole aux rapporteurs et en premier lieu à Stéphane Artano pour le premier volet de l'étude.

M. Stéphane Artano, rapporteur. - Mes chers collègues. Avant tout, au nom des rapporteurs, je tiens à remercier le président Magras pour le choix de cette étude, pleinement d'actualité, et pour toutes les réunions très denses qu'il a bien voulu conduire.

Il lui revient le mérite de les avoir menées à leur terme malgré les nombreuses contraintes notamment horaires car, comme vous le savez, ces auditions ont été particulièrement nombreuses et longues.

Notre rapport est articulé autour de trois grands axes que nous nous sommes répartis de la façon suivante. La première partie porte sur les effets immédiats de la crise, plus précisément sur la nécessité de faire prendre de conscience de sa gravité pour les outre-mer et de son impact financier très périlleux pour les collectivités locales. C'est cette partie que je vous présenterai.

Dans un second temps, Viviane Artigalas traitera des modalités d'une relance territorialisée que nous souhaitons axée sur le désenclavement et le soutien aux secteurs leviers que nous avons identifiés par rapport aux spécificités ultramarines.

Enfin, Nassimah Dindar abordera la question de la résilience pour faire de la sortie de crise l'opportunité de bâtir un nouveau modèle de développement pour les outre-mer.

Sur le premier point concernant l'ampleur de la crise économique liée à la crise sanitaire, je ferai trois constats principaux.

Mon premier constat concerne la difficulté de prendre toute la mesure de la crise qui a frappé brutalement les outre-mer.

Les instruments d'évaluation sont aujourd'hui très imparfaits. La table ronde que nous avons eue sur les données statistiques a souligné l'absence de données actualisées - notamment pour Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Wallis-et-Futuna... - ainsi qu'en général la production d'indicateurs en nombre moindre et calculés différemment d'un territoire à l'autre (par exemple entre la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie). Quelques études menées par les différents organismes compétents (CEROM, IEDOM, AFD, instituts régionaux...) commencent à être publiées, en particulier sur la Martinique, la Guadeloupe, La Réunion, la Polynésie ou la Nouvelle-Calédonie mais certaines d'entre elles ne seront pas disponibles avant septembre... Tout en reconnaissant les importants progrès accomplis, en particulier à Mayotte, on soulignera combien ce « déficit statistique » est préjudiciable pour les décideurs publics et acteurs économiques mais aussi pour le plein déploiement de certains dispositifs calculés par exemple sur le PIB des territoires comme le fonds de solidarité...

À cet égard, je propose notamment d'améliorer rapidement les outils statistiques pour chaque territoire afin de disposer de tableaux de bord économiques plus accessibles, actualisés et homogènes ainsi que de généraliser les études d'impact de la crise sanitaire afin de disposer au plus tôt d'une évaluation détaillée pour chaque territoire et d'aider au pilotage de la relance.

Malgré cela, en se basant sur les informations recueillies lors des auditions, on peut affirmer que la récession économique est considérable et sans précédent. Les pertes instantanées d'activité consécutives à la crise sanitaire sont estimées à 30 % pour l'ensemble des géographies. En conséquence, la contraction du PIB sur l'année sera globalement d'une ampleur assez proche de celle de l'Hexagone, (c'est-à-dire de l'ordre de 10 %). L'ampleur de la crise sur l'année 2020 dépendra cependant de la rapidité ou non de la reprise dans les territoires.

Ces premières estimations sont susceptibles d'évoluer très fortement du fait de plusieurs paramètres principaux tels que la durée du confinement et des contraintes sanitaires, la robustesse et la capacité d'adaptation du tissu économique, ou encore l'efficacité des mesures de soutien. Vous trouverez aussi, dans le rapport, des variations selon les territoires, en fonction principalement du poids du secteur public qui a pu servir d'amortisseur ou de l'importance de certains secteurs comme le nickel en Nouvelle-Calédonie ou l'aérospatiale en Guyane.

Au fil des tables rondes, nous avons aussi observé que, derrière la situation économique générale, il convenait d'appréhender la situation sectorielle dans chaque territoire et qu'il y a des pans entiers d'activités qui luttent pour leur survie tels que le transport aérien, le tourisme, ou encore la pêche...

Ma deuxième remarque porte sur l'absence de visibilité concernant la sortie de crise pour laquelle les hypothèses recueillies lors des auditions vont du plus optimiste (second semestre 2020) au plus pessimiste (une décennie).

Du fait de facteurs structurels (insularité, éloignement, enclavement, étroitesse des marchés), les économies ultramarines présentent déjà une vulnérabilité aux chocs conjoncturels. Au cours des années récentes, elles ont été fragilisées par une succession de crises : ouragan Irma dans les Antilles, gilets jaunes à La Réunion, manifestations en Guyane et à Mayotte...

Notre conviction est que la sortie de crise sera effectivement longue et difficile en raison de certaines fragilités qui se trouvent amplifiées par la crise du Covid-19, à savoir : une forte dépendance aux échanges extérieurs (la moitié des échanges commerciaux s'effectuent encore avec l'Hexagone), le poids prépondérant de certains secteurs comme le tourisme et la situation déjà difficile du BTP avant la crise, un tissu entrepreneurial presque exclusivement composé de TPE-PME (95 % en moyenne), des délais de paiement aux entreprises excessifs, - sujet qui vient de faire l'objet d'un nouveau rapport de l'IGA - ou encore la part du secteur informel particulièrement à Mayotte et à en Guyane.

Face à ces spécificités, les dispositifs nationaux d'urgence (fonds de solidarité, prêt garanti par l'État, chômage partiel) que nous avons analysés et qui ont fait l'objet de la note d'étape du 14 mai dernier, restent insuffisants.

C'est la raison pour laquelle le rapport envisage plusieurs pistes d'action.

Il convient d'abord de pérenniser un certain nombre de mesures comme le chômage partiel et d'assouplir les conditions d'accès pour d'autres concernant notamment la prise en compte des dettes fiscales et sociales pour les plus fragiles, jusqu'à des signes tangibles de sortie de crise.

Par ailleurs, la différence statutaire ne doit pas faire obstacle à la pleine application de la solidarité nationale dans cette période exceptionnelle. L'impact de l'épidémie de Covid-19 risque d'être dramatique dans les collectivités du Pacifique du fait de l'absence de filets sociaux et, en Polynésie, de l'importance du secteur touristique. Les dispositifs doivent être adaptés, en volume et dans leurs modalités, à leurs difficultés.

Par rapport au secteur informel, il faut soutenir encore davantage le travail d'accompagnement et l'accès au microcrédit, en facilitant notamment le travail de l'association pour le droit à l'initiative économique (ADIE) qui parvient à faire vivre et sortir de la précarité un grand nombre de familles dans les territoires.

Au-delà de ces aspects, nous avons noté lors des auditions que perdurait outre-mer « un climat de crise ».

D'abord objectivement la crise sanitaire est toujours en cours et nous sommes solidaires de nos compatriotes de Mayotte et de Guyane qui affrontent cette épreuve. Le Premier ministre a décidé de se rendre ce dimanche en Guyane qui est le territoire le plus touché en France, ce qui témoigne de la gravité de la situation. La menace d'une « deuxième vague », toujours présente, n'est pas de nature à faire sortir les territoires de « l'état de contagion émotionnelle » évoqué lors de la table ronde Tourisme du 25 juin.

Ensuite, la menace d'une grave crise sociale a été évoquée à plusieurs reprises avec des effets sur tous les plans : emploi, revenus, éducation, santé, etc. On sait que le taux de pauvreté en outre-mer est déjà trois fois plus élevé et le taux de chômage deux fois plus qu'en métropole. Le risque est bien réel et n'est pas propice, on s'en doute, à l'amélioration du « climat des affaires ».

C'est la raison pour laquelle je pense qu'il faut saisir l'occasion de la mise en place du nouveau Gouvernement, et des déclarations du ministre des outre-mer mardi à l'Assemblée nationale, pour remettre sur la table l'idée d'un grand Plan de relance outre-mer, qui pourrait s'appuyer sur les propositions de la délégation.

D'ailleurs, après en avoir écarté l'hypothèse lors de son audition le 14 mai, Annick Girardin avait lancé avec l'AFD une initiative d'un milliard dénommée « Outre-mer en commun » quelques jours plus tard. Mais celle-ci porte sur des possibilités d'emprunts supplémentaires, et risque fortement d'aggraver l'endettement des collectivités...

En troisième lieu et pour conclure, je voudrais précisément insister sur la situation des collectivités locales.

Notre collègue George Patient a alerté très tôt sur le risque d'une crise majeure des finances locales en raison des effets de cette crise sur la fiscalité indirecte, soit une perte de recettes qui a été évaluée à environ 200 millions d'euros en 2020 en particulier pour l'octroi de mer. Le Gouvernement a bien annoncé un plan national massif de soutien financier mais je pense qu'il faudra aller plus loin, notamment en adaptant les contrats de convergence et de transformation.

Les collectivités ultramarines se sont aussi beaucoup mobilisées dans le soutien économique local en mettant en place des plans territoriaux complémentaires aux dispositifs d'État qui requièrent une intervention dans la durée. Il faudra donc prévoir que le plan de soutien de l'État vienne éventuellement appuyer ces interventions qui correspondent aux caractéristiques propres de chaque territoire.

Par ailleurs, pour répondre au besoin de sécurité des populations, il faudra encore renforcer l'autonomie sanitaire des territoires, mais avec une approche plus régionale.

Cette autonomie sanitaire ne pourra se faire que par des productions locales ou au moins par grande région. Les outre-mer ont des atouts en ce sens (présence de grands organismes de recherche et d'équipements de pointe en avance sur leur environnement immédiat) mais seule une approche stratégique avec notamment une aide fiscale à l'investissement pourra permettre de structurer des filières. Dans le domaine de la santé, les outre-mer pourrait jouer un rôle d'antenne régionale.

Il serait également utile d'inciter à l'installation de nouveaux acteurs, aussi bien des groupes privés (cliniques, par exemple) que des praticiens (infirmiers, médecins de ville...). On a vu que le recours ponctuels à des médecins étrangers, notamment cubains, a été rapidement rendu possible en levant les obstacles règlementaires.

Enfin, le développement de la télémédecine et de l'e-santé, bien que nécessitant des investissements, semble aussi nécessaire, particulièrement pour des territoires comme Mayotte ou Saint-Martin. Ceux-ci étant sous-équipés sur le plan hospitalier envoient leurs patients les plus graves vers leurs voisins (respectivement La Réunion et la Guadeloupe) au risque que lors d'une crise comme celle-ci on assiste à une saturation en chaîne des territoires...

Telles sont les remarques et les 15 premières recommandations concernant ce premier volet consacré à la gravité de la crise dans les outre-mer.

Mme Viviane Artigalas, rapporteure. - Monsieur le président, chers rapporteurs, chers collègues. Comme vient de nous le rappeler Stéphane Artano, la crise économique en outre-mer est déjà majeure. Mais elle risque d'être encore plus brutale si la reprise est tardive. Un ambitieux plan de relance doit donc d'ores et déjà être préparé pour permettre un redémarrage rapide des activités. À nos yeux, cette relance ne réussira qu'à trois conditions : elle doit être axée sur le désenclavement des territoires ; elle doit miser sur les secteurs leviers pour la croissance et elle doit toujours être territorialisée, c'est-à-dire différenciée selon les territoires.

Je commencerai par le soutien au secteur aérien, qui est primordial puisqu'il permet le désenclavement des territoires. Vous le savez, afin de préserver les outre-mer de l'importation du virus par voie aérienne, les liaisons entre outre-mer et l'Hexagone ainsi que les liaisons intérieures et inter-îles ont été fortement réduites pendant la crise. Il faut saluer l'engagement des compagnies aériennes qui se sont adaptées pour assurer des activités de rapatriement et pour acheminer du fret médical.

Les pertes pour le secteur aérien sont considérables. Les compagnies aériennes n'ont pu assurer que 5 % de leurs programmes de vol et ont dû dans le même temps continuer à assumer d'importantes charges fixes. Malgré les dispositifs d'aides mis en place, beaucoup d'entre elles sont aujourd'hui en grande difficulté.

Pour éviter la faillite de ces compagnies qui jouent non seulement un rôle capital pour la continuité territoriale mais aussi pour leur développement économique (plusieurs milliers d'emplois locaux directs et indirects), un fonds de soutien d'urgence pour les compagnies aériennes d'outre-mer doit être mis en place (proposition 18). Afin de préserver la trésorerie de ces compagnies, un fonds de garantie de l'État doit également être créé pour assurer la solvabilité des bons à valoir en cas d'annulation des billets (proposition 19).

Il faut des avions pour désenclaver les outre-mer mais il faut également des billets d'avion compétitifs pour assurer une réelle continuité territoriale. L'indispensable modération tarifaire des billets d'avion à destination des outre-mer impose d'exonérer ces compagnies de toute nouvelle augmentation de la fiscalité environnementale (proposition 20). Plutôt que d'envisager de nouvelles taxes pour les compagnies, la relance « verte » de l'aérien doit passer par un soutien au renouvellement des flottes, une flotte récente étant une garantie de consommation moindre de carburant (proposition 21). Le maintien d'une véritable concurrence entre compagnies permettra également de maintenir une modération tarifaire.

Enfin, la crise ne doit pas stopper les chantiers mis en oeuvre avant le Covid-19. La part des outre-mer dans le trafic international a régressé entre 2000 et 2018 : il reste donc indispensable d'améliorer la connectivité aérienne régionale des outre-mer (proposition 22).

J'en viens maintenant aux secteurs leviers pour la croissance. Le premier d'entre eux est le tourisme, dont la reprise d'activité dépendra fortement du redémarrage du secteur aérien. Soutenir l'un permet de faire redémarrer l'autre.

La crise est un cataclysme pour le tourisme en outre-mer. C'est un secteur vital pour les économies locales : il représente en moyenne 10 % du PIB des outre-mer mais va jusqu'à représenter 40 % des salariés du secteur marchand en Polynésie française.

Afin de permettre la venue de touristes dans les territoires ultramarins, les protocoles sanitaires doivent être rapidement clarifiés. À partir du 10 juillet, le test PCR avant départ deviendra obligatoire pour l'arrivée dans les outre-mer. Alors que les tests sont encore très difficiles à obtenir, l'obligation de présenter un test négatif à l'embarquement risque de se révéler difficilement praticable. Il conviendrait donc de permettre aux territoires qui le souhaitent de tester les passagers à leur arrivée à l'aéroport (proposition 16). Par ailleurs, le souci de différenciation que j'évoquais en préambule doit ici pleinement s'appliquer. Les protocoles sanitaires doivent être différenciés suivant les territoires, selon leurs conditions sanitaires (proposition 17). Ainsi, Wallis-et-Futuna - qui est le seul territoire de la République préservé de l'épidémie - demande à ne rétablir des relations qu'avec les territoires dont l'état sanitaire est certain, compte tenu de certains facteurs de risques de sa population comme le diabète ou l'obésité. Les volontés des territoires doivent être respectées.

Les campagnes de promotion touristique doivent également être adaptées aux réalités des outre-mer (proposition 23). Atout France a ainsi déployé dans l'Hexagone et en Europe une campagne publicitaire « Cet été, je visite la France ». Celle-ci n'a guère de sens pour la Nouvelle-Calédonie, dont les vols sont suspendus jusqu'au 31 juillet 2020 à l'exception des vols de rapatriement et de fret.

Le tourisme local et le tourisme régional doivent être encouragés, même si nous avons conscience qu'ils resteront toujours insuffisants pour compenser les pertes du tourisme international. Il est notamment nécessaire de soutenir la demande intérieure en développant les dispositifs de chèques-vacances (proposition 24).

Encore insuffisamment développé, le tourisme régional doit être soutenu. Dans l'océan Indien, il reste malheureusement plus facile à un Mauricien ou un Malgache de se rendre à Paris plutôt qu'à Saint-Denis-de-La Réunion. Dans le Pacifique, le développement de bulles « covid free », c'est-à-dire d'accords de libre circulation entre territoires peu touchés par l'épidémie, pourrait permettre un redémarrage du tourisme dans ces territoires tout en rassurant les populations locales (proposition 25).

Enfin, la sortie de crise doit être une opportunité pour accompagner le tourisme ultramarin vers un modèle de tourisme durable. Si le tourisme de masse n'a jamais été très développé en outre-mer, les capacités touristiques des territoires commencent à être saturées (notamment s'agissant des croisières). La diversification des modes d'hébergement en outre-mer doit participer du développement d'un tourisme qualitatif (proposition 26). Par ailleurs, fort de leurs nombreux atouts (les outre-mer comptent pour 80 % de la biodiversité française), les territoires ultramarins peuvent miser pour l'avenir sur le développement d'un tourisme éco responsable (proposition 27).

Enfin, - et c'est mon troisième et dernier point - la relance en outre-mer doit s'accompagner d'un plan de soutien au secteur du BTP et du logement social.

La table ronde organisée par la délégation sur le BTP a été très constructive - le mot est adapté - et nous a rappelé que la crise du Covid-19 est intervenue dans un contexte de ralentissement déjà marqué pour le secteur en outre-mer. Bien que n'ayant pas fait l'objet de fermeture administrative à partir de mi-mars, le secteur de la construction a dû fortement réduire ses activités, avec des baisses de 65 % à 95 % selon les territoires. La reprise d'activité (alors que la période électorale prolongée a retardé l'engagement d'investissements publics) s'accompagne d'importants surcoûts. Les entreprises doivent en effet notamment prévoir des équipements de protection individuelle pour leurs salariés sur les chantiers. Or, si au niveau national, l'État encourage à une répartition des surcoûts entre les entreprises et les maîtres d'ouvrage, cette solution ne peut être appliquée en outre-mer, compte tenu des fragilités déjà importantes du secteur. Il conviendrait d'utiliser les crédits non consommés de la ligne budgétaire unique (LBU) pour permettre la prise en charge des surcoûts dans le BTP (proposition 28).

Par ailleurs, pour favoriser la relance, il apparait nécessaire de faciliter les formalités de passation de marchés, notamment en allégeant les obligations de publicité et celles de régularité sociale et fiscale (proposition 31). Du fait du rallongement des délais d'instruction des permis de construire, il serait également nécessaire de déroger au principe d'obtention préalable du permis de construire pour l'obtention des crédits LBU (proposition 29). À terme, le secteur du BTP devrait aussi intégrer le régime de compétitivité renforcée prévu par la LODEOM qui permet des exonérations de cotisations sociales employeurs (proposition 30).

Enfin, un plan de relance du BTP et du logement doit passer par des plans d'investissements massifs pour la construction, la rénovation et la réhabilitation. En outre-mer, le nombre de logements sociaux pour 1 000 habitants est inférieur à la moyenne métropolitaine. Le déploiement du Plan logement outre-mer (PLOM), tout comme le plan Séisme Antilles doivent être accélérés. La phase opérationnelle du PLOM doit être lancée dès septembre 2020 afin d'en ressentir les premiers effets d'ici septembre 2021 (proposition 33). Enfin, le chantier de l'adaptation des normes doit se poursuivre, avec la mise en oeuvre concrète des conclusions du rapport sénatorial sur le BTP outre-mer (proposition 34).

Mme Nassimah Dindar, rapporteure. - Monsieur le président, chers rapporteurs, chers collègues. La sortie de crise doit aussi être une opportunité pour construire outre-mer des modèles de développement plus résilients. Pour mieux résister aux prochaines crises, nous avons identifié trois axes principaux où les marges de progrès sont encore importantes et où les opportunités sont nombreuses. Il faut tout d'abord gagner en autonomie alimentaire. Il faut ensuite davantage utiliser les atouts du numérique. Il faut enfin investir plus encore dans le capital humain et dans les infrastructures de réseaux et de connectivité.

L'objectif d'autonomie alimentaire est un objectif ambitieux, indispensable si l'on veut réduire la dépendance encore très forte des outre-mer à l'Hexagone et aux échanges extérieurs. Encore faut-il soutenir les agriculteurs et les pêcheurs ultramarins pour leur donner les moyens d'exercer leurs professions.

Le secteur agricole a été relativement moins touché par la crise sanitaire. Mais il a cependant perdu de nombreux débouchés puisque les marchés et les restaurants étaient fermés et que de nombreux produits ne pouvaient plus être exportés. La filière du melon aux Antilles a été particulièrement touchée. Pendant la période du confinement, seules 1 000 tonnes de melon ont ainsi pu être exportées depuis la Guadeloupe contre 2 000 en temps normal.

Il faut cependant souligner que les agriculteurs ont fait preuve d'innovation pendant la crise, pour continuer à vendre leurs produits. C'est le signe de la vitalité de ce secteur. Les circuits courts, les ventes directs et les drives se sont ainsi multipliés. Des « micro-marchés » de producteurs sans produits d'importation se sont même installés, faisant prendre conscience aux populations de l'importance de la production locale. Il faut capitaliser sur ces initiatives et systématiser les chartes d'entente entre la grande distribution et les producteurs locaux (propositions 35 et 36). Pour l'avenir, et pour soutenir la production agricole, il faut également mieux identifier, via des labels, les produits d'origine locale (proposition 37). Il n'est par ailleurs pas acceptable que des produits de dégagement (produits non consommés dans l'Hexagone) soient déversés sur les marchés ultramarins. Les outils de régulation mis à la disposition des préfets doivent être utilisés pour limiter l'importation de produits de dégagement (proposition 38).

L'objectif d'autonomie alimentaire des territoires (fixé à 2030 par le Président de la République) ne pourra être atteint qu'à condition de soutenir véritablement les revenus des agriculteurs et pêcheurs, grandement fragilisés par la crise. Les aides européennes à destination des agriculteurs doivent être rapidement débloquées. Le mécanisme européen de circonstances exceptionnelles, qui permet l'obtention des aides même si le niveau de production requis n'a pas été atteint, doit être activé (proposition 39). Les négociations budgétaires européennes seront par ailleurs cruciales pour l'avenir des agriculteurs. La France doit absolument défendre le maintien du budget du Poséi (proposition 40). La transition vers la diversification agricole en outre-mer impose également de renforcer les moyens des chambres d'agriculture (proposition 41).

J'en viens au secteur de la pêche, qui a probablement été encore plus durement touché par la crise : de nombreux navires sont restés à quais. Le soutien à la pêche ultramarine est aujourd'hui urgent. Or, l'obligation d'être à jour fiscalement et socialement prive de nombreux pêcheurs ultramarins du bénéfice des aides nationales et européennes. Les pêcheurs ultramarins, même s'ils présentent des dettes fiscales et sociales, doivent pouvoir bénéficier des exonérations de charges sociales et fiscales pour 2020 (proposition 43).

Au niveau européen, il est indispensable de refuser le plafonnement à 50 % des Plans de compensation des surcoûts (PCS) envisagé par la Commission européenne (proposition 44). Ces PCS sont la reconnaissance des difficultés spécifiques de la pêche ultramarine. Enfin, les pêcheurs ont de nouveau subi pendant cette crise la concurrence déloyale des pêcheurs étrangers (Madagascar pour La Réunion, Venezuela pour les Antilles, Suriname et Brésil pour la Guyane). Ces pêcheurs étrangers vont jusqu'à bloquer les embouchures pour empêcher le départ des navires français et cette pêche illégale s'accompagne par ailleurs de nombreux trafics. Les moyens pour lutter contre la concurrence déloyale des pêcheurs doivent aujourd'hui être renforcés pour protéger les ressources halieutiques et les revenus des pêcheurs (proposition 42).

Renforcer la résilience des territoires passe également par la réduction de la fracture numérique en outre-mer.

Le recours accru au télétravail, à l'enseignement à distance et à l'e-santé pendant ces mois de confinement ont démontré l'utilité du numérique pour permettre de surmonter les crises. Or, si la couverture mobile et internet est globalement satisfaisante en outre-mer, il reste de nombreuses zones isolées. Il y a une véritable fracture numérique en Guyane entre le littoral et l'intérieur des terres et les zones archipélagiques comme la Polynésie française sont également moins bien couvertes. Alors que le plan France Très Haut Débit (PFTHD) a pris du retard au niveau national, les investissements pour la couverture des zones isolées doivent être accélérés dans les outre-mer (proposition 45). S'agissant de la couverture mobile, les doutes sont encore nombreux sur le déploiement de la 5G mais il est à noter que La Réunion a été choisie comme territoire expérimental. Les outre-mer sont aussi des terres d'innovations. Les autorisations nécessaires (permis de construire, autorisations de fréquences...) doivent néanmoins être facilitées (proposition 46).

Encore plus que la question de la couverture internet, l'enjeu de la formation aux usages du numérique apparait capital en outre-mer. L'illectronisme - c'est-à-dire la difficulté ou l'incapacité à utiliser les outils numériques - touche probablement plus encore les outre-mer que l'Hexagone. Le groupe La Poste et de nombreuses associations locales aident à former aux usages du numérique. Leurs actions mériteraient d'être soutenues et davantage coordonnées (proposition 47). Pour accompagner les publics les plus fragiles dans la transition numérique, le maintien de guichets physiques de proximité est par ailleurs indispensable. L'objectif d'une dématérialisation de toutes les démarches administratives en 2022 est irréaliste s'agissant des outre-mer (propositions 48 et 49).

Le numérique offre par ailleurs avec le secteur de la tech un vivier d'emplois futurs pour les territoires. Pour empêcher la fuite des compétences et pour pousser à l'installation d'entreprises innovantes en outre-mer, il convient de faire des outre-mer des zones franches numériques (proposition 50) et de développer un technopôle dans chaque territoire pour favoriser les synergies (proposition 51).

Enfin, pour renforcer le développement des outre-mer, il convient d'investir davantage dans le capital humain et les infrastructures de réseau. Des territoires aux réseaux améliorés, à la connectivité régionale renforcée, aux formations enrichies sont des territoires plus attractifs et donc plus dynamiques.

Je commencerai par la question de l'eau. La crise a rappelé les défaillances en termes de gestion de l'eau et d'assainissement dans certains territoires ultramarins. La question est particulièrement sensible en Guadeloupe, où les « tours » d'eau ont continué pendant la crise alors même que l'eau était indispensable au respect des gestes barrière. Le plan Eau Dom lancé en 2016 prévoit des investissements sur le long terme pour remédier à ces carences. Face à l'urgence de la situation, les dernières dispositions de ce plan doivent être mises en oeuvre dans les meilleurs délais (proposition 52).

Le renforcement des infrastructures de réseaux et de connectivité passe également par le développement de l'économie bleue. Alors que le trafic de conteneurs devrait tripler d'ici 2035, l'internationalisation des ports ultramarins est un axe majeur de développement économique futur pour les territoires. Des « hubs » portuaires doivent se développer en outre-mer, renforçant ainsi l'attractivité maritime des territoires (proposition 54). L'économie verte est également un axe important et il convient de valoriser davantage les richesses de la biodiversité ultramarine et de faire des outre-mer des territoires pionniers en la matière (proposition 53).

L'avenir des outre-mer passe également par une meilleure intégration des territoires dans leur bassin régional (proposition 55). Le concours de l'Union européenne est nécessaire pour favoriser cette intégration. Ainsi, il convient d'encourager le mixage des fonds FED/FEDER pour les projets de coopération entre PTOM et RUP. L'AFD pourrait être chargé d'aider au déploiement de ces projets (proposition 57). Il faut également de faciliter la réaffectation des fonds européens 2014-2020 non consommés des programmes de cohésion vers des mesures d'urgence et de relance (proposition 56).

Enfin, alors que des territoires comme les Antilles connaissent un vieillissement de leur population, la formation en outre-mer doit être plus qualifiante et les échanges avec l'Hexagone multipliés pour éviter un départ sans retour des jeunesses ultramarines (proposition 58). Je vous remercie de votre attention.

M. Michel Magras, président. - Je remercie les rapporteurs pour ce tour d'horizon très complet. J'ai apprécié vos propos sur la différenciation et je suis très heureux que cette question soit autant d'actualité. Par ailleurs, vous avez rappelé à juste titre que les outre-mer sont des terres d'innovation. Sur ces territoires, l'innovation est une nécessité, pas une option. Outre-mer, il faut donc une marge d'adaptation dans le respect de l'unité de la nation. Dans ma contribution au groupe de travail du Sénat sur la décentralisation, j'ai insisté sur le fait que les collectivités d'outre-mer, quel que soit leur degré d'autonomie, puissent compter sur la solidarité nationale.

M. Gérard Poadja. - Je tiens à féliciter mes collègues pour la qualité de leur rapport. Vous avez su parfaitement identifier l'ensemble des enjeux auxquels les territoires ultramarins sont exposés du fait des conséquences de la crise du Covid-19 et suggérer des propositions fortes et volontaristes à court et moyen termes sur l'ensemble des défis à relever. Je souhaite vous interroger sur la recommandation n° 6 concernant le prêt de la collectivité de la Nouvelle-Calédonie. Pour ma part, lorsque nous avons eu connaissance des conditions de ce prêt, je me suis exprimé à travers mon mouvement politique Calédonie ensemble pour dénoncer les contraintes qui obligent à réformer en profondeur la fiscalité et le système de protection sociale et va se traduire par la création de 146 millions d'euros d'impôts nouveaux pesant sur les entreprises et les ménages. Le taux du prêt s'élève à 1,48 % alors que le taux moyen aux collectivités locales était de 0,7 % en 2019. Pouvez-vous apporter des précisions sur le constat qui a conduit à cette recommandation ?

M. Stéphane Artano, rapporteur. - La procédure pour le prêt à la Nouvelle-Calédonie a été détaillée par M. Bertrand Willocquet, directeur du département des Trois Océans de l'Agence française de développement (AFD), lors de son audition le 30 avril dernier (en annexe du rapport). Il s'inscrit dans le cadre d'une convention tripartite entre l'État, l'AFD et la collectivité. M Willocquet a notamment précisé qu'il s'agissait d'un prêt sur 25 ans, avec deux ans de différé. Il ne sera pas bonifié, dans la mesure où il s'agit d'un prêt d'urgence, amortissable sur du long terme. La loi de finances rectificative a également prévu une conditionnalité à l'octroi de ce prêt. Les conditions sont en cours de négociation entre l'État et la Nouvelle-Calédonie et seront précisées dans cette convention tripartite. Elles porteront sur les réformes à mettre en oeuvre, ainsi que les modalités d'affectation des ressources. C'est dans le cadre de cette convention que peuvent avoir lieu les discussions. Il nous est apparu que les conditions et surtout les réformes pouvaient susciter quelques crispations, et qu'une plus grande flexibilité et souplesse dans la négociation était nécessaire, sans pouvoir entrer davantage dans le détail. Sur les réformes qui conditionnent l'emprunt suscitant des discussions sur le territoire, nous avons pensé qu'il était important d'appeler l'attention sur celles-ci.

M. Gérard Poadja. - Effectivement, les conditions de ce prêt créent des crispations aussi bien dans le monde économique que le monde politique. La même situation risque de se reproduire avec la Polynésie puisqu'un prêt est en cours de négociation et j'espère que ce ne seront pas les mêmes conditions.

M. Michel Magras, président. - Il nous appartiendra de faire en sorte que cette proposition soit suivie et nous sommes informés du projet de prêt pour la Polynésie également.

Mme Victoire Jasmin. - Je vous félicite, chers collègues, pour votre travail important réalisé pendant une période particulière. Il va aider à adapter les politiques publiques car les recommandations vont permettre, au-delà de cette période particulièrement difficile du confinement, à mieux appréhender l'avenir. Le rapport met en exergue les points faibles et les difficultés, pratiquement à tous les niveaux. Cela nous a permis en même temps de nous interroger. Je n'ai donc pas de questions en particulier mais la qualité des intervenants qui ont été sollicités fait que ce travail va nous servir à court, moyen et long termes. Je regrette seulement, Monsieur président, que vous ne soyez plus là pour le suivre et je salue le travail que vous avez initié à la tête de la délégation.

M. Gilbert Roger. - Le propos de notre collègue Gérard Poadja est significatif. Sur nos territoires, il y a une richesse de créativité, d'intelligence économique, sociale, universitaire, qui bien souvent est empêchée de produire ses effets par le pouvoir central à Paris dans les ministères. De l'autre côté du périphérique, en Seine-Saint-Denis, nous vivons exactement la même chose. Je pense au rapport que nous présenterons bientôt sur les enjeux européens en 2020 pour les outre-mer, il y reste encore beaucoup d'efforts à faire. Je suis très satisfait du travail de la délégation qui a énormément d'écho dans mon département où vivent de nombreux ultramarins.

M. Gérard Poadja. - Non seulement, je suis totalement d'accord avec les conclusions du rapport mais je souhaiterais qu'il soit adressé à nos collectivités et aux préfets.

M. Michel Magras, président. - Je vais conclure en redisant aux trois rapporteurs combien je suis satisfait du travail accompli. Une fois de plus la délégation a su être à la hauteur des circonstances. Le nouveau ministre sera également destinataire de ce rapport dès qu'il sera publié et nous aurons sans doute l'occasion de l'évoquer avec lui. Ce rapport sera transmis à toutes les personnes auditionnées, au Gouvernement et aux autorités locales.

La Délégation sénatoriale aux outre-mer a adopté le rapport à l'unanimité des présents