Mardi 6 juin 2023

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 17 h 00.

Fin de vie - Audition de Mme Agnès Firmin-Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous recevons Mme Agnès Firmin-Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, au sujet de la fin de vie. J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat, qui sera ensuite disponible en vidéo à la demande.

Cette audition s'inscrit dans le cadre des travaux sur la question de la fin de vie menés par nos rapporteures, Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Imbert et Michelle Meunier, ou en plénière avec une table ronde sur les enjeux philosophiques, une autre sur les enjeux juridiques de ce sujet, ainsi qu'une audition conjointe de sociétés savantes. Par ailleurs, nous entendrons demain matin la présidente du comité de gouvernance et quatre membres de la convention citoyenne.

Madame la ministre, nous savons que vous avez beaucoup travaillé sur ce sujet qui concerne chacun d'entre nous. Nous attendons un éclairage sur les intentions du Gouvernement en matière d'évolution du droit et de mise à disposition réelle des soins palliatifs pour nos concitoyens. Nous souhaitons également que vous nous précisiez le calendrier envisagé par le Gouvernement pour l'examen d'un projet de loi, le cas échéant.

Mme Agnès Firmin-Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministère de la santé et de la prévention, chargée de l'organisation territoriale et des professions de sa santé. - Permettez-moi en préambule, madame la présidente, de vous remercier pour cette invitation. Je sais la qualité des travaux que vous menez au sein de la commission des affaires sociales. J'ai suivi avec attention les travaux de la mission que vous avez lancée et me tiens à votre disposition pour répondre à vos interrogations sur ce sujet essentiel de la fin de vie.

Comme vous le savez, le Président de la République a souhaité, le 13 septembre dernier, ouvrir un débat national sur la fin de vie dans le prolongement de la remise de l'avis 139 du Comité consultatif national d'éthique (CCNE). Cette première étape s'est conclue par la remise du rapport produit par les 184 citoyens réunis pendant quatre mois dans le cadre de la Convention citoyenne sur la fin de vie, et le Président de la République a fixé, le 3 avril dernier, les orientations sur lesquelles il souhaitait que nous cheminions collectivement.

Le travail que nous venons d'engager dans cette deuxième phase repose sur deux piliers. Il s'agit d'abord de l'élaboration et de la mise en oeuvre, d'ici à la fin de l'année 2023, d'une stratégie décennale avec trois volets : les soins palliatifs, la prise en charge de la douleur et l'accompagnement de la fin de vie.

Le Président de la République a également annoncé l'élaboration d'un projet de loi d'ici à la fin de l'été, sur lequel je reviendrai ultérieurement.

Il me paraît utile de rappeler brièvement les travaux que le Gouvernement a menés simultanément à ceux de la Convention citoyenne pendant la première phase du débat national sur la fin de vie. L'action a ainsi conjugué les travaux de la Convention citoyenne sur la fin de vie et ceux de la mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, dans le prolongement des travaux de la mission d'information sur l'état des lieux des soins palliatifs réalisés par votre commission en septembre 2021. Nous prévoyons également de nous appuyer sur les travaux d'évaluation de la politique de développement des soins palliatifs par la Cour des comptes, dont la remise du rapport est prévue pour fin juin 2023.

Pour une mise en perspective des enjeux identifiés sur la fin de vie dans notre pays, j'ai souhaité articuler nos travaux autour de trois volets. Le premier volet concerne la liberté de choisir en fin de vie, avec les réponses que nous serons en mesure d'apporter à la question posée par le CCNE dans son avis 139 de septembre 2022. Le deuxième volet a pour objet de dresser un état des lieux des modalités de développement des soins palliatifs, avec les enjeux d'égalité, d'accès à la formation des professionnels de santé ou encore d'information de nos concitoyens, comme les directives anticipées. Le troisième volet, quant à lui, est dédié au sujet essentiel de l'accompagnement de la fin de vie et du deuil, avec, notamment, la place et le rôle des aidants ; nous avons tous en mémoire des situations personnelles dramatiques durant la crise de la covid-19, et nous menons un travail en ce sens.

Je souhaiterais d'abord vous présenter la méthode qui a été la mienne depuis le mois d'octobre dernier, avant de revenir sur les premiers enseignements et d'esquisser quelques pistes pour la suite.

Le Gouvernement a souhaité engager les travaux en cours de concertation en s'appuyant sur les travaux d'évaluation rendus par différentes instances. Sans prétendre à l'exhaustivité, je pense aux rapports de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur la mort à hôpital en 2009, sur le registre national des directives anticipées en 2015, et sur les soins palliatifs et la fin de vie à domicile en 2017. Nous avons également pris en compte les travaux d'évaluation parlementaire de la loi du 2 février 2016, les travaux d'évaluation du plan 2015-2017 sur les soins palliatifs et l'accompagnement de la fin de vie, l'évaluation des dispositifs spécialisés de prise en charge des maladies neurodégénératives de 2022, le rapport sur les aidants et les solutions de répit de 2023, ainsi que les avis du CCNE de 2018 et de 2022.

J'ai souhaité, en parallèle, une accélération du déploiement de mesures du cinquième plan de développement des soins palliatifs et, plus particulièrement, la révision de la circulaire du 25 mars 2008 relative à l'organisation des soins palliatifs avec, en corollaire, un ajustement des moyens alloués aux soins palliatifs pédiatriques ; la publication de la nouvelle instruction devrait intervenir dans les prochains jours.

Dans le cadre de cette première étape de réflexion, j'ai mené de très nombreuses auditions et visites ; soit plus de 80 entretiens avec les principales parties prenantes à Paris et sur le terrain, des visites dans l'Hexagone et outre-mer d'une quinzaine d'établissements ou structures intervenant à domicile, et enfin des échanges avec près de 150 personnes, professionnels de santé, élus, autorités religieuses, obédiences maçonniques, responsables associatifs, personnalités des arts et des lettres, ainsi que des déplacements d'études pour échanger avec les autorités et les experts internationaux de pays ayant légalisé l'aide active à mourir plus ou moins récemment, ou ayant interrompu le processus - en Suisse, en Italie, en Belgique, au Royaume-Uni, en Espagne et en Oregon.

J'ai souhaité également l'installation et l'animation de deux groupes de travail, l'un avec les parlementaires, transpartisan et bicaméral - certains parmi vous y ont participé - et l'autre avec des professionnels de santé. Les membres de ces deux groupes ont été réunis de manière spécifique pour une sensibilisation et une appropriation des travaux menés, mais aussi associés à l'occasion d'ateliers thématiques, afin de réfléchir à des propositions conjointes sur l'anticipation et la culture palliative, l'accompagnement du deuil et des aidants, les réflexions éthiques et les dispositifs d'aide active à mourir. J'ai souhaité également saisir France Assos Santé pour recueillir les avis des structures concernées ; ces avis doivent m'être remis très prochainement.

Nous avons réalisé une saisine de la Conférence nationale de santé (CNS) pour mesurer les conditions favorisant la relation partenariale entre usagers et professionnels du système de santé. J'ai souhaité également connaître leurs recommandations sur les conditions nécessaires à l'engagement dans la durée des instances de démocratie en santé nationale et territoriale - CNS, conférences régionales de la santé et de l'autonomie (CRSA) et conseils territoriaux de santé (CTS) - dans le suivi des politiques de santé dans le domaine de la fin de vie.

En parallèle, une mission a été confiée à un groupe d'initiés aux questions de fin de vie - écrivains, sociologues, professionnels de santé, juristes, etc. -, réunis autour d'Érik Orsenna afin de travailler sur le champ lexical de la fin de vie, d'en questionner le sens et les usages par nos concitoyens. Ce groupe a été chargé de rédiger un lexique exploratoire à destination d'un large public, dont les contributions finales me seront adressées d'ici fin juillet.

J'en viens aux premiers enseignements qu'il nous est possible de tirer de ces travaux de réflexion et d'évaluation.

Les travaux d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti, notamment ceux de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, ont souligné des difficultés persistantes de mise en oeuvre de différentes mesures. Si cette loi a permis d'impulser une nouvelle dynamique à la prise en charge de la fin de vie et à la diffusion de la culture palliative en France, avec des mesures permettant une meilleure prise en charge de la souffrance et clarifiant l'usage de la sédation profonde et continue jusqu'au décès en phase terminale, nous constatons néanmoins plusieurs choses : la nécessité de renforcer les étapes et le caractère collégial du processus décisionnel conduisant à l'arrêt des traitements ; une mauvaise appréciation de l'impact de l'arrêt de l'hydratation et de l'alimentation ; une insuffisance de formation des différentes sédations ; et enfin des populations mal identifiées, notamment les mineurs et les malades de certains cancers.

Les questions liées à la fin de vie sont parmi les plus complexes auxquelles les professionnels de santé et le législateur sont confrontés dans le domaine de la santé. La loi du 2 février 2016, qui a constitué une avancée très importante par rapport à la loi de 2005, permet de répondre à l'immense majorité des situations de fin de vie. Beaucoup de chemin reste néanmoins à parcourir pour résorber le décalage entre la loi et la pratique.

Quels que soient la législation et le souci d'assurer sa mise en oeuvre rigoureuse sur le terrain, il n'y a pas de « bonne mort », de « mort zéro défaut », ni de « bonne solution à la mort ». Il faut garder à l'esprit le caractère profondément singulier, douloureux et complexe de chaque situation de fin de vie. Cependant, comme le soulignait le CCNE en 2018, « les questions éthiques ne seront jamais résolues par la loi » et « il existe une voie pour une consultation éthique d'une aide active à mourir à certaines conditions strictes, avec lesquelles il est inacceptable de transiger ». Dans son avis 139, rendu le 13 septembre dernier, le CCNE propose un nouvel équilibre entre autonomie et solidarité pour modifier le cadre actuel de la fin de vie en France.

Les travaux réalisés par la Convention citoyenne sur la fin de vie ont permis de souligner l'évolution de la société française. Ces 184 conventionnels ont incarné, par leur représentativité, la société française. Ils ont réalisé un véritable exercice de démocratie participative et ont respecté les avis différents, voire divergents, qui s'exprimaient. Une des membres de cette convention le disait encore hier : « Merci aux 75 % de membres de la Convention favorables à l'ouverture d'une aide active à mourir de nous avoir laissé 50 % du temps de parole et 50 % du contenu du rapport. » Je trouve cela très positif. Cela montre aussi à quel point, sur un sujet de société comme celui-ci, qui nous concerne tous, la réflexion et l'intelligence collectives peuvent aboutir à des propositions consensuelles.

Les travaux de la Convention citoyenne ont confirmé l'orientation favorable de la société française à la mise en place d'une aide active à mourir. Cette orientation, qui vise à élargir les droits des malades sur leur fin de vie, s'est confirmée au-delà de la perception du législateur ; celui-ci en avait toutefois soutenu l'expression via différentes propositions de loi initiées ces dernières années.

J'en viens à la deuxième phase des travaux lancés par le chef de l'État le 3 avril dernier. Les conclusions des travaux de la Convention citoyenne constituent un support important pour définir les contours du futur modèle d'aide active à mourir. Le chef de l'État a identifié certaines limites, soulignant notamment la stricte ouverture de l'aide active à mourir aux personnes majeures dont le pronostic vital serait engagé à moyen terme et disposant de leur plein discernement.

Nous disposons d'un important matériel pour travailler. Beaucoup de productions appuyant ces travaux ont été livrées ces derniers mois, et les vôtres viendront les compléter. Il est nécessaire de trouver un équilibre entre l'ouverture d'un nouveau droit pour les Français et les préoccupations légitimes des professionnels. Il ressort de mes différents déplacements à l'étranger qu'aucun modèle n'est duplicable in extenso dans notre pays. Pour construire ce modèle français de la fin de vie, il me semble indispensable d'avancer avec les soignants et l'ensemble des professionnels de santé et du médico-social qui sont au coeur de l'accompagnement des personnes en fin de vie, particulièrement lorsqu'elles souffrent des conséquences d'une maladie incurable.

Car la bienveillance est d'abord dans la préservation de l'humain jusque dans la mort. Elle débute bien en amont et repose sur celles et ceux qui sont autour de la personne qui veut mourir, professionnels et proches. Le modèle français de la fin de vie devra ainsi reposer sur au moins trois volets, à partir desquels nous avons initié des travaux : le développement des soins palliatifs dans le cadre d'un plan décennal en identifiant les mesures qui relèvent du législatif ; l'ouverture d'un nouveau droit vers une aide active à mourir sous conditions ; et une attention renforcée à la protection des personnes et aux droits des patients.

La loi devra cadrer les choses, identifier les critères d'entrée dans le parcours, poser des conditions très précises et des principes à respecter, ainsi que l'a indiqué le Président de la République le 3 avril dernier. À cet égard, l'analyse des dispositifs mis en place dans les pays étrangers - critères d'éligibilité, encadrement et traçabilité tout au long de la procédure -, réalisée par le Gouvernement pendant la phase de concertation, a permis d'identifier les glissements potentiels et les conditions pour les prévenir. Comme l'ont précisé le chef de l'État et la Première ministre, nous construirons ce projet de loi avec les parlementaires, en mobilisant la connaissance et l'expérience des soignants.

Concernant le plan décennal sur lequel le Gouvernement souhaite avancer en parallèle des travaux d'élaboration du futur projet de loi, j'ai installé, jeudi dernier, l'instance de réflexion stratégique. Sous la houlette du professeur Franck Chauvin et avec le concours de l'Igas, des experts et personnes qualifiées ont engagé des travaux visant à élaborer différents scénarios afin que nous soyons en mesure d'apporter des réponses concrètes à nos concitoyens dont la fin de vie constitue un moment de grande fragilité, ainsi qu'un soutien à leurs proches aidants, y compris durant la période de deuil.

Ce plan concernera également la prise en charge de la douleur sans considération de l'âge, avec une attention portée aux mineurs. Tout le monde - conventionnels, soignants, parlementaires, institutions - s'accorde sur le nécessaire renforcement des soins palliatifs, y compris à domicile, ainsi que sur le développement de l'anticipation et de la culture palliatives et de l'accompagnement du deuil.

Le rapport de la mission d'évaluation, réalisé par la commission des affaires sociales sur la loi du 2 février 2016, souligne qu'il faut poursuivre et accélérer la mise en place des mesures prévues, en particulier s'agissant de la formation des professionnels à la prise en charge de la douleur, à l'écoute du patient et au respect des volontés en termes d'arrêt des thérapeutiques. Il reste beaucoup à faire pour que les nouveaux droits apportés par cette loi soient mieux et plus largement appliqués.

Il nous faut travailler à promouvoir une approche transversale et ouverte des soins palliatifs, afin de favoriser l'appropriation par chacun de cette prise en charge spécifique et d'assurer une intégration palliative dans notre pays ; c'est ce que j'ai souhaité engager avec l'actualisation de la circulaire organisant l'offre de soins qui datait de 2008. Cette nouvelle instruction, bientôt publiée, insiste sur la structuration de la filière palliative et pose la première brique du plan décennal annoncé par le Président de la République, dédié aux soins palliatifs et à la prise en charge de la douleur.

Il était urgent, en effet, de réviser le logiciel de la politique des soins palliatifs, d'en rénover le pilotage et le portage en assurant les décloisonnements indispensables à une trajectoire d'intégration palliative à l'accompagnement de la fin de vie. Le rapport de la Cour des comptes sur la politique nationale de soins palliatifs nous sera remis très prochainement ; je suis certaine que les analyses et recommandations présentées nous seront très utiles.

Les travaux engagés dans cette deuxième phase sont essentiels, car la fin de vie et la mort nous concernent tous. Elles ne doivent pas rester un sujet tabou, mais, au contraire, retrouver place dans notre parcours de vie. L'accompagnement des plus fragiles doit tenir compte de toutes les évolutions et du fait que celles-ci créent parfois des situations auxquelles notre droit doit pouvoir répondre.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Madame la ministre, vous avez engagé beaucoup de travail et de concertation, au départ avec Olivier Véran et désormais de manière plus exclusive, semble-t-il. Par ailleurs, le ministre de la santé ayant, si j'ai bien compris, quelques réticences sur ce texte, c'est vous qui en assumez la responsabilité.

Parmi les trois volets évoqués, un consensus devrait se dégager sur les soins palliatifs et la protection des soignants. Reste le volet de l'aide active à mourir. Sur ce dernier point, la proposition de loi d'une collègue du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, dont j'étais la rapporteure, n'avait pas obtenu l'avis favorable du Sénat ; mais nous parlions alors d'assistance au suicide et d'euthanasie, et je comprends l'importance du travail sémantique engagé par Érik Orsenna. Au-delà des mots, jusqu'où ce texte pourra-t-il être défendu ? Le Président de la République a-t-il été plus précis dans sa demande ?

Mme Agnès Firmin-Le Bodo. - Le Président de la République a la volonté d'introduire un nouveau droit concernant l'aide active à mourir. Les travaux de co-construction menés à la fois avec les soignants et les parlementaires débutent la semaine prochaine. Je ne peux pas préjuger du résultat des travaux ni du choix de la sémantique, mais le principe est bien d'ouvrir un nouveau droit sous certains critères d'éligibilité - pas d'ouverture aux mineurs, pronostic vital engagé à moyen terme et faculté de discernement. Le projet de loi devra être présenté avant le 21 septembre prochain.

Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Avec cette nouvelle loi qui dépénaliserait l'euthanasie, ne craignez-vous pas de ne pas maîtriser les conséquences d'une telle ouverture ? Si l'on observe les exemples étrangers, il n'est pas rare de constater certaines dérives, un élargissement tôt ou tard des critères, ou encore une augmentation du nombre de cas de suicide.

Mme Agnès Firmin-Le Bodo. - Nous avons visité des pays comme la Belgique, qui légifère sur le sujet depuis vingt ans, ou l'Espagne, qui a fait le même choix depuis trois ans. Il s'agissait d'évaluer le nombre de personnes concernées et, concernant l'Espagne, de comprendre pourquoi l'on dénombrait aussi peu de cas après l'application de la loi.

Très peu de pays ont élargi leurs critères. La Belgique a légiféré, dix ans après, sur l'ouverture aux mineurs ; cela a fait quelques remous. Toujours en Belgique, il était important de pouvoir écouter les professionnels qui ne souhaitaient pas voir évoluer la loi et nous ont mis en garde contre certains glissements. Je me suis également rendue en Oregon afin de comprendre les raisons qui ont présidé au choix du suicide assisté il y a vingt-cinq ans. J'ai beaucoup échangé avec les législateurs, de manière à savoir les questions qu'ils se posent pour faire évoluer la loi. Ils sont, par exemple, en train de réfléchir à la question du moyen terme pour éventuellement en élargir la définition.

En allant voir comment cela fonctionne ailleurs, l'idée était de pouvoir collecter les critères d'éligibilité et, en fonction de ce qui nous a été rapporté, d'éviter certains glissements. Ces visites ont été très instructives. Par exemple en Oregon, lorsque j'ai interrogé sur le devenir du « petit flacon », ils ont été très surpris par ma question. Pour eux, la question ne se pose pas, les armes chez eux sont en circulation libre. On voit bien, sur un tel sujet, les différences culturelles ; aucun modèle, comme je l'ai dit, n'est duplicable in extenso.

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Certes, il y a le cas de l'Oregon, mais pourquoi les autres modèles ne sont-ils pas duplicables en France ?

Je pointe certaines contradictions dans votre réflexion. Vous avez précisé que la loi de 2016 avait constitué une avancée très importante. Alors que tout le monde s'accorde à dire que cette loi n'est pas assez connue ni appliquée, vous réfléchissez à légiférer de nouveau. Pourquoi ne pas chercher, avant toute chose, à mieux faire appliquer cette loi ?

Vous précisez que les questions éthiques ne seront jamais résolues par la loi. Or, sur cette problématique du « bien mourir », la question est bien de savoir comment la loi peut améliorer les choses.

Depuis l'annonce, il y a dix-huit mois, du cinquième plan consacré aux soins palliatifs, avez-vous observé des avancées sur le sujet ?

Enfin, avec les débats parlementaires qui s'annoncent, ne craignez-vous pas que certaines choses dans la loi ne vous échappent ?

Mme Agnès Firmin-Le Bodo. - C'est le principe du débat parlementaire, je n'ai pas à craindre que des choses m'échappent ; cela s'appelle la démocratie, et chacun doit pouvoir exprimer ses idées. Nous avons, collectivement, l'opportunité de montrer à nos concitoyens que, sur un sujet de société aussi complexe et transpartisan, nous sommes capables de débattre en nous écoutant et en nous respectant.

La Convention citoyenne a ouvert la voie, et les nombreux débats auxquels j'ai pu participer dans vos circonscriptions montrent à quel point nos concitoyens ont envie de parler de ce sujet ; ils ne posent pas de questions, les témoignages engendrent d'autres témoignages, souvent contradictoires, et la conversation se fait ainsi.

L'idée est d'apporter un projet de loi et de le co-construire avec les élus ; et ensuite, le texte vivra son parcours parlementaire.

Pourquoi la loi Claeys-Leonetti ne suffirait-elle pas ? C'est l'avis du CCNE et, pour cette raison, le Président de la République a souhaité engager les débats. Au sein du CCNE, M. Claeys lui-même expliquait que la loi de 2016 ne répondait pas à toutes les situations. Dans la nouvelle loi, on pourra répondre à la question du moyen terme, auquel ne répond pas la loi précitée. L'idée est d'ouvrir un nouveau droit dont il convient encore de définir les modalités, mais cette nouvelle loi ne retirerait rien à personne. Pour donner un exemple, la loi Claeys-Leonetti ne pourra jamais répondre aux questions que pose la maladie de Charcot.

Concernant les soins palliatifs, la volonté du Président de la République a été très claire dès le 13 septembre. Après chaque plan quinquennal, on se pose toujours la même question : pourquoi encore vingt départements en France, à l'heure actuelle, ne disposent-ils pas d'unités de soins palliatifs ? Nous avons fait le choix de nous calquer sur le modèle de l'Institut national du cancer (INCa), en partant sur une stratégie à long terme afin de poser les bases et donner des perspectives.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Avant de céder la parole aux membres de la commission, je souhaite vous interroger sur l'éventualité d'une procédure accélérée.

Mme Agnès Firmin-Le Bodo. - Vous me posez la question alors que nous n'avons pas commencé à écrire le projet de loi. Mais je ne crois pas que, sur un tel sujet, une procédure accélérée soit envisageable. Précédemment, j'ai rappelé tous les travaux déjà effectués. Je ne veux pas préjuger de ce que décideront l'Assemblée nationale et le Sénat. Ces travaux nécessitent du temps, de la réflexion et des échanges, mais j'insiste sur le fait que l'on ne part pas de nulle part.

Mme Laurence Cohen. - Madame la ministre, je me réjouis des travaux de concertation que vous avez menés. Un tel sujet relève de l'intime et, en effet, transcende les partis politiques. Et on peut aussi évoluer au gré des échanges.

L'approche des trois volets me semble intéressante. La loi Claeys-Leonetti est une loi importante, mais peu connue et peu appliquée. En parallèle de la nouvelle loi, quelles mesures comptez-vous présenter pour faire mieux connaître cette loi de 2016 ?

Lorsqu'on évoque les soins palliatifs, il est nécessairement question de moyens humains et financiers. L'argent débloqué pour la mise en oeuvre des cinq plans - autour de 170 millions d'euros - est largement insuffisant, et cela entraîne des inégalités importantes concernant l'accès à ces soins palliatifs. Que comptez-vous faire pour remédier à ces inégalités ?

Enfin, comment faire en sorte que la culture des soins palliatifs soit mieux prise en compte au niveau de la formation, notamment universitaire ?

M. Daniel Chasseing. - Madame la ministre, vous avez indiqué que les prises en charge de fin de vie étaient, dans leur immense majorité, satisfaisantes. Sans doute faut-il renforcer les soins palliatifs et la formation à la prise en charge de la douleur, mais la loi Claeys-Leonetti donne satisfaction.

Vous avez précisé que la loi concernait les morts à moyen terme ; je ne sais pas trop ce que cela veut dire. Selon Theo Boer, professeur d'éthique aux Pays-Bas, 1 800 personnes - dont 90 % de malades en phase terminale de cancers - ont pratiqué l'euthanasie en 2002 ; actuellement, il estime ce chiffre à 7 600 personnes ; on constate donc une dérive. Et pour le professeur Boer, si les soins palliatifs avaient été mieux développés en 2002, ce vote pour l'euthanasie n'aurait jamais existé.

Je rappelle enfin que les malades, même très graves, demandent à guérir plutôt qu'à mourir. Par ailleurs, 80 % des personnes travaillant en soins palliatifs ou dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ephad) ont déclaré ne plus vouloir travailler dans les services si l'on changeait de paradigme, à savoir donner la mort plutôt que soigner. Ne craignez-vous que, malgré les garde-fous mis en place, on assiste à des dérives comme aux Pays-Bas ?

M. Laurent Burgoa. - Madame la ministre, à quelle échéance pensez-vous que chaque département pourra disposer d'une unité de soins palliatifs ? Et quel budget comptez-vous mobiliser pour obtenir ce résultat ?

Par ailleurs, une loi ne peut être que générale. Comment faire en sorte qu'elle soit juste et efficace pour résoudre chaque cas particulier ?

Mme Agnès Firmin le Bodo. - Monsieur Chasseing, les travaux que nous menons avec les soignants visent précisément à définir ce qu'est un pronostic vital engagé à moyen terme. Pour l'instant, en Oregon, le moyen terme est fixé à six mois, mais une réflexion est en cours.

Madame Imbert, de nombreuses raisons m'amènent à considérer qu'il n'existe pas de modèle duplicable. En effet, nous n'avons pas forcément la même culture que dans les autres pays. Ainsi, en Suisse, il n'y a pas de loi sur le sujet, de sorte que, par principe, tout ce qui n'est pas interdit est autorisé. Il n'y a pas de loi non plus en Italie, ils sont partis sur le concept de la désobéissance civile. En Belgique, j'ai constaté l'enjeu de la traçabilité du processus. Je tiens à ce que nous puissions avoir une traçabilité complète du processus en France, de manière à pouvoir l'évaluer et sécuriser les professionnels. Pour l'instant, nous n'avons aucun moyen de savoir combien de sédations profondes et continues ont été pratiquées.

En outre, les systèmes politiques varient d'un pays à l'autre, tout comme les systèmes de soins. Par exemple, en Suisse, le développement des soins palliatifs est intervenu après que le suicide assisté a été rendu possible. Les différences sont donc nombreuses, mais chaque pays offre des éléments intéressants pour construire une loi, en procédant de manière synthétique.

Tout le monde s'accorde à dire qu'il faut que les soins palliatifs évoluent. Malgré les plans quinquennaux, nous n'avons pas réussi à couvrir tous les départements en unités de soins palliatifs, même si des lits de soins palliatifs peuvent exister en dehors de ces unités. En effet, dans certains hôpitaux, on a préféré investir dans le curatif plutôt que de développer des unités de soins palliatifs où les patients décèdent inévitablement. Cela correspond à une tendance propre à la culture de notre pays, où l'on considère comme un échec de ne pas réussir à soigner un patient. L'enjeu est donc de développer une culture du palliatif et il faut pour cela introduire une formation aux soins palliatifs dès les études de médecine. Les médecins, les infirmiers et les aides-soignants, notamment dans les Ehpad, doivent développer cette culture du palliatif. C'est un enjeu majeur.

Madame Cohen, il nous faut en effet avancer sur nos deux pieds et j'en ajouterai même un troisième, car il faut aussi ouvrir une réflexion sur les droits des patients. La rédaction des directives anticipées est un enjeu particulièrement important au sujet duquel nos compatriotes restent peu informés. En effet, parmi les personnes de plus de cinquante ans, 12 % seulement ont rédigé leurs directives anticipées. Nous devons donc mieux informer nos concitoyens sur les soins palliatifs et sur l'importance de rédiger des directives anticipées, et nous devons également mieux former l'ensemble des professionnels pour pouvoir développer les soins palliatifs à domicile. Nous souhaitons que, à la fin de 2024, les vingt départements qui n'ont pas encore d'unité de soins palliatifs en aient une.

De plus, nous tenons aussi à développer les unités de soins palliatifs pédiatriques, car la prise en charge de la douleur chez les enfants reste largement insuffisante. Des équipes régionales de soins palliatifs pédiatriques existent déjà ; nous développerons un schéma de quatre à six unités pour prendre en charge les cas les plus complexes. Notre objectif est d'établir une gradation : les cas complexes seront traités dans le cadre de l'unité de soins palliatifs pédiatriques, les autres pourront être suivis à domicile et nous développerons l'hospitalisation de jour en soins palliatifs pour anticiper la prise en charge de la douleur et celle de la dimension palliative.

Enfin, il ne faut pas opposer le développement des soins palliatifs et l'ouverture du nouveau droit que représente l'aide active à mourir. L'un ne retire rien à l'autre. J'ai pu constater sur le terrain combien il était nécessaire de toujours proposer un passage en soins palliatifs même à une personne qui serait éligible à l'aide active à mourir.

M. Alain Milon. - Quand la loi Leonetti a été votée, nous avons tous considéré qu'il s'agissait d'un grand progrès et nous avons tenté de la mettre en application. Or, la loi Claeys-Leonetti est intervenue trop tôt, alors que nous n'avions pas eu le temps d'appliquer toutes les dispositions de la loi Leonetti. Cette fois-ci, c'est dans un délai encore plus court que l'on nous propose ce texte sur l'aide active à mourir. A-t-on laissé suffisamment de temps pour mettre en application la loi Claeys-Leonetti ?

Vous parlez d'« aide active à mourir », mais sans préciser qui est actif ou qui doit l'être. Vous parlez aussi de l'ouverture d'un nouveau droit : qui l'exerce et à qui s'impose-t-il ?

Mme Véronique Guillotin. - Il est évident qu'il ne faut pas opposer les soins palliatifs et l'aide active à mourir. L'avis du CCNE ouvre une voie, mais reste chronologique, dans la mesure où il pose la question de savoir si l'aide active à mourir doit intervenir avant que les soins palliatifs soient suffisamment développés. Il me paraîtrait gênant que l'aide active à mourir devienne une forme imparfaite de soins palliatifs. Il est important de pouvoir soigner la douleur. Or la fin de vie à domicile est parfois vécue de manière douloureuse, car il est difficile pour l'entourage de trouver des professionnels de santé formés à l'accompagnement palliatif. En outre, le nombre de soignants reste insuffisant. Comment comptez-vous remédier à cela, y compris en matière budgétaire ?

M. Bernard Bonne. - Quelle différence faites-vous entre l'aide active à mourir et le suicide assisté ?

Au sujet du pronostic vital engagé à moyen terme, dont vous nous avez dit qu'il était pour l'instant fixé à six mois, il me semble que les médecins ne peuvent jamais savoir quand un patient va mourir : il est très difficile d'évaluer exactement ce moyen terme.

Ne faudrait-il pas faire une évaluation claire de l'application de la loi Claeys-Leonetti avant de mettre en place de nouvelles mesures ?

Vous avez rappelé l'importance de rédiger des directives anticipées, mais à partir de quel moment les mettra-t-on en oeuvre ? Dans certains cas, plusieurs années peuvent passer avant qu'une personne meure : doit-on appliquer d'emblée les directives anticipées ou bien faut-il attendre et combien de temps ?

Vous avez commencé votre propos en indiquant que le Président de la République avait décidé qu'il fallait une loi sur l'aide active à mourir. Mais si le Parlement est contre, j'espère qu'il pourra tout de même exercer ses prérogatives !

Mme Agnès Firmin Le Bodo. -. Monsieur Bonne, ne raccourcissez pas mes propos ! J'ai dit que le Président de la République souhaitait que nous travaillions à la construction d'un projet de loi qui sera présenté avant la fin de l'été. J'ai également précisé que le débat parlementaire devait avoir lieu.

La loi Claeys-Leonetti a bien été évaluée. Le rapport d'information publié par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale montre qu'elle ne parvient pas à répondre à l'ensemble des situations, ce qui correspond à l'avis rendu par le CCNE.

Il ne faut pas lier les directives anticipées et l'aide active à mourir. Si Vincent Lambert avait rédigé ses directives anticipées, il n'y aurait pas eu d'affaire, d'où l'importance d'informer nos concitoyens sur ce sujet. Toutefois, dans le cas d'une maladie incurable, Jean Leonetti n'est pas hostile à l'idée de prévoir des directives accompagnées.

L'aide active à mourir couvre l'euthanasie et le suicide assisté. La Belgique a légiféré sur les deux, mais les gens choisissent à 99 % l'euthanasie.

Toute la difficulté porte en effet sur la définition du moyen terme. Toutefois, la loi Claeys-Leonetti prévoit la sédation profonde et continue pour un pronostic engagé à très court terme : la question se pose donc dans les mêmes termes. Dans l'Oregon, où l'on a légiféré sur un pronostic vital engagé à moyen terme, c'est-à-dire à six mois, les médecins s'interrogent pour porter cette durée à neuf ou douze mois.

Encore une fois, il est important de proposer un accès aux soins palliatifs même à une personne qui serait éligible à l'aide active à mourir. C'est même nécessaire, car l'on peut toujours changer d'avis.

Pourquoi proposer ce texte maintenant ? Le CCNE a émis un avis et il était important de le prendre en compte. De plus, la société change rapidement et 75 % de nos concitoyens souhaitent que la loi évolue. L'idée est d'ouvrir ce nouveau droit dans certaines situations tout en travaillant à développer les soins palliatifs. Depuis le mois de septembre, nous menons une réflexion en ce sens avec des médecins, des infirmiers et des aides-soignants, favorables ou non à l'évolution de la loi. Hier matin, alors que nous en sommes à l'étape de la construction de la loi, les soignants nous ont fait des propositions techniques. Ainsi, la clause de conscience est un postulat de base qui semble faire consensus. Quelle que soit la modalité choisie pour l'aide active à mourir, le médecin interviendra forcément pour dire que le pronostic vital est engagé.

Quant à la formation des soignants, elle est essentielle et nous avons prévu une stratégie décennale. Nous souhaitons que les infirmiers en Ehpad soient formés et que des équipes mobiles puissent intervenir pour accompagner jusqu'au bout les résidents sans qu'ils aient à aller aux urgences.

M. Daniel Chasseing. - En Corrèze, nous n'avons pas d'unité de soins palliatifs, mais nous avons des lits identifiés « soins palliatifs » et cela fonctionne très bien, notamment en Ehpad et à domicile. Il faudrait les renforcer, mais le dispositif existe.

M. Alain Milon. - Je m'interroge sur les maladies incurables. Le cancer en était une, mais ne l'est pratiquement plus. Il en va de même pour le cancer de l'enfant. À force de ce qu'on pourrait qualifier d'« acharnement thérapeutique », on a fini par trouver des traitements efficaces. Si, dès lors qu'on leur diagnostique une maladie incurable, les patients peuvent choisir de mourir, cela n'entravera-t-il pas les recherches pour trouver des traitements efficaces ?

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Une partie des membres de la Convention citoyenne envisage que l'euthanasie puisse être demandée par une personne de confiance. La mort pourrait donc être donnée à une personne qui ne la demande pas. Que pensez-vous de cette proposition ?

Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Madame la ministre, il semble qu'Olivier Véran soit favorable à l'euthanasie et que vous penchiez plutôt vers le suicide assisté, alors que le ministre de la santé a dit que l'euthanasie n'était pas un souhait. Dans ces conditions, êtes-vous certaine de pouvoir élaborer un projet de loi ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo. - Sur un sujet qui touche à l'intime, chacun a son opinion. Le Président de la République nous a demandé d'établir un projet de loi sur l'aide active à mourir et je ne préjuge pas de l'issue de nos travaux. L'important est que nous puissions rendre ce nouveau droit effectif.

En ce qui concerne la recherche, ses avancées sont incontestables. Ainsi, il y a dix ans 80 % des enfants atteints d'un cancer pédiatrique décédaient ; désormais, ils guérissent. Il faut donc continuer à travailler sur les nouvelles maladies qui sont découvertes et accélérer les recherches sur la maladie de Charcot, qui est au coeur de notre sujet, puisque, pour l'instant, rien ne permet de la prendre en charge. D'où la nécessité de donner le choix aux patients atteints de pouvoir bénéficier de l'aide active à mourir sans avoir à aller en Belgique ou en Suisse.

Madame Imbert, votre question porte sur la situation des cérébrolésés et je ne sais pas encore ce que la loi prévoira à ce sujet, mais l'enjeu est important.

Quant à l'évolution rapide de la société, au mois d'octobre dernier, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a rendu un avis modifiant radicalement le fondement ontologique de la convention, qui d'universel devient individuel.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Pour en revenir à la maladie de Charcot, un médecin que nous avons auditionné nous a dit que certains patients atteints de cette maladie vivaient mal le fait qu'on en parle autant au sujet de ce texte.

On déplore souvent l'insuffisance de la loi Claeys-Leonetti. Toutefois, celle-ci porte sur des cas où le diagnostic vital est engagé à très court terme, ce qui n'est pas le cas de ce texte, qui vise surtout à ouvrir un nouveau droit.

Certains intervenants au cours des auditions, dont André Comte-Sponville, finissent par faire la liste des cas vulnérables auxquels ce nouveau droit pourrait s'appliquer, qu'il s'agisse des personnes très âgées, de celles qui ont un handicap lourd ou qui souffrent d'une maladie très grave. Catégoriser ainsi les plus vulnérables en leur proposant l'aide active à mourir comme une solution, n'est-ce pas une forme de « décivilisation » pour reprendre un mot du Président de la République ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo. - Notre rôle et le pacte républicain nous obligent à prendre en charge toutes les vulnérabilités. À ceux qui nous accusent de « décivilisation » en considérant que ce texte viserait à proposer l'aide active à mourir comme une forme de réponse à la situation des plus vulnérables, je renverrai l'accusation d'outrance. Le pacte républicain repose sur la solidarité et notre devoir est d'accompagner toutes les formes de vulnérabilité, qu'il s'agisse des personnes en situation de handicap ou des personnes âgées. D'où la nécessité de prévoir dans la loi des critères d'éligibilité et d'accès très clairs et très précis. Sans cela, je ne porterais pas ce texte. Ni le Président de la République ni la Première ministre ne souhaitent pour notre société qu'elle devienne celle où l'on proposerait l'aide active à mourir comme solution aux personnes handicapées ou aux personnes âgées.

Il ne s'agit pas de stigmatiser les patients atteints de la maladie de Charcot. Toutefois, nos concitoyens nous sollicitent souvent au sujet de cette maladie pour laquelle il n'existe pas de réponse thérapeutique et qui n'entre pas dans le champ de la loi Claeys-Leonetti. Il faut poursuivre les recherches pour trouver un traitement efficace et je ne crois pas qu'il sera nécessaire de la nommer spécifiquement dans le texte. En revanche, nous devrons prendre en compte la situation de tous ces malades qui s'expriment dans les médias et dont certains préparent leur départ en Suisse. Ils doivent pouvoir avoir le choix. Nous réfléchissons en tant que bien-portants mais nul ne sait comment il réagirait vraiment s'il était confronté à la maladie.

Enfin, ce débat est une occasion de nous interroger sur notre rapport à la mort, sujet difficile dont on parle peu. L'accompagnement du deuil est un autre enjeu majeur sur lequel nous souhaitons avancer. Pendant la crise sanitaire, certains de nos concitoyens sont décédés seuls en Ehpad ou à l'hôpital. La création d'un droit opposable à la visite dans ce type de situation se pose.

Nous n'avons pas souvent l'occasion de discuter de ces sujets et il faut nous en saisir, car tel est notre parcours de vie : un jour on naît, un jour on meurt.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Madame la ministre, nous vous remercions pour cet échange franc qui préfigure les débats que nous aurons à l'automne prochain.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 20.

Mercredi 7 juin 2023

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie - Audition de Mme Claire Thoury, présidente du comité de gouvernance, et de quatre membres de la convention citoyenne

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous recevons ce matin des représentants de la Convention citoyenne sur la fin de vie.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat, qui sera ensuite disponible en vidéo à la demande.

Elle s'inscrit dans le cadre de nos travaux sur la question de la fin de vie, menés par nos rapporteures Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Imbert et Michelle Meunier, et des auditions que nous avons organisées en plénière, comme, hier encore, l'audition de la ministre déléguée Agnès Firmin-Le Bodo.

Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Claire Thoury, présidente du comité de gouvernance de la Convention citoyenne, qui pourra nous éclairer sur la manière dont celle-ci a conduit ses travaux, ainsi que quatre citoyens membres de cette convention, représentatifs de la diversité des points de vue exprimés en son sein.

Mme Claire Thoury, présidente du comité de gouvernance de la Convention citoyenne sur la fin de vie. - Merci beaucoup de nous recevoir ce matin. J'ai eu le privilège de présider le comité de gouvernance de la Convention citoyenne sur la fin de vie, qui a commencé ses travaux le 9 décembre dernier, engageant 184 citoyens pendant neuf week-ends, le tout sur une durée de quatre mois.

Le comité de gouvernance avait pour mission de fixer le cadre méthodologique, d'arrêter les grands arbitrages et de définir le calendrier de travail. Nous avons souhaité, au regard des 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat, réunir un plus grand nombre de citoyens, visant un objectif d'au moins 170 participants, tout en s'assurant que ceux qui termineraient le travail l'auraient commencé. Il nous a donc été conseillé de tirer 185 citoyens au sort et, au final, 184 d'entre eux sont allés au bout de la démarche, ce qui atteste d'une volonté très forte de leur part de se saisir de cette question éminemment difficile. Je peux témoigner de leur rigueur, de leur exigence et de leur intelligence collective.

« Le cadre d'accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d'éventuels changements devraient-ils être introduits ? » Telle est la question que la Première ministre a souhaité nous soumettre et, pour y répondre, pour organiser la Convention citoyenne, elle a saisi le Conseil économique, social et environnemental (Cese), dont je suis membre.

Le travail s'est déroulé en trois phases : une phase d'appropriation et de rencontre ; une phase de délibération et une phase d'harmonisation et de restitution. La première phase a surtout permis d'expliciter le but de la démarche : les citoyens étaient là non pas pour établir une loi, mais pour apporter une contribution citoyenne à un débat national. Nous sommes effectivement convaincus, au sein du Cese, de l'importance de sortir des espaces de représentation d'intérêts classique sur certains sujets, en vue de contribuer à la construction des décisions prises par les personnes élues pour cela. Toute ambiguïté était donc levée.

Comment les travaux ont-ils été conduits ? Nous avons estimé dès le début, au sein du comité de gouvernance, qu'il n'était pas impératif d'atteindre un consensus. Notre travail s'articule donc entre une partie transversale et plutôt consensuelle - ce que nous appelons le « quoi qu'il en soit » - et une partie relative à la controverse autour de l'aide active à mourir. Il y a un seul rapport, une seule production, mais le texte fait apparaître les points de convergence comme les points de divergence, dans une forme de revendication de la complexité et de la nuance.

Un aspect qui, à titre personnel, me semblait important était d'éviter les humiliations, les polarisations, et de s'assurer que tous les points de vue se sentiraient représentés. Une anecdote à ce titre : le dernier jour avant le vote du livrable, une représentante d'un courant minoritaire a pris la parole et remercié les 75 % des membres d'avoir laissé aux 25 % minoritaires 50 % du temps de parole et 50 % de l'espace du rapport. Notre préoccupation a donc été de rester dans l'écoute, de considérer tous les points de vue et de ne rien imposer. Sans nier les individualités et l'intime, nous avons essayé de construire un cadre collectif permettant d'éclairer la décision publique et, potentiellement, de faire cheminer la société vers d'autres possibilités.

Mme Clothilde Audibert, membre de la Convention citoyenne sur la fin de vie. - Nous avons été réunis - 184 citoyens ont été tirés au sort - autour de la question posée par Mme la Première ministre, cherchant à construire du dialogue sur cette thématique complexe, touchant à la fois à l'intime et au collectif. Cette convention, c'est un exercice de démocratie participative, permettant de redonner la parole aux citoyens dans le souci d'enrichir le débat public, d'améliorer la qualité et la légitimité des décisions, et ainsi de mieux répondre aux attentes de la population.

Nous avons rencontré une soixantaine de spécialistes du sujet, ce qui nous a permis de débattre de manière éclairée et, à l'issue de ce débat, d'esquisser des perspectives et des propositions en tenant compte des différentes sensibilités exprimées au sein de la société française.

Les citoyens membres de la convention estiment, à 97 %, que le cadre d'accompagnement de la fin de vie doit être amélioré et, à 82 %, qu'il n'est pas adapté aux différentes situations rencontrées. La conviction commune est donc celle d'un renforcement nécessaire de cet accompagnement.

Plusieurs propositions collectives ont été adoptées à plus de 80 % des membres : le respect du choix et de la volonté du patient, l'information du grand public, le renforcement de la formation des professionnels de santé, l'octroi des budgets nécessaires à l'accompagnement de la fin de vie, le développement de l'accompagnement à domicile, l'accès garanti aux soins palliatifs pour tous et sur tout le territoire, l'égalité d'accès et l'amélioration du parcours de soins en fin de vie.

Notre réflexion commune a mis en exergue la nécessité de développer la culture palliative et les soins palliatifs dans une société plus solidaire, tout en octroyant des droits à ceux qui le demandent concernant leur fin de vie.

Notre travail, dont la vocation est d'alimenter la réflexion des pouvoirs publics, esquisse des propositions qui pourraient peut-être constituer le modèle français de l'aide active à mourir.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Pouvez-vous nous rappeler comment vous avez été choisis pour participer à cette convention ?

Mme Nathalie Berriau, membre de la Convention citoyenne sur la fin de vie. - Nous avons été tirés au sort à partir des numéros de téléphone : 85 % à partir du numéro de téléphone portable et 15 % à partir du numéro de téléphone fixe. Ensuite, sur le contingent de 2 000 personnes ayant accepté de participer à la démarche, cinq critères ont été appliqués pour garantir la diversité : âge, genre, localisation géographique, catégorie socioprofessionnelle et niveau d'étude. C'est ainsi qu'ont été désignés les 185 citoyens ayant débuté les travaux.

S'agissant de l'aide active à mourir, sujet central des débats de la convention citoyenne, trois positions se sont dégagées.

La Convention s'est prononcée à 76 % en faveur de l'ouverture de l'aide active à mourir, avec quatre modèles envisagés : le suicide assisté seul ; l'euthanasie seule ; le suicide assisté avec exception d'euthanasie ; le suicide assisté et l'euthanasie au choix. Ce dernier modèle a emporté 40 % des suffrages.

Les arguments avancés sont les suivants. Le cadre actuel d'accompagnement de la fin de vie ne répond pas à certaines situations de souffrance, notamment les situations de souffrance réfractaire physique ou psychique, et les soins palliatifs ne permettent pas non plus de prendre en charge toutes les situations des personnes en fin de vie. L'aide active à mourir vient combler les limites de la sédation profonde et continue jusqu'au décès - elle peut notamment apporter une solution pour des patients dont l'agonie dure plusieurs jours, voire dépasse la semaine. La rendre possible, c'est aussi mettre fin à une certaine hypocrisie à l'égard de l'euthanasie passive ou illégale, faire entrer une réalité dans le droit et protéger le corps médical. L'aide active à mourir respecte la liberté de choix des individus en offrant la possibilité de préparer sa mort dans un cadre sécurisé et d'inclure ses proches dans le processus de fin de vie. Elle permet une fin de vie accompagnée, gage de solidarité et de fraternité. La légaliser, c'est proposer une mort solidaire, plutôt que solitaire.

La proposition que je défends ici est celle d'une aide active à mourir sous critères d'éligibilité. La majorité de la Convention citoyenne s'accorde sur la nécessité d'un parcours d'accès à l'aide active à mourir incluant conditions d'accès, garde-fous et mécanismes de contrôle, avec un préalable évident : la volonté du patient.

Les étapes de ce parcours sont au nombre de cinq : expression de la demande libre, éclairée et révocable à tout moment, accompagnement médical et psychologique complet, évaluation du discernement, validation de l'entrée dans le parcours via une procédure collégiale et pluridisciplinaire, encadrement par le corps médical de la réalisation de l'acte.

La Convention citoyenne est pour moi un dispositif formidable au service de la démocratie : y avoir recours au niveau national comme local serait un moyen de restaurer la confiance dans nos institutions, en intégrant les citoyennes et les citoyens dans les processus délibératifs.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Le panel comprend-il des membres de l'association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) ?

Mme Claire Thoury. - Nous avons appliqué les critères énoncés, sans exclure les soignants, les personnes ayant été confrontées récemment à une situation de fin de vie ou les militants. Mais personne ne s'est présenté comme un membre de l'ADMD ou de toute autre association.

M. Antonin de Bernard, membre de la Convention citoyenne sur la fin de vie. - Nous venons d'entendre la présentation d'une première position, celle d'une aide active à mourir conditionnée à certains critères. Pour les universalistes que je représente, le libre arbitre du sujet à disposer de lui-même fait foi, la volonté de la personne prime avant tout : nous prônons donc un accès universel à l'aide active à mourir.

Dans notre approche, toute demande d'aide active à mourir déclenche un parcours d'accompagnement spécifique et individualisé, adapté à la temporalité de la situation et dont l'avis est consultatif. Ce parcours pluridisciplinaire intègre de nombreuses étapes, constituant autant de garde-fous. La personne peut se rétracter à tout moment, ce caractère révocable de la demande lui étant rappelé à chaque étape. L'accompagnement et le suivi sont réels, avec des possibilités de désaxer le patient de son choix en lui offrant d'autres solutions et alternatives. Une procédure de contrôle et de traçabilité est mise en oeuvre et l'approche s'accompagne d'une clause de conscience pour les professionnels de santé.

En cas de perte ou d'absence de discernement, l'ouverture de l'euthanasie pourra être envisagée dans le cadre d'une procédure collégiale et pluridisciplinaire d'exception, initiée par le biais des directives anticipées, de la personne de confiance ou d'une demande des proches. En cas de désaccord entre un mineur, une personne en curatelle ou sous tutelle et les parents, un juge approprié statuera.

En permettant l'accès à l'aide active à mourir sans discrimination, nous replaçons le souffrant au coeur des considérations sociales, nous ne laissons personne à mi-chemin, nous offrons à tous une solution, un choix complémentaire sans obligation aucune de mener la démarche à son terme. Cette ouverture, néanmoins, ne doit pas empêcher de travailler à une augmentation des moyens alloués au système de santé, notamment aux services de soins palliatifs. La viabilité de cette approche est évidemment conditionnée à l'allocation d'un budget suffisant pour son application pleine et entière.

M. Micha Jovanovic, membre de la Convention citoyenne sur la fin de vie. - Je représente devant vous les citoyens de la Convention qui se sont exprimés contre l'évolution de la loi et l'ouverture de l'aide active à mourir. Groupe relativement important, nous entendons ici, non pas défendre le livrable, mais l'expliquer. Les chiffres avancés, par exemple, sont à relativiser : 75 % des membres de la Convention sont certes favorables à l'ouverture de l'aide active à mourir, mais seulement 40 % d'entre eux défendent une ouverture complète, incluant le suicide assisté et l'euthanasie au choix.

Pour notre part, nous nous inquiétons de l'évolution de notre modèle de civilisation vers une médecine « libérale », au sens où chacun pourrait demander à la carte ce qui l'arrangerait. Par ailleurs, nous n'avons pas été convaincus par les explications données s'agissant des garde-fous. Enfin, nous avons considéré que le coeur du débat devait être, non pas l'euthanasie ou le suicide assisté, mais l'hôpital, sa gestion, l'accompagnement des patients et les soins palliatifs. Il y a beaucoup à faire dans ces domaines et c'est, me semble-t-il, un préalable à toute autre discussion.

Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Je salue le travail qui a été effectué et vous en remercie. Je souhaite vous poser plusieurs questions. La première concerne l'influence que peuvent avoir sur la société les pratiques observées dans certains pays limitrophes, largement reprises par les médias. N'est-ce pas cela qui pourrait conduire à une loi sociétale progressiste ? Par ailleurs, comment peut-on parler d'hypocrisie quand 24 % des citoyens évoquent une méconnaissance et une application trop faible de la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite Claeys-Leonetti ? Puisqu'il est question, également, d'« une mort solidaire, et non solitaire », considérez-vous l'euthanasie comme un soin ?

Je conclurai avec une réflexion plus personnelle. Il me semble, à la lecture de vos travaux, qu'il y a, d'un côté, des progressistes et, de l'autre, des conservateurs. Cela me dérange.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - J'ai peu de questions de fond, me sentant proche de vos réflexions et du résultat de vos travaux. La façon très rigoureuse et organisée dont vous en rendez compte m'amène à vous interroger sur l'organisation à proprement dite de la Convention. Par exemple, qui a concrètement rédigé le rapport final ? Des cadres du Cese ? D'autres personnes ? Sur le fond, certains exemples européens de législation vous ont-ils inspirés ? Ont-ils alimenté vos réflexions ?

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Rétrospectivement, la question à laquelle vous avez cherché à répondre vous semble-t-elle avoir été bien posée ? La loi, par hypothèse, n'est pas adaptée à toutes les situations...

Comment ont été appréhendées les notions de droit et de progrès ? L'un d'entre vous a évoqué la possibilité que l'euthanasie soit demandée par une personne de confiance, en dehors de toute rédaction de directives anticipées. Autrement dit, quelqu'un pourrait demander la mort d'une personne qui ne l'a pas demandé. Quels ont été les débats sur ce sujet ?

Enfin, pouvez-vous nous expliquer, madame Thoury, en tant que membre du Cese, pourquoi le conseil a eu besoin d'exprimer un nouvel avis favorable à l'euthanasie et au suicide assisté après la présentation des travaux de la Convention citoyenne, alors qu'il en avait déjà émis un avis semblable en 2018 ?

Mme Claire Thoury. - Le comité de gouvernance chargé de l'organisation des travaux de la Convention citoyenne était composé de 6 membres du Cese et de 8 personnalités extérieures, dont Jean-François Delfraissy, le président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) ; François Stasse, autre membre du CCNE ; la directrice du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie ; Cynthia Fleury, spécialiste des questions d'éthique ; Hélène Landemore et Sandrine Rui, deux chercheuses en charge des questions de participation citoyenne ; deux anciens participants à la convention citoyenne pour le climat.

L'absence de prise de position sur le sujet a été un critère dans le choix de la présidence de ce comité. Le président du Cese aurait par exemple pu le présider, mais il a préféré se déporter, ayant affiché des positions dans le cadre de ses fonctions passées.

S'agissant de l'avis récemment rendu par le Cese, celui-ci a été réformé par une loi de janvier 2021, qui en fait le carrefour de la participation des publics, donc la chambre chargée d'organiser les dispositifs de participation citoyenne. Mais, selon le Conseil constitutionnel, les travaux de ce type doivent être rattachés à des travaux du Cese. Notre position a donc été de considérer que, dans le cadre d'un débat national sur la fin de vie ouvert par l'avis rendu par le CCNE en septembre 2022, il pouvait y avoir plusieurs contributeurs : la contribution de la Convention citoyenne est centrale, mais elle n'interdit pas celle du Cese, au titre de la société civile organisée.

Un dernier mot sur le rapport, il me semble qu'à aucun moment des termes comme « progressistes » ou « conservateurs » n'ont été employés.

Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - J'ai évoqué une impression personnelle...

Mme Claire Thoury. - Je me permets d'insister sur le fait que notre travail n'a jamais été organisé pour dire que certains avaient tort et d'autres raison. Trois positions différentes viennent de vous être présentées : elles figurent toutes dans le rapport.

Pour l'élaboration de ce livrable, des productions ont été réalisées au fil de l'eau, le groupe complet de 184 citoyens ayant évidemment travaillé par groupes ou ateliers de 10 à 30 personnes. Le collectif chargé de l'animation des travaux - ce n'est pas le comité de gouvernance - a rédigé un document martyr. Celui-ci a été découpé en plusieurs parties, dont la rédaction a été reprise par 7 à 10 citoyens. Enfin, les textes ont été affichés dans la salle hypostyle du Cese, où, pendant deux week-ends, les citoyens ont pu les lire et proposer des modifications.

Mme Clothilde Audibert. - Nous avons auditionné différents représentants de pays étrangers - Belgique, Suisse -, ainsi que des représentants du Québec et de l'État de l'Oregon. Nous en avons tiré des connaissances. Toutefois, notre souhait était bien, non pas de copier un modèle, mais d'élaborer notre propre modèle français.

M. Antonin de Bernard. - J'ai évoqué tout à l'heure les cas de perte ou d'absence de discernement pouvant conduire à envisager l'euthanasie, dans le cadre d'une procédure collégiale spécifique, initiée par le biais des directives anticipées, de la personne de confiance ou d'une demande des proches. L'absence de directives anticipées pour, par exemple, une personne en mort cérébrale ou avec un discernement aboli du fait d'une maladie neurodégénérative conduit à une situation complexe. Mais, universalistes comme tenants de l'aide active à mourir sous conditions, nous nous retrouvons sur le fait que l'on peut s'appuyer sur la personne de confiance : c'est le patient qui l'a désignée et il y a toujours la soumission à la procédure collégiale. Nous nous inscrivons aussi dans le cadre de la législation actuelle, selon laquelle il ne doit pas y avoir d'acharnement thérapeutique. En l'absence de proche, de personne de confiance, de directives anticipées, la situation est encore plus complexe, mais l'on peut recourir à la justice. Nous avons déjà été confrontés à de tels cas.

Mme Nathalie Berriau. - Je complète la liste précédemment exposée en signalant que nous avons aussi entendu les représentants des Pays-Bas. Bien évidemment, les exemples étrangers ne sont pas sans impact sur notre pays. Mais nous en sommes à la deuxième Convention citoyenne sur le sujet de la fin de vie et, même si les formats ne sont pas les mêmes, les conclusions convergent. Par ailleurs, les sondages montrent que la société souhaite voir la situation évoluer.

Effectivement, 24 % des citoyens ne connaissent pas la loi Claeys-Leonetti et de nombreuses personnes ne savent pas ce que sont les directives anticipées ou le principe de personne de confiance. Mais ce n'est pas vraiment le problème. Quand mes collègues et moi qui défendons l'aide active à mourir conditionnée parlons d'hypocrisie, nous évoquons en fait les euthanasies qui ne portent pas leur nom et, en quatre mois, nous avons reçu un certain nombre de témoignages sur de telles pratiques. La loi Claeys-Leonetti ne permet pas de résoudre tous les problèmes.

Peut-être ne l'avons-nous pas dit assez clairement, nous sommes tous favorables au sein de la Convention à une communication plus importante sur ces sujets.

L'euthanasie est-elle un soin ? Je pense que c'est le cas. Aujourd'hui, la médecine permet de vivre longtemps et personne ici ne peut dire qu'il mourra de mort naturelle - nous avons tous subi des opérations, tous pris des médicaments. En revanche, on se retrouve avec des personnes souffrant de polypathologies et il nous semble important de permettre à celles qui subiraient des souffrances impossibles à apaiser d'accéder à une aide active à mourir.

Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Le ministre de la santé a répondu négativement à cette même question !

Mme Nathalie Berriau. - M. Braun répond ce qu'il veut ; je vous donne la position de la Convention citoyenne.

M. Micha Jovanovic. - Habitant en Haute-Savoie, j'ai pu interroger une femme médecin en soins palliatifs de ma région qui, après avoir travaillé en Suisse, et malgré le préjudice financier que l'on peut imaginer, est retournée travailler en France. Elle ne regrette pas une seconde son choix.

Par ailleurs, l'idée d'une personne de confiance, désignée à un temps T, ou de directives anticipées, établies à un temps T, pose question : le discernement change ; on peut être manipulé ou influencé. Cette notion de discernement me paraît donc être un mauvais critère pour décider du destin d'un être humain.

Je dis cela toujours à propos du modèle suisse de suicide assisté, une mise en spectacle, une cérémonie assez macabre, qui a effrayé de nombreux membres de la Convention.

Effectivement, nous aurions eu intérêt à consacrer plus de temps à la formulation de la question de Mme la Première ministre et ses présupposés. Il s'agit en effet d'une question orientée. Connaissez-vous une loi qui serait parfaitement conforme à son objet et répondrait à toutes les situations ?... De toute évidence, non ! Les lois ont vocation à évoluer et, d'ailleurs, de nombreux citoyens opposés à l'aide active à mourir se sont prononcés en faveur d'une évolution législative.

Mme Laurence Cohen. - Je vous remercie franchement pour ce travail, son organisation et le respect - c'est un ressenti personnel - qui a été témoigné à chacun des points de vue exprimés. Comme on l'a souligné à plusieurs reprises, le sujet est complexe et, selon les rencontres ou les auditions, nos positions peuvent être ébranlées. Il faut donc rester humble et c'est une bonne chose que, en tant que législateurs, nous ayons l'opportunité de vous rencontrer.

Hier, nous avons reçu Agnès Firmin-Le Bodo, qui a évoqué trois volets chers au Gouvernement : le développement des soins palliatifs ; l'ouverture d'un nouveau droit qui serait l'aide active à mourir ; la protection des personnes et du droit des personnes. C'est une bonne façon d'appréhender la question.

Selon moi, il ne faut pas lâcher la dimension des soins palliatifs, secteur dans lequel les inégalités sont fortes entre territoires, donc entre personnes. On ne peut pas décorréler la question de la fin de vie de l'état actuel de notre système hospitalier.

Il est aussi important de considérer que la réflexion ne peut pas être uniquement privée, qu'elle implique la société entière. S'il faut revisiter la loi, c'est à mon sens, à nouveau, pour tenir compte de grandes inégalités : ceux qui ont les moyens financiers, qui ont une famille pour les accompagner ont accès à l'euthanasie ou au suicide assisté. On ne peut pas faire comme si cela n'existait pas !

Que fait-on, aujourd'hui, de ces inégalités sociales ?

M. Daniel Chasseing. - Je vous remercie tous pour vos explications.

La Convention citoyenne a fait connaître les soins palliatifs, que certains ne connaissaient pas. J'attire l'attention sur le fait que, dans certains départements, il n'y a pas d'unité de soins palliatifs en tant que telle, mais des lits sont fléchés pour cela et le dispositif fonctionne très bien.

Par ailleurs, en 2002 aux Pays-Bas, 90 % des personnes ayant subi une euthanasie étaient atteintes de maladies très graves avec pronostic de décès à brève échéance. Aujourd'hui, alors que le nombre d'euthanasies a fortement progressé dans ce pays, ce taux n'est plus que de 61 %. Quelles barrières mettre en place pour ne pas observer une telle dérive ?

La sédation profonde et continue mise en place dans le cadre de la loi Claeys-Leonetti donne entière satisfaction, mais il faut effectivement renforcer l'accompagnement, notamment par un accroissement des personnels. Je rappelle à ce titre que la maladie peut conduire les personnes à revoir totalement leurs directives anticipées et que 80 % des personnels des soins palliatifs, tout comme plus de 80 % des personnels travaillant en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), ne sont pas favorables au suicide assisté. Va-t-on prendre en compte l'avis de ces professionnels, confrontés quotidiennement à la fin de vie ?

J'ai également entendu : « une mort solidaire, plutôt qu'une mort solitaire. » De tels propos me paraissent tout à fait anormaux ; les soins palliatifs permettent une mort solidaire et tout à fait accompagnée.

Je signale aussi la position du Conseil d'État en cas de mort cérébrale : une décision collégiale peut intervenir et l'on n'est pas tenu à tout prix par les directives anticipées.

Enfin, pourquoi aller aussi directement au suicide assisté ou à l'euthanasie ? Pourquoi ne pas développer les soins palliatifs préalablement à toute décision ?

M. Bernard Jomier. - Je vous remercie et salue l'intelligence du travail que vous avez réalisé. Alors que, jusqu'à présent, la parole des citoyens sur le sujet ne nous parvenait que par le biais de sondages, vous êtes entrés dans la complexité de la question, parfaitement illustrée par vos votes successifs. Ce travail collectif citoyen me semble donc extrêmement sain et nous apporte une contribution certaine, à nous parlementaires, chargés de voter une possible évolution de la loi.

Je ne souhaite pas aujourd'hui entrer dans le débat de fond. J'observe simplement que la phase parlementaire qui s'ouvre sera très longue. Le Gouvernement va, pour une fois, respecter la procédure normale et ne pas imposer la procédure accélérée, ce qui implique un travail parlementaire pendant douze à dix-huit mois. Estimez-vous votre mission achevée ? Pensez-vous avoir encore un rôle à jouer au cours de cette procédure parlementaire, en interagissant avec nous, sénateurs ou députés ? On a vu les membres de la Convention citoyenne pour le climat exprimer une certaine frustration à l'issue de leurs travaux et continuer, par petits groupes ou collectifs, à produire des contributions. Cela me semble imparfait et je note la préoccupation qui a été la vôtre de maintenir tous les citoyens choisis dans le processus du début jusqu'à la fin. D'où ma question : comment envisagez-vous la suite ?

Mme Raymonde Poncet Monge. - Le rapport ne m'apparaît absolument pas manichéen et me semble représentatif des débats qui ont dû avoir lieu, étant observé que vouloir changer la loi n'est pas forcément un acte progressiste - nous en avons des exemples récents ! Par ailleurs, la question posée a été soulevée par le CCNE, qui a répondu, en cela, à une demande sociétale très forte.

Pour ma part, j'aimerais savoir si vous avez évalué, dans vos discussions formelles ou informelles, comment vos différentes positions ont bougé. Comme l'a indiqué Bernard Jomier, nous allons entrer dans un long tunnel parlementaire et je m'interroge sur les débats encore à mener pour que la société française puisse faire le même cheminement que le vôtre.

Enfin, simple parenthèse, je fais partie d'un groupe parlementaire qui s'est rendu en Suisse et nous n'avons rien trouvé d'effrayant dans le modèle suisse. Il sera intéressant d'en rediscuter...

Mme Florence Lassarade. - En complément des explications données sur le recrutement des membres de la Convention, quel est l'âge moyen des citoyens choisis ? Êtes-vous nombreux à avoir eu une expérience de fin de vie dans votre entourage ? Sur un plan très pratique, êtes-vous indemnisés pour les journées consacrées à la Convention ?

Mme Véronique Guillotin. - Vous avez évoqué à plusieurs reprises des lignes rouges, sans les mentionner expressément, et des conditions non remplies. Quelles lignes rouges avez-vous fixées ? À propos des conditions non remplies, vous mentionnez les budgets, les moyens ou l'équité territoriale, autant de domaines qui posent problème aujourd'hui en matière de soins palliatifs. Comment pensez-vous évaluer tout cela, dès lors que vous considérez impossible de mettre en place un système plus inégalitaire que le système actuel ?

Vous estimez par ailleurs que l'aide active à mourir doit s'accompagner d'un encadrement médical, ce qui n'est pas le cas du modèle de l'Oregon. Rejetez-vous donc a priori ce système ?

Mme Annick Jacquemet. - Sur la forme, que retenez-vous de cette expérience ? Comment avez-vous géré les désaccords ? Dans quelles proportions les avis des membres de la convention ont-ils pu évoluer au cours des travaux réalisés ? Je souhaiterais également savoir, madame Thoury, quel bilan et quelles pistes d'amélioration vous tirez de ces quatre mois de travaux, en vue de potentielles prochaines conventions citoyennes. Pensez-vous que tous les sujets puissent faire l'objet de telles conventions ?

M. Martin Lévrier. - Un député européen, élu de ma ville, mais qui n'a pas la même ligne politique, a battu en brèche vos auditions, estimant qu'elles étaient parfaitement orientées et qu'il n'y avait pas eu de véritable débat. J'ai été étonné de ne pas entendre d'affirmations contradictoires sur le sujet. Pouvez-vous me rappeler comment ont été choisies les personnes auditionnées ? Par ailleurs, pensez-vous que, si la loi Claeys-Leonetti avait été parfaitement appliquée, votre approche de la question posée aurait été la même ? Comment réagirez-vous si le Parlement modifie tout ou grande partie de vos préconisations ? Enfin, vous avez découvert ce que nous faisons, en tant que parlementaires, la majeure partie de notre temps... Cela vous donne-t-il envie de vous engager en politique ?

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Vous avez affirmé, madame Berriau, que la mort naturelle n'existe pas. Comment qualifiez-vous un décès brutal par infarctus massif ? Que pensez-vous de l'affirmation de nos voisins belges, qui considèrent une mort par euthanasie comme une mort naturelle ? Autrement dit, quelle est votre définition de la mort naturelle ?

M. Alain Duffourg. - La Convention citoyenne ou le Conseil national de la refondation, c'est la méthode Macron... Quid du Parlement dans tout cela ? Sur le fond, comment assurer la réelle mise en oeuvre des soins palliatifs dans les Ehpad ? Il me semble que, si la loi Claeys-Leonetti était appliquée dans son ensemble, beaucoup de problèmes seraient résolus.

M. Micha Jovanovic. - Il n'a pas été facile pour le clan des « contre » d'arriver jusqu'ici. Je représente plusieurs courants d'opinion, depuis les conservateurs jusqu'aux progressistes qui ont fini par évoluer pour se positionner contre l'évolution de la loi. Je me retrouve seul, ici, mais je m'en satisfais.

Notre groupe, dont les membres étaient initialement peu nombreux, a fini par représenter 39 % de la Convention citoyenne, ce qui n'est pas négligeable. L'évolution est venue de l'écoute des médecins, car ceux-ci ont convaincu beaucoup d'entre nous qu'il fallait s'attacher à développer les soins palliatifs avant d'envisager quoi que ce soit d'autre. Être à l'écoute des médecins est toujours une bonne chose.

Notre Convention a rejeté l'ouverture aux mineurs du droit à l'aide active à mourir. C'est une ligne rouge que la majorité d'entre nous a approuvée.

L'application pleine et entière de la loi Claeys-Leonetti est un prérequis obligatoire à l'ouverture d'un nouveau droit. Commençons par faire en sorte que le texte s'applique sur tout le territoire.

Cette expérience nous a permis d'aimer un peu plus la France et notre système démocratique. Je remercie chaleureusement le Cese pour cela.

Concernant la question délicate de l'orientation des débats, le problème vient surtout de la manière dont les questions ont été formulées et de l'ordre dans lequel elles ont été présentées. Nous souhaitions voter pour savoir combien de personnes étaient contre l'euthanasie, mais nous n'avons pas pu le faire. Nous aurions beaucoup à dire pour améliorer la démocratie participative, notamment en contribuant à la rédaction des questions, et ce quel que soit le groupe auquel nous appartenons. Nous avons lancé une réflexion sur ce sujet ; j'espère qu'elle sera utile pour de futures conventions.

Mme Nathalie Berriau. - Monsieur Chasseing, d'où vient le taux de 80 % des soignants que vous citiez ?

M. Daniel Chasseing. - Il provient d'une enquête de la société française d'accompagnement et de soins palliatifs (Sfap).

Mme Nathalie Berriau. - Dans le cadre de cette enquête, quelque 1 355 soignants ont dit qu'ils ne voudraient pas continuer de travailler dans les soins palliatifs si le texte était voté.

Il faut distinguer la position des médecins et celle des soignants. En effet, un sondage de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap) montre une grande dichotomie entre les deux, les soignants qui oeuvrent au chevet du patient étant plus favorables que les médecins à l'ouverture de l'aide active à mourir. Il faudrait étayer le taux de 80 % des soignants.

Pour éviter les dérives, nous proposons de ne pas présenter l'aide active à mourir comme une option ouverte à tous, mais de l'intégrer dans un parcours où s'exercera un suivi médical sérieux effectué par une équipe pluridisciplinaire.

Certes, les personnes malades peuvent changer d'avis, mais c'est aussi le cas des personnes en bonne santé. Il faut donc sans cesse réactualiser les directives anticipées. Les personnes de confiance et la famille jouent un rôle essentiel pour déterminer ce que peut souhaiter telle ou telle personne - c'est du moins ce que nous ont dit les équipes soignantes.

Cette expérience a montré qu'un collectif, dès lors qu'il dispose de suffisamment d'informations, est tout à fait capable de produire un rapport de qualité. Les conventions citoyennes peuvent fournir un appui aux parlementaires. Elles ne sont pas une invention de la méthode Macron, mais elles existent dans de nombreux pays, y compris au Pakistan et au Bangladesh.

Quand j'ai parlé de « mort naturelle », je faisais référence aux propos de la juriste Martine Lombard, auteure du livre intitulé L'ultime demande, ainsi qu'à ceux de Véronique Fournier, qui a créé le Centre d'éthique clinique de l'hôpital Cochin. Selon elles, personne ne meurt plus de mort naturelle dans la mesure où nous utilisons des médicaments depuis l'enfance. On peut ne pas être d'accord.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Quand un médecin légiste coche la case de « mort naturelle », c'est pour éviter qu'il y ait une enquête, ce qui est un autre sujet.

Mme Nathalie Berriau. - Ce que je souhaitais dire en utilisant cette expression, c'est que la médecine française est remarquable, mais dès lors qu'elle ne peut plus rien pour le patient, on constate un abandon de soins. Dire alors qu'il faut que la personne meure naturellement n'a pas de sens.

Nous n'avons pas souhaité opposer les soins palliatifs et l'aide active à mourir. Toutefois, même si la loi Claeys-Leonetti était appliquée dans son entièreté, elle ne permettrait pas de traiter le cas des patients dont le pronostic vital n'est pas engagé à court terme.

M. Antonin de Bernard. - Cette convention citoyenne a observé un principe de respect et d'écoute de chacun. Nous avons tous été confrontés à la fin de vie d'un proche ou d'un ami, de sorte que le sujet est forcément teinté d'émotion. C'est pourquoi nous avons pu bénéficier de l'accompagnement du Cese, ainsi que d'un accompagnement psychologique.

Trois volets ont été mis en avant par Mme Agnès Firmin-Le Bodo : le développement des soins palliatifs, l'ouverture de l'aide active à mourir et la protection des droits des personnes. Nous y souscrivons avec pour ligne rouge qu'il faut prévoir une évolution du budget de la santé pour développer les soins palliatifs, favoriser la formation du personnel et mettre fin à l'inégalité territoriale. Autre ligne rouge, l'ouverture de l'aide active à mourir doit être conditionnée à l'existence d'un parcours d'accompagnement.

Nous avons pu nous impliquer dans le processus démocratique au Cese et contester les méthodes proposées quand nous n'étions pas d'accord. La transparence et la traçabilité ont toujours été de mise.

Pour ce qui est de l'encadrement médical, il est nécessaire et nous ne devons pas suivre le modèle qui s'applique dans l'Oregon.

Concernant les dérives, toute évolution de la loi fait craindre qu'il s'en produise - cela a été le cas pour l'interruption volontaire de grossesse (IVG) ou pour la peine de mort. Toutefois, je reste persuadé que l'intelligence collective nous garde de ces dérives. Il n'est pas question de tomber dans une dystopie parce que nous ouvrons l'aide active à mourir. Personne ne défendrait l'ouverture de l'aide active à mourir sans condition ni possibilité de retour en arrière.

Mme Laurence Rossignol. - Qu'entendez-vous lorsque vous parlez de dérives liées à l'IVG ?

M. Antonin de Bernard. - Je faisais référence à la crainte que peut susciter toute évolution sociétale, mais dont l'objet n'est pas forcément fondé. Ainsi, pour ce qui est de ce texte, il concerne les personnes en souffrance et ne risque pas de favoriser un mouvement de masse vers l'euthanasie, car, en général, les gens souhaitent davantage vivre que mourir. Ouvrir ce droit en l'intégrant dans un parcours encadré par des spécialistes, c'est ouvrir une porte vers une possibilité que les gens n'utiliseront pas forcément. Ainsi, au Québec, on a constaté que le taux de personnes âgées qui finissaient par ne pas choisir cette voie restait important.

La Convention citoyenne a montré que l'intelligence collective pouvait faire beaucoup. Il est essentiel de redonner la parole aux citoyens pour rétablir leur confiance dans les institutions. Nous remercions le Cese pour cette expérience qui nous a permis de nous rapprocher de la démocratie et - pourquoi pas ? - d'envisager de nous lancer en politique.

Mme Clothilde Audibert. - Les conventions citoyennes favorisent la réflexion de la société tout entière. Les citoyens qui y participent sont engagés et s'intéressent au sujet qui leur est soumis. Il est important qu'ils puissent faire entendre leur vécu.

Nous sommes tombés d'accord à l'unanimité sur la nécessité de développer les soins palliatifs partout en France. En outre, comme le préconisait la commission temporaire Fin de vie, il faut « octroyer des droits à ceux qui le demandent tout en respectant les droits des autres ».

En tant que membres de la Convention citoyenne, nous avons poursuivi nos missions en fondant deux associations qui comptent des participants investis, impliqués et disponibles, notamment pour échanger avec les parlementaires dans toutes les régions. Nous organisons aussi des conférences-débats dans les hôpitaux. Nous intervenons dans le cadre des journées des droits en santé et nous lançons des événements dans les hôpitaux de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) pour sensibiliser nos concitoyens sur les droits des patients, qu'il s'agisse des directives anticipées, du rôle de la personne de confiance ou du refus de soins.

Cette expérience a été riche humainement et émotionnellement. J'ai été frappée par le respect dont nous avons su faire preuve les uns envers les autres.

Mme Claire Thoury. - Un travail remarquable a été conduit pendant quatre mois par cette convention citoyenne. L'indemnité versée est de 84 euros net par jour ; s'y ajoutent une compensation pour perte de revenus de 11 euros de l'heure pour ceux qui travaillent et ont dû poser des jours de congé, ainsi qu'un défraiement complet. Il ne faut pas que le dispositif soit fragilisé par d'éventuelles inégalités sociales.

Un exercice démocratique comme celui-ci ne peut pas laisser indifférent, surtout quand il porte sur la fin de vie : sur un tel sujet, on ne peut que donner un bout de soi-même et prendre un bout des autres. En tant que comité de gouvernance et équipe organisatrice, nous en avons retiré beaucoup d'espoir pour la démocratie. En effet, les Français nourrissent une forte défiance envers les institutions et il est important de pouvoir développer des outils pour les associer davantage à la décision publique.

Dans le cadre de cette convention, quelque 184 citoyens ont travaillé pendant vingt-sept jours sur la fin de vie, de sorte qu'ils ont acquis un niveau d'expertise remarquable. Évitons l'angélisme : l'organisation de cette convention citoyenne a demandé énormément de travail aux participants et à leurs encadrants. Toutefois, la démocratie étant une matière organique, il n'est pas possible de tout anticiper et certains aspects ont pu nous échapper.

Il me semble que la plupart des sujets peuvent être traités dans le cadre d'une convention citoyenne, en particulier ceux qui n'ont pas encore été défrichés ou bien ceux qui nourrissent le débat depuis très longtemps sans que l'on puisse avancer.

Il fallait du courage politique pour lancer une convention citoyenne sur la fin de vie, car cela nécessitait de faire un pas de côté pour demander aux citoyens d'aider les décideurs à construire une réponse politique exigeante.

Certes, le dispositif est perfectible. En revanche, nul ne peut sous-entendre que les citoyens ont été manipulés, car cela est faux et ne rend pas justice à l'intelligence des gens.

Enfin, la proportion des points de vue a été respectée lors des auditions et les soignants ont formé les trois cinquièmes de ceux que nous avons entendus.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous vous remercions de votre participation. Nous examinerons avec attention le rapport de la Convention lors du débat à venir. Je rappelle aussi que nous organisons de nombreuses réunions publiques sur le sujet dans nos territoires.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Proposition de loi visant à mettre en place un registre national des cancers - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous examinons maintenant le rapport et le texte de la commission sur la proposition de loi visant à mettre en place un registre national des cancers, déposée par notre collègue Sonia de La Provôté et plusieurs de ses collègues.

Mme Nadia Sollogoub, rapporteur. - Le cancer est, en France, la première cause de décès chez l'homme, et la deuxième chez la femme. Or, paradoxalement, nous ne connaissons pas exactement les grands indicateurs de prévalence, d'incidence, de mortalité ou de survie du cancer dans notre pays ni pour 2022, ni pour 2020, ni même pour 2019.

En effet, nous ne disposons que d'une estimation pour l'année 2018. Il n'existe certes aucune raison de douter de sa fiabilité, mais, compte tenu des avancées de la science, on ne peut que s'étonner que les scientifiques aient tant tardé à mettre leur goût pour la précision au service de la connaissance de ce qui tue les humains.

Ce que l'on sait précisément des cas de cancers repose sur les registres des cancers. Il s'agit là d'un mode de recueil, à visée exhaustive, des données individuelles nominatives dans une population géographiquement définie, à des fins de recherche et de santé publique. Il en existe une bonne trentaine, qui ont été créés à l'initiative d'unités de recherche locales depuis les années 1970. La collecte des données se fait presque toujours à l'échelle du département ; elle porte dans les deux tiers des cas sur tous les types de cancer, et pour le tiers restant sur un type particulier - ainsi, des cancers digestifs dans le Calvados, des tumeurs du système nerveux en Gironde ou des cancers thyroïdiens dans le Rhône.

Le décompte exhaustif des cas de cancer requiert de croiser patiemment de nombreuses sources d'information : hôpitaux privés et publics, laboratoires d'analyse médicale, laboratoires d'anatomie pathologique, de biologie moléculaire, données de l'imagerie médicale, registre des décès, etc. Ce travail exige du temps et des compétences spécifiques pour éviter les doublons et garantir son exactitude.

Il en découle une certaine lenteur dans la remontée des résultats, des difficultés à intégrer de nouvelles variables et un relatif manque d'homogénéité entre les registres, qui peut poser des problèmes de croisement avec d'autres sources de données, médico-administratives ou de mortalité par exemple.

Cette complexité n'est pas amoindrie par les modalités de gouvernance et de financement du système. La base commune des registres, qui sont regroupés depuis 1995 au sein du réseau Francim, est hébergée par le service de biostatistique des Hospices civils de Lyon et gérée conjointement par l'Institut national du cancer (INCa) et Santé publique France, qui sont aussi les principaux financeurs des registres, à hauteur des deux tiers de leur budget. Ce financement, garanti sur une base quinquennale, ne semble pas menacé, mais il est minimal et, surtout, il est stable depuis presque quinze ans alors que les cas de cancer augmentent. Enfin, la direction générale de la santé et celle de la recherche et de l'innovation copilotent un comité stratégique auquel participent également l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l'INCa, la direction générale de l'offre de soins (DGOS), Santé publique France et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), de sorte qu'il reste difficile d'identifier une vision d'ensemble bien définie.

Autre difficulté, les registres généraux non spécialisés ne couvrent que 22 % de la population. Certes, les extrapolations sont parfaitement exploitables pour établir de grands indicateurs, mais une telle restriction freine la connaissance fine de certains phénomènes.

En effet, d'une part, la population couverte par l'activité des registres présente certains biais : elle est en moyenne plus rurale, relativement plus âgée, légèrement plus favorisée et les personnes d'origine étrangère y sont moins nombreuses que dans le reste de la population. D'autre part, l'impact de l'environnement sur la santé est moins bien mesuré.

En tant qu'ancienne maire d'une commune distante de deux kilomètres d'une centrale nucléaire, je ne peux que m'associer à l'inquiétude des associations et des scientifiques, qui souhaiteraient que le maillage du territoire en registres corresponde davantage à la carte des sites sensibles. Le Sénat a d'ailleurs eu l'occasion de recommander la création de nouveaux registres dans certaines zones spécifiques, dans le cadre de la commission d'enquête sur la catastrophe de Lubrizol, corapportée par Christine Bonfanti-Dossat et Nicole Bonnefoy, et de celle sur la pollution des sols, rapportée par Gisèle Jourda.

Les appels à multiplier les registres sont désormais nombreux de la part des associations, des scientifiques et de l'administration. Le rapport Bégaud-Polton-von Lennep préconisait déjà en 2017 de constituer des registres nationaux en cancérologie pour certaines molécules, afin de donner tout leur potentiel aux données en vie réelle.

En 2020, l'inspection générale des affaires sociales (Igas) relevait, dans son rapport d'évaluation du troisième plan Cancer, que « des données à une échelle géographique plus fine sont nécessaires, particulièrement lors du repérage de cluster ».

En 2021, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), mandaté par la direction générale de la santé (DGS), plaidait pour une meilleure homogénéisation des données et pour la création d'un dispositif national de détection des signaux faibles.

Enfin, la même année, l'Académie nationale de médecine a clairement recommandé la création d'un registre national des cancers, accompagné d'un mécanisme de déclaration obligatoire de la maladie, afin d'accélérer les remontées d'informations nécessaires à l'exercice d'une mission de surveillance sanitaire élargie.

Depuis lors, la stratégie décennale de lutte contre le cancer s'est limitée à prévoir la création de deux nouveaux registres : l'un dans une zone défavorisée, l'autre dans une zone abritant des sites Seveso. Il s'agissait là d'une préconisation figurant dans le rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) de 2020. Or, dans ce même rapport, les inspecteurs relevaient aussi que, dans les pays voisins, y compris les plus grands comme le Royaume-Uni ou l'Allemagne, l'objectif d'une couverture nationale prévalait parfois depuis longtemps, soit depuis dix ans en Allemagne.

L'Union européenne s'est dotée en février 2021 d'un plan européen de lutte contre le cancer, ardemment soutenu l'an dernier sous la présidence française du Conseil. Une couverture élargie de notre territoire faciliterait à cette échelle la conduite d'essais thérapeutiques relatifs aux formes rares de la maladie. Elle agrandirait le spectre de la veille sanitaire et permettrait d'affiner l'étude de certaines disparités géographiques et sociales.

La proposition de loi de notre collègue Sonia de La Provôté arrive donc à point nommé pour rattraper notre retard en créant par son article unique un registre national des cancers, dont la mise en oeuvre serait confiée à l'Institut national du cancer. J'y suis tout à fait favorable, sous réserve de légères modifications.

Quoique souhaitée par de nombreux acteurs de la santé, une telle proposition est accueillie avec tiédeur par l'INCa, pour deux raisons que je crois surmontables.

La première repose sur l'idée que l'existant suffit et que le bénéfice attendu d'un registre national est faible. Il me semble que cela est inexact. Les données médico-administratives, certes larges et nationales, quand bien même elles seraient mises en réseau par Francim, appariées dans un hub ou exploitées par l'intelligence artificielle, comme prévoit de le faire l'INCa sur sa plateforme en cours de constitution, ne remplaceront jamais un recensement exhaustif et bien contextualisé des cas de cancer, réalisé par un registre.

La seconde raison avancée par l'INCa est financière. Certes, il faut des moyens pour faire fonctionner les registres, mais les économies d'échelle viendront surtout de la création d'un registre national dont les remontées d'informations seraient pilotées par un gestionnaire mieux identifié et disposant d'un accès permanent au système national des données de santé (SNDS), lequel permettra une alimentation « en routine » de certaines informations basiques, donc un allègement de la charge de travail du personnel des registres.

Ensuite, le coût d'un tel chantier est à mettre en regard des améliorations attendues en matière de santé publique et des économies considérables qui devraient en découler.

Enfin, quel que soit l'effort à inscrire dans la prochaine loi de finances, qui pourrait en contester la pertinence, dès lors qu'il s'agit de combattre une maladie dont l'incidence, depuis 1990, a augmenté de 65 % chez les hommes et de 93 % chez les femmes, hausse qui, pour 6 % des cas masculins et 45 % des cas féminins, n'est pas attribuable à la démographie ?

Ce texte ne réglera certes pas tout. Il restera à clarifier par voie réglementaire l'accès à certaines données que le personnel des registres devra obtenir automatiquement - les certificats de décès, par exemple - et à concevoir un mécanisme de remontée d'informations efficace pour pouvoir alimenter le registre dans les meilleurs délais. En outre une forme de déclaration obligatoire faciliterait grandement la tâche de l'INCa, mais ce texte ayant été déposé dans un espace réservé, j'ai manqué de temps pour en préciser le dispositif.

Aussi, je vous proposerai simplement de clarifier la rédaction de la base légale prévue pour le registre national, de préciser ses finalités et d'autoriser l'INCa à labelliser d'autres unités de recherche et à héberger les données des registres existants dans cette perspective. Un décret en Conseil d'État préciserait le rôle des entités de recherche - qui ne disparaîtraient pas, bien évidemment - dans la remontée d'informations et les modalités d'appariement avec d'autres jeux de données de santé. La mise à disposition de ces données auprès de Santé publique France, notamment, serait rendue explicite pour que l'agence puisse exercer ses missions de veille et d'alerte sanitaire.

Je souhaite que nous puissions, dans la suite de la discussion, consolider ensemble le dispositif pour rendre plus efficace encore la politique de lutte contre le cancer que l'INCa conduit avec succès depuis sa création.

Je tiens à saluer notre collègue Sonia de La Provôté, auteure de cette proposition de loi, dont l'unique objet est de faire monter en puissance les politiques de lutte contre le cancer en les dotant d'un outil optimal.

Enfin, en tant que rapporteur, il me revient de vous proposer un périmètre au titre de l'article 45 de la Constitution. Je vous propose de considérer que ce périmètre inclut des dispositions relatives aux outils épidémiologiques dans le domaine de la cancérologie. En revanche, les amendements relatifs aux autres composantes de la politique sanitaire ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé.

Il en est ainsi décidé.

Mme Catherine Deroche, présidente. - La commission a lancé une mission d'information sur les données de santé. L'idée d'un registre national est soutenue par les associations ainsi que par de nombreux collègues ; néanmoins, l'avis de l'INCa est très peu favorable.

Mme Sonia de La Provôté, auteure de la proposition de loi. - L'avis défavorable de l'INCa ressort comme un ovni dans l'ensemble des avis positifs rendus par ceux qui interviennent dans le traitement des cancers. Des raisons financières le justifieraient. En outre, plane l'idée que l'intelligence artificielle ferait l'effet d'un miracle qui permettrait d'obtenir des données de qualité égale à celles qui sont produites par les registres.

J'ai été membre du registre des tumeurs digestives du Calvados et, en plus d'être médecin, j'ai un diplôme en épidémiologie et statistiques médicales. Ma thèse a porté sur la relation entre les cancers digestifs et l'exposition professionnelle à l'amiante : je disposais pour mener mes travaux d'une cohorte professionnelle et du registre des tumeurs digestives, de sorte que j'ai pu croiser les données et mettre en évidence une relation dose-effet, ce qui a fait grand bruit à l'époque : on a renforcé le dépistage sur les cohortes concernées, en matière d'exposition. Rien de tout cela n'aurait été possible si je n'avais pas eu les données fiables et précises du registre.

En effet, dès lors que l'on veut mener des analyses plus fines, pour des cancers émergents dont les signaux sont encore faibles, seules des données fiabilisées, propres et exhaustives sont utiles.

Les nouvelles thérapeutiques pour traiter les cancers se multiplient, mais sont très coûteuses, de sorte que l'on procède par autorisations temporaires d'accès aux médicaments. Or, là encore, seules des données précises permettent d'accélérer les délais, ce qui a un effet considérable en matière d'économies de santé.

Enfin, sans observation en temps réel de l'évolution des cancers dans les territoires, il est impossible de mettre en place une prévention.

En matière de prévention, la France a été un pays moteur, elle a mis en place des politiques publiques de dépistage des cancers. La qualité et la fiabilité de ces tests sont le vrai sujet. Pour cela, il faut connaître le « cancer inter-tests » ; sans lui, on ne peut pas lancer une campagne de dépistage efficace.

Je comprends la question financière ; ce n'est pas rien de vouloir de mettre en place un registre national des cancers. Nous disposons de beaucoup de données numériques de santé par le biais de la sécurité sociale, du SNDS, des prises en charge thérapeutiques dans les hôpitaux ou les cliniques privées, qui ont d'ailleurs la tentation de les conserver pour elles. Nous arrivons à un moment où ces données numériques doivent être recueillies et confrontées, afin de disposer d'un registre national à la hauteur des attentes au niveau européen et même dans le monde.

Dans le domaine des politiques de santé publique, il importe de disposer d'un outil de prise en charge du cancer, de dépistage et d'accompagnement. Au moment où l'argent de la santé est manifestement précieux, où chaque année on cherche comment réduire « à l'os » les ambitions de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) et du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), le coût d'un tel outil s'avère dérisoire au regard des économies qu'il ne manquera pas d'entraîner.

Mme Florence Lassarade. - Le rapporteur a déjà répondu à la plupart de mes questions ! Dans le cadre du travail réalisé avec Bernard Jomier sur la santé environnementale, nous manquions en effet de données sur les registres du cancer.

Mme Annie Le Houerou. - Dans l'attente des conclusions de notre mission d'information sur les données de santé, je m'interroge sur l'opportunité de cette proposition de loi alors qu'il existe déjà, dans ce domaine, beaucoup de données et d'outils. Nous avons surtout, en France, un problème de coordination entre les différents organismes qui détiennent ces données.

L'opportunité d'un registre national s'entend parfaitement du point de vue de la recherche et de la prévention, mais je m'interroge sur la temporalité et la nature de l'outil. Nous avons, en tout cas, besoin d'outils rigoureux permettant d'avancer sur le cancer et aussi sur les maladies chroniques. 

M. Philippe Mouiller. - Je salue le travail de l'auteure et du rapporteur du texte. Nous partageons les arguments présentés quant à la pertinence de l'outil. Ma question porte sur les modalités de mise en place du registre. Je m'interroge notamment sur la coordination avec l'INCa. À cet égard, il est naturel que, sur ces questions de financement, l'Institut exprime ses réticences. Lors des auditions menées dans le cadre de la mission d'information sur les données de santé, nous avons bien compris que la création d'un stock national de données rencontrait de multiples difficultés.

Des questions se posent notamment sur la nature de la donnée, sur la manière dont elle est fabriquée. Un registre national entraîne une programmation particulière, parfois difficilement exploitable par les opérateurs sur le territoire, car ce ne sont pas les mêmes acteurs. Dans le monde de la donnée de santé, les acteurs sont multiples et manquent de coordination. Chaque équipe de recherche veut exploiter ses propres données. Sans remettre en cause la pertinence du registre, il convient de régler la question des modalités d'application, de conformité et de cohérence sur le territoire national.

M. Alain Milon. - J'adhère totalement à la nécessité de mettre en place un registre national. Cependant, je comprends que cette proposition de loi puisse vexer l'INCa. J'ai interrogé, à titre personnel, l'un de ses membres, qui m'a confié que c'est une mauvaise idée, très coûteuse, qui entraînerait un bénéfice minuscule. En plus des registres régionaux, l'INCa reçoit les données du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) et du SNDS. L'exhaustivité est donc quasi complète pour l'INCa sur le sujet. Pour les enfants, les données sur les tumeurs cérébrales et pleuropulmonaires sont déjà exhaustives.

Ce qui manque à l'INCa est inscrit dans sa stratégie décennale, à savoir un registre en zones denses - notamment en région parisienne - et un autre en zones polluées, dont les déterminations sont en cours. À l'exception de ces deux points, l'INCa considère qu'elle fait le travail et que la mise en place d'une proposition de loi n'est pas utile.

Mme Annie Delmont-Koropoulis. - J'ai assisté aux auditions des membres de l'INCa et j'ai trouvé que leurs réponses, concernant la mise en place du registre national, étaient à géométrie variable ; c'est dommage, car ce registre est nécessaire pour l'innovation et la recherche en santé.

Mme Raymonde Poncet Monge. - L'argument principal de l'INCa relève de l'économie de la santé, et non de la santé publique. Les membres de l'Institut jugent le coût supplémentaire par rapport aux bénéfices, et ne s'intéressent pas aux besoins des épidémiologistes, notamment pour s'inscrire dans le plan européen de lutte contre le cancer.

Les registres territoriaux sont exhaustifs. Si le territoire s'élargit à la France, alors cela devient un registre national populationnel. On s'inquiète du suivi des populations immigrées ; la région d'Île-de-France n'étant pas prise en compte, les données de cette catégorie populationnelle ne sont pas disponibles. On constate également des clusters de pollution, dus notamment à des implantations industrielles, avec des cancers professionnels qui auraient pu être recensés. Il convient donc d'étendre le dispositif à la France afin de pouvoir enregistrer, sans devoir attendre plusieurs années, les alertes concernant des facteurs environnementaux ou socioprofessionnels.

L'INCa reste porteur du dispositif. Alors que la population des personnes souffrant de cancer augmente, les moyens stagnent. Avec tous les registres à disposition, les moyens seront-ils suffisants ? C'est un problème d'économie de santé. Si l'on peut prévenir des cancers et faire des économies par le biais de la prévention et des politiques publiques, le retour sur investissement, aussi bien sur le plan humain que financier, sera conséquent. Par ailleurs, un registre national populationnel obligera à une harmonisation des différents registres qui ne fonctionnent ni avec les mêmes méthodes ni avec les mêmes outils.

M. René-Paul Savary. - J'émets quelques réserves concernant l'approche. On raisonne à partir d'une pathologie, alors que l'exploitation des données me semble plus pertinente en raisonnant à partir du patient. Les personnes souffrent, le plus souvent, de polypathologies, et non seulement d'un cancer. Par ailleurs, on ne vit pas toute sa vie sur le même territoire. Je ne suis donc pas convaincu par les approches à partir d'un territoire ou d'une pathologie. Je suis davantage favorable, dans un premier temps, au recueil des données de santé par le canal du SNDS ou du Health Data Hub ; on pourra ensuite extrapoler si les données sont fiabilisées et bien exploitées.

Mme Catherine Procaccia. - Le registre des cancers pédiatriques va-t-il disparaître, ou bien se fondra-t-il dans le registre national ? Il y a vingt-cinq ans, ce registre des cancers pédiatriques n'existait pas dans ma commune. Nous avions alors travaillé avec l'Institut de veille sanitaire (InVS). J'ai connu la même chose avec les cancers de la prostate aux Antilles, où l'existence d'un registre ne tenait que par la volonté des médecins.

Je partage l'avis de René-Paul Savary sur la question de la géographie ; un registre strictement géographique peut poser problème. Par ailleurs, compte tenu des particularités de chaque cancer, un registre national est-il vraiment opportun ? Ne faudrait-il pas un registre national par type de cancer ?

Mme Laurence Cohen. - Ces données sont indispensables aux chercheurs. L'argument qui s'oppose à la création de ce registre national est uniquement financier. Au niveau de la commission des affaires sociales, notre seul souci doit être la santé publique. Pour exploiter des données, encore faut-il pouvoir en disposer. En conséquence, notre groupe soutient cette proposition de loi.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Il faut collecter, et ensuite il faut pouvoir exploiter...

Mme Colette Mélot. - Lorsque j'ai cosigné la proposition de loi de Sonia de La Provôté, il existait des lacunes concernant l'utilisation des données de santé. En vous écoutant, on a surtout l'impression qu'il s'agit de querelles de chapelles. La question ne peut pas être économique ; si ce registre peut aider la recherche, alors il faut voter la proposition de loi.

Mme Nadia Sollogoub, rapporteur. - Ce qui importe à l'INCa, comme il nous l'a écrit, c'est la balance coût-efficacité. Le problème, aux yeux de l'Institut, est donc bien financier. À aucun moment, l'INCa ne précise que ce système entraînerait des effets secondaires négatifs. De notre côté, tout en reconnaissant le rôle important de l'INCa, nous n'avons aucune raison de nous autocensurer dans nos travaux. Cette proposition de loi n'a pas pour objectif de vexer l'INCa, mais de faire en sorte que tout le monde avance dans le même sens.

Madame Lassarade, vous avez constaté un manque de données en matière de santé environnementale. Si l'on élargit le dispositif à l'ensemble du territoire, la question ne se posera plus.

Pour répondre à Mme Le Houerou concernant la mission d'information, il est intéressant que ces deux démarches complémentaires soient menées en parallèle, et l'on attend avec intérêt votre rapport. Des sujets ont émergé lors des auditions, par exemple celui de l'accès au registre de décès ou celui de l'anonymisation des données. Comme cela nous a été souvent répété lors des auditions, l'objectif n'est pas de seulement collecter les données, encore faut-il qu'elles servent à quelque chose.

Monsieur Mouiller, le sujet des modalités de mise en place est complexe. Le registre propose la donnée la plus complète, avec de multiples sources et acteurs. Cet outil va permettre de clarifier les choses et de gagner en efficacité. Doit-on attendre que les choses soient de plus en plus complexes et que chacun fasse son registre dans son coin ? Ou bien, profitons-nous de cette opportunité pour lever les difficultés et installer un système harmonisé au niveau national ? L'outil me semble parfaitement adapté.

Madame Poncet Monge, vous avez évoqué des endroits très précis où des questions peuvent se poser, notamment au niveau environnemental. Le registre national permet également de rassurer les patients et de lever certaines interrogations. En livrant des informations claires et précises, il permettra de tordre le cou aux théories du complot et à toutes formes de dérives.

Monsieur Savary, le SNDS fournit une information plus ponctuelle, à un instant précis ; la vision longitudinale du parcours des patients s'obtiendra par le registre national. L'objectif de cette proposition de loi est bien d'apparier, à l'échelle nationale, les données des registres locaux et celles du SNDS pour avoir la vision la plus complète. Par ailleurs, le patient se déplaçant sur le territoire, on comprend bien l'intérêt d'un registre national pour être efficace.

Madame Procaccia, le registre national est le seul qui existe pour les cancers pédiatriques ; c'est un exemple à suivre. Des compétences existent déjà, il ne s'agit pas de les évacuer, mais de s'en inspirer. Aujourd'hui, chacun travaille dans son coin et perd beaucoup de temps. L'idée est de rendre plus fluide l'accès aux informations et aux financements.

En outre-mer, le registre existe par la seule volonté des médecins ; cela ne peut plus fonctionner ainsi.

Deux regards différents sont portés sur cette idée de registre : celui, très informé, des chercheurs et des scientifiques ; et celui du grand public. Pour ce dernier, il est évident que ce type de registre, où sont stockées et exploitées toutes les données de santé, existe déjà. Quand on explique que seulement 20 % de la population est couverte par un registre, les gens n'y croient pas.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Certains parmi nous connaissent les registres régionaux. Dans la région des Pays de la Loire, les données provenaient de deux départements : la Loire-Atlantique et la Vendée. On nous expliquait que ces données étaient purement statistiques. Avec ce registre, on monte en puissance.

Mme Sonia de La Provôté. - À la demande du professeur Guilhot, j'ai suivi toutes les auditions de l'Académie nationale de médecine, dont le rapport sur les données de santé date de 2021. J'avais déjà posé une question sur ce sujet à la ministre Agnès Buzyn, et sa réponse avait été assez floue. Le Health Data Hub, les données numériques ou l'intelligence artificielle sont des sujets passionnants ; certains s'y intéressent - il faut bien dire les choses - pour faire grossir leur portefeuille. Mettre en place un registre national d'utilité publique est aussi un moyen de protéger les données de santé en France.

Bien sûr, il y a d'autres pathologies que le cancer. Mais ce registre national des cancers est l'occasion de tester une forme de méthodologie qui pourra servir pour d'autres pathologies.

Les registres régionaux des cancers n'ont pas accès aux données du SNDS. Le registre national viendra pallier ce manque de coordination.

Concernant les sujets particuliers, l'intérêt d'un grand registre est de pouvoir effectuer des extractions. L'outil, sous le contrôle de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), est à la fois rigoureux d'un point de vue scientifique et sécurisant sur le plan de l'intérêt public et de la protection des personnes.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

Mme Nadia Sollogoub, rapporteur. - L'amendement COM-3 modifie l'article L. 1415-2 du code de la santé publique en précisant la base législative du registre national des cancers, ainsi que ses finalités.

Lors des auditions, il nous est apparu plus clair de préciser que le registre national des cancers était « populationnel » ; c'est le sens du sous-amendement COM-5. L'amendement COM-2 prévoit, quant à lui, de modifier l'intitulé du registre national des cancers car certains scientifiques pourraient penser l'on met en place une sous-catégorie de registre. Aussi, mon avis sur cet amendement est défavorable.

Mme Raymonde Poncet Monge. - L'INCa a indiqué que leurs registres départementaux étaient également populationnels, car exhaustifs. Il existe différents types de registres ; un registre peut être national sans être exhaustif et populationnel. L'intérêt, ici, est qu'il soit populationnel, à savoir qu'il embrasse toute la population française.

Le sous-amendement COM-5 est adopté. L'amendement COM-3, ainsi sous-amendé, est adopté.

L'amendement COM-2 est retiré.

Mme Nadia Sollogoub, rapporteur. - L'amendement COM-4 ajoute deux autres modifications : la première autorise l'INCa à labelliser des entités de recherche en cancérologie, afin d'encourager la constitution d'équipes de collecte de données ; la seconde l'autorise à développer et héberger des systèmes d'information dans les domaines de la cancérologie.

L'amendement COM-4 est adopté.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

Mme SOLLOGOUB, rapporteur

3

Précision de l'objet et des finalités du registre national

Adopté

Mme PONCET MONGE

5

Qualification des données du registre en données populationnelles

Adopté

Mme PONCET MONGE

2

Qualification du registre national en registre populationnel

Retiré

Mme SOLLOGOUB, rapporteur

4

Labellisation d'entités de recherche et hébergement de systèmes d'information en cancérologie par l'INCa

Adopté

Proposition de loi visant à renforcer la protection des familles d'enfants atteints d'une maladie ou d'un handicap ou victimes d'un accident d'une particulière gravité - Désignation d'un rapporteur

Mme Catherine Deroche, présidente. - La proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer la protection des familles d'enfants atteints d'une maladie ou d'un handicap ou victimes d'un accident d'une particulière gravité pourrait être inscrite à l'ordre du jour de la session extraordinaire.

La commission désigne Mme Marie-Pierre Richer rapporteure sur la proposition de loi no 393 (2022-2023) visant à renforcer la protection des familles d'enfants atteints d'une maladie ou d'un handicap ou victimes d'un accident d'une particulière gravité.

Organisme extra-parlementaire - Désignation

Mme Catherine Deroche, présidente. - J'ai été saisie par le Président du Sénat afin que notre commission désigne un sénateur appelé à siéger au sein du Comité national de l'organisation sanitaire et sociale. Je vous rappelle que Nassimah Dindar occupait jusqu'à présent cette fonction. Après avoir pris l'attache du groupe concerné, je vous propose la candidature de Brigitte Devésa.

La commission désigne Mme Brigitte Devésa pour siéger au sein du Comité national de l'organisation sanitaire et sociale.

La réunion est close à 12 h 15.