Jeudi 4 mai 2023

- Présidence de Mme Françoise GATEL, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Audition de M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, sur les perspectives institutionnelles relatives aux collectivités ultramarines

Mme Françoise Gatel, présidente. - Chers collègues, je suis ravie d'accueillir Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Je le remercie d'avoir accepté cette invitation.

Au-delà de l'actualité de ces derniers jours à Mayotte et en Polynésie, et sans être spécialiste des outre-mer, je ressens une réelle difficulté lorsque ces sujets sont abordés au Sénat, par manque de connaissance, de compréhension, voire d'intérêt. Or, nous constatons l'importance des outre-mer pour notre pays. Les outre-mer sont la France ; la France comprend les outre-mer. Le contexte géopolitique est particulièrement puissant. Les forces qui émergent sont intéressées et cultivent un appétit pour nos territoires d'outre-mer. Il existe, au sein des outre-mer, des appétences et difficultés que nous ne pouvons ignorer.

Il y a un mois, à la demande du Président Larcher et de Lana Tétuanui, nous avons mené avec Jean-Michel Houllegatte et Agnès Canayer une mission sur l'intercommunalité en Polynésie. Nous avons pris conscience d'un certain nombre de sujets et de réalités propres à ce territoire vaste comme l'Europe, entièrement composé d'îlots. Les organisations mises en place il y a plusieurs années engendrent des difficultés. Nous retrouvons des sujets de décentralisation, de différenciation, de déconcentration. Des évolutions semblent nécessaires.

Le président Larcher a souhaité que le groupe de travail « Décentralisation » qu'il préside comprenne un volet sur l'outre-mer, ce que je trouve judicieux. Hier, le président Artano a présenté à ce groupe les résultats des travaux de la délégation. Si les questions sont aisément identifiables, les réponses demeurent complexes. Il me semblait donc fort intéressant que le président Artano échange avec nous sur ces sujets.

Je ne serai pas plus longue et laisse la parole à Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je vous remercie pour cette invitation. Je trouve tout à fait positif que votre délégation se saisisse des questions ultramarines. Il est intéressant que nous puissions croiser nos regards, entre la délégation « naturelle » des outre-mer et les autres délégations et commissions de cette belle maison qu'est le Sénat. Si les réalités sont parfois extrêmement diverses, nous retrouvons souvent des problèmes similaires en outre-mer et dans l'Hexagone.

Je vous propose de livrer les résultats des travaux présentés hier au groupe « Décentralisation » présidé par le Président du Sénat. Ces préconisations à propos d'une possible évolution constitutionnelle font suite à des travaux engagés par le Sénat en 2020 pour « un nouvel acte de décentralisation », comprenant un volet ultramarin porté par mon prédécesseur Michel Magras. Le rapport soutenait deux préconisations principales : l'adaptation des normes nationales aux caractéristiques des territoires et la réécriture des articles 73 et 74 de la Constitution relatifs aux outre-mer.

Le Président de la République a par ailleurs annoncé une révision constitutionnelle eu égard, notamment, au contexte calédonien. La délégation s'est ainsi interrogée sur la pertinence de reprendre le travail que nous avions réalisé en 2020.

En mai 2022, sept exécutifs ont signé l'appel de Fort-de-France. Le Président de la République a réuni le 7 septembre 2022 à l'Elysée l'ensemble des élus ultramarins, et s'est montré relativement ouvert sur les perspectives institutionnelles. La feuille de route dressée par les ministres Gérald Darmanin et Jean-François Carenco s'appuie sur un mode opératoire territoire par territoire afin de préparer le CIOM (Comité interministériel pour l'outre-mer).

Depuis 2020, plusieurs assemblées des territoires ultramarins ont été renouvelées, entraînant des évolutions de vision. Le changement de majorité en Polynésie française dimanche dernier impactera aussi vraisemblablement le positionnement institutionnel.

Nos travaux se sont inscrits dans ce contexte. Avec ma collègue Micheline Jacques, sénatrice de Saint-Barthélemy et co-rapporteur, nous avons auditionné tous les exécutifs de l'outre-mer. Le Président Gérard Larcher, très sensible aux outre-mer, a souhaité consacrer un après-midi à ces territoires lors du Congrès des Maires. Les échanges ont été très nourris sur ces questions. Le sujet institutionnel a été abordé, concomitamment à celui des compétences.

Nous tirons divers enseignements de nos travaux. Plusieurs consensus émergent : adaptation insuffisante des politiques publiques aux réalités de chaque territoire, faible efficacité de dispositifs en vigueur sur le sujet, rigidité et faiblesse de l'État déconcentré dans les outre-mer. Nous sommes arrivés au bout d'un système. Une déconcentration et une décentralisation accrues seraient une dualité intéressante.

Le constat de l'échec d'adaptation se traduit par une forte demande de co-construction des politiques publiques. Les territoires veulent faire avec l'État, presque autant qu'ils veulent faire « à sa place ». Ce constat partagé ne permet pas pour autant de dégager des solutions communes. Cela témoigne pleinement de ce qu'est la différenciation.

Les collectivités de l'article 74 - Polynésie, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna - ne demandent pas de profondes évolutions, préférant des aménagements à la marge. Les souhaits exprimés n'appellent pas directement de modification de la Constitution. Les lois organiques répondent à leurs besoins - seule la Polynésie française demande l'inscription du fait nucléaire dans la loi fondamentale, ainsi que la valeur législative des lois du paysdemande. Certaines dispositions de l'article 74 pourraient néanmoins être précisées, s'agissant notamment de la notion d'autonomie des collectivités. Saint-Martin et la Polynésie française se sont exprimées en défaveur d'une refonte globale du cadre constitutionnel des outre-mer tandis que Saint-Pierre-et-Miquelon et Saint-Barthélemy restent ouverts.

Les orientations sont très diverses - voire opposées - parmi les collectivités de l'article 73. La Guyane et la Martinique expriment une volonté de forte évolution, demandant un pouvoir normatif plus fort dans de nombreux domaines de compétences. La Guyane sollicite une mention particulière dans la Constitution pour garantir son autonomie. Un basculement vers l'article 74 n'a jamais été formulé. Mayotte et La Réunion, pour leur part, sont attachées au statu quo. Le département de la Réunion souhaite le maintien de l'amendement Virapoullé - tandis que la région de La Réunion souhaite sa suppression - ainsi qu'un partenariat renouvelé avec l'État, une co-construction des politiques publiques et des consultations appuyées en amont. La région est, quant à elle, ouverte à de nouvelles compétences. Entre ces deux positions, la Guadeloupe accepterait des évolutions. Toutefois, depuis, le congrès des élus de la Guadeloupe aurait avancé dans ses réflexions. On le voit, le sujet institutionnel est mouvant et toutes les positions ne sont pas figées.À l'issue de ces auditions, la délégation a formulé trois scénarios. Pour nous, le volet institutionnel doit arriver au bout des réflexions, si on l'estime nécessaire pour conduire les politiques souhaitées. Nous ne faisons pas d'une évolution constitutionnelle un totem. Le Président de la République offrait une perspective en la matière. Traditionnellement, une fenêtre sonstitutionnelle s'ouvre tous les 15-20 ans. Il serait dommageable pour ceux qui le souhaitent de ne pas en profiter. Ceux qui ne sollicitent pas d'évolution resteraient dans leur situation actuelle.

Le premier scénario repose sur un statu quo institutionnel. Quelle que soit l'alternative retenue, une réforme des méthodes nous paraît incontournable. Nous imaginons six pistes non exhaustives. La principale porte sur l'organisation annuelle d'une semaine de l'outre-mer au Parlement, au cours de laquelle une loi d'adaptation serait examinée. Cette approche figurait déjà dans le rapport du Sénat de 2020. Cette semaine a pleinement son intérêt. Le ministre chargé des outre-mer Jean-François Carenco a annoncé qu'une grande loi outre-mer verrait le jour à l'issue du CIOM.

La deuxième piste concerne les études d'impact. Un important travail doit être mené pour que l'adaptation des dispositifs aux réalités des outre-mer soit examinée dès l'élaboration des avant-projets de loi et de décret. La troisième piste vise une revue générale des normes outre-mer, code par code, en vue d'adapter le droit. La quatrième piste d'amélioration soutient la co-construction des politiques publiques et implique une déconcentration massive de l'État autour du préfet. Le Président Gérard Larcher a soutenu ce message lors de sa visite en Guadeloupe et en Martinique. Notre cinquième piste concerne les procédures d'habilitation législative prévues par l'article 73 de la Constitution. Nous souhaitons que l'État accompagne les collectivités dans la mise en oeuvre de ces procédures qui, par ailleurs, fonctionnent mal. Enfin, il nous semble indispensable de renforcer les moyens de la Direction générale des outre-mer (DGOM), qui a perdu en effectif et n'assure plus son rôle de pilotage des politiques publiques.

Ce premier scénario a le mérite de ne pas rouvrir un débat porteur de divisions sur certains territoires. Il contraint l'État et les collectivités à réinventer leur relation partenariale. Pour autant, il ne répond pas aux aspirations de la Guyane et de la Martinique en faveur d'un pouvoir normatif plus autonome. Il est par ailleurs permis de douter de la capacité de l'État à changer en profondeur et durablement ses pratiques et son organisation.

Le deuxième scénario est favorable à une révision qui complèterait les articles 73 et 74. Cette orientation répondrait au reproche en immobilisme, sans ouvrir un grand débat institutionnel. Elle pourrait cependant brouiller le cadre constitutionnel. Plusieurs modifications nous semblent souhaitables, dont la réécriture du second alinéa du Préambule de la Constitution afin de supprimer la mention anachronique de « territoires d'outre-mer ». Nous pourrions également renforcer le principe d'adaptation des normes aux réalités des territoires en le rendant obligatoire - sauf à justifier de la non-nécessité d'adaptation. Nous pourrions ouvrir la possibilité aux collectivités de l'article 73 d'exercer un pouvoir normatif autonome, sous la forme d'une extension permanente des habilitations préalablement obtenues - sous réserve que le statut du territoire le prévoie et que la population donne son consentement. Si un pouvoir normatif autonome était admis pour les collectivités demandeuses, un amendement Virapoullé modifié pourrait exclure La Réunion de ce dispositif afin de préserver l'équilibre sur le territoire. La Réunion pourrait alors recourir à la procédure d'habilitation s'exerçant sous le contrôle du Parlement et du Gouvernement, mais continuerait à se distinguer en s'interdisant tout pouvoir normatif autonome. De leur côté, les collectivités de l'article 74 pourraient avoir le droit d'exercer toutes les compétences, à l'exception des compétences régaliennes et selon un calendrier défini par elles-mêmes. En revanche, il ne serait pas fait droit aux demandes de mention particulière du statut de certains territoires dans la Constitution.

Le troisième scénario porte sur une vraie rénovation du cadre constitutionnel des outre-mer. La réforme de 2003 a abouti à un paysage constitutionnel et juridique éclaté en outre-mer tout en maintenant une distinction binaire entre les articles 73 et 74, qui prive les collectivités de l'article 73 de l'accès à certains outils juridiques et alimente les crispations sur la question des institutions. Un cadre unifié aurait plusieurs avantages. Les deux articles réunifiés constitueraient une « boîte à outils » au sein de laquelle chaque outre-mer puiserait ce qui l'intéresse pour adapter son statut sur mesure. Il ne s'agirait pas de l'absorption d'un régime par un autre, mais d'une réécriture complète ouvrant le champ des possibles.

Ce troisième scénario paraît comme le plus satisfaisant juridiquement et intellectuellement, mais il ne convainc pas encore tout le monde. Un travail de pédagogie amplifié serait nécessaire pour convaincre et rassurer. Nous imaginons trois garanties pour y parvenir. Tout d'abord, ce nouveau cadre ne s'appliquerait pas aux DROM, souhaitant continuer à être régis par l'article 73. Ce dernier ne serait abrogé qu'à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi organique du nouveau statut. Par ailleurs, ce nouveau statut ne créerait pas d'obligation d'évoluer institutionnellement. Enfin, ce cadre renforcerait le principe de consultation et d'approbation populaires avant toute évolution institutionnelle substantielle. Ces garanties politiques, juridiques et démocratiques constituent des préalables indispensables pour lever les oppositions si une nouvelle page institutionnelle devait s'ouvrir.

Ces trois scénarios comportent leurs avantages et leurs faiblesses. La délégation n'a pas souhaité trancher le sujet. Si une révision de la Constitution devait être à l'ordre du jour, la délégation écarte le statu quo constitutionnel pour les outre-mer.

En 2020, Michel Magras avait porté le troisième scénario, retenu par la proposition 44. Si la force de cette orientation demeure intacte de par sa cohérence et son pragmatisme, les conditions d'un consensus dans les territoires ne sont pas réunies à ce jour. Malgré son érosion, la distinction entre les articles 73 et 74 demeure un point de repère important.

À ce stade, et dans le contexte politique actuel, le scénario 3 requiert de la prudence.

Hier, le ministre Jean-François Carenco a réuni les deux délégations aux outre-mer, de l'Assemblée et du Sénat pour évoquer le CIOM. Huit thèmes de travail avaient été identifiés et transmis aux préfets dans l'optique d'un travail participatif avec les collectivités et les territoires (conditions de vie, conditions de développement économique, etc.). Le neuvième thème, une évolution institutionnelle, n'arriverait qu'en cas de nécessité. Plus de 2 000 demandes ont émané des territoires dans le cadre du CIOM et seront synthétisées autour d'une centaine de propositions. Si le CIOM répond aux critiques et aux dysfonctionnements, le champ constitutionnel ou institutionnel pourrait ne pas être ouvert. Pour autant, un territoire qui dispose d'une loi organique pourrait engager un processus avec le Gouvernement en vue de sa révision à la marge.

Je me tiens à votre disposition pour tout complément.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci beaucoup, Monsieur le Président, pour ce travail considérable. Je salue votre méthode d'écoute des territoires, votre volonté d'aboutir à un diagnostic partagé et votre ouverture sur le champ des possibles.

Nous avons la manie, en France, de définir un cadre en espérant résoudre toutes les difficultés de fonctionnement. Or, vous le dites, l'évolution des institutions interviendra éventuellement dans un second temps, sur la base des dysfonctionnements identifiés et du projet construit. Celui-ci doit être partagé et recevoir l'adhésion de la population.

L'objectif est que les populations puissent être « servies », que l'égalité des droits soit une réalité et que les territoires bénéficient d'un dynamisme et d'une solidarité nationale. Le premier scénario reprend les conclusions du rapport d'Agnès Canayer et Éric Kerrouche sur les services déconcentrés de l'État. Entre outre-mer comme en métropole, les collectivités sont parfois conduites à procéder sans l'ingénierie et l'appui de l'État. Les études d'impact, vous le soulignez, n'existent pas. Nous manquons souvent d'ambition en matière d'expérimentation, alors que ces démarches permettent de tester des dispositifs, d'apprivoiser des changements et d'évoluer de manière sécurisée.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Je vous remercie pour ce travail accompli. Lors de notre déplacement en Polynésie, le manque de concertation en amont a souvent été évoqué. Nous retrouvons les sujets de co-construction, de déconcentration ou encore d'autonomie du pouvoir normatif.

La Polynésie relève de l'article 74. Avec 118 îles et 48 communes réparties sur un territoire grand comme l'Europe, la géographie s'impose. Les archipels sont des entités géographiques et sociologiques fortes. Un « toilettage » du périmètre des communes serait utile pour permettre aux conseils municipaux de se réunir dans de bonnes conditions. Le découpage de certaines intercommunalités relève parfois d'opportunités financières. Nous ressentons également un besoin d'innovation.

L'eau est rare, notamment dans l'archipel des Tuamotu. Une problématique se pose dans la « potabilité » de l'eau récupérée et son adaptation aux normes. Il en est de même en matière d'assainissement, parfois défaillant et très mal contrôlé. Des résidus d'assainissement peu - voire pas - contrôlés se déversent dans les lagons. Nous pointons également la problématique des déchets et des ordures ménagères.

Il convient d'être innovant dans l'exercice des compétences en fonction de la géographie. Un toilettage institutionnel paraît également nécessaire. À cela s'ajoute le fait politique, le parti d'Oscar Témaru venant de remporter 38 des 58 sièges. Nous verrons comment cette volonté d'évolution se traduira.

La Chambre territoriale des comptes exerce sa mission de contrôle a posteriori. Il existe selon moi un déficit d'accompagnement amont des territoires et des décideurs dans l'efficience de l'action publique. Nous constatons un manque de stratégie dans l'allocation de moyens.

Le troisième scénario me semble s'imposer. Le Président de l'Assemblée territoriale ou le Président de la Polynésie exerceront certainement une pression. Le souhait d'évolution est fort. Envisagez-vous une évolution des fonctions de contrôle afin que l'État accompagne mieux ces collectivités ?

Mme Corinne Féret, vice-présidente. - Je vous remercie d'avoir initié ce point. Le rapport est extrêmement intéressant.

Une délégation de la commission des Affaires sociales s'est rendue en Martinique il y a une dizaine de jours pour évoquer le vieillissement de la population. D'ici 2030, ce département sera le plus âgé de France - les personnes de plus de 75 ans seront plus nombreuses que les moins de 25 ans.

Nous avons rencontré l'une des vice-présidentes de la Collectivité territoriale de Martinique ainsi que l'un des trois présidents des intercommunalités et plusieurs maires des 34 communes. Le territoire rencontre des problématiques hétérogènes au Nord, au Sud et dans le centre. Les besoins dans le domaine social sont forts. Quid de la prise en charge des personnes âgées dans un territoire divers, confronté à d'importantes difficultés de déplacement et d'accès aux soins ? Quels moyens l'État peut-il consacrer à ces territoires ? Les investissements et les sommes accordées dans le cadre du Ségur de la Santé demeurent insuffisants.

J'apprécie vos propos sur la méthode et sur la volonté d'étudier en premier lieu les problématiques des territoires avant d'envisager une évolution des institutions, voire de la constitution.

M. Stéphane Artano. - La commission des Affaires sociales s'est déplacée pour la deuxième fois en outre-mer, après un voyage en Guyane. Il est extrêmement important de maintenir ces déplacements réguliers de parlementaires pour constater l'inadaptation de certains dispositifs et se rendre compte des réalités. Je vous remercie pour ce témoignage.

La redistribution de compétences en Polynésie française a toujours été un sujet. Les communes disposent de capacités d'investissement limitées, mais aspirent à répondre à leurs obligations. Lors de son audition en 2022, le Président Édouard Fritch de la Polynésie française déclarait être ouvert aux discussions pour un nouveau partage de compétences et disait ceci : « Dès le début de mon mandat [...] j'ai proposé à tous les maires [...] de considérer le pays comme un partenaire de développement. J'ai mis en place des outils financiers innovants en faveur de projets d'investissements communaux. Aujourd'hui, les conditions sont devenues favorables et permettent une évolution en faveur d'une plus grande coopération entre la Polynésie et les communes ». Trois outils de coopération existent déjà en Polynésie pour confier des compétences aux communes : le mandat, la délégation et le transfert de compétences. Ces outils n'ont pas nécessairement à être modifiés. Le problème vient du fait que les maires polynésiens ne parviennent pas à assumer leurs compétences, faute de moyens financiers.

La question de la fiscalité percute l'exercice des compétences sur le territoire polynésien. Nous pourrions mieux mobiliser ou mieux orienter la taxe de séjour pour offrir des marges, tout en conservant une péréquation entre les communes selon leurs capacités financières.

La fragilité des communes de Polynésie française est structurelle. Le regroupement obligatoire en intercommunalités peut être une solution. Une question se pose cependant : que pouvons-nous mutualiser, si ce n'est certaines fonctions support ? L'insularité, comme la ruralité, nous pousse à l'innovation. Nous sommes contraints de nous débrouiller. Je suis convaincu que des solutions peuvent être trouvées, et le résultat des élections territoriales de dimanche dernier ne devrait pas changer cette dynamique. En l'état, Moetai Brotherson souhaite poursuivre le dialogue avec le Gouvernement. Le ministre chargé des outre-mer nous a confirmé sa volonté d'avancer.

La Polynésie française dispose d'une largeautonomie, mais reste peu accompagnée. L'enjeu, pour ce territoire comme pour d'autres, est de se saisir pleinement des compétences qui lui sont confiées.

En matière de contrôle, nous devons renvoyer l'État à ses responsabilités. Ce contrôle protège les élus. À Saint-Pierre-et-Miquelon, nous sommes tenus de répondre aux remarques de la Chambre territoriale des comptes et de mettre en débat ces réponses à l'Assemblée. J'ignore si ce dispositif existe en Polynésie. Ce point mériterait d'être investigué. La fonction de contrôle en amont est indispensable pour sécuriser les pratiques. Pour être honnête, je ne vois pas souvent l'État accompagnateur et facilitateur. Sur certains territoires, les administrations sont tellement pléthoriques qu'elles ajoutent des barrières à des projets qui pourraient trouver des solutions facilement, dans le respect du cadre réglementaire. Nous manquons d'intelligence collective. Un changement de méthode s'impose. Lorsque les services de l'État participent à des réflexions de territoires, à des projets de développement économique, ils apprennent des choses. Les fonctionnaires d'État ne sont pas formés à ces sujets. Ce changement de méthode dépend grandement des hommes et des femmes aux commandes. En tant que préfet, Jean-François Carenco a marqué mon territoire. L'État déconcentré doit être recentré sur ses fonctions et reprendre le contrôle sur les agences (ADEME, OFB, ANCT, etc.).

In fine, si nous n'avons pas résolu les problèmes, nous arriverons au volet constitutionnel ou institutionnel. L'intelligence collective doit nous permettre de résoudre des difficultés.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Lors de mon déplacement en Polynésie, j'ai été frappée par l'accès aux soins. Compte tenu de la configuration du territoire, je pensais que la difficulté en la matière était importante. Pourtant, les déserts médicaux n'ont jamais été évoqués par les maires. Sur un territoire insulaire isolé, les acteurs inventent des solutions et s'adaptent au contexte. Les Marquises disposent d'un dispensaire et font régulièrement venir un avion transportant divers spécialistes - oncologue, dermatologue, etc. - qui restent sur place quelques jours. Ce suivi de la population évite toute anxiété.

Les déchets sont un sujet majeur en Polynésie. Bora Bora est une pépite touristique par la qualité de ses eaux. D'éventuels incidents de pollution auraient un effet désastreux sur l'économie et l'image du territoire. En Polynésie, les communes n'ont pas de compétences générales. Elles interviennent sur l'eau potable et sur les déchets. Le principe de subsidiarité conduirait à établir un schéma de collecte et de traitement des déchets à l'échelle de la Polynésie. Le territoire ne devrait-il pas mutualiser sa stratégie et ses moyens ? Ces évolutions peuvent être décidées sans grande révolution institutionnelle.

Une co-construction, une proximité et un accompagnement sont nécessaires entre les intercommunalités et la Polynésie.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Si la Polynésie n'a pas de problème curatif, notons qu'il n'existe pas de politique de santé publique. Le déséquilibre alimentaire et les addictions constituent deux difficultés majeures.

Mme Françoise Gatel, présidente. - En effet. Merci pour cette ouverture d'esprit et cet apport de connaissance. Cher Stéphane, je salue l'intelligence de votre propos, lucide, attaché aux outre-mer et à la performance de service public. En tant que législateurs, nous avons un rôle à jouer pour comprendre, partager, construire et soutenir des démarches aussi positives.

M. Stéphane Artano. - Je vous remercie. Ce travail croisé entre commissions et délégations est extrêmement important et fructueux. Un prolongement en outre-mer de votre mission sur les services déconcentrés de l'État est utile. Nous n'irons nulle part sans une adaptation des services de l'État aux problématiques des territoires.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je souhaite que cet appel soit entendu. Les sénateurs ayant porté la réflexion sur les services déconcentrés de l'État seront très heureux de prolonger le champ de leurs investigations.

Table ronde, conjointe avec la mission d'information sur l'impact des décisions réglementaires et budgétaires de l'État sur l'équilibre financier des collectivités locales, sur le sujet : « Finances locales : quelle mise en oeuvre du principe « qui décide paie » ? »

Mme Françoise Gatel, présidente. - Mesdames et messieurs, chers collègues, il me revient d'ouvrir cette table ronde conjointe. Je salue Jérôme Bascher et Guylène Pantel, respectivement président et rapporteure de la mission d'information sur l'impact des décisions réglementaires et budgétaires de l'État sur l'équilibre financier des collectivités locales.

Il nous semble essentiel de croiser les approches et de favoriser les porosités entre les délégations et les missions, puisque nous partageons des préoccupations autour du poids des normes, de la libre administration et de l'autonomie financière des collectivités territoriales. Pour le Sénat, le principe est simple : qui décide paie.

Récemment, Rémy Pointereau et moi-même avons conduit, au nom de la délégation aux collectivités territoriales, une mission sur la simplification, après un travail fructueux avec le président du Conseil National de l'Évaluation des Normes (CNEN). Nous avons intitulé ce rapport : « Face à l'addiction aux normes, osons une thérapie de choc ». Nous constatons le poids financier lourd et insidieux des normes imposées dans la loi, dont le coût supplémentaire est estimé à 2,5 milliards d'euros en 2022. La sobriété attendue sur les sujets d'urbanisation et d'énergie doit aussi s'appliquer aux finances. Il me semble tout à fait positif de poser un regard positif sur la dépense publique, qui doit être justifiée et pertinente.

Les élus l'ont été sur la base de leurs qualités, de leur savoir-faire, mais aussi de leur programme. Trop souvent, les élus locaux se trouvent dans l'incapacité de réaliser ce programme, car l'État leur a imposé des obligations sans réévaluer les dépenses et les ressources. Chacun connaît la tragédie financière vécue par les départements au travers du RSA. Les compensations accordées lors du transfert n'ont jamais été réévaluées, alors même que le Sénat proposait dans la loi 3DS une clause de revoyure du coût du transfert de compétences.

Nous sommes extrêmement heureux de nous associer à ce travail qui aura d'autant plus de pertinence que nous entrerons à l'automne dans l'examen du projet de loi de finances. Un regard affuté et pertinent nous sera certainement utile.

M. Jérôme Bascher, président de la mission d'information sur l'impact des décisions réglementaires et budgétaires de l'État sur l'équilibre financier des collectivités locales. - Les élus locaux ne seront-ils bientôt plus élus sur leur programme, tant ils n'auront plus aucun pouvoir de décisions quant à leurs dépenses et tant leurs recettes seront contraintes ?

Les travaux de la mission d'information seront relativement brefs, puisque nous devons rendre nos conclusions à la mi-juin. Les travaux ont débuté début mars et nous devons travailler en synergie avec la délégation ainsi qu'avec la mission Larcher. Ces réflexions sont complémentaires. L'objectif est de produire des dossiers de fond couvrant l'ensemble des aspects. Je suis certain que nos invités aujourd'hui aborderont tous ces sujets.

Cette table ronde est retransmise en direct sur le site internet du Sénat.

Je laisse la parole à Madame la rapporteure.

Mme Guylène Pantel, rapporteure de la mission d'information sur l'impact des décisions réglementaires et budgétaires de l'État sur l'équilibre financier des collectivités locales. - Madame la Présidente, Monsieur le Président, mes chers collègues, je rappelle que cette mission est née de la volonté de mon groupe Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) de mener une réflexion sur l'impact concret des décisions réglementaires et budgétaires de l'État sur l'équilibre financier des collectivités locales.

Ce sujet me tient à coeur. J'ai d'ailleurs interpelé le Gouvernement lors d'une question d'actualité en novembre dernier. De nombreuses décisions unilatérales de l'État viennent régulièrement affecter les conditions d'exercice des compétences des collectivités territoriales. En augmentant les charges des collectivités ou en en diminuant les recettes, ces décisions compromettent fréquemment l'équilibre des finances locales, dans un contexte budgétaire contraint, marqué notamment par la hausse du coût de l'énergie et des matières premières.

Un des enjeux de notre mission est d'analyser objectivement la situation, en particulier la mise en oeuvre concrète du principe « qui décide paie ». L'article 72-2 de la Constitution, dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle de 2003, prévoit que « tout transfert de compétences entre l'État et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice ». Ainsi, lorsque l'État transfère aux collectivités territoriales des compétences qu'il exerçait, le législateur est tenu de compenser celles-ci « au coût historique » par l'attribution des ressources correspondant aux charges constatées à la date du transfert. Le montant de ces charges constitue un droit à compensation.

Outre le RSA, nous pourrions évoquer la compétence de gestion des collèges par les départements et des lycées par les régions. Ces compétences, transférées en 1983 et élargies en 2004, sont compensées au coût historique. Le reste à charge est estimé à 3,3 milliards d'euros pour les départements et 3,7 milliards pour les régions.

Les exemples sont nombreux. Je ne doute pas que nos intervenants nous en fourniront d'autres. Je propose de leur céder la parole.

M. Xavier Cabannes, professeur de droit public à l'Université Paris Cité. - Merci, Madame la rapporteure. Il m'a été demandé de rappeler le cadre juridique. Je le ferai en trois points.

Le cadre normatif actuel repose sur trois textes. La loi du 2 mars 1982, en son article 102, prévoit une compensation de l'accroissement des charges de toute mission transférée de l'État vers les collectivités territoriales. Cette compensation se traduit par un transfert de ressources. Nous retrouvons cette disposition à l'article L1614-1 du Code général des collectivités territoriales, dont nous pouvons retenir trois axes : (i) les charges transférées doivent être intégralement compensées, (ii) la somme affectée aux collectivités doit être évaluée à la date du transfert, sans tenir compte d'évolutions futures et (iii) la compensation financière évolue annuellement « comme la dotation globale de fonctionnement ».

Le deuxième texte est issu de la loi du 7 janvier 1983 et se retrouve à l'article L1614-2 du Code général des collectivités territorial. Il prévoit qu'en cas de modification des règles relatives à l'exercice des compétences transférées par voie réglementaire, ce transfert donne lieu à une compensation - au même titre que les transferts par voie législative.

Enfin, la réforme constitutionnelle de 2003 introduit un article 72-2. L'alinéa 4 de ce dernier distingue les transferts et les créations ou extensions de compétences. Tout transfert de compétences de l'État vers les collectivités territoriales doit faire l'objet d'une compensation intégrale et équivalente à ce que l'État dépensait jusqu'alors. Les créations et extensions de compétences, pour leur part, doivent être accompagnées financièrement - ce qui ne signifie pas qu'elles doivent être intégralement compensées. En dehors des cas de transfert, de création et d'extension, la Constitution ne garantit aucune compensation ni aucun accompagnement financier, mais ne les interdit pas pour autant.

Nous sommes face à un système sous contrôle du juge constitutionnel et du juge administratif. Les juges ont une position que je qualifierais de « rationnelle » à l'égard des notions de transfert, de création et d'extension. Est une extension « toute nouvelle mission rattachable à une compétence déjà assurée par une collectivité territoriale ». La création est, pour sa part, « une compétence nouvelle dépourvue de lien avec une compétence déjà exercée ». Le juge distingue également les extensions et créations, d'une part, et les modifications et aménagements de compétences, d'autre part. Ainsi, « une modification ou un aménagement ne change pas le périmètre de la compétence, ne change pas son champ, ne change pas sa nature, ne change pas sa finalité ». De fait, un aménagement ou une modification de compétence ne bénéficie pas de la garantie constitutionnelle de compensation.

Nous identifions plusieurs points d'achoppements. D'un point de vue juridique, trois aspects peuvent poser une difficulté aux collectivités territoriales. Dès lors que l'action de la loi ou de l'exécutif se traduit par une modification ou un aménagement d'une compétence, aucune compensation financière n'est garantie. Un travail pourrait être conduit pour améliorer cet aspect. Il conviendrait alors de définir précisément ce que recoupent ces termes. Pour les transferts de compétences, la période de référence servant à calculer le montant de la compensation peut être problématique. Une « standardisation » de l'approche s'est construite. Ainsi, une période de trois ans est prise en référence pour toute dépense de fonctionnement et de cinq ans pour toute dépense d'investissement. S'agit-il de trois ou cinq ans précisément, minimums ou maximums ? Nous l'ignorons. Pourquoi cette standardisation ? Enfin, le troisième point d'achoppement relève de l'absence de réexamens réguliers des bases de la compensation. Une compétence transférée en 1983 peut-elle être compensée à l'identique en 2023 ? Ouvrir une réflexion sur ce point pourrait revenir à créer un droit à réévaluation perpétuelle de la compensation.

M. Ludovic Rochette, maire de Brognon, président de la Communauté de Communes Norget et Tille et membre du Comité des finances locales. - Madame la Présidente, Monsieur le Président, Madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs, les sénateurs, je suis maire depuis le siècle dernier et j'entends les mêmes réflexions depuis 25 ans. En 2010 déjà, un rapport sénatorial s'intitulait : « Les transferts de compétences : pistes pour des relations apaisées entre l'État et les collectivités locales ».

François Baroin complète la maxime ainsi : « Qui décide paie. Qui paie décide ». En tant que maires, ce sujet nous suit. Au niveau local, nous nous appuyons sur les commissions locales d'évaluation des charges transférées (CLECT). Nous aurions pu imaginer un système de CLECT à l'échelle départementale, associant le préfet, afin de revoir le coût d'une compensation. Je perçois les difficultés de mise en oeuvre, mais une telle commission serait utile au niveau déconcentré.

Pour préparer cette table ronde, j'ai sollicité l'avis des 698 maires de Côte-d'Or. Il en ressort que ces derniers n'ont absolument pas confiance en une compensation juste et pérenne et soulèvent la lourdeur des mécanismes d'ingénierie lorsqu'une compétence est transférée. Je vous propose de reprendre plusieurs exemples évoqués.

Les Maisons France services fonctionnent correctement, mais des inquiétudes demeurent sur la compensation dans le temps et la formation des personnels. Les élus locaux portent un regard prudent vis-à-vis de nouveaux services. De même, les conseillers Numérique donnent satisfaction, mais les élus s'interrogent sur la pérennisation des postes et la formation de ces professionnels. Les maires ont également évoqué les « dumistes » (titulaires d'un Diplôme Universitaire de Musicien Intervenant), qui interviennent dans les écoles sur le temps scolaire, sans aucune compensation. Je ne reviens pas sur les compensations fiscales (taxe d'habitation, etc.).

Les maires s'interrogent aussi sur le coût de la protection des données face à la cyber criminalité, qui n'est pas le même aujourd'hui qu'en 1983. Une commune de 200 habitants qui dispose d'un budget de fonctionnement de 100 000 euros consacre 1 % de ses ressources à l'achat et la maintenance d'un logiciel et d'un pare-feu. Ces dépenses ne sont pas compensées.

Les maires évoquent également l'urbanisme. Avec le passage au PLUi, les communes ne bénéficieront plus de l'aide en ingénierie de l'État.

Je vous remercie pour votre invitation. Les 698 maires vous font confiance pour trouver des solutions et revenir à des relations apaisées dans le cadre des compensations.

Mme Isabelle Dufau, présidente de la communauté de communes du Seignanx et membre du Comité des finances locales. - Mesdames et messieurs les sénateurs, merci de cette invitation. J'ai sollicité mes collègues élus de la communauté de communes de Seignanx, ainsi que les représentants de l'Association des maires ruraux des Landes.

La communauté de communes du Seignanx regroupe huit communes du sud des Landes et 28 000 habitants, sur un territoire grand comme une fois et demie la ville de Paris. Les communes comptent entre 350 et 13 000 habitants. La population a doublé en 30 ans. Le territoire est dit « attractif ». Il subit une pression sur le logement et supporte le coût social de la dépendance. Nous recensons 8 600 emplois autour de fleurons tels que Safran Helicopter Engines (1 500 emplois à Tarnos) et diverses entreprises industrielles sur le port de Tarnos.

Nous nous interrogeons sur les services aux personnes et aux entreprises que nous devons développer. Les politiques publiques locales issues des compétences transférées ou imposées par l'État au bloc communal et aux EPCI nécessitent des ressources. L'État doit donner aux collectivités les moyens de faire face à ce qu'il impose en termes de normes, de règles et de transferts, et ce, de manière pérenne - et j'insiste sur ce point.

Les sources de financement que l'État mobilise pour accompagner les initiatives du bloc communal sont variées (DSIL, DETR, CRTE, fonds Vert, fond de mobilité active, etc.). Monter ces dossiers de demande suppose une ingénierie dont les communes rurales ne disposent pas - ou plus. Ces dernières sont ainsi pénalisées dans l'accès à ces aides, d'autant plus que le sous-effectif des services de l'État en préfecture ou en sous-préfecture ne leur permet pas d'accompagner les élus locaux. En outre, les demandes de subvention doivent souvent répondre à des appels à projets ciblés qui ne correspondent pas nécessairement aux besoins réels et immédiats des collectivités locales.

Une différence existe entre le discours et les actes de l'État. Par exemple, le Contrat de relance et de transition écologique (CRTE) visait à abonder la DETR et la DSIL afin de valoriser les projets du bloc communal s'inscrivant dans la thématique de la transition écologique. Nous nous sommes tous prêtés au jeu. Finalement, les services de l'État utilisent le CRTE comme critère discriminatoire des projets ; aucun fonds supplémentaire n'a été accordé. Un projet qui n'est pas labellisé CRTE a peu de chances d'obtenir de la DETR ou de la DSIL. Par manque de crédits, la préfecture des Landes refuse de cumuler ces deux aides. Pour notre communauté de communes, cela représente 830 000 euros de DETR et 436 000 euros de DSIL.

De même, l'État impose des règles dans le traitement des déchets sans en mesurer correctement les conséquences pour les structures impactées. Le tri, la hausse de la TGAP ou encore l'augmentation de la valorisation des déchets accroissent le coût du service rendu. Dans le même temps, l'État plafonne le prix de rachat de l'électricité des unités de valorisation énergétique qui incinèrent les déchets. Les EPCI se trouvent contraintes d'augmenter le financement pour compenser ce manque à gagner. À titre d'exemple, mon EPCI subit une hausse de 18 % de sa participation au syndicat de collecte et de traitement des déchets. Le poste représente désormais près de 20 % de notre budget général. Avec la mise en place de nouvelles exigences - dont le tri des biodéchets -, ce phénomène va s'accentuer. Lorsque l'EPCI augmente le taux de TOM pour absorber cette dépense, le contribuable voit ses prélèvements fiscaux augmenter, et ce, quel que soit le volume d'ordures qu'il produit.

Si les orientations en matière de politique de l'emploi sont définies au niveau national, le travail dans le domaine du maintien et de l'accueil des entreprises s'opère au plus près du terrain, les régions et les EPCI ayant compétence en la matière. L'État, qui a souhaité réduire les impôts de production, a décidé de supprimer en deux ans la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de la compenser auprès des collectivités par une dotation issue de la TVA, calculée sur la moyenne des quatre dernières années. Ce système est tout à fait injuste, la pandémie ayant impacté les résultats des entreprises en 2020 et 2021. La CVAE représente 6 % de nos recettes. Les territoires attractifs comme le nôtre sont les plus impactés. Les entreprises nous sollicitent de plus en plus pour que nous développions de nouveaux services. Par exemple, le restaurant interentreprises de Safran Helicopter Engines représente un investissement de dix millions d'euros pour la communauté de communes, dont deux à trois millions d'euros de fonds propres.

Compenser à l'euro à l'instant T, sans revalorisation annuelle, est préjudiciable sur la durée. En déconnectant les recettes économiques des territoires, les investissements des collectivités dans ce domaine ne risquent-ils pas d'être freinés ?

Je profite de ma présence pour évoquer la dépendance, dont le financement repose en grande partie sur les collectivités. Nous sommes devant un défi d'ampleur, en termes d'organisation des services, de personnel et de financement. Les difficultés de recrutement des agents à domicile sont inédites dans cette ampleur. Dans ce domaine, comme dans d'autres, nous sommes confrontés à de nouvelles exigences imposées par l'État, sans concertation. La demande de fusion des services d'aide à domicile et des services infirmiers à domicile en est la démonstration ; elle aura des conséquences organisationnelles et financières indéniables.

Le budget de mon EPCI repose pour 53 % sur les compensations et dotations de l'État, soit 15,5 millions d'euros. Dans de telles circonstances, la proposition d'une loi garantissant la compensation financière des transferts de compétences dans le temps et proposant un réexamen régulier des ressources des collectivités territoriales nous paraît nécessaire.

Mme Sophie Pantel, présidente du conseil départemental de la Lozère et membre du Comité des finances locales. - Madame la Présidente, Monsieur le Président, Madame la rapporteure, mesdames et messieurs les sénateurs.

Le sujet des compensations n'est pas nouveau. Dans le département de la Lozère, nous appliquons le principe du « qui commande paie ».

L'enjeu autour de nos capacités budgétaires est majeur. Dans les territoires ruraux, le département est une strate importante pour agir et porter des projets structurants. La réduction de nos moyens alimente un sentiment d'abandon qui fait le terreau de positions extrémistes.

La commande publique est essentielle pour nos territoires. Plus qu'ailleurs sans doute, nous sommes sollicités sur des politiques « optionnelles » ou « partagées », car les communes et communautés de communes disposent de peu de capacités contributives. Ces dernières années, les départements ont contribué à amortir la crise sanitaire. Le dynamisme des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) a été un levier important, mais nous ne disposons d'aucune garantie quant à ces droits à l'avenir. Il convient d'être prudent quant à l'effet ciseau que certains départements subissent déjà. Le département est l'échelon le plus exposé, du fait de l'absence d'autonomie financière - toutes nos recettes proviennent de l'État - et de la nature procyclique de nos dépenses.

Le département de la Lozère dispose de 110 millions d'euros de budget de fonctionnement et de 50 millions d'euros d'investissement. Sur l'ensemble, nous ne sommes décisionnaires de la destination des fonds que pour 15 millions d'euros. Avec la perte de la part du foncier bâti, nous ne disposons plus d'aucun levier fiscal. Certains départements n'investissent plus, réduisant les commandes publiques auprès des entreprises.

Certains transferts ne disent pas leur nom. Je pense ici à la réforme du chômage - dont nous voyons déjà l'impact - ou encore aux investissements nécessaires pour faire face au changement climatique. Le Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de Lozère dispose d'un budget de 8,5 millions d'euros, dont 1,7 million d'euros de taxe spéciale sur les conventions d'assurance (TSCA). Nous investissons en complément, tout comme nous investissons pour construire des réservoirs d'eau ou soutenir les communes pour répondre aux enjeux climatiques.

Les transferts de compétence sont, en principe, compensés à l'euro près. Guylène Pantel évoquait les routes et les collèges dans son introduction. Entre 2005 et 2010, notre département a perçu onze millions d'euros de TSCA pour les collèges et les routes. Sur la même période, le coût RH s'élève à 30 millions d'euros pour les routes et 12 millions d'euros pour les collèges. Je ne compte ni les charges de fonctionnement, ni les PPI sur l'investissement, ni les nouvelles normes survenues depuis. De même, nous avons reçu 22,7 millions d'euros au titre des allocations individuelles de solidarité, pour un reste à charge de sept millions d'euros par an.

Les compétences nouvelles et les normes engendrent des coûts supplémentaires pour les départements. Il nous est ensuite reproché d'embaucher pour y répondre.

Notre dotation globale de fonctionnement est, en 2022, équivalente à celle de 2006. Lorsqu'une compensation nous est accordée, la dynamique de la taxe nous est retirée. Tel a été le cas avec la TVA. En outre, un critère de compensation est lié à la population, sans jamais prendre en compte la variable « territoire ». Il convient de mener une réelle politique d'aménagement et de prendre en compte les effets de seuil. Actuellement, le DGS coûte autant en Lozère que dans un grand département, alors que le nombre d'agents à gérer est bien inférieur.

Je suis élue depuis plus de 20 ans. J'ai toujours été choquée par la logique non-concertée et unilatérale qui prévaut. On ne fait pas confiance aux territoires et aux élus locaux. Tant que nous serons considérés comme un contre-pouvoir et tant que les corps intermédiaires seront mis à mal, le pays ne pourra pas aller bien. Des décisions pourraient être gérées différemment si nous faisions confiance aux départements.

La fusion des services d'aides à domicile générera des difficultés. Des agréments supplémentaires nous sont demandés, ce qui entraînera des transferts de personnels sur des métiers déjà confrontés à des enjeux de recrutement. Les dispositifs, dont l'avenant 43 sur les services d'aide à domicile, manquent de lisibilité.

Le Ségur a oublié une partie des acteurs de terrain. Nous avons subi une pression de la part des établissements et du secteur de l'enfance, notamment. En nous associant en amont, nous aurions pu éviter cette situation.

La réforme des assistants familiaux a fait l'objet d'un décret d'application le 31 août 2022 pour une mise en oeuvre au 1er septembre 2022. Les assistants familiaux prendront un enfant en Lozère, un en Aveyron et un dans l'Hérault. En conséquence, nous manquerons de places pour accueillir nos enfants. En interrogeant deux ou trois départements, nous aurions alerté sur ce phénomène. Aucun garde-fou n'a été prévu dans cette loi qui visait, légitimement, à revaloriser les salaires. Sur les dix plus hauts salaires du département, six sont assistants familiaux.

Les préfets nous invitent à contractualiser. Lorsque nous sommes autorisés à présenter des politiques déjà mises en oeuvre, nous parvenons à obtenir des ressources supplémentaires. Dans le cas contraire, les nouvelles actions engendrent des dépenses nouvelles et obligent parfois à se détourner de besoins du territoire pour percevoir des recettes supplémentaires. Nous avons contractualisé pour le plan Pauvreté, mais j'ai refusé toute autre action qui ne répondrait pas aux besoins de nos populations et qui nécessiterait des réunions de coordination additionnelles. Depuis 2015, l'État considère les départements comme des agences de l'État et des auxiliaires.

Les clauses de revoyure, même lorsqu'elles existent, ne résolvent pas tout.

Ces questions sont fondamentales. J'espère que votre assemblée parviendra à faire « bouger les lignes ». Cette situation interroge l'efficacité de l'action publique. Nous ne sommes plus décisionnaires. Nous consacrons un temps considérable dans la gestion des normes et des délégations, au détriment du développement de nouvelles actions. J'en appelle à une évaluation en amont, au respect de la libre administration des collectivités et à l'autonomie dans l'utilisation de nos ressources. Toute décision favorisant le principe du « qui décide paie » sera positive.

M. Philippe Bailbé, délégué général de Régions de France. - Madame la rapporteure, Madame la Présidente, Monsieur le Président, mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs.

Je reviens de La Réunion, où j'accompagnais la Présidente Delga, à l'invitation d'Huguette Bello, pour célébrer les 40 ans de la région. Le bilan de La Réunion est considérable ; nous pouvons nous en réjouir. Les libertés locales ne se traduisent pas seulement au travers des constructions ou des compétences transférées, mais aussi au travers de la capacité technique, juridique et budgétaire à les exercer. La liberté à s'administrer est contrôlée, parfois empêchée. Surtout, elle ne permet pas le plein exercice de la démocratie de proximité et la mise en oeuvre de leur projet par les élus.

Les régions sont les seules collectivités à ne pas avoir reconstitué leur épargne d'avant-crise. Cette situation singulière découle de la crise et de l'impact de décisions d'État, alors que les régions se sont efforcées d'accompagner les plans de relance. Cet effort s'inscrit dans leur rôle, mais ne peut prendre toute sa puissance que si les régions peuvent gérer pleinement leurs ressources.

L'année 2023 s'annonce complexe, avec le plein impact des hausses de l'inflation 2022, la poursuite des difficultés post-crise et l'incertitude sur le pilotage des recettes. Pourtant, les collectivités ont besoin d'investir pour répondre aux différents défis - transition climatique, mobilité, etc.

Mon propos tiendra en trois points : les situations d'absence de compensation, les questions de juste compensation et la stabilité de la compensation dans le temps.

Le Professeur Cabannes le soulignait : le cadre de la compensation souffre de fragilités et d'angles morts. Des obligations de faire sont transférées aux collectivités sans que celles-ci n'aient été compensées. Ces transferts produisent des hausses de dépenses qui ne sont pas décidées par les élus des collectivités concernées. J'ai exercé en tant que Directeur général des services d'une région. Lorsque nous avons pris en charge la gestion des réseaux informatiques des lycées, nous avons procédé à un recensement et une mise à niveau de l'organisation des réseaux dans les établissements, puis nous avons défini de nouvelles procédures de fonctionnement. Cette compétence est devenue celle des régions à la suite de la loi Peillon de 2013, sans avoir été compensée du moindre centime ou du moindre transfert de personnel. Les décisions de revalorisation - du point d'indice ou du montant des bourses étudiantes - ne sont pas décidées par les régions, mais produisent des effets annuels.

Hier, le ministre en charge de la Famille a clos un round de concertation passionnant sur la mise en oeuvre du service public de la petite enfance. La pénurie de professionnels s'accroît, dans ce domaine comme dans d'autres. Les communes se trouvent en première ligne. Parmi les propositions législatives proposées - sans concertation - figurait la transcription dans le Code de l'Action sociale et des Familles de l'article L. 4383-2 du Code de la Santé publique donnant compétence au ministre de la Santé pour fixer le nombre d'étudiants admis en première année des formations sanitaires. Ainsi, cette compétence reviendrait désormais au ministre en charge de la Famille pour toutes les formations sanitaires et sociales correspondant aux métiers de la petite enfance. Cette idée n'est pas acceptable sur la forme - absence de concertation et mise sous contrôle de la décentralisation - et ne résoudra rien sur le fond. Nous privilégions toute forme de concertation et de partenariat qui conduirait à se répartir la charge de l'effort visant à accroître le nombre de personnes formées. La disposition proposée n'est accompagnée d'aucune forme de compensation.

Depuis le 1er janvier, les régions sont concernées par le transfert de la gestion du FEADER et des zones Natura 2000 - sans transfert de personnel. Les régions ont contesté l'évaluation des besoins sur ces deux volets. Quand bien même un accord aurait été trouvé, le transfert s'accompagne d'un calcul de coûts « en pied de corps », correspondant à des agents en première partie de carrière. Or, les agents qui exercent cette compétence sont à tous les stades de leur carrière. Une question se pose ensuite sur la dynamique dans la durée.

Citons également le transfert de la gestion des réseaux routiers non-concédés aux collectivités. Trois régions se sont portées candidates à une expérimentation. L'évaluation des charges porte sur trois à cinq ans. Alors que l'inflation dépasse les 3 % et que le réseau n'a pas bénéficié des investissements requis ces dernières années, il est acquis que les besoins en fonctionnement et en investissement ne correspondront pas aux charges transférées, qui reposent sur des valeurs du passé. Le financement des investissements rendus nécessaires par l'état du réseau routier ne sera pas couvert par les transferts de l'État.

Se discute actuellement le transfert des modalités de prise en charge de la réduction accordée aux militaires et à leurs familles dans l'achat de billets de train. Des conventions existent entre les administrations et les différentes autorités. Un décret est souhaité pour transférer ces compétences. Le droit à compensation étant fixe, quelle que soit l'évolution du recours à cette prestation, le montant versé restera inchangé.

L'absence de compensation est une chose. La juste compensation est indispensable. La stabilité de la compensation dans le temps conditionne la confiance. Or, celle-ci n'est jamais garantie. Entre 2013 et 2017, la DGF des régions s'est réduite de 1,5 milliard d'euros tandis que la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) ainsi que la ainsi que la dotation pour transferts de compensations d'exonérations (DTCE) - qui financent des compétences transférées - ont baissé de 315 millions d'euros entre 2017 et 2022. Alors que les régions devenaient pleinement compétentes sur les sujets de développement économique, la suppression du fonds dédié en 2018 a entraîné une perte de financement de 450 millions d'euros. Ces exemples se multiplient. Une part des frais de gestion de la CVAE finançait la compétence Formation des régions. Sans la persévérance du Sénat, les recettes dédiées à ce volet se seraient réduites de 120 millions d'euros dans la loi de Finances 2023.

J'insiste : la stabilité est fondamentale pour la confiance dans les relations entre les collectivités et l'État et dans la capacité à investir. Dans son rapport sur l'impact des décisions de l'État sur les finances locales, le Sénat formulait un ensemble de propositions permettant de recréer un cadre de confiance.

Le rôle de la CCEC mériterait d'être renforcé. L'État s'était engagé à réunir cette instance lors de la recentralisation de la compétence en matière d'apprentissage, ce qui n'a pas été le cas. La loi de Finances a défini de manière unilatérale l'impact sur les budgets des collectivités. Plusieurs des avis consultatifs de la Commission pourraient être renforcés.

Au coeur de ces sujets se trouve l'évaluation préalable de l'impact pour les collectivités de décisions de l'État intervenant dans le champ de compétences décentralisé et produisant des effets sur l'exercice budgétaire en cours.

Le comité des finances locales gagnerait également à voir son rôle renforcé lorsque des dispositions sont créatrices de dépenses pour les collectivités dans leur périmètre de leurs compétences. Il conviendrait d'accroître l'obligation d'évaluation préalable des normes soumises à son avis.

M. Jérôme Bascher. - Je vous remercie pour ces interventions variées, mais qui se retrouvent sur les sujets d'absence ou de réexamen des compensations.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je vous remercie pour la qualité et la diversité de vos interventions. Nous nous enfermons dans des dispositifs qui ne favorisent pas l'efficacité de l'action publique jusqu'au dernier kilomètre, selon un principe de subsidiarité cher au Sénat.

Notre délégation a conduit un travail sur la simplification des normes. Avec le gouvernement et le Sénat, nous avons conclu une charte d'engagement sur la fabrique de la loi. Vous le souligniez : les nouveaux dispositifs doivent faire l'objet d'une étude d'impact, accompagnée d'une évaluation budgétaire - y compris des effets collatéraux.

Nous avons beaucoup travaillé sur l'expérimentation. Pouvons-nous encourager et développer cette pratique, qui permet notamment de mieux évaluer les coûts ? Cette évaluation fait partie de notre charte d'engagements.

Le principe de libre administration figure dans la Constitution. Si l'État considère qu'un acteur est plus à même d'exercer une compétence, il doit le payer en conséquence. Les territoires doivent pouvoir demander un transfert. Je proposerai que les départements puissent récupérer la gestion de la médecine scolaire. J'ai conscience qu'un tel transfert ne peut s'envisager en l'état du financement du domaine.

Une clause de revoyure est nécessaire pour réajuster la compensation de fonction des obligations supplémentaires octroyées par l'État.

Un texte récent porte sur les mobilités comme enjeu de désenclavement et de réussite. Le sujet n'est pas appréhendé sur un périmètre administratif, mais sur un bassin de vie. L'intercommunalité a droit aux versements Mobilité tandis que la région, en charge du rail, ne perçoit aucune ressource. À l'époque, Madame Borne défendait le dossier tandis que j'étais rapporteure des lois. Nous soulignions alors la problématique de financement. Cette question avait été repoussée au mois d'octobre et à la loi de Finances, et donc, à des échanges avec Bercy - le vrai ministre des collectivités. La responsabilité de Bercy est de limiter les dépenses. Le ministre a renvoyé vers la ministre des Transports. Des compétences sont ainsi mises en place sans les ressources financières, générant des dysfonctionnements et des incompréhensions.

M. Jérôme Bascher. - Pour cette raison, le législateur organique a prévu que toutes les dispositions financières devaient être dans les lois de Finances.

Mme Céline Brulin. - Je vous remercie. Vous décrivez parfaitement la manière dont le sujet des compensations s'inscrit dans un contexte budgétaire plus vaste. Les collectivités, qui ne peuvent plus développer la fiscalité, perdent en autonomie. À leur corps défendant, les collectivités deviennent des « mini-préfectures ».

De mon point de vue, le taux d'abstention aux dernières élections municipales n'est pas uniquement dû au Covid-19. Ne pensez-vous pas que la réduction des marges de manoeuvre pèse fortement dans la désaffection des citoyens à l'égard des collectivités ? Ces derniers ne peuvent plus voter pour le projet de développement qu'ils souhaitent pour leur territoire ? Cette situation n'engendre-t-elle pas également une désaffection des maires et élus locaux qui, de plus en plus, renoncent à leur mandat ?

Je suis de plus en plus interpelée sur la traduction du filet de sécurité supposé compenser le point d'indice et les dépenses énergétiques. Des communes ont perçu des acomptes sur d'éventuelles compensations, selon des critères extrêmement complexes. Il apparaît finalement que certaines - notamment les meilleures gestionnaires - n'étaient pas éligibles à ces compensations. Des communes se sont employées pour obtenir ces ressources tandis que d'autres ont décidé de ne pas les demander, de peur de devoir les rembourser par la suite. La situation à venir pourrait être difficile sur le plan budgétaire comme sur le plan démocratique.

M. Antoine Lefèvre, vice-président. - Bercy a engagé une révision des valeurs cadastrales. La mise en oeuvre reste floue. Avez-vous des craintes ou des espoirs quant aux conséquences de cette réforme sur la fiscalité des collectivités locales ?

Les nouvelles grandes régions étaient motivées par la recherche de mutualisations et d'économies financières. Qu'en est-il réellement ? Du fait des distances, beaucoup de régions ont conservé leurs anciens sièges, limitant les gains sur le volet immobilier.

M. Bernard Delcros, vice-président. - Les premières décentralisations sont intervenues il y a 40 ans. Les déploiements se sont organisés au fil de l'eau et ont parfois fait l'objet d'adaptations en urgence. Des rustines ont été apposées pour limiter les difficultés liées aux compensations et les inégalités territoriales créées par ces transferts. Nous disposons du recul nécessaire pour mettre à plat le dispositif et réinterroger les sujets de compétences et de compensations.

Je m'associe parfaitement aux propos de Sophie Pantel sur le critère du nombre d'habitants. Nous gagnerions également à introduire un critère sur les espaces. Si l'État ne joue pas son rôle de régulateur, la décentralisation peut accroître les inégalités entre les territoires.

Récemment, des décisions nationales ont été compensées par la fiscalité locale (pour la taxe d'habitation) ou nationale (pour la TVA). Je ne reviens pas sur l'enjeu des périodes de référence. Ces compensations par la fiscalité reviennent à créer une recette dynamique, ce qui n'est pas le cas avec les dotations.

Il me paraît légitime, juste et opportun de pouvoir réviser les compensations. Toutes les évolutions relevant de décisions nationales législatives ou réglementaires devraient s'accompagner d'un dispositif de révision des modalités de compensation.

Dans certains domaines, les compétences sont partagées. Dans les collèges, par exemple, la pédagogie relève de l'État tandis que les équipements sont du ressort du département. Dans les faits, la frontière est parfois difficile à définir. Les équipements numériques, financés par les départements, sont au coeur de la pédagogie. L'intervention des « dumistes » est également révélatrice sur ce point. Professeur Cabannes, serait-il possible de préciser ces différentes prérogatives dans les textes ?

À quoi correspondent les modifications et les aménagements qui ne sont pas compensés ?

Mme Isabelle Briquet. - Professeur Cabannes, vous évoquiez -en conclusion de votre intervention- l'ouverture d'un droit à compensation perpétuel. Revoir le système de compensations ne conduirait-il pas à une inflation normative ? Nous devrons poser des garde-fous pour sécuriser juridiquement ces dispositifs. Pourrons-nous produire un cadre censé, correspondant à notre réalité, tout en apportant la sécurité juridique nécessaire ?

M. Lucien Stanzione. - En quelques mots chacun, comment voyez-vous l'avenir des communes ?

M. Philippe Bailbé, délégué général de Régions de France. - Le ministre annonçait que la fusion des régions pourrait permettre de réaliser une économie de 10 milliards d'euros, soit environ un quart du budget cumulé des régions - qui s'élève aujourd'hui à 46 milliards d'euros.

Entre 2015 et 2019, les budgets de fonctionnement des régions ont été stables, permettant une hausse de l'épargne brute de 38 % (soit 1,8 milliard d'euros supplémentaires), une amélioration du ratio moyen de désendettement de 10,8 à 4,3 ans et une augmentation de deux milliards d'euros de l'investissement des régions. Pendant la crise, entre 2019 et 2021, l'investissement porté par les régions s'est à nouveau accru de deux milliards d'euros. Elles représentent désormais 23 % de l'investissement public local, contre 15 % en 2015. Je veux croire que cette trajectoire - très homogène entre les régions fusionnées ou non - démontre la bonne gestion de l'argent public par les régions, en dépit de toutes les contraintes. La confiance qui leur a été accordée l'a été à juste titre.

Effectivement, toutes les régions fusionnées n'ont pas revendu leurs sièges. Ces bâtiments accueillent les bureaux des agents territoriaux ou d'autres activités ; des espaces libres ont en effet été réaffectés à des satellites des régions, tels que les agences de développement économique ou les comités régionaux du tourisme. Ces structures, financées par les régions, ont ainsi pu trouver des locaux moins onéreux qu'en prise à bail extérieur et en proximité avec des acteurs avec lesquels ils travaillent au quotidien.

La crise démocratique que nous traversons s'accompagne d'une crise de confiance des citoyens dans la capacité des élus à changer leur vie. Nous observons une vague de démissions des élus qui n'est pas due à un manque de conviction quant aux apports de la démocratie locale et des actions de proximité, mais à un empilement des contraintes normatives, techniques, juridiques et budgétaires. Le citoyen perçoit ce sentiment de perte de pouvoir à agir. La décentralisation est une solution à une partie des défis qui attendent notre pays. Il convient de redonner du pouvoir d'agir aux élus locaux pour apporter des réponses en proximité aux besoins des Français.

M. Jérôme Bascher. - Je retiens votre formule de « redonner du pouvoir d'agir ».

Mme Françoise Gatel, présidente. - Cette phrase avait été prononcée lors du dernier Congrès des Maires. Elle est d'une remarquable vérité.

Mme Sophie Pantel. - La médecine scolaire est un réel sujet. Les départements feraient aussi bien, voire mieux. Toutefois, il ne semble pas opportun de nous transférer cette responsabilité alors qu'il est si difficile d'identifier et de recruter des médecins scolaires. En revanche, nous demandons à récupérer le suivi des gestionnaires de collèges. Nous avons d'importantes obligations en matière d'alimentation ainsi que la responsabilité des équipes de cuisine, mais nous n'avons pas le gestionnaire en hiérarchie directe.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Par deux fois, nous avons défendu cet amendement au Sénat - pas plus tard que dans la loi 3DS. Nous ne sommes pas parvenus à le faire adopter, car il supposait que le Gouvernement lève le gage. Comment donner aux présidents de région et de département des obligations d'approvisionnement en circuit court et en produit bio si le gestionnaire qui décide des achats dépend de l'État ? Dès 1982, nous proposions des conventions « de bonne humeur » signées entre le proviseur et le président de région. À date, personne n'est capable de dire si une convention de ce type a été signée. La situation est kafkaïenne.

Mme Sophie Pantel. - Je vous remercie pour votre soutien.

Nos concitoyens ne voient plus la différence entre les projets politiques. Sur de nombreux aspects, nous ne pouvons pas agir. Nous nous engageons en politique pour améliorer la vie des gens au quotidien. Dès lors que nous perdons ce levier, l'engagement politique perd son sens.

Les départements doivent répondre à trois critères cumulatifs pour bénéficier du filet de sécurité « Énergie » : une hausse des dépenses d'énergie en 2023 supérieure à 60 % de la hausse des recettes réelles de fonctionnement ; une perte d'au moins 25 % d'épargne brute en 2023 ; un potentiel financier ou fiscal par habitant inférieur au double de la moyenne de la strate. Dans les faits, peu de départements bénéficient de cette aide.

M. Jérôme Bascher. - Le ministre a répondu hier sur ce sujet, faisant savoir que 4 100 communes ont sollicité cette aide sur les 4 700 éligibles en 2022.

Mme Sophie Pantel. - Nous suivons de près la révision cadastrale, même si les communes sont davantage concernées que les départements. Il nous avait été indiqué en CFL qu'un critère « cotisation foncière des entreprises » (CFE) pourrait être retenu. Or, une entreprise peut se développer et recruter sans construire ou agrandir ses locaux. À nouveau, ce critère pourrait nous pénaliser.

Mme Isabelle Dufau. - Beaucoup d'éléments sont évoqués depuis des dizaines d'années. Nous sommes au pied du mur, dans une crise de confiance qui nous oblige à agir. Nous attendons que des décisions fortes émanent des travaux du Sénat et des parlementaires. Le découragement est réel. La crise démocratique actuelle se traduit par un éloignement de la population des instances de décision. Nous multiplions les réunions et les ateliers citoyens pour limiter ces effets. Je suis convaincue que nous devons conserver les communes, instances les plus proches des citoyens. Ces derniers ne se retrouvent pas dans les communautés de communes. La commune est l'interface entre les décisions et les citoyens. Je plaide pour la conforter.

Il est compliqué de faire fonctionner le Comité des finances locales. L'instance est pourtant nécessaire. Elle doit asseoir durablement ses fonctions de conseil et d'accompagnement. Une réflexion doit s'ouvrir sur ce sujet. Nous comptons sur vous.

M. Ludovic Rochette, maire de Brognon, président de la Communauté de Communes Norget et Tille et membre du Comité des finances locales. - Un transfert de compétences n'a pas été évoqué : celui du mécontentement fiscal. Dans nos intercommunalités, nous avons tous connu des Commissions Intercommunales des Impôts Directs (CIID), qui ont eu des effets pernicieux sur la fiscalité d'entreprise. Nous sommes inquiets pour l'avenir, d'autant que les études d'impact sont très limitées.

Il n'existe plus de transfert de compétences du levier fiscal. En tant que communes, nous avons le droit de réduire les impôts.

Un nouveau pacte ne sera possible qu'en redéfinissant la péréquation. Une péréquation mal-conçue grippe nos compétences et affecte nos capacités financières.

Croyons-nous en l'avenir des communes ? La plus petite commune de Côte-d'Or compte neuf habitants. Si elle parvient à fonctionner, pourquoi la déranger ? Si une commune de 250 ou 2 000 habitants ne fonctionne pas, nous devons rechercher les solutions adéquates. Je ne m'interroge pas tant sur l'avenir de la commune que sur celui de l'intercommunalité. Mon intercommunalité a rendu des compétences aux communes. Ce mouvement est nouveau. Pour certaines compétences, les communes sont meilleures que nous. Nous avions oublié cet état de fait.

Mme Sophie Pantel. - L'ADF considère que les communes et les départements forment un couple. Nous travaillons en partenariat. La commune bénéficie d'une proximité sur le terrain avec les citoyens. Dès lors, les communes doivent être conservées.

À titre personnel, je pense que la question ne doit pas être posée ainsi. L'enjeu est d'identifier la strate adéquate pour apporter la bonne réponse à nos concitoyens. Les structures ne sont pas une fin en soi. Nous devrons peut-être accepter des modifications.

M. Xavier Cabannes. - Je considère que les collectivités territoriales sont devenues, non pas des auxiliaires - le terme me paraît trop optimiste -, mais des opérateurs de l'État d'un nouveau genre. Elles font ce qui leur est demandé, avec l'argent qui leur est donné. Elles ne sont pas encore des opérateurs organiques, car nous pouvons croire qu'elles ne sont pas sous tutelle administrative.

La fiscalité partagée prend de plus en plus de place dans les recettes des collectivités, soit du fait de compensations et de transferts de compétences, soit du fait de réformes de la fiscalité locale. Toutes ces situations découlent de l'article 72-2 de la Constitution et de la notion de ratio.

Des textes définissent-ils précisément les compétences de l'État et de la collectivité dans les collèges et les lycées ? Je ne le crois pas. Le Législateur ne se risque pas à une définition trop précise pour ne pas s'enfermer. Il existera toujours des cas auxquels nous n'aurions pas pensé.

Vous m'interrogez sur des exemples d'aménagement et de modification. Si l'exécutif ou le législateur prévoit de nouvelles obligations de formation pour une catégorie de personnel, le coût pour la collectivité territoriale augmente. Pour autant, ni les compétences ni le champ d'intervention ne sont revus.

Sur le papier, une remise à plat des dispositifs serait idéale. Dans les faits, il me semble difficile de repartir à zéro.

M. Bernard Delcros, vice-président. - Il ne s'agit pas de repartir à zéro, mais d'étudier les difficultés rencontrées dans les transferts de moyen afin de redéfinir un mécanisme stable avant d'engager une nouvelle décentralisation.

M. Xavier Cabannes. - Un travail d'évaluation profond serait nécessaire. Une telle démarche serait utile, mais elle prendrait des années.

J'ignore si nous introduirons un droit à la compensation perpétuelle. Le législateur peut souhaiter réévaluer régulièrement le coût d'une compétence partagée, mais jusqu'à quand ? Nous pouvons recalculer aujourd'hui la compensation d'une compétence transférée en 1983. Le referons-nous dans 40 ans ? Le problème ne serait pas ici normatif, mais comptable. Nous devons disposer des outils adéquats pour cette réévaluation.

Départements et régions sont presque intégralement financés par l'État. Les communes restent épargnées puisqu'elles conservent une marge de manoeuvre sur leurs recettes fiscales. Comme la Présidente Sophie Pantel, je pense que l'organe en tant que tel n'est pas très important. La question est la suivante : quel niveau de collectivité ou d'EPCI souhaitons-nous et pour quoi faire ? Une fois une réponse apportée à cette question, nous saurons si les communes ont un avenir.

Mme Guylène Pantel. - Je remercie chacun de vous pour vos propos forts, précis et nourris d'exemples. Vos contributions nous aideront à rédiger notre rapport.

Nous devrons étudier le fonctionnement du CFL pour que les collectivités puissent mieux participer à ce comité.

Je soutiens les communes. Nous devons être à leurs côtés. Dans nos départements ruraux, la collectivité de proximité est extrêmement importante pour nos concitoyens.

Je vous remercie.

La réunion est close à 12 h 30.