Mardi 11 juillet 2023

Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Projet de loi relatif à l'accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 et au traitement des copropriétés dégradées - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur

M. Claude Raynal, président. - Le Gouvernement devrait présenter jeudi prochain en conseil des ministres un projet de loi relatif à l'accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 et au traitement des copropriétés dégradées.

Au regard des dispositions de nature financière qui sont annoncées et en accord avec la commission des affaires économiques qui sera saisie au fond, mais devrait nous déléguer l'examen d'un article de ce projet de loi, il vous est proposé que notre commission se saisisse pour avis.

La commission demande à être saisie pour avis sur le projet de loi relatif à l'accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 et au traitement des copropriétés dégradées, sous réserve de son dépôt, et désigne M. Vincent Delahaye rapporteur pour avis.

Accès aux espèces sur le territoire - Communication

M. Claude Raynal, président. - Nous entendons désormais une communication de M. Jean-François Husson, rapporteur général, sur l'accès aux espèces monétaires sur le territoire.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'ai souhaité revenir devant vous avant la fin de l'année parlementaire pour traiter du sujet de l'accessibilité aux espèces sur le territoire. Pour éviter tout suspense inutile, je précise que l'objet de cette communication est avant tout de vous informer que la Banque de France nous a enfin transmis une cartographie précise des distributeurs automatiques de billets (DAB) et des points d'accès privatifs aux espèces permettant un retrait auprès des commerçants, sur l'ensemble du territoire métropolitain.

Nous attendons cette cartographie précise depuis plusieurs années. À chaque audition de la Banque de France et de la Fédération bancaire française (FBF), nous avons rappelé notre souhait de disposer d'éléments précis remontant des établissements bancaires. La dernière occasion fut l'examen de la proposition de loi déposée par Rémi Féraud visant à renforcer l'accessibilité et l'inclusion bancaires. Notre voeu est enfin exaucé.

Nous le savons tous, la tendance actuelle est à la dématérialisation des moyens de paiement, ce qui peut se traduire par une tentation de renoncer aux espèces. Or la liberté de choix des moyens de paiement est un principe qui doit demeurer cardinal. Aucun moyen de paiement n'est plus légitime qu'un autre et, pour les ménages les plus modestes comme pour les personnes âgées, souvent plus éloignées du numérique et des applications bancaires en tout genre, les espèces constituent un outil indispensable de gestion du budget.

Lors de l'examen de la proposition de loi présentée par Rémi Féraud, le Sénat avait décidé de supprimer les articles confiant à la Poste une mission de présence territoriale en distributeurs automatiques de billets et créant un fonds de garantie de la présence bancaire territoriale. En effet, il nous est apparu que ces dispositions portaient en elles un certain nombre d'effets pervers. De plus, leur objectif, à savoir la garantie d'un accès en moins de quinze minutes à un DAB, soutenue par un fonds de garantie en partie financé par les banques, paraissait en grande partie satisfait. Cette proposition de loi a toutefois eu le grand mérite de replacer ce débat au centre de nos travaux et de relancer une impulsion politique sur le sujet, que j'ai de nouveau porté avec insistance auprès de la Banque de France et de la Fédération bancaire française.

L'accessibilité aux espèces est l'un des cinq axes de la politique nationale de gestion des espèces définie par la Banque de France en concertation avec le Gouvernement et les acteurs bancaires en 2019. Un groupe de travail intitulé « Accessibilité » a d'ailleurs été mis en place fin 2018 au sein de la Banque de France : il recense et analyse l'offre de distribution d'espèces dans notre pays. À partir des travaux de ce groupe de travail, la Banque de France publie tous les ans, depuis juillet 2019, un rapport sur l'état de l'accès du public aux espèces en France métropolitaine. Le dernier en date souligne notamment que 99,2 % de la population serait située à moins de quinze minutes en voiture d'un DAB, et 99,9 % à moins de quinze minutes d'un point d'accès aux espèces. Le prochain rapport doit être publié dans dix jours, le 21 juillet prochain. La distance de quinze minutes en voiture soulève cependant la question de la mobilité : en effet, en quinze minutes en voiture, on peut parcourir une vingtaine de kilomètres en zone peu dense.

Ces chiffres sont intéressants et ils indiquent que la situation est globalement très satisfaisante. Cependant, précisément, ils ne donnent qu'un aperçu global. Certains territoires demeurent en effet défavorisés en matière d'accès aux espèces. Dans de rares cas, on pourrait même parler de zone blanche. Plusieurs d'entre nous s'en font régulièrement l'écho, concernant certains territoires ruraux ou certaines zones urbaines, territoires intermédiaires ou banlieues.

C'est la raison pour laquelle notre commission demande depuis longtemps une cartographie précise des points d'accès aux espèces, qui nous permettrait de mieux cerner les enjeux de leur répartition sur le territoire.

Vous vous en souvenez certainement : nous étions censés l'obtenir dès janvier 2019. En mars 2019, la commission des finances avait entendu le directeur général des services à l'économie et du réseau de la Banque de France, qui s'était engagé à nous donner « un état des lieux extrêmement précis d'ici à la fin du printemps ». Comme l'a rappelé Sylvie Vermeillet en séance lors de l'examen de la proposition de loi visant à renforcer l'accessibilité et l'inclusion bancaires, cet état des lieux ne nous a jamais été communiqué. Tout juste pouvait-on, jusqu'à récemment, accéder à une cartographie globale du territoire, offrant certes un aperçu de l'accessibilité aux espèces, mais trop flou, et ne permettant pas d'entrer suffisamment dans le détail. À l'issue de l'examen de cette proposition de loi, j'ai moi-même sollicité la Banque de France afin qu'elle tienne enfin ses engagements à notre égard, et cela a payé.

Je souhaitais donc faire cette communication pour vous annoncer que nos démarches n'ont pas été vaines : nous avons obtenu cette cartographie précise, les données étaient donc bel et bien disponibles. Le premier document à notre disposition présente l'ensemble des points d'accès aux espèces en France métropolitaine à la fin de l'année 2022, et offre la possibilité, inexistante jusqu'alors, de zoomer sur les cantons et les communes d'intérêt. Le deuxième document suit la démarche inverse et distingue les communes disposant d'un DAB ou d'un point privatif sur leur territoire des autres. Comme vous le verrez, il s'agit de documents électroniques assez lourds qui mettent un peu de temps à charger, mais il s'agit là, sans nul doute, d'un grand progrès, qui nous permettra d'affiner notre vision et notre compréhension de l'accessibilité aux espèces sur le territoire. Vous recevrez, à l'issue de la présente réunion, un lien vous permettant d'accéder aux cartes qui nous ont été envoyées par la Banque de France. Un bémol demeure néanmoins : cette cartographie n'inclut pas les territoires ultramarins. Nous engagerons donc une action complémentaire en ce sens.

Les cartes fournies permettent de brosser un premier tableau : celui du décalage entre, d'un côté, le quadrillage massif des grandes métropoles et des littoraux normands, bretons et méditerranéens et, de l'autre, une dispersion plus forte dans certains départements, comme les Alpes-de-Haute-Provence, la Marne, les Ardennes, l'Aube et la Meuse. Dans le cas des communes accueillant un point d'accès aux espèces, on observe une disparité entre des territoires manifestement très denses, dont toutes les communes sont équipées de DAB, et d'autres, bien moins denses, où les communes sont moins souvent équipées, même si transparaît tout de même la préoccupation d'un maillage régulier au niveau départemental, garantissant un accès satisfaisant aux espèces. Si, en l'absence de DAB, les points de retrait auprès des commerçants prennent souvent le relais, ils paraissent insuffisants pour réduire significativement l'écart qui se présente entre les régions en matière d'accès aux espèces.

Précisons néanmoins qu'il faut interpréter ces cartes avec prudence, puisque la taille des communes est très variable. Il est plus facile de trouver au moins un de ces points d'accès dans les grandes villes, ce qui donne l'impression d'une couverture plus resserrée. Inversement, les cartes semblent indiquer une présence bancaire moins dense dans certains territoires, mais celle-ci peut aussi s'expliquer aisément par leur morcellement en petites communes. Enfin, ces cartes ne disent rien non plus de la densité de population des communes, qui constitue pourtant un élément important pour évaluer l'accessibilité aux espèces.

Dans le rapport annuel sur l'accessibilité aux espèces qui sera publié par la Banque de France d'ici la fin du mois de juillet, cette cartographie devrait être encore plus précise et pourrait même mentionner le nom des communes, pour une lisibilité meilleure, voire parfaite.

Il me reste à remercier, au nom de la commission, la Banque de France qui, bien qu'avec un retard notable, nous fournit enfin une vision claire de la répartition territoriale des DAB et des points d'accès aux espèces. À charge maintenant pour chacun d'entre nous de s'approprier les données et de juger de leur pertinence ou de souligner les manques patents de couverture qui subsistent dans certains territoires. Je veux également remercier plus particulièrement nos collègues qui se sont impliqués récemment sur ce sujet : Rémi Féraud, dans le cadre de sa proposition de loi sur l'accessibilité et l'inclusion bancaires, Stéphane Sautarel, qui en tant que rapporteur de ce texte a manifesté la volonté de pouvoir enfin accéder à cette cartographie, Sylvie Vermeillet, pour sa combativité sur le sujet, ou encore Hervé Maurey. Nous pourrions en citer bien d'autres, le gouverneur de la Banque de France ayant été systématiquement interrogé à ce sujet à chacune de ses auditions devant notre commission.

En nous emparant de cette question, nous avons certainement fait oeuvre utile. L'accès aux espèces est non seulement une obligation, mais aussi un gage de sécurité, notamment en cas de coupure durable d'électricité.

M. Arnaud Bazin. - Quelle est la valeur moyenne distribuée par les commerçants par le biais du cash back dans les communes où ne se trouve pas de distributeur automatique de billets ? Ont-ils des engagements minimaux à respecter à cet égard ?

M. Michel Canévet. - L'accès aux espèces est un sujet majeur du point de vue des libertés publiques. Il est donc important que nous ayons une vision claire de la situation.

La présence des communes nouvelles fausse peut-être un peu notre perception de la couverture territoriale en la matière.

Par ailleurs, l'accès au numéraire est d'autant plus important que l'illectronisme demeure une réalité dans nos territoires. Nombre de nos concitoyens n'ont pas accès aux outils informatiques et auraient du mal à vivre normalement s'il n'existait pas d'espèces. Nous devons rester vigilants sur ce point.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le plafond de retrait dans le cadre du cash back est de 60 euros. Je ne connais pas le montant du retrait moyen, mais nous essaierons d'obtenir cette information. Il pourrait être intéressant également de mieux connaître les modalités d'utilisation du cash back : ce système est-il employé surtout en guise de dépannage, de manière occasionnelle, ou devient-il une habitude ? Il semble, à l'heure actuelle, qu'il soit insuffisamment utilisé par rapport à ses potentialités.

La place des communes nouvelles dans la répartition territoriale de l'accès aux espèces varie selon les cas. Dans certaines zones urbaines, des communes de plusieurs milliers d'habitants cohabitent, quand certaines communes de moins de 5 000 habitants ne disposent d'aucun distributeur automatique de billets.

Le nombre de DAB a diminué de 9 % entre 2018 et 2021, mais, selon les dernières communications effectuées par les banques, ces retraits de DAB concernent plutôt le milieu urbain, les endroits marqués par une densité excessive, et se traduisent souvent par une mutualisation. La hausse de 12 % du nombre de relais commerçants sur la même période aboutit à ce que le nombre de points d'accès ne recule que de 2 % entre 2018 et 2021.

Je rappelle par ailleurs que l'accès au numéraire est une obligation. Quand nous nous sommes rendus en Suède, voilà quelques années, on ne recensait plus que 13 % de retraits d'espèces dans ce pays. Or, à cette époque, la banque centrale avait indiqué que les banques avaient décidé de redéployer 2 000 distributeurs automatiques de billets sur l'ensemble du territoire, considérant que le pays était allé trop loin. On entend parler d'effondrement en matière d'utilisation des espèces, mais il faut relativiser : plus de 50 % des transactions demeurent faites en liquide.

Nous devrions donc avoir enfin la possibilité de discuter d'égal à égal avec les réseaux bancaires concernant l'accès au numéraire. Cela est d'autant plus important que les agences bancaires se replient progressivement derrière les pratiques nouvelles.

Enfin, n'oublions pas que les DAB fonctionnent en permanence, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, alors que les autres formules ne présentent pas la même amplitude horaire. Il faut veiller à ce que cela n'exclue pas certaines populations.

M. Stéphane Sautarel. - Une directive européenne est également attendue sur la question, autorisant la signature d'accords interbancaires pour que la possibilité d'effectuer des retraits dans les commerces dans le cadre du cash-in-shop ne soit pas ouverte aux seuls clients du réseau bancaire. À tout le moins, le ministère s'était engagé à oeuvrer dans ce sens. Si cela pouvait aboutir, ce serait bienvenu.

M. Claude Raynal, président. - Je rappelle que le montant moyen d'un retrait au DAB est de 30 euros.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il est intéressant de noter qu'il est devenu soudainement possible de régler de petits montants par carte bancaire, à l'occasion de la crise sanitaire.

M. Claude Raynal, président. - Nous vous remercions pour votre communication.

Pass Culture - Contrôle budgétaire - Communication

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons à présent le rapport de MM. Vincent Éblé et Didier Rambaud, rapporteurs spéciaux de la mission « Culture », faisant suite au contrôle budgétaire qu'ils ont réalisé sur le pass Culture.

M. Didier Rambaud, rapporteur spécial. - Le pass Culture, expérimenté depuis juin 2019 puis généralisé et élargi en 2021, consiste en une application gratuite, qui relaie les offres culturelles et artistiques accessibles à proximité pour les jeunes âgés de 15 à 18 ans. Ces derniers disposent pour y répondre d'une somme comprise entre 20 et 300 euros, variant en fonction de l'âge. S'éloignant des dispositifs mis en place par les collectivités territoriales, le pass a repris les contours de l'application « 18app », lancée en 2016 en Italie par le gouvernement de Matteo Renzi, qui permettait à tout jeune de 18 ans de disposer d'une somme de 500 euros, baptisée « Bonus Cultura », consacrée à l'acquisition de biens culturels.

Au 1er mai 2023, soit près de deux ans après sa généralisation et son élargissement, 3,04 millions de jeunes, âgés de 15 à 18 ans, disposent d'un compte sur l'application. Le nombre d'inscriptions répond pour partie aux cibles fixées à l'échelle nationale dans le contrat d'objectifs et de performance signé entre la société par actions simplifiée (SAS) Pass Culture et l'État.

Le montant total des réservations depuis le lancement de l'application atteignait 313 millions d'euros au 31 décembre 2022. Les premiers jeunes de 18 ans inscrits lors de la généralisation du dispositif en mai 2021 ont dépensé en moyenne 244 euros sur les 300 euros accordés.

46,5 % des achats des jeunes de 18 ans effectués via le pass en 2022 ont été orientés vers le livre. Le taux est encore plus élevé pour les moins de 18 ans, puisqu'il s'élève à 63,5 %. Le cinéma, l'achat d'instruments de musique, les spectacles musicaux et la musique enregistrée constituent, à des degrés moindres, les autres priorités d'utilisation du pass. Nous avons relevé une meilleure appréhension du dispositif par les jeunes, marquée par une disparition des achats massifs et une approche moins impulsive. La baisse de la part du manga - 70 % des acquisitions de livres en 2021 contre 38,5 % aujourd'hui - en témoigne, tout comme l'évolution des pratiques en matières cinématographiques : trois films d'art et d'essai font ainsi partie des 20 premiers films vus au moyen du pass.

La loi de finances pour 2022 a permis de faire évoluer le dispositif en l'ouvrant aux élèves à partir de la classe de quatrième. Ces derniers bénéficient, sous la responsabilité des enseignants, d'un crédit : 25 euros par élève en quatrième et en troisième, 30 euros en seconde et 20 euros en première et en terminale à dépenser dans un cadre collectif : sortie culturelle ou accueil d'un professionnel. Le dispositif sera étendu aux élèves de sixième et de cinquième à compter de la rentrée scolaire 2023.

Les premiers résultats sur l'année scolaire 2022-2023 sont encourageants. Au 20 mai 2023, 86 % des collèges et lycées et 92 % des établissements du secteur public avaient utilisé ce mécanisme. Au total, 2 millions d'élèves ont d'ores et déjà bénéficié du dispositif, dont 1,6 million dans le secteur public, soit la moitié du public ciblé. L'éloignement des offres culturelles dans certains territoires peut expliquer ce déploiement limité.

Au 1er mai 2023, la dépense moyenne pour l'année scolaire 2022-2023 s'établissait à 450 euros et 154 101 offres collectives, présentées par 8 000 acteurs, étaient disponibles.

La loi de finances pour 2023 prévoit une dotation de 208,5 millions d'euros pour le financement du volet individuel. Le pass Culture représente 25 % des crédits du programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » de la mission « Culture ». La SAS Pass Culture, chargée de son déploiement, est également le deuxième opérateur du ministère de la culture, derrière la Bibliothèque nationale de France. Par ailleurs, 51 millions d'euros sont prévus pour le volet collectif du dispositif, principalement financé par le programme 230, « Vie de l'élève », de la mission « Enseignement scolaire ».

Les frais de fonctionnement de la SAS Pass Culture sont estimés à 29,2 millions d'euros en 2023. Ils représentent 11,2 % des dotations versées à la structure. Les dépenses de personnel ont atteint 7,77 millions d'euros en 2022, soit une progression de 58,8 % par rapport à 2021. L'élargissement du pass peut justifier pour partie une telle croissance.

Le choix d'une société par actions simplifiée semble, avec le recul, le plus adapté. La SAS paraît plus agile qu'un établissement public classique et a pu accompagner la mutation du pass au cours des deux dernières années. Cependant, malgré son poids budgétaire, la SAS ne figure pas dans la liste des opérateurs de l'État. Il paraît pourtant indispensable, afin d'évaluer la conduite de cet important volet de la politique culturelle, que de telles informations soient à la disposition du Parlement. C'est d'ailleurs l'une de nos préconisations.

M. Vincent Éblé, rapporteur spécial. - La situation financière constitue un angle important pour appréhender la question de l'inégalité culturelle chez les plus jeunes. Elle ne saurait pour autant résumer le sujet de l'accès à la culture. La notion de proximité est également essentielle. En effet, le pass Culture perd de sa pertinence quand il est déployé dans des « zones blanches », marquées par l'absence d'infrastructures culturelles ou par des difficultés d'accès au numérique, vecteur aujourd'hui essentiel dans l'accès à la culture. Un travail sur l'accès aux infrastructures culturelles lointaines doit ainsi être accompli, notamment en milieu rural. La question sociale doit également être cernée, sans être réduite à la seule question de la solvabilité des jeunes. Le ressort tarifaire peut, en tout état de cause, casser une dernière barrière, mais il suppose que les autres obstacles soient franchis.

La logique prescriptive du pass Culture demeure, en outre, relativement faible. Celui-ci risque donc de confirmer les habitudes culturelles et s'avérer être un simple effet d'aubaine pour ceux qui ont déjà une pratique culturelle. Il est, plus largement, regrettable qu'aucun objectif n'ait été assigné à cette politique publique en matière de médiation culturelle, de diversification culturelle ou d'affirmation des droits culturels. Ainsi, le ministère de la culture prend le risque de résumer le volet individuel du pass Culture à une simple plateforme d'achat de biens et de services.

Il est indispensable que le pass soit plus « éditorialisé » afin de participer à la mise en place d'un véritable parcours culturel, qui permette notamment de mieux orienter les réservations vers deux grands absents : le spectacle vivant et les musées. Au-delà de la question de la médiation culturelle, l'accent doit également être mis sur l'accès des jeunes non scolarisés au pass Culture. Pour l'heure, on observe une réelle surpondération des lycéens et des étudiants parmi les jeunes ayant ouvert un compte. Seuls 7,3 % des jeunes de 18 ans inscrits sur l'application ont ainsi déclaré ne pas être scolarisés. Ce ratio est plus faible que le nombre de jeunes non scolarisés rapporté à l'ensemble de la population cible.

En ce qui concerne le volet collectif, le recul donné par deux années scolaires souligne néanmoins les écueils auxquels sont confrontés les établissements dans sa mise en oeuvre, notamment : l'absence de moyens de transport pour les établissements et territoires enclavés, la concurrence d'autres dispositifs publics mis en oeuvre dans le cadre des politiques des collectivités territoriales ou des cités éducatives, les difficultés des intervenants en éducation artistique et culturelle (EAC) à être référencés sur la plateforme créée à cet effet, Adage (Application dédiée à la généralisation de l'éducation artistique et culturelle), et sur celle du pass Culture, et enfin l'absence de désignation dans un trop grand nombre d'établissements d'un professeur référent pour la culture au sein des classes.

Nous relevons par ailleurs que le volet collectif semble plus enclin à atteindre l'objectif de diversification des pratiques culturelles assigné au pass Culture que le volet individuel et que l'articulation entre les deux parts semble, de notre point de vue, insuffisante.

Il conviendra également de contribuer à faire du pass Culture une véritable plateforme en faveur de l'éveil artistique et culturel, accessible aux jeunes qui ne seraient plus éligibles, pour des motifs d'âge notamment, si l'on entend que ce dispositif ne se résume pas à une offre limitée dans le temps. Il s'agit de contribuer à faire de cet outil un élément clé en vue de concourir aux objectifs ambitieux que le ministère de la culture s'assigne par ailleurs en matière d'éducation artistique et culturelle, et de participation à la vie culturelle. Cette évolution permettrait de renforcer l'efficience de la dépense publique en la matière.

Le pass Culture ne semble pas avoir vampirisé les crédits consacrés à l'éducation artistique et culturelle de la mission « Culture », soulignant ainsi que le dispositif ne tend pas à s'y substituer, mais plutôt à la renforcer, puisqu'une augmentation de 22,5 % a été enregistrée depuis 2019.

Nous notons cependant une sous-exécution des crédits affectés à la participation de tous à la vie culturelle, notamment ceux qui sont fléchés vers la politique territoriale et la cohésion sociale. Or le déploiement pour l'ensemble des jeunes du pass Culture ou de l'EAC ne sera rendu possible que par le développement d'infrastructures ou par la tenue d'évènements dans la totalité des territoires, notamment au sein des territoires prioritaires.

Les douze recommandations que nous vous proposons tentent de répondre à ces constats en ciblant particulièrement la nature de l'offre, par la mise en place de parcours de réservation et de sous-plafonds, la création d'une offre « duo » ou l'intégration d'un volet transport. Notre rapport propose également des pistes d'amélioration du volet collectif : accompagnement des petits offreurs, articulation avec le volet individuel et formation du personnel scolaire, qui nous paraît insuffisante aujourd'hui.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie les deux rapporteurs spéciaux pour leur mission, qui a le mérite de nous apporter de nouveaux éclaircissements, car les discussions sur le pass Culture à l'occasion de l'examen des projets de loi de finances (PLF) charrient parfois quelques raccourcis. En fin de compte, ce dispositif trouve son public, malgré quelques fragilités.

Pour améliorer le fonctionnement du dispositif, il me paraît important de comprendre quels sont les facteurs limitants pour certains publics. Les habitants de zones rurales, par exemple, sont forcément plus éloignés des offres culturelles. Pourquoi ne pas développer une offre culturelle intéressante près de chez eux, plutôt que d'attendre d'eux qu'ils se déplacent ? Un déplacement suppose d'ailleurs un surcoût, d'où votre proposition d'inclure le prix du transport dans la prise en charge du pass Culture. Cette solution participe à la recherche d'équité, d'une offre d'accès diversifié, de telle sorte que ne soient pas consolidées certaines inégalités observables dans le parcours éducatif, et peut-être aussi dans la réussite aux examens.

Avez-vous identifié des leviers pour préciser notre connaissance des facteurs limitants ?

M. Vincent Éblé, rapporteur spécial. - Le dispositif, qui se fixe comme objectif de solvabiliser les jeunes, soulève une question centrale : cette solvabilisation est-elle suffisante pour aider certains jeunes à surmonter leurs difficultés d'accès à des offres culturelles ? Bien entendu, elle est essentielle, parfois déterminante, mais elle n'est pas le seul levier à actionner. En somme, le pass Culture est un outil qui ne contient pas, en lui-même, toutes les solutions pour surmonter les difficultés d'accès à la culture. Les inégalités entre territoires, les inégalités sociales, qui ne se résument pas aux inégalités de revenu, constituent bien entendu des questions essentielles.

Le regard des consommateurs sur l'offre culturelle qui est faite est également déterminant. Des blocages existent encore, qui sont de l'ordre de la représentation mentale. Certains jeunes estiment ainsi qu'ils ne sont pas la cible du spectacle vivant ou des musées, ou que tous les livres ne leur sont pas accessibles. Il faut donc agir sur ces blocages, afin que la politique publique soit efficace. Si le dispositif ne visait qu'à rendre possible l'acquisition d'ouvrages à faible contenu culturel ou n'exigeant pas d'effort intellectuel particulier, son intérêt public serait très marginal. Il ne constituerait qu'une aide en direction des éditeurs et des libraires, qui lui sont bien entendu très favorables, puisque l'utilisation du pass Culture exige un achat dans un point de vente physique. C'est une bonne chose, bien sûr, mais l'État a-t-il vocation à apporter des financements relativement élevés uniquement pour soutenir le monde de l'édition ? D'ailleurs, l'édition nationale n'est pas la seule à profiter du pass Culture, puisque de nombreux éditeurs de mangas sont étrangers.

Nous avons pointé ces exigences dans nos recommandations. Il nous paraît important de préciser que l'observation du fonctionnement du pass Culture, au cours des années d'expérimentation comme de généralisation, montre que des améliorations sont possibles. En effet, les constats ne sont pas immuables sur la période. Par exemple, sur la question très identifiée et longuement débattue de la grande consommation de mangas, l'évolution fut sensible et plutôt satisfaisante. La situation peut donc s'améliorer, à condition que les acteurs aient conscience des blocages et des enjeux, et qu'ils agissent pour améliorer les processus les plus vertueux, ceux qui changent la donne et qui modifient les comportements de ces jeunes acteurs, sans se contenter de les accompagner dans une logique d'effet d'aubaine.

M. Didier Rambaud, rapporteur spécial. - Les jeunes situés dans des territoires enclavés sont confrontés à un double problème : celui des transports et celui de l'isolement. Même s'il disposait d'une offre de transport, le jeune dans son hameau sera peu enclin à se rendre seul à une manifestation culturelle. D'où notre recommandation de développer les offres « duo », afin d'offrir à ce jeune la possibilité d'être accompagné.

M. Christian Bilhac. - Vous avez évoqué un effet d'aubaine. Avons-nous une idée de ce que celui-ci représente ? Est-il très majoritaire ?

J'ai longtemps exercé dans le secteur de l'animation, qui a également constitué un axe fort de mes mandats d'élu local. C'est pourquoi je sais qu'entre 15 et 18 ans il est trop tard pour découvrir une activité culturelle. Plus on plante tard, moins on récolte. C'est en sensibilisant les jeunes publics que l'on permet à ces derniers de poser un regard différent sur les musées, la musique classique ou l'opéra. S'ils découvrent ces derniers avant 10 ans, peut-être y retourneront-ils plus tard. Leur demander d'y prendre goût à 17 ans se solderait sans doute par un échec. N'aurait-il pas fallu octroyer un pass Culture à des publics beaucoup plus jeunes, avant la préadolescence ? Il est très difficile d'emmener au musée un jeune de 18 ans qui n'y a jamais été.

M. Vincent Éblé, rapporteur spécial. - La question de l'effet aubaine est importante et nécessite des études approfondies, comparant les pratiques actuelles, découlant du pass Culture, aux pratiques antérieures. À ce sujet, la SAS Pass Culture a engagé un travail de diagnostic, avec l'aide d'un laboratoire de recherche de l'École normale supérieure. Nous attendrons les résultats de cette étude pour vous en dire plus, mais nous ne sommes pas les seuls à nous poser cette question, puisque les opérateurs du pass Culture se la posent également. Les différents acteurs du dispositif ont cette préoccupation et réfléchissent aux moyens de provoquer des pratiques nouvelles. Si le pass Culture ne permet que d'apporter des fonds supplémentaires à des pratiques déjà existantes et, ainsi, de les conforter, son objectif d'intérêt public ne sera pas atteint.

Monsieur Bilhac, vous estimez que c'est avant l'adolescence que les pratiques culturelles se forment. Pour être honnête, nous avons faiblement étudié cette question. Le pass Culture est avant tout un dispositif de solvabilisation ; l'appliquer à des enfants d'âge primaire ou maternel ne serait donc pas facile, puisqu'ils n'ont pas d'autonomie de décision. L'utilisation du pass Culture devrait alors transiter par la famille, ce qui n'est cependant pas impossible. La question est importante, car on peut spontanément penser, comme vous, que les habitudes sont essentielles et que les appétits pour certains types de pratiques culturelles se développent à un jeune âge. De ce point de vue, si l'objectif est de compenser une faiblesse des initiatives intrafamiliales, une tendance de certaines cellules familiales de ne pas s'intéresser à la culture, ce n'est pas en versant un peu d'argent à ces parents que l'on va déclencher le dispositif. Sans doute, les vrais éléments déclencheurs ne sont pas dans un dispositif similaire au pass Culture, qui accompagne individuellement les jeunes consommateurs, ils sont peut-être plutôt dans le cadre scolaire, grâce à l'action éducative et culturelle. Avec la médiation des professeurs de l'éducation nationale, on peut en effet emmener toute une classe assister à un spectacle, rencontrer des artistes... On a tous connu des expériences d'approche de la culture qui nous ont marqués et ont sans doute fait évoluer nos propres pratiques. C'est ce qu'il faut viser, mais je ne suis pas certain que le pass Culture soit le meilleur outil pour des publics très jeunes.

M. Didier Rambaud, rapporteur spécial. - La question de l'âge a déjà donné lieu à des changements. Si le pass culture était initialement réservé aux jeunes de 18 ans, il devrait concerner, à partir de la prochaine rentrée scolaire, les élèves de sixième. La SAS Pass Culture nous a, par ailleurs, confirmé qu'elle ferait un effort particulier en direction des apprentis et des non-scolarisés.

M. Vincent Éblé, rapporteur spécial. - Comme l'outil est non seulement une enveloppe financière mais également une application permettant de consulter les offres en matière culturelle, nous avons considéré que cet accès devrait être garanti aux jeunes adultes, même sans contribution financière de la part de l'État. Il s'agit ainsi de faire perdurer le dispositif au-delà du seuil de 18 ans. Il n'est pas inimaginable que, en apportant la totalité du financement par eux-mêmes, de jeunes adultes puissent continuer d'accéder à la plateforme, afin de consulter les offres, d'échanger leurs impressions sur ces offres via des forums. Je le répète, tout ne se résout pas à l'enveloppe financière accordée aux jeunes : l'enjeu important est celui des comportements de ce public dans le domaine culturel et la manière de les faire perdurer après la sortie du dispositif.

La commission adopte les recommandations des rapporteurs spéciaux et autorise la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.

Actions écoresponsables des pouvoirs publics - Contrôle budgétaire - Communication

M. Claude Raynal, président - Nous examinons à présent la communication de M. Jean-Michel Arnaud sur les actions écoresponsables des pouvoirs publics.

M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur spécial. - L'urgence climatique n'est plus à démontrer ; le sixième rapport d'évaluation du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (Giec), publié le 20 mars 2023, rappelle l'impérieuse nécessité de réduire nos émissions de gaz à effet de serre.

Dans ce cadre, même si les pouvoirs publics ne représentent qu'une part modeste de l'ensemble des dépenses de l'État, ils ont un poids symbolique majeur et peuvent, via l'exemplarité, avoir un effet d'entraînement sur les autres administrations et sur les entreprises.

Il m'a donc semblé utile d'étudier comment la présidence de la République, les deux assemblées et le Conseil constitutionnel mobilisent leurs moyens matériels, budgétaires et humains pour contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique.

Mon travail s'organise autour de trois axes.

Le premier axe a consisté à comprendre où en était chacune des institutions dans la connaissance de ses émissions, dans sa trajectoire vers la neutralité carbone et dans la mise en oeuvre de plans d'action.

Tout d'abord, chacune des institutions a un objectif volontariste de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La présidence de la République s'inscrit dans la trajectoire de réduction des émissions fixée par la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et vise ainsi une neutralité carbone d'ici à 2050. Les assemblées, quant à elles, ont fait le choix d'anticiper cette échéance : de huit ans pour l'Assemblée nationale, qui souhaite réduire les consommations énergétiques de 60 % d'ici à 2042 ; de dix ans pour le Sénat, qui s'est fixé un objectif de neutralité carbone à l'horizon de 2040. Il me paraîtrait donc souhaitable que la présidence de la République, à l'instar des deux assemblées, anticipe l'atteinte de la neutralité carbone avant l'échéance de 2050.

Ensuite, l'ensemble des pouvoirs publics étudiés dans le cadre du présent contrôle ont adopté - ou sont en train d'adopter - une stratégie de développement durable définissant des axes prioritaires. Ces démarches sont à saluer. La présidence de la République a mis en place un plan d'action responsabilité sociétale des organisations (RSO). Le Sénat s'est doté d'une stratégie environnementale avec deux grands objectifs : être neutre en carbone à l'horizon de 2040 et l'objectif de « zéro plastique, zéro gaspillage, zéro déchet ». Le Conseil constitutionnel, dont les enjeux budgétaires et donc d'émissions sont somme toute modestes, s'est doté lui aussi d'un plan d'action pour le développement durable. De son côté, l'Assemblée nationale a mis en place un groupe de travail transpartisan chargé de rendre un rapport et de faire des propositions. Les travaux qu'elle mène sont disponibles en ligne. Un rapport intermédiaire a déjà été publié.

Le second axe de mon travail a consisté à étudier les moyens matériels et budgétaires déjà mis en oeuvre par grands secteurs d'émissions. Je ne mentionnerai pas toutes les actions menées, car vous en retrouverez une grande partie dans le rapport, mais je m'arrêterai sur quatre secteurs importants.

Je commence par les déplacements, premier poste d'émissions. Dans ce domaine, les parcs automobiles ont tous fait l'objet d'un « verdissement » très important au cours des dernières années. En ce qui concerne l'aviation, particulièrement pour la présidence de la République, qui représente 82 % des émissions liées aux déplacements, j'ai échangé avec le directeur général des services de l'Élysée, qui m'a expliqué les différentes actions menées pour réduire cette empreinte carbone, mais aussi les contraintes inhérentes à l'activité présidentielle.

Après les déplacements, la rénovation énergétique des bâtiments représente des dépenses importantes, mais qui constituent en même temps une source d'économies à long terme. Les assemblées sont engagées dans des politiques de rénovation, via notamment l'acquisition du label Haute Qualité environnementale (HQE) pour certains de leurs bâtiments. C'est ainsi le cas de la rénovation, au Sénat, des deux bâtiments des 26 et 36 rue de Vaugirard et, à l'Assemblée nationale, de l'hôtel de Broglie. De son côté, la présidence de la République a développé deux projets emblématiques. Le premier est celui d'une géothermie sur nappe à 65 mètres de profondeur pour le circuit d'eau chaude de l'hôtel d'Évreux, afin de réduire de 80 % les émissions de CO2 et de diviser les factures de fluides par deux ou trois. Le coût total du projet s'élèvera à 5 millions d'euros. Le second est celui d'une crèche pour le personnel, sur le site de l'Alma, labellisée E3C1, ce qui correspond à un haut niveau de performance énergétique. Le budget de l'opération s'élève à 2,6 millions euros et son financement a été assuré par la vente d'un immeuble situé au 14 rue de l'Élysée.

Troisième secteur : la restauration collective des pouvoirs publics, concernée par les dispositions de la loi de 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (loi Égalim), notamment par l'objectif d'un taux d'approvisionnement de 50 % de produits durables et de qualité, dont 20 % de produits issus de l'agriculture biologique. Les pouvoirs publics ont saisi cette occasion pour repenser leur stratégie, afin d'atteindre ou de se rapprocher de ces critères. Par ailleurs, en m'appuyant sur l'initiative, à l'étude au Sénat, d'un « ticket carbone », je pense que l'idée de mettre en place un signal visuel destiné à sensibiliser le consommateur à l'émission de CO2 engendrée par la confection du repas qui lui est servi serait une option intéressante à explorer.

Quatrième secteur, enfin : les espaces verts et la biodiversité, avec un mot notamment sur les 22 hectares du jardin du Luxembourg, dont le Sénat est propriétaire et qui constituent un exemple en matière de réduction de l'empreinte environnementale. Plusieurs actions entreprises l'illustrent. Il y a, d'abord, la mise en place du tri des déchets puisque 16 abris-bacs ont été installés, ce qui représente une dépense de 200 000 euros en 2022. Il y a aussi la préservation de la biodiversité, qui se traduit par l'abandon du désherbage chimique et l'utilisation d'engrais organique. Ensuite, il y a la maîtrise de la consommation d'eau, avec l'acquisition d'un nouveau logiciel de gestion de l'arrosage. Enfin, il faut noter des efforts en matière de maîtrise de la dépense énergétique pour le chauffage des serres. À ce titre, une étude sur l'opportunité d'installer des panneaux solaires est en cours. À cet égard, je pense que la mise en place d'installations photovoltaïques - si elle s'appuie sur les services de protection du patrimoine - représenterait un enjeu symbolique fort, car bien que l'énergie produite serait très modeste au regard des besoins, cela constituerait un facteur d'accélération de la transition énergétique.

Le troisième et dernier axe de mon rapport a consisté à observer les outils dont les pouvoirs publics disposent pour pérenniser leur action.

Le premier outil est celui de la commande publique, qui s'est « verdie » au cours des dernières années au travers de différentes lois, notamment la loi Climat et résilience, qui vise à ce que 100 % des marchés publics soient dotés d'une clause ou d'un critère portant sur les aspects environnementaux. Au cours des entretiens que j'ai menés, le rôle essentiel de la commande publique m'a été confirmé. J'observe d'ailleurs qu'il faudrait valoriser davantage l'économie circulaire dans les marchés publics. Ce pourrait être une des pistes à explorer par les pouvoirs publics.

Le second point concerne les outils permettant d'accompagner la transition, par exemple ceux qui visent à piloter les consommations énergétiques des bâtiments. Toutes les institutions s'équipent ainsi d'outils de suivi des consommations énergétiques, l'objectif étant de passer d'une logique globale, assez générale et uniforme, à un ajustement permanent des chauffages, en lien direct avec l'activité humaine.

Il faut également mentionner le projet du Sénat d'un budget carbone, qui consiste à attribuer un quota d'émissions de tonne équivalent CO2 pour un poste de dépense. En l'occurrence, il serait attribué pour les programmes de déplacements à l'étranger. Je précise qu'au Sénat comme à l'Assemblée nationale les déplacements des sénateurs dans leur circonscription se situent en dehors du champ visé par ce projet.

Enfin, la transition écologique d'une institution est impossible sans associer et mobiliser tous les acteurs, notamment le personnel. Dans cette perspective, l'ensemble des institutions a mis en place un accès intranet présentant les plans et les actions entreprises en matière de développement durable. Toutefois, l'enjeu est aussi et surtout de permettre aux personnes extérieures à l'institution d'avoir accès aux actions entreprises. Aussi les institutions pourraient-elles renforcer leur communication en ce domaine, par exemple, en mettant en place un accès facile à un onglet dirigeant l'usager du site internet des institutions vers une page consacrée aux actions menées en matière environnementale.

Au travers de ce rapport, j'ai souhaité présenter les efforts menés par les pouvoirs publics dans la lutte contre le changement climatique et rappeler que l'objectif, au bout du compte, est bien de permettre à chacun de s'approprier la démarche d'écoresponsabilité, dont nous parlons régulièrement à nos concitoyens.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Merci pour cette excellente initiative qui nous permet, d'une part, d'illustrer ce qui se fait de manière concrète et, d'autre part, de mesurer le décalage entre les déclarations parfois ambitieuses et la capacité d'agir de nos institutions. Nous voyons ainsi les efforts qu'il faudra encore déployer pour arriver au même niveau d'engagement que celui que nous proposons, voire que nous imposons, à nos concitoyens.

M. Vincent Capo-Canellas. - Ce rapport fournit beaucoup de pistes de réflexion et d'approfondissements que je souhaite saluer. Élaborer des solutions pour le Sénat n'est pas simple, car, d'une part, le bâti est ancien et, d'autre part, on connaît la part importante des déplacements dans les émissions de CO2.

Je ferai trois remarques. La première concerne les véhicules : la comparaison entre le Sénat et l'Assemblée nationale est délicate parce que cette dernière n'a pas internalisé tout son parc. La deuxième porte sur les suggestions concernant la restauration : nous allons tâcher de les suivre, mais je précise que les restaurants du Sénat font l'objet d'un contrat de concession de service public ; une nouvelle mise en concurrence doit intervenir prochainement. Enfin, je vous remercie d'avoir rappelé que le jardin du Luxembourg est géré par le Sénat, qui représente ainsi une contribution environnementale, qu'il faut saluer, pour Paris. J'en profite pour remercier nos jardiniers et aides-jardiniers.

M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur spécial - En effet, il existe parfois un décalage entre les textes que nous adoptons et les réalisations. Néanmoins, je constate du côté des pouvoirs publics une volonté partagée d'avancer.

Il y a bien une illusion d'optique concernant les véhicules, puisque le Sénat et l'Assemblée nationale n'ont pas le même mode de gestion. Cependant, le passage à l'hybridation prend de l'ampleur.

Pour ce qui concerne la restauration, il y aura bien sûr une mise en concurrence, mais je veux souligner aussi la nécessité de détecter de meilleures sources d'approvisionnement, notamment en Île-de-France, c'est-à-dire d'établir des contacts avec des représentants agricoles, des maraîchers en particulier, en les sensibilisant au principe de commande publique des pouvoirs publics, de sorte qu'ils y répondent directement au lieu de passer par le marché de Rungis.

Par ailleurs, l'ambition du Sénat « zéro plastique, zéro gaspillage, zéro déchet » se donne comme horizon 2026 et nécessite, par conséquent, d'importants efforts supplémentaires, notamment de la part des sénateurs, parfois réticents à l'idée d'utiliser les poubelles de tri disposées dans divers points du bâtiment. Il faut également sensibiliser le personnel.

Enfin, le jardin du Luxembourg est en effet la perle de Paris. Il est considéré comme le troisième parc le plus beau au monde par des structures qui évaluent les jardins publics. Cette pépite bénéficie d'une mobilisation remarquable de la part de notre personnel.

La commission adopte les observations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

Formation continue des enseignants - Contrôle budgétaire - Communication

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons à présent le rapport de M. Gérard Longuet, rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire », sur la formation continue des enseignants.

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - Pourquoi parler de formation continue des enseignants à la commission des finances plutôt qu'à la commission de la culture ? Parce que, dans le monde de l'enseignement, déplacer une virgule coûte 50 millions d'euros, un point-virgule 100 millions d'euros, sans parler du point final, tout à fait inaccessible... Cela nous oblige à entrer dans le détail de toutes les formes de dépenses.

En ce qui concerne le personnel, charge principale du ministère de l'éducation nationale, il faut rappeler, d'une part, que nos résultats scolaires ne sont pas satisfaisants au regard des comparaisons internationales et, d'autre part, que les recrutements sont de plus en plus difficiles ; je vous renvoie sur ce point aux travaux sur le niveau de salaire en Europe que je vous ai présentés l'année passée. La formation continue apparaît donc comme une solution pour améliorer la compétitivité, la performance ou, plus prosaïquement, le professionnalisme de nos enseignants.

Actuellement, la formation de ceux-ci se limite pour la plupart à deux années de formation initiale en master, après trois années de licence disciplinaire ; ces deux années ne peuvent constituer le seul support de la compétence professionnelle de nos enseignants.

La formation continue existe, mais elle ne fonctionne pas entièrement. Elle est massive, puisque plus de la moitié des enseignants du secondaire ou du primaire, soit près de 500 000 personnes, suivent, d'une manière ou d'une autre, une formation continue chaque année. Cela peut paraître de prime abord formidable, mais la durée moyenne de formation des enseignants s'élève à 1,2 jour par an, alors qu'elle est de 7,4 jours par an pour les autres fonctionnaires de l'État.

Par ailleurs, le budget dédié à la formation, initiale comme continue, est important - il s'élève à 1 milliard d'euros en loi de finances initiale -, mais il est rarement consommé à plus de 60 %. Ainsi, plus de 600 millions d'euros par an ne sont pas consommés. La sincérité du budget ne paraît donc pas totale... En outre, l'écart entre crédits votés et crédits consommés ne fait qu'augmenter d'année en année, et c'est d'autant plus étonnant que les formations proposées sont de plus en plus fréquemment décidées par le ministère. Surprenant aussi est le coût apparent que constituent les frais de déplacement, qui aurait pu être dissuasif mais qui, au bout du compte, ne représente que 25 millions d'euros, sur ce budget de 1 milliard d'euros.

Le coût principal est celui du remplacement des enseignants formés : la formation continue représente 18 % des absences des enseignants et environ un tiers des absences non remplacées. Cela pose un véritable problème. Or il n'existe pas de vivier d'enseignants pour remplacer ceux qui suivent une formation continue.

Il faut néanmoins distinguer l'enseignement primaire du secondaire. Le primaire prévoit statutairement dix-huit heures de formation professionnelle continue par an ; en général, 60 % de ces heures sont effectuées sur un temps de travail qui n'est pas un temps de présence devant les élèves.

Certes, certains enseignants se censurent par crainte de ne pas être remplacés, mais, de ce point de vue, les propositions du ministère sur la formule dite du « pacte enseignant » constitueraient, si elles étaient appliquées, un progrès : pour une rémunération de 1 250 euros, les adhérents au pacte pourraient effectuer dix-huit heures de remplacement annuelles.

Un deuxième problème concerne plus spécifiquement le contenu des formations : les enseignants considèrent que celles-ci ne sont pas appropriées à leurs besoins. Selon eux, une part trop importante de la formation relève en réalité davantage de l'information sur les priorités politiques du ministère que de leur métier à proprement parler.

Le Gouvernement agit-il ou non pour leur apporter des solutions ? La réponse est nuancée. Les efforts sont réels, mais ne permettent pas de rattraper le retard accumulé, notamment par rapport à nos voisins européens.

Au niveau des rectorats, la formation continue se structure par le biais des écoles académiques de la formation continue, qui doivent constituer des guichets uniques de la formation pour les enseignants. Toutefois, il n'est pas encore établi que ces écoles aient convaincu ces derniers de se mobiliser plus fortement en faveur de la formation continue.

À mes yeux, il y a donc deux idées simples pour comprendre les enjeux qui sont devant nous.

La formation continue permet à l'enseignant, du secondaire ou du primaire, d'échapper à la solitude inhérente à la situation du maître dans sa classe, tradition française qui fait de l'enseignement une profession libérale, dans laquelle chaque enseignant est maître de sa classe et de son enseignement. Au contraire, nous avons une demande de plus en plus forte, de la part des jeunes enseignants en particulier, de travailler en équipes et en réseau.

C'est pourquoi, à côté des écoles académiques placées aux côtés des recteurs, le succès des plans « Mathématiques » et « Français » doit attirer notre attention. Ces plans fonctionnent sur la base de petits groupes formés au niveau d'un établissement. Les enseignants y travaillent ensemble en échangeant sur leur métier, notamment à partir d'observations croisées sur la réalité de l'enseignement de ces deux matières.

Répondre au besoin de confiance en soi-même de l'enseignant est ainsi la première raison de soutenir la formation continue. L'enseignant aura d'autant plus confiance en lui-même qu'il verra, grâce au travail d'équipe, ce que font les autres, ce qui illustre la formule du Président Nicolas Sarkozy : « Quand je m'observe, je m'inquiète ; quand je me compare, je me rassure. »

La deuxième raison de soutenir la formation continue est d'offrir un véritable outil de gestion de ses ressources humaines au ministère de l'Éducation nationale. Premièrement, à ce jour, celui-ci n'est pas en mesure de gérer le patrimoine des formations acquises par ses enseignants ; ainsi, lorsque l'enseignant quitte une académie pour en rejoindre une autre, les informations concernant ses formations ou ses expériences ne l'accompagnent pas. Deuxièmement, les formations acquises, l'expertise consolidée dans telle ou telle discipline, telle ou telle spécialité de public scolaire difficile ne sont pas valorisées pour les choix de carrière. Dans l'Éducation nationale, au contraire, c'est la règle de l'ancienneté - dans les grades et dans les postes - qui prévaut. Troisièmement, il faudrait lier la formation continue aux universités, notamment afin de délivrer une formation diplômante ou certifiante, qui constitue une reconnaissance de leurs qualifications.

Enfin, la formation continue doit être offerte dans le cadre d'une certaine proximité, afin de mieux s'adapter aux besoins locaux. Aujourd'hui, les formations d'initiative locale constituent environ un quart des formations dispensées au niveau national. Il faudrait viser désormais un objectif de 40 %, non pas pour économiser des frais de transport ou d'hébergement, mais pour créer un climat de solidarité, d'échanges, de confiance mutuelle, au travers d'expériences comparées.

En conclusion, je veux souligner que la formation continue, plus que le facteur de l'ancienneté, doit avoir un impact sur la carrière de l'enseignant. À l'occasion d'un effort diffusé de formation continue, nous pourrions renforcer la personnalité des établissements et faire en sorte qu'ils soient reconnus pour la qualité des équipes qu'ils rassemblent et qu'ils mobilisent.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Un travail est-il fait, soit par l'Éducation nationale, soit par un organisme, pour apprécier la part des enseignants qui suivent des formations ? Je suis à peu près certain que ce sont toujours les meilleurs enseignants, qui sont à la recherche de performance et de méthodes nouvelles, qui suivent les formations. Par ailleurs, a-t-on étudié la relation entre les compétences de ces enseignants, toujours en quête de formation, et les résultats de leurs élèves aux différentes épreuves ?

M. Marc Laménie. - Je m'interroge tout d'abord sur le budget de 1 milliard d'euros et sur les crédits non consommés, qui s'élevaient à 650 millions d'euros en 2022. On dit souvent qu'il faudrait davantage de moyens pour l'Éducation nationale ; ces crédits sont-ils affectés à d'autres postes budgétaires ?

Par ailleurs, comment expliquer cette sous-consommation ? Les formations sont-elles dispensées loin du lieu d'exercice de l'enseignant ? Les rectorats et les inspections d'académie font-ils un bon travail de communication ?

M. Stéphane Sautarel. - Je partage le constat sur l'insuffisance du mélange entre les formations de l'Éducation nationale et celles qui sont dispensées par des opérateurs extérieurs. Notre rapporteur a-t-il, sur ce sujet, des préconisations, notamment sur des formations ouvertes sur d'autres environnements ou d'autres pédagogies ?

Par ailleurs, il y a beaucoup d'organismes de formation spécialisés sur telle administration ou telle collectivité, par exemple, le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) pour les collectivités territoriales. Ainsi, j'aimerais connaître le sentiment de notre rapporteur sur l'équilibre souhaitable entre les formations « métier », qui nécessitent sans doute des organismes spécialisés, et des formations plus ouvertes, qui gagneraient à mélanger les publics, ce qui pourrait favoriser un recrutement plus diversifié.

M. Vincent Delahaye. - Je m'étonne également du volume de crédits non consommés. Compte tenu de l'état de nos finances, ne pourrions-nous pas travailler à un amendement qui nous permettrait de récupérer les 650 millions d'euros non utilisés ? Ou bien cet excédent est-il déjà utilisé par ailleurs ?

En ce qui concerne le contenu des formations, qui ne semble pas adapté aux besoins des enseignants, ne faudrait-il pas le concentrer sur la gestion de groupe, la pédagogie et la discipline, relativement sous-estimés par ailleurs ?

M. Michel Canévet. - Comme Vincent Delahaye, je me demande si la formation initiale des enseignants fournit les outils concernant la discipline de classe. Je ne le pense pas, d'où l'intérêt de la formation continue.

Les actions massives que nous observons dans la formation continue consistent-elles à diffuser les évolutions pédagogiques à l'ensemble du corps professoral ou sont-elles conçues en fonction de chaque discipline concernée, de telle sorte que les enseignants approfondissent leurs connaissances de la matière ?

La répartition des crédits entre l'enseignement privé et l'enseignement public - 10 % pour l'un et 90 % pour l'autre - reflète-t-elle la part des deux enseignements dans le monde de l'éducation?

Au Sénat, la question de l'insertion professionnelle des élèves nous préoccupe. Les difficultés rencontrées dans ce domaine sont liées en partie au fait que les enseignants connaissent mal le tissu économique autour de leur établissement. La formation continue permet-elle aux enseignants de prendre conscience de l'importance de leur environnement économique, particulièrement pour les aider à orienter professionnellement leurs élèves vers des filières qui recrutent ?

M. Claude Raynal, président. - Cher collègue, vous demandez beaucoup à nos enseignants, vous exigez d'eux beaucoup de connaissances...

M. Michel Canévet. - Surtout du bon sens !

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial - Pour ce qui concerne la part des enseignants qui choisissent le contenu de la formation suivie, elle est minoritaire dans le premier degré, sans être négligeable, et nous avons de réelles lacunes en matière de suivi de l'impact de la formation sur les résultats des élèves. Il s'agit d'un axe de progrès. L'Éducation nationale ne connaît pas le patrimoine intellectuel et l'expérience que représentent ses 900 000 enseignants. Ainsi, elle consacre un centième de son budget à la formation continue sans savoir ce qu'il en ressort ; c'est d'ailleurs le cas de bien des entreprises, reconnaissons-le.

Le principal opérateur de formation continue dans l'Éducation nationale est Canopé, au travers des formations en ligne.

Les crédits non consommés sont généralement annulés dans le cadre du projet de loi de finances rectificative. Ainsi, l'argent n'est pas perdu pour l'État, mais il est perdu pour la formation de nos enseignants et donc, au bout du compte, pour la formation de nos jeunes. Dans ces conditions, pourquoi sont-ils inscrits au budget ? Dans la mesure où l'enseignant n'y trouve pas son compte en termes de carrière et où le ministère n'a pas une vision offensive de la mobilisation des talents de ses ressources humaines, les incitations à se former sont parfois faibles. Le climat est par conséquent différent de celui d'une entreprise privée, où la personne ayant suivi une formation cherche ensuite à en tirer un bénéfice, soit matériel, soit en termes de responsabilités.

Les formations les plus attractives sont celles qui sont les plus orientées vers la façon d'enseigner, dans les matières principales - mathématiques, français, langues étrangères. Je rappelle que ce qui rassemble les enseignants, c'est le besoin de partager du temps avec celles et ceux qui rencontrent les mêmes difficultés, sur la matière enseignée en elle-même pour le secondaire et sur la tenue de la classe et l'autorité pour le primaire, en particulier.

Les enseignants sont nombreux à exprimer leur déception concernant le contenu des formations proposées, qui relèvent plus de l'information sur l'administration que sur le métier en lui-même ; on n'y aborde ni la gestion de groupe, ni la sociodynamique, ni les comportements de discipline, comparables à ceux que l'on apprenait dans les cours de caserne pendant le service militaire, quand on voulait devenir caporal-chef, sergent ou maréchal des logis.

Monsieur Canévet, il existe bien des contacts entre les chambres de métiers, les chambres de commerce et les enseignants, notamment pour obtenir des stages pour les élèves, mais, pour répondre clairement sur l'insertion professionnelle, je confirme que ces contacts ne sont pas systématiques et que nous n'avons pas de vision globale sur le sujet.

Le rapport enseignement public-enseignement privé est mathématique et date de 1959 : il est de 80 %-20 %. C'est un système qu'il conviendrait un jour de remettre en cause, car les rentes de situation engendrent des effets pervers qui nuisent aux uns et aux autres. Toutefois, nous n'allons pas aujourd'hui ouvrir cette guerre civile...

Les évolutions pédagogiques disciplinaires, évoquées par M. Canévet, concernent en effet les jeunes qui sont plus souvent penchés sur des écrans que sur des livres. La formation de la génération « Petite poucette », pour reprendre l'expression de l'historien des sciences M. Michel Serres, implique de repenser l'apprentissage de la langue et de la lecture.

Parmi les recommandations contenues dans ce rapport, certaines sont très importantes : distinguer les financements liés à la formation initiale et à la formation continue, mettre fin à la sous-consommation des crédits, valoriser le suivi de la formation au cours de la carrière des enseignants en conditionnant l'accès à certains postes d'enseignement spécifique à la validation de formations et en accélérant l'avancée dans la carrière pour le suivi des formations diplômantes. Cette suggestion pourrait officiellement susciter une levée de boucliers de la part des organisations représentatives du personnel ; officieusement, toutefois, sachez qu'elles n'y sont pas opposées. Ce serait une révolution, que je laisserai à d'autres le soin de mener...

La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

La réunion est close à 16 h 15.

Mercredi 12 juillet 2023

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Délégation du bureau en Allemagne (Francfort, Berlin) du 25 au 28 avril 2023 - Compte rendu du déplacement

M. Claude Raynal, président. - Une délégation du Bureau de notre commission s'est rendue à Francfort et à Berlin à la fin du mois d'avril dernier. Elle était composée du rapporteur général Jean-François Husson, de Dominique de Legge, de Bernard Delcros, de Rémi Féraud et de moi-même.

Avant de vous exposer plus en détail les problématiques que nous avons abordées, vous me permettrez de commencer par un rapide résumé de notre déplacement et des personnes avec lesquelles nous avons pu échanger.

Nous nous sommes d'abord rendus à Francfort pour discuter du rôle des banques dans le verdissement de l'économie. Nous avons eu des entretiens à la Banque centrale européenne (BCE), notamment avec sa présidente Christine Lagarde, au siège de la KFW, l'équivalent allemand de Bpifrance, et au siège de la Deutsche Bank. Nous avons également pu rencontrer des représentants de la communauté d'affaires, ce que nous avons ensuite renouvelé à Berlin. Le lendemain, nous nous sommes rendus à Mayence, sur un site industriel confronté à d'importants défis de transition, l'entreprise Schott, que vous connaissez peut-être pour sa fabrication de verres de plaque à induction.

À Berlin, nous avons rencontré plusieurs interlocuteurs et échangé autour de deux grandes thématiques : la réforme du pacte de stabilité et de croissance (PSC) et le soutien aux entreprises compte tenu de la crise de l'énergie et des conséquences de l'Inflation Reduction Act (IRA) américain.

Le jour même de notre arrivée à Berlin, la Commission européenne a publié sa proposition de réforme du pacte de stabilité et de croissance. Nous avons ainsi pu discuter de ce projet avec nos différents interlocuteurs, alors que le sujet fait l'objet de négociations importantes, pour ne pas dire âpres, entre la France et l'Allemagne.

Durant les trois jours passés à Berlin, nous avons échangé avec l'un des plus proches conseillers du Chancelier allemand, le secrétaire d'État Jorg Kukies, des représentants de différents think tanks, les membres des deux commissions du Bundestag, dont les compétences correspondent aux nôtres, à savoir la commission des finances et la commission du budget. Notre visite s'est conclue par une rencontre avec M. Florian Toncar, secrétaire d'État parlementaire auprès du ministre fédéral des finances, M. Christian Lindner. Nous avons donc pu échanger avec l'un des représentants, au sein de la coalition allemande, de la ligne dure sur la réforme du pacte de stabilité.

Enfin, nos échanges avec les représentants de la fédération des industries allemandes, le BDI, et de la fédération des chambres de commerce et d'industrie, le DIHK, nous ont montré que les entreprises allemandes étaient, comme leurs homologues françaises, inquiètes de leur avenir.

Je souhaite d'abord revenir sur les échanges que nous avons eus à Francfort autour du financement de la transition écologique, en particulier avec la BCE et la KfW.

Les pouvoirs publics allemands semblent s'être fixé l'objectif de compenser le déficit de compétitivité que subissent les entreprises qui investissent dans leur transition.

À la BCE, nous avons eu deux présentations d'un grand intérêt, l'une générale sur cette institution et le changement climatique, et la seconde concernant les évolutions intervenues dans la politique d'achat d'actifs de la Banque centrale.

Nos interlocuteurs ont d'abord reconnu le besoin d'intégrer davantage la dimension climatique dans le cadre du mandat de la BCE. Cette intégration constitue un réel changement de paradigme dans la mesure où elle affecte durablement l'évolution des prix et des risques financiers.

En effet, nous le savons tous, le mandat principal de la BCE est de maintenir la stabilité des prix, les autres objectifs fixés par les traités étant subordonnés à cet objectif principal. Néanmoins, les évolutions climatiques affectent de façon massive les perspectives mondiales, et ce y compris du point de vue économique et financier. Il apparaît donc indispensable d'en tenir compte pour assurer la stabilité des prix à moyen et long termes. Sans modifier les traités ou revenir sur le mandat de la BCE, celle-ci peut déjà orienter une part importante de son action vers la lutte contre le réchauffement climatique.

Il nous a été très clairement expliqué que « les tests de résistance [des banques] à long terme indiquent que les pertes dues aux risques climatiques peuvent être importantes en l'absence de politiques climatiques ».

Si Mme Lagarde a indiqué qu'il revenait d'abord aux États membres de mener les actions nécessaires pour répondre aux objectifs climatiques, elle a également souligné que la Banque centrale doit intervenir à trois égards : d'abord, sur le plan de la production d'analyses économiques, via la modélisation du risque macroéconomique et la diffusion de connaissances sur les conséquences du réchauffement climatique sur l'économie ; ensuite, dans le cadre des règles prudentielles et des opérations de marché, les interventions de la BCE influant sur la disponibilité du crédit et l'accès aux financements. La Banque centrale peut donc utiliser ces leviers pour favoriser la décarbonation et pénaliser les activités non durables ou qui sont à l'origine du réchauffement climatique. Enfin, elle doit intervenir sur l'évaluation du risque dans le cadre de la supervision bancaire, qui peut être l'occasion de mieux intégrer le risque climatique.

Néanmoins, comme nos interlocuteurs l'ont aisément reconnu, la BCE est encore « dans une phase d'apprentissage et de développement des modèles ». Elle s'est ainsi fixé des lignes directrices, dans le cadre d'un agenda climatique, qui vise précisément à promouvoir la finance durable, à diffuser son expertise et à mieux gérer les risques financiers liés au réchauffement climatique. Elle a, par exemple, produit en décembre 2021 une étude sur les liens entre hausse des températures et inflation sur les produits alimentaires.

Pour reprendre l'expression de l'un de nos interlocuteurs, le changement de paradigme « devient mordant, puisque l'on commence à mettre de l'argent sur ce qui n'était auparavant que des principes ».

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La seconde présentation des représentants de la BCE visait à nous exposer les évolutions intervenues dans la politique d'achats d'actifs. En effet, la BCE est désormais engagée dans un plan de verdissement de son bilan, de façon toutefois graduelle compte tenu des limites de son mandat.

Depuis le début de la pandémie, le bilan de la BCE s'est accru de plus de 50 % et les actifs qu'elle détient sur des entreprises sont passés d'un peu plus de 180 milliards d'euros fin 2019 à près de 385 milliards d'euros fin 2022. Cette augmentation s'explique principalement par les différents programmes d'achats d'actifs intervenus en réponse à la pandémie - accélération de l'Asset Purchase Programme (AAP), et Pandemic Emergency Purchase Programme (PEPP).

S'il nous a bien été précisé que le volume des achats d'actifs était uniquement motivé par des considérations de politique monétaire, la BCE est passée, lors de ses achats sur le marché, d'une approche neutre reflétant la composition du marché, à une approche intégrant davantage la dimension environnementale, en majorant les achats d'actifs ayant un score climatique élevé et en diminuant la part relative des actifs ayant une note climatique faible.

Alors que le portefeuille obligataire auprès d'entreprises privées a augmenté de 114 % depuis 2019, les émissions de CO2 ont été moins dynamiques, n'augmentant « que » de 88 %. L'intensité carbone des achats d'actifs privés a ainsi diminué de 30 % entre 2018 et 2022. Cette évolution a tendance à s'accélérer depuis un an, avec un impact des nouvelles règles d'achats d'actifs conduisant à réduire l'intensité carbone des achats d'actifs de l'ordre de 65 %.

Pour conclure sur ce sujet, le bilan d'apparence très positif de l'action climatique de la BCE mérite d'être nuancé, dès lors que son portefeuille obligataire comporte encore des entreprises dont l'empreinte carbone est particulièrement importante et qui font porter un risque systémique sur la stabilité mondiale et, partant, sur la stabilité des prix.

Il est difficile de justifier que la BCE continue d'être l'un des financeurs des activités les plus polluantes. L'Union européenne est elle-même signataire de l'accord de Paris et le mandat de la BCE n'est pas un obstacle pour réorienter de façon beaucoup plus volontaire la composition du portefeuille.

Au-delà de ces aspects macro-économiques, notre déplacement à Francfort a aussi été l'occasion d'aborder les questions de décarbonation de façon plus concrète, en visitant le siège de l'entreprise Schott, une entreprise confrontée aux enjeux de transition des processus industriels.

En faisant évoluer ses lignes de production et en optimisant sa consommation, l'entreprise est parvenue à réduire de 60 % ses émissions depuis 2019.

De plus, alors que les fourneaux sont actuellement chauffés au gaz - ils doivent atteindre 1 700 degrés pour permettre la réalisation du verre ! -, l'entreprise conduit des expérimentations sur l'hydrogène. Les coûts sont néanmoins trop élevés à ce stade et les processus industriels ne sont pas encore suffisamment éprouvés pour basculer vers cette source d'énergie.

Cette expérience concrète pose dès lors la question de la rentabilité et de la compétitivité des entreprises qui s'engagent dans cette politique environnementale : les représentants de l'entreprise Schott ont été très clairs sur le fait que les surcoûts sont in fine portés par la chaîne de valeur. Par ailleurs, la poursuite de la transition écologique est conditionnée, pour certaines entreprises, à des coûts très substantiels : là où les premières marches de la transition ont déjà été franchies sans trop de difficultés, les suivantes s'avèrent beaucoup plus délicates, notamment lorsque survient une crise de l'énergie telle que nous venons de la connaître.

Pour limiter les conséquences de cette crise énergétique sur son tissu industriel, l'Allemagne a retenu le principe non pas d'un « amortisseur », mais d'un « frein » sur les prix, qui a même été qualifié de « bazooka ». Il devait permettre de lisser le coût de l'énergie, pour une dépense totale de 200 milliards d'euros d'après les estimations initiales du gouvernement allemand. Finalement, compte tenu des prix réellement constatés, seuls 30 milliards d'euros avaient été consommés au mois d'avril. Au regard du programme de stabilité allemand transmis à cette même période, l'intégralité des moyens alloués à ce dispositif, qui a vocation à soutenir les industries allemandes, devrait malgré tout être dépensée.

Il existe une réelle inquiétude outre-Rhin pour les industries. Le ralentissement de l'économie chinoise, les politiques économiques offensives et protectrices des États-Unis, les difficultés à recruter des emplois industriels et les lenteurs administratives sont autant d'arguments, repris par l'ensemble des interlocuteurs, pour justifier une peur du déclassement économique de l'Allemagne.

Il faut d'ailleurs relever que la question de la souveraineté économique est abordée différemment sur les deux rives du Rhin. Là où une partie du discours politique français tend à considérer que la souveraineté économique passe par la relocalisation d'activités stratégiques sur le territoire national, nos interlocuteurs estimaient plutôt qu'elle repose sur la diversification des approvisionnements, ce que l'Allemagne a appris à ses dépens au sujet du gaz russe. La question a notamment émergé au cours de nos échanges avec les membres de la Fondation Konrad-Adenauer.

Ainsi, alors que les prix de l'énergie étaient en forte hausse, le service économique de notre ambassade a relevé que l'exécutif allemand a multiplié les initiatives pour diversifier ses approvisionnements à l'international à court et moyen termes, avec des déplacements au Qatar, aux Émirats arabes unis, en Arabie saoudite, en Norvège, aux Pays-Bas, aux États-Unis, au Sénégal, en Afrique du Sud, ou encore au Canada.

Face à ces visions différentes, une forme d'incompréhension a pu naître face à certains choix de relocalisations d'activités en France. D'après nos voisins allemands, les relocalisations ne peuvent avoir de sens que si elles conduisent à l'installation d'activités économiques et industrielles réellement rentables. Dans le cas contraire, ces choix ne peuvent conduire à une réelle restauration de la souveraineté économique.

Le gouvernement allemand n'envisage pas moins un soutien massif à la localisation d'activités à haute valeur ajoutée, liées à l'innovation. L'exemple de BioNTech, qui a permis à lui seul de rembourser toutes les dettes de Mayence depuis la Seconde Guerre mondiale, semble inspirer la classe politique allemande.

Il s'agit ainsi, pour les pouvoirs publics allemands, de parier sur certains acteurs d'avenir, en soutenant, d'une part, massivement les industries visées par l'IRA et, d'autre part, en attirant les entreprises industrielles intervenant dans les secteurs d'avenir. Pour la seule installation de l'usine de batteries Northvolt, les pouvoirs publics sont prêts à débourser près de 1 milliard d'euros, sous réserve de la validation par la Commission européenne.

Alors que les États-Unis mettent en oeuvre une politique économique très offensive avec l'IRA, l'argumentaire des industriels allemands pour justifier une délocalisation est sans appel : « aux États-Unis, c'est très simple, l'industriel sait exactement ce qu'il va gagner avant de prendre sa décision d'implantation. En Europe, on ne connaît pas le cadre applicable et les subventions à l'avance. »

Les règles européennes de concurrence limitent les capacités d'action et de soutien des entreprises par les États membres. Si la Commission a bien mis en place un assouplissement temporaire du cadre des aides d'État en réponse à l'IRA, le soutien pouvant être accordé aux entreprises par la France et l'Allemagne demeure limité et ne peut en aucun cas être comparé à celui qui est offert par les États-Unis.

L'un des enjeux cruciaux mentionnés par nos interlocuteurs concernait la clause d'équivalence, qui est actuellement réservée aux régions les moins développées de l'Union européenne et qui leur permet d'aligner le soutien apporté à une entreprise sur celui qu'elle pourrait obtenir aux États-Unis. Les négociations étaient en cours lors de notre visite, et des décisions importantes de la Commission européenne sont attendues sur ce sujet.

Ces enjeux posent néanmoins une question majeure : jusqu'où faudra-t-il aller dans la course à la subvention ? Les États-Unis ont engagé une surenchère qui peut s'avérer dangereuse en intégrant aux décisions d'implantation des entreprises la recherche des subventions les plus élevées.

Faut-il, pour autant, refuser de subventionner massivement des entreprises intervenant dans les secteurs de la transition énergétique et numérique, au risque qu'elles s'installent aux États-Unis ou ailleurs qu'en Europe ? Telle est la question complexe à laquelle la Commission européenne va devoir apporter des réponses rapidement.

M. Claude Raynal, président. - Les interrogations sur la réponse européenne à l'IRA sont intrinsèquement liées, comme le rapporteur général l'a expliqué, à la mobilisation des finances publiques. Ces réflexions nous mènent donc naturellement à la question de la réforme du PSC.

Le cadre budgétaire européen doit être mis à jour. Ce n'est pas uniquement un enseignement à tirer de la crise de la covid : les règles européennes avaient montré leurs limites avant la pandémie et la Commission européenne avait d'ailleurs lancé dès le mois de février 2020 un débat sur le réexamen de ce cadre budgétaire. Ainsi, si la clause de sauvegarde du pacte de stabilité a été activée rapidement au début de la pandémie, se pose aujourd'hui la question de la sortie du cadre dérogatoire que la crise avait justifiée.

Un retour aux règles d'avant-crise n'est certainement pas souhaitable, et pourrait surtout être dangereux. La règle de réduction d'un vingtième par an de l'écart à 60 % du ratio de la dette publique sur le PIB conduirait ainsi la France à devoir dégager rapidement un excédent budgétaire annuel de plus de 70 milliards d'euros. Outre que nous en sommes loin, les effets économiques de l'application de cette règle pourraient être catastrophiques, si tant est qu'elle soit réaliste et applicable.

Comme le relève la Commission européenne elle-même, alors que le cadre actuel est « devenu plus complexe, [...] certains instruments et procédures n'ont pas résisté à l'épreuve du temps ».

De nos échanges, nous retenons une volonté forte de l'Allemagne de maintenir une contrainte chiffrée sur les budgets nationaux, en limitant les marges d'interprétation dont dispose la Commission dans le cadre des volets préventif et correctif du pacte.

Les différentes autorités politiques que nous avons rencontrées estiment en effet que les marges d'interprétation de la Commission ne peuvent que se retourner contre sa propre capacité d'action, là où un cadre clair avec de faibles marges d'interprétation la placerait en position de force à l'égard des États membres.

Les Allemands dressent un bilan sévère de la mise en oeuvre des règles du pacte. Si nos interlocuteurs avaient la conviction qu'il était dans l'intérêt de la Commission tout autant que des États membres d'avoir un texte précis et strict, il ressort de nos échanges que la position allemande est d'abord justifiée par un manque de confiance dans la Commission et dans sa capacité à tenir une ligne dure à l'égard des États les moins respectueux du pacte, y compris de la France.

En tout état de cause, les négociations européennes sont loin d'être terminées et il faudra tenir compte de la préoccupation allemande de disposer d'une référence numérique commune pour servir de repère pour les règles de désendettement.

Notre déplacement nous a également montré à quel point le sujet de la réforme du pacte de stabilité était dépendant de la politique intérieure allemande. Alors que le ministre des finances, Christian Lindner, est prêt à engager un capital politique important sur cette question, les autres membres de la coalition, à savoir le parti social-démocrate d'Allemagne (SPD) et les Verts, ne souhaitent pas s'engager aussi nettement. Le Chancelier étant, pour sa part, resté relativement discret sur le sujet, la position du SPD a pu paraître ambiguë.

Nous avons toutefois pu échanger avec l'un des plus proches conseillers d'Olaf Scholz, qui a insisté sur la nécessité de disposer de critères objectifs et a exprimé un manque de confiance dans la Commission européenne, qui se serait montrée très généreuse et compréhensive par le passé. La position du SPD à ce sujet apparaît néanmoins plus mesurée que celle de certains membres du parti libéral qui vont jusqu'à qualifier d'« inappropriée » l'interprétation du pacte de stabilité par la Commission.

À l'issue de ces échanges, la position de la France sur la question du pacte de stabilité me semble être plus raisonnable : les vingt-cinq dernières années ont bien montré que les règles chiffrées étaient inapplicables, alors même que les besoins d'investissement dans les transitions écologique et numérique justifient de disposer d'un cadre souple, qui permette de concilier limitation des déficits et préservation des capacités d'investissement des États membres.

Dans un entretien récent au quotidien espagnol El Pais, Lars Feld, un conseiller du ministre Lindner, décriait l'augmentation massive des dépenses publiques françaises, notamment pour financer « des investissements dans de nouvelles centrales », et déplorait dans le même temps que « l'Allemagne ne s'en sortira pas sans l'importation d'électricité nucléaire, notamment de la France ». Il nous reste à y trouver la cohérence.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La question de la sortie définitive du nucléaire allemand semble pourtant avoir posé assez peu de difficultés à nos interlocuteurs. Au moment de la décision de fermer les dernières centrales, le nucléaire ne représentait plus que 6 % de l'électricité produite.

L'Allemagne déploie aujourd'hui d'importants programmes de développement de sources d'électricité renouvelables, pour des montants très élevés. On peut néanmoins s'interroger sur la façon dont est pris en compte le caractère alternatif de ces ressources. En investissant massivement dans l'énergie solaire et dans l'éolien, quelles sont les sources d'énergie qui subsistent lorsqu'il n'y a ni vent ni soleil ? L'ajustement peut-il raisonnablement n'être assuré que par le charbon et le gaz ?

Même pour les fermes solaires en mer, le rendement n'est pas suffisant pour garantir l'approvisionnement d'un pays, de surcroît lorsqu'il s'agit de la première puissance industrielle d'Europe. Nous nous sommes rendus en Allemagne avec un certain nombre d'interrogations sur le sujet et nous ne sommes pas revenus avec des réponses claires. Il nous semble surtout que l'exécutif allemand est relativement empêtré dans les équations politiques complexes liées à la composition de sa coalition, et n'a ni le temps ni le recul nécessaire pour penser un modèle de production d'énergie réellement viable.

J'évoquerai en conclusion une dernière considération qui relève davantage d'une réelle inquiétude.

Le couple franco-allemand m'a paru bien fragile et à vrai dire assez éloigné l'un de l'autre. Inquiète pour son propre avenir, l'Allemagne cherche à limiter les marges budgétaires des autres États membres, tout en étant prête à investir massivement dans le soutien à son industrie et à sa transition écologique. C'est aussi dans cet objectif qu'elle justifie les revirements constatés ces derniers mois, par exemple sur la question de l'interdiction des véhicules thermiques.

Enfin, inquiète pour la sécurité de ses approvisionnements et pour sa souveraineté économique, l'Allemagne semble plus que jamais se projeter au-delà des frontières de l'Union européenne, laquelle a été évoquée, dans nos échanges, comme un fardeau plutôt que comme une véritable opportunité.

Nous sommes à un moment historique au regard de la consolidation de l'Union européenne. Espérons qu'il ne s'agisse là que d'inquiétudes.

M. Claude Raynal, président. - Bernard Delcros et Rémi Féraud, qui ont également participé à ce déplacement, souhaitent-ils ajouter quelques éléments de commentaire ?

M. Bernard Delcros. - Ce voyage fut très dense et intéressant. Une question est apparue dans toutes les discussions, quel que soit l'interlocuteur, acteur politique ou chef d'entreprise : celle de l'emploi. Il semble que tout le monde, en Allemagne, compte sur l'immigration pour répondre aux difficultés de recrutement.

M. Rémi Féraud. - J'ai été impressionné de constater l'ampleur de nos différences : qu'il s'agisse d'immigration, d'industrie, de déficit budgétaire, de transition écologique, le débat politique n'est pas du tout le même en Allemagne et en France. Nous avons besoin de davantage d'échanges franco-allemands, y compris d'échanges parlementaires, pour mieux comprendre la façon de raisonner de nos voisins, au-delà même des clivages politiques.

On est assez sévère avec la coalition au pouvoir en Allemagne. Il est aisé de pointer ses contradictions mais on pourrait relever la complexité de la situation politique française...

M. Sébastien Meurant. - Le taux de couverture de la consommation énergétique par l'éolien et le solaire est-il sensiblement le même en Allemagne qu'en France ? Qu'en est-il des déboires techniques de Siemens avec son parc éolien ?

M. Claude Raynal, président. - En matière d'énergie éolienne comme d'énergie solaire, on peut être certain d'une chose : l'Allemagne est largement au-dessus de la France.

M. Philippe Dominati. - Le scepticisme à l'égard de l'Europe est inquiétant ; nous avons intérêt à développer ce genre d'échanges franco-allemands.

La place financière de Francfort a-t-elle été évoquée, dans un contexte où l'on cherche, à Francfort comme à Amsterdam et à Paris, à restaurer la compétitivité des places financières d'Europe continentale ? Existe-t-il une politique spécifique de l'Allemagne à cet égard ?

Concernant la souveraineté et la relocalisation, j'ai été frappé de constater que le patron du groupe automobile Stellantis avait rencontré à une semaine d'intervalle le ministre des finances français puis le ministre des finances italien. Pour une même activité industrielle, existe-t-il, en France, en Italie, en Allemagne, des avantages et des inconvénients différents du point de vue des perspectives de relocalisation ?

M. Jérôme Bascher. - Les économistes disent souvent que l'économie allemande est une économie du XXe siècle. Ce sentiment est-il partagé en Allemagne ?

M. Claude Raynal, président. - Sur les avantages comparatifs qui sont respectivement ceux de la France, de l'Italie et de l'Allemagne du point de vue de la relocalisation industrielle, nous n'avons pas d'éléments de réponse. Le groupe Stellantis étant un groupe multinational - franco-italien, avec PSA et Fiat, mais aussi allemand, avec Opel, et américain, avec Chrysler -, je ne suis pas choqué que son président discute avec chaque pays concerné.

Nous n'avons pas évoqué la question des places financières, même à Francfort. Paris, en la matière, a bien réussi à profiter des suites du Brexit. Nous avons prudemment laissé de côté ce sujet, sachant qu'en ce domaine les envies de Francfort n'ont pas vraiment trouvé de traduction, si l'on excepte quelques niches de marché...

Avec les représentants de Deutsche Bank, nous avons abordé la question de l'intégration bancaire, à propos de laquelle l'Allemagne et la France ont deux visions totalement différentes. La Deutsche Bank est la seule banque systémique allemande, alors qu'en comparaison, les principales banques françaises sont de très grandes banques. Les Allemands sont plutôt partisans des banques régionales, mais ce modèle ne nous convainc pas : il nous paraît source de fragilités et, de surcroît, il bloque la possibilité d'une union bancaire européenne forte.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pour ce qui est du sujet de la relocalisation, il me semble que chaque pays l'appréhende au regard de son contexte national. En France, le débat porte plutôt sur la désindustrialisation au bénéfice de l'Asie ; en Allemagne, le sujet principal est celui de l'approvisionnement en énergie.

Le mix n'est pas le même dans les deux pays : en novembre 2022, en Allemagne, la part du charbon était de 51 %, celle de l'éolien de 14 %, celle de la biomasse de 10 %, celle du nucléaire de 8 %, celle du gaz de 7 %, celle du solaire de 3 %. Autrement dit, même en Allemagne, où le mix est plutôt plus équilibré qu'en France, on n'y est pas, tant s'en faut.

Sur l'économie allemande comme économie du XXe siècle, je ne suis pas convaincu. Le phénomène BioNTech, que la pandémie a mis sous les feux de la rampe, montre que les Allemands peuvent être très à l'aise avec l'innovation. La question est de savoir si et comment certaines grandes industries vont pouvoir se transformer en s'adaptant aux nouveaux besoins. Certaines activités relevant de l'économie d'hier vont certes disparaître, mais l'Allemagne a bel et bien la volonté de rester une puissance économique majeure dotée de capacités de production industrielle fortes.

On en parle peu en France, mais des éléments préoccupants font douter de la solidité du couple franco-allemand : chacun défend avant tout ses intérêts. Or les élections de l'année prochaine pourraient faire apparaître davantage encore de divergences. J'en prends un seul exemple, celui de la pénurie d'emplois : les Allemands considèrent qu'ils n'ont pas le choix, qu'il faudra recourir à l'immigration pour répondre aux besoins d'emploi. Ils l'assument : nous avons entendu ce discours partout où nous sommes allés, y compris à la Fondation Konrad-Adenauer. Prenons garde à ces ferments de fragilité.

M. Claude Raynal, président. - Notre visite a eu lieu dans une période marquée par l'apparition de crises majeures en Allemagne : une inflation forte, beaucoup plus qu'en France, dans un pays où la sensibilité à la question est historique ; une crise énergétique qui remet en cause le modèle allemand, entièrement bâti sur la relation avec la Russie ; une crise commerciale qui a trait aux relations de l'Allemagne avec la Chine, qui est l'un des principaux débouchés de l'économie allemande - pour la première fois, la Chine va exporter davantage de voitures qu'elle n'en importe.

On assiste donc à une conjonction de crises, tout cela formant un terreau peu propice à la bonne santé des relations intra-européennes. On peut noter avec un peu d'inquiétude, dans ce contexte, la réaction en quelque sorte hégémonique de l'Allemagne, quoique le mot soit un peu fort, avec l'émergence d'un discours comparable à celui qui prévaut en Chine, où l'on assume désormais la volonté de devenir la première puissance mondiale. L'équilibre entre la France et l'Allemagne - l'industrie à l'une, le diplomatique et le militaire à l'autre - est en train de basculer. On le voit dans les négociations européennes...

Reprendre le chemin de la discussion avec Berlin, largement abandonnée par les parlementaires, peut être utile : un peu de diplomatie parlementaire ne nuit pas dans les temps que nous connaissons.

Installation des agriculteurs - Contrôle budgétaire - Communication

M. Claude Raynal, président. - Le 12 avril dernier, nous avons procédé à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes sur l'installation des agriculteurs réalisée à la demande de notre commission en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). Le Premier président est venu lui-même présenter les conclusions de l'enquête, soulignant le manque d'attractivité global de professions agricoles pourtant essentielles et pointant certains freins dans les transmissions d'exploitations.

Comme l'usage le veut en pareille situation, nous n'avions pas procédé à une audition sous forme contradictoire avec les principaux organismes concernés : Chambres d'agriculture France, la Mutualité sociale agricole (MSA), le syndicat Jeunes agriculteurs, mais aussi la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA).

C'est pourquoi les rapporteurs spéciaux de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », Patrice Joly et Vincent Segouin, ont décidé de conduire, dans le prolongement de l'enquête, une série d'auditions qui leur a permis d'entendre les acteurs que je viens de citer, mais qui a aussi été l'occasion d'examiner des exemples étrangers.

Ils vont ainsi nous rendre compte de leurs travaux.

M. Vincent Segouin, rapporteur spécial. - Le 12 avril dernier, le Premier président de la Cour des comptes est venu présenter devant notre commission les conclusions de l'enquête que nous avions diligentée, dans le cadre du 2° de l'article 58 de la Lolf, sur la politique d'installation des agriculteurs et de transmission des exploitations.

A été mis en exergue le manque d'attractivité des professions agricoles, fil rouge de cette présentation. Sans dresser un tableau apocalyptique de la situation, entre les conditions de travail pas toujours enviables, une rémunération globalement insuffisante, des enjeux environnementaux de plus en plus prégnants, la concurrence de pays qui ne sont pas soumis aux mêmes normes que celles qui s'appliquent chez nous, mais dont paradoxalement nous importons les produits, c'est l'ensemble de la philosophie de notre politique agricole qui mériterait d'être repensée.

Toutefois, nous avions volontairement circonscrit l'enquête, en accord avec la Cour et compte tenu de la charge de travail importante que cela représentait déjà, aux seuls instruments de la politique d'installation et de transmission, tout en sachant que les thèmes que je viens de citer, indissociables de la question de l'attractivité, doivent également être pris en compte dans une optique de revalorisation globale des filières agricoles.

M. Patrice Joly, rapporteur spécial. - Dans le prolongement des travaux de la Cour, nous avons souhaité, avec Vincent Segouin, mener des auditions complémentaires en entendant les principaux acteurs chargés du suivi de l'installation des agriculteurs et en gardant toujours à l'esprit la même question : ces dispositifs favorisent-ils effectivement l'accès aux métiers agricoles et, ce faisant, contribuent-ils à restaurer, au moins partiellement, notre souveraineté alimentaire et permettent-ils de prendre en charge les nombreux défis qu'il nous faut relever ?

Force est de constater, à l'issue de tous les travaux conduits, que les résultats de ces dispositifs d'aide à l'installation ne sont pas à la hauteur des ambitions françaises. Nous en tirons deux grandes conclusions.

Il me revient de vous présenter la première de ces conclusions, qui est assez sévère, mais juste : les moyens consacrés à l'aide à l'installation sont considérables, mais totalement inadaptés aux caractéristiques du monde agricole. Tout se passe comme si nous avions admis une forme d'étanchéité entre l'évolution de la population agricole, le contexte économique et les critères d'attribution des aides à l'installation.

En effet - cela ne surprendra personne -, le secteur agricole s'est profondément transformé. Les travailleurs agricoles sont de moins en moins nombreux et de plus en plus âgés. En dix ans, la moyenne d'âge des agriculteurs a encore augmenté d'un an : un agriculteur français en exercice a aujourd'hui en moyenne 51,4 ans. De surcroît, les foyers où 100 % des personnes physiques en âge de travailler sont exploitants agricoles sont devenus une denrée rare. Bref, le déclin démographique de la population active agricole française se poursuit et les agriculteurs se mélangent davantage au reste de la population.

En parallèle, les professions agricoles sont de moins en moins féminisées : il y avait 41 % d'exploitantes en 1980, tous statuts confondus, contre 25 % aujourd'hui.

Pour exercer et même parfois pour survivre, les exploitants agricoles se sont également adaptés à un environnement économique complètement transformé : en fonction des situations locales, des formes d'entreprise agricole très variées se sont mises à cohabiter. Presque toutes les formes juridiques d'entreprise ont actuellement cours dans le domaine agricole : entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL), groupement agricole d'exploitation en commun (Gaec), société civile d'exploitation agricole (SCEA), groupement foncier agricole (GFA), société anonyme (SA), société par actions simplifiée (SAS), société à responsabilité limitée (SARL), etc.

En outre, le contexte hyperconcurrentiel et la recherche légitime d'un maintien du revenu, voire de son augmentation, conduisent à un agrandissement de la taille moyenne des exploitations. Grosso modo, l'exploitation moyenne est passée de 42 à 69 hectares en un peu plus de vingt ans.

Nous évoquons dans le rapport beaucoup d'autres manifestations de ces transformations ; je ne les développerai pas ici.

Pourtant, malgré la profondeur de ces transformations, les critères d'aide à l'installation, eux, restent inchangés.

D'une certaine manière, c'est logique, puisque les transformations en question ne sont pas le fruit d'une politique agricole homogène et réfléchie ; nous faisons donc comme si ces nouvelles réalités n'existaient pas.

En conséquence, un décalage s'accroît entre, d'une part, les objectifs agricoles affirmés et les politiques publiques sur lesquelles on les aligne fictivement - souveraineté alimentaire, agriculture durable, renforcement du « bio », diversification des cultures, et j'en passe -, et, d'autre part, une réalité malheureusement de plus en plus prégnante : absence de solution concrète pour réduire les besoins en eau ; disparition des haies et des bocages, pourtant sources de biodiversité, du fait de l'extension de la taille des exploitations ; hausse des importations alimentaires ; concentration des activités sur certaines filières ; recul du bio, trop coûteux pour les consommateurs en période d'inflation - et je pourrais continuer cette liste...

Ce décalage nous conduit à dire que la France ne parvient pas à suivre le cap agricole qu'elle a fixé pour elle-même. Si nous étions dans une optique de communication, nous irions même jusqu'à dire, Vincent Segouin et moi-même, qu'il n'existe pas de politique agricole française, à l'exception, bien sûr, de la course aux fonds européens. Si ce diagnostic est sévère, il nous paraît conforme à la réalité.

Paradoxalement, c'est le moment choisi pour revoir notre gouvernance agricole : quand un problème devient trop prégnant au niveau national, l'État se remémore qu'il est temps de faire appel à l'intelligence des territoires.

Depuis le 1er janvier dernier, les régions assurent l'attribution des fonds européens d'aide à l'installation agricole. Dans cet univers plus que mouvant, nous ne maîtrisons pas suffisamment le pilotage des aides à l'installation, alors même qu'objectivement les montants alloués, près de 400 millions d'euros par an, devraient permettre de faire mieux.

Si l'on schématise, il existe deux grands types d'aides à l'installation agricole en France : d'une part, ce que l'on appelle le programme d'accompagnement à l'installation et la transmission en agriculture (AITA), destiné à tous les candidats sans critère d'âge, et, d'autre part, les aides directes ou indirectes, majoritairement ciblées sur les moins de 40 ans.

L'AITA, à lui seul, comporte six volets et regroupe dix-huit dispositifs. Sans les détailler, nous tenons à faire passer un message : le pilotage de ces dispositifs relève d'acteurs variés, qui sont désignés après mise en concurrence : chambres d'agriculture, MSA, associations, organisations syndicales. Il peut donc arriver, sur un même territoire, qu'un acteur gère par exemple les « points accueil installation », tandis qu'un autre est compétent en matière de « préparation à l'installation », alors qu'il s'agit pourtant de maillons d'une même chaîne. Dès que la coordination entre ces différents organismes fléchit, la politique d'installation en pâtit.

Voilà donc pour le diagnostic.

M. Vincent Segouin, rapporteur spécial. - Après cette série de constats atrabilaires qu'a parfaitement exposés Patrice Joly, il me revient de vous présenter notre seconde grande conclusion : nous devons avoir le courage de mettre les dispositifs d'aide à l'installation au service d'orientations agricoles définies.

Concrètement, nous appelons à sortir de la logique de « guichet » qui prévaut pour la plupart des aides à l'installation, car elle est propice à un saupoudrage des aides qui ne permet pas de mesurer leur performance.

Nous pensons que les aides à l'installation et à la transmission des exploitations doivent devenir un outil au service d'objectifs agricoles assumés au niveau national, en même temps qu'il faut faire confiance aux territoires pour appuyer ensuite cette politique.

Il sera difficile, j'en conviens, de se mettre d'accord sur ce que doivent être ces objectifs agricoles ; mais je pense que nous pouvons être nombreux ici à partager l'idée que les aides à l'installation, au lieu d'être une fin en soi, doivent être réintégrées à une palette d'outils mis au service de la politique agricole. Cela suppose en particulier de forcer un peu notre nature en consentant à mesurer la performance des outils d'aide à l'installation.

Nous avons posé une série de questions récurrentes aux personnes auditionnées.

Quelle proportion des aides est perçue par simple effet d'aubaine ? Quelle proportion des nouveaux installés aurait renoncé sans les dispositifs d'aide ? Quel impact la réorientation des dispositifs d'aide a-t-elle sur le nombre de nouvelles installations ?

Aucun de nos interlocuteurs n'a véritablement été en mesure de nous répondre. Voilà qui n'est pas vraiment surprenant, pour ce qui est du ministère en tout cas : le seul critère d'évaluation est de savoir si les aides sont versées dans les délais. Autrement dit, si 100 % des aides sont versées dans les délais, notre politique d'aide à l'installation est 100 % efficace ! C'est évidemment absurde : on n'évalue pas le flux de ceux qui quittent en cours de route le processus d'aide à l'installation ; on n'évalue pas le taux d'accès aux dispositifs de ceux qui, tout en remplissant les critères, y renoncent pour diverses raisons ; on n'évalue pas la qualité de l'accompagnement de ceux qui cessent leur activité agricole.

Vous l'avez compris, nous considérons que ces critères doivent à tout le moins être pris en compte, évalués et faire l'objet d'une comparaison entre collectivités. J'en veux pour preuve que les régions qui ont débuté ce travail obtiennent des résultats : la chambre d'agriculture des Hauts-de-France fait, par exemple, état d'un taux de retour du formulaire qu'elle adresse, quelques années avant un départ à la retraite, d'environ 70 %, soit trois fois plus que dans d'autres régions, grâce à un suivi personnalisé des agriculteurs dont la cessation d'activité approche, mais aussi parce qu'elle ne se contente pas d'échanges écrits, impersonnels et purement administratifs.

Nous en arrivons au coeur et au terme du sujet et de nos préconisations. L'inefficience des aides est davantage liée à leur ciblage qu'à leur montant. Nous préconisons de nous pencher sur les critères d'attribution des aides, qui doivent être alignés sur des objectifs assignés à l'agriculture, et non plus sur des caractéristiques devenues obsolètes qui font fi des transformations du monde agricole. Nous ne pouvons que lancer quelque pistes, car ce travail suppose à la fois de connaître région par région les besoins - ce n'est pas le cas aujourd'hui -, mais aussi de nous mettre véritablement d'accord sur des objectifs agricoles nationaux, ce que le plan stratégique national (PSN) est loin d'avoir fait. Il devient, par exemple, injustifiable de faire de la limite d'âge de 40 ans le critère pivot des attributions d'aides alors qu'aujourd'hui 92 % des aides à l'installation sont fléchées vers les moins de 40 ans. Nous sommes par ailleurs sensibles à l'hypothèse émise par certains auditionnés d'élargir les critères d'attribution pris en compte. Le fait de réduire la compétence aux seuls diplômes, comme c'est le cas actuellement, ne fait ainsi pas forcément sens dans le secteur agricole.

Cette situation nous aurait laissé un goût amer si nous en étions restés là, mais nous avons choisi de regarder ce que font nos voisins. Nous avons donc sollicité des services du Sénat une étude de législation comparée. Elle figurera dans le rapport, et je vous invite à en prendre connaissance, tant la comparaison avec l'Allemagne et l'Espagne nous a semblé inspirante.

Cette comparaison visait, d'une part, la nature et l'étendue des dispositifs d'aide à l'installation des agriculteurs chez nos voisins, d'autre part, le rôle des collectivités en la matière, au sein de modèles de différentiation territoriale plus aboutis en raison de la forme d'organisation de l'État.

Il en ressort que certains Länder et certaines communautés autonomes espagnoles, malgré des facteurs exogènes parfois plus défavorables encore qu'en France, parviennent à attirer de nouveaux agriculteurs et contribuent, depuis peu, à une redynamisation de filières, au prix d'un volontarisme politique plus affirmé, d'actions novatrices et d'une bonne coordination avec l'échelon national. À ce prix, la France parviendra peut-être à faire de dispositifs remaniés un outil au service d'une politique agricole qui doit garder à l'esprit son objectif premier : redonner à notre pays un peu de sa souveraineté alimentaire et ne plus se contenter de « boucher les trous » au gré des départs à la retraite.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Quel lien pensez-vous qu'il faille établir entre les aides à l'installation et les orientations nationales de la politique agricole commune (PAC) ? Il se peut que la réponse s'avère complexe, car il faudrait s'enquérir des objectifs de la politique agricole française, de ses points forts et de ses points faibles, voir où placer les priorités et croiser ces constats avec les dispositifs d'aide existants.

Que plus de 90 % des aides bénéficient aux moins de 40 ans ne me paraît pas nécessairement anormal ni incohérent. Il faut disposer du temps nécessaire au remboursement des aides financières et il reste permis de penser qu'un agriculteur qui s'installe à un âge plus avancé, par exemple après 50 ans, aura moins besoin d'aides. Le chantier n'en reste pas moins important. Dans vos rencontres avec vos différents interlocuteurs, avez-vous perçu une ouverture sur la question ? Avez-vous par ailleurs abordé le problème qui me semble majeur de l'accès au foncier par les candidats à l'installation ?

M. Antoine Lefèvre. - Je remercie les rapporteurs spéciaux d'avoir été attentifs à la situation du département de l'Aisne, qu'on qualifie souvent de petite France parce qu'il regroupe à lui seul l'ensemble des productions agricoles nationales et qu'il donne ainsi une image fidèle de l'état de l'agriculture dans notre pays. Cette situation apparaît plutôt préoccupante. Évoquer l'installation des agriculteurs revient à évoquer l'avenir de notre agriculture. Vous faites à juste titre le lien entre notre capacité à anticiper le renouvellement de la main-d'oeuvre agricole et notre souveraineté alimentaire. Il me semblait qu'une stratégie nationale pour l'alimentation devait être définie. Disposez-vous d'informations à ce sujet ? Cette stratégie est-elle toujours d'actualité ?

M. Michel Canévet. - Le sujet de l'installation des agriculteurs est crucial en ce qu'il induit une question d'aménagement du territoire. Si, en matière de transmission, les chambres d'agriculture demeurent dans les territoires, au travers de leur mission de service public, les interlocutrices classiques, elles n'empêchent pas l'intervention d'autres acteurs, notamment associatifs, qui, telle l'association Eloi, proposent un accompagnement plus fin de certains projets ciblés. De fait, différents types d'agriculteurs s'installent.

D'une part, nous constatons qu'un nombre croissant d'installations ont trait à de petites structures et à de petites surfaces, de type maraîchage ou productions végétales spécifiques, qui visent des marchés de niche. Leurs besoins en capitalisation restent modérés à l'échelle du secteur agroalimentaire. D'autre part, la concentration des exploitations agricoles, en particulier celles qui se consacrent à l'élevage, leur a souvent permis de résister. Avec elle se pose la problématique d'un niveau de capitalisation bien plus significatif. Comment y répondre ? Vous semble-t-il logique que des aides de même niveau intéressent des situations et des niveaux de capitalisation totalement différents ? Sans doute devrons-nous évoluer sur ce terrain.

Par ailleurs, l'intelligence artificielle (IA) est-elle susceptible d'apporter des réponses aux besoins en main-d'oeuvre agricole des exploitations ?

M. Marc Laménie. - Votre travail d'investigation montre que le sujet de l'installation des agriculteurs dépasse les seuls aspects financiers, pour confiner à l'analyse sociologique du monde agricole. La démographie y connaît en particulier une baisse continue depuis de nombreuses années. Au-delà des constats, comment attirer davantage de jeunes vers l'agriculture ? Comment susciter des vocations et mieux intégrer l'enseignement agricole et les problématiques de diversification des productions ?

M. Thierry Cozic. - De jeunes agriculteurs ne sollicitent pas les aides, non pas faute d'accompagnement, mais par abandon des procédures. À cet égard, vos recommandations m'apparaissent pertinentes.

Connaît-on aujourd'hui le taux de jeunes agriculteurs qui s'installent et qui sollicitent la dotation à laquelle ils peuvent prétendre ? Avez-vous pu estimer dans quelle mesure vos recommandations seraient susceptibles d'influer sur cette proportion ?

M. Patrice Joly, rapporteur spécial. - Vos questions montrent combien le sujet est large et dépasse par ses enjeux les seules aides à l'installation sur lesquelles nous nous sommes focalisés. S'il ne faut pas négliger les difficultés du métier d'agriculteur, en changer les représentations, en mettant en avant des aspects positifs comme l'autonomie, l'indépendance ou le sens qu'il apporte, contribue à le revaloriser.

En ce qui concerne les liens entre les aides à l'installation et la PAC, on ne peut qu'insister sur les contradictions qui se font jour entre les objectifs affichés - en particulier ceux de la souveraineté alimentaire, d'une agriculture durable, du renforcement du bio, de la diversification des cultures et de la protection de la biodiversité - et la réalité du développement de l'activité agricole. Celle-ci est marquée par la quasi-absence de solutions concrètes quant à la diversification des productions et leurs modalités, pour réduire les besoins en eau, répondre à la disparition des haies et des bocages. En matière de protection de la biodiversité, une approche plus locale que l'approche régionale qui prévaut actuellement serait certainement mieux adaptée. Mais si la société est capable d'estimer la valorisation de la biodiversité d'un point de vue financier, l'exploitant agricole n'en retire pas nécessairement une contrepartie.

Par ailleurs, on relève une augmentation de la taille des exploitations quand, dans le même temps, et jusque dans le code rural, on affirme la priorité d'une agriculture familiale et paysanne. L'intensification des importations alimentaires conduit aussi à s'interroger sur les aspects de souveraineté.

Sur la pertinence du maintien d'un critère de limite d'âge pour l'octroi des aides à l'installation, il est intéressant de relever que l'Espagne s'est affranchie d'une telle restriction. Des aides y concernent toujours les jeunes agriculteurs, mais d'autres bénéficient aux nouveaux agriculteurs, sans critère d'âge. Ce choix est un moyen d'étendre le champ des entrants dans l'agriculture à l'heure même où l'on allonge la durée de la vie professionnelle et où les organismes de formation - centres de formation d'apprentis (CFA) ou lycées professionnels agricoles (LPA) - voient toujours plus de personnes en reconversion professionnelle en rejoindre les formations. À 45 ans, on peut faire face à des investissements, étant rappelé que de nouvelles niches d'activité ne sont pas excessivement exigeantes en matière d'apport en capital, avec des durées d'amortissement des prêts à 5, 7 ou 10 ans.

La question foncière représente un sujet à part entière.

Pour sa part, la stratégie nationale pour l'alimentation n'a toujours pas été adoptée. Aucune échéance précise ne lui a non plus été associée.

M. Vincent Segouin, rapporteur spécial. - Avant de distribuer les aides financières, il conviendrait de déterminer le cap à suivre à l'échelle nationale tant en matière de production agricole qu'en matière d'emploi. Pour y parvenir, nous pouvons nous appuyer sur les constats dressés lors de l'examen récemment de la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la Ferme France. Le projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles que nous examinerons à la rentrée reprendra ce travail. Aujourd'hui, les régions répartissent les budgets existants avec pour unique objectif de les consommer intégralement, c'est-à-dire sans analyse préalable des évolutions à l'oeuvre.

On dit communément qu'une même personne changera deux ou trois fois d'orientation professionnelle dans sa vie. La remarque vaut aussi pour les exploitants agricoles, particulièrement dans le secteur du maraîchage. Je pense qu'il faut absolument qu'à l'instar de l'Espagne nous cessions d'appliquer un critère d'âge dans l'attribution des aides, afin de nous ouvrir à de nouveaux candidats à l'installation.

Nous restons en France très attachés à la ferme de type familial, avec un foncier encore relativement limité du point de vue du coût. Si, dans les pays voisins, le prix de l'hectare peut atteindre 30 000 ou 40 000 euros, et jusqu'à 55 000 euros aux Pays-Bas, il n'excède pas 10 000 euros en France et se situe en moyenne autour de 6 000 euros. Cependant, même dans le modèle de la ferme familiale, le foncier suppose de mobiliser des capitaux que le produit du travail ne permet pas toujours de rembourser à l'échéance. Des systèmes de sociétés de capitaux qui investissent dans le foncier agricole se mettent alors en place.

Bien que les chambres d'agriculture restent le guichet principal auquel les agriculteurs s'adressent quand ils s'installent, les acteurs en présence s'avèrent nombreux. Nous relevons que des associations de jeunes agriculteurs gèrent ainsi parfois l'attribution de la dotation jeunes agriculteurs (DJA). Il nous semble qu'un syndicat de jeunes agriculteurs, dont le rôle consiste avant tout à définir une politique, ne devrait pas en principe s'en occuper.

Assurément, le montant des aides demeure trop faible, avec une moyenne de 38 000 euros environ, voire inadéquat, dans un contexte de concentration des exploitations, de mobilisation de capitaux toujours plus importants, ainsi qu'à l'égard du type de transmission des exploitations sous forme de parts sociales.

M. Patrice Joly, rapporteur spécial. - Paradoxalement, les organisations d'exploitants que nous avons entendues ne remettaient pas nécessairement en cause le montant des aides à l'installation et nous n'avons pas relevé une demande forte en faveur de leur augmentation.

M. Vincent Segouin, rapporteur spécial. - Quant à l'intelligence artificielle, il ne s'agit pas d'en ignorer les développements. Remplacera-t-elle pour autant notre modèle d'agriculture ? Il nous faut en suivre et contrôler les évolutions, avec pour préoccupation centrale qu'elle serve toujours la dimension humaine de l'activité.

L'orientation de la formation en matière agricole est un sujet qui nous préoccupe. À ce titre, nos collègues de la commission de la culture ont examiné un rapport d'information relatif à l'enseignement agricole et à son devenir. L'objectif consiste à susciter des vocations.

Enfin, je précise qu'un tiers des agriculteurs qui s'installent bénéficient de la DJA ; un deuxième tiers ne l'obtient pas, principalement parce que les agriculteurs concernés n'effectuent pas les démarches ; un dernier tiers ne peut y prétendre en raison du dépassement de la limite d'âge de 40 ans.

M. Patrice Joly, rapporteur spécial. - L'intelligence artificielle ne remplacera jamais l'intelligence relationnelle et émotionnelle, surtout chez les agriculteurs, toujours en proie au risque d'isolement. Cependant, elle est appelée à prendre toute sa part à l'essor de la mécanisation et de la robotisation qui deviennent indispensables au regard de l'accroissement des surfaces agricoles et, par conséquent, du volume d'activité des exploitations. Les précisions auxquelles elle donne accès leur permettent aussi de réduire leurs charges.

Par ailleurs, j'ajoute qu'un des critères d'octroi de la DJA tient au modèle économique de l'exploitation qui doit permettre d'en assurer la viabilité. Or un tel modèle répondant à une logique économique s'appuie sur des investissements souvent jugés trop importants par les preneurs. Ils y renoncent au profit d'approches plus modestes de leur activité. Ainsi, non sans paradoxe, un critère destiné à garantir aux exploitants qui s'installent un niveau de revenu en rapport avec la nature de leur activité, constitue en définitive un frein. C'est d'autant plus vrai au regard des nouvelles modalités de vie et du rapport au travail de certains exploitants.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie. Ces éléments complémentaires seront intégrés au rapport d'information dont notre commission a déjà autorisé la publication le 12 avril dernier.

Il en est ainsi décidé.

Fonds de garantie de Bpifrance - Contrôle budgétaire - Communication

M. Claude Raynal, président. - Nous entendons maintenant le rapport de M. Thierry Cozic et de Mme Frédérique Espagnac, rapporteurs spéciaux de la mission « Économie », sur les fonds de garantie de Bpifrance.

M. Thierry Cozic, rapporteur spécial. - Chaque année, lors de l'examen des crédits de la mission « Économie » à l'occasion du projet de loi de finances, le sujet des fonds de garantie de Bpifrance attire notre attention. En effet, derrière son aspect technique, ce sujet revêt en réalité des enjeux économiques et budgétaires significatifs. Il nous est donc apparu pertinent de lui consacrer notre contrôle cette année. Je note d'ailleurs que les sujets de garantie irriguent nos travaux puisque notre collègue Jérôme Bascher a récemment présenté un rapport d'information sur les prêts garantis par l'État (PGE), sujet que nous n'avons, en toute logique, pas traité.

Comme vous le savez, Bpifrance constitue un groupe bancaire public, détenu à plus de 98 %, et à parts égales, par l'État - via l'établissement public industriel et commercial (Épic) Bpifrance - et la Caisse des dépôts et consignations (CDC). La mission centrale de Bpifrance consiste à apporter des financements ou à favoriser l'apport de financements aux entreprises, principalement aux très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME), dans leurs phases de vie les plus risquées. Dans ce cadre, les activités de Bpifrance regroupent six « métiers » à destination des entreprises : le financement, c'est-à-dire les prêts, le soutien à l'innovation, l'investissement, le développement international, l'accompagnement et, enfin, la garantie sur les prêts.

Dans son activité de garantie, Bpifrance assure la couverture financière de deux catégories de prêts aux entreprises.

En premier lieu, Bpifrance et ses prédécesseurs proposent depuis longtemps différents types de garanties pouvant s'appliquer aux prêts octroyés par les banques commerciales aux TPE et PME. Les diverses garanties proposées concernent notamment les prêts adossés à des investissements effectués à l'occasion de la création de l'entreprise, de sa transmission, de son développement, ou encore de son internationalisation.

La garantie accordée par Bpifrance concerne la banque, non l'entreprise. Elle s'applique à une partie seulement du prêt, appelée « quotité », jamais à la totalité, et ce pour continuer à faire porter un risque à la banque. La garantie est mise en jeu lorsque l'entreprise n'est pas en mesure de rembourser son prêt. Dans ce cas, Bpifrance compense la perte finale de la banque, dans la limite de la quotité garantie du prêt.

La demande d'octroi d'une garantie de Bpifrance relève de la décision de la banque, qui arbitre entre son coût, à savoir la prime de garantie versée à Bpifrance, et ses avantages, c'est-à-dire la couverture d'une partie du risque de perte. Concrètement, une banque, à qui une entreprise soumet une demande de financement, évalue le risque associé. Si ce dernier est faible, elle octroiera le prêt. Si le risque est trop fort, elle n'accordera pas le prêt. Les garanties visent les situations intermédiaires, à savoir les demandes de financement risquées mais a priori raisonnables des entreprises. L'objet des garanties est finalement de favoriser l'octroi de prêts bancaires aux entreprises qui se trouvent « au bord du financement », en sécurisant la banque.

Le deuxième type de prêts pouvant être couverts par les garanties de Bpifrance correspond aux concours improprement dénommés « prêts sans garantie » (PSG). Ces prêts sont en réalité des prêts sans sûreté prise sur l'entreprise ou le dirigeant. Ils sont octroyés directement par Bpifrance aux TPE et PME, mais également aux entreprises de taille intermédiaire (ETI), pour des investissements relatifs à des dépenses immatérielles ou à des dépenses matérielles à faible valeur de gage et donc peu susceptibles d'être financés par des prêts bancaires. Si ces prêts relèvent du métier de financement de Bpifrance, celle-ci déploie également des garanties sur les PSG accordés. En résumé, en tant que « garant », Bpifrance garantit Bpifrance en tant que « préteur », dans la limite de la quotité prévue.

Mme Frédérique Espagnac, rapporteure spéciale. - Les différentes garanties octroyées par Bpifrance sont assises financièrement sur des fonds de garantie. Ces derniers peuvent être définis, d'un point de vue technique, comme des unités comptables cloisonnées dotées de dépôts ayant vocation à couvrir les risques financiers générés par l'activité d'octroi de garanties par Bpifrance. Divisés en compartiments, ils correspondent aux différentes garanties offertes par Bpifrance ; le fonds « création » correspond ainsi à la garantie « création d'entreprise ».

Les fonds de garantie et leurs compartiments peuvent être divisés en quatre catégories : 40 fonds dits « de place », qui couvrent les prêts bancaires classiques aux entreprises ; 40 fonds de garantie dits « internes », qui couvrent Bpifrance dans son activité d'octroi des PSG ; 25 fonds de garantie régionaux, financés principalement par les régions, qui couvrent des prêts bancaires et des PSG ; enfin, une dizaine de fonds de garantie financés soit par l'Union européenne, soit par des acteurs privés.

Chaque fonds a des règles d'éligibilité spécifiques qui correspondent à celles qui sont fixées pour la garantie correspondante, à savoir l'âge minimal des entreprises emprunteuses, l'objet et la durée des financements, le coût de la prime de garantie, la quotité garantie.

La procédure de demande d'octroi des garanties est instruite par Bpifrance pour les prêts supérieurs à 200 000 euros, dans le cadre de la procédure dite de « notification ». En dessous de ce seuil, c'est la banque sollicitant la garantie qui vérifie elle-même que les conditions d'octroi sont réunies, dans le cadre de la procédure dite de « délégation ». Ce seuil a déjà été relevé à plusieurs reprises, produisant des retombées économiques positives. Après analyse et discussion à l'occasion des auditions, nous préconisons de le relever de nouveau, de façon modérée.

En ce qui concerne les ressources, les fonds de garantie sont dotés financièrement par les acteurs qui ont voulu contribuer au fonctionnement d'une ou plusieurs garanties. Il s'agit de l'État à environ 90 %, de la CDC à environ 5 %, des collectivités territoriales à environ 4 % et, enfin, marginalement des organismes européens et privés.

Les sommes déposées sur les fonds de garantie appartiennent à ces acteurs, Bpifrance n'en assurant que la gestion. Sur un exercice annuel, le résultat d'un fonds de garantie dépend du rapport entre ses recettes, à savoir principalement les primes de garantie versées par les banques, et ses dépenses, à savoir le remboursement de la perte finale des banques prêteuses ou de Bpifrance sur les prêts qui ne sont pas remboursés par les entreprises. Lorsque le résultat annuel est négatif, le fonds de garantie est ponctionné d'autant.

Les fonds de garantie gérés par Bpifrance sont globalement déficitaires chaque année. Cette situation ne reflète pas des écueils du dispositif, mais traduit la finalité même du système : l'offre de garanties a vocation à inciter la banque à octroyer des prêts relativement risqués, bien que raisonnables. Or de tels prêts connaissent par nature une sinistralité plus élevée, ce qui entraîne des dépenses pour les fonds de garantie. En outre, côté recettes, la prime de garantie ne peut pas être fixée à un niveau trop élevé ; à défaut, la garantie serait peu sollicitée et les prêts correspondants ne seraient pas accordés.

Le système des fonds de garantie gérés par Bpifrance constitue donc de facto une politique publique de soutien indirect au financement des entreprises, même s'il n'est pas entièrement assumé comme tel. Le coût de cette politique est représenté par les dotations publiques annuelles qui ont vocation à être consommées.

D'un point de vue économique, la force du système des fonds de garantie repose sur son effet de levier sur les financements effectivement octroyés aux entreprises. En effet, la grande majorité des prêts bénéficiant d'une garantie étant remboursés, il est possible d'octroyer un montant cumulé de garanties bien supérieur au montant immobilisé dans les fonds de garantie correspondants. Cet effet de levier se matérialise par l'application d'un coefficient multiplicateur spécifique à chaque fonds. Ce coefficient correspond au montant cumulé de l'exposition en garanties pouvant être octroyées pour 1 euro de dotation déposé sur le fonds de garantie. L'effet de levier est accentué par le fait que la garantie ne portant que sur une partie du prêt, le prêt effectivement octroyé est d'un montant lui-même supérieur au montant de la garantie. Lorsque le coefficient multiplicateur est de 20 et la quotité garantie du prêt de 50 %, 1 euro de dotation d'un fonds de garantie crée une capacité de prêt par la banque de 40 euros. Dans les faits, le coefficient multiplicateur moyen des fonds de garantie financés par l'État est d'environ 30 en 2023.

Nous constatons que la détermination des coefficients multiplicateurs et leur révision annuelle pour chaque fonds se font aujourd'hui dans une trop grande opacité, alors même qu'ils peuvent conduire à des redéploiements importants d'argent public. Nous formulons donc la recommandation que les principales évolutions des coefficients multiplicateurs soient présentées à l'occasion de chaque projet de loi de finances.

Concernant l'évaluation de l'efficience économique du dispositif des fonds de garantie gérés par Bpifrance, nous avons organisé des auditions et pris connaissance d'articles de recherche sur le sujet. Les résultats apparaissent globalement très positifs : non seulement les garanties créent des emplois et de l'activité, mais elles le font à un coût relativement limité pour les finances publiques. Une étude portant sur deux fonds de garantie estime que le montant de dotation nécessaire pour créer un emploi par le biais de ces garanties a été compris entre 2 800 euros et 3 500 euros ; un tel montant est relativement faible, d'autant qu'il ne prend pas en compte les bénéfices indirects liés aux emplois créés, à savoir de moindres dépenses de chômage, ainsi qu'une hausse des rentrées fiscales et des cotisations sociales.

Nous préconisons que d'autres études soient produites, notamment pour comparer les retombées économiques obtenues via les fonds de garantie avec celles qui peuvent être produites par des crédits d'impôt ou des subventions en faveur des entreprises.

En 2022, les fonds de garantie nationaux ont permis la couverture de 6,37 milliards d'euros d'engagements de garantie, pour environ 100 000 prêts. Les engagements de garantie ne couvrant qu'une certaine proportion des prêts concernés, ces derniers représentent un montant cumulé de 13 milliards d'euros : d'une part, 8 milliards d'euros pour les prêts bancaires ; d'autre part, environ 5 milliards d'euros pour les PSG directement octroyés par Bpifrance.

Les prêts ainsi garantis concernent l'ensemble du territoire, y compris les outre-mer. Par ailleurs, la quasi-intégralité des secteurs économiques sont couverts, le commerce, les transports et l'industrie étant les plus représentés.

M. Thierry Cozic, rapporteur spécial. - Venons-en aux sujets relatifs aux modalités de financement des fonds de garantie, qui présentent de sérieux écueils.

Les fonds de garantie financés par l'État, qui sont de loin les plus nombreux et les mieux dotés, bénéficient en principe d'une dotation annuelle, traditionnellement portée par le programme 134 « Développement des entreprises et régulations » et rattaché à la mission « Économie ». Toutefois, depuis plusieurs années, le financement des fonds de garantie par l'État a pris des formes très diverses, que l'on peut regrouper en plusieurs catégories.

En premier lieu, les fonds de garantie ont été financés par les dotations budgétaires générales portées non seulement par le programme 134, mais également par le programme 363 « Compétitivité » de la mission « Plan de relance ».

En deuxième lieu, les « résidus futurs probables », qui sont générés par les fonds de garantie, ont été utilisés pour financer ces mêmes fonds. Ces résidus correspondent à la part des financements des fonds de garantie qui se révèle en cours d'exercice supérieure aux besoins. Ces dernières années, dans un contexte de sinistralité des prêts garantis plus faible qu'anticipé et d'un mode de détermination prudent des coefficients multiplicateurs, le flux de création de résidus annuels a fortement augmenté. Or, cette accumulation de résidus a contribué à déséquilibrer le financement des fonds de garantie. En effet, ces résidus ont été mobilisés pour financer le fonctionnement des fonds l'année suivante, en substitution des dotations budgétaires.

En troisième lieu, les financements de l'État ont également pris la forme de subterfuges financiers, qu'il s'agisse d'abandons d'avances de la part de l'État, de transferts de trésorerie depuis l'Épic Bpifrance, ou encore de recyclages de dividendes versés à l'Épic Bpifrance et redirigés vers les fonds.

En dernier lieu, différents programmes budgétaires ont financé certains fonds de garantie spécifiquement en lien avec l'objet des programmes concernés.

Cette situation n'est pas satisfaisante, à deux points de vue.

D'une part, les flux financiers versés par l'État aux fonds de garantie sont devenus peu lisibles dans leur globalité. Certes, la création par la loi de finances de 2022 d'un nouveau jaune budgétaire intitulé Rapport relatif aux liens financiers entre l'État et le groupe Bpifrance a amélioré l'information disponible ; mais c'est encore loin d'être suffisant.

D'autre part, le financement par l'État des fonds de garantie est aujourd'hui trop peu budgétisé. Au mieux, les fonds de garantie sont financés majoritairement par les résidus de l'année précédente. Au pire, ils sont financés par des subterfuges financiers. Dans tous les cas, le Parlement peine à exercer pleinement son rôle budgétaire.

Nous formulons donc plusieurs recommandations.

Tout d'abord, nous souhaitons que soit présentée annuellement, dans le jaune budgétaire relatif aux liens financiers entre l'État et le groupe Bpifrance, une synthèse consolidée de l'ensemble des financements de l'État, qu'ils soient budgétaires ou non, affectés aux fonds de garantie gérés par Bpifrance.

Ensuite, il importe de recentrer l'essentiel du financement par l'État des fonds de garantie gérés par Bpifrance sur les crédits du programme 134, et ce dès 2024. Nous avions d'ailleurs déjà rappelé au cours de l'examen des récents projets de loi de finances, y compris par la voie d'amendements, la nécessité de mobiliser le programme 134 pour financer les fonds de garantie.

Enfin, concernant la répartition des financements de l'État entre les différents fonds de garantie, on peut constater une évolution notable ces dernières années. La part de l'activité de garantie des prêts des banques a en effet baissé de 61 % en 2017 à 48 % en 2022, quand la part consacrée à l'activité de garantie associée à l'octroi des PSG de Bpifrance est passée de 27 % à 44 %. Cet effet de vases communicants est la conséquence mécanique, pour le périmètre de l'activité de garantie, de la mobilisation toujours plus forte des PSG par Bpifrance pour financer directement les entreprises.

Nous considérons que le développement des PSG, et donc de l'activité des fonds de garantie qui leur sont associés, constitue une réponse utile aux enjeux de financement des entreprises, a fortiori en période de crise. Néanmoins, il convient de noter que l'effet de levier de 1 euro de dotation publique est bien plus fort pour l'activité de garantie des prêts bancaires « classiques » que pour les prêts « sans garantie ». Dans ce contexte, nous préconisons de ramener progressivement la part du financement des fonds de garantie des prêts bancaires au sein des crédits du programme 134 à celle qui était la sienne avant la crise sanitaire.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ces sujets très techniques concernent la mobilisation de fonds publics significatifs. Le système des garanties sur les prêts aux entreprises doit être calibré pour assurer le soutien à celles-ci, sans consommer trop d'argent public, afin que l'État soit en capacité de financer ses différentes priorités. Il faut aussi que les financements publics soient lisibles.

À cet égard, les préconisations des rapporteurs spéciaux, notamment s'agissant de la mobilisation du programme 134, me paraissent pleines de bon sens et de sagesse.

M. Franck Montaugé, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - Je me réjouis de la recommandation no 2 relative au travail d'évaluation de l'efficience économique des fonds de garantie.

Comment la décision de Bpifrance d'accompagnement des entreprises par sa garantie s'élabore-t-elle ? Cette décision ne prend-elle en compte qu'une dimension économique ? Dans certains dossiers, des relations se nouent-elles entre Bpifrance et le secrétariat général pour l'investissement (SGPI) ? Après que la garantie a été octroyée et que le projet correspondant s'est engagé, existe-t-il une forme d'évaluation du bien-fondé de la décision prise ?

Par ailleurs, quel bilan Bpifrance et l'État dressent-ils de ces opérations d'accompagnement ? Disposons-nous d'un comparatif entre leur coût et ce qu'elles rapportent ?

M. Michel Canévet. - Bpifrance connaît un indéniable succès depuis 2012. Il est devenu un acteur important de l'économie de notre pays. Le comité national d'orientation de la SA BPI Groupe s'est enfin réuni, pour la première fois depuis cinq ans, cette année, à la demande de sa nouvelle présidente, Mme Christelle Morançais, ce qui a donné l'occasion de faire le point sur l'activité générale de Bpifrance. Siégeant dans ce comité en ma qualité de membre de la commission des finances, je tenais à en rendre compte.

La quotité de la garantie octroyée peut aller de 40 à 70 % du montant total du prêt. Les rapporteurs spéciaux peuvent-ils nous préciser si elle se rapproche en moyenne plutôt de l'une de ces deux valeurs ? La précision nous permettra d'analyser le niveau de prise de risque des banques.

Dans le prolongement de la précédente intervention, savons-nous quelle rémunération Bpifrance tire-t-elle de ces opérations, mais également les pertes qu'elle enregistre ? Nous savons par exemple que le coût du PGE a été estimé à environ 5 %.

Enfin, n'existe-t-il pas un risque que la Commission européenne requalifie ces garanties en aides d'État ?

M. Claude Raynal, président. - Bpifrance procède à deux types d'opérations : la garantie des prêts bancaires et la garantie de ses propres prêts. Une question d'équilibre ne se pose-t-elle pas quand la seconde prend le pas sur la première ? La place bancaire ne considère-t-elle pas que Bpifrance va un peu trop loin dans sa pratique ?

M. Thierry Cozic, rapporteur spécial. - Ce dernier constat donne précisément lieu à la recommandation no 6 de notre rapport. Nous y proposons de réduire la part des garanties sur les PSG directement accordés par Bpifrance, au profit de garanties sur des prêts classiques. En effet, tout d'abord, les effets multiplicateurs des garanties sont beaucoup plus élevés lorsqu'il s'agit de prêts bancaires. Ensuite, il s'agirait par cette proposition d'en revenir aux équilibres d'avant la crise sanitaire.

Mme Frédérique Espagnac, rapporteure spéciale. - Le bilan budgétaire des fonds de garantie est schématiquement le suivant : avec des financements de l'État de l'ordre de 500 millions d'euros par an, sont couverts par les fonds de garantie un montant cumulé de prêts aux entreprises d'environ 11 milliards d'euros. Tous financements confondus des fonds de garantie, le montant cumulé des prêts aux entreprises est d'un peu moins de 13 milliards d'euros par an.

M. Thierry Cozic, rapporteur spécial. - S'agissant de la quotité garantie des prêts bancaires, elle varie en fonction des garanties mais en moyenne, elle avoisine 50 %. Elle tend à augmenter en raison de la mise en place de dispositifs exceptionnels de garanties renforcées, notamment à l'occasion du plan de relance.

Quant aux modalités de décision de l'octroi des garanties, il faut distinguer deux choses. D'une part, la banque décide si elle souhaite solliciter la garantie ou pas, en fonction des risques associés à la demande de financement qui lui est soumise par l'entreprise. D'autre part, si la banque décide de demander la garantie, le processus est mécanique et il n'y a pas de décision en opportunité de la part de Bpifrance : chaque garantie a ses critères (âge de l'entreprise, montant du financement, etc.) et si ces critères sont remplis, la garantie est accordée. Comme nous le disions dans notre intervention liminaire, lorsque le prêt est inférieur à 200 000 euros, c'est la banque demandant la garantie qui vérifie que les critères sont remplis ; au-dessus, c'est Bpifrance.

S'agissant du SGPI, il n'est pas concerné par la décision d'octroi de garanties de Bpifrance.

Enfin, sur le sujet de l'encadrement des garanties au titre de la règlementation européenne sur les aides d'État, le dispositif a fait l'objet d'échanges réguliers avec la Commission européenne et n'a jamais été remis en cause.

Mme Frédérique Espagnac, rapporteure spéciale. - Le seuil de délégation de la vérification du respect des critères des garanties aux banques elles-mêmes avait déjà été relevé en 2015, de 100 000 à 200 000 euros.

M. Thierry Cozic, rapporteur spécial. - Les relations entre les banques et Bpifrance s'effectuent en bonne intelligence. Le système fonctionne bien.

Mme Frédérique Espagnac, rapporteure spéciale. - Le taux de sinistralité des prêts garantis reste aujourd'hui très limité, même s'il est en légère hausse depuis 2022. C'est un peu le même constat que pour les PGE.

M. Thierry Cozic, rapporteur spécial. - En dernier lieu, s'agissant de l'évaluation du dispositif, des évaluations ont effectivement été menées par des économistes, notamment à l'initiative de Bpifrance. Nous recommandons que d'autres études économiques soient produites sur le bilan du dispositif. Pour l'heure, elles en dressent un bilan général positif. Tous les acteurs en présence - Bpifrance, le monde bancaire et les entreprises - en tirent une conclusion analogue.

La commission adopte les recommandations des rapporteurs spéciaux et autorise la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.

Immobilier du ministère de l'Europe et des affaires étrangères - Contrôle budgétaire - Communication

M. Claude Raynal, président. - Nous terminons nos travaux avec une communication de MM. Vincent Delahaye et Rémi Féraud, rapporteurs spéciaux, sur l'immobilier du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE).

M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. - Les questions immobilières du MEAE présentent des spécificités marquées. Faisant sans doute l'objet d'un certain manque d'attention dans le passé, elles sont appelées à connaître des évolutions.

Aux termes de plusieurs déplacements nous avions le souhait de vous faire part de nos principales observations.

Très important, le parc immobilier du MEAE comprend 28 bâtiments répartis sur 14 sites en France, en particulier en Île-de-France et à Nantes. À l'étranger, le ministère possède 2 504 locaux répartis dans presque tous les pays du monde, pour une surface totale de plus de 1,56 million de mètres carrés. Ils mêlent activités de bureaux, activités culturelles et usages résidentiels.

Ces locaux situés à l'étranger sont majoritairement la propriété de l'État. Particulier, leur régime est soit issu du statut diplomatique, soit le fruit de l'histoire. D'autres relèvent de divers régimes juridiques, tels que la dissociation de la propriété du sol et du bâti, subissent des restrictions d'usage, voire sont en proie à des conflits de propriété avec l'État qui les accueille, comme dans le cas de l'ambassade de France à Alger.

La qualité du recensement de ces biens a par le passé été critiquée par la direction de l'immobilier de l'État (DIE) qui a pointé des incohérences dans leur inventaire. Le constat a conduit la direction de l'immobilier et de la logistique (DIL) du ministère à engager en 2020 une campagne de fiabilisation des données en collaboration avec les postes diplomatiques à l'étranger. Ce travail d'évaluation par le ministère de la valeur de son parc immobilier n'est à ce jour terminé que dans 111 des 169 pays concernés et ne sera pas totalement achevé avant 2025. En France, l'évaluation fait intervenir la direction nationale d'interventions domaniales (DNID), qui se fonde sur la valeur vénale. À l'étranger, les postes diplomatiques font appel à des experts indépendants. Alors qu'il aura réformé ses règles d'évaluation à compter de 2025, le ministère doit achever sa campagne dans les postes d'ici à cette date. Il précise que le travail d'évaluation s'accélère et devrait être terminé en novembre prochain pour 37 pays qualifiés de prioritaires.

La programmation immobilière du ministère, déclinée au niveau national, à l'étranger et pour chaque pays, souffre d'une certaine lenteur d'élaboration et pâtit d'une qualité variable selon les pays. Elle repose sur plusieurs documents. En France, elle s'appuie sur le schéma pluriannuel de stratégie immobilière (SPSI) d'administration centrale, qui court pour la période 2020-2025 et que traduisent actuellement les opérations conduites dans le cadre du projet « Quai d'Orsay XXI ». À l'étranger, c'est le schéma directeur immobilier pluriannuel pour l'étranger (Sdipe) 2021-2025 qui définit la stratégie immobilière. Dans chaque pays, les postes diplomatiques élaborent en lien avec la DIL du ministère des schémas locaux.

On voit immédiatement l'accumulation de différentes strates et la complexité qui en résulte.

La DIE et la direction du budget du ministère chargé de l'économie et des finances ont relevé que la qualité des documents produits par le ministère et par les postes diplomatiques était variable et dans certains cas insuffisante. En outre, l'avancement de l'élaboration des schémas directeurs immobiliers pour l'étranger (SDIE) apparaît trop lent, en dépit d'efforts récemment réalisés, par exemple en Espagne.

La gouvernance de l'immobilier du MEAE mobilise un nombre important d'acteurs, tant au sein du ministère lui-même qu'au niveau interministériel. Pour les biens situés en France, un schéma « classique » de gouvernance est appliqué. Il mobilise la DIE ainsi que le conseil de l'immobilier de l'État. Quant aux biens situés à l'étranger, le MEAE conserve très largement ses prérogatives puisqu'il n'existe qu'une seule instance interministérielle compétente pour évaluer les documents stratégiques, la commission interministérielle chargée d'émettre un avis sur les opérations immobilières à l'étranger (Cime). En pratique, celle-ci est très peu saisie ou réunie, ce qui conduit d'ailleurs la DIE à critiquer la faible implication de l'État propriétaire dans la gestion de ses biens à l'étranger.

Enfin, la « fonction immobilière », qui est exercée par la DIL du ministère en collaboration avec les postes diplomatiques à l'étranger, a longtemps été jugée comme insuffisamment professionnalisée par les différents acteurs en présence. La DIE et la direction du budget ont émis des réserves, ainsi que des recommandations sur les moyens humains jugés insuffisants et peu qualifiés pour assurer la gestion du parc immobilier du MEAE. Elles ont également souligné le refus ou le manque de volonté de partager des informations.

Le MEAE a commencé à apporter certaines réponses. En 2021, il a procédé au recrutement d'un expert des questions immobilières, qu'il a récemment remplacé par un directeur jouissant d'une expérience notable en la matière au sein du ministère et qui a démontré une forte implication. Le MEAE renforce par ailleurs progressivement l'effectif de sa DIL qui, en 2023, compte près de 150 équivalents temps plein (ETP), ce qui représente une hausse de 12 ETP depuis 2020.

Ces moyens suffiront-ils et comment évolueront-ils dans la durée ? C'est ce qu'il faudra pouvoir évaluer. À ce stade, il nous a paru prématuré de réaliser cet exercice.

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - Nous avons dressé un état des opérations immobilières passées et à venir du MEAE.

Celui-ci a effectué d'importantes opérations de cession au cours de la dernière décennie, mais estime que la possibilité de renouveler de telles opérations est désormais limitée. Entre 2007 et 2020, le ministère a cédé 188 emprises à l'étranger, générant près de 790 millions d'euros de recettes. Les principales opérations ont inclus les ventes du campus diplomatique de Kuala Lumpur pour 221,7 millions d'euros, de la résidence consulaire de Hong Kong pour 52,2 millions d'euros et de la résidence de la représentation permanente auprès de l'ONU à New York pour 51,8 millions d'euros. Entre 2020 et 2022, le ministère a réalisé 22 cessions pour un montant d'environ 28 millions d'euros. En France, une dizaine de bâtiments ont été cédés pour un montant brut total de 653,5 millions d'euros, notamment l'immeuble de l'avenue Kleber (404 millions d'euros), l'immeuble de la rue Monsieur (142 millions d'euros) et l'immeuble de la rue de l'Université (10 millions d'euros).

Le ministère continue de porter des projets assez structurants en matière immobilière en France et à l'étranger, en particulier la sécurisation des postes diplomatiques. Afin de renforcer la sécurité passive des emprises diplomatiques, il a financé 46 projets avec une avance de 67 millions d'euros versée par le compte d'affectation spéciale (CAS) « gestion du patrimoine immobilier de l'État ». Les besoins futurs sont estimés à 26 millions d'euros par an.

Le projet Quai d'Orsay XXI vise à regrouper l'administration centrale du ministère sur un nombre limité d'emprises en France, avec des opérations de modernisation technique et d'efficacité énergétique. Projet d'ampleur, il a connu des difficultés de lancement, d'évaluation des coûts et doit s'adapter aujourd'hui aux évolutions infraréglementaires, ainsi qu'aux perspectives d'intensification des recrutements au sein du ministère. Son coût total est estimé à 150 millions d'euros.

Ses principales opérations comprennent l'extension et la réhabilitation de l'aile des archives, la modernisation des systèmes de sécurité et de câblage, l'accessibilité de l'hôtel du ministre aux personnes à mobilité réduite (PMR), le dévoiement des réseaux et la modernisation des locaux à Nantes.

La DIE a considéré que le projet manquait d'une vision globale, ce qui en affectait la cohérence et le suivi. Elle a recommandé l'utilisation d'un marché public global de performance (MPGP) pour une meilleure gestion et des objectifs clairs.

Le projet est désormais engagé pour ce qui concerne les emprises parisiennes. Sur le parc immobilier nantais, il fait encore l'objet d'études et pourrait même continuer à évoluer avec la perspective d'une hausse de 20 % des effectifs du ministère, dont une partie importante devrait être affectée aux services consulaires à Nantes.

À l'étranger, le ministère a identifié 224 opérations prioritaires pour un investissement total de 380 millions d'euros qui s'inscrira dans le cadre du SDIPE.

Le MEAE estime qu'une enveloppe d'environ 80 millions d'euros par an serait nécessaire pour couvrir sa programmation immobilière. Cependant, la DIE et la direction du budget remettent en question le niveau de crédits nécessaires et notent le manque de transparence dans l'évaluation des besoins du ministère. Il est à relever que cette évaluation ne recoupe pas nécessairement les besoins liés à l'amélioration des performances énergétiques et climatiques de son parc immobilier.

Sous l'angle budgétaire, le MEAE a engagé durant la dernière décennie 335,9 millions d'euros pour des travaux d'entretien lourd à l'étranger et en France, notamment en vue de rationaliser son réseau et de sécuriser les logements. Entre 2011 et 2022, les crédits dédiés à l'entretien lourd se sont élevés à 335,9 millions d'euros. Ses dépenses immobilières ont représenté un poids significatif, en atteignant près de 20 % de son budget total pour la période 2006-2021. Cependant, la part du MEAE dans les dépenses immobilières de l'ensemble des ministères a diminué, passant de 15 % lors des exercices budgétaires précédents à seulement 3,5 % en 2021.

Le financement des dépenses immobilières repose en partie sur les produits de cession, ainsi que sur les crédits budgétaires de la mission « Action extérieure de l'État ». Un débat se fait jour entre le MEAE et le ministère chargé du budget quant à un éventuel « rebasage » des crédits. Entre 2009 et 2017, le MEAE a principalement financé ses opérations par les produits de cession, en raison du faible niveau des dotations du programme 105.

Aujourd'hui, le ministère estime avoir exploité la majeure partie de son potentiel de cessions et rappelle que les produits qu'il tire de son parc immobilier sont désormais fléchés vers le remboursement de l'avance de 67 millions d'euros consentie pour la sécurisation des emprises. Le ministère considère donc que le financement des opérations immobilières sur les produits de cession ne constitue plus un modèle viable et qu'il est nécessaire d'ouvrir des crédits supplémentaires pour l'avenir. Pour sa part, la direction du budget estime que l'idée selon laquelle le potentiel de cession serait épuisé ou que le MEAE aurait « sur-contribué » par rapport aux autres ministères doit être nuancée. Elle souligne que le MEAE a réalisé des cessions immobilières importantes, mais que sa contribution aux produits de cession se situe toujours à un niveau équivalent à celui d'autres ministères.

À titre de conclusion, nous soulignons que les spécificités du parc immobilier du MEAE ne doivent pas être négligées, ce qui implique qu'il bénéficie, si ce n'est d'un traitement particulier, du moins d'une approche particulière de la part de la DIE. La contrepartie réside sans doute dans le fait que le ministère doit continuer à renforcer la qualité de ses documents programmatiques et à mobiliser davantage les instances interministérielles. La professionnalisation - notamment par le recrutement d'experts - de la fonction immobilière reste un enjeu prégnant alors que d'importants efforts ont été consentis ces trois dernières années et peuvent être salués.

Le potentiel de cession et de rationalisation demeure encore probablement supérieur à ce que le ministère indique et il doit être exploité afin de permettre au parc immobilier de s'adapter tout en limitant le besoin de crédits budgétaires nets.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous constatons que, comme dans d'autres domaines, la définition d'une stratégie immobilière, pourtant indispensable, s'avère certainement plus complexe qu'il n'y paraît d'abord. Le constat appelle peut-être l'État à plus de mesure et d'humilité, et à moins de verticalité dans son approche.

M. Claude Raynal, président. - J'entends évoquer des rentrées financières liées à des ventes. Connaissez-vous les montants des coûts inhérents aux réinstallations ? On a parfois racheté des biens après leur vente.

M. Antoine Lefèvre. - Je suis d'accord avec le rapporteur général quand il appelle de ses voeux une véritable stratégie immobilière. Du point de vue du coût de l'immobilier, la situation de nos postes diplomatiques diffère sensiblement selon les capitales. Ce coût y est parfois exorbitant. Il y a plusieurs années, à Luanda en Angola les conditions de logement de nos équipes dans plusieurs sites étaient déplorables.

M. Michel Canévet. - Le sujet de l'immobilier du MEAE est à considérer de manière large. Il inclut des enjeux de décarbonation et de mise aux normes énergétiques des logements. À cet égard, il semble nécessaire que l'État qui les impose aux particuliers soit lui-même exemplaire. Les exemples que vous donnez montrent le chemin qu'il reste à parcourir. Cela suppose de définir une véritable stratégie immobilière de l'État et appellera sans doute un effort notable, ainsi que la réalisation d'un calcul des économies de fonctionnement susceptibles d'être réalisées.

Je me demandais si, au terme de l'opération immobilière de Madrid, les autres collaborateurs que le chef de poste diplomatique seraient logés par l'État.

Mme Christine Lavarde. - Vous avez cité le conseil de l'immobilier de l'État, où je siège avec Rémi Féraud, je tiens à souligner que cette instance ne démontre pas son utilité. Son rôle apparait au mieux purement consultatif. Elle ne s'est plus réunie depuis près d'un an, faute de volontaire pour la présider. Dans ces conditions, ne nous étonnons pas de la mauvaise gestion immobilière qui prévaut. Le présent contrôle budgétaire alimente sur elle une réflexion qui ne peut que gagner à être particulièrement large.

M. Marc Laménie. - Vous avez évoqué de nombreuses ventes intervenues ces dernières années, pour des enjeux financiers significatifs. Qui, réellement, en décide ? D'autres perspectives, non seulement de ventes, mais encore d'acquisitions existent-elles ? En métropole et en outre-mer, combien de bâtiments le MEAE compte-t-il ? Quels travaux et quels investissements nécessitent-ils ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Je remercie nos deux rapporteurs spéciaux pour leur sens de l'équilibre. On comprend - ils nous le confirmeront - qu'il reste des marges de manoeuvre, mais disposions-nous initialement de surfaces « hors norme », si considérables que les réduire n'aurait aucune conséquence sur notre représentation diplomatique ? Comment nous comparons-nous avec d'autres pays à cet égard ? Les critères utilisés dans ce contexte relèvent-ils uniquement de la rationalisation financière ?

M. Philippe Dominati. - On parle d'absence de stratégie immobilière de l'État, mais j'aimerais savoir si l'État a une stratégie pour notre réseau diplomatique. J'avais cru comprendre qu'il fallait le restreindre, puisqu'il est l'un des plus importants parmi ceux des pays développés, plus important que celui du Royaume-Uni - en la matière, nous ne sommes devancés que par les États-Unis et par la Russie. Le nombre de nos ambassades et de nos consulats a-t-il déjà diminué ?

Existe-t-il une stratégie ? Le cas échéant, demeure-t-elle inchangée au gré des changements de ministres ? Notre stratégie immobilière ne peut de toute façon que s'adapter à notre stratégie en matière de réseau diplomatique.

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - La doctrine du Gouvernement reste celle du réseau universel ; or qui dit réseau universel dit présence partout.

Nous avons vendu des « bijoux de famille », mais les rentrées d'argent afférentes ont été suivies par des dépenses supplémentaires : si l'on vend des biens, on doit louer des locaux pour les remplacer, ce qui peut coûter assez cher.

Il n'existe pas de stratégie globale d'implantation et de répartition en fonction de l'intérêt pour la France du pays ou de la zone géographique. On pourrait imaginer des réaffectations de moyens ; nous avons à plusieurs reprises posé la question au cabinet du ministre, mais nos demandes sont restées lettre morte.

Dans le domaine immobilier, on observe qu'il y a un peu plus de stratégie à l'oeuvre qu'ailleurs : nous avons été plutôt surpris de la qualité des réponses qui nous ont été apportées par le ministère. C'est pourquoi, d'ailleurs, nous nous en tenons à vous faire part de nos observations. Michel Canévet s'inquiétait de savoir qui était logé ou non dans les ambassades et nous avions fait des recommandations à ce sujet lors de notre contrôle relatif à la masse salariale du ministère ; sur le thème de l'immobilier, il est plus difficile de préconiser quoi que ce soit.

L'Espagne est un bon exemple de rationalisation des implantations : on sent que le ministère est très fortement mobilisé sur ce sujet-là.

Antoine Lefèvre a évoqué l'Angola ; nous n'avons pas travaillé spécifiquement sur ce pays.

J'ai répondu à Vincent Capo-Canellas sur les marges de manoeuvre : nous avons tant d'implantations - la France possède 1,5 million de mètres carrés de locaux, dont beaucoup sont utilisés pour la diffusion de la culture - qu'il est difficile d'en juger.

Au total, on ne saurait taxer le ministère des affaires étrangères de mauvaise gestion immobilière : il est plutôt en route vers une bonne gestion de ses locaux.

M. Rémi Féraud. - Disons-le clairement, nous n'avons pas cherché à être sévères. En ce domaine, la diversité est telle, qu'il s'agisse des pays d'implantation, de la nature des locaux, des législations, des rapports diplomatiques, qu'il est très complexe de juger. Il est indispensable, en revanche, que le schéma pluriannuel de stratégie immobilière du ministère des affaires étrangères s'appuie sur une bonne connaissance de notre patrimoine immobilier dans l'ensemble des 169 pays où nous sommes représentés, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Notre réseau reste universel - c'est un choix politique -, mais des évolutions sont à noter. En Espagne, des consulats ont fermé, à Séville ou à Bilbao. Des postes ferment, d'autres se développent - un consulat général a ouvert à Mossoul, en Irak, l'année dernière.

À Luanda, du fait du coût de la vie, il y a plus de logements qu'ailleurs : c'est une exception.

On observe, en se déplaçant à l'étranger, un manque très important d'entretien de nos bâtiments. Le coût estimé de la mise aux normes énergétiques est de 80 millions d'euros par an ; il est difficile de trouver pareil budget dans les lignes du ministère.

Le ministère a voulu mettre en avant le programme pilote qu'il met en oeuvre en Espagne : il s'agit de réunir à Barcelone, sur un seul site, le consulat général et l'Institut français, sans réduire l'activité, et de vendre l'ambassade de Madrid, ce qui engendrerait d'importantes recettes, comme à Kuala Lumpur ou à Hong Kong. L'idée est d'installer l'ambassade dans la résidence de l'ambassadeur de France et la résidence de l'ambassadeur de France dans la Villa andalouse.

Les pays sont très rares où une opération aussi efficace financièrement peut être menée sans aucune réduction de notre implantation. Il est certain en tout cas que l'indicateur des surfaces en mètres carrés, s'agissant de palais et d'éléments de prestige, n'est pas la bonne clé d'entrée.

L'enjeu est d'importance : comment financer les investissements immobiliers nécessaires avec d'autres outils budgétaires que les ventes ? Nous ne disposons pas de données nettes quant aux dépenses effectuées pour compenser ce qui est vendu. Il arrive, comme à New York, que des ventes importantes se concluent par des locations onéreuses.

Les investissements réalisés sur le site du Quai d'Orsay sont gigantesques ; les travaux ont commencé. Cette mise en valeur nous paraît à la fois rationnelle et nécessaire, sachant que le ministère produit énormément d'archives, qu'il doit lui-même entreposer.

M. Claude Raynal, président. - L'élu parisien que vous êtes doit bien entendu considérer d'un bon oeil la rénovation du Quai d'Orsay, bâtiment prestigieux s'il en est !

La réunion est close à 11 h 30.