Jeudi 23 juillet 2020

- Présidence de M. Michel Magras, président -

Table ronde - La différenciation territoriale outre-mer : quel cadre pour le « sur-mesure » ?

M. Michel Magras, président. - Chers collègues, comme vous le savez, le président du Sénat, Gérard Larcher, a présenté, le 2 juillet dernier, « 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales », fruit des travaux du groupe de travail créé sous sa présidence au début de cette année. C'est dans ce cadre qu'il m'a chargé du volet outre-mer, autrement dit de réfléchir à l'évolution de l'exercice des libertés locales en outre-mer. Pour nourrir cette réflexion, j'ai procédé à l'audition des exécutifs et présidents des assemblées territoriales de l'ensemble des collectivités - à l'exception regrettable de Mayotte, la situation locale n'ayant pas permis au président de se rendre disponible à cet effet - et formulé des propositions reprises dans la contribution qui vous a été adressée et qui nous réunissent aujourd'hui.

Avant un rapide rappel de ces propositions, je souhaite remercier Véronique Bertile, Stéphane Diémert et Ferdinand Mélin-Soucramien, de s'être rendu disponibles pour nous apporter leurs éclairages. Je leur en sais d'autant plus gré que la période particulière nous a contraint à organiser cet échange dans un délai contraint.

Pour mémoire, le président du Sénat a, comme je vous l'annonçais, présenté sur ma proposition les trois recommandations suivantes :

· adapter les normes nationales et les modalités de l'action des autorités de l'État aux caractéristiques et contraintes particulières des territoires ultramarins par une loi annuelle d'actualisation du droit outre-mer ;

· prévoir la transmission au Premier ministre et aux assemblées parlementaires des propositions de modifications législatives ou règlementaires présentées par les territoires ultramarins ;

· réunir les articles 73 et 74 de la Constitution et permettre la définition de statuts sur-mesure pour ceux des territoires ultramarins qui le souhaiteraient. Je sais que nous nous rejoignons sur cette direction et je me réjouis d'aller plus avant dans la discussion de cette perspective au cours de la troisième séquence de l'après-midi.

Enfin, une quatrième proposition prévoit de faire de la dénomination « collectivités d'outre-mer » l'appellation générique qui s'appliquerait à l'ensemble des collectivités.

Lors de sa conférence de presse, le président Gérard Larcher a par ailleurs annoncé que ces propositions feraient l'objet d'un travail plus approfondi pour lequel j'ai été désigné rapporteur par les membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer. La différenciation territoriale est en effet un sujet qui m'est particulièrement cher, dans lequel je vois à la fois un moyen et un levier pour parvenir à mettre en adéquation l'environnement normatif des outre-mer avec l'objectif de leur développement. Je pense ici en particulier aux collectivités de l'article 73.

Dans cette optique, nos échanges de ce jour visent à explorer le cadre constitutionnel afin de considérer les biais par lesquels il peut d'ores et déjà être mis au service de cet objectif ou évoluer davantage en ce sens. Il va sans dire que nous ne saurions réfléchir en dehors du cadre républicain, de ses principes et de ses équilibres, ce qui implique notamment une sorte d'exercice de droit comparé interne avec les collectivités de l'article 72 car finalement, les outre-mer ne relèvent-ils pas à la fois du droit commun et de l'adaptation à des degrés plus ou moins importants, avec une compétence plus ou moins décentralisée au niveau des autorités locales pour cette adaptation ?

Autrement dit, l'adaptation n'est-elle pas le principe qui constitue le point de basculement de l'Hexagone aux outre-mer et la charnière de la relation entre les outre-mer et l'État central ? Cette problématique était d'ailleurs au coeur de l'étude en deux volets de la délégation sur les normes BTP et agricoles, qui a révélé la nécessité de mettre en lumière le caractère impérieux et vital de l'acclimatation des normes car en outre-mer, à la lourdeur de l'inflation normative s'ajoutant l'inadéquation aux réalités locales.

Une réflexion sur le cadre institutionnel en général, la répartition des compétences entre l'État et les collectivités ainsi que le degré de responsabilités locales constitue donc le prolongement naturel de cette approche par les normes pour passer à une logique de subsidiarité et de pertinence.

La révision constitutionnelle de 2003 a en cela amorcé une révolution culturelle avec l'idée de « statuts à la carte », à l'origine aussi bien des statuts de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin que de celui de Mayotte. Je relèverai également, entre autres avancées notables, le renforcement de la démocratie participative consistant à lier le caractère modulable du statut ou de l'organisation des institutions locales au consentement des populations.

Pour autant, elle n'a pas remis en cause la summa divisio historique entre les articles 73 et 74, à savoir l'identité législative pour les uns et la spécialité législative dans les matières transférées pour les autres. La réalité est, comme vous le savez, plus nuancée que ce que l'on croit au sein de l'article 74. De même, alors que l'article 73 devait assurer une forme d'uniformité au sein de cette catégorie, tel n'est plus véritablement le cas.

Il est à cet égard frappant de constater que les auditions des présidents des exécutifs et des assemblées territoriales peuvent être réparties selon la délimitation des deux articles de la Constitution. D'un côté, les collectivités de l'article 73 ont exprimé leur insatisfaction se traduisant par une volonté commune de différenciation qui, en réalité, ne se distingue pas par sa nature mais par son degré d'exercice des responsabilités locales. Certaines veulent exercer la compétence d'exécution quand d'autres souhaitent pouvoir adapter la compétence jusqu'à créer une règle première. De l'autre côté, les collectivités de l'article 74 ont exprimé leur pleine satisfaction de leur statut. Certaines d'entre elles ont même clairement exprimé leur souhait d'aller encore plus avant.

Vous l'aurez compris, l'intention de cette réflexion est de déterminer le socle constitutionnel commun qui réponde à l'aspiration de chacune des collectivités à un cadre institutionnel favorisant son épanouissement et l'efficacité des politiques publiques. En filigrane, il y a bien sûr l'urgence d'une nécessaire refondation de la relation entre l'État et les outre-mer qui passe par une réforme de l'exercice des libertés locales et de la culture outre-mer.

Comme indiqué par courrier et si vous en êtes d'accord, chaque séquence pourra être ouverte par une intervention de chacun des intervenants et sera suivie des questions des sénateurs présents qui le souhaiteront.

Séquence 1 - Quel niveau de différenciation par rapport aux collectivités de l'article 72 ?

M. Michel Magras, président. - L'organisation des collectivités de l'article 72 est déjà largement différenciée, que ce soit avec Paris, Lyon, Marseille ou encore l'Eurométropole de Strasbourg. Le Président de la République a par ailleurs annoncé un projet de loi organique sur la différenciation. Jusqu'où le cadre constitutionnel permettra-t-il d'aller en matière de différenciation ? La comparaison me semble utile afin de vérifier si la différenciation de droit commun pourrait répondre au besoin d'adaptation des outre-mer et comment.

Au cours des auditions, les exécutifs et le président d'assemblée Claude Lise ont unanimement décrié la procédure d'habilitation jugée complexe et lourde, sans oublier la dose d'appréciation en opportunité politique qu'elle prévoyait. Elle constitue pourtant un outil permettant aux collectivités de procéder elles-mêmes à l'adaptation.

M. Ferdinand Melin-Soucramanien. - Effectivement, l'adaptation pour les normes applicables aux outre-mer est possible depuis longtemps, puisque l'on trouve encore dans le droit des outre-mer des fragments de droit colonial. La révision de 2003, amplifiée en 2008, a fortement changé la situation, via notamment cette question de l'habilitation. Les réserves les plus fortes ont été émises par un certain nombre de Réunionnais, notamment un sénateur. À mon sens, l'habilitation et la possibilité pour les collectivités territoriales d'outre-mer de créer leurs propres normes à l'issue d'une délégation, par le biais soit du Parlement, soit du Gouvernement, demeurent extrêmement importantes pour des raisons d'efficacité des politiques publiques, des raisons politiques, juridiques et psychologiques. Vous avez évoqué la culture outre-mer ; ce terme me semble important. L'habilitation offre aux collectivités territoriales d'outre-mer la possibilité de s'approprier les normes, pour les élus comme les citoyens. Je continue donc à défendre cette voie. L'expérience de la Guadeloupe démontre que celle-ci présente des difficultés et peut être coûteuse. Elle peut néanmoins être utilisée. Les délégations du Sénat et de l'Assemblée nationale peuvent faire office de point de rencontre pour les collectivités qui auraient certains besoins. La direction générale des outre-mer du ministère (DGOM) pourrait elle aussi jouer un rôle. Une série de partenaires institutionnels doit ainsi être mobilisée en vue de mettre en commun des compétences, afin de permettre à des collectivités d'avancer dans cette voie. Certaines collectivités, comme la Martinique, ont bénéficié de ces habilitations et le pourraient encore.

La voie de l'expérimentation s'ouvre également, bien qu'elle n'ait pas rencontré un grand succès dans l'hexagone ou outre-mer. La situation a cependant évolué. La décision récente du Conseil d'État au sujet de la Guyane rouvre une voie. Jusqu'à présent, une expérimentation, si elle était réussie, était généralisée à l'ensemble du territoire de la République, ou il y était mis fin. Le Conseil d'État a en l'occurrence ouvert une nouvelle voie pour les outre-mer, reposant sur leurs spécificités, notamment en matière de demande d'asile. Ainsi, une expérimentation réussie sur un territoire donné peut être poursuivie pour ce territoire uniquement, ce qui revient à créer une norme propre.

J'insiste à nouveau sur la défense de l'habilitation, avec l'optique de permettre une appréciation et un changement culturel quant à l'idée que les collectivités territoriales sont capables de créer leurs propres normes. Bien souvent, elles sont plus efficaces, comme en témoignent les exemples de la Nouvelle-Calédonie ou de la Polynésie.

M. Michel Magras, président. - Je confirme que lorsque j'ai auditionné les exécutifs des collectivités, la Réunion a souhaité aller plus en avant sur la notion d'expérimentation, marquant une progressivité et une crainte de s'engager dans l'inconnu. Par ailleurs, l'habilitation est freinée par la question du financement. Ce sujet est effectivement très intéressant.

M. Stéphane Diémert. - J'aurais également tendance à considérer que l'actuel article 73, et quoi qu'il devienne, n'a pas fait l'objet d'une exploitation complète de toutes ses potentialités concernant les habilitations. Certaines collectivités s'y sont risquées, d'autres non. Des freins ont certes pu se présenter et certaines procédures n'ont pas fonctionné correctement, en lien avec l'affaiblissement considérable du ministère de l'outre-mer à partir de 2008. Je rappelle à cet égard que le ministère de l'Intérieur a mis en oeuvre sa révision générale des politiques publiques (RGPP) en administration centrale au détriment du seul ministère de l'outre-mer, puisque 60 ou 70 postes ont été supprimés uniquement rue Oudinot, au profit d'ailleurs de la création de services supplémentaires place Beauvau... Il y aurait matière à réfléchir à une réorganisation du Secrétariat général du Gouvernement et à celle des procédures parlementaires, qui sont parfois très longues s'agissant des textes relatifs à l'outre-mer (tels que les ratifications d'ordonnances) : la législation en commission n'est pas entrée dans les moeurs, alors que les textes liés à l'outre-mer s'y prêtent (il s'agit en effet, le plus souvent, d'étendre localement des dispositifs déjà adoptés en métropole). Nous pouvons ainsi nous interroger sur l'absence de décisions parlementaires implicites d'acceptation, qui permettraient d'accélérer les procédures (elles existent d'ailleurs en droit comparé), puisque les demande d'habilitation pourraient être adoptées dès lors que le Parlement (en réalité, ses commissions) y consentiraient par leur silence. Cet aspect procédural est sans doute à l'origine de nombreux ralentissements et donc du mauvais fonctionnement de la procédure d'habilitation.

Par ailleurs, toutes les possibilités ouvertes par les notions de « caractéristiques et contraintes particulières » n'ont pas été exploitées. Cette rédaction, inspirée du traité européen, était supposée ouvrir davantage la faculté d'adaptation des normes par les autorités nationales. Ainsi, ressort de vos travaux précédents que les élus de la Martinique déplorent un problème d'articulation entre son organisation intercommunale (il y existe quatre intercommunalités) et la collectivité territoriale « unique » : or, à Lyon, cette difficulté a été résolue par la fusion du niveau intercommunal avec le département. On perçoit mal pourquoi ce qui fut possible en métropole sur le fondement de l'article 72 ne le serait pas dans le cadre de l'article 73. Il est donc impératif de tenir compte de toutes les possibilités d'adaptation offertes par l'article 73, et de ne pas l'interpréter trop frileusement.

Quant à l'article 74, il ne prévoit pas un certain nombre de procédures dont l'absence se révèle source de lenteurs et de complications. Ainsi, en est-il du droit pénal de l'environnement à Saint-Barthélemy : alors que des voies sont ouvertes en matière de possibilité pour les collectivités d'intervenir dans des matières « régaliennes » - telles que le droit pénal -, dans le cadre de la procédure de participation à ces compétences en principe non délégables aux collectivités d'outre-mer - la jurisprudence restrictive du Conseil constitutionnel (qui a censuré la possibilité pour les actes ainsi adoptés d'entrer en vigueur avant leur ratification parlementaire, à la différence des ordonnances) a privé de tout effet utile cette innovation de la révision constitutionnelle de 2003.

S'agissant de l'expérimentation, je demeure sceptique quant à son intérêt intrinsèque pour l'outre-mer. Sauf erreur, pour la Guyane, on a évoqué l'expérimentation de l'article 37-1, alors que l'article 73 qui peut servir de fondement à l'édiction par le Gouvernement des dispositions réglementaires spécifiques pour les DROM me paraît largement suffire. S'agissant de l'expérimentation de l'article 72 à l'initiative des collectivités locales, encadrée par la loi organique de 2004, elle m'apparaît au moins aussi complexe, si ce n'est davantage, que les procédures d'habilitation prévues pour l'article 73. Je peine donc à comprendre ce que nous pouvons obtenir de l'expérimentation de droit commun pour les outre-mer.

Si une révision constitutionnelle venait à être adoptée pour tenter de résoudre ces difficultés, il faut bien avoir conscience que tout ce qu'elle ne prévoira pas explicitement en termes de procédures parlementaires dérogatoires (telle qu'une procédure d'adoption par silence tacite) ne pourra ensuite être institué par le législateur. Dans l'exemple de la participation des collectivités de l'article 74 à l'exercice des compétences dites « régaliennes » de l'État, personne n'imaginait, jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel le juge à propos de la Polynésie, que les normes adoptées en matière législative par les COM ne puissent provisoirement entrer en vigueur sans leur approbation préalable par la loi, alors que le dispositif du 11ème alinéa de l'article 74 avait été précisément conçu en ce sens. J'insiste donc sur la nécessité pour le Constituant d'être très précis, s'agissant des procédures spécifiques que la situation juridique propre à l'outre-mer réclame, sous peine de rencontrer des déconvenues devant le Conseil constitutionnel. Ces questions procédurales, pour techniques, sinon un peu hermétiques qu'elles soient pour tous ceux qui ne sont pas familiers des modalités d'adoption des textes législatifs et réglementaires pour techniques, revêtent, j'y insiste, une importance décisive alors que l'une des principales critiques formulées - sans doute à juste titre - quant à la situation du droit de l'outre-mer réside dans la lenteur des processus décisionnels.. J'insiste donc sur la nécessité d'être très précis, s'agissant en particulier des procédures.

Sur la question de l'organisation de l'administration centrale, sans un ministère de l'outre-mer de nouveau composé d'experts en nombre suffisant et sans un Secrétariat général du Gouvernement plus sensible à ces questions, bon nombre de textes peineront à être adoptés. La question européenne est également d'importance s'agissant au moins des RUP car si les questions d'adaptation sont sensibles en droit national, elles ne sont au moins autant en droit européen. Nous nous heurtons ici à des phénomènes d'incompréhension sans commune mesure avec des problèmes que nous pouvons rencontrer en métropole.

S'agissant de la mutualisation des moyens, on peut déplorer que chacune des collectivités avance dans sa direction propre sans se concerter avec ses homologues, alors que nombre de problèmes juridiques qu'elles rencontrent sont proches, sinon identiques. À défaut de voir l'État, tant central que déconcentré, se renforcer sur les questions ultramarines, les collectivités pourraient donc avoir intérêt à échanger entre elles et partager leurs réflexions juridiques, dans un cadre qu'il leur appartient évidemment de déterminer librement.

M. Michel Magras, président. - Je note des points qui m'interpellent particulièrement. Vous avez soulevé que le Gouvernement ne s'était pas suffisamment intéressé à la situation et n'avait pas su trouver les moyens nécessaires, mais il ne peut savoir ce dont il n'est pas informé. Les collectivités d'outre-mer de l'article 74 ont la possibilité de faire remonter leurs problématiques et de les défendre dans les ministères ; un département est davantage gêné dans l'adaptation d'une loi. Les Martiniquais, lorsqu'ils se sont exprimés sur la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République dite loi NOTRe, ont voulu signifier que celle-ci s'appliquait dans l'ensemble de la République à l'exception des collectivités de l'article 74, en créant de nouvelles strates. Dans les petits territoires comme ceux des outre-mer, la structure aurait dû être adaptée.

Mme Véronique Bertile. - Le droit des outre-mer est particulièrement complexe, et il convient dès lors de s'assurer que nous abordons les mêmes sujets. S'agissant d'abord de l'adaptation, l'État français est construit sur des valeurs d'universalisme, d'égalité et d'une même loi pour tous, depuis 1789. Nous nous trouvons toujours bloqués par ce jacobinisme quand nous cherchons à évoquer le sujet des évolutions statutaires en outre-mer. Dès 1958, la Constitution, dans son article 73, permettait une adaptation opérée par le législateur national. Cette pratique est relativement convenue depuis cette date.

En revanche, la question de l'adaptation par les autorités locales pose davantage question. Celle-ci ne s'inscrit pas dans la culture jacobine française, et donne dès lors naissance à un certain nombre de freins. S'agissant ensuite de la question de la répartition des compétences, il est nécessaire de préciser les acteurs et le sujet concernés. L'article 34 de la Constitution opère une répartition entre les domaines de la loi et du règlement. Il s'agit donc de savoir si les outre-mer, lorsqu'ils demandent un pouvoir législatif, font référence à un pouvoir normatif autonome ou un pouvoir législatif matériel. Dans ce dernier cas, les autorités locales pourraient intervenir dans le domaine matériellement législatif. Elles pourraient également souhaiter disposer d'un pouvoir législatif normatif, organique, et non plus pas seulement matériel. Les différents interlocuteurs doivent donc s'accorder sur l'objet de leur discussion.

Je suis d'accord avec Ferdinand Mélin-Soucramanien et Stéphane Diémert. L'article 73 a été largement sous-exploité, notamment par manque de réactivité nationale. Le code général des collectivités territoriales et les différentes évolutions qui ont eu lieu prévoient déjà les mécanismes permettant aux autorités locales de procéder à des remontées auprès des autorités nationales. S'agissant des adaptations et des habilitations, de nombreuses demandes n'ont jamais trouvé de réponse à Paris. Le manque de réactivité local n'est donc pas seul responsable. Le droit a évolué beaucoup plus rapidement que les mentalités, les cultures et les habitudes. En 2003, une sorte de « couteau suisse » d'outils a été offert aux outre-mer ; mais ceux-ci ne savent pas concrètement les utiliser, faute d'information et de formation. Il est nécessaire de dépasser le mode traditionnel de fonctionnement, selon lequel tout provient de Paris et les autorités locales ne sont ni informées ni formées.

Outre mes expériences au ministère des outre-mer sur un champ très précis, j'ai été reçue en début de mandat par Emmanuel Macron, à la demande de son conseiller outre-mer. Celui-ci m'expliquait que le Président ne s'estimait pas tributaire de toute l'histoire coloniale et qu'il était favorable à l'idée de conférer davantage de pouvoirs aux outre-mer. Sa seule limite était la capacité de faire. Celle-ci ne semblait pourtant pas poser de problème pour les élus alsaciens lors de la création de la « collectivité européenne d'Alsace ». . Des raisons politiques, de gouvernance peuvent être invoquées, mais aussi des raisons psychologiques et culturelles, qui me paraissent plus difficile à surmonter et échapper aux juristes que nous sommes.

Nous avons organisé une table ronde à l'Assemblée nationale en 2019 au cours de laquelle il a été rappelé que la Nouvelle-Calédonie a mis presque 20 ans pour s'approprier la capacité normative. La situation progresse malgré tout.

Il s'agit donc de savoir ce dont nous parlons, dans une optique de simplification. S'agit-il d'un pouvoir législatif matériel ou organique ? La Polynésie française a un pouvoir législatif matériel, mais pas de pouvoir législatif organique. Même s'ils interviennent dans le domaine de la loi, les actes administratifs pris par les autorités polynésiennes restent soumis au contrôle du Conseil d'État, contrairement à la Nouvelle-Calédonie, où le pouvoir législatif est à la fois matériel et organique. Les lois de Polynésie française sont des actes administratifs mais les lois de Nouvelle-Calédonie sont des actes législatifs soumis au Conseil constitutionnel, seul juge de la constitutionnalité de la loi en France.

M. Michel Magras, président. - Nous avons une certitude en tant que parlementaires : même au niveau national, une fusion de l'article 73 et de l'article 74 et la question du pouvoir législatif ou réglementaire ne sont pas assimilés de la même façon. S'agissant de l'idée que l'adaptation puisse être conduite au niveau national, celle-ci n'est jamais satisfaisante pour les outre-mer. Nous souhaitons pouvoir rapprocher le pouvoir au plus près du citoyen. L'adaptation doit être réalisée par ceux qui en ont besoin, à condition qu'ils sachent le formuler. Il se pose en outre le problème du financement. Il est cependant utile d'évoquer les freins psychologiques et culturels, qui sont fréquents. En ce qui concerne la participation aux compétences de l'État, il s'agit d'un problème majeur. Le président de la Nouvelle-Calédonie a évoqué par exemple l'exercice de la compétence judiciaire, afin de mieux lutter contre la délinquance sur son territoire.

Mme Véronique Bertile. - En matière de répartition des compétences, la totalité de la compétence judiciaire n'est pas transférée. Une division des compétences est en effet possible, comme dans les États fédéraux ou régionaux.

M. Antoine Karam, sénateur. - . Je me considère comme un « grand témoin » après 40 ans de ce combat mené par mon territoire et d'autres territoires pour un changement ou une évolution institutionnelle outre-mer. Je serais en mesure de vous fournir une chronologie de l'histoire de la question statutaire depuis la loi de départementalisation et « SOS Ici Guyane », écrit par Justin Catayée en 1955, qui dénonçait déjà les faiblesses de la départementalisation, particulièrement sur le plan des compétences et du développement économique. Nous sommes ensuite entrés dans une période où les mouvements autonomistes et indépendantistes ont pris forme et commencé à poser la question statutaire.

Je suis un des trois signataires et initiateurs de la déclaration de Basse-Terre, en 1999, qui avait fait beaucoup de bruit au sein du gouvernement de cohabitation, le jour même de l'arrivée de Lionel Jospin aux Antilles pour une conférence. Cette déclaration nous a conduits à la consultation populaire de 2003, dont vous connaissez le résultat.

L'histoire s'est répétée. À chaque crise sociale, la rue pousse les élus à revenir sur cette question statutaire et institutionnelle. Mon territoire est à 5 000 km de la France hexagonale ; ces quarante dernières années, chaque gouvernement a démontré son incapacité à écouter les outre-mer et sa volonté d'imposer sa vérité et ses intérêts. En ce qui concerne la Guyane, un choix délibéré a été fait, depuis 1964, par le Général de Gaulle, qui avait pourtant déclaré en 1960 qu'il était dans la nature des choses qu'un pays aussi éloigné « puisse bénéficier d'une autonomie proportionnée à son éloignement ». La Guyane est devenue alors une base spatiale.

Le « mal français » est de toujours chercher à complexifier ce qui peut être simple. Les idées généreuses des technocrates, en effet, ne sont pas adaptées à nos situations. Nous avons donc besoin de vous pour nous accompagner d'un point de vue juridique. Les idées qui doivent être avancées doivent être fondamentalement politiques. L'autonomie, par ailleurs, ne s'apparente pas à une sortie de la République. Nous souhaitons un vivre-ensemble et un partenariat gagnant-gagnant, grâce à nos ressources, nos potentialités et nos richesses. Aujourd'hui, en dépit de nos ressources diverses, nous continuons à vivre d'assistanat et de transferts sociaux. Le combat est fondamentalement politique. Nous devons savoir ce que nous voulons. Lorsque nous aurons ce cahier des charges, si nous parvenons à nous entendre, je ne vois pas quel gouvernement mettrait une entrave à notre volonté politique, pourvu que nous soyons prêts à démontrer notre volonté à agir sur le plan juridique, par le biais d'une loi organique.

M. Michel Magras, président. - À Saint-Barthélemy, nous avons prouvé que lorsque nous sommes unis et savons où nous voulons aller, nous nous inscrivons dans un chemin sur lequel personne ne cherche à revenir. J'estime que nous évoluons tous sur des chemins parallèles, et que les uns doivent accompagner les autres.

Nous reviendrons sur la question de l'autonomie, car vous avez soulevé des questions dont il me revient de rendre compte.

Je souscris par ailleurs à vos propos sur l'absolue nécessité de l'expertise.

Mme Victoire Jasmin. - Nous constatons aujourd'hui une véritable méconnaissance de nos territoires de la part des gouvernements successifs. Les territoires sont divers. Nous avons effectué des déplacements dans le cadre de la réalisation d'un rapport de la délégation des outre-mer en deux volets sur la prévention et la résilience des risques naturels majeurs, à la suite des ouragans Irma et Maria. Alors que le Gouvernement était en place depuis quelques mois seulement, le préfet arrivait avec une grande méconnaissance du territoire. Cela a eu de lourdes conséquences en termes de commandement opérationnel. Mes prédécesseurs n'ont peut-être pas eu la chance d'avoir eu accès à des experts. Je remercie le président de la délégation à cet égard. Ces échanges sont en effet très enrichissants et formateurs. Nous devons être en capacité d'informer nos populations, qui sont plutôt bienveillantes à l'égard des élus mais, du fait d'un manque d'informations claires et pertinentes, peuvent devenir méfiantes. Nous devons donc poursuivre notre travail et nous informer davantage.

M. Ferdinand Melin-Soucramanien. - Je souhaite revenir sur deux questions concrètes qui ont été soulevées. Stéphane Diémert a soumis une suggestion au sujet de la décision parlementaire implicite d'acceptation s'agissant des demandes d'habilitation. Il s'agit d'un point extrêmement important et à retenir, comme en témoignent les exemples de la Martinique et de la Guyane, qui ont tenté par deux fois de lancer des habilitations et qui ont échoué, faute de réponse du Gouvernement et du Parlement.

Sur le point de la mutualisation, il est vrai que les ultramarins ont souvent tendance à considérer que le Gouvernement hexagonal ne connaît pas leurs réalités. Or les ultramarins se méconnaissent largement entre eux. J'invite souvent les élus réunionnais que je connais à s'intéresser à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie. Les délégations parlementaires sont extrêmement utiles, en ce qu'elles permettent cette rencontre. Nous pourrions imaginer les renforcer en les accompagnant d'une forme de comité pérenne chargé par exemple de l'ingénierie juridique sur un certain nombre de problématiques communes.

Enfin, nous ne devons pas désespérer. L'exemple de la Nouvelle-Calédonie m'intéresse beaucoup. À l'occasion d'un récent échange, le chef des services législatifs du congrès néo-calédonien faisait part d'un problème de codification à la suite d'une multiplication des textes. Elle s'est ainsi munie d'une ingénierie juridique. Le temps et la volonté, qui ont fait défaut jusqu'à présent, sont donc nécessaires.

M. Stéphane Diémert. - La question de la mutualisation se pose effectivement. C'est à mon sens du côté du Sénat qu'elle pourra se résoudre. Il est nécessaire de contourner l'inertie de l'administration centrale. Ce point me semble aussi important que les questions de substance du statut.

Dans le cadre d'une mission effectuée avec un ancien commissaire européen espagnol, celui-ci avait évoqué les structures de mutualisation mises en place par les communautés autonomes espagnoles, sous forme d'associations nationales. En l'absence de ministère national référent, il s'agit d'un organe de conseil des communautés autonomes espagnoles, leur permettant d'exercer leur pouvoir normatif. Une piste pourrait ainsi être explorée.

M. Stéphane Artano. - Concernant l'habilitation législative, dans l'exemple de Saint-Pierre-et-Miquelon, le conseil territorial a adopté une délibération en juin 2019 sur une demande d'habilitation parlementaire sur une demande de transports en biens maritimes. Elle a été publiée au journal officiel en avril 2020. Je suis donc très sensible à une procédure permettant l'accélération du traitement d'une demande d'habilitation. Un dispositif de réponse implicite s'inscrirait dans cette démarche.

Par ailleurs, lorsque j'étais président de l'association des PTOM au niveau de l'Union européenne, j'avais proposé aux trois collectivités (COM) de créer une association. En effet, le Gouvernement nous consultait les uns après les autres sur des sujets juridiques qui se télescopaient. Nous avions intérêt à nous concerter pour avoir des démarches juridiques communes et faire évoluer nos statuts sur des points nous permettant de nous renforcer face au Gouvernement. Aujourd'hui, nous connaissons assez peu les perspectives qu'offrent les autres statuts, mais aussi nos propres statuts. Ceci participe de notre responsabilité politique d'élus nationaux ou territoriaux. Il appartient à chacun de respecter son cadre législatif et le code général des collectivités territoriales. L'État ne doit pas être complice, sur les territoires, d'une mise en oeuvre des statuts qui complique la lecture juridique. Les statuts ou les codes sont suffisamment clairs sur un certain nombre d'aspects pour permettre le respect des règles applicables. Je suis donc très prudent sur les modifications institutionnelles. J'ai notamment résisté, face à François Hollande, à une modification législative et constitutionnelle initiée par un ministre issu de mon territoire. Les deux décrets organisant un référendum ont ainsi dû être annulés en conseil des ministres.

Mme Véronique Bertile. - En ce qui concerne le meilleur statut pour la Guadeloupe, je manque de certains éléments et de certaines connaissances du territoire pour pouvoir vous répondre, mais nous aurons l'occasion d'en discuter. Quelques collègues ont également travaillé sur ces sujets et manifestent pour une autonomie de la Guadeloupe.

Il est intéressant de savoir que la collectivité a fait une demande d'habilitation qui n'a été publiée qu'un an plus tard et d'affirmer qu'il est nécessaire d'utiliser les outils et les textes existants. La procédure doit être améliorée.

S'agissant de la mutualisation et de la connaissance mutuelle des territoires, elle est effectivement essentielle. Mais cette mutualisation n'est pas toujours aisée. Pour vous donner un exemple : j'ai assisté au conseil de coordination interportuaire Antilles-Guyane, qui réunissait la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique. Il était alors difficile, chacun faisant valoir ses spécificités, de prendre une position commune. Sur certains sujets, une mutualisation et une force commune face à Paris seront tout à fait possibles. Sur d'autres, chacun mettra en exergue ses spécificités.

M. Michel Magras, président. - Je souhaiterais revenir sur certains sujets. Vous avez insisté sur la méconnaissance de l'existant, tant entre nous que du côté de l'État. C'est en ce sens que travaille la délégation sénatoriale aux outre-mer depuis six ans : faire connaître les réalités propres à chacun des territoires au niveau national. De manière générale, les collègues métropolitains sont de plus en plus nombreux à adopter une approche très intéressante quant aux réalités des outre-mer. Réciproquement, le Sénat est de plus en plus reconnu par les territoires comme l'instance nécessaire pour faire avancer les problèmes qui les concernent. C'est en ce sens que j'ai souhaité que les propositions qui émanent des outre-mer puissent être envoyées au Parlement, notamment au Sénat, au-delà du seul Premier ministre.

Ferdinand Mélin-Soucramanien a évoqué la possibilité d'un comité pérenne. Nous avons progressé au sein de la délégation, passant d'une organisation interne du Sénat à un statut inscrit dans la loi. Pour autant, la délégation sénatoriale a choisi de ne pas intervenir dans le travail législatif. Elle informe et propose, et les parlementaires ou le Gouvernement ont le pouvoir de déposer des propositions ou des projets de loi. D'autres instances existent cependant, comme l'intergroupe parlementaire, qui a vocation à être une instance politique mais n'est plus actif. Le commissaire national d'évaluation des politiques de l'État outre-mer, quant à lui, n'a pas de moyens et se contente de réaliser des bilans qui ne sont pas suivis d'effets.

Je veillerai à intégrer aussi fidèlement que possible vos propositions.

Séquence 2 - L'autonomie outre-mer : réalité juridique et mythe politique

M. Michel Magras, président. - J'aborde à présent la seconde séquence. En 2014, la délégation sénatoriale aux outre-mer avait organisé un colloque intitulé « Un kaléidoscope de l'autonomie locale », démontrant combien cette notion était protéiforme. En outre-mer, elle est historiquement associée à l'idée de rupture avec la solidarité nationale et la protection sociale dans les collectivités de l'article 73. Dans les collectivités de l'article 74, elle est davantage associée à l'idée de l'exercice de responsabilités locales. La révision constitutionnelle de 2003 a quant à elle consacré la notion d'autonomie en distinguant, au sein de l'article 74, les collectivités d'outre-mer autonomes et celles qui sont dotées d'autonomie. Dans tous les cas, la ressource financière est au centre de la réflexion statutaire, qui va de pair avec une nécessaire autonomie financière. S'agissant de la Nouvelle-Calédonie, elle se situe très loin dans l'exercice des libertés locales, ce qui confère à la France une organisation quasi-fédérale compte tenu du degré d'autonomie de ce territoire.

Je vous propose d'aborder, avec cette séquence, les enjeux de l'autonomie outre-mer. Quel lien peut-on établir entre autonomie et transfert de compétences ? L'ensemble des collectivités de l'article 73 a abordé la problématique de la ressource financière au centre de la démarche statutaire. La conscience de la fragilité financière est souvent un frein au changement statutaire. Peut-on établir une distinction entre les collectivités autonomes et celles dites dotées de l'autonomie ? Saint-Barthélemy et Saint-Martin constituent deux collectivités dotées de l'autonomie mais régies par le droit commun dans de larges matières, dont le bloc de santé et la protection sociale. Le Gouvernement avait d'ailleurs repoussé, en 2015, la demande de création d'une caisse autonome de sécurité sociale par la collectivité de Saint-Barthélemy, au nom de la solidarité nationale. Cette décision était très discutable. Ces deux statuts démontrent que l'autonomie n'est pas incompatible avec le maintien des liens avec l'État. Cela a d'ailleurs été rappelé par le président de la Polynésie française, Édouard Fritch, lorsque je l'ai interrogé.

M. Stéphane Diémert. - Je souhaite, liminairement, que l'on cesse de s'illusionner sur l'interprétation du terme « autonomie » au sens que l'article 74 de la Constitution donne à ce concept. En 2003, et alors que le projet de révision constitutionnelle était en cours d'élaboration, le cabinet de la ministre de l'outre-mer préparait également un projet de loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française, dont le président de l'époque était politiquement très proche du Président de la République : l'orientation politique était donc de donner suite, autant que possible, aux demandes de cet élu. La Polynésie française devait ainsi voir son autonomie confortée sur le plan substantiel, mais sans aboutir pour autant jusqu'à des dispositions identiques à celles adoptées en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat sous le Gouvernement Jospin - prenant la forme d'un titre spécifique consacré à la Polynésie française dans la Constitution - lesquelles avaient finalement été retirées de l'ordre du jour du Congrès du Parlement. La Polynésie devait donc être intégrée dans l'article 74, comme les autres collectivités d'outre-mer, tout en s'en distinguant néanmoins de manière significative. Il a donc été convenu de consacrer la première partie de l'article 74 à l'ensemble des territoires qui en relèvent, et la seconde partie plus spécifiquement à la Polynésie française, seule alors à prétendre bénéficier - en vertu de la loi organique statutaire en préparation - de cette « autonomie » que la loi organique du 12 avril 1996 lui avait d'ailleurs déjà accordée nominalement. La notion constitutionnelle de « collectivités d'outre-mer dotées de l'autonomie » découle donc de cette démarche aux motivations très conjoncturelles. Il convient donc de ne pas accorder à cette disposition constitutionnelle une portée excédant les circonstances de sa conception.

L'autonomie suppose de s'administrer soi-même et a minima de fixer une partie des règles applicables sur son propre territoire. Toutes les collectivités d'outre-mer sont en réalité plus ou moins autonomes, mais celles relevant de l'article 74 disposent d'une autonomie partielle conséquente. Le transfert de larges compétences matérielles les conduit à exercer un pouvoir normatif - et même législatif - matériel et non pas organique, dans le sens où les collectivités interviennent dans un domaine qui, au niveau central, est réservé au Parlement. Les exemples de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon démontrent que cette autonomie peut n'être que partielle et coexister avec une large part d'application de plein droit du droit commun national sous un même statut. Un territoire pourrait néanmoins voir une partie de ses compétences exercées de manière autonome et une autre réservée à l'État, sous le régime de la spécialité : c'est pour l'essentiel le cas de la Polynésie française et de Wallis-et Futuna. L'article 74 permet en effet de déplacer assez aisément le double « curseur » du pouvoir normatif local et de la spécialité législative pour les normes étatiques : il ne semble pas pertinent de mettre fin à ce dispositif. En outre, dans le cadre de l'article 73, si le régime des habilitations fonctionnait mieux, des pans entiers de la législation - « dans un nombre limité de matières » précise la Constitution - pourraient être adoptés localement.

Dans le droit constitutionnel actuel, en revanche l'autonomie institutionnelle (soit la capacité à s'auto-organiser) n'existe (presque) pas, à la différence des systèmes portugais ou espagnol. L'existence d'un exécutif responsable et séparé de l'assemblée, le régime électoral, etc., sont toujours fixés par le Parlement national. S'agissant de l'exercice du pouvoir « législatif » (ie dans le domaine que la Constitution réserve à la loi au niveau national), deux différences existant  : l'une est relative au juge (le Conseil constitutionnel pour les « lois du pays » de la Nouvelle-Calédonie, le juge administratif et dans certains cas le Conseil d'État pour les autres), et l'autre porte sur la possibilité pour la loi de rétroagir, et notamment de s'appliquer aux contrats en cours (c'est possible en Polynésie française), voire valider des actes administratifs irréguliers (seules les lois du pays de la Nouvelle-Calédonie y peuvent procéder). Mais ces différences, pour intéressantes qu'elles soient sur le plan théorique, ont peu de portée pratique, les incidents contentieux étant relativement circonscrits. Dans toutes les collectivités de l'outre-mer non départementalisé, les assemblées exercent bin un pouvoir normatif dans le domaine de la loi, qui conduit à l'existence d'un droit local autonome, potentiellement différent du droit commun national : c'est bien cela qui compte !

Cette possibilité locale d'intervenir dans le domaine de la loi peut évidemment conduire à une complexification du droit : nos collectivités d'outre-mer n'échappent pas à ce phénomène global, mais il peut les affecter plus sérieusement car il entre dans leur champ de compétence de régir des domaines d'une particulière complexité (tel est le cas du droit des assurances) sans bénéficier de l'expertise adéquate d'une administration puissante... Il peut donc en résulter des risques sérieux pour une collectivité qui pourrait voir sa responsabilité engagée à raison de malfaçons normatives. Il est toutefois possible d'imaginer des mécanismes nouveaux, dans lesquels le droit de l'État s'appliquerait tant que la collectivité n'aurait pas adopté un texte spécial y dérogeant ou l'abrogeant : voilà qui permettrait de résoudre certains problèmes d'absence d'évolution du droit, où l'on voit le droit local, fondés sur des textes « gelés » à la date du transfert de la compétence normative de l'État vers la collectivité, se scléroser faute de modernisation, et dépendre de jurisprudences peu à peu oubliées (tel est par exemple le cas du droit des procédures collectives en Polynésie française, encore fondé sur les lois « Badinter » de 1984-1985 que plus personne n'applique). Certains mécanismes d'hybridation des procédures doivent être explorés, plutôt que de toujours raisonner en termes de transfert « brut » de compétences normatives. L'exigence de sécurité juridique l'impose.

M. Michel Magras, président. - Cette proposition est très intéressante.

Mme Véronique Bertile. - Le terme d'autonomie est un des termes le plus tabous en droit constitutionnel français, en ce qu'il peut recouvrir de nombreuses acceptions. Il ne se suffit d'ailleurs jamais à lui-même dans les textes et est toujours qualifié par un adjectif : autonomie administrative, financière, politique, institutionnelle, etc. Nous devons ici encore nous assurer que nous parlons de la même chose.

En droit constitutionnel, pour la classification États fédéraux, unitaires ou régionaux, la seule autonomie dont il est question est politique et législative, c'est-à-dire la capacité de prendre des normes premières. Je ne rejoins pas Stéphane Diémert lorsqu'il considère que les statuts de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française ne sont pas si éloignés. Les transferts de compétences sont définitifs en Nouvelle-Calédonie, ce qui n'est pas le cas en Polynésie française. Cette différence est notable.

S'agissant du pouvoir de prendre des lois, dans un État unitaire, seul le Parlement national central en dispose. Dans un État régional de type espagnol ou italien, les collectivités infra-étatiques (Communautés autonomes ou Régions) peuvent prendre des lois. La Constitution établit une répartition des compétences entre ce qui relève de l'État et ce qui relève des collectivités et tranche la question de savoir si la compétence de principe revient à l'État ou à la collectivité. L'application de la compétence de l'État tant que la collectivité n'a pas agi s'apparente à la relation de l'Union européenne avec ses États membres. Les collectivités infra-étatiques ont donc un pouvoir législatif dans des domaines de compétences qui leur sont attribués et pour lesquels l'État ne peut légiférer. Enfin, dans un État fédéral, les États fédérés ont non seulement un pouvoir législatif mais aussi un pouvoir constitutionnel. L'autonomie n'est pas l'indépendance et n'est donc pas du tout incompatible avec l'appartenance à la République.

L'autonomie dont on parle ne revient pas à s'administrer librement mais à se gouverner librement : s'administrer librement, c'est ce qu'on appelle l'autonomie administrative ou réglementaire. C'est celle qui est consacrée à l'article 72 de la Constitution, pour toutes les collectivités territoriales de la République, à travers le principe de libre-administration. Donc cette autonomie-là, elle existe déjà. Celle dont on parle c'est l'autonomie politique ou législative, qui consiste à se gouverner librement. Cette autonomie va de pair avec le transfert de compétences. Il s'agit notamment de savoir quel pouvoir normatif l'État conserve si celui-ci a été transféré à la collectivité. S'il s'agit d'une collectivité autonome, l'État ne conserve aucun pouvoir dans le domaine de compétence transféré.

M. Michel Magras, président. - Il me semble que lorsque le pouvoir s'exerce localement dans les domaines de compétences transférés, un domaine continue néanmoins de relever exclusivement de l'État : la procédure pénale et l'application des sanctions.

Mme Véronique Bertile. - En effet, le droit pénal est un domaine qui n'est pas transféré, mais il est possible de distinguer plusieurs niveaux d'infractions.

M. Stéphane Diémert. - Le droit pénal est normalement non transférable aux collectivités ultramarines, puisque l'article 73, applicable à l'article 74, l'interdit expressément. Mais le pouvoir répressif ne se limite en revanche pas au droit pénal, et un régime de sanctions administratives, voire de responsabilité civile, peut être institué par les collectivités dotées de l'autonomie. Dans l'hypothèse d'une révision constitutionnelle, la question de la possibilité de déléguer aux collectivités d'outre-mer la fixation des sanctions relevant du droit pénal spécial devrait en tout état de être envisagée : autant il peut être soutenu que les grands principes du droit pénal général doivent demeurer dans le « noyau dur » des compétences de l'État, autant la fixation des règles de droit pénal spécial, destinées à sanctionner les atteintes aux normes sectorielles édictées par les collectivités, devraient désormais leur être transférées, d'autant qu'il est toujours possible de prévoir des procédures de contrôle spécifiques (tel un avis conforme du Conseil d'État), sans compter le contrôle du juge de la légalité qui peut être aménagé pour statuer très rapidement sur l'éventuelle violation du principe de nécessité et de proportionnalité des peines.

S'agissant de la possibilité de se « gouverner librement », consacrée par la loi organique statutaire de la Polynésie française du 27 février 2004, j'attends toujours que la jurisprudence en tire la moindre conséquence, ce qui n'est pas le cas, à ma connaissance. Je ne guère ce que le juge administratif pourrait, confronté à ces dispositions, tirer de cette notion : peut-être en infèrerait-il qu'il lui appartient de limiter son contrôle de la légalité interne des actes normatifs locaux à l'erreur manifeste d'appréciation ? Mais il n'a pas attendu cette loi organique pour juger ainsi.... Le statut de la Polynésie française comporte en réalité des plusieurs aspects à portée « cosmétique », dont j'ai déjà eu l'occasion d'expliquer la présence.

Mme Véronique Bertile. - En Polynésie française, le territoire se gouverne librement en adoptant des actes organiquement administratifs mais matériellement législatifs. Le fait de savoir si une collectivité se gouverne librement peut avoir une importance dans des situations insoupçonnées. Je prendrais pour exemple l'adhésion de la Nouvelle-Calédonie à l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Les statuts de l'OIF posent comme critères d'adhésion de se gouverner librement. Ses instances ont donc conduit un travail pour déterminer si tel était le cas de la Nouvelle-Calédonie, pour laquelle la réponse a été affirmative. S'agissant du dossier polynésien, la question serait plus épineuse.

M. Michel Magras, président. - La sanction administrative reste un excellent levier pour les collectivités de l'article 74.

M. Ferdinand Melin-Soucramanien. - L'autonomie est un terme chargé de sens, valorisé dans certains territoires et péjoratif ou polémique dans d'autres. Ainsi, il a longuement été considéré qu'il devait être manié avec précaution. Il me semble aujourd'hui nécessaire de dépassionner le débat.

Je suis d'accord avec Stéphane Diémert quant à l'intérêt de l'autonomie, au sens de l'article 74. Concernant la notion juridique de l'autonomie, elle rejoint la notion philosophique ou le sens commun, à savoir le fait qu'une entité ait la compétence de se doter elle-même de ses propres lois. Ce point est extrêmement important pour nos territoires, en termes d'efficacité des politiques publiques, mais aussi en termes psychologiques. Pour certains de nos territoires qui ont été des colonies, se doter soi-même de ses propres règles contribue à ce qu'Aimé Césaire appelait la décolonisation des mentalités.

De ce point de vue, je considère que tous les territoires de la République situés outre-mer, à l'exception de la Réunion et Wallis-et-Futuna, sont autonomes. Le changement de paradigme a été amorcé en 1998 avec le statut de la Nouvelle-Calédonie et s'est exprimé très fortement par le discours de Madiana de Jacques Chirac. Le point d'arrivée est la réforme de 2003. Aujourd'hui, tous les territoires situés outre-mer peuvent se doter de leurs propres règles.

S'il devait y avoir une révision constitutionnelle, nous pourrions partir de l'idée de cette existence de l'autonomie, dont l'échelle est difficilement mesurable. La question à poser, pour une évolution de la Constitution, serait plutôt celle des limites, qui n'est pas encore clairement établie en l'état. En posant comme principe celui de l'autonomie pour toutes les collectivités territoriales, la Constitution peut se contenter de l'affirmer en posant certaines limites. Nous en connaissons certaines, qui sont indérogeables, comme le maintien d'une représentation de l'État, de l'unité des droits fondamentaux sur l'ensemble du territoire de la République, d'un contrôle juridictionnel des actes de ce territoire ou encore l'identification d'un certain nombre de compétences régaliennes sur lesquelles les collectivités territoriales ne pourraient avoir la main en première intention, même si elles pourraient apporter leur concours à l'exercice de certaines d'entre elles. L'article 73 a déjà défini certaines de ces compétences régaliennes, mais des problèmes se posent, par exemple pour le droit pénal. Un travail d'identification claire des compétences que l'État doit conserver doit donc être accompli.

M. Michel Magras, président. - Merci beaucoup professeur. L'État n'a jamais été aussi présent à Saint-Barthélemy que depuis que nous sommes une collectivité d'outre-mer. Vous avez précisé que les collectivités semblent rencontrer des difficultés à utiliser efficacement cette boîte à outils. J'ai noté que vous appeliez de vos voeux deux clarifications au niveau institutionnel : fixer les limites de l'autonomie des territoires d'une part et clarifier les compétences régaliennes de l'État d'autre part.

Mme Nassimah Dindar. - Le principe du statut et le sujet de la différenciation constituent un dossier éminemment politique. Le terme de statut contient à la fois un piège et des perspectives de solutions. En dehors des PTOM, la Guadeloupe et la Réunion ont conservé le statut commun du territoire. Le débat sur la différenciation permettra également aux DOM de travailler sur une certaine autonomie, bien que ce terme même comporte de nombreuses nuances. Elle peut être abordée sous deux angles : politique et législatif. Nous avons la malchance de ne jamais profiter des occasions, en tant que Réunionnais, car nous vivons encore avec des peurs fondées sur la différence entre les articles 73 et 74.

Je souhaite pour ma part une fusion de ces deux articles. Comme la métropole le fait avec la ruralité, nous devrions aborder le mouvement de la « sudarité » et aborder l'autonomie à travers l'autonomie énergétique, l'autonomie alimentaire, demandées par les territoires, et le maintien ou non d'une autonomie fiscale. Si nous nous en tenons aux termes du statut, nous nous enfermons dans des pièges politiciens. Si nous parlons d'autonomie et de différenciation, en portant la demande de la fusion des deux articles, un nouveau chemin pourrait se présenter pour la Réunion.

M. Antoine Karam. - J'ai entendu avec beaucoup d'attention l'intervention du professeur Mélin-Soucramanien, et en ai retenu que tous les territoires étaient autonomes. Je n'ai pourtant pas ce sentiment sur le terrain. Nous ne ressentons pas cette volonté dans le droit commun. Quand bien même les lois de décentralisation ont été votées, je n'ai pas la sensation que nous ayons progressé dans le sens de plus grandes libertés, d'égalité et de fraternité dans la République, et dans le sens d'un pouvoir partagé.

M. Michel Magras, président. - Votre propos démontre que la Guyane travaille à sa future loi. L'article 74 nous offre la possibilité de signer des conventions et nous donne davantage d'autonomie que les collectivités de l'article 73.

M. Dominique Théophile, sénateur. - Ce débat est très enrichissant et s'inscrit dans le cadre des discussions que nous avons depuis plusieurs années en Guadeloupe. Il reste aujourd'hui deux territoires où coexistent département et région : la Réunion et la Guadeloupe. La Réunion est dans une situation encore plus spécifique depuis 2003 et l'amendement « Virapoullé ». Ces discussions sont hautement politiciennes. Il serait nécessaire de recueillir à tout moment la consultation des populations. Or ces discussions sont volontairement biaisées et usent de termes qui ne sont pas toujours à la portée des populations. En 2003, la consultation a porté sur une évolution dans le cadre de l'article 73. Or certaines personnes ont avancé l'idée que cela induirait la perte de la nationalité française, ce à quoi les populations ont répondu défavorablement. Une fenêtre me semble s'ouvrir pour dépasser le cadre des articles 73 et 74 et nous diriger vers une évolution « à la carte », dans le cadre de la différenciation ou d'une « boîte à outils » à définir.

Il me semble important d'aborder le sujet sous l'angle de la mutualisation, de la simplification et de la clarification, dans le sens d'une lisibilité. Celle-ci demande une véritable évaluation. Par exemple, nous vivons actuellement des problématiques liées à l'eau. Ce domaine relève de la responsabilité de la commune. Pour autant, nous avons le sentiment que cette responsabilité revient de plus en plus à l'État. Nous devons nous interroger sur notre place par rapport à l'État central. Nous devons en outre favoriser la simplification, y compris dans les explications techniques, compte tenu de la nécessité de consulter les populations.

Les territoires affichent par ailleurs de grandes différences dans leur organisation respective. Or une certaine pression tend à conditionner certaines avancées à l'accord de tous les territoires, alors même que ceux-ci sont très divers. Nous devons montrer que nous pouvons évoluer différemment.

M. Michel Magras, président. - Les discussions sont certainement politiciennes au sein de nos territoires, et profondément politiques dans nos débats.

Mme Véronique Bertile. - Je suis réservée quant au fait d'affirmer que les outre-mer sont autonomes, notamment en ce qui concerne Mayotte. Toutes les collectivités territoriales de la République jouissent d'une autonomie administrative ou règlementaire mais ce n'est pas de celle-là dont il est question désormais.

L'objectif est de faire avancer nos sociétés ultramarines. Je regrette que mon territoire d'origine (La Réunion) reste bloqué par l'alinéa 5 de l'article 73, et je souhaiterais que les choix opérés reflètent des rêves et des souhaits plutôt que des peurs.

S'agissant de la révision constitutionnelle, le droit français peut tout à fait faire évoluer son droit des outre-mer sans que le terme d'autonomie n'apparaisse dans la Constitution, s'il est polémique.

M. Michel Magras, président. - Nous connaissons tous la situation réunionnaise. Nous sommes présents pour recueillir l'avis des experts. Si la Constitution est modifiée, les parlementaires devront prendre leurs responsabilités le moment venu.

M. Georges Patient. - Dans quelle mesure pourrions-nous prendre des décisions à caractère économique qui seraient théoriquement contraires à la loi ? Nous sommes favorables à une évolution statutaire similaire à la situation de Saint-Barthélemy ou la Polynésie. La loi Hulot, qui a été votée, interdit les forages pétroliers dans l'ensemble de la France. Dans le cadre d'une évolution statutaire, pourrions-nous adopter une décision qui nous permettrait des forages en Guyane ou sommes-nous condamnés à vie par cette loi ? Ces ressources nous permettraient d'aller vers une autonomie politique.

M. Michel Magras, président. - Cette question est difficile, en ce qu'elle pose la problématique des engagements internationaux de la France et l'obligation de les respecter.

M. Ferdinand Melin-Soucramanien. - Il s'agit effectivement d'un domaine dans lequel la Guyane pourrait intervenir par la voie de la délégation. Le mécanisme proposé par Stéphane Diémert, à savoir une décision implicite d'acceptation, serait intéressant à cet égard, puisque la Guyane a effectivement formulé sa demande et n'a pas obtenu de réponse.

M. Stéphane Diémert. - L'extraction pétrolière relève du droit minier, et donc du code minier national. Dans le cadre de l'article 73 et en vertu de son 3ème alinéa, la collectivité de Guyane pourrait être habilitée à fixer elle-même les règles applicables sur son territoire « dans un nombre limité de matières » et donc en droit minier, sans être tenue de se limiter à une « adaptation », puisque cet alinéa permet bien à la collectivité d'adopter des normes autonomes, qui lui sont propres. Son pouvoir normatif ne se heurterait dans ce cas qu'aux règles et principes de valeur constitutionnelle, et donc à la Charte de l'environnement de 2004, et éventuellement aux règles du droit de l'Union européenne ou du droit international. Dans le cadre de l'article 74, s'agissant du transfert de la compétence en matière de droit minier et de droit de l'environnement, la Guyane aurait également la possibilité d'adopter les règles qui lui conviennent, et donc d'abroger la loi Hulot si tel était son souhait.

Mme Véronique Bertile. - Un projet de loi Guyane visait à demander à l'État le transfert de compétences en matière foncière et minière, dans le cadre de l'article 73.

Mme Victoire Jasmin. - Je souhaite particulièrement féliciter Georges Patient pour ses travaux, notamment sur la fiscalité. Concernant l'autonomie, plusieurs propositions sont formulées en Guadeloupe par différents acteurs. L'approche sémantique importe, pour que les messages soient entendus par la population.

Séquence 3 - Enjeux et apports de la réunification des articles 73 et 74 de la Constitution : dépasser l'approche binaire, une voie vers le « sur mesure » statutaire ?

M. Michel Magras, président. - Le thème du troisième volet de notre table ronde est le suivant : « Enjeux et apports de la réunification des articles 73 et 74 de la Constitution : dépasser l'approche binaire, une voie vers le « sur mesure » statutaire ?

L'emploi du terme « fusion » ayant pu créer un certain trouble voire une certaine méfiance parmi les élus, celui de réunion ou de réunification lui a été préféré. Par cette approche, il s'agit de permettre aux collectivités ultramarines de dépasser la conception binaire qui consiste à les appréhender par le régime constitutionnel plutôt que par le principe de subsidiarité. En pratique, l'administration centrale s'est largement accommodée d'une méconnaissance des outre-mer malgré les compétences d'attribution, pour décider des politiques publiques dans les domaines de compétences de l'État.

L'enjeu est donc de déléguer la compétence au niveau le plus pertinent afin d'impulser outre-mer des politiques publiques en adéquation avec leur objet. Le processus d'adaptation souffre en effet de deux handicaps : d'abord, il diffère souvent dans le temps avec la mise en oeuvre des mesures adoptées au niveau national par le renvoi aux ordonnances. Une loi d'actualisation annuelle ne règlera pas parfaitement le décalage mais offrira certainement un vecteur permettant de compenser certains oublis. De plus, l'adaptation prive trop souvent le Parlement d'un débat sur les outre-mer, empêchant de ce fait une meilleure connaissance de ses territoires. Plus généralement, la crise sanitaire a montré les limites du modèle hyper centralisé. Dans certaines matières comme l'environnement, eu égard à leur caractère stratégique, les politiques publiques doivent être très contextualisées, ce qui peut supposer, outre-mer, des transferts de tout ou partie de matières. L'adaptation peut en effet dans certains cas exiger une production normative propre. Or aujourd'hui, la distinction entre les articles 73 et 74 constitue à la fois un frein constitutionnel et un frein politique et psychologique pour les populations. Il convient donc de dépassionner le débat.

En l'état du droit, les consultations des populations portent sur le principe du passage d'un régime juridique à un autre ou sur un changement d'organisation institutionnelle, la définition du statut ou de l'institution échappant à la population une fois son consentement exprimé. La proposition que j'ai formulée au groupe de travail du Sénat sur la décentralisation envisage de renforcer l'implication de la population en prévoyant une consultation sur les compétences transférées dès lors qu'elles sont assorties d'une modification du régime législatif applicable. Il s'agit à la fois d'un gage de transparence et de sécurité pour la population et réciproquement pour les élus, tout en sécurisant le statut. Aucune compétence ne pourrait alors être reprise ou dévolue sans consentement des populations, de même que les assemblées territoriales pourraient introduire leur demande de transfert de compétences, fortes du consentement de leur population. Il s'agirait ainsi de s'inscrire dans le prolongement naturel de l'idée des statuts à la carte.

Mme Véronique Bertile. - Cette réunion des articles 73 et 74 avait été évoquée par Ferdinand Mélin-Soucramanien à l'occasion d'un colloque sur « Les outre-mer français : un « modèle » pour la République ? (2008). Lors d'un colloque à l'Assemblée nationale en avril 2018, j'ai reposé la question dans la perspective de la réforme constitutionnelle.

Ces deux articles sont pour une large part dépassés. En 1958, les quatre vieilles colonies devenaient des départements d'outre-mer suite à la loi de 1946. Tous les autres territoires de la République étaient distingués selon l'article 73 ou 74, en retenant respectivement une « situation particulière » et un « intérêt propre au sein de la République ». En termes d'évolution, la situation de la Nouvelle-Calédonie en 1998 a été un point de départ, jusqu'à la réforme de 2003. Les outre-mer étaient plutôt appréhendés comme des blocs homogènes (DOM d'une part, TOM devenant COM d'autre part). Cette homogénéité a finalement éclaté.

Aujourd'hui, plus un « outre-mer » ne ressemble à un autre. Par exemple, la Guadeloupe et La Réunion, les deux derniers DROM, ont une différence fondamentale : la Guadeloupe dispose de la possibilité d'habilitation, contrairement à La Réunion. La Martinique et la Guyane sont quant à elles devenues des collectivités uniques, mais avec des choix institutionnels très différents ayant un impact sur le fonctionnement local, en l'occurrence un bicéphalisme pour la Martinique et, pour la Guyane, une assemblée dont le président tient également le rôle exécutif. S'agissant des communautés du Pacifique, le statut de Wallis-et-Futuna date de 1961, selon lequel l'exécutif est le représentant de l'État. Il n'existe donc plus d'homogénéité outre-mer.

Le principe de spécialité ou d'identité législative, qui semblait être le marqueur de la distinction entre les articles 73 et 74, connaît par ailleurs des frontières poreuses. En effet, certaines collectivités de l'article 73 se rapprochent de la spécialité législative, avec les habilitations pour la Guadeloupe et la Martinique par exemple. À l'inverse, certaines collectivités de l'article 74, comme Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, appliquent le principe de l'identité législative, avec quelques exceptions.

Très souvent, les évolutions statutaires se heurtent aux murs des crispations de posture sur les articles 73 et 74. Des raisons politiques ou culturelles doivent permettre de dépasser les clivages et de proposer des statuts « à la carte » par des lois organiques, pour chacun des territoires.

M. Ferdinand Melin-Soucramanien. - Nous fonctionnons sur la base d'une summa divisio depuis 1946, qui avait son sens dans le contexte de l'époque. Les « quatre vieilles » témoignent d'une demande assimilationniste. Cette summa divisio ne résiste plus à l'analyse aujourd'hui. Il est donc temps de mettre fin à cette distinction artificielle et de réunir dans un texte unique, correspondant à une « clause outre-mer », le principe de l'autonomie pour les collectivités territoriales d'outre-mer assorti de ses limites. Toutes les collectivités territoriales situées outre-mer et leurs populations sont partagées entre un besoin de reconnaissance d'identité et un désir de France. Cela concourrait à l'objectif de simplification évoqué par le sénateur Dominique Théophile. Les populations locales sont en effet perdues, les personnes maîtrisant la question au sein des autorités nationales sont rares, et une réelle incompréhension se fait jour en Europe.

M. Michel Magras, président. - Nous partageons tous cette nécessité de modernisation, de clarification et de simplification. Le droit commun, aujourd'hui, est-il encore compatible avec un statut régi par une loi organique, dans une Constitution révisée ?

M. Stéphane Diémert. - Dans tous les régimes démocratiques contemporains, le statut de l'outre-mer dans ses relations avec la métropole ne peut être qu'un statut d'autonomie plus ou moins approfondie, ou d'assimilation plus ou moins adaptée. Les Pays-Bas nous en donnent un bon exemple, pour avoir créé trois « DOM » avec les communes qu'ils ont rattachées à la métropole lors de l'éclatement de la fédération des Antilles néerlandaises (dont les autres composantes sont désormais des pays d'outre-mer autonomes et séparés). Nous retrouverons donc toujours, la suma divisio article 73/article 74, peut-être sous une autre numérotation, et dans le cadre d'éventuels statuts « à la carte » déclinés par des lois organiques.

Chacun souhaite que chaque territoire dispose d'un statut répondant aux aspirations de ses élus, et surtout de ses électeurs. Mais, même en sortant du ce qui peut être présenté comme le carcan des articles 73 et 74, il `est impossible, et surtout pas souhaitable, d'échapper au respect impératif de principes démocratiques fondamentaux : il appartient d'abord aux électeurs de décider eux-mêmes du régime législatif dans le cadre duquel ils entendent vivre au sein de la République. Ce principe participe du droit à l'autodétermination dans l'ordre interne, reconnu en 2000 par le Conseil constitutionnel à propos de Mayotte et consacré en 2003 dans l'article 72-4 de la Constitution, qui pose le principe du consentement des électeurs préalablement à tout changement statutaire fondamental. À supposer que l'on s'oriente, une fois les actuelles catégories abolies, vers un système de statut individualisé pour chaque territoire, il faudra bien instituer un mécanisme permettant de s'assurer que chacun de ces futurs statuts pourra être approuvé par les électeurs intéressés, au moins s'il déroge aux principes essentiels du statut actuel. Pour les collectivités de l'article 73, se posera la question de l'organisation d'une votation pour décider si l'identité législative peut être levée dans certaines matières.

Aujourd'hui encore, dans le cadre de l'article 73, les ultramarins sont globalement protégés contre toute « dérive » autonomiste (le mot n'est évidemment nullement péjoratif : il faut le prendre dans son sens littéral). Il existe en effet une certaine garantie de maintien local de l'application du droit commun, étant entendu que les quelques adaptations à portée principalement techniques, notamment dans le domaine de l'énergie, adoptées jusqu'alors par la Guadeloupe, ne l'ont évidemment pas fait sortir de l'article 73. Le passage vers un statut de l'article 74 généralisé conduit en théorie à la suppression de ces garanties, puisque, une fois le statut d'autonomie adoptée, il n'y a plus d'obligation de consulter les électeurs. C'est donc sur ces dernières que se jouera certainement cette réforme. Cela devrait nous conduire à imaginer des mécanismes qui n'existent pas encore, par exemple les référendums d'initiative minoritaire.

Mme Véronique Bertile. - La garantie démocratique dans le cadre d'un article outre-mer unique dans la Constitution me semble possible par la consultation populaire pour l'adoption de la loi organique, et non à chaque transfert de compétences.

Une réforme constitutionnelle est en cours, dans laquelle le principe de différenciation intègrerait l'article 72 de la Constitution. La différenciation, qui était une spécificité outre-mer, a vocation à rejoindre le droit commun. Nous pourrions presque faire supprimer toute référence à des articles outre-mer, pour conserver l'article 72, qui concerne toutes les collectivités territoriales de la République, chacune pouvant faire l'objet d'une différenciation plus ou moins poussée.

L'écriture de cet article (garantie démocratique pour l'adoption de chaque loi organique par la population locale, présence d'un représentant de l'État, contrôle de la légalité, contrôle juridictionnel, uniformité et application uniforme des droits fondamentaux) permettrait de laisser à chaque outre-mer le soin de déterminer le régime législatif applicable, les compétences demandées, dans la limite des compétences dites régaliennes, etc. Il s'agirait de se baser davantage sur la rédaction actuelle de l'article 74 que sur celle de l'article 73. Il sera en outre nécessaire de répondre à toutes les peurs susceptibles de naître que cette évolution ne se traduira pas par un recul.

Séquence 4 - Collectivités d'outre-mer, pays d'outre-mer : quelle dénomination pour quel statut ?

M. Michel Magras, président. - Enfin et pour conclure, j'ouvre notre dernière séquence La dénomination est-elle un élément neutre ? Pour les collectivités de l'article 74, la dénomination ne pose pas de difficulté. Toutefois, une fois les articles réunis, Mayotte ou La Réunion pourraient vouloir conserver leur statut de département. Dans cette hypothèse, faut-il considérer que la dénomination de département entraîne ipso facto la mise en oeuvre de l'architecture d'un département du point de vue des compétences et de l'organisation ? La question se pose également pour une région.

La quatrième proposition faite au groupe de travail visait à conférer un caractère générique à la dénomination de collectivité, laissant ensuite le choix de sa dénomination à chacune d'entre elles. Si nous admettions le terme de collectivité comme terme générique, quelle serait la marge pour le choix de dénomination ? Cette proposition s'inspire notamment du statut de la Polynésie française qui, bien qu'instituant une collectivité d'outre-mer, est également un pays d'outre-mer au sein de la République qui, contrairement aux autres collectivités, se gouverne librement alors que Saint-Barthélemy et Saint-Martin s'administrent librement aux termes d'une loi organique de 2007. En outre, à la lumière des auditions réalisées, nous pouvons établir que Saint-Barthélemy et la Polynésie française forment un binôme qui se détache du reste des collectivités, Saint-Barthélemy du fait de son aspiration à se rapprocher du statut polynésien, cette dernière étant au sein des collectivités d'outre-mer de l'article 74 la plus avancée sur l'échelle de l'autonomie dans la décision locale. La notion de pays d'outre-mer ne pourrait-elle pas permettre d'introduire une nuance matérialisant un degré d'autonomie plus avancé, en remplacement de la notion de collectivité dotée de l'autonomie ?

M. Stéphane Diémert. - Sur le sujet de la dénomination, nous devons distinguer ce qui doit être inscrit dans la Constitution (création de catégories particulières, de personnes morales de droit public qui ne sont plus nécessairement des collectivités territoriales), et ce qui relève de la loi organique ou ordinaire. Dans le cadre d'un statut de très large autonomie permettant à la population d'adopter le statut qu'elle souhaite, nous pouvons imaginer que celle-ci choisisse justement, en se fondant sur son droit à la libre détermination, de se limiter à reprendre dans sa loi organique statutaire le contenu actuel de l'article 73, qui serait seulement déconstitutionnalisé mais toujours en vigueur dans les territoires qui le souhaitent.

J'ai moi-même, à l'occasion de mon intervention lors des États généraux de la Guyane, à l'invitation de la collectivité en 2017, tenté de rédiger un dispositif prévoyant la création de pays d'outre-mer. Ce texte était composé de huit articles, annexés à la Constitution sous la forme d'un « statut-cadre », ayant lui-même pleine valeur constitutionnelle (comme par exemple la Charte de l'environnement) par renvoi de l'article 72-3 : on évitait ainsi de surcharger le corps même de la Constitution de dispositions qu'il est impératif de rédiger aussi précisément que possible. Ce système avait l'avantage de se juxtaposer aux articles 73 et 74, et ainsi de dépassionner le débat que génèrerait leur suppression immédiate - sans compter le problème de leur application transitoire jusqu'à l'adoption de chacune des lois organiques statutaires, qui ne sera effective qu'au terme d'un processus nécessairement étalé dans le temps. Cette rédaction pourrait cependant s'y substituer, car peu importe, au moins en droit, la dénomination finalement retenue.

Le terme de « pays » peut évidemment être plus séduisant pour la Polynésie, et pour éventuellement permettre un jour de ré-accueillir la Nouvelle-Calédonie, qui sortirait du statut défini par l'accord de Nouméa. Le terme de « collectivité est sans doute moins séduisant politiquement, et ne prend pas assez en compte les spécificités de l'outre-mer : on a pu écrire que la France constitue avec son Outre-mer « une fédération qui s'ignore » : le terme de pays rend mieux compte de cette réalité politique.

En termes de légistique constitutionnelle, il faudra sans doute modifier les second alinéa du Préambule, demeuré en l'état depuis 1958, pour mieux solenniser le changement envisagé, et en circonscrire la portée à des évolutions de droit interne, et donc au sein de la République, ce qui devrait rassurer nos compatriotes qu'inquièteraient des dérives sécessionnistes. L'article 72-3 et m'article 72-4 devraient être réécrits pour renvoyer au statut-cadre, annexé à la Constitution et dotée de la même force, qui pourrait entrer de manière précise et détaillée - il faut à nouveau insister, à ce stade, sur l'intérêt qu'il y a à ne pas laisser la réforme dépendre excessivement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel - dans la description des procédures statutaires nouvelles sans alourdir plus que nécessaire la Constitution elle-même en y insérant de trop longues dispositions dérogatoires. Les articles 73 et 74, maintenus progressivement en vigueur jusqu'à l'adoption des nouveaux statuts particuliers, s'éteindraient d'eux-mêmes une fois chacune des lois organiques ayant cet objet adoptées par le Parlement avec l'accord des électeurs intéressés.

Mme Véronique Bertile. - Le nouvel article, dans une optique de fusion, permettrait de désigner la catégorie juridique sous une appellation, ce qui n'empêcherait pas, dans la loi organique, les électeurs ou les élus d'en choisir une autre, comme le démontre la notion de pays d'outre-mer, qui n'est pas une catégorie générique mais a été préférée en Polynésie française.

La question de la terminologie est hautement symbolique et très sensible. Dans le cadre de l'Union européenne, les collectivités d'outre-mer peuvent être des régions ultrapériphériques. Plusieurs élus d'outre-mer critiquent les termes de métropole, centre, périphérie, etc.

M. Ferdinand Melin-Soucramanien. - Je suis séduit par la qualification de pays d'outre-mer, qui me semble être la plus appropriée dans une recherche de clarification et une préoccupation que les populations locales s'approprient le statut et les normes applicables sur le territoire. Beaucoup de courage politique et de volontés seront néanmoins nécessaires de la part de l'État. Celui-ci a pris des décisions très discutables, par exemple en ce qui concerne Mayotte, qui a eu la possibilité de se qualifier de département pour des raisons politiciennes alors qu'il ne s'agit pas juridiquement d'un département. Je regrette que l'État ait pu entretenir de telles confusions sur les plans juridique et sociologique.

Mme Véronique Bertile. - En droit comparé, le terme de pays est utilisé, notamment aux Pays-Bas, aux Royaume-Uni ou dans le droit de l'Union européenne. Cette appellation de pays d'outre-mer me semble donc adaptée. Il s'agit cependant de savoir si les populations locales s'en saisiraient. En créole, le terme a une résonance locale et pourrait faire écho, culturellement et linguistiquement, à l'identité.

M. Michel Magras, président. - La difficulté me semble plutôt résider dans le fait de faire accepter cette notion de pays au sein du Parlement français.

Mme Véronique Bertile. - En effet, le terme de pays, en français, est fortement associé aux notions d'État ou de nation. Il se vulgarise néanmoins à travers certaines expressions locales.

Mme Victoire Jasmin. - La notion de pays confère un sentiment d'appartenance. L'expression « je rentre au pays » est déjà populaire. Je pense qu'il s'agit d'une bonne proposition.

M. Stéphane Diémert. - Nous pourrions probablement contourner les éventuelles objections d'ordre politique, pas toujours rationnelles, qui pourraient être soulevées à l'encontre d'une telle réforme. Au-delà de la modification technique des articles 73 et 74, le deuxième alinéa du préambule de la Constitution qui, comme je l'ai déjà indiqué, est demeuré inchangé depuis l'origine (il proclame que « la République offre aux territoires d'outre-mer qui manifestent la volonté d'y adhérer les institutions nouvelles (...) », etc.) devrait être actualisé, aussi bien pour rassurer tout autant les Français de métropole qui ne souhaitent pas que l'outre-mer s'éloigne de la Nation, que nos compatriotes d'outre-mer quant à la garantie de leur maintien dans la République. Il serait symboliquement et politiquement très fort d'accompagner les modifications assez largement techniques dont nous débattons aujourd'hui d'une modification de ce second alinéa du Préambule, en réaffirmant clairement que les pays d'outre-mer sont dans la République et ne peuvent en sortir sans l'accord de leur population.

M. Michel Magras, président. - Nous arrivons au terme de cette table ronde. J'ai été particulièrement heureux de la tenue de ce débat. Je vous remercie de nous avoir permis d'entendre vos expertises singulières et complémentaires. Je suis le rapporteur de ce texte et veillerait qu'il soit fidèle à nos échanges. J'espère qu'il contribuera à actualiser le débat sur le sujet et qu'il serve de document de travail pour la suite du programme de la délégation sénatoriale ou de la réflexion conduite au niveau du Gouvernement.