Mardi 24 octobre 2023

- Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, président d'âge -

La réunion est ouverte à 17 heures 35.

Réunion constitutive

M. Bruno Sido, sénateur, président. - Mes chers collègues, bienvenue à tous. Bienvenue à ceux que nous retrouvons et à ceux qui sont nouveaux parmi nous, c'est-à-dire la moitié des sénateurs, 9 sur 18.

Le privilège de l'âge me vaut le plaisir d'ouvrir notre réunion. J'y ajoute le privilège de l'ancienneté comme membre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) puisque j'y ai siégé sans discontinuer depuis 2004 et que j'ai eu l'honneur de le présider de 2012 à 2014.

Je sais qu'aucun d'entre nous, qu'il soit membre nouveau ou expérimenté, n'est là par hasard, et que nous sommes tous passionnés par les sujets d'intérêt majeur traités par l'Office. Je sais aussi, d'expérience, que c'est un plaisir de travailler ensemble au sein de l'un des rares organes parlementaires bicaméral permanent. Je formule le voeu qu'il en soit toujours ainsi au cours des prochaines années.

L'ordre du jour appelle la désignation du Bureau de l'Office.

La loi du 8 juillet 1983 prévoit que l'Office « élit son président et son vice-président, qui ne peuvent appartenir à la même assemblée ».

Conformément à l'article 2 du Règlement intérieur, le Bureau de l'Office comprend huit membres : le président, le premier vice-président, six vice-présidents, trois étant des députés, trois des sénateurs.

Je rappelle également les dispositions de l'article 4 de ce même Règlement : « La délégation élit d'abord le président, puis le premier vice-président, puis chacun des vice-présidents, au scrutin uninominal. En cas de pluralité de candidatures, il est procédé à un vote à bulletins secrets. Aux deux premiers tours de scrutin, la majorité absolue des suffrages est nécessaire pour être élu. Au troisième tour, la majorité simple suffit. À égalité de suffrages, le candidat le plus âgé est proclamé élu. »

Nous allons d'abord procéder à l'élection du Président.

Je rappelle que la tradition, établie à l'Office depuis sa création, est que la présidence est exercée alternativement par un membre de l'une ou l'autre assemblée, et que le changement de président se fait après chaque renouvellement partiel du Sénat, donc pour une période de trois ans. Le président que nous allons élire aujourd'hui sera donc, après Pierre Henriet, député, un sénateur.

S'il y a un seul candidat, je le proclamerai élu. S'il y a plusieurs candidats, nous devrons procéder par un vote à bulletin secret.

J'invite ceux de nos collègues qui désirent faire acte de candidature à se faire connaître.

M. Stéphane Piednoir, sénateur. - Je suis candidat.

M. Bruno Sido, sénateur, président. - Y a-t-il d'autres candidats ? Je n'en vois pas. En l'absence d'autres candidats, je proclame Stéphane Piednoir président, je le félicite et lui cède le fauteuil présidentiel en formulant des voeux pour qu'il puisse continuer à animer nos travaux en bonne intelligence avec nos collègues députés.

- Présidence de M. Stéphane Piednoir, sénateur -

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président. - Merci pour votre confiance. Je tiens tout d'abord à saluer le dernier sénateur à avoir présidé cet Office et qui l'a marqué de son empreinte, Gérard Longuet. Je salue également Bruno Sido qui siège dans cet Office depuis 2004 et qu'il a présidé de 2012 à 2014. Je salue enfin Pierre Henriet qui l'a présidé au cours de cette dernière année.

C'est un honneur de présider cet Office, qui vient de célébrer son quarantième anniversaire, et dont la mission d'éclairer le Parlement sur les aspects scientifiques et technologiques n'est pas une mince affaire, particulièrement dans les temps actuels. La légitimité de l'Office s'appuie sur une expertise scientifique rigoureuse, combinaison de notre travail de parlementaires et de la grande qualité des conseillers scientifiques qui y sont affectés.

Professeur de mathématiques pendant 25 ans, je suis particulièrement attaché à la rigueur scientifique et du raisonnement. Je me suis investi à l'Office en participant à la rédaction, avec certains collègues députés, de quatre rapports en six ans, avec une spécialisation dans le domaine de l'énergie, d'origine nucléaire en particulier. J'ai conscience de mes lacunes dans les autres domaines et compte donc sur vous, chers collègues, pour que notre complémentarité couvre tous les champs.

Nous devons maintenant achever la constitution du Bureau de l'Office.

Il convient d'abord de procéder à la désignation du premier vice-président, qui doit donc être un membre de l'Assemblée nationale, et qui sera désigné pour les trois prochaines années.

J'invite ceux de nos collègues qui désirent faire acte de candidature à se faire connaître.

M. Pierre Henriet, député. - Je suis candidat.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président. - Y a-t-il d'autres candidats ? Je n'en vois pas. Il n'y a donc pas lieu de procéder à un scrutin et je proclame Pierre Henriet premier vice-président de l'Office.

Je l'invite à venir prendre place à côté de moi.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président. - Je vous remercie pour votre confiance renouvelée. Je suis ravi de pouvoir continuer à travailler en lien étroit avec notre président nouvellement élu, en particulier sur les nouveaux enjeux qui se présentent. Je pense notamment aux modalités de collaboration avec le Conseil scientifique qu'il conviendrait de faire évoluer.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président. - Il convient de procéder maintenant à l'élection des trois vice-présidents députés puis des trois vice-présidents sénateurs.

J'invite ceux de nos collègues qui désirent faire acte de candidature à se faire connaître.

Pour les députés, je suis saisi des candidatures suivantes : Jean-Luc Fugit, Victor Habert-Dassault et Gérard Leseul. Il y a autant de candidats que de sièges à pourvoir, il n'y a donc pas lieu de procéder à un scrutin.

En conséquence, les députés Jean-Luc Fugit, Victor Habert-Dassault et Gérard Leseul sont désignés vice-présidents.

Pour les sénateurs, je suis saisi des candidatures suivantes : Florence Lassarade, Anne-Catherine Loisier, David Ros et Ludovic Haye.

Il y a plus de candidats que de sièges à pourvoir, il y a donc lieu de procéder à un scrutin. En conséquence, je vous invite à inscrire sur un même bulletin les noms des candidats pour lesquels vous désirez voter, étant précisé que tout bulletin comportant plus de trois noms de sénateurs sera nul.

Il va être procédé au scrutin.

J'appelle nos deux plus jeunes collègues présents, Pierre Henriet et Corinne Narassiguin, pour procéder au contrôle des opérations de vote et au dépouillement.

Le scrutin est ouvert. Puis les scrutateurs procèdent au dépouillement.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président. - Les résultats du premier tour sont les suivants :

Nombre de votants : 14 ; suffrages exprimés : 14 ; majorité absolue : 8

Ont obtenu :

- Florence Lassarade : 14 voix

- Anne-Catherine Loisier : 14 voix

- David Ros : 9 voix

- Ludovic Haye : 3 voix

- Patrick Chaize : 1 voix

- Gérard Leseul : 1 voix.

En conséquence, Florence Lassarade, Anne-Catherine Loisier et David Ros ayant obtenu la majorité absolue, je les proclame vice-présidents de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Mes chers collègues, notre Bureau est désormais au complet et l'Office en ordre de marche pour les trois prochaines années. Je compte réunir les membres du Bureau dès jeudi matin, à 8h30 avant la réunion plénière de l'Office. Vous allez recevoir la convocation dans quelques instants.

Quelques mots avant de nous quitter sur le programme de l'Office pour les prochaines semaines.

Jeudi à 9h30 aura lieu l'audition annuelle de la CNE2, Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs, commission qui travaille bénévolement pour le Parlement, en réalité pour l'Office, et qui nous apporte chaque année de très précieuses informations, notamment sur l'état des recherches en matière de gestion des déchets radioactifs.

Puis, aux dates qui vous seront transmises après la réunion de Bureau, nous procéderons à l'examen de plusieurs travaux en cours et en voie d'achèvement : des notes scientifiques sur la météorologie de l'espace, l'encombrement de l'espace, les neurosciences dans l'éducation, les conclusions de l'audition publique sur les micropolluants de l'eau, un rapport sur la décarbonation du secteur aéronautique.

Par ailleurs, je vous indique que nous aurons à désigner prochainement plusieurs rapporteurs. Je précise pour nos nouveaux collègues que l'habitude à l'Office est de désigner, pour chaque travail, deux rapporteurs, un député et un sénateur, appartenant à des groupes politiques différents représentatifs de la majorité et de l'opposition. Les travaux concernés sont :

- l'étude qui nous a été confiée cet été conjointement par les Bureaux de l'Assemblée nationale et du Sénat, à l'occasion du quarantième anniversaire de l'Office, sur les nouveaux développements de l'intelligence artificielle ;

- une étude sur les protéines végétales pour laquelle nous avons reçu une saisine de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, à l'initiative de notre collègue Philippe Bolo ;

- le rapport définitif sur le cinquième PNGMDR, pour lequel un sénateur devra être désigné en remplacement de notre collègue Angèle Préville - je rappelle qu'Hendrik Davi a déjà été désigné pour les députés.

Je vous indique également que je souhaite demander au Bureau qu'il confie aux rapporteurs du rapport d'étape sur les effets indésirables des vaccins contre la Covid-19 la mise au point d'ici la fin de l'année du rapport définitif.

Je vous signale aussi que les nouveaux membres de l'Office recevront une proposition pour participer au partenariat que l'Office a noué avec les Académies des sciences et de médecine. N'hésitez pas à interroger les équipes administratives de l'Office si vous souhaitez en savoir plus.

Pour ma part, avec Pierre Henriet, premier vice-président, je reste à votre entière disposition pour recueillir vos souhaits et suggestions pour de futurs travaux : auditions, rapports, notes scientifiques, etc.

Comme cela a été dit au début de notre réunion, l'Office est une structure bicamérale unique qui a atteint une vraie maturité - 40 ans ! - et qu'il nous appartient de continuer à faire vivre et à développer, à la fois au sein de nos assemblées et à l'extérieur.

Les sujets que nous serons certainement conduits à traiter dans les prochains mois sont d'une telle importance pour notre pays que je ne doute pas un instant de votre engagement - sur lequel Pierre Henriet et moi-même comptons - dans les travaux de l'OPECST.

M. Philippe Berta, député. - Je vous transmets la demande de France Universités qui souhaiterait organiser un colloque sous l'égide de l'OPECST en partenariat avec Sciences Po sur le thème de la liberté académique et qui serait l'occasion d'entendre Fariba Adelkhah, anthropologue, récemment libérée des prisons iraniennes.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président. - Je souligne l'intérêt des partenariats en cours de mise en place avec les Académies. Il nous faudra prochainement constituer et confirmer des trinômes, avec un parlementaire, un membre de l'Académie des sciences ou de l'Académie de médecine - peut-être faudrait-il étendre ce partenariat à l'Académie des technologies ? - et d'un chercheur. N'hésitez pas, chers collègues, à vous positionner sur les thèmes de recherche que vous souhaiteriez voir aborder.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président. - J'ajoute que nous envisageons également des déplacements. Je pense en particulier à un déplacement sur le thème des ressources minières et des sous-sols.

Je vous remercie à nouveau de votre confiance.

La réunion est close à 18 h 05.

Jeudi 26 octobre 2023

- Présidence de M. Stéphane Piednoir, président -

La réunion est ouverte à 9 heures 40.

Audition de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE2) sur son rapport 2023

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les membres et experts de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE2), mes chers collègues, je suis très heureux de vous accueillir aujourd'hui au Sénat pour cette première réunion de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) reconstitué après les élections sénatoriales du 24 septembre dernier et mon élection en tant que président de cet Office aux côtés du premier vice-président Pierre Henriet.

La délégation de la CNE2 qui se présente devant nous est forte de quatre personnes. J'ai le plaisir de souhaiter la bienvenue à son président Vincent Lagneau, à son vice-président, Christophe Fournier, à Philippe Gaillochet et à Catherine Noiriel.

Pour les nouveaux membres de l'Office, je rappelle que la CNE2 a été instituée par la loi du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs. Elle a succédé à la première Commission nationale d'évaluation, créée par la loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches et à la gestion des déchets radioactifs.

La CNE2 a pour mission d'évaluer l'état d'avancement des recherches et des études relatives à la gestion des matières et des déchets nucléaires. Elle soumet un rapport annuel au Parlement qui est transmis à l'Office avant sa publication.

Les douze membres de la commission exercent leur mission à titre bénévole. La moitié sont désignés par le gouvernement sur proposition de l'Académie des sciences et de l'Académie des sciences morales et politiques, l'autre à parité par l'Assemblée nationale et le Sénat sur proposition de l'OPECST. La commission est renouvelée par moitié tous les trois ans.

À l'heure où l'urgence climatique nous amène à considérer sous un jour plus favorable l'énergie fournie par la fission atomique, l'industrie nucléaire voit poindre la construction prochaine en France, et sans doute à l'étranger, de plusieurs nouveaux réacteurs ainsi que l'arrivée de réacteurs innovants.

Dans ce contexte dynamique, la question du stockage géologique des déchets, en aval du cycle, n'a rien perdu de son acuité, bien au contraire. Le rapport annuel de la CNE2 constitue donc un point d'étape extrêmement important pour évaluer la situation de la gestion des matières et des déchets radioactifs ainsi que les évolutions envisageables au travers des progrès de la science et des technologies. Au-delà de ce rapport, vous allez également nous faire part des enseignements que vous avez tirés d'un récent voyage d'étude au Royaume-Uni, pays qui, comme la France, affiche une implication et un intérêt renouvelés pour l'énergie nucléaire. Même si les situations énergétiques de ces deux États diffèrent, leur comparaison reste un exercice extrêmement utile et pertinent.

M. Vincent Lagneau, président de la CNE2. - Merci de nous recevoir aujourd'hui pour présenter nos travaux dont le résumé figure dans le rapport numéro 17 de la CNE2.

J'insisterai d'abord sur le fait que la commission embrasse un domaine d'expertises très variées qui couvrent la chimie, la physique nucléaire, les sciences des matériaux, les sciences de l'ingénieur, la géologie et l'hydrogéologie. Cette pluralité s'avère particulièrement utile pour le suivi du dossier Cigéo que nous évoquerons plus tard.

La CNE2 procède toute l'année à des auditions des acteurs de la loi - le CEA, EDF, Orano et l'Andra - et nous effectuons également des visites techniques en France et à l'étranger.

Outre le rapport que nous remettons tous les ans, nous pouvons être saisis par l'OPECST sur des sujets spécifiques comme, ces dernières années, l'impact de la crise du Covid sur la filière nucléaire, en particulier sur la partie cycle du combustible, ou plus récemment sur les nouveaux réacteurs.

Je vais maintenant vous présenter le rapport 17 en insistant sur quelques messages issus de ce rapport.

Vous l'avez dit, la situation évolue très fortement, du fait des nombreux projets de nouveaux réacteurs, mais également en raison de la géopolitique et de la politique nationale.

Je ne reviendrai pas sur le discours de Belfort et les différents conseils de politique nucléaire (CPN) qui se sont succédé depuis un an et demi maintenant.

Les évolutions majeures dans le paysage appellent à prendre des décisions rapides qui nous engagent sur le long terme, une installation nucléaire ayant une durée de vie de 30, 40 voire 50 ans.

Dans les études présentées à la commission, les acteurs de la loi se sont limités à des scénarios cohérents avec la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), mais qui sont aujourd'hui obsolètes. Cette PPE s'avère en effet en total décalage avec les nouvelles orientations à la fois politiques et géopolitiques qui prônent l'augmentation de la durée de vie des réacteurs actuels et la construction de nouveaux réacteurs.

La commission recommande donc qu'une nouvelle programmation définisse très rapidement des scénarios de puissance électrique installée en accord avec ces orientations. La totalité du cycle du combustible, y compris sa fermeture, doit être prise en compte.

La commission souhaite insister sur les impératifs de souveraineté qui imposent de tirer le meilleur parti des matières. Cet objectif est en partie réalisé par le mono-recyclage en réacteur à eau pressurisée (REP) opérationnel aujourd'hui. Il est indispensable de poursuivre dans cette voie.

La commission recommande de porter en priorité les efforts de R&D sur le déploiement de réacteurs à spectre rapide, seuls à même de permettre la fermeture du cycle et donc la meilleure valorisation possible des matières, qu'il s'agisse du plutonium ou de l'uranium appauvri.

Porté par le secteur privé, le développement des petits réacteurs avancés à spectre rapide tend à progresser très vite. Cette voie paraît plus pertinente que le multi-recyclage en REP sur la voie du cycle fermé.

Pour les mêmes raisons de souveraineté, la commission préconise de réaffirmer le statut de matière énergétique pour le stock d'uranium appauvri, mais aussi dans une moindre mesure pour le stock d'uranium de retraitement et de plutonium.

Les usines permettant d'assurer la fermeture du cycle auront besoin d'être rénovées ou remplacées vers 2040, ce qui nécessitera une prise de décision vers 2025. Il est indispensable que les acteurs de la loi actualisent la PPE, sur laquelle se basent les études préliminaires, afin de pouvoir instruire la décision gouvernementale dans leur décision d'investissement.

Concernant la gestion des déchets, la commission considère que les installations de stockage sont des ressources rares qu'on ne peut pas gaspiller. Il faut donc les utiliser de manière optimale.

Il n'existe pas aujourd'hui de solution de stockage identifiée pour les déchets de faible activité à vie longue (FAVL). La commission insiste depuis plusieurs années sur la nécessité de progresser sur l'identification et la qualification des filières de gestion pour ces déchets de faible activité dont la majorité sont déjà produits.

L'Andra étudie actuellement un projet de site de stockage à faible profondeur sur la communauté de communes de Vendeuvre-Soulaines. Nous comprenons des présentations que nous avons eues de l'Andra que ce site ne devrait pas recevoir la totalité des déchets FAVL, mais seulement les volumes qui seraient qualifiés pour cet emplacement. Avancer dans la qualification de ce site demeure quoi qu'il en soit déjà un pas en avant et il nous paraît indispensable de continuer sur cette trajectoire.

L'Andra a déposé début 2023 une demande d'autorisation de création (DAC) pour le centre de stockage de déchets de haute et moyenne activité à vie longue (HAVL/MAVL) Cigéo.

Cette demande s'appuie sur plus de trente ans d'études et de recherches dans des laboratoires, à l'Andra ou chez des partenaires institutionnels ou académiques à l'étranger. Ces travaux ont été réalisés en laboratoires de surface ou dans le laboratoire souterrain implanté dans la même couche géologique que celui destiné à accueillir Cigéo.

Conformément à la loi de 2006, la commission doit rendre un avis scientifique sur cette demande d'autorisation de création de site de stockage géologique profond.

Le dossier d'autorisation de création a été déposé début 2023. L'instruction de sûreté a été confiée à l'ASN qui va mobiliser son appui technique, l'IRSN. L'instruction scientifique est par ailleurs menée par la CNE2 en parallèle de nombreuses concertations qui continuent sur le site. Deux rapports de la CNE2 et de l'ASN doivent être réalisés dans un délai de trois ans. La procédure prévoit ensuite une mise à jour de la DAC en fonction des recommandations de l'ASN, une enquête publique et finalement l'inscription en vue du décret.

Du côté de la CNE2, l'instruction du dossier, qui comprend une dizaine de milliers de pages, est en cours. Nous avons également à notre disposition d'autres documents scientifiques, dont des thèses et des publications dans des revues à comité de lecture auxquelles les pièces du dossier font référence.

Nous ne nous interdisons pas d'adresser des demandes spécifiques à l'Andra pour obtenir des compléments d'informations sur certains points.

L'objectif de la CNE2 est de vérifier la robustesse des fondements scientifiques du dossier, la pertinence des modèles utilisés pour la démonstration et, plus généralement, l'effectivité de la démarche scientifique, en particulier sur des parties clés du stockage.

J'insiste donc sur le fait que le rôle de la CNE2, contrairement à celui de l'ASN, n'est pas de faire une instruction de sûreté.

La commission considère qu'il n'y a pas lieu de remettre en cause le consensus scientifique international et qu'aucune solution d'entreposage ne peut constituer une alternative au stockage profond. Celui-ci restera nécessaire pour gérer les déchets HAVL déjà vitrifiés, les déchets MAVL et, enfin, les déchets ultimes issus d'éventuelles opérations de séparation et de transmutation.

Je signale qu'un comité a été mis en place par le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) sur les solutions alternatives. Il regroupe de nombreux experts, y compris deux membres de la CNE2 et des représentants de la société civile. Ses travaux sont totalement indépendants de ceux de la CNE2, même si le président de ce comité est un ancien président de la CNE2. Afin d'éviter tout conflit d'intérêts, il a totalement coupé les ponts avec nous.

Dans le rapport n°16, la CNE2 avait déjà indiqué qu'elle étudiait toutes les propositions scientifiquement crédibles comme alternatives au stockage.

Ainsi, la transmutation, si elle ne permet pas de s'en affranchir, présente éventuellement la possibilité d'optimiser les capacités de stockage.

Les déchets de très faible activité (TFA) bénéficient déjà d'une filière opérationnelle susceptible d'être bousculée dans ses calendriers en fonction de l'avancement du démantèlement et des différents projets du cycle.

Sur les réacteurs innovants et leurs combustibles, je rappelle la saisine spécifique de la CNE2 pour regarder et évaluer dans le cadre de ses travaux l'impact de ces réacteurs innovants. Si la CNE2 n'a pas vocation à étudier les réacteurs en tant que tels, évaluer leur impact sur le cycle, que ce soit l'amont ou l'aval, fait partie de ses attributions et l'OPECST a souhaité le rappeler en mars 2022.

Il existe actuellement plus de 80 projets de petits réacteurs ou petits réacteurs innovants, Small Modular Reactors (SMR) et Advanced Modular Reactors (AMR), sur la scène française et internationale.

Nous avons rencontré un certain nombre de leurs porteurs pour approfondir leurs spécificités. Le fait qu'ils mettent, de façon générale, assez peu l'accent sur le combustible et encore moins sur l'aval du cycle, nous interpelle.

Nous recommandons donc une approche holistique incluant ces deux aspects ainsi que l'obligation pour les projets bénéficiant de fonds publics de présenter la façon dont ils envisagent la gestion du combustible, en prenant en compte à la fois l'approvisionnement et la souveraineté, mais aussi la partie aval du cycle.

Je souhaiterais maintenant évoquer les enjeux internationaux des SMR et AMR. Les SMR sont réputés moins efficaces que les gros réacteurs, donc plus chers au kilowatt-heure électrique. Cependant, le modèle économique des SMR repose sur l'effet de série, ce qui permettrait de diminuer les coûts de construction et de proposer des prix de l'électricité attractifs, y compris vis-à-vis des grands réacteurs. Cela n'a pas été encore démontré, mais c'est l'objectif recherché.

Pour atteindre ces objectifs, une certaine standardisation est nécessaire. Les projets devront également être validés par les autorités de sûreté des pays dans lesquels ils seront déposés. Aussi, des standards de fait devraient probablement apparaître, imposés soit par les autorités de sûreté soit par la consolidation du marché. Il n'y aura pas de place pour tous, seuls les premiers arrivés ou les plus solides survivront.

Le cinquième PNGMDR repose sur une PPE qui n'est pas du tout alignée avec les nouvelles orientations de la politique nationale. Il est donc important de revoir ce plan, soit en le modifiant, soit en le transformant directement en un sixième PNGMDR. La CNE2 propose des recommandations pour la mise à jour de ce PNGMDR.

D'abord, le cinquième PNGMDR se concentre sur l'aval du cycle et évoque assez peu l'amont. Dans une optique de souveraineté énergétique, nous considérons qu'il est d'une importance stratégique d'accélérer les études sur la valorisation des matières radioactives actuellement entreposées sur le sol national.

Ensuite, il nous paraît important d'étudier la question des nouveaux combustibles, y compris leur impact sur le cycle des matières et des déchets, que ce soit pour les réacteurs actuels, les nouveaux réacteurs EPR2 et, éventuellement, les réacteurs innovants.

J'en viens à la mission que la CNE2 a menée au Royaume-Uni en juin 2023 dans le contexte d'une autre vision du renouveau du nucléaire.

Le Royaume-Uni s'est fixé des objectifs de réduction des émissions de CO2, notamment pour la décarbonation de l'électricité. Dans ce but, il mise en premier lieu sur l'éolien en mer et en second lieu sur le nucléaire.

La production nucléaire de ce pays est aujourd'hui assurée par des réacteurs AGR, anciens, ne pouvant être prolongés pour des raisons techniques. Au-delà de 2025, il ne restera qu'un seul réacteur de ce type au Royaume-Uni. Il est donc indispensable pour le pays d'accélérer très fortement la construction de nouvelles centrales.

Le Royaume-Uni a annoncé un plan de relance du nucléaire pour les trente prochaines années reposant sur trois volets : la construction de réacteurs de forte puissance, trois paires étant prévues dont Hinkley Point C en cours de construction, des SMR dans une deuxième étape, puis des AMR à une échéance un peu plus lointaine.

Le projet de construction d'EPR à Hinkley Point C, avec EDF Energy comme maître d'ouvrage, avance bien et constituera un retour d'expérience très utile pour la France. Le projet de Sizewell C (SZC) devrait prendre la suite.

Pour le programme SMR, le Royaume-Uni a fait le choix de privilégier des projets qui reposent sur des technologies éprouvées, sans aucune innovation sur les réacteurs, mais uniquement sur la méthode de construction, afin d'accélérer la mise en service et de faciliter la qualification. Les projets de SMR s'appuient sur une méthode de construction modulaire permettant de réutiliser les mêmes éléments.

Le Royaume-Uni a annoncé avant la France un appel à projets qui est actuellement ouvert. Malgré la mise en concurrence affichée, il va très probablement privilégier l'expérience acquise par le passé (filières HTR et REP) et des technologies anglaises (concept de SMR-160 de Rolls Royce).

L'Angleterre a beaucoup misé sur le secteur privé et assume aujourd'hui un certain interventionnisme dans la mise en place de cette nouvelle stratégie nucléaire. C'est exactement ce que fait la France maintenant.

Contrairement aux porteurs de projets en France et ailleurs, le Royaume-Uni a pris en main très rapidement la question des combustibles dans une optique de sécurité d'approvisionnement, mais a malheureusement choisi d'assumer l'abandon du cycle fermé. Les usines de retraitement au Royaume-Uni ont fermé il y a quelques années pour diverses raisons. La cause principale reste l'absence de décision sur l'avenir de ces usines.

Pour l'aval du cycle, nous sommes allés visiter le site historique de Sellafield qui illustre la manière dont l'industrie nucléaire a fonctionné il y a quelques dizaines d'années en laissant derrière elle un certain nombre de problèmes à régler. Aujourd'hui, ce site coûte 2 milliards de livres par an et cette situation perdurera une centaine d'années.

Le Royaume-Uni est par ailleurs en quête d'un site de stockage définitif pour les déchets de haute activité.

Je termine par une remarque relative aux questions de souveraineté. Les Britanniques disposent à la fois d'usines de conversion, d'enrichissement et de fabrication du combustible, ce qui leur permet de maîtriser pour eux-mêmes toute la chaîne du combustible, et accessoirement de viser des marchés d'export en particulier vers l'Europe de l'Est.

Mme Anne-Catherine Loisier, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Ma question concerne le pilotage des centrales nucléaires. Il me semble que le Royaume-Uni ne pratique pas, à la différence de la France, un pilotage variable de la puissance.

M. Daniel Salmon, sénateur. - Pouvez-vous nous dire un mot de la gestion de nos déchets en France et de la partie de notre uranium de retraitement (URT) qui va aujourd'hui essentiellement en Russie et nous revient sous forme d'uranium de retraitement enrichi (URE) ? Il y a là un vrai questionnement pour notre souveraineté en lien avec la filière nucléaire.

Les conclusions de votre visite au Royaume-Uni sont plus qu'inquiétantes. Il en ressort qu'il faudra plusieurs décennies pour remettre les choses à peu près d'équerre, avec des investissements colossaux qui s'étaleront sur pratiquement un siècle.

Je pense que votre travail sur le cycle du combustible est essentiel. On parle beaucoup du coût du megawatt-heure issu du nucléaire. Toutefois, qu'en est-il des coûts différés qui me semblent essentiels à prendre en compte ?

M. David Ros, sénateur, vice-président de l'Office. - Votre rapport présente beaucoup d'éléments stratégiques, géopolitiques et scientifiques. L'aspect financier, voire économique, n'est-il pas inclus dans votre champ d'investigation et d'évaluation ?

M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office. - Vous avez indiqué que le coût du site de Sellafield serait de 2 milliards de livres pendant de nombreuses années : quelle est la durée que vous anticipez pour cette dépense ?

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Un opérateur chinois est également présent sur le site d'Hinkley Point avec EDF. Dans la perspective de cette dépendance au combustible, quel est selon vous le rôle de la Chine aujourd'hui ? Ce pays affiche notamment des avancées sur l'uranium faiblement enrichi à teneur élevée. Quelles sont les possibilités françaises de coopération dans les années à venir, notamment dans le cadre du nouveau programme nucléaire annoncé ?

M. Vincent Lagneau. - La question financière n'a pas été évoquée cette année parce que nous n'avions plus d'économiste au sein de notre commission. Ce manque a cependant été comblé depuis le récent renouvellement de la CNE. Nous allons donc pouvoir nous réattaquer à ces questions.

Je ne sais pas répondre aujourd'hui à la question sur les coûts différés, mais je vais simplement rappeler un élément. La Cour des Comptes a estimé que le coût du stockage des déchets, c'est-à dire Cigéo, était de l'ordre de 2, 3 ou 4 % du coût complet de l'électricité. Je n'ai pas la réponse pour l'ensemble de la filière.

Concernant les enseignements tirés de Sellafield, il est vrai que j'ai parlé du Royaume-Uni et non de la France. Le premier enseignement est d'éviter de recommencer les erreurs du passé. Le second est que trop attendre pour lancer le démantèlement ne fait manifestement qu'aggraver les problèmes.

A titre de comparaison, pour les seules installations du CEA, l'ordre de grandeur annuel du budget d'assainissement et de démantèlement est de l'ordre de 750 millions d'euros. Pour le CEA, un premier enjeu est de réduire le plus tôt possible le terme source, ce qui laisse ensuite le temps qu'il faut si l'on ne dispose pas des ressources pour traiter le site concerné à brève échéance. C'est donc l'opposé de Sellafield que l'on a laissé traîner pendant longtemps.

M. Philippe Gaillochet, membre de la CNE2. - Sur l'uranium de retraitement, il est important de noter que les volumes sont relativement peu importants par rapport à la totalité de l'approvisionnement de nos centrales en combustible.

Il manque à l'heure actuelle, en France, une usine de conversion de l'URE.

En revanche, pour ce qui est de l'enrichissement, Orano est en train d'étudier l'extension de son unité afin d'élargir les capacités de traitement. Une décision a été prise et la construction des installations va pouvoir démarrer. On ne peut pas en effet utiliser les mêmes cascades pour l'uranium de retraitement et l'uranium naturel.

Trois réacteurs utilisent l'uranium de retraitement, ce qui représente des volumes très faibles. Il se pourrait que l'on passe à quatre, mais il ne s'agit en tout cas absolument pas de la totalité du parc en fonctionnement.

M. Vincent Lagneau. - Le Royaume-Uni a décidé de se séparer des intervenants chinois pour la construction de ses centrales. EDF Energy est donc le seul acteur pour la construction de la deuxième paire de réacteurs. Je ne commenterai pas les aspects stratégiques qui les concernent.

La partie HALEU (High-Assay Low-Enriched Uranium) appelle quelques remarques. Les réacteurs de faible puissance sont confrontés à une moindre efficacité du coeur du réacteur en raison des fuites de neutrons. Cette faible puissance est compensée soit par un enrichissement supérieur du combustible, avec un uranium plus concentré en uranium 235, soit par l'utilisation de plutonium plus concentré.

La plupart des pays n'ont pas de plutonium puisqu'il vient du retraitement des combustibles usés et donc la filière HALEU est vue comme un moyen de compenser la moindre efficacité neutronique des SMR. La France est dans une situation quelque peu différente puisque nous disposons de plutonium et nos projets ont plutôt insisté sur son utilisation, que ce soit grâce à des filières rapides ou par le recours à un combustible contenant ce plutonium. Le HALEU peut malgré tout être une opportunité de marché pour les opérateurs français, en tout cas à l'étranger. Il existe par ailleurs également des projets en France qui reposent sur le HALEU.

La question du pilotage des centrales nucléaires dépasse notre expertise.

Mme Anne-Catherine Loisier, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Je me demandais si la modulation de puissance était de nature à impacter les objectifs de production et de coût de l'énergie.

M. Vincent Lagneau. - Effectivement, les réacteurs de forte puissance sont réputés ne pas aimer les variations de puissance. On arrive à faire de la compensation de réseau avec eux, mais ils n'ont pas été conçus pour cela. Beaucoup de projets de petits réacteurs sont conçus pour venir en complément des énergies renouvelables intermittentes.

M. Arnaud Bazin, sénateur. - Des entreprises sur nos territoires utilisant des produits dangereux ont l'obligation de conduire des études de danger présentées aux élus locaux. Avez-vous été amenés à en examiner certaines autour de sites de stockage, même provisoires ? Intègrent-elles des hypothèses terroristes ?

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Je vous rejoins d'abord, évidemment, sur l'urgence d'une nouvelle PPE qui nous était annoncée avant l'été, puis avant la fin de l'année 2023, et que je ne vois pas poindre dans nos travaux parlementaires.

Je rappelle que ce texte ne comprend pas seulement des objectifs mais aussi des obligations. Or, nous ne respectons pas celle, posée par la loi de 2006, de fonctionner avec un cycle fermé. Celui-ci ne peut se réaliser qu'avec des réacteurs à neutrons rapides, filière qui a été délaissée en 2019 avec l'abandon du projet Astrid initié il y a plus d'une décennie.

Il y a un vrai sujet de conformité de nos objectifs avec la réalité des pratiques et de la filière nucléaire que nous proposons dans notre pays. Le sujet de la PPE est vraiment majeur.

Pourriez-vous d'ailleurs nous rappeler dans quelle mesure la transmutation, élément absolument essentiel dans cette optique de cycle fermé, permet de réduire la quantité de déchets à retraiter ?

Faut-il à un moment donné confirmer notre orientation vers un cycle fermé et donc relancer des recherches ? Ou faut-il tout simplement reprendre une procédure industrielle déjà éprouvée dans d'autres pays ?

Deuxième point, je réfute l'expression « prolonger la durée de vie des réacteurs ». Il n'y a jamais eu d'obsolescence programmée des réacteurs nucléaires lorsque le plan Messmer a été initié dans les années 1970. C'était plutôt pour les ingénieurs une manière de dire : « Nous sommes tranquilles pendant 40 ans ». Il faut trouver une formulation appropriée pour exprimer l'idée que nos réacteurs sont en capacité de fonctionner encore pendant de longues années.

Un autre sujet est le statut de l'uranium appauvri qui doit être confirmé comme un stock stratégique. Ce point rejoint ma question sur les réacteurs à neutrons rapides. Nous disposons de 350 000 tonnes d'uranium appauvri sur notre territoire qui, si la filière des RNR se développait, nous garantiraient plus d'un millier d'années de production d'électricité, avec des surgénérateurs, c'est-à-dire sans production supplémentaire de matières nucléaires inutilisées.

Tous les sujets étant liés, cette question en rejoint encore une autre, sur les réacteurs innovants, dont vous disiez qu'ils étaient essentiellement fondés sur la filière des neutrons rapides.

Les problèmes de cycle se trouvent donc réduits, puisque nous avons suffisamment d'uranium appauvri sur notre territoire pour alimenter cette filière, même sur des petits réacteurs.

On peut enfin se féliciter que notre pays ait pris des décisions, même s'il a pu, au cours des décennies précédentes, manquer sa marche en avant sur la filière nucléaire. Cigéo est un bel exemple de prise de conscience de la nécessité d'avoir un site pour accueillir en couche géologique profonde nos déchets ultimes.

Par comparaison, si le Royaume-Uni peut s'enorgueillir d'avoir un réacteur développé par Rolls Royce, cela ne suffit pas pour élaborer une vision prospective à long terme sur la gestion des déchets.

Que pouvez-vous nous dire, par comparaison, du projet NUWARD qui est le projet français le plus avancé dans ce domaine, sachant qu'il existe en France une profusion de projets plus ou moins innovants, certains affichant parfois des objectifs qui paraissent inatteignables en termes d'innovation dans la filière nucléaire ?

M. Vincent Lagneau. - Sur les études de danger relatives aux stockages, je vais faire la différence entre l'évaluation de l'évolution du stockage sous des conditions normales, l'évolution géologique et l'évolution liée au changement climatique. Tous ces aspects sont observés avec attention. En revanche, la partie sécurité, c'est-à-dire l'impact des intrusions ou des actes de malveillance, nous échappe totalement.

Concernant la loi de 2006, nous avions souligné dans le rapport n° 15 ou le rapport n° 14 la nécessité pour la France de s'y conformer.

J'ai évoqué tout à l'heure les AMR. On met sous ce sigle des projets de réacteurs à neutrons rapides, mais également beaucoup d'autres éléments, par exemple les réacteurs à haute température, les réacteurs brûleurs d'actinides ou encore les réacteurs de fusion.

Je souhaiterais revenir sur la différence entre la transmutation et les RNR, des réacteurs à neutrons rapides ayant la particularité de pouvoir utiliser du combustible fertile. Les RNR vont brûler du plutonium, celui-ci étant par ailleurs régénéré par la fertilisation ou la capture neutronique sur de l'uranium appauvri. En fonction de la manière dont on règle son mode de fonctionnement, le réacteur peut produire exactement la même quantité de plutonium que celle qu'il consomme. Il est donc isogénérateur. On se trouve donc dans un cycle vertueux où en utilisant de l'uranium appauvri, nous devenons indépendants, y compris de l'amont. Nous n'avons donc plus besoin de mines d'uranium, puisqu`on peut utiliser l'uranium appauvri disponible, qui fabrique le plutonium qui, lui-même, sera consommé.

La transmutation repose également sur des neutrons rapides. Elle est plutôt destinée à détruire tout ce qui est au-delà de l'uranium dans la classification périodique des éléments, comme éventuellement le plutonium, mais surtout les actinides mineurs. Nous considérons que le plutonium est une matière et qu'il y a lieu de l'utiliser de la manière la plus efficace possible dans un réacteur à neutrons rapides pour fabriquer de l'électricité. Le problème au regard du stockage des déchets ultimes vient surtout des actinides mineurs, que la transmutation vise plutôt à détruire.

La transmutation ne règle cependant pas la question du stockage.

Le combustible retraité et les déchets déjà sous forme de verre ne sont pas retraitables. Les MAVL, les déchets de moyenne activité, ne sont pas transmutables. Les FAVL le sont encore moins.

La transmutation peut permettre de détruire un certain nombre d'actinides mineurs, en particulier l'américium, ce qui constitue déjà un grand pas en avant, car cet élément représente la partie la plus thermique des déchets. En l'éliminant, le colis devient donc moins thermique, ce qui permet de concentrer les déchets. L'emprise du stockage devient ainsi bien plus faible, ou bien sa capacité est accrue à emprise égale.

La transmutation et la destruction de l'américium contribuent donc à l'optimisation du stockage même si, à la fin, une partie des actinides mineurs et tous les produits de fission ne seront pas détruits.

J'en viens aux réacteurs « 40 ans ». Cette durée a surtout été utilisée comme variable de dimensionnement de l'amortissement. La qualification du réacteur est réautorisée tous les dix ans et accompagnée d'une visite décennale, y compris pour les échéances de 50 ans et de 60 ans, voire plus. Cela dépend des investissements qui peuvent être consentis par l'industriel, mais surtout de l'autorité de sûreté.

De nombreux projets portés par le secteur privé reposent sur des réacteurs à neutrons rapides qui pourraient permettre, même en l'absence d'Astrid, de revenir beaucoup plus vite qu'imaginé à la technologie RNR.

M. Philippe Gaillochet. - Monsieur le président, vous avez indiqué que l'uranium appauvri représente une ressource quasi inépuisable pour une filière « RNR-sodium ». Ceci étant, un ré-enrichissement de l'uranium appauvri présent sur le territoire apporterait aussi à la filière actuelle des REP une ressource correspondant à 7 à 8 ans d'approvisionnement en uranium naturel. La première étape pourrait donc consister, en cas de problème d'approvisionnement sur les marchés internationaux, à réenrichir l'uranium appauvri et donc à suppléer les importations d'uranium naturel pendant 7 à 8 années.

Par ailleurs, concernant le problème de la sémantique sur le prolongement de la durée de vie des réacteurs, EDF appelle les opérations correspondantes « le grand carénage » et ne fait pas d'hypothèse sur la durée d'exploitation des centrales. L'horizon américain table tout de même sur des durées d'exploitation d'à peu près 80 ans. Compte tenu de la qualité des centrales françaises, il existe donc une marge pour aller plus loin que ce que l'on pouvait escompter à l'origine.

M. Vincent Lagneau. - Je n'ai pas abordé NUWARD, car évaluer la partie réacteur du projet n'est pas le rôle de la CNE2. Concernant la partie cycle, le combustible est presque le même que celui de l'EPR, ce qui par conséquent n'entraîne pas de difficultés particulières.

M. Philippe Gaillochet. - Le projet Rolls Royce utilise des technologies qui sont complètement éprouvées. En comparaison, NUWARD comporte trois innovations susceptibles d'apporter des gains de compétitivité, mais qui peuvent également être facteur de retard par rapport à la concurrence étrangère.

M. Daniel Salmon, sénateur. - Les piscines de La Hague sont aujourd'hui saturées. Pouvez-vous nous donner quelques éléments sur la construction de nouveaux bassins ?

Il y a pratiquement un an jour pour jour, nous visitions le laboratoire Cigéo. En l'absence de PPE actualisée, le projet doit être complètement réinterrogé. Qu'avez-vous comme informations sur les potentialités de Cigéo ?

Effectivement, l'uranium de retraitement ne représente pas une grande partie du combustible aujourd'hui en France. Il est envoyé en Sibérie parce que cette technologie est assez sale et on préfère l'exporter plutôt que la gérer sur le territoire français.

Le fait que la France importe plus de 40 % d'uranium naturel aussi bien du Kazakhstan que d'Ouzbékistan en passant par la Russie pose quelques questions de souveraineté même si nous disposons d'un important stock d'uranium appauvri. Quel coût et quel bilan énergétique impliquent le réenrichissement de l'uranium appauvri ?

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Je rejoins évidemment les préoccupations de Daniel Salmon sur l'urgence de faire aboutir Cigéo. Étant donné que le projet se trouve dans sa phase terminale, il serait inconcevable de le ralentir et même d'en envisager un autre si les besoins s'en faisaient sentir.

Sur le renouvellement des installations de retraitement, vous donnez 2025 comme date butoir pour pouvoir être opérationnel en 2040. Estimez-vous donc que 15 ans sont nécessaires en France pour faire aboutir un projet et purger tous les recours éventuels sur ce type de sujets ?

M. Christophe Fournier, vice-président de la CNE2. - Il y a effectivement un engorgement progressif des piscines, y compris de La Hague. Un certain nombre de mesures sont évidemment étudiées, avec tous les aspects sûreté afférents, mais elles ne permettent de traiter la question que pour quelques années.

EDF a présenté un projet de piscine centralisée de plus grande capacité qui pourrait être mise en service vers le milieu des années 2030. La commission estime que l'entreposage sous eau des combustibles usés est préférable à l'entreposage à sec, une option par ailleurs étudiée comme mesure transitoire, car largement utilisée à l'étranger.

L'entreposage à sec en sûreté est possible, mais la capacité d'ouvrir ultérieurement le colis pour récupérer le combustible et l'intégrer dans un processus industriel de traitement n'est pas démontrée à ce jour.

Les États-Unis envisagent de stocker tels quels les containers d'entreposage à sec pour ne jamais avoir à les ouvrir. La CNE2 estime que des études complémentaires sur l'évolution du combustible et la capacité à le manipuler sont nécessaires, avant d'envisager d'y stocker des combustibles usés qu'on pourrait ne plus savoir retraiter faute de les manipuler.

Ce dossier est très lié à celui des piscines et souligne l'importance et l'urgence d'avancer sur un dossier qui techniquement n'est pas difficile.

M. Vincent Lagneau. - Pour Cigéo, l'Andra a déposé sa demande d'autorisation de création qui repose sur un inventaire de référence bien calibré. L'Andra a fait sa démonstration, à l'étude par l'ASN et de manière complémentaire par la CNE2, et on arrivera peut-être à concevoir Cigéo sur la base de cet inventaire.

Évidemment, de nouveaux réacteurs, y compris de nouveaux types de réacteurs, seront à l'étude. Le fait de réussir à mener à bien le projet Cigéo démontre notre capacité à traiter ces déchets de manière correcte. Les futurs déchets pourraient éventuellement être pris en charge dans le cadre d'une évolution de Cigéo, à condition qu'une étude complémentaire d'adaptabilité, validée par l'ASN, montre qu'il est possible d'accepter des colis supplémentaires dans Cigeo. C'est une première partie de la réponse. La deuxième partie de la réponse est qu'à partir du moment où l'on sait construire Cigéo, on a démontré que l'on sait traiter des déchets HAVL. Il me paraît important aujourd'hui de ne pas complexifier l'analyse du dossier d'autorisation de création en modifiant les curseurs pendant l'instruction.

M. Philippe Gaillochet. - Les textes disent très clairement que Cigéo est conçu pour accueillir les déchets de l'inventaire de référence.

Ceci étant, Cigéo doit être également conçu pour éventuellement accueillir des substances qui figurent à l'inventaire de réserve.

À moins de modifier les textes, il n'y a pas de risques que cet inventaire de référence soit considérablement différent des éléments qui sont, à l'heure actuelle, décidés.

M. Vincent Lagneau. - Il se trouve que je m'intéresse à la question de l'uranium naturel au titre de mes fonctions extérieures à la commission. Il y a une dizaine d'années, je pouvais dire à mes élèves que le pétrole générait des problèmes géopolitiques. Je pouvais les inviter à superposer la carte des producteurs de pétrole et celle des endroits dans le monde où se produisaient des crises politiques voire militaires. Nous ne pouvons pas tenir le même discours au sujet de l'uranium car ses réserves sont plus dispersées et localisées dans des pays réputés stables.

Par conséquent, j'ai révisé ce type de discours, y compris devant mes élèves. Les sources d'énergie peuvent se situer dans des pays plus ou moins stables ou dans des pays qui relèvent de sphères d'influence qui peuvent être mouvantes. Des questions de souveraineté peuvent alors se poser, nous en avons abondamment parlé aujourd'hui. Je ne dis pas que des problèmes n'existent pas aujourd'hui. Il me semble toutefois pertinent d'appréhender ces questions de manière globale et de ne pas se mettre en position de dépendre de certains pays.

La question se complique par ailleurs puisque la consommation d'uranium est susceptible d'augmenter très significativement dans les 20 ans qui viennent. Il suffit d'examiner les projets en cours en Chine et en Russie. En les étudiant, on peut supposer que la consommation d'uranium augmentera de 30 % dans les vingt prochaines années.

Concernant le coût du réenrichissement, nous avons dit tout à l'heure que l'uranium appauvri était une matière au sens où il peut être utilisé pour les RNR. C'est également une matière au sens où il peut être réenrichi. On peut donc le voir de deux manières. Certaines sociétés utilisent déjà le réenrichissement de l'uranium appauvri en fonction des conditions du marché. En fonction du prix du réenrichissement, il est donc déjà rentable aujourd'hui de réenrichir l'uranium appauvri. Orano n'exerce pas cette activité et préfère stocker son uranium appauvri. Toutefois, il est clair que le coût du réenrichissement n'est pas dramatiquement élevé. Il est quasi identique au prix du marché et, à vrai dire, parfois même économiquement rentable. Côté bilan énergétique, le contenu énergétique de l'uranium est tellement gigantesque que le rendement énergétique sera toujours très efficace.

La question concerne donc l'approvisionnement en uranium naturel et, plus que la disponibilité de l'uranium, la recomposition des flux du marché à l'échelle mondiale sous différentes pressions : modification significative de la consommation par certains pays ou des recompositions dépendant plus de considérations géopolitiques.

Sur le renouvellement des installations du cycle, la durée de 15 ans correspond au temps nécessaire à l'instruction des dossiers par les opérateurs pour prendre leurs décisions d'investissement et à la construction, de manière à disposer des installations en 2040.

2025 nous paraît une date raisonnable pour prendre la décision. Si l'on choisit une autre échéance, on risque de se trouver dans la même situation que celle des Anglais, qui doivent faire face aux conséquences d'une absence de décision.

M. Philippe Bolo, député. - Je voudrais rebondir sur les réponses que vous avez données sur le dimensionnement de Cigéo et l'inventaire de référence puisque la capacité d'accueil de nouveaux déchets est un sujet essentiel au regard du nouvel horizon nucléaire qui a été dessiné.

Je voudrais savoir si les déchets nucléaires issus des SMR sont sensiblement différents en termes de volumes, de quantité et de compacité. Y a-t-il un rapport entre les déchets nucléaires issus des EPR et ceux issus des SMR et ce rapport est-il équivalent à celui de la puissance entre les deux installations ?

M. Vincent Lagneau. - La différence entre NUWARD et l'EPR n'est pas considérable. Pour les autres SMR, la situation est à étudier. Une étude a d'ores et déjà été menée par l'Académie des Sciences des Etats-Unis sur les déchets générés par les SMR par rapport à d'autres réacteurs. Elle n'est pas complètement conclusive puisqu'en pratique, il faudrait examiner le sujet point par point et étudier les technologies spécifiques.

Concernant les AMR, la typologie des déchets sera totalement différente. Avec un réacteur brûleur d'actinides qui repose sur un réacteur à sel fondu, on n'est pas du tout dans la même situation qu'avec un combustible classique MOX ou même Huox. C'est pour cette raison qu'il est indispensable de s'intéresser dès maintenant à la fois à la partie combustible et à la partie aval. La commission a ciblé, avec ce sujet, un point faible des projets. Nous avons posé cette question spécifique à tous les responsables des projets que nous avons rencontrés. Ils nous ont apporté des réponses plus ou moins satisfaisantes. Cependant, nous insistons sur ce point. Il faut absolument mettre au défi toutes les personnes responsables de ces projets de s'approprier, en interne ou avec d'autres acteurs, la question de la gestion des déchets.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Je remercie la CNE2 pour cette présentation très pédagogique et pour tout le travail qu'elle réalise en amont.

La séance est levée à 11 heures 05.