Mercredi 13 juillet 2022

- Présidence de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, et de M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale -

La réunion est ouverte à 10 h 5.

Incidents survenus au Stade de France le 28 mai 2022 - Examen du rapport d'information

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Mes chers collègues, nos commissions sont réunies pour examiner les conclusions des auditions que nous avons menées sur les événements survenus au Stade de France le 28 mai 2022. Avant d'entamer cette présentation, je passe la parole, à sa demande, au président Patrick Kanner.

M. Patrick Kanner. - Les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain se sont fortement mobilisés dans le travail qui a conduit à l'élaboration des préconisations soumises ce jour à notre sagacité. Nous avons eu ainsi de nombreuses interventions constructives, notamment en suggérant d'entendre les associations de supporters anglais et espagnols.

Nous nous sommes émus par courrier de la communication qui a été déployée autour de nos travaux. Nous nous interrogions notamment sur la place laissée aux uns et aux autres dans notre manière d'informer le grand public de nos conclusions. Une conférence de presse s'est tenue avant la conclusion de nos travaux. Quelques fuites ont été constatées, dont le président François-Noël Buffet m'a dit hier, formellement, qu'elles n'avaient pas été organisées.

Je remercie les présidents Laurent Lafon et François-Noël Buffet de nous avoir répondu par leur lettre du 30 juin. Le travail en commun doit à notre sens l'emporter sur les craintes que nous pourrions avoir. Je vous invite, dans cet esprit, à ne pas considérer nos interpellations comme des agressions, mais au contraire comme un élément de coconstruction.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Le 28 mai 2022, les images relayées par les chaînes de télévision et les réseaux sociaux faisaient apparaître des scènes de chaos autour du Stade de France qui accueillait alors la finale de la Ligue des Champions de l'Union européenne des associations de football (UEFA).

Les multiples difficultés rencontrées ce soir-là n'ont pas empêché la tenue du match ni la remise du trophée. Toutefois, elles ont soulevé de graves interrogations sur la capacité de la France à organiser de grands événements sportifs, notamment dans la perspective de la Coupe du monde de rugby de 2023 et des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.

La gravité des faits justifiait pleinement que le Sénat se saisisse de la situation et organise des auditions dans les meilleurs délais. Je remercie le président Buffet d'avoir accepté que nous menions ce travail en commun afin que les compétences de nos deux commissions s'ajoutent, favorisant ainsi une analyse globale des difficultés rencontrées.

Les zones d'ombre qui sont apparues à l'occasion de l'audition des ministres de l'intérieur et des sports ont justifié l'organisation d'auditions complémentaires qui ont été précieuses. Nous avons aujourd'hui une vision assez claire de ce qu'il s'est passé.

Cet échec a été avant tout le résultat d'un enchaînement d'événements et de dysfonctionnements qui ont donné lieu à un affaiblissement des dispositifs mis en place ainsi qu'à des pertes de contrôle de la situation avant le match, puis à l'issue de celui-ci. Les modalités des prises de décision comme l'organisation hiérarchique administrative n'apparaissent pas clairement à ce stade.

Les travaux menés par les commissions de la culture et des lois ont permis d'établir que les dispositifs mis en place comportaient des défaillances importantes concernant le renseignement. Ainsi, si les hooligans attendus étaient absents, un grand nombre de délinquants étaient présents. De plus, les voies d'acheminement des supporters ont été mal préparées, comme en témoigne notamment la suppression d'un parcours de délestage aux abords du stade. Une communication insuffisante entre les acteurs a également été constatée.

Contrairement à ce qu'affirme le préfet Michel Cadot, délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques (Dijop) et délégué interministériel aux grands événements sportifs (Diges), dans son rapport, concernant en particulier le dispositif de sécurisation, ce n'est pas seulement « dans l'exécution que les problèmes sont survenus ». En amont, les scénarios de crise ont été insuffisamment travaillés et n'ont pas fait preuve de la souplesse nécessaire face à la multiplication des événements non anticipés. Par ailleurs, il est injuste d'avoir voulu faire porter aux supporters de l'équipe de Liverpool la responsabilité des troubles intervenus, comme l'a fait le ministre de l'intérieur pour détourner l'attention de l'opinion publique de l'incapacité de l'État à gérer adéquatement la foule présente et à juguler l'action de plusieurs centaines de délinquants violents et manifestement coordonnés.

Les événements du Stade de France sont un coup de semonce qui ne devrait pas remettre en cause la capacité de la France à organiser de grands événements sportifs, à condition toutefois que les acteurs concernés, dont le Gouvernement, en tirent les nécessaires leçons. L'importance des événements sportifs internationaux attendus en France en 2023 et 2024 peut permettre de transformer cet échec collectif en opportunité pour réussir les échéances à venir. C'est bien sûr l'état d'esprit dans lequel nous nous trouvons.

À titre liminaire, il importe de rappeler que le déroulement de la compétition au sein même du Stade de France n'a connu aucune difficulté particulière. Malgré les délais réduits accordés pour organiser l'événement et un agenda chargé de manifestations, l'enceinte a été préparée par le consortium du Stade de France pour répondre aux attentes de l'UEFA. La pelouse a été changée en 48 heures pour répondre aux standards internationaux.

Le décalage du coup d'envoi a été décidé pour répondre au problème d'acheminement du public depuis l'extérieur du stade. Il n'y a pas eu d'incident notable de sécurité à l'intérieur de l'enceinte - les incidents ayant eu lieu à l'extérieur de celle-ci. Si un certain nombre de personnes ont pu s'introduire dans le stade sans billet, leur présence n'a pas eu de conséquence sur le déroulement du match et, lorsque cela a été possible, ces personnes ont été évacuées au cours de la rencontre.

Les travaux menés ont permis d'établir que la gestion de la billetterie par l'UEFA a été inadaptée. Certes, l'émission de billets sous format papier ne constituait pas en elle-même une situation exceptionnelle et cette possibilité était conforme à la réglementation. Ceci étant dit, il était connu que le recours à ce type de billet aurait pour conséquence un risque important de fraude et de circulation de faux billets. Or l'UEFA ne semble pas avoir mis en place de dispositif particulier pour identifier l'ampleur de ce problème en amont alors que le nombre de faux billets a été dix fois supérieur aux moyennes observées habituellement. Si la fausse billetterie a manifestement contribué aux dysfonctionnements, elle n'en a été en aucun cas la cause unique, ni même la cause principale.

Par ailleurs, en exigeant l'instauration d'un contrôle de la validité des billets au niveau des points de préfiltrage de sécurité dans le cadre du dispositif antiterroriste, l'UEFA a involontairement participé au blocage des points de contrôle, compte tenu notamment du nombre plus important que d'habitude de personnes dépourvues de billets.

Il faut noter également l'insuffisance du dispositif de traitement des litiges concernant la billetterie, qui a conduit les personnes éconduites à stationner devant les points de filtrage, ainsi que la formation défaillante des stadiers qui ont semblé rapidement dépassés par la situation. Enfin, les modalités de vérification des billets ont également fait débat, l'utilisation de stylos pour marquer les billets et le dispositif de vérification des billets électroniques n'ayant pas été considérés comme suffisamment pratiques.

Dans ces conditions, notre première recommandation est de rendre obligatoire le recours à des billets infalsifiables, c'est-à-dire électroniques, associé à des dispositifs de contrôle fiables pour les compétitions de football aux enjeux les plus importants. Nous préconisons également de prévoir systématiquement un service de règlement des litiges de billetterie ainsi qu'un dispositif d'aide pour les personnes ne pouvant recourir à ce type de billet.

Afin de pouvoir résoudre les difficultés en temps réel, nous proposons - il s'agit de notre recommandation n° 2 - d'exiger des organisateurs qu'ils informent en temps réel, par mail, SMS, messagerie, les détenteurs de billets des modalités d'accès au Stade de France, des événements imprévus et des modifications décidées par les autorités lorsque surviennent des difficultés.

Enfin, nous estimons nécessaires une meilleure formation des stadiers et une amélioration de l'articulation entre les stadiers et les forces de l'ordre. C'est notre recommandation n° 3.

Le plan de mobilité des supporters a en outre été pris en défaut. Sa préparation relevait principalement de la compétence de la Fédération française de football (FFF), l'enjeu étant de prendre en charge les supporters depuis les frontières jusqu'aux abords du stade. Ce plan de mobilité a rencontré deux difficultés majeures - les reports de voyageurs du RER B vers le RER D et l'absence de voies de délestage à la sortie de la gare du RER D - dont les effets se sont cumulés pour aboutir à une situation de crise. Alors que les prévisions concernant la grève du RER B prévoyaient un maintien du service à 80 % de ses capacités, la FFF soutient que les déports de la ligne B à la ligne D ont été aggravés par des messages diffusés dans les gares par les transporteurs dans l'après-midi du 28 mai indiquant de ne pas utiliser la ligne B. Ces annonces, qui n'étaient pas prévues par le plan de mobilité, mais semblent avoir été validées lors d'une réunion à laquelle la FFF n'a pas été associée la veille du match, le 27 mai, auraient eu pour effet de saturer la ligne D dont le trafic a plus que doublé.

La suppression de l'interconnexion à la gare du Nord a constitué une difficulté supplémentaire dissuadant nombre de supporters, notamment anglais, de poursuivre leur trajet avec le RER B et favorisant les reports sur la ligne D.

Le démontage, à la demande de la Direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) de la préfecture de police, le 23 mai, de la signalétique installée par la FFF à la sortie de la gare du RER D du Stade de France pour baliser un cheminement de délestage vers la gare du RER B sur la rue Francis de Pressensé à Saint-Denis a constitué la seconde difficulté majeure qui a fortement compliqué la gestion de la crise. Lorsque l'engorgement du cheminement au point de préfiltrage est intervenu, la seule solution possible a été la levée du dispositif de contrôle, ce qui a eu pour conséquence l'entrée de nombreux délinquants dans le périmètre restreint.

Nous pensons que le plan de mobilité des supporters aurait dû mieux prendre en compte les aléas - grèves, reports de flux - et prévoir des plans de rechange pour organiser des reports. Comme cela a été indiqué lors des auditions, si le délai de trois mois a permis d'organiser l'événement correctement, il n'a pas permis de travailler suffisamment les différents scénarios de crise. Dans ces conditions, nous recommandons que les différents acteurs concernés définissent conjointement un plan de mobilité des supporters en prévoyant les différents scénarios de crise nécessaires.

Nous insistons par ailleurs sur la nécessité d'organiser une communication en temps réel efficace sur les flux de supporters entre la Fédération française de football, la préfecture de police et les opérateurs de transports en commun et de veiller à une mise en oeuvre conjointe des décisions imposées par les événements imprévus. Il s'agit de notre recommandation n° 4.

Nous préconisons ensuite que le plan de mobilité des supporters organise les voies d'accès au stade en prévoyant systématiquement des cheminements de délestage suffisants ainsi que des voies d'évacuation pour les personnes rencontrant des difficultés. C'est notre recommandation n° 5.

Nous estimerions par ailleurs utile d'améliorer l'attractivité des abords du Stade de France afin d'inciter les spectateurs à venir plus tôt et à repartir plus tard et de mieux réguler les flux d'entrée et de sortie vers les transports. Il s'agit de notre recommandation n° 6. Plus généralement, nous demandons un rétablissement des effectifs d'agents publics dédiés à la circulation des flux piétons et automobiles autour du stade. De l'ordre de 90 il y a quelques années, ils ont en effet été progressivement réduits. Environ dix agents seulement étaient ainsi présents le 28 mai.

La prise en compte des supporters a été en outre insuffisante et obsolète. Les auditions des associations de supporters ont mis en avant une organisation de la sécurité du match fondée sur une vision datée des supporters britanniques, renvoyant aux hooligans des années 1980. Les responsables publics ont ainsi été presque exclusivement attachés à gérer sous l'angle du maintien de l'ordre les supporters anglais sans billet, qui ont une habitude connue de venir soutenir leur équipe pour profiter de l'ambiance du match à l'extérieur du stade. Les organisateurs se sont ainsi privés des moyens permettant d'acheminer les flux de spectateurs vers le stade ou de les divertir aux alentours de celui-ci ou à des endroits sécurisés en ville.

De manière plus générale, l'accueil des supporters dans un cadre festif a été négligé. Les fan zones ont été organisées tardivement et, s'agissant des supporters de Liverpool, loin du stade. L'interdiction de l'alcool à partir de 18 heures aux alentours du stade a contribué à leur arrivée tardive sur le site.

Enfin, l'accueil des supporters nécessite également de veiller à ce que leurs conditions de retour après le match soient bonnes. Les supporters espagnols ont déploré leur passage sur une passerelle assez étroite franchissant le canal, sans que personne ne soit présent pour réguler le flux, et le manque d'éclairage public alors que le sol était jonché de bouteilles cassées.

Tout ceci laisse à penser que l'expérience spectateur n'a pas été prise en compte par les organisateurs de l'événement.

Nous souhaitons donc que le regard des autorités publiques françaises sur les supporters évolue et que soient créées les conditions d'un dialogue permanent afin de faire de leurs représentants des partenaires dans le cadre de la préparation et du déroulement des grands événements. Le dialogue avec les supporters doit permettre de mieux partager les informations et de rendre plus efficaces les dispositifs mis en place. Il s'agit de notre recommandation n° 13.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Ce match s'est déroulé dans des conditions particulières. En effet, alors qu'il était initialement prévu à Saint-Pétersbourg, l'UEFA a choisi de le déplacer en réponse à l'agression russe de l'Ukraine. Le 24 février, le Président de la République a répondu favorablement à sa sollicitation de tenir le match à Paris et engagé le soutien des pouvoirs publics à cette organisation.

L'UEFA et son mandataire, la Fédération française de football (FFF), ont donc travaillé avec le soutien du délégué interministériel aux grands événements sportifs (Diges) et des préfectures et singulièrement, pour la région parisienne, de la préfecture de police dont l'actuel préfet nous a rappelé qu'il n'était pas le préfet de police de Paris, mais « le préfet de police tout court ». La sécurité de l'événement lui incombait donc.

Le soir du match, de multiples incidents ont mis à mal le dispositif de sécurité prévu. Le début du match a été retardé d'une demi-heure et la raison donnée pour l'expliquer a été l'arrivée tardive des supporters de Liverpool. Cette première imputation est apparue d'emblée comme une forme d'injustice pour les supporters, dont 2 700 pourtant munis de billets valables n'ont pas pu assister au match. En effet, ce n'est pas leur arrivée tardive, mais l'impossibilité d'entrer dans le stade qui faisait qu'ils n'étaient pas en tribune.

En dehors du stade, les supporters avaient été retenus au point de préfiltrage installé dans le prolongement de la sortie du RER D - une masse de 10 000 à 15 000 personnes s'étant constituée et suscitant un risque d'écrasement. Une fois ce dispositif levé, la foule a pu s'approcher des tourniquets d'entrée, mais certains, proches des grilles du stade, ont alors été exposés au gaz lacrymogène. L'ensemble de ce parcours était ponctué d'agressions de la part de délinquants nombreux et violents. Tout ceci, documenté par de nombreuses vidéos circulant sur les réseaux sociaux, a terni l'image de la France.

Or ce sont les supporters du club anglais qui ont été présentés comme les principaux fautifs des incidents : d'emblée, puis devant nos commissions, et ce en dépit des défauts de plus en plus saillants dans l'organisation mise en place qui sont apparus au fil de nos travaux.

Ce n'est qu'avec l'annonce des auditions par les commissions sénatoriales que les ministres concernés ont émis des regrets sur l'expérience « gâchée » des spectateurs munis de billets, mais n'ayant pu assister au match, qui sont tout de même environ 2 700. Puis, au cours de nos auditions, sont venus les regrets du préfet de police pour les personnes de bonne foi exposées au gaz lacrymogène. Enfin, le ministre de l'intérieur, à la suite de la présentation des premiers constats issus de nos auditions, a finalement présenté ses excuses aux supporters ayant subi la mauvaise gestion de l'événement.

Cette reconnaissance progressive contraste avec la volonté d'accabler les supporters de l'équipe de Liverpool qui a caractérisé les premières prises de position officielles. Tout en refusant, au nom des principes républicains, de donner la nationalité des individus interpellés pour faits de délinquance, le ministre de l'intérieur, lors de son audition, n'a ainsi pas hésité à détailler le nombre de ressortissants britanniques interpellés pour des tentatives d'intrusion. La volonté de faire apparaître la présence des supporters britanniques comme la seule cause de la situation était tout de même très ennuyeuse.

J'en viens aux dysfonctionnements en matière de sécurité.

Le 28 mai, la sécurité des supporters et la protection des biens n'ont pas été assurées de manière suffisante. Le préfet de police, lors de son audition, a estimé que les scènes de chaos liées à la délinquance étaient dues à la nécessité de lever le filtrage, permettant à « 300 à 400 individus indésirables » de s'introduire sur le parvis, « le dispositif ne présentant plus l'étanchéité suffisante ni la capacité dissuasive nécessaire pour empêcher ces vols ».

Cependant, ainsi qu'en a notamment témoigné le maire de la métropole de Liverpool, les actes de délinquance ont commencé en réalité en amont du filtrage. Les caméras de surveillance ont même permis à certaines des personnes présentes dans le poste de commandement (PC) de sécurité du stade de constater l'action de pickpockets et d'autres voleurs à la tire. Or les effectifs de sécurité présents, très majoritairement dédiés au dispositif antiterroriste, n'ont pu intervenir pour mettre fin à ces actes.

Une fois les délinquants présents sur le parvis, leur évacuation a été particulièrement difficile et lente, n'intervenant qu'après le début du match et ne faisant que repousser les délinquants à la périphérie du stade, où des faits délictueux se sont poursuivis après le match.

Ceci est d'autant plus inacceptable que la présence de ces délinquants était prévisible. Dans les jours précédant l'événement, les personnels du Stade de France et le maire de Saint-Denis ont fait part d'une effervescence inhabituelle autour de l'enceinte dans l'attente du match. Ces observations n'ont cependant pas conduit, semble-t-il, à une alerte de la part du renseignement territorial.

Les effectifs destinés à lutter contre la délinquance étaient donc sous-dimensionnés et n'ont pas été abondés de manière suffisante, malgré de multiples intrusions et vols à compter de la mi-journée du 28 mai. Le rapport du Diges fait état de 209 effectifs de police déployés autour du stade pour lutter contre la criminalité le 28 mai, soit 47 de plus que lors de la finale de la Coupe de France le 7 mai. À l'inverse, lors du match France-Danemark du 2 juin, ce sont 650 effectifs de police, soit plus de trois fois plus d'agents, qui ont été mobilisés pour lutter contre la délinquance. C'est donc seulement à la suite des incidents que la mesure réelle de la délinquance a été prise.

À ceci s'ajoute un élément qui nous paraît essentiel. Nous savons que la querelle des chiffres a beaucoup occupé les premiers temps de nos auditions à la suite des affirmations du préfet de police et du ministre de l'intérieur relatives aux 36 000 personnes venues sans titre ou avec de faux titres au stade de France. Or ce nombre, dont le préfet de police nous a dit qu'il pouvait tout aussi bien être de 24 000, n'a pas l'importance que la communication des pouvoirs publics a voulu lui prêter.

Le dispositif mis en place a été débordé sur un point précis : le préfiltrage situé dans la continuité de la sortie du RER D. Il n'a fallu que 10 000 à 15 000 personnes pour rendre ce préfiltrage intenable. Même s'il n'y avait pas eu plus de supporters que de places dans le stade, la situation aurait pu être la même, causer le même chaos et conduire à des drames, que nous avons, par chance, évités. Cet échec tient aux décisions prises par la préfecture de police.

Conçu pour prévenir les attaques terroristes, le dispositif de préfiltrage instauré par la préfecture de police a été combiné à un contrôle de validité des billets par les stadiers. Ceci a créé un goulot d'étranglement. L'espace disponible était réduit à quatre ou cinq mètres de large par la présence de véhicules destinés à faire obstruction aux voitures béliers.

Notons d'abord que le préfet Michel Cadot a pointé, dans son rapport remis à la Première ministre, le manque de fondement juridique de la combinaison d'un dispositif antiterroriste et d'un contrôle des titres d'accès par les organisateurs. Pour défendre ce choix, la préfecture de police a fait porter la responsabilité de la saturation sur le nombre de supporters de l'équipe de Liverpool munis de billets falsifiés ou qui tentaient de s'approcher du stade sans billet. Ceux-ci auraient saturé le précontrôle, lequel a fait apparaître jusqu'à 70 % d'erreurs, puis créé l'encombrement de personnes présentes dans l'accès au point de filtrage.

Toutefois, l'accord donné à la mise en place d'un contrôle de validité des billets au niveau du préfiltrage, qui n'avait été essayé qu'une seule fois auparavant et n'avait pas donné pleinement satisfaction, était d'emblée inopportun. Il a conduit tant à négliger le risque de délinquance sur le parvis entourant le stade - puisque les « indésirables » démunis de billets n'auraient pas dû y accéder - qu'à ralentir le flot entrant de personnes.

De plus, la préfecture n'a pas prévu un moyen d'évacuer les personnes refoulées et qui ne pouvaient reculer du fait de l'étroitesse de l'accès et de la foule massée dans l'attente du passage.

À ce défaut premier dans la conception du dispositif s'ajoutent les difficultés survenues dans la gestion des flux de personnes. La SNCF a indiqué avoir transporté le jour du match 12 000 personnes de plus que pour d'autres événements de ce type, mais c'est moins ce surnombre en soi que le déséquilibre entre les flux venant des deux lignes de RER qui a été source de difficultés.

En effet, l'infrastructure du Stade de France peut accueillir un flot de près de 100 000 personnes pour certains événements. Ce fut le cas pour le concert d'Indochine, qui a rassemblé 110 000 personnes. Le surnombre établi par la SNCF aux sorties les plus proches des tribunes destinées aux supporters du club de Liverpool était donc inhabituel, mais pas disproportionné par rapport aux accès au stade.

Cependant, dès lors que s'était constitué un encombrement de 10 000 à 15 000 personnes, selon l'estimation du préfet de police, le préfiltrage menaçait de conduire à un risque d'écrasement. Ce seuil de saturation semble relativement bas tant au regard du flux normal du RER D pour un match de ce type qu'au regard du report lié à la grève sur la ligne du RER B.

Il y a également eu de la part des autorités un manque de réactivité.

Les flux de passagers en provenance de chacune des lignes de RER étaient communiqués toutes les demi-heures à partir de 18 heures 05 par la SNCF au poste de commandement du stade. D'emblée, et surtout à partir de 18 heures 30, l'important écart de fréquentation entre la ligne D et la ligne B était connu. Or cette situation n'a suscité aucune réaction rapide de réorientation des flux : ni de la part des transporteurs, qui ont indiqué ne pas avoir été sollicités pour ce faire, ni de celle des organisateurs, ou encore de la préfecture de police, qui a mis en oeuvre cette réorientation seulement à 19 heures 18, soit trop tard, en pratique, pour permettre un maintien du dispositif de préfiltrage. En effet, la pression se constituait déjà depuis près d'une heure.

Les supporters venus au Stade de France et se présentant au point de préfiltrage prévu dans le prolongement de la sortie du RER D ont fait face à deux risques. Le premier était le risque d'écrasement du fait du blocage du préfiltrage. Le second était celui de subir les effets du gazage à l'approche des grilles du stade.

Face à ces risques, la préfecture de police a d'abord pris la décision de lever, temporairement, le préfiltrage à 19 heures 39, puis a assumé le recours au gaz lacrymogène pour faire reculer les personnes proches des grilles du stade. Ce second choix découlait non de la nécessité de protéger les personnes, mais de celle d'éviter d'abord la chute des grilles et l'envahissement du stade qui aurait eu incontestablement des conséquences dramatiques.

Les décisions prises par le préfet de police, si elles ont peut-être évité un drame ou l'annulation du match, sont la conséquence directe de défauts d'anticipation et ont été la cause d'incidents qui ont choqué l'opinion publique nationale et internationale et terni l'image de notre pays.

La décision de lever le préfiltrage a créé un espace sur le parvis du stade dans lequel ont pu s'engouffrer les délinquants qui ont agressé les supporters, et qui a donc rapproché ceux qui cherchaient à s'introduire illégalement dans le stade de leur objectif.

Face au risque d'intrusion, les forces de sécurité ont eu recours au gaz lacrymogène pour faire reculer la foule. Cette méthode, qui affecte les personnes présentes au-delà de celles qui sont directement visées a paru particulièrement agressive aux supporters venant de pays où elle n'est pas pratiquée. Elle a contribué au sentiment des supporters d'avoir été exposés à un usage excessif de la force, voire peut-être à certaines violences policières.

Cependant, le préfet de police a d'autant plus assumé le recours au gaz lacrymogène qu'il a considéré qu'il s'agissait, à moins de la charger, du seul moyen à la disposition des forces de sécurité pour faire reculer une foule. Il a également indiqué que, dans la même situation, il préconiserait à nouveau son usage, se contentant de regretter qu'au Stade de France cet usage ait conduit à exposer au gaz des personnes de bonne foi, voire des familles et des enfants.

La question de l'usage du gaz lacrymogène montre des contradictions parmi les responsables des forces de sécurité intérieure. En effet, à l'inverse des affirmations répétées du préfet de police, le ministre de l'intérieur lui-même a admis que le recours au gaz lacrymogène devait sans doute évoluer.

Ces points font l'objet de plusieurs de nos recommandations. La recommandation n° 7, adressée à l'UEFA et à la préfecture de police, tend à séparer les points de contrôle de validité des billets des points de préfiltrage installés dans le cadre de la prévention du terrorisme. La recommandation n° 8, adressée au ministère de l'intérieur, consiste à définir une doctrine d'emploi du gaz lacrymogène par les agents des forces de sécurité qui prévienne l'exposition de personnes ne présentant pas pour eux un danger immédiat. La recommandation n° 9, destinée à la préfecture de police et, le cas échéant, à la ville de Saint-Denis, tend à rétablir les effectifs d'agents publics dédiés à la circulation des flux piétons et automobiles autour du stade. La recommandation n° 10, à l'attention de la préfecture de police, vise à privilégier, en matière de gestion des foules, le prépositionnement de moyens dissuadant tout débordement. Nous pensons ici notamment aux unités équestres. La recommandation n° 11, destinée au ministère de l'intérieur et au Parlement consiste à établir, à titre expérimental, la base législative qui permettrait aux opérateurs des systèmes de vidéoprotection dans les espaces accessibles au public de mettre en oeuvre des traitements d'images par intelligence artificielle permettant le comptage et la détection de mouvements de foule. Enfin, la recommandation n° 12 adressée aux préfets tend à imposer aux opérateurs des systèmes de vidéoprotection la conservation des images captées le jour des grands événements sportifs pendant la durée légale d'un mois dans les espaces accessibles au public, à l'intérieur ou aux abords des équipements.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Ces événements soulèvent des interrogations quant à la capacité de notre pays à accueillir de grands événements sportifs, notamment la Coupe du monde de rugby de 2023 et les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Nous formulons donc quelques recommandations visant à éviter que de tels incidents ne se reproduisent.

Nous ne partageons pas l'avis selon lequel les enjeux seraient différents, compte tenu en particulier de la nature des épreuves et du public attendu.

Les auditions ont mis en évidence le fait qu'il n'y avait pas de hooligans parmi les spectateurs et que les troubles ont été la conséquence de dysfonctionnements multiples, aggravés par la présence d'un très grand nombre de délinquants. Ces différentes circonstances peuvent tout à fait se reproduire et il est donc indispensable de s'y préparer, y compris pour les grands événements sportifs que je mentionnais à l'instant.

Concernant l'organisation des futurs grands événements sportifs attendus dans les années à venir - une vingtaine, en sus des deux que nous venons de citer -, nous pouvons nous interroger sur l'intérêt de maintenir le rapprochement opéré entre la Dijop et la Diges. En effet, plus nous nous rapprocherons de la date du début des jeux Olympiques et Paralympiques, plus l'attention de la Délégation interministérielle aux jeux Olympiques et Paralympiques devrait être mobilisée sur cet événement exceptionnel.

A contrario, l'organisation de la finale de la Ligue des Champions au Stade de France a montré un déficit de coordination entre les différents acteurs concernés. C'est pourquoi nous proposons - il s'agit de la recommandation n° 14 - de mieux distinguer les fonctions de Diges et de Dijop afin de faire du Diges le responsable opérationnel de l'organisation des grands événements sportifs internationaux et de lui reconnaître un rôle de coordination des différentes autorités concernées : préfets - dont, bien sûr, les préfets départementaux -, forces de l'ordre, transporteurs, fédérations sportives, collectivités territoriales. Ces deux services, mieux différenciés dans leurs attributions et leurs rôles, auraient vocation à interagir étroitement pour partager leurs expertises respectives.

Néanmoins, il apparaît nécessaire qu'une organisation dédiée puisse se concentrer de manière opérationnelle tant sur les grands événements sportifs prévus d'ici 2024 que sur ceux qui sont programmés entre 2024 et 2026, qui nécessitent le plus souvent plusieurs années de préparation.

Les commissions de la culture et des lois du Sénat organiseront dans les mois à venir un suivi précis des modalités de préparation des prochains grands événements sportifs au regard des enjeux de sécurité qui y sont associés et des dysfonctionnements que nous avons pu observer.

Par ailleurs, nous souhaitons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur l'organisation de la sécurité lors des grands événements sportifs avant la fin de l'année 2022. Il s'agit de notre dernière recommandation.

M. Michel Savin. - Je tiens à remercier les présidents des commissions de la culture et des lois de s'être emparés à bras-le-corps de ce sujet et de leur volonté de faire toute la lumière sur ces événements. Une nouvelle fois, nous constatons que le Sénat a parfaitement assuré son rôle de contrôle de l'action du Gouvernement.

Je salue vos constats ainsi que les préconisations que vous nous présentez. Ces dernières doivent permettre de mieux anticiper l'accueil des événements sportifs internationaux, particulièrement en 2023 et 2024.

Les dysfonctionnements ont été nombreux le 28 mai : absence de communication entre services, défaut d'information, manque d'anticipation, notamment de la grève des transports, etc. Force est de constater toutefois que les acteurs auditionnés ont chacun montré une vision différente des événements et tenté de minimiser leur propre responsabilité dans le fiasco survenu au Stade de France. Le ministre de l'intérieur a d'ailleurs pointé du doigt le comportement des supporters de Liverpool, le soir même du match, quand toute la presse internationale et les syndicats de police présents indiquaient au contraire qu'ils s'étaient bien comportés.

Je tiens néanmoins à saluer la nouvelle ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques, d'avoir reconnu, dès les premières heures, l'existence de difficultés et d'avoir eu un mot de soutien pour les supporters privés de ce moment de fête. Je regrette cependant l'insistance du ministre de l'intérieur à désigner comme responsables 30 000 à 40 000 spectateurs anglais sans billet ou munis de faux billets, alors même que personne ne les a vus sur place à l'heure où aurait dû débuter la rencontre. A contrario, il a minimisé les agressions commises par des délinquants. Le fait que les enregistrements vidéo de ces actes de violence aient tous été supprimés pose d'ailleurs problème, d'autant que le ministre de l'intérieur et le préfet de police se trouvaient au PC de sécurité le soir du match. Pourquoi les autorités n'ont-elles pas demandé les images de vidéosurveillance de ces événements, qui ont pourtant choqué le monde entier ?

Nous espérons que les recommandations nos 11 et 12 du rapport apporteront des réponses sur ce point.

Il a fallu attendre plus d'un mois pour que le ministre de l'intérieur reconnaisse sa part de responsabilité dans cet échec.

Tout en partageant ses préconisations, je regrette que deux points n'aient pas été assez abordés dans le rapport qui nous a été présenté. Il me semble tout d'abord nécessaire de renforcer la place et le rôle du préfet de département aux côtés du préfet de police dans l'instance de coordination nationale pour la sécurité des jeux Olympiques et Paralympiques 2024 et des grands événements sportifs internationaux (CNSJ). Représentant de l'État, connaissant parfaitement le terrain, il est en effet le mieux placé pour mobiliser les services, en amont, en matière de surveillance, de renseignement et d'alerte. Il est donc essentiel d'améliorer l'entente entre ces deux acteurs.

En outre, il conviendrait de ne pas réitérer la prise de décision solitaire qui a été à l'origine de l'accueil par la France, dans des délais inédits - trois mois, contre douze à dix-huit en temps ordinaire - de la finale de la Ligue des Champions. Cette décision a en effet été prise par le Président de la République seul. Or une telle décision doit être partagée et validée par la fédération chargée de l'organisation de la manifestation concernée ainsi que par le délégué interministériel aux grands événements sportifs. En effet, l'absence d'association de tous les partenaires concernés est l'une des raisons de l'échec sécuritaire de cette soirée.

J'espère que les propositions du Sénat seront rapidement reprises. Nous devons tout faire pour améliorer la sécurité de ces événements et lutter contre la délinquance afin d'éviter que de tels incidents se reproduisent lors des prochaines grandes manifestations sportives accueillies par notre pays.

M. Jérôme Durain. - Le Sénat et ses commissions sont ici dans leur rôle de contrôle. Nous sommes allés sur le terrain, nous avons organisé les auditions nécessaires et nous avons mis notre intelligence collective au service de la compréhension des faits. Toutefois, le titre d'un journal du soir, « Autopsie d'un fiasco sécuritaire », illustre ma frustration : il ne s'agit pas d'un sujet législatif ou réglementaire, mais d'un échec politique majeur qui a entraîné un préjudice réputationnel pour notre pays.

Peut-être n'y a-t-il eu ni morts ni blessés graves, mais des supporters ont été gazés, molestés et dépouillés. Nous avons constaté sur place l'inquiétude des responsables du Stade de France qui ont craint que la situation ne dégénère bien plus gravement.

Au-delà des recommandations que nous formulons, nous relevons un défaut d'anticipation, un défaut d'information, un problème d'exécution lié à la doctrine d'emploi des forces - incapacité à juguler la délinquance, préfiltrages et filtrages défaillants, usage des gaz lacrymogènes, problème de communication entre la préfecture et la Diges -, un défaut d'adaptation en temps réel, un défaut de réaction après l'événement - je pense aux fameuses vidéos qui n'ont pu être exploitées - et un défaut de communication avec un recours récurrent et assez pénible à des chiffres erronés...

Au final, le préfet de police s'apprête à quitter ses fonctions le 20 juillet prochain avec presque les félicitations du jury et le ministre de l'intérieur semble vaguement contrit... Que peut penser un supporter de Liverpool qui observe cette situation de l'extérieur ? Le sujet politique, malgré nos efforts, n'a pas été traité.

Par ailleurs, on peut disposer de tous les outils, encore faut-il bien les utiliser. Si l'on fait le même usage de l'intelligence artificielle, que nous évoquons dans notre recommandation n° 11, que celui qui a été réservé aux vidéos du Stade de France, nous n'avancerons pas.

Nous avons bien traité notre sujet, mais la question politique reste sur la table avec un gouvernement, un ministre de l'intérieur et un préfet de police qui n'ont pas été à la hauteur avant, pendant et après ces événements.

M. Jean-Jacques Lozach. - Je souhaite tout d'abord saluer l'efficacité et la réactivité de nos deux commissions. Les auditions que nous avons engagées sans délai et qui ont été diffusées très largement ont permis non seulement de révéler certaines défaillances organisationnelles - gestion des flux, dispositif de sécurité, défaut de communication, non-conservation des images de vidéosurveillance dans l'enceinte du stade... - et certaines lacunes doctrinales, mais aussi d'éclairer une partie des responsabilités de chacun. Sans nos travaux, toute une part de vérité n'aurait sans doute jamais émergé.

Nos quinze recommandations rejoignent en grande partie celles du préfet Cadot. Il me semble toutefois que la recommandation n° 3, relative à la formation des stadiers, ne va pas assez loin. Ce qui est en jeu, c'est la professionnalisation, le recrutement, le financement et le positionnement des agents de sécurité privée.

En ce qui concerne les recommandations nos 11 et 12, relatives à l'intelligence artificielle ou à la vidéoprotection, il faudra préciser ce que recouvrent les termes « espaces accessibles au public ».

La recommandation n° 14 est la toile de fond sur laquelle inscrire la gestion de ces événements, à savoir la relation entre des organismes sportifs internationaux comme l'UEFA, la FIFA, le CIO ou toute autre fédération internationale, c'est-à-dire des organismes de droit privé, souvent richissimes et installés en Suisse, et les États qui accueillent ces manifestations avec l'appui des fédérations nationales.

Il me semble indispensable de rééquilibrer ces relations au profit des acteurs étatiques et de la puissance publique. Le problème s'était déjà posé lors de l'Euro 2016 : malgré la parfaite organisation de l'événement, de très sérieuses crispations étaient apparues entre l'UEFA et le Diges de l'époque, Nicolas Desforges.

Dans le football, la violence apparaît dans des circonstances particulières et identifiées : absence de résultat du club, difficultés financières, comme avec Bordeaux et Saint-Étienne cette saison, ou grands derbys comme les matchs PSG-OM. Il est donc largement possible d'anticiper les choses.

Pour autant, il ne faut pas céder au catastrophisme. La quasi-totalité des rencontres sportives se déroule dans des conditions satisfaisantes. Toutefois, la nouvelle ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques n'échappera pas à une large réflexion sur la sécurité dans les stades, voire au vote d'un nouveau texte, la loi Larrivé ayant peut-être déjà atteint ses limites. Il faut également se pencher sur la place et le rôle du supportérisme dans la vie des clubs sportifs professionnels.

Enfin, j'appelle à la prudence en ce qui concerne la cérémonie d'ouverture des JO 2024 sur la Seine et en bords de Seine. Entendre un spécialiste des problèmes de sécurité comme Alain Bauer, qui vient d'être mandaté sur ces questions par la Ligue de football professionnel, employer l'expression de « folie criminelle » est un sérieux message d'alerte. Nul doute que ces sujets seront examinés lors de la réunion du 25 juillet prochain organisée par le Président de la République.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je voudrais remercier les présidents Lafon et Buffet d'avoir mis en place cette mission, qui a permis de dénoncer un certain nombre de dysfonctionnements. Sans ce travail, les supporters anglais seraient encore considérés comme responsables de ces événements.

Au-delà de notre rôle de contrôle, nous avons aussi assumé un rôle politique en montrant aux supporters anglais et au monde entier que notre ministre de l'intérieur était dans le déni. Nous avons su obliger un certain nombre de personnalités politiques à prendre leurs responsabilités et à revenir sur leurs propos.

Comme l'a souligné M. Lozach, il est légitime de se poser des questions sur les jeux Olympiques. Alain Bauer a exprimé très rapidement ses interrogations et ses inquiétudes à la suite de ce fiasco. Cette mission aura permis de poser des questions essentielles sur l'organisation des grands événements. Comme nos présidents l'ont souligné, la France est tout à fait capable d'organiser de telles manifestations, encore faut-il y mettre les moyens, accepter les forces et faiblesses de notre pays et savoir anticiper les problèmes qui peuvent survenir.

Mme Céline Brulin. - Cette mission a permis à la fois d'entendre des regrets et d'atteindre une partie de la vérité. L'écho qu'ont rencontré nos travaux montre qu'il s'agissait d'un vrai besoin.

Pour autant, ces événements ne peuvent se résumer à une succession de dysfonctionnements. Si nous nous retrouvons dans les recommandations du rapport, nos travaux montrent qu'il faut penser l'organisation de tels événements internationaux « à 360 degrés ». Il faut aussi gérer les personnes qui ne se trouvent pas au stade et qui veulent participer à l'événement d'une manière ou d'une autre. Vous avez souligné à juste titre que l'ouverture de fan zones avait été décidée très tardivement. Il s'agit d'une forme de réponse, mais on peut certainement en imaginer d'autres dans la perspective des jeux Olympiques.

Nos travaux nous poussent également à nous interroger sur la doctrine d'engagement des forces entre sécurité publique et maintien de l'ordre. Je reste encore sans voix en pensant aux mots du préfet, qui nous a expliqué très froidement et rationnellement qu'en cas de risque d'écrasement d'une foule, le choix se résumait à l'emploi des gaz lacrymogènes ou à une charge. Je me rappelle les paroles très fortes des supporters de Liverpool, dont certains handicapés, nous décrivant comment ils avaient vécu cette soirée. On ne peut en rester à cette doctrine. Il faut explorer d'autres pistes.

Après la crise sanitaire, après l'incident de l'usine Lubrizol, je pense que la question de la gestion de crise se pose dans notre pays. Nous avons de grandes difficultés à aborder cette gestion dans tous ces aspects, de la communication à la sécurité. Le fait que les services de l'État, les autres institutions, les partenaires privés aient tendance à travailler en silos et à se laisser envahir par une forme de technocratie nous fait perdre le sens premier de ce qui doit nous mobiliser.

M. Thomas Dossus. - Ce rapport va largement dans le bon sens. Les difficultés organisationnelles du fiasco ont bien été identifiées, notamment le défaut d'anticipation et la vision datée des supporters anglais.

Si ce raté est devenu un fiasco, puis quasiment une crise internationale, c'est grandement en raison de l'incompétence politique de notre ministre de l'intérieur et des méthodes inadaptées du préfet de police en matière de maintien de l'ordre. Nos auditions ont permis de mettre en lumière l'arrogance et le caractère inconsidéré des déclarations du ministre de l'intérieur, ainsi que la brutalité des méthodes de Didier Lallement.

Le rapport formule plusieurs recommandations en matière de maintien de l'ordre, notamment pour diminuer l'usage des gaz lacrymogènes dont le recours permet difficilement de séparer le bon grain de l'ivraie. La mise en oeuvre sera sans doute difficile, dans la mesure où l'action indiscriminée des gaz n'en fait pas un bon outil pour ramener le calme. La France en fait d'ailleurs un usage immodéré.

Le rapport du préfet Cadot est un peu plus précis sur le changement de doctrine qu'il faudrait opérer. Il parle ainsi de « maîtrise de l'escalade ». Il ne va pas encore jusqu'à envisager la désescalade, doctrine utilisée dans plusieurs pays européens, mais c'est déjà un changement. La désescalade suppose un véritable renversement de doctrine : on n'attend plus d'être au contact pour envisager des méthodes de dispersion. Nous espérons que les grands événements sportifs permettront d'arriver à ce changement de doctrine.

Le rapport formule également des recommandations sur l'usage de l'intelligence artificielle dans le domaine de la vidéosurveillance. Il s'agit d'une escalade techno-sécuritaire, notamment avec l'usage des drones et de la reconnaissance faciale, que nous ne partageons pas. Nous ne souhaitons pas que les jeux Olympiques ou les grands événements sportifs deviennent un showroom de technologies de surveillance. J'émets donc des réserves sur ces dernières recommandations.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Le travail du Sénat a permis de faire la lumière sur les dysfonctionnements constatés dans l'organisation de cette finale. Je voudrais saluer le travail de fond de nos deux présidents de commission, qui ont su mener des auditions pertinentes dans un délai restreint.

Nous espérons que le Gouvernement prendra nos recommandations en considération à la veille d'autres manifestations sportives internationales. Il serait inconcevable que de pareils incidents se reproduisent. Il me semble nécessaire d'imposer aux organisateurs d'événements d'une telle ampleur un contrôle des personnes et de leurs effets personnels. Accueillir 80 000 personnes dans un lieu qui a déjà été la cible d'attentats terroristes ne peut se faire sans s'assurer que chaque participant ne constitue pas une menace. Lors de son audition, le ministre de l'intérieur m'avait répondu que, à un certain moment, ni les personnes ni les billets n'avaient été contrôlés, ce qui me paraît effrayant.

Participer à un événement culturel ou sportif en France ne doit pas susciter l'inquiétude. Au contraire, il faut rassurer les spectateurs afin de leur permettre de profiter de la manifestation en toute sécurité, gage de succès pour notre pays.

M. David Assouline. - Je reste sur ma faim, car je ne voudrais pas que nous alimentions l'idée que la France ne sait pas organiser de grands événements. Les incidents du Stade de France trouvent leur origine dans un problème de pilotage politique. Nous avons montré notre savoir-faire en gérant la crise terroriste en plein coeur de Paris et en organisant l'Euro 2016, alors même que la menace terroriste était particulièrement prégnante.

Nous méritons ces jeux Olympiques. Je rappelle d'ailleurs que la commission de la culture a mis en place une mission permanente de suivi des Jeux, dont je suis l'un des deux rapporteurs. Nous avons récemment auditionné les responsables des Jeux : ils font preuve d'une grande sérénité, car ils ont conscience de leur responsabilité. À partir du moment où chacun assume ses responsabilités, le professionnalisme peut s'exprimer. Si la crise a éclaté après les événements du Stade de France, c'est d'abord parce que le ministre de l'intérieur s'est défaussé en accusant les supporters anglais au lieu d'assumer la responsabilité des dysfonctionnements. S'il l'avait fait, tout aurait été réglé assez vite.

Le Sénat n'a pas non plus été complètement respecté : nous avons demandé aux responsables de nous fournir certains documents que nous n'avons jamais reçus ! Si nous nous étions constitués en commission d'enquête, je n'aurais pas laissé passer ces manquements. Le ministre et le préfet s'étaient pourtant engagés à nous transmettre les instructions des responsables sur place et les ordres donnés aux moments clés. De même, nous n'avons pas pu voir les images qui n'avaient pas été détruites...

En ce qui concerne la cérémonie des jeux Olympiques, qui sera un moment magnifique le long des vingt-quatre ponts de la Seine, la préfecture pense que 600 000 personnes y assisteront, alors que près de 2 millions de personnes ont participé au jubilé de la reine Elizabeth II. Il serait bon de disposer de prévisions un peu plus resserrées...

Quoi qu'il en soit, les responsables des Jeux m'ont affirmé qu'ils avaient la capacité de gérer en temps réel les flux. L'intelligence artificielle est déjà à l'oeuvre, ce qui montre bien que le fiasco du Stade de France relève d'un problème de pilotage.

Pourquoi recommander de garder les images de vidéosurveillance pendant un mois ? Cela coûte cher et ne sera sans doute pas suivi d'effet, puisqu'il s'agit d'une simple recommandation... Il me semblerait plus logique de les conserver seulement en cas d'incident, comme l'a fait la SNCF. Je me demande d'ailleurs encore pourquoi les images du Stade de France n'ont pas été gardées. Il me semble que l'incompétence a beau jeu...

Nous avons fait oeuvre de restauration de l'image de la France, mais il faut aller au bout des choses. J'aimerais que nous adoptions une recommandation visant à soutenir les démarches des supporters anglais pour obtenir réparation et indemnisation.

Appuyons-nous sur la mission de suivi des jeux Olympiques. Ce sera un moment de fête, qui fera honneur à notre pays. Il faut appréhender le maintien de l'ordre de manière positive. La doctrine du préfet de police a été de voir dans tout supporter un hooligan, dans tout participant à une manifestation, quelle qu'elle soit, une menace potentielle. Si nous ne changeons pas cette doctrine, si nous ne faisons pas confiance aux populations venues se rassembler et fraterniser, nous devrons de nouveau faire face à ce type de problème.

M. Jacques Grosperrin. - Comme cela a déjà été souligné, les supporters anglais n'étaient pas des hooligans. Nous avons assisté à un scandale d'État, au plus haut niveau. Tout le monde peut se tromper, mais il est inadmissible de mentir au monde entier. Je n'ose croire à la moindre corrélation entre ces mensonges et les élections législatives qui avaient lieu quinze jours plus tard...

J'ai été frappé par les propos des présidents d'associations de supporters qui ont décrit leur peur au moment des incidents et qui ont dit ne plus vouloir revenir en France après les propos blessants du ministre de l'intérieur. Si cela s'était passé dans certains pays d'Europe du Nord, je suis persuadé que le ministre concerné aurait démissionné : on peut se tromper, mais on n'a pas le droit de mentir.

Pourquoi ne pas imaginer une recommandation n° 16 demandant des excuses publiques de la part du ministre de l'intérieur ? L'analyse des faits a montré que ces délinquants venaient de Seine-Saint-Denis et d'ailleurs, et qu'il n'y avait pas de propos nauséabonds...

Des plaintes ont été prises en Espagne et en Angleterre. Ne pourrait-on recommander la mise en place d'une cellule de fonctionnement plus fine entre les différents pays, en amont et en aval de tout événement sportif de grande ampleur ?

Quant à la destruction des images du Stade de France, je ne sais que comprendre, sinon qu'on a voulu cacher la vérité.

La recommandation n° 7 vise à séparer les points de contrôle, ce qui est intéressant. Ne pourrait-on imaginer un contrôle sur les billets par le pays de départ en cas de transports groupés ?

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Il est évident que la France est capable d'organiser de grands événements et d'accueillir les jeux Olympiques et Paralympiques ou la Coupe du monde de rugby. Nous l'avons prouvé et nous le prouverons encore. Il n'est pas question d'abîmer l'image du pays parce que des difficultés sont apparues au cours d'un match pour des raisons que nous connaissons aujourd'hui.

La recommandation n° 12 ne doit pas apparaître comme un principe général absolu. Les images doivent être conservées au cas par cas, à la demande du préfet, mais pas de façon systématique. Nous pourrions le préciser dans le corps du texte et adapter la recommandation en conséquence.

Les recommandations sont adoptées.

La commission de la culture et la commission des lois adoptent, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorisent la publication.

La réunion est close à 11 h 25.

- Présidence de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

M. Laurent Lafon, président. - Monsieur le ministre, nous sommes heureux de vous accueillir pour cette audition devant notre commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Nous sommes particulièrement honorés que vous ayez choisi le Sénat, comme d'ailleurs votre collègue Rima Abdul Malak, pour effectuer votre première intervention devant une commission parlementaire.

C'est pour nous l'occasion de vous adresser nos plus sincères félicitations pour votre nomination à la tête du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse et vous souhaiter un plein succès dans vos fonctions ministérielles.

Comme vous le savez sans doute, notre commission a toujours prêté une attention toute particulière aux sujets liés à l'éducation et à la jeunesse. Notre attitude avec vos différents prédécesseurs s'est toujours voulue constructive. Nous avons d'ailleurs réussi à trouver, au cours de la dernière législature, des points d'accord tant avec nos collègues de l'Assemblée nationale qu'avec le Gouvernement sur deux textes significatifs : la loi pour une école de la confiance en 2019 et, plus récemment, la loi créant la fonction de directrice ou de directeur d'école.

Je forme le voeu que, dans les semaines à venir, nous puissions être en mesure de préserver, voire de renforcer ce dialogue, certains diront cette « coconstruction législative », dans l'intérêt des élèves et de l'ensemble de la communauté éducative.

Les sujets auxquels notre commission s'est intéressée dans le cadre de sa mission de contrôle témoignent de la diversité des problèmes rencontrés par le système éducatif français.

Dès 2012, nous identifiions un profond malaise chez les enseignants du pays. Six ans plus tard, nos collègues Max Brisson et Françoise Laborde alertaient les pouvoirs publics sur la baisse d'attractivité du métier et appelaient à la mise en place d'un nouveau cadre d'exercice de celui-ci. Au regard des nombreuses places vacantes recensées lors des derniers concours de recrutement des professeurs - singulièrement dans les académies de Créteil et de Versailles -, leurs recommandations restent plus que jamais d'actualité.

Je souhaite également saluer les travaux de la mission d'information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement présidée par notre collègue Sabine Van Heghe. De très nombreux membres de notre commission y ont participé. La loi visant à combattre le harcèlement scolaire ne permettra malheureusement pas à elle seule de lutter contre ce fléau que seule une mobilisation générale pourra endiguer.

Notre commission a par ailleurs identifié très tôt les principaux problèmes d'articulation, en particulier calendaires, entre la réforme de Parcoursup et celle du lycée et du baccalauréat. Nous aurons certainement l'occasion de discuter également de ce sujet avec votre collègue chargée de l'enseignement supérieur, Mme Sylvie Retailleau, que nous auditionnerons la semaine prochaine.

Je souhaite néanmoins vous alerter sur le fait que ni l'éducation nationale ni l'enseignement supérieur n'ont tiré toutes les conséquences de ces réformes.

Le bilan des mesures éducatives du précédent quinquennat, dressé par nos collègues Annick Billon, Max Brisson et Marie-Pierre Monier l'a souligné : la réforme du lycée s'est arrêtée au milieu du gué, que ce soit en matière d'accompagnement à l'orientation des élèves que d'égalité entre établissements dans les spécialités et options proposées.

Leur rapport montre d'ailleurs que, si de nombreuses réformes en matière éducative ont été lancées, beaucoup d'interrogations demeurent. Je pense au dédoublement des classes de la grande section au CE1 en éducation prioritaire et au plafonnement à 24 élèves pour ces mêmes niveaux dans les autres écoles. La différence entre les moyens nécessaires pour mener à bien ces deux réformes et le nombre d'équivalents temps plein (ETP) créés se chiffre à plus de 12 200 ETP.

En matière de sport à l'école, Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis des crédits de la mission « Enseignement scolaire » a souligné l'année dernière le manque de moyens consacrés à cette politique. Le principe d'une activité sportive quotidienne à l'école primaire a été inscrit dans la loi - sur l'initiative du Sénat - et doit entrer en vigueur dès cette rentrée. Le Gouvernement appelle à bâtir une Nation sportive et à utiliser les jeux Olympiques et Paralympiques comme accélérateurs de l'activité sportive dans notre pays. Or, actuellement, à peine la moitié des heures d'éducation physique et sportive (EPS) sont effectuées. Il s'agit là d'un des nombreux sujets dont il faudra vous emparer dans les meilleurs délais.

M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. - Je vous remercie vivement de cette invitation à m'exprimer devant votre commission. Pour avoir été longtemps membre du jury du concours des administrateurs du Sénat, je connais un peu votre prestigieuse et utile institution et me réjouis de pouvoir échanger et coconstruire avec vous sur des sujets essentiels pour l'avenir du pays.

Je tracerai quelques grands axes de notre politique, avant de répondre à vos questions sur des points plus spécifiques.

S'agissant tout d'abord de l'accent mis sur les savoirs fondamentaux - le français et les mathématiques - sur lesquels plusieurs études ont montré que la France enregistrait des déficiences à l'entrée au collège, je souhaite m'inscrire dans la continuité des actions menées lors du précédent quinquennat à l'école élémentaire comme dans l'enseignement secondaire. Nous avons introduit une heure et demie de mathématiques dans le tronc commun des classes de première, sous forme facultative, qui sera probablement rendue obligatoire à partir de la rentrée 2023 compte tenu du niveau en mathématiques des élèves de première et de la nécessité de proposer cette matière y compris à ceux qui ne se spécialiseront pas dans un domaine lié à cette discipline.

Le deuxième axe que je souhaite évoquer a trait à l'égalité des chances et aux politiques de réduction des inégalités sociales. La position de la France n'est guère enviable de ce point de vue, par comparaison avec les autres pays européens. Nous ne pouvons nous satisfaire de cette situation. À ce sujet, j'ai lu avec intérêt le rapport du sénateur Gérard Longuet, qui recommande notamment d'accentuer les comparaisons internationales au sein de mon ministère afin d'en tirer des enseignements utiles.

Nous poursuivons le dédoublement des classes. Un recul important du nombre d'élèves en difficulté a en effet été relevé dans les classes de CP et de CE1 des réseaux d'éducation prioritaire (REP) et REP+, estimé à 16 % selon les derniers travaux consacrés à ce sujet. Le dédoublement se poursuit également dans les classes de grande section d'école maternelle de ces mêmes réseaux, et concerne à présent 74 % d'entre elles.

Nous continuons en outre à limiter le nombre d'élèves en classe de sixième, et conduisons plusieurs expériences de mixité sociale, notamment dans les villes et les régions où elle est peu présente.

Une réflexion est également engagée sur la carte de l'enseignement prioritaire, fruit de l'empilement de dispositifs successifs au fil des ans.

Le troisième axe que je souhaite évoquer est celui du bien-être des élèves, qui n'est en rien antithétique à l'effort et au travail. Si l'école est bien le lieu de l'effort et du travail, elle doit être aussi celui du bien-être. Cette question est d'autant plus sensible que la santé physique et psychique de nos jeunes suscite des inquiétudes. Nous disposons à ce sujet de données préoccupantes, liées notamment aux effets de la crise sanitaire sur la santé de nos élèves. Nous devons donc nous pencher sur cette question. Cette démarche inclut une réflexion sur la santé scolaire, dont l'état est préoccupant, et d'une manière générale sur les activités, particulièrement sportives, favorisant le bien-être des élèves.

Mon quatrième axe a trait à l'environnement et à l'écologie, qui comptent parmi les priorités de ce nouveau quinquennat. Ces questions essentielles ne peuvent se limiter à un seul ministère, mais doivent irriguer également la politique et les ambitions du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse. Nous connaissons en effet l'implication de la jeunesse sur les questions liées à l'environnement et qui constituent pour elle une forme d'entrée dans la citoyenneté.

Nous devons engager à cet égard une étroite concertation avec les collectivités territoriales, directement responsables du bâti scolaire. En effet, ainsi que de nombreux témoignages l'ont montré en juin, lors de la dernière vague de chaleur, ce bâti n'est pas toujours adapté aux évolutions climatiques. J'ai demandé par ailleurs à l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) de se pencher sur la façon dont les questions d'écologie sont traitées dans les programmes scolaires. La labellisation « École ou Établissement en démarche globale de développement durable » (E3D) et les éco-délégués doivent en outre être davantage mis en valeur. C'est une manière d'intéresser nos jeunes à ces questions essentielles, sur lesquelles l'enseignement et le savoir jouent un rôle primordial.

Mon cinquième point porte sur la revalorisation des enseignants. Nous l'entendons comme une revalorisation globale, incluant leur place dans la société, leur rémunération, ainsi que les difficultés de recrutement que vous avez soulignées, monsieur le président. Tout cela fait l'objet de travaux de notre part, à commencer par la revalorisation financière, qui constitue un enjeu important.

Nous menons une réflexion également sur l'innovation pédagogique. De nombreux pays, notamment du nord de l'Europe, ont engagé des réflexions intéressantes en la matière, qui mobilisent le collectif plutôt que le singulier dans la relation des enseignants avec leurs classes. Tout cela peut s'inscrire dans une politique de revalorisation de la profession enseignante, enchâssée dans le projet du Président de la République articulé autour du plan « Marseille en grand ». Des débats et réflexions sont prévus à compter de l'automne prochain sur l'autonomie raisonnable que nous envisageons d'accorder aux établissements scolaires, dans le cadre fixé par le Président de la République et la Première ministre.

M. Jacques Grosperrin. - C'est un honneur et un plaisir de vous recevoir. Vous êtes ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Cette nomination vous confère une responsabilité éminente dans la République : celle de l'émancipation par le savoir.

La Première ministre a indiqué qu'elle n'imaginait pas la République sans le Sénat. Nous ne l'envisageons pas non plus ! Elle a appelé à s'inspirer de l'expérience des sénateurs, voix des élus locaux et des territoires. Elle a évoqué dans le même temps la refondation de l'école, dont nous entendons parler depuis 2013, ce qui n'est pas rassurant.

Vous ne serez pas étonné que nos questions exigent de votre part rigueur et précision dans les réponses, conditions indispensables au dialogue et à la construction de la confiance.

Nos inquiétudes sur la situation de l'école dans notre pays sont multiples. Vous ne vous êtes pas exprimé sur les polémiques liées à certaines de vos déclarations passées : « l'universalisme chauvin d'hommes blancs hétérosexuels », « être français, c'est encore être blanc, être non-blanc, c'est être ailleurs ». Or ces propos ont toujours été approuvés et utilisés par tous ceux qui considèrent qu'il existe un racisme d'État en France. Comme vous le savez, l'une des cibles préférées des idéologues de la race est l'école, accusée d'être le lieu où se construirait un racisme structurel ou systémique.

Excellent historien et professeur de grande qualité, vous êtes donc confronté à un dilemme : vous risquez de perdre votre crédibilité universitaire si vous reniez vos travaux, mais vous êtes, dans le même temps, ministre de l'éducation nationale pour l'ensemble de la Nation française. Votre pilotage sera-t-il la conséquence directe et mécanique de vos travaux de recherche ?

Monsieur le ministre, le Sénat vous donne aujourd'hui l'occasion de vous exprimer plus clairement. Votre accession à ce ministère est considérée par beaucoup comme une rupture avec l'esprit laïc et républicain qu'incarnait votre prédécesseur. Votre autre prédécesseur à la présidence de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, M. Stora, exprime ainsi la question : « Vos propos flirtant avec l'indigénisme ne sont pas compatibles avec l'éloge de la République qui a été le vôtre durant la passation de pouvoirs ». Vous allez devoir choisir. Vous êtes un symbole, mais on ne dirige pas l'éducation nationale à coups de symboles ni par contraste avec Jean-Michel Blanquer. Nul ne veut imaginer un calendrier idéologique caché, mais sortez du silence et d'une prudence qui desservent d'ores et déjà l'action publique à mener !

D'autres questions doivent vous être adressées, puisque vous êtes aux commandes désormais. Quelle est votre feuille de route ? S'inscrit-elle dans la continuité ou la rupture ? Votre pilotage sera-t-il la conséquence mécanique de vos travaux de recherche ? Quels sont vos moyens et vos marges de manoeuvre ?

À l'issue des concours pour la rentrée 2022, plus de 4 000 postes sur un total de plus de 27 000 n'ont pas été pourvus. Cette situation de crise accentue le recrutement de contractuels. Vous avez suggéré de remplacer les professeurs par des personnes qui seraient réquisitionnées à cet effet. Attention à l'effet Allègre ! Il vous faut reconquérir le coeur des enseignants, qui manifestent à tout le moins un malaise professionnel. Monsieur le ministre, y aura-t-il bien un enseignant devant chaque classe en septembre ? En prenez-vous l'engagement ?

Vous avez indiqué par ailleurs que la hausse indispensable des rémunérations pourrait se faire en deux temps, renvoyant les précisions relatives aux montants à l'examen du budget par le Parlement. Quels sont les objectifs budgétaires de votre ministère ? Sont-ils liés à la volonté du Président de la République de mettre en concurrence les établissements ? Affirmer que l'attractivité du métier d'enseignant est un problème européen n'est pas une réponse adaptée aux interrogations qui pèsent sur votre ministère.

Enfin, nos classements internationaux devenus indigents - vous l'avez dit - démontrent un déclassement qui rejaillit sur les enseignants eux-mêmes, statutairement et socialement. Laissons du temps aux politiques qui ont été menées précédemment ! La revalorisation passe nécessairement par l'affirmation de l'autorité et par la discipline au sein de l'école.

D'autres questions pourront être soulevées par mes collègues sur la réforme du lycée, le rattachement du lycée professionnel, l'école élémentaire, la priorité donnée aux fondamentaux, l'apprentissage du codage numérique ou encore sur la place du conseil scientifique.

Le Sénat sera à vos côtés pour travailler à des solutions, mais cette volonté nécessite des contreparties : balayer les préalables et poser les conditions de l'efficacité de l'école républicaine. Les enjeux sont cruciaux pour nos enfants. Vos prédécesseurs, Jean-Michel Blanquer ou Vincent Peillon, en 2012, avaient été préparés à occuper ce poste. Leurs priorités avaient été clairement affichées. On ne peut s'en remettre au pragmatisme et à une navigation à vue. Quelles sont vos priorités ? Il faut du temps pour voir les résultats.

Vous avez compris notre demande, monsieur le ministre : exprimez-vous et rassurez-nous !

M. Jacques-Bernard Magner. - Monsieur le ministre, bien qu'étant également ministre de la jeunesse, vous n'avez pas évoqué, dans votre préambule, les dossiers concernant la jeunesse.

Comme vous le savez, 110 millions d'euros sont prévus en 2022 pour permettre à 50 000 jeunes, pour l'instant tous volontaires, d'effectuer leur service national universel (SNU). Pensez-vous que cette prévision budgétaire pourra être réalisée, alors qu'elle ne l'a jamais été jusqu'à présent ? Que pensez-vous de ce dispositif auquel ne croit plus, semble-t-il, que le seul Président de la République ? La généralisation du SNU vous semble-t-elle possible ? Compte tenu des difficultés à trouver des volontaires, pensez-vous encore réaliste d'envoyer 750 000 à 800 000 jeunes en service national universel obligatoire pour un coût de près de 2 milliards d'euros ? Et que pensez-vous de l'originalité de la codirection avec le ministère de la défense ?

Mon deuxième point porte sur les colonies de vacances, qui concernent essentiellement les enfants âgés de 6 à 12 ans. Nous constatons depuis de nombreuses années une baisse d'effectifs considérable. Or il semblerait que rien ne soit fait pour essayer de redonner quelque dynamisme à ce secteur périscolaire et de loisirs certes, mais aussi de citoyenneté. Il est tout de même plus intéressant, de ce point de vue, de rassembler des enfants âgés de 9 à 12 ans plutôt que d'attendre qu'ils aient 15 à 17 ans dans le cadre du service national universel.

Que prévoyez-vous d'initier pour combattre la désaffection des familles et des enfants et pour renforcer les moyens d'encadrement, compte tenu des difficultés rencontrées pour former de jeunes animateurs ? Ne disposons-nous que d'encadrants destinés au service national universel, un dispositif coûteux et qui ne me paraît pas être une très bonne solution ?

M. Pap Ndiaye, ministre. - Monsieur le sénateur Grosperrin, si ce n'est déjà fait - je conçois que vous n'en ayez peut-être pas le temps - je vous invite à lire mes ouvrages. Il est important de se plonger dans la réflexion et de ne pas simplement extraire des citations ou des notions que j'ai vu circuler ici et là et que, pour certaines, je rejette. Par exemple, je n'utilise pas la notion de « racisme d'État » ; je l'ai même combattue et donné une interview dans Le Monde afin d'expliquer qu'il n'y avait pas, en France, de racisme d'État.

De la même manière, la notion d'« universalisme chauvin » fait référence à des situations passées de l'empire colonial, lorsque la IIIe République se réclamait d'un universalisme limité, car n'accordant pas les mêmes droits à tout le monde. Vous voyez que, en regardant de près les situations historiques ou en contextualisant mes propos, on retrouve des observations qui sont d'ailleurs relativement admises par le monde de la recherche universitaire.

Croyez bien que je suis un esprit et un citoyen parfaitement laïc et républicain. J'ai déjà eu l'occasion de dire à quel point j'étais moi-même un enfant de la République, que je devais à peu près tout, au fond, à l'école publique, qui m'a élevé d'un échelon à l'autre. Je suis aussi de celles et ceux qui estiment que lutter contre les différentes formes de discrimination, contre le racisme, l'antisémitisme ou la haine anti-LGBT n'affaiblit pas la République, mais la renforce. Au contraire, c'est une manière d'exprimer concrètement son attachement aux valeurs qui sont les nôtres, celles de liberté, d'égalité, de fraternité et de laïcité, j'insiste sur ce point.

Tous mes travaux de recherche témoignent au fond, au-delà de ma personne, de mon attachement à une République fidèle à ses valeurs, celles des droits humains, et à une République qui, non contente d'inscrire ces déclarations magnifiques au frontispice de ses bâtiments, les met en oeuvre. En tant que ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, je ne suis pas simplement attaché à la lettre, mais aussi à la mise en oeuvre des politiques de justice visant à combattre les assignations de naissance. Monsieur le sénateur, je puis vous assurer qu'il existe une forme de continuité entre ce sur quoi j'ai travaillé et ce sur quoi je travaille aujourd'hui. Cette continuité est mon attachement aux valeurs de la République et à la lutte contre toutes les formes d'injustice.

Vous me demandez ensuite si j'entends mener une politique de continuité ou de rupture. J'ai eu l'occasion de dire que je ne voyais pas les choses de cette manière au sens où, fort heureusement, j'espère échapper à une vision simpliste, qui serait celle du virage à 180 degrés ou de la continuité parfaite. J'ai souligné les éléments saillants de continuité avec la politique de mon prédécesseur. La poursuite des savoirs fondamentaux, l'accent mis sur le français et les mathématiques, le dédoublement des classes, la réforme des lycées, Parcoursup, etc., tout cela me semble bel et bon. Parallèlement et heureusement - sinon mon prédécesseur serait devant vous -, des points d'inflexion existent, j'en ai cité quelques-uns.

En ce qui concerne les conditions de la prochaine rentrée, notre objectif est bien qu'il y ait un enseignant devant chaque classe. Je reconnais que nous rencontrons des difficultés de recrutement. Elles sont anciennes, mais ont été accrues par des éléments conjoncturels comme le passage du recrutement du M1 au M2. C'est la raison pour laquelle nous menons une politique de recrutement d'enseignants contractuels. Ces derniers ne sont pas recrutés, comme j'ai pu le lire, en trente minutes, mais sont recrutés au terme d'une procédure de plusieurs mois. Des contrats d'enseignants contractuels qui s'acquittent bien de leur tâche sont prolongés afin de les fidéliser. Les candidats bénéficient en outre de formations, d'un suivi et d'un mentorat. La situation n'est certes pas idéale et nous devons par ailleurs réfléchir structurellement à la question des rémunérations.

Je vous rejoins également sur l'importance des classements internationaux. J'aurais dû mentionner dans mon intervention liminaire la politique d'évaluation, qui va de pair avec l'ambition de mieux figurer dans ces classements.

Monsieur le sénateur Magner, peut-être la nouvelle secrétaire d'État à la jeunesse et au service national universel, Sarah El Haïry, viendra-t-elle développer les deux points que vous évoquez et qui lui sont échus, mais je vous réponds très volontiers. Le budget du SNU, qui s'élève à 40 millions d'euros cette année, restera vraisemblablement inchangé. Ce dispositif a rassemblé 40 000 jeunes cette année et cette progression sera encore confirmée dans les années à venir. Il est vrai que nous rencontrons néanmoins des difficultés d'organisation auxquelles nous devrons remédier.

En ce qui concerne la co-organisation avec le ministère de la défense, je souligne que les armées participent déjà au SNU. Les délégués militaires départementaux sont très actifs - j'ai pu le constater en Dordogne il y a quelques jours - dans l'organisation des séjours et vous connaissez les capacités logistiques et d'organisation des armées. Ce double rattachement du secrétariat d'État de Sarah El Haïry est une forme de confirmation institutionnelle qui va faciliter la transversalité entre les ministères concernés. Il ne faut pas y voir à mon sens une quelconque militarisation. Il n'est pas question d'apprendre à manier les armes ou quoi que ce soit de ce genre. Les activités proposées, qui d'ailleurs - j'ai pu le constater moi-même - satisfont les jeunes, n'ont rien de militaire.

Vous avez enfin soulevé la difficulté - c'est pour nous un point de vigilance important - à recruter des encadrants pour les séjours en colonies de vacances. Cette difficulté ne vous surprendra pas, tant elle est devenue courante dans de très nombreux domaines professionnels. Le SNU est cependant moins concerné que d'autres dispositifs estivaux dans la mesure où ce dernier fait appel à des encadrants détachés de corps en uniforme - douaniers, sapeurs-pompiers - ou à d'autres fonctionnaires.

Si nous observons cette année un regain d'intérêt de la part des familles et des enfants à l'égard des colonies de vacances, nous nous heurtons toujours à ce problème d'encadrement. Nous devons y réfléchir, de même qu'au recrutement et aux rémunérations des enseignants.

M. Max Brisson. - Monsieur le ministre, vous avez plusieurs fois évoqué votre « prédécesseur ». Vous parliez donc bien de Jean-Michel Blanquer, dont semble-t-il, vous avez du mal à prononcer le nom. Vous avez dit vous situer dans la continuité de ce dernier - la personne qui est à vos côtés symbolise d'ailleurs cette continuité -, mais vous avez également souhaité vous inscrire dans une évolution, dont témoignent un certain nombre de vos propos.

Sachez, monsieur le ministre, qu'au Sénat nous nous prononçons sur les actes et sur les décisions, sans a priori. C'est bien ainsi qu'au nom du groupe Les Républicains je vous poserai une série de questions sur quatre sujets.

Premièrement, quid de l'autonomie des établissements ? Dans la campagne de premier tour de l'élection présidentielle, le président-candidat Macron a proposé de donner plus d'autonomie aux écoles, aux établissements et aux équipes éducatives. Comment comptez-vous mettre en oeuvre cet engagement ? L'autonomie sera-t-elle générale ou prendra-t-elle la forme de l'expérimentation dans des établissements particuliers ? Quelles modalités de concertation avec les communautés éducatives entendez-vous mettre en oeuvre pour éviter les blocages ? Aurez-vous besoin du support de la loi ou vous contenterez-vous d'user du domaine réglementaire ? Comment régler la question des écoles primaires, élémentaires et maternelles, qui n'ont pas la personnalité morale pour vivre véritablement l'autonomie ?

En marge de ce sujet, quel regard portez-vous sur les apports de la loi Rilhac sur l'autorité fonctionnelle des directeurs ? Quel sens précis donnez-vous à ce concept ? Ne serait-il pas plus simple de basculer vers l'autorité hiérarchique ?

Deuxièmement, sur les savoirs fondamentaux, dont vous avez parlé, tous s'accordent sur l'importance de leur pleine maîtrise, mais force est de constater la dégradation de celle-ci, notamment en mathématiques et en français. Votre prédécesseur a répondu en affectant plus de moyens en maternelle et en primaire, ainsi qu'en zone prioritaire avec le dédoublement des classes, pour des résultats mitigés selon la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP). Vous semblez vouloir poursuivre dans cette voie, mais la réponse ne passerait-elle pas par une réflexion sur les finalités de l'école maternelle et sur la formation de ses professeurs, grande absente de la période précédente ?

Troisièmement, ne serait-il pas temps de renouveler le partenariat entre l'éducation nationale et les collectivités locales ? Ne serait-il pas temps, au-delà de l'expérimentation envisagée, de donner une autorité hiérarchique des présidents des départements et des régions sur les gestionnaires des établissements ? Quel est votre point de vue sur le transfert au département de la médecine scolaire afin de créer un véritable bloc de santé scolaire ?

Quatrièmement, sur les professeurs, le rapport d'information établissant le bilan des mesures éducatives du quinquennat, que j'ai rédigé avec Annick Billon et Marie-Pierre Monier, montre la dégradation de leur niveau de rémunération par rapport aux autres pays européens. Comment entendez-vous y remédier, selon quelle trajectoire et quelles modalités ? Quelles sont les missions nouvelles annoncées par le Président de la République comme source de revalorisation ? Quels moyens utiliserez-vous pour mettre un terme au « bizutage institutionnel » des jeunes professeurs, nommés dans les territoires les plus difficiles ? Envisagez-vous un dispositif de contractualisation pour envoyer les professeurs les plus chevronnés dans les territoires aux besoins éducatifs les plus forts ? Pensez-vous qu'une formation dispensée dans les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé) est à la hauteur des enjeux de certains territoires pour défendre les valeurs de la République ? Comment réussir à les réarmer intellectuellement pour faire face aux dangers menaçant la République ?

Comment repenser l'éducation prioritaire ? Faut-il revoir les zonages, donner la main aux recteurs ? Ne serait-il pas utile de mieux y associer les collectivités territoriales ?

Comment revenir sur la précarisation des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) ?

Enfin, les jardins d'enfants doivent disparaître prochainement. Qu'en pensez-vous et seriez-vous prêt à modifier la loi pour empêcher cette disparition ?

Vous voyez qu'au Sénat, monsieur le ministre, nous attendons des actes, et c'est sur ces actes que nous vous proposons de travailler.

Mme Annick Billon. - Monsieur le ministre, je souhaite avant tout vous féliciter pour votre nomination.

Nous avons en effet travaillé sur le bilan des mesures éducatives du quinquennat, Max Brisson, Marie-Pierre Monier et moi-même. Seuls 4 % des professeurs considèrent que leur métier est valorisé, et moins d'un Français sur deux considère que l'institution scolaire est efficace dans la transmission des savoirs fondamentaux. Comment comptez-vous agir ? Avez-vous regardé nos 36 propositions et comptez-vous en retenir certaines ?

Ensuite, j'avais posé une question écrite, restée sans réponse, sur la féminisation des filières scientifiques et techniques - je mentionne la communication d'Alexandra Borchio Fontimp sur ce sujet. Les chiffres sont en baisse depuis 2019. En particulier, après la réforme du lycée, la part des filles inscrites dans la spécialité mathématiques en terminale a chuté de 10 points. En 2021, elles n'y représentent ainsi que 38,6 % des effectifs. Puisque vous avez annoncé ne pas toucher à certains totems comme Parcoursup ou la réforme du baccalauréat, comment comptez-vous inverser cette tendance inquiétante ?

Trop peu a été fait pour les AESH, tant sur l'organisation et sur la rémunération du travail que sur l'attractivité du métier. Que ferez-vous à ce sujet ?

Par ailleurs, depuis six mois, dans le cadre de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, nous travaillons avec Alexandra Borchio Fontimp et deux autres collègues sur la pornographie. Au-delà du défi d'empêcher les mineurs d'accéder à ces images, il y a celui de la loi dans le domaine de l'éducation à la sexualité, qui est encore trop peu et mal appliquée. Comment mettrez-vous en oeuvre les trois séances obligatoires, alors que les jeunes générations ont les images pornographiques pour seule référence ? En effet, 80 % des mineurs de 12 ans y ont été exposés, de manière volontaire ou involontaire. Nous avons d'ailleurs constaté, en déplacement dans un collège, que cela a des conséquences désastreuses : des médecins scolaires sont interpellés par des adolescents après la reproduction par de jeunes garçons, avec leur petite amie, d'actes sexuels souvent barbares et d'une grande violence.

Enfin, votre prédécesseur avait une doctrine sur la fermeture des classes et des écoles : quelle sera la vôtre alors que nous sommes soumis à la nouvelle carte scolaire tous les ans ? Les directeurs académiques des services de l'éducation nationale (Dasen), dans nos départements, ont une tâche difficile. Élue de la Vendée, je suis particulièrement sensible à la question du maintien des classes dans les communes.

Mme Marie-Pierre Monier. - Dans moins de six mois, nous examinerons le projet de loi de finances (PLF)pour 2023. Au cours du quinquennat précédent, les politiques engagées, notamment le dédoublement des classes en REP et REP+, étaient financées par le redéploiement de moyens déjà existants, avec par exemple 7 500 suppressions de postes dans le secondaire de 2018 à 2021, alors que le précédent PLF a acté la création de zéro poste dans le primaire et dans le secondaire. Dans un contexte budgétaire contraint, comment financerez-vous les revalorisations annoncées, estimées à 6 milliards d'euros, ou encore la généralisation des écoles du futur, pour 2 milliards d'euros, alors que le budget précédent était de 70,7 milliards d'euros ? Avez-vous déjà commencé à plaider la cause du budget de l'éducation nationale auprès des ministres du budget, voire du Président de la République ? Cela se fera-t-il de nouveau à moyens constants, au détriment par exemple de postes ?

Qu'en est-il de la mission promise par le ministre précédent pour faire l'état des lieux des cours sur la sexualité ?

Jacques Grosperrin l'a mentionné : 4 000 postes n'ont pas été pourvus sur 27 323 ouverts en 2022. C'est l'avenir même de l'école qui est en jeu et la question de la rémunération se pose. Vous parlez d'aides pour les nouveaux enseignants : qu'en est-il pour ceux qui sont en milieu ou en fin de carrière ?

Au-delà de la revalorisation, il reste une attractivité à trouver. Je vais reprendre deux sujets développés dans le rapport mentionné par Annick Billon et Max Brisson. Tout d'abord, il y a le problème récurrent de la prise en compte de la parole de l'enseignant, trop souvent dévalorisée et insuffisamment accompagnée par le chef d'établissement ou par la hiérarchie académique. Nous préconisons la défense systématique par la hiérarchie lors de toute remise en cause de l'autorité de l'enseignant. Est-ce bien votre point de vue et comment le mettrez-vous en oeuvre ?

Sur la formation des professeurs, initiale et continue, quelles sont les pistes à l'étude ? Nous proposions par exemple la labellisation de parcours préparant au métier d'enseignant.

Ensuite, vous avez mentionné la généralisation de l'école du futur, avec des consultations à l'automne. Quels retours avez-vous sur l'avancée de l'expérimentation, en particulier sur le nombre de recrutements prévus et concernant la tenue des classes ? Les critères de recrutement seront-ils propres à chaque équipe locale ou globaux ?

Enfin, on m'a parlé hier d'une aide-soignante recrutée pour dispenser des cours de mathématiques en sixième, son niveau d'étude semblant suffisant. J'espère que vous êtes vigilant sur la question des qualifications attendues.

Mme Céline Brulin. - Je reviens moi aussi sur la grave crise de recrutement que nous connaissons. En écho à ce qu'a dit Marie-Pierre Monier, nous sommes plus inquiets que vous ne semblez l'être. Il faut bien sûr prendre des mesures d'urgence pour assurer un enseignant pour chaque classe à la rentrée, mais en restant vigilant sur leur niveau de compétence.

De plus, répondre à la pénurie se fait dans la durée. Pourquoi ne pas réfléchir à un prérecrutement, avec la formation de contractuels ?

Il semblerait que la revalorisation des rémunérations serait liée à de nouvelles tâches et orientations du métier. En particulier, vous avez mentionné l'appétence des professeurs pour l'innovation. Pourriez-vous donner des précisions sur ce point ?

Le manque de postes est en partie lié au dédoublement des classes en REP et en REP+ - le président Lafon a rappelé le chiffre de 12 200. Or tous les départements n'ont pas rempli leurs objectifs : par exemple, en Seine-Maritime, dont je suis élue, les grandes sections ne sont pas toutes dédoublées et toutes les classes ne sont pas à 24 élèves.

Quel regard portez-vous sur l'école en milieu rural ? Beaucoup de maires sont attachés à la présence de l'école de la République dans leur commune, alors que je constate les velléités de certains services académiques d'avoir une école unique allant du CP au CM2. Quel est votre regard sur cette question ?

Ensuite, pourquoi acceptez-vous que l'enseignement professionnel soit à moitié sorti de votre ministère ? Ne considérez-vous pas qu'il soit nécessaire de former nos futurs citoyens assurément à des métiers d'avenir, mais aussi en tant que citoyens, avec un niveau de qualification suffisant pour leur donner les capacités pour changer de carrière ?

Enfin, quelles mesures prendrez-vous pour répondre à la détresse des AESH, particulièrement sur leur manque de formation et sur leur rémunération indécente ?

M. Thomas Dossus. - Je vous félicite à mon tour pour votre nomination. Contrairement à d'autres, j'attendais une rupture avec les années marquées par votre prédécesseur Jean-Michel Blanquer. J'espère que vous serez moins obsédé par les lubies de mes collègues de droite sur le wokisme et sur l'islamogauchisme, et que vous vous pencherez sur des problématiques plus sérieuses comme l'environnement.

Une première inflexion est que vous avez déjà annoncé aux syndicats les protocoles sanitaires bien en amont de la rentrée prochaine : cela nous change de le faire la veille depuis un lieu exotique.

Vous arrivez cependant dans une période de défiance des équipes pédagogiques vis-à-vis de votre ministère, qui s'explique par le décalage entre la parole de Jean-Michel Blanquer et les réalités du terrain. Sur les AESH, celui-ci faisait preuve d'une forme d'autosatisfaction avec des milliers de recrutements, alors que leur précarité pesait tellement sur leur travail que même les parents s'en plaignaient, et s'en plaignent toujours d'ailleurs. Que ferez-vous à ce sujet ?

Quelle sera la mise en oeuvre de l'école du futur, en particulier de l'autonomie raisonnable ? En filigrane de cette autonomie raisonnable, on peut craindre une rupture de l'égalité républicaine : quelles sont les garanties pour que ce ne soit pas le cas ?

Enfin, sur les langues régionales, la France a été interpellée par l'ONU, notamment à la suite de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, présentée par Paul Molac. Quel est votre point de vue sur ce sujet et comment comptez-vous améliorer l'enseignement de ces langues ?

M. Max Brisson. - C'est une excellente question !

M. Bernard Fialaire. - De la même manière que Mme la Première ministre ne conçoit pas la République sans le Sénat, le groupe RDSE ne conçoit pas la République sans l'éducation nationale ! Seule l'éducation nationale peut assurer l'égalité des chances. Les ressources humaines sont une richesse pour un pays et ne pas investir dans l'éducation nationale serait une faute pour la société.

Durant sa campagne, le Président de la République a parlé de mettre tous les acteurs concernés autour de la table. Dans ce cadre, nous devons mettre l'enfant, c'est-à-dire l'humain, au centre des trois vies dans lesquelles il évolue : l'école, la rue et la famille. Le cloisonnement entre ces mondes est préjudiciable à l'épanouissement des enfants. Pour éviter ce cloisonnement, il faut associer les collectivités locales - je vous rappelle, monsieur le ministre, que la manière dont le périscolaire a été transféré aux communes a été très mal vécue -, donner des moyens et mettre de la cohérence dans les règles entre les différents acteurs de terrain.

La santé scolaire est moins liée à une dimension sanitaire qu'à une dimension sociale. Or les conseils départementaux ont déjà la compétence de la protection maternelle et infantile. Je crois que nous devons simplifier notre système et définir un chef de file sur cette question.

De la même manière, les conseils régionaux peuvent s'occuper de questions liées à l'orientation.

Tous ces sujets demandent une coopération entre différents acteurs. Or, dans le cadre d'une mission d'information que nous menons actuellement sur la délinquance des mineurs, nous avons constaté les grandes difficultés et la lourdeur qu'il y a à mener des coopérations avec l'éducation nationale. De manière symptomatique, l'utilisation caricaturale d'acronymes et de sigles par votre ministère serait drôle, si les sujets de fond n'étaient pas graves.

On attend de l'école primaire qu'elle apporte les savoirs fondamentaux - lire, écrire, compter. Nous avons constaté, lors de nos auditions, que les enfants gardaient souvent un mauvais souvenir du collège ; c'est peut-être lié à cette période de la vie, l'adolescence, mais il faut faire attention à la prise en charge des enfants à cet âge pour que cette période de la vie soit plus radieuse. Enfin, il existe des initiatives très intéressantes dans nombre de lycées - par exemple, une prise en charge sur quatre ans dans mon département pour certains lycéens pour les accompagner vers un CAP, BEP ou le baccalauréat -, mais elles viennent rarement de l'éducation nationale...

Dans le cadre d'un travail mené au sein de la délégation à la prospective, on nous a proposé l'idée d'organiser une année de propédeutique à la fin de la scolarité. Je ne suis pas certain qu'il faille rajouter une telle année qui serait une forme de pansement ; il vaudrait mieux revoir, le cas échéant, les programmes scolaires.

Mme Samantha Cazebonne. - Le réseau d'enseignement français à l'étranger compte 566 établissements à travers le monde scolarisant 380 000 élèves et il y a aujourd'hui 80 écoles homologuées de plus qu'en 2017. Ce réseau est un formidable outil d'influence, mais il est aussi le principal sujet de préoccupation des familles françaises qui partent s'installer à l'étranger.

Si plusieurs avancées ont été obtenues lors du quinquennat précédent, il reste encore beaucoup à faire pour atteindre, à l'horizon 2030, les objectifs fixés par le Président de la République : doubler les effectifs de ce réseau et garantir aux familles, aux élèves et aux équipes pédagogiques le maintien de la qualité qu'ils sont en droit d'attendre.

Garantir cette qualité relève en partie des ressources de votre ministère : la formation des personnels, la mise à disposition des titulaires en détachement, le retour de l'étranger de ces personnels et la valorisation de leur expérience - elle est encore trop peu considérée, alors qu'elle est très utile pour l'éducation nationale.

Après de nombreuses alertes, j'ai obtenu qu'une réunion se tienne au Quai d'Orsay, dont dépend l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger. Elle a eu lieu fin mai et a réuni le secrétaire général du Quai et un grand nombre des acteurs et opérateurs de ce réseau, dont des représentants de votre ministère. À l'issue de cette concertation, le ministère de l'éducation nationale et le ministère des affaires étrangères, les deux ministères de tutelle, ont annoncé qu'ils ouvriraient, dès la rentrée, une grande consultation mettant sur la table, de manière sincère, les nombreux points urgents et incontournables à traiter. Sans cela, nous risquons de devoir revoir les ambitions du Président de la République à la baisse. Plus regrettable encore, nous risquons de dévaluer ce modèle qui aujourd'hui fait notre fierté - c'est l'ancien proviseur, jusqu'en 2017, qui vous parle, ainsi que le parent d'élève, que je suis encore, au sein de ce réseau.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous dire si votre ministère sera plus que jamais aux côtés de l'enseignement français à l'étranger ?

M. Pap Ndiaye, ministre. - Voilà beaucoup de questions ! Je ne suis pas certain d'y répondre en totalité, vous m'en excuserez.

Les questions qui concernent le métier de professeur me touchent particulièrement, puisque j'en suis un moi-même.

En ce qui concerne les rémunérations, nous travaillons sur un socle de hausse sans condition pour tous les enseignants et sur une autre hausse qui serait conditionnée. Chacun sait bien qu'il est particulièrement difficile de recruter à bac+5 avec un traitement de 1 800 euros dans un marché de l'emploi tendu ; nous devons répondre à ce problème d'attractivité.

C'est un aspect important, mais ce n'est pas le seul. Nous devons aussi travailler sur les déroulements de carrière. Les « trajectoires » des enseignants ne sont plus aussi linéaires qu'avant : certains entrent tard dans le métier, d'autres en partent avant la retraite pour se reconvertir. Nous devons donc réfléchir à la manière d'accompagner ces itinéraires plus variés.

La question du milieu de carrière se pose aussi de manière spécifique, parce que la rémunération des enseignants connaît alors un palier durant douze ou quinze ans. Ce n'est que dans les dernières années que leur rémunération recommence à augmenter.

Nous devons nous intéresser également au statut. Je suis estomaqué du fait que certains parents d'élèves s'adressent de manière déplorable aux enseignants et qu'ils aient parfois des gestes violents. Nous devons être attentifs à cette évolution et valoriser le statut des enseignants.

Vous le savez, la fermeture des écoles rurales est soumise à l'accord du maire, mais pas la fermeture de classes. Nous connaissons actuellement une baisse démographique : il y aura 67 000 élèves en moins à la rentrée prochaine. Mais nous ne répercutons qu'environ la moitié de la baisse démographique, ce qui signifie que le ministère prend en charge, d'une certaine façon, la moitié de cette baisse et que nous améliorons le ratio élèves / professeur.

Nous devons tout de même procéder à des fermetures, mais nous prenons en compte les situations locales, parce que l'école est parfois le dernier service public présent. Ainsi, il arrive que nous maintenions une classe, alors même que l'application stricte des critères devrait conduire à la fermer. Nous faisons preuve de souplesse dans la manière dont nous apprécions les choses. Je sais que les parlementaires saisissent régulièrement le ministre de telles situations locales.

En ce qui concerne les écoles maternelles, j'ai annoncé un plan qui leur est dédié à l'occasion du congrès national des enseignants des écoles et classes maternelles publiques qui s'est tenu à Périgueux début juillet. Il y a une vitalité pédagogique remarquable dans ces écoles. Nous devrons notamment engager une réflexion sur les petite et moyenne sections.

L'éducation à la sexualité est essentielle à mes yeux, tant pour l'épanouissement personnel que pour la prévention des violences sexuelles et sexistes. J'ai d'ailleurs mentionné ce sujet dans la circulaire de rentrée et nous allons avancer sur cette question. Un rapport a été écrit en 2001, mais, à ma connaissance, il n'a pas été publié.

Au sujet de l'école du futur, les projets de 59 écoles marseillaises ont été sélectionnés ; ces écoles reçoivent un soutien financier pour mettre en oeuvre ces projets. Le Président de la République a visité, le 2 juin dernier, l'une d'entre elles qui met en place un laboratoire de mathématiques dans une perspective collective : les mathématiques y sont enseignées de manière beaucoup plus pratique et ludique et de façon moins abstraite ou théorique. La France réussit très bien à former une élite dans cette discipline, mais nous devons nous inspirer des expériences d'autres pays pour améliorer le niveau moyen.

De manière plus générale, les expériences étrangères nous montrent que nous devons avoir une approche plus pratique de l'enseignement. C'est d'ailleurs ce que disaient Cédric Villani et Charles Torossian dans leur rapport sur l'enseignement des mathématiques. Il ne s'agit donc pas d'ajouter de nouvelles heures de cours sans réfléchir à la pédagogie. Vous le savez, le niveau moyen des élèves français en mathématiques est préoccupant, alors même que nous sommes là dans les savoirs qui sont nécessaires dans la vie courante.

Pour revenir à l'école du futur, elle démarre à Marseille et nous voulons la généraliser, mais il ne s'agit pas d'étendre brutalement l'expérimentation à toutes les écoles de France. Nous voulons monter en puissance avec les établissements qui sont partants pour construire un projet pédagogique mettant en valeur le travail collectif - cela peut d'ailleurs concerner des projets existants.

Nous voulons améliorer les conditions d'enseignement et les résultats des élèves. C'est pourquoi ces projets s'accompagnent d'une évaluation. Il ne s'agit pas de classer les établissements ou de faire jouer une quelconque concurrence ; il s'agit de mesurer la progression des élèves. J'insiste sur l'importance de ces évaluations : elles ont pour but d'affiner et d'adapter les politiques éducatives. Nous souhaitons d'ailleurs développer ces évaluations, tout en faisant attention de ne pas entrer dans une logique de classement.

L'école du futur est donc une opportunité. Différentes questions juridiques doivent en effet être réglées, par exemple en ce qui concerne la personnalité morale des écoles primaires. En revanche, je ne crois pas que nous devions remettre en cause à ce stade l'autorité fonctionnelle des directeurs.

Je veux insister sur l'importance de la concertation avec l'ensemble des acteurs de la communauté éducative - les enseignants, les parents d'élèves, les élus locaux, etc. Les évolutions ne doivent pas « tomber » de la rue de Grenelle, la verticalité ne pouvant qu'entraîner des résistances, parfois légitimes. Nous devons solliciter l'intelligence collective, en nous appuyant notamment sur les collectivités locales et sur ce qui fonctionne de manière tout à fait passionnante à Marseille.

Le nombre d'élèves ayant des besoins particuliers inclus dans le système scolaire est passé de 300 000 à 400 000. Le nombre d'AESH a lui aussi augmenté, pour atteindre environ 120 000, ce qui n'est pas sans poser des difficultés budgétaires. J'ai récemment échangé avec Mme Darrieusecq et M. Combe sur ce point.

Nous devons réfléchir à la meilleure manière de répondre aux besoins particuliers de ces élèves, ce qui ne passe pas nécessairement par des AESH. Parallèlement, nous travaillons à la CDIsation des AESH, à l'extension de leur nombre d'heures travaillées, pour porter celui-ci de 24 à 35 heures hebdomadaires comme l'a proposé le Président de la République, et à la sécurisation de la trajectoire budgétaire qui en découlera, puisque le coût des AESH, actuellement de l'ordre de 2,3 milliards d'euros par an, ne cesse de croître.

Je tiens à vous rassurer, l'enseignement professionnel reste bien dans le giron du ministère de l'éducation nationale. La ministre déléguée Carole Grandjean est « à cheval » sur mon ministère et celui du travail. Cette transversalité vise à favoriser l'insertion des jeunes dans le monde du travail, mais le ministère de l'éducation nationale garde la main sur tout ce qui relève de l'enseignement professionnel, des savoirs fondamentaux et de la citoyenneté.

La rénovation, notamment énergétique, des bâtiments scolaires, ne peut se faire qu'en concertation avec les mairies, les départements et les régions. Les représentants des collectivités que j'ai rencontrés m'ont d'ailleurs indiqué leur volonté de travailler en concertation avec le ministère.

J'ai été alerté sur la question des jardins d'enfants par plusieurs élus et plusieurs membres du Gouvernement. Nous devons trouver une solution juridique pour faire en sorte qu'ils puissent continuer à accueillir des enfants.

J'en viens à l'enseignement de nos 17 langues régionales - après l'ajout de l'enseignement de 5 langues régionales -, qui concerne 520 000 élèves. Nous avons entendu l'interpellation, républicaine mais vigoureuse, formulée à Bayonne quant aux épreuves du brevet. J'ai indiqué qu'il fallait prendre le temps d'échanger. Je n'ai pas de difficultés de principe avec les langues régionales. Je suis sensible aux questions de bilinguisme et d'expression linguistique. Il faut trouver le bon équilibre.

Enfin, si les lycées français à l'étranger relèvent d'abord du ministère des affaires étrangères, mon ministère est chargé de la certification des établissements et du détachement des enseignants. En bonne intelligence avec Mme Catherine Colonna, je serai très attentif à la présence de ces établissements qui participent au rayonnement de la France et de la francophonie.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Monsieur le ministre, vous n'avez pas abordé Parcoursup, sujet ô combien important pour nos bacheliers. Permettez-moi de citer l'exemple de trois d'entre eux : Jonathan a formulé 25 voeux qui ont tous reçu une réponse favorable ; Enguerran, excellent élève au lycée militaire de Saint-Cyr, a vu l'ensemble de ses voeux refusés ; enfin, Lucielle a reçu une réponse favorable au voeu qu'elle a formulé bien qu'elle ait envoyé une recette de cuisine en guise de lettre de motivation pour dénoncer les failles du système.

Depuis ses débuts en 2018, il ne s'est pas passé une année sans que le fonctionnement de Parcoursup n'ait été critiqué. En tant que mère de famille, je note que l'utilisation de ce dispositif est très complexe pour un élève, ce qui pose des problèmes d'égalité des chances.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous expliquer ces défaillances et nous exposer les voies d'amélioration que vous avez identifiées ?

M. Cédric Vial. - Je souhaite aborder le sujet des AESH sous l'angle de l'inclusion des enfants en situation de handicap, car j'estime que nous avons là une bombe à retardement qui risque de s'amorcer dès la rentrée scolaire.

Votre prédécesseur a allumé la mèche en saisissant le Conseil d'État de la question du temps périscolaire, ce qui a abouti à une décision confiant les enfants en situation de handicap aux collectivités locales sur le temps périscolaire, notamment méridien.

Au-delà du caractère discutable d'un tel découpage du temps, cela pose un problème de recrutement. Le Conseil d'État relevait trois possibilités : soit la commune embauche par ses propres moyens, soit elle embauche des personnels de l'éducation nationale au titre du cumul d'emplois, soit elle bénéficie de la mise à disposition de personnels formés par le ministère, charge à la commune de compenser leur rémunération.

Or à ma connaissance, cette troisième solution n'a pas été mise en oeuvre et ce, malgré les consignes données par votre prédécesseur.

Pouvez-vous nous rassurer quant à la possibilité d'activer ces conventions de mise à disposition dès la rentrée scolaire ?

Mon autre question porte sur la jeunesse et la vie associative, qui relevaient de votre prédécesseur mais semblent désormais confiées à une secrétaire d'État rattachée à la Première ministre. Qu'adviendra-t-il de la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative (Djepva) ? Qui en aura la tutelle ? De même, quel est l'objet du transfert d'une partie des compétences relatives au service national universel (SNU) au ministère des armées ?

Mme Sabine Drexler. - Monsieur le ministre, vous présentez le dédoublement des classes dans les secteurs dits prioritaires comme un facteur d'égalité des chances ; or on sait que la majorité des élèves qui rencontrent des difficultés lourdes et persistantes sont scolarisés hors éducation prioritaire, notamment dans la ruralité, dans des secteurs par ailleurs éloignés des structures médico-psycho-pédagogiques.

Les élus constatent l'absence de politique dédiée aux espaces ruraux en matière de prise en charge de la difficulté scolaire et déplorent que ceux-ci soient désavantagés par des mesures reposant sur une perception très urbano-centrée de ces sujets.

Quelles mesures comptez-vous mettre en oeuvre pour accompagner la ruralité ?

M. Olivier Paccaud. - Vous avez évoqué une réflexion sur la carte scolaire, ce que votre prédécesseur avait déjà fait il y a quatre ans. Il faut pourtant se saisir de ce sujet, car 70 % des enfants qui devraient être en zone d'éducation prioritaire ne le sont pas en raison du caractère totalement ubuesque des critères d'éligibilité. Or je remarque que si le nombre de ministres n'a pas changé, le poste de secrétaire d'État à l'éducation prioritaire a disparu...

La question de l'inclusion des élèves présentant des troubles du comportement n'est pas abordée par l'institution. On en vient à se demander s'il ne s'agit pas d'un tabou. Je parle d'enfants qui sont aujourd'hui dans des classes « traditionnelles », faute de place dans les structures adaptées dont ils relèvent. La présence éventuelle d'AVS et d'AESH n'empêche pas l'installation d'une atmosphère particulièrement négative, qui peut conduire certains enseignants au bord de la dépression ou de la démission. J'ai en tête de nombreux exemples d'enseignants chevronnés, insultés à longueur de journée par des élèves de CE2 ou de CM1, et dont la hiérarchie pratique la politique de l'autruche. Nous risquons d'aboutir à des situations tout à fait dramatiques pour les enfants comme pour les enseignants concernés.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - En ce qui concerne les difficultés de recrutement, monsieur le ministre, je relève une légère inflexion dans votre discours : voilà quelques semaines, vous annonciez qu'il y aurait un enseignant à la prochaine rentrée devant chaque porte ; aujourd'hui, vous dites simplement que vous partagez cet objectif... et donc les inquiétudes de notre commission !

L'un des axes de votre ministère est le bien-être des élèves. Il s'agit, selon vous, d'un devoir d'État. À cet égard, deux sujets me tiennent à coeur : le harcèlement et le cyberharcèlement. Il s'agit d'une question essentielle sur laquelle notre commission travaille. Ces problèmes sont encore trop méconnus des différents acteurs et pas toujours pris à bras-le-corps par l'éducation nationale.

On aurait pu croire que l'un des maîtres mots de votre action serait la simplification et la rationalisation. Le rapport de la Cour des comptes paru ce matin montre que l'éducation nationale française est l'une des plus chères d'Europe pour des résultats somme toute décevants. Peut-être faudrait-il redistribuer les ressources au sein du ministère ?

Pourriez-vous nous dire quelques mots de l'action des équipes « valeurs de la République », auxquelles vous tenez particulièrement ?

Je voudrais enfin rebondir sur la remarque quelque peu agressive de notre collègue Thomas Dossus. Il me semble qu'il ne devrait pas y avoir de questions tabou au sein de cette commission. J'aime à croire qu'aucun groupe n'a de « lubie ». Monsieur le ministre, nous sommes là pour mieux vous connaître. Nous savons tous que l'école de la République a pu être traversée par des courants contradictoires, ces dernières années, ces derniers mois, dont la presse s'est fait l'écho. Les questions sociétales et philosophiques qui touchent à l'école sont au coeur de nos préoccupations.

Mme Toine Bourrat. - Je m'associe à mes collègues pour vous adresser, monsieur le ministre, à quelques semaines de la rentrée scolaire, mes meilleurs voeux de réussite.

L'école est notre bien commun le plus précieux. Elle est le terreau de la France de demain. Les questions qui se posent sont nombreuses tant le mal est profond.

Je voudrais tout d'abord revenir sur le climat scolaire, à l'instar de mon collègue Olivier Paccaud. L'autorité est aujourd'hui entre les mains de ceux qui devraient en apprendre les vertus. Tout tend à la démagogie au détriment du cadrage. La liste des interdits frappant le corps enseignant est plus longue que le règlement des écoles. Les enseignants ne disposent plus des moyens nécessaires pour faire respecter les règles et leur autorité. Pire, comme vous l'avez souligné dans votre propos liminaire, les parents s'immiscent dans l'école et contestent régulièrement les décisions et les sanctions prises à l'égard de leurs enfants. Dans ces conditions, comment comptez-vous rétablir l'autorité perdue ?

Ma deuxième question a trait à la crise du savoir et au piètre niveau de nos élèves. Le classement PISA de 2018 place la France dans une situation de médiocrité confondante. Nos élèves n'évoluent pas tous au même rythme. La médiocrité peut en partie s'expliquer par l'uniformisation du parcours : tous les témoignages convergent pour dire que la fin du redoublement est une erreur. Les établissements ne pouvant plus adapter le cursus scolaire au niveau réel de leurs élèves, beaucoup d'enfants se retrouvent en sixième sans maîtriser les fondamentaux ou en terminale avec des difficultés criantes. Quelle est votre position sur le rétablissement du redoublement ?

Un collectif de parents d'élèves d'Île-de-France a engagé un recours contre l'État pour dénoncer l'absence de remplacement d'enseignants pour l'année scolaire qui vient de s'écouler. Quelles sont les pistes précises pour surseoir à ce besoin sans risquer de présenter à la rentrée des contractuels inexpérimentés, susceptibles de partir en cours d'année ?

La question des fermetures de classes en zone rurale est très importante. L'école est bien souvent le coeur battant de nos villages. Une classe, un enseignant sont aussi le socle d'un bassin de vie. Le sort d'une classe peut bouleverser l'équilibre d'une commune. Or nos écoles sont victimes d'un système archaïque qui les emprisonne souvent dans une situation de sursis permanent, d'insécurité chronique : chaque année, les maires sont suspendus à une procédure de révision de la carte scolaire d'octobre à juin. Un nouveau comptage peut même être réalisé le jour de la rentrée scolaire. Les décisions finales reposent donc sur des visions à très court terme, qui ne tiennent pas compte des projets immobiliers des communes ou des logements devant être livrés en cours d'année scolaire.

On constate régulièrement des situations ubuesques avec la fermeture d'une classe pour seulement un ou deux élèves en moins par rapport au barème, avant sa réouverture l'année suivante... Ce type de procédé traduit également un manque de considération pour tous les acteurs concernés - enseignants, parents, élus... Pourquoi ne pas envisager une procédure qui prendrait en compte une vision à plus long terme de la carte scolaire ? La mise en place d'une carte triennale, par exemple, permettrait de mieux ajuster les choses en cas de changement extrême.

Nous avons appris qu'une note du renseignement territorial, révélée début juin dernier, avait fait état d'une hausse des ports de tenue religieuse dans les établissements scolaires. Vous avez décidé de lancer une collecte de données pour faire remonter un certain nombre d'informations et disposer d'une vision synthétique de la situation. Cette note vous donnait pourtant tous les éléments pour agir. Par ailleurs, tous les témoignages émanant des établissements scolaires corroborent ce constat. Pourquoi ne pas vous en tenir à ce document précis qui émane du ministère de l'intérieur et du renseignement territorial ? Pourquoi une telle perte de temps en lieu et place d'une action ?

M. Yan Chantrel. - Bien évidemment, monsieur le ministre, nous ne vous ferons pas de procès d'intention. Nous ne doutons pas de votre fibre républicaine. Honte à ceux qui vous font ce faux procès. Comme vous l'avez souligné, être républicain, c'est se battre contre les inégalités et les discriminations qui minent notre pays. En cette veille de fête nationale, il serait peut-être temps de faire de l'égalité et de la fraternité une réalité. Nous ne vous jugerons que sur vos actes.

Nous partageons un constat : l'écart entre les élèves issus de milieux défavorisés et ceux des classes sociales supérieures se creuse toujours plus. Notre pays est un de ceux qui parviennent le moins à combattre la reproduction sociale et son corollaire d'inégalités. Méfions-nous des discours sur la « méritocratie » qui nous font croire que nous serions tous égaux. Nous n'avons pas les mêmes chances de réussite en fonction de notre capital social et culturel de départ ou de notre lieu d'habitation.

L'objectif prioritaire d'un ministre de l'éducation nationale devrait être de mener une lutte implacable contre ces inégalités afin de faire de l'école un réel creuset de l'émancipation de toutes et tous.

Les raisons de ces difficultés ont déjà été abordées : rémunération des enseignants et manque de moyens, mais aussi méthodes éducatives. Sénateur des Français de l'étranger, je sais que d'autres méthodes fonctionnent ailleurs. En France, tout passe par l'écrit et les cours magistraux, ce qui enferme l'élève dans une posture passive au cours de journées souvent trop longues. Vous avez fort justement cité les modèles nordiques en exemple. Toutefois, plus près de nous, le modèle allemand se révèle très intéressant : moins d'examens écrits, des cours d'une durée moyenne de 45 minutes, davantage d'échanges avec les élèves, une généralisation des classes de vingt-cinq élèves... Faire évoluer les choses dans cette direction demande bien évidemment des moyens, en sus d'une réelle volonté politique.

Vous avez évoqué l'expérimentation de Marseille. Allez-vous mettre en place des manières de faire différentes ? Les enseignants sont les premiers demandeurs, car faire la classe en France est épuisant. Un grand journal du soir avait demandé à un enseignant français d'échanger sa place avec un enseignant allemand pendant une semaine : l'enseignant allemand a déclaré qu'il ne pourrait pas exercer son métier en France, la manière de faire les cours étant trop exténuante !

Vous avez évoqué la généralisation. Il s'agit d'un point fondamental : nous menons des expériences depuis 30 ans et certains dispositifs fonctionnent. Pourquoi ne sont-elles jamais généralisées ? Quand aurons-nous le courage d'aller au bout des choses ?

Enfin, monsieur le ministre, que comptez-vous concrètement mettre en place pour permettre une réelle mixité sociale dans nos établissements publics et privés ? À partir du moment où l'argent public finance en partie les établissements privés, il est normal de leur demander un minimum de contreparties en termes de mixité sociale. Allez-vous mener des actions en ce sens ?

Mme Sabine Van Heghe. - Monsieur le ministre, je souhaiterais revenir sur la question du harcèlement scolaire et du cyberharcèlement. Entre 800 000 et 1 million de jeunes en sont victimes ; en 2021, nous avons eu à déplorer 21 morts en raison de harcèlement scolaire... Je sais que pHARe, le programme de lutte contre le harcèlement à l'école, est en cours de généralisation. Toutefois, je ne cesse de constater, au fil de mes nombreux déplacements partout en France, que les enfants et les familles confrontés au fléau du harcèlement scolaire se sentent totalement abandonnés, toujours aux prises avec leurs bourreaux. Sur le papier, la question est prise en compte, mais, sur le terrain, c'est l'omerta.

Rien ne bouge suffisamment. Les 35 propositions de la mission sénatoriale adoptées à l'unanimité en octobre dernier sont restées lettre morte, alors qu'elles sont très faciles à mettre en oeuvre. Mais encore faudrait-il en avoir la volonté politique. Monsieur le ministre, nous comptons vraiment sur vous pour prendre enfin ces enjeux à bras-le-corps. Allez-vous prendre dès maintenant des mesures d'ordre réglementaire pour répondre au sentiment d'abandon qu'éprouvent ces enfants et ces parents, confrontés à un fléau qui ravage les vies de tant de jeunes ?

Mme Laure Darcos. - Monsieur le ministre, je reconnais que beaucoup a été fait pour l'inclusion scolaire. Il y a désormais des demandes importantes pour la création d'unités localisées pour l'inclusion scolaire, les classes ULIS, au collège. Il en existe déjà beaucoup en primaire et les enfants concernés ont montré qu'ils étaient capables de passer dans le secondaire. Il s'agit d'un besoin criant.

En 2008, un de vos prédécesseurs avait réuni les acteurs de la grande distribution pour établir une liste de fournitures indispensables à bas prix. Alors que les questions d'inflation et de pouvoir d'achat sont prégnantes, je vous suggère de réunir à votre tour les dirigeants de la fédération de la grande distribution pour établir une liste similaire. Cela permettrait de rassurer les parents, inquiets de savoir s'ils auront les moyens d'acheter les fournitures nécessaires à la rentrée.

M. Pap Ndiaye, ministre. - Madame Borchio Fontimp, Parcoursup est un dispositif perfectible. D'année en année, nous améliorons non seulement son fonctionnement technique, mais aussi son architecture algorithmique. Nous sommes actuellement en phase complémentaire : chaque candidat qui est à ce jour sans solution fait l'objet d'un accompagnement personnalisé. Nous regarderons précisément les cas des jeunes gens que vous avez mentionnés. Avant Parcoursup, la situation n'était absolument pas juste : course à l'inscription à l'université, tirages au sort dans tel ou tel établissement... Il s'agit d'une réelle amélioration.

Par ailleurs, pour la première fois cette année depuis la crise sanitaire, ce dispositif a pu s'articuler avec la réforme du baccalauréat, qui s'est déroulé dans des conditions à peu près normales. La situation n'est pas encore parfaitement stabilisée - du fait du report des épreuves de spécialités de mars à mai, celles-ci n'ont pas pu être prises en compte dans Parcoursup -, mais nous progressons.

Monsieur Vial, nous recherchons une solution pour les AESH. Nous travaillons avec les collectivités pour éviter les ruptures d'accompagnement lors du temps périscolaire, notamment lors de la pause méridienne. Je suis très sensible à cette question : environ 10 % des 400 000 jeunes à besoins particuliers présentent des troubles autistiques. Ces jeunes ont besoin d'une grande régularité en termes d'accompagnement. Il faut trouver une solution juridique pour augmenter le temps de travail des AESH qui le souhaitent. Nous y travaillons.

En ce qui concerne la jeunesse et la vie associative, le paysage institutionnel a changé. La direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative (Djepva) a un rôle d'autant plus important qu'il est transversal et interministériel entre Matignon, Mme Schiappa étant rattachée à la Première ministre, mon ministère et le ministère des armées pour ce qui concerne le SNU. Nous sommes encore à la recherche de la bonne formule, mais les choses vont dans le bon sens.

Madame Drexler, nous sommes très sensibles aux questions liées à la ruralité. Certains territoires sont parfois éloignés de l'école ou des dispositifs existants en zone urbaine. Toutefois, il existe des dispositifs spécifiques, notamment les contrats locaux d'accompagnement (CLA), mis en place à l'automne 2021, ce qui peut expliquer leur nombre restreint.

Les territoires éducatifs ruraux font aussi partie de la politique d'éducation prioritaire, même si la question des taux d'encadrement n'y est pas véritablement centrale. Soyez assurée que les territoires ruraux ne sont pas oubliés dans notre réflexion.

Monsieur Paccaud, j'ai été sensible à vos propos sur les enseignants en situation de désarroi face à certains élèves. Dans mon propos liminaire, j'ai évoqué certaines situations difficiles face aux parents. Nous ne pratiquerons pas la politique de l'autruche sur ces questions. En cela, je m'inscris dans la continuité de Jean-Michel Blanquer. Nous saisissons les situations que nous avons à connaître et nous les affrontons. Je serai d'ailleurs heureux d'échanger avec vous sur les exemples précis que vous avez évoqués.

Le harcèlement scolaire est une question essentielle. À la rentrée, nous allons mener une politique d'affichage des numéros à contacter beaucoup plus vigoureuse. Je conçois que les choses paraissent avoir peu avancé sur le terrain. La lutte contre le harcèlement était l'une des priorités de mon prédécesseur, c'est aussi l'une des miennes.

Les équipes « valeurs de la République » sont présentes dans chaque académie. Elles sont à disposition des enseignants et interviennent dès qu'une atteinte à la laïcité est signalée. Il peut s'agir de rendez-vous téléphoniques, de rendez-vous sur place ou d'accompagnement des équipes dirigeantes et des équipes d'enseignants. Un vade-mecum très complet a été publié et ces équipes peuvent aussi être complétées ponctuellement en fonction des besoins exprimés par les académies.

Le ministère de l'éducation nationale publie des chiffres trimestriels concernant les atteintes à la laïcité. Ceux-ci couvrent la période de décembre 2021 à mars 2022 ont été publiés, et ceux qui couvrent la période allant de mars à juin paraîtront bientôt. À ma demande, ces données, plus fines que celles du ministère de l'intérieur, seront publiées à un rythme mensuel à partir de septembre. Les dernières publiées indiquent une relative stabilité du nombre de signalements - en baisse de 1 % - mais une hausse de 7 % du nombre de signalements pour tenue vestimentaire. Ces derniers représentent 22 % du total des signalements enregistrés pour la période allant de décembre à mars. Nous étudierons avec intérêt les chiffres relatifs à la période suivante.

Toutefois, nous ne les avons pas attendues pour agir. Des équipes « valeurs de la République » sont déployées, avec lesquelles nous sommes en contact régulier. En outre, le Conseil des sages de la laïcité est en place. Une documentation est également fournie. Si des incidents surviennent, dont la presse peut se faire l'écho, nous parvenons, dans l'ensemble, à agir. Des points de vigilance sont cependant signalés dans certains endroits spécifiques, qui conduisent à des sanctions. Nous disposons d'un équipement tout à fait solide qui a été construit ces dernières années sur les questions de laïcité. Je m'inscris dans cette continuité.

S'agissant des méthodes éducatives, je réitère mon intérêt pour les expériences conduites par la Finlande et d'autres pays. J'ai indiqué notre volonté d'aller au-delà des expériences locales en la matière.

Pour favoriser la mixité sociale, il est possible de fixer des objectifs d'augmentation du taux de boursiers dans les établissements favorisés, et d'équiper dans le même temps des établissements non favorisés de sections européennes. En Seine-Saint-Denis, trois sections européennes doivent ainsi ouvrir à la rentrée dans des établissements non favorisés. Je vous invite par ailleurs à observer les résultats, tout à fait intéressants, d'expériences prometteuses conduites dans certains établissements des XVIIIe et XIIe arrondissements de Paris.

J'en viens à présent à la suggestion de Mme Laure Darcos de constituer avec les dirigeants de la Fédération du commerce et de la distribution une liste de fournitures scolaires indispensables à bas prix. Nous avons demandé aux enseignants de faire preuve d'une grande sobriété dans leurs demandes d'équipements et de matériel scolaire pour la prochaine rentrée, et leur avons communiqué un trousseau de base sur lequel ils peuvent s'appuyer. La question du pouvoir d'achat est en outre présente dans la circulaire de rentrée publiée par le ministère.

S'agissant de la prise en compte de l'augmentation importante du nombre d'enfants à besoins particuliers, nous nous penchons plus particulièrement sur le niveau du lycée, l'idée étant d'assurer une continuité avec les niveaux précédents dans la perspective du baccalauréat et de Parcoursup. Un travail est à réaliser sur ce point avec ma collègue de l'enseignement supérieur, Mme Retailleau, pour que ces jeunes puissent être accueillis dans les meilleures conditions possibles dans l'enseignement supérieur.

Cette question de l'inclusion scolaire est essentielle. C'est l'une des grandes réussites de ces dernières années. Il faut l'accompagner et la sécuriser, en lien avec les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), les agences régionales de santé (ARS) et tous nos partenaires. L'effort que nous faisons en faveur de l'école inclusive doit aussi être soutenable dans le temps et se faire au bénéfice des élèves et de leurs familles.

Mme Toine Bourrat. - Mes questions relatives au rétablissement de l'autorité dans les établissements scolaires, au rétablissement du redoublement ainsi qu'à l'instauration éventuelle d'une carte triennale pour la fermeture des classes en milieu rural n'ont pas obtenu de réponse.

M. Pap Ndiaye, ministre. - Il n'est pas question de rétablir le redoublement. Toutes les études internationales montrent en effet que les pays dont les résultats scolaires sont les meilleurs en sont dépourvus. Un tel rétablissement du redoublement ne serait en outre pas susceptible, à lui seul, de changer les choses. Le redoublement existe néanmoins toujours, mais il serait erroné de revenir dans ce domaine à une politique ancienne. Il convient plutôt de réfléchir à l'accompagnement des élèves en situation difficile.

La place, le statut et l'autorité des enseignants m'importent beaucoup, moi qui suis très sensible et attentif à toutes les formes de violence symbolique ou réelle que peuvent subir les enseignants. La question de l'autorité se pose. Je ne suis pas du tout laxiste de ce point de vue, mais la question de l'autorité des enseignants se pose peut-être différemment aujourd'hui. Il ne s'agit pas de revenir à une période ancienne, marquée par une autorité verticale et par toutes sortes de punitions. En revanche, travailler sur le statut, la rémunération, les conditions de recrutement ou encore la formation y compris continue des enseignants contribue, me semble-t-il, à renforcer cette autorité.

Je suis également sensible à la question des projets immobiliers. J'ai été informé de projets immobiliers qui ont été consentis, dans les Côtes-d'Armor notamment, par certaines communes qui se sont ensuite heurtées à des fermetures de classe. Nous devons améliorer et renforcer le dialogue avec les communes afin d'augmenter la visibilité démographique à moyen terme et ne pas nous retrouver, année après année, dans des situations compliquées. Il peut y avoir néanmoins des « accidents démographiques », comme l'arrivée brutale de plusieurs familles ou la fermeture d'établissements commerciaux ou industriels. En dehors de ces impondérables, nous devons faire en sorte que les municipalités puissent investir sans se heurter aux difficultés que vous soulignez.

M. Laurent Lafon, président. - Monsieur le ministre, nous avons apprécié que vous preniez le temps de répondre à chacune des questions. Vous avez pu constater que les sénatrices et sénateurs sont tous attentifs à la question scolaire. Ce premier échange très riche a été important, pour vous comme pour nous. Il pourra être complété par d'autres auditions de cette nature.

M. Pap Ndiaye, ministre. - Mon cabinet et moi-même nous tenons naturellement à votre disposition pour poursuivre ces échanges et recueillir vos remontées de terrain ou vos suggestions. Je suis un grand lecteur des rapports très complets que vous publiez sur les questions relatives à l'éducation. Sachez que vous trouverez en moi, mesdames, messieurs les sénateurs, un partenaire attentif, respectueux de votre travail et de vos prérogatives.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 55.