Lundi 22 mai 2023

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 15 heures.

Audition de M. Olivier David, chef du service du climat et de l'efficacité énergétique à la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC)

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous reprenons nos travaux aujourd'hui en recevant M. Olivier David, chef du service du climat et de l'efficacité énergétique à la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC).

Monsieur, depuis 2018, vous dirigez ce service, qui est une division de la DGEC, que vous représentez aujourd'hui. Auparavant, de 2015 à 2018, vous avez été sous-directeur du système électrique et des énergies renouvelables, au sein de la direction de l'énergie, également intégrée à la DGEC.

Votre audition doit nous permettre de mieux comprendre le rôle de la DGEC dans le pilotage de la rénovation énergétique des bâtiments, afin d'atteindre les objectifs que notre pays s'est fixés. Votre direction, placée sous la tutelle conjointe du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et de la ministre de la transition énergétique, est chargée d'élaborer et de mettre en oeuvre la politique relative à l'énergie, aux matières premières énergétiques, ainsi qu'à la lutte contre le réchauffement climatique et la pollution atmosphérique.

Plus spécifiquement, la DGEC a pour mission de proposer des mesures favorisant la maîtrise de la demande et l'utilisation rationnelle de l'énergie pour l'ensemble de ses usages, ce qui inclut l'amélioration de l'efficacité énergétique des bâtiments, pour ce qui relève de notre commission d'enquête.

À ce titre, la DGEC est l'administration chargée du suivi des certificats d'économies d'énergie (C2E), qui concentrent les critiques relatives à la fraude et aux malfaçons. Nous aimerions connaître vos positions sur ces critiques ainsi que les améliorations qui ont été mises en oeuvre ou que vous envisagez de déployer à l'avenir.

Après presque cinq ans passés à votre poste, vous êtes particulièrement qualifié pour avoir une vision d'ensemble de la politique de rénovation énergétique des bâtiments, de la manière dont sont fixés ses objectifs et dont elle est pilotée. Il nous serait précieux que vous puissiez nous faire part de votre diagnostic et des améliorations que vous souhaiteriez voir aboutir.

Comment la DGEC agit-elle pour favoriser la rénovation énergétique des bâtiments ? Comment cette action s'articule-t-elle avec celle des autres acteurs de la rénovation énergétique ? Cette gouvernance est-elle, selon vous, perfectible ?

Par ailleurs, j'observe que de plus en plus de voix s'élèvent pour demander une dissociation entre la décarbonation de l'énergie consommée, pour atteindre la neutralité carbone et protéger le climat, et l'isolation des bâtiments, afin de lutter contre la précarité énergétique et de limiter la consommation, donc la production d'énergie. Cette dissociation vous semble-t-elle pertinente ?

Enfin, plus généralement, quelle analyse faites-vous des politiques publiques actuelles en matière de rénovation énergétique ? Des améliorations peuvent-elles, selon vous, être apportées afin de rendre plus efficace et d'accélérer la rénovation énergétique des bâtiments ?

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Olivier David prête serment.

Monsieur, vous avez la parole pour un propos introductif afin de répondre à ces premières questions. Notre rapporteur ainsi que les membres de notre commission ne manqueront pas, ensuite, de vous en poser d'autres.

M. Olivier David, chef du service du climat et de l'efficacité énergétique à la direction générale de l'énergie et du climat. - Madame la Présidente, mesdames, messieurs les Sénateurs, je vous remercie de votre invitation.

La politique de rénovation énergétique a plusieurs objectifs, ce qui fait toute sa complexité.

Le premier objectif est la baisse des émissions de gaz à effet de serre. Le bâtiment représentant 18 % des émissions de gaz à effet de serre en France, il est essentiel d'agir sur ce secteur afin de réduire les émissions.

Le deuxième objectif est la baisse des consommations d'énergie, objectif qui rejoint celui de réduction des factures d'énergie des ménages, mais aussi des entreprises et des collectivités pour ce qui relève de leurs propres bâtiments.

Un troisième objectif, important et complémentaire des deux précédents, est de lutter contre la précarité énergétique. En la matière, la rénovation des bâtiments des ménages très précaires peut conduire à une augmentation de la consommation énergétique. En effet, ces ménages habitant dans des passoires thermiques ou des logements peu isolés ne consomment que très peu d'énergie avant la rénovation de leurs bâtiments.

Enfin, un dernier objectif de cette politique est celui qui a trait au confort et à l'adaptation au changement climatique des logements. Souvent, le moteur principal des rénovations est non seulement la baisse des émissions des gaz à effet de serre, mais également l'amélioration du confort des logements.

Pour remplir ces objectifs, nous utilisons l'ensemble des outils disponibles. Il s'agit, tout d'abord, d'outils financiers, qui sont très importants. Ainsi, l'ensemble des composantes de MaPrimeRénov' - MaPrimeRénov' pour les propriétaires occupants, MaPrimeRénov' Sérénité, MaPrimeRénov' Copropriétés - représente 2,8 milliards d'euros d'aides par an. Les certificats d'économies d'énergie, dispositif relatif à l'efficacité énergétique, qui est non pas propre à la rénovation des bâtiments, mais universel, représentent 3,7 milliards d'euros dans le secteur du bâtiment, pour les logements et les locaux du secteur tertiaire. Enfin, une aide dont on parle peu est la TVA réduite à un taux de 5,5 % sur les travaux de rénovation, qui représente un coup fiscal de 2 milliards d'euros.

Ces trois outils financiers sont donc divers : un outil fiscal, un outil budgétaire, MaPrimeRénov', et un dispositif extrabudgétaire, les certificats d'économies d'énergie.

Nous disposons ensuite d'outils réglementaires. Ainsi, le décret relatif aux obligations d'actions de réduction de la consommation d'énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire, dit décret tertiaire, rend obligatoire des baisses de consommation d'énergie. Des outils récents sont également disponibles : l'interdiction de location des passoires thermiques, introduites par la loi Climat et résilience, qui entre en vigueur progressivement, ainsi que l'interdiction d'installer de nouvelles chaudières au fioul, selon un décret entré en vigueur le 1er juillet 2022.

Enfin, une politique d'information, de conseil et d'accompagnement existe également. En effet, les aides et les obligations ne suffisent pas, des questions relatives à l'accompagnement se posent aussi.

Au sujet de la dichotomie entre baisses des émissions de gaz à effet de serre et baisse des consommations d'énergie, ces deux objectifs sont selon nous liés. L'objectif que nous devons atteindre est bien celui de la neutralité carbone en 2050, qui est en quelque sorte le phare de notre politique énergétique et climatique. Toutefois, pour ce faire, la baisse des consommations d'énergie et la sortie des énergies fossiles - en 2050, l'objectif est de ne plus recourir au fioul ou au gaz naturel pour se chauffer dans le bâtiment - sont indispensables. En effet, réduire les émissions de gaz à effet de serre, cela implique de baisser les consommations d'énergie et, en priorité, celles d'énergies fossiles. Notre politique est donc fondée sur ces deux piliers.

Les objectifs ont, quant à eux, été fixés au niveau européen, déclinés au niveau national, puis récemment revus à la hausse par le paquet Fit for 55. Notre précédent objectif, qui était de réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à leur niveau en 1990, est significativement renforcé, puisqu'il consiste à réduire de 55 % les émissions nettes, ce qui nécessite d'accélérer notre politique de rénovation des bâtiments.

Celle-ci porte ses fruits en matière de baisse des émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, dans le bâtiment, 65 millions de tonnes de CO2 ont été émises en 2022 et une baisse continue de ces émissions a été observée au cours des dernières années : depuis 2017, ces émissions ont diminué de 22 %, soit à un rythme de 4,5 % par an, proche de celui de 4,6 % nécessaire pour atteindre le précédent objectif. En revanche, la redéfinition à la hausse de l'objectif 2030 nous oblige à accélérer la baisse des émissions de gaz à effet de serre dans le bâtiment, puisque nos émissions doivent être réduites de 45 %, et à atteindre un rythme de réduction de 5,6 % par an.

La politique française est similaire à celle de nos voisins européens et repose sur l'isolation ainsi que sur la sortie des énergies fossiles. Cette politique est difficile à mettre en oeuvre dans l'ensemble des États membres de l'Union européenne. Le Haut Conseil pour le climat avait publié, voilà un ou deux ans, un rapport comparatif sur ces politiques mises en place au sein des pays européens. Tous les États européens connaissent une même difficulté pour inciter les ménages à engager des travaux de rénovation énergétique et utilisent les mêmes outils d'incitation, d'obligation et d'accompagnement. En France, dans le secteur du logement, nous recourons surtout à l'incitation et peu à l'obligation. Nous étions aussi un peu en retard en matière d'outils d'accompagnement par rapport à l'Allemagne, dotée de dispositifs d'accompagnement des ménages pour une rénovation globale sans doute plus performants que les nôtres. Toutefois, nous essayons d'améliorer cette situation grâce à Mon Accompagnateur Rénov'.

À la différence d'un certain nombre de pays européens, une spécificité marquée de la politique française a trait à son caractère social particulièrement fort, qui a été renforcé depuis 2017. Cela concerne le C2E et MaPrimeRénov'. Selon les objectifs poursuivis, ce n'est pas forcément le moyen le plus efficace pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, car le niveau d'aides nécessaire au déclenchement d'opérations de rénovation est plus important pour les ménages très modestes que pour les ménages aisés.

Le logement représente deux tiers des émissions de gaz à effet de serre du secteur du bâtiment et 80 % de ces émissions sont dues au chauffage. En outre, un tiers de ces émissions proviennent du chauffage au fioul et deux tiers d'entre elles du chauffage au gaz. Le chauffage au fioul est réalisé par 2,5 à 2,8 millions de chaudières et engendre 30 % des émissions de gaz à effet de serre, tandis que le chauffage au gaz naturel concerne 12,5 millions de chaudières et produit 60 % des émissions. Dans le secteur du bâtiment, un gisement d'émissions de gaz à effet de serre important est donc lié au chauffage au fioul. Par conséquent, une priorité forte de la politique de rénovation est de sortir du fioul. Nos deux piliers sont de sortir du fioul et d'isoler les bâtiments, en concentrant notre action sur les passoires thermiques classées F et G, qui représentent 17 % du parc de logement. Nous avons donc essayé d'orienter nos systèmes d'aides vers la rénovation de l'ensemble des passoires thermiques, où les gains d'émissions de gaz à effet de serre et d'économies d'énergie sont les plus importants, et vers la sortie du chauffage au fioul.

Notre système d'aides compte d'abord MaPrimRénov', qui est un dispositif récent, créé en 2020, en faveur des ménages modestes et très modestes, avant d'être élargi à tous les ménages en 2021. Ceux qui critiquent ce dispositif ont tendance à oublier son caractère récent. Ce dispositif est monté en puissance très rapidement, en raison du nombre extrêmement élevé de demandes dès l'origine. Il a remplacé le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), en permettant de toucher l'aide plus rapidement : avec le CITE, les travaux étaient effectués une année et déclarés l'année suivante ; douze à dix-huit pouvaient donc s'écouler avant de percevoir l'aide. Avec MaPrimeRénov', si des critiques existent concernant le délai toujours trop long pour toucher l'aide, celui-ci a été néanmoins réduit à quelques mois. Ensuite, ce dispositif a été recentré sur les ménages modestes : 70 % de MaPrimeRénov' sont consacrés aux ménages modestes et très modestes, ce qui n'était pas le cas du crédit d'impôt pour la transition énergétique, surtout perçu par les ménages aisés.

MaPrimeRénov' a permis de réaliser plus de 700 000 rénovations en 2022 au travers de plusieurs piliers : MaPrimeRénov' Sérénité, qui est un dispositif d'accompagnement permettant d'effectuer des rénovations plus profondes et qui a fait l'objet de 35000 dossiers en 2022 ; MaPrimeRénov' Copropriétés, qui accompagne les copropriétés pour des rénovations profondes et qui monte en puissance fortement avec 25 000 dossiers en 2022 ; MaPrimeRénov' par geste, qui a concerné 630 000 dossiers en 2022 et a permis des changements de chauffage au fioul ou au gaz au profit des pompes à chaleur, y compris hybrides, ou du chauffage biomasse, mais aussi en faveur de l'isolation des murs.

Le principal enjeu de MaPrimeRénov' réside dans l'augmentation de la proportion de rénovations globales par rapport aux rénovations par geste, via l'accompagnement. Cela passe par la meilleure information des ménages, afin de les accompagner vers des rénovations plus profondes. La DGEC n'oppose pas systématiquement rénovation par geste et rénovation profonde. Il peut parfois être utile de faire certains gestes : isoler son logement ou changer sa chaudière par exemple. Ainsi, remplacer sa chaudière au gaz par une pompe à chaleur hybride permet de diviser par trois sa consommation de gaz, donc sa facture et ses émissions de gaz à effet de serre. Simplement, il est préférable d'avoir aussi une bonne isolation lorsque l'on installe une pompe à chaleur.

Notre deuxième pilier réside dans les C2E, dont le financement est extrabudgétaire, puisqu'il repose sur les fournisseurs d'énergie. Il s'agit d'encourager les économies d'énergie. Ce dispositif a deux caractéristiques. La première est le rôle actif et incitatif, qui consiste à faire de l'« aller vers », non pas à octroyer le certificat une fois les travaux faits, mais à accorder une aide qui doit déclencher les travaux. La seconde est sa dimension redistributive, puisque le C2E est financé par prélèvement sur la facture des Français, mais il bénéficie beaucoup plus aux ménages précaires qu'aux autres : les ménages précaires sont bénéficiaires nets des C2E alors que les ménages plus aisés sont contributeurs nets, via leur facture. C'est un dispositif important pour la rénovation. En 2022, il a permis 625 000 isolations de combles, 170 000 isolations de plancher, 150 000 isolations de murs et 155 000 installations de pompes à chaleur. C'est massif.

La valeur du C2E est liée à l'économie d'énergie réalisée, mais on accorde aussi des bonifications, appelées « coups de pouce » : il y a le coup de pouce « chauffage », qui répond à la priorité de la sortie des énergies fossiles - on a ainsi plus de ménages passant du chauffage au fioul ou au gaz à un chauffage fondé sur des énergies renouvelables, la pompe à chaleur, la biomasse ou le réseau de chaleur -, et le coup de pouce « rénovation globale », qui permet au ménage qui s'est engagé dans une rénovation globale de toucher un C2E plus important que ce qu'il aurait touché sur le seul fondement des économies d'énergie.

Vous me posez aussi la question de la fraude, mais cela recouvre des situations très diverses, tant pour le dispositif des C2E que pour celui de MaPrimeRénov'.

Il y a d'abord les fraudes purement liées au dispositif, sans implication des ménages : il s'agit de demandes des C2E pour des travaux qui n'ont jamais été réalisés. Il y a ensuite des fraudes liées aux opérations de rénovation, soit à la consommation - lorsque des professionnels vendent des travaux sans l'accord exprès du client, souvent en vendant un crédit associé -, ce qui est courant même en dehors du champ de la rénovation, soit à des malfaçons, qui s'étendent sur un spectre très large, de la petite malfaçon aux travaux très mal faits. Cela recouvre donc des situations très diverses, mais la lutte contre la fraude est une préoccupation constante pour nous.

Les C2E ont connu une forte montée en puissance entre 2018 et 2020, qui s'est accompagnée d'un afflux important de fraudeurs, car ces derniers repèrent les dispositifs qui montent en puissance pour s'y engouffrer. On observe au contraire une forte baisse des fraudes depuis un an ou deux. Cette baisse est liée à l'augmentation forte du niveau des contrôles. Nous demandons deux types de contrôle. D'une part, les énergéticiens doivent procéder, avant le dépôt des demandes de C2E, à un contrôle sur site, qui doit concerner au minimum 10 % des opérations, afin de vérifier que les travaux ont été réalisés et de s'assurer de leur qualité. D'autre part, en sus de ces 10 %, 20 % des travaux doivent être contrôlés par point de contact, c'est-à-dire par téléphone ou par courrier avec réponse ; il s'agit de demander si les travaux ont bien eu lieu et si les clients en sont satisfaits. Les contrôles faisant état de points négatifs doivent bien évidemment donner lieu à correction. Par conséquent, presque un tiers des C2E font l'objet d'un contrôle.

Par ailleurs, il y a aussi les propres contrôles de l'administration, qui sont non pas aléatoires, mais ciblés : sur le fondement d'une série d'indices, on procède aux mêmes contrôles, en envoyant des bureaux de contrôle sur place ou en faisant des contrôles par point de contact.

Nous avons en outre interrogé 10 000 ménages titulaires d'un C2E et nous avons obtenu une note médiane de neuf sur dix, pour la qualité des travaux et pour le dispositif du C2E ; les ménages sont donc globalement très satisfaits. Bien sûr, il y a toujours des problèmes et il y en aura toujours. Nous essayons de les repérer, notamment grâce à des signalements que l'on nous envoie, lorsque des clients ne sont pas satisfaits de leurs travaux. En outre, nous avons renforcé la coordination des services de l'État qui luttent contre la fraude : la DGEC, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), la police et la gendarmerie, Tracfin pour les fraudes purement au C2E, l'Agence nationale de l'habitat (Anah), qui pilote MaPrimeRénov', et les organismes de certification, qui accordent les certifications RGE (reconnu garant de l'environnement). Les échanges d'informations se font grâce aux lois dites Énergie-climat de 2018 et Climat et résilience de 2021. Nous échangeons maintenant de façon fluide tout en respectant le secret des informations de chaque service.

Vous posez également la question du reste à charge. Le dispositif de l'éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) monte en puissance - on en a accordé 80 000 en 2022 -, de même que le prêt avance rénovation, instauré par la loi Climat et résilience.

Au-delà des incitations, il y a l'information-conseil, que l'on distingue de l'accompagnement. Les ménages reçoivent l'information ou le conseil dans des lieux ou lors de points de contact. L'Anah pilote le dispositif, qui est cofinancé par les collectivités à 50 %, le reste étant financé via les C2E du programme Sare (service d'accompagnement pour la rénovation énergétique). Ce programme est monté en puissance, du point de vue tant du nombre de conseillers que du nombre d'espaces France Rénov'. Ainsi, nous couvrons aujourd'hui 98 % du territoire ; il reste simplement quelques sujets à traiter dans certains départements d'outre-mer. Nous sommes passés de 700 conseillers en 2019 à 2300 aujourd'hui. En 2022, 450 000 ménages ont reçu une information dans ces espaces et, parmi eux, 225 000 ont été conseillés.

Ce dispositif est bâti sur un programme qui s'arrête fin 2024. Nous avons donc engagé une large concertation avec les collectivités pour définir le dispositif France Rénov' de 2025. L'objectif est de garder le copilotage et le cofinancement avec les collectivités et de passer, du côté de l'État, à un financement budgétaire.

Ce qui débute, c'est la mission d'accompagnement. L'idée est d'accompagner le ménage concrètement dans ses travaux, dans le choix des entreprises, le suivi et la réception des travaux. Cet accompagnement est essentiel si l'on veut aller vers plus de rénovation globale, car, en la matière, un ménage doit être accompagné. Il existe déjà un accompagnement, via MaPrimeRénov' Sérénité pour les ménages modestes et MaPrimeRénov' Rénovation globale pour les ménages intermédiaires ou supérieurs, mais aussi dans les espaces France Rénov'. Simplement, nous souhaitons accélérer fortement l'accompagnement par le dispositif Mon Accompagnateur Rénov', profession que nous voulons développer. Ces accompagnateurs sont agréés par l'Anah. À partir de 2023, les aides de rénovation globale devront forcément faire l'objet d'un accompagnement. L'objectif est d'augmenter fortement le nombre de ces accompagnateurs, afin que l'on puisse conseiller utilement les ménages qui veulent faire de la rénovation par geste, soit, si une rénovation globale n'est pas nécessaire, pour les conseiller dans leur rénovation par geste, soit, si c'est pertinent, pour leur conseiller une rénovation globale. Tel est notre principal enjeu pour les six à douze mois qui viennent : augmenter le nombre de ces professionnels.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci de vos explications.

Vous participez à la gouvernance de l'Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE) ; que pensez-vous de son fonctionnement ? Quelles sont ses premières analyses ? Est-ce un outil intéressant ?

Il existe plusieurs dispositifs de soutien à la rénovation, notamment MaPrimeRénov' et le C2E. Cela n'est pas forcément très lisible, il n'est pas facile de savoir à qui s'adresser. Réfléchissez-vous à l'hypothèse d'une fusion de ces deux dispositifs ? Ou au moins à l'idée d'un guichet unique ?

Il y a parfois des orientations qui paraissent contradictoires : MaPrimeRénov' favorise la rénovation globale, mais le C2E oriente parfois vers un seul geste via les combles à un euro ou l'encouragement au changement de chaudière. Quelle est la cohérence ?

On parle beaucoup de confort d'hiver, mais quel est l'état de vos réflexions sur le confort d'été ? Quel regard portez-vous sur les pompes à chaleur réversibles ? Les dispositifs de confort d'été ne sont pas éligibles au dispositif MaPrimeRénov', alors que la question se pose avec de plus en plus d'acuité...

Nous n'avons pas eu de chiffres sur le dispositif Mon Accompagnateur Rénov' et nous nous posons des questions sur ses missions. Une étude poussée sur la rénovation globale peut coûter cher, disons 2000 à 3000 euros, mais on entend parler de prestations qui seraient facturées à 150 ou 200 euros, ce qui n'est pas du tout la même chose et qui ne peut déboucher sur le même niveau de prestation. Quel est l'objectif ? Le coût de cet accompagnateur serait-il pris en charge totalement ?

M. Olivier David. - Nous nous intéressions déjà à la rénovation énergétique avant la création de l'ONRE, qui a été institué à partir de travaux préexistants. Le but est d'éclairer nos travaux, avec la mise en place de tableaux de bord et d'études spécifiques sur la rénovation énergétique. Tous les travaux sont publics, disponibles sur le site du ministère ; certains portent sur l'état du parc de logements, mais aussi, plus spécifiquement, sur celui des logements locatifs, avec un suivi des consommations et des émissions de gaz à effet de serre. L'intérêt de ces travaux est qu'ils s'inscrivent dans la durée, nous voulons conduire ces analyses tous les ans. Notre objectif est également d'avoir des données le plus vite possible, car, en général, nous avons les données au bout d'un ou deux ans. Or il est compliqué de piloter une politique quand on ne connaît ses effets qu'au bout de deux ans. Ces études nous donneront une idée provisoire de l'effet de nos actions, même si elles reposent sur des méthodes moins fiables que les méthodes statistiques, qui s'appuient sur la très longue durée.

L'ONRE s'appuie sur les économies d'énergie réelles engendrées par les rénovations, en utilisant Linky et Gazpar, qui fournissent des mesures fiables sur un pas de temps réduit - le mois -, grâce au relevé des consommations d'électricité et de gaz. L'idée est d'étudier les consommations avant et après la rénovation, pour mesurer les effets réels des travaux. Il faut être attentif aux nombreux biais statistiques - la consommation d'énergie d'un logement vide qui a été rénové et qui est ensuite occupé augmente nécessairement même si la rénovation est efficace, le changement de taille du foyer influe, etc. -, mais c'est très satisfaisant et très précieux pour nous.

Les C2E sont un outil extrabudgétaire, au contraire de MaPrimeRénov'. Sa force réside dans le fait que l'on évite le démarchage abusif de la part des énergéticiens. Les deux dispositifs ont leurs avantages et leurs inconvénients. Notre but est que le passage de l'un à l'autre soit le plus fluide possible pour les ménages et que les critères soient exactement identiques dans les deux cas. Des textes seront publiés d'ici à l'été prochain pour corriger certains défauts.

Le rôle de Mon Accompagnateur Rénov' pourra inclure l'accompagnement des ménages pour une demande d'aide dans le cadre des C2E, comme le font déjà à l'inverse les professionnels de ces certificats, qui proposent en général aux ménages, pour les gros travaux, un package d'aides incluant les C2E, MaPrimeRénov' et les éco-PTZ. L'Anah a créé les « mandataires MaPrimeRénov' », dont la plupart sont des professionnels des C2E. Le rapprochement entre les deux dispositifs contribue à la fluidité de leur fonctionnement.

Le dispositif Mon Accompagnateur Rénov' répond à notre volonté de faire en sorte qu'un professionnel puisse aider les ménages à sélectionner les entreprises qu'ils engageront, puis à suivre et à réceptionner les travaux. Le coût de la prestation sera entre 1500 et 2000 euros, auquel il faudra ajouter celui d'une prestation complémentaire, en quelque sorte, dans le cas des ménages très précaires qui auront aussi besoin d'un accompagnement social. Ceux qui interviendront au titre de Mon Accompagnateur Rénov' devront être formés à ce type d'intervention à caractère social, ou tout au moins devront être capables d'en détecter la nécessité.

Notre objectif est que l'État prenne en charge le coût de Mon Accompagnateur Rénov'. Il faudra tenir compte du fait que le pourcentage d'accompagnement sera plus élevé dès lors qu'il portera sur les ménages les plus modestes. Nous devrons donc prévoir un plafond de dépenses entre 1 500 et 2 000 euros, ainsi que la prise en charge par l'État d'un pourcentage d'interventions plus important pour les ménages modestes. Des réflexions sont en cours pour rendre le dispositif opérationnel à l'été prochain.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Il sera donc obligatoire de recourir à Mon Accompagnateur Rénov' dans le cadre d'une rénovation globale ?

M. Olivier David. - Oui.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Ne risque-t-on pas de rendre moins attractive la solution d'une rénovation globale ? En effet, il y a aura forcément un reste à charge avec pour conséquence que les ménages choisiront de faire l'économie de la maîtrise d'oeuvre.

M. Olivier David. - Ce qui compte pour les ménages, c'est le coût de l'opération globale, donc le reste à charge dont ils devront s'acquitter une fois pris en compte l'aide de MaPrimeRénov' et le coût des travaux.

Quant à la possibilité de prendre en charge à 100 % le dispositif Mon Accompagnateur Rénov', la problématique est la même que pour les combles à un euro. Cette opération a été rendue possible grâce à une bonification importante des C2E et a permis l'isolation de plus de 2 millions de maisons individuelles. Toutefois, on a constaté que, quand les ménages ne payaient rien, ils étaient beaucoup moins attentifs à la qualité et à la nature des travaux effectués.

Dans le cadre de Mon Accompagnateur Rénov', la prestation sera très complexe à vérifier, car elle est de nature intellectuelle. Certes, l'immense majorité des professionnels fera sérieusement son travail, mais nous créons tout de même une niche adossée à un système d'aides, et le dispositif n'est pas exempt d'un risque de fraude. C'est la raison pour laquelle nous préférons prévoir un reste à charge, la prise en charge restant très importante pour les ménages modestes.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Si l'on veut favoriser la rénovation globale, il faut compenser la difficulté initiale du manque d'information des ménages. Il suffira pour cela d'une étude simple qui renseignera les propriétaires sur leurs options pour conduire les interventions et pour définir les prestations. Cette première phase est essentielle. Plusieurs collectivités ont déjà travaillé sur la question.

M. Olivier David. - Il faut distinguer trois étapes : l'information, le conseil et l'accompagnement. Les deux premières passent par le réseau France Rénov', l'enjeu étant de faire en sorte que toute personne qui décide de se lancer dans des travaux de rénovation puisse trouver un point de contact dans un espace France Rénov', au moins pour s'informer. Il faut donc massifier le réseau. L'information pourra aboutir à du conseil si le ménage le souhaite et l'on passera ensuite à l'accompagnement. Pour l'instant, une personne sur deux qui fait appel au réseau pour de l'information lui demande ensuite du conseil.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Dans quelle proportion faudrait-il massifier le réseau France Rénov ? Que prévoyez-vous en ce sens ?

M. Olivier David. - Le réseau dispose d'une agence par établissement public de coopération intercommunale (EPCI), ce qui est pour nous le niveau minimal.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - N'est-ce pas un objectif que vous vous étiez fixé pour 2025 ?

M. Olivier David. - Nous l'avons quasiment atteint, du moins si l'on met à part le cas de l'outre-mer. Une concertation a été lancée au début du mois de mai avec les collectivités territoriales pour fixer de nouveaux objectifs et massifier encore davantage le réseau.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous vous remercions et recevrons avec intérêt les éléments complémentaires que vous voudrez bien nous faire parvenir.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition autour de sociétés d'accompagnement à la rénovation énergétique

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête par une table ronde consacrée aux sociétés d'accompagnement à la rénovation énergétique.

Nous sommes heureux de recevoir le Groupement des professionnels des certificats d'économie d'énergie (GPCEE), qui est représenté par Mme Florence Lievyn, membre du bureau et responsable des affaires publiques chez Sonergia. L'entreprise Hellio est représentée par M. Pierre-Marie Perrin, son directeur des affaires publiques. L'entreprise Effy est représentée par sa directrice des affaires stratégiques, Mme Audrey Zermati, ainsi que par son directeur des affaires publiques, M. Romain Ryon. L'entreprise Teksial est représentée par son directeur général, M. Jean-Baptiste Devalland. Le syndicat Symbiote est représenté par Mme Sylvie Charbonnier, sa secrétaire générale. Enfin, l'entreprise Dorémi est représentée par M. Vincent Legrand, son président, ainsi que par Mme Leana Msika, sa responsable des affaires publiques.

Vous pratiquez tous une activité de conseil à la rénovation et à l'efficacité énergétiques, ou bien vous représentez des sociétés positionnées dans ce secteur. Nous avons pu constater, au cours des auditions, le rôle crucial que joue l'accompagnement non seulement des ménages, mais aussi des entreprises, dans la politique de rénovation énergétique des logements. L'accompagnement est souvent indispensable pour se repérer dans le maquis des aides, pour réaliser les opérations les plus adaptées à la situation, ainsi que pour éviter les fraudes.

À cet égard, le nouveau dispositif clé Mon Accompagnateur Rénov' s'est progressivement déployé depuis le début de l'année. Dans quelle mesure avez-vous été associés à sa conception ? Quel regard portez-vous sur ce dispositif, et avez-vous des propositions pour l'améliorer ?

Si l'accompagnement permet d'éviter les fraudes à la rénovation énergétique, des personnes mal intentionnées peuvent néanmoins se faire passer pour des accompagnateurs à la rénovation énergétique. C'est la raison pour laquelle des mesures ont été prises, au cours des dernières années, pour renforcer la lutte contre la fraude, par exemple l'interdiction du démarchage téléphonique dans le secteur de la rénovation énergétique. Ces politiques ont-elles eu un effet sur vos activités ? Selon vous, faudrait-il prendre des mesures différentes pour assurer une meilleure protection face à la fraude ?

L'accompagnement à la rénovation énergétique est souvent associé à MaPrimeRénov', mais il ne faut pas oublier le dispositif plus ancien des certificats d'économies d'énergie (C2E). Or, les C2E sont souvent mis en cause pour leur complexité, y compris pour les publics avertis. Partagez-vous ce constat, et le cas échéant, comment appréhendez-vous cette complexité ?

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et en commençant par le GPCEE, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat. Elle fera aussi l'objet d'un compte rendu publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Florence Lievyn, M. Pierre-Marie Perrin, Mme Audrey Zermati, M. Romain Ryon, M. Jean-Baptiste Devalland, Mme Sylvie Charbonnier, M. Vincent Legrand et Mme Leana Msika prêtent serment.

Mme Florence Lievyn, membre du bureau et responsable des affaires publiques chez Sonergia. - Depuis dix ans, le GPCEE oeuvre comme association représentative du groupement des professionnels des certificats d'économie d'énergie, tout particulièrement des délégataires en économie d'énergie.

Les délégataires sont le trait d'union entre le bénéficiaire et l'obligé. Ils constituent donc un acteur incontournable dans la chaîne de traitement des certificats d'économies d'énergie.

Les C2E ont été le premier mécanisme financier d'accompagnement de la rénovation énergétique à être mis en place en France. Ils représentent entre 5 milliards et 6 milliards d'euros de financement par an, consacré à l'efficacité énergétique. Le mécanisme couvre six secteurs et s'étend donc au-delà de la rénovation énergétique ; toutefois, quelque 3 milliards d'euros sont consacrés à celle-ci chaque année.

Ce dispositif apparaît souvent complexe et est parfois associé à la fraude et à l'éco-délinquance. Pourtant, nos voisins ne s'y sont pas trompés et l'Espagne a très récemment fait le choix de ce même mécanisme pour financer sa politique publique d'accompagnement à l'efficacité énergétique.

Le premier sujet qu'il convient d'aborder pour répondre à vos questions porte sur la lisibilité du dispositif. En tant que professionnels, nous sommes régulièrement perdus, à cause de la trop grande fréquence des changements qui sont opérés dans les mécanismes d'aide à la rénovation énergétique. Pour accroître l'efficience de la politique de rénovation énergétique, il faudrait limiter à deux changements ou évolutions par an l'ensemble de ces dispositifs et prévoir que les mécanismes entrent en vigueur ou s'arrêtent au 1er janvier et au 1er juillet de chaque année.

Le deuxième sujet concerne l'harmonisation des différents mécanismes. En effet, il n'existe pas moins de sept aides à la rénovation énergétique. Elles sont nécessaires ; dans la mesure où elles ont des sources de financement et des fonds différents, elles ne peuvent pas se substituer l'une à l'autre. En revanche, elles doivent être complémentaires et se rejoindre dans leurs critères d'éligibilité, de délivrance et de contrôle.

Le troisième sujet est celui de l'égalité de traitement. Pour que la politique de rénovation énergétique soit efficace, il faudrait que tous les acteurs concernés soient soumis aux mêmes exigences. Ainsi, les délégataires sont l'une des composantes des producteurs de C2E : ils génèrent 30 % à 40 % des certificats, le reste étant le fait des mandataires et des obligés. Or, à ce jour, le code de l'énergie ne prévoit des contraintes que pour eux, alors que rien ne justifie que les autres producteurs de C2E en soient exemptés. Il y aurait là un changement à opérer, qui aurait un effet significatif, notamment en matière de lutte contre la fraude.

M. Pierre-Marie Perrin, directeur des affaires publiques de Hellio. - L'entreprise Hellio compte 300 salariés, son siège social est à Paris et nous avons une quinzaine d'agences en région. La particularité de l'entreprise est d'être multisectorielle, ce qui signifie que nous accompagnons non seulement les ménages pour la rénovation énergétique de leur maison individuelle, mais aussi l'habitat collectif - les copropriétés et les bailleurs sociaux -, ainsi que les entreprises du tertiaire - l'industrie et les exploitations agricoles. Notre spectre d'intervention, très large, nous permet de mesurer les difficultés dans tel ou tel secteur.

Je souscris aux constats de Florence Lievyn et je veux insister sur la planification. En effet, les délégataires et les acteurs de la rénovation énergétique se retrouvent souvent à attendre une enveloppe financière, que ce soit dans le cadre de MaPrimeRénov' ou des C2E. Une planification pluriannuelle permettrait de connaître l'ensemble des budgets alloués à la rénovation énergétique. La filière doit se structurer et a besoin pour cela d'avoir une visibilité dans le temps. En outre, les fraudes sont liées à des effets d'opportunisme contre lesquels la planification permettrait de lutter efficacement. Il suffirait d'une planification à deux ou trois ans pour rassurer et structurer la filière.

L'anticipation législative et réglementaire doit également être améliorée. Les entreprises délégataires qui accompagnent la rénovation énergétique ont la faculté de s'adapter, mais elles ne peuvent pas le faire du jour au lendemain.

Il faut aussi travailler sur la lisibilité des dispositifs, car l'on confond encore trop souvent l'accompagnement social et l'accompagnement vers une meilleure efficacité énergétique. Qu'il s'agisse de MaPrimeRénov' ou des C2E, les dispositifs ont dépassé leur cible initiale et pratiquent les deux types d'accompagnement, de sorte que l'on ne distingue plus vraiment les missions de chacun. MaPrimeRénov', en tant que dispositif public, devrait principalement s'attaquer au problème des passoires thermiques, pour lequel l'enjeu social et sociétal est fort.

L'efficacité de la politique de rénovation énergétique doit être contrôlée. Or on manque d'outils de mesure pour comprendre où va l'argent public. En effet, comment mesurer les économies d'énergie réelles post-chantier ? L'entreprise Hellio travaille sur ce sujet, car sans outil de mesure pertinent, on avance à l'aveugle. Cela fonctionne déjà dans le secteur tertiaire.

Enfin, le dernier enjeu est celui de la responsabilité. Mon Accompagnateur Rénov' représente un maillon supplémentaire dans le dispositif, qui est essentiel pour aider les gens dans leurs démarches. Toutefois, Mon Accompagnateur Rénov' ne porte pas la responsabilité des économies d'énergie réelles et personne ne le fait dans la chaîne de valeur. MaPrimeRénov' contribue à rénover 700 000 logements par an, mais d'un point de vue qualitatif la responsabilité de la réussite de cette rénovation énergétique n'échoit à personne. Cette question est pourtant fondamentale.

Mme Audrey Zermati, directrice des affaires stratégiques d'Effy. - L'entreprise Effy compte 300 salariés et son champ d'intervention est concentré sur l'accompagnement des particuliers dans la rénovation énergétique du secteur résidentiel : nous intervenons auprès de 100 000 familles par an. Grâce à nos 3 600 partenaires, qui oeuvrent partout en France, nous sommes l'un des leaders dans notre domaine. Nous accompagnons les particuliers de A à Z, depuis la définition du projet jusqu'à la mobilisation des aides, puis à la réalisation et au contrôle des travaux.

Les décisions que vous prendrez à l'issue de cette commission d'enquête pourront faire date. En effet, à l'issue des auditions, il vous reviendra de choisir entre deux voies : faut-il laisser faire les entreprises véreuses qui abusent du système ou bien faut-il encadrer efficacement le système pour qu'il soit vertueux et au service de la collectivité ? Ce choix engagera toute la société en matière de rénovation énergétique.

Les principaux freins à la rénovation énergétique tiennent à la méfiance des particuliers et au dysfonctionnement des aides à cause des abus auxquels elles donnent lieu.

Les dispositifs d'aides ont permis de mettre en mouvement les filières. Ainsi, entre 2019 et 2021, quelque 700 000 chaudières ont été remplacées et plus de 2 millions de logements ont bénéficié de travaux d'isolation ; depuis 2020, des centaines de milliers de travaux ont été réalisés dans le cadre de MaPrimeRénov'.

Toutefois, l'on continue de s'interroger sur le bon calibrage des aides. En effet, quand les aides sont trop faibles, elles ne sont pas assez incitatives, mais quand elles sont trop généreuses, cela finit par coûter trop cher ou par attirer des écodélinquants. Nous ne savons donc pas piloter la politique publique de rénovation énergétique autrement que dans un mouvement de stop and go. On distribue des milliards d'euros, soit 10 milliards d'euros si l'on cumule tous les dispositifs, mais l'on ne sait ni piloter ni contrôler finement la politique publique de rénovation énergétique.

En 2010 déjà, on avait institué un moratoire sur le crédit d'impôt pour développer l'énergie solaire. En 2020, on a interdit le démarchage téléphonique et tenté de mettre fin à l'arnaque sur les CEE pour l'isolation des combles à un euro. Désormais, les arnaques portent sur MaPrimeRénov' et sur les aides à la rénovation globale. Le phénomène n'a rien de récent et on ne peut pas continuer de l'ignorer.

En réalité, les abus ne sont pas liés aux dispositifs ou à la typologie des travaux, mais au manque d'ambition que l'on s'est donné pour piloter et contrôler la politique de rénovation énergétique. Nous n'avons eu de cesse de lancer l'alerte depuis dix ans au sujet de toutes ces fraudes. Nous le faisons encore aujourd'hui encore sur la rénovation globale. On nous a systématiquement opposé la complexité du système, le trop grand nombre d'acteurs et le manque de moyens.

Voilà pourquoi nous tenions à vous faire des propositions sur le renforcement de la coordination interministérielle pour un meilleur pilotage des aides, de leur redistribution et des boucles de rétroaction pour mieux les contrôler. Il faudrait mettre en place une task force interministérielle pour piloter la politique de rénovation énergétique.

Nous souhaitons aussi que l'on crée une police de la rénovation énergétique, dotée d'un budget à la hauteur des enjeux : sur les 10 milliards d'euros d'aides allouées, il suffirait de prélever le 1 % contrôle.

Le dispositif Mon Accompagnateur Rénov' est intéressant, mais ne suffira pas à enrayer le fléau. Il faut mettre un terme au laisser-faire pour ne pas devenir complice des entreprises véreuses.

M. Vincent Legrand, président de Dorémi. - L'entreprise Dorémi n'accompagne pas les ménages, mais les artisans. C'est une entreprise de l'économie sociale et solidaire qui travaille depuis 2011 à la mise en place de rénovations performantes. Le calage du curseur pour distinguer la rénovation performante de la rénovation énergétique est important.

Notre entreprise a été pionnière, il y a une douzaine d'années, en structurant des formations sur chantier pour les artisans. Ce travail a été majeur pour que les différents corps de métier puissent échanger entre eux et mettre en oeuvre de manière pratique des solutions pour diminuer la consommation énergétique dans les bâtiments : les menuisiers ont ainsi pu parler aux plaquistes, aux ventilistes ou bien encore à ceux qui travaillent sur les toitures.

En outre, il fallait renforcer la confiance des ménages. Pour ne pas mélanger les genres, nous avons préféré intervenir en amont pour former des accompagnateurs au niveau local, dans le cadre du dispositif Mon Accompagnateur Rénov'. Il nous est alors apparu que l'un des enjeux principaux était d'orienter les ménages dans le maquis des aides. Nous avons donc créé des outils de simplification à destination des ménages.

Enfin, nous avons mis en place un suivi qualité sur les chantiers pour nous assurer que les travaux prévus initialement ont abouti à rendre la maison performante.

Notre entreprise se positionne sur la rénovation performante et principalement globale.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - La rénovation performante a donné lieu à des débats nourris lors de l'examen du projet de loi Climat et résilience.

M. Vincent Legrand. - Une rénovation performante permet aux ménages d'avoir un logement de classe A ou B, et éventuellement C dans le cas des passoires énergétiques. La rénovation globale permet d'atteindre ce niveau de performance en une seule fois, c'est-à-dire en moins de dix-huit mois.

Ce type d'approche contribue à réduire la consommation de chauffage des ménages en la divisant par quatre, voire par dix. Grâce aux aides appropriées et aux réductions de consommation, nous parvenons à construire un modèle économique vertueux pour les ménages. Le coût des rénovations se situe autour de 70 000 à 80 000 euros, les montants ayant fortement augmenté après la période de la crise covid.

Par conséquent, de notre point de vue, pour que la politique publique de rénovation énergétique soit efficace, il faut veiller à bien caler le curseur des aides pour le bon niveau de performance.

Or, les mécanismes financiers de l'État font référence à des niveaux de consommation qui ne sont pas cohérents avec les critères des classes A, B et éventuellement C, tels qu'ils sont définis dans le code de la construction. Cela crée de la confusion : il faut donc simplifier le dispositif et adopter les critères fixés dans le code de la construction.

S'agissant des aides, le choix des dispositifs est vaste, mais s'il s'agit de mobiliser l'écoprêt à taux zéro, les ménages très modestes n'y ont pas accès, la démarche est très complexe pour les ménages modestes et elle exige, pour les ménages aisés et intermédiaires, plusieurs mois de négociation. La question se pose donc de savoir dans quelle mesure la politique publique peut inciter davantage les acteurs bancaires à s'orienter vers cette approche. En tout cas, il faut travailler sur l'harmonisation des aides, pour offrir une continuité et une lisibilité aux ménages. Ce n'est pas l'orientation qui semble retenue pour le projet de loi de finances (PLF) pour 2024, celui-ci comprenant une nouvelle évolution de MaPrimeRénov', mais pas de l'ensemble des dispositifs.

Par ailleurs, l'accompagnement est insuffisamment orienté vers la performance énergétique. Si l'on ne montre pas aux ménages l'intérêt d'avoir un niveau de consommation correspondant au label BBC - bâtiment basse consommation - et le cheminement pour y parvenir, ceux-ci continueront de demander des changements de fenêtres ou de chaudières. Alors qu'il faut orienter le référentiel des accompagnateurs Rénov' vers la performance, nous sommes inquiets de voir qu'aucune formation n'est prévue, aujourd'hui, pour ces accompagnateurs.

Autre difficulté, le fait de devoir débourser de l'argent avant même le début des travaux est encore mal accepté en France. Pour que l'accompagnement puisse décoller, il faudra donc, en tout cas au démarrage, assumer une intervention forte des pouvoirs publics pour aider les ménages. Or cela ne semble pas être la logique retenue à l'heure actuelle.

J'en viens au choix du volume de travaux financés par les aides. Le fait que trois quarts des C2E concernent l'installation de pompes à chaleur - alors que, selon un rapport de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) de 2021, consacrer la première étape de la rénovation à un changement de chaudière est le plus mauvais choix que l'on puisse faire - démontre un problème de positionnement. Les certificats d'économies d'énergie doivent pouvoir être utilisés sur des bouquets de travaux orientés vers le besoin véritable, à savoir l'effondrement des factures de chauffage. Ayant constaté que les calculs conventionnels utilisés dans les audits réalisés en lien avec le diagnostic de performance énergétique (DPE) aboutissent à une infinité de solutions, qui ont tendance à perdre les artisans, les ménages, voire les accompagnateurs, nous avons, pour notre part, fait le choix de nous appuyer sur des bouquets de travaux précalculés. Ces derniers facilitent grandement la préconisation de travaux par l'auditeur et leur appropriation par tous. Il faudrait faire en sorte que les aides s'appuient sur de tels bouquets.

S'agissant, enfin, de la problématique des fraudes, nous travaillons avec un réseau de 70 à 80 formateurs experts, répartis sur le territoire national et qui, avec le temps, deviennent contrôleurs. D'après nous, il est possible de faire d'une pierre deux coups, en menant une politique publique de formation et de montée en compétences des opérateurs de travaux d'une part, et, d'autre part, en faisant en sorte que les formateurs puissent devenir contrôleurs à l'échelon national. Il nous semble que l'enjeu, ici, est de s'assurer que les suivis qualité participent bien à l'atteinte de l'objectif de performance des rénovations.

M. Jean-Baptiste Devalland, directeur général de Teksial. - Teksial est une société de services en efficacité énergétique, forte de 300 collaborateurs, délégataire C2E, mandataire de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) pour MaPrimeRénov' et membre du GPCEE. Nous proposons un accompagnement de bout en bout des projets de rénovation énergétique, en apportant des services à chacune des grandes étapes de ces projets : l'évaluation initiale de la performance thermique du logement ; l'expertise technique des travaux ; la recherche de solutions de financement ; le respect de la qualité et de la conformité des travaux.

Je voudrais évoquer trois enjeux clés, à mes yeux, pour accélérer le mouvement actuel, le premier visant à améliorer le dispositif existant, le deuxième à mieux l'accompagner et le troisième à le compléter.

Premier enjeu, il faut garantir aux ménages des rénovations réellement efficaces. C'est indispensable pour atteindre les objectifs fixés, tant à l'échelle nationale qu'à l'échelle européenne, et renouer avec la confiance des ménages. Pour atteindre ce premier objectif, il faut intégrer progressivement des obligations de résultat en matière d'économies réelles - et réellement mesurées. On pourrait, par exemple, étendre aux ménages le principe de rénovation performante ou de contrat de performance énergétique existant dans le domaine industriel. Autre piste, afin de bien s'assurer que les travaux sont adaptés à chaque logement, il faut recourir plus systématiquement aux audits ou évaluations thermiques des logements, ce qui suppose que ceux-ci soient de qualité et que, par le biais d'aides, ils ne soient pas à la seule charge des ménages. Enfin, il faut redonner confiance aux Français dans le dispositif : si les pouvoirs publics ont déjà beaucoup fait dans la lutte contre la fraude, avec un accroissement des contrôles, on peut aller plus loin en renforçant les contrôles sur les habilitations et les renouvellements d'accréditation des acteurs de la rénovation énergétique.

Deuxième enjeu, il faut une offre d'accompagnement à la fois claire et complète pour inciter les ménages à réaliser les travaux. Je vous livre à cet égard deux chiffres issus du baromètre de la rénovation énergétique que nous réalisons chaque année : 78 % des Français sont incapables de citer une offre de rénovation et 73 % d'entre eux souhaiteraient la mise en place d'un guichet unique. La demande est donc réelle. Cette lisibilité de l'offre d'accompagnement nécessite une stabilité de l'ensemble du dispositif, qu'il s'agisse des aides à strictement parler ou du cadre réglementaire.

Troisième enjeu, il faut compléter le dispositif pour améliorer le financement du reste à charge. Nous nous accordons tous sur le fait que les dispositifs d'aide ne peuvent pas tout faire, et même qu'ils ne le doivent pas, des restes à charges trop faibles créant des contextes extrêmement « fraudogènes ». Cela étant, il faut tout de même pouvoir financer le reste à charge, très élevé dans certaines opérations. Or le nouvel écoprêt à taux zéro (éco-PTZ) ou le prêt avance rénovation ont du mal à décoller. Nous attendons donc des avancées des discussions actuellement en cours entre les pouvoirs publics et le secteur bancaire.

Améliorer l'efficacité, proposer un accompagnement clair tout au long du projet et renforcer le financement du reste à charge, tels sont donc les trois enjeux qui me paraissent essentiels.

Mme Sylvie Charbonnier, secrétaire générale du syndicat Symbiote. - Symbiote est un syndicat multibranche regroupant les acteurs de la filière avale : installateurs, industriels, entreprises, artisans, délégataires, bureaux d'études et architectes. Nous pouvons donc, me semble-t-il, vous livrer un retour de terrain pertinent.

Sans revenir sur ce qui a déjà été dit, je pense que la fin brutale des aides, sans délai ni planification, a été un coup d'arrêt pour l'ensemble de la filière. Nous avions demandé, afin de pouvoir structurer économiquement cette dernière, à bénéficier d'un délai d'un an dans le cadre de la bascule des aides par geste vers la rénovation globale. Malheureusement, il a été mis fin aux aides dès le mois suivant et nous sommes en train de vivre la même chose, avec un changement de pied prévu sous moins d'un mois pour le « coup de pouce » lié à la rénovation globale. L'instabilité quasi permanente, soit des montants d'aides, soit des arrêtés sur les dispositifs de C2E, est incompréhensible pour le public, mais aussi pour les entreprises, les uns comme les autres étant découragés et ne comprenant plus vraiment l'importance de la sobriété énergétique. Pourquoi, si tel est le cas, a-t-on mis fin, dans le cadre de MaPrimeRénov', à toutes les aides à l'isolation pour les revenus dits « supérieurs » à compter de janvier 2023 ? Pourquoi n'avons-nous pas été entendus lorsque nous avons demandé, à l'arrêt des « coups de pouce » pour les combles et planchers, une réintégration dans MaPrimeRénov' ?

Nous pensons, nous aussi, qu'il faut une cohérence entre MaPrimeRénov' et les C2E, mais nous militons également depuis plusieurs années pour que ce que l'on appelle « rénovation globale performante » corresponde bien à ce qui a été retenu dans le code de la construction et de l'habitation, c'est-à-dire le niveau BBC.

Nous estimons par ailleurs, en particulier pour les maisons individuelles - on en dénombre environ 15 millions en France et elles sont très présentes en milieu rural, où il y a peu de bureaux d'études et peu d'architectes -, que des combinatoires de travaux précalculés sont de nature à permettre des rénovations globales performantes, tout en apportant de la simplicité et une bonne lisibilité. Les entreprises sont parfaitement capables d'effectuer une bonne évaluation technique du bâtiment, mais les combinatoires de travaux, la feuille de route couvrant l'ensemble des travaux d'une maison peut être écrite d'entrée de jeu, avec le DPE.

Cela permettra, comme cela a été souligné, d'arrêter de réaliser des travaux isolément et à l'envers. Aujourd'hui, 70 % des primes délivrées par l'Anah concernent des pompes à chaleur et il n'y a plus de travaux d'isolation, alors que, on le sait, ceux-ci permettent de réduire les consommations d'énergie et les émissions de gaz à effet de serre pour plusieurs décennies. Nous militons donc pour que l'on puisse établir des fiches de rénovation globale performante par bouquets de travaux, en moins de trois étapes, avec des financements à la hauteur des enjeux.

S'agissant du financement, les calculs sur le site MaPrimeRénov', c'est juste cornélien ! J'ai encore eu récemment l'exemple d'un particulier qui en est à 20 mois d'attente pour le remboursement d'aides : il a attendu 6 mois qu'un Accompagnateur Rénov' passe constater les travaux et, maintenant que son dossier a été déposé sur la plateforme, il ne connaît toujours pas la date ni le montant du règlement à venir. En attendant, l'entreprise lui a avancé l'argent, cette pratique d'avance de trésorerie étant très fréquente en milieu rural, avec le risque que, si l'aide ne correspond pas à ce qui était prévu, l'entreprise ait à endosser l'écart.

Donc, MaPrimeRénov', c'est un guide de 45 pages pour comprendre le dispositif, des calculs tout à fait terribles, et tout cela pour aboutir à un reste à charge oscillant entre 16 000 et 28 000 euros, que les plus précaires ne peuvent absolument pas supporter. On ne peut pas s'en sortir ! Il faudrait trouver un mécanisme de financement par avances remboursables, peut-être par le biais de la Caisse des dépôts et consignations, de la Banque des territoires, voire d'une structure ad hoc. Sans cela, il faut que les banques jouent le jeu de l'éco-PTZ !

J'insiste sur cela : il n'y a pas de financement de la rénovation globale, alors même que la conduite de projets de rénovation globale performante est le seul moyen d'atteindre les objectifs de réduction des consommations et des émissions de gaz à effet de serre, tout en redonnant à long terme du pouvoir d'achat aux ménages.

Parallèlement, il faut des dispositifs corrects de contrôle et de lutte contre la fraude. Aujourd'hui, plus de 20 mois sont nécessaires pour traiter un dossier ; plusieurs personnes interviennent pour comparer des signatures, des papiers à en-tête, des rubriques du label « reconnu garant de l'environnement » (RGE) ou des numéros Siret, autant de tâches qu'il est parfaitement possible d'accomplir par le biais de l'intelligence artificielle et de systèmes de chaînes de blocs. Pourquoi ne recourt-on pas à ces systèmes pour « assouplir » la surveillance administrative et employer l'argent ainsi économisé à financer les audits énergétiques et les évaluations techniques préalables ou mener de véritables contrôles de qualité ?

Je voudrais par ailleurs évoquer un dispositif qui fonctionne très bien, celui des maisons France Services, hébergées dans les mairies. Les particuliers qui se présentent sont accompagnés par une personne du village ou de l'intercommunalité qu'ils connaissent : ils sont donc en confiance ; les accompagnateurs sont tout à fait compétents pour aider à remplir les dossiers, notamment sur les plateformes ; ils connaissent également très bien les entreprises locales, qu'ils distinguent parfaitement d'autres venues d'ailleurs. Pourquoi, donc, ne pas faire intervenir ces maisons France Services dans l'élaboration des dossiers, l'évaluation du niveau d'aide nécessaire et le suivi ? Je précise, en passant, que l'aide ne doit plus évoluer une fois le dossier accepté...

Vous l'aurez compris, mesdames, messieurs les Sénateurs, nous sommes prêts à participer à toutes les commissions que vous souhaiterez et à être force de propositions.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Vous êtes nombreux à avoir évoqué la planification et la lisibilité. Sachez que c'est un point très partagé ; il est ressorti de la plupart de nos auditions, y compris dans la bouche de différents ministres ayant été en exercice au cours des dix dernières années.

Vous avez soulevé la question de savoir comment s'orienter vers la rénovation globale - une « véritable » rénovation globale -, quand, aujourd'hui, les aides sont plutôt dirigées vers une rénovation par geste. Vous avez également tous parlé d'un accompagnement qui permettrait aux ménages d'avoir une bonne lisibilité sur ce qui est à faire, sur les différentes étapes. Sur ce point, l'idée de bouquets de travaux précalculés m'apparaît tout à fait intéressante. Elle m'évoque notre déplacement, voilà quelques semaines, dans la métropole grenobloise où l'on développe un dispositif - le dispositif Mur Mur - s'inscrivant dans ce même type de démarches.

Cette observation m'amène à l'outil incontournable qu'est devenu le DPE. On pourrait aussi penser à un système plus simple, dans lequel on chercherait, en s'appuyant sur ce genre de bouquets de travaux, comment passer d'un niveau de classement DPE à un autre. Quels sont vos retours sur cet outil ?

S'agissant du contrôle de la qualité et du suivi des réalisations, on nous a beaucoup parlé d'un contrôle en fin de chantier qui se rapprocherait du dispositif de l'attestation Consuel dans le domaine de l'électricité. Pourrait-on envisager de recourir à un tel mécanisme pour valider des travaux de rénovation en vue du versement d'aides ?

Par ailleurs, tel qu'on nous l'a décrit en audition, Mon Accompagnateur Rénov' apporterait un véritable service de maîtrise d'oeuvre, pour des prestations allant de 1 500 à 2 000 euros. Cela pose la question du financement et du reste à charge, mais il me semble aussi que des acteurs remplissent déjà ces fonctions de maîtrise d'oeuvre et, donc, qu'il manque plutôt un niveau intermédiaire, capable, notamment, d'assurer cette orientation vers les bouquets précédemment mentionnés. Cela rejoint les propos sur les maisons France Services : oui, celles-ci présentent beaucoup d'intérêt, mais au Sénat, nous avons bien conscience qu'elles sont aussi le fruit d'un transfert de charges de l'État vers les collectivités territoriales, ce qui soulève des questionnements en termes de financement.

Mme Leana Msika, responsable des affaires publiques de Dorémi. - Jusque récemment, les bouquets de travaux précalculés étaient assez confidentiels et assez peu connus. Pour nous, ils constituaient avant tout un outil d'atteinte de la performance : il s'agissait de s'assurer que, indépendamment de la solution choisie, la rénovation permettait bien au bâtiment d'atteindre une classe A ou B. On voit désormais que ces bouquets peuvent, de manière transversale, répondre aux différents enjeux, notamment ceux qui concernent le calibrage des aides et l'éviction des fraudes. C'est le retour que nous avons eu, par exemple, de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), qui le perçoit comme pouvant apporter une aide majeure dans la lutte contre les fraudes, notamment par falsification des étiquettes DPE ou des économies d'énergie réalisées.

Le fait de combiner ces éléments sécurise vraiment l'efficacité de la politique de rénovation. C'est majeur : beaucoup d'argent est mis sur les DPE et les audits ; or nous constatons que nous réussissons à faire des rénovations BBC sans audit. Les bouquets précalculés permettent de réaliser des économies publiques majeures. On est obligé de passer par les audits pour bénéficier des aides, mais ils ne guident malheureusement pas vers les bouquets de travaux les plus performants. Bien souvent, les préconisations des DPE et des audits tombent à côté de la performance.

S'il est difficile de faire table rase de ces outils, il est en revanche assez facile de former les diagnostiqueurs, les auditeurs et les Accompagnateurs Rénov' à ces bouquets de travaux. Rien ne les empêche de faire des calculs, mais il faut que les préconisations soient valides au regard des bouquets de travaux. Cela limitera, dès l'amont, les fraudes.

Si l'on sait quel bouquet de travaux on a choisi, on saura quoi contrôler. Les contrôles doivent aussi avoir lieu pendant le chantier, et pas seulement à la fin. C'est ainsi que nous réalisons des tests intermédiaires d'étanchéité à l'air avant finition et pose du placoplâtre et des enduits. Cela permet aussi aux artisans d'apporter des correctifs. C'est aussi l'enjeu d'un contrôle qui n'est pas qu'une sanction, qui permet également la montée en compétences de la filière. Les contrôles intermédiaires permettent ainsi d'identifier avec le contrôleur les points à améliorer, d'en faire bénéficier les ménages et d'aboutir à une rénovation plus performante.

Les différents types de bouquets peuvent donc vraiment simplifier et fiabiliser les rénovations.

Mme Sylvie Charbonnier. - Quand on parle de bouquets de travaux, il s'agit de combinatoires de performances - parois, système de chauffage, production d'eau chaude sanitaire, étanchéité à l'air des logements, etc. Il s'agit d'une performance que l'on retrouve dans l'étiquetage des produits, dans leur normalisation ou dans leur certification.

On peut commencer par la toiture, ou par les planchers ; on peut ainsi élaborer des parcours qui traitent toutes les parois. Si l'on isole les murs, il faut isoler aussi les fenêtres et mettre en place une ventilation. Des combinatoires précalculées de travaux par zone climatique existent avec deux, trois ou quatre postes de travaux. Je suis contente de constater que la DGEC approuve désormais ces combinatoires ; tel n'était pas le cas il y a cinq ans...

Il serait souhaitable de supprimer la valeur limite de 330 kilowattheures d'énergie primaire de MaPrimeRénov' et de la fiche C2E sur la rénovation globale. Aujourd'hui, on considère qu'une rénovation performante doit se situer en dessous de cette valeur par mètre carré, c'est-à-dire en dessous de la classe E. C'est la valeur retenue par la loi pour interdire la location des logements qui dépasseraient cette norme. Mais quand on fait une fiche de rénovation globale avec comme limite la classe E, le signal n'est pas très positif.

On nous dit aussi qu'il faut gagner 35 % d'économies d'énergie. Mais si l'on part de 700 kilowattheures, on arrive entre D et E. Nous militons pour que la fiche sur la rénovation globale performante puisse comporter plusieurs niveaux, dont la classe C, qui est parfois le mieux que l'on puisse faire pour certains bâtiments, et la classe B. Il faut donner la possibilité soit de faire des calculs - toutes les méthodes sont conventionnelles -, soit d'appliquer des combinatoires de travaux. Si les niveaux de performance en kilowattheures attendus et les moyennes atteintes avec les combinatoires étaient inscrits dans un arrêté, nous saurions quoi contrôler et cela serait plus pédagogique.

Il conviendrait aussi de faire un copier-coller de MaPrimeRénov', car ses critères ne sont pas les mêmes que ceux des C2E. On pourrait simplifier. Publier des combinatoires précalculées avec les niveaux de performance devrait permettre aux entreprises de savoir quelles subventions pourront être demandées. Les entreprises du bâtiment ne sont pas des voyous. N'attendons pas que les entreprises Qualibat aient leur RGE - il y a deux ans de retard pour obtenir le label !-, sinon elles auront mis la clé sous la porte avant. Ensuite, faisons des contrôles pertinents et des audits.

Pour 500 000 rénovations annuelles, nous devrions former et installer plus de 50 000 maîtres d'oeuvre supplémentaires : cela prendra du temps ! Il nous faut donc trouver d'autres solutions. Je ne suis pas contre la maîtrise d'oeuvre, au contraire. En ville et en zone suburbaine ça va, mais à une heure de là, plus rien...

Il va donc nous manquer 50 000 Accompagnateurs Rénov', à la disposition de l'Anah locale, pour réaliser 500 000 rénovations annuelles, alors que l'objectif est de 700 000... Avec les combinatoires de travaux et une feuille de route fiable, on peut surveiller. La méthode de calcul des consommations conventionnelles des logements (3CL) n'est pas plus mauvaise qu'une autre...

Mme Audrey Zermati. - Je ne comprends pas ce vieux débat entre rénovation globale et rénovation par geste : cela nous enferme dans une opposition systématique et dangereuse. Une rénovation qui ne serait pas globale ne serait-elle pas performante ? On voit pourtant qu'en ayant traité les combles perdus chez les ménages très modestes à l'époque du un euro, on a réussi à leur faire faire 30 % d'économies, c'est performant pour le ménage, qui sent la différence.

En revanche, nous devons mesurer l'efficacité des aides : la situation est-elle meilleure avec l'aide que sans ? Or aujourd'hui il n'y a pas de véritable cohérence dans les aides par rapport au parcours. Dans un projet par geste - changement de chauffage, isolation -, on peut conseiller de réaliser un audit, d'isoler les combles, les sols, les fenêtres, les murs, toute l'enveloppe, avant de changer le système de chauffage.

Malheureusement, rien dans les aides n'encourage à s'engager dans un tel parcours cohérent. Notre système est donc concentré, d'une part sur la question du changement de chauffage - essentiellement des pompes à chaleur -, car nous avons un objectif de massification, et d'autre part sur des rénovations globales - avec des enveloppes budgétaires conséquentes. Mais entre les deux, il n'y a rien. Certains peuvent pourtant vouloir procéder par étape, dans l'ordre, et le résultat sera performant. Il est rare que quelqu'un se réveille un beau matin en se disant qu'il va se lancer dans une rénovation globale...

Le meilleur moment pour proposer une rénovation globale, c'est la transaction : soit la mutation - 800 000 ventes par an -, soit la mise en location. En effet, le prêt ou le déficit foncier permettent alors le financement et le bien n'est pas encore occupé. Avec l'audit obligatoire au moment de la vente et l'interdiction de location des passoires thermiques, on commence à opérer un tel ciblage.

Gaz, électricité, pompe à chaleur, rénovation globale : les gens sont perdus par ces raisonnements trop binaires et dogmatiques. Il faut de la complémentarité.

Nous accompagnons des rénovations globales : cela prend plus de temps et nous en faisons beaucoup moins - une cinquantaine actuellement. Mais nous proposons aussi des gestes et incitons fortement les ménages à les réaliser dans le bon ordre.

Nous avons observé une dérive ces dernières années : les contrôles - notamment des C2E - ont été privatisés. Les entreprises privées financent les contrôles via les bureaux de contrôle et sont donc juges et parties. Cela explique les dérives que vous connaissez. Il faut renationaliser les contrôles et la puissance publique doit reprendre la main. Cela suppose des budgets. Il faut donc un opérateur public de contrôle et réaliser beaucoup plus de contrôles, notamment sur site pour vérifier la qualité des travaux, sans se contenter d'appeler les particuliers pour vérifier qu'ils existent bien et qu'ils ont bien réalisé des travaux.

S'agissant de Mon Accompagnateur Rénov', nous avons été très associés aux travaux de M. Sichel. Cela va dans le bon sens, mais cela pose une question de périmètre, car il a été décidé que Mon Accompagnateur Rénov' serait obligatoire dans le cas des rénovations globales débouchant sur des économies d'au moins 35 % et réalisées par les ménages modestes et très modestes. Cet accompagnement est nécessaire, car il s'agit des personnes les plus vulnérables face aux écodélinquants. Mais cela existait déjà avec l'Anah Sérénité.

Il y a ensuite les ménages aux revenus intermédiaires et hauts revenus qui souhaitent réaliser une rénovation globale : ils n'ont pas forcément besoin du même type d'accompagnement. La loi prévoit donc que Mon Accompagnateur Rénov' n'est pas obligatoire dans ce cas.

Enfin, Mon Accompagnateur Rénov' serait obligatoire à compter de septembre dès lors que l'on sollicite 10 000 euros de MaPrimeRénov' pour des travaux simultanés ou étalés sur moins de trois ans. Cette nouvelle condition complexifie énormément le parcours du particulier. Imaginons un particulier qui isole ses murs par l'extérieur pour 7 500 euros - 100 mètres carrés à 75 euros du mètre carré -, sans Mon Accompagnateur Rénov', car il est en dessous des 10 000 euros ; moins de trois ans plus tard, s'il sollicite une aide pour une pompe à chaleur, cette deuxième aide va être conditionnée au parcours Mon Accompagnateur Rénov', avec un audit, un contrôle de cet audit, un contrôle post-travaux, etc. On entre alors dans un système très complexe ; or le premier frein à la réalisation de travaux par les particuliers, c'est la complexité. En entrant dans le parcours Mon Accompagnateur Rénov', des travaux qui initialement auraient pris un ou deux mois, vont durer trois à cinq mois supplémentaires, car ce n'est pas Mon Accompagnateur Rénov' qui exécute les travaux. On va complexifier, là où on avait voulu massifier. Certes, la massification fait apparaître des dérives, mais attention cependant à ne pas rendre beaucoup plus complexe ce qui l'est déjà suffisamment pour le particulier.

M. Pierre-Marie Perrin. - N'oublions pas un acteur clé de la chaîne de valeur : le notaire, qui a une connaissance très fine des particuliers qu'il accompagne. Son rôle est crucial, au moins dans la validation et le stockage des documents. Il existe déjà une blockchain notariale pour le suivi des dossiers des particuliers. Les notaires, qui sont officiers publics assermentés, ont la légitimité pour accompagner la rénovation énergétique.

Énormément de contrôles sont réalisés a posteriori. Les délégataires C2E sont extrêmement soumis à ces contrôles, mais il faudrait les étendre aux diagnostiqueurs et aux auditeurs et que les filières professionnelles comme Qualibat puissent diligenter des contrôles sur leurs propres professionnels afin de les encadrer et d'éviter les dérives.

Sur le suivi des réalisations, nous avons besoin d'outils de calcul et de suivi des consommations dans les logements afin de garantir une rénovation globale performante.

Nous risquons un surcoût financier avec Mon Accompagnateur Rénov'. Il doit être en même temps expert financier, expert social, psychologue et entrer dans l'intimité des ménages. Comment former 50 000 personnes ? Qui, in fine, portera la responsabilité des économies réelles d'énergie ? Les ménages ne pourront pas se retourner vers l'Accompagnateur Rénov' si les travaux ont été mal réalisés ou si les économies d'énergie attendues ne sont pas au rendez-vous... Quelle est la meilleure personne pour porter la responsabilité de l'efficacité de ces chantiers ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - L'avez-vous identifiée ?

M. Pierre-Marie Perrin. - Oui, nos entreprises qui accompagnent et qui connaissent l'ensemble de la chaîne de valeur engagent leur responsabilité financière et sur les réseaux sociaux. Toutes les entreprises présentes ici jouent cartes sur table, avec des avis vérifiés sur Google. L'opinion nous regarde et peut nous noter. Nous faisons des préconisations, que nous assumons, et si cela ne fonctionne pas, nous subissons des pénalités financières. Nous assumons cette responsabilité, nous nous engageons et nous sommes payés pour ce service.

Un encadrement et des contrôles fins, stricts et précis sont nécessaires, sans forcément aller jusqu'à une police de la rénovation énergétique.

Faisons confiance aux entreprises du privé pour la rénovation énergétique. Nous avons besoin d'être considérés. Les délégataires C2E pourraient être labellisés Mon Accompagnateur Rénov', mais nous ne constatons aucune réelle volonté de nous accompagner dans cette labellisation. N'ayez pas peur du privé et travaillons ensemble ! Le partage des connaissances et des données nous permettra d'avancer dans le bon sens.

Mme Florence Lievyn. - Les Français font des travaux de rénovation une à deux fois dans leur vie. Attention à ne pas décevoir : si on ne trouve pas d'Accompagnateur Rénov', si ses délais d'intervention sont trop longs, si les entreprises ne sont pas disponibles, si la prime met du temps à être versée... Méfions-nous des effets d'annonce qui feraient miroiter à partir du 1er septembre un dispositif dont on n'aurait pas cerné toutes les conséquences, y compris psychologiques, pour les Français.

De nombreux particuliers attendent encore le retour des offres à un euro, qui ont profondément marqué les esprits. Les ménages vont être accompagnés de A à Z, et c'est une bonne chose : ainsi, nous allons arrêter de faire croire que la réalisation des travaux c'est la fin de l'histoire : non, au contraire, c'est le début de la nouvelle histoire ! Des gestes de sobriété vont découler de cet accompagnement.

Sommes-nous prêts pour le lancement ? Sinon, il faut envisager le report. Il nous manque encore des informations sur le coût de la prestation et du soutien, à quelques mois du début de la prestation... Dans ces conditions, comment des acteurs économiques peuvent-ils être en mesure de construire une offre adaptée ?

Le point crucial, c'est l'état des lieux. Sans une bonne photographie de la situation initiale, il est malheureusement assez facile de tricher. Sur les C2E, l'état de lieux va conditionner le montant de l'aide. Il faut arrêter de conditionner les aides aux résultats des audits et des DPE, ou alors il faut organiser beaucoup plus de contrôles.

Il demeure une importante mésinformation sur le DPE, qui ne correspond pas toujours à la consommation énergétique. Les ménages nous le disent. Le DPE donne une image de la consommation conventionnelle : ne lui faisons pas porter ce qu'il n'est pas.

Le carnet d'information du logement (CIL) est un outil fondamental. Il est entré en application cette année, mais on en parle peu et les Français ne le connaissent pas. C'est pourtant un outil utile dans les parcours de travaux. La loi avait des ambitions, perdues en cours de route, mais une nouvelle loi de programmation se profile. C'est peut-être l'occasion d'en rehausser les ambitions, car nous avons besoin de suivi et de traçabilité.

Nous devons aussi aller jusqu'au bout de la démarche de digitalisation, ce qui rejoint la question des contrôles. Alors qu'un même chantier peut être contrôlé cinq fois - au titre du RGE, du C2E, de MaPrimeRénov', par le pôle national des certificats d'économies d'énergie (PNCEE), par Habitat Plus...-, d'autres ne le sont jamais. Nous avons interrogé les organismes concernés en suggérant une rationalisation. Il nous a été répondu que les systèmes informatiques n'étaient pas compatibles...

M. Jean-Baptiste Devalland. - L'accompagnement est le facteur clé de l'accélération. C'est un métier nouveau, qui reste à structurer, et un métier complet, qui agrège plusieurs briques de service. Il s'appuie sur un engagement de qualité, de satisfaction client et de respect de la réglementation, ce que font déjà nos sociétés d'accompagnement à la rénovation énergétique.

Bien sûr, nous devons encore renforcer nos garanties. Un cadre réglementaire très strict existe, sur le statut de délégataire, sur la qualification en matière d'audit, sur les organismes de contrôle... Pour rassurer les Français, il faut renforcer le contrôle de ces qualifications, au moment de leur obtention, mais aussi au moment de leur renouvellement - par exemple pour le RGE. On peut donc imaginer des contrôles plus fréquents et des sanctions plus importantes en cas de non-respect du cadre réglementaire. C'est un élément clé de la confiance des Français.

Mon Accompagnateur Rénov', le DPE et l'audit sont des briques de cet accompagnement. Ces professions sont extrêmement réglementées ; encore faut-il s'assurer que ces réglementations soient respectées.

M. Franck Montaugé. - Vous parlez d'efficacité, voire d'efficience, énergétique. Vous engagez-vous à l'égard de vos clients ? Le prix de vos prestations est-il indexé sur la performance finale ? Comment élaborer un engagement de performance réparti entre tous les acteurs de la rénovation énergétique ?

J'ai fait partie des premiers à parler de blockchain, il y a bien longtemps. Avez-vous des exemples ?

M. Vincent Legrand. - Nous travaillons depuis une dizaine d'années sur des rénovations performantes et suivons les consommations. Un rapport d'Effinergie, publié l'an dernier et élaboré dans le cadre d'un projet de recherche lancé par l'Ademe sur le suivi des consommations, confirme que l'on atteint les consommations prévues.

Il faut cependant faire attention au type de bâtiment : la politique publique et l'engagement de performance ne peuvent pas être de même nature que l'on considère le grand tertiaire ou la maison individuelle.

Les outils de politique publique pour la maison individuelle, le grand collectif ou le grand tertiaire doivent être dissociés : c'est ce que montre le rapport d'il y a quelques mois de l'Ademe sur le financement de la performance des logements. Or la politique publique actuelle ne différencie pas suffisamment entre les parcs.

Le parc de maisons individuelles est le plus consommateur : 10 % de la consommation énergétique française concerne le chauffage des maisons construites avant 1975 ; c'est un gouffre énergétique. Nous ne savons pas encore nous engager au même niveau que sur le tertiaire, car les pratiques de consommation sont très différentes selon les ménages. En revanche, nous savons nous engager sur l'outil livré aux ménages à la fin des travaux.

M. Franck Montaugé. - Vous prenez donc des engagements de performance ? Cela vous paraît-il une voie de progrès intéressante ?

M. Vincent Legrand. - Exiger dans les deux ou trois prochaines années des niveaux de performance en maison individuelle, avec la sociologie actuelle de nos entreprises artisanales, c'est la garantie de ne plus avoir d'entreprise qui fasse de la rénovation...

Nous sommes donc face à un enjeu pédagogique : il faut donner confiance aux 550 000 entreprises artisanales qui ont, à 98 %, moins de vingt salariés. Elles n'ont pas d'outil de recherche-développement, pas d'outil de suivi-qualité, pas d'outil de formation. Nous devons accompagner ces entreprises qui constituent le tissu artisanal français. Sachons leur donner confiance, car elles réussissent à faire de la performance. C'est aussi un enjeu de formation qui relève de la politique publique, car on constate - pour parler trivialement - un trou dans la raquette. Je préfère parler de suivi-qualité que de contrôle : il faut montrer aux artisans ce qu'ils font bien.

Un fonds de mutualisation doit également être créé pour compenser les ménages dont la maison serait moins performante. Un rapport de Deloitte publié en novembre 2021 formule des propositions assurantielles en ce sens.

La blockchain est un outil précieux pour établir ce qui a été fait dans un logement donné et ce qu'il reste à faire. Mais elle ne fait pas les travaux... Il faut accompagner les acteurs de terrain. Il n'y a pas de règle de l'art pour la performance. Les entreprises ne sont pas engagées d'un point de vue réglementaire dans la performance, mais n'attendons pas quinze ans...

M. Franck Montaugé. - Vous semble-t-il envisageable de faire évoluer le label RGE dans ce sens ? Pas forcément de manière obligatoire, mais de façon optionnelle et graduelle, afin de créer un mouvement général vers une véritable performance de l'ensemble des acteurs et notamment des intervenants ?

M. Vincent Legrand. - Je ne pense pas que cette approche permettra de monter en puissance. Les aides doivent être suivies en qualité avec des experts sur le terrain. Je suis plutôt favorable à une logique d'accompagnement terrain. Le RGE est vu comme une formation et des dossiers administratifs.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - C'est contraignant.

M. Vincent Legrand. - Pour nos 550 000 entreprises artisanales, c'est une contrainte.

La loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée, dite loi MOP, prévoit qu'un maître d'ouvrage est une personne physique ou morale responsable du chantier au plan réglementaire. Aujourd'hui, il n'existe pas de maîtrise d'oeuvre performance, car il n'y a pas de règle de l'art. L'engagement de performance est minimal et ne passe pas en premier.

Mon Accompagnateur Rénov' n'est pas de la maîtrise d'ouvrage : il assiste le maître d'ouvrage, mais sans prendre la responsabilité des préconisations. L'Anah n'utilise d'ailleurs pas ce terme de « préconisation ». La maîtrise d'ouvrage suppose en effet une assurance, avec de très lourdes responsabilités.

Une étude de la région Alsace a montré que le prix moyen en rénovation globale d'une maîtrise d'oeuvre normale était de 9 350 euros, en raison des responsabilités afférentes. Les dossiers suivis par Mon Accompagnateur Rénov' vont tourner autour de 1 000 à 2 000 euros, or nous ne savons pas accompagner en rénovation globale en dessous de 2 000 à 2 500 euros, hors maîtrise d'oeuvre, sur le simple conseil aux ménages. Pour accompagner une simple isolation ou la mise en place d'une pompe à chaleur, 1 500 euros sont probablement suffisants.

Avec 1 000 ou 1 500 euros, nous ne réussirons jamais à accompagner une rénovation globale. Les opérateurs que nous formons doivent consacrer quatre heures et demie de travail au montage financier d'une rénovation globale, alors qu'ils ne sont rémunérés que pour une heure et demie...

S'agissant du financement par les collectivités territoriales, je crains que si l'on éclate encore les financements, certaines collectivités financeront, et d'autres pas. Pour les ménages, cela risque d'être terriblement complexe.

Nous avons aujourd'hui des milliards d'euros avec peu d'accompagnement et presque aucun contrôle. Il y a un enjeu majeur à ce qu'une part significative de ce financement soit mise, dans les deux ou trois prochaines années, sur l'accompagnement des ménages, par des gens formés.

Mme Florence Lievyn. - Monsieur Montaugé, non, il n'y a pas d'engagement de performance, faute de demande et par construction des aides : MaPrimeRénov' est un forfait qui ne tient pas compte des kilowattheures économisés, et le C2E est calculé sur des kilowattheures théoriques et non pas réels. Qu'est-ce que cela apporterait de plus aux ménages ?

Pour aller vers cet engagement de performance, ne faudrait-il pas conditionner les aides à l'atteinte de résultats ? Tant que les aides seront forfaitaires et sans contrôle des économies réalisées, quel est l'intérêt à aller sur de la performance ?

Dans quelques jours, devrait être annoncé l'appel à projets France 2030 de l'Ademe sur les opérateurs ensembliers, qui permettra à des acteurs privés de prendre des responsabilités sur l'ensemble de la chaîne de valeur de la rénovation énergétique, avec l'obligation d'aller vers de la performance, car l'opérateur ensemblier fera l'avance du coût des travaux et sera rémunéré sur les économies.

Le contrat de performance énergétique (CPE), démocratisé dans les bâtiments tertiaires, est encore peu connu dans le résidentiel - un peu dans le collectif, mais quasiment pas en maison individuelle. Des aceurs vont s'engager pour tester ce nouveau modèle. Il sera intéressant d'en faire un bilan.

M. Franck Montaugé. - La question se pose pour l'ensemble des filières.

Mme Sylvie Charbonnier. - Méfions-nous quand même des CPE, car dans le tertiaire, ils consistent essentiellement à se payer sur les économies faites, qui intéressent l'efficacité des équipements, mais absolument pas les travaux d'isolation des enveloppes. Les CPE portent d'abord sur le réglage des installations. Il est inutile de les déployer dans les maisons individuelles, car 70 % des aides sont pour des pompes à chaleur. Privons-nous d'une approche systémique qui va être l'hallali de la rénovation globale dans les maisons individuelles. On n'a pas besoin de CPE pour installer des pompes à chaleur qui ne fonctionnent pas.

S'agissant de la garantie de résultats, la performance énergétique finale dépend des interfaces des métiers. La réglementation française est très bien faite pour les logements neufs et les logements existants, mais elle n'est pas appliquée dans les aides.

Les mesures d'étanchéité à l'air une fois les travaux terminés sont un très bon juge de paix pour vérifier si les artisans ont bien travaillé ensemble. Plutôt que de donner 1 500 euros pour une maîtrise d'oeuvre qui n'existe pas dans le rural, offrons plutôt une aide pour réaliser une mesure d'étanchéité à l'air. Quand les artisans savent que cette mesure sera réalisée, ils respectent scrupuleusement leurs documents techniques unifiés (DTU). Sans l'annonce d'une telle mesure, on n'y arrive jamais.

On peut aussi mesurer des débits de ventilation en bouche d'extraction et la vitesse du ventilateur. Cela ne coûte pas très cher, mais cela permet de vérifier que la ventilation fonctionne. Des mesures très simples peuvent être réalisées et font l'objet de labels BBC Rénovation ; des contrôleurs sont formés ; les opérateurs de la mesure sont certifiés : les dispositifs existent, il suffit de les adjoindre aux aides, comme cela se fait en Allemagne. En Allemagne, tous les équipements installés sont contrôlés, l'étanchéité à l'air est mesurée et un suivi des consommations énergétiques est réalisé pendant trois ans. Cela fonctionne.

M. Franck Montaugé. - Faut-il pour cela une réglementation spécifique ?

Mme Sylvie Charbonnier. - Tout existe déjà, y compris les qualifications et les méthodologies. Il suffit d'adapter les aides. Plutôt que de prévoir 1 500 euros pour un accompagnement, instaurons une mesure d'étanchéité de la maison qui coûte 600 euros - 350 euros si vous en réalisez plusieurs. Idem pour la mesure de débit de ventilation. Tous les labels et toutes les certifications nécessaires existent. Allez sur le site www.effinergie.org et sur celui de l'association HQE. Allouer 1 000 ou 1 500 euros pour l'audit d'une maison, et des mesures d'étanchéité à l'air et de ventilation, voilà qui serait pertinent.

Mme Audrey Zermati. - Une des raisons que nous avons de rester optimistes tient à ce que la garantie de performance sera une garantie d'étiquette. Dès lors que les propriétaires auront l'obligation d'afficher une étiquette D, C, A ou B pour pouvoir louer ou vendre leur bien, ils se montreront exigeants envers les entreprises afin de justifier de cette étiquette. La demande tirera l'offre vers un engagement de performance.

M. Pierre-Marie Perrin. - La formation reste le maître mot et la clé du succès de la politique publique de rénovation énergétique. Ainsi, un travail très important est mené pour sensibiliser les notaires à la réglementation. De même, les élus des communes rurales n'ont pas forcément les services adéquats pour s'occuper de ce type de sujet. Les journalistes peuvent également jouer un rôle dans la lutte contre la fraude. La clef est dans la formation.

M. Jean-Baptiste Devalland. - Il faut en effet conditionner l'octroi des aides à une exigence d'efficacité. Les cahiers des charges et les méthodologies de mesure restent encore trop indirects, de ce point de vue. Il reste à mettre en oeuvre un effort de structuration pour établir des règles de l'art en ce qui concerne la mesure des performances énergétiques. Dans le cas où une entreprise passe un contrat de performance énergétique, elle pourra facilement se rémunérer a posteriori sur les économies réalisées ; pour les ménages, la situation sera plus compliquée. Il faudrait donc un cahier des charges et des règles de l'art qui permettent d'anticiper les mesures d'économies d'énergie.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous vous remercions pour ces échanges très intéressants et nous recevrons avec intérêt toute contribution supplémentaire que vous voudrez bien nous envoyer.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Rénovation énergétique en outre-mer - Audition

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous accueillons l'Union sociale d'organismes HLM outre-mer (Ushom), représentée par sa directrice, Mme Sabrina Mathiot, l'Union sociale pour l'habitat (USH), représentée par M. Brayen Sooranna, directeur aux outre-mer, et M. Rémy Vasseur, responsable du département énergie et bas carbone au sein de la direction de la maîtrise d'ouvrage, ainsi que le Centre d'innovation et de recherche du bâti tropical (Cirbat), qui est représenté par son directeur, M. Frédéric Chanfin. Le Cirbat est un pôle d'innovation porté par la chambre de métiers et de l'artisanat de La Réunion. Il mène des recherches sur l'adaptation des matériaux de construction et des normes aux réalités des milieux tropicaux. Enfin, le Conseil régional de l'ordre des architectes de La Réunion-Mayotte est représenté par son président, M. Maxence Lefèvre.

Madame, messieurs, le travail de notre commission d'enquête ne saurait être complet sans que nous évoquions les enjeux de la rénovation énergétique des logements dans les outre-mer. En effet, ces collectivités présentent une situation spécifique : leur climat, tropical, à l'exception de Saint-Pierre-et-Miquelon, est distinct de celui de la métropole. On pourrait croire dès lors que la rénovation énergétique n'y est pas un enjeu fort. Au contraire, il s'agit d'un sujet qui concerne au premier plan les outre-mer.

Nous avons souligné à plusieurs reprises au cours de nos auditions que le « confort d'été », c'est-à-dire la protection face à la chaleur, est un aspect fondamental des politiques de rénovation énergétique. Les outre-mer sont par ailleurs tout aussi concernées par les enjeux de précarité énergétique et de réduction des émissions de gaz à effet à serre. Pouvez-vous ainsi nous présenter les principaux enjeux de la rénovation énergétique des logements dans les outre-mer ?

De plus, les matériaux utilisés dans la construction dans les outre-mer sont spécifiques aux milieux tropicaux. Leurs caractéristiques en termes de durabilité et d'isolation nécessitent des recherches adaptées. Ainsi, pouvez-vous nous faire un état des lieux de l'utilisation des matériaux biosourcés dans les outre-mer dans la rénovation énergétique ? Y a-t-il des contraintes à leur développement ?

Enfin, la rénovation des bâtiments dans les outre-mer doit répondre à des contraintes propres. En particulier, ils doivent pouvoir résister à des événements météorologiques extrêmes, comme des cyclones. Est-ce qu'il y a des synergies entre ces travaux et ceux de rénovation énergétique ou, au contraire, privilégier l'un peut-il se faire au détriment de l'autre ?

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Mathiot, MM. Chanfin, Vasseur, Sooranna et Lefèvre prêtent serment.

M. Brayen Sooranna, directeur des outre-mer à l'Union sociale pour l'habitat (USH). - Permettez-nous tout d'abord de vous remercier pour votre invitation à cette table ronde. Comme vous l'avez indiqué, madame la présidente, le sujet de nos échanges portera aujourd'hui sur les départements et régions d'outre-mer.

L'Union sociale pour l'habitat, qui représente près de 600 adhérents en France hexagonale et dans les outre-mer, assure depuis trente ans l'organisation et l'animation du dossier de la politique nationale du logement social en faveur des acteurs du secteur dans les départements et régions d'outre-mer (Drom), aussi bien que dans les collectivités d'outre-mer (COM), quand nous sommes invités à y travailler.

Ce travail est conduit en vue d'une action concertée en matière d'affaires publiques et d'élaboration de propositions législatives et réglementaires, la relation, l'appui et l'animation de l'action professionnelle dédiée aux organismes HLM dans les outre-mer, la communication et la diffusion des actions de l'USH auprès des organismes dans les territoires ultramarins, le développement du partenariat avec les instances professionnelles et associatives partenaires - services de l'État ou Parlement - et les associations régionales des maîtres d'ouvrage sociaux dans l'océan indien, la Guadeloupe et en Guyane pour l'organisation d'activités telles que des séminaires dédiés aux bailleurs sociaux.

Aujourd'hui, le secteur reste marqué par une forte baisse de l'offre de logements neufs en locatif et en accession, la persistance de l'habitat indigne, estimé à 155 000 logements, soit 16 % du parc total des Drom, un fort besoin de réhabilitation du parc locatif social et la hausse des coûts de revient du logement social, exacerbée par la forte évolution de l'inflation.

Pour rappel, le parc de logement social est d'environ 172 000 logements dans les Drom et environ 19 000 logements dans les COM. Tous Drom confondus, le nombre de demandes de logement social atteint en 2022 près de 80 000.

Enfin, sur la programmation de logements neufs pour l'année 2022, 4 800 logements sociaux en locatif en accession ont été financés, mais 2 800 logements seulement issus des programmations des années précédentes ont été livrés. On estime que cela représente une baisse de 12 % en nombre de logements sociaux financés, 11 % en nombre de logements sociaux livrés.

S'agissant des principaux enjeux de la rénovation énergétique dans les outre-mer, sujet de notre échange d'aujourd'hui, nous rappellerons en préambule ce que disait la présidente de l'USH, Emmanuelle Cosse : le secteur HLM veut être au rendez-vous des enjeux de la décarbonation du parc résidentiel.

Ainsi, les principaux enjeux de la rénovation en outre-mer rejoignent les enjeux globaux, à savoir lutter contre le dérèglement climatique en participant à la décarbonation du secteur du logement résidentiel et celui du logement social en particulier, en réduisant les consommations énergétiques afin d'inscrire le patrimoine dans les objectifs de la loi Climat et résilience, en protégeant les occupants de la hausse des prix de l'énergie et en améliorant l'autonomie énergétique dans nos territoires d'outre-mer.

La réussite de ces enjeux doit impérativement passer par une prise en compte sérieuse et concertée des spécificités climatiques et géographiques, ainsi que des usages propres aux populations des Drom-COM.

Ces grands objectifs sont confrontés à une difficulté opérationnelle, qui devient l'enjeu majeur pour les outre-mer. En effet, l'ensemble des politiques de rénovation énergétique doit s'appuyer sur une démarche d'état des lieux, de programmation, de mise en oeuvre et de contrôle.

L'outil réglementaire pour la mise en oeuvre d'une stratégie de rénovation est aujourd'hui le diagnostic de performance énergétique (DPE). Or bien que la loi Climat et résilience prévoie l'entrée en vigueur du DPE opposable dans les territoires d'outre-mer à compter du 1er juillet 2024, ce dernier n'est pas encore finalisé.

Pour rappel, le DPE s'applique uniquement aux bâtiments régulés en termes de température interne, que l'on soit en chauffage ou en climatisation. Des dispositifs existent aussi bien en Guadeloupe avec le DPEG, qu'en Martinique avec le DPEM. Les autres territoires n'en possèdent pas. Or une directive européenne impose aujourd'hui cette étiquette énergétique sur les bâtiments et l'ensemble des territoires.

Concernant l'état des lieux énergétique des logements dans les outre-mer, comme indiqué précédemment, il n'est pas possible de faire un état des lieux aussi exhaustif que vous le souhaiteriez, car l'outil n'est pas encore finalisé, tant au niveau de la méthode de calcul qu'au niveau des seuils définissant les classes énergétiques des logements.

Nous précisons cependant qu'un groupe de travail de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) et de la Direction générale des outre-mer (DGOM) a lancé, en avril 2023, une étude qui porte sur deux objectifs, une phase d'analyse comparative des outils existants, avec une prise en compte des outils et des premiers retours attendus pour septembre, et une phase de modélisation du parc résidentiel ultramarin afin de disposer de données sur la performance énergétique du parc de chaque Drom. La fin de cette deuxième phase serait pour début 2024.

Concernant les réglementations spécifiques qui sont applicables dans les outre-mer en termes de rénovation énergétique des logements, en premier lieu, le DPE sera spécifique afin de prendre en compte les spécificités des territoires d'outre-mer. Il est indispensable que cet outil intègre au mieux les spécificités de chaque territoire, au risque d'imposer des solutions inadaptées. Le confort des bâtiments à la chaleur nécessitera une attention particulière et un développement spécifique.

Au sujet des spécificités du parc social en outre-mer, et d'un point de vue énergétique, les constructions dans les Drom doivent respecter une réglementation thermique, acoustique et en matière d'aération. Elles doivent donc disposer, par exemple, d'une eau chaude dans tous les logements neufs, sauf dans certaines communes de Guyane et de Mayotte, recourir à l'énergie solaire pour satisfaire au moins 50 % des besoins en eau chaude sanitaire pour toutes les installations de production, réduire les dépenses énergétiques des bâtiments et améliorer le confort hygrothermique des habitants, améliorer la qualité de l'air, optimiser le confort acoustique des logements, réduire la consommation d'énergie des bâtiments, avec des enjeux prioritaires au niveau de la transition écologique.

Des travaux de concertation ont été lancés avec les acteurs de la filière. L'application de la future réglementation thermique, acoustique et aération (RTAADOM) se concentrera dans un premier temps sur l'habitation. Pour le moment, l'objectif est de définir uniquement des obligations de résultat sur la partie thermique, et cela via un indice de confort thermique de référence sur la base de simulations. C'est cet outil thermique qui est développé en ce moment par le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), qui a été inspiré par des outils existants. Il est en cours de test et a encore besoin du concours de nos organismes de logements sociaux ultramarins.

Pour rappel, la version actuelle du RTAADOM repose sur des critères de moyens. La loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance, ambitionne de modifier le code de la construction et de l'habitation (CCH) en intégrant la notion d'obligation de résultat via la mise en place d'indicateurs de performance adaptés.

Concernant les synergies entre ces travaux et la résistance à des événements météorologiques extrêmes, comme les cyclones dans le cadre de la rénovation énergétique, nous pensons qu'il ne faut pas opposer les deux enjeux, qui sont finalement très liés, car ils sont très importants pour l'avenir de nos outre-mer et, plus largement, pour la France dans son ensemble.

Peut-être le Conseil national de l'ordre des architectes (CNOA) pourra-t-il donner plus d'éléments sur le sujet. En effet, la rénovation énergétique se mêle avec bien plus de force que dans l'Hexagone à d'autres problématiques qui, parfois, passent pour prioritaires - risques naturels, mal-logement, foncier. Il nous faudra donc développer plus d'études, avec des financements pérennes, pour pouvoir avoir une plus grande lisibilité sur ces enjeux.

Nous ajouterons qu'il faudra des appuis sur la structuration des expertises qui existent, mais qui sont peu interconnectées d'un territoire à l'autre dans les Drom-COM, et mettre en place de référentiels nécessaires à la mise en oeuvre des travaux de réhabilitation énergétique en milieu tropical.

Enfin, nous vous invitons à voir les travaux de programmes comme Ombree, pilotés par l'Agence qualité construction (AQC), qui participe à la résolution de ces problématiques en créant du lien entre les territoires, en cherchant des moyens pérennes de produire et d'adapter les référentiels et en développant la connaissance pour répondre à des besoins spécifiques - études et retours d'expérience sur la pose d'isolant en climat tropical ou sur les façades, toitures végétalisées.

M. Rémy Vasseur, responsable du département énergie et bas carbone au sein de la direction de la maîtrise d'ouvrage de l'Union sociale de l'habitat. - J'ajoute à propos des financements que si les deux thématiques ne s'opposent pas, il faudra aussi les financer. Cela veut dire que certains financements à date, qui ne s'intéressent qu'aux sociétés coopératives et participatives (Scop) de l'énergie, peuvent ne pas être adaptés pour régler ces problématiques, qui peuvent être spécifiques au parasismique, au para-cyclonique et autres sujets connexes qui entrent dans les spécificités de ces territoires. Il faudra peut-être également dépasser certains clivages financiers.

Mme Sabrina Mathiot, directrice de l'Union sociale d'organismes HLM outre-mer (Ushom). - Je tiens à vous remercier d'avoir réservé un moment au logement social ultramarin et à la question de sa rénovation et de sa décarbonation dans le cadre de la loi Climat-énergie.

Compte tenu des solutions qu'ils représentent, la nécessité que le logement social évolue et s'adapte est importante sur nos territoires eu égard à la spécificité des ménages, en ce sens qu'il existe une population un peu plus fragile qui nécessite un plus grand accompagnement. Vous le savez, 80 % des familles sont éligibles au logement social. Il s'agit donc de leur dégager des marges de manoeuvre dans leur vie de tous les jours et d'améliorer leurs conditions de vie en leur permettant d'avoir le moins de dépenses possible liées notamment à l'énergie. J'aimerais inscrire mon propos dans ce contexte.

L'outre-mer représente un peu plus de 170 000 logements sociaux, soit 15 % du parc social. C'est pourquoi il est important que les politiques et les enjeux financiers liés à l'accompagnement intègrent bien l'importance du parc social, mais également du parc privé. Je me veux assez impartiale à ce propos, même si je suis là pour représenter le secteur public.

Il est nécessaire de préciser qu'il reste encore à bien des égards des statistiques à compléter, à fiabiliser et à consolider. J'en veux pour preuve la dernière enquête nationale sur le logement réalisée par l'Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE), qui n'intègre pas nos territoires. Je pense qu'on manque encore de data.

Ces éléments me permettent d'inscrire mon propos dans sa limite, puisqu'on n'a pas véritablement de connaissances très accrues des taux d'effort des ménages ultramarins en matière de dépenses énergétiques et de précarité énergétique. On arrive à en sentir le pouls à travers d'autres indicateurs de suivi, comme notre dialogue continu avec les organismes HLM et les SEM adhérentes mais, pour autant, je pense nécessaire d'en fiabiliser et d'en consolider les données.

Enfin, s'il existe des similitudes entre nos territoires, je tiens à rappeler que Saint-Pierre-et-Miquelon bénéficie d'un climat subarctique. Au-delà, l'île de La Réunion, par rapport aux autres îles, dispose d'une petite partie qu'on pourrait qualifier de climat tempéré, qu'on pourrait assimiler à l'Hexagone en termes de dispositions techniques ou d'accompagnement dans la décarbonation et la rénovation.

La loi Climat et résilience a initié cette obligation de rénovation en s'appuyant sur le DPE. La RTAADOM a intégré cette dimension du diagnostic, mais la notion de confort dans les outre-mer doit absolument être appréciée différemment. Le zonage climatique est la base de la définition même du confort thermique.

Or à ce jour, s'agissant des climats tropicaux et équatoriaux, on ne dispose pas d'une définition conventionnelle du confort thermique. Par voie de conséquence, les nouveaux DPE ne peuvent pas traduire grand-chose sur ces territoires. On ne peut concevoir un confort thermique par rapport à la chaleur comme dans l'Hexagone. On parle aujourd'hui d'un écart type de température à quatre degrés. Il faut absolument que cette notion soit prise en compte.

Un mot de l'état du parc social outre-mer en matière de critères verts pour préciser que le parc social reste plus performant que le parc privé. C'est assez naturel, parce que la politique de l'habitat social, dans ces territoires, a démarré à peu près avec vingt ans de retard. Par voie de conséquence, le parc est un peu plus jeune. D'ailleurs, les bailleurs sociaux ultramarins sont deux fois plus endettés que leurs homologues de l'Hexagone.

Au-delà de ce démarrage tardif, une dynamique avait été impulsée dans le secteur du logement social avec l'instauration de la défiscalisation. Aujourd'hui, environ un tiers de notre parc date de 2010. Les chiffres sont approximatifs, mais les études sur la défiscalisation et le logement en notre possession, ainsi que notre connaissance du parc, nous conduisent à confirmer cet ordre de grandeur.

Ce tiers de parc ayant été construit après 2010, il était assujetti à la réglementation RTAADOM, qui avait déjà intégré une notion de confort thermique, notamment à travers la ventilation naturelle. Nous allons naturellement épouser cette dynamique de décarbonation, mais je pense que le constat est déjà fait à ce niveau.

Un deuxième élément participe à un parc performant : les bailleurs sociaux, dans les outre-mer, n'équipent pas les bâtiments d'équipements de refroidissement, la RTADM appelant à la ventilation par des ouvertures. Toutefois, il existe des locataires qui, à leur arrivée dans le parc, décident d'installer une climatisation. Or la prime Agir plus accorde des financements aux locataires pour poser sa climatisation. Cela s'inscrit en dissonance absolue avec la dynamique impulsée techniquement par la RTAADOM, le bailleur construisant des logements qui sont faits pour être ouverts sur l'extérieur. Même si nous nous félicitons des interventions d'EDF, qui sont d'ailleurs très importantes dans les outre-mer pour ce qui est du parc privé, il faut absolument revoir notre façon de fonctionner par rapport à ces éléments.

L'eau chaude sanitaire, pour ce qui est des ménages individuels, est intégrée depuis la RTAADOM, et on utilise des panneaux solaires. D'après les retours de nos bailleurs, c'est assez rentable sur le plan environnemental mais, sur le plan financier, il y a quelque chose à repenser, l'entretien de ces équipements pour le bailleur, avec les charges récupérables, pesant lourd dans les charges des locataires.

Le photovoltaïque, qu'on pourrait porter autrement, serait moins coûteux et pèserait moins sur les ménages. L'idée, pour le bailleur, est à la fois de répondre aux exigences réglementaires sans jamais peser sur le locataire, qui est déjà fragile.

Cela nécessite aussi une coordination. En matière de financement, la notion de confort thermique est importante. Il faut une définition conventionnelle, avec un DPE qui soit cohérent avec ces climats et une différenciation entre les territoires.

En second lieu, s'agissant des financements, on va privilégier des financements qui ne s'inscrivent pas toujours dans la dynamique sociale et écologique, alors que l'idée est de s'inscrire dans les deux et de prévoir la coordination. Les travaux de réhabilitation sur le parc des outre-mer, au même titre que ceux qui sont en lien avec le renforcement sismique et para-cyclonique, en association avec des dispositifs et des outils de financement adéquats, peuvent aider à créer une dynamique très positive, y compris dans le parc social.

Il faut savoir que les certificats d'économie d'énergie en outre-mer représentent 1,2 %, alors qu'il y a encore une marge de manoeuvre à ce niveau. EDF finance en partie le programme ECCO-DOM destiné à changer les usages, que nous portons. On peut agir sur l'enveloppe d'une façon moins importante. Quand on pose des équipements, il faut un accompagnement financier pour le parc social, qui est inexistant aujourd'hui, alors qu'on finance des équipements qui, certes, créent du confort mais, ce faisant, engendrent aussi des passoires thermiques. Il faut un consensus à ce niveau.

Le troisième élément concerne les changements comportementaux. On peut agir en outre-mer sur les usages et avoir un impact plus important. Peut-être est-ce pour cela qu'on avait fait le choix de créer un dispositif permettant la formation des ménages aux économies d'énergie. Cela peut être très rentable.

Pour finir, je voudrais dire qu'EDF y dépense 8 millions d'euros par an à Saint-Pierre-et-Miquelon, alors que son chiffre d'affaires est de 4 millions d'euros. Ces éléments datent de 2021. Saint-Pierre-et-Miquelon est un territoire très important, classé aujourd'hui en zone H1. C'est le seul territoire d'outre-mer qui se retrouve dans le classement hexagonal, alors qu'on devrait permettre des accompagnements beaucoup plus importants au regard de la dépense. Fin 2022, l'État a dépensé un million d'euros pour aider les ménages de Saint-Pierre-et-Miquelon. Cet argent a servi à payer l'augmentation du fioul, alors qu'il aurait pu servir à accompagner le parc prévu. On aurait pu convenir d'une coconstruction énergétique avec le Canada ou un pays voisin - bien qu'il s'agisse de souveraineté. C'est d'autant plus important pour Saint-Pierre-et-Miquelon que c'est un territoire d'outre-mer (TOM) qui n'ouvre pas droit aux fonds verts européens - sauf peut-être le Fonds européen de développement (FED).

M. Frédéric Chanfin, directeur du Centre d'innovation et de recherche du bâti tropical (Cirbat). - Je vous remercie de votre invitation à cette table ronde autour de la question de la rénovation énergétique.

Nous traitons de la rénovation énergétique depuis 2009, au moment où la réglementation RTAADOM a été publiée pour une mise en application en 2010. Cette année correspond à la création de notre pôle. Nous sommes un service de la chambre des métiers. Nous travaillons avant tout pour les TPE et les PME du secteur du bâtiment, où nous intervenons en appui technique en offrant à ces entreprises des outils et en développant de la formation autour de la question de la réglementation. Au fil des années, nous nous sommes structurés pour développer pas mal de choses, notamment autour des matériaux.

Au-delà du Cirbat, les enjeux concernent la mobilisation des acteurs de la construction à La Réunion, que ce soit les architectes, les bureaux d'études, les assureurs. Nous sommes tous conscients de ce qu'il faut mettre en oeuvre pour traiter de cette question et améliorer la rénovation énergétique de nos bâtiments. Le foncier, à La Réunion, est de plus en plus réduit, avec des demandes de logement de plus en plus importantes. Il faut prendre également en compte le vieillissement de la population, dont une part est dans la précarité. Nous essayons, à travers notre activité de tous les jours, d'apporter des solutions à cette problématique et d'accompagner au mieux les professionnels.

Aujourd'hui, le Cirbat, en réponse à une orientation stratégique de la région, travaille à mettre en oeuvre des schémas régionaux dans le cadre de la directive SRDII et de la stratégie de spécialisation intelligente, qui a permis de développer de nouveaux matériaux pour prendre en compte la vulnérabilité de notre territoire par rapport aux importations à La Réunion. C'est sur ce genre de projets que nous intervenons dans le cadre de la rénovation énergétique.

M. Maxence Lefèvre, président du Conseil régional de l'ordre des architectes de La Réunion-Mayotte. - Merci à la commission d'enquête de nous donner la parole sur le sujet de la rénovation énergétique.

La principale différence avec la métropole réside dans le fait que, dans une zone intertropicale, les critères qui influencent le confort ne sont pas limités à la seule température. L'amélioration du confort réside dans la maîtrise de nombreux éléments comme l'hygrométrie, la vitesse de l'air, l'activité, l'habillement, les vis-à-vis, la porosité des façades, etc. C'est parfois contradictoire.

À noter que l'indépendance énergétique des DOM est loin d'être acquise, l'éloignement des circuits logistiques d'approvisionnement créant une énergie chère à produire et fortement carbonée, même si des solutions sont en cours d'élaboration, comme le solaire, le Sea Water Air Conditioning (SWAC), etc.

La loi de transition énergétique pour la croissance verte impose aux outre-mer d'atteindre l'autonomie énergétique en 2030. On en est encore loin.

L'ensemble des réglementations thermiques et énergétiques métropolitaines sont fondées sur l'amélioration de la performance des systèmes actifs, tels que le chauffage et la climatisation, car il est présupposé - au moins pour le chauffage - qu'une installation préexiste. Ce n'est pas le cas dans les outre-mer, hors Saint-Pierre-et-Miquelon, car contrairement aux États-Unis, où plus de 95 % des constructions sont équipées de climatisation, l'équipement des habitations avec de tels dispositifs est faible à La Réunion.

L'usage de la climatisation peut représenter 50 % de la consommation électrique d'un foyer. Les enjeux résident donc davantage à orienter la politique publique vers une conception bioclimatique des logements visant prioritairement à réduire l'usage de la climatisation, plutôt que d'en améliorer la performance.

Pour rappel, la consommation des ménages représente 45 % de la consommation énergétique de l'île de La Réunion. La consommation moyenne annuelle d'un foyer réunionnais représente 3 500 kWh, soit 650 euros par an, contre 5 000 kWh par an en France métropolitaine, soit 1 000 euros environ par an. La généralisation des chauffe-eau solaires et l'absence de chauffage dans les foyers expliquent cette situation.

Comme l'ont rappelé mes collègues, la RTAADOM mise en place en 2010 à La Réunion a modifié considérablement la configuration des logements collectifs, la double orientation des façades pour la ventilation, la pose de brasseurs d'air dans les chambres, les protections solaires, etc. Cependant, il faut savoir que les maisons individuelles, qui représentent 60 % des constructions, ne respectent pas en général la réglementation RTAADOM, qui est pourtant obligatoire - et encore plus dans le secteur informel, notamment à Mayotte.

L'enjeu réside donc dans l'habitat individuel et dans la simplification des dispositifs d'aide et d'accompagnement à la rénovation, par la mise en place d'un dossier administratif unique pour toutes les aides à la rénovation, avec un seul service instructeur pour la collecte des financements, le but étant d'encourager la rénovation énergétique dans les logements individuels. Les architectes et les bureaux d'études ont toute leur place dans ces audits.

On parle de passoires thermiques dans la loi Énergie-climat. Je pense que ce terme n'est pas adapté aux zones intertropicales telles que La Réunion. Vous l'avez rappelé, les classements DPE ne sont pas obligatoires dans les DOM.

Concernant les matériaux biosourcés, il existe différents matériaux utilisables pour améliorer la performance des bâtiments, pas seulement en termes d'isolation. On peut citer la brique de terre comprimée, les parpaings de pouzzolane, qui sont plutôt des matériaux géosourcés mais qui se heurtent au système normatif et assurantiel classique, comme le marquage CE ou les normes de construction.

D'autre part, les matériaux pour l'isolation tels que la paille de coco, la ouate de cellulose ou la bagasse sont sensibles aux insectes xylophages, très présents dans les DOM.

Étant donné le caractère limitant de la filière locale, nous pensons qu'il convient de poursuivre les négociations avec la Commission européenne pour la mise en place d'une procédure de normalisation simplifiée pour l'importation des produits en provenance d'États sans système comparable à celui de l'Union européenne, en dérogation du marquage CE. Nous proposons donc un marquage « régions ultrapériphériques » (RUP), afin de s'approvisionner en matériaux biosourcés dans l'environnement régional.

Il existe bien sûr des interférences en matière de synergie entre les cyclones et la rénovation énergétique. Par exemple, un volet anticyclonique très étanche ne répond pas à ce que demande la RTAADOM, qui impose quelque chose de très poreux. Il y a là une interférence. Il conviendrait de faire converger davantage les réglementations en privilégiant les objectifs plutôt que des règles prescriptives.

Pour nous, il n'existe pas vraiment de synergie dans le sens où la mise en conformité aux règles de résistance cyclonique d'un habitat améliorerait l'efficacité énergétique. L'inverse pourrait être vrai, car revoir l'isolation en toiture ou en façade et ajouter des protections solaires serait l'occasion d'améliorer le comportement d'un bâtiment face à un cyclone. Encore une fois, la résistance para-cyclonique passe avant tout par le savoir-faire des entreprises et des maîtrises d'oeuvre.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Il serait intéressant que vous nous fassiez un point sur la couverture de l'ensemble des départements et territoires d'outre-mer par rapport à France Rénov'. On a cru comprendre que si, dans la métropole, le territoire était couvert quasiment à 98 %, ce n'est pas le cas des territoires et départements d'outre-mer.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Comment êtes-vous associés à tout ce qui peut être mis en place à travers France Rénov' ? Y a-t-il des exemples de travaux de rénovation sur un axe de rénovation thermique et d'adaptation climatique, ou est-ce à chaque fois dans le cadre de travaux de rénovation globale que l'on commence à penser à ce qu'on pourrait améliorer sur le plan thermique ?

J'ai participé à un rapport sur le logement avec la délégation aux outre-mer, plus précisément sur les matériaux locaux nécessitant moins de transports. Cela faisait sens en matière de rénovation thermique. On a parlé de la terre, mais il existe d'autres matériaux, la question des normes étant ressortie à cette occasion.

Vous avez également parlé de matériaux en provenance de pays voisins, mais qui ne disposent pas du marquage CE. Je me rappelle que Saint-Pierre-et-Miquelon ne peut utiliser de bois canadien pour des questions de réglementation. C'est un frein important. Pouvez-vous nous préciser les besoins qui existent pour limiter les déplacements ?

Enfin, vous avez dit que les chauffe-eau thermiques présentaient un coût de fonctionnement plus élevé par rapport aux charges. Je n'en ai pas bien compris la raison.

Mme Sabrina Mathiot. - S'agissant des chauffe-eau, les choses sont très techniques. La tuyauterie s'oxyde très rapidement. On n'est pas dans le même contexte d'humidité. L'eau chaude sanitaire (ECS) produite par les panneaux solaires est chauffée par toute une tuyauterie avant d'être amenée jusqu'à l'usager. L'entretien de cette tuyauterie coûte plus cher aux bailleurs, étant entendu qu'une part importante revient au locataire. C'est le décret qui l'arrête, et il est donc tout à fait naturel que ce soit refacturé au locataire, qui se retrouve avec une charge qu'il n'avait pas auparavant.

Avant la RTAADOM, le bailleur social n'installait pas l'eau chaude dans le logement. Je parle des Antilles et de la Guyane. C'est peut-être un peu moins vrai à La Réunion, même si une bonne partie n'est pas équipée.

Pour ce qui est des matériaux, certaines initiatives locales sont prises pour réaliser un vrai travail d'études. La Guadeloupe a créé le symposium du Conseil régional de l'ordre des architectes de Guadeloupe (CROAG), qui en est un véritable exemple. Je crois d'ailleurs qu'il bénéficie de financements d'Action Logement et de l'État. Nous sommes présents au Comité de pilotage (Copil) et essayons de trouver des matériaux biosourcés, mais aussi sur lesquels on a un retour d'expérience qui permet de jeter un regard neuf sur ces matériaux pour en avoir un usage intelligent tenant également compte du coût. Le travail est engagé pour avoir des équivalences européennes. Ce sera nécessairement lent, la question touchant l'Europe. Je reste donc prudente sur ce sujet.

Je reviens sur le financement et la planification pour ce qui relève du parc social : le plan de relance proposait 15 millions d'euros pour l'ensemble des territoires ultramarins. Il fallait respecter trois critères liés à l'environnement pour en bénéficier. Cinq millions d'euros ont été absorbés en Guadeloupe en très peu de temps, les bailleurs ayant saisi cette occasion pour conduire des travaux de réhabilitation touchant aux trois critères. Il faut réaliser des pools pour que ce soit pertinent et élargir le sujet aux questions de réhabilitation, notamment nécessaires aux Antilles, particulièrement du fait de la question du vieillissement de la population, de la nécessité d'adaptation aux personnes à mobilité réduire (PMR) et de la réhabilitation, car il s'agit d'un parc vétuste. Quand on arrive à lier les enjeux et qu'on les couple avec des questions énergétiques, l'action publique prend une dimension extrêmement efficiente.

Ceci pourrait être reproduit. On a beaucoup milité, pour atténuer l'effet ciseau que l'on rencontre dans les territoires d'outre-mer, les revenus des ménages étant plus bas et le coût des travaux plus élevés, en faveur de subventions ou à tout le moins d'une action publique plus importante pour soutenir ces investissements. Au bout 22 ans en moyenne, les bâtiments commencent à avoir besoin d'une réhabilitation. Si on arrive à lier la nécessité de remise aux normes tout en ayant d'autres objectifs et qu'on déploie le crédit d'impôt, on pourrait être très efficace. Les coûts sont plus élevés et les ménages plus nécessiteux.

Dans les outre-mer, la ligne budgétaire unique (LBU) était en vigueur jusqu'en 2021, notamment en faveur des propriétaires privés très modestes alors que, dans l'Hexagone, c'est l'Anah qui s'adressait aux ménages modestes et très modestes. Les éléments constitutifs de la construction, comme la défiscalisation, étaient intégrés. On peut donc considérer que cette aide publique touche aussi l'équipement « éco » du bâtiment.

EDF intervient également, mais il s'agissait plutôt d'une politique d'équipement ou de gain de confort plus que d'autre chose, sauf peut-être pour la partie isolation, où on est dans la performance. Les aides d'EDF ont changé les usages des locataires dans le parc HLM. Aujourd'hui, 20 % de nos locataires demandent un équipement, alors qu'il n'existe pas d'équipements de refroidissement en temps normal. On se contente de l'application de la RTAADOM.

Certains ménages qui souhaitent un confort acoustique plus important ferment leur logement et isolent avant d'installer la climatisation.

Quant aux certificats d'économie d'énergie, on y gagnerait en effet, mais je crois que leur cadre est plus limité que dans l'Hexagone.

M. Frédéric Chanfin. - Je voudrais revenir sur les questions du rapporteur, qui évoquait l'utilisation des matériaux locaux. À ce titre, j'aimerais rappeler l'historique de cette question pour La Réunion, les travaux ayant été engagés à partir de 2017, au travers d'une étude appelée ISOBIODOM. L'étude remise en 2019 a démontré des caractéristiques très intéressantes de ressources locales - cryptomeria, vétiver, bois de goyavier et bagasse - au niveau des performances thermiques. Ceci a été le point de départ d'une dynamique autour de la question des matériaux biosourcés à La Réunion. Elle a intéressé un certain nombre d'entreprises. Globalement cela permet, comme je l'ai dit, d'orienter la stratégie du développement autour de cette question.

L'étude a également mis en avant un certain nombre de difficultés que nous avons rencontrées. Bénéficiant du programme d'amélioration de la construction transition énergétique (Pacte), elle avait mobilisé le CSTB et l'institut technologique FCBA. Suite à cette étude, nous travaillons en ce moment à structurer davantage la filiale des matériaux biosourcés. On a pu mettre en évidence des points positifs, mais également des points négatifs, notamment sur la question de la durabilité des matériaux vis-à-vis des termites, insectes que l'on retrouve sous les climats tropicaux. À La Réunion, nous avons un climat très ensoleillé sur le littoral mais, dès qu'on monte en altitude, nous souffrons d'une augmentation de l'humidité, de risques de condensation et de développement des moisissures. Or les matériaux biosourcés sont affectés par ces contraintes.

Au-delà, on a pu également mettre en évidence que, localement, il était nécessaire de mettre en oeuvre davantage de recherches, notamment en termes de moyens d'essai. Nous sommes très loin de la métropole. Lorsque l'on réalise ce type d'études, il faut mobiliser un certain nombre de matières grises et d'équipements scientifiques. L'idée, dans cet accompagnement qu'on souhaite offrir à des entreprises locales pour s'inscrire dans le développement des matériaux biosourcés, est de proposer un suivi au plus juste afin de répondre au mieux aux besoins.

Des partenariats sont développés avec l'université de La Réunion pour acquérir des équipements afin de pouvoir bénéficier des prototypes. Se posera ensuite la question de la normalisation : comment faire reconnaître ces nouveaux matériaux localement, notamment si on souhaite les inscrire dans des programmes de rénovation voire de constructions neuves - je pense à des nouveaux isolants par exemple ? Se posera également la question de la certification pour générer la confiance dans ces nouveaux matériaux.

Un projet est porté par la Fédération des entreprises d'outre-mer (Fedom), qui travaille à la mise en place d'une cellule locale de validation de la conformité sur la base des travaux réalisés à la suite de la recherche, en vue d'obtenir une certaine porosité entre le monde de la recherche et celui de l'économie.

Le rapporteur a également demandé comment nous mettons en oeuvre MaPrimeRénov'. Des conventions de partenariat sont menées entre la chambre des métiers et EDF. Nous déployons, au travers de nos centres de formation, des formations autour de la RTAADOM et de l'accompagnement des entreprises pour obtenir la mention « reconnu garant de l'environnement » (RGE). Des intervenants d'EDF peuvent présenter aux entreprises les aides associées à MaPrimeRénov' dans le cadre territorial de compensation.

Enfin, d'autres partenaires, comme SPL Horizon, oeuvrent également à déployer ces dispositifs sur le territoire. Instruire les dossiers de MaPrimeRénov' est d'une très grande complexité. Par ailleurs certains bouquets de travaux de MaPrimeRénov' ne sont pas en adéquation avec les spécificités que nous retrouvons, notamment à La Réunion. Quelques-uns n'apportent pas forcément une réponse directe aux besoins locaux.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Êtes-vous également confrontés à des problématiques de fraudes ou des malfaçons, tant du côté des entreprises que des particuliers ?

M. Frédéric Chanfin. - À mon niveau, je n'ai pas de retour d'information, mais je pourrais éventuellement questionner mes partenaires et vous apporter une réponse ultérieurement.

M. Maxence Lefèvre. - S'agissant du chauffe-eau solaire, en tant qu'architecte, je confirme que le coût est plus élevé qu'un chauffe-eau électrique, la technologie mise en place nécessitant beaucoup plus de travail de plomberie et générant plus de sinistres. Or qui dit sinistre dit intervention du bailleur pour réparer la panne ou le dégât.

Il se développe également en ce moment une alternative grâce à des chauffe-eau alimentés par les panneaux solaires, qui réduisent le nombre de sinistres du fait de l'absence de plomberie dans le logement.

Concernant la rénovation des logements collectifs sociaux, je constate trois stades dans les niveaux de rénovation des appels d'offres des bailleurs locaux. Le stade 1 concerne les équipements intérieurs - mise en accessibilité PMR, salles de bains, etc. Le stade 2 concerne la rénovation énergétique - pose de volets, installation d'ECS, de bardages. Le stade 3 est celui de la création de surfaces. Les stades 1 et 2 sont souvent réunis pour créer un marché plus conséquent qui intéresse davantage les entreprises et les architectes.

Concernant France Rénov', sur 5 400 architectes référencés dans la rubrique correspondante du site, 45 se trouvent dans les outre-mer. C'est effectivement peu. L'ordre des architectes communique sur le sujet pour solliciter les architectes et les faire entrer dans ce marché. La question est également celle de la formation. Je sais que l'école d'architecture propose depuis peu dans sa formation initiale du cycle master, enseignement qui va s'étoffer à la rentrée. Il aborde aussi bien la réhabilitation que la rénovation, la mutualité, la réversibilité, l'adaptabilité ou le réemploi, la décarbonation.

Cela va plutôt dans le bon sens. Pour l'instant, la situation ne peut que s'améliorer.

M. Rémy Vasseur. - L'eau chaude sanitaire a également été un sujet dans l'Hexagone, en lien avec la RT2012. Le développement massif de cette solution a amené à de mauvaises prescriptions et à des déboires en termes d'entretien. C'est donc un sujet que l'on rencontre un peu partout.

Un des projets d'évolution de la RTAA dans sa nouvelle version est de proposer au moins 50 % de chaleur renouvelable. À date, les pompes à chaleur semblent cependant déjà exclues. J'ai un doute pour ce qui est des panneaux photovoltaïques. On ouvre donc le champ des possibles, mais peut-être pas tant que cela.

Par ailleurs, on peut englober dans les matériaux biosourcés les matériaux géosourcés et les matériaux de réemploi. L'ensemble permettra de répondre aux besoins d'approvisionnement, évitant de faire venir de manière très coûteuse en carbone et en capitaux de la ressource extérieure.

Le logement social, au sens large, est un berceau d'innovation assez fertile. Les bailleurs, qui sont très friands d'innovation, échangent beaucoup entre eux sur ces thématiques, s'associent à des dispositifs expérimentaux, à des industriels qui veulent tenter d'innover et d'entrer dans ces cycles d'innovation. Plusieurs solutions ont été déjà été évoquées, comme la brique ou l'IOSBIODOM à La Réunion. On pourrait ajouter d'autres recherches, aux Antilles, autour des sargasses, qui permettent de gérer la prolifération des algues et trouver des ressources supplémentaires en matériaux.

Dès qu'on envisage de créer des matériaux innovants, il faut trouver quelqu'un en amont pour produire la matière, la transformer, éventuellement la qualifier et la prescrire efficacement. Il faut ensuite qu'elle soit correctement mise en oeuvre sur chantier et réceptionnée, éventuellement entretenue, voire, à la fin, déposée et revalorisée. Tout cela constitue un cycle, sachant qu'on a en face de nous des clients qui attendent l'offre et, d'un autre côté, des industriels qui attendent la demande pour construire l'offre. Comment réussir à amorcer la machine ?

Comme on l'a dit, le logement social peut être un bon allié pour lancer ces mécaniques et ces filières. Des initiatives existent déjà dans l'Hexagone et dans les territoires. Les partenariats pour monter une filière ad hoc et répondre à un besoin spécifique sont assez courants.

Parmi les limites, on n'a peut-être pas assez insisté sur les notions de coût et de surcoût. On veut non seulement produire local, mais aussi bas carbone et social en parvenant à maîtriser les coûts de production pour les bailleurs sociaux, sachant qu'ils ont tendance à être encore supérieurs dans ces territoires, alors que les bailleurs y sont plus récents et encore plus endettés.

On a également évoqué le sujet des assurances. Il faut auparavant que des architectes, des maîtres d'oeuvre, des bureaux qui les connaissent sachent les mettre en oeuvre et que les contrôleurs techniques les acceptent. Il faut aussi pouvoir produire des dérogations techniques en temps et en heure. La plupart des matériaux n'utilisant pas des techniques courantes, ne faut-il pas enfin envisager un autre type de marquage que le marquage CE ?

On n'a pas non plus accès à toutes les compétences techniques, comme dans l'Hexagone. Comment qualifier rapidement ces matériaux et être sûr de leur réplicabilité en termes de qualités intrinsèques ?

Avec le logement social, on est généralement dans une logique de parc, avec des acteurs du temps long, qui planifient souvent à distance et sont capables de traiter plusieurs sujets en un. La réhabilitation, généralement, ne s'arrête pas à la rénovation thermique, mais traite aussi de l'accessibilité, du vieillissement, de la biodiversité. Ce sont souvent des enjeux inscrits dans ces cycles, qu'il va falloir continuer à soutenir pour éviter de négliger d'autres sujets capitaux lors du cycle suivant.

Si l'on veut être capable de réemployer les matières, il va falloir les stocker. Qui dit stockage dit surfaces foncières disponibles. Peu sont déjà disponibles pour faire ce que l'on veut faire à date : les sécuriser, les requalifier, être capable de les réassurer, les remettre en oeuvre. Dans l'Hexagone, des bailleurs montent leur propre plateforme de réemploi pour être eux-mêmes producteurs et consommateurs de matières. Cela permet d'éviter les intermédiaires et d'avoir une meilleure vision sur la temporalité des différents projets, voire être capable de mieux anticiper des phénomènes de glissement ou d'attente d'un projet à un autre.

Je n'ai pas de chiffres sur les aides et les dispositifs qui existent. On sait que le logement social a l'avantage d'être très souvent associé à la création et à la mise à jour des dispositifs de financement et à l'évolution de l'appareil législatif et réglementaire. On l'a vu pour l'évolution de la RTAADOM, le logement social est associé, évolution qui va principalement toucher le neuf.

Les bailleurs sociaux se sont également engagés dans la DPE pour être sûrs d'obtenir un outil pertinent sur l'ensemble des territoires, avec des mises à jour des outils et des leviers de financement qui lui sont propres, autour des éco-prêts, associés à des contreparties de performances qui englobent beaucoup d'autres sujets que la vision hexagonale de la performance énergétique dans un bâtiment.

M. Brayen Sooranna. - Concernant France Rénov', je vous propose de vous remettre une note complète.

M. Maxence Lefèvre. - Un logiciel est en cours de constitution à La Réunion, qui s'appelle, ART-NURE, porté par la SPL Horizon, Imagine et EDF. Il va aider à créer une modélisation thermique de l'existant pour appliquer les améliorations énergétiques et permettre une classification DPE.

Un autre projet dénommé Culture et climat, porté en partie par le Conseil de l'ordre des architectes Réunion-Mayotte, propose un outil d'aide aux concepteurs, sous format BIM, qui vérifie le confort thermique des projets au stade de la conception.

M. Rémy Vasseur. - Le dispositif de DPE et de RTAADOM se veut unifié, dans le sens que le but consiste à obtenir une vision unique du neuf et de l'existant, qui pourrait potentiellement avoir quasiment dix ans d'avance sur ce qu'on a prévu de faire dans l'Hexagone. Cet outil fait partie de ceux qui vont être étudiés par la DHUP dans cet exercice d'unification des modèles et des dispositifs. Il faut que cela s'adapte à l'ensemble des territoires, sans potentiellement prendre en compte les ajustements sur les moteurs.

Enfin, s'agissant de Saint-Pierre-et-Miquelon, nous devions entrer en contact avec le Point info énergie, qui voulait échanger avec nous sur ce sujet. Cela n'a pas pu se faire à temps, mais nous abonderons avec les éléments que nous pourrons récupérer auprès d'eux sur le sujet.

La seule chose que l'on sait, sans en connaître la portée ni l'efficacité, c'est que des aides sur l'isolation existent sur le territoire depuis déjà de nombreuses années. Je pense donc qu'ils doivent disposer de retours chiffrés sur l'efficacité de leurs mesures.

Par ailleurs, beaucoup d'efforts sont faits, même si l'énergie est encore massivement fossile, pour passer par des réseaux collectifs urbains afin de gagner du rendement grâce à la cogénération. On progresse sur ce sujet, mais nous ne disposons pas des chiffres. Nous espérons avoir un peu plus d'éléments d'ici l'envoi du document que nous vous ferons parvenir.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci. N'hésitez pas à nous faire remonter tous les types d'informations qui nous seraient nécessaires.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 40.

Mardi 23 mai 2023

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 15 h 50.

Audition de M. Franck Lacroix, directeur général adjoint d'Engie, en charge des activités Energy solutions, et Mme Florence Fouquet, directrice du marché des particuliers d'Engie

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous débutons aujourd'hui les travaux de notre commission d'enquête par l'audition d'Engie représenté par M. Frank Lacroix, directeur général adjoint, et par Mme Florence Fouquet, directrice du marché des clients particuliers.

Monsieur Lacroix, vous occupez ces fonctions auprès de Catherine MacGregor depuis février 2023 et êtes également membre du comité exécutif du groupe. Avant de rejoindre Engie, vous avez exercé de nombreuses fonctions dans l'énergie et les services, notamment chez Dalkia et EDF, mais aussi à la SNCF et chez Elior.

Madame Fouquet, en tant qu'ingénieur des mines vous avez développé une première partie de carrière au sein du ministère de l'économie et des finances dans le domaine de l'énergie. Chez Engie, vous avez été en charge des clients professionnels, puis, à partir de 2018, des clients particuliers, soit 5,5 millions de clients et 8 millions de contrats de service.

Engie est l'un des principaux acteurs de l'énergie en France, et de plus en plus à l'étranger. Historiquement acteur du gaz, l'entreprise se diversifie vers d'autres sources d'énergie. Engie est aussi fournisseur direct des particuliers et a développé une branche de services qui est labellisée RGE (Reconnu garant de l'environnement). C'est à ces différents titres que nous vous auditionnons aujourd'hui.

En premier lieu, nous voudrions savoir quelle est la vision d'Engie sur la trajectoire de décarbonation et la sortie des énergies fossiles. N'est-ce qu'un chemin vers l'électrification des usages ? Cette trajectoire est-elle soutenable et à quelles conditions ? Plus particulièrement dans le logement, notamment sous pression européenne, il semble que la décarbonation prenne le pas sur l'isolation et la sobriété. Est-ce une bonne chose ? Le « tout-pompe à chaleur », sans isolation, ne va-t-il pas entraîner des déconvenues pour les ménages, pour la gestion du réseau électrique, mais aussi pour la planète avec, comme effet secondaire, le développement de la climatisation ?

Acteur central de l'énergie, Engie est donc aussi l'un des principaux obligés en matière de certificats d'économies d'énergie (C2E). Nous voudrions savoir quelle est votre vision du dispositif. Est-il suffisamment cohérent et articulé avec les autres aides ? Les délégataires et les opérateurs qui réalisent les travaux sont-ils suffisamment contrôlés ? Peut-on simplifier et unifier ces dispositifs ? Enfin, comment lutter contre une fraude qui, sans être générale, est tout de même très répandue.

Je voudrais enfin que vous nous présentiez le volet services aux particuliers qu'Engie a développé pour favoriser la rénovation énergétique. Quel est votre retour d'expérience à ce sujet ? Comment peut-on inciter les ménages à la rénovation globale de leur bien ? Quel regard porte Engie sur Mon Accompagnateur Rénov' ? Enfin, Engie est labellisé RGE. Quelle est votre vision de ce label ? Comment pourrait-il évoluer pour apporter plus de garanties aux ménages et concerner un plus grand nombre d'entreprises, notamment artisanales ?

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Franck Lacroix et Mme Florence Fouquet prêtent serment.

M. Franck Lacroix, directeur général adjoint d'Engie, en charge des activités Energy solutions. - Engie intervient bien au-delà de son rôle historique de fournisseur et de distributeur de gaz puisqu'il a centré sa stratégie sur la transition énergétique. Sa raison d'être depuis 2020, inscrite dans ses statuts, est d'accélérer cette transition vers une économie neutre en carbone. La trajectoire propre du groupe est d'atteindre cette neutralité carbone à l'horizon 2045. Nous intervenons en France et dans une trentaine de pays dans le cadre d'une démarche intégrée que je trouve très originale, compte tenu de mon histoire dans le monde des services et de l'énergie en général, laquelle aborde la mutation du système énergétique au travers de trois volets.

Premier volet : la production d'énergies renouvelables - solaire, éolien, offshore, onshore, etc. - sur laquelle nous investissons fortement pour passer, à l'échelle du groupe, d'une puissance actuelle de 38 gigawatts à 80 gigawatts à l'horizon 2030.

Deuxième volet : la transformation des infrastructures de transport, de distribution et de celles qui contribueront à la flexibilité indispensable du système énergétique. Celui-ci devenant de plus en plus électrique, cela nécessite de trouver un équilibre permanent entre production et consommation, car l'électricité ne se stocke pas. Notre conviction est que la résilience de ce système passe par l'alliance de la molécule de gaz - elle a aussi vocation à se décarboner, avec le biométhane aujourd'hui et l'hydrogène demain - et de l'électron. La molécule de gaz offre à un système de plus en plus complexe et interconnecté la flexibilité et la fiabilité indispensables à son fonctionnement.

Troisième volet : décarboner les infrastructures et les équipements énergétiques des consommateurs, en agissant sur trois leviers distincts et complémentaires.

Le premier de ces leviers est l'efficacité énergétique : réduire les pertes et améliorer les rendements des équipements, tout en délivrant l'énergie et les services associés - principalement le chauffage, l'eau chaude et la climatisation -, avec un niveau de qualité et de confort conforme aux attentes des occupants des bâtiments.

Le deuxième volet est la sobriété énergétique : il faut supprimer le gaspillage, par exemple en ne chauffant pas un bâtiment inoccupé. Pour ce qui concerne les usages intermittents de bâtiments tels que les écoles, il convient de modifier les comportements des occupants. Ainsi, pour les boucles d'eau chaude sanitaire, on pourrait supprimer le préchauffage. Le fait que l'eau sorte chaude du robinet représente environ 5 % de la consommation d'un bâtiment ; or, si l'eau arrive tiède avant de se réchauffer, ce n'est pas si grave ! On doit aussi faire évoluer nos critères de confort, par exemple en diminuant la température d'un degré ; car si la loi dispose que les bâtiments doivent être chauffés à 19 degrés, la pratique est souvent différente...

Le troisième volet est le recours prioritaire aux énergies renouvelables. Engie est intéressé par la rénovation énergétique des bâtiments en tant qu'acteur de la transformation des systèmes énergétiques - une activité en tant que telle qui existe depuis longtemps -, et en tant que fournisseur d'énergie dans le cadre des certificats d'économie d'énergie (C2E) - une obligation qui représente pour le groupe environ 500 millions d'euros par an.

En 2020, les bâtiments résidentiels et tertiaires représentaient 47 % de la consommation d'énergie et 23 % des émissions de gaz à effet de serre (GES). La rénovation énergétique de ces bâtiments est donc fondamentale pour atteindre les objectifs de décarbonation de la France, et il est légitime de s'interroger sur l'accompagnement des démarches de rénovation.

Du point de vue d'un énergéticien, le bâtiment est une notion très large regroupant des réalités très différentes, que nous abordons à partir de la configuration des équipements. Les bâtiments ayant des installations énergétiques collectives - le bâtiment tertiaire public ou privé, et l'habitat collectif social ou privé - représentent 45 % des consommations d'énergie. L'ensemble restant est constitué de tous les autres bâtiments : maisons individuelles et bâtiments collectifs dotés d'équipements individuels.

Le premier ensemble - la partie « collective » - est géré au sein d'Engie par Energy solutions, que je dirige, avec une orientation forte donnée aux économies d'énergie sur la durée au travers des contrats de performance énergétique (CPE). Le deuxième ensemble relève du marché des particuliers d'Engie, dirigé par Florence Fouquet, dont la mission est de vendre aux clients particuliers de l'électricité ou du gaz ainsi que des services associés, notamment les équipements d'accompagnement de la performance énergétique. Les approches de ces deux catégories de bâtiments sont très différentes, car elles concernent des écosystèmes distincts : le B to B pour la partie collective ; le B to C pour la partie individuelle.

La rénovation énergétique des bâtiments doit s'intégrer dans une vision générale du système énergétique et de sa trajectoire, qui combine la réduction de l'intensité énergétique et le choix des vecteurs les plus appropriés. J'insisterai sur trois points.

Concernant l'intensité énergétique, le contexte géopolitique a eu pour conséquence de sensibiliser aux efforts nécessaires de sobriété énergétique. Nous avons constaté cette année une baisse de 7 à 10 % des consommations d'énergie dans l'ensemble des bâtiments que nous gérons, ce qui est significatif. Nous pouvons progresser encore dans ce domaine qui est pour nous absolument prioritaire.

Sur les vecteurs énergétiques, nous nous préparons à une croissance programmée des besoins en électricité, et le bâtiment y prendra sa part. Le parc nucléaire français est certes un outil précieux, mais il vieillit. Il est donc crucial d'accompagner cette transition par un développement massif des énergies renouvelables ; la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables est à cet égard très importante.

S'agissant de la résilience de notre système énergétique, les textes européens ont posé une ambition très forte, soit une part des énergies renouvelables de 42 % en 2030 et une réduction de 55 % des GES. Ces objectifs impliquent d'utiliser, en complément de l'électricité, les gaz verts et décarbonés - biométhane, hydrogène -, ainsi que la chaleur et le froid renouvelables, souvent issus des ressources énergétiques du territoire : biomasse, géothermie, récupération de chaleur fatale sur les sites industriels. Cela permettra de déployer des solutions à haute performance énergétique (HPE), notamment pour les réseaux de chaleur, car ces outils combinent l'aspect renouvelable et l'efficacité d'un système de production d'énergie.

On entend beaucoup parler de l'interdiction des chaudières à gaz. Outre les conséquences sociales d'une telle mesure, il faut savoir qu'elle nécessiterait d'ajouter 20 gigawatts de pointe électrique d'ici à 2035, ce qui représente 13 réacteurs nucléaires type EPR. Un autre effet serait une dépendance massive vis-à-vis des pays d'Asie, leaders pour la production des pompes à chaleur. Cela ne tient donc pas la route...

Notre préconisation est d'une autre nature. Il s'agit d'améliorer la performance énergétique des bâtiments équipés de chaudières à gaz, lesquelles sont au nombre de 3 millions environ. Nous proposons de remplacer la moitié d'entre elles par des chaudières à très haute performance énergétique, qui permettent de réaliser des économies de l'ordre de 30 % par rapport aux consommations précédentes, et l'autre moitié par des pompes à chaleur hybrides, qui combinent électricité et gaz en périodes de pointe importante. Nous proposons aussi d'utiliser le biogaz, dont il faut poursuivre le développement, dans les bâtiments afin de décarboner les chaudières qui demeureraient, et de prendre en compte dans le diagnostic de performance énergétique (DPE) la valeur des émissions du biogaz, pour ne pas diminuer la valeur patrimoniale des biens dont les propriétaires auraient fait le choix de l'énergie verte.

Des moyens financiers très importants sont alloués à la rénovation énergétique des bâtiments, autour de 10 milliards d'euros par an. À cet égard, nous faisons deux constats. Tout d'abord, il y a un problème d'efficacité : les aides ne permettent pas de réduire la consommation finale d'énergie dans les volumes escomptés ; il faut donc changer de rythme. Ensuite, le problème de fraude, l'écodélinquance, perturbe le bon fonctionnement des dispositifs et incite trop souvent à une modification régulière des textes et des dispositifs.

Dans ce contexte, il nous paraît indispensable d'assurer une stabilité et une prévisibilité des dispositifs, car la rénovation des bâtiments et les sujets énergétiques sont affaire de temps long. Par ailleurs, le traitement de l'écodélinquance, qui est nécessaire, ne doit pas modifier de manière intempestive les dispositifs. Il convient d'y consacrer les moyens suffisants et de sanctionner réellement ; la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ainsi que la gendarmerie doivent traiter les problèmes à la source, en croisant les fichiers des acteurs privés et publics. Mais il faut agir sans stopper la dynamique de rénovation.

Nous souhaitons non pas opposer la baisse de la consommation et le verdissement de l'énergie, mais les combiner de manière positive. Si la rénovation globale est souhaitable, elle est en pratique très complexe parce qu'elle se heurte à des freins psychologiques, logistiques et financiers. Nous suggérons donc de déployer des bouquets de solutions, plus efficaces que les gestes isolés, et d'encourager les parcours de rénovation dans le temps : dans les logements individuels, des bonus incitatifs, par exemple deux à trois ans après un premier geste de rénovation ; dans les logements collectifs, un mécanisme identique, mais sur une période plus longue pour prendre en compte le processus décisionnel, notamment dans les copropriétés.

Selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), les économies d'énergie induites par le dispositif des CEE représentent moins de la moitié des économies d'énergie théoriques comptabilisées par le dispositif. Nous suggérons donc, pour le secteur du tertiaire et du résidentiel avec chauffage collectif, une incitation très forte au déploiement des contrats de performance énergétique, lesquels garantissent les économies annoncées dans la durée, avec des sociétés de services d'efficacité énergétique qui s'engagent sur un niveau de performance.

Pour les bâtiments collectifs, on constate que le dispositif Ma Prime Rénov' est très peu déployé : il représente 5 % des fonds alloués. Nous proposons de renforcer ceux-ci sur cette cible, en particulier dans les copropriétés - pour commencer à hauteur de 300 millions d'euros.

Pour ce qui concerne le verdissement de la chaleur, le dispositif du fonds chaleur a montré son extraordinaire efficacité, à tel point qu'il est aujourd'hui saturé. Il faut impérativement augmenter la dotation à ce fonds pour que les projets puissent se réaliser. La dotation de 2023 est en effet déjà consommée, alors qu'il y a 32 projets de réseaux de chaleur en attente. Il s'agit de disposer d'un système d'efficacité énergétique partagée : plutôt que d'avoir une installation par immeuble, on mettrait en commun dans des centaines d'immeubles des installations de production et de transformation d'énergie, avec à la clé des économies spectaculaires.

Il faut aussi citer le plan Marshall de la chaleur renouvelable, dont l'objectif est d'atteindre 54 % d'énergies renouvelables à l'horizon 2030. Pour y parvenir, il convient de développer la géothermie, les pompes à chaleur, le solaire, le biogaz, la biomasse et la chaleur fatale issue des sites industriels.

Mme Florence Fouquet, directrice du marché des particuliers d'Engie. - Le marché des particuliers souffre également d'un manque de stabilité et de visibilité, car les dispositifs d'aides changent très fréquemment, et aussi de la grande complexité de ceux-ci : les particuliers, qui ne sont pas des spécialistes de l'énergie, ont du mal à les comprendre, d'où l'attentisme que l'on constate en matière de rénovation énergétique. Par exemple, les personnes hésitent à changer leur vieille chaudière, tandis que circulent des informations relatives aux contrefaçons de pompes à chaleur... On observe donc une forte décroissance de la rénovation à ce niveau.

Nous préconisons de réfléchir avec l'ensemble des parties prenantes à un dispositif de guichet unique pour que les particuliers n'aient qu'une seule demande à effectuer, et également à un système de « tiers payant » grâce auquel ils ne débourseraient que la somme dont ils seraient débiteurs, une fois prises en compte les différentes aides ; certaines entreprises le proposent d'ores et déjà, notamment des filiales d'Engie, mais cela reste limité.

L'écodélinquance est due, pour une grande part, aux dispositifs d'aide « à un euro ». Il convient donc de déterminer le bon niveau d'aide, afin d'éviter un mouvement de stop and go sur les interventions de rénovation dont les premières victimes sont les entreprises sérieuses ayant développé des offres et formé leurs conseillers et techniciens. Les écodélinquants, quant à eux, surfent d'une offre à un euro à l'autre. Une solution serait de lancer des études d'impact des nouveaux dispositifs, la question à se poser étant : quels sont le bon prix et le bon niveau du reste à charge pour que le dispositif d'aide soit équilibré et vertueux ?

Pour ce qui concerne le rythme de la rénovation sur le marché des clients particuliers, il convient de recourir à plusieurs systèmes - des gestes isolés, mais pas seulement. Par exemple, une chaudière à très haute performance énergétique fait baisser de 30 % la consommation d'énergie et induit une diminution de l'émission de GES. Une rénovation globale, en revanche, peut être compliquée pour une famille ou un couple de personnes âgées. Nous suggérons donc de prévoir un bouquet de solutions et d'inciter les particuliers à s'engager par étapes dans une démarche de rénovation.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je trouve intéressant qu'une entreprise qui vend de l'électricité alerte sur les risques du tout-électrique... Il faut agir, à la fois, sur la sobriété, et donc la limitation des déperditions, et sur le système de chauffage en diversifiant les solutions en fonction des territoires.

Entre rénovation par gestes et rénovation globale, il convient de trouver des solutions intermédiaires en termes de parcours et d'offre d'interventions, et de disposer d'une visibilité. Sur le site internet d'Engie, comme sur d'autres, ce sont plutôt les gestes simples - changement de chaudière, par exemple - qui sont encouragés. Il serait intéressant de renvoyer à une plateforme commune d'accompagnement. En effet, la multiplication des acteurs ne favorise pas la lisibilité. Quel votre avis à cet égard ?

Ma Prime Rénov' et les C2E recouvrent des moyens et des politiques de financement très différents. Sans les fusionner, il serait bon de rapprocher ces dispositifs. Y avez-vous réfléchi ?

S'agissant du contrat de performance énergétique, comment intégrer la question de l'usage ? Car si la consommation électrique est facile à contrôler, il n'en va pas de même d'autres modes de chauffage.

Comment envisagez-vous l'évolution du label RGE ? Qu'en est-il du contrôle sur sites des travaux ?

M. Franck Lacroix. - Avant de recourir à une énergie qui vient de loin, il faut avant tout se demander quelle solution on peut trouver là où l'on est. À cet égard, les réseaux de chaleur constituent des parcours d'innovation technologique intéressants : depuis leur apparition au début du XXsiècle, on a amélioré leur rendement en baissant le niveau de température de manière spectaculaire. Actuellement, nous étudions les moyens de moins recourir à la combustion, via la géothermie, les pompes à chaleur et l'interconnexion des immeubles afin que ceux-ci échangent leur énergie. Il importe d'être plus intelligent à l'échelle d'un territoire.

Quant à l'autoconsommation des bâtiments, elle peut concerner le chauffage et l'eau chaude sanitaire, mais aussi la partie électrique, au travers de l'installation d'équipements solaires photovoltaïques sur d'autres bâtiments situés alentour. Ainsi, l'énergie produite dans un bâtiment profite à ceux qui sont à côté : il s'agit d'autoconsommation collective. De telles infrastructures collectives permettent aussi d'apporter des solutions vertueuses pour la production du froid. Grâce à ces mises en commun, chaque module de l'installation fonctionne à 100 % et l'on peut, ce faisant, stocker du froid. Préparer les infrastructures énergétiques collectives de demain est donc très important.

Mme Florence Fouquet. - Pour ce qui concerne les clients particuliers, les pouvoirs publics doivent simplifier l'accès aux informations sur les dispositifs d'aide labellisés par l'État. Par ailleurs, ces clients doivent être accompagnés par les organismes publics, comme l'Agence nationale de l'habitat (Anah), mais aussi les entreprises du secteur de l'énergie. Les clients d'Engie, par exemple, considèrent que nous sommes des conseillers légitimes dans le domaine de la rénovation énergétique, et environ 5 millions de Français consultent chaque année notre site. Il importe donc d'allier les forces de l'État et celles de nos entreprises. Nous employons aussi des conseillers spécialisés en efficacité énergétique. À cet égard, nous regrettons de ne pouvoir être Accompagnateur Rénov', alors même que nous avons tout intérêt à bien conseiller nos clients.

Une fois franchie l'étape de l'information, celle du passage à l'action peut poser des difficultés dans la mesure où les particuliers doivent avancer certaines sommes avant de percevoir les aides. Voilà pourquoi il conviendrait de réfléchir à un dispositif de tiers payant après validation des dossiers, avec un système de flux croisés entre l'État et les acteurs privés.

La labellisation RGE est une première base. Il serait bon de renforcer en amont ce label, qui a le mérite d'exister, afin de mieux sélectionner les entreprises et de limiter l'écodélinquance à la source. La labellisation doit être complétée par des formations continues, dans la mesure où les techniques évoluent, et par des audits sérieux en vue d'éventuels retraits de label en cas de manquements. Actuellement, en effet, il est très difficile de priver une entreprise du label ; dans plus de 90 % des cas, celles qui ont fait l'objet d'une procédure de retrait le récupèrent. Un tel dispositif de contrôle existe d'ores et déjà pour les professionnels du gaz naturel.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - En renforçant le label RGE, ne risque-t-on pas de décourager les entreprises qui souhaitent intervenir dans ce secteur, alors même que l'on en a tant besoin ? Le ministre de l'économie a en effet annoncé pour 2025 une augmentation importante du nombre d'entreprises labellisées RGE... Ne faudrait-il pas trouver un équilibre ?

Mme Florence Fouquet. - À cet égard, la formation initiale est très importante et on pourrait envisager d'aider les entreprises à en bénéficier. Par ailleurs, une fois le label obtenu, il faut montrer qu'on le mérite. L'accompagnement des entreprises et la formation ont plusieurs avantages : les professionnels montent en compétence et des emplois sont créés. L'idéal serait de construire une filière d'excellence. On pourrait ainsi diminuer le nombre de contrôles a posteriori, qui pallient actuellement une labellisation quelquefois trop facilement accordée.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Comment tenir compte de l'usage des particuliers dans les contrats de performance énergétique ?

Mme Florence Fouquet. - Pour les particuliers, nous commençons à réfléchir à des systèmes incitatifs ; il n'existe pas encore de contrats de performance énergétique. En 2022, les pouvoirs publics et les grands groupes de l'énergie ont incité à la sobriété et se sont interrogés sur l'usage des compteurs communicants, très précis pour ce qui concerne la consommation d'électricité, l'idée étant de faire prendre conscience des quantités d'énergie consommées. Engie et plusieurs fournisseurs d'énergie ont mis à la disposition de leurs clients des applications pour les inciter à moins consommer, en échange de bonus. Sur notre espace clients, 400 000 personnes se sont inscrites, attirées par l'incitation et le fait d'être guidées dans leur démarche d'économies ; en moyenne, elles ont consommé 8 % de moins que nos clients qui n'y avaient pas participé.

En conclusion, les systèmes incitatifs ainsi que la facilitation sont les meilleurs moyens d'intéresser les particuliers aux économies d'énergie.

M. Franck Lacroix. - C'est un point commun avec le secteur des bâtiments collectifs : dans ce dernier s'appliquent les contrats de performance énergétique, grâce auxquels on met en place dans la durée un dispositif de dialogue et d'information. C'est important dans la mesure où la rénovation doit, elle aussi, s'inscrire dans la durée.

M. Philippe Folliot. - L'Union européenne considère que le nucléaire, donc l'électricité, ainsi que le gaz sont des énergies écologiques de transition. Parallèlement, un programme de remplacement des chaudières à gaz a été lancé. Quelle est votre position à cet égard ? Un mix énergétique doit-il être mis en place ? Faut-il installer des chaudières à gaz plus performantes ? Quelles conséquences pourrait avoir le tout-électrique ?

M. Franck Lacroix. - Le système énergétique de demain ne comprendra pas une seule énergie ; ce serait absurde. Si l'on devait supprimer toutes les chaudières gaz arrivant à expiration d'ici à 2030, il faudrait augmenter la capacité de production d'électricité en pointe de 20 gigawatts, ce qui - je l'ai dit - représente 13 EPR... Ce n'est pas possible.

À l'échelle des maisons et des habitats collectifs, ce n'est pas possible non plus parce que les pompes à chaleur ne fonctionnent bien que jusqu'à un certain niveau de température ; en-deçà, elles ne marchent plus, ou mal. Le fait qu'il y ait toujours des chaudières à gaz n'est pas un problème, dès lors que leur utilisation diminue de manière importante.

Au niveau d'une ville ou d'un pays, la mixité des vecteurs énergétiques est la solution optimale. Ainsi, pour nos réseaux de chaleur ou de froid, nous faisons des efforts pour diversifier le mix énergétique ; il n'est pas rare que nos techniciens aient dans leurs installations quatre, cinq ou six sources énergétiques différentes, par ordre de priorité - la biomasse est le socle, puis on récupère l'énergie dans la station d'épuration des eaux, et enfin on utilise le gaz, tout cela pour décarboner au maximum.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous vous remercions de vos interventions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de MM. Guillaume Laroque, président de TotalEnergies marketing France, et Francois Ioos, directeur certificats d'économies d'énergies de TotalEnergies

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux par l'audition de MM. Guillaume Laroque, président de TotalEnergies marketing France et François Ioos, directeur certificats d'économies d'énergies de TotalEnergies. Monsieur Laroque, vous avez fait une carrière de près de 30 ans au sein du groupe TotalEnergies, dans lequel vous avez eu des responsabilités dans plusieurs zones du monde : en Asie, en Afrique, en Autriche ou encore en Allemagne. Plus récemment, vous avez été directeur du réseau et des cartes pétrolières et depuis un peu plus de trois ans vous êtes à la tête de TotalEnergies marketing France. Monsieur Francois Ioos, vous avez - vous aussi - fait une carrière au sein du groupe TotalEnergies, légèrement plus courte, un peu moins de 20 ans. Vous avez dirigé différentes filiales et vous avez eu des responsabilités dans plusieurs régions : en Amérique du Sud, aux Antilles ou encore en Afrique. Depuis un peu plus d'un an et demi, vous êtes directeur des certificats d'économie d'énergie (C2E) et vous couvrez donc les obligations qui s'imposent à votre groupe à ce sujet.

Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de présenter votre groupe, TotalEnergies, première entreprise française et acteur mondial de la production et de la fourniture d'énergies - pétrole et gaz naturel évidemment - qui cherche dorénavant à se diversifier : biocarburants, énergies renouvelables, électricité et efficacité énergétique. C'est avec cette variété d'activités que nous avons voulu vous entendre, au-delà de votre rôle historique de pétrolier. En tant que fournisseur d'énergie, vous devez promouvoir l'efficacité énergétique auprès des consommateurs d'énergie, notamment les particuliers, ce qui implique des économies d'énergie, calculées en kWh « cumac », contraction de « cumulé » et « actualisé » : il s'agit d'inciter vos clients à effectuer des actions qui contribueront à réduire la consommation énergétique de la France. Cette incitation passe notamment par les C2E via l'octroi de primes énergie pour la réalisation de travaux de rénovation énergétique éligibles au dispositif, comme des travaux d'isolation ou de nouveaux équipements de chauffage. Vous pourrez d'ailleurs revenir sur l'ensemble des activités de TotalEnergies qui sont liées à la rénovation énergétique des logements.

Quel regard portez-vous sur les objectifs et les moyens de la rénovation énergétique des logements en France ? Comment, à cet égard, TotalEnergies entend relever le défi de la massification et de l'accélération des rénovations de logement ? Pouvez-vous dresser le bilan de vos obligations, notamment en termes de C2E ? Ce dispositif, qui s'impose aux fournisseurs d'énergie, est-il suffisant pour promouvoir l'efficacité énergétique auprès des consommateurs d'énergie, surtout tels que les particuliers ? Quelle place occupe TotalEnergies dans le financement des C2E ? Comment les pouvoirs publics peuvent-ils plus globalement favoriser la montée en puissance des rénovations de logement ? Jugez-vous les dispositifs de soutien à la rénovation énergétique des logements pertinents et efficaces ? Quelles évolutions estimez-vous nécessaires ?

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

MM. Laroque et Ioos prêtent serment.

M. Guillaume Laroque, président de TotalEnergies marketing France. - Merci pour votre invitation. TotalEnergies est devenue un acteur majeur de la transition énergétique, l'entreprise a en effet changé de nom en mai 2021 et se fixe pour objectif de figurer parmi les cinq premiers producteurs mondiaux d'électricité solaire renouvelable en 2030. Un programme de 60 milliards d'euros à cet horizon doit nous permettre d'atteindre 100 gigawatts d'énergie renouvelable. Nous développons également d'autres énergies bas carbone, en particulier les biocarburants, le biogaz, l'hydrogène, l'e-fuel. Le mix de l'énergie que nous vendons va changer : en 2030, la moitié de l'énergie que nous vendrons devrait être du gaz naturel, 30 % de produits pétroliers, 15 % d'électricité renouvelable et 5 % de molécules décarbonées, et nous nous fixons pour objectif d'atteindre la neutralité carbone en 2050 en Europe. Nous accompagnons donc un mouvement plus général, celui de la transition énergétique par nos clients. En France, nous sommes associés à Stellantis et Mercedes Benz pour produire des batteries électriques destinées aux véhicules, et nous sommes un fournisseur d'énergie de quelque 6 millions de clients.

La rénovation énergétique des bâtiments a un rôle clé dans la réduction du CO2 émis dans notre pays. Les bâtiments émettaient 93 millions de tonnes de CO2 en 1990, et 62 millions de tonnes en 2022 et l'objectif est d'atteindre 45 millions de tonnes en 2030, ce qui représente le quart de la baisse globale des émissions dans notre pays. Les C2E sont donc déterminants. La rénovation énergétique passe par deux leviers : le financement, parce qu'elle demande de l'investissement, mais aussi des incitations à un comportement vertueux du consommateur. TotalEnergies a une obligation cumulée de 180 térawatts-heure par an, ce qui représente 23 % des obligations de la nation - soit un effort financier de 1,5 milliard d'euros cette année.

Nous avons un rôle direct en tant qu'énergéticiens, et nous mettons en oeuvre des actions pour aider les consommateurs à mesurer leur consommation, avec un suivi mensuel et personnalisé ainsi qu'un comparatif en fonction de la composition des ménages, pour que chacun puisse se repérer, c'est incitatif. Nous avons également mis en place un bonus, jusqu'à 90 euros, pour les consommateurs qui ont dépassé 5 % d'économie d'énergie l'an passé, 1 million de nos clients l'ont fait. Toujours sur le volet incitatif, nous incitons au covoiturage, nous sommes partenaires de BlaBlaCar et finançons à ce titre un bonus d'entrée pour tout nouveau conducteur, 3 millions d'entre eux en ont bénéficié depuis 2010, dont environ 300 000 l'an dernier. Nous aidons également nos clients à s'équiper en énergie moins carbonée - nous avons ainsi, l'an passé, aidé 40 000 clients à passer du fioul à une pompe à chaleur ou à une chaudière.

Nous avons un rôle plus indirect dans le domaine de l'isolation - d'autres entreprises sont plus qualifiées que nous dans le domaine - mais nous avons participé à 390 000 opérations de rénovation énergétique en 2022, dont 194 000 pour des foyers précaires, 130 000 étaient des rénovations de combles et de toitures, 30 000 des isolations de murs, 25 000 de planchers, et seulement 5 000 rénovations globales. Nous savons que l'objectif gouvernemental est d'atteindre chaque année 500 000 rénovations globales performantes, c'est-à-dire capables d'atteindre un DPE A ou B.

Comment accélérer le mouvement ? Nous pensons qu'il faudrait rendre le système des C2E plus lisible. Il est complexe pour les entreprises de rénovation, pour les clients, en particulier la constitution administrative des dossiers, et il change souvent - probablement pour de bonnes raisons techniques, mais la fréquence même du changement pose des problèmes. Il faudrait plus de stabilité dans le fonctionnement, dans la présentation des fiches techniques, pour donner plus de perspectives, donc améliorer la capacité des clients à anticiper leurs gains par leur investissement. Certaines fiches ont changé trois fois dans la même année, obligeant les acteurs à adapter leurs logiciels - nous avons dépensé 1,5 milliard d'euros dans nos systèmes informatiques pour gérer les C2E : TotalEnergies peut le faire, mais les entreprises plus petites ont du mal à suivre. Les changements peuvent être justifiés, mais leur trop grande fréquence crée de l'incertitude et de l'inconfort.

Ensuite, il faut voir que l'accélération n'est pas empêchée par un problème financier, mais par les limites relatives à la mise en oeuvre des rénovations, ce sont des limites de terrain, qui nous concernent tous. Pour accroître notre capacité à faire, il faut une meilleure formation des artisans et des professionnels, nous avons en particulier besoin de recruter environ 100 000 compagnons supplémentaires et il faut également qualifier plus largement au label RGE. Nous devons également renforcer les bureaux de contrôle, pour que la chaîne qualité suive. Enfin, il faut mieux accompagner les particuliers dans leur maîtrise d'ouvrage, car les chantiers de rénovation sont complexes, ce rôle d'accompagnement est indispensable à l'échelle locale. Et il nous semble nécessaire que ce conseil puisse être en mesure de dire quelles conséquences les travaux auront sur la note DPE. Or, si les économies d'énergie sont prévisibles et annoncées comme telles, le changement de la note DPE reste incertain, alors que c'est un facteur essentiel d'investissement pour les particuliers, surtout pour des chantiers qui représentent une somme importante - nous chiffrons la moyenne des rénovations globales à 60 000 euros. Il faut donc parvenir à ce que le conseil porte sur les deux aspects : les économies d'énergie et le nouveau classement DPE.

Enfin, il faut renforcer la labellisation RGE : 63 000 entreprises en bénéficient, sur les 700 000 entreprises du bâtiment, il faut aller plus loin - en augmentant le nombre d'entreprises qui en bénéficient, et en les aidant à recruter davantage sur ce critère.

Pour les contrôles, il serait utile que l'information soit plus fluide et qu'elle soit partagée. Environ 100 000 contrôles sont réalisés chaque année, c'est significatif mais comme l'information n'est pas partagée, elle ne bénéficie pas à l'ensemble du système, c'est dommage en particulier pour la grande majorité des entreprises, qui font un travail de grande qualité.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci de cette présentation. Vous paraissez lier directement DPE et C2E, comment voyez-vous cette articulation, plus précisément ? Nous avons entendu des critiques sur le DPE, on nous demande de le simplifier, mais aussi, pour les travaux de rénovation financés par le C2E, d'aller vers un système de « bouquet » de travaux, qui tendrait à une rénovation globale : comment voyez-vous les choses et quelles sont vos réflexions sur ce qui est au coeur des politiques publiques en la matière ?

Comment voyez-vous, ensuite, l'articulation entre les C2E et MaPrimeRénov' ? Il y a des problèmes de lisibilité, voire de contradiction entre les dispositifs : comment résoudre ces problèmes, pour mieux articuler ces deux dispositifs ?

S'agissant du label RGE, les questions portent aussi sur le contrôle des travaux effectués, on en vient à se demander s'il ne faudrait pas contrôler les chantiers directement, plutôt que de passer par la simple labellisation des entreprises : qu'en pensez-vous ? Estimez-vous possible d'établir un mécanisme tel que le consuel, qui existe pour l'électricité ?

Le DPE ne dit rien du confort d'été, alors que ce confort importe à l'habitat et qu'il varie avec les matériaux et les techniques utilisés dans la rénovation : intégrez-vous ce confort dans vos réflexions ?

Enfin, en consultant votre site internet dédié aux C2E, avec le slogan « L'énergie tout compris », vous mettiez en avant les primes que le client peut espérer pour rénover, ce qui oriente vers la rénovation par gestes, plutôt que vers la rénovation globale, et je relève aussi que l'audit préalable ou l'accompagnement ne sont guère valorisés : qu'en pensez-vous ?

M. Guillaume Laroque. - Comment les C2E et le DPE sont-ils imbriqués ? D'après nos calculs, une rénovation globale représente, en moyenne, un forfait de 60 000 euros et une rénovation complète par gestes séparés, environ 10 % de plus : cette différence, même avec un reste à charge réduit pour les foyers précaires, devrait inciter fortement à une rénovation globale. Cependant, les foyers partent de situations très diverses, certains ont déjà changé leurs fenêtres, d'autres donnent la priorité à la rénovation de leurs combles, selon leur habitat et leur ressenti. Il faut prendre en compte également le fait que pendant des années, nous avions un reste à charge de 1 euro pour la rénovation par exemple des huisseries : ce n'était guère une incitation à contrôler que les travaux étaient bien faits ; faut-il un reste à charge de 30 %, ou moins, ou plus ? Ce n'est pas à nous de le dire, mais il doit y avoir un lien entre le reste à charge et l'implication des ménages dans la rénovation et dans le contrôle des travaux. Cependant, une rénovation par gestes, pas à pas, paraît souvent plus surmontable aux ménages, pour des raisons financières mais aussi pour la disponibilité des logements. Il faut bien voir, aussi, qu'il est parfois difficile de trouver l'entreprise capable de tout faire, en tout cas plus difficile que de trouver plusieurs entreprises qui se répartissent le travail, c'est ce que nous disent nos équipes de terrain et ce qui incite à faire plus de formation sur la rénovation énergétique en général.

Comment mieux accompagner vers une rénovation globale, alors qu'aujourd'hui, c'est bien le prix et le reste à charge qui priment ? Je crois primordial de mieux informer sur l'amélioration du DPE à l'issue des travaux, c'est un facteur essentiel de la décision d'investir, mais qui reste mal informé aujourd'hui. On gagnera certes à simplifier les choses, à rendre plus claire l'articulation entre MaPrimeRénov' et les C2E, mais leur stricte coïncidence est certainement difficile à atteindre et je crois qu'il vaut mieux aider les ménages à anticiper les résultats de leur investissement, donc les informer clairement sur le DPE à l'issue des travaux.

Il nous semble également que l'accompagnateur a un rôle clé et qu'il doit intervenir sur le chantier, car la rénovation est toujours complexe et jamais aisée, les ménages s'y retrouvent mieux quand ils sont accompagnés. De notre côté, nous appelons nos clients systématiquement à l'issue de tout chantier de rénovation - mon collègue est mieux à même de préciser ce point.

M. François Ioos, directeur certificats d'économies d'énergies de TotalEnergies. - Effectivement, nous appelons systématiquement nos clients à l'issue des chantiers, nous parvenons à en joindre la moitié, la plupart d'entre eux nous disent être satisfaits des travaux, 2 % seulement demandent des suppléments. Les clients, cependant, ne maîtrisent pas la conformité technique des travaux effectués, c'est bien pourquoi les contrôles par des professionnels sont importants ; environ le quart des chantiers auxquels nous participons en bénéficie, mais ces contrôles relèvent de circuits différents - au titre du label RGE de MaPrimeRénov', des C2E - qui ne communiquent pas entre eux, c'est regrettable, il serait plus efficace de regrouper ces informations.

M. Guillaume Laroque. - Un système tel que le consuel serait idéal, mais en attendant, un contrôle systématique par un technicien serait déjà un progrès. Cependant, nous butons sur les capacités des bureaux de contrôle : s'il n'y a que 100 000 contrôles par an, c'est qu'il est difficile de faire plus, d'où cette proposition pragmatique de partager l'information, ce sera plus efficace.

Sur le confort d'été, j'avoue ne pas disposer d'éléments suffisants pour vous répondre : nous reviendrons vers vous par écrit.

M. Laurent Burgoa. - Avez-vous des partenariats avec l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) et l'Agence nationale pour l'habitat (Anah) ? Cela donnerait un rôle social à la première entreprise française, pour accompagner la rénovation énergétique des logements sociaux : qu'en est-il ?

M. Guillaume Laroque. - Nous avons des partenariats avec ces deux agences nationales, ils présentent l'avantage qu'on peut travailler à plus grande échelle, sur des chantiers plus significatifs et mieux contrôlés.

M. François Ioos. - Effectivement, nous travaillons avec de nombreux bailleurs sociaux, notre porte est d'autant plus ouverte que les C2E sont un levier d'action et que nous avons obligation de nous tourner vers les publics précaires.

M. Guillaume Laroque. - Nous connaissons très bien ces partenaires et nous travaillons sur les deux volets - l'investissement dans les travaux et l'incitation à la maîtrise énergétique, les deux sont liés, et il ne faudrait pas que la rénovation conduise à ce que les ménages réduisent leur vigilance sur leur consommation, nous traitons ces questions ensemble.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Quelle est votre approche de Mon Accompagnateur Rénov' ? Les responsables d'Engie viennent de nous dire déplorer n'avoir pas été suffisamment associés à la maîtrise d'ouvrage, et qu'ils se sentent, en tant qu'obligés, exclus : qu'en pensez-vous ? Jusqu'où étendre l'accompagnement et quelle serait sa juste rémunération ?

M. Guillaume Laroque. - De mémoire, nous avons eu des programmes sur le sujet, et il me semble que nous avons été impliqués dans la définition de l'aide à apporter aux particuliers dans l'assistance à la maîtrise d'ouvrage. Le fait que nous ne soyons pas directement associés à l'accompagnement me paraît cependant normal, et même souhaitable, dès lors que nous vendons de l'énergie et que l'accompagnateur doit être neutre, indépendant des vendeurs d'énergie. En revanche, ce qui me semble important, outre l'indication du DPE en sortie de travaux, c'est de mieux faire connaître les dispositifs d'aide. Beaucoup de nos concitoyens ne savent même pas ce que sont les C2E. Or des guides existent, mais leur volume pose problème - celui que j'ai consulté fait 45 pages - et montre bien qu'il faut un accompagnement pour les ménages. Ce dernier est d'autant plus justifié qu'il augmentera l'efficacité des travaux et qu'il rassurera les ménages face à un investissement de cette importance.

Un point d'attention, cependant : je ne sais pas dire pourquoi il est préférable de faire une rénovation globale tout de suite plutôt que progressive, à part l'avantage immédiat de réduire sa consommation d'énergie. Les ménages ont des envies différentes, selon leur situation particulière, mais aussi selon le caractère plus ou moins invasif des travaux nécessaires. Ceux qui font des rénovations globales, ce sont surtout les bailleurs, ils ont la capacité financière d'investir et ils disposent entièrement du logement entre deux moments d'occupation par des locataires : la situation est très différente quand vous envisagez des travaux dans le logement que vous habitez. Je ne vois donc pas en quoi la rénovation par étapes serait à éviter.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Effectivement, à condition qu'elle s'inscrive dans un parcours.

M. Guillaume Laroque. - C'est vrai, et la note DPE est un aiguillon global, mais il faut pouvoir l'anticiper - j'y reviens sans cesse.

M. François Ioos. - Ce que nous voyons, c'est une grande diversité de situations individuelles, sur le plan financier mais aussi sur les logements et la façon de les habiter. Quand on veut accélérer le mouvement, il faut ouvrir les portes plutôt que les fermer, pour laisser les gens avoir le choix. Cependant, il vaut mieux que ce choix soit éclairé par l'Accompagnateur Rénov' et par l'artisan, c'est ce qui rend la formation décisive, parce que c'est bien vers eux que les particuliers se tournent pour avoir du conseil et se décider.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Certes, mais si je m'adresse seulement à un chauffagiste parce que j'ai dans l'idée de changer ma chaudière, il y a peu de chance qu'il me conseille sur autre chose - et c'est bien pourquoi il vaut mieux en passer par une vision d'ensemble, globale.

M. François Ioos. - C'est vrai, le chauffagiste vous renseignera sur les aides auxquelles vous pouvez prétendre et sur le reste à charge.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Une autre question sur la transition énergétique : certains veulent aller vers le tout électrique, pour décarboner notre énergie ; vous qui produisez et vendez toutes sortes d'énergies, qu'en pensez-vous ?

M. Guillaume Laroque. - Nous accompagnons en fait un mouvement d'ensemble, en essayant d'anticiper le mouvement, pour répondre aux besoins de la société. L'Union européenne annonce la mise en place de 10 millions de pompes à chaleur d'ici 2030, ce qui représenterait environ 1 million de pompes en France, en proportion. L'an passé, il y a eu 650 000 pompes à chaleur installées dans notre pays, l'objectif européen ne paraît donc pas inaccessible et notre objectif est bien d'accompagner ce mouvement, le marché, qui repose sur la décision des particuliers, elle-même fonction de leur anticipation du coût de l'énergie. Il y a certes les ambitions politiques, les objectifs énoncés, mais ce sont bien les décisions des clients qui rendent les choses effectives.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Certes, mais les décisions politiques orientent les choses, par exemple lorsqu'on décide d'aider le financement des pompes à chaleur, ou pas, ou d'interdire les chaudières au fioul. Et il y a une réflexion à avoir à l'échelle territoriale, pour tenir compte de ce qui existe déjà à proximité - par exemple un réseau de chaleur ou des unités de méthanisation. Il y a donc un marché, des clients, mais aussi des outils d'orientation et de régulation, et nous devons réfléchir en particulier à l'échelle locale.

M. Guillaume Laroque. - Effectivement, et il faut également tenir compte des contraintes actuelles du système. Des règles sont à définir, mais elles ne peuvent descendre à un niveau de détail suffisant pour décider de tout, et c'est bien pourquoi il nous semble décisif que le particulier soit éclairé, pour qu'il prenne des décisions elles-mêmes éclairées - donc qu'il dispose de bons conseils. Il y a des règles générales à poser, et je vous rejoins pour dire que dans ce cadre, les acteurs locaux doivent pouvoir composer au mieux avec ce qui existe sur leur territoire.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci pour ces échanges.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Laurent Bortoli, directeur des crédits à la direction du marketing de la banque de détail de la Banque postale, de Mme Sophie Olivier, directrice des marchés et des études à la Confédération nationale du Crédit mutuel

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous sommes très heureux de pouvoir auditionner deux acteurs du secteur bancaire afin d'aborder la question du financement de la rénovation énergétique des logements par les particuliers.

Nous recevons Mme Sophie Olivier, directrice des marchés et des études à la Confédération nationale du Crédit Mutuel, et M. Laurent Bortoli, directeur des crédits à la direction du marketing de la banque de détail de La Banque Postale.

La Banque Postale et le Crédit Mutuel sont particulièrement impliqués dans l'accès à la rénovation énergétique pour tous puisqu'ils ont la particularité d'être les rares établissements bancaires à proposer le prêt avance rénovation (PAR) créé par la loi Climat et Résilience en 2021 à la suite du rapport d'Olivier Sichel que nous avons par ailleurs auditionné.

Ce prêt hypothécaire se remboursant à la mutation du bien ou, au plus tard, dans un délai de vingt ans est accessible aux propriétaires occupants de passoires énergétiques ayant des revenus modestes ou très modestes, selon l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Ce prêt garanti par l'État permet de financer jusqu'à 30 000 euros de travaux pour des rénovations au geste ou globales. Ce dispositif récent semble, pour le moment, peu opérant. Que pouvez-vous nous dire sur les débuts du prêt avance rénovation ? Combien ont été distribués ? Pour quels montants et quels types de travaux financés ?

Certains réfléchissent à l'élargir voire à le généraliser tel le secrétaire général à la planification écologique que nous avons également auditionné. Dans ce but, faut-il supprimer les conditions de revenus et augmenter son plafond afin d'en faire un véritable outil de financement par les particuliers de la rénovation énergétique sur le modèle des prêts distribués par la banque de développement allemande, la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW) ? De nombreuses personnes auditionnées se positionnent en faveur d'un tel dispositif de prêt hypothécaire. Les recherches de l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE) démontrent les bénéfices d'un prêt à la rénovation à taux bas étendu à 30 ans en termes d'équilibre et de soutenabilité pour les ménages. Quelle est votre analyse du sujet et quels sont les blocages ?

Nous avons des interrogations assez semblables sur l'éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) qui semble, lui aussi, ne pas trouver son public ou son mode de distribution. Si pendant de nombreuses années, la faiblesse des taux d'intérêt pouvait expliquer que l'outil ait pu être mis de côté, ce n'est plus le cas aujourd'hui. À quelles conditions les banques pourraient-elles intégrer le financement de la rénovation énergétique et sa contribution à la transition écologique à leurs obligations environnementales, sociales et de bonne gouvernance (ESG) comme cela a été suggéré devant notre commission ?

Enfin, un des trois groupes du Conseil national de la refondation (CNR) Logement, dont nous attendons le rendu pour le début du mois de juin, a proposé la création d'une banque de la rénovation énergétique. Qu'en pensez-vous ?

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat. Un compte rendu sera publié. Je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal qui peuvent aller de trois ans à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment et à dire toute la vérité, rien que la vérité.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Sophie Olivier et M. Laurent Bortoli prêtent serment.

Mme Sophie Olivier, directrice des marchés et des études à la Confédération nationale du Crédit Mutuel. - Merci de nous avoir conviés à cette audition sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique. Je vous présenterai aujourd'hui la manière dont le Crédit Mutuel intervient en tant qu'acteur bancaire mutualiste.

L'acquisition d'un logement, neuf ou ancien, et sa rénovation sont des projets importants pour nos sociétaires pour lesquels nous disposons de solutions personnalisées. S'agissant plus particulièrement de la rénovation énergétique, nous avons une offre dans laquelle les dispositifs publics sont des accélérateurs importants. Nous en proposons trois à date : l'éco-prêt à taux zéro que nous distribuons depuis 2009 ; le prêt avance rénovation que nous distribuons depuis 2022 ; le couplage prêt à taux zéro/MaPrimeRénov'en cours de déploiement dans nos réseaux. Nous regardons par ailleurs avec attention l'éco-prêt à taux zéro copropriété, que nous ne distribuons pas aujourd'hui, et qui nécessiterait d'être revisité afin de pouvoir être distribué de manière plus importante.

L'éco-prêt à taux zéro est disponible sans condition de ressources. Il permet de financer différents types de travaux de rénovation énergétique dans la résidence principale du propriétaire occupant ou du locataire d'un propriétaire bailleur, avec des plafonds variables selon la nature des travaux et des durées pouvant aller jusqu'à 20 ans. Le changement réglementaire de 2019 autorisant à financer des monogestes  alors qu'il fallait auparavant obligatoirement financer plusieurs types de travaux - a permis au produit de décoller, avec une hausse de la production multipliée par quatre entre 2018 et 2022. Sur le marché, 82 000 éco-prêts à taux zéro ont été distribués en 2022 pour plus d'un milliard d'euros. Le groupe est un acteur significatif sur ce marché puisqu'il représente près d'un tiers de cette production, soit plus que sa part de marché naturelle dans le financement du logement qui est plutôt de l'ordre de 20 %.

Environ deux tiers des éco-prêts ne portent que sur un seul geste, 20 % concernent des bouquets de travaux, le solde couvrant des rénovations plus globales. Le montant moyen est d'environ 13 400 euros, de l'ordre de 10 000 euros pour un seul geste et de 38 000 euros pour une performance globale. L'éco-prêt à taux zéro performance globale, qui est la solution la plus complète, a progressé mais ne représente aujourd'hui que 2,45 % de la production des éco-prêts en 2022, malgré l'augmentation du plafond consentie en 2021. Il faut savoir que des travaux d'atteinte de performance énergétique globale coûtent plus cher et sont plus contraignants, avec la réalisation d'au moins six types de travaux sur les sept éligibles. Cette progression mérite d'être suivie avec l'interdiction de louer les passoires thermiques en 2025 pour les classes énergétiques G et en 2028 pour les classes énergétiques F, obligation qui pourra inciter certains bailleurs à vendre leur bien avant l'échéance et d'autres à réaliser les travaux nécessaires dans un contexte de hausse des taux d'intérêt qui redonne un vrai levier à l'éco-prêt à taux zéro.

Notre réseau alerte néanmoins sur deux points.

D'une part, la procédure d'instruction de l'éco-prêt reste longue et fastidieuse avec des formulaires à remplir par les clients et les entrepreneurs et des vérifications par nos réseaux sur des aspects techniques qui ne font pas partie de nos compétences, ce qui conduit parfois le client à abandonner au milieu de la procédure ou au profit de prêts travaux plus simples et plus rapides à mettre en place.

D'autre part, les délais de perception de MaPrimeRénov' restent des irritants forts pour l'étude du plan de financement et pour l'analyse de la solvabilité du dossier du client. C'est du reste ce qui a conduit au développement de l'outil qui couple l'éco-prêt à taux zéro avec MaPrimeRénov', produit sur lequel nous avons lancé un test en début d'année et que nous commençons à déployer sur le territoire. Ce couplage présente l'avantage que la prime est calculée directement par l'Anah : le chargé de clientèle reçoit alors une attestation lui permettant de connaître directement le reste à charge à financer par son client. Notre réseau salue cette simplification qui constitue un véritable plus.

MaPrimeRénov' est versée en fin de travaux, c'est-à-dire que les clients doivent en faire l'avance, alors que l'aide est accordée sous plafond de revenus, c'est-à-dire que ces clients sont relativement modestes. S'ils ne disposent pas des fonds nécessaires pour compenser la différence, ces derniers risquent de se retrouver à court de budget. A contrario, avec l'éco-prêt classique, il suffit que les clients fournissent le devis des travaux et il est alors possible de préfinancer les aides. Nous soutenons donc l'initiative poussée par la profession de pouvoir préfinancer les aides, par exemple par subrogation du client par le prêteur auprès de l'Anah, ce qui permettrait d'inclure le montant de cette aide dans le prêt en ayant la certitude d'être remboursé du montant.

Le prêt avance rénovation est un nouveau prêt qui vise à financer le reste à charge pour des clients modestes et très modestes. C'est un produit sur lequel le Crédit Mutuel s'est mobilisé lors de son lancement à la suite des propositions du rapport de M. Sichel pour la massification de la rénovation des logements, notamment des passoires thermiques des propriétaires très modestes ou âgés. La nouveauté introduite par cette solution est que le prêt est remboursé lors de la mutation du bien par vente ou par succession. C'est un prêt qui mobilise une hypothèque obligatoire, ce qui permet au prêteur d'être informé de la vente du bien sur lequel porte la garantie réelle. Son montant maximal est de 30 000 euros pour un taux actuel de 2,50 %. Sous conditions de ressources, il bénéficie de la garantie apportée par le Fonds de garantie pour la rénovation énergétique (FGRE) à hauteur de 75 % du montant du prêt, ce qui permet aux banques de limiter le risque sur un prêt dont on ignore la date de fin. Nous souhaitons insister sur le fait qu'il nécessite un dispositif d'accompagnement étroit du client ainsi qu'un accompagnement des travaux avec les accompagnateurs de la rénovation labélisés, et cela tout au long de la rénovation pour aider le client à approfondir son projet et poursuivre les travaux. Destiné à des emprunteurs souvent exclus du système de financement classique, nous avons choisi de réserver ce produit à nos clients.

Le prêt avance rénovation reste un produit plus cher qu'un prêt amortissable puisque les intérêts sont remboursés en fin de prêt. À ce titre, il n'est pas forcément adapté à toutes les situations. En l'état actuel, nous n'avons pas vocation à en faire un produit d'appel car il cible des clients très spécifiques. En termes de profil, les emprunteurs sont en majorité ceux estimés dans la cible de départ, c'est-à-dire des retraités ou des personnes de plus de 60 ans aux revenus modestes.

Nous sommes au début de la commercialisation du produit qui est distribué par la plupart de nos régions. À date, nous avons accordé 60 prêts avance rénovation. C'est peu mais un certain nombre de rendez-vous commerciaux concluent à la non-éligibilité du prêt avance rénovation par les demandeurs qui sont alors orientés vers d'autres solutions, comme l'éco-prêt à taux zéro. Ce dispositif présente l'intérêt de permettre de parler de rénovation énergétique à nos clients, même en cas de refus.

Au-delà de l'attente de la labélisation d'un plus grand nombre d'accompagnateurs, les frais d'hypothèque et le préfinancement des aides constituent un frein budgétaire important pour les ménages ciblés par les dispositifs éligibles au FGRE, car ces aides ne peuvent être financées par le prêt avance rénovation. Nous réitérons donc notre demande de pouvoir inclure les frais d'hypothèque et le préfinancement des aides dans le montant du prêt avance rénovation. Ce sujet a déjà été évoqué auprès des pouvoirs publics. Nous attendons une réponse.

Enfin, l'éco-prêt à taux zéro copropriété est un produit que nous ne diffusions pas aujourd'hui. Ce prêt global aux syndicats des copropriétaires pourrait être, selon nous, une des clés pour massifier la rénovation des logements collectifs. Ce prêt est dans la plupart des cas accompagné d'un prêt complémentaire global accordé au niveau de la copropriété. À ce jour, l'offre bancaire est très rare. Pour montrer son implication sur le sujet, le Crédit Mutuel a décidé de mener un test sur la distribution d'un éco-prêt à taux zéro copropriété avec un organisme de caution. Il y a trois freins principaux à son développement. Le premier tient au délai d'instruction qui peut aller jusqu'à 18 mois, rendant difficile tout engagement, en particulier dans un contexte de très forte volatilité des taux d'intérêt. Le deuxième frein est l'obligation de recours à un organisme de cautionnement puisque le produit n'est pas éligible à l'hypothèque. Or la plupart des sociétés de caution le refusent. Le troisième frein tient à un taux d'usure inadapté pour le prêt collectif complémentaire dans un contexte de forte montée des taux. Dans la très grande majorité des cas, il faudra un prêt complémentaire supérieur à 75 000 euros et qui sera donc soumis au taux de l'usure des prêts immobiliers. Ce taux est aujourd'hui de 3,79 % pour les prêts de vingt ans, ce qui ne nous permet pas de maintenir nos offres compte tenu de la montée des taux. La profession a suggéré que soit appliqué par dérogation le taux d'usure accordé aux prêts à la consommation et aux prêts inférieurs à 75 000 euros, soit un taux d'usure d'environ 6 %.

En conclusion, les banques en général et le Crédit Mutuel en particulier sont là pour financer les projets avec l'étude de la solvabilité et des risques pour la plupart des prêts, à l'exception du prêt avance rénovation. En complément de ces prêts réglementés, nous disposons d'une offre classique de crédits à la rénovation. Aujourd'hui, l'obstacle principal ne vient pas d'un déficit de l'offre mais réside dans l'identification et l'accompagnement des projets avec une difficulté à trouver des artisans et la problématique du coût de ces travaux qui, sur vingt ans, n'est que rarement compensé par des économies d'énergie. À ces deux freins, s'ajoutent la complexité des dispositifs d'aide et le cas des copropriétés. Dans ce contexte compliqué, vous pouvez compter sur le groupe Crédit Mutuel pour être dans une posture proactive comme nous l'avons démontré sur le prêt avance rénovation. Un de nos groupes étudie par ailleurs la création d'une structure dédiée à la rénovation énergétique dont le périmètre et les missions restent en cours de réflexion. Nous avons de nombreux échanges avec des Accompagnateurs Rénov'et assimilés pour mieux accompagner nos sociétaires et nos clients.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François-Régis Benois prête serment.

M. François-Régis Benois, directeur adjoint des affaires publiques de La Banque Postale. - Madame la Présidente, monsieur le Rapporteur, merci de nous laisser l'occasion de vous exposer le point de vue de La Banque Postale. La contribution de la rénovation énergétique au respect de l'Accord de Paris est déterminante : le rapport Sichel l'évoque longuement. Avec 4,8 millions de passoires énergétiques, on mesure l'ampleur du chantier à mener. Dans cette politique publique, les banques sont des intervenants essentiels, des auxiliaires de nombreuses politiques publiques (éducation financière, lutte contre le blanchiment par exemple) et des intervenants essentiels du besoin fondamental qu'est l'accès au logement.

Le premier métier des banques est de financer l'économie et d'être présentes dans les moments de vie importants de leurs clients. Elles sont donc de facto très concernées par la rénovation énergétique et la nécessaire accélération de son rythme. Les banques collaborent régulièrement avec les pouvoirs publics et avec la Société de gestion du fonds de garantie de l'accession sociale à la propriété (SGFGAS) pour améliorer les dispositifs existants. Il est donc de leur intérêt de simplifier les parcours clients. C'est d'autant plus vrai pour La Banque Postale qui est une banque citoyenne, une entreprise à mission, un acteur majeur de la banque de détail en France. Nous servons 20 millions de clients de l'accessibilité bancaire, en vertu de notre mission légale de service public, jusqu'à la gestion de fortune, mais notre coeur de clientèle correspond aux catégories moyennes et populaires, souvent très concernées par la rénovation énergétique. C'est une des raisons pour lesquelles nous nous sommes positionnés début 2022 sur le prêt avance rénovation. Il s'agit d'un produit intéressant, bien conçu mais qui reste assez complexe et n'a pas encore trouvé son public. Nous sommes aussi un important distributeur de l'éco-PTZ depuis sa création. Notre part de marché est légèrement supérieure à notre part de marché sur le crédit immobilier. Nous avons aussi développé dès 2015 une offre spécifique de prêts dits à impact : ce sont des crédits à la consommation à tarif préférentiel pour financer la rénovation énergétique des logements et l'acquisition de véhicules verts. Pour les collectivités territoriales, nous avons développé en 2019 les prêts verts qui permettent de financer des projets en lien avec la transition écologique parmi lesquels la rénovation énergétique des bâtiments publics. Nous réfléchissons actuellement à des formules qui permettraient d'inciter nos clients à effectuer des travaux de rénovation au moment d'une acquisition immobilière.

Nous sommes bien conscients que les efforts et les résultats de la rénovation énergétique sont nettement insuffisants mais la tâche est rendue plus difficile dans le contexte actuel car les besoins sont globalement inversement proportionnels aux revenus des ménages. Ces besoins sont renforcés par la hausse des coûts énergétiques. De surcroît, l'ampleur des travaux nécessaires peut dépasser la valeur du bien et le taux d'usure est - au moins temporairement - une contrainte importante, comme nous le voyons dans le crédit immobilier.

Nous souhaitons souligner quelques conditions qui nous semblent nécessaires pour faciliter la massification de la rénovation compte tenu de ces contraintes. À notre sens, les leviers se situent surtout au niveau de la demande de financement pour déclencher l'acte de rénovation et faciliter le projet. Cela suppose de solvabiliser les emprunteurs, de limiter le risque pour le prêteur et d'améliorer l'offre. On peut à cet égard envisager cinq axes d'amélioration.

Le premier passerait par la communication et la pédagogie. Il s'agirait par exemple de mettre à disposition des outils globaux de simulation destinés aux particuliers, de lancer une meilleure communication auprès des copropriétés, d'assouplir le cadre contraignant la publicité ou la formation des intermédiaires chargés de l'accompagnement des ménages.

Le deuxième axe d'amélioration passe par la simplification avec la prévisibilité et la pérennité fiscale des dispositifs, un alignement plus complet de certains critères d'accès et la simplification de certains formulaires.

Le troisième axe consisterait à faciliter le financement de l'avance de trésorerie pour le particulier en étendant les dispositifs d'avance totale ou partielle. Rappelons que les subventions MaPrimeRénov' sont débloquées sur production de facture uniquement tandis que les prêts éco-PTZ peuvent être débloqués à hauteur de 30 % maximum avant production d'une facture.

Le quatrième axe serait de minimiser le reste à charge en améliorant le niveau des subventions pour les ménages les plus modestes. Comme mentionné par nos confrères du Crédit Mutuel, nous pourrions aussi nous orienter vers l'inclusion des frais hypothécaires dans les postes finançables du prêt avance rénovation ou vers l'amélioration des délais de paiement des subventions MaPrimeRénov'. Par ailleurs, pour réduire le risque pour les prêteurs, outre la quotité garantie, nous pourrions inciter les organismes de cautionnement à intervenir sur ce marché.

Enfin, une cinquième piste serait d'améliorer l'accès aux professionnels de la rénovation énergétique par une meilleure pédagogie auprès des artisans labélisés et une plus grande implication des grands acteurs du BTP dans cette filière. Une meilleure intégration des segments qui participent à la rénovation énergétique pourrait passer par des opérateurs ensembliers qui deviendraient les interlocuteurs uniques des particuliers, notamment pour les rénovations globales. Le tiers financement pourrait aussi constituer une piste car c'est un vrai levier de massification, notamment à l'échelle régionale, mais qui suppose une montée en moyens, notamment en dotations en fonds propres, et une montée en compétences.

M. Laurent Bortoli. - Je propose de répondre à vos questions posées en introduction.

La banque allemande KfW a des missions d'intérêt public d'aide à la création d'entreprises et au développement d'infrastructures, mais participe aussi aux économies d'énergie et à l'amélioration de la performance énergétique. Ce type de banque présente un intérêt réel, notamment pour des acteurs économiques comme les entreprises et les collectivités territoriales. La Banque des territoires du groupe Caisse des dépôts et consignations propose d'ores et déjà des dispositifs en direction des collectivités, avec un accompagnement à l'audit énergétique et au montage juridique et financier mais également une aide à la priorisation des travaux, notamment via des simulateurs dédiés. Pour les particuliers, la question se pose de l'intérêt de proposer une structure similaire. Cette initiative pourrait représenter un vrai plus mais elle serait à mettre au regard du volume potentiel des rénovations énergétiques. En effet, le marché des particuliers est beaucoup plus diffus puisque nous comptons en France 30 millions de résidences principales. Selon une étude de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise d'énergie (Ademe) de 2018, le parc immobilier se ventile comme suit : 34 % des logements relèvent de l'étiquette D, 24 % de l'étiquette E, et 75 % des étiquettes D à G. Sur 30 millions de résidences principales, 22 millions de logements nécessitent donc des travaux de rénovation énergétique à court ou à moyen terme en fonction de l'évolution de la réglementation. Nous voyons bien l'intérêt d'une banque dédiée à la rénovation énergétique qui apporterait un accompagnement spécialisé, mais les banques ont aussi un rôle à jouer d'autant que le volume de foyers à accompagner sera colossal. Un accompagnement spécialisé ferait sens, comme nous le voyons déjà avec Mon Accompagnateur Rénov', mais il faudrait aussi trouver le bon équilibre entre une banque dédiée à la rénovation énergétique et les banques de proximité qui voient leurs clients au quotidien, qui connaissent leurs besoins et qui disposent de moyens pour les accompagner.

Pour ce qui concerne le prêt avance rénovation, c'est une offre que nous avons lancée en février 2022 auprès de nos clients comme des prospects. Nous avons développé ce produit avec deux types de formules. Dans la première formule, le client rembourse uniquement les intérêts tandis que le capital est remboursable au moment de la mutation du bien ou du décès du dernier des co-emprunteurs occupants. La deuxième formule suppose le remboursement du prêt total (capital et intérêts) au moment de la mutation ou du décès. Sur ce produit, aucun frais n'est appliqué au client. Aucun remboursement anticipé n'est possible ni frais d'expertise liés au bien immobilier. Le taux appliqué est de 2 %. Nous comptabilisons aujourd'hui quarante offres émises et acceptées sur un total de 400 sollicitations formulées auprès de nos conseillers de proximité qui les orientent vers des conseillers spécialisés, car l'offre mérite d'être expliquée de manière pédagogique. Le différentiel entre les 400 demandes reçues et les 40 dossiers acceptés tient au fait que 40 % des particuliers qui nous ont sollicités avaient un crédit immobilier hypothécaire dans une autre banque. Or pour obtenir la garantie du FGRE, nous devons être en premier rang ou en hypothèque de deuxième rang derrière nous-mêmes. Par ailleurs, 34 % de ces clients pouvaient bénéficier de l'éco-PTZ et étaient en capacité de le rembourser. Dans le cadre de notre devoir de conseil, nous avons orienté ces particuliers vers cette solution plus avantageuse. 8 % des clients ont abandonné le prêt avance rénovation. Pour certains, le remboursement du prêt au moment du décès, et donc en minoration de la succession pour les ayants droit et les héritiers, peut constituer un point de blocage psychologique. Le plus souvent, le bien immobilier est le patrimoine principal de ces ménages modestes. Ils peuvent donc être réticents à ne pas transmettre leur patrimoine en totalité à leurs descendants. Enfin, pour 5 % des clients, leurs ressources dépassaient les plafonds.

Les principaux bénéficiaires du prêt avance rénovation sont des ménages de plus de 60 ans aux revenus faibles ou ayant une retraite limitée. Ils sont majoritairement propriétaires de leur résidence principale et ont un intérêt à réaliser des travaux pour réduire leur facture d'énergie et améliorer leur confort de vie. Le montant moyen du prêt avance rénovation est de 18 000 euros, oscillant entre 4 000 et 44 000 euros. Pour les deux tiers d'entre eux, ce sont des clients de La Banque Postale et pour un tiers des clients d'autres banques. 50 % des PAR conduisent à financer des changements de systèmes ou de dispositifs de chauffage, 20 % des travaux d'isolation sur les voies d'accès (fenêtres, portes), 20 % des travaux d'isolation par l'extérieur (murs principalement) et 10 % les autres gestes.

Des pistes d'amélioration du dispositif existent comme la réduction du montant des frais de garantie. Pour l'instant, nous finançons les propriétaires de résidences principales, mais une ouverture consisterait à l'ouvrir aux propriétaires bailleurs louant à titre de résidence principale. Une autre piste d'amélioration consisterait à lancer une communication externe sur ce type de financement, qui dépend de la réglementation sur les prêts viagers hypothécaires (article L. 315 du code de la consommation). La communication à organiser sur ce produit doit prendre en compte le fait que le terme du prêt n'est pas connu au moment de son octroi. Le taux annuel effectif global (TAEG) à cinq ans et à dix ans doit être affiché pour donner une visibilité sur le coût total de ce type de prêt compte tenu de la capitalisation des intérêts.

Nous distribuons l'éco-PTZ, pour sa formule classique comme pour sa formule rénovation performance globale, et le couplage éco-PTZ/MaPrimeRénov' depuis février. Cette dernière formule représente une simplification dans le parcours du foyer qui souhaite s'engager dans un projet de rénovation énergétique. De manière plus générale, tout ce qui va dans le sens d'un alignement, d'une homogénéisation et d'une convergence des critères d'éligibilité aux aides (primes, prêts à taux zéro, valorisation des certificats d'économies d'énergie, des éventuelles aides locales, etc.) est un processus vertueux puisque ces éléments contribuent à la simplification du parcours des particuliers.

Sur l'ensemble des formules éco-PTZ, l'âge moyen des demandeurs est de 46 ans pour des revenus moyens de 4 600 euros. Pour les deux tiers, ce sont des salariés du secteur privé, pour un tiers, de salariés du secteur public. À 60 %, ces aides visent l'amélioration du système de chauffage, pour 25 % elles ciblent l'isolation thermique par l'extérieur et pour 15 % l'isolation thermique des ouvertures.

Les montants proposés (15 000 euros pour un lot de travaux, 25 000 euros pour le bouquet de deux lots de travaux et 30 000 euros pour trois travaux) ne donnent pas lieu à des difficultés particulières. Le montant moyen de l'éco-prêt à taux zéro dans notre réseau est de 13 300 euros en 2022. Il augmente légèrement au premier trimestre 2023 pour atteindre 14 600 euros. Nous pouvons supposer que cette hausse de 10 % est à relier au contexte inflationniste. Un plus a été apporté par le rapport Sichel qui a proposé de porter le montant plafond de l'éco-prêt à taux zéro en rénovation globale à 50 000 euros et à 20 ans en durée de remboursement. Au quatrième trimestre 2022, selon les données du SGFGAS, le montant moyen des travaux de rénovation performance globale est de 49 000 euros et le recours à l'éco-prêt performance globale s'élève à 37 000 euros, c'est-à-dire que nous sommes en deçà des 50 000 euros. Cependant, ces chiffres sont des moyennes qui cachent des disparités. Compte tenu des exigences de performance énergétique, ce plafond de 50 000 euros est limitatif pour certains logements pour atteindre 331 kilowatts/heure pour le chauffage et la production d'eau chaude et une réduction de 35 % de la consommation d'énergie par rapport à la situation avant travaux. En effet, en particulier dans le logement individuel, les budgets de travaux sur la toiture, les ouvertures, le système de chauffage, etc. peuvent dépasser ce montant.

Pour ce qui concerne le financement des copropriétés, nous intervenons comme nos confrères par le biais des prêts personnels, même si ces derniers sont difficiles à flécher. La Banque Postale participe au groupe de travail mis en place par la Banque des territoires, travaux qui portent entre autres sur le reste à charge des copropriétés. Dans ce cadre, nous réfléchissons à la possibilité de développer une offre dédiée aux copropriétés. Il existe actuellement deux types de prêts : le prêt collectif consenti aux syndicats de copropriétaires et le prêt collectif à adhésion individuelle. Dans le premier cas, le prêt nécessite d'obtenir un vote majoritaire lors de l'assemblée générale. Il suppose aussi que le syndic organise le prélèvement de la contribution des copropriétaires adhérents pour rembourser le prêt, les copropriétaires non adhérents pouvant financer les travaux sur leurs fonds propres. C'est à cette première formule que nous réfléchissons. La deuxième formule de financement s'appuie sur une adhésion individuelle qui ne nécessite pas d'obtenir la majorité en assemblée générale, mais cette formule répond à un montage plus complexe puisqu'il convient d'organiser un prélèvement individuel des copropriétaires adhérents au financement. Pour l'instant, ce n'est pas la piste que nous privilégions. D'autres questions se posent aussi, notamment relatives au cautionnement pour les deux formules puisqu'il n'existe pas de garantie hypothécaire possible dans le montage.

Pour terminer, nous pouvons dire qu'il existe deux parcours sur la rénovation énergétique : celui des propriétaires occupants ou des propriétaires bailleurs qui veulent rénover un logement et celui des acquéreurs. Avec environ 950 000 transactions par an, il est probable qu'un accédant à la propriété se posera la question de la rénovation énergétique du logement ancien dont il fera l'acquisition, dont 75 % relèvent des étiquettes D à G. Lorsque nous rencontrons nos clients, ces derniers nous disent qu'ils veulent réduire leur facture d'énergie, valoriser leur bien mais aussi avoir un confort de vie meilleur. Dans un parcours d'accession à la propriété entre la signature du compromis et la signature de l'acte chez le notaire, une réflexion pourrait donc être menée sur les travaux à réaliser dans le logement, sur le budget à consacrer à ces travaux, sur la recherche des professionnels reconnus garants de l'environnement (RGE) à contacter et sur les aides mobilisables pour un plan de financement.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci beaucoup, monsieur le Rapporteur, avez-vous des questions ?

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Lors de nos auditions, France Stratégie a proposé de créer un opérateur ensemblier regroupant à la fois entreprises, maîtrise d'oeuvre et financement du projet permettant de proposer un reste à charge de zéro avec un remboursement à hauteur des économies réalisées. Est-ce un dispositif sur lequel vous avez travaillé ? De même, avez-vous évalué la proposition de Mme Verchère et de MM. Combes et Ibanez consistant à rendre obligatoires les travaux de rénovation en les couplant à un prêt hypothécaire garanti par l'État remboursé au moment de la vente ou après 30 ans ?

Nous constatons que c'est sur les copropriétés qu'il est le plus difficile d'avancer concrètement. Le premier frein tient à une prise de décision complexe mais c'est dans les copropriétés qu'il est possible de massifier les travaux. Je trouvais que le plan avance rénovation était un dispositif intéressant mais j'entends qu'il est difficile à mettre en place au niveau d'une copropriété faute de pouvoir mettre en place une hypothèque. Avez-vous néanmoins réfléchi à une déclinaison du PAR ?

Mme Sophie Olivier. - Nous suivons attentivement les réflexions autour du modèle d'opérateur ensemblier car cette orientation présente l'avantage de proposer une offre globale (financement et travaux) tout en intégrant potentiellement les économies d'énergie dans le montage financier. Nous restons toutefois très vigilants car le risque de surendettement est réel pour les particuliers, car il faut miser sur des économies d'énergie dont il n'est pas certain qu'elles seront réalisées. Cette proposition fait penser au tiers financement qui sera testé sur une durée de cinq ans avec la Caisse des dépôts pour la rénovation thermique des bâtiments publics.

La proposition qui consiste à mettre en place un prêt hypothécaire sur 30 ans ressemble à une généralisation du prêt avance rénovation. Le PAR reste un dispositif récent. Sa cible est déjà importante et nous avons encore matière à faire avec ce prêt même s'il s'appuie sur un dispositif d'accompagnement pas encore totalement mûr. France Rénov' est l'accompagnateur public mais il est attendu l'arrivée d'accompagnateurs privés sur le marché. Ils auront un rôle à jouer dans l'identification des clients qu'ils orienteront vers les banques. Ces structures pourraient donc nous aider à identifier les clients et à les accompagner sur la durée. Ces prêts sont aussi onéreux : ce sont des prêts sur 30 ans avec report d'intérêts. De plus, des clients peuvent hésiter à ce que leur bien ne soit pas transmis en totalité à leurs héritiers. Des solutions pourraient également être proposées aux particuliers ayant saturé leur possibilité d'endettement car ayant souscrit un prêt immobilier. Pour ces profils, il serait intéressant d'élargir le produit avec une garantie de l'État ou auprès des clients âgés sans héritiers. Une meilleure communication de tous les acteurs engagés sur le sujet de la rénovation énergétique des clientèles modestes devrait également être envisagée.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Guy Leré prête serment.

M. Guy Leré, responsable du marché des particuliers et des collectivités, direction des marchés et des études du Crédit Mutuel. - Pour les copropriétés, les prêts sont complexes, mais l'enjeu est important. Pour l'instant, il est vrai que l'offre bancaire est quasi nulle. Le groupe Crédit Mutuel est prêt à réaliser un test grandeur nature pour vérifier comment mettre en place ce financement et en tirer des enseignements utiles car il est exact que ces prêts représentent un réel enjeu pour massifier les travaux.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous avez indiqué que le prêt copropriété pouvait engager le syndic, mais il est impossible pour le syndic de s'endetter.

M. Guy Leré. - Le prêt engagerait le syndicat et non le syndic. La nouveauté est que serait mis en place un seul prêt au niveau du syndicat de copropriétaires. Le montant du prêt sera forcément important avec un délai d'instruction moyen de 18 mois mais qui peut être plus long encore. Compte tenu de la volatilité actuelle des taux, faire une offre bancaire dans ce contexte est très délicat, mais le Crédit Mutuel pense que cela vaut la peine. Nous avons en effet l'arsenal juridique pour le faire et nous souhaitons mener un test dont nous pourrons partager les résultats avec nos confrères et l'administration.

M. Laurent Bortoli. - Dans une copropriété, le prêt avance rénovation peut permettre de financer des travaux de rénovation énergétique de la partie privative. Lorsque le syndicat le permet, ces travaux peuvent concerner les ouvertures comme les fenêtres. Toutefois, l'une de nos difficultés est de parvenir à coordonner des calendriers puisqu'il faudra identifier le moment où le particulier sollicitera le prêt avance rénovation pour le cadencer à des appels de fonds pour des travaux de copropriété alors que le délai entre le vote des travaux en assemblée générale, la contractualisation avec des entreprises et les appels de fonds peut être de 12 mois ou davantage. S'il est possible de coordonner le prêt avance rénovation avec des prêts individuels et personnels, il est plus complexe de le déployer dans des copropriétés compte tenu des délais d'instruction.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je comprends la complexité mais, techniquement, ce serait possible.

M. Laurent Bortoli. - Je réserve ma réponse mais, techniquement, prendre une hypothèque sur un logement individuel pour contribuer à des travaux collectifs n'est pas exclu sur le principe.

M. Guy Leré. - Ce montage conduirait à juxtaposer deux systèmes de financement qui sont délicats. De plus, cette solution rajouterait du délai à des délais déjà très longs pour les copropriétés. En outre, la cible du PAR est une cible particulière : à notre sens, le PAR n'a pas vocation à devenir un produit universel.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous dites en cela qu'il n'a pas vocation à être généralisé comme l'a laissé entendre le secrétaire à la planification écologique.

M. Laurent Bortoli. - Un des freins à la rénovation énergétique réside dans la complexité du parcours. Avoir la possibilité d'avoir recours à un opérateur ensemblier, comme le propose France Stratégie, permettrait de lever ce frein mais cette solution semblerait faire davantage sens pour la rénovation en performance globale. Il faut juste que le particulier y trouve un intérêt. Or nous comprenons de la proposition que la réduction de la facture d'énergie profiterait plutôt à l'ensemblier. Par ailleurs, avoir la possibilité d'avoir recours à un ensemblier ou à un accompagnateur est un vrai plus, mais rendre ce passage obligatoire risque d'ajouter de la complexité. L'accompagnateur ensemblier sera au tout début du parcours de la rénovation énergétique du particulier pour aider à définir les travaux à réaliser, solliciter les professionnels RGE, etc. mais le financement du reste à charge interviendra dans un second temps. Je pense qu'il faut des accompagnateurs mais les positionner comme des facilitateurs, notamment pour les publics qui en ont besoin, mais sans le rendre obligatoire.

Mme Sophie Olivier. - A priori, le recours à un accompagnateur est obligatoire à partir du 1er septembre 2023 pour des travaux générant des primes supérieures à 10 000 euros. Au vu des chiffres que nous avons cités plus tôt sur le coût moyen des travaux, une part déjà importante des ménages devrait rentrer dans le cadre de cette obligation. Aussi conditionner l'octroi d'un crédit à l'accompagnement des travaux ne présenterait-il pas réellement d'intérêt selon nous.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Pourquoi le secteur bancaire est-il autant en retrait dans la question de la rénovation énergétique des logements hormis les deux banques que vous représentez ? Nous pourrions en effet nous attendre à une mobilisation plus forte du secteur bancaire.

Mme Sophie Olivier. - C'est peut-être à la profession ou à la Fédération bancaire française qu'il faut retourner la question. Je pense que les banques sont globalement impliquées sur cette thématique mais le prêt avance rénovation est un nouveau produit. Le Crédit Mutuel, pour sa part, a souhaité se positionner dès le départ sur cette innovation et prendre ce risque car ce produit est très intéressant pour le client. Toutefois, nous avons aussi besoin de gagner en maturité tant du côté du client que de la banque pour que la distribution se développe.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Plusieurs des personnes auditionnées se sont fait l'écho de la frilosité du secteur bancaire.

Mme Sophie Olivier. - Il reste difficile de répondre à la place de nos confrères.

M. Laurent Bortoli. - Certains financements non fléchés sur la rénovation énergétique financent de la rénovation énergétique, notamment dans le cadre des copropriétés. Cependant, il est difficile d'en estimer la volumétrie. Les banques sont présentes dans ce domaine, mais nous ne sommes pas en mesure d'avancer des chiffres permettant de donner à voir cette contribution.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci à vous.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition innovation et start-up

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous sommes heureux de poursuivre les travaux de notre commission d'enquête avec cette table ronde sur l'innovation et les start-ups dans le secteur de la rénovation énergétique. Je relève que l'on parle de « PropTech » pour désigner les entreprises qui utilisent de façon innovante les technologies dans les secteurs de l'immobilier et de la construction.

Nous recevons ainsi M. Hervé Charrue, directeur général adjoint chargé de la recherche et du développement du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Vous vous occupez de suivre les questions de recherche au sein de cet établissement public chargé de diffuser et de valoriser les connaissances scientifiques et techniques en matière de construction et d'habitat, notamment pour les procédés et les matériaux.

Nous accueillons également M. Christophe Philipponneau, directeur général de Tipee. Votre entreprise est située à Lagord à la limite de La Rochelle dans le parc Atlantech, premier quartier urbain bas carbone de France. Votre entreprise cherche à jouer le rôle d'un chaînon manquant entre la recherche scientifique et l'application industrielle et se veut ainsi la première plateforme technologique du bâtiment durable qui forme, conseille et accompagne les professionnels de la construction grâce à des solutions innovantes.

Nous recevons enfin M. Nicolas Durand, fondateur et président-directeur général de Cozynergy. Votre entreprise située à Toulouse s'est dotée de treize agences locales. Elle propose, en partenariat avec des établissements bancaires, un accompagnement de bout en bout des particuliers qui souhaitent initier des travaux de rénovation énergétique de leur logement : du bilan de l'existant au suivi des travaux en passant par la préconisation des actes de rénovation, les devis, la demande, puis l'obtention des aides et des subventions.

La rénovation énergétique des logements peine à atteindre les objectifs ambitieux que nous nous sommes fixés alors que le calendrier s'accélère. Les technologies innovantes peuvent sans aucun doute améliorer l'efficacité des conditions dans lesquelles les travaux de rénovation sont conduits. C'est pourquoi nous attendons de vous que vous nous apportiez un éclairage percutant sur les solutions d'avenir en matière de rénovation énergétique. Le financement de la recherche reste problématique dans la filière bâtiment et construction : pour le secteur privé il représente seulement 0,1 à 0,2 % des 130 milliards d'euros du chiffre d'affaires du secteur.

En dépit de cette triste réalité, quelles opportunités peuvent offrir la recherche et les innovations technologiques en termes de décarbonation et d'efficacité énergétique ? Comment les entreprises qui utilisent de façon innovante les technologies dans le secteur de la construction peuvent-elles aider à relever le défi de la massification et de l'accélération des rénovations des logements ? Quel regard portez-vous sur les objectifs et les moyens de la rénovation énergétique des logements en France ? Jugez-vous les dispositifs de soutien à la rénovation énergétique des logements pertinents et efficaces ? Quelles évolutions estimez-vous nécessaires ?

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat. Un compte rendu sera publié. Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal qui peuvent aller de trois ans à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous laisse la parole pour répondre à ces premières questions.

MM. Hervé Charrue, Christophe Philipponneau et Nicolas Durand lèvent la main droite et disent : « Je le jure ».

M. Hervé Charrue, directeur général adjoint chargé de la recherche et du développement du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). - Je commencerai par un aphorisme prononcé par un commissaire européen qui, questionné sur la technicité et le besoin de R&D du secteur, avait répondu : « You have high tech, tech, low tech, no tech and construction tech ! ». Ce bref énoncé illustre la situation actuelle même si un changement émerge sous l'effet de la problématique énergétique et des autres enjeux associés. Ceux-ci sont notamment les problématiques sanitaires, dont la qualité de l'air intérieur remise sur le devant de la scène avec la crise Covid. Dans le secteur, les enjeux de recherche ne doivent pas viser la maîtrise d'une succession de risques - stabilité des structures, incendie, consommation d'énergie, qualité de l'air, etc. - mais penser globalement leur interopérabilité. La difficulté est de réussir à chaîner tous ces sujets scientifiques entre eux. Pourtant, si un chantier de rénovation énergétique oublie de penser la question de la qualité de l'air intérieur et l'hygrométrie, des problèmes sanitaires surviendront et, si le chantier omet de traiter la question de l'isolation extérieure, il en résultera des problèmes d'acoustique du bâtiment, ce qui entraînera un moindre confort, et donc des problèmes sanitaires, etc.

Si l'appréhension globale du sujet émerge aujourd'hui, elle ne se traduit pas en une augmentation de l'investissement dans la R&D. Le CSTB connaît une stabilité de sa subvention publique, qui est de l'ordre de 15,7 millions d'euros depuis au moins cinq ans alors que de nouveaux enjeux doivent être pris en compte : carbone, économie circulaire, propagation des aéropathogènes comme le Covid, etc. La difficulté réside aussi dans le fait que la recherche publique est multidisciplinaire tandis que les entreprises se focalisent sur des produits ayant une fonctionnalité donnée. Or des interopérations sont à envisager et à mieux prendre en considération.

De plus, contrairement à d'autres secteurs d'activité, il n'existe pas d'intégrateur, c'est-à-dire qu'il n'existe pas un acteur ayant une responsabilité globale. Dans l'industrie automobile, le constructeur est responsable à la fois de la logique performancielle et de la logique servicielle du véhicule. Dans le bâtiment, un promoteur ou un gestionnaire fabrique le bâtiment, mais tous les acteurs qui sont intervenus sur ce bâtiment ont leur responsabilité propre dans sa performance. Le fait qu'il n'y ait pas un intégrateur ne pousse pas dans le sens d'une recherche intégrée qui permettrait pourtant de gérer les interopérations. La filière est aussi historiquement structurée par matériau (béton, acier, bois, etc.). Elle commence à prendre conscience qu'il faut utiliser le bon matériau au bon endroit pour assurer la bonne performance. Ces synergies inter-matériaux vont nécessiter de plus en plus de recherches, concentrées sur les interfaces, interfaces qui sont souvent le chaînon manquant de la recherche. Le CSTB, le Centre national de recherche scientifique (CNRS) et le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) sont actifs dans ces domaines mais sans s'impliquer pleinement dans une logique multisystèmes. En définitive, les dépenses réalisées à l'échelle européenne montrent que les recherches sur le bâtiment restent le parent pauvre comparé aux recherches sur la santé et sur les transports.

M. Christophe Philipponneau, directeur général de Tipee. - Le monde du bâtiment est un monde de l'artisanat. Selon les chiffres de la Fédération française du bâtiment (FFB) pour 2021, sur 427 000 entreprises, 403 000 emploient moins de dix salariés. Il est donc très difficile de mener de la recherche dans ces entreprises de très petite taille. Pour autant, la bonne idée vient souvent du terrain.

La plateforme Tipee vise à se positionner comme un traducteur entre le monde de la recherche et le monde de la petite entreprise. Ces deux mondes ne se côtoient pas et ne se parlent pas et il faut donc créer un lien. Notre plateforme apparaît utile puisque de très nombreuses petites entreprises et de start-ups nous sollicitent pour les accompagner et faire de leur idée « de fond de garage » une innovation performante et économique. Nous avons d'ores et déjà de belles réussites à notre actif avec des développements de nouveaux produits partant de la capacité d'innovation. En effet, pour réussir et faire évoluer notre filière par l'innovation, il faut accompagner ceux qui ont de bonnes idées sur le terrain pour les mettre en valeur.

La culture du bâtiment est une culture par métier alors que, principalement dans la rénovation, sans vision systémique et transverse, il est très compliqué d'aboutir à une réalisation performante. Nous parlons certes aujourd'hui de coût global mais nous nous sommes pendant longtemps contentés de la réalisation de gestes isolés de rénovation, sans aboutir à un résultat probant. Il importe donc de donner aux professionnels des visions transverses pour qu'ils visualisent l'impact de leur action dans une vision à 360°. Ceci renvoie à l'orchestration des métiers puisque les travaux de rénovation ne font pas nécessairement appel à un architecte et à un maître d'oeuvre, contrairement à la construction neuve, alors que ce maillon peut jouer le rôle de tiers de confiance, donnant une vision transverse et accompagnant tous les professionnels dans cette évolution. C'est parce que nous vivons toujours dans une culture par métier que les rénovations menées au cours des dernières années ne peuvent pas être qualifiées pleinement de rénovations performantes.

Je crois beaucoup à la massification mais à une petite échelle. Pour moi, c'est « l'effet papillon » qui permettra d'embarquer un maximum de personnes lorsqu'un projet est mené à l'échelle d'une commune ou d'un quartier. Au-delà de mes fonctions au sein de Tipee, je suis également président du cluster de l'écoconstruction durable en Nouvelle-Aquitaine, qui a souhaité soutenir des dynamiques communales de rénovation pour que le projet mené à l'échelle de la commune devienne également un projet citoyen. En effet, il faut savoir que ce qui motive les personnes à se lancer dans un projet de rénovation n'est pas seulement économique, ces démarches sont poussées aussi par une envie d'améliorer son confort de vie et de valoriser son patrimoine. L'argument avancé ne doit donc pas s'appuyer que sur les économies d'énergie, concept qui renvoie à la privation. Ce sont d'autres avantages qu'il faut mettre en avant pour encourager l'adhésion au projet. Ainsi, lorsque des dynamiques communales se mettent en place, des foyers qui n'envisageaient pas forcément de se lancer dans une rénovation bénéficient de l'effet d'entraînement de leurs voisins.

Pour l'association en charge de l'aménagement du parc bas carbone de La Rochelle dont je suis le directeur et pour le consortium de La Rochelle Territoire zéro carbone, c'est cette dynamique qu'il faut promouvoir en menant les projets dans des échelles à taille humaine. Cependant, quel que soit l'opérateur il faut aussi garantir le qualitatif de la rénovation via l'industrialisation des process et des produits.

Mes principaux messages sont donc de massifier à échelle humaine (commune ou quartier), de communiquer sur la rénovation au-delà des économies d'énergie et de répondre au juste besoin.

M. Nicolas Durand, fondateur et président-directeur général de Cozynergy. - La notion de rénovation énergétique est une notion récente qui est venue s'ajouter à la simple notion de rénovation. Nous allons même plus loin aujourd'hui en avançant le terme de rénovation énergétique globale car c'est cette démarche qui permettra d'atteindre une plus grande performance. Malheureusement, la pratique reste assez éloignée des attendus de la rénovation énergétique globale. Il y a une dizaine d'années, lorsque j'ai créé Cozynergy, mon souhait était de faciliter les démarches du particulier résidant dans une maison individuelle et souhaitant réaliser des économies d'énergie. La démarche part d'un diagnostic, nous vérifions quelles solutions sont techniquement possibles et passons en revue les solutions de financement. Ceci permet d'apporter une vision globale. Le réflexe du particulier est en effet de se tourner vers des professionnels spécialisés, par exemple sur le chauffage ou l'isolation. Cependant, le chauffagiste devra dimensionner le nouveau système de chauffage par rapport à une déperdition technique et pourra être conduit, sur une maison mal isolée, à installer une pompe à chaleur puissante qui sera aussi plus chère.

Dans le domaine de la rénovation énergétique, l'innovation peut porter sur les produits, mais cette innovation est complexe et coûteuse et plutôt dans les mains des grands industriels. Elle peut aussi porter sur les services, par exemple en proposant un appui aux particuliers pour leur projet de rénovation. Cet accompagnement est en effet une aide précieuse pour tout propriétaire qui souhaite savoir précisément ce qu'il est possible de faire dans son logement. Aujourd'hui, peu d'opérateurs sont en mesure de jouer le rôle d'intégrateur des différents corps de métier. Dans la rénovation énergétique globale, le statut de contractant général n'est pas généralisé. Cozynergy en est un mais il existe moins d'une centaine d'acteurs titulaires d'un RGE contractant général rénovation énergétique globale. De plus, avoir ce RGE ne sert à rien puisqu'il n'est pas reconnu dans les dispositifs de subventions. Les dispositifs Mon accompagnateur Rénov' ne reconnaissent pas non plus le contractant général, qui devra choisir entre être contractant général ou accompagnateur Rénov'. Le seul statut reconnu aujourd'hui est celui d'installateur de chauffage, de spécialiste de l'isolation, de menuisier, etc. Je sais que des initiatives sont en cours et qu'un appel à projets pour un ensemblier de la rénovation énergétique sera lancé. Cozynergy, avec le soutien du groupe BPCE, regardera de près ce qui peut être fait dans ce domaine. Cependant, il est surprenant qu'un acteur qui peut proposer de la rénovation énergétique clé en main aux particuliers ne soit pas connu du grand public et que la tendance soit de faire appel à un auditeur en charge du bilan énergétique, à un organisme accrédité par le Comité français d'accréditation (Cofrac) en charge de contrôler le bilan, à un accompagnateur Rénov' qui sera en charge du package de financement, à plusieurs entreprises chargées de réaliser les travaux, avant que l'accompagnateur Rénov' revienne pour vérifier la qualité des travaux et que le Cofrac contrôle l'éligibilité de la subvention.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci, je laisse la parole au rapporteur.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Le rôle exact de l'accompagnateur Rénov' reste difficile à dessiner car, selon les acteurs auditionnés, nous n'aboutissons pas à une vision partagée entre ceux qui présentent l'accompagnateur Rénov' comme une maîtrise d'oeuvre en charge du suivi, ce qui emporterait un coût important, et ceux qui le décrivent comme un interlocuteur qui oriente et aide dans les démarches administratives voire qui effectue un contrôle après travaux. En fonction de la description du rôle, les prestations diffèrent, et donc le coût également, qui peut varier entre 350 euros et 2 000 euros. Par ailleurs, restera la question du contrôle et de l'indépendance du contrôle. Comment intégrez-vous ce contrôle dans votre dispositif puisque ce contrôle permet aussi d'obtenir la confiance ? Certes, il est rassurant de se tourner vers un ensemblier en mesure de coordonner l'ensemble des travaux mais le contrôle ne peut pas être confié à celui qui exécute.

Des questions sont également posées sur les matériaux à utiliser dans la rénovation, notamment les matériaux biosourcés (chanvre, paille, etc.). Comment ces petites filières peuvent-elles obtenir des avis techniques et accéder aux assurances ? La filière de la paille est un exemple intéressant puisque cette filière a réussi à se structurer.

La question des normes et de l'harmonisation des normes entre la réglementation européenne et les Outre-mer se pose également, ainsi que sur les matériaux à utiliser sur ces territoires. En outre, les typologies de bâtiments peuvent être différentes dans ces géographies.

Au-delà de l'innovation en elle-même, les questions posées portent aussi sur les moyens de l'innovation pour qu'elle prenne place dans le circuit.

M. Hervé Charrue. - Avec 36 millions de logements et un taux de construction neuve de 1 %, le défi de la rénovation est colossal. Le premier objectif fixé avait été de rénover 300 000 logements par an. Sept ans plus tard, cet objectif a été porté à 500 000 tandis que la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) avance aujourd'hui un objectif de 700 000 rénovations. Finalement, la logique est de relever l'objectif au fur et à mesure du temps après avoir fait le constat que les premières marches n'étaient pas franchies.

Cependant, il faut comprendre pourquoi on n'a pas atteint ces objectifs. En fait, la rénovation comprend cinq phases assez structurantes.

La première est celle de l'identification : elle vise à identifier les bâtiments à rénover. Le CSTB a développé une base de données nationale des bâtiments dans le cadre du programme de la Filière pour l'innovation en faveur des économies d'énergies dans le bâtiment et le logement (Profeel). Cette base de données permet de connaître tous les bâtiments par typologie et par niveau. Les algorithmes que nous avons développés permettent de disposer d'informations sur la performance au sens du diagnostic de performance énergétique (DPE).

La deuxième phase consiste à définir les solutions technologiques à développer pour atteindre le niveau de performance souhaité. À cet effet, beaucoup de technologies existent déjà. Aussi, plus que de technologies nouvelles, nous avons surtout besoin de choix industriels. Pendant cette phase, l'enjeu est de définir la solution la plus adaptée pour amener au niveau de performance donné le bâtiment considéré.

Le troisième niveau est central : il porte sur la capacité à financer le projet dans sa globalité. Les montants actuels des aides ne permettent pas à des propriétaires ayant de faibles revenus de mener une rénovation pour faire passer un bâtiment de la classe G à la classe C, B ou A. La question est de savoir s'il faut aider ces foyers ou s'il faut se substituer à eux via un investissement de l'État et un remboursement sur les gains et du reste du financement au moment de la mutation. La France n'est pas isolée en Europe car tous les autres pays ont le même parc et rencontrent les mêmes problématiques de performance. À une époque, je m'étais battu pour que les efforts réalisés en faveur de la rénovation énergétique ne soient pas pris en compte dans le calcul du déficit public de 3 % au sens du traité de Maastricht. Comme tous les États font face aux mêmes défis, il est important que la recherche s'organise à l'échelle européenne pour créer des acteurs industriels de dimension internationale. Par exemple, la plupart des bâtiments anciens n'ont pas de ventilation. Or dans le domaine de la production de froid comme dans le domaine de la ventilation, il n'existe pas de leaders internationaux comme il existe Daikin ou Toshiba dans d'autres domaines. Ce sont de petits acteurs nationaux qui interviennent sur ces thématiques. La question économique est ici essentielle alors que la crise Covid est venue renchérir le prix des matériaux et que la guerre en Ukraine a provoqué une augmentation du prix de l'énergie. Cette situation joue évidemment sur le coût des projets, effet encore accentué par la hausse des taux d'intérêt.

La quatrième phase est celle de la mise en oeuvre. Si les objectifs de la rénovation énergétique sont passés en quelques années de 300 000 logements par an à 700 000, c'est que nous n'avons pas la capacité à les réaliser et que le secteur est en déficit de main-d'oeuvre formée. Nous avons besoin d'une approche industrielle sur la base de produits « idiot proof », c'est-à-dire que les produits doivent apporter au moins 90 % de leurs performances nominales quelle que soit la personne qui les met en oeuvre. Aujourd'hui, la sensibilité à la mise en oeuvre est trop importante. La seule entreprise qui a mis sur le marché des produits « idiot proof » est Velux car les fenêtres de toit présentent un risque majeur d'une sinistralité très coûteuse. L'entreprise a donc travaillé l'assujettissement de la fenêtre à tout type de toiture neuve comme rénovée. La recherche doit s'emparer de ce sujet pour que le produit soit robuste dans la performance délivrée, quel que soit le niveau de mise en oeuvre. Le secteur rencontre finalement les mêmes difficultés que celles provoquées par le numerus clausus pour le secteur de la santé. Les formations courtes sont absentes, les salaires non attractifs et la main-d'oeuvre issue de l'immigration n'a pas les compétences souhaitées.

Le cinquième point est d'assujettir la réalisation à une mesure de la performance à la livraison, ce qui n'est pas fait aujourd'hui ou qui commence parfois à être fait. Ces sujets sont rendus encore plus complexes par le fait que la plupart des rénovations sont à mener en site occupé. Aussi, plutôt qu'une rénovation globale, il faut souvent procéder par lots.

Toutes ces phases sont très structurantes mais la plus importante, à mes yeux, est celle de la mise en oeuvre et de la capacité de production. C'est un sujet dont nous nous sommes emparés depuis plusieurs années sans être entendus. La FFB annonce une baisse de ses emplois dans les prochaines années, en lien avec la baisse des commandes. La Fédération estime que les marchés de la rénovation énergétique représentent 1,6 % de la demande, chiffre que je ne partage pas si nous devons renouveler le parc à 2050.

De nombreuses innovations ont porté sur le numérique, en particulier sur les phases 1 et 2, avec une connaissance des bâtiments et des maquettes numériques permettant de faciliter les calculs. Les entreprises d'une certaine taille parviennent à se saisir de ces données pour les phases suivantes, mais ce n'est pas le cas des entreprises artisanales et des très petites entreprises. Ces innovations numériques constituent néanmoins un progrès car elles permettent d'établir le constat de départ et ce que nous devons faire.

Avec l'émergence de la problématique du recyclage des matériaux et de leur impact environnemental, plusieurs start-ups investissent dans de nouveaux matériaux qu'il faudra tester, notamment sur le plan sanitaire. Ces tests éviteront de renouveler les erreurs commises par le passé avec l'amiante. Cependant, le plus souvent, ces start-ups n'ont pas la taille critique pour se développer. Elles ont donc la tentation de se tourner vers des gisements très locaux qui ne sont pas en mesure de servir une logique de massification. De plus, la main-d'oeuvre formée ne sera pas suffisante pour porter la massification de la rénovation. Cette situation repose une nouvelle fois la question de la nécessaire industrialisation qui ne signifie pas se substituer aux acteurs actuellement en charge de la mise en oeuvre. Il existerait par exemple un réel intérêt à mettre en place une industrialisation sur les façades et sur les innovations thermiques par l'extérieur, par exemple sur les toitures. De nombreuses innovations ont notamment été développées par le groupe Monier, avec des toitures complètes mais ces solutions peinent à trouver leur marché, car tous les acteurs essaient finalement de préserver leurs champs d'intervention. L'espace des solutions types doit aussi être étudié. De nombreuses aides publiques ont soutenu le développement des pompes à chaleur sans pour autant faire un choix industriel et dire quel serait le prix d'une pompe à chaleur et le prix plafond au-dessus duquel les aides ne seraient plus valables.

Enfin, on se contente souvent de regarder les économies d'énergie sans embrasser plus largement et voir les répercussions de la rénovation en termes de confort. En effet, outre l'aspect économique et le geste citoyen visant à préserver les ressources et le climat, les ménages qui se lancent dans la rénovation énergétique en attendent aussi une amélioration de leur confort. La difficulté est que cette attente en termes de confort n'est pas encore prise en compte par toutes les innovations technologiques. Les innovations restent très sectorielles (matériaux, numérique, système de gestion, etc.) alors que le premier levier de la massification reste celui de la capacité à produire, un sujet qui n'est pas débattu.

M. Christophe Philipponneau. - La problématique du manque de professionnels provient aussi d'un manque de questionnement sur les méthodes. Par exemple, un menuisier apprendra lors de sa formation initiale à construire une fenêtre et une porte alors que ce sont des produits largement industrialisés. Je défends plutôt l'idée de faire porter la formation sur les gestes, à propos desquels il faut réfléchir : je pense que, si nous voulons amener davantage de personnes vers nos métiers, il nous faut de bons poseurs de fenêtres, au-delà du chef de chantier qui aura peut-être quant à lui une formation plus classique en menuiserie. Avec les produits techniques que sont devenues aujourd'hui les portes et les fenêtres, nous avons surtout besoin de compétences permettant de bien les poser. Nous devons aussi valoriser ces compétences. Lorsque j'étais en entreprise, je préférais faire poser les appareillages électriques par des salariés venant du secteur de l'horlogerie : mes électriciens étaient parfaits pour travailler sur les armoires électriques et sur les infrastructures mais le dernier geste qui fait la décoration, c'est-à-dire la pose de l'appareillage, était mieux maîtrisé par les horlogers. Si nous voulons avoir plus de professionnels, il faut aussi accepter d'avoir des professionnels qui auront des tâches plus précises pour lesquelles ils devront être des spécialistes. Ces spécialistes compléteront en effet le travail de ceux qui auront une vision globale, comme le chef de chantier. La formation doit évoluer dans ce sens.

Concernant l'utilisation de matériaux biosourcés, nous devons garder à l'esprit que ces matériaux ont aussi d'autres usages en dehors du bâtiment. Avant de les utiliser, nous devons donc nous assurer de ne pas déstabiliser la filière d'origine du produit. La question se pose pour la paille qui pourrait ne pas être en quantité suffisante pour remplir tous les usages. Pour le chanvre, la question se pose différemment car le chanvre est une plante et que les matériaux utilisant le chanvre exploitent une partie de la plante qui n'est pas utilisée pour d'autres usages. Ces sujets doivent en tout état de cause être regardés de près pour améliorer l'acceptabilité de ces innovations et donner une chance aux produits.

La filière paille a réussi à obtenir rapidement des avis techniques, y compris la paille hachée. Je pense réellement que nous pouvons réussir à faire des choses intéressantes à la condition que tous les acteurs se mobilisent et que nous démontrions l'intérêt de l'innovation. Plutôt que d'aider uniquement la recherche et développement, il convient d'accompagner aussi la phase de préindustrialisation, puis de partager l'information au plus grand nombre afin qu'elle essaime. En étant provocateur, j'irais même jusqu'à dire qu'il faut davantage aider à utiliser un produit qu'à le développer. Lorsqu'il existe un débouché économique, l'industrie est capable de développer le produit. En revanche, un produit peut avoir été soutenu en phase de recherche mais ne pas bénéficier de financements pour la préindustrialisation et donc ne jamais décoller. Enfin, nous devons aussi entrer dans l'ère du recyclage et de l'économie circulaire, là où toute une filière est à construire. La rénovation est très probablement un milieu qui peut permettre le réemploi.

M. Nicolas Durand. - Il faut lever les freins qui conduisent à ce que les personnes qui lancent des travaux de rénovation énergétique soient en nombre insuffisant. De premières étapes ont été franchies avec le DPE et ses étiquettes. Sans pour autant dire qu'il s'agit d'innovations, il faut reconnaître que ce sont des avancées désormais connues de tous et qu'il s'agit de bases sur lesquelles s'appuyer. D'autres idées comme le passeport énergétique émergent mais le DPE doit rester le socle car il me semble qu'il ne sert à rien d'inventer d'autres formats. À mon sens, il est préférable de capitaliser sur l'existant.

Les dispositifs de subventions (certificats d'économies d'énergie, MaPrimeRénov', etc.) sont de mieux en mieux connus et il faut poursuivre dans cette direction et éviter des changements trop fréquents. En effet, tout changement suppose un temps d'adaptation, d'explication, d'appropriation, des efforts de formation, pour au final ne pas changer grand-chose. Ces changements pourraient être finalement plus coûteux que l'économie potentielle qu'ils pourraient engendrer. Les aides sont importantes pour les particuliers et leur permettent de réaliser les travaux, notamment lorsqu'elles viennent en déduction des devis pour éviter aux ménages d'avancer la totalité de la somme.

Je suis plutôt favorable au principe de l'accompagnateur Rénov' qui guidera le particulier qui ne sait pas par où commencer. Cependant, il faut peut-être différencier les missions relatives au bilan énergétique et à l'estimation des subventions et du coût et les missions relatives à l'accompagnement du maître d'ouvrage sur le volet travaux. L'accompagnateur Rénov' ne sera pas un maître d'oeuvre et ne sera pas responsable si les travaux sont mal faits, la responsabilité restera celle de l'installateur. Ce positionnement est différent de celui du contractant général vers lequel on se retourne en cas de problèmes. Le rôle de l'accompagnateur Rénov' existe déjà sur certains lots. Ce montage ajoute des étapes, néanmoins c'est un appui important. Pour autant, je pense qu'il ne faut pas se précipiter car le flou règne encore. De plus, des échéances arriveront en septembre et il est toujours difficile pour une profession d'accueillir des changements qui ont été insuffisamment préparés.

Par ailleurs, peu de sociétés ont la qualification RGE. Or, pour obtenir les subventions, il faut que l'entreprise qui installe soit labélisée. Certains invitent à durcir le dispositif pour obtenir la qualification RGE, ce qui peut apparaître une proposition étonnante alors que leur nombre est déjà très faible. De plus, certains installateurs préfèrent ne pas suivre la formation RGE quitte à baisser leurs prix. À mon sens, il faudrait l'ouvrir davantage et créer une communauté des entreprises RGE, l'informer et la former. Enfin, un contrôle systématique post-travaux pourrait être mis en place de la part de contrôleurs certifiés qui eux-mêmes seraient contrôlés pour s'assurer du sérieux de la démarche.

Mme Sabine Drexler. - Je m'intéresse beaucoup au bâti ancien et aux questions de patrimoine ayant une valeur architecturale ou historique, patrimoine qui différencie aussi nos régions et fonde leur attractivité. Avec un DPE devenu obligatoire pour les propriétaires bailleurs, la question est de savoir comment à la fois protéger le bâti ancien et encourager la rénovation énergétique. Ce sujet intéresse-t-il les start-ups ?

M. Christophe Philipponneau. - La rénovation ne peut effectivement pas être appréhendée de la même manière dans le Limousin et dans le Pays basque. Les particuliers souhaitent aussi respecter leur patrimoine et leur spécificité régionale en se lançant dans une rénovation énergétique. Nous pouvons industrialiser les méthodes mais, si nous voulons réussir, il faut également prendre en compte la pluralité des bâtiments. D'ailleurs, dans toutes les réunions que nous avons organisées, la question du respect du patrimoine local a été posée. Cette problématique est même présentée comme un prérequis à des opérations de rénovation. En tout cas, la rénovation énergétique est possible dans tout contexte après avoir étudié la situation et trouvé les bonnes solutions.

Mme Sabine Drexler. - Je suis inquiète de la vitesse à laquelle on nous demande de faire des travaux. Certains font n'importe quoi au prétexte qu'il faut aller vite.

M. Nicolas Durand. - Je comprends votre inquiétude. Dans certains cas, nous ne pouvons pas répondre lorsque nous ne disposons pas de la solution technique qui convient et que lancer les travaux coûterait trop cher. C'est donc un vrai sujet qu'il faudra traiter aussi par le financement de ces spécificités.

Mme Sabine Drexler. - Une autre solution pourrait passer par la tolérance ou la dérogation.

M. Christophe Philipponneau. - Nous pouvons utiliser des moyens différents pour atteindre un même objectif. Dans notre parc bas carbone, nous avons souhaité créer des bâtiments 3C2 sans dire comment y parvenir. Aujourd'hui, 330 logements font partie du projet avec 9 constructeurs différents ayant appliqué des techniques différentes. Nous contrôlerons à la livraison, puis deux ans plus tard la performance des solutions mises en place. Cet exemple démontre qu'il nous faut aussi sélectionner les bonnes solutions et répondre au juste besoin. Il faut être agile, par exemple en accentuant la ventilation sur une maison qu'il ne sera pas possible d'isoler. C'est l'objectif qui doit primer et non les moyens et il ne faut donc pas promouvoir absolument certains moyens sur étagère mais une mixité de solutions.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 20 h 30.