Mercredi 8 juin 2022

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Questions diverses

M. Claude Raynal, président. - Notre commission a confié à notre collègue Jean-Baptiste Blanc, rapporteur spécial de la mission « Cohésion des territoires » pour les crédits du logement, de l'urbanisme et de la ville, un travail de contrôle sur les outils financiers pour soutenir l'atteinte de l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN).

En complément de ce contrôle budgétaire, il nous est apparu utile que notre commission bénéficie de l'appui du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) pour réaliser une étude sur la prise en compte par la fiscalité locale de l'objectif « zéro artificialisation nette ». Cela permettrait de compléter les travaux du rapporteur spécial et d'alimenter nos réflexions dans le cadre du prochain projet de loi de finances et du projet de loi de programmation des finances publiques, compte tenu des enjeux pour les ressources des collectivités locales.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur spécial. - La commission des affaires économiques a publié un rapport d'information sur l'objectif « zéro artificialisation nette ». À présent, il s'agirait d'en étudier le volet financier et budgétaire. Nous avons réalisé des auditions. Nous nous sommes rendus dans les régions. Les élus sont inquiets ; il n'y a pas d'accompagnement des collectivités locales. C'est l'ensemble de la fiscalité locale qu'il faudra à terme repenser.

On demande aux élus de construire sans artificialiser et de densifier la commune lorsque la population s'accroît sans disposer de ressources nouvelles. Les comportements vertueux ne sont pas récompensés. Les communes ne sont pas réellement incitées à freiner l'étalement urbain.

Je pense qu'une telle étude serait très utile, d'autant qu'elle devrait être rendue publique lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023, voire d'un projet de loi de programmation des finances publiques. Les travaux du CPO éclaireraient nos débats en nous permettant d'analyser les effets des propositions à caractère financier ou fiscal.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je salue le travail de notre collègue sur ce sujet éminemment politique. Nous sommes pris en étau. D'un côté, des citadins aspirent à de grands espaces pour mieux respirer. De l'autre, les contraintes deviennent incompréhensibles pour les élus et les habitants des territoires ruraux et périurbains. Le souci tient aussi au fait que des décisions actées lors de la commission mixte paritaire relative au projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ont été « mal retranscrites » par le pouvoir réglementaire. Il me semble effectivement utile de disposer des travaux du CPO pour élargir notre réflexion et éclairer nos travaux.

M. Claude Raynal, président. - Je vous propose donc qu'en application de l'article L. 331-3 du code des juridictions financières, notre commission saisisse le CPO d'une étude sur ce thème, dont les conclusions pourraient être rendues en octobre prochain.

Il en est ainsi décidé.

Contrôle budgétaire - Comparaison européenne des conditions de travail et de rémunération des enseignants - Communication

M. Claude Raynal, président. - Nous allons à présent entendre une communication de notre collègue Gérard Longuet, rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire », sur la comparaison européenne des conditions de travail et de rémunération des enseignants.

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - Nous avons plusieurs constats sur ce sujet au coeur de l'actualité. Premièrement, nos enseignants sont plutôt mal rémunérés par rapport aux moyennes européennes ; c'est peut-être une explication, même si elle n'est pas suffisante, des difficultés de recrutement. Deuxièmement, le mode de rémunération des enseignants français fait une part très large à l'ancienneté et au diplôme d'entrée : les différences entre professeurs certifiés et agrégés sont significatives, et elles durent toute la carrière. Troisièmement, on ne prend pas suffisamment en compte l'extrême diversité géographique : un même salaire ne correspond pas partout au même pouvoir d'achat.

L'enseignement est un secteur où le lien entre la demande et l'offre de formation n'a aucune conséquence en termes de rémunération. Il y a une forte concurrence du secteur privé dans les disciplines scientifiques et, parfois, dans les langues pour attirer de jeunes diplômés. Pour un licencié en mathématiques, devenir professeur n'offre pas les mêmes perspectives salariales qu'intégrer une entreprise d'informatique.

Je rends hommage à l'ancien ministre Jean-Michel Blanquer pour s'être soucié voilà quelques années du niveau de rémunération des jeunes enseignants débutants installés dans des secteurs difficiles.

Tous les pays d'Europe ont le même problème que nous. Recruter des enseignants est une difficulté dans tous les pays développés, à l'exception des pays asiatiques, mais où les enfants subissent une pression à la réussite scolaire extrêmement forte. Il y a les mêmes problèmes de recrutement en Europe et aux États-Unis. Les besoins ne sont pas satisfaits, y compris en Allemagne.

La France consacre 3,4 % de son PIB aux dépenses publiques d'enseignement, contre 2,6 % en Allemagne. Pour autant, les enseignants allemands sont beaucoup mieux payés que les nôtres. Cela tient à des frais de structures plus élevés en France, pour des raisons liées en grande partie à la démographie et à la répartition géographique. Nous avons d'ailleurs une responsabilité en tant qu'élus, puisque nous défendons les établissements existants. Or, en moyenne, les établissements scolaires en Allemagne sont deux fois plus grands que les établissements français, ce qui diminue les frais de structure.

Les situations des enseignants en Europe se rapprochent, notamment s'agissant de leur niveau de qualification. Seulement 5 % d'entre eux n'ont que le baccalauréat quand 55 % ont un master. Mais ce ne sont pas nécessairement les mêmes masters. En France, nous avons des masters essentiellement disciplinaires ; dans d'autres pays, il y a des masters à la fois de discipline et d'enseignement, où le futur professeur est formé à la pédagogie et à la maîtrise de la classe.

L'âge d'entrée dans le métier a augmenté. Les enseignants débutants du primaire et du secondaire sont en moyenne quatre ans plus vieux que ceux d'il y a quinze ans. Cela pose toute une série de problèmes en termes de satisfaction personnelle et d'organisation de la vie.

Il y a des écarts significatifs de rémunération dans l'espace européen. Les moyennes de rémunération annuelle sont plutôt autour de 35 000 euros, soit plus qu'en France.

Les systèmes de carrière sont assez différents. Le modèle français, c'est-à-dire la prime à l'ancienneté, a le mérite de fidéliser les enseignants et l'inconvénient de décourager ceux que l'on appelle les « jeunes enseignants », mais qui ne sont plus forcément des jeunes gens, puisqu'ils ont commencé à travailler assez tard. Les salaires de début sont assez faibles, ce qui n'est pas forcément le cas dans d'autres pays. Je vous renvoie aux éléments qui figurent dans le rapport écrit. Il faudrait avoir le courage de se demander si nous avons la meilleure politique.

L'immense majorité des pays européens accordent de plus en plus leur confiance aux dispositifs d'évaluation à l'échelle des établissements d'enseignement. L'évaluation des professeurs est effectuée dans le cadre de l'établissement, souvent par les collègues, avec - c'est très intéressant - une part d'autoévaluation, et en tenant compte du temps consacré à la formation, pouvant déboucher soit sur une rémunération, soit sur une promotion, soit sur les deux.

En France, nous avons la particularité d'ignorer la collectivité enseignante, sauf dans les écoles sous contrat, où les conceptions sont différentes et les résultats souvent meilleurs. Le professeur est isolé, et l'accompagnement dont il bénéficie au cours de sa première année cesse trop rapidement ; dans l'immense majorité des autres pays, il existe au sein de l'établissement un tutorat ou un mentorat pouvant s'étendre sur les trois premières années d'activité professionnelle.

Nous avons donc un chantier à explorer, en lien évidemment avec la commission des affaires culturelles. Les conséquences budgétaires sont considérables. Il faudrait se poser la question de l'organisation du travail. Dans la plupart des pays où ils sont mieux payés, les enseignants ont moins d'heures de cours, mais beaucoup plus d'heures de présence dans l'établissement, avec des activités très différentes : surveillance de devoirs, conseil aux familles et aux élèves, etc. Dans ces pays, les établissements sont mieux organisés pour offrir un cadre de travail individuel et collectif aux enseignants.

Nous devons donc nous poser des questions de fond. La commission des finances le fait à partir de préoccupations budgétaires, mais la productivité du système est la clé de l'avenir de l'éducation nationale. Nous avons 93 % de dépenses de salaires. Si l'organisation du travail est mauvaise, mal encadrée, le système continuera d'être peu satisfaisant, avec des classements PISA désobligeants pour un grand pays comme le nôtre.

Il serait bien de nous inscrire dans la continuité d'une longue histoire en matière éducative - je salue la mémoire de René Monory - plutôt que d'être réduits à rivaliser avec la Slovénie et la Slovaquie, pays certes intéressants, mais qui sont en train de nous doubler.

Je souhaite continuer à travailler sur le sujet, et je vous invite à faire de même. Il y a tout de même 60 milliards d'euros en jeu. Pour réaliser des économies, il faudrait avoir un système productif efficace, ce qui n'est pas le cas pour l'instant.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie notre collègue Gérard Longuet de son travail. Le sujet est effectivement au coeur de l'actualité et des préoccupations de chacun.

Disposons-nous de statistiques sur la durée moyenne entre l'entrée dans la carrière et la sortie ? Observe-t-on une tendance à la réduction de la durée d'exercice du métier d'enseignant ? Si oui, cela touche-t-il principalement les jeunes venant de terminer leur cursus universitaire ou également des personnels plus expérimentés ?

Si la rémunération des enseignants relève de l'Éducation nationale, le financement des écoles primaires, des collèges et des lycées est assuré, respectivement, par les communes ou leurs groupements, par les départements et par les régions. À mon sens, en plus du sentiment d'isolement dont souffrent les enseignants, sont soulevées aussi des questions sur ces modes de financement et la décentralisation.

Il faut par exemple des mètres carrés supplémentaires pour accueillir les activités périscolaires, la cantine, le sport, etc. L'État a tendance à buter sur le regroupement et à encourager des fermetures sur des unités considérées comme trop petites, compte tenu de l'éparpillement des communes.

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - Les questions que vous abordez sont essentielles. Si les démissions sont marginales, leur augmentation est spectaculaire ; elles ont quadruplé, voire quintuplé dans le secteur public. Il faudrait faire des comparaisons à l'échelon européen, par exemple avec des pays où les logiques de carrières sont différentes, comme le Royaume-Uni ou l'Allemagne. Nous sommes sans doute le seul pays d'Europe à avoir un tel système. La France a fait le choix de la carrière au sein de la fonction publique, avec une retraite avantageuse, mais des salaires de départ plus bas. Or les enseignants débutants ont souvent un âge déjà avancé. Jadis, l'instituteur n'était pas bachelier et commençait à enseigner à 18 ans ou 20 ans. Aujourd'hui, les jeunes enseignants ont cinq ans, six ans ou sept ans de plus, avec évidemment des exigences en termes de revenus plus élevées. Pour l'instant, le système de la carrière, que nous avons choisi, fonctionne, mais je ne suis pas certain que ce soit le seul possible, notamment dans l'enseignement professionnel.

Je vous rejoins sur le sentiment d'isolement. L'établissement public est un peu une illusion. D'aucuns disent, sur le ton de la boutade, que l'éducation nationale est la première des professions libérales dans notre pays. Cela reste en partie vrai. La contrepartie, c'est l'isolement que l'enseignant ressent dans son établissement, faute de travail collectif et de relations avec la hiérarchie. Les statistiques montrent que les enseignants se sentent plus mal-aimés qu'ils ne le sont en réalité.

Le mode de financement des bâtiments est sans doute le problème le plus difficile à régler. Notre densité est l'une des plus faibles d'Europe. Nous ne pouvons pas regrouper facilement. Sans doute ne faut-il pas le faire à tout prix. En milieu rural, l'école communale est souvent devenue l'école de l'intercommunalité, avec des bâtiments assez bien adaptés. Mais il manque des mètres carrés pour donner envie aux enseignants de rester dans leur bureau. Je pense que les collectivités locales seraient partantes en échange d'une certaine responsabilité sur l'établissement et de la possibilité de donner leur point de vue sur la pédagogie. Le Président de la République avait exprimé cette idée avant le premier tour de l'élection présidentielle. Je ne l'entends plus en parler. Mais je ne désespère pas...

M. Antoine Lefèvre. - La situation du métier d'enseignant est effectivement difficile à appréhender. On a toujours tendance à en avoir une mauvaise perception, notamment sur le temps de travail. Le rapport est très éclairant. Le fait qu'il y ait eu en 2022 moins de candidats à certains concours de l'enseignement que de postes à pourvoir illustre le manque d'attractivité.

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - En une dizaine d'années, nous avons perdu quelque 20 000 candidats aux concours.

M. Antoine Lefèvre. - Il faudrait également s'interroger sur les problèmes disciplinaires et les actes de violence des élèves et des parents vis-à-vis des enseignants.

Des campagnes de communication pourraient-elles être mises en oeuvre pour renforcer l'attractivité du métier ?

M. Roger Karoutchi. - J'ai l'impression d'entendre les mêmes choses depuis que j'ai quitté l'enseignement, voilà vingt-neuf ans. Mais je crois sincèrement que l'on ne changera pas le statut des enseignants tant que l'on ne construira pas les établissements scolaires différemment. Il n'est pas possible de travailler sereinement dans une salle des profs à côté de soixante-dix personnes ! Il faut changer complètement le rapport entre l'État et les collectivités locales sur la construction des établissements scolaires.

Avoir moins d'enseignants permettrait peut-être de relever le niveau. Il n'est pas admissible d'organiser des entretiens de trente minutes ou quarante minutes pour décider qui pourra enseigner à la rentrée prochaine.

Peut-on envisager la préparation d'un texte avec le ministère de l'Éducation nationale, en lien avec les associations représentatives des municipalités, des départements et des régions, pour changer globalement la donne ? Aujourd'hui, le niveau des concours de recrutement est lamentable, et il n'y a pas de formation pédagogique derrière.

M. Vincent Delahaye. - On retrouve dans l'école les problèmes de l'hôpital : malgré des moyens très importants, les gens sont mal rémunérés et peu motivés. Je pense qu'il faut déconcentrer le système, réduire le volet administration et tenir compte des différences territoriales.

J'aime bien les comparaisons, à condition de comparer ce qui est comparable, c'est-à-dire en tenant compte du temps de travail, de la durée des carrières et du PIB par habitant. Le PIB par habitant étant supérieur de 10 % en Allemagne, il est normal que les enseignants puissent être mieux payés outre-Rhin. Je me suis rendu en Finlande, et j'avais beaucoup apprécié ce qui s'y pratiquait en matière d'éducation. Peut-être pourrions-nous nous en inspirer...

M. Dominique de Legge. - Pourriez-vous nous apporter quelques éléments chiffrés sur la durée, hebdomadaire ou mensuelle, du travail des enseignants dans les autres pays ? Auriez-vous un ratio sur la part des effectifs de l'éducation nationale qui assurent une présence auprès des élèves ? Avez-vous observé un lien entre le déficit des effectifs et la rémunération des personnels ?

Nous nous inquiétons de voir les enseignants démissionner, mais le phénomène existe aussi dans l'armée. En tant qu'ancien ministre de la défense, pensez-vous que l'on puisse envisager toute une carrière au sein de l'éducation nationale ? La solution n'est-elle pas d'organiser la mobilité au lieu de la subir en la déplorant ?

Disposez-vous d'éléments qui illustreraient des différences entre l'enseignement public et l'enseignement privé ?

M. Marc Laménie. - Je salue l'expertise et la passion de notre collègue Gérard Longuet.

Le budget de l'éducation nationale est le premier de l'État. Mais, au-delà de la dimension financière, il faut souligner l'agressivité des élèves vis-à-vis des enseignants ou des parents qui viennent expliquer aux professionnels comment il faudrait faire cours. En plus, les professeurs sont soumis à de multiples procédures.

Jadis, pour susciter les vocations - vous me pardonnerez ce moment de nostalgie -, il y avait le concours d'entrée à l'école normale. Les postes étaient pourvus, et le métier était attractif. Ne pourrait-on pas envisager de revenir à un tel système ?

Quel est le salaire de début de carrière d'un enseignant en France ?

M. Bernard Delcros. - Les comparaisons entre les pays sont toujours très intéressantes, mais je me méfie des moyennes.

Être enseignant suppose des compétences à la fois académiques, dans une discipline spécifique, mais également pédagogiques. Or, au fil du temps, le volet pédagogique de la formation des enseignants, pourtant essentiel, a été fortement réduit. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait réintroduire cette dimension ?

En outre, ne faudrait-il pas faire machine arrière sur le recrutement de plus en plus important de vacataires et de contractuels et véritablement former des enseignants, avec un modèle plus en adéquation avec les besoins du métier ?

La rémunération diffère selon les diplômes : un professeur certifié est moins bien payé et fait plus d'heures qu'un agrégé, alors que c'est le même travail, avec les mêmes élèves. Ne faudrait-il pas la fixer selon la fonction occupée, et non selon un diplôme obtenu vingt ans ou trente ans plus tôt ? Quel serait à vos yeux le niveau de salaire convenable pour un professeur certifié débutant ?

M. Vincent Segouin. - Si les enseignants français sont moins bien payés que leurs homologues allemands alors que notre pays consacre une part plus importante de son PIB à l'éducation nationale, c'est que les effectifs doivent être plus nombreux. A-t-on un indice du nombre de personnels en relation avec les élèves ? Quel est le nombre d'équivalents temps plein travaillé par rapport au nombre d'élèves ?

M. Jean-François Rapin. - Est-on capable d'évaluer ce que le numérique a apporté dans l'instruction de nos plus jeunes citoyens durant les confinements ? Est-ce une pratique à développer dans les déserts d'instruction ?

Mme Christine Lavarde. - Face aux difficultés de recrutement, tandis que l'enseignement public met en place du job dating pour recruter des professeurs, l'enseignement catholique demande aux parents d'élèves si certains sont intéressés par une reconversion professionnelle et assure la formation de ces nouveaux enseignants. L'une de ces méthodes de recrutement fait-elle plus ses preuves que l'autre ?

Sachant que la rémunération dépend des diplômes, sur quelle base rémunère-t-on les nouveaux enseignants ne disposant pas des diplômes qui étaient à l'origine nécessaires pour exercer une telle profession ?

M. Sébastien Meurant. - Comment s'effectuent les affectations ? Nous sommes souvent appelés par des enseignants qui ne savent pas où ils seront affectés.

M. Claude Raynal, président. - Si vos recommandations s'intègrent globalement dans un rapport financier, votre présentation déborde très largement de ce cadre. Un travail de réorganisation en amont s'impose, faute de quoi l'effet des mesures budgétaires resterait marginal. De même, il ne sert à rien d'augmenter les surfaces des établissements scolaires en gardant les mêmes modes de fonctionnement.

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - La bonne question est effectivement celle de l'articulation entre les commissions spécialisées et la commission des finances. Le coût de l'éducation nationale est essentiellement un coût salarial. Nous devons nous demander si les gens travaillent dans des conditions leur permettant de produire des résultats comparables à ceux d'autres systèmes. Notre réflexion est à l'échelon européen. L'OCDE a fait un énorme effort de comparaison.

Que voulons-nous ? Des jeunes formés pour réussir leur vie. Quel système le permet ? Ma conviction est que sans une reconnaissance de l'établissement, sans une très forte décentralisation et sans l'implication d'adultes responsables, à commencer par les élus locaux, l'enseignement ne peut pas marcher. Le modèle idyllique de la IIIe République est aujourd'hui irréaliste et absurde. Ce sont les élus, les parents, les enseignants et, accessoirement, les élèves qu'il faut rendre un peu plus responsables.

L'OCDE établit un indice du climat disciplinaire à l'école : seuls l'Argentine et le Brésil ont un indice plus défavorable que le nôtre ! Ce mauvais climat disciplinaire explique en grande partie l'hésitation des adultes à devenir enseignants dans le secteur public.

Madame Lavarde, la force de l'enseignement libre sous contrat, catholique ou non, tient à une forme de rente de situation - un peu comme celle dont les grandes surfaces ont bénéficié après la loi Royer.

Les accords qui ont conduit à la loi Debré prévoient 20 % de moyens publics au maximum pour le privé sous contrat. Or la demande est très forte, notamment en région parisienne, dans toute l'Île-de-France et dans les métropoles : partout où il y a des problèmes, les parents sont prêts à payer un peu plus pour scolariser leurs enfants dans l'enseignement libre - où les établissements ont plus de libertés, notamment dans le choix et la gestion des enseignants.

Dans ces conditions, les établissements privés sous contrat peuvent hausser le niveau, celui des enseignants comme celui des élèves. Au reste, quand on monte l'un, on monte aussi l'autre...

Résultat : l'enseignement privé, autrefois l'école de la deuxième chance, est aujourd'hui celle de la première chance, à la faveur de la rente de situation que l'État lui a accordée. Le jour où l'enseignement libre sous contrat verra ses effectifs augmenter, il sera obligé de s'intéresser enfin à des élèves qui posent des problèmes.

Le fait que les parents paient rejaillit aussi sur la discipline : celle-ci est beaucoup plus facile à tenir quand les parents sont impliqués dans l'éducation de leurs enfants. Il y a, certes, ceux qui paient pour s'en débarrasser, mais ce ne sont pas des parents...

La campagne de communication suggérée par M. Lefèvre est une excellente idée. Les gardiens de prison ont bien droit à une campagne de valorisation de leur métier. Et on mène des campagnes publiques dont on pourrait se passer ! Dire du bien des enseignants ne coûterait pas bien cher et porterait peut-être des fruits.

En effet, monsieur Karoutchi, tout ce que nous disons est connu depuis quarante ans. Seulement voilà : on a fait uniquement du quantitatif au lieu de s'intéresser aux problèmes qualitatifs - François Hollande a été exemplaire de cette erreur.

On construit des lycées avec des ambitions architecturales, mais qu'on ne peut pas entretenir parce que l'architecture est absurde. On conçoit des lycées avec une ouverture sur la pédagogie ou le travail collectif, en prévoyant un centre de documentation ou des bâtiments économes. Tout cela est fort bien, mais les plus mal traités sont les enseignants, alors que ce sont eux qui font tourner la boutique...

La formation pédagogique est essentielle. C'est une erreur d'envisager l'école comme l'université. À l'université, on a affaire à des adultes motivés pour apprendre : on peut donc faire un cours disciplinaire. Pour payer mes études, j'ai été professeur de français : parler du français à des gamins qui s'en moquent, c'est infernal... L'aptitude pédagogique est donc un prérequis. Pour enseigner des choses simples à des gens non motivés, il faut être très compétent.

Monsieur Delahaye, je suis d'accord avec votre comparaison avec l'hôpital. On a des structures, mais on ne réfléchit pas à leur finalité, et pas assez au rôle des personnels.

En ce qui concerne la Finlande, les professeurs y sont, en effet, un peu mieux payés que chez nous - 40 000 euros par an en moyenne. Le nombre d'élèves par classe est très inférieur à ce qu'il est en France, de l'ordre de la quinzaine. Surtout, la fraternité entre l'enseignant et les élèves est beaucoup plus forte. Les seconds respectent le premier, en sorte que celui-ci peut établir un lien avec chaque élève. En France, au contraire, le professeur est souvent en situation défensive : pour asseoir son autorité, il s'efforce de marquer sa différence, quitte parfois à dégrader l'élève. Dans les systèmes anglo-saxons, les enseignants motivent davantage les élèves et leur donnent confiance en eux.

J'ajoute, quitte à choquer, que la population finlandaise est relativement homogène et partage des valeurs communes. C'est déjà plus compliqué en Suède.

Monsieur de Legge, les études statistiques existent toutes. S'agissant du nombre d'heures par professeur, il est plus élevé en France - 900 heures par an - que dans la plupart des autres pays européens. Ces heures sont en revanche réparties sur moins de jours de classe : 160, contre 180 en moyenne européenne. Nos enseignants travaillent donc beaucoup devant leurs élèves et ont une moindre disponibilité pour le travail annexe, que, de surcroît, les bâtiments ne permettent pas.

Or ce travail est essentiel pour motiver les élèves. Motiver un élève, cela prend parfois un quart d'heure, mais cela sert toute l'année ; et l'on évite d'avoir un chahuteur qui décourage les autres. Il y a trop d'heures de classe et pas assez d'heures de contact, de présence dans l'établissement et de recadrage de chaque élève. À cet égard, les établissements libres sous contrat peuvent et savent faire mieux.

Le problème, en matière de rémunération, c'est qu'on ne peut pas la différencier par discipline. Dans certaines disciplines, si on veut des bons professeurs, il faut faire le nécessaire.

Il a été question de l'armée. On peut imaginer des retours vers l'enseignement : l'enseignement libre sous contrat le pratique, mais on ne sait pas le faire dans l'enseignement public, sauf dans les lycées professionnels.

Je suis d'accord avec M. Delcros sur la densité de peuplement. En France, ça coûte plus cher, parce qu'on est moins nombreux au kilomètre carré... Une fois qu'on le sait, on en tient compte.

Pour motiver des bons, il faut des agrégés. Comment les gérer, c'est un peu plus compliqué. Les établissements pourraient avoir la liberté de choisir entre un agrégé, qui coûte davantage, et un certifié. Je ne sais pas régler cette question au plan national.

M. Segouin, le taux d'encadrement est d'un enseignant pour 19 élèves dans le primaire, et d'un pour 23 dans le secondaire. Ce serait tout à fait honorable si nous savions établir des liens entre les professeurs, les élèves et les parents.

Comme un orateur l'a souligné, les relations avec les parents sont l'un des facteurs les plus fortement perturbateurs. Certains parents ne s'occupent pas de leurs enfants, ce qui est une erreur. Sans parler de ceux qui s'en occupent mal et agressent les enseignants, avec des motivations très dangereuses pour la société française. Il y en a aussi qui s'occupent bien de leurs enfants et jouent le jeu avec les enseignants.

Le job dating, pourquoi pas ? Le recours au contrat est une nécessité absolue, une question de survie, en Île-de-France, notamment dans les académies de Créteil et de Versailles. Le taux de recours au contrat a crû de 7,7 à 9,2 % au cours des cinq dernières années. C'est inévitable, même si cela peut surprendre, voire choquer. Pour l'instant, on ne sait pas faire autrement.

S'agissant des affectations, monsieur Meurant, il y a une sorte d'« amphi de garnison », mais aussi des aléas. C'est un facteur d'autorité majeur des syndicats de faire croire qu'ils gèrent les affectations, et parfois de les gérer effectivement.

Quant au numérique, monsieur Rapin, mon temps de parole étant dépassé, je dirai simplement que ça ne marche pas trop mal... En la matière, le confinement a été plus efficace que les programmes ministériels !

La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

Contrôle budgétaire - Filiales et participations
du groupe France Télévisions - Communication

M. Claude Raynal, président. - Nous allons maintenant entendre une communication de M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial des crédits du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public », sur les filiales et participations de France Télévisions.

Nous poursuivrons l'analyse de cette question par une mission de contrôle conjointe avec la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. A ce titre, je salue la présence parmi nous de M. Jean-Raymond Hugonet, que je remercie d'assister à nos travaux.

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. - Je serai relativement bref, puisque, comme notre président vient de l'annoncer, nous reviendrons sur le financement de l'audiovisuel, avec Jean-Raymond Hugonet, dans le cadre de la mission de contrôle conjointe menée avec la commission de la culture.

Mon rapport de contrôle porte non sur le financement global de l'audiovisuel, mais sur la tentative de France Télévisions de créer des filiales ou des sociétés commerciales pour déconcentrer un certain nombre d'activités et, en principe, dégager des ressources supplémentaires.

France Télévisions a ainsi constitué progressivement un certain nombre de sociétés, à l'image de france.tv studio, qui regroupe la production audiovisuelle, le sous-titrage et l'audiodescription, et france.tv distribution, qui gère notamment la distribution internationale des programmes, les parts producteurs et la vente des licences.

Ces créations sont-elles un moyen de dissimuler des transferts de personnel et répondre ainsi à l'objectif de 160 millions d'euros d'économies demandés par la tutelle à France Télévisions entre 2018 et 2022 ? Pas vraiment, même s'il convient de nuancer s'agissant de france.tv studio. J'y reviendrai.

Le rapport traite également des prises de participation du groupe France Télévisions. La plus importante d'entre elles concerne la plateforme SALTO. J'avais annoncé, dès le début, que SALTO serait un échec pathétique. France Télévisions nous a assuré que nous nous trompions, que l'accord avec TF1 et M6 serait redoutable... On a vu France Télévisions investir mais SALTO est bien un échec en nombre d'abonnés, en diffusion et, sincèrement, en intérêt.

Résultat des courses : en mars dernier, France Télévisons a indiqué que, en cas de fusion TF1-M6, elle se retirerait de SALTO. Je considère, au vu de l'échec de SALTO, que, même sans la fusion, il n'y pas d'intérêt pour le service public à continuer. Il faut arrêter cette expérience malheureuse, qui a coûté cher depuis trois ans.

Revenons aux filiales et abordons celles dédiées au financement du cinéma. France 2 Cinéma et France 3 Cinéma représentent chacune six emplois à temps plein ; ce n'est donc pas ça qui coûte le plus cher... On peut néanmoins s'interroger sur l'intérêt de disposer de deux entités. Les personnels concernés, certainement passionnés, nous expliquent que les choix opérés par chacune d'entre elles sont très différents : des films un peu plus grand public pour France 2 Cinéma, un peu plus culturels et territorialisés pour France 3 Cinéma. En gros, La Grande Caravane, c'est sur France 2, et Jacquou le Croquant sur France 3...

Votre rapporteur spécial a la faiblesse de penser qu'il n'y a pas vraiment deux filiales : ceux dont le projet n'a pas été retenu par France 2 Cinéma le proposent à France 3 Cinéma. Les films financés ne se retrouvent par ailleurs pas forcément sur l'antenne du financeur. Je relève que France Télévisions a placé au-dessus des deux entités un directeur cinéma et un comité de sélection qui chapeautent l'ensemble.

Les deux structures pourraient donc parfaitement être fusionnées. La situation actuelle paraît illogique, même si, je le répète, les économies liées au regroupement seraient modestes.

Les deux autres filiale étudiées dans le rapport, france.tv studio et france.tv distribution se développent, pas de manière considérable mais tout de même.

La première est passée de 677 heures en 2019 à 1 812 heures en 2020, à la faveur aussi de la pandémie. Le chiffre d'affaires global est de 113 millions d'euros, en forte progression, mais seulement 3 à 4 millions d'euros par an remontent à France Télévisions. france.tv studio représente-t-elle un apport financier supplémentaire ? Pour le moment, ce n'est pas très convaincant, même si cela contribue à gérer la participation de France Télévisions à la production audiovisuelle française, avec des chefs-d'oeuvre qui ne vous ont pas échappé.

Par rapport à la BBC, qui a l'avantage du large marché anglophone, il est clair qu'il n'y a pas de comparaison possible.

France.tv Studio a-t-elle été un moyen de réduire le personnel de France Télévisions ? Pas pour le moment, à l'exception de deux équivalents temps plein, mais des discussions sont en cours avec les syndicats sur des transferts. France Télévisions envisage de transférer 75 emplois , ce qui ferait une économie pour elle, mais pas forcément pour les deniers publics. Je relève que les personnels de france.tv studio sont, essentiellement, des intermittents du spectacle, dont les indemnités de chômage sont prises en charge par l'Unedic. La réduction de la masse salariale de France Télévisions permise par le transfert de personnels vers france.tv studio serait donc artificielle en matière de finances publiques.

En matière de distribution internationale, il faut reconnaître que nous avons du mal à vendre. Nous avons vendu Un si grand soleil à la Grèce et à la Turquie, soit... Mais c'est sans commune mesure avec les ventes de la BBC. Nos séries coûtent cher et sont peu exportables, même si nous avons un peu mieux vendu Dix pour cent et Derby Girl.

Pouvons-nous développer la distribution ? Oui, si nous laissons un peu plus de marge de manoeuvre aux acteurs. Le décret du 30 décembre 2021 a ménagé quelques souplesses, mais il faut probablement négocier de nouveaux accords avec les producteurs pour renforcer la capacité à exporter de la filiale. Je note en outre que france.tv distribution a connu quatre présidents en cinq ans... La capacité d'action étant faible, pour ne pas dire nulle, les présidents nommés préfèrent peut-être faire autre chose.

Je me résume : on peut, par cohérence, fusionner France 2 Cinéma et France 3 Cinéma, même si cela ne rapportera pas grand-chose ; il faut sortir de SALTO, que la fusion TF1-M6 ait lieu ou non, car c'est un échec commercial et financier, comme nous l'avions prévu - il eût été préférable que France Télévisions fasse une plateforme avec Arte ou l'Institut national de l'audiovisuel (INA) ; s'agissant de france.tv studio et de france.tv distribution, il faudra surveiller qu'il n'y ait pas de transfert d'un trop grand nombre de personnels vers l'Unedic ; enfin, il faut renégocier le cadre de la distribution des coproductions financées par France Télévisions.

Nous avons des faiblesses par rapport à la BBC, mais nous avons aussi des séries, des films et des documentaires qui peuvent se vendre. Arte réussit plutôt dans ce domaine.

France Télévisions a fait des efforts, en particulier pour réduire ses coûts, mais n'a pas de politique ambitieuse en matière de production ou de distribution. Je ne dis pas que nous pouvons égaler la BBC, mais nous pouvons faire des progrès.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur pour avis de la commission de la culture. - Je souscris sans réserve aux propos de M. Karoutchi.

M. Philippe Dominati. - Quel est le marché à l'export du catalogue de films en langue française ?

La présidente de France Télévisions a récemment critiqué la Fédération française de tennis au sujet des droits liés à Roland-Garros. Il est étonnant qu'elle mette en cause directement la gestion passée de la nouvelle ministre des sports... Plus largement, peut-être y a-t-il matière à trouver du chiffre d'affaires sur les droits sportifs.

M. Vincent Segouin. - Je constate qu'aucun jeune ne regarde plus la télévision. Comment France Télévisions envisage-t-elle son avenir dans ce contexte ? Songez que le match Nadal-Djokovic n'a pas été retransmis sur une chaîne française !

J'ai peur de connaître la réponse : incapables que nous sommes de changer quoi que ce soit, nous aurons recours à la dette pour maintenir le système en place, sans s'interroger sur les nouvelles orientations à prendre...

M. Antoine Lefèvre. - Le rapporteur spécial a parlé d'Un si grand soleil... Peut-il nous dire si, au vu de ses investigations, france.tv studio n'est pas plutôt un si grand gâchis ?

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. - Nous aborderons l'avenir de France Télévisions et du financement de l'audiovisuel public dans quelques instants, dans le cadre de notre réunion conjointe avec la commission de la culture.

france.tv studio est-elle un gâchis ? Attendons un an ou deux pour le dire. Il faut surveiller les mesures qui seront décidées en matière de personnel et leurs conséquences sur les finances publiques. Quand on l'interroge sur cette question, la présidente de France Télévisions se défausse assez vite, en disant : ne nous mettez pas en contradiction avec les syndicats pour le moment. Les syndicats ont bien compris qu'un transfert permettrait d'employer plus de gens, en captant des financements Unedic, mais ce n'est pas le bon système. Il faut trouver un équilibre.

Nos capacité d'exportation sont quasi nulles. Dix pour cent est la seule série que nous ayons à peu près réussi à exporter en zone francophone. Indépendamment du problème de la langue, il n'y a pas d'effort et pas assez de liberté pour france.tv distribution. Ne faudrait-il pas créer une vraie société de distribution internationale, qui ne fasse que cela, avec l'obsession de la vente ? france.tv distribution ne distribue pratiquement que la production interne, qui n'est pas facilement exportable.

S'agissant du sport, nous y reviendrons dans quelques instants, avec Jean-Raymond Hugonet.

Au total, la filialisation n'a pas produit beaucoup de résultats ; tout garder en interne n'aurait pas changé la donne. Je ne dis pas que c'est un échec, mais, tant qu'à filialiser, autant donner aux nouvelles entités plus de liberté et d'autonomie d'action !

La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

La réunion est close à 10 h 45.

- Présidence de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, et de M. Claude Raynal, président de la commission des finances -

La réunion est ouverte à 10 h 50.

Mission conjointe de contrôle sur le financement de l'audiovisuel public - Présentation du rapport d'information

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Nous avons le plaisir d'accueillir le président Laurent Lafon et nos collègues de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication pour une séance de restitution des travaux de nos deux rapporteurs sur le financement de l'audiovisuel public.

Comme vous le savez, notre rapporteur spécial des crédits du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public », M. Roger Karoutchi, et notre collègue rapporteur de la commission de la culture, M. Jean-Raymond Hugonet, ont conduit, à la demande de nos deux commissions, une mission conjointe de contrôle sur ce thème.

Ce type de travaux conjoints entre nos deux commissions n'est pas un exercice inédit, puisque, déjà, en 2015, notre ancien collègue Jean-Pierre Leleux et notre collègue André Gattolin s'étaient associés pour travailler ensemble et faire des propositions sur ce même sujet. Malheureusement, la question n'est toujours pas réglée et il nous revient de remettre l'ouvrage sur le métier.

La mission de nos rapporteurs est d'autant plus importante que le Gouvernement a annoncé vouloir inscrire dans le prochain projet de loi de finances rectificative (PLFR), que nous devrions examiner en juillet, la suppression de la redevance audiovisuelle. Cette suppression pose de très nombreuses questions auxquelles nos rapporteurs tenteront d'apporter des réponses.

Avant de leur donner la parole pour qu'ils nous fassent part de leurs analyses et recommandations, je laisse la parole au président Laurent Lafon.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Avant toute chose, je tiens à remercier le président Claude Raynal et le rapporteur général Jean-François Husson d'avoir accepté le principe de cette mission conjointe de contrôle consacrée au financement de l'audiovisuel.

Comme vient de le rappeler le président Raynal, il s'agit là d'une étape de plus dans la longue et fructueuse collaboration que nos deux commissions entretiennent depuis plusieurs années sur les sujets relevant de leurs domaines de compétences, et au sein desquels l'audiovisuel public tient une place de choix.

Ainsi, je rappellerai qu'en 2010 nos collègues Catherine Morin-Desailly et Claude Belot présentaient déjà, de concert, un rapport consacré aux comptes de France Télévisions.

Plus près de nous, ainsi que l'a souligné le président Raynal, André Gattolin et Jean-Pierre Leleux proposaient 27 mesures destinées à refonder un audiovisuel public dont ils jugeaient la gouvernance, l'organisation et le financement à bout de souffle. Ils recommandaient de remplacer la contribution à l'audiovisuel public (CAP) par une taxe universelle payée par chaque foyer, solution qui présentait l'avantage de moderniser l'assiette de la CAP en tenant compte des nouveaux modes d'accès aux services audiovisuels.

Après des années de réflexion, d'aucuns diraient de tergiversations, le Président de la République en a décidé autrement. Il a annoncé son intention de supprimer la redevance dès 2022 sans pour autant préciser la nature des ressources qui contribueraient, à l'avenir, à garantir un niveau de financement adéquat à l'audiovisuel public.

À l'issue du conseil des ministres officialisant cette suppression, Bruno Le Maire s'est contenté d'indiquer que « le financement de l'audiovisuel public serait assuré dans le respect de l'objectif à valeur constitutionnelle de pluralisme et d'indépendance des médias ».

Faute de précisions supplémentaires concernant les modalités de ce financement, il nous a semblé nécessaire de confier à nos rapporteurs respectifs, avant l'examen du prochain PLFR, le soin d'examiner les différentes possibilités qui s'ouvrent à nous en ce domaine et d'évaluer les marges de manoeuvre restant à notre disposition.

Je remercie par conséquent Roger Karoutchi et Jean-Raymond Hugonet d'avoir accepté cette mission conjointe et d'avoir travaillé aussi rapidement et efficacement sur ce sujet au cours des semaines écoulées.

Nous sommes impatients, chers collègues, de connaître votre diagnostic sur cette question stratégique, tant pour le financement de l'audiovisuel que pour l'état de nos finances publiques.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - Nous sommes exceptionnellement rassemblés aujourd'hui pour examiner les conclusions d'un rapport conjoint de contrôle sur le financement de l'audiovisuel public. Ce rapport arrive à point nommé après que le Président de la République a annoncé pendant la campagne électorale son intention de supprimer la contribution à l'audiovisuel public au nom de la défense du pouvoir d'achat.

Une réforme de la CAP était certes nécessaire, le Sénat l'a dit régulièrement depuis 2015, notamment par le biais du rapport de nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin. L'évolution des usages a, en effet, tendance à réduire la possession de téléviseurs qui sert de base au paiement de la CAP. La suppression complète de la taxe d'habitation en 2023 condamnait cette ressource et nécessitait d'en trouver une autre. Je rappelle que le Sénat avait fait part de sa préférence pour la création d'une taxe universelle sur le modèle allemand. Cette taxe aurait permis d'assurer la prévisibilité des ressources dans la durée et d'éviter les ajustements intempestifs. Par ailleurs, il me semble que le fait de devoir payer pour bénéficier d'un service ne constitue pas un mauvais principe tant on peut considérer que « ce qui n'a pas de prix n'a pas de valeur ». En supprimant la CAP, c'est le lien entre les Français et l'audiovisuel public qui risque de s'affaiblir.

Nous prenons acte de la décision du Président de la République, qui a fait de la suppression de la CAP un engagement devant les Français. Cette suppression aura lieu dans la prochaine loi de finances rectificative (LFR) et l'enjeu est moins de savoir si nous y sommes ou non favorables que de déterminer les garanties qui pourront entourer la nouvelle ressource publique appelée à financer l'audiovisuel public.

Mais au-delà de la nature et du montant de cette ressource, nous pensons également que la question des missions et de l'organisation du service public de l'audiovisuel doit être à nouveau posée : quels moyens pour quelles missions ?

Face à la révolution numérique en cours dans le secteur des médias, à la « plateformisation » et aux rapprochements engagés entre les médias privés, c'est l'avenir de l'audiovisuel public qui est en jeu. Ses programmes doivent rester attractifs et accessibles.

Pour différentes raisons, la réforme de l'audiovisuel public n'a pu aboutir lors du précédent quinquennat, alors même que le projet de loi Riester promettait des avancées importantes. Le temps perdu ne se rattrape pas, le retard de l'audiovisuel public ne s'est pas réduit au cours des dernières années, bien au contraire. Si Radio France et Arte ont fait preuve d'initiatives pertinentes dans le numérique, on ne saurait en dire autant de France Télévisions avec Salto. Par ailleurs, les mutualisations menées « par le bas » ont très vite trouvé leurs limites. Comme l'ont indiqué plusieurs de nos interlocuteurs, il est difficile pour l'État d'arbitrer lorsque les entreprises n'ont pas envie de travailler ensemble.

C'est la raison pour laquelle nous considérons que la question de la réforme de la gouvernance de l'audiovisuel public constitue un aspect incontournable de son avenir et des moyens qui lui seront consacrés. Alors que le regroupement de l'audiovisuel public semblait utopique en 2015 lorsque le Sénat a proposé la création d'un holding public, il est aujourd'hui considéré comme inéluctable par la plupart des acteurs. Nous proposerons d'avancer dans cette direction de manière plus déterminée, car il n'est plus temps de tergiverser.

Je laisse la parole à Roger Karoutchi pour présenter les aspects budgétaires et financiers de nos conclusions.

M. Roger Karoutchi, rapporteur. - Je dirai les choses sans détour : nous sommes mis brutalement devant le fait accompli et sans négociation préalable. Lors de la campagne électorale, le Président de la République a annoncé la suppression de la redevance audiovisuelle dès cette année. On imaginait qu'elle aurait lieu à l'horizon d'un an, après un débat parlementaire sur une éventuelle réforme de l'audiovisuel. Or la suppression est prévue dès l'adoption de la loi de finances rectificative au mois de juillet, avec le remboursement des versements effectués depuis le mois de janvier par les contribuables mensualisés.

J'aurais de loin préféré un projet de réforme audiovisuelle, examiné dans le cadre d'un débat parlementaire sur les missions et le périmètre du service public. C'était le minimum. Mais la messe est dite...

Nous avons auditionné presque tous les présidents de chaînes de radio et de télévision publiques. Ils nous ont demandé non pas de s'arc-bouter sur la taxe universelle, mais de préserver la prévisibilité et le niveau des crédits publics, ainsi que les moyens de travailler ensemble.

Sur le plan financier, on nous annonce de manière inédite que l'État se dispensera des 3,1 milliards d'euros - 3,7 milliards avec les dégrèvements - que rapportait la redevance. Mais par quoi tout cela sera-t-il compensé ? Pour l'heure, ce sera seulement par le déficit et la dette. Le Président de la République a très clairement évoqué une mesure de pouvoir d'achat. C'est humiliant pour l'audiovisuel public, qui avait besoin de soutiens et de financements.

À la place de la suppression pure et simple de la redevance, plusieurs options étaient possibles ; mais elles ont toutes été refusées par le Gouvernement. Nous les avons également étudiées. Ainsi, la mise en place d'une taxe sur les 12,5 milliards d'euros de ventes de téléviseurs, portables ou autres supports électroniques, imposerait l'application d'un taux de 30 %. Cette mesure ne serait évidemment pas favorable au pouvoir d'achat.

Certains rêveraient que l'audiovisuel public bénéficie d'un prélèvement sur recettes et soit ainsi placé au niveau de l'Union européenne ou des collectivités locales. La dotation accordée serait ainsi garantie sans aucune remise en cause ultérieure par des gels ou réductions de crédits. Cette solution nous paraît impossible, sous peine d'entraîner dans son sillage l'hôpital, l'éducation ou l'armée.

Comment peut-on trouver des garanties pour le financement ? La mission budgétaire détaillera chacun des budgets des différentes chaînes concernées. L'intégration des crédits dédiés à l'audiovisuel public au sein d'une mission budgétaire permettra, en outre, d'inclure ce financement dans la trajectoire pluriannuelle des finances publiques et de répondre ainsi à un impératif de prévisibilité. S'agissant de la garantie, je le rappelle, la contribution actuelle n'en était pas une, et le Parlement avait en théorie la main sur son niveau. D'ailleurs, la diminution d'un euro de la contribution a donné lieu à un vrai débat dans l'hémicycle. Néanmoins, aucune modification substantielle n'a été enregistrée depuis un certain temps, nonobstant, sur la période 2018-2022, les économies de 190 millions d'euros, dont l'essentiel a été réclamé à France Télévisions. Cet objectif a été respecté par les chaînes publiques.

Pour renforcer la garantie de financement, nous proposons également de créer une autorité habilitée, indépendante de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Cette autorité supérieure de l'audiovisuel public - ASAP -, présidée par un magistrat de la Cour des comptes, compterait quatre personnalités qualifiées nommées par les commissions des finances et de la culture de l'Assemblée nationale et du Sénat. L'autorité supérieure devra donner au Parlement un avis éclairé pour les votes futurs, en présentant les défis en matière de financement, les évolutions nécessaires sur le montant du financement permettant à l'audiovisuel public d'accomplir ses missions de service public. Les moyens alloués doivent pour le moment être maintenus au niveau existant. Ils seront ajustés en cas de modification du périmètre.

Un débat parallèle s'est tenu sur la ressource complémentaire que représente la publicité. Celle-ci oblige à des efforts d'audimat, parfois étrangers au service public. Pour y remédier, d'aucuns suggèrent d'augmenter la contribution étatique. Nous proposons raisonnablement de maintenir la publicité dans la journée, pour une recette à hauteur d'environ 350 millions d'euros, d'engager les programmes dès 20 h 30, et non pas 21 h 10, et de supprimer tous les parrainages sur France Télévisions et Radio France, qui atteignent environ 70 millions d'euros. Quoi qu'il en soit, un dialogue devra être engagé avec les chaînes publiques. Leurs patrons sont prêts à une redéfinition du service public.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - J'en viens maintenant à la question des structures et de la gouvernance.

Les différentes sociétés de l'audiovisuel public ont des identités fortes et leurs publics ne se confondent pas nécessairement. L'objectif n'est donc pas de fusionner les offres et d'imposer une seule ligne éditoriale. L'intérêt d'un regroupement est de rassembler les moyens pour être plus efficace, plus innovant et plus puissant, en particulier sur le numérique. Les coopérations entre les entreprises de l'audiovisuel public n'avancent pas, car elles nécessitent de trancher des différends entre les diverses directions et de faire arbitrer les différentes tutelles. Il aura fallu quatre ans pour mettre en place les matinales communes à France 3 et à France Bleu ; plus de cinq ans après sa création, France Info ne dispose toujours pas d'une rédaction commune, tandis qu'en matière d'éducation France Télévisions et Arte ont lancé des offres concurrentes faute de pouvoir se mettre d'accord.

Le temps est venu de mettre un terme à une exception française. Seules la France et la Suède disposent aujourd'hui d'un audiovisuel aussi dispersé entre radio d'un côté et télévision de l'autre.

Depuis 2015, les coopérations menées ont eu pour mérite de rapprocher les équipes et d'inscrire dans les esprits l'horizon du rapprochement. Il n'est donc plus indispensable de passer par l'étape transitoire que constituait la holding que nous proposions en 2015. C'est une fusion de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) que nous proposons aujourd'hui : un seul dirigeant, un seul conseil d'administration, une seule stratégie déclinée sur différents supports pour atteindre tous les publics.

La création d'une entreprise unique doit permettre de concentrer les moyens et de supprimer les nombreux doublons. Elle devra certes s'accompagner d'une convergence des statuts des personnels, mais celle-ci pourra se faire dans la durée, notamment en proposant un nouveau statut commun pour les nouveaux embauchés. Nous proposons que cette entreprise unique soit créée au 1er janvier 2025, ce qui laisserait deux années pour voter un texte de loi et préparer le rapprochement des structures.

La création de cette société unique de l'audiovisuel public national, qui pourrait reprendre le nom de « France Médias », n'aurait pas de conséquences sur le statut d'Arte France et de TV5 Monde, qui conserveraient leur spécificité et leur autonomie.

Trois chantiers prioritaires pourraient être lancés par cette nouvelle société concernant le numérique, l'information et l'offre locale.

Concernant tout d'abord le numérique, nous pensons essentiel de mieux positionner l'offre de programmes publics sur les interfaces des distributeurs et sur les télécommandes des téléviseurs avec une touche spécifique qui donnerait accès à l'univers des programmes publics. L'objectif ne serait pas nécessairement de créer une offre unique, mais il s'agirait de mieux coordonner l'accès aux offres publiques à travers un portail commun.

La création de la société unique permettrait cependant à France Télévisions de créer une nouvelle offre numérique à la suite de la sortie de Salto en agrégeant des programmes du groupe de télévision, de l'INA et des captations de Radio France.

Concernant l'information, nous préconisons d'inverser la logique qui existe aujourd'hui. Au lieu de conserver des structures séparées et exceptionnellement de réunir des moyens pour poursuivre des objectifs communs, il s'agirait de créer une véritable newsroom, c'est-à-dire une structure commune réunissant l'ensemble des journalistes de France Télévisions, de Radio France et de France Médias Monde, qui pourrait être organisée en trois pôles distincts couvrant respectivement l'international, le national et le local. Ces pôles seraient chargés d'alimenter les différents supports et antennes qui pourraient conserver leur identité. L'existence d'une telle newsroom francophone permettrait de supprimer les doublons, de renforcer l'expertise et de favoriser la réactivité. Les rédactions en langues étrangères seraient maintenues et développées au sein du pôle international, tandis que le pôle local aurait pour mission de développer le maillage régional et ultramarin sur l'ensemble des supports.

Enfin, concernant précisément l'offre locale, l'enjeu aujourd'hui est de créer un véritable média de service public territorialisé qui puisse décliner son offre éditoriale sur tous les supports. C'est la raison pour laquelle nous proposons de réunir France 3 et France Bleu dans une même filiale de la société unique qui pourrait être dénommée « France Médias Régions ». Cette structure aurait pour mission de réorganiser à la fois l'offre et la présence territoriale de France 3 et de France Bleu pour proposer des programmes conçus au plus près des territoires en partenariat avec les collectivités territoriales. Cette fusion de France 3 et de France Bleu devrait également permettre de repenser les méthodes de travail en adoptant des modes de production plus souples et réactifs.

Voilà, brièvement, les contours du projet d'avenir que nous proposons pour un audiovisuel public regroupé, conforté et repensé. La suppression de la CAP crée une incertitude, voire des craintes de la part des responsables de l'audiovisuel public. Nous proposons donc de changer de cap pour mettre fin à l'éparpillement des moyens et des initiatives.

Un projet ambitieux tourné vers l'avenir et le numérique avec une offre éditoriale recentrée sur les valeurs du service public constituera, à notre sens, la meilleure façon d'obtenir de la part de l'autorité indépendante dont nous proposons la création - l'ASAP - un niveau de financement suffisant.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Merci, messieurs les rapporteurs, pour cette synthèse de votre mission conjointe. Nous passons à la séquence des questions-réponses.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. - À mon tour de remercier les deux rapporteurs spéciaux. Nos débats d'aujourd'hui anticipent ceux que nous aurons lors du prochain PLFR. Indépendamment du bien-fondé de la contribution à l'audiovisuel public, la suppression brutale de cette contribution représentera 3 milliards d'euros en moins pour les finances de l'État. Ce n'est pas négligeable, d'autant que ce sujet n'a fait l'objet d'aucun travail préparatoire. Comme l'a signalé Roger Karoutchi, c'est la politique du fait accompli.

Faute de recettes nouvelles, pourrait-on réaliser des économies en supprimant des doublons et, si oui, dans quelles proportions ?

M. David Assouline. - Comme l'a dit Roger Karoutchi, la suppression de cette redevance est une décision historique, et non un simple ajustement. Celle-ci conforte notre exception française, puisque ce mode de financement est dominant dans tous les grands pays démocratiques européens. Non seulement nous ne l'avons pas modernisé comme l'ont fait nos voisins, mais il va être supprimé ! Conséquence : le lien qui existe entre les Français et l'audiovisuel public - « l'actionnariat populaire », selon les termes de Jack Ralite - sera rompu, entraînant inéluctablement une perte de visibilité. Je connais cette pente : c'est le premier pas vers la privatisation de l'audiovisuel public ou de certaines de ses composantes.

Une telle suppression exige un vrai débat parlementaire, une réelle concertation. Elle est sortie du chapeau durant la campagne présidentielle, et selon M. Karoutchi, on ne pourrait pas faire autrement. Auriez-vous déjà abdiqué ? Nous avons la main sur les questions budgétaires, et même si le combat paraît perdu d'avance, le Parlement exercera au moins son devoir de débat et de remise en cause de cette décision qui est tout sauf anodine.

J'appelle l'ensemble de mes collègues à continuer à défendre la redevance, en vertu de notre consensus sénatorial et du rapport de M. Leleux, qui préconisait de créer une contribution universelle à l'instar de l'Allemagne.

Enfin, une inflation de 5 % représente 125 millions d'euros, qui devront être ajoutés pour que l'audiovisuel dispose des mêmes moyens qu'avant. Sinon, bien que masquée, la baisse sera nette. Compte tenu des difficultés financières déjà existantes, les prévisions concernant le financement du secteur ne sont plus garanties. De « bonnes âmes » invoqueront la privatisation, qui ne coûterait rien aux contribuables. En réalité, les 3,7 milliards d'euros seront payés d'une autre façon. Mais cela fragilisera un édifice ancien garant de notre audiovisuel public de qualité !

M. Philippe Dominati. - Je remercie les rapporteurs de ce coup d'éclairage sur l'audiovisuel public. Sachant que notre pays est le deuxième le plus fiscalisé d'Europe, la suppression d'une redevance ou d'une taxe ne me chagrine pas. J'avais d'ailleurs proposé à plusieurs reprises des amendements en ce sens.

Le prérequis est de savoir quel est le domaine de l'audiovisuel public ? Actuellement, il y a sur la mosaïque plus de chaînes de télévision que de boulangeries. Faut-il pour autant des redevances pour financer les commerces traditionnels ? Je ne le pense pas. Mais il faut redimensionner le périmètre, qui est beaucoup trop large. Le fait de supprimer la redevance au lieu de provoquer la réforme n'est pas nécessairement négatif.

Nous n'avons pas évoqué la concentration. En défenseur de la concurrence, je ne suis pas favorable à une grande société. Or ce débat semble masquer la fusion problématique de deux chaînes privées. Effectuée dans l'indifférence générale, elle est destinée à obtenir 75 % des recettes publicitaires.

M. Pierre Ouzoulias. - Merci aux deux rapporteurs pour leur important travail, réalisé à chaud. Depuis longtemps, la culture finance essentiellement ses nouvelles missions par de la fiscalité affectée. Avec la suppression de la redevance, le Gouvernement fait machine arrière afin de remettre dans le budget général le financement d'un service public. Il aurait fallu qu'il expliquât sa doctrine budgétaire en la matière.

Comment financer le service public de la culture ? Jusqu'à présent, on considérait que la solution provenait des utilisateurs. Un autre moyen de financement pourrait émaner du budget général de la Nation. Avant tout, il faut s'interroger sur la nature du service public de l'audiovisuel. À quoi sert-il ? Je regrette que la question ait été abordée ainsi ; l'audiovisuel méritait mieux...

M. Marc Laménie. - Merci aux présidents, aux rapporteurs, et à tous ceux de nos collègues qui participent à ce débat complexe. Quel est le rôle du Parlement ? Nous avons le sentiment d'être mis devant le fait accompli ; n'oublions pas l'histoire de l'audiovisuel public. Comment compenser les 3,7 milliards d'euros de moindres recettes fiscales ? Que faire pour remédier à ce nombre pléthorique de chaînes ? Quid du rapport de nos collègues de 2015 ? Comment faire pour qu'il ne reste pas lettre morte ?

Mme Sylvie Robert. - Merci à nos rapporteurs pour cette mission de contrôle. Je vois dans ce rapport une question de forme et de fond. Le fait d'acter la suppression de la CAP entraînera des conséquences très importantes. Plusieurs hypothèses auraient pu être envisagées, et le rapport de M. Leleux de 2015 appelait une réflexion approfondie.

Nous serons le premier pays européen à supprimer le dispositif, bien que sa fragilité ait été encadrée. L'Allemagne a au contraire augmenté la taxe - fixée à 220 euros - et l'a modernisée. La suppression de la CAP pose aussi la question de l'avenir d'Arte France ; c'est un travail commun très performant, notamment sur sa plateforme numérique. Cette décision historique interroge sur la capacité de la France à maintenir le financement de l'audiovisuel public et de Arte. Elle est extrêmement dangereuse en termes de concentration et risque d'appauvrir toute la filière, notamment le cinéma.

M. Jérôme Bascher. - Merci aux rapporteurs. Je n'ai pas du tout le même ressenti sur le rapport. Il s'agit selon moi d'un travail prospectif en cas de suppression de la CAP. Il n'est nullement question « d'acter », et nous avons tous à coeur que le Parlement vote les recettes et les dépenses.

On peut s'interroger tous les ans sur le montant de la redevance ou sur la dépense publique au profit de l'audiovisuel public, mais cela ne change rien au résultat dans la loi de finances. Certes, nous n'avons pas eu le courage de moderniser les choses depuis vingt ans, mais Bercy n'est pas le seul responsable. L'influence des grands promoteurs de l'internet a aussi joué un rôle.

Les gains de productivité résultant de la fusion ont-ils été chiffrés ? L'objectif est-il juste de prélever des recettes sur le dos du privé ?

M. Michel Laugier. - Je remercie les présidents et les rapporteurs. Cette suppression est inattendue, mais nous commençons à être habitués à cette pratique depuis la disparition de la taxe d'habitation, dont les 24 milliards d'euros n'ont jamais été compensés.

Le Sénat a toujours été proactif dans ce domaine - je citerai à mon tour le rapport de Jean-Pierre Leleux. Devant le fait accompli, le Sénat vient encore en première ligne pour formuler des propositions intéressantes sur la réforme de l'audiovisuel public. À l'ère du numérique, la réforme est indispensable. Comment financer cette nouvelle organisation du secteur ? Et pour quel montant ?

M. Éric Bocquet. - Je n'ai pas bien compris l'origine de la ressource qui financerait cette nouvelle mission budgétaire. Cette annonce de suppression de la redevance au détour d'une campagne électorale témoigne d'un véritable mépris des missions de service public. À ce propos, je partage l'appel de David Assouline à se mobiliser.

Dans les années 1980, la privatisation de TF1 avait été engagée au nom du « mieux-disant culturel ». Peut-on s'en remettre à la loi du marché pour réguler la situation ? L'enjeu est politique. Il est urgent de résister, de porter une autre ambition pour le service public. Et le lien indéfectible entre la Nation et son service public octroie un droit de regard. Souvenons-nous des questions posées dans le rapport de la commission d'enquête relative à la concentration dans les médias au sujet de la crédibilité de l'information et de la déontologie.

M. David Assouline. - Une question a surgi dans l'actualité concernant le sport, qui est de plus en plus rare à la télévision publique du fait des coûts élevés des droits de retransmission et de la disparition de la publicité sur le service public de l'audiovisuel après 20 heures. Ce phénomène touche particulièrement le football, le Tour de France et Roland Garros, où un match important a été diffusé le soir sur Amazon. Avez-vous envisagé la possibilité d'autoriser la publicité tardive pour des retransmissions sportives importantes ?

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - À titre personnel, je pense que le présent rapport reste prudent, à une époque où un certain nombre de budgets sont soumis à des baisses régulières. En définitive, comme on l'a vu à d'autres occasions, les diminutions d'impôts se répercutent sur la dette. Le gouverneur de la Banque de France a lui-même déclaré qu'il fallait arrêter de diminuer les impôts. Quant à la mission des inspections, il faudrait disposer de ses analyses pour adopter une position. A cet égard, il me semble que notre mission se prononce un peu tôt dans le débat politique qui doit s'ouvrir sur ce sujet.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Je tiens à signaler la qualité des travaux réalisés et le bien-fondé du calendrier des propositions. Nous sommes le 10 juin, le processus de suppression de la CAP sera achevé à la fin du mois de juillet. Il fait partie d'un ensemble de mesures populaires en ce qu'elles portent sur le pouvoir d'achat. Le risque est de remplacer le débat par une approbation pure et simple et d'affaiblir le levier public. C'est pourquoi j'approuve les propositions de nos deux rapporteurs, qui abordent aussi la question sous l'angle structurel. La proposition de fusion vise en effet à réorienter le débat vers une réflexion plus stratégique. C'est peut-être autour de ces notions que pourrait se dégager le consensus sénatorial.

M. Roger Karoutchi, rapporteur. - Les déclarations du Président de la République lui appartiennent, et je ne suis pas celui qui a annoncé que la suppression de la redevance audiovisuelle passerait en conseil des ministres ce mois de juin, puis devant le Parlement au mois de juillet. J'entends que les législatives puissent changer la donne, mais tant que ce gouvernement est là et fait des propositions, nous nous devons de réagir et d'agir. Le débat sur la taxe universelle, évoqué par le président Lafon, est bien sûr légitime et nous pouvons nous faire plaisir en faisant valoir notre position, mais ce n'est pas ce que propose le Gouvernement. Or, jusqu'à preuve du contraire, il dispose d'une majorité à l'Assemblée nationale...

Tous les présidents de chaînes nous ont mis en garde : « Si vous vous arc-boutez sur la défense de la redevance alors qu'elle sera de toute façon supprimée, vous ne nous protégerez pas par ailleurs. » Nous devons donc avancer et profiter du débat qui aura lieu au mois de juillet pour demander des garanties et des ajustements tenant compte de l'inflation. Tant qu'une réforme d'ampleur de l'audiovisuel redéfinissant le périmètre des missions de service public ne sera pas sur la table, les moyens actuels dont dispose l'audiovisuel public doivent être assurés.

Je tiens par ailleurs à rassurer mes collègues en ce qui concerne Arte et TV5 Monde, qui sont protégées par des traités internationaux. Elles disposent de plusieurs actionnaires européens et ne sont pas tributaires d'une simple réforme budgétaire à l'échelle de la France. Nous souhaitons que ces chaînes bénéficient d'un effort budgétaire, notamment en direction de la plateforme numérique d'Arte, qui constitue un réel succès. TV5 et l'ensemble des chaînes de France Médias Monde ont également besoin de moyens supplémentaires, car la présence de la France dans la francophonie et dans le monde est une nécessité de service public. Je suis un ferme défenseur du service public. Nous pouvons discuter des missions et du périmètre de l'audiovisuel public, mais il n'est pas question de le remettre en cause ; nous devons au contraire le protéger. Si nous souhaitons la création d'une autorité, qui serait en réalité à la main du Parlement, lequel nommera quatre des cinq membres qui la composent, c'est bien pour qu'il soit amené à jouer un rôle essentiel dans la définition des moyens actuels et futurs accordés à l'audiovisuel public.

Si on se contente d'afficher notre désaccord sur la suppression de la CAP, la position du Gouvernement ne changera pas et nous n'obtiendrons aucune garantie lorsque le texte sera examiné. La mission budgétaire doit être garantie, en liaison avec l'ensemble des responsables de chaînes publiques.

S'agissant de la fusion des différentes chaînes, qui pourrait aboutir à terme à des économies comprises entre 5 % et 10 %, même les présidents de chaînes qui y sont très favorables estiment que dans l'immédiat, il y aura un coût.

Notre position est simple : nous n'avalisons pas la suppression de la redevance par plaisir, mais nous souhaitons que le Parlement ne soit pas mis devant le fait accompli en juillet. Pour ne pas perdre la main et pour éviter que les gels et réductions de crédits soient décidés sans contrôle, nous devons définir des seuils et mettre en place une autorité indépendante qui protégera l'audiovisuel public.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - Je souscris aux propos de mon collègue.

En réponse à Sylvie Robert, concernant la situation d'Arte France, je tiens à rappeler que son rythme budgétaire est par nature différent de celui des autres chaînes de l'audiovisuel public, car il s'agit d'une chaîne franco-allemande. À ce titre, Arte France est davantage tributaire d'une vraie relation d'État à État entre la France et l'Allemagne que de la redevance audiovisuelle. Bruno Patino, son président, estime avoir besoin de 30 millions d'euros pour le développement de la plateforme numérique, dont le succès est avéré. Les Allemands sont prêts à abonder, la France est à la traîne.

Notre collègue David Assouline a mis l'accent sur le sport. Le sport est rare, et donc cher... C'est une responsabilité de l'État, qui accorde une délégation de service public aux fédérations sportives, d'imposer que des matches soient diffusés sur des chaînes gratuites. À partir du moment où des lots sont affectés à l'issue d'appels d'offres avec l'assentiment de l'État, c'est le plus offrant qui emporte la mise. Mais il est scandaleux qu'Amazon ait récupéré gratuitement des données par milliers à l'occasion de la diffusion d'un match de tennis.

Enfin, pour répondre au président Raynal, qui jugeait notre rapport plutôt prudent, disons qu'il s'agit d'une sagesse sénatoriale. Quant à l'attente des rapports d'inspection, sincèrement, de qui se moque-t-on ? Depuis 2017, nous savons que la taxe d'habitation sera supprimée et que la contribution à l'audiovisuel public, qui y est adossée, le sera par conséquent également. Nous disposons d'excellentes administrations, à Bercy ou ailleurs, pour réfléchir à ces sujets. Le fait de créer deux missions d'inspection n'a convaincu personne ; la décision sera validée.

Marc Laménie l'a dit tout à l'heure, nous devons à nos prédécesseurs, notamment André Gattolin et Jean-Pierre Leleux, un historique et une compétence particulière sur l'audiovisuel. Nous avons donc un rôle moteur à jouer au Sénat, en nous montrant à la fois prudents et avant-coureurs.

Les recommandations des rapporteurs sont adoptées.

La commission des finances et la commission de la culture autorisent la publication du rapport d'information.

La réunion est close à 12 h 05.