Mercredi 15 décembre 2021

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 9h30.

Projet de contrat d'objectifs et de moyens (COM) de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) (2021-2023) - Examen du rapport d'information

M. Christian Cambon, président. - La commission est saisie pour avis sur le projet de contrat d'objectifs et de moyens (COM) de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). Nos collègues Ronan Le Gleut et André Vallini nous présentent ce matin leur rapport sur ce COM.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - La commission est saisie du projet de contrat d'objectifs et de moyens de l'AEFE pour la période 2021-2023, en application de la loi du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'État, qui nous donne la possibilité de rendre un avis sur ce COM dans un délai de six semaines à compter de la saisine.

L'avis que nous vous proposons, avec André Vallini, est nuancé. En effet :

- Ce contrat d'objectifs et de moyens s'inscrit, d'une part, dans une dynamique de croissance du réseau, qui est très positive. Le COM s'articule autour de 10 objectifs stratégiques, déclinés en 28 objectifs opérationnels, évalués au travers de 20 indicateurs. L'ensemble est mis au service de la croissance d'un réseau qui est l'un des principaux fleurons de notre diplomatie culturelle. Ce réseau est même, probablement, notre premier outil d'influence dans le monde. Il s'agit, avec ce COM, de créer les conditions nécessaires à la satisfaction de l'objectif de doublement des effectifs à l'horizon 2030, conformément à l'orientation fixée par le Président de la République en 2018.

- Mais, d'autre part, au regard des nombreux objectifs énoncés, le volet « moyens » est insuffisant. Encore faut-il préciser que ce volet « moyens » n'existait même pas dans le précédent COM. Il a le mérite, cette fois, d'être présent, même s'il représente 1 page sur les 25 qui nous sont soumises.

Sur le fond, le COM renvoie à l'annualité budgétaire : or l'année 2021 est déjà écoulée, et le projet de loi de finances a précisé ce que seront les crédits en 2022. Rien n'est garanti, ni même envisagé, pour 2023, et encore moins au-delà puisque ce COM ne porte en pratique que sur deux exercices. Le COM ne permet aucune prévisibilité, ce qui nuit à la crédibilité de la stratégie proposée.

Avant de détailler ce constat, notons qu'à la rentrée 2021, le réseau de l'AEFE comptait 543 établissements, scolarisant plus de 375 000 élèves dont 40 % sont français et 60 % étrangers. 67 établissements sont gérés directement par l'AEFE, 159 sont conventionnés et 317 sont des établissements partenaires.

Doubler les effectifs signifie atteindre le chiffre de 700 000 élèves en 2030. C'est donc un tournant qui a été engagé au cours des deux dernières années. Mais les efforts doivent s'intensifier car, au rythme de croissance actuel, l'objectif ne serait atteint qu'après 2050.

C'est un tournant car le quinquennat en cours s'était ouvert sur une période de disette budgétaire. En 2017, l'AEFE a subi une annulation de crédits de 33 millions d'euros, nécessitant un plan d'économies et une hausse temporaire du taux de la participation financière complémentaire due par les établissements.

L'Agence a observé une baisse de ses effectifs en termes de personnel, de l'ordre de 2 % entre 2016 et 2021. Cette baisse est due au schéma d'emplois adopté en 2017 pour la période 2018-2020 qui prévoyait la suppression de 512 ETPT (équivalent temps plein travaillé) de résidents et d'expatriés.

La baisse des effectifs est de 21 % pour les personnels expatriés et de 7 % pour les résidents.

À l'inverse, le personnel de droit local croît de 9 %, représentant logiquement une part croissante des effectifs de l'Agence.

Les personnels expatriés et résidents sont des fonctionnaires en position de détachement auprès de l'AEFE. Les personnels de droit local peuvent également être des fonctionnaires titulaires, en disponibilité, ou bénéficiant d'un détachement direct de l'académie vers un établissement partenaire.

La croissance de la part des personnels de droit local implique néanmoins, globalement, un effort de formation important pour que la croissance du réseau ne se fasse pas au détriment de la qualité qui fait la réputation de l'enseignement français à l'étranger.

Le précédent COM avait ainsi mis l'accent sur l'optimisation de la gestion, dont relevaient 4 objectifs sur un total de 9.

Par comparaison, le COM actuel est beaucoup plus dynamique :

- Il s'efforce d'accroître l'attractivité de l'enseignement français à l'étranger, d'attirer de nouveaux publics ;

- Il renforce le rôle de l'Agence au service du développement du réseau : l'Agence a déjà amorcé ce tournant, en organisant l'accompagnement des établissements candidats à l'homologation et en intensifiant ses efforts dans le domaine de la formation. 16 instituts régionaux de formation sont actuellement en cours de création dans des établissements mutualisateurs. La formation est l'un des piliers de la stratégie de croissance du réseau. C'est pourquoi il faudrait pouvoir disposer d'indicateurs plus qualitatifs que ceux proposés dans ce COM : connaître par exemple le nombre d'heures de formation proposé pour chaque enseignant formé, ou encore le nombre de parcours diplômants effectués.

Le COM réaffirme le rôle de l'Agence au service du réseau labellisé (LabelFrancEducation) et des 173 associations Français langue maternelle (FLAM). C'est un point important en termes d'influence et pour le développement de la francophonie. L'AEFE est invitée à encourager les échanges entre ces associations FLAM et les établissements homologués, et à consolider les aides qui leur sont consenties.

Enfin, le COM invite l'Agence à poursuivre sa modernisation, en particulier en associant davantage les familles à la gouvernance de l'agence. C'est là aussi une évolution souhaitable, dans la mesure où les familles sont très impliquées dans cet enseignement français à l'étranger, dont elles financent 81 % du coût de fonctionnement (et 64 % pour les EGD).

M. André Vallini, rapporteur. - J'en viens au revers de la médaille de ce contrat d'objectifs et de moyens, qui pèche par la faiblesse de son volet « moyens ».

En LFI 2020, le montant de la subvention pour charge de service public de l'AEFE (programme 185) a augmenté de 25 M€, pour favoriser la mise en oeuvre du plan de développement de l'enseignement français à l'étranger.

Il s'agit d'un « rebasage » c'est-à-dire que la subvention ainsi augmentée a, depuis lors, été reconduite. Cette augmentation est toutefois intervenue, il faut le rappeler, après l'annulation de crédits de 33 millions d'euros, évoquée par Ronan Le Gleut.

Par ailleurs, l'augmentation observée en 2021 (+9 M€) résulte de la réintégration au programme 185 de dépenses de sécurisation des établissements, auparavant prises en charge dans le cadre d'un compte d'affectation spéciale. Il s'agit donc d'un transfert, non d'une augmentation.

S'agissant des bourses scolaires, une baisse de 10 M€ est observée en 2022. Ces bourses passent en effet de 104 M€ à 94 M€.

Cette baisse sera compensée par un prélèvement de 10 M€ sur la trésorerie de l'AEFE, qui sera d'ailleurs aussi mobilisée en faveur des établissements français au Liban.

Surtout, le COM n'apporte aucune garantie quant au retour de l'enveloppe des bourses à son niveau antérieur.

Or comment imaginer que le doublement des effectifs ne s'accompagne pas d'une trajectoire d'augmentation des crédits budgétaires dans ce domaine ?

Les ponctions sur la trésorerie de l'AEFE sont d'autant plus préjudiciables que celle-ci ne peut pas emprunter, au titre de la loi, qui interdit l'emprunt aux organismes français relevant de la catégorie des administrations publiques centrales.

Il s'agit d'une mesure de consolidation du périmètre de la dette publique destinée à favoriser le respect des normes européennes en la matière. L'AEFE ne peut ainsi recourir qu'aux avances de l'Agence France Trésor, de courte durée (un an).

Outre les avances accordées dans le cadre du plan de soutien à l'AEFE, en réponse à la crise sanitaire (plafonnées à 50 M€), l'Agence bénéficie ainsi de 4 M€ d'avances en 2021 pour financer son développement immobilier. En 2022, le montant inscrit en loi de finances initiale s'élève à 7,4 M€. Ces avances sont théoriquement destinées à un besoin de financement imprévu. Elles ne sont pas adaptées au financement immobilier. C'est pourquoi le COM prévoit leur mise en extinction en 2022 ou, au plus tard, en 2023.

La question du financement immobilier demeure donc ouverte. C'est un point de blocage très important.

Un groupe de travail interministériel doit être prochainement constitué en vue de la mise en place d'un mécanisme pérenne de financement, dont le COM dit qu'il « pourra reposer sur une mise en commun ponctuelle des réserves de trésorerie disponibles au sein du réseau ou la constitution d'un fonds mutualisé à partir de contributions des établissements ».

Cette idée d'un financement mutualisé entre établissements est problématique. Les frais d'écolage, les modalités de gestion de ces établissements sont très divers. Ponctionner la trésorerie d'un établissement pour financer des travaux dans un autre établissement sera, dans certains cas, totalement irréalisable.

Au sein d'un même établissement, constituer une soulte pour de futures générations serait aussi contesté, et contestable.

Or l'atteinte de l'objectif de doublement des effectifs passe nécessairement par des opérations immobilières. Il nous paraît nécessaire de permettre à l'agence de recourir à l'emprunt.

Par ailleurs, le dispositif de garantie qui se substitue à l'Association nationale des écoles françaises de l'étranger (ANEFE), pour accompagner les projets immobiliers des établissements conventionnés et partenaires, est moins favorable que celui qui préexistait.

Il prévoit en particulier une rémunération de la garantie par une commission variable en fonction des risques encourus, alors que cette commission était auparavant unique et mutualisée. C'est regrettable. Une première réunion de la commission interministérielle d'octroi doit se tenir prochainement, dans le cadre du nouveau dispositif institué. Il serait souhaitable que le COM mentionne la mission d'instruction des dossiers confiée à l'AEFE dans le cadre de ce nouveau dispositif.

Enfin, les deux contributions actuellement dues par les EGD et par les établissements conventionnés, la participation financière complémentaire (PFC) d'une part, et la participation à la rémunération des résidents (PRR), d'autre part, seront remplacées par une contribution unique assise sur le chiffre d'affaires, donc a priori décorrélée des moyens mis à disposition par l'Agence pour chaque établissement.

Cette fusion est source de nombreuses incertitudes pour les établissements et les familles, d'autant qu'elle s'inscrit dans le cadre d'un objectif visant à « accroître les ressources propres de l'Agence » donc à augmenter la contribution des établissements, en tirant parti de la croissance du réseau, dans la mesure où le potentiel de diversification des ressources propres, semble limité.

Il serait logique que cette contribution soit corrélée aux services rendus par l'agence aux établissements.

Nous demandons donc une étude d'impact à ce sujet, afin d'y voir plus clair.

Je partage donc l'avis nuancé formulé par Ronan Le Gleut en introduction. Les objectifs de ce COM ne sont pas contestables, mais l'asymétrie avec les moyens proposés est évidente.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Merci pour ce rapport. Vous avez parfaitement identifié les forces et les faiblesses de ce contrat d'objectifs et de moyens. Je partage votre demande d'étude d'impact : celle-ci aurait déjà dû être réalisée alors que ce COM est attendu depuis longtemps.

Nous partageons l'objectif de doubler les effectifs, mais l'outil a été affaibli depuis 2017, avec l'annulation de 33 M€ de crédits, la suppression de nombreux postes et le remplacement de l'ANEFE par un dispositif moins favorable.

L'extension du réseau peut passer par le secteur privé mais cela ne doit pas être un objectif en soi. Nous disposons d'un outil unique que l'on ne peut pas comparer à d'autres systèmes d'enseignement qui ne sont pas constitués en réseau au plan international.

Notre commission doit continuer à soutenir l'AEFE.

M. François Patriat. - Je salue le travail des rapporteurs sur ce COM. Le réseau effectue un travail précieux qu'il nous appartient de soutenir. C'est un sujet essentiel pour de nombreux Français établis hors de France. La mise en oeuvre de ce nouveau contrat nous portera vers le cap fixé par le Président de la République.

J'ai bien noté ce que vous avez indiqué au sujet de la faiblesse du volet « moyens » ; néanmoins, le fait de favoriser la croissance de ce réseau, en portant une attention particulière à la formation, est essentiel, tout comme le fait d'associer davantage les parents d'élèves, les anciens élèves et les associations FLAM. C'est le sens de la proposition de loi, déposée par notre collègue Samantha Cazebonne, qui sera examinée en séance publique en janvier prochain.

M. Olivier Cadic. - Merci aux rapporteurs. La majorité des établissements du réseau relève du secteur privé. Ils ne sont pas gérés par l'AEFE.

Les points positifs de ce contrat d'objectifs et de moyens ont été rappelés, notamment la création des instituts régionaux de formation, qui répond à un véritable besoin.

Mais, s'agissant des moyens, la grande difficulté est qu'en France, dès lors que nous parlons d'enseignement, nous pensons « argent public ». Or en l'an 2000, il y avait une école française à l'étranger pour deux écoles anglo-saxonnes. Aujourd'hui, le rapport est d'un pour vingt. Dire que ces écoles anglo-saxonnes ne sont pas organisées en réseau révèle une méconnaissance du système.

Nous devons revoir les modalités d'homologation. Le doublement des effectifs d'ici à 2030 est une nécessité absolue pour la survie de l'enseignement français à l'étranger, qui ne doit pas rester lié à la gestion d'une administration. Il faut repenser le financement immobilier, qui ne peut plus reposer sur des fonds publics. Il faut penser différemment, mobiliser de nouvelles actions, lever de l'argent privé pour soutenir le dynamisme de l'enseignement français à l'étranger.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je maintiens que notre réseau est unique. Le système anglo-saxon repose entièrement sur le secteur privé, ce qui n'est pas le cas de l'AEFE. L'enseignement français est fondé sur un noyau d'établissements gérés par l'agence, avec autour une nébuleuse d'établissements privés. Ce réseau vaut la peine d'être protégé et développé.

M. Guillaume Gontard. - Merci pour ce travail. On ne peut en effet qu'approuver l'objectif de doublement du nombre d'élèves. Les rapporteurs rappellent qu'au rythme actuel cet objectif ne sera atteint qu'après 2050. Cela révèle un vrai problème de moyens. Par ailleurs, l'homologation de nouveaux établissements peut créer des phénomènes de concurrence. L'absence de dialogue social est regrettable. Enfin, le numérique éducatif a tendance à se généraliser, sans les moyens ni l'accompagnement nécessaires.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Merci pour toutes ces observations qui rejoignent les constats que nous avons formulés.

Concernant l'accès à l'emprunt, notre recommandation est de sortir l'AEFE de la catégorie des organismes divers d'administration centrale (ODAC) pour lui permettre de recourir à l'emprunt pour financer ses projets immobiliers et permettre ainsi la croissance des établissements.

Nous renouvelons cette demande que nous avions déjà formulée dans le cadre de notre avis budgétaire sur le programme 185.

Audition du Général de division aérienne Michel Friedling, commandant de l'Espace

M. Christian Cambon, président. - Nous accueillons aujourd'hui le général Michel Friedling, commandant de l'Espace de l'Armée de l'Air et de l'Espace, pour une audition consacrée aux enjeux stratégiques de l'espace.

Mon Général, nous vous remercions d'avoir accepté cette audition, à un moment où nous assistons à une militarisation toujours accrue de l'espace.

Le développement des activités dans l'espace exo-atmosphérique ne cesse de s'accélérer. On compte désormais plus de 3 300 satellites en orbite dont 1 270 ont été lancés en 2020. Cette intensification est notamment liée à la croissance des activités spatiales commerciales et de ce qu'on appelle le New Space.

Dans le même temps, l'espace est plus que jamais un terrain de compétition entre les États. Si la domination américaine reste pour le moment incontestable, l'espace est aujourd'hui une priorité pour la Chine - particulièrement sur le plan militaire - et est également investi par d'autres États, notamment l'Inde, l'Iran, les deux Corées et les Émirats arabes unis.

Ces évolutions induisent des conflits d'usage et de nouvelles menaces, qu'il s'agisse d'actes hostiles volontaires ou d'accidents liés à la présence d'un nombre toujours plus important de débris en orbite.

Il y a aussi la question de la militarisation croissante de l'espace. La maîtrise de l'espace est aujourd'hui une condition essentielle de la supériorité militaire, qu'il s'agisse d'observer, de recueillir du renseignement, de guider des opérations dans les autres milieux ou tout simplement de communiquer. Mais l'exemple récent de la destruction d'un satellite spatial par un tir de missile russe dans le cadre d'un exercice militaire montre que l'espace tend à devenir un milieu d'opérations à part entière. On s'inquiète aussi de son arsenalisation.

Mon Général, quelles sont les spécificités des modes d'action dans l'espace exo-atmosphérique qui, malgré les stratégies qu'y déploient les puissances, demeure et doit demeurer un espace commun ? Quelles difficultés spécifiques cela pose-t-il ? Je pense notamment à la caractérisation de l'origine d'un éventuel acte hostile.

Par ailleurs, où en est aujourd'hui, deux ans après son rattachement à l'Armée de l'Air, le Commandement de l'Espace ? Sa montée en puissance se fait-elle au rythme prévu ? Quelles sont ses grandes priorités ? Quel bilan tirez-vous du premier exercice militaire français dans l'espace AsterX réalisé en mars 2021? Sera-t-il reconduit ?

Par ailleurs, l'OTAN a choisi, elle aussi, de faire de Toulouse un centre d'excellence pour le spatial, en pleine synergie avec notre effort national. Vous pourrez nous dire si cela génère, selon vous, des synergies qui pourraient bénéficier à notre écosystème et à nos capacités.

Mon Général, je vous cède la parole pour un exposé liminaire, à la suite duquel nos collègues vous poseront leurs questions.

Général Michel Friedling, commandant de l'Espace. - C'est un plaisir et un honneur de me retrouver parmi vous. Dans mon propos introductif qui sera accompagné d'une présentation powerpoint, je vous rappellerai le contexte dans lequel nous nous situons, les fondements de la stratégie spatiale de défense, notre montée en puissance et les actions en cours pour mettre en oeuvre cette stratégie.

En premier lieu, je rappelle que l'espace est essentiel à notre mode de vie car il irrigue aujourd'hui tous les secteurs de l'activité humaine, que ce soit l'environnement, l'éducation, le développement, l'agriculture, l'énergie, la santé, la mobilité, l'appréhension des risques et des catastrophes naturelles, les infrastructures...

En 2020 l'économie spatiale représentait environ 350 milliards d'euros et ce chiffre va être multiplié de 3 à 5, voire davantage, dans les 10 à 15 ans qui viennent et représenter entre 1 000 et 3 000 milliards d'euros. Selon les études de la Commission européenne, plus de 150 000 emplois directs et indirects sont liés à l'espace en Europe et plus de 10 % du PIB de l'Union européenne dépend des services de l'espace, soit plus de 1 000 milliards d'euros, un million d'emplois européens dépendant des services de localisation et de navigation (Global Navigation Satellite System ou GNSS) par GPS et Galileo.

Le deuxième élément de contexte est le bouleversement de l'écosystème spatial international avec l'arrivée du secteur privé. Elon Musk est aujourd'hui l'acteur mondial spatial le plus innovant et aussi le plus redouté. Il maîtrise l'ensemble des capacités, de la construction à la mise en orbite de satellites jusqu'au ravitaillement de la station spatiale internationale. Il a également permis aux États-Unis de retrouver leur autonomie en matière de vols habités alors qu'ils avaient dû sous-traiter ce segment à la Russie après l'arrêt de la navette spatiale, et il est en train de déployer une constellation pour fournir des télécommunications en haut débit sur l'ensemble de la planète. Jeff Bezos, le patron d'Amazon, se consacre quant à lui désormais exclusivement à Blue Origin, sa société spatiale, en concurrence frontale avec celle d'Elon Musk, SpaceX.

Lorsque j'ai pris mes fonctions fin 2018, il y avait 1 800 satellites actifs en orbite, fin 2020, il y en avait près de 4 000 et ils sont environ 5 000 fin 2021. On en attend 20 000 de plus dans les 10 à 15 prochaines années. En 2020, ont été lancé environ 1 300 satellites, 10 fois plus que 10 ans auparavant.

Des nouveautés arrivent avec le Spurring Private Aerospace Competitiveness and Entrepreneurship (SPACE) Act américain qui permet l'exploitation des corps célestes par des acteurs privés et avec les accords Artemis qui régissent les activités sur la lune. L'espace entre dans son deuxième âge avec de nouveaux acteurs, de nouveaux secteurs d'activité et une nouvelle dynamique.

Le troisième élément de contexte est constitué par les capacités spatiales qui sont essentielles pour notre autonomie stratégique et nos opérations militaires, fournissant de l'aide à la décision par l'imagerie ou le renseignement, des communications sécurisées haut débit et des services de navigation pour les 30 000 militaires déployés sur le terrain. Communiquer, voir, entendre, cibler, renseigner, naviguer... tout cela est désormais permis par l'espace aujourd'hui. L'espace jouera un rôle essentiel dans la connexion des plateformes des systèmes de combat collaboratifs qui sont en développement, notamment le système de combat aérien du futur (SCAF), le système de la Marine et de l'Armée de Terre.

Le dernier élément de contexte concerne la défense et la sécurité. L'espace est un milieu à part entière dont les spécificités et la singularité ont été soulignées par la revue stratégique de 2017 et par la stratégie spatiale de défense de 2019. L'Otan en a fait un domaine opérationnel en décembre 2019 et lors du Sommet de Bruxelles en juin 2021, il a été déclaré que l'agression d'une capacité spatiale d'un pays membre serait couverte par l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord.

Les systèmes spatiaux sont exposés à des risques non intentionnels croissants mais aussi à des menaces intentionnelles.

Les risques sont constitués essentiellement par la météo, les rayonnements cosmiques et les débris spatiaux. Avec le dernier tir russe, on compte environ 35 000 objets de plus de 10 cm en orbite dans l'espace et plus de 900 000 débris de plus d'un centimètre !

S'agissant des menaces, il existe plusieurs formes d'actions hostiles avec des effets réversibles ou non. Cela va de la menace cyber au renseignement, l'interception, le brouillage, la neutralisation à l'aide d'armes à énergie dirigée, des menaces co-orbitales avec le développement de satellites saboteurs, remorqueurs ou désorbiteurs et armés. Ces derniers peuvent être mis en oeuvre par des opérateurs privés, ce qui rend difficile la caractérisation et l'attribution de la menace. Quatre pays disposent de missiles anti satellites : la Chine depuis 2007, les États-Unis depuis 2008, l'Inde depuis 2019 et la Russie depuis le 15 novembre dernier. La Chine et la Russie considèrent que l'espace est essentiel aux opérations militaires modernes, et par conséquent, que des capacités de neutralisation des moyens spatiaux adverses sont indispensables pour réduire l'efficacité militaire américaine et occidentale en cas de conflit et rétablir une sorte de symétrie. En 2015, ces deux pays ont réorganisé leurs forces dans le domaine spatial. La multiplication des actions dans l'espace de la part de nombreux acteurs nous a amenés à améliorer nos processus, à monter en compétences et à progresser dans notre capacité à travailler avec nos partenaires et alliés, et enfin à valider notre feuille de route capacitaire.

Comme le cyber, l'espace est devenu un véritable enjeu de sécurité nationale, donnant lieu aux travaux de la revue spatiale entre 2008 et 2019 puis à la publication d'une Stratégie spatiale en juillet 2019 et à la création du commandement de l'Espace en septembre 2019. Les principales lignes de la stratégie spatiale sont les suivantes : il s'agit de répondre aux menaces émergentes dans l'espace, de défendre nos intérêts spatiaux et de saisir toutes les opportunités pour construire notre autonomie stratégique. Parmi ces opportunités, il s'agit d'élargir nos coopérations au domaine des opérations en l'ouvrant à des nouveaux partenaires. Notre feuille de route comporte quatre axes : une nouvelle doctrine pour les opérations spatiales militaires, une nouvelle ambition en matière de capacités, le développement de l'expertise spatiale au sein du ministère des Armées et l'adaptation de la gouvernance du spatial militaire avec notamment la création du commandement de l'Espace et de nouvelles relations entre le CNES et le ministère des Armées.

La doctrine est basée sur l'idée nouvelle que nous sommes en mesure de protéger et défendre nos intérêts spatiaux. Sur la gouvernance, le commandement de l'Espace a été créé en 2019. C'est à la fois, un commandement inter-armées et un commandement de l'armée de l'Air, sous une double tutelle, fonctionnelle de la part du chef d'état-major des armées pour ce qui concerne la politique spatiale militaire et les opérations, et organique de la part du chef d'état-major de l'armée de l'Air et de l'Espace. C'est un commandement à la fois opérationnel et organique en charge de proposer la politique spatiale militaire. Cela concerne les capacités spatiales de défense, les capacités de maîtrise de l'espace, les stratégies d'acquisition, les coopérations et la maîtrise de l'environnement spatial. Nous sommes associés à de nombreux acteurs, au premier rang desquels le CNES, mais aussi la Direction générale de l'armement (DGA), l'état-major des armées, le ministère des Affaires étrangères et le Secrétariat général pour la défense et la sécurité nationale (SGDSN).

Le commandement de l'Espace employait 219 personnes lors de sa création et environ 300 aujourd'hui, réparties sur quatre sites à Paris, Creil, Toulouse et Lyon. L'effectif devrait atteindre 520 personnes environ à l'horizon 2025 incluant le centre d'excellence de l'OTAN. Cette montée en puissance se concrétise chaque année par 40 à 50 nouveaux arrivants.

S'agissant des capacités, nous vivons une période assez inédite dans l'histoire des Armées puisqu'en l'espace de trois ou quatre ans, grâce à la loi de programmation militaire (LPM), nous avons renouvelé l'ensemble des capacités. Nous avons également lancé deux des trois satellites CSO - le dernier lancement étant prévu pour 2022 - et les trois satellites CERES offrant une véritable première capacité opérationnelle de renseignement électromagnétique depuis l'espace. Nous avons enfin lancé récemment le premier des deux satellites Syracuse 4, le second étant prévu pour mi-2022. Nous avons ainsi complètement renouvelé nos capacités d'appui aux opérations. Un troisième satellite Syracuse devrait arriver en 2028. Nous avons aussi lancé le programme à effet majeur Action et Résilience Spatiale (ARES) qui est la concrétisation de la nouvelle ambition spatiale en matière de doctrine et qui intègre les composantes de surveillance de l'espace et de défense active et passive ainsi que les outils de commandement et de contrôle de l'ensemble des capacités spatiales. Ce programme a été lancé en juillet 2021 et devrait permettre en 2025 de disposer d'une première capacité de commandement spatial afin d'établir une représentation de la situation spatiale d'intérêt défense par la fusion des données souveraines parmi lesquelles celles du patrouilleur dans l'espace (Yoda) et du successeur du radar de surveillance GRAVES. Nous avons établi une feuille de route globale de nos futures capacités spatiales avec l'idée d'une architecture plus connectée et distribuée, validée par la ministre des armées en juillet 2021. Nous préparons déjà le lancement des opérations IRIS et CELESTE qui vont succéder aux satellites Composante Spatiale Optique (CSO) et Capacité de Renseignement Électromagnétique Spatiale (CERES). Dans le domaine spatial, il y a cette particularité que les systèmes doivent être renouvelés environ tous les 10 ans.

S'agissant du développement de l'expertise spatiale, on parle plus de systèmes que d'hommes. Mais il est nécessaire d'attirer des talents, de les former, de les garder et de leur offrir des parcours leur permettant d'évoluer, ce qui est aussi un axe de la stratégie spatiale. Le développement de l'expertise repose sur la conduite d'opérations réelles. Nous fournissons un appui aux opérations militaires et autres exercices, comme la mission «Heifara» dans le Pacifique. Nous fournissons environ 500 images satellitaires par jour, soit plus de 160 000 images par an, pour le renseignement, la géographie, le ciblage ou l'appui aux opérations.

En 2021, nous avons repéré 27 entrées atmosphériques à risque, dont 12 ont fait l'objet d'un suivi prioritaire et nous avons traité l'ensemble des activités suspectes et l'évolution des menaces en lien avec nos partenaires étrangers, notamment les Américains.

La formation initiale « espace » nous a permis de former plus de 200 personnes en deux ans afin de créer un socle commun de connaissances. Nous lançons également le recrutement de jeunes officiers sous contrat, diplômés d'écoles d'ingénieurs ou spécialisés dans le spatial. Enfin, nous avons la formation à l'emploi de nos opérateurs spatiaux par le CNES.

La préparation opérationnelle repose sur quatre principaux exercices, dont trois multinationaux : Schriever Wargame, exercice politico-militaire américain de niveau stratégique, Global Sentinel, dédié à la surveillance de l'espace, Sprint Advanced Concept Training (SACT), dont l'objectif est le développement technologique en matière de surveillance de l'espace et AsterX, notre exercice national tactique et opératif. AsterX a été le premier programme de ce genre en France et en Europe, et a reçu un écho mondial, y compris en Chine et en Russie. Une deuxième édition aura lieu en 2022 et intéresse de nombreux pays étrangers.

L'exercice Hackathon consacré à l'espace s'est adressé à des étudiants ou jeunes diplômés avec comme objectif le rayonnement du spatial de défense et l'émergence d'idées originales. Ça a été un grand succès que nous comptons renouveler en 2022.

J'en termine avec les coopérations, troisième axe de notre feuille de route. Nous avons vocation à les développer. Historiquement capacitaires, ces coopérations sont maintenant davantage orientées vers les opérations, l'interopérabilité et la sécurité dans l'espace.

Ces coopérations peuvent se tenir dans un cadre multilatéral, au sein du Combined Space Operations, forum aux sept nations, les cinq nations anglo-saxonnes, la France et l'Allemagne, l'Union européenne et l'OTAN. Dans le cadre de cette dernière coopération, nous avons concouru pour accueillir le centre d'excellence de l'OTAN. La première conférence de ce centre a eu lieu à Paris il y a un mois et a été un véritable succès avec la participation de 25 pays ! Plus de dix pays ont d'ores et déjà annoncé leur participation ferme à ce centre d'excellence et six autres leur participation probable. Des coopérations bilatérales existent aussi, notamment avec les États-Unis, l'Allemagne et l'Italie, qui sont des partenaires historiques, et de nouveaux partenaires stratégiques comme l'Inde, les Émirats ou le Japon.

Enfin, nous menons des travaux sous la direction du Quai d'Orsay en lien avec la Direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère, sur les normes de comportement responsables dans l'espace. Nous avons contribué à la résolution 75-36 de l'Assemblée générale de l'ONU en décembre 2020, au rapport remis par la France au Secrétaire général des Nations-Unies en mai 2021 et au nouveau projet de résolution adopté en novembre 2021 pour la mise en place d'un groupe de travail relatif à ces normes de comportement.

C'est un travail collectif et j'observe la détermination des acteurs pour mettre en oeuvre cette stratégie, notamment le CNES et l'OCDE.

M. Olivier Cigolotti. - Si la France s'est dotée de capacités spatiales autonomes, cela ne l'empêche pas de nouer des partenariats. Les tensions russo-américaines ont fragilisé la coopération spatiale jusqu'à présent épargnée, la Chine a renforcé son budget dans ce domaine, estimé à plus de 8 milliards de dollars et les rapprochements sino-russes se renforcent. Pensez-vous que cette rivalité, qui rappelle la Guerre froide, peut être source de tensions sécuritaires dans l'espace ? Pouvez-vous nous en dire plus sur Yoda, qui est un concept de défense active visant à protéger nos intérêts dans l'espace et à dissuader nos adversaires d'y porter atteinte ?

M. Gilbert Bouchet. - Je voudrais revenir sur l'essai anti satellite russe du 15 novembre dernier, qui traduit le contexte d'hyper-tensions internationales dans lequel nous vivons. Après avoir gagné les océans, cette hyper-tension s'attaque à l'espace extra-atmosphérique. Cela nous interroge sur les moyens de détection, les dommages portés aux stations spatiales habitées et sur le volet relatif à l'exploitation commerciale. Nous avons également pu observer des mouvements de réorganisation et de rapprochement entre les commandements de l'espace et le secteur privé, notamment aux États-Unis.

Quel est votre axe prioritaire d'action pour que la France puisse rester dans la course ? Avez-vous des partenariats avec le secteur privé ? Comment favoriser le recrutement de profils de haut niveau alors que la France semble décrocher dans les classements scientifiques internationaux ? Envisagez-vous des campagnes de communication auprès des jeunes pour les sensibiliser à ces enjeux et susciter l'envie de travailler dans ce domaine ?

M. Jean-Marc Todeschini. - Je note votre optimisme sur la montée en puissance de la France dans ce domaine, à l'horizon 2025. Depuis l'affaire des sous-marins australiens, les médias mettent en exergue les problématiques posées par le développement de la puissance militaire de la Chine dans la zone Indopacifique. Ils parlent moins de la stratégie chinoise dans le domaine spatial dont le volet militaire est important et qui peut lui permettre d'accroître ses capacités stratégiques en cas de conflit. Comment analyser vous le déploiement chinois ? A-t-on les moyens de répliquer ? La France est-elle capable de se doter d'une capacité de dissuasion dans l'espace, de la même manière qu'elle a une capacité de dissuasion nucléaire ?

M. Jacques Le Nay. - Quel lien le commandement de l'espace entretient-il avec l'industrie spatiale française et avec l'Agence de l'innovation de défense (AID) ? Le droit international de l'espace est-il menacé ? Les pays émergents jouent-ils un rôle spécifique dans l'apparition de nouveaux risques ? Comment la France peut-elle lutter contre ces risques ? Enfin, quelle sera la plus-value de l'implantation du centre d'excellence de l'OTAN dédié à l'espace à Toulouse ?

M. Philippe Folliot. - L'Occitanie et Toulouse entretiennent une longue histoire avec le secteur spatial. C'est aussi pour cela qu'il a été décidé que le siège du Commandement de l'Espace serait implanté à Toulouse. Quelle sera la montée en puissance de ses moyens et quelle sera l'articulation avec le centre d'excellence de l'OTAN ? Concernant la difficulté du recrutement de spécialistes, quel est pourrait être l'apport de la réserve ?

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - La guerre de l'espace se prépare dans l'ombre. C'est le nouveau domaine de confrontation des ambitions terrestres, comme cela a été le cas pendant la Guerre froide entre les États-Unis et l'URSS. L'imagerie spatiale devient la principale source de données pour le recueil de renseignement non intrusif. Pouvez-vous nous dire comment la France se positionne en termes d'accès et de maîtrise des nouvelles technologies, mais aussi de moyens pour faire face à certaines grandes puissances, notamment en matière d'écoute électromagnétique ?

Général Michel Friedling. - S'agissant de la rivalité entre la Chine et les États-Unis, tout le monde redoute un conflit et souhaite l'éviter. C'est le principal sujet de préoccupation pour les Américains et leur approche repose sur un rattrapage ou du moins une accélération technologique et sur le développement des alliances et des partenariats. Les Américains considèrent que dans l'espace plus qu'ailleurs, le fait d'avoir des alliés et d'agir en coalition constitue un atout stratégique majeur. Ils sont demandeurs de partenaires offrant des capacités, tant sur le plan technique que politique. Sur le plan technique, les puissances spatiales capables de mettre en oeuvre des moyens militaires sont peu nombreuses. Le volet déclaratif est très fort en matière d'alliance. Les Américains parlent de dissuasion dans l'espace et le Secrétaire à la Défense vient de parler du concept d'integrated deterrence, la défense intégrée touchant tous les milieux, dont l'espace. Personne n'a intérêt à un conflit dans l'espace. Selon le syndrome de Kessler, représenté au cinéma par le film « Gravity », un débris heurte un vaisseau spatial américain créant d'autres débris, cette réaction en chaîne générant une pollution rendant impossible toute activité spatiale. C'est la raison pour laquelle la France a fermement condamné le tir d'essai russe car ce type d'action crée des débris d'une durée de vie longue qui constituent un danger pour la soutenabilité des activités dans l'espace.

Néanmoins, aujourd'hui, la Chine et la Russie considèrent que la dépendance des pays occidentaux vis-à-vis de l'espace est plus importante que la leur, ce qui les conduit à pratiquer un jeu « perdant-gagnant », mettant en danger leurs propres capacités spatiales dans la mesure où le gain qu'elles en retirent est supérieur à celui qu'elles auraient en ne le faisant pas. C'est un jeu dangereux. Cela pourrait toutefois changer quand la dépendance à l'espace d'un pays comme la Chine sera aussi importante que celle des États-Unis.

S'agissant de Yoda, c'est un projet démonstrateur lancé en 2019 avec l'objectif d'être opérationnel en 2024, destiné à nous permettre d'acquérir des savoir-faire que nous n'avons pas encore, notamment les manoeuvres en orbite. Ce projet rassemble le commandement de l'Espace, la Délégation générale pour l'armement et le CNES, ainsi que des industriels. Deux petites plateformes seront proches de l'orbite géostationnaire. Elles permettront de tester des technologies et d'acquérir un savoir-faire en vue de développer un autre concept plus complet et plus opérationnel à l'horizon 2030. Ce projet est très important car il tire l'ensemble de nos compétences et capacités vers le haut, qu'il s'agisse du système de commandement et de contrôle des opérations spatiales, du segment sol mais aussi de notre organisation interne, de la répartition des responsabilités avec le CNES en matière de formations ou encore des transferts de compétences dans les dix ans à venir. Nous devons, en parallèle, instruire des sujets doctrinaux et juridiques.

L'essai russe n'a pas été une grande surprise. La Russie avait déjà effectué un certain nombre de tirs infructueux, du moins sans impact sur un satellite actif, en tout une dizaine de tirs en cinq ans ! Nous avons été alertés de l'imminence du tir et nous avons pu orienter l'ensemble de nos capteurs pour le suivre en temps quasi réel. Il a créé environ 1 500 débris. Nous avons pu en identifier une partie. Le satellite était à 500 km d'altitude et les débris se sont répartis entre 200 et 1 000 km, représentant un vrai danger. L'ESA a pris la décision de mettre à l'abri les astronautes dans un module de sauvegarde. Nous observons le croisement de certains de ces débris à proximité de nos moyens spatiaux. Après la condamnation ferme de la France se pose la question de la soutenabilité des activités spatiales et de l'établissement des normes de comportements responsables.

S'agissant des partenariats avec le privé, ils sont nécessaires, notamment en matière de surveillance de l'espace, car nous n'avons pas de capacité autonome et exhaustive sans l'apport du secteur privé. Cela figure dans la Stratégie spatiale de défense qui nous attribue des moyens pour cela. Nous avons d'ailleurs passé un premier contrat avec la société Safran data System qui nous fournit des données de surveillance de l'espace et nous venons de signer un nouveau contrat avec la société Ariane Group pour des données de surveillance de l'espace en orbite géostationnaire. Nous travaillons actuellement avec d'autres opérateurs privés dits « de confiance ». Nous avons toujours cette idée d'une approche en trois cercles, avec un coeur souverain de capacités qui nous appartient et qui est sécurisé, un deuxième cercle de capacités fournies par des partenaires de confiance ou des partenaires étrangers et un troisième cercle de capacités commerciales complémentaires, notamment dans le domaine des communications satellitaires. Nous aurons sans doute dans notre futur centre d'opérations spatial à Toulouse une cellule d'intégration commerciale où se retrouveront les opérateurs privés avec lesquels nous travaillons au quotidien.

L'attractivité pour le recrutement n'est pas un souci. Nous sommes très attractifs pour les jeunes talents. En outre, notre besoin porte sur des effectifs réduits. Les 40 à 50 personnes qui nous rejoignent chaque année viennent des Armées. Certaines sont déjà formées aux sujets spatiaux, les autres reçoivent une formation initiale qui leur permet d'acquérir les bases en 15 jours. Cette formation s'adresse également à la Direction du renseignement militaire, à l'état-major des Armées, au CNES, à l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) et à d'autres administrations, tendant à créer une sorte de communauté spatiale de défense fluide et efficace. Nous expérimentons un programme encore modeste, mais très prometteur sur « les jeunes talents spatiaux ». Il s'agit de recruter de jeunes diplômés de très haut niveau en tant qu'officiers commissionnés avec le grade de capitaine. Nous avons signé le premier contrat le 1er décembre dernier, l'idée étant d'en recruter quatre par an, de les garder quatre ans avant de les orienter vers l'industrie spatiale française. Cela compléterait les talents internes du ministère.

La réserve est très importante pour nous. Nous avons aujourd'hui un afflux de candidatures pour la réserve, ce qui nous permet d'être très sélectifs. Nous sommes 300 au commandement de l'Espace et nous avons 46 réservistes opérationnels avec des profils très différents cumulant ensemble 300 années d'expérience spatiale, que l'on utilise dans les domaines techniques, la communication - notamment pour l'exercice AsterX ou la première conférence du centre d'excellence espace de l'OTAN - ou encore l'innovation.

Sur l'analyse des déploiements chinois actuels et la dissuasion, j'y ai répondu évoquant la mise en place des coalitions et le discours stratégique. En France, on parle plus de découragement des actions spatiales que de dissuasion, laquelle est associée au nucléaire. La posture de la France consistant à affirmer clairement qu'elle entend protéger et défendre ses intérêts spatiaux, en exerçant son droit à la légitime défense dans l'espace, est une singularité dans le monde occidental, exception faite des Etats-Unis.

Concernant la montée en puissance du commandement de l'Espace à Toulouse, nous venons d'inaugurer nos locaux temporaires qui accueillent 60 personnes. En 2025, nous aurons l'ensemble de nos bâtiments, bureaux et un centre d'opérations qui va regrouper tous les moyens de commandement et de contrôle mais également les moyens de calcul et de traitement des données, ainsi qu'un laboratoire d'innovation spatiale. Nous avons une équipe de trois personnes au sein du pôle Aerospace Valley Newspace Factory, qui est le pôle de compétitivité de la région Occitanie-Nouvelle Aquitaine, situé à Toulouse, en contact permanent avec l'écosystème de l'innovation du spatial et qui conduit des projets avec l'AID. L'essentiel des effectifs du commandement de l'Espace seront à Toulouse puisque le Centre opérationnel de surveillance militaire des objets spatiaux (COSMOS) actuellement à Lyon et le Centre militaire d'observation par satellites (CMOS) situé à Creil ont vocation à rejoindre Toulouse d'ici 2025.

Enfin, concernant les technologies d'écoutes électromagnétiques, la constellation CERES de trois satellites lancée fin 2021 est une capacité unique en Europe et ce système nous offre une capacité dédiée au renseignement d'origine électromagnétique de haut niveau sans équivalent.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Ma question porte sur les moyens financiers. Au vu de la montée en puissance de l'ensemble de vos missions et de la compétition internationale, disposez-vous de moyens financiers suffisants ?

M. Bruno Sido. - Vous avez souligné que l'espace était de plus en plus encombré par des satellites et des déchets. Le successeur du radar GRAVES arrivera en 2025. Actuellement nous ne sommes pas autonomes, nous avons besoin de l'aide américaine pour déplacer certains satellites menacés par des déchets qui risquent de les percuter. Aura-t-on l'autonomie complète avec ce nouveau radar ?

M. Yannick Vaugrenard. - Après votre exposé, je garde en tête le mot « exponentiel », que ce soit au sujet du nombre de satellites ou des enjeux financiers ! Du coup, on mesure bien l'intérêt d'une coopération opérationnelle et financière. Or, vous avez plutôt évoqué une coopération entre États. Au niveau européen, nous avons Galileo qui est un projet très emblématique. Pensez-vous qu'il puisse y avoir d'autres projets européens dans le domaine de l'espace ? Une coopération opérationnelle au niveau de l'OTAN est-elle envisageable?

M. Alain Cazabonne. - L'observation par satellite permet de voir une balle de tennis. En ce qui concerne les opérations militaires au Mali, ne pourrait-on pas avoir une surveillance permanente des groupes djihadistes en mouvement depuis l'espace plutôt que d'envoyer des soldats ? Comment peut-on identifier un satellite envoyé par un autre pays ? Les satellites sont-ils recensés ?

M. Olivier Cadic. - Lors de la discussion de la LPM, on a dit que le prochain conflit multinational pourrait démarrer par le cyber et l'espace. L'augmentation du nombre de satellites démontre que le secteur privé prend une part de plus en plus importante. Notre voisin, le Luxembourg a une vision du développement spatial tournée vers le secteur privé, avec des retours sur investissement rapides et avec un développement économique habile. Or, vous n'avez pas mentionné l'Agence spatiale luxembourgeoise (Luxembourg Space Agency ou LSA) qui me semble un acteur important. Y a-t-il des convergences possibles, selon vous, avec la LSA ?

M. Guillaume Gontard. - Vous avez fait référence au tir russe et aux déclarations de la ministre, j'aimerais en savoir plus sur la gestion globale de ces débris, et notamment sur l'obligation faite aux pays d'utiliser des satellites éboueurs. Y a-t-il une réflexion sur un mécanisme de caution qui permettrait de financer le nettoyage de chaque satellite devenu inutilisable ? Suite à ce tir, y a-t-il une dynamique de discussions sur de nouvelles normes internationales de l'espace ?

Mme Michelle Gréaume. - La France a les systèmes de renseignement d'origine magnétique les plus avancés, tout comme la Chine, la Russie et les États-Unis. Parallèlement, l'espace est de moins en moins un univers de paix. Le traité de l'espace n'est plus viable au vu des évolutions géostratégiques et technologiques. La Chine et la Russie proposent le Treaty on the Prevention of the Placement of Weapons in Outer Space (PPWT) pour modifier le traité de l'espace, notamment en interdisant la mise en orbite d'armes nucléaires et de tout autre type d'armes de destruction massive ainsi que l'utilisation de la lune à des fins de guerre. Pour les États-Unis, ce n'est pas le bon mécanisme pour assurer la sécurité, la stabilité et la durabilité de l'espace. Quelle est la position de la France sur la modification du traité ? Comment expliquez-vous la position des États-Unis ? Que faudrait-il modifier dans ce traité ?

Général Michel Friedling, commandant de l'Espace. - S'agissant des moyens financiers, la LPM a prévu des crédits substantiels pour l'espace et l'actualisation stratégique a prévu 700 millions d'euros supplémentaires. Si l'on additionne l'ensemble des programmes (équipements, études amont et services spatiaux), ce sont 5,3 milliards d'euros qui ont été accordés à l'espace sur 2019-2025. Cette somme nous permet de renouveler toutes nos capacités spatiales d'appui aux opérations mais aussi de lancer les programmes destinés à succéder aux programmes actuels (CERES, IRIS ou encore ARES). Pour l'heure, nous disposons donc de moyens suffisants. L'enjeu est surtout d'être rapides, agiles, innovants. Il s'agit de sortir de la logique de silo qui prévalait auparavant, lorsque nos moyens de communication, d'imagerie et de surveillance de l'espace étaient éclatés entre différents acteurs, sans pilotage par une structure de commandement et de contrôle. Nous sommes dans une période de transition vers le monde de demain.

En matière de surveillance de l'espace, GRAVES va autoriser un saut qualitatif important mais ne permettra pas tout. La difficulté est de distinguer, sur des orbites comprises entre 300 et 36 000 kilomètres, entre les satellites « prédictifs » qui se situent sur des orbites déterminées et dont on peut prévoir le mouvement (à l'instar des avions de ligne dans l'espace aérien) et les objets « non prédictifs », de plus en plus nombreux, qui sont d'intérêt militaire. Pour cela, un seul capteur ne suffit pas. Nous avons besoin aussi des données fournies par des tiers, opérateurs de confiance et partenaires étrangers. C'est pourquoi nous travaillons à des accords de partage de données avec les pays alliés et amis qui ont cette capacité (Etats-Unis, Allemagne, Italie...). Ce sont toutes ces données agrégées qui vont nous permettre à l'avenir de tendre vers l'exhaustivité en temps réel, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui (nous ne voyons que 10% de ce que nous voudrions voir et pas tout à fait en temps réel). En complément, nous avons besoin d'une puissance de calcul, d'une puissance de traitement et d'une capacité de stockage des données, ce qui implique de recourir à des outils comme l'intelligence artificielle ou encore des super-calculateurs...

En ce qui concerne les coopérations possibles, au niveau de l'OTAN, les capacités spatiales sont celles fournies par les nations membres. Ainsi, le futur centre spatial de l'OTAN à Ramstein (Allemagne) ne fera qu'agréger des données fournies par ces dernières.

Au niveau européen, il y a des projets comme le programme GOVSATCOM (European Union Governmental Satellite Communications) qui permet de partager des capacités de communications satellitaires pour des usages gouvernementaux. Il y a aussi les projets financés par le Fonds européen de défense comme le projet Twister, le réseau de surveillance spatiale militaire européen (EU-SSA-N) ou encore le consortium EUSST (European space and surveillance tracking) qui fournit des services de surveillance au profit d'opérateurs privés. Enfin, il faut mentionner le projet de constellation européenne qui répond à un enjeu de souveraineté, face aux projets américains Starlink de SpaceX ou Kuiper d'Amazon, et au projet chinois GW. Ces constellations visent à apporter de la connectivité Internet à grande échelle, avec du très haut débit.

La question sur la capacité à identifier un satellite envoyé par un autre pays dans l'espace renvoie à la problématique de la surveillance de l'espace. C'est l'une des grandes difficultés auxquelles nous faisons face. Un satellite lancé reste dix ans en activité sur son orbite voire plus s'il devient un débris. L'enjeu est de surveiller en amont l'activité des opérateurs pour savoir qui lance quoi et où.

Le commandement de l'espace n'a pour l'instant pas de coopération avec l'agence du Luxembourg qui, il est vrai, est très en pointe sur certains sujets. C'est plutôt le Centre national d'études spatiales (CNES) qui est en rapport avec elle.

S'il n'existe pas à ma connaissance de caution, le sujet des normes de comportement est essentiel. Nous privilégions cette approche à celle de l'initiative russo-chinoise PPWT, que la Chine et la Russie ont tenté de faire adopter à deux reprises, en 2008 et en 2014 et qui vise à interdire le positionnement d'armes dans l'espace. Nous ne soutenons pas cette initiative pour plusieurs raisons. D'abord, le projet de traité proposé est lacunaire car il n'interdit pas l'utilisation d'armes dans l'espace depuis le sol. Ensuite, il manque une définition de ce qu'est une arme dans l'espace, ce qui n'est pas simple, compte tenu notamment du caractère dual des moyens utilisés dans ce milieu, très propice aux modes d'action hybrides. Enfin, nous estimons que son application est invérifiable. C'est pourquoi notre approche, pragmatique, privilégie la notion de normes de comportement responsables, destinées à être appliquées de manière volontaire et ayant vocation à être promues dans le cadre des Nations-Unies. Bien sûr, en cas de conflit armé, le droit à la légitime défense continuerait à s'appliquer. La France a soutenu le contre-projet britannique qui a débouché sur l'adoption d'une résolution le 7 décembre 2020, une autre résolution allant permettre la mise en place d'un groupe de travail dans lequel notre pays compte s'impliquer.

M. Christian Cambon, président. - Merci, Mon Général, pour l'ensemble de vos réponses qui montrent à quel point la transformation de l'espace est rapide et à quel point les défis à relever sont grands dans un contexte de concurrence aigue. Vous avez aussi souligné la nécessité d'anticiper les différentes menaces à 10 ou 20 ans. Je souhaiterais que notre commission puisse venir vous voir en 2022, pour approfondir votre présentation. Nous vous présentons nos voeux de pleine réussite dans cette discipline nouvelle au sein de l'armée de l'air. Concernant les milliers d'objets qui errent dans l'espace, ne pourrait-on pas les faire retomber dans l'atmosphère afin qu'ils s'auto-détruisent ?

Général Michel Friedling, commandant de l'Espace.  - La durée de maintien en orbite de ces objets dépend de l'altitude où ils se trouvent. Cela peut aller de quelques dizaines à quelques milliers d'années, ce qui n'est pas très rassurant.

Il faut noter qu'il y a des initiatives diverses visant à dépolluer l'espace, notamment de la part de l'agence spatiale européenne ou de start-ups. Certaines entreprises développent des méthodes très avancées pour récupérer les plus gros objets et les désorbiter ou les ramener sur terre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Désignation d'un rapporteur

La commission nomme rapporteur M. André Guiol sur le projet de loi n° 4323 (AN - 15e législature) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et l'Agence de l'Union européenne pour les chemins de fer relatif au siège de l'Agence de l'Union européenne pour les chemins de fer et à ses privilèges et immunités sur le territoire français.

La réunion est close à 11h20.