Mardi 2 mai 2023

- Présidence de Mme Sonia de La Provôté, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Audition de Mme Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Mes chers collègues, nous reprenons ce matin les travaux de notre commission d'enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française en auditionnant Mme Roselyne Bachelot, en sa qualité d'ancienne ministre de la santé.

Je vous remercie, madame, de vous être mobilisée : vous ouvrez la séquence des auditions des ministres et anciens ministres et, connaissant votre liberté de ton, nous nous en félicitons.

Je précise que vous connaissez le sujet du médicament parce que vous êtes docteure en pharmacie et parce que, avant de faire vos débuts en politique, vous avez notamment exercé les fonctions de déléguée à l'information médicale au sein du laboratoire ICI Pharma, devenu depuis AstraZeneca, puis de chargée des relations publiques chez Soguipharm.

Mais, si nous vous entendons ce matin, c'est en votre qualité de ministre de la santé de mai 2007 à novembre 2010, chargée notamment, à cet égard, de la politique du médicament.

À l'époque, vous aviez eu à gérer une crise sanitaire, l'épidémie de grippe H1N1, pour laquelle les reproches qui vous avaient été adressés sont sans doute inverses de ceux qu'essuie aujourd'hui le Gouvernement, la crise de la covid étant passée par là : le principe de précaution maximale qui avait guidé votre action en matière de constitution de stocks de produits de santé, de dispositifs médicaux et de vaccins, avait pu être assimilé à un excès d'anticipation et de préparation. Ce qui nous frappe, au contraire, dans la gestion de la situation actuelle en matière de pénurie de médicaments essentiels, c'est bien le défaut d'anticipation et de préparation, s'agissant d'un phénomène qui n'existait pas ou existait peu il y a quinze ans, mais qui est devenu, depuis, un problème chronique, exponentiel et même systémique, le début du décrochage pouvant être daté de 2013 ou 2014. Ainsi, alors qu'environ 600 à 700 médicaments faisaient l'objet d'une pénurie à l'été 2018, ce sont actuellement quelque 2 500 médicaments - voire 3 000, suivant les critères et les moments - qui sont concernés.

C'est donc une certaine mise en perspective historique que nous attendons de cette audition, puisque vous étiez aux manettes à une époque où le problème des pénuries de médicaments n'était pas encore devenu, en France, un enjeu aussi prégnant qu'aujourd'hui et semblait réservé aux pays du Sud. Vous avez exercé les fonctions de ministre de la santé il y a suffisamment longtemps pour ne pas avoir été mêlée à des décisions en lien avec la situation actuelle : c'est ce recul et votre regard forcément avisé sur cette situation qui nous intéressent.

Auditionnée, en septembre 2020, par la commission d'enquête du Sénat sur la gestion de la crise de la covid, vous aviez posé comme principe qu'« aucune pandémie ne ressemble à une autre. » Vous poursuiviez : « Il faut donc se méfier comme de la peste des leçons du passé et des fameux “retours d'expérience” dont nous sommes si friands. Les plans de lutte imaginés à froid sont des brodequins d'acier qui contraignent la décision politique. Nous avons besoin d'outils, nous n'avons pas besoin de procédures. »

Mais, précisément, le phénomène qui donne à cette commission d'enquête sa raison d'être, à savoir le caractère désormais structurel des ruptures de stock et des tensions d'approvisionnement en médicaments, est d'un tout autre ordre que les situations d'urgence et de crise que sont les épisodes de pandémie, H1N1 ou covid, même si nous avons connu, cet hiver, une acutisation, dans un contexte de triple épidémie - covid, grippe et virus respiratoire syncytial (VRS). Si les menaces exceptionnelles ne prennent jamais la forme que l'on attend, il est question ici de rechercher des solutions pérennes à un problème pérenne, celui de l'approvisionnement du marché français « en temps normal », hors période de crise sanitaire, même s'il prend évidemment un tour cruel lors des moments critiques ; il s'agit donc bien de « prévenir » plutôt que de « réagir », et encore moins de chercher à « guérir » dans l'urgence.

À cet égard, il nous est précieux de bénéficier de votre expérience, celle d'un temps où le problème dont nous sommes saisis n'existait pas, même si ses causes profondes étaient certainement déjà à l'oeuvre - vous nous direz dans quelle mesure.

Il ne s'agit donc en aucun cas, vous l'avez compris, de vous demander des comptes sur votre action passée ni de vous demander de juger l'action de vos successeurs. Nous voulons échanger avec vous pour mieux comprendre ce qui a pu changer, sur le long terme, dans le circuit du médicament et expliquerait les difficultés actuelles.

Je vais immédiatement vous céder la parole pour un bref propos introductif. Puis Mme Laurence Cohen, rapporteure de notre commission d'enquête, vous posera une première série de questions.

Je précise également que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite, madame, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Roselyne Bachelot prête serment.

Mme Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé. - Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je me prête bien volontiers à l'exercice de l'audition devant une commission d'enquête, exercice qui n'est pas nouveau pour moi et qui m'a apporté, il n'y a pas si longtemps - vous l'avez rappelé... -, quelques satisfactions rétrospectives. Certains ont sans doute regretté que les auditions des commissions d'enquête soient filmées ; pas moi.

Le dossier de la pénurie d'approvisionnement en médicaments et en dispositifs médicaux concerne la profession pharmaceutique dans toutes ses modalités. Docteure en pharmacie ayant exercé cette profession sous diverses formes, je me dois de compléter vos propos devant vous - c'est une obligation déontologique - et, ainsi, d'en préciser les contours.

J'ai été embauchée il y a cinquante-deux ans par un laboratoire pharmaceutique, Avlon ICI - le laboratoire Avlon n'existe plus - comme salariée non cadre pour exercer une fonction de déléguée médicale. À aucun moment je n'ai eu, dans ce laboratoire, une fonction de direction, de gestion ou même d'animation. Cet emploi, qui a duré cinq ans et qui a donc cessé il y a quarante-sept ans, m'a permis de payer les études de mon conjoint avant que je ne puisse poursuivre à mon tour les miennes et, ainsi, obtenir mon diplôme de docteur en pharmacie - tardivement. Pharmacienne d'officine jusqu'en 1991, je n'ai eu aucune fonction dans l'industrie pharmaceutique depuis quarante-sept ans.

Vous avez parlé de Soguipharm. Je veux préciser que j'ai exercé cette fonction dans le cadre d'une action humanitaire en Guinée Conakry, où j'ai financé, à mes frais, un petit atelier de fabrication de sirop pédiatrique de 1984 à 1991. Cette structure, qui mobilisait six à sept bénévoles, peut difficilement être présentée comme une multinationale, contrairement à ce que j'ai pu lire dans quelques publications malveillantes. Non seulement elle ne m'a rapporté ni rémunération ni bénéfice, mais, devant les difficultés politiques et sociales de la Guinée, nous avons arrêté notre implication et nous avons offert les installations que nous avions financées à nos amis guinéens. Vous jugerez si j'ai pu, à un moment quelconque de mes activités d'élue ou de ministre, être impactée par un conflit d'intérêts.

J'ai eu l'honneur d'exercer la fonction de ministre de la santé du 18 mai 2007 au 13 novembre 2010, et j'ai bien compris que c'est à ce titre que vous m'entendez. Mon exercice a d'ailleurs été marqué par plusieurs défis qui impactaient la filière : la crise financière de 2008, la présidence française de l'Union européenne au second semestre 2008, les travaux intenses qui ont mené à la « loi Bachelot » du 30 juillet 2009, appelée encore « Hôpital, patients, santé, territoires », la mise sur pied des agences régionales de santé (ARS) et, bien entendu - last but not least -, la gestion de la grippe A (H1N1).

Déjà, la question du risque de pénurie de médicaments ne nous est pas apparue anecdotique. Je pourrais me réfugier derrière des chiffres victorieux, mais peu exploitables, claironner qu'il n'y a eu que 89 épisodes de pénurie en 2010 et quelques dizaines les années précédentes. Il ne faut pas oublier que les déclarations de pénurie n'étaient pas obligatoires à l'époque et que ces chiffres sont certainement le fruit de sous-déclarations. Toutefois, les dysfonctionnements que j'ai évoqués causant des réactions fortes dans l'opinion publique, ils étaient surveillés par tous les professionnels de santé et les responsables publics.

Les difficultés concernaient surtout des traitements hospitaliers peu connus du grand public, tels des produits de diagnostic - le technétium 99, par exemple - ou des produits anticancéreux, telle la chlorméthine. Mais, à terme, la menace sur les officines et la distribution des médicaments était réelle. En cause : des problèmes de gestion des stocks de la part des laboratoires, mais surtout la réduction et la concentration croissante des sources d'approvisionnement dans les pays émergents. C'était le constat déjà dressé par l'Académie nationale de pharmacie, qui avait réuni les autorités de santé et les industriels à ce sujet. Déjà, 80 % des principes actifs de médicaments étaient fabriqués en Chine et en Inde, contre à peine 20 % une trentaine d'années auparavant. Environ un millier de producteurs indiens et chinois se partageaient ce secteur en plein essor. En 2009, près de 60 % du chiffre d'affaires mondial était généré par des industriels qui ne fabriquaient que la matière active, les labos occidentaux ne prenant en charge que la formulation du médicament.

Les spécialistes ajoutaient que ces délocalisations se faisaient pour des raisons évidentes de coût, mais aussi sous la pression des pouvoirs publics, qui, en promouvant l'utilisation des génériques depuis une quinzaine d'années, avaient attiré les acteurs indiens et chinois sur ce marché des volumes. À l'époque, la Chine concentrait à elle seule 40 à 50 % de la production de principes actifs génériques du marché européen, comme le relevait le président de l'Académie nationale de pharmacie, Henri-Philippe Husson, avec, à la clé, le risque que nous connaissons de dépendance accrue vis-à-vis des pays producteurs, mais aussi un risque sur la qualité.

Nous nous sommes donc dirigés dans deux directions : d'abord, muscler l'industrie pharmaceutique française ; ensuite, muscler la législation, donc les obligations des différents acteurs de la chaîne du médicament. Je veux, à ce propos, saluer l'engagement personnel constant du Président Nicolas Sarkozy sur ce dossier.

Afin de muscler l'industrie pharmaceutique de notre pays a été réuni, le 26 octobre 2009, le Conseil stratégique des industries de santé (CSIS). À l'issue de cette réunion a été pris un ensemble de onze mesures qui répondaient à trois objectifs majeurs : développer les biotechnologies au service des industries de santé ; développer des partenariats entre secteur public et secteur privé dans la recherche biomédicale ; accompagner les mutations industrielles afin de préserver l'outil de production.

La seconde direction consistait à prendre des mesures réglementaires permettant de développer la communication vers le grand public pour les médicaments de médication officinale.

Vous constaterez que l'alternative, en ce domaine de l'industrie pharmaceutique, est simple : faut-il privilégier une politique de relocalisation de produits et de principes actifs matures, donc une industrie pharmaceutique d'entrée de gamme, ou choisir la stratégie de l'excellence et de l'innovation ? J'ai le sentiment que la question que nous nous posions alors est absolument restée pendante aujourd'hui. Cependant, même si l'on privilégie la stratégie de l'excellence et de l'innovation, il faut assurer l'accès aux produits matures, mais néanmoins indispensables, ce qui nous est apparu relever d'une politique d'achats diversifiés, de stockages de précaution et de systèmes d'alerte performants.

A donc été engagé, déjà à l'époque, un travail législatif de fond, auquel se sont attelés les services du ministère de la santé pour poser les outils juridiques nécessaires et qui a ensuite trouvé son véhicule dans la loi du 29 décembre 2011, dite « loi Bertrand ». Dans le contexte du scandale du Médiator, auquel la loi voulait répondre, on a surtout retenu la prévention des conflits d'intérêts, le renforcement de la pharmacovigilance et la création d'une nouvelle agence du médicament : l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé était remplacée par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), dont vous avez, je crois, entendu récemment la responsable.

Cette loi, on l'a un peu oublié, a surtout contribué à renforcer le dispositif réglementaire français de prévention et de gestion des ruptures d'approvisionnement. Elle a, en fait, transposé dans la loi un certain nombre de principes communautaires qui préconisent de mettre en place des obligations de service public pour le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché comme pour les distributeurs de médicaments. C'est ainsi que, à la suite d'un long processus législatif - je sais que vous entendrez M. Bertrand à ce sujet -, la loi a étendu de six mois à un an le délai d'information de l'ANSM en cas de suspension ou d'arrêt de commercialisation d'un médicament pour lequel il n'existe pas d'alternatives thérapeutiques sur le marché français. Elle a mis en place un système d'astreinte et des obligations de service public pour les grossistes-répartiteurs. Elle a prévu des sanctions financières pour manquement aux obligations des laboratoires exploitants et des grossistes-répartiteurs. Elle a introduit, pour la première fois, une définition de la rupture d'approvisionnement dans la législation - je parle bien évidemment du travail réglementaire qui a suivi -, en la définissant comme l'incapacité pour une pharmacie d'officine ou une pharmacie à usage intérieur de dispenser un médicament à un patient dans un délai de 72 heures. Cette loi, qui a été complétée par le décret du 28 septembre 2012, a complété le texte par nombre d'obligations réglementaires, pour les laboratoires exploitants, pour les grossistes-répartiteurs, et, finalement, pour toute la chaîne du médicament.

La loi de Mme Touraine du 26 janvier 2016 a ensuite utilement complété le texte de la loi de décembre 2011 et du décret de septembre 2012, puisque la France, grâce à cet ensemble législatif, a été le premier pays à transposer toutes ces dispositions communautaires, à transformer les obligations réglementaires en obligations légales et à introduire des sanctions administratives et financières en cas de manquement à ces obligations.

M. Bertrand et Mme Touraine vous le confirmeront, ce travail législatif a été commencé alors qu'il n'y avait pas à proprement parler d'alerte, mais l'environnement industriel mondialisé ne nous avait pas échappé. Nous avons construit la stratégie industrielle, qui, je tiens à le préciser, ne relevait pas du ministère de la santé. Le Conseil stratégique des industries de santé impliquait à la fois Mme Lagarde, ministre de l'industrie, accompagnée de son ministre délégué, M. Estrosi, Mme Valérie Pécresse, ministre de la recherche, et moi-même, ministre de la santé. La question de la gestion industrielle du médicament relève plus précisément de la responsabilité du ministère de l'industrie. Le ministère de la santé s'occupe évidemment de l'aspect de la qualité du médicament et de sa bonne dispensation à tous les niveaux de la chaîne pharmaceutique.

Je veux insister sur un point qui m'importe : auditionnée sur mes responsabilités de 2007 à 2010, je témoigne sur ce qui concerne mes fonctions de ministre de la santé. Je ne me livrerai pas à l'ultracrépidarianisme, car je n'ai ni les moyens d'investigation ni les responsabilités pour faire des commentaires sur la situation actuelle de crise liée aux pénuries. Cela me demanderait d'être accompagnée par des collaborateurs, qui me transmettraient des notes, des rapports et des dossiers. « Cordonnier, pas plus haut que la chaussure ! »

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Merci, madame.

Je vais essayer de vous poser des questions qui ne concernent que les fonctions que vous avez pu exercer par le passé...

Mme Roselyne Bachelot. - Je ne répondrai pas à des questions qui ne me concernent pas.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Ayant déjà eu l'occasion d'assister à votre audition par différentes commissions d'enquête, je n'ai aucun doute à ce sujet...

En tant que ministre de la santé, vous avez dû gérer l'épisode H1N1, qui a fait couler beaucoup d'encre. Vous avez, me semble-t-il, été guidée, à juste titre, par un principe de prévention et de précaution maximale.

Cela ne suppose-t-il pas de sortir pour partie les médicaments, qui, comme chacun sait, ne sont pas des biens comme les autres, des logiques de rentabilité et du marché, en envisageant le retour, en partie, à une véritable production publique, notamment pour les médicaments critiques, dès lors que le secteur concurrentiel semble quelque peu défaillant aujourd'hui ?

Au moment où vous avez géré cette pandémie, vous avez été accusée d'en faire trop. En tant que législateurs, nous sommes confrontés à cette question de la durée de stockage - il y a toute une polémique à ce sujet, qui, du reste, ne constitue pas le fond de la question. Vous qui avez été au coeur des décisions, où pensez-vous utile, nécessaire, indispensable de placer le curseur ? Le coût du stockage est loin d'être négligeable, et l'on ne peut pas faire n'importe quoi...

Je veux également vous interroger sur la gouvernance et le pilotage de l'ensemble du système qui a été mis en place. Nous avons été alertés, lors de plusieurs auditions, sur le chevauchement des multiples agences. Vous qui avez été à l'origine de la création des ARS, pensez-vous que toutes ces agences sont un gage de transparence, de bonne diffusion des informations, notamment aux patients, mais également aux professionnels de santé ? Je pense aux pharmaciens, mais également aux médecins. Estimez-vous qu'un comité de pilotage ad hoc chargé de la stratégie de prévention et de lutte contre les pénuries de médicaments soit une bonne solution ?

Le Gouvernement a annoncé l'établissement, d'ici la fin du mois, d'une liste de médicaments critiques beaucoup plus restreinte que celle des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM). Chaque organisme, européen ou national, que nous rencontrons lors de nos déplacements, fait valoir sa propre liste. Il nous semble, en l'état de nos travaux, que cette liste serait effectivement bienvenue, mais qu'il faudrait la restreindre pour des raisons d'efficacité. Avez-vous déjà travaillé sur l'élaboration d'une telle liste lorsque vous étiez ministre de la santé ?

Pensez-vous que le prix du médicament - on a vu que celui des médicaments matures tendait à être tiré vers le bas - peut compromettre l'approvisionnement du marché français ? Ou peut-il inclure une part de sécurisation des approvisionnements, de soutien à l'industrie - en particulier à la réimplantation de la production de certains principes actifs sur le territoire national ? Comme vous l'avez indiqué, 80 % des principes actifs étaient déjà fabriqués en Chine et en Inde lorsque vous étiez en fonctions - c'est toujours le cas aujourd'hui.

L'industrie chimique est particulièrement polluante. Vous qui avez également été ministre de l'écologie et du développement durable, quel regard portez-vous sur une éventuelle relocalisation en France ? Il faudrait se montrer exigeant sur le plan environnemental...

Ma toute dernière question concerne les industries pharmaceutiques, qui reçoivent le crédit d'impôt recherche (CIR) pour leurs dépenses de recherche et le développement (R&D). Quand vous avez été ministre de la santé, vous avez décidé de supprimer le plafond de 16 millions d'euros du CIR pour le remplacer par un montant égal à 30 % des dépenses de R&D en dessous de 100 millions d'euros, et à 5 % au-delà. Cette décision vous a-t-elle paru efficace ? Quelles sont les raisons qui vous ont guidée à l'époque ? Pensez-vous que les résultats en matière d'innovation et de recherche ont été à la hauteur de l'investissement ?

Mme Roselyne Bachelot. - Je vous remercie d'avoir salué ma gestion de la grippe A (H1N1) et d'avoir indiqué que les principes de précaution et de prévention devaient l'emporter, en matière de santé, sur toute autre considération économique. Je m'amuse des critiques que l'on m'a adressées à l'époque et j'ai eu la satisfaction de pouvoir constater de mon vivant que l'on me rendait justice.

Vous avez souligné, à juste titre, l'embrouillamini des institutions qui s'activent dans le domaine de la santé et du médicament ; elles ont développé des partenariats dans le cadre de l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan), qui regroupe l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), l'Institut de recherche pour le développement (IRD), l'Institut Pasteur, etc., mais elles ont chacune leur utilité. Dans ce contexte, ajouter un comité supplémentaire sous prétexte de simplifier me paraît une idée bien française. D'ailleurs, je formule la prédiction que vos propres travaux aboutiront également à recommander un peu plus de complexité, via la création d'un organisme supplémentaire, puisque le Gouvernement qui se risquerait à supprimer un acteur serait accusé des pires crimes.

Au moins, les ARS ont répondu à cette volonté de simplification, puisqu'elles ont permis de remplacer sept organismes. On me parle d'ailleurs encore des directions départementales des affaires sanitaires et sociales (Ddass) et des directions régionales des affaires sanitaires et sociales (Drass), alors que je les ai supprimées pour les intégrer dans les ARS. Il faut dire que, comme cette réforme n'a pas suscité une journée de grève, elle est passée inaperçue... Je le dis incidemment, mais nos ARS ont tout de même subi, alors qu'elles n'étaient pas même adolescentes, un choc dommageable avec la désastreuse réforme territoriale des grandes régions, qui a représenté pour elles un coup de poignard. Les ARS exercent de nombreuses fonctions, puisque l'inspection de la pharmacie est conduite par les pharmaciens inspecteurs de santé publique, mais également par les pharmaciens inspecteurs des ARS.

Vous soulignez le fait que l'industrie pharmaceutique n'est pas une industrie comme les autres. Elle est, en effet, l'une des dernières industries en France à avoir des prix administrés. Dans ce cadre, faut-il créer une industrie d'État ? Pourquoi pas, mais, personnellement, je n'ai pas une grande confiance dans l'État pour mener ce genre d'opérations, d'autant que cela impliquerait de réformer profondément des législations et de s'adapter aux législations européennes, car il faudrait revenir sur les règles de marché et d'appels d'offres. En effet, le coût des médicaments ainsi produits n'aurait rien à voir avec celui des spécialités issues des pays émergents, dont on connaît les niveaux de salaires, les conditions sociales et les normes écologiques ; aujourd'hui, nous sommes bien contents, avec la délocalisation de cette industrie chimique polluante, d'exporter nos nuisances et de les faire assumer par les pays en développement.

Par ailleurs, une industrie d'État serait-elle en mesure de remédier à 100 % aux pénuries ? Sans doute non, car il y a des causes autres que l'externalisation de la fabrication. Il peut y avoir, dans des industries autochtones, des grèves, des ruptures de stock, des difficultés dans la chaîne de production, etc.

Je suis donc attentive à cette solution, mais je me méfie des solutions simplistes. En tout état de cause, quand j'étais ministre de la santé, ce n'est pas la voie qui a été choisie ; nous avons opté pour l'excellence et l'innovation, sur le fondement de la théorie des avantages comparatifs. Nous avons considéré que la sécurité des approvisionnements était liée à l'arsenal législatif et réglementaire et à des structures de veille sur le marché mondialisé.

Le prix du médicament est important dans notre pays. Nos gouvernements ont choisi de considérer ce prix comme la variable d'ajustement dans les comptes de la sécurité sociale, afin de contenir les dépenses. Ainsi, 50 % des spécialités pharmaceutiques françaises sont les moins chères du marché européen et 92 % d'entre elles ont un prix inférieur au prix moyen des cinq grands pays européens que sont l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, le Royaume-Uni et la France. Ce n'est pas sans inconvénient, car les détenteurs de stocks de ces produits peuvent être tentés de les distribuer dans des pays dont le prix de vente est plus intéressant. L'amoxicilline injectable est deux fois plus chère en Allemagne qu'en France, et ce marché parallèle représente cinq milliards d'euros de chiffre d'affaires. Nous avons donc choisi une politique d'écrasement des prix, qui a un impact sur nos approvisionnements, même si ce n'est sans doute pas le facteur principal de nos ruptures.

Vous me posez également la question des modifications apportées aux dispositifs d'aides publiques pour les laboratoires. Ce n'est pas le ministre de la santé qui gère cette affaire : les aides aux industriels relèvent du ministère de l'économie et de l'industrie et de celui de la recherche. Le ministère de la santé est, en la matière, un spectateur engagé. Ces modifications ont-elles eu l'impact recherché ? Ayant quitté le ministère de la santé en 2010, je n'ai pas les moyens de vous répondre. La fonction ministérielle implique de courir dans son couloir et ceux qui se risquent à en sortir se font sévèrement rappeler à l'ordre. C'est donc à vous, madame la rapporteure, de mesurer l'efficacité de cette politique.

Si je puis exprimer un regret, c'est, je le répète - je l'ai déjà exprimé dans d'autres enceintes -, la liquidation de l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Éprus). L'intégration de cet établissement dans Santé publique France m'a semblé une mauvaise décision, et la reconstitution d'un établissement de réserve et d'urgence sanitaires me paraîtrait pertinente.

Quant à la question de la liste des médicaments indispensables, nous avions estimé, de notre côté, que la liste des médicaments essentiels de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) suffisait et qu'y ajouter une liste embrouillerait les choses.

Mme Émilienne Poumirol. - J'ai cru comprendre de vos propos que l'on pouvait envisager l'étatisation de l'industrie pharmaceutique, ce qui me semble peu réaliste. Vous paraîtrait-il envisageable, en revanche, de relocaliser, en France ou en Europe, la production de certains des médicaments de cette liste ?

Mme Roselyne Bachelot. - Je n'ai jamais prôné l'étatisation de l'industrie pharmaceutique. Je pense que ceux qui le suggèrent s'égarent. Ce n'est pas le rôle de l'État, selon moi. L'État peut aider par une politique d'appui industriel des laboratoires qui veulent tenter l'expérience de la relocalisation ; il y a d'ailleurs des projets en ce sens. Néanmoins, si ce n'est pas accompagné par une révision des règles des marchés publics, ces laboratoires sont condamnés à mettre rapidement la clef sous la porte, car leurs prix ne seront pas ceux des spécialités matures, donc ils n'emporteront pas les marchés publics. C'est déjà arrivé à certains laboratoires. Faire une industrie européenne, pourquoi pas ? Mais les effets seront les mêmes. Bossuet a dit : « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences dont ils chérissent les causes. » Cela s'applique très bien à ce dossier...

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Vous aviez envisagé une politique d'achats diversifiés dans les appels d'offres hospitaliers. Or ces achats diversifiés commencent juste à se mettre en place et, depuis la fin de vos fonctions ministérielles, les pénuries se sont aggravées. Comment expliquez-vous ce décalage ?

Mme Roselyne Bachelot. - Vous allez entendre les directeurs de centres hospitaliers universitaires (CHU). Je ne suis pas capable de vous répondre sur ce point.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Peut-être la réglementation mise en place à l'époque n'était-elle pas assez contraignante ?

Quelle est la part jouée par les grossistes-répartiteurs dans le système de dispensation et de distribution du médicament dans les territoires ?

Un atout des Ddass était d'avoir des inspecteurs sur le terrain et des personnes formées à la veille à l'échelle territoriale. La veille assurée par l'ANSM à l'échelle nationale, sans surveillance territorialisée de la pénurie de médicaments, constitue-t-elle un défaut dans le système ? Les ARS pourraient-elles se structurer pour assurer la veille et les allers-retours avec les professionnels sur le terrain ?

Vous suggérez de reconstituer un établissement d'urgence et de réserves sanitaires ; or c'est le contraire qui a été fait au cours des dernières années, avec une gestion first in-first out. Toutes les structures publiques et parapubliques chargées de la gestion des médicaments - Éprus ou Agence générale des équipements et produits de santé - ont disparu ou ont amoindri leurs compétences. Avoir une planification en cas de pénurie semble nécessaire pour enrayer l'effondrement des disponibilités de médicaments.

Les anticancéreux et les formes pédiatriques des médicaments sont en pénurie. Quelle est votre analyse de cette question ?

Mme Roselyne Bachelot. - Je salue la qualification pharmaceutique du système du médicament dans notre pays : ce sont les pharmaciens qui sont à l'oeuvre à tous les niveaux, pour la fabrication, la dispensation, la distribution. Remettre en cause ce système de haute qualité me paraîtrait constituer une régression. Le système législatif peut-il être amélioré, durci ? Peut-être. On a mis en place un système d'astreintes et d'obligations de service public pour les grossistes-répartiteurs, qui sont tenus d'assurer l'approvisionnement continu du marché national ; il y a des sanctions financières pour manquement des laboratoires exploitants et des grossistes-répartiteurs ; on a défini la rupture d'approvisionnement comme l'incapacité pour une pharmacie d'officine ou une pharmacie à usage intérieur de mettre à disposition un médicament dans les 72 heures. Il faut faire respecter cette armature. On peut en durcir les conditions, mais cela exigerait une analyse que je ne suis pas en mesure de faire ici.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - C'est plutôt la chaîne de surveillance et de contrôle de la réglementation qui devrait être renforcée ?

Mme Roselyne Bachelot. - Les ARS sont un outil extraordinaire de santé publique. Elles ont été sottement critiquées au moment de la crise du covid, alors qu'elles ont rendu des services éminents. Leurs agents se sont donnés à fond, jour et nuit, pour faire face à cette crise. Certaines critiques m'ont indignée. Que ces établissements aient servi de variable d'ajustement pour des réductions de postes, tout le monde le sait, alors que leurs missions sont de plus en plus complexes et exigeantes ; le scandale d'Orpea l'a rappelé. Il faut donc les muscler afin que les structures départementales, surtout après la désastreuse réforme territoriale, puissent assurer leurs missions. Je n'ai pas les éléments techniques, documentés, pour dire ce qui manque, mais vous le ferez, et j'espère que l'on rendra enfin justice aux ARS.

Quant à la vision territoriale de la pénurie, l'information doit circuler dans les ARS et avec l'ANSM. Il y a une fonction de veille, avec un circuit ascendant et descendant, et tout cela doit circuler de la meilleure façon.

M. Bruno Belin. - Nous partageons 100 % de ce que dit Mme Bachelot.

Mme Corinne Imbert. - Comment allons-nous en sortir ? Peut-on espérer que les choses évoluent ? Faut-il se placer à l'échelon européen ? Mais, dans ce cas, comment définir les prix ?

Mme Roselyne Bachelot. - Vous concluez l'audition avec le sujet de l'Union européenne. Vous ne vous dispenserez pas, je pense, de cette réflexion dans vos travaux. Il y a un paradoxe : les politiques sociales et sanitaires ne font pas partie des compétences européennes, mais il est difficile de s'en abstraire. La loi du 29 décembre 2011 a transposé des recommandations européennes. Si l'on mène une politique industrielle franco-française au sein du marché européen, on foncera dans le mur, mais comment résoudre le paradoxe de politiques sanitaires différentes, de prix très différents, de prises en charge différentes, la France ayant le taux de prise en charge solidaire le plus élevé d'Europe ?

Je ne vois pas de porte de sortie, puisque l'on essaie plutôt de préserver les acquis communautaires que d'en créer d'autres, dans une défiance généralisée à l'égard des institutions européennes, sans même parler des normes écologiques. Je suis donc perplexe. C'est pourquoi je vous sais gré d'avoir créé cette commission d'enquête, qui vous permettra de fournir des outils prospectifs aux gouvernements afin de sortir de ces apories.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Le taux de prise en charge solidaire en France est le plus élevé d'Europe, dites-vous, mais le marché français est aussi l'un des plus grands du continent. Cela ne se compense-t-il pas ?

Mme Roselyne Bachelot. - Vous avez raison : on a remplacé la politique du prix par une politique des volumes. C'est ainsi que le marché français reste intéressant, avec tous les effets pervers du marché mondialisé. Les industriels se rattrapent sur la bête...

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Nous avons entendu l'agence européenne des médicaments (EMA) et l'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire, et nous avons découvert une volonté de créer une synergie européenne, pour réindustrialiser l'Europe. L'EMA veut garantir une coordination à l'échelle européenne, afin que la relocalisation se fasse en bonne intelligence entre les différents pays, de sorte que la production se rapproche de notre continent. Cela rendra la distribution plus simple que dans la situation où les médicaments sont produits à l'autre bout de la planète. Il y a une prise de conscience globale, qui permettra de trouver une solution à l'échelon européen.

Mme Roselyne Bachelot. - Sans doute, mais il faudra convaincre Mme la commissaire à la concurrence. Il y a certes une volonté de réindustrialisation, mais passer à la phase opérationnelle, c'est autre chose. J'ai pu le savourer comme ministre de la culture lorsqu'il s'est agi de défendre la propriété intellectuelle et artistique. Tout ce que nous venons de dire se heurte à la défense des consommateurs et de la libre concurrence.

Ensuite, l'Europe est plurielle. Accorder les grands pays autour d'une politique industrielle est possible, mais l'Europe, c'est « un pays, une voix ». J'ai présidé le Conseil des ministres des affaires sociales et sanitaires au second semestre 2008 ; dans ce cadre, j'avais imaginé de conduire un exercice avec mes collègues, celui d'une pandémie d'un virus respiratoire touchant l'Europe - exercice purement théorique... J'étais en plein roman ! On m'a répliqué que c'était de la fantasmagorie et qu'il était inutile de mettre en place des stratégies communes. Quand l'épidémie de grippe A (H1N1) est survenue, j'ai tenté de faire en sorte que les achats de vaccins et substances utiles relèvent d'une politique européenne. Je n'ai pas trouvé d'écho. Ma collègue polonaise a même soutenu devant moi que les vaccins avaient autant d'efficacité que l'eau distillée... C'est bien là qu'est le problème : les forces centrifuges sont très fortes en Europe. Aussi, quand on en sera au stade opérationnel, ce sera très compliqué. Permettez à une vieille dame de rappeler quelques souvenirs !

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Je vous remercie de vos propos. La covid est passée entre-temps, de même que la commande de vaccins et la gestion des stocks à l'échelle européenne, et le paquet médicament vient de sortir. La question de la santé commence à être un peu européenne ; il y a une prise de conscience.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 10.

- Présidence de Mme Sonia de La Provôté, présidente -

La réunion est ouverte à 13 h 40.

Audition de M. Walid Ben Brahim, directeur général d'UniHA, du docteur Juliette Jacob, pharmacien, coordinateur des achats médicaments du Resah, et de Mme Alexandra Donny, directrice générale adjointe du Resah

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Nous poursuivons nos travaux en accueillant des représentants de centrales d'achat de produits de santé en milieu hospitalier : le groupement de coopération sanitaire (GCS) de l'Union des hôpitaux pour les achats (UniHA) et le groupement d'intérêt public (GIP) du réseau des acheteurs hospitaliers (Resah).

Renaud Cateland, directeur de l'Agence générale des équipements et produits de santé (Ageps), nous a déjà fourni un éclairage sur le fonctionnement de tels organismes, au rôle crucial dans la chaîne de distribution du médicament - même si l'Ageps est une direction acheteuse de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et non une centrale d'achat.

L'UniHA est représentée par son directeur général, M. Walid Ben Brahim, accompagné des pharmaciens coordonnateurs Mme Véronique Bardey-Bruyère, des Hospices civils de Lyon, et M. Audric Darras, du centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse. L'UniHa est une coopérative d'acheteurs hospitaliers publics français, l'un des principaux acheteurs européens dans le domaine de la santé et l'un des premiers acheteurs publics français tous secteurs d'activités confondus. Elle fut créée en 2005 par les hospitaliers eux-mêmes dans le but de mutualiser leurs achats et leurs expertises ; elle regroupe aujourd'hui 1 312 établissements, dont 123 groupements hospitaliers de territoire (GHT).

Le Resah est un autre opérateur majeur du secteur ; il est représenté par Mme Alexandra Donny, directrice générale adjointe, et par le docteur Juliette Jacob, pharmacien, coordinateur des achats médicaments du Resah. Créé en 2007 pour assurer la mutualisation des achats hospitaliers pour la région d'Île-de-France, il a ouvert en 2016, à la demande de la direction générale de l'offre de soins (DGOS), l'accès à ses marchés à l'ensemble du territoire national.

Alors que le nombre de médicaments dits en tension ne cesse d'augmenter et que l'hôpital paraît en souffrir tout particulièrement, votre témoignage est évidemment incontournable : c'est à l'hôpital, nous ont dit plusieurs personnes auditionnées, qu'il y a le plus de pénuries. Même s'il convient de relativiser au regard de la période de triple épidémie - covid, grippe et virus respiratoire syncytial (VRS) -, l'hôpital reste concerné dans un certain nombre de domaines thérapeutiques.

Nous souhaitons donc entendre votre analyse de la situation actuelle, et connaître la façon dont les organismes que vous représentez, qui sont des outils de rationalisation, de mutualisation et d'optimisation des achats, agissent pour prévenir et gérer les ruptures d'approvisionnement de produits de santé. Vous nous ferez part de vos recommandations pour mettre fin à ce phénomène désormais chronique, et même exponentiel : la mission d'information du Sénat de 2018 dénombrait entre 600 et 700 médicaments en pénurie, contre 2 500 à 3 000 actuellement.

Vous évoquerez notamment les méthodes qui sous-tendent la passation des marchés publics en matière de fourniture de médicaments. Il a été fait référence, devant nous, à des politiques d'achat et à des critères d'attribution dangereux, le phénomène des « méga-appels d'offres » hospitaliers étant notamment régulièrement pointé du doigt. Ce problème est d'ailleurs bien documenté et la mission d'information sénatoriale de 2018 soulignait déjà que « notre politique de rationalisation des achats de médicaments hospitaliers, en privilégiant des appels d'offres de très grande taille, a entraîné une raréfaction des fournisseurs et la multiplication subséquente des difficultés d'approvisionnement ». Vous nous direz si ce constat, que M. Cateland a semblé relativiser, vous parait toujours d'actualité.

Je précise que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu publié. Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Walid Ben Brahim, Mme Véronique Bardey-Bruyère, M. Audric Darras, Mme Alexandra Donny et le Dr Juliette Jacob prêtent serment.

M. Walid Ben Brahim, directeur général d'UniHA. - UniHA est un groupement public créé en 2005 par et pour les hôpitaux. Ce modèle original, sous forme de GCS, comporte 1 300 adhérents, principalement des établissements publics de santé. Nous avons un ADN d'ancrage dans les hôpitaux publics, dont les représentants composent notre comité d'administration, présidé par un directeur d'hôpital. Nous sommes organisés autour de 13 sites, avec un siège à Lyon. Nos pharmaciens sont dans les hôpitaux, ce qui garantit l'ancrage et la qualification des besoins des hôpitaux, avec un groupement de commandes qui a fait ses preuves. UniHA a agrégé six milliards d'euros d'achats en 2022, dont quatre milliards d'euros pour les produits de santé. Nous avons aussi des activités en matière d'achat d'énergie, ou encore de biologie et de prestations de services.

J'insiste, tout d'abord, sur la notion de taille critique : UniHA a été créée en 2005 pour massifier les achats hospitaliers et réaliser des économies dans un marché pharmaceutique mondialisé. Celui-ci représente aujourd'hui 1 300 milliards d'euros. Même avec quatre milliards d'euros d'achats, nous ne représentons que 0,3 % du marché mondial. Toutefois, notre taille critique est suffisante et nécessaire pour répondre aux enjeux de l'achat public des hôpitaux. Il ne s'agit plus des seules économies, qui restent importantes, mais aussi de la sécurisation des approvisionnements et de la décarbonation des activités. Cette taille critique permet de mobiliser des techniques contractuelles différentes, nécessitant une réelle expertise. Nous leur apportons aussi du temps en gérant les pénuries, alors qu'un hôpital peut y consacrer jusqu'à un pharmacien à temps plein.

Nous mobilisons des techniques de multiattribution. Vous parlez de méga appels d'offres : je ne sais pas ce que c'est. Nous découpons le marché par aire thérapeutique : le temps où le marché de tous les hôpitaux français était confié à un seul industriel est révolu. À la lumière de la pandémie, nous faisons évoluer le poids des critères : le prix conserve une part importante, mais plus prépondérante, autour de 30 % : nous faisons la part belle au développement durable et à la sécurisation. Nous avons été les premiers à mobiliser, aux côtés du Resah, un marché souverain pour les masques, avec la clause de souveraineté européenne.

De plus, nous sommes présents pour répondre aux situations de crise, avec une bonne connaissance du tissu industriel et de la recherche de sourcing. Nous pouvons éclairer les pouvoirs publics. Par exemple, lors de la crise des médicaments dérivés du sang, fin 2021, nous les avons aidés à piloter le contingentement, alors que la pénurie aurait pu mettre en péril des prises en charge.

Nos préconisations tournent autour d'une évolution de notre positionnement, à la demande de nos adhérents. Aujourd'hui, l'approvisionnement est géré par l'industriel. Nous travaillons à la constitution de stocks réels, et non contractualisés, et à une filière souveraine. L'achat hospitalier reste éclaté : nous ambitionnons de coordonner les initiatives et les appels d'offres aux côtés des pouvoirs publics, comme bras armé de la réindustrialisation française.

Mme Alexandra Donny, directrice générale adjointe du Resah. - Le Resah est un GIP créé en 2007, tout d'abord opérateur pour la région d'Île-de-France. Nous sommes une centrale d'achat, mais nous avons aussi un centre de ressources et d'expertise. Nous avons donc un double objectif de mutualisation et de professionnalisation de la fonction achat. Aujourd'hui, nous avons plus de 2 000 établissements de santé et entités médicosociales, pour deux milliards d'euros d'achats mutualisés par an, dont 830 millions d'euros par an pour les médicaments.

Nous tenons au terme de mutualisation, et non de massification : nous regroupons les quantités, mais aussi les expertises, en pharmacie, en achats ou encore en systèmes d'information. Le médiateur des entreprises a labellisé notre centrale d'achat Relations fournisseurs et achats responsables en 2021, nous reconnaissant des qualités de relations durables et équilibrées avec les fournisseurs. Opérateur national depuis 2016, nous adaptons notre politique aux segments d'achats, pas toujours de façon nationale : pour les médicaments, nous agissons au niveau régional. Ainsi, nous mutualisons les achats pour les hôpitaux
- publics et privés non lucratifs - des régions d'Île-de-France et Normandie, avec respectivement 90 et 60 hôpitaux, en suivant les préconisations du programme PHARE (Performance hospitalière pour des Achats REsponsables) de la DGOS. Je laisse de côté les médicaments en monopole, d'autant que les ruptures sont plus courantes pour les médicaments concurrentiels, qui représentent 25 % du montant des achats. Nos coordinateurs achats formulent des préconisations d'alternatives en cas de rupture.

Nous avons longtemps suivi un critère prix, mais nous prenons en compte d'autres éléments depuis la crise sanitaire, notamment la sécurisation, mais aussi - pour les masques et les gants - de clauses de souveraineté européenne. Nous avons également introduit, dans nos appels d'offres, des éléments plus classiques comme des pénalités et des achats pour compte.

Notre première recommandation est de travailler sur l'approvisionnement et la gestion des flux et stocks, réserve importante de performance, et la création de pharmacies de territoire, à usage intérieur, gérées par des dépositaires. Ainsi, les hôpitaux d'un territoire, qui reste à définir - celui du GHT par exemple - pourraient choisir un dépositaire commun.

La deuxième recommandation, que nous avons déjà évoquée au sein du groupe de travail de construction de la feuille de route pour lutter contre les pénuries et améliorer la disponibilité des médicaments en France, est une coordination par l'État des achats de médicaments, avec une mise en commun de moyens et d'expertise et un opérateur national unique qui coordonnerait toutes les parties prenantes. Il faudrait une participation des opérateurs achats, dont l'AP-HP, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et Santé publique France notamment avec, éventuellement, des déclinaisons régionales. Cette idée nous vient d'échanges avec d'autres centrales d'achat européennes - nous sommes cofondateurs de l'association Ehppa - European Health Public Procurement Alliance. Nous pouvons nous inspirer des exemples norvégien, danois et britannique. Depuis la crise sanitaire, la plupart des pays européens renforcent la centralisation. La Commission européenne nous a fait part de ses difficultés de coordination des acteurs et y voit un fort intérêt.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Monsieur Ben Brahim, vous avez mentionné l'ambition d'une filière souveraine d'achat. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Madame Donny, vous mentionnez une pharmacie interne liée aux territoires : s'agit-il de ce que fait l'Ageps, qui se heurte au fait qu'elle ne doit pas empiéter sur le terrain concurrentiel ?

Permettez-moi de vous poser quelques questions. Quelles ont été les situations de tensions d'approvisionnement et de ruptures de stock les plus marquantes de ces dernières années ? Quels produits étaient concernés, qu'ils soient génériques ou sous brevet ? Quelles en ont été les conséquences sur les finances des hôpitaux ?

Vous parlez de mutualisation : quels en sont les avantages et les inconvénients ?

La structuration de l'achat public hospitalier voit coexister plusieurs entités juridiques, dont vous avez parlé : Ageps, UniHA, Union des groupements d'achats publics (Ugap). Est-ce satisfaisant pour la prévention et la gestion des pénuries ?

Vous avez mentionné le programme Phare, que la DGOS met en oeuvre depuis 2011, et qui met la recherche d'économies au centre de l'achat hospitalier. Quelles en sont les limites ?

Ensuite, l'article 65 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2022 consacre le critère du lieu d'implantation du site de production. Les critères de responsabilité sociale et environnementale interviennent-ils ? Les entreprises ayant délocalisé dans des pays moins exigeants entraînent des ruptures d'égalité en relocalisant sur le sol français.

Le rôle des acheteurs est-il d'accompagner la relocalisation en France et dans l'Union européenne ? Ce matin encore, Mme Bachelot parlait de la nécessité de relocaliser en France, avec une indispensable coordination européenne.

Par ailleurs, on nous a signalé le caractère trop massif des appels d'offres hospitaliers. Qu'en pensez-vous ? Quelle attention portez-vous à la diversification des fournisseurs ?

Constatez-vous que des laboratoires ont pris des engagements pour répondre à des marchés importants, alors qu'ils ne sont pas toujours capables de les tenir ?

Les conditions tarifaires d'achat de médicaments aux industriels par les établissements de santé contribuent-elles aux pénuries ?

Pour finir, dans son rapport de 2017 sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, la Cour des comptes préconisait de mettre fin au régime de liberté des prix propre aux établissements de santé et d'instaurer un régime commun à la ville et à l'hôpital, confié au Comité économique des produits de santé (CEPS), sur le modèle du prix administré des médicaments remboursés. Quels en seraient les avantages pour lutter contre les pénuries ? Y êtes-vous favorables ?

M. Walid Ben Brahim. - La multiplicité des structures d'achat public est une curiosité à laquelle nous sommes confrontés, et un état de fait construit depuis des années. Méfions-nous d'une solution, simple en apparence, consistant à créer une superstructure, couche supplémentaire qui serait longue à créer alors qu'il y a urgence.

L'État doit avoir un rôle de stratège, et non d'opérateur : il doit définir la stratégie de souveraineté, les segments prioritaires et les objectifs. Aux opérateurs, ensuite, d'agir. Pour ce qui est de la création d'une filière d'achat, et donc d'une équipe, une priorité selon nous
- nous avons vingt pharmaciens dont certains sont déjà prêts à agir -, il s'agirait de conduire des appels d'offres spécifiques pour sauvegarder l'activité d'une entreprise, par exemple, ou pour obtenir des médicaments critiques. Il faut ensuite faire en sorte que les acteurs de cet écosystème se coordonnent, pour faire monter en expertise tous les acheteurs hospitaliers, parfois démunis : dans certains groupements, un seul pharmacien est chargé des achats de dizaines d'hôpitaux.

Oui, une centrale d'achat doit être le bras armé de la réindustrialisation et de la souveraineté sanitaire : les relocalisations sont stimulées par l'offre, mais aussi par la demande. Nous sommes légitimes, au travers de notre réseau - certains appels d'offres regroupent 500 hôpitaux - pour sécuriser le débouché pour l'industriel. Toutefois, certains nous disent que même ces volumes ne suffisent pas : une approche européenne est donc indispensable.

Mme Véronique Bardey-Bruyère, pharmacien coordonnateur d'UniHA. - Il y a un paradoxe à dire que les méga-appels d'offres causent des pénuries. Nos quatre milliards d'euros d'achats représentent très peu à l'échelle mondiale. Je me suis occupée, de très près, des médicaments dérivés du plasma : sans notre dimension nationale, les difficultés pour les patients auraient été bien plus aiguës, avec des pénuries en hémoglobine et en albumine. Notre connaissance des besoins des adhérents, qui nous ont alertés, et notre relation avec les fractionneurs - par chance, il en existe un français, mais il est en cours de reconstruction de son outil industriel, défaillant - nous ont permis, en coopération avec l'ANSM et la DGOS, de capter le plus grand volume possible de médicaments, le tout dans un contexte de prix administrés. Avec la DGOS, nous avons réparti les quantités attribuées à chaque établissement, mois par mois, pendant un an.

Nous avons gagné une bataille, mais pas la guerre. Cependant, c'est ce qui nous permet de réagir sur le terrain. Étant aussi praticienne d'un CHU, je n'ai aucun intérêt à générer des pénuries. Patients et prescripteurs doivent disposer de tout l'arsenal thérapeutique nécessaire. Les méga-appels d'offres - notion à définir, car nous sommes sur du multiattributaire - ont, au contraire, l'objet de lutter contre ces pénuries.

M. Audric Darras, pharmacien coordonnateur d'UniHA. - En matière d'ingénierie contractuelle, nous avons largement recours à la multiattribution, sous toutes ses formes. Elle permet de répartir les volumes d'achats sur de multiples fournisseurs, avec un prérequis d'évaluation, pour les molécules qui le justifient. Mutualiser ces volumes est une force. Il s'agit de massifier non en quantité absolue, mais en termes de poids relatif sur le marché français. En outre, il ne faut pas multiplier les références au sein d'un établissement, ce qui entraînerait un risque de désorganisation et d'usage.

Dans le cadre de la multiattribution, les fournisseurs ne doivent pas avoir la même chaîne d'approvisionnement, et cela ne doit dégrader ni la qualité des produits ni les conditions économiques. Sur certaines molécules critiques, nous répartissons nos fournisseurs par zone géographique.

Mme Alexandra Donny. - Les pharmacies de territoire auraient du sens pour une partie des missions de l'Ageps relatives à l'approvisionnement logistique, notamment face aux problématiques de gestion des stocks. L'échelle du territoire considéré est à définir selon les contraintes régionales.

La mutualisation présente l'avantage de la mise en commun de l'expertise. Mutualiser permet d'avoir des experts - pharmaciens, logisticiens, juristes - sur l'ensemble des domaines. On ne peut avoir une telle expertise dans chaque groupement régional.

Le programme Phare laisse toujours une grande place au prix, mais de nouvelles thématiques, liées à la logistique, à l'approvisionnement et aux achats responsables, sont désormais prises en compte.

Concernant les opérateurs, la question n'est pas tant leur nombre que la façon dont ils réalisent leurs achats.

Mme Juliette Jacob, pharmacien, coordinateur des achats médicaments du Resah. - Nos établissements ont subi des manques durant la crise de la covid-19, ainsi que des pénuries d'amoxicilline et de paracétamol. J'ai aussi en tête les pénuries des médicaments dérivés du sang. Nous avons travaillé en consortium pour assurer un approvisionnement pérenne et diversifier les fournisseurs, ce qui évite l'assèchement de la concurrence. Ainsi, nous avons aujourd'hui quatre fournisseurs d'immunoglobulines.

Ensuite, nous avons subi une rupture sur les solutés massifs, en raison des difficultés financières d'un laboratoire. Notre mécanisme d'acquisition dynamique nous a permis de lancer un nouveau marché pour référencer un titulaire dans un court délai. La rupture était annoncée en décembre ; le nouveau titulaire commence le marché en mai.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Je souhaite davantage de précisions sur les situations de tension et de rupture les plus marquantes des dernières années, leur effet sur les finances hospitalières, ainsi que la prise en compte des critères environnementaux, sociaux et d'implantation des sites. Ensuite, vous n'avez pas répondu sur les engagements pris par certains laboratoires pour obtenir un marché, alors qu'ils ne sont pas en capacité de les tenir. Enfin, je souhaitais avoir des éléments sur les recommandations de la Cour des comptes quant à la liberté des prix.

M. Walid Ben Brahim. - Les conditions financières consenties aux établissements de santé participent à un système de régulation des prix du médicament à deux vitesses. Certains médicaments sont négociés à des prix très bas une fois tombés dans le domaine public, quand d'autres médicaments, très innovants, sont vendus à des prix très élevés, voire prohibitifs. Nous n'avons pas intégralement la main sur la fixation des prix, mais nous plaidons pour la réduction de cet écart.

M. Audric Darras. - La cartographie des lieux de production établie au travers de nos appels d'offres s'avère intéressante pour l'évaluation de l'impact environnemental de la production des médicaments, mais également en matière d'analyse du risque. En effet, nous obtenons des informations sur l'éclatement des chaînes de production, le niveau d'intégration des sites chez les différents acteurs ainsi que sur les éventuelles stratégies de diversification des approvisionnements conduites par nos fournisseurs. Sur le plan environnemental, connaître cette localisation nous permet d'évaluer l'impact environnemental des principales étapes de production : production des matières premières, façonnage, transport. Nous avons ainsi été conduits à valoriser des entreprises qui produisent en circuit court dans des pays européens.

En effet, l'application de ces nouveaux critères de choix expérimentée lors d'une récente consultation relative aux médicaments anti-infectieux a conduit à modifier l'attribution des marchés pour un quart des lots, pour lesquels les résultats ont été favorables à des sites de production européens.

Mme Véronique Bardey-Bruyère. - Il est arrivé à plusieurs reprises qu'un industriel se désengage entre le moment où il répondait à notre appel d'offres - la date limite de réception des offres (DLRO) - et le démarrage du marché, soit du fait d'un manque de volumes, soit parce qu'il ne pouvait plus garantir le prix auquel il s'était engagé initialement. Or un tel désengagement est non seulement impossible dans le cadre du code de la commande publique, mais inenvisageable pour l'organisation de nos hôpitaux. La gestion de ce problème alourdit considérablement le processus d'achat. Il revient aux acheteurs de trouver un terrain d'entente dans la négociation pour que les établissements continuent à être approvisionnés, sans surcoût excessif.

S'agissant des coûts, nous pouvons nous demander si l'innovation est devenue le seul moyen de financement de l'industrie pharmaceutique. Certains traitements de thérapie génique présentent en effet un coût de traitement unitaire par patient stratosphérique, quand le prix de certaines molécules matures s'avère ridiculement bas. Nous peinons à connaître le véritable prix de revient d'un médicament.

Mme Juliette Jacob. - Je n'ai pas de chiffres précis à vous communiquer concernant l'impact des pénuries de médicaments sur les finances des établissements du Resah, mais je pourrai vous en fournir ultérieurement. La défaillance d'un fournisseur entraîne toutefois inévitablement un surcoût pour les établissements concernés, tenus d'avancer les frais relatifs au changement de fournisseur, lesquels peuvent augmenter en cas de contentieux.

Le Resah applique des critères visant à garantir les défauts d'approvisionnement, pour prévenir les ruptures. Nous recensons ainsi le nombre et la localisation des sources d'approvisionnement de nos fournisseurs - en matières premières comme en produits finis -, ainsi que les moyens d'information mis en oeuvre sur la disponibilité des produits et les solutions proposées en cas de pénurie - propositions d'importations, modalités de règlement des pénalités, etc.

Notre système de pénalités responsabilise les fournisseurs et peut permettre par ailleurs de prévenir les désengagements, raison pour laquelle nous souhaitons le maintenir dans nos cahiers des charges.

Nous avons également instauré des critères en matière de responsabilité sociale des entreprises (RSE), impliquant la demande de certaines certifications ainsi que, sur le plan du transport, la vérification de l'optimisation des tournées et du taux de remplissage des camions. Il serait d'ailleurs intéressant de construire une grille commune à toutes les centrales d'achat pour les informations demandées aux fournisseurs ainsi que pour leur évaluation, la RSE occupant une place grandissante dans nos critères d'évaluation de produits.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Comment utilisez-vous l'intelligence artificielle pour améliorer la traçabilité de la chaîne d'approvisionnement des médicaments ?

Mme Laurence Muller-Bronn. - L'hôpital étant l'acteur le plus exposé en situation de crise, avez-vous un accès prioritaire aux médicaments et, dans le cas contraire, devriez-vous en avoir un ?

Quelles leçons avez-vous tirées de la pénurie de médicaments survenue dans le secteur des soins intensifs pendant la crise sanitaire ? Avez-vous établi une liste de molécules critiques et de produits de santé indispensables à travers votre réseau ?

Mme Émilienne Poumirol. - Comment l'écart entre les prix, très bas, des produits matures et les prix stratosphériques des produits innovants se justifie-t-il ? À titre d'exemple, un traitement en thérapie génique peut coûter jusqu'à deux millions d'euros quand une boîte de Doliprane ne coûte que quelques euros.

Mme Pascale Gruny. - Vous avez exprimé de nombreuses attentes à l'égard de l'Union européenne. Or celle-ci dispose seulement d'une compétence d'appui en matière de santé. Si cela lui a permis de nouer des partenariats pendant la crise de la covid-19, ces derniers sont difficiles à généraliser, car ils nécessitent l'accord de tous les États membres.

Par ailleurs, le grand nombre de critères appliqués dans les appels d'offres en France - il est supérieur à celui qui est observé dans les autres pays européens, notamment en RSE - n'est-il pas dissuasif pour les entreprises qui ont parfois intérêt à vendre dans d'autres pays, pour des questions de rentabilité ? Quelles solutions pourrions-nous trouver pour remédier à cette situation qui aggrave les pénuries ?

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Pourriez-vous apporter une réponse précise concernant le coût des pénuries de médicaments ?

Privilégiez-vous l'achat de médicaments génériques pour certains traitements jugés essentiels, sachant que l'arrivée de nombreux génériques dans les hôpitaux peut perturber les médecins dans leurs habitudes de prescription ?

Comment s'articule votre politique de prix avec les choix effectués dans le cadre des contractualisations entre les laboratoires et le CEPS ?

Des méga-appels d'offres ont été organisés, notamment concomitamment avec l'arrivée des génériques, dans le but de diminuer les dépenses de santé, ce qui a conduit à l'assèchement de la production de certains médicaments en Europe et à la constitution de monopoles dans le monde. Les pouvoirs publics vous associent-ils à un retour en arrière sur ce point, y compris au niveau européen ?

M. Walid Ben Brahim. - Une recherche d'économies a effectivement eu lieu dans un contexte de forte concentration de l'industrie pharmaceutique, ce qui a conduit à l'arrêt de la production de certains médicaments par certains producteurs qui en ont délégué la fabrication. De petits acteurs sont donc arrivés sur les marchés, notamment pour la production de certains génériques.

En tant que centrale d'achat, nous nous préoccupons de savoir comment accompagner les entreprises qui peinent parfois à répondre à nos appels d'offres en raison de leur complexité et de la multiplicité, indispensable, des critères qu'ils contiennent. Nous préférons ne pas abaisser notre niveau d'exigence, car c'est ce que nous devons à nos hôpitaux et à nos adhérents, mais nous devons également accompagner ces entreprises. Nous avons beaucoup à apprendre des collectivités territoriales sur ce point, pour faciliter l'accès à la commande publique.

Sur la question des outils et technologies utilisés, nous avons un processus de montée en charge des systèmes d'information. C'est un sujet clef, car nous avons pour ambition de devenir à terme un établissement pharmaceutique, c'est-à-dire de gérer tout le processus d'approvisionnement, de la commande à la délivrance des médicaments. Nous avons développé en interne un outil intitulé Hermès, qui nous permet d'avoir les signaux de rupture du terrain. Toutefois, il faut aller plus loin et développer des outils numériques prédictifs pour mieux anticiper les pénuries, en fonction des volumes de commandes, voire des données épidémiologiques. Nous sommes résolument engagés dans cette voie.

L'échelon européen est important, notamment en termes de taille de marché. Nous avons des discussions avec la Commission européenne, afin de prévoir des partenariats. Je pense au club des Big Buyers, qui permet de développer les échanges et de trouver des débouchés avec des industriels, notamment pour ce qui concerne des projets de relocalisation ou de fabrication de molécules critiques sur le sol français ou européen, les débouchés d'Uni-HA ou des hôpitaux français n'étant jamais suffisants.

Je ne saurais répondre à la question du coût des pénuries. En revanche, à l'hôpital, le coût en ressources humaines est considérable. En effet, les circuits de commande et d'approvisionnement y sont très peu dématérialisés : on a encore beaucoup recours au fax pour commander les médicaments et certains CHU ont jusqu'à 600 fournisseurs, soit autant de factures à traiter, avec le temps de traitement et le nombre d'agents que cela suppose. Il y a là un important gisement de productivité tant économique qu'écologique.

En tant que grossiste répartiteur, nous souhaitons agir à l'échelon national
- l'échelon régional a du mal à trouver son équilibre économique, comme les études l'ont montré -, ce qui permettra de rationaliser les circuits de commande hospitaliers et de redonner du temps aux hôpitaux.

Enfin, et nous le déplorons, nous n'avons malheureusement aucun lien avec le Comité économique des produits de santé (CEPS). Nous en avons le souhait, car nous avons des sujets à travailler ensemble.

Mme Juliette Jacob. - Nous non plus, nous n'avons aucun contact direct avec le CEPS. Nous attendons la publication des avis de prix au Journal officiel, comme les autres établissements de santé.

Mme Alexandra Donny. - Pour notre part, pour ce qui relève de la chaîne d'approvisionnement, nous passons par des processus de commande publique et de passation de contrats qui sont exécutés par les hôpitaux adhérents. Nous ne gérons pas toute la chaîne d'approvisionnement. En revanche, il faut travailler sur ce sujet, car il y a là des gains à trouver.

Aujourd'hui, nous disposons uniquement d'un outil pour gérer l'information transmise à nos adhérents sur les ruptures de médicaments. Il s'agit d'un outil de dialogue entre les laboratoires, le Resah en tant que coordonnateur et les adhérents. Nous n'avons pas de système de gestion globale, car chaque hôpital gère son approvisionnement en direct.

Mme Véronique Bardey-Bruyère. - L'ingénierie contractuelle nous permet de tenter de nous prémunir contre les surcoûts. Dès l'attribution des marchés, nous avons un attributaire de rang 1 et un attributaire de rang 2, avec lesquels nous avons déjà négocié un prix, pour nous prémunir des comportements prédateurs de certains fournisseurs et éviter que les hôpitaux ne paient le prix fort lorsqu'ils sont au pied du mur.

À l'hôpital, nous ne favorisons pas plus le générique que le princeps. Nous privilégions le mieux-disant, qui est établi selon nos critères.

Au-delà de la pénurie de médicaments, il faut aussi évoquer la pénurie des dispositifs médicaux, laquelle est extrêmement prégnante et source de désorganisation dans nos établissements. Autant, en cas de pénurie de médicaments, nous avons la capacité d'être très réactifs, de faire de la substitution et de définir des équivalences, autant le dispositif médical, surtout quand il est technique, est très opérateur-dépendant, car il peut nécessiter une courbe d'apprentissage.

Je livrerai un témoignage concernant un produit frontière, les solutions hydroalcooliques (SHA), dont j'ai la charge pour UniHA, qui sont dans le périmètre pharmaceutique. Pour éviter un monopole de fait, nous avons créé des lots géographiques et découpé la France en quatre. Or il se trouve que les SHA doivent être extrêmement bien tolérées par le personnel soignant et que, à l'issue d'essais assez longs, les quatre régions ont souhaité faire appel au même fournisseur. On a beau avoir une ingénierie contractuelle nous permettant de nous prémunir contre de potentielles ruptures d'approvisionnement, on n'abandonne pas la qualité au profit de critères qui seraient, par exemple, économiques, quand bien même on cherche à ne pas basculer dans la dépendance.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - En d'autres termes, les services hospitaliers vous font donc des retours sur certains médicaments qui ont été retenus.

Mme Véronique Bardey-Bruyère. - Bien sûr ! Un suivi est organisé tout au long de l'exécution du marché. Nous tenons compte des témoignages et faisons un retour d'expérience pour l'itération suivante.

M. Audric Darras. - Nous établissons des short lists des molécules critiques
- par leur place dans l'arsenal thérapeutique ou la structuration de leur chaîne d'approvisionnement -, ce qui définit la stratégie d'achat qui sera déployée. La stratégie de diversification porte en priorité sur ces molécules.

Pour les molécules où nous avons des parts de marché relativement modérées, nous avons recours à des attributions avec un rang 1 et un rang 2. La précontractualisation nous donne une réactivité plus grande au moment de l'arrivée d'une rupture, avec un prix prédéfini.

En ce qui concerne les surcoûts, nos marchés prévoient, si l'on doit avoir recours à un deuxième attributaire ou un autre fournisseur au moment d'une rupture, que le différentiel de coût est porté à la charge de celui qui est défaillant. Dans l'ingénierie contractuelle que nous développons, notamment pour les molécules critiques, dans la mesure où les deux attributaires ont des prix relativement proches, cette clause est apparue comme n'étant plus pertinente et a été remplacée par une modalité de pénalité, ce qui entraîne un dédommagement pour l'établissement plutôt qu'un jeu de passation de trésorerie.

La modalité de détermination des prix n'est pas la même selon qu'il s'agit de molécules matures ou de molécules innovantes. Les molécules innovantes font l'objet d'une évaluation médico-économique, alors que le prix hospitalier des molécules matures est, par le jeu de la concurrence, défini par l'industriel en fonction des exigences de nos contrats et du coût de revient. C'est ce qui explique la très grande différence avec les molécules innovantes, puisque le coût industriel n'est pas le critère de détermination du prix.

Lorsque les prix sont réglementés, c'est le CEPS qui attribue le prix de remboursement.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Arrive-t-il que le prix payé soit plus cher que le prix fixé par le CEPS ?

M. Audric Darras. - En théorie, non, et dans la pratique, non plus, même s'il est assez difficile de comparer, puisque nous avons uniquement connaissance des prix réglementés publiés au Journal officiel. Nous ne connaissons pas le montant des remises.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Je vous remercie de votre participation.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

- Présidence de Mme Sonia de La Provôté, présidente -

Audition des syndicats de médecins

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Notre commission d'enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française poursuit ses travaux par l'audition conjointe de plusieurs syndicats et représentants de médecins.

L'audition de l'Académie de médecine, du Conseil national de l'ordre des médecins et de l'Intersyndicat national des praticiens d'exercice hospitalier nous avait permis, le mois dernier, de recueillir le témoignage des prescripteurs sur les phénomènes de pénurie. Parce que les médecins sont en première ligne face aux difficultés d'approvisionnement, il nous a toutefois semblé indispensable d'entendre plus largement aujourd'hui leurs représentants.

Les pénuries de médicaments affectent en effet largement l'exercice médical. Lors de leur audition, l'Académie et le Conseil national de l'ordre ont particulièrement insisté sur le manque d'information des médecins, la perte de confiance des patients, la difficulté d'adapter les stratégies thérapeutiques et les risques iatrogéniques ou de surdosage induits. S'ajoutent à cette liste les retards de prise en charge thérapeutique, voire, parfois, les renoncements. Tous ces éléments ont un coût pour la santé publique et pour celle des patients.

Derrière les pénuries de médicaments, se pose la question des contingentements, qui n'est pas négligeable dans l'exercice quotidien. Parmi les difficultés que nous souhaitions que vous évoquiez figure notamment le temps médical passé à traiter ces questions, notamment en lien avec les pharmaciens, dont nous avons déjà reçu les représentants.

Nous souhaiterions identifier les dispositions qui pourraient permettre de faire évoluer positivement la situation, dans le sens d'une meilleure maîtrise des pénuries.

Nous entendons donc aujourd'hui M. Frédéric Carvalheiro, directeur général de MG France ; le Dr. Bruno Perrouty, président du syndicat « Les spécialistes - CSMF » ; le Dr. Corinne Le Sauder, présidente de la Fédération des médecins de France, et le Dr. Benoît Coulon, administrateur et responsable des relations avec le monde politique de « Médecins pour demain ». Je précise que le Dr. Jérôme Marty, président de l'Union française pour une médecine libre Syndicat, qui devait être parmi nous aujourd'hui, a eu un empêchement de dernière minute.

Nous souhaiterions que vous présentiez très concrètement, dans un bref propos introductif, la manière dont les pénuries de médicaments affectent la prise en charge des patients et les conditions de travail des médecins, ainsi que les difficultés que vous rencontrez au quotidien.

Je vous céderai tour à tour la parole, pour une durée de cinq minutes, que je vous demanderai de ne pas dépasser puisque vous êtes nombreux à avoir répondu à notre invitation - ce dont nous nous félicitons. Puis Mme Laurence Cohen, rapporteure de notre commission d'enquête, vous posera une première série de questions, avant que les autres commissaires n'interviennent.

Je précise que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite, chacun votre tour, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Frédéric Carvalheiro, les Drs Bruno Perrouty, Corinne Le Sauder et Benoît Coulon prêtent serment.

M. Frédéric Carvalheiro, directeur général de MG France. - La question de la rupture des approvisionnements en certaines molécules renvoie avant tout à la logique financière liée à cette industrie, qui aboutit notamment à un arrêt de la fabrication d'anciennes molécules peu rentables financièrement, mais indispensables dans le panel thérapeutique du médecin généraliste au quotidien, d'autant que ces molécules sont souvent sans aucun équivalent de substitution. Cela aboutit également à un déséquilibre dans les dépenses de santé entre le budget alloué aux médicaments et les ressources disponibles pour les professionnels de santé.

La question de la rupture de l'approvisionnement ne signifie pas que les médecins surprescrivent, comme on a pu entendre. Hors contexte épidémique, comme, par exemple, cet hiver, désigner les généralistes comme responsables est une erreur d'analyse. Toutefois, concernés par l'enjeu d'une meilleure pertinence des prescriptions, nous aimerions disposer d'une gamme élargie de tests rapides d'orientation diagnostique (Trod) à effectuer au cabinet pour étayer le diagnostic et les indications. C'est sans doute une voie intéressante pour l'avenir.

Face à ces ruptures, les médecins généralistes s'adaptent au mieux. Le risque est que des ruptures s'enchaînent, les unes après les autres, jusqu'à ce que les indications deviennent de moins en moins pertinentes, avec des risques d'effets secondaires de plus en plus élevés. Les ruptures ne concernent pas que les médicaments thérapeutiques, mais également les vaccins, avec le risque d'une diminution de la couverture vaccinale de la population. Le vaccin contre l'hépatite B a été en rupture pendant plusieurs années, le BCG a été indisponible jusqu'en janvier 2023. Les médecins s'inquiètent des risques pour la santé de leurs patients, en raison de substitutions approximatives, retards de délivrance, traitements incomplets ou de l'inobservance des patients par crainte de la rupture ou d'un manque de confiance dans la nouvelle molécule ou les nouveaux médicaments.

M. Bruno Perrouty, président du syndicat « Les spécialistes - CSMF ». - Le problème des ruptures d'approvisionnement n'est pas si récent ; nous le vivons depuis de très nombreuses années. Il ne s'agit pas de ruptures complètes, mais de réorientations d'approvisionnement vers d'autres pays d'Europe. Régulièrement, les grossistes se disent en rupture. Les pharmaciens nous relaient ce message, mais, si l'on appelle le laboratoire fabricant, il a encore des stocks. C'est ainsi depuis une dizaine d'années et cela a pu mettre des patients en difficulté.

Il n'y avait plus assez de médicaments en stock chez les grossistes. Désormais, on a vu apparaître des problèmes de fabrication, notamment avec la covid, et des problèmes liés à la mondialisation de la fabrication des médicaments et à sa nécessaire relocalisation, qui est vraiment un vrai sujet. Ces ruptures d'approvisionnement pures et dures nous contraignent à faire de l'à peu près, en cherchant un médicament qui ressemble, mais qui n'est pas toujours identique et n'a pas toujours les mêmes effets secondaires. Pour le patient, cela pose problème, car l'apparence n'est pas la même, non plus que l'absorption, ni les conditions d'utilisation.

S'il s'agit du Doliprane pédiatrique, cela pose problème, car un enfant fébrile peut présenter des complications. Par exemple, des convulsions fébriles pourraient être évitées par simple absorption de Doliprane. On rencontre le même problème avec les antibiotiques : on observe des complications d'angines non soignées. Pour les pathologies plus graves, c'est encore plus inquiétant, par exemple pour des patients qui souffrent d'épilepsie ou de la maladie de Parkinson. Il y a trois médicaments pour les patients parkinsoniens : Modopar, Sinemet et Stalevo. Ces médicaments contiennent, certes, de la lévodopa, mais avec une absorption différente. Un changement de médication peut conduire à des complications, avec de la dyskinésie. Il est donc important qu'on arrive à résoudre rapidement ce problème de rupture d'approvisionnement et de fabrication.

Mme Corinne Le Sauder, présidente de la Fédération des médecins de France. - En tant que prescripteurs, nous sommes au bout de la chaîne, face à nos patients. On le voit surtout en pédiatrie, où il y a énormément de problèmes, notamment en raison de manques d'antibiotiques et d'antipyrétiques. Nous manquons aussi de traitements contre l'asthme, alors que nous recevons en ce moment beaucoup de patients allergiques.

Nous communiquons beaucoup avec les pharmaciens, mais nous ne sommes jamais au courant d'une rupture d'approvisionnement de médicaments, devant laquelle ceux-ci sont d'ailleurs impuissants. Ce sont des situations catastrophiques, qui occasionnent des pertes de chance, sans parler du temps de consultation perdu, alors que notre temps médical est très compté.

Nous nous sommes aperçus que ce qui manque dans le Val-de-Loire ne manque pas dans le sud de la France, par exemple. Dans le Sud, il manque des anti-inflammatoires, de l'Apranax et beaucoup d'antibiotiques, dont les stocks s'épuisent les uns après les autres. Des formes pédiatriques ont été préparées avec des dosages pour adultes, ce qui impose un travail supplémentaire aux pharmaciens et pose un problème aux patients. De fait, pour les enfants, l'antibiotique a un drôle de goût...

Il y a une hiérarchie des médicaments. Certains sont indispensables et il serait très ennuyeux qu'on en manque. Je pense aux anticoagulants, à tous les traitements neurologiques, aux psychotropes, à l'insuline, aux antihypertenseurs et à tous les traitements d'urgence. Parfois, il n'y a aucun équivalent. Face à nos patients, nous essayons de pallier les ruptures d'approvisionnement, en nous débrouillant avec ce que nous avons.

M. Benoît Coulon, administrateur et responsable des relations avec le monde politique de « Médecins pour demain ». - « Médecins pour demain » a reçu beaucoup de signalements de ruptures de médicaments. D'abord, pour des antibiotiques, notamment pour les enfants. Les flacons en verre, en particulier, ont manqué. Puis, pour les corticoïdes, ce qui a posé des problèmes pour les maladies auto-immunes. Il y a eu aussi les sirops antitussifs et les anticoagulants, notamment l'Arixtra, qu'on utilise beaucoup en cas de phlébite ou d'embolie pulmonaire. La xylocaïne - un anesthésiant - a manqué aussi. Cela a posé des problèmes pour des sutures ou des mises en place d'implants dans les suites d'interruption volontaire de grossesse (IVG). Le paracétamol, enfin, a été en rupture, y compris le paracétamol associé à la codéine.

Plus grave, les médicaments pour traiter le diabète ont manqué, avec une pénurie d'insuline rapide et plus lente, ou de médicaments comme le Janumet, le Velmetia et l'Ozempic. Ce dernier est un médicament très prescrit, qui a été détourné pour les régimes dans des réseaux sociaux comme TikTok, ce qui a posé des problèmes d'approvisionnement dans le monde entier.

À cause de pénuries, des protocoles de désensibilisation pour les allergies ont dû être interrompus. Nous avons manqué d'antimigraineux, aussi, et de vaccins : hépatite B, zona, méningite, ou Rotarix pour les gastro-entérites du nourrisson. Les pilules abortives ont manqué également, notamment MisoOne, utilisée dans les IVG médicamenteuses. Des médicaments utilisés en psychiatrie ont aussi connu des ruptures : ce fut le cas du Lamictal et du Diazépam. Des chimiothérapies ont dû être décalées, y compris à l'hôpital Saint-Louis à Paris. Dernière remontée : les pistolets pour les biopsies de prostate ont manqué, ce qui occasionne deux mois de délai pour dépister un cancer de la prostate.

Tout cela a posé des problèmes, notamment pour les antibiotiques. On voit des familles en apporter du Maroc, d'Israël ou du Portugal, ou passer des heures à écumer quatre, cinq ou six pharmacies pour en trouver.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Je vous remercie pour ces informations qui corroborent celles que nous avons recueillies lors des auditions précédentes.

On nous a aussi indiqué que les médecins manquaient souvent d'informations et qu'ils les obtenaient en fait par les pharmaciens. Ce problème est-il le même à l'hôpital et en ville ? Par quels moyens les médecins pourraient-ils être mieux informés ? La Haute Autorité de santé (HAS) contribue à relayer les recommandations de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) en la matière, notamment en insérant des messages dans les logiciels d'aide à la prescription : est-ce utile, suffisant ?

L'ANSM publie également des recommandations pour adapter les prescriptions, en proposant, par exemple, des réductions de durée ou des substitutions. Cela a été fait, par exemple, pour l'amoxicilline. Cet accompagnement vous semble-t-il suffisant ?

Comment améliorer le dialogue qui existe entre les médecins et les pharmaciens ?

L'ANSM pointe aussi du doigt le rôle de la surconsommation de médicaments en France qui pourrait expliquer en partie les phénomènes de pénurie. Qu'en pensez-vous ?

Les pénuries de médicaments ont des causes multiples, les réponses doivent donc l'être aussi. Pensez-vous possible d'étendre les dates de péremption des médicaments ? Cela aurait-il une incidence sur l'effet thérapeutique ?

L'adaptation des prescriptions du fait des pénuries peut présenter des risques iatrogéniques ou de surdosage. Comment les maîtriser ?

M. Benoît Coulon. - Je voudrais revenir sur le cas des antibiotiques, en particulier au regard de l'audition du directeur général de l'assurance maladie par votre commission d'enquête.

Il y a d'abord la qualité de la prescription en France. Ce qui génère de la biorésistance, c'est la consommation d'antibiotiques à large spectre. Or une étude européenne a montré que la France se classait parmi les meilleurs de ce point de vue : les médecins français prescrivent moins d'antibiotiques à large spectre que dans la plupart des pays européens, notamment l'Allemagne, la Belgique ou l'Italie - seuls la Suède, le Danemark et la Finlande font mieux que nous.

Ensuite, la prescription et la consommation sont deux choses différentes. Santé publique France s'intéresse surtout à la prescription. Or l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a réalisé une étude qui montre qu'un tiers de la consommation des antibiotiques a lieu en dehors de toute prescription, ce qui est énorme.

Trois phénomènes peuvent expliquer cette consommation hors prescription.

D'abord, après un traitement, il reste souvent des boîtes dans l'armoire à pharmacie, que les gens peuvent consommer en autoprescription : il serait peut-être intéressant de réfléchir à une vente à l'unité comme cela existe dans d'autres pays.

Ensuite, la loi autorise dorénavant - je ne sais si cette mesure est entrée en vigueur - un accès direct aux antibiotiques en pharmacie pour les infections urinaires et les angines. Les patients risquent de faire pression sur les pharmaciens pour qu'ils leur donnent des antibiotiques.

Enfin, de nombreuses personnes achètent des médicaments sur internet - selon une étude de 2011, 10,4 millions de Français l'avaient déjà fait... C'est un sujet assez préoccupant de manière générale.

Une thèse universitaire faite à Caen a montré que réduire la consommation de médicaments et le faire accepter aux patients supposait de faire de la prévention, ce qui prend du temps. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui justifient notre demande d'une consultation à 50 euros : la consultation durerait alors deux fois plus longtemps.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Notre commission d'enquête porte uniquement sur la pénurie de médicaments.

M. Benoît Coulon. - Je comprends, je voulais simplement mettre en avant le fait que la prévention prend du temps. Et si le patient est convaincu qu'il ne faut pas prendre, dans son cas, d'antibiotique, nous luttons aussi contre les pénuries. Je vous rappelle quand même que, selon une étude de l'OMS, 60 % des gens - 52 % en France - croient que les antibiotiques sont efficaces contre les virus !

Mme Corinne Le Sauder. - L'éducation thérapeutique est très importante, notamment pour éviter l'automédication. La campagne « Les antibiotiques, c'est pas automatique ! » a été très positive en termes de prise de conscience et il serait intéressant de recommencer ce type de campagne.

La téléconsultation peut aussi poser des problèmes pour le sujet qui vous occupe, parce que, en l'absence d'examen physique, d'auscultation, des médecins ont parfois tendance à prescrire des antibiotiques à large spectre, voire de la cortisone, alors que cela n'est pas forcément nécessaire.

L'épidémie de covid a eu un effet positif sur la prévention : les gens se lavaient régulièrement les mains, faisaient attention, etc. La prévention joue un rôle très important pour lutter contre la diffusion des maladies, et je crois que nous devrions rappeler l'importance des gestes de base, et ce dès le plus jeune âge.

Aujourd'hui, tous les médicaments ont tendance à se ressembler ; ils ont la même forme, la même couleur... Les gens peuvent donc plus facilement se tromper et mélanger les médicaments. Il faut de toute façon être très vigilant sur les questions d'interactions médicamenteuses et de surdosages.

À une époque - je ne sais pas si c'est encore le cas -, les délais de péremption des génériques étaient plus courts que ceux des princeps. Par ailleurs, le prix des génériques est plus bas, ce qui peut constituer un problème.

D'un autre côté, il existe maintenant des conditionnements plus adaptés à des traitements courts, ce qui a tout de même permis d'améliorer la situation en termes de médicaments restant dans l'armoire à pharmacie. Nous devons aussi régler le problème de la récupération des médicaments non consommés ; cela se faisait davantage il y a quelques années.

Enfin, il faut bien se rendre compte que seuls les pharmaciens peuvent nous dire ce qu'ils ont en stock ou pas et cela peut varier d'une pharmacie à une autre, d'autant que les médecins ont leurs habitudes de prescription et que les pharmaciens les connaissent et s'y adaptent dans leurs commandes.

En conclusion, il est très important de faire du sur-mesure sur les sujets médicaux.

M. Bruno Perrouty. - Les logiciels d'aide à la prescription nous apportent une aide pertinente, mais ils ne nous envoient pas vraiment d'alertes, ils affichent des messages qui disparaissent ensuite. Il faudrait les configurer autrement pour qu'ils nous avertissent au moment de la prescription. Peut-être faudrait-il saisir les éditeurs de cette question.

Il existe une inertie délétère en ce qui concerne le remplacement des médicaments non disponibles.

Au-delà des problèmes de fabrication que nous avons déjà évoqués, en particulier en ce qui concerne l'approvisionnement en matières premières, il faut rappeler qu'en France environ 50 % des médicaments prescrits ne sont pas consommés : cela coûte évidemment très cher et explique en partie les pénuries, puisque ces médicaments ne sont plus disponibles pour les autres patients. Nous devons donc réfléchir à la manière de ne pas distribuer des médicaments que le patient sait qu'il ne consommera pas, mais que le pharmacien donne quand même.

À titre d'anecdote, chez mes beaux-parents, âgés de 91 et 96 ans, et atteints, l'un de la maladie d'Alzheimer, l'autre de celle de Parkinson, j'ai trouvé 100 boîtes de Doliprane ! Sur les ordonnances, on écrit : « Si douleur, 1 comprimé de Doliprane trois fois par jour » ; le pharmacien en met à chaque fois et les boîtes s'accumulent de mois en mois ! Les logiciels pourraient nous avertir beaucoup plus rapidement de telles situations, de manière à ne délivrer que des médicaments qui soient consommés de manière utile.

Enfin, pour éviter les ruptures d'approvisionnement, il faut s'intéresser à la fabrication. Il faut s'interroger sur les médicaments qui, alors qu'ils étaient disponibles, sont réorientés vers d'autres pays d'Europe. En neurologie, on a longtemps subi de tels problèmes sur des médicaments essentiels contre l'épilepsie ou la sclérose en plaques ; les laboratoires nous expliquaient qu'ils partaient dans des pays européens plus rémunérateurs pour le grossiste. Si je ne me trompe, le laboratoire attribue une quantité donnée de médicaments à chaque grossiste ; si celui-ci en envoie une partie ailleurs, c'est autant de médicaments qui ne seront pas disponibles pour les patients français.

M. Benoît Coulon. - Selon une étude américaine, 30 % des médicaments prescrits finissent à la poubelle. Un travail de prévention doit être mené ; c'est du temps que le médecin doit consacrer au patient. La polymédication des personnes âgées est un vrai problème ; elles doivent souvent prendre 8, 10, voire 12 médicaments différents chaque jour, pour des pathologies différentes  -cardiaques, rénales, pulmonaires... Chaque spécialiste prescrit le meilleur traitement possible pour sa pathologie, mais sans tenir toujours compte des interactions avec les autres spécialités. Cela peut causer des hypotensions, des chutes, des retours à l'hôpital. Le coût de ce problème a été évalué à 3 500 euros par patient en polymédication ; c'est énorme !

M. Frédéric Carvalheiro. - La question se pose de la recrudescence des maladies chroniques, en lien avec le vieillissement de la population ; nous n'avons pas encore de réponse sur son impact sur la consommation de médicaments.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Le serpent se mord la queue, si je puis dire : plus le risque de pénurie est grand, plus le patient a envie de faire des stocks, dans ce domaine comme dans d'autres. Quelles pistes préconiseriez-vous pour réduire l'écart entre la prescription et la consommation de médicaments ? On a parlé d'une campagne de communication contre le recours abusif aux antibiotiques ; comment, au-delà, pourrait-on changer les comportements ? Il n'y a pas de solution miracle.

Mme Pascale Gruny. - Je veux revenir sur la surconsommation ; vous avez dit, monsieur Carvalheiro, qu'il n'y en avait pas. Des éléments ont été donnés sur l'accès direct en pharmacie, auquel le Sénat est plutôt défavorable, car nous voulons préserver le rôle du médecin, responsable de son diagnostic. Concernant la délivrance de médicaments à l'unité, j'ai récemment entendu un représentant des pharmaciens expliquer que c'était très compliqué ; si c'était simple, on le ferait déjà ! Quant aux achats sur internet, les Français seraient fous de se procurer ainsi des médicaments aux effets inconnus.

Quant aux antibiotiques, je constate dans mon entourage que l'on en prend trop souvent pour un oui ou pour un non. J'ai longtemps eu recours à l'homéopathie ; mon médecin homéopathe ne me prescrivait des antibiotiques que quand c'était nécessaire. Mon médecin traitant actuel n'est pas homéopathe ; il n'a d'autre recours que de me prescrire des antibiotiques. Ma fille vit au Luxembourg ; on ne lui en prescrit presque jamais, l'antibiotique n'est que l'ultime solution. Le tiers payant a aussi eu des conséquences : on ne paye plus, alors pourquoi réduire sa consommation ? On consomme aussi sans doute trop de psychotropes, sans penser aux effets secondaires nocifs et aux interactions avec d'autres médicaments.

Mme Laurence Muller-Bronn. - J'ai peine à croire que la pénurie de médicaments serait le fait d'une surconsommation par les patients. Les pénuries portent souvent sur des médicaments qu'il n'est pas si aisé de se procurer, notamment des molécules utilisées pour des maladies graves, des médicaments contre des cancers... Dans de tels cas, le patient n'y est absolument pour rien, a fortiori à l'hôpital ! En revanche, il s'agit souvent de médicaments très coûteux. On met actuellement un peu trop de responsabilités sur le dos des Français ; ils chauffent trop, se lavent trop, se soignent trop... Les trois dernières années ont aussi été assez exceptionnelles ; on a interdit aux médecins de prescrire certains médicaments, de soigner... Que pensez-vous de cette situation ? Quelles en ont été les conséquences ?

Mme Émilienne Poumirol. - J'ai aussi le sentiment que l'on néglige la responsabilité des stratégies de l'industrie pharmaceutique au profit d'une culpabilisation des médecins et des patients. Nous convenons certes tous de la nécessité de la prévention, de campagnes contre le recours abusif aux antibiotiques ou la prescription exagérée de certains médicaments, mais c'est à la marge ! En tant que prescripteurs, situés au bout de la chaîne, comment analysez-vous les causes profondes de ces pénuries, ou tensions d'approvisionnement ? L'organisation de l'industrie pharmaceutique et de la distribution jouent-elles un rôle ? Que pensez-vous de l'information que pourraient fournir les logiciels de prescription ?

M. Benoît Coulon. - Les grands groupes pharmaceutiques mondiaux investissent actuellement dans les domaines les plus lucratifs : cancers, immunologie, vaccins et maladies neurologiques - Parkinson et Alzheimer. Les médicaments peu rentables sont laissés aux autres acteurs, notamment aux fabricants de génériques. La France connaît un problème particulier : les prix des médicaments y sont parmi les plus bas d'Europe, de 10 % à 30 % inférieurs aux prix moyens européens. Des grossistes, dits « short liners », achètent des médicaments à bas prix en France pour les revendre plus cher dans un autre pays européen. Notre modèle de marché du médicament au moindre coût trouve ici ses limites. Si l'on n'investit pas massivement dans l'industrie pharmaceutique, notamment celle des vaccins, on sera toujours plus confronté à des pénuries massives.

Concernant l'emploi des antibiotiques en deuxième ligne, cela peut parfois être une solution. Ainsi des infections urinaires : pour une cystite simple, vous pouvez aller directement voir le pharmacien, qui vous remettra, non pas des antibiotiques, mais des spécialités de phytothérapie. Des études réalisées notamment en Allemagne montrent que cette approche a un taux de succès d'environ 50 % ; c'est autant d'antibiotiques prescrits en moins ! On manque d'études internationales sur l'effet réel de la phytothérapie, mais on pourrait construire un système avec les pharmaciens en première ligne et les médecins pour les cystites non simples. Notre technicité en tant que médecins est importante ; nous n'avons pas intérêt à voir des gens pour un arrêt de travail de quelques jours. Il est fondamental de recentrer le médecin sur ses vraies tâches, les plus complexes, et de dégager ainsi du temps médical. Mais il n'est pas si simple de moins prescrire d'antibiotiques : il faudrait davantage de temps médical pour expliquer aux gens pourquoi on ne leur en prescrit pas ; sinon, ce qui est inévitable avec des consultations tendues de 10 minutes, ils iront simplement voir un autre médecin qui leur en prescrira !

Mme Corinne Le Sauder. - En ce qui concerne la question des stocks de médicaments, cela ne permet pas de traiter des crises aiguës, sauf s'il s'agit d'un médicament prescrit au préalable. Mais même dans ce cas, il s'agit alors d'automédication, ce qui n'est pas souhaitable. Avec internet, tout le monde a l'impression d'être médecin - c'est un gros problème.

Dans le cas des maladies chroniques, il y a un intérêt à permettre aux patients de disposer d'un minimum de stock, étant donné le temps qu'il faut pour obtenir un rendez-vous avec le médecin en vue de renouveler l'ordonnance. Cela permettrait de ne plus avoir à recevoir en urgence des patients qui manquent de médicaments pour assurer la continuité de leur traitement.

Néanmoins, les problèmes de stocks se situent plutôt en amont que dans la pharmacie du patient. J'ai connu l'époque où l'on fabriquait du paracétamol à Montargis, ce qu'on a cessé de faire il y a quelques années. Dorénavant, on ne produit plus rien en France. Faisons attention : 80 % des princeps sont fabriqués en Inde ou en Chine, pour des questions de bas coûts et de rentabilité.

Il y en a ras-le-bol : la médecine n'a pas vocation à être rentable et les médicaments ne sont pas des biens de consommation ! Il convient de rappeler qu'un comprimé, ce n'est pas un bonbon, quels que soient sa couleur et son goût. Il est important d'intégrer cet élément à l'apprentissage de la médecine.

En ce qui concerne la surconsommation, certains continueront toujours de surconsommer. Nous sommes en train de nous rendre compte que, à force de prescrire certains médicaments, nous avons créé des dépendances - des gens sont devenus accros. La dépendance aux médicaments constitue un gros problème. En tant que médecins, nous devons être vigilants et penser à la pharmacovigilance. Lorsque nous prescrivons un antidépresseur à un patient, il faut savoir pourquoi nous le faisons, pour combien de temps, et suivre ce patient.

En effet, le suivi est essentiel. Par exemple, certains patients viennent me voir, car ils toussent. À ce moment, ils n'ont pas besoin d'antibiotiques, mais je sais pertinemment que dix jours plus tard, ils auront une grosse bronchite ou une otite. Or si je leur prescris des antibiotiques en leur disant de ne les prendre que si besoin, ils ne les achètent pas systématiquement. Il est très intéressant d'acquérir cette confiance entre patient et praticien : les gens consomment beaucoup moins et cela permet de réaliser des économies monstrueuses.

Il est important que les patients nous appellent, quitte à ce que nous leur disions qu'ils n'ont rien de grave. Par exemple, je montre à toutes mes patientes qui ont des infections urinaires comment déterminer s'il s'agit d'une pyélonéphrite pour ne pas qu'elles se soignent par automédication, pensant qu'il s'agit d'une infection urinaire banale. C'est fondamental, car il existe un risque de graves complications, à côté duquel il ne faut pas passer. Il faut donc rester très vigilants et veiller à la hiérarchisation de la prescription.

Le tiers payant a eu pour conséquence que nous ne connaissons plus le prix des médicaments. Même nous, médecins, lorsque nous prescrivons, nous ne savons pas combien nous coûtons - sachant que le prix d'une consultation est minime par rapport aux prescriptions. Voilà ce qu'il faudrait peut-être également revoir dans l'apprentissage des médecins.

Plus on nous demande d'aller vite, moins on est pertinent. Le temps est important : nous en passons beaucoup à expliquer à nos patients pourquoi nous ne leur donnons pas d'antibiotique ou d'antidépresseur. Pour certains patients, nous ne pouvons pas les laisser partir sans prendre le temps de leur parler, de peur qu'ils ne se jettent sous un camion en sortant. Or lorsque nous les écoutons, nous parvenons bien souvent à les soulager et à fixer un rendez-vous ultérieur pour en reparler, ce qui leur évite de prendre des médicaments.

Enfin, le fait d'être empêchés de prodiguer des soins pendant la crise covid a été le drame de beaucoup de patients et de soignants, car l'absence de diagnostics de pathologies graves a entraîné une perte de chance inouïe. Pour nous, il s'agit d'un crève-coeur. Nous avons été profondément choqués, car notre métier, notre code de déontologie, notre éthique, notre empathie, notre altruisme exigent que nous soignions nos patients. Cela m'affecte encore quand j'en parle.

M. Bruno Perrouty. - Pour revenir à la question de la pénurie de médicaments, il est évident que celle-ci est plurifactorielle.

Tout d'abord, elle dépend de la matière première nécessaire à fabriquer le médicament, mais pas seulement. J'en ai parlé avec plusieurs pharmaciens qui m'ont appris que la pénurie concernait parfois non pas le médicament, mais son emballage, par exemple en aluminium. Or sans boîte, les médicaments ne sont pas commercialisés.

Ensuite, le transport peut poser problème pour les médicaments qui sont fabriqués loin de la France. Le coût des containers en provenance de Chine a triplé après le covid : cela se répercute forcément sur le prix des médicaments.

Par ailleurs, la distribution et notamment les grossistes jouent un rôle sur le prix des médicaments, tandis que la pertinence des prescriptions influe sur la consommation. Nous avons évoqué les médicaments non consommés, mais certains médicaments sont également prescrits alors qu'ils ne devraient pas l'être - c'est une évidence ! Étant neurologue, je constate à longueur de journée des prescriptions de benzodiazépines, qui sont des toxiques. Elles alimentent d'ailleurs les services de chirurgie orthopédique. En effet, après 80 ans, la prise de ce type de médicaments, qui ramollissent les muscles, peut entraîner des chutes et des fractures, par exemple du col du fémur. Le problème est qu'il est compliqué d'arrêter de prendre une benzodiazépine ; cela prend du temps et nécessite du temps médical.

J'ouvre une parenthèse provocatrice : depuis neuf mois, je pratique mon activité de neurologue aux côtés d'une infirmière en pratique avancée (IPA) et il est indiscutable que cette collaboration améliore la pertinence de la prise en charge médicale.

En effet, l'IPA a plus le temps que nous d'écouter le patient et peut se pencher sur des problèmes qui peuvent nous sembler annexes, mais ne le sont pas - par exemple la constipation d'un patient atteint de la maladie de Parkinson. Je suis donc un ardent défenseur d'une prise en charge collaborative des patients.

Par ailleurs, les IPA font de l'éducation thérapeutique comme M. Jourdain faisait de la prose, sans que le patient s'en rendre compte. Or cela permet à ce dernier de savoir quand et comment prendre les médicaments, ce qui est profitable à son état de forme et empêche les déperditions.

La pertinence de la prescription consiste donc à savoir arrêter la prise de médicaments et savoir ne pas abuser de l'usage de certains médicaments.

Nous avons évoqué les maladies chroniques liées au vieillissement de la population. À cet égard, je fais souvent référence à vos travaux de 2019, qui montraient que le coût de la santé avait augmenté de 4 % à cause de ce phénomène. Il est évident qu'un diabétique ou une personne souffrant d'hypertension qui vit dix ans de plus consommera des médicaments pendant plus longtemps.

Toutefois, il faudrait se poser la question de diminuer la prise de certains médicaments après 80 ans, 85 ans ou 90 ans, car la pertinence du médicament évolue. Aussi, nous devons procéder à des consultations d'expertise médicale plus longues et nous appuyer sur d'autres professionnels de santé pour améliorer cette pertinence, car notre système se dégrade malheureusement à tous les niveaux.

M.  Benoît Coulon. - Je tiens à clarifier la position de Médecins pour demain sur les IPA, car nous avons été mis sur la sellette à ce propos. Nous sommes favorables aux IPA dans le cadre du suivi et de la thérapeutique, notamment des personnes âgées. Ils ont toute leur utilité en aval du médecin. Voilà ce que nous prônons, plutôt que le primo-accès à ces professionnels de santé.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Je vous remercie de nous avoir éclairés sur l'impact des pénuries de médicaments sur l'activité et le quotidien des médecins.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

- Présidence de Mme Sonia de La Provôté, présidente -

Audition de M. Vincent Leonhardt, président, du docteur Hélène Herman-Demars, directrice médicale et pharmacovigilance et de M. Nicolas Doumeng, pharmacien responsable, de Nordic Pharma France

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête par l'audition des représentants du laboratoire Nordic Pharma France : M. Vincent Leonhardt, président, Dr Hélène Herman-Demars, directrice Médical et Pharmacovigilance, et M. Nicolas Doumeng, pharmacien responsable.

Je vous remercie de vous être mobilisés en un temps aussi bref. Il nous semblait important de vous entendre en urgence pour évoquer les tensions d'approvisionnement qui touchent le misoprostol. Ce produit est notamment utilisé dans le cadre des interruptions volontaires de grossesse médicamenteuses, qui représentent plus des trois quarts des interruptions volontaires de grossesse (IVG) en France. C'est dire si le misoprostol est essentiel pour les femmes : il figure d'ailleurs sur la liste des médicaments essentiels de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). L'accès à ce traitement est essentiel pour garantir à chaque femme le droit de disposer de son corps, et nécessaire pour que le recours à l'IVG dans les conditions autorisées par la loi soit effectif. Ainsi, peu importe que l'on parle de « tensions d'approvisionnement », comme l'a fait le ministre de la Santé, ou de « pénurie », puisque ce médicament est difficile à se procurer dans plusieurs régions françaises
- Hauts-de-France et Île-de-France en particulier. L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a constaté officiellement une « forte tension » d'approvisionnement le 7 février et a interdit l'exportation du MisoOne 400 par les grossistes répartiteurs et les distributeurs en gros. Vous nous préciserez les spécialités concernées par ces tensions ainsi que leur destination - officines ou Groupes homogènes de séjours (GHS).

La perspective d'une pénurie durable est extrêmement préoccupante, a fortiori puisqu'il n'existe ni générique ni produit équivalent au misoprostol. Comment en sommes-nous arrivés là ?

À bien des égards, cette pénurie est symptomatique de la situation de notre industrie pharmaceutique : alors que la France était pionnière dans la recherche sur la pilule du lendemain, la disponibilité d'un des deux médicaments utilisés pour accéder à la forme la moins invasive et la moins coûteuse de l'IVG est insuffisante dans notre pays. La pénurie actuelle n'est pas nouvelle car, dès 2020, des ruptures de courte durée étaient apparues, « sans impact sur la santé publique » selon le ministre de la Santé de l'époque, Olivier VÉRAN, que nous entendrons tout à l'heure. En décembre 2022 puis en février 2023, le Canada a enregistré des ruptures d'approvisionnement. Cela interroge la capacité des pouvoirs publics à réagir face à ces signaux faibles, avant que les tensions ne se transforment en pénurie sur le terrain.

Vous avez semble-t-il informé l'ANSM de retards de fabrication dès la fin 2022. Vous voudrez bien nous communiquer les raisons de ces retards et leurs conséquences concrètes sur la disponibilité du misoprostol en pharmacie.

La bataille juridique autour de l'IVG aux États-Unis a conduit plusieurs États à constituer des stocks importants de cette spécialité afin de garantir son accès pour plusieurs années. Ceci pose évidemment la question de sa disponibilité sur les autres marchés. Vous nous direz si la France se trouve dans une situation particulière à cet égard. L'annonce par l'ANSM d'importations en provenance de l'Italie semble le démontrer.

Vous l'aurez compris, notre commission d'enquête entend obtenir des réponses étayées à des questions précises.

Je précise que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

M. Vincent Leonhardt, le Dr Hélène Herman-Demars et M. Nicolas Doumeng prêtent serment.

M. Vincent Leonhardt, président de Nordic Pharma France. - Je vous remercie de nous donner l'occasion de nous exprimer sur les tensions dans la chaîne d'approvisionnement du misoprostol ces dernières semaines.

Nordic Pharma Group a été créé en 1995 en Suède. Nous sommes un laboratoire pharmaceutique à capitaux privés européens - sans capitaux américains. Depuis 2001, Nordic Pharma se développe en dehors de la Scandinavie grâce à ses filiales, présentes dans toute l'Europe autour d'activités pharmaceutiques complètes (production, développement clinique, enregistrement).

Nordic Pharma France a été créé en 2002 et compte une soixantaine de collaborateurs. Notre activité se concentre sur la rhumatologie, l'anesthésie et la gynécologie. Notre chiffre d'affaires s'élevait à 50 millions d'euros en 2022. Nous sommes une entreprise de taille modeste dans l'univers de l'industrie pharmaceutique.

Nous mettons notamment à disposition des médicaments permettant l'interruption volontaire de grossesse médicamenteuse. Selon la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), quelques 223 000 IVG ont été pratiquées en France en 2021, dont 76 % par voie médicamenteuse. D'après les chiffres de vente internes de Mifegyne, 68 % des IVG médicamenteuses ont eu lieu dans des structures hospitalières ou cliniques. L'accès à l'IVG médicamenteuse s'est simplifié ces dernières années, grâce à la suppression du délai de réflexion et à la possibilité de réaliser ces interventions en téléconsultation.

L'IVG médicamenteuse se pratique à l'aide de deux médicaments administrés à 48 heures d'intervalle : la mifépristone puis le misoprostol.

La mifépristone (Mifegyne), plus connue sous le nom RU 486, n'a pas rencontré de tension au cours des 24 derniers mois.

Le misoprostol existe sous deux marques : MisoOne et Gymiso. Historiquement disponible hors AMM, le médicament a été retiré en mars 2018, le laboratoire n'ayant jamais voulu poursuivre son développement et son enregistrement dans l'indication IVG. Ce retrait a été rendu possible par le lancement de la commercialisation de MisoOne par Nordic Pharma dès 2014. Nous nous trouvons être l'exploitant des deux marques de misoprostol disponibles en France depuis que le laboratoire Linepharma - qui commercialisait le Gymiso - s'est retiré du marché. Aucun autre repreneur ne s'est manifesté pour assurer l'exploitation de ce médicament.

Nordic Pharma a conservé deux processus de fabrication distincts afin de garantir une alternative de production. Cette stratégie a démontré son efficacité ces dernières semaines. La production des deux médicaments est assurée en Europe. L'usine de principe actif, commune aux deux produits, se trouve en Angleterre, près de Newcastle. Les deux usines de production de MisoOne sont basées en France. L'usine qui fabrique les comprimés est implantée à Lille tandis que l'usine de conditionnement est située à côté d'Auxerre. Pour leur part, les comprimés Gymiso sont fabriqués et conditionnés sur le site de Leon Pharma, en Espagne.

L'ensemble du process est donc sous contrôle de Nordic Pharma. L'approvisionnement ne dépend en aucun cas de la situation politico-économique aux États-Unis.

Permettez-moi de préciser que, s'il y a eu des tensions d'approvisionnement, il n'y a pas eu - et il n'y a pas à craindre - de pénurie sur le misoprostol ou sur la mifépristone.

Je tiens à vous rassurer sur l'état de nos stocks. Au 2 mai, nous disposons de 54 833 boîtes de Mifegyne 200 milligrammes (soit 4,9 mois de stock) et près de 1 900 boîtes de Mifegyne 600 milligrammes (soit 3,4 mois de stock). La spécialité n'a connu aucune tension au cours des 24 derniers mois.

S'agissant du misoprostol, nous comptons à date 35 522 boîtes de Gymiso (soit 1,5 mois de consommation courante). Ce stock sera porté à plus de 3,5 mois dès réception de 60 000 unités début juin. Par ailleurs, nous avons 34 348 boîtes de MisoOne d'un comprimé (plus d'un mois de stock) et 6 400 unités seront livrées cette semaine. Le stock dépassera les cinq mois d'ici la fin juin. Avec seulement 500 boîtes, les stocks de MisoOne par seize comprimés restent faibles, mais 4 000 boîtes seront livrées cette semaine et 8 000 fin juin (soit quatre mois de stock).

Les tensions sont terminées aujourd'hui. Seule subsiste une mesure de contingentement quantitatif permettant de livrer normalement plus de 95 % des commandes tout en évitant les phénomènes de sur-stockage. Ce niveau de stock a conduit l'ANSM à déclarer jeudi dernier la remise à disposition du MisoOne.

Les tensions rencontrées dans la chaîne d'approvisionnement de ces deux produits sont indépendantes, Nordic Pharma ayant conservé deux canaux de production distincts.

Un problème de commande de principe actif entre le site anglais et l'usine espagnole a entraîné un décalage important dans le planning de production de Gymiso. La mise à disposition du médicament a été retardée, de fait, et a entraîné une rupture entre le 28 novembre et le 16 janvier. Plus de 100 000 unités ont été réceptionnées depuis.

Les reliquats de commandes livrées ont permis de pallier les tensions qui ont suivi sur MisoOne. Celles-ci étaient liées à un blocage suite à un contrôle qualité. Près de trois mois ont été nécessaires, entre février et le 26 avril, pour identifier l'origine du problème et s'assurer de l'excellente qualité du produit.

Pour ces deux médicaments, des mesures ont été prises en totale transparence avec l'ANSM. Elles ont consisté en des contingentements pour éviter des sur-stockages et garantir un écoulement régulier et en des importations de produits destinés à d'autres marchés européens. La situation a nécessité toute l'attention de l'ANSM. En concertation avec Nordic Pharma, des mesures ont été mises en place pour que toutes les patientes Françaises puissent bénéficier d'une prise en charge.

Ainsi, alors que de très nombreuses spécialités en France ont été confrontées à des ruptures d'approvisionnement, la gestion conjointe entre l'ANSM et Nordic Pharma a permis d'assurer la mise à disposition des spécialités MisoOne et Gymiso ces dernières semaines. Les plans de production 2023 nous confortent sur les approvisionnements futurs

Je vous remercie de votre attention.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Je vous remercie. Je laisse la parole à notre rapporteure, Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Merci pour ces explications. Je reste dubitative sur plusieurs points. En tant que législateurs, nous avons été alertés par des associations féministes, le Planning familial ou encore l'Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (OTMeds) quant à l'impossibilité pour certaines patientes de recourir à une IVG médicamenteuse.

Vous évoquez une rupture entre le 28 novembre et le 16 janvier, puis trois mois entre février et 26 avril pour vérifier la qualité du produit. Ce sont ainsi cinq mois de tensions, voire de ruptures. Pouvez-vous confirmer, infirmer ou préciser ce décompte ?

La presse a évoqué une difficulté dans l'une de vos usines ou chaînes de production. Cette information est-elle avérée ?

Il apparaît que 80 % des principes actifs proviennent de Chine ou d'Inde. Pouvez-vous confirmer que les principes actifs de la mifépristone et du misoprostol sont produits en Europe et ne font donc pas partie de ces 80 % ?

Compte tenu du monopole de Nordic Pharma sur le misoprostol, il n'existe pas de générique ou d'alternative médicamenteuse en Europe. Cette situation pose une difficulté en cas de tension ou de problème dans la production. Elle conduit plusieurs acteurs à suggérer que le Gouvernement puisse accéder à la licence d'office. Un mois de tension sur un médicament peut sembler peu, mais les conséquences peuvent être catastrophiques lorsqu'il est question d'IVG. Disposez-vous d'éléments de nature à nous rassurer sur le fait que les patientes en France et en Europe pourront bénéficier d'une IVG médicamenteuse sans difficulté ?

Vous êtes en position de force dans la fixation du prix. L'ANSM aurait annoncé une importation en urgence de médicaments en provenance d'Italie. Les tensions et ruptures connues en France seraient-elles dues à un prix moins élevé dans l'hexagone, qui conduirait à servir en priorité les autres pays européens ?

Le Gouvernement a annoncé plusieurs initiatives pour assurer la souveraineté sanitaire de la France et l'approvisionnement en médicaments essentiels. Nordic Pharma a-t-il pris part à ces discussions ? Votre laboratoire s'est-il porté candidat à des appels à projets ou à manifestation d'intérêt en vue de bénéficier d'aides publiques à l'innovation ou à la réindustrialisation ?

De quelles aides publiques avez-vous bénéficié au cours des dernières années ?

M. Vincent Leonhardt. - Nous avons été confrontés à trois mois de rupture de Gymiso puis deux mois de tension sur MisoOne. Il ne s'agissait pas d'une rupture, mais d'un renforcement du contingentement. Lors de la rupture de Gymiso, MisoOne était disponible en quantité suffisante.

M. Nicolas Doumeng, pharmacien responsable de Nordic Pharma France. - Effectivement, il n'y a pas eu de pénurie en misoprostol à l'échelle de notre laboratoire. Nous avons agi en transparence avec les autorités de santé.

Une erreur humaine est survenue en juin 2022 dans la commande du principe actif de Gymiso, entraînant un décalage de production. L'absence de contrat « partenaires » n'a pas permis de prioriser une production suffisamment tôt et a abouti à un décalage à décembre 2022. Depuis, Nordic Pharma a pris la responsabilité de gérer l'intégralité des fournisseurs de principe actif. Tel est déjà le cas pour MisoOne depuis plusieurs années.

Dès l'identification de la problématique fin septembre, des contingentements progressifs ont été mis en place pour lisser les commandes. Cette mesure n'a pas permis d'empêcher une rupture de Gymiso entre fin novembre et le 16 janvier. Les stocks de MisoOne ont toutefois suffi à répondre à la demande.

Le 16 janvier, nous avons reçu une première vague de 26 000 unités. Des contingentements ont été maintenus afin de réduire les risques de sur-stockage. Nous avons livré 95 % des commandes sans modification. Nous avons privilégié la mise à disposition de Gymiso dans les pharmacies de ville - avec restriction de distribution. Des boîtes de seize comprimés ont été livrées aux hôpitaux.

Le 24 février, nous recevions 26 000 unités supplémentaires (soit 1,7 mois de stock). Nous avons maintenu le contingentement de 95 % de commandes honorées.

Le 4 avril, nous avons reçu 46 000 unités supplémentaires (soit 2,4 mois de stock) et livré une grande partie des reliquats de commandes en attente, permettant de lever les problématiques autour du Gymiso.

S'agissant de MisoOne, nous identifions fin janvier une première alerte en raison de la non-livraison d'un reliquat de commande de 7 000 boîtes d'un comprimé. Le fabricant a par ailleurs annoncé le décalage de la livraison suivante, du mois de mars au mois d'avril. Début février, la société Delpharm - le fabricant des comprimés - nous a informés d'un problème de contrôle qualité. Nous avons également appris l'arrêt de la fourniture des comprimés par Delpharm à Macors - le fabricant du produit fini. Le retour à la normale était prévu en avril. Nous avons mis en place plusieurs actions pour limiter l'impact sur le marché, dont une mesure de contingentement début février, concomitamment à l'information à l'ANSM de tensions sur le produit. Début mars, nous restreignions la distribution en ville de MisoOne en boîte d'un comprimé, en privilégiant les boîtes de seize pour les hôpitaux. Nous avons étudié les opportunités d'importation pour sécuriser l'approvisionnement du marché. Nous avons ainsi mis à disposition 1 800 boîtes italiennes le 20 avril puis 3 200 supplémentaires le 24 avril. Nous avons réceptionné le 26 avril les 38 000 unités prévues, correspondant à un peu plus de trois mois de stock.

L'origine de ces tensions et les actions correctives ont été présentées en transparence à l'ANSM.

M. Vincent Leonhardt. - Votre deuxième question évoquait des informations de presse quant à des difficultés sur nos chaînes de production. J'ignore d'où proviennent ces annonces. Je pense que nous avons apporté des réponses. Le misoprostol relève de deux canaux de fabrication distincts.

Je confirme que tous les médicaments utilisés pour l'IVG médicamenteuse sont fabriqués en Europe. Mifegyne est entièrement produit en France, y compris son principe actif. Le principe actif du misoprostol est fabriqué en Angleterre. Gymiso et MisoOne sont ensuite produits respectivement en Espagne et en France.

J'ai présenté dans mon propos introductif le contexte ayant conduit Nordic Pharma à disposer d'un monopole. Le misoprostol n'étant pas breveté dans cette application, des génériques seraient possibles sur ces produits.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Pour quelles raisons précisez-vous que le misoprostol n'est pas breveté « dans cette application » ?

M. Vincent Leonhardt. - Nous commercialisons uniquement le misoprostol pour les IVG médicamenteuses ; je ne pourrais donc pas vous dire ce qu'il en est des autres indications. Ces autres utilisations de MisoOne et Gymiso sont encadrées par des CPC (cadres de prescription compassionnelle).

Dr Hélène Herman-Demars, directrice Médical et Pharmacovigilance de Nordic Pharma France. - Dès 2018, l'ANSM nous a demandé de mettre en place des protocoles d'utilisation thérapeutiques pour deux CPC : l'interruption médicale de grossesse et la grossesse arrêtée jusqu'à quatorze semaines d'aménorrhée. Ces CPC ont été renouvelés en 2022. Récemment, l'ANSM a sollicité une troisième CPC pour l'IVG médicamenteuse au-delà de sept semaines d'aménorrhée.

L'ANSM, avec Nordic Pharma, encadre ainsi toutes les utilisations du misoprostol et de la mifépristone. Nous rendons des comptes à l'ANSM tous les six mois au travers de rapports détaillés.

M. Vincent Leonhardt. - Je maîtrise mal la « licence d'office ». Le misoprostol fait partir des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur, ce qui nous oblige à un certain niveau de stock de sécurité.

M. Nicolas Doumeng. - Le misoprostol fait effectivement l'objet d'un suivi rigoureux et régulier afin de prévenir tout événement à même d'impacter l'approvisionnement du marché. Nous suivons notamment les ventes et l'actualité sur l'IVG. Nous mettons en place des stocks de sécurité et des stocks d'alerte. Les médicaments d'intérêt thérapeutique font l'objet d'un plan de gestion de pénurie et d'évaluation du risque de survenue d'une difficulté sur la chaîne d'approvisionnement. Nous nous devons de proposer des mesures pour limiter ce risque et son impact éventuel.

Afin de limiter la survenue de difficultés, nous pouvons mettre en place des mesures de contingentement quantitatif ou qualitatif, restreindre la distribution en ville et à l'hôpital, avoir recours à des alternatives - Gymiso et MisoOne ont, à tour de rôle, compensé les difficultés d'approvisionnement de l'autre produit - ou encore rechercher des alternatives à l'import.

Ces dispositions sont complétées par des leviers industriels. Ainsi, nous disposons aujourd'hui d'un stock tampon de principe actif de MisoOne chez le fabricant afin de pouvoir produire un an de produits finis. Nous avons également mis en place un stock tampon de comprimés sur le site de conditionnement et de libération du produit fini. Il en est de même pour Gymiso, produit pour lequel nous disposons d'un stock tampon de 30 000 unités de principe actif.

Nous investiguons d'autres mesures d'optimisation, telles que la recherche de sites alternatifs, la consolidation des sites existants ou encore l'amélioration des commandes des standards de référence et des substances actives.

M. Vincent Leonhardt. - Votre question suivante portait sur le prix du médicament. L'importation de produits italiens s'explique par l'existence d'un stock, que nous avons rapatrié sans porter préjudice aux femmes italiennes.

La boîte d'un comprimé de MisoOne ou de Gymiso est vendue 10,65 euros. Nordic Pharma a fait le choix de vendre ses produits au montant de leur prise en charge. La France est un marché prioritaire ; le pays représente environ 65 % des ventes de MisoOne et 91 % des ventes de Gymiso. Les problèmes d'approvisionnement étaient sans lien avec le prix du médicament.

Dr Hélène Herman-Demars. - Le forfait de l'IVG médicamenteuse s'élève à 183,57 euros en ville (188,81 euros en cas d'échographie préalable) et à 282,91 euros dans les établissements de soins. La part du médicament dans ces montants est de 10,65 euros, quel que soit le lieu où est réalisée l'IVG.

M. Vincent Leonhardt. - Dans votre dernière série de questions, vous évoquez des initiatives visant à assurer la souveraineté nationale. Nordic Pharma est un acteur de taille modeste. Nous ne nous sommes pas manifestés pour prendre part à ses initiatives. Je rappelle que nos produits sont fabriqués en France et Europe. Nous adoptons une approche très locale.

Nous ne percevons pas d'aides publiques pour nos travaux de recherche et développement. Nordic Pharma a fait appel au crédit d'impôt recherche il y a quelques années sur la gamme de rhumatologie. Nous pourrons vous apporter des précisions en suivi.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Je laisse la parole aux membres de la commission d'enquête.

Mme Laurence Muller-Bronn. - Il est réjouissant de vous entendre, sur les lieux de fabrication et le prix du médicament. Mes questions portaient sur les éventuels impacts de ce prix sur les tensions. Nous entendons souvent que les médicaments en France ne sont pas payés suffisamment cher.

Quelle est la part de vos ventes et de votre chiffre d'affaires réalisée à l'étranger ? Vendez-vous vos produits au même prix à l'étranger ? Avez-vous rencontré des difficultés sur d'autres spécialités que la gynécologie ?

Mme Laurence Harribey. - Vous souligniez « avoir fait le choix » de fixer le prix à hauteur du remboursement. J'en déduis que celui-ci est acceptable économiquement pour vous.

Vous avez géré une tension plutôt qu'une pénurie. Avez-vous connu d'autres tensions de ce type ?

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Des cabinets médicaux, des pharmacies, des hôpitaux, ont remonté des décalages de prise en charge en raison de cette « pénurie ». En avez-vous connaissance ? Les tensions sur les pilules abortives imposent des arbitrages nécessairement délicats sur le terrain. Ce médicament est essentiel, notamment dans le combat pour le droit des femmes. Dès lors qu'il n'existe pas d'alternative, une telle situation de fragilité est intenable.

M. Vincent Leonhardt. - Toutes les tensions d'approvisionnement ont été gérées en transparence et en régularité avec l'ANSM.

Nous avons observé des décalages de livraison, notamment en rhumatologie, en raison de problématiques industrielles. Sur cette spécialité également, notre production est entièrement assurée en Europe - les principes actifs sont produits en Belgique et l'assemblage est réalisé en Belgique et en Suède.

La France représente un tiers des ventes de Mifegyne, 65 % des ventes de MisoOne et 91 % des ventes de Gymiso.

Compte tenu du secret industriel, je n'évoquerai pas la rentabilité de ces médicaments. Nordic Pharma souhaite que le prix de vente n'excède pas le forfait de prise en charge. À nouveau, nous bénéficions d'un monopole de circonstance, qui n'est pas lié à un brevet et qui répond en partie à votre question sur la rentabilité.

L'impact sur le terrain a été mesuré au travers des appels reçus.

Dr Hélène Herman-Demars. - Nous enregistrons tous les appels des professionnels de santé. Je consulte les registres chaque matin. Mes équipes m'alertent lorsque les taux sont supérieurs à la normale. Sur les quatre premiers mois de 2023, nous recensons sept appels relatifs à la logistique en janvier, trois en février, onze en mars et 22 en avril, soit 43 appels au laboratoire, à comparer aux 21 000 pharmacies existant en France. Compte tenu de cette faible volumétrie, nous n'avons pas mis en place de numéro vert. Nous n'enregistrons aucun appel depuis le 25 avril, veille de la communication de l'ANSM sur le retour des stocks. À titre de comparaison, nous avions reçu 19 appels concernant la logistique en 2022.

Aucune patiente ne nous a contactés et aucun professionnel de santé n'a remonté une détresse liée au report d'une IVG.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Le nombre d'appels augmente par rapport à 2022. Qui vous contacte ?

M. Vincent Leonhardt. - Nous ne sommes qu'un maillon de la chaîne d'approvisionnement, qui compte également les grossistes, les centrales et les pharmacies. Toutes les pharmacies en France ne commandent pas régulièrement du Gymiso ou du MisoOne.

M. Nicolas Doumeng. - Nous approvisionnons sans distinction tous les acteurs de la chaîne. Il n'est pas exclu que certaines agences de grossistes aient rencontré des difficultés ponctuelles d'approvisionnement, du fait de délais de commande rallongés, par exemple. Nous avons répondu aux 1 400 demandes de dépannage des pharmacies remontées depuis le début de l'année.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Nous avons du mal à confronter les 43 appels et ces 1 400 dépannages.

M. Vincent Leonhardt. - Les demandes de dépannages ont été prises en charge par notre plateforme de distribution. Notre dépositaire a systématiquement répondu à ces sollicitations pour résoudre les tensions dans la chaîne d'approvisionnement. En parallèle, le département d'information médicale du laboratoire a directement reçu 43 appels pour remonter les impacts des décalages sur les patients.

Mme Patricia Schillinger. - Avez-vous rencontré des tensions et pénuries similaires ailleurs en Europe ?

M. Vincent Leonhardt. - Les problématiques d'approvisionnement étaient en partie liées aux chaînes de fabrication et n'ont donc pas concerné uniquement la France. Le retentissement a toutefois été plus important ici en raison de nos parts de marché dans le pays.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Je vous remercie pour ces réponses complètes et précises.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

- Présidence de Mme Sonia de La Provôté, présidente -

Audition de M. Olivier Véran, ancien ministre des Solidarités et de la Santé

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Nous poursuivons cet après-midi les travaux de notre commission d'enquête par l'audition de M. Olivier Véran, en sa qualité d'ancien ministre des Solidarités et de la Santé. Je vous remercie, Monsieur le Ministre, de vous être mobilisé.

Notre but aujourd'hui n'est pas de revenir sur votre action pour faire face à la pandémie mais de regarder « par-delà les vagues », pour reprendre le titre du récit que vous avez consacré à la gestion de la crise de la covid. Nous savons tous que celle-ci a largement fait passer les autres impératifs de santé au second plan. Nous avons néanmoins souhaité vous entendre à double titre. D'abord parce que si la pandémie a grandement contribué à l'aggravation des ruptures d'approvisionnement en médicaments, celles-ci ne datent pas de la propagation du SARS-CoV-2. Votre prédécesseure avait établi une feuille de route 2019-2022 pour « lutter contre les pénuries et améliorer la disponibilité des médicaments en France ». Celle-ci comportait 28 actions, ordonnées selon quatre axes : tout d'abord, promouvoir la transparence et la qualité de l'information afin de rétablir la confiance et la fluidité entre tous les acteurs du professionnel de santé au patient ; ensuite, lutter contre les pénuries de médicaments par des nouvelles actions de prévention et de gestion sur l'ensemble du circuit du médicament ; en troisième lieu, renforcer la coordination nationale et la coopération européenne pour mieux prévenir les pénuries de médicaments et enfin mettre en place une nouvelle gouvernance nationale. Nous pourrons revenir sur ces quatre axes qui restent d'actualité.

Je pense que nous serons tous d'accord pour considérer que le contexte sanitaire, de début 2020 à fin 2022, ne pouvait que bouleverser les perspectives de réalisation de ces objectifs. Pour autant, toutes les actions n'ont pas été laissées de côté et des dispositions législatives comme réglementaires sont intervenues pendant que vous étiez en charge de la santé au Gouvernement. Nous serons évidemment attentifs au bilan que vous en dressez aujourd'hui.

Par ailleurs, si elle ne constitue pas notre principale cible, l'étude de la gestion de la pandémie n'est pas sans lien avec la lutte contre les pénuries - je pense par exemple, au début de la crise, à la question des stocks de masques, en particulier de leur date de péremption. L'idée d'étendre la date de péremption des médicaments en rupture a été évoquée par plusieurs des personnes que nous avons auditionnées et, aux États-Unis, la FDA (Food and Drug Administration) a formulé des propositions dans le même sens. Un autre volet porte sur la gestion en urgence de la pénurie des médicaments anesthésiques, comme le propofol ou les curares, que vous avez eus à gérer. Vous pourrez témoigner de la façon dont vous avez vécu cette période très particulière qui a conduit à mettre en oeuvre un certain nombre de mesures exceptionnelles pour répondre à la pénurie de produits dont l'usage a connu un pic inhabituel.

Je voudrais également vous interroger sur la gestion européenne de la commande de médicaments qui a eu une dimension spécifique pendant la covid mais a transformé notre regard sur les questions sanitaires au niveau européen avec ce fameux « paquet pharmaceutique » très récemment publié. La santé a pris à nouveau une dimension européenne avec la pénurie de médicaments dont s'est emparée l'Agence européenne des médicaments (EMA) qui estime que cette question entre dans son champ de compétences.

Nous souhaitons recueillir votre témoignage sur cette période de crise et sur les mesures qui ont alors été mises en place, ainsi que celles qui pourraient se révéler utiles en dehors des phases critiques. Lors de la mission d'information conduite par le Sénat en 2018, on estimait que les pénuries concernaient déjà 700 à 800 médicaments. Aujourd'hui, on estime entre 2 500 et 3 000 le nombre de médicaments qui sont en tension ou en pénurie. Pour certains - comme les corticoïdes en gouttes destinés aux nourrissons pendant l'épisode hivernal d'épidémie à Virus respiratoire syncytial (VRS) - les difficultés durent depuis une dizaine d'années et n'ont toujours pas été réglées. Une telle situation ne relève plus tout à fait de la crise mais du déficit chronique non anticipé.

Sur l'ensemble de ces sujets, Monsieur le Ministre, je vais vous céder la parole pour un bref propos introductif. Puis Mme Laurence Cohen, rapporteure de notre commission d'enquête, vous posera une première série de questions : comme vous l'aurez compris, notre commission d'enquête entend obtenir des réponses étayées à des questions précises. Je précise également que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite, Monsieur le Ministre, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Olivier Véran  prête serment.

M. Olivier Véran, ancien ministre des Solidarités et de la Santé. - Merci pour cette convocation devant votre commission d'enquête. Permettez-moi de rappeler que je suis aujourd'hui reçu et vous l'avez dit, en ma qualité d'ancien ministre de la santé et non pas au titre de mes fonctions actuelles de porte-parole du Gouvernement. Je concentrerai donc mon intervention et mes réponses aux prérogatives qui furent les miennes et sur la période actuelle aux seules annonces publiques faites par la Première ministre et les ministres en charge de ce dossier. Vous comprendrez aisément que je ne saurai apporter des éléments de réponse sur des dossiers qui n'entrent plus dans mon portefeuille ministériel. Cela étant précisé, je remercie le Sénat de conduire ce travail d'enquête car il est toujours utile de se pencher sur cette question qui certes n'est pas nouvelle mais qui a été au coeur de l'actualité cet hiver, l'est encore aujourd'hui et le sera peut-être encore hélas tout autant demain.

En effet, il faut croire, et je parle ici en tant qu'observateur, que les pénuries vont s'accélérer sous l'impulsion de différents facteurs, à commencer par le vieillissement de la population en France et en Europe. On vit plus longtemps, c'est une bonne chose, mais on vit plus longtemps avec des maladies chroniques et, pour y parvenir, nous consommons de plus en plus et même trop de médicaments. La demande va continuer à augmenter de façon mécanique.

L'offre qui répond à cette demande est celle d'une industrie qui, par nature, a un impact sur l'environnement. Tout le monde veut qu'on produise des médicaments dans notre pays mais il est plus compliqué de trouver les endroits précis où implanter les unités de production qui relèvent de la règlementation applicable aux installations classées, dites Seveso. En outre, le coût de production est très impacté par la hausse des prix de l'énergie : la consommation énergétique de ces industries du médicament pèse fortement sur le dynamisme de l'offre, surtout lorsqu'elle doit maintenir des prix constants.

Au total, l'offre de médicaments est soumise à des contraintes fortes, alors que la demande s'accélère : c'est le scénario idéal - si je peux me permettre cette antiphrase - pour que les pénuries continuent de se multiplier.

Je souhaiterais, avant d'entrer dans le vif du sujet, apporter une autre précision importante : il ne faudrait pas laisser croire à nos concitoyens que le Gouvernement découvre le sujet ; vous l'avez dit en introduction et je vous en remercie. Nous avons perçu l'accroissement du nombre des pénuries de médicaments car nous avons commencé à les mesurer : les déclarations obligatoires auprès de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) portant sur les tensions et les ruptures de médicaments ont permis de disposer de l'état réel d'une situation qui était sans doute très imparfaitement mesurée jusqu'alors. Des mesures ont été prises en partie lorsque j'étais ministre, mais pas seulement car, en ma qualité de parlementaire, j'ai également eu à connaître des textes et réflexions portées par d'autres gouvernements que celui auquel j'appartiens aujourd'hui, si bien qu'en matière de lutte contre les pénuries de médicaments, la France dispose d'un cadre juridique particulièrement robuste et protecteur que nombre de de nos voisins nous envient.

J'interviendrai aujourd'hui autour de trois points permettant de traduire le sens de mon action en tant que ministre de la Santé et d'apporter des éléments de réflexion ou de prospection précieux pour comprendre la situation du médicament aujourd'hui. D'abord j'évoquerai la feuille de route 2019-2022 que j'ai pilotée en tant que ministre et participé à enrichir avant d'être ministre en ma qualité de rapporteur général de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. Ensuite, je reviendrai sur la crise de la covid-19 qui a, dans sa dimension sanitaire comme économique, joué un double rôle d'accélérateur et de catalyseur de la pénurie de médicaments mais aussi de la lutte contre la pénurie dans notre feuille de route. Enfin, je terminerai par des considérations à moyen et long terme sur l'avenir du médicament, de sa production à son recyclage en passant naturellement par son usage en France et en Europe.

Tout d'abord, la feuille de route 2019-2022 a été pensée et lancée dans un contexte totalement différent de celui d'après la crise sanitaire. En dix ans, de 2008 à 2018, les signalements de pénuries ont été multipliés par 20. Ce qui était un fait rarissime semblait devenir une tendance de fond en France et en Europe.

Face à cet enjeu, l'ambition et la volonté d'anticipation du Premier ministre se sont traduites en actes dans la feuille de route ambitieuse, pilotée par Agnès Buzyn, puis par votre serviteur. Cette feuille de route visait les quatre objectifs prioritaires que vous avez mentionnés : promouvoir la transparence et la qualité de l'information, améliorer la gestion et la sécurisation de l'ensemble de la chaîne du médicament, renforcer la coopération européenne et mettre en place une nouvelle gouvernance nationale. Au service de ces objectifs, 28 actions ont été déployées dans le contexte contraint que vous connaissez et sept groupes de travail se sont régulièrement réunis pour proposer des mesures concrètes. Nous avons notamment fixé une obligation de constitution d'un stock de sécurité permanent de deux mois pour tous les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM) et d'une semaine pour les autres médicaments, assortie de possibilités de contrôle et de sanction.

Ce décret dit stock a été arraché de haute lutte auprès de l'Europe et j'espère aujourd'hui que ce dispositif sera repris à l'échelle de l'Union européenne à la hauteur des critères français de manière à avoir un poids plus fort vis-à-vis des laboratoires et traduire une vision partagée de l'accès aux médicaments pour les patients européens. Lorsque j'étais rapporteur général de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, j'ai plaidé en faveur de la constitution de ces stocks à l'échelle du territoire européen et il me semble que l'unanimité était loin d'être atteinte sur ce sujet. Pour être tout à fait exhaustif, c'est un combat parlementaire que j'avais mené après avoir été amené à repousser des amendements - je crois lors du PLFSS précédent - inspirés d'associations qui s'étaient mobilisées et que je salue parce qu'elles ont joué un rôle déterminant : la rédaction proposée par ces associations n'était pas conforme au droit européen et je m'étais engagé à revenir l'année d'après, avec une disposition juridiquement adéquate. Cela a été une bataille, non pas tant parlementaire parce qu'il y avait consensus - même si certains députés souhaitaient aller plus loin - mais pour prendre le décret d'application et le faire accepter au niveau de la Commission européenne.

La seconde mesure de grande ampleur a été une refonte d'ensemble de la procédure des plans de gestion des pénuries (PGP) par l'ANSM afin de renforcer nos capacités d'adaptation. Par ailleurs, dans cette bataille de l'anticipation, l'accès à l'information est crucial ; aussi le déploiement du logiciel DP-Ruptures par l'Ordre des pharmaciens a participé pleinement à cet effort. Développé dès 2013, il est maintenant utilisé dans la quasi-totalité des officines en France. Mon objectif, en tant que ministre était clair : faire en sorte que les Français soient les premiers à avoir accès aux médicaments innovants et qu'ils soient les derniers à en manquer.

La deuxième partie de mon propos est naturellement orientée autour de la crise de la covid-19 qui a bousculé le déploiement de notre feuille de route en particulier et la planète entière en général. La crise a eu deux effets sur des pénuries de médicaments : un effet « micro », car la feuille de route était un cadre qu'il fallait dépasser, et un effet « macro » puisque la mise à l'arrêt d'une partie de la planète allait avoir un impact notable sur la production mondiale de médicaments. La crise n'a pas eu pour conséquence de rendre la feuille de route obsolète et, bien au contraire, la crise a accéléré son déploiement et ses ambitions. Cependant, il a fallu parfois s'en dégager pour mener des actions complémentaires face à des pénuries mondiales et à une succession d'événements divers et variés, à l'instar de la pénurie de carton qui, de prime abord, n'était pas un événement de nature à créer une pénurie de médicaments et qu'il a pourtant fallu prendre en compte.

Face à cette situation inédite, nous avons fait preuve d'innovation et je pense ici à la mobilisation d'un réseau de pharmaciens hospitaliers pour produire des médicaments grâce notamment à l'Ageps - Agence générale des équipements et produits de santé - que je tiens à remercier très solennellement devant votre commission d'enquête. En urgence, nous avons produit en France du cisatracurium qui était alors en rupture de stock : un changement d'échelle a été réalisé avec un sous-traitant privé pour les besoins des patients sur le territoire. Repris dans la LFSS 2022, ce dispositif vise à favoriser la production de médicaments en cas de situation critique par les pharmacies à usage intérieur (PUI) des établissements de santé et les établissements pharmaceutiques publics habilités en faisant appel à des établissements privés sous-traitants ; il pourra être mobilisé en cas de rupture ou de crise sanitaire. Nos actions de crise ont ainsi été traduites dans la loi - c'est une excellente nouvelle dont il faut se féliciter.

Par ailleurs, qui dit crise dit aussi reprise et la France a accompagné ce rebond. Ainsi, dans le cadre du plan France Relance, le ministère de la Santé a travaillé en étroite collaboration avec la direction générale des entreprises (DGE), depuis 2020, à la mise en place de dispositifs visant à redévelopper les productions en France. Pour réduire la dépendance extra-européenne, 150 projets ont été soutenus, avec 1,3 milliard d'euros d'investissements industriels et 650 millions d'aides d'État dédiées. Ces aides d'État atteignent 1,5 milliard d'euros dans le cadre du dispositif France 2030. Pardonnez un instant mon chauvinisme mais nous sommes fiers, en Isère, de nous préparer à ré-accueillir la production de paracétamol qui fait suite à l'engagement du Président de la République en juin 2020 dans le cadre de France Relance. La crise a définitivement confirmé que la politique du médicament devait se penser et être traduite au niveau européen pour qu'elle soit pleinement efficace.

J'en viens à la dernière partie de mon propos consacré aux pistes de réflexion. Je souligne tout d'abord que la solution est européenne ; les industriels ne produisent pas qu'en France et la fabrication de médicaments n'est pas soumise aux mêmes aléas ni aux mêmes normes ou critères d'un pays à un autre. De même que nous avons mené la bataille du vaccin au niveau européen, nous devons mener celle de l'approvisionnement en médicaments à cette même échelle. Si la France venait à fixer un cadre d'obligations nationales bien trop strict par rapport à ses voisins, nous risquerions une perte de compétitivité qui nous fragiliserait dans l'accès aux médicaments. C'est d'ailleurs le sens de l'engagement pris par les ministres François Braun et Roland Lescure au service d'une nouvelle stratégie en matière de prévention et de gestion des pénuries.

Ensuite, il faut viser la sobriété dans la consommation des médicaments. La France fait partie des pays d'Europe et du monde où la consommation de médicaments est la plus forte et il me semble qu'une des solutions réside dans sa réduction à travers plusieurs leviers. Le premier est la dispensation à l'unité des médicaments, permise par la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec) qui est hélas aujourd'hui trop peu employée. Je m'étais d'ailleurs mobilisé comme député pour appliquer cette méthode aux antibiotiques qui s'y prêtent davantage que des médicaments conditionnés dans des boîtes plus importantes adaptées aux patients atteints de maladies chroniques. Des expérimentations ont été conduites mais on constate la difficulté de passer de la théorie à l'action : c'est assez compliqué et on vous parle de sérialisation, de sécurisation, etc. Cette idée excellente se heurte en pratique à beaucoup de contraintes notamment normatives.

Un second levier de sobriété est l'augmentation de la maîtrise médicalisée et, pour y parvenir, il faut accompagner un changement de culture : toute consultation médicale ne doit pas nécessairement se conclure par la prescription d'un médicament. Il faut également renforcer notre vigilance sur la prescription à tout va d'antibiotiques : cela demeure une priorité, notamment en renforçant notre capacité et notre recours à des tests permettant de définir - tout simplement - si l'infection est virale ou bactérienne. On a développé les tests rapides d'orientation diagnostique (Trod) en pharmacie et il faut sans doute aller plus loin dans la capacité des Français de vérifier par eux-mêmes s'il relèvent ou pas d'une ordonnance d'antibiotiques. Je ferai peut-être plaisir à Madame la rapporteure Laurence Cohen en citant - hors du texte prévu pour mon intervention - Ivan Illich qui dans son ouvrage Némésis médicale a raconté en détail, il y a cinquante ans, comment, à force d'expliquer aux gens que l'évaluation de leur santé relevait des experts, on les avait éloignés d'un certain nombre de connaissances pourtant fondamentales qui doivent permettre aux citoyens français de s'autonomiser davantage dans la gestion d'un certain nombre de maladies dites courantes. Lorsque j'étais ministre chargé de la Santé, je recevais le délégué ministériel à l'antibiorésistance tous les trois mois et des résultats importants ont été obtenus en matière de réduction de prescriptions d'antibiotiques. Il importe donc que les médecins prescrivent moins, que les pharmaciens délivrent moins et que les Français consomment mieux. Il ne s'agit pas d'une punition ni d'un aveu de faiblesse mais d'une nécessaire évolution de nos usages pour viser une consommation juste et équilibrée des médicaments dans notre pays.

Troisièmement, il n'y aura pas de production de médicaments sans industrie verte car la question de l'approvisionnement en médicaments n'est pas uniquement du ressort du ministère de la Santé, elle est éminemment industrielle. Nous parlons souvent de relocalisation ou de rapatriement sur notre territoire d'usines principalement situées en Asie où les normes environnementales sont différentes.

En 30 ans, la production de 80 % des principes actifs a été délocalisée et concentrée dans quelques pays d'Asie, y compris les molécules d'intérêt thérapeutique majeur pour la population mondiale. Qu'en sera-t-il lorsque ces pays ne voudront plus produire ces principes actifs ou si des tensions survenaient, ce qui pourrait conduire à des pressions sur les chaînes de délivrance des principes actifs au reste du monde ?

Ces 30 ans de politique de désindustrialisation dans le monde occidental se sont accompagnés d'une prise de risque que j'estime majeure. Madame la Présidente, vous parliez tout à l'heure des masques et c'est un exemple illustratif : à un moment donné, il a été considéré que la production de masques délocalisée en Asie, en l'occurrence en Chine et essentiellement dans une seule province chinoise, était de nature à réduire les coûts et permettre d'alimenter toute la planète en masques. Avec le recul, on peut quand même préférer garder un peu de souveraineté : le mot n'est pas tabou, au contraire, et vous savez que cet enjeu tient à coeur le président de la République.

Quatrièmement, quel est le juste prix pour un médicament ? La question du prix du médicament est un corollaire de sa pénurie. J'assume de formuler une interrogation devant votre commission d'enquête : n'avons-nous pas maintenu le prix des médicaments trop bas, trop longtemps ? La mission annoncée par la Première ministre Élisabeth Borne sur la fixation du prix du médicament rendra bientôt ses conclusions : il nous faudra collectivement y être attentifs, car il me semble qu'une partie de l'enjeu réside bien là. Nos concitoyens constatent aujourd'hui que tout augmente, du beurre en passant par la baguette ou le steak congelé, sauf le médicament alors que le prix de l'électricité et le cours mondial des matières premières, eux, ont grimpé en flèche, notamment suite au long confinement de la Chine et à l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Lorsque les prix sont administrés, c'est l'industriel qui absorbe le choc. Cette réflexion n'est en rien une intervention en soutien aux laboratoires mais constitue l'anticipation d'un possible effet d'éviction qui viendrait renforcer les pénuries en France. L'enjeu d'attractivité de notre pays reste primordial car il n'est pas exclu - et c'est un euphémisme - que les laboratoires effectuent leur choix en fonction des conditions économiques d'un marché, en dépit de toute évaluation des besoins réels.

A contrario, le prix des médicaments innovants atteint des sommets et le traitement de certaines thérapies dépasse les deux millions d'euros. Je ne rentrerai pas dans les considérations éthiques de construction du prix d'une thérapie de l'innovation et donc de celui d'une vie : le Comité Consultatif National d'Éthique (CCNE) a brillamment abordé le sujet en soulevant les questions, les dilemmes, et la nature des arbitrages dans un avis de grande sagesse. Ainsi, l'avis 101 du CCNE de juin 2007 intitulé Santé, éthique et argent se termine par ces mots inspirants « La question éthique posée par l'examen de la dimension économique du soin explore la tension entre l'autonomie et la solidarité, entre la liberté individuelle et le bien public. Cette tension ne peut recevoir de réponse que dans la recherche d'équité, c'est-à-dire dans la justice. » C'est la même recherche d'équilibre entre des réalités et des ambitions, chacune légitime chacune bienvenue, qui doit guider l'action publique dans l'identification des solutions afin de continuer à anticiper le mieux possible les pénuries nationales et européennes.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Merci Monsieur le Ministre pour votre propos liminaire dont je vais d'ailleurs un peu suivre la trame pour vous interroger. Vous êtes parti à juste titre de la feuille de route de 2019 à 2022, et celle-ci avait fait de la transparence ainsi que de l'exhaustivité de l'information sur les ruptures d'approvisionnement, un des axes majeurs de la politique du Gouvernement. Vous l'avez d'ailleurs rappelé mais cette ambition apparaît assez inachevée. En effet, la plupart des personnes que nous avons auditionnées ont regretté devant notre commission d'enquête un manque d'information et je pense plus particulièrement aux médecins. En effet, ceux-ci signalent un décalage entre l'information que peuvent avoir les pharmaciens - vous avez d'ailleurs mentionné le logiciel DP-Ruptures - et les médecins qui nous ont dit qu'ils étaient alertés des pénuries par les pharmaciens mais qu'ils disposaient de peu d'informations directes. Quels sont à votre avis les points de blocage et n'y a-t-il pas des mesures simples et rapides à prendre pour modifier cet état de fait ?

Vous parlez en deuxième lieu de la crise de la covid, qui a accéléré l'ambition de la feuille de route, et je m'associe à l'hommage que vous adressez au réseau hospitalier ainsi qu'à l'Ageps ; or ces représentants nous ont indiqué que le travail de production absolument remarquable qu'elle a accompli au début de la crise sanitaire ne lui est pas autorisé en temps normal. Or, comme vous le savez, monsieur le ministre, l'Ageps n'a pas vocation à introduire des distorsions de concurrence. De plus, l'Ageps qui dispose aujourd'hui d'effectifs assez faibles au vu de ses missions - à peu près 120 ETP - va devoir se séparer de 40 à 50 ETP, ce qui va la priver de possibilités de production ; cela me paraît regrettable car c'est un outil qui peut être extrêmement intéressant. Ne pourrait-on pas s'appuyer sur cette agence en lui donnant les moyens d'assurer une fabrication publique non seulement de produits d'intérêt thérapeutique majeur mais aussi d'une cinquantaine de produits critiques - figurant dans une liste restreinte - qui nous permettrait de retrouver notre souveraineté, face aux pénuries.

Ma troisième question porte sur le manque de gouvernance de l'ensemble du système ; ce point a souvent été mis en avant et, je cite d'ailleurs votre ouvrage où vous signalez « une nuée de sigles qui traduit la complexité et la densité des agences et structures françaises dans le champ de la santé. ». À la lumière de vos deux années au ministère de la Santé, une réforme de la gouvernance est-elle souhaitable ? Par ailleurs, on a constaté que le médicament constitue une variable d'ajustement de l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) mais les contraintes budgétaires extrêmement fortes ne sont pas compatibles avec une sécurisation de l'approvisionnement en médicaments. Vous connaissez ma position sur l'Ondam mais ce n'est c'est pas de cela dont je veux débattre ici : je souhaite recueillir votre point de vue, sur le fait que dans cette enveloppe, le médicament est vraiment le parent pauvre.

Vous avez ensuite abordé la politique de relocalisation de la production de certains principes actifs essentiels. Vous êtes l'élu d'un département qui est fortement marquée par l'industrie chimique et nous avons pu, avec madame la Présidente, aller visiter le site de l'usine future du paracétamol que Seqens relocalise. Cette zone regroupe plusieurs sites classés Seveso ; elle constitue une plateforme fédératrice extrêmement intéressante, ce qui permet de sécuriser la production. Comment la France peut-elle favoriser de telles relocalisations car si une relocalisation totale en France n'est pas envisageable, comme vous l'avez souligné, une coordination est nécessaire au niveau européen, dans une parfaite harmonie entre les différents pays.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, que vous avez portée, prévoyait d'ajouter un nouveau critère de tarification du médicament, tenant à l'implantation industrielle. Le Comité économique des produits de santé (CEPS), que nous avons auditionné, nous a indiqué que son utilisation pourrait se limiter aux médicaments innovants. En ne visant pas prioritairement les médicaments matures, qui représentent l'essentiel des pénuries, ne manque-t-on pas la cible de cette mesure ?

Enfin, ma dernière question porte sur le prix des médicaments. Quatre volets principaux ressortent de toutes les auditions que nous avons pu organiser. Le premier est le besoin de transparence de ces prix : nous avons été extrêmement surpris de constater que personne n'était bien au fait de la méthodologie du CEPS dans la fixation des différentes composantes du prix des médicaments. Il est nécessaire d'instaurer une vraie transparence prenant en compte le coût de production réelle, le respect des normes environnementales et des conditions de travail - autrement dit des normes sociales car, comme vous l'avez souligné, pour aller vite les délocalisations en Chine et en Asie s'expliquent par des normes moins exigeantes dans ces deux domaines. Le prix de ces produits doit également prendre en compte le service médical rendu - c'est bien entendu un élément essentiel que j'aurais pu placer en premier - et enfin le bénéfice « normal », ou éthique, ou reconnu par tous, du fabricant de médicament. En mettant en place une telle transparence des prix du médicament, on disposera d'une vue d'ensemble permettant à chacune et à chacun de se positionner et de redonner confiance aux patientes et aux patients.

M. Olivier Véran. - J'ai noté sept questions.

S'agissant du décalage d'information entre les médecins et les pharmaciens sur les ruptures de médicaments, je tiens à souligner que toutes les ruptures sont aujourd'hui inscrites sur le site de l'ANSM, même s'il faut aller chercher l'information, ce qui est parfois difficile. En reprenant ma casquette de médecin, je recevais de temps en temps des mails à mon adresse hospitalière m'informant que des médicaments relatifs à ma discipline allaient être en rupture. Mais il peut arriver qu'un médecin prescrive des médicaments à des patients, qui les rappellent pour leur signaler l'impossibilité de s'en procurer. Pour un médecin, il est difficile de comprendre pourquoi tel médicament qu'il a l'habitude de prescrire n'est plus disponible et c'est un peu rageant. Il faut donc sans doute rendre l'information plus intelligible.

S'agissant de votre deuxième question sur la production de médicaments et le rôle de l'Ageps. La nouvelle feuille de route sera l'occasion de tirer les conclusions de ce qui s'est passé pendant la crise. Les pistes que vous dessinez me semblent pertinentes. Comme vous l'indiquez, ce n'est pas le rôle de l'Ageps de produire des médicaments d'usage courant pour toute la population sans quoi ce ne sont pas ses effectifs de 120 personnes - moins 40 selon les prévisions que vous avez évoquées - qui seraient nécessaires mais 100 ou 200 fois plus. Vous faites ainsi allusion à ce qui ressemblerait à l'idée d'un pôle public du médicament, dans un cadre restreint, et en tout cas d'un certain degré de production publique de médicaments ; il ne faut pas écarter cette possibilité et la production en urgence de cisatracurium a montré que c'était possible. Face aux tensions concernant l'amoxicilline, le recours aux préparations magistrales et hospitalières a largement été utilisé.

Avec la réforme de la gouvernance de la santé, vous ouvrez une thématique qui me semble beaucoup plus large que la question des médicaments qui nous occupe aujourd'hui. Le sujet est extrêmement vaste et je pense qu'on pourrait effectivement simplifier le paysage des différentes agences sanitaires, mais ce n'est pas mon rôle de dire comment.

En ce qui concerne les financements alloués au médicament et la régulation de l'Ondam, les conclusions de la mission en cours lancée par la Première ministre incluront sûrement une réflexion macro-économique sur la régulation des produits de santé. J'ajoute, Madame la Rapporteure, que la discussion des dispositions relatives aux médicaments au sein de l'Ondam était généralement assez bipartisane à l'Assemblée nationale. Néanmoins, une partie de l'hémicycle trouvait qu'on donnait trop au médicament et, une autre, pas assez. Il est intéressant d'acter le fait que les médicaments ont aussi un prix pour la nation et il ne faut pas attendre d'en manquer pour s'en rendre compte.

Vous appelez également à plus de relocalisations : en solde net, 200 usines ont été ouvertes dans notre pays en deux ans. Cette évolution générale - qui va bien au-delà de la production de médicaments - contraste avec des années, pour ne pas dire des décennies, de désindustrialisation. Elle marque une volonté du président de la République de retrouver la souveraineté française et européenne en matière industrielle qui commence à porter ses fruits. Parmi ces usines, certaines seront amenées à fabriquer des médicaments. Il s'agit d'un sujet plutôt européen que français qui nécessite une répartition, une coopération et une coordination avec nos voisins de l'Union européenne.

De plus, vous souhaitez incorporer un critère de coût de production en France dans le prix de tous les médicaments. Nous avons adopté un tel dispositif pour les médicaments innovants à l'article 65 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2022. Je ne peux pas tirer le bilan d'application de ce texte dans mes fonctions actuelles, mais la mission sur la régulation s'y intéresse.

S'agissant du besoin de transparence dans les prix du médicament, je rappelle que le secret des affaires ainsi que le secret industriel interdisent la diffusion publique de certaines données : le débat sur la transparence a déjà eu lieu plusieurs fois dans les assemblées parlementaires et, à chaque fois, cet argument qui me paraît tout à fait valable a été mis en avant. On a déjà connu des grands projets ou des tentatives de « grand soir » de réforme des mécanismes de fixation du prix des médicaments : il a par exemple été proposé de remplacer le service médical rendu (SMR) et l'amélioration du service médical rendu (ASMR) par un indicateur unique : l'index thérapeutique relatif (ITR). Il s'agissait de créer un indicateur composite qui tiendrait compte de l'ensemble des coûts de production, de transport et d'innovation. Cela n'a jamais vu le jour, parce qu'à chaque fois, on s'est heurté à la complexité d'un marché mondialisé. Ce sont de grandes batailles et je rappelle qu'un ministre de la Santé doit avant tout faire des choix souvent compliqués mais parfois source de grande fierté : tel a été le cas quand, pendant mon ministère, nous avons autorisé le remboursement du Kaftrio pour le traitement de la mucoviscidose. La France a été l'un des premiers pays à autoriser sa mise sur le marché, même si son coût était élevé. J'ai eu le bonheur de voir des jeunes atteints de mucoviscidose et dont l'état de santé s'est fortement amélioré : dans ce cas, on peut se dire qu'il fallait vraiment y mettre le prix. Parfois, c'est plus compliqué parce qu'on se heurte au sentiment qu'on peut avoir et qui n'est jamais un très bon indicateur dans un monde de « Evidence-based medicine » (EBM), mais certains malades donnent des retours positifs de l'utilisation d'un traitement qui n'est pas forcément remboursé - ou dont le prix n'est pas assez élevé au regard de ce qu'en attend le laboratoire qui dispose d'un monopole ainsi que du brevet. Le laboratoire indique alors qu'il ne commercialisera pas le produit si on ne fixe pas un prix satisfaisant et cela peut nous donner envie de pousser un peu la porte et de forcer des verrous. A contrario, parfois, on autorise des médicaments très chers - il peut s'agir de deuxièmes ou troisièmes lignes de chimiothérapie - pour des maladies dont l'espérance d'amélioration de la santé est incertaine.

Tous les pays occidentaux sont soumis à cette même nécessité de donner accès le plus tôt possible aux innovations médicales au prix le meilleur possible, sans jamais se retrouver pieds et poings liés par les laboratoires, ce qui est absolument impensable et impossible. C'est ici qu'intervient le CEPS qui n'a pas un rôle facile, surtout avec ses effectifs réduits.

Enfin, s'agissant de l'allongement des dates de péremption de certains médicaments en cas de rupture, je vous indique que c'est décidé au cas par cas. Ça a été fait, par exemple, pour certains vaccins comme celui contre la variole du singe après évaluation de la stabilité du vaccin par l'ANSM.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. . - Cela reste une solution transitoire mais qui peut avoir son utilité. En tout cas, cet allongement des dates de péremptiona été mis en place aux États-Unis.

M. Bruno Belin. - Monsieur le Ministre, merci pour votre intervention. On a bien commencé la journée avec Madame Roselyne Bachelot et on la finit bien avec vous : entre-temps, la qualité des propos n'a pas toujours été égale mais cela me permet de réagir. Pardon si je sors un peu du cadre de l'audition - mais le pharmacien d'officine que je suis, toujours en activité, tient tout d'abord à saluer la façon dont notre pays a géré la crise, avec une pandémie qui a tout de même provoqué, à certains moments, un nombre de décès inimaginable et inimaginé qui représentait un Airbus par jour et un Titanic tous les huit jours. C'est ce à quoi nous avons été confrontés dans les différentes vagues que vous connaissez évidemment mieux que quiconque et, à mon avis, il faut dire «  chapeau » et merci ; même si tout est perfectible, on peut être fier de ce qui a été fait grâce à l'ensemble des professionnels de santé dans ce pays.

J'affirme que si on veut donner un avenir aux médicaments, il faut soigner, sauver et sacraliser la pharmacie française. Il y a de mauvaises idées et je souligne que la délivrance des médicaments à l'unité en est une. Je l'ai tentée : les patients sont un peu perdus, désorientés, habitués à telle ou telle boîte orange depuis toujours et ne s'y retrouvent plus avec le sac en plastique qu'on leur délivre, sans compter les contraintes administratives liées au numéro de lot et à la sérialisation. Certains de nos confrères, dont la pharmacie Delpech visitée par notre commission, ont également réalisé des préparations magistrales, en particulier d'amoxicilline. N'oublions pas, toutefois, leur coût très élevé.

Cela m'amène à la question du prix du médicament. Celui-ci doit permettre à l'ensemble des professionnels, notamment les répartiteurs, de vivre. La marge dégressive lissée (MDL) - instituée avant votre prise de fonctions - prévoyait d'attribuer un pourcentage du prix de vente au répartiteur, à la recherche, etc. qui permettait de stabiliser le système. Si on modifie aujourd'hui le prix du médicament, on va peut-être en revenir à un dispositif similaire mais avec des prix excessifs en pharmacie. Quand j'appelle à sacraliser la pharmacie, c'est aussi parce que, comme vous le savez, 8 à 10 % des licences ont disparu en France, avec un impact négatif sur l'accès de tous à la santé, ainsi que sur l'aménagement du territoire car ce sont avant tout les plus petites officines dans les territoires les plus ruraux qui ont disparu. Il manque aujourd'hui à peu près un millier de postes en officine et on estime qu'il va manquer 6 000 à 7 000 pharmaciens d'ici la fin de la décennie. En tant que membre éminent de ce Gouvernement, cela fait partie des messages sur lequel vous êtes crédible et que vous pouvez relayer : on est en train de créer des déserts pharmaceutiques après avoir créé des déserts médicaux. Il faut parvenir à faire un peu plus confiance aux pharmaciens sur la délivrance des médicaments et je peux vous assurer que la délivrance à l'unité n'est pas envisageable aujourd'hui.

Mme Laurence Harribey. - J'aimerais revenir sur la question du prix des médicaments. Plus on creuse et plus on se rend compte que les choses sont complexes. Vous avez indiqué de manière très pertinente, dans votre propos liminaire, que coexistent des prix très bas pour certains médicaments courants et d'autres beaucoup plus élevés. Cette fragmentation des prix se traduit également par une fragmentation de l'industrie pharmaceutique et la cartographie des acteurs de ce secteur fait apparaitre des PME-PMI qui souffrent économiquement tandis que les grands laboratoires mènent une stratégie multinationale et sont dans d'autres logiques. Vous indiquez que les solutions ne peuvent qu'être européennes et je m'associe pleinement à ce propos : nous travaillons beaucoup avec Pascale Gruny pour sortir des clivages habituels dans le cadre de nos travaux au sein de la commission des affaires européennes. Cependant, au niveau européen, la santé est une compétence des États et une simple compétence complémentaire de l'UE - tandis que la libre circulation des biens et des marchandises est une compétence européenne fondamentale. Nous avons donc vraiment l'impression d'être pris entre deux ou trois feux et de rester en position de faiblesse vis-à-vis des acteurs du secteur. J'aimerais que vous nous disiez comment vous avez vécu ces injonctions contradictoires car comme vous l'avez souligné, quel gouvernant peut s'interdire d'autoriser l'accès à un médicament innovant, même s'il est très cher, alors qu'il assume la responsabilité de soigner. Mais en même temps, nous sommes pris au piège du prix et du manque de transparence, comme l'ont souligné la présidente et la rapporteure.

D'où mes deux questions : la première est de savoir s'il ne faut pas tout changer, et ce qui vient d'être dit sur les pharmacies est assez révélateur car plus on avance et plus on a l'impression que nous sommes en train de nous enfoncer dans des sables mouvants. Pour sortir de cet engrenage il faudrait tout remettre sur le tapis, y compris notre système de production, de rémunération du médicament et de financement de la protection sociale.

Ma deuxième question concerne le niveau européen : faut-il faire bouger le partage des compétences ? Avez-vous vécu cette dimension comme un obstacle et la pénurie est-elle également due à cette incapacité de trouver des solutions au niveau européen, même si ce qui a été fait pour gérer la pandémie a été remarquable ? Sur ce point, la remarque de la rapporteure sur l'Ageps est très révélatrice et amène à se demander s'il ne faudrait pas normaliser un modèle auquel on a eu recours pendant la crise.

Mme Émilienne Poumirol. - Je vais être d'autant plus brève que ma collègue Laurence Harribey a largement devancé mes questions. Monsieur le Ministre, je vous ai entendu avec plaisir indiquer que vous n'écartez pas la possibilité d'une production publique de médicaments qui pourrait être un élément de réponse, en tout cas pour certains produits critiques. C'est effectivement une voie que nous aimerions voir explorer et je regrette à mon tour la réduction des moyens de l'Ageps.

Je voudrais également revenir sur le sujet de la transparence et sur l'argument du secret des affaires que l'on nous oppose sans arrêt : c'est, pour nous, un peu difficile à admettre parce que le médicament n'est pas une marchandise et, dans vos précédentes fonctions, je vous avais d'ailleurs interpelé sur la « marchandisation » de la santé en constatant une dérive croissante dans ce domaine. Le médicament n'est pas une marchandise puisqu'il est remboursé par la Sécurité sociale et que c'est de l'argent public qui, en quelque sorte, fait vivre les industriels. Or, le flou qui existe sur ce secret des affaires permet, aujourd'hui, à des Big Pharma - à côté des petites PME qui fabriquent les médicaments matures - de se concentrer uniquement sur les thérapies géniques ou les médicaments développés par les BioTech, tout en diminuant leur effet de recherche et développement. Monsieur le Ministre, pourriez-vous nous dire comment on peut justifier de tels prix et quelle action pourrait mener le Gouvernement pour limiter ces excès ? Vous avez cité l'exemple de certains traitements, mais on sait bien, par exemple, que le prix du traitement pour l'hépatite C n'a pas été le même en France qu'en Inde. Dans un tel cas, ce n'est pas le prix de production ni le coût du transport qui compte mais bien la capacité d'un pays à accepter de payer le prix fort.

Mme Laurence Muller-Bronn. - Ma question concerne également le prix des médicaments et le secret des affaires. Toute la population comprend bien qu'on est face à des montants extrêmement importants d'argent public. Les Big Pharma ont quitté les pays européens pour obtenir une rentabilité plus importante en Chine, en Inde ou ailleurs : ce faisant, elles ont licencié du personnel qui a alors été pris en charge par des financements publics. En outre, elles perçoivent des aides, notamment au titre du crédit impôt recherche. En dix ans, Sanofi en a bénéficié à hauteur de plus d'un milliard d'euros et, dans le même temps, a licencié plusieurs milliers de chercheurs. De plus, aujourd'hui, comme vous l'avez indiqué, on essaye de relocaliser, avec, à nouveau, des subventions pour accompagner ces entreprises. Le cumul de ces sommes devient tellement important qu'on peut se poser des questions sur le prix réel des médicaments et nous venons, juste avant vous, d'entendre un laboratoire qui est le premier à nous avoir indiqué ce prix réel, qui est très bas.

Il est également difficile d'accepter, en matière de vaccins contre la covid-19, d'avoir entendu que l'Europe avait accepté des prix de vente à 120 euros le flacon de six doses, alors que le coût de production est inférieur à 10 euros et que les volumes distribués sur le marché sont énormes. Vous l'avez dit, le médicament n'est pas un bien de consommation comme les autres, et parce qu'il y a la santé, la vie ou la mort en arrière-plan, certains en profitent un peu et font monter la peur ou l'angoisse. En outre, pour des traitements très chers - à 500 000 ou un million d'euros -, on fait intervenir des associations de malades, parfois créées par les Big Pharma, qui font comprendre que l'État doit payer.

La puissance publique ne peut pas être à la botte de grands financiers ou industriels : il y a un moment où il faut que ça s'arrête et c'est ce qu'on attendait de vous pendant la crise de la covid. Au niveau européen, je note que c'est parfois encore pire puisqu'on a donné des millions et des millions à des laboratoires européens ou mondiaux qui, finalement, n'ont pas produit de vaccins et ont tout de même gardé l'argent public qui leur a été versé ; je m'interroge sur cette absence d'obligation de résultat.

Enfin, aujourd'hui l'Organisation mondiale de la santé (OMS) va également exercer un pouvoir sur les réglementations de santé et la circulation des populations mais il n'est pas évident que cela contribue à améliorer les choses. On comprend bien également que l'Europe ait son mot à dire dans ce domaine, mais on peut se demander si elle va favoriser la sobriété financière car son intervention va certainement s'accompagner d'un accroissement des dépenses publiques.

Mme Corinne Imbert. - Monsieur le Ministre, dans l'exercice des fonctions qui étaient les vôtres en tant que ministre de la Santé, avez-vous eu connaissance des pratiques des grossistes répartiteurs ou « short-liners » en matière d'exportations parallèles de médicaments ? On parle beaucoup de ces opérateurs qui achètent des médicaments à bas prix en France et les vendent à un prix plus élevé dans d'autres pays. Avez-vous les noms de ces grossistes répartiteurs qui se sont livrés à de telles pratiques régulièrement dénoncées dans la chaîne logistique de l'approvisionnement en médicaments ?

M. Olivier Véran. - Tout d'abord, en réponse aux propos du sénateur Bruno Belin, les Français sont très nombreux à dire qu'ils ne comprennent pas pourquoi on continue de leur vendre une boîte de médicaments pour 11 jours alors qu'ils n'ont que 6 jours de traitement. Quand ils ouvrent leur pharmacie familiale en rentrant à la maison, ils ont tellement de boîtes de médicaments qu'ils ne savent plus où les mettre et, de temps en temps, à l'heure du grand ménage de printemps, vous regardez les dates de péremption et vous vous rendez compte que certaines boîtes sont périmées depuis trois ans. Nous vivons tous cela chez nous, on se demande alors si on doit garder les produits ou les jeter, ainsi que les cartons, les plastiques et les blisters. Malgré l'existence de systèmes de recyclage, le nombre de tonnes de produits actifs de médicaments qu'on gaspille chaque année est considérable. Je comprends donc parfaitement la demande des Français d'évoluer vers une dispensation des médicaments à l'unité. Il n'y a pas de raisons, sur le papier, de penser que l'Europe ne serait pas capable de faire ce que les États-Unis font déjà.

Ceci dit, il est vrai qu'on se heurte à des normes de sérialisation et de traçabilité qui sont sans doute fondamentales, quoique... Cependant, pour faire face à une crise sanitaire qui nécessitait des mesures extraordinaires, j'ai pu en prendre un certain nombre. Ainsi, pour permettre aux pharmacies d'officine de produire leur propre gel hydro-alcoolique, il a fallu quand même prendre un arrêté ou un décret, alors que les pharmaciens ont fait de nombreuses années d'études, sont titulaires d'un diplôme, ont suivi une formation approfondie en chimie organique et connaissent parfaitement la pharmacopée.

De même, à mon arrivée au ministère, on faisait, en France, 10 000 actes de téléconsultation par semaine dans notre pays. Ce chiffre risible s'explique par un encadrement réglementaire très strict - et d'ailleurs conforme à la demande de certains professionnels qui exigeaient la présence d'un soignant, d'avoir déjà vu une première fois le médecin consulté par télémédecine, le tout avec un logiciel spécifique. J'ai alors tranché en prenant un arrêté de simplification de ces modalités et on est passé à un million d'actes de télémédecine par semaine. Il faut donc parfois « forcer la porte » si cela permet d'améliorer l'état de santé de la population. S'agissant de la dispensation à l'unité des médicaments, la période de la pandémie ne se prêtait pas à imposer sa mise en oeuvre, mais je pense que le sujet mérite d'être approfondi.

Je saisis l'occasion de remercier les pharmaciens qui ont été des acteurs absolument magistraux de la crise sanitaire depuis le premier jour et je remercie également l'Ordre des pharmaciens qui a été un catalyseur de la mobilisation de tous ces professionnels. En contrepartie, ils ont pu bénéficier d'une augmentation importante du nombre de vaccins qu'ils peuvent administrer. À ce propos, faut-il vraiment saisir la Haute Autorité de santé à chaque fois qu'on doit se demander si quelqu'un qui a fait au moins six ans d'études de santé peut ou non administrer un vaccin ou renouveler un vaccin en fonction de l'âge du patient ou d'autres critères ? La multiplication des déserts médicaux nous pousse à innover, en écartant certaines règles qui ne se justifient pas, particulièrement en cas de manque de professionnels de santé.

S'agissant du prix du médicament, permettez-moi d'abord de rappeler l'évolution majeure du marché du médicament. Pendant très longtemps, les laboratoires pharmaceutiques ont été rentables grâce à ce qu'on appelait les « blockbusters », médicaments très courants vendus à des millions d'exemplaires et qui constituaient parfois des innovations de rupture dans le traitement de certaines maladies, comme les statines pour les maladies vasculaires. Ces médicaments étaient donc vendus à des prix élevés, ce qui ne me choque pas tant que le laboratoire réinvestit ses bénéfices dans la recherche et le développement. Ensuite, les brevets de ces médicaments sont tombés et l'arrivée des génériques permet de faire chuter les prix pour les médicaments qui ont épuisé leur période de forte marge bénéficiaire. Cette évolution a entraîné une perte de rentabilité pour les laboratoires qui n'ont pas développé de nouveaux « blockbusters ».

Le marché s'est donc réorienté vers ce qu'on appelle la médecine des « 4P », à savoir une médecine préventive, prédictive, personnalisée et participative, ce dont on peut se féliciter. Cependant, les laboratoires cherchent encore aujourd'hui un nouveau modèle de financement pour des médicaments qui ne seront plus distribués en masse mais prescrits de manière individuelle pour chaque patient, avec des dosages et des posologies adaptés. Parmi les nombreuses réflexions sur les nouveaux modèles de financement de ce secteur, certains pensent que les tests compagnons sont la bonne manière de procéder, tandis que d'autres prônent une approche basée sur la rentabilité et l'efficacité du médicament. Personnellement, j'inclinais plutôt vers ce dernier raisonnement qui consiste à payer un médicament en fonction de son efficacité.

Puis, en 2014, le Sovaldi, médicament contre l'hépatite C, a été commercialisé par le laboratoire Gilead. Nous étions enthousiasmés par ce nouveau produit capable de guérir des patients qui n'arrivaient pas à se soigner. Mais le prix très élevé du médicament a entraîné une dépense de l'ordre d'un milliard d'euros, somme qui ne peut financer d'autres produits, dont le prix devra donc nécessairement chuter. Tel était, à l'époque, le raisonnement inquiet de l'industrie du médicament à travers le Leem (Les entreprises du médicament) qui la représente, et c'est exactement ce qui s'est passé. À mon initiative, on avait cependant introduit dans la loi un mécanisme qui permettait, au-delà d'une certaine enveloppe, de récupérer des financements via une taxe sur le chiffre d'affaires du laboratoire en limitant ainsi les inconvénients de la cherté des médicaments. J'avais également convoqué au Parlement le patron de Gilead de l'époque et je lui avais demandé de m'expliquer comment se justifiait le prix de ce médicament qui atteignait 55 000 euros par patient traité. J'avais posé les mêmes questions que vous, en particulier sur le coût en recherche et innovation pour le laboratoire. En l'occurrence, Gilead avait racheté une petite start-up américaine qui avait initialement prévu de produire des médicaments beaucoup moins chers, selon des documents internes. Au cours de la conversation, confronté à mon mécontentement, le dirigeant de Gilead avait fait valoir les économies générées par ce nouveau produit en greffes et les gains d'espérance de vie, ce à quoi j'avais répondu qu'un tel raisonnement poussé à l'extrême conduirait aussi à prendre en compte les dépenses de retraite supplémentaires induites par les patients guéris.

En réalité, il est extrêmement difficile d'estimer la valeur d'un médicament ; chaque produit est différent et nécessite une approche spécifique. On ne peut pas traiter de la même manière un médicament de rupture, un simple changement d'emballage ou la mise sur le marché de la forme de libération prolongée d'une substance déjà connue. Dans notre pays, le prix du médicament est transparent ; en revanche la manière dont ces prix sont négociés reste opaque.

En outre, sur le plan de l'éthique, à partir de quel moment faut-il refuser un prix trop élevé ? De mémoire, seul le Royaume-Uni a mis en place un système très anglo-saxon intitulé QALY (Quality Adjusted Life Years) qui évalue la qualité de vie en fonction du coût d'un traitement, en chiffrant, par exemple, la valeur d'une année d'existence en bonne santé. Ce système a donné un prix à la vie, en prenant en compte la perte de santé et en remboursant les traitements qui ne dépassent pas un certain seuil. En tant que médecin, parlementaire ou ministre, je pense que ce dispositif est totalement inacceptable en France. Nous devons donc continuer à approfondir les négociations d'ores et déjà très serrées qui ont lieu entre le CEPS et les laboratoires pour nous assurer que chacun soit conscient qu'une enveloppe allouée à un fabricant dont les prix sont très élevés va peser sur la rémunération des autres médicaments.

De plus, les problèmes ne font que commencer car la thérapie génique est une formidable avancée mais qui peut coûter très cher, de même que la médecine « 4P ». Il va donc falloir trouver un mécanisme de régulation pour ce nouveau marché du médicament car les exemples vont se multiplier. Ainsi, un médicament semble soulager énormément certaines migraines ou algies vasculaires de la face mais son SMR (Service Médical Rendu), tel qu'il a été évalué par la Haute Autorité de Santé, ne lui permet pas d'être remboursé à hauteur de son prix de vente. Les patients s'approvisionnent donc à l'étranger pour un budget de 300 ou 400 euros par mois.

L'Europe constitue une solution et un problème. Un « paquet » de mesures relatives à la révision de la législation pharmaceutique a été présenté la semaine dernière. Au moment de la pandémie, quand on a dû acheter des vaccins ou acquérir des médicaments innovants, l'Europe a répondu présent. La question de l'accès aux médicaments en Europe est plus complexe parce qu'elle soulève en arrière-plan celle de la prise en charge financière. Sur ce point, la France dispose d'un système de protection sociale qui rend accessibles à tous des médicaments qui ne le sont pas chez certains de nos voisins.

Je vous rappelle également les objectifs de la mission lancée par la Première ministre : tout d'abord, elle doit se pencher sur l'accès des patients aux produits de santé ainsi que sur la soutenabilité des dépenses de santé. Ensuite, il s'agit de remplir un objectif de souveraineté sanitaire en étudiant les possibilités de renforcement de la fabrication de produits à la fois innovants et essentiels. Il sera également question des moyens de relocaliser la fabrication des produits de santé stratégiques et de travailler sur l'attractivité des territoires pour les industriels du secteur.

S'agissant enfin des « short-liners », en cas de rupture d'approvisionnement, l'ANSM interdit systématiquement les exportations parallèles. Le sujet ne concerne pas seulement les « short-liners » car ce modèle de l'exportation parallèle peut concerner tous les grossistes. Rendre plus rigoureux le cadre juridique applicable à l'exportation parallèle suppose une mesure communautaire afin de ne pas porter atteinte au principe de libre circulation des biens et des marchandises.

Mme Corinne Imbert. - Merci pour votre réponse : vous indiquez que l'ANSM interdit les exportations parallèles par les « short-liners » lorsqu'une rupture d'approvisionnement est constatée et celle-ci ne peut donc pas être anticipée. Je m'interroge sur le moment où on déclenche l'interdiction et sur sa durée.

M. Olivier Véran. - Il ne m'appartient pas de me prononcer sur cette question.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Nous l'avons bien compris. Par ailleurs, nous avons auditionné ce matin Roselyne Bachelot, qui a estimé que la fermeture de l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus) était une mauvaise décision. Quel est votre point de vue à ce sujet ? La question ne sort pas du tout du champ de nos travaux car l'Eprus gérait des stocks de médicaments et aurait pu intervenir en cas de pénurie de produits - stratégiques en particulier.

Je souhaite également vous interroger sur la liste des médicaments essentiels. Je rappelle qu'on recense 3 000 médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM) et qu'on s'orienterait vers une liste peut-être nationale et très probablement européenne. Quel est votre point de vue à ce sujet car la liste des MITM avait été constituée en faisant appel à toutes les sociétés savantes ? Est-il selon vous envisageable qu'on réduise cette liste à 200 ou 100 produits essentiels pour pouvoir maximiser les contraintes permettant de sécuriser leur approvisionnement ?

Sur la question du lien entre prix et pénuries, je rappelle l'importance du sujet pour les médicaments matures, y compris certains anticancéreux comme le 5-fluorouracilel. De même, les IPP (inhibiteurs de la pompe à protons) ont connu sept baisses de prix. À un moment donné, même si je comprends bien qu'il y a le secret des affaires, il faudra mettre un plancher car il ne peut pas être acceptable de diminuer à ce point le prix de médicaments dont le service médical rendu est incontestable.

Par ailleurs, nous n'avons encore obtenu aucune réponse à la question du coût des pénuries. Or il convient tout d'abord de prendre en compte le coût humain, avec les renoncements aux traitements et les retards thérapeutiques qui, avec les anticancéreux, commencent à devenir très préoccupants. Il existe également un coût financier car, en cas de pénurie, on doit se procurer des médicaments de remplacement souvent plus onéreux. À l'hôpital, on se retrouve souvent en dehors du cadre de l'appel d'offres et même s'il y a un laboratoire de seconde ligne, il est plus cher que celui de première ligne. L'estimation des coûts générés par les pénuries est donc nécessaire. Cette mission d'évaluation pourrait être intégrée dans les prérogatives de nos différentes instances car on débat au Parlement du PLFSS et de l'Ondam sans avoir la main sur une part importante des règles du jeu, dont le coût des pénuries.

Enfin, un rapport de l'Igas que vous aviez demandé a établi un retour d'expérience de la période covid et a signalé les difficultés d'organisation et de pilotage des politiques de santé en dressant une impressionnante liste des intervenants. Je constate qu'on est dans la même situation en matière de pénurie de médicaments, comme le confirment nos auditions. Quel est votre point de vue sur les suites à donner à ces réflexions ? Le ministère de la Santé a-t-il vocation à devenir le pilote unique ? Une telle prérogative n'empêcherait pas de recourir à des délégations de rôles, de tâches et de responsabilités diverses et variées. Il n'empêche que lorsqu'on constate une pénurie de corticoïdes en gouttes pour nourrissons lors de chaque épisode de grippe hivernale depuis une dizaine d'années, on ne peut pas dire que l'on soit dans une situation critique, mais plutôt dans une situation chronique de crise qui se renouvelle chaque année.

M. Olivier Véran. - Clairement, c'est insupportable pour les Français de ne pas trouver les médicaments dont ils ont besoin et encore plus quand il s'agit d'enfants.

Nous venons ici de discuter pendant une heure et demie des raisons qui ont pu contribuer à creuser les pénuries et nous avons élaboré quelques pistes pour y remédier à l'avenir, tout en sachant que le problème est éminemment compliqué, mondial et certainement pas uniquement franco-français. À mon sens, cela appelle l'élaboration d'une stratégie européenne.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Je signale tout de même, s'agissant des corticoïdes, qu'EuroAPI en fabrique le principe actif : le problème n'est pas français, puisque nous le produisons. C'est depuis une dizaine d'années que nous avons un problème de corticoïdes chaque hiver, ce qui est un sujet emblématique.

M. Olivier Véran. - Cela fait partie des produits qui ont été surconsommés.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Le problème est récurrent, pour les corticoïdes, chaque hiver depuis une dizaine d'années : c'est un sujet emblématique.

M. Olivier Véran. - Nous sommes d'accord sur ce point.

Par ailleurs, vous évoquez la suppression de l'Eprus mais il s'agit plutôt d'un transfert de ses missions à Santé publique France (SPF). La gestion de crise en tant que telle a pu être discutée mais, dans ce cas précis, je rappelle que l'établissement pharmaceutique qui relevait de l'Eprus est hébergé au sein de SPF et c'est ce qui a permis non seulement de passer les commandes de vaccins mais aussi de les distribuer. Je ne pense donc pas que le transfert de l'établissement pharmaceutique à SPF soit un handicap. En revanche, on pourra rediscuter de la gestion de la crise sanitaire en général et de la capacité de préparation pré-crise.

S'agissant des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM), une mission a été lancée par François Braun et Roland Lescure pour réactualiser cette liste et je ne suis absolument pas compétent pour juger s'il faut y inclure 2 000 ou 4 000 médicaments. Je ne suis pas étonné que la liste soit longue car si vous posez la question à un médecin, il vous répondra toujours que les médicaments dont il a besoin pour ses patients sont essentiels, et je ne lui en ferai pas reproche.

S'agissant de la baisse des prix de certains médicaments, permettez-moi à nouveau de me référer à mon expérience de terrain : j'ai utilisé en neurologie vasculaire des inhibiteurs de pompe à protons dont les prix étaient très différents. Il en va de même pour les statines : certains médicaments qui étaient considérés comme un peu plus innovants étaient facturés très cher et les études réalisées pour les maladies étaient faites en utilisant uniquement ces médicaments-là et en écartant les formules un peu plus anciennes. Vous aviez parfois le sentiment de prescrire un produit plus coûteux sans pouvoir réellement disposer de la preuve que l'écart de prix était justifié.

Inversement, les baisses successives de prix sur des médicaments qui sont à la fois d'usage courant et génériques ne me choquent pas. La phase de forte rentabilisation du médicament est alors dépassée et, d'ailleurs, les génériques conservent une marge bénéficiaire, si bien que les laboratoires qui ont investi massivement dans la production de génériques ne s'en plaignent pas. Il n'est pas du tout anormal qu'un médicament qu'on utilise depuis 20 ou 30 ans subisse 7, 8, 9 ou 10 baisses de prix. Ce n'est pas une difficulté car, dans leur modèle économique, les laboratoires tiennent compte du fait qu'un médicament va avoir 10 ans d'exploitation lucrative puis une phase de moindre rentabilité mais qu'ils auront pu investir entre-temps dans la R&D pour préparer les médicaments qui vont suivre. Aujourd'hui, le vrai défi réside dans le changement de modèle entre les médicaments, comme les IPP ou les statines, produits à grande échelle, et les médicaments très onéreux produits par thérapie génique pour des cibles plus petites et avec un potentiel de rentabilité moins important. Alain Fischer peut vous parler de ce sujet bien mieux que moi : il met en avant des chiffres qui montrent que l'évolution du financement des médicaments innovants risque vraiment de nous mettre dans le rouge à l'échelle mondiale et dans peu de temps.

Vous avez soulevé une interrogation très pertinente sur le coût de la pénurie et celui-ci est très compliqué à objectiver. Par chance, en France, on ne se pose pas cette question et, en tout cas, ce n'est pas un frein pour agir. Sur ce sujet, le pilotage relève de l'ANSM, qui gère l'interface avec les acteurs en matière de pénurie de médicaments. Dans ce domaine, à mon sens, le paysage des agences est assez clair : l'ANSM fonctionne très bien et qui est dotée de prérogatives adaptées.

La question de l'interministérialité est également une question intéressante : cela revient à se demander si la gestion des médicaments relève du ministère de la Santé ou de Bercy et je réponds « les deux ». Dans mon expérience ministérielle, je me suis bien entendu avec Bercy pour qu'on puisse à la fois demander des baisses de prix sur des vieux médicaments, mettre sur le marché des produits très innovants et, à la demande du président, de la République, d'investir massivement dans l'industrie pharmaceutique du futur à travers France relance et France 2030. On parvient ainsi à un équilibre qu'on retrouve généralement dans le budget de la Sécurité sociale entre les pôles Bercy et Santé. C'est important que ceux qui dépensent et ceux qui doivent trouver les ressources financières soient autour de la table au sein du Gouvernement.

Mme Laurence Cohen. - Permettez-moi d'apporter deux ou trois petits corollaires à vos propos. Quand nous avons visité l'entreprise Seqens, son PDG nous a indiqué que le coût de la relocalisation des 100 produits critiques était peu élevé car les usines sont multi-produits : bien entendu, il faut inclure les frais de modernisation des usines mais cela ne nécessite que des moyens limités. Ma première remarque est donc qu'il faut s'appuyer sur une volonté politique mais aussi sur celle des entreprises.

En deuxième lieu, s'agissant des prix des médicaments, nous avons été choqués d'apprendre que les groupements d'achats hospitaliers comme l'UniHA ou le Resah n'avaient aucun lien avec le CEPS. C'est tout à fait dommageable et je m'interroge sur les raisons de cette absence de collaboration.

Enfin, sur le thème de la reprise en main de la production publique d'une centaine de produits critiques lorsque ceux-ci sont en tension, la feuille de route que vous avez pilotée évoquait la nécessité d'expertiser la mise en place d'une solution publique pour organiser des approvisionnements en cas de pénurie avérée. Avez-vous dressé, dans ce domaine, un bilan qui vous permet de soutenir cette proposition en dehors d'une crise avérée ?

M. Olivier Véran. - Tout d'abord, je m'abstiendrai de tout commentaire sur l'analyse développée par le représentant de Seqens. En revanche, j'étais présent avec Jean Castex à Lyon pour l'ouverture d'une usine Sanofi qui comporte une ligne de fabrication multi-produits en matière de vaccination et cette fluidité, cette flexibilité, fait partie de l'avenir des chaînes de production de médicaments.

Ensuite, je m'interroge sur la nécessité d'établir un lien entre les centrales d'achats groupés et le CEPS car celui-ci a pour mission de déterminer le prix de remboursement du médicament, alors que les centrales achètent les médicaments pour les fournir aux établissements de santé.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Ce sont les mêmes fournisseurs et les mêmes laboratoires qui alimentent en médicaments les hôpitaux ou la médecine de ville ; ils sont donc concernés par le stock global de produits.

M. Olivier Véran. - Les centrales d'achat sont en lien avec la Direction générale de l'offre des soins (DGOS) qui est leur interlocuteur le mieux adapté et le prix des médicaments hospitaliers ne font pas l'objet d'une fixation par le CEPS.

Enfin, l'évaluation de la feuille de route relève désormais du ministre en charge de la Santé et il en va de même pour les perspectives de développement d'une production publique de médicaments.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Nous vous remercions vivement pour les éléments de réponse que vous avez pu nous apporter.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 05.

Mercredi 3 mai 2023

- Présidence de Mme Sonia de La Provôté, présidente -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Audition de Mme Laure Lechertier, directrice de l'accès au marché, des affaires publiques et de la responsabilité sociale d'entreprise (RSE), d'UPSA

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons cet après-midi les travaux de notre commission d'enquête par l'audition de Mme Laure Lechertier, directrice de l'accès au marché, des affaires publiques et de la RSE du laboratoire UPSA. Je vous remercie, madame la directrice, de vous être mobilisée.

UPSA constitue un élément historique de l'industrie pharmaceutique française, puisque ce laboratoire a été fondé en 1935. Son ancrage sur un territoire, le Lot-et-Garonne, dont il est le premier employeur privé, fait sa force. Beaucoup de Français le connaissent à travers ses produits phares que sont l'aspirine et le Dafalgan-Efferalgan, forme sèche de paracétamol qui a connu des difficultés d'approvisionnement au cours des mois écoulés. Vous pourrez donc nous dire dans quelle mesure le laboratoire a été confronté à des tensions ou ruptures d'approvisionnement, directement ou du fait d'un accroissement de la demande lié à des tensions observées dans d'autres laboratoires, et comment il y a fait face.

Vous pourrez également nous présenter votre regard sur les mesures mises en oeuvre par le gouvernement pour lutter contre ces pénuries, notamment s'agissant de la constitution de stocks et de la politique de relocalisation de la production de principes actifs et des matières premières des principes actifs. Autrement dit : cet objectif vous paraît-il réaliste, compte tenu de la différence de coût de la main-d'oeuvre et des normes environnementales sans commune mesure entre pays européens et pays asiatiques ? Doit-il nécessairement s'accompagner d'une hausse du prix de certains médicaments ? Je rappelle qu'il y a quelques jours le GEMME a demandé une hausse du prix des médicaments à intérêt thérapeutique majeur (MITM) de moins de cinq euros.

Enfin, compte tenu de votre activité à l'international, dans quelle mesure pensez-vous que la question des pénuries de médicaments peut trouver une réponse au niveau européen ? En tant que producteur, vous paraît-il envisageable, par exemple, d'harmoniser les conditionnements et les notices d'un même médicament ?

Sur l'ensemble de ces sujets, Madame la Directrice, je vous céderai la parole pour un bref propos introductif. Puis Madame Laurence Cohen, rapporteure de notre commission d'enquête, vous posera une première série de questions. Notre commission d'enquête entend obtenir des réponses étayées à des questions précises.

Je précise également que cette audition est diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous invite, Madame la Directrice, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « je le jure ».

Mme Lechertier prête serment.

Mme Laure Lechertier, directrice de l'accès au marché, des affaires publiques et de la RSE, d'UPSA. - Je vous remercie, Madame la Présidente. UPSA incarne un ancrage territorial et la défense d'un savoir-faire, le « fabriqué en France », tout en rayonnant à l'international. Entreprise de taille intermédiaire (ETI), elle réalise un chiffre d'affaires de 436 millions d'euros. La France constitue son principal marché avec 150 millions de boîtes de médicaments distribuées, contre 100 millions à l'international.

UPSA est fortement ancrée dans le Lot-et-Garonne où se trouvent deux sites de production, Guyenne et Gascogne, ainsi que deux sites de distribution. Nous sommes également présents en Europe du Nord, du Sud, en Europe de l'Est, en Europe centrale et en Afrique. Nous possédons ainsi une véritable conscience du territoire : nous souhaitons grandir avec lui et le faire grandir. Nous nous définissons comme une « entreprise pollinisatrice », puisque nous suscitons un certain nombre d'externalités positives : UPSA emploie directement 1 600 personnes et génère 3 500 emplois indirects.

UPSA doit également assurer la continuité d'accès aux médicaments. La crise du paracétamol de 2022 n'a pas impacté l'entreprise, qui n'a connu aucune rupture d'approvisionnement et a été capable de répondre à la demande des patients adultes. Nous sommes beaucoup moins présents sur le marché à destination des enfants, mais nous avons essayé de pallier ses insuffisances.

Le « fabriqué en France », le maintien des sites industriels sur le territoire, la collaboration avec l'ensemble de l'écosystème territorial constituent nos principaux enjeux en matière d'attractivité. Une industrie performante se doit d'améliorer ses processus technologiques, mais aussi de former et de recruter de nouveaux talents. De plus, UPSA garantit l'autonomie stratégique de la France, comme elle l'a démontré lors de la dernière crise, où elle a été en première ligne mais n'a pas connu de ruptures d'approvisionnement. En effet, l'agilité de notre production est notre grande force : nous pouvons facilement modifier celle-ci en fonction de la demande.

Nous nous approvisionnons principalement aux États-Unis, à hauteur de 65 %, et en Chine. Par ailleurs, les collaborateurs d'UPSA sont très engagés afin de garantir une continuité d'accès des citoyens aux médicaments. Ces efforts ont permis de garantir une continuité d'accès pour des médicaments qui restent essentiels.

En effet, le paracétamol est une molécule ancienne, un « médicament mature », mais ce n'est pas un médicament de seconde zone. L'organisation mondiale de la santé (OMS) le qualifie d'essentiel et la crise de la covid-19 a mis en exergue la vulnérabilité de la production de son principe actif.

Vous aurez compris que le « fabriqué en France » fait partie de notre ADN. À la suite à la crise de la covid, nous nous sommes fortement engagés dans le projet de relocalisation porté par le Président de la République et France Relance. Nous nous sommes engagés aux côtés du chimiste Seqens afin d'oeuvrer à cette relocalisation du principe actif.

En effet, nous produisons nos médicaments à Agen une fois que nous avons reçu le principe actif du paracétamol. Néanmoins, nous pourrions remonter d'un cran dans cette chaîne de valeur afin de gagner en autonomie et en indépendance sanitaire. Ce projet a donc recueilli notre totale adhésion : nous y investissons des moyens extrêmement importants en participant à la mise en service de cette unité et par un engagement sur la production de volumes jusqu'en 2029.

Nous souhaitons sécuriser l'approvisionnement du principe actif en oeuvrant pour la mise en place d'une filière intégrée responsable sur le plan environnemental. Cet élément participe de notre démarche de responsabilité sociétale d'entreprise et constitue une importante réponse à la question de la vulnérabilité des médicaments.

Cette relocalisation des principes actifs en France a pour corollaire une meilleure visibilité sur les prix des médicaments et sur leur stabilité. Dans une logique comptable, les prix des médicaments matures sont réduits au fil des années pour financer l'innovation. Or les molécules matures étant nécessaires, ce raisonnement atteint ces limites. En outre, il a pu conduire à la délocalisation des principes actifs hors de France. Par conséquent, leur relocalisation impactera les coûts de production, sachant que pour les fabricants de médicaments comme UPSA, la production doit rester viable.

Aujourd'hui, UPSA vend ses boîtes de paracétamol 76 centimes, hors taxes. Ce prix-fabriquant ne permet quasiment pas de dégager de marges. Il serait donc déraisonnable de baisser encore le prix de ce médicament. À partir du moment où l'approvisionnement a lieu en France, il serait légitime de répercuter sur le prix-fabriquant le coût d'approvisionnement supplémentaire de cette matière première. Dès lors, nous appelons à une politique de prix juste, stable, et reconnaissant l'importance des médicaments matures. Les médicaments innovants ont bénéficié de politiques facilitatrices, de même que l'ingénierie. La revalorisation du prix des produits matures permettrait d'acter leur nécessité pour les Français.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Merci beaucoup. Je passe la parole à la rapporteure de notre commission d'enquête, Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Merci Madame Lechertier, pour ce propos clair et synthétique. Si UPSA n'a pas connu de rupture d'approvisionnement, avez-vous été confrontée à une hausse de la demande, compte tenu des tensions ou ruptures d'approvisionnement de certains de vos concurrents ?

Par ailleurs, pourriez-vous approfondir vos propos concernant la sécurisation de vos chaînes d'approvisionnement ? La mobilisation de vos équipes a-t-elle mené à la création de nouveaux emplois afin d'améliorer les conditions de travail ?

De plus, l'existence de short-liners et d'exportateurs parallèles vous pose-t-elle problème ? Dans quelle mesure UPSA est-elle affectée par ce phénomène ?

En outre, les différentes auditions menées ont mis en exergue l'opacité du prix des médicaments. La prise en compte des normes environnementales et sociales dans le prix des médicaments devrait être mieux mesurée. En effet, les délocalisations permettent aux entreprises de bénéficier de normes moins exigeantes. Les entreprises faisant l'effort de relocaliser leur production en France ne doivent pas en être pénalisées. Le service rendu en termes médical, le coût réel de la production et le bénéfice pouvant être tiré de la vente doivent donc être transparents. Cette mesure redonnerait confiance à nos concitoyens. Quel regard portez-vous sur ce sujet de la transparence ?

Concernant la politique de régulation des médicaments, il a beaucoup été question lors des auditions de la clause de sauvegarde, dont la place est de plus en plus importante et dont caractère indifférencié est régulièrement critiqué. Comment pensez-vous pouvoir faire évoluer ce système sans provoquer une explosion incontrôlée des dépenses ?

Enfin, selon vous, quelles conditions permettraient d'instituer une véritable souveraineté sanitaire ? Vous vous investissez dans le projet de relocalisation des principes actifs. Pourriez-vous nous détailler la teneur de votre projet et nous préciser la date à laquelle il sera opérationnel, sachant qu'EuroApi et Seqens se sont également engagés de leur côté ?

Mme Laure Lechertier. - Merci Madame la rapporteure. Pour répondre à votre première question, la triple épidémie de covid-19, de grippe et de bronchiolite a en effet entraîné une augmentation de la demande des patients. En 2022, notre usine d'Agen a produit 350 millions de boîtes de paracétamol, soit une augmentation significative par rapport à 2021. Nous avons réussi à répondre à cette augmentation grâce au travail de nos 1 500 collaborateurs. Nous avons également recruté. UPSA est engagée dans un plan de transformation stratégique. Or notre développement doit servir l'emploi sur le territoire. Néanmoins, comme toutes les entreprises nous faisons face à des difficultés de recrutement. Ainsi, un certain nombre de postes ne sont toujours pas pourvus.

Par ailleurs, UPSA n'est pas du tout concernée ni impactée par la question des short-liners.

Concernant la fixation des prix des médicaments, que vous qualifiez d'opaque, les règles sont indiquées de façon précise dans un accord-cadre entre le Leem et le Comité économique des produits de santé (CEPS). Le prix des produits matures dépend surtout de réflexes comptables en fonction de l'ancienneté de la molécule. Cette logique est délétère dans la mesure où ces médicaments rendent de véritables services médicaux. Le Dafalgan-Efferalgan a toujours sa place dans la stratégie thérapeutique.

Cette logique ne tient pas, surtout si le but est de maintenir des sites de production en France. En effet, les investissements conséquents que nécessitent ces sites se répercutent sur le coût de production. L'approche comptable basée sur l'ancienneté de la molécule discrédite les molécules matures dans la pharmacopée alors qu'elles ont une véritable valeur sanitaire.

La tarification devrait prendre en compte d'autres critères tels que l'empreinte territoriale que le Sénat avait voté dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2022. Néanmoins, la mise en oeuvre de cette excellente disposition s'est révélée longue et difficile. Lorsque le président du Sénat a visité l'un de nos sites à l'automne dernier, nous lui avons fait part de ces difficultés. Heureusement, l'empreinte territoriale sera finalement prise en compte cette année dans la tarification, même si les critères ne sont pas encore connus.

La question de la responsabilité sociétale d'entreprise nous est par ailleurs très chère. L'effort environnemental d'une entreprise devrait également être pris en compte dans le prix de vente du médicament. UPSA a ainsi mis en place un Pacte durable comprenant un plan de décarbonation visant la neutralité carbone de notre site à l'horizon 2027, mais aussi des engagements de recyclage et d'écoconception. La prise en compte de ces efforts dans le prix de vente du médicament participerait d'un cercle vertueux et entretiendrait le développement de l'entreprise.

Au contraire, la clause de sauvegarde constitue selon nous une fiscalité confiscatoire. En effet, nos produits à base de paracétamol entrant dans la catégorie des médicaments matures, ils ne sont pas directement responsables du dépassement du montant voté annuellement par le Parlement concernant les dépenses en matière de médicaments remboursables. Toutefois, nous sommes impactés par la mutualisation et le reversement de ce dépassement. Les produits matures sont ainsi pénalisés par ce mécanisme de sauvegarde. Or cette pénalité a été multipliée par dix en très peu de temps.

Dans une logique de souveraineté territoriale et de développement de l'outil industriel sur un territoire donné, la clause de sauvegarde pourrait ne pas seulement s'appuyer sur le chiffre d'affaires de l'entreprise ou sur sa croissance et intégrer l'existence d'une production locale. Ce changement permettrait d'exonérer les entreprises d'une partie de la clause de sauvegarde et de servir les intérêts politiques de reconquête industrielle et de souveraineté sanitaire. Cette proposition-là a été discutée l'année dernière dans le cadre de l'examen du PLFSS de 2023. Nous devrions tous être égaux devant l'impôt. Or cet impôt mutualisé ne prend pas en compte les tendances inhérentes à chaque laboratoire.

De plus, la relocalisation nous semble constituer un facteur décisif de l'autonomie stratégique.

Voilà pourquoi nous souhaitons privilégier les circuits courts, dans une logique de développement durable. Or ce projet de relocalisation nous permet de concevoir une filière intégrée respectant l'environnement. Nous avons engagé beaucoup de moyens en ce sens.

Cependant, la relocalisation est un projet de long terme. Le premier paracétamol français sera produit en 2025 alors que le projet date de 2021. Le projet comprend d'abord la réhabilitation des installations puis la requalification du principe actif. Néanmoins, avec des moyens et des acteurs engagés, nous pouvons collectivement le mener à bien.

Mme Corinne Imbert. - Merci Madame pour vos éclairages. D'abord, la production du paracétamol était-elle historiquement située dans les usines d'UPSA avant d'être délocalisée ou avez-vous toujours acheté le principe actif à l'étranger ?

Vous avez évoqué le prix hors taxes d'une boîte de paracétamol, mais quel est son prix de revient ? Est-il le même pour une boîte de gélules, de comprimés secs ou effervescents ? En effet, historiquement, UPSA était reconnue pour la qualité de ses médicaments effervescents. Selon vous, le prix de remboursement devrait-il mieux prendre en compte la forme galénique du médicament ? Est-il normal que le remboursement par l'assurance-maladie soit identique, quelle qu'elle soit ?

Par ailleurs, comment avez-vous vécu le contingentement qui vous a été imposé ? Vous avez en effet indiqué ne pas avoir connu de ruptures d'approvisionnement. Cependant, il vous a été imposé le même contingentement que votre principal concurrent, que nous avons déjà auditionné.

Mme Laurence Harribey. - Vous avez insisté sur l'ancrage territorial d'UPSA. Avez-vous obtenu des financements publics pour soutenir cette territorialisation ? Faut-il tenir compte de cette particularité dans le prix du médicament ou plus généralement dans son modèle économique ?

Mme Laurence Muller-Bronn. - Merci Madame pour vos explications. Vous avez indiqué prendre part à l'investissement public de relocalisation. Quel est son montant et quelle part votre entreprise prend-elle dans cet investissement ? De plus, vous parlez de circuits courts, de relocalisation et d'emplois, cependant, votre branche est très concurrentielle. Dans ce cadre, la relocalisation permettra-t-elle de garantir le nombre de ventes d'UPSA, compte tenu de sa taille relativement réduite comparée aux Big Pharma ? En outre, pratiquez-vous, comme eux, une activité de lobbying à Bruxelles et pourriez-vous nous la détailler ?

M. Jean-Pierre Moga. - J'ai passé une nuit sur un des sites d'UPSA pour comprendre comment fonctionnait votre entreprise. Vos salariés travaillent le dimanche, ce qui engendre un surcoût de fonctionnement. De plus, le management du personnel semble supérieur à la moyenne, les travailleurs de nuit bénéficiant par exemple de repas confectionnés par un cuisinier. Ces pratiques ont un coût. Or la somme que vous touchez pour une boîte de paracétamol reste fixe, quelques soient les conditions de travail des salariés. Pourriez-vous nous préciser quels sont vos coûts de production ? Vos actionnaires ont-ils accepté une réduction de leurs bénéfices ?

Par ailleurs, UPSA a beaucoup communiqué durant la crise de la covid. Était-ce une volonté de votre part ou une conséquence des demandes médiatiques ?

Enfin, vous produisez 2 à 3 % de certains médicaments présents sur le marché. Or, vous avez multiplié par deux votre production. Pensez-vous qu'au niveau national, l'État devrait veiller à une meilleure répartition des volumes de production entre les différentes entreprises locales ?

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - En-dehors des sirops dont le mode de fabrication est différent, quels éléments justifient la rareté des formes pédiatriques ? La demande est-elle moindre ?

En outre, la chaîne de valeurs de la fabrication d'un médicament va de la chimie, en amont du principe actif, jusqu'au conditionnement secondaire. Lorsque vous évoquez la relocalisation, est-il question de la chimie ? Nous avons l'impression que la France maîtrise les techniques de façonnage et de conditionnement, et que la chimie constitue le point faible de la production sur son territoire.

Enfin, un certain nombre de matières premières et de molécules ne peuvent pas être fabriquées sur le sol français, pour des raisons d'extraction par exemple. Comment cette carence peut-elle être palliée ?

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - La commission d'enquête ne pense pas que toutes les activités devraient être relocalisées en France. En effet, une coordination doit avoir lieu au niveau européen. Par ailleurs, je rectifie mon propos précédent : le paracétamol n'est pas produit par EuroApi, mais par Seqens.

Mme Laure Lechertier. - UPSA existe depuis 87 ans. Son histoire a commencé à Agen, puis elle s'est internationalisée. Nous n'avons jamais produit de paracétamol sur nos sites industriels : la fabrication de principes actifs relève de la chimie. Nous ne pouvons pas internaliser ce métier puisque nous sommes une entreprise pharmaceutique. Nous nous approvisionnions chez Rhodia, qui a quitté la France en 2008 à cause de la politique de prix décidée à l'époque.

Notre prix de fabrication hors taxes s'élève à 76 centimes, alors que le paracétamol est vendu en officine 2,18 euros. À ces 76 centimes s'ajoutent ainsi la marge du grossiste, celle du pharmacien, la TVA et les honoraires de dispensation du pharmacien rémunérant l'acte pharmaceutique.

Notre prix de revient est calculé en fonction du coût des matières premières, des matériaux de conditionnement et des coûts de conversion. Ces derniers comprennent la main d'oeuvre, la dépréciation de nos installations et le fonctionnement de nos infrastructures. Aujourd'hui, nos produits n'atteignent pas un seuil de rentabilité très élevé. Celui de la pédiatrie est même négatif.

Concernant le contingentement, nous avons prôné un dialogue très ouvert avec l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et les cabinets ministériels. Je conviens que nous avons rencontré un vrai problème concernant les médicaments destinés aux enfants. Nous avons beaucoup communiqué auprès de l'ANSM sur l'état de nos stocks en officine et dans nos usines pour montrer que nous avions la possibilité de répondre à la demande, du moins concernant les formes médicamenteuses adultes. Néanmoins, nous nous sommes conformés à ses décisions qui relèvent de la protection de la santé publique.

De plus, nous ne pouvions pallier les insuffisances du marché concernant les formes pédiatriques, puisque nous n'en produisions que 5 % environ. Cependant, nous avons doublé notre capacité de production et avons proposé à l'ANSM de réorienter une partie des doses destinées à l'exportation vers le marché français. Un million de doses ont ainsi été réorientées. Ce geste était responsable et privilégiait l'intérêt général à celui d'UPSA. En effet, les ventes de solutions pédiatriques en France sont déficitaires, tandis qu'elles sont rentables à l'étranger. Ce travail a été rendu possible par l'accord donné par l'ANSM, puisque la production pour l'étranger comporte des spécificités.

Concernant l'ancrage territorial, des financements publics ont été mis en place pour aider à la modernisation des outils industriels ou à leur décarbonation dans le cadre de France 2030. Nous n'en bénéficions pas encore, mais ils permettent d'inciter au maintien de sites industriels sur le territoire. Ces dispositifs sont extrêmement importants. Nous souhaitons continuer à développer notre outil industriel afin de créer des emplois sur le territoire.

Le montant de notre investissement dans le projet de relocation avec le chimiste Seqens s'inscrit dans le cadre de France Relance. Compte tenu des différentes parties prenantes, il m'est difficile de vous détailler notre investissement, mais il est tout à fait significatif. Il contribue à la réinstallation de cette chaîne de production et nous permet de nous engager sur des volumes. Cet engagement permettra de produire du paracétamol français d'ici 2025.

UPSA est une ETI, ce qui constitue une singularité. Notre credo consiste à placer l'humain au centre de nos collaborations. À notre sens, le bien-être de nos collaborateurs est une condition de la réussite et permet d'obtenir de bonnes performances. Durant la crise, plus de 350 millions de boîtes ont ainsi été produites sur nos deux sites. De plus, nous nous différencions par le fait que la quasi-totalité de nos produits sont fabriqués en France et par nos ambitions en matière de développement durable. Nos objectifs chiffrés nous orientent vers une certification « B Corp ». Il nous faut ensuite convaincre qu'UPSA produit des externalités très positives pour le pays et que nous pouvons rayonner à l'international.

Les coûts de production ont cependant tendance à augmenter : la très forte inflation de ces deux dernières années s'est reportée sur nos coûts de production, qui ont bondi de 36 % sur le paracétamol, de 20 % sur les plastiques et de 19 % sur les cartons. Nos prix étant régulés, nous n'avons pas pu répercuter cette augmentation. Cette situation pose la question de la régulation. Comment faire pour que certaines entreprises puissent bénéficier, même de manière transitoire, d'une augmentation de leurs prix de vente afin d'absorber l'inflation ?

Madame Imbert, concernant la différenciation de tarification entre les différentes formes galéniques, l'effervescence demande l'utilisation d'excipients plus onéreux que d'autres formes. Nous serions donc favorables à une adaptation des prix en fonction de la forme galénique et de la plus-value qu'elle apporte. En effet, l'effervescence a une rapidité d'action importante et cliniquement démontrée.

Concernant la question de Monsieur Moga, le bien-être de nos collaborateurs est l'une de nos priorités stratégiques. Par ailleurs, la communication d'UPSA a été assez intensive durant la crise. Nous étions certes beaucoup sollicités par les médias, mais nous avons également été proactifs, en publiant notamment deux communiqués. Ces derniers visaient à rassurer les Français qui craignaient des problèmes d'approvisionnement, afin d'éviter des stockages inutiles de médicaments. De plus, nous avons également communiqué en Suisse et en Belgique pour indiquer qu'aucune rupture d'approvisionnement n'aurait lieu. L'accès continu des patients à nos médicaments constitue notre mission première. UPSA souhaitait se montrer transparente, humaine et honnête dans son discours. De même, nous avons été très transparents concernant la pédiatrie, en indiquant que nous ne pourrions pas pallier les insuffisances du marché, puisque nous disposons seulement d'une ligne de production. Nous avons fourni tous les efforts possibles en collaboration avec les autorités de santé.

Concernant l'ampleur de la relocalisation, le plus important me semble de maintenir les sites industriels fabriquant des médicaments sur le sol français. Nous avons démontré que notre site a une capacité de production stratégique pour le pays. Je souscris à votre propos : il n'est pas possible de relocaliser l'entièreté de la filière chimique compte tenu du nombre de molécules. Néanmoins, il faut identifier les médicaments ayant un intérêt industriel et sanitaire majeur pour définir des priorités et imaginer des solutions de relocalisation. Il est nécessaire d'innover en chimie en encourageant de nouveaux modes de production des principes actifs, par exemple à partir d'autres composants.

Mme Corinne Imbert. - J'ai compris que vous avez bien travaillé avec l'ANSM. Néanmoins, est-il normal qu'un contingentement soit imposé à un laboratoire qui ne connaît pas de rupture d'approvisionnement ? Par ailleurs, vous avez indiqué que la clause de sauvegarde a été multipliée par dix. J'aimerais savoir en combien de temps. Par ailleurs, quelle est, en volume et en pourcentage, votre part de marché en France et dans l'Union européenne hors France ? Comment vos ventes ont-elles évolué depuis l'instauration de la clause de sauvegarde ? Pour résumer, cette fiscalité pénalise-t-elle l'approvisionnement du marché français ?

Mme Émilienne Poumirol. - Menez-vous des recherches en chimie ou comptez-vous sur votre accord avec Seqens pour développer de nouveaux éléments ?

Mme Laurence Muller-Bronn. - Je ne crois pas avoir obtenu de réponses concernant ma question sur votre présence au sein des lobbies européens. Pourriez-vous également nous communiquer vos chiffres d'affaires par produit et par pays ?

Mme Laure Lechertier. - Je comprends tout à fait votre question concernant le contingentement. Néanmoins, nous sommes une entreprise responsable et n'avons pas à commenter les décisions publiques de santé auxquelles nous nous conformons. La clause de sauvegarde a été multipliée par dix entre 2020 et 2022.

Ce mécanisme très particulier existe depuis 1999, mais il n'avait pas été déclenché jusqu'ici. Compte tenu de la croissance du marché et du développement des médicaments innovants, l'enveloppe de 24,5 milliards votée par le Parlement au titre de la dépense de médicaments s'est révélée insuffisante. Par conséquent, la mutualisation prévue par la clause a été engagée.

Il faudrait en réalité revoir le montant voté annuellement par le Parlement pour les dépenses de médicaments afin d'y intégrer la formidable dynamique de l'innovation et ne pas pénaliser l'ensemble des laboratoires.

Par ailleurs, notre activité est centrée sur le médicament et non sur la chimie : nous n'effectuons donc aucune recherche en la matière. Néanmoins, nous encourageons nos fournisseurs de principes actifs à innover et à envisager de meilleurs processus de production en matière environnementale.

Par ailleurs, je vous communiquerai les chiffres demandés, dont voici les principaux. Nous réalisons 436 millions d'euros de chiffre d'affaires. 43 % des volumes produits sont destinés à l'export pour un chiffre d'affaires de 210 millions environ. L'export est très important pour le modèle économique d'UPSA.

Concernant nos relations avec l'Union européenne, UPSA mène une politique de présence et de co-construction : nous travaillons avec l'ensemble de l'écosystème institutionnel et politique. Nous sommes tout à fait transparents et communiquons sur nos engagements afin de prouver qu'ils sont tenus. Nous travaillons avec l'ensemble des parties prenantes, que ce soit à l'échelle départementale, nationale ou européenne. Nous cherchons donc à donner de la visibilité à nos actions tout en restant une ETI.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Vos propos ont suscité beaucoup de questions de notre part, notamment concernant la clause de sauvegarde sur laquelle nous poursuivrons nos investigations. La question du dépassement de l'enveloppe prévue dans le cadre du PLFSS en fonction des produits innovant qui arrivent sur le marché est aussi extrêmement importante. Les médicaments matures sont particulièrement touchés par les pénuries alors que les services qu'ils rendent sont incontestables.

Mme Laure Lechertier. - Je précise que notre engagement dans le projet de relocalisation s'accompagne en contrepartie d'un moratoire sur les prix des médicaments. En 2019, une baisse de prix sur le Dafalgan-Efferalgan et des médicaments concurrents était en effet envisagée. La crise de la covid révélant les vulnérabilités que nous connaissons désormais, le prix a été gelé jusqu'à fin 2024. Néanmoins, afin de bénéficier de conditions économiques viables, nous devons réfléchir à une stabilisation des prix au-delà de cette date, voire à des hausses sur certains médicaments comme le paracétamol. Ce moratoire en échange d'une participation à un projet de reconquête industrielle constitue cependant une véritable avancée que je salue.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Merci beaucoup Madame.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

- Présidence de Mme Sonia de La Provôté, présidente -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Audition de M. Marc Botenga, député européen

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Mes chers collègues, notre commission d'enquête entend aujourd'hui M. Marc Botenga, député européen.

Depuis la crise sanitaire de la covid-19, la politique conduite par l'Union européenne en matière de santé a connu une petite révolution. Des actions inédites ont été entreprises, comme l'achat en commun de vaccins et d'équipements sanitaires. Des acteurs européens se sont vu octroyer de nouvelles missions, comme l'Agence européenne des médicaments (European medicines agency - EMA), désormais chargée de la surveillance et de la prévention des pénuries de médicaments. De nouvelles structures ont été créées, comme l'Health Emergency preparedness and Response Authority (HERA), chargée de la gestion des crises sanitaires.

Mais la crise sanitaire a aussi soulevé de nouvelles interrogations, voire des craintes, quant à l'action de l'Union européenne. Faut-il promouvoir davantage de coordination entre États membres en matière de santé, voire renforcer la réglementation européenne pour encadrer davantage les politiques nationales, par exemple en matière de stocks ou de prix ? Faut-il renforcer la transparence des décisions prises au niveau européen, par exemple concernant les achats groupés de médicaments et de vaccins ?

Monsieur Marc Botenga, vous vous êtes beaucoup mobilisé au sein du Parlement européen sur ces sujets d'approvisionnement en produits de santé. Alors que l'action de l'Union européenne pour lutter contre les pénuries sera appelée à se renforcer au cours des prochaines années, il nous est apparu intéressant de recueillir votre point de vue sur les priorités et les obstacles de l'action communautaire.

En particulier, nous étions à Bruxelles lorsque la Commission a annoncé un nouveau report de la présentation du nouveau paquet pharmaceutique européen, très attendu, qui a finalement été dévoilé la semaine passée. Nous souhaiterions obtenir votre analyse sur les propositions formulées. Sont-elles pertinentes et suffisantes ? Anticipez-vous des négociations serrées, notamment avec les industriels ? Donnent-elles un rôle suffisant aux pouvoirs publics pour pouvoir réellement limiter la fréquence et l'impact des pénuries de médicaments ?

Pour cette audition d'une durée d'environ une heure et demie, nous vous laissons tout d'abord la parole pour un propos général d'une dizaine de minutes, puis Mme Laurence Cohen, rapporteure de notre commission d'enquête, vous posera des questions plus précises.

Je vous indique que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Monsieur Botenga, vous avez la parole.

M. Marc Botenga, député européen. - Je vous remercie pour cette invitation. C'est un honneur de pouvoir contribuer à vos travaux.

La Commission européenne a en effet proposé les grandes lignes de la réforme de la stratégie pharmaceutique européenne. Je salue certaines des mesures, mais je me montrerai plus critique sur certains points.

Durant la période de la covid, les problèmes de transparence concernant les chaînes de production et d'approvisionnement de médicaments nous ont placés dans une position difficile. En effet, nous ne savions pas quels médicaments étaient produits, à quelle date ni quand ou à qui ils étaient vendus, ce qui empêchait de connaître la localisation des pénuries ou les éventuels retards de production. Une entreprise pouvait très bien décider de livrer ses médicaments à un autre pays en fonction du prix qu'il était prêt à payer.

Une des premières étapes à franchir consiste ainsi à imposer une transparence concernant les capacités productives et les médicaments produits au sein de l'Union européenne (UE). Cette mesure aurait forcé les chefs d'entreprise à fournir des explications concernant les retards de livraisons de vaccins durant la période de la covid. La stratégie de la Commission va dans ce sens.

De plus, celle-ci propose d'imposer une mise sur le marché généralisée au niveau européen dans les deux ans suivant l'arrivée d'un produit pharmaceutique. Cette mesure est importante. Néanmoins, il s'agit seulement de propositions de la Commission, dont la concrétisation demandera l'accord des États et du Parlement européen.

La mise sur le marché des médicaments devrait selon moi être soumise à conditions et permettre la fourniture de l'ensemble du marché européen. Durant la période de la covid, certains États membres risquaient d'avoir un moindre accès aux vaccins que les autres. Ce risque s'est concrétisé au début de la pandémie lorsque certains pays disposant d'une grande capacité financière ont formé une alliance afin d'acheter conjointement des vaccins au détriment d'autres pays.

Néanmoins, la proposition de la Commission européenne me semble plus limitée concernant la relocalisation de la production sur le continent européen. Malgré les suggestions de différents rapports du Parlement européen, la Commission n'a pas voulu assumer la direction de la politique de recherche et développement européenne. En effet, celle-ci repose actuellement beaucoup sur des partenariats public-privé dans lesquels subsiste un important décalage entre les entreprises favorisant les médicaments à haute rentabilité et les États souhaitant que la recherche porte également sur d'autres types de médicaments. Ce problème s'est posé notamment dans le cadre de l'Initiative pour des médicaments innovants (IMI), comme l'a souligné le Parlement européen. Je crains que la position de la Commission européenne ne change pas la donne.

Par ailleurs, concernant la capacité de production sur le territoire européen, la proposition de la Commission manque d'ambition, même si certaines garanties sont demandées aux entreprises. Il faudrait développer une infrastructure publique afin de garantir une production suffisante des médicaments stratégiques ou de ceux dont l'industrie privée ne garantit pas la production. La liste des médicaments pourra faire l'objet de discussions : elle pourrait se baser sur la liste des médicaments stratégiques de l'OMS. La capacité de production de ces médicaments sur le continent européen serait ainsi garantie.

Cette structure devrait être publique ou du moins ne pas réaliser de profits, comme l'a demandé le Parlement européen dans un rapport de 2021 sur la pénurie de médicaments. Par ailleurs, deux études du service du Parlement ont recommandé cette mesure. Cependant, la Commission européenne ne franchit pas ce pas. L'HERA ne répond pas actuellement à ce besoin : nous avions demandé que cette autorité soit très ambitieuse, sur le modèle de la Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA) américaine. Néanmoins, en l'état actuel, il s'agit plutôt d'un sous-directorat de la Commission européenne, peu ambitieux et incapable de répondre aux besoins identifiés pendant la pandémie. Or, aujourd'hui, les pénuries concernent des médicaments de première nécessité.

La proposition de la Commission européenne est également décevante sur le sujet des principes actifs. Il s'agit de savoir à quel point il est possible de relocaliser leur production afin de moins dépendre de leur commerce. L'Union européenne aurait intérêt à fédérer une série de politiques qui ont isolé les États membres dans de petits projets et un travail en silo, afin de produire une recherche collaborative basée sur un modèle de sciences ouvertes. Chaque État pourrait ainsi apporter ses qualités au niveau européen. Certains projets européens construits de cette manière, comme l'Agence spatiale européenne, ont été des succès.

J'ai tenté de dresser un panorama critique des grandes lignes de la politique de la Commission européenne.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Je vous remercie et donne immédiatement la parole à notre rapporteure, Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Merci Monsieur Botenga pour ce propos liminaire. La présentation du paquet pharmaceutique a en effet accusé beaucoup de retard, au point que nous nous demandions si elle interviendrait avant ou après les élections européennes.

Parmi les mesures proposées, la réduction de la protection des données de huit à six ans vous paraît-elle problématique ? Est-il nécessaire de limiter les barrières concurrentielles pour simuler l'innovation ? De cette question découle celle de la durée des brevets pharmaceutiques, ceux-ci ayant été considérés durant la pandémie comme un frein à l'accession de tous les pays au vaccin.

Par ailleurs, vous avez présenté le manque de transparence comme un facteur déterminant. Néanmoins, quelle mesure préconiseriez-vous en la matière ? Vous avez en effet déploré pendant la pandémie le manque de transparence des processus d'achats groupés au niveau européen, en poussant la Commission européenne à publier les contrats d'achats de vaccins. Pourriez-vous nous donner plus d'informations sur ce sujet ?

En outre, la définition des tarifs de remboursement des médicaments reste largement aux mains des États membres. Or, en France, beaucoup se plaignent du prix à leurs yeux trop bas des médicaments matures. Plusieurs des personnes que nous avons entendues ont estimé que, durant l'examen du PLFSS, l'enveloppe destinée aux médicaments sert de variable d'ajustement pour réaliser des économies. Le prix des médicaments matures est tiré vers le bas pour faire face au coût exorbitant des médicaments innovants. Comment pourrions-nous tendre vers une harmonisation des prix au niveau européen afin d'éviter la surenchère entre les différents États membres observée durant la pandémie ?

De plus, considérez-vous les compétences de l'EMA en termes de prévention et de surveillance de l'approvisionnement en médicaments comme satisfaisantes ? Nous avons eu l'impression que l'ambition et la volonté étaient présentes, mais que les moyens alloués n'étaient pas au rendez-vous. Partagez-vous cette analyse ?

Par ailleurs, au cours des précédentes auditions, les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) n'ont pas suscité d'engouement particulier. Quelles en sont les raisons selon vous ? Ces dispositifs sont-ils suffisamment valorisés ? Comment pourraient-ils devenir des outils efficaces sur le plan européen ?

Vous considérez également que les aides publiques destinées à la production et à l'innovation pharmaceutique manquent d'efficacité au regard des objectifs d'intérêt général. Durant la pandémie, vous avez expliqué à juste titre que le contribuable européen allait « payer trois fois pour le même vaccin ». Vous avez ajouté : « On est en train de se prosterner devant les industries pharmaceutiques ». Ce jugement est assez dur. Pourriez-vous préciser votre analyse des aides publiques ?

Enfin, que penseriez-vous de nous concentrer au niveau européen sur une liste plus courte de produits « critiques », et non sur les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur ? Cette liste comporterait 100 à 150 produits, pour lesquels la production au niveau européen serait publique, afin de répondre aux tensions et aux pénuries.

M. Marc Botenga. - Je vous remercie pour ces questions auxquelles j'essaierai de répondre dans l'ordre.

D'abord, la proposition de la Commission européenne concernant les droits de propriété intellectuelle est un peu plus nuancée que ce que vous avez évoqué. La protection réglementaire durerait huit ans, dont six ans de protection des données et deux ans d'exclusivité de mise sur le marché. Si l'entreprise respecte les conditions de mise sur le marché sur l'ensemble du territoire européen, la protection peut durer jusqu'à douze ans.

Ce mécanisme entraîne donc une flexibilisation du régime de protection. Celui-ci peut cependant rester très étendu. Six mois de protection supplémentaires sont prévus si le médicament répond à un besoin médical non satisfait, auxquels s'ajoutent encore six mois si des essais cliniques comparatifs sont réalisés. Les deux ans d'exclusivité de mise sur le marché permettraient d'encourager l'accès au médicament partout en Europe. La Commission estime que cette mesure augmentera de 15 % l'accès au médicament, touchant environ 70 millions de personnes.

Cependant, je porte un regard assez critique sur ces mesures. Le modèle actuel des droits de propriété intellectuelle dans le secteur de la santé constitue une innovation relativement récente. Vous connaissez les accords sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), qui ont été récemment réformés. Néanmoins, avant les années 1970, en Italie par exemple, il n'allait pas de soi de donner l'exclusivité des droits sur un médicament à une entreprise en particulier. Un arrêt célèbre de la Cour constitutionnelle italienne a depuis rendu possible cette exclusivité.

Au niveau européen, le retour sur investissement des fonds de recherche attribués à l'industrie pharmaceutique a progressivement diminué. Autrement dit, pour le même euro investi dans la recherche, nous obtenons beaucoup moins de résultats que dans les années 1950. Nous sommes confrontés à une crise de l'innovation. Ce constat est partagé par la communauté académique et dans de nombreuses institutions internationales.

En réalité, nous créons des silos de données et des monopoles. Ce système n'incite pas forcément les entreprises à améliorer leurs produits au maximum. En effet, un petit changement dans leur confection peut garantir un nouveau monopole.

Je souhaiterais donc faire le choix de la science ouverte : beaucoup d'institutions académiques fonctionnent sur ce modèle, dans la recherche fondamentale notamment. En effet, ce modèle permet une recherche collaborative. L'OMS a ainsi proposé, au moment de la pandémie, la mise en place du Covid-19 Technology Access Pool (C-TAP) pour réunir les chercheurs et limiter les monopoles privés. Pour encourager la recherche et l'innovation, il faudrait octroyer les droits monopolistiques avec plus de prudence.

Les tenants de ces droits objectent souvent qu'ils encouragent les entreprises à investir dans la recherche et le développement. Néanmoins, il faudrait avant tout savoir quel pourcentage d'argent public ou privé est effectivement utilisé à ces fins. Les investissements et l'utilisation des fonds publics par ces entreprises restent trop peu transparents. Il faut donc imposer la transparence aux entreprises privées. De plus, la fabrication publique des médicaments permet d'avoir une meilleure vision des coûts de recherche ou de production.

Une étude présentée au Parlement européen indiquait qu'au total, pour les vaccins contre la covid-19, les autorités américaines, européennes et certaines institutions internationales ont investi 31 milliards de dollars, à la fois dans la recherche et le développement et pour l'achat du vaccin. Néanmoins, les dépenses déclarées par les entreprises atteignent seulement 16 milliards. Ces chiffres suggèrent qu'une partie des 31 milliards a été utilisée à des fins autres que le développement et la production d'un vaccin. Cette étude a été évoquée lors de la commission d'enquête Covid, car elle pose la question fondamentale de l'utilisation des fonds publics au sein des entreprises.

Je suis favorable à plus de flexibilité afin de favoriser la recherche ouverte, tout en imposant une transparence aux entreprises afin d'obtenir des données claires et sortir d'un jeu improductif de déclarations contradictoires. Sur le fond, nous avons besoin de plus de sources ouvertes. Ce but peut être atteint à travers des licences non exclusives, par exemple, mais différents modèles existent. Les unités de recherche ne souhaitent pas, en effet, que leurs inventions soient directement accaparées par les entreprises privées.

Nous devons, au-delà de ce que souhaite la Commission, exiger une transparence totale des entreprises ayant reçu des fonds publics. La transparence des contrats est un enjeu de santé publique. En effet, le manque de transparence renforce la peur des vaccins ou de la politique pharmaceutique. La médiatrice européenne a ainsi critiqué l'échange de messages WhatsApp entre la Présidente de la Commission européenne et le président-directeur général d'une entreprise pharmaceutique, parlant de « mauvaise administration ».

Il est possible d'imposer la transparence, mais l'HERA a choisi de négocier les contrats en vase clos. Même le Parlement européen n'a pas eu de droit de regard, en bénéficiant seulement d'un statut d'observateur purement formel. Il a été exclu de ce mécanisme incorporé à la Commission européenne et géré avec la même opacité qu'auparavant.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Quel lien faites-vous entre ces sujets et la pénurie de médicaments ?

M. Marc Botenga. - Le lien entre transparence et pénurie me semble primordial. La transparence permet de prévoir les pénuries en identifiant, par exemple, les goulots d'étranglement, ou encore d'effectuer un suivi des contrats. Les États ont disposé à un moment d'un droit de regard sur les contrats vaccinaux : ce mécanisme doit être généralisé. La transparence doit également concerner la capacité productive réelle et l'exportation.

De plus, il faut tout faire pour limiter le prix des médicaments. Quand le financement est public, nous pouvons imposer des conditions d'accessibilité, comme dans le cadre d'un marché public. Ensuite, je partage votre analyse concernant le jeu entre médicaments innovants et médicaments matures. Le prix des médicaments innovants ayant bénéficié de la recherche ou de financements publics ne doit pas être fixé aléatoirement par les entreprises. En Belgique, pour sauver la vie d'un enfant, il a fallu mettre en place un financement populaire parce que le prix du médicament nécessaire était prohibitif.

Même si je ne connais pas la situation de la France, des outils sont à disposition des États comme la licence obligatoire ou « licence d'office ». La Commission européenne propose de développer une licence d'office au niveau européen. Cependant, cette piste ne doit pas affaiblir les États : ceux qui ont choisi d'ajouter cet outil à leur arsenal législatif doivent pouvoir l'utiliser.

Par ailleurs, je partage votre constat sur l'EMA : en effet, ses moyens sont insuffisants même si ses ambitions sont louables. La majorité des fonds qu'elle perçoit provient aujourd'hui d'acteurs privés. L'agence offre des services à des acteurs souhaitant mettre sur le marché certains médicaments. Je pense qu'un équilibre doit être trouvé : nous devons oser remettre les fonds publics dans l'EMA tout en exigeant une transparence. Malheureusement, ces débats sont plus prégnants aux États-Unis qu'en Europe.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - La pénurie de médicaments fait partie du portefeuille de l'EMA, et un plan de charge a été présenté. Cette institution a-t-elle les moyens de le mettre en oeuvre ? Ses objectifs comprennent en effet une cartographie, la liste des médicaments essentiels, et toute une série d'éléments essentiels.

M. Marc Botenga. - Pour l'instant, la réponse est non. Le cahier des charges élargissant les compétences de l'EMA est sans doute une bonne chose. Néanmoins, il aurait aussi été possible de créer une agence indépendante sur le modèle de la BARDA. Dès lors que la compétence a été attribuée à l'EMA, il faut lui donner les moyens d'accomplir ses missions. Nous nous sommes rendu compte des limites d'information dont disposaient les autorités publiques : une entreprise britannique a ainsi été convoquée à Bruxelles afin d'obtenir des informations sur sa capacité de production. Nous sommes confrontés à un défaut d'informations. D'après ce que j'ai entendu, l'EMA elle-même considère ses moyens comme insuffisants.

Par ailleurs, je pense que le PIIEC peut avoir du sens. Il y a un an, un projet porté par seize pays européens avait été lancé en vue de créer un PIIEC européen sur la santé. La France en faisait probablement partie. Néanmoins, il faut faire attention à ce que ce projet soit commandé par des objectifs de santé publique. Trop souvent, les projets européens sont financés en fonction d'un projet préexistant. Ainsi, tout un lobbying se met en place concernant ce qu'est un PIIEC, menant à un marchandage entre différents groupes de pays. Il nous faut garantir que ces projets soient menés en fonction des besoins de santé publique, sans tomber dans une logique de privatisation.

Concernant l'efficacité des aides publiques, certaines entreprises reçoivent des aides publiques, mais continuent de licencier des chercheurs. Or, l'Europe a besoin d'eux, dans la recherche fondamentale comme dans la recherche appliquée. Dans un secteur aussi stratégique, il est nécessaire d'imposer la production de recherches, mais aussi le maintien de l'emploi par les entreprises. Pour être franc, j'ai été abasourdi par le licenciement de chercheurs par des entreprises recevant des fonds publics. En effet, nous disposons en Europe d'un savoir-faire qui doit être garanti par les fonds publics.

Concernant la dernière question, je veux être pragmatique. Par le passé, la production publique n'était pas fixée selon des logiques de profits, peu importe le modèle utilisé. Nous devons obtenir une garantie sur un certain nombre de médicaments. Les instituts publics du vaccin existaient encore jusque récemment aux Pays-Bas ou au Danemark. L'Espagne mène actuellement des expériences pour en créer. L'important est de commencer à agir, même avec une liste de 100 ou 150 médicaments. Néanmoins, l'UE ne doit pas seulement produire des médicaments considérés comme non rentables par les entreprises privées. En effet, les entreprises financées par des fonds publics fonctionneraient alors à perte dès le départ. Il faudra trouver un équilibre entre le besoin de financement et le nécessaire revenu des entreprises.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Merci pour tous ces éléments. La liste des produits dits « critiques » regroupe les médicaments dont nous sommes extrêmement dépendants, à cause de monopoles ou de surconsommation durant les périodes épidémiques récentes. Par définition, ces médicaments peuvent mettre en difficulté la santé publique durant des périodes circonscrites. Ainsi, la liste est forcément limitative.

Par ailleurs, l'idée du pôle public permettrait également d'obliger les laboratoires à fournir des quantités importantes de médicaments en période de pénurie. Ce programme pourrait-il être mis en oeuvre au niveau européen ? Les pénuries d'amoxicilline ou de paracétamol en période d'épidémies conduisent à des situations sanitaires graves. L'Europe a un poids suffisant en termes de marché pour demander des obligations contractuelles aux entreprises : l'autorisation du médicament serait soumise à une obligation de production de la part de l'entreprise en cas de pénurie.

M. Marc Botenga. - Ce système a en effet du sens au niveau européen, mais il peut aussi en avoir au niveau national. De plus, la liste des médicaments essentiels de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) est beaucoup plus longue, même si les États sont encouragés à produire leurs propres listes. Je suis assez favorable à une action européenne, car elle permettrait des économies d'échelle et d'exercer un certain poids sur les entreprises.

Pour certains pays, la mise en place d'une licence d'office implique un affrontement avec des géants pharmaceutiques ayant parfois des chiffres d'affaires supérieures à leur produit intérieur brut (PIB). L'action européenne peut inverser ce rapport de forces. De plus, chaque État membre a ses forces et ses faiblesses. Les modèles proposés sont néanmoins variés. Je vous transmettrai à ce sujet l'étude présentée au Parlement européen sur l'infrastructure publique du médicament. Il est possible de mettre en réseau des dispositifs déjà existants, mais aussi de proposer un système semblable à l'Agence spatiale européenne (European Space Agency - ESA). Entre ces deux extrêmes, beaucoup de combinaisons sont possibles.

L'initiative européenne devrait être soutenue par les États membres en fonction des besoins qu'ils ont identifiés et de leurs capacités respectives. Tout pôle public européen doit d'ailleurs partir des réalités nationales, comme dans le cas de l'Agence spatiale européenne.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Par ailleurs, la question de la souveraineté française et européenne revient souvent concernant les pandémies. Lors de nos auditions, nous avons compris que la principale faiblesse de la chaîne de valeur de la fabrication des médicaments réside dans l'industrie chimique, qui a quitté le territoire européen. Les contraintes environnementales européennes sont en effet très fortes. Pensez-vous qu'en matière de souveraineté sanitaire, il faille développer cette dimension en priorité ?

M. Marc Botenga. - Ce débat sur la souveraineté et l'autonomie stratégique est notamment impulsé par la France au niveau européen. La question est complexe. La Commission, dans des secteurs comme les semi-conducteurs ou les technologies vertes, stimule beaucoup le « fast permitting », à savoir l'obtention rapide de permis d'installation de certaines unités de production. Les semi-conducteurs posent également des questions chimiques au niveau de leur chaîne de production. Je pense qu'il faut en effet recommencer à produire certaines substances.

Par ailleurs, je nourris davantage de doutes sur cette approche concernant les questions environnementales. Je ne crois pas que ces questions en particulier aient poussé les entreprises à délocaliser : il s'agit d'un facteur parmi d'autres.

Le même dilemme se pose également au niveau des salaires ou de la fiscalité : en cas de hausse des salaires ou de l'impôt sur les sociétés, les entreprises menacent de quitter le territoire. Il faudrait imposer une industrie européenne. La capacité des marchés publics, qui représentent 14 à 19 % du PIB européen, ne doit pas être sous-estimée. Les directives européennes permettent de soumettre ces marchés publics à des conditions de production locale. Il s'agit véritablement d'un outil à disposition des États.

Par ailleurs, les États-Unis sont parfois bien plus radicaux que nous. Ils donnent des ordres prioritaires aux entreprises en les obligeant à produire tel type de médicament ou de produit chimique. Leur loi de production pour la Défense permet de réorienter la production au nom de la sécurité nationale. Or la santé publique comporte une dimension de sécurité nationale.

Je ne pense pas qu'il faille baisser les salaires ou les normes environnementales, ou même octroyer des avantages fiscaux afin d'attirer les entreprises. Cette logique n'offre aucune garantie : les États-Unis disposent d'une plus grande capacité que l'Europe à jouer sur ces leviers financiers. Nous avons beaucoup utilisé la carotte envers les entreprises : il est temps de leur imposer certaines mesures.

Une étude menée en mars pour la Commission environnement et santé du Parlement européen sur les ingrédients pharmaceutiques actifs indique clairement qu'il faut envisager la mise en place de chaînes de production locales. Si celles-ci ne peuvent être garanties à travers des incitations, il faut les garantir à travers une production publique locale.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Votre propos est très clair. En revanche, nous laissons le marché européen être envahi par des produits dont les conditions de production ne respectent pas tout à fait nos normes sociales et environnementales. Merci beaucoup pour cet échange très riche.

M. Marc Botenga. - Je vous remercie une fois encore pour l'invitation.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Nous comptons sur vous et sur les députés européens pour faire avancer les choses à votre niveau.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 35.

Jeudi 4 mai 2023

- Présidence de Mme Sonia de La Provôté, présidente -

La réunion est ouverte à 11 h 05.

Audition de M. Michel Rao, sous-directeur des industries de santé, des biens de consommation et de l'agroalimentaire à la direction générale des entreprises

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Mes chers collègues, notre commission d'enquête entend aujourd'hui la direction générale des entreprises (DGE).

Depuis le début de nos travaux, nos auditions nous ont conduits à examiner la production de médicaments sous l'angle de la santé publique et du risque de pénuries de médicaments, ce qui est la raison d'être de notre commission d'enquête.

Toutefois, nombre des personnes que nous avons auditionnées, notamment les industriels du médicament, ont développé des arguments et des considérations d'ordre économique ou relevant de la politique industrielle et de la souveraineté. Je pense, par exemple, aux moteurs des délocalisations passées, comme les enjeux de compétitivité-coût du secteur pharmaceutique européen au regard des productions asiatiques. Je pense aussi aux interrogations relatives à la viabilité du modèle économique de conception et de production du médicament, portant notamment sur l'effort important de recherche et développement (R&D) ou sur la régulation des prix de vente des médicaments. Enfin, nous avons également fréquemment évoqué les projets émergents de « rapatriement » de capacités de production en France et en Europe, pour réduire nos dépendances et assurer notre approvisionnement.

Afin d'examiner les enjeux relatifs au médicament sous l'angle de la politique industrielle, nous avons souhaité entendre aujourd'hui la direction générale des entreprises, administration centrale chargée du développement des entreprises et des secteurs économiques. Je ne doute pas que, sous l'effet de la nouvelle dénomination du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, apparue à l'issue de la crise de la covid-19, l'action de la DGE à l'égard de l'industrie pharmaceutique a pris une tout autre ampleur, ce que nos interlocuteurs pourront nous confirmer.

Je précise que la DGE a piloté le déploiement des enveloppes du plan France Relance ayant trait à la relocalisation de capacités de production pharmaceutique - cela faisait partie des objectifs -, thème sur lequel je suis certaine que nous aurons de nombreuses questions.

À propos des pénuries, la publication fort opportune, hier soir, d'une première liste de 48 médicaments critiques démontre l'importance de cette question, tout comme votre intervention fort bien venue, puisque vous avez su y ajouter des éléments complémentaires utiles.

Vous nous expliquerez d'ailleurs comment cette liste a été constituée, puisqu'elle ne tient pas compte de « notre capacité à relocaliser ces médicaments » et que, pour certains d'entre eux, « nous allons nous rendre compte que nous n'en sommes pas capables », selon les propos de M. Pilcer.

S'ajoutera à cette liste, ce qui pourrait paraître primordial selon les critères essentiels qui sont les nôtres, à savoir la liste des médicaments critiques sur le plan thérapeutique.

Nous accueillons donc aujourd'hui M. Michel Rao, sous-directeur des industries de santé, des biens de consommation et de l'agroalimentaire, M. Antoine Delattre, directeur de projet, et M. Louis-Samuel Pilcer, directeur de projet.

Je précise également que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Michel Rao, Louis-Samuel Pilcer et Antoine Delattre prêtent serment.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Pour cette audition d'une durée d'environ une heure et demie, nous vous laissons tout d'abord la parole pour un propos général de moins de dix minutes, puis Mme Laurence Cohen, rapporteure de notre commission d'enquête, vous posera des questions complémentaires.

M. Michel Rao, sous-directeur des industries de santé, des biens de consommation et de l'agroalimentaire à la Direction générale des entreprises. - Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames, messieurs, je vous remercie de cette invitation, qui me permet de présenter aujourd'hui l'action de la DGE dans le domaine du médicament.

De manière générale, notre rôle est de concevoir et de mettre en place des politiques publiques concourant au développement des entreprises. Par conséquent, nous portons des missions à la fois sectorielles - donc de politique industrielle -, des missions transverses, notamment en matière de simplification réglementaire et de politique d'innovation, et des missions relatives à la transformation écologique et numérique des entreprises.

Dans le secteur du médicament plus spécifiquement, nous menons des actions et suivons un certain nombre de sujets ayant trait à la compétitivité de la filière française ainsi qu'à ses efforts de réindustrialisation. Nous ne participons pas directement à la gestion des pénuries, mais nous collaborons étroitement avec le ministère de la santé et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), dans le cadre du volet industriel de cette gestion.

Avant la crise de la covid-19, l'action de la DGE était plutôt centrée sur l'innovation, avec notamment pour objectif de positionner la France en leader en matière de biothérapies et de bioproduction de ces thérapies innovantes.

La crise de la covid-19 a donné lieu à une prise de conscience collective de notre forte dépendance industrielle, ce qui nous a conduits à nous positionner plus fortement sur ces enjeux de souveraineté industrielle. Ainsi, dans un premier temps, en 2020 et 2021, une réponse immédiate a été apportée à la crise et, dans un second temps, a été développée une réflexion plus structurée, qui a abouti à la définition d'une liste de médicaments stratégiques d'un point de vue industriel et sanitaire (MSIS).

Je terminerai mon propos liminaire en évoquant des sujets européens.

Pour commencer, voici quelques chiffres concernant la filière industrielle du médicament en France : en 2020, on comptait 260 laboratoires pharmaceutiques, répartis sur plus de 400 sites industriels, et une quarantaine de façonniers, également appelés contract drug manufacturing organisations (CDMO), travaillant pour ces donneurs d'ordre, dont vingt-quatre produisaient des substances actives. Cette industrie représente 63 milliards d'euros de chiffre d'affaires, dont la moitié est réalisée à l'export, et entre 100 000 et 130 000 emplois directs. En termes de chiffres d'affaires, la France se situe à la cinquième place mondiale derrière les États-Unis, la Chine, le Japon et l'Allemagne. En revanche, en termes de production pharmaceutique, la France occupe la cinquième position en Europe, derrière la Suisse, l'Italie, l'Allemagne et le Royaume-Uni.

Au sein du médicament, deux segments doivent être distingués. La bonne santé financière des grands groupes ou des start-up est souvent liée à des produits innovants, plus chers, et masque une autre réalité, celle des producteurs et des exploitants de molécules matures - pour résumer, les médicaments génériques -, qui sont souvent dans des situations économiques moins favorables. Les médicaments génériques représentent 21 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel, soit environ un tiers du chiffre d'affaires global de cette industrie.

En ce qui concerne les actions mises en oeuvres par la DGE, je commencerai en février 2019, lorsque la filière industrielle et l'État se sont regroupés au sein d'un comité stratégique de filière (CSF), intitulé « Industrie et technologies de santé », présidé par la Fédération française des industries de santé (Fefis). L'ensemble des fédérations professionnelles y est représenté - Les entreprises du médicament (Leem), le syndicat de l'industrie chimique organique de synthèse et de la biochimie (Sicos), mais également le syndicat du diagnostic in vitro (Sidiv) et le syndicat national de l'industrie des technologies médicales (Snitem) -, ainsi que les administrations et les ministères - les ministères chargés de l'industrie, de la recherche et de la santé en particulier. Il s'agit d'une instance de coconstruction d'actions partagées entre l'État et l'industrie, comme souhaité par le Conseil national de l'industrie, afin d'avancer sur nos priorités collectives.

Lors de la signature de ce premier contrat en 2019, les grands défis identifiés par la filière étaient, premièrement, de consolider le leadership français dans la production, en particulier en matière de bioproduction, et deuxièmement, de renforcer l'internationalisation des entreprises. Il avait été indiqué dans ce contrat qu'« en termes d'indépendance sanitaire, il est important que la France se renforce dans la production de thérapies innovantes. » A donc été lancé un projet structurant concernant la bioproduction, qui représente un important potentiel d'innovation technologique. Les industriels du CSF ont donc étroitement collaboré avec la DGE, le ministère de la santé et le ministère de la recherche, ce qui nous a permis de définir et de mettre en oeuvre la stratégie d'accélération biothérapies et production, annoncée en 2022, qui a pour objectif de placer la France en leader mondial et de produire 20 biomédicaments d'ici à 2030.

Ensuite, en 2020, la crise de la covid-19 nous a fait prendre conscience de l'existence de difficultés majeures dans nos chaînes d'approvisionnement en matière de produits de santé. Pour cette raison, le Gouvernement a lancé deux appels à projets : le premier, Capacity Building, pour financer des projets qui visent à répondre directement à la crise de la covid-19, et le second, Résilience, pour renforcer nos chaînes d'approvisionnement.

Pour le secteur de la santé, le Gouvernement a donc mobilisé plus de 800 millions d'euros d'aides, pour environ 1,7 milliard d'euros d'investissements productifs publics-privés. L'appel à manifestation d'intérêt (AMI), Capacity Building, a permis d'augmenter nos capacités de production de traitements et de dispositifs utilisés dans la lutte anti-covid, par exemple s'agissant des respirateurs, de l'oxygénothérapie, des flacons et des seringues nécessaires aux vaccinations anti-covid. Les 671 millions d'euros investis par l'État dans cet AMI ont permis de soutenir 59 projets, qui ont mobilisé 1,2 milliard d'euros d'investissements publics-privés. L'État a également financé une usine de production du principe actif du paracétamol, qui sera opérationnelle en 2025 ou 2026.

Ensuite, dans le cadre de l'appel à projets Résilience, dont le champ dépassait celui de la santé, 158 millions d'euros ont été mobilisés pour le périmètre de la santé, ce qui a notamment permis de mettre en place des filières souveraines pour des produits ayant connu de fortes pénuries durant la crise et de soutenir des capacités de production de molécules critiques en France, soit 128 projets pour 565 millions d'euros d'investissements publics-privés.

L'objectif de cet appel à projets Résilience étant de réduire notre dépendance dans un certain nombre de secteurs stratégiques au-delà de celui de la santé, comme ceux de l'agroalimentaire et de l'électronique, mais également de relancer notre économie pour garantir la création de valeur en France, nous avons donc évalué si les projets concernaient des médicaments dits d'intérêt thérapeutique majeur (MITM), tout en tenant compte d'autres critères, comme les dimensions sociales et environnementales des projets. À terme, on estime à 6 500 emplois le nombre d'emplois créés par ces deux appels à projets.

Parmi les projets soutenus, plus d'une centaine de projets concernant des médicaments ou des vaccins ont renforcé la chaîne de valeur de ces MITM, et plus d'une quarantaine de projets ont visé à la relocalisation ou à la sécurisation de capacités de production de principes actifs, en particulier pour des molécules utilisées en réanimation, qui ont connu de fortes tensions pendant la crise de la covid-19. Les capacités de production ont également été renforcées en matière de tests de diagnostic in vitro, pour mettre en place une filière souveraine en France, ainsi que s'agissant de la chaîne de valeur des vaccins, pour permettre à la France de disposer de capacités de remplissage additionnelles de 670 millions de doses. Nous estimons qu'environ 10 % des projets soutenus sont actuellement achevés. La durée de ces projets, qui comportent souvent une phase de R&D en amont de la phase d'industrialisation, est en majorité de l'ordre de trois à quatre ans, ou de cinq ans maximum.

Une fois passée l'urgence du contexte de relance post-covid, et au-delà des vulnérabilités spécifiques à la lutte contre la covid-19, il a fallu structurer une approche méthodologique afin de cibler les investissements en faveur de la relocalisation de productions de médicaments. Cela s'est traduit dans l'avenant au contrat stratégique de filière de juin 2021, à l'occasion duquel une extension de son périmètre à une plus grande part de la chaîne de valeur des industries de santé a été décidée. La crise a en effet montré l'existence de l'urgence à assurer la résilience de notre industrie de santé en matière d'approvisionnement en principes actifs. Nous avons donc collectivement créé un nouveau projet Relocalisation de principes actifs intermédiaires ou médicaments essentiels, ce qui a conduit à la réalisation de deux livrables majeurs : une étude sur la vulnérabilité des chaînes de valeur du principe actif et la construction de la liste des MSIS par le Gouvernement.

Au sujet du premier livrable, il s'agit d'une étude menée par l'entreprise PwC pour le Sicos portant spécifiquement sur les questions de compétitivité de notre industrie, notamment au regard des réglementations européennes, qui est l'un des facteurs explicatifs de notre dépendance grandissante aux fournisseurs asiatiques de principes actifs. En effet, 40 % des médicaments commercialisés dans l'Union européenne proviennent de pays tiers et 60 % à 80 % des principes actifs sont produits uniquement en Chine et en Inde. Une molécule sur six n'est plus produite en Europe, en particulier les molécules matures, et 63 % des lignes de production de principes actifs valides sont détenues par des fabricants asiatiques, contre 33 % pour l'Europe. En 2000, cette proportion était inverse et, en 2005, l'Asie a rattrapé l'Europe.

Cette délocalisation progressive est en partie due à des réglementations sociales et environnementales plus strictes en Europe, imposant, à juste titre, aux producteurs des obligations en matière environnementale, par exemple pour les rejets de solvants dans les rivières, pour le contrôle de la pollution de l'air, mais également en matière sociale, notamment s'agissant de la protection des travailleurs contre les explosions ou de l'inhalation de produits toxiques. Les fabricants asiatiques qui exportent en Europe ne sont pas soumis à ces réglementations. Selon cette étude, la mise en place d'une unité de production de principes actifs en Europe implique un surcoût de l'ordre de 20 % à 40 % par rapport à une unité de production en Asie, dont une part significative est liée au respect de ces réglementations environnementales. Néanmoins, il existe de fortes disparités selon le type de produit considéré.

Au sujet du prix des médicaments, la DGE participe aussi aux discussions interministérielles, au sein du Comité économique des produits de santé (CEPS), concernant la fixation du prix des médicaments, en particulier pour la mise en oeuvre de l'article 65 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, qui a trait au critère industriel, ainsi que de l'article 28 de l'accord-cadre entre le CEPS et le Leem. Ces outils permettent de répondre, en partie, à des difficultés d'approvisionnement, lorsqu'il s'agit d'un prix trop faible.

Néanmoins, sur le sujet plus large et global de la régulation des produits de santé, une mission a été lancée par la Première ministre en janvier 2023, qui se donne pour objectif d'établir un diagnostic partagé sur notre modèle de prise en charge ainsi que ses voies d'amélioration, afin de renforcer notre compétitivité et de mieux lutter contre les tensions d'approvisionnement et les pénuries. En effet, le système de soins français doit en effet concilier plusieurs objectifs : l'accès des patients aux médicaments, la lutte contre les pénuries, le renforcement du tissu productif, l'attractivité du territoire, mais également la soutenabilité des dépenses et l'équilibre ainsi que l'équité dans la répartition des efforts.

Sur ces questions très complexes, nous serons attentifs aux conclusions que rendra la mission portant sur tout sujet de réforme du financement des produits de santé.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Pourriez-vous raccourcir votre propos afin de préserver un temps d'échange ?

M. Michel Rao. - Le second livrable du CSF est la liste des MSIS, issue du constat qu'un préalable à la poursuite et à la pérennisation des efforts de relocalisation était d'identifier précisément les médicaments et les principes actifs dont la relocalisation de la production en France est prioritaire en raison de trois critères : l'intérêt thérapeutique, l'absence de solution de substitution et la vulnérabilité des chaînes de production.

En effet, il est nécessaire de disposer d'une liste plus restreinte que celle des MITM, qui compte quelque 6 000 molécules, pour concentrer nos efforts et maximiser les effets de nos actions en termes de souveraineté sanitaire et industrielle. En 2022, un groupe de travail a été lancé réunissant la DGE, la direction générale de la santé (DGS) et l'ANSM pour constituer une telle liste de médicaments.

Dans ce processus, la DGS et l'ANSM identifient les médicaments les plus stratégiques au regard de leur intérêt thérapeutique. Ensuite, la DGE mène avec l'ANSM une analyse de la vulnérabilité industrielle de la chaîne d'approvisionnement, en prenant en compte notamment la dépendance aux approvisionnements extra-Union européenne. Pour cela, on s'appuie sur des analyses des ruptures et des sites de production de ces médicaments afin d'identifier ceux dont la chaîne de production est la plus fragile. Enfin, nous faisons le lien avec les industriels du CSF pour qu'ils mettent notre analyse à l'épreuve, qu'ils étudient les causes profondes des vulnérabilités, ainsi que la faisabilité et le coût d'une éventuelle relocalisation.

Pour terminer, notre stratégie industrielle doit également être construite au niveau européen. L'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire (HERA) est un élément de réponse. Avec la DGS, nous souhaitons qu'elle soit dotée d'objectifs ambitieux, car elle a un rôle majeur à jouer pour sécuriser les chaînes d'approvisionnement et pour répondre aux crises sanitaires.

Par ailleurs, au regard des différences de marché identifiées pour le secteur de la santé, la France a proposé, en 2021, de mettre en place et de coordonner un projet important d'intérêt européen commun (Piiec) sur la santé pour répondre à plusieurs objectifs : promouvoir le développement et le déploiement de procédés de production plus durables et disruptifs, favoriser l'émergence de thérapies innovantes et contribuer aux efforts européens pour renforcer la résilience de l'Union. La DGE coordonne cette initiative au niveau interministériel.

Un Piiec est d'abord un outil permettant à des États membres, après avoir obtenu l'accord de la Commission européenne, de financer des projets industriels dépassant les seuils habituellement autorisés, aussi bien en termes de montant que de pourcentage d'aides. Un Piiec permet de déroger à ces seuils à une double condition : d'une part, qu'il existe une coalition d'États membres, afin d'assurer un véritable passage à l'échelle industrielle ; de l'autre, que les projets répondent à une faille de marché, autrement dit que les conditions du marché, d'un point de vue économique ou technologique, n'incitent pas naturellement les entreprises à investir. Ce critère d'innovation est très strict : la Commission ne valide que les projets déployant des technologies qui vont au-delà de l'état de l'art.

Le Piiec santé a été annoncé en mars 2022, sous la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE). Il a été conçu en deux vagues et doté d'un projet d'environ 1,5 milliard d'euros, pour mettre en place une politique industrielle européenne, et non pour répondre spécifiquement à la pénurie de médicaments.

À ce titre, nous avons sélectionné trois projets, qui ont été notifiés à la Commission, dont un porte spécifiquement sur le recours à des procédés innovants, pour une chaîne de production de principes actifs critiques plus verte et mieux intégrée à l'échelon européen.

En résumé, à l'issue de la crise de la covid-19, nous avons engagé un certain nombre d'actions structurantes visant à réindustrialiser la France et à rétablir un certain degré de souveraineté industrielle et sanitaire. Néanmoins, ces actions en sont encore à leur début. Nous devrons sans doute attendre quelques années avant de voir pleinement leurs effets.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Premièrement, la presse affirme que seuls 18 projets sur une centaine financés par le plan de relance permettront, en réalité, de relocaliser la production de principes actifs ou d'ingrédients de médicaments. Confirmez-vous ces chiffres ?

Comment ces projets ont-ils été choisis ? Vous avez cité l'exemple du paracétamol : nous avons visité le chantier de l'usine Seqens. Elle est en train de sortir de terre et nous nous en félicitons. Mais pourquoi, en parallèle, ne pas dédier un projet à l'amoxicilline ?

Deuxièmement, qu'en est-il du ciblage et des conditions des programmes d'aide à la relocalisation ? Les pénuries et les tensions, d'une ampleur désormais mondiale, sont notamment le fruit de plusieurs décennies de délocalisations. Est-il éthique de mobiliser des fonds publics pour aider les entreprises à relocaliser, alors même qu'elles ont délocalisé pour réduire leurs coûts ? Dénonçant cet état de fait dans une récente tribune, un certain nombre de professeurs de médecine ont préconisé la création d'un établissement public à but non lucratif chargé de mettre en oeuvre des partenariats public-privé visant à coordonner cette stratégie de relocalisation : que répondez-vous à ces critiques ? La DGE s'est-elle penchée sur cette proposition ?

Troisièmement, les aides à la relocalisation financent la modernisation et le renforcement de nos capacités de production. Faut-il en déduire que, selon vous, l'industrie pharmaceutique française souffre encore d'un manque de compétitivité, notamment face à d'autres pays européens ? De quelles conditions entendez-vous assortir ces aides ciblées ? Il ne faudrait pas que les entreprises aidées dans ce cadre délocalisent de nouveau à brève échéance. J'ajoute que l'effort de relocalisation doit être conçu et coordonné à l'échelle européenne : au sein de notre commission d'enquête, nous en sommes tous convaincus.

Quatrièmement, on constate que les groupes pharmaceutiques français sont assez peu performants en matière d'innovation. Or, au titre de la recherche-développement, ils bénéficient d'une très forte dépense publique. Comment expliquez-vous cette contradiction ?

Cinquièmement, une première liste de 48 médicaments critiques a d'ores et déjà été arrêtée par Bercy, et nous nous en réjouissons : à l'évidence, le Gouvernement suit avec attention les travaux de notre commission d'enquête puisque celle-ci a été annoncée hier, à la veille de cette audition. Cela étant, monsieur Pilcer, vous avez déclaré au sujet de cette liste : « Nous l'avons constituée sans prendre en compte notre capacité à relocaliser ces médicaments. Pour certains, nous allons nous rendre compte que nous n'en sommes pas capables. » Dès lors, que comptez-vous faire ? J'imagine qu'il existe un plan européen de relocalisation, mais nous sommes en plein flou artistique.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - J'ajoute que cette liste ne tient pas compte de l'intérêt thérapeutique.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Tout à fait.

Cette première liste doit être suivie d'une autre, plus large ; ce que nous envisageons pour notre part, c'est une liste, restreinte, d'une centaine de produits.

Sixièmement, lors de notre déplacement à Bruxelles, nous avons eu beaucoup de mal à obtenir des informations quant aux projets menés dans le cadre du Piiec, alors même qu'il s'agit d'une initiative ancienne. Vous en avez mentionné trois : pouvez-vous nous indiquer lesquels ? Quels sont les acteurs français, de l'industrie ou de la recherche, engagés dans ce cadre ?

Septièmement et enfin, je note que vous êtes associés à la fixation des prix avec le CEPS. Or ce travail est entouré d'une grande opacité, laquelle crée beaucoup de doutes dans la population. Que pensez-vous d'une transparence de la fixation des prix ? Ces derniers dépendraient de quatre éléments clairement identifiés : le coût réel de production, le respect d'un certain nombre de normes sociales et environnementales - ce critère est indispensable pour éviter la concurrence déloyale -, l'évaluation du service médical rendu et la marge bénéficiaire. Aujourd'hui, le prix de certains médicaments s'envole sans que l'on sache réellement pourquoi et le prix des médicaments matures ne cesse de baisser, au point que leur production devient parfois impossible.

M. Michel Rao. - La liste des médicaments stratégiques est construite en commun avec le ministère de la santé.

Dans un premier temps, ce dernier consulte un certain nombre d'acteurs, notamment les sociétés savantes, pour établir la liste des médicaments critiques d'un point de vue sanitaire et thérapeutique. Il s'agit là de médicaments essentiels à notre système de soins.

Sur cette base, la DGE constitue un sous-ensemble, une liste de médicaments critiques dont la chaîne d'approvisionnement est fortement délocalisée. À ce titre, nous examinons un certain nombre de critères, industriels notamment : combien y a-t-il d'exploitants, de producteurs du principe actif et du produit fini ? Quelle est la part de la production assurée hors d'Europe ? Ce travail nous permet d'apprécier l'intensité du risque pesant sur la chaîne de valeur de production du médicament.

La liste de médicaments critiques est adossée à un ensemble d'actions menées par le ministère de la santé, qu'il s'agisse de l'effort de prévision et d'anticipation ou encore de gestion des pénuries, et par Bercy.

C'est sur le sous-ensemble évoqué que nous nous fondons pour prioriser nos efforts de relocalisation. Nous examinons les situations au cas par cas et nous dialoguons avec les industriels pour savoir s'ils peuvent ou non relocaliser la production du principe actif ou du produit fini en France.

La méthodologie que nous appliquons est issue du rapport Giorgi, modulo des adaptations mineures. Elle prend en compte les implantations à l'échelle européenne. Un médicament produit en Europe par un grand nombre d'acteurs, pour laquelle la part des producteurs européens est élevée, ne sera pas considéré comme stratégique. Nous n'étudierons donc pas sa relocalisation : la présence d'un grand nombre de producteurs en Europe est considérée comme un gage de sécurité d'approvisionnement.

Un Piiec est avant tout un outil juridique ; il permet aux États membres de demander l'accord de la Commission pour financer des projets au-delà des seuils autorisés. Plusieurs Piiec ont été lancés, notamment au sujet de la nanoélectronique et du cloud. Le Piiec santé a vu le jour entre 2021 et 2022. Dans ce cadre, une quarantaine de projets ont été notifiés par l'ensemble des États membres parties prenantes à la Commission européenne au titre de la première vague de financements, dont trois projets en France. À ce stade, je ne puis vous en communiquer le détail, car ils n'ont pas été rendus publics. Nous attendons également des retours de la Commission européenne. Toutefois, si vous le souhaitez, je pourrai vous faire parvenir par écrit le détail des projets que la France a retenus.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Nous vous demanderons ces éléments.

M. Michel Rao. - Selon nous, les modalités de fixation des prix par le CEPS répondent déjà aux impératifs de transparence. La loi fixe les critères explicitement pris en compte dans la tarification des produits de santé. L'accord-cadre entre le CEPS et Leem détaille, quant à lui, les dispositions qui peuvent être mobilisées, par exemple pour assurer la stabilité du prix de tel ou tel médicament.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Vous êtes devant une commission d'enquête et vous êtes tenu de répondre précisément aux questions qui vous sont posées. En l'occurrence, votre propos relève de la langue de bois, car la transparence est loin d'être de mise.

M. Michel Rao. -Les prix faciaux sont publiés. Quant aux prix nets, négociés entre les entreprises et le CEPS, ils ne sont effectivement pas communiqués, pour des raisons tenant au secret des affaires.

Faut-il prendre en compte le coût de production du médicament dans la fixation du tarif ? Cette question est complexe. L'avantage d'un tel choix, c'est de garantir que la production, puis la commercialisation du produit sont rentables. L'inconvénient, c'est la difficulté de contrôler la fiabilité des informations communiquées. Toutes les entreprises ne disposent d'ailleurs pas d'une comptabilité analytique. De surcroît, ce dispositif pourrait créer de mauvaises incitations : les industriels feraient moins d'efforts pour optimiser leurs coûts, ce qui aurait un impact sur les dépenses publiques.

Par ailleurs, les différences dans la compétitivité des entreprises s'expliqueraient notamment par le respect des normes. La Commission européenne a proposé, dans sa récente communication relative au paquet pharmaceutique, d'évaluer systématiquement les risques environnementaux que pourraient comporter les médicaments commercialisés dans l'Union. C'est un premier pas intéressant. Il faut améliorer la coordination européenne en la matière, pour que soient harmonisées les normes applicables à l'ensemble des producteurs qui exportent leurs médicaments dans l'Union.

Précédemment, j'ai mentionné que le montant des aides du plan France Relance s'élèverait à plus de 800 millions d'euros. Il s'agit très précisément de 829 millions d'euros, dont la majorité - quelque 671 millions d'euros pour être exact - a été fléchée vers l'AMI Capacity Building. Cet AMI visait à sélectionner des projets industriels pour répondre à nos besoins de médicaments et de dispositifs médicaux lors de la crise de la covid-19. Le reste, soit 158 millions d'euros, a été consacré à l'appel à projets Résilience.

Tout d'abord, nous avons choisi les projets pour leur capacité à relancer notre économie et à soutenir la relocalisation industrielle. Ensuite, nous avons regardé s'ils concernaient des MITM - nous ne disposions pas, à ce moment-là, de la liste des MSIS -, s'ils visaient à moderniser des lignes de production, au moyen de nouveaux procédés, notamment celui de la chimie en flux continu, qui permet de dépenser moins d'énergie et ainsi de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, nous avons regardé s'ils permettaient d'augmenter les capacités de production de principes actifs pour lesquels nos capacités sont moindres. Enfin, nous avons regardé s'il y avait des effets sur la création d'emplois.

Telle est l'analyse multicritère en fonction de laquelle nous avons sélectionné les projets.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Pourriez-vous nous donner davantage d'informations sur les listes de médicaments ?

M. Michel Rao. - Une première liste de 20 médicaments a été annoncée en février dernier. Son élaboration résulte d'un travail progressif. Nous procédons par aire thérapeutique. Nous avons commencé par regarder l'ensemble des médicaments utilisés en anesthésie-réanimation, en cardiologie et en oncologie. Notre travail s'étendra sur plusieurs mois, car nous allons étudier, aire par aire, les médicaments dont la production doit être relocalisée.

Cette première liste de 20 médicaments a été suivie, à la suite de nos travaux, d'une seconde liste, qui comprend aujourd'hui quelque 48 médicaments. À l'avenir, il y en aura davantage, car la direction générale de la santé a mentionné l'objectif d'établir une liste de 200 à 300 MSIS parmi les 6 000 MITM ; cela revient donc à opérer une sélection exigeante.

Le déséquilibre de compétitivité au sein de l'Union européenne est difficilement quantifiable. Il dépend davantage d'autres facteurs que des facteurs environnementaux que j'ai mentionnés précédemment. En effet, la réglementation européenne est, par définition, applicable à l'ensemble des États membres. Des différences de compétitivité peuvent exister à propos de la main-d'oeuvre. En effet, la production de certains principes actifs nécessite des opérations très complexes requérant beaucoup de main-d'oeuvre ; or le coût du travail varie d'un pays à l'autre.

Pour offrir de la prévisibilité aux entreprises, nous avons retenu le critère industriel, inscrit dans l'article 65 de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, dans la fixation du prix du médicament. Cela permet d'avantager les industriels dont la chaîne de production est bien implantée dans l'Union européenne et de mieux garantir la sécurité d'approvisionnement.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Je vais vous demander de préciser un certain nombre de points. Nous avons vraiment besoin d'avoir plus d'éléments. Les réponses à vos questions doivent être plus directes. Par exemple, vous avez dit que le critère industriel est pris en compte dans la fixation du prix, mais je voudrais savoir très précisément combien de fois la DGE est intervenue auprès du CEPS pour que ce critère soit pris en compte dans le prix.

Par ailleurs, vous avez déclaré que, à partir du moment où un médicament est produit dans l'Union, il n'est pas considéré comme stratégique, car il ne devrait pas souffrir d'une pénurie, pour ainsi dire. Quelle acception donnez-vous au terme de « médicament » ? Si l'on parle du principe actif, du produit fini, ou encore de telle ou telle substance chimique nécessaire à sa fabrication, alors les échelles ne sont pas les mêmes, vous en conviendrez !

De plus, vous n'avez pas répondu à ma question relative à la politique de délocalisation menée par les industriels. Je vous ai fait état d'un certain nombre de propositions de professeurs de médecine, visant notamment à instaurer un établissement à but non lucratif qui serait chargé de mettre en oeuvre des partenariats public-privé. De fait, est-ce véritablement éthique et déontologique de donner de l'argent public à des entreprises pour qu'elles relocalisent ? D'autant plus qu'il y a des incertitudes : les entreprises pourraient de nouveau délocaliser leurs activités un an ou deux après avoir bénéficié d'une aide à la relocalisation !

Vous n'avez d'ailleurs pas répondu non plus à ma question relative aux exigences et aux conditions d'attribution de telles aides. Les finances publiques ne sont pas des puits sans fond ! Il faut avoir des exigences en la matière.

M. Michel Rao. - La doctrine d'application de l'article 65 n'a été finalisée que très récemment. Pour l'heure, nous n'avons pas suffisamment de recul pour évaluer ses effets. N'ayant pas en tête le nombre de fois que cet article a été mobilisé, je vous donnerai la réponse par écrit.

Selon nous, un médicament produit dans l'Union n'est pas considéré comme stratégique, comme je l'ai déjà indiqué, parce que nous savons que nous avons une capacité de production en Europe. Or cela nous permet de nous prémunir contre un certain nombre de risques, tels que la fermeture des frontières. Un tel cas - extrême - aurait pu se produire au moment de la flambée de l'épidémie de la covid-19 en Chine à l'automne dernier : la Chine aurait pu fermer ses frontières pour l'exportation de principes actifs.

Je pourrai vous faire parvenir le détail de cette méthodologie. Elle prend en compte l'ensemble des critères que vous avez mentionnés : le nombre de laboratoires qui exploitent ce médicament, le nombre de fournisseurs du principe actif, la part des sites de production du principe actif établis en Europe et au-dehors, le nombre de sites de production du produit fini, et la part de ces sites installés en Europe et au-dehors.

À cet ensemble de critères, il faut en ajouter deux : un taux supérieur à 30 % d'usines de production de principes actifs situées en dehors de l'Europe ; trois ruptures par an entre 2018 et 2020. À l'aune de tous ces critères nous attribuons un score - sur vingt -, au médicament, qui nous permet de dire s'il est stratégique ou non d'un point de vue industriel.

Nous réfléchissons à demander, en contrepartie de futures aides à des actions de relocalisation et de réindustrialisation - pour l'instant, elles n'ont pas été lancées - que les industriels s'engagent à prendre des clauses garantissant la sécurité d'approvisionnement. Elles permettraient à l'État de demander à un industriel de fournir en priorité le marché français ou d'accélérer sa livraison, en cas de pénuries.

La question relative à l'institution d'un pôle public-privé chargé de la relocalisation de la production de médicaments n'est pas simple. Un tel pôle pourrait redonner la main à la puissance publique dans le choix de produire un médicament ou non. Néanmoins cela soulèverait nombre de difficultés opérationnelles. La compétitivité de ce pôle n'est pas forcément évidente. Il faudra investir, trouver les compétences, suivre les nouvelles technologies, etc.

De plus, un tel pôle ne résoudrait pas la question du prix du médicament. Dans un certain nombre de cas, la décision prise par un industriel de ne pas produire un médicament en Europe ou en France est liée à des questions de rentabilité, notamment à l'écart entre le coût de production et le tarif négocié avec le CEPS. Aussi faudra-t-il regarder si l'application de l'article 65 et de l'article 28 de l'accord-cadre entre le CEPS et le Leem, à la suite des nouvelles orientations ministérielles, incitera significativement les industriels à produire plus en France et en Europe.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Si j'ai bien compris, vous ne demandez aucune condition aux entreprises, lorsque vous les incitez à relocaliser, au moyen des aides que vous attribuez. Autrement dit, le Gouvernement ne demande pas à l'entreprise de s'engager à rester un temps précis sur le territoire français. Ainsi, ces aides publiques sont versées sans critère de conditionnalité, n'est-ce pas ?

Lors des négociations avec le CEPS, défendez-vous la hausse du prix des médicaments matures, qui sont confrontés au risque de pénurie ? Quelle est votre position sur cette revendication, que nous avons entendue lors de nos auditions ?

Au reste, nous savons que l'enveloppe relative aux médicaments est la variable d'ajustement du budget de la sécurité sociale lors de son examen au Parlement. Malheureusement, il y a un jeu de vases communicants : le coût de médicaments matures est baissé pour répondre aux demandes exorbitantes relatives aux médicaments innovants. Or, à un moment donné, le risque est qu'il n'y ait plus de médicaments matures, car les industriels estimeront qu'ils ne sont plus rentables.

M. Michel Rao. - Nous n'avons pas lancé de nouveaux dispositifs de soutien à la relocalisation hormis ceux que j'ai cités, qui sont désormais clos, à savoir l'AMI Capacity building et l'appel à projets Résilience. Nous réfléchissons, dans le cadre de futures actions, à intégrer des demandes d'engagement relatif à la sécurité de l'approvisionnement du marché français.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Y avait-il déjà des conditions dans les dispositifs que vous avez lancés ? Plus précisément, des conditions ont-elles été posées afin de garantir que l'entreprise Seqens ne délocalise pas son activité dans quelques années ?

Si vous ne savez pas, vous nous répondrez par écrit.

M. Michel Rao. - Je ne sais pas. Je vous répondrai par écrit à propos de Seqens.

Par ailleurs, les orientations ministérielles, fixées lors du comité de pilotage de la stratégie de prévention et de lutte contre les pénuries de médicaments, ont décidé qu'un moratoire sur les génériques MSIS soit organisé et que le CEPS regarde attentivement les demandes de hausse de prix des médicaments matures produits en Europe.

Je pourrai vous répondre, par écrit également, sur le nombre de dossiers déposés. L'ensemble des ministères représentés au CEPS veille au respect de ces orientations, de sorte que, s'agissant des médicaments stratégiques qui représentent un enjeu de santé publique, nous puissions regarder l'ensemble des hausses des dépenses éligibles permettant d'octroyer une hausse de coût au titre de l'article 28 de l'accord-cadre.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Est-il possible de nous faire parvenir la fameuse liste des 48 médicaments ? Pourquoi avez-vous choisi d'ériger en priorité les aires thérapeutiques oncologie et anesthésie-réanimation et certains médicaments ? Lister 48 médicaments, au regard des 6 000 MITM, c'est peu !

Vous proposez une liste de 48 médicaments, alors même qu'il reste nombre de sociétés savantes à interroger, ce qui soulève de véritables difficultés.

Quid du lien de cette liste avec celle de l'Organisation mondiale de la santé et celle de l'Agence européenne des médicaments (EMA) ? Cette liste sera-t-elle limitative et arrêtée ou, au contraire, pourra-t-elle évoluer dans le temps ?

Vous évoquez cette question de la souveraineté. Dans les choix qui ont été faits dans le cadre du plan de relance, il y a eu - je reprends vos propos, consignés dans des verbatim - « aussi des échecs dans les choix, dès à présent des échecs dans les choix d'accompagnement. » Je pense que Carelide, qui fabrique des poches de perfusion de paracétamol, a été cité. Nous sommes bien d'accord ? Je n'invente pas : je reprends les termes exacts qui ont été utilisés dans certaines de vos interventions publiques.

Dans ce dossier, cinq millions d'euros d'accompagnement ont été accordés dans le cadre du plan de relance. Finalement, les hôpitaux et les acheteurs publics ont continué à acheter à l'étranger, compte tenu de la masse budgétaire des commandes - quelques centimes d'euros supplémentaires pour une poche, cela pèse lourd dans la balance sur les lots complets... Il est compliqué de traiter de ces questions sans tenir compte de la ligne hôpital du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

Il a d'ailleurs été annoncé qu'une circulaire a été envoyée aux acheteurs publics pour prendre en compte le critère de sécurité d'approvisionnement, essentielle pour les poches et certains dérivés injectables, et dont on sait qu'elle est fortement compromise par la localisation en Asie.

Au-delà de l'annonce qui a été faite, comment envisagez-vous votre place dans le système de financement de la santé en France, qui est sous le joug du sacro-saint objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), du PLFSS et des lignes budgétaires médicaments et hôpital ? Comment articuler les choses pour être à la fois efficace en matière de réindustrialisation et de souveraineté et ne pas exploser les déficits de la sécurité sociale ? C'est un vrai sujet.

Des comités de pilotage, des task forces, on en a vu beaucoup ! Nous aimerions savoir comment cela fonctionne.

Qu'appelez-vous « production » au regard de la chaîne de production ? La chaîne de valeur du médicament commence par les matières premières, donc en amont des principes actifs, et finit, pour la France, par le conditionnement secondaire. Que regardez-vous dans la chaîne de valeur ? La relocalisation pour le flaconnage est très importante, mais ne participe pas à la souveraineté.

Vous parlez d'au moins trois ruptures par an. En réalité, les pénuries sont la partie visible de l'iceberg, puisqu'il y a aussi les tensions, qui peuvent dégrader la prise en charge thérapeutique des patients. Quand on ne traite que des pénuries, on court après l'histoire. Êtes-vous attentif à cet aspect des choses ?

M. Michel Rao. - Je vous transmettrai par écrit la liste des 48 médicaments.

Je n'ai pas d'information sur les raisons pour lesquelles les aires que j'ai citées ont été choisies en premier. Ce travail en amont d'identification des médicaments critiques au sein des aires thérapeutiques est mené par le ministère de la santé avec les sociétés savantes. Nous intervenons assez peu dans ce domaine.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Nous essayons de comprendre le process : alors que le ministère de la santé vous a passé commande d'une liste, vous avez dit, dans la presse, que vous ne saviez pas si vous seriez en capacité de relocaliser.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - C'est M. Pilcer qui a tenu ces propos. Il a prêté serment : il peut s'exprimer !

M. Michel Rao. - D'abord, le ministère de la santé regarde quels sont les médicaments critiques, d'un point de vue thérapeutique, en fonction d'aires thérapeutiques. C'est la partie amont du processus. Nous intervenons assez peu à ce stade.

Une fois que nous disposons de cette liste de médicaments critiques d'un point de vue thérapeutique, nous regardons ceux pour lesquels il y a des vulnérabilités sur la chaîne de valeur - donc, comme je le disais, ceux qui sont peu produits en Europe.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Que signifie « peu produits en Europe » ? La chaîne de valeur est très vaste. Pour certains médicaments, il y a 35 étapes, voire plus. Pour les vaccins, cela peut être 200 à 300 étapes...

M. Michel Rao. - À ce stade, la matrice d'analyse que nous utilisons est celle qui est issue du rapport Giorgi. C'est un processus forcément approximatif. On ne prend pas en compte 35 étapes de production dans ce scoring. On regarde où est produit le principe actif et où est effectué le conditionnement, le produit fini.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Vous regardez les matières premières du principe actif ?

M. Louis-Samuel Pilcer. - Je me permets de compléter.

Les matières premières du principe actif sont un élément dont nous ne disposons pas forcément.

En fait, la situation est très complexe : comme vous le savez, il existe différentes voies de synthèse. Les intermédiaires ne sont pas forcément les mêmes. Par conséquent, nous nous basons uniquement sur les deux étapes que sont le principe actif et le produit fini. Ensuite, nous regardons au cas par cas, pour chaque médicament, l'ensemble de la chaîne de valeur. Une vulnérabilité peut venir d'un intermédiaire de synthèse fabriqué uniquement en Chine et dont nous sommes très dépendants. Ce sont des situations que nous identifions avec les industriels et auxquelles nous cherchons à apporter des solutions.

Je veux compléter ce que j'ai dit hier. J'ai simplement annoncé que, en l'état actuel des travaux, nous en étions à 48 médicaments sur les trois aires thérapeutiques - la constitution de cette liste a été annoncée par les ministres début février.

Nous avons identifié des médicaments sur lesquels nous étions très dépendants, mais savoir si nous sommes capables de relocaliser leur production demande un travail avec les industriels pour voir, en fonction de l'état de notre industrie, ce que nous pouvons ou non produire en France. C'est un travail qui, par nature, prend beaucoup plus de temps et demande une discussion au cas par cas. En effet, nous devons discuter avec les industriels pour savoir ce sur quoi nous serons capables de reconstruire des capacités et ce sur quoi des capacités européennes ou une diversification des approvisionnements sont préférables. C'est pour chaque molécule que la possibilité d'une relocalisation doit être étudiée.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - La parution des articles est dommageable pour notre audition : elle focalise notre attention.

Cela dit, depuis le début de nos travaux, le sujet de la liste de médicaments critiques revient tout le temps. Nous ne pourrons pas exiger quelque chose pour 6 000 ou même 3 000 MITM, mais nous pouvons peut-être sécuriser l'approvisionnement pour 200 d'entre eux. C'est essentiel.

La liste dont nous disposerons sera-t-elle celle des possibles ou celle des nécessaires ?

M. Michel Rao. - Celle des nécessaires.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Qu'est-ce à dire, s'il n'y a pas de faisabilité ?

M. Michel Rao. - L'approche consiste à identifier les médicaments pour lesquels il y a un problème sur la chaîne de valeur. L'action prioritaire est alors de discuter avec les industriels pour relocaliser. Si la relocalisation n'est pas possible, il faudra passer à un plan B : constitution de stocks, diversification des approvisionnements, etc.

On se demandera, au cas par cas, sur chacun des médicaments, s'il est possible de relocaliser, combien cela coûterait et s'il y a potentiellement d'autres actions, non financières, à mettre en oeuvre pour faciliter la relocalisation.

Dans la constitution de la liste des MSIS, nous avons discuté avec l'industrie en amont pour mettre à l'épreuve notre analyse. Cela nous permet de définir une approche au cas par cas, par médicament, mais, comme je le disais, ce que nous regardons en premier, c'est la possibilité d'une relocation du médicament.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Êtes-vous en lien avec l'Agence européenne des médicaments (EMA), qui a pour objectif de produire la cartographie au niveau européen d'ici au mois de décembre ? Un des premiers actes en matière de gestion de pénurie de médicaments, outre la liste, c'est de constituer cette cartographie...

M. Michel Rao. - Nous discutons surtout avec les services de la Commission européenne. Je pense que le ministère de la santé discute directement avec l'EMA. Ce n'est pas notre cas.

La liste des MSIS sera-t-elle évolutive ? Nous n'avons pas encore défini la fréquence à laquelle nous l'actualiserons, mais, par définition, dès lors qu'un médicament sera relocalisé en France ou en Europe, il ne sera plus MSIS, puisqu'il n'y aura plus de vulnérabilité sur la chaîne de valeur. Même si l'on ne sait pas comment ni à quelle fréquence elle évoluera, il faudra bien que cette liste s'adapte à la réalité industrielle.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - J'entends qu'il faut travailler au cas par cas. C'est tout à fait nécessaire, mais il faut tout de même un minimum d'anticipation pour éviter de se retrouver le dos au mur.

Par ailleurs, je reste extrêmement dubitative sur le manque de conditionnalité pour les entreprises. Je veux bien que l'initiative publique soit compliquée, mais vous êtes pieds et poings liés à ce qui se passe à l'extérieur et au bon vouloir des industriels. C'est inquiétant. Mais peut-être vos réponses écrites permettront-elles de me contredire...

M. Michel Rao. - En ce qui concerne le passé, l'appel à projets Résilience ne couvrait pas que le secteur de la santé. Il était plus large : il concernait aussi l'agroalimentaire. On n'a pas demandé aux industriels de l'agroalimentaire que l'on soutenait de respecter des clauses d'approvisionnement en produits alimentaires en cas de pénurie.

Cela soulève peut-être aussi la question un peu plus large de ce que l'on attend d'une aide. On peut considérer qu'une aide publique favorise les investissements industriels en France. Les industriels ont parfois besoin d'une incitation de la puissance publique pour produire. On peut aussi considérer que cette aide emporte des externalités positives qui lui sont propres : un projet industriel ou de R&D en France a des retombées économiques sur le territoire en termes d'emplois, d'investissements, de réduction des inégalités, en matière sociale, environnementale, etc. On peut aussi très bien considérer que la simple existence de ces externalités positives est le bénéfice direct de l'aide.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - On peut se rassurer à bon compte, mais l'expérience vous contredit !

Le Sénat est la chambre des collectivités territoriales. Nous avons des mandats locaux. Dans les collectivités, les aides, les subventions sont toujours assorties de conditions. Toujours !

L'objectif n'est pas de polémiquer, mais, visiblement, nous n'avons pas la même analyse.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Les externalités positives mériteraient d'être non seulement listées, mais aussi évaluées. L'État et, surtout, les Françaises et les Français en ont-ils pour leur argent ? C'est un vrai sujet, d'autant plus que si le risque économique est réel, on ne se situe pas dans l'innovation.

M. Michel Rao. - Il y a souvent un aspect d'innovation : les projets de réindustrialisation sont souvent associés à des efforts de R&D, qui permettent de produire pour moins cher et de manière plus verte en Europe.

Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Oui, mais ce n'est pas la même prise de risque sur une nouvelle molécule ! L'incertitude n'est pas la même lorsqu'il s'agit d'accompagner la recherche fondamentale - brevets, traitements innovants... L'usage des aides mériterait des contrôles et des comptes rendus réguliers, surtout dans ce domaine, puisque la pénurie de médicaments met en danger la santé.

Les cancérologues savent bien que la pénurie actuelle des anticancéreux classiques, avérés, que l'on utilise pour certains types de leucémies aiguës, se traduit par un retard dans la prise en charge thérapeutique. Les conséquences sont palpables.

Il est toujours bien de faire des rapports de contrôle, mais cela est particulièrement vrai sur le sujet qui nous intéresse, parce que le coût pour la santé est aussi un coût pour la population, pour les Françaises et les Français, et pour l'État.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 25.