Jeudi 29 février 2024

- Présidence de M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office -

La réunion est ouverte à 9 h 10.

Audition publique sur la protection de la biodiversité marine en haute mer

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Bienvenue à cette audition publique de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) consacrée à la protection de la biodiversité en haute mer.

Au cours des dernières années, l'Office a publié plusieurs travaux sur la biodiversité, notamment le rapport de Florence Lassarade sur le réchauffement climatique et la biodiversité, et les notes scientifiques d'Annick Jacquemet sur le déclin des insectes et la pollution lumineuse, d'Hendrik Davi sur les espèces exotiques envahissantes et de Jérôme Bignon sur l'effondrement de la biodiversité.

En revanche, l'Office s'est assez peu penché sur la question des océans. Notre ancien collègue Roland Courteau a produit en 2011 un rapport sur la pollution en Méditerranée. Plus récemment, en 2021, la protection de la biodiversité au travers de la création d'aires marines protégées dans l'Antarctique avait été brièvement évoquée dans le cadre d'une audition publique sur la recherche française en milieu polaire organisée par Huguette Tiegna et Angèle Préville, sans pour autant être au coeur des débats.

Je salue par conséquent l'initiative de notre collègue Mereana Reid Arbelot, qui nous a proposé de consacrer l'entièreté d'une audition publique à la seule problématique, cruciale, de la protection de la biodiversité en haute mer. Il n'est guère étonnant que cette proposition soit venue d'une députée de Polynésie française, territoire particulièrement concerné par le sujet.

Avec près de 11 millions de km2 de zone économique exclusive (ZEE), la France possède le deuxième domaine maritime mondial, dont 97 % autour de ses outre-mer : cela explique que l'Office ait souhaité associer à cette audition publique les deux délégations aux outre-mer de l'Assemblée nationale et du Sénat.

La proposition de Mme Reid Arbelot s'inscrit dans le contexte historique de l'accord sur la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, adopté par consensus en juin 2023 par les États membres de l'Organisation des Nations Unies.

Cette séance sera consacrée à l'approfondissement des enjeux scientifiques de ce traité. Comment garantir par exemple qu'il permettra réellement de protéger la biodiversité marine ?

Je rappelle que cette audition est diffusée en direct sur le site de l'Assemblée nationale et sera ensuite disponible en vidéo à la demande sur les sites de l'Assemblée nationale et du Sénat. Les internautes ont également la possibilité de soumettre des questions, que nous répercuterons auprès des intervenants lors des échanges qui suivront chacune des tables rondes.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Je souhaite remercier Mereana Reid Arbelot pour sa volonté de porter haut le sujet de la protection de la biodiversité en haute mer.

Des échéances en termes de coopération internationale interviendront en 2025 avec la conférence des Nations Unies sur l'océan qui se tiendra en France ; il est donc important que l'OPECST anticipe ces discussions futures et les positions françaises. Il sera intéressant, à l'issue de cette audition et une fois rendues les conclusions de la rapporteure, que l'Office sollicite le secrétaire d'État chargé de la mer et de la biodiversité pour appuyer l'ensemble de nos demandes d'un point de vue politique. Il faut en effet s'attacher à ce que les travaux de l'OPECST, à l'articulation entre les dimensions scientifiques et politiques, puissent faire émerger des réflexions au sein des ministères chargés de défendre les positions françaises dans le cadre de ces traités internationaux.

Mme Micheline Jacques, sénatrice, présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - La délégation sénatoriale aux outre-mer a pour mission d'éclairer le Sénat sur toute question relative aux outre-mer, de veiller à la prise en compte des spécificités ultramarines et de la diversité des territoires, et de contribuer à une meilleure visibilité des outre-mer.

Pour y parvenir, notre délégation est particulièrement soucieuse de développer des travaux transversaux. Cette invitation, dont je vous remercie, nous en fournit l'occasion, sur une thématique qui nous tient particulièrement à coeur.

Sous l'impulsion de mon prédécesseur Michel Magras, qui a consacré toute son énergie et sa passion à ce sujet, la délégation a organisé un cycle de colloques sur les biodiversités ultramarines, qui s'est ouvert le 31 mai 2018 par une session dédiée au bassin pacifique, s'est poursuivi le 6 juin 2019 par une conférence sur le bassin atlantique et s'est conclu le 23 avril 2020 par une séance sur le bassin de l'océan Indien. Ces manifestations ont réuni plus de 500 participants. Organisés en partenariat avec l'Agence française pour la biodiversité, devenue depuis le 1er janvier 2020 l'Office français de la biodiversité, ces colloques ont donné lieu à des contributions de grande qualité. La somme de ces travaux, consultables sur le site internet du Sénat, constitue une mine d'informations, toujours pleinement d'actualité.

Votre initiative sur la haute mer vient judicieusement prolonger ce travail parlementaire, dont les enjeux sont essentiels pour nos outre-mer. Je tiens, au nom de nos collègues, à vous en féliciter.

Nous souhaitons, comme vous, alerter sur les menaces, éclairer les potentialités et préparer le grand rendez-vous de 2025, qui sera l'année de l'océan en France et verra se tenir en juin à Nice la troisième conférence des Nations Unies sur l'océan.

Mme Mereana Reid Arbelot, députée, rapporteure. - Je suis particulièrement heureuse que l'OPECST se saisisse, à travers cette audition publique, du sujet ô combien important de la protection de la biodiversité marine en haute mer.

La haute mer représente plus de la moitié de la surface du globe et 64 % des océans. Bien que ne figurant sous la juridiction d'aucun État, elle n'est pas pour autant une zone de non droit. Son régime est défini par la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, adoptée en 1982.

Concrètement, la haute mer est soumise à des droits tels que la liberté de navigation, de survol, de pose de câbles sous-marins, de pêche ou de recherche scientifique. Elle est également assujettie à des devoirs, parmi lesquels la protection et la préservation du milieu marin, consacrées dans la partie 12 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer.

La mise en oeuvre de la réglementation des activités en haute mer se heurte toutefois à plusieurs difficultés. Il convient tout d'abord de noter, comme le souligne la fondation Tara Océan, que le contexte politique, social, économique et environnemental de la haute mer a énormément évolué depuis que la constitution de l'océan mondial a été adoptée en 1982. Des concepts comme la biodiversité, le développement durable ou l'approche écosystémique n'en étaient alors qu'à leurs balbutiements, sans parler de notre compréhension du changement climatique.

La protection de la haute mer se heurte par ailleurs au problème de sa gouvernance, à la fois lacunaire et fragmentée, aussi bien en termes géographiques que sectoriels.

Face à cette cacophonie océanique, les membres des Nations Unies ont entrepris, à partir des années 2000, d'arrêter de nouvelles règles visant à garantir la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité marine en haute mer. Après des années de négociations, un accord connu essentiellement sous son acronyme anglais BBNJ (Biodiversity Beyond National Jurisdiction) a été adopté par consensus en juin 2023.

La protection de la haute mer est importante non seulement en raison de la superficie qu'elle représente, mais aussi parce que les océans forment un tout, en dépit des frontières artificielles créées par le droit de la mer. Ainsi, les mesures prises par les États pour sauvegarder la biodiversité dans les zones relevant de leur souveraineté perdent une grande partie de leur efficacité si les zones situées au-delà des juridictions nationales ne sont pas protégées. Ni la faune, ni les pollutions ne connaissent les frontières administratives mises en place par la communauté internationale.

À cette conception territoriale de l'océan s'oppose la vision de nombreuses communautés insulaires, notamment océaniennes, qui considèrent l'océan comme un espace commun, pacifique, de communication entre les peuples, et dont elles apparaissent comme les gardiennes les plus légitimes. Parce que l'océan est au coeur de leur identité, elles ont développé des formes traditionnelles de gestion des ressources de l'océan adaptées à son caractère holistique, qui inspirent aujourd'hui la communauté internationale.

Ce n'est donc pas un hasard si les pays insulaires sont fortement impliqués dans la défense de la biodiversité des océans. En France, les outre-mer ont vocation à jouer un rôle moteur dans la promotion du BBNJ et le suivi de son application, dans la mesure où ils sont les premiers concernés par les conséquences délétères de la perte de biodiversité des océans.

Je rappelle que si le domaine maritime de la France couvre une superficie de plus de 10,2 millions de km2, 5,5 millions de km2 bordent la Polynésie, 1,7 million de km2 les terres australes et antarctiques et 1,4 million de km2 la Nouvelle-Calédonie. Les territoires ultramarins représentent ainsi 97 % du domaine maritime français.

Le changement climatique a des effets particulièrement négatifs sur les océans, qui se répercutent de manière violente sur les régions côtières et insulaires. Je rappelle à cet égard que l'une de mes initiatives en tant que députée a été de déposer en décembre 2023 avec mon collègue Marcellin Nadeau une proposition de résolution visant à adapter et mutualiser nos politiques publiques au changement climatique, à destination notamment des villes côtières et insulaires.

Cette audition publique va s'articuler autour de deux tables rondes. La première va s'intéresser aux enjeux scientifiques qui ont poussé à l'adoption du BBNJ et aux menaces liées aux activités en haute mer qui pèsent sur la biodiversité. La seconde se concentrera sur les conditions à réunir pour assurer l'efficacité du BBNJ.

Je souhaite remercier M. Jean-Marc Daniel, directeur général délégué chargé de la stratégie à Ifremer, et M. Joachim Claudet, directeur de recherche au Centre de recherches insulaires et Observatoire de l'environnement (CRIOBE) et conseiller pour l'océan au CNRS, pour leurs précieux conseils dans la préparation de cette audition publique.

À titre liminaire, je vais demander à M. Olivier Poivre d'Arvor, ambassadeur pour les pôles et les enjeux maritimes, d'intervenir pour replacer le BBNJ dans son contexte et nous présenter l'implication de la France pour son adoption et sa ratification.

M. Olivier Poivre d'Arvor, ambassadeur pour les pôles et les enjeux maritimes. - En tant qu'ambassadeur pour les pôles, je tiens à remercier tout d'abord l'OPECST de sa contribution majeure aux sujets polaires, qui a permis, à travers le One Planet Polar Summit organisé voici quelques mois, de replacer la recherche polaire française dans la cour des grands.

J'interviens également en tant qu'envoyé spécial du Président de la République pour l'organisation de la conférence des Nations Unies sur l'océan, qui se tiendra à Nice en juin 2025 et sera probablement la plus grande réunion jamais organisée à l'échelle internationale sur ce sujet majeur. Dans ce contexte, cette discussion cruciale sur les enjeux scientifiques liés à la protection de la biodiversité prend tout son sens.

Il s'agit en effet d'un enjeu majeur, en termes tout d'abord de superficie, puisque la haute mer représente quelque 65 % de la surface des océans, soit la moitié de la surface du globe. Cet écosystème est d'une richesse extraordinaire en termes de biodiversité et de ressources génétiques, mais recouvre également des enjeux économiques, sociaux et culturels extrêmement importants. Le message transmis par nos outre-mer nous invite à une implication absolument indispensable des peuples de l'océan dans la réflexion à mener sur la biodiversité marine. Les enjeux, incluant celui de la sécurité alimentaire, sont considérables.

Cette biodiversité est menacée par des activités humaines. La convention des Nations Unies de 1982 sur le droit de la mer comprenait différentes dispositions relatives à la haute mer, mais n'était pas allée très loin dans ce domaine, même si elle posait des principes fondamentaux en matière de protection de l'environnement.

En revanche, l'accord BBNJ adopté formellement par consensus aux Nations Unies le 19 juin 2023 après plus de quinze ans de négociations, dans un contexte géopolitique caractérisé par la guerre menée en Ukraine par la Russie, constitue une avancée majeure. Les enjeux étaient nombreux. Il fallait tout d'abord, sur un plan juridique, trouver un équilibre entre le respect des mandats et des compétences fixés par les cadres préexistants. Il importait en outre d'ouvrir la voie à une gouvernance multilatérale effective, inclusive de l'océan et prenant en compte les petits États insulaires très menacés par les effets du changement climatique. Cela renvoie d'ailleurs à votre audition sur les sujets polaires, puisque la trajectoire engagée devrait conduire, si elle n'est pas infléchie, à une augmentation du niveau de la mer de deux mètres environ d'ici 2100, due en partie à la fonte des inlandsis du Groenland et de l'Antarctique et au réchauffement de l'eau. Il était essentiel de prendre en considération les attentes des pays en développement, qui ont montré dans cette négociation l'importance qu'ils attachent à ce sujet et la place qu'ils entendent y prendre, en matière notamment de partage des richesses et des avantages issus de l'utilisation des ressources marines génétiques, qui représentent des revenus considérables. Il faut se féliciter d'avoir pu aboutir dans ce cadre.

Cet accord prévoit des outils de gestion que je trouve très innovants et ambitieux, avec la création d'aires marines protégées, la réalisation d'études d'impacts environnementaux et la mise en place d'un régime d'accès aux ressources génétiques marines. Cela contribuera à répondre à l'objectif fixé lors de la COP15 de décembre 2022 d'aboutir à une protection d'au moins 30 % des mers et 30 % des terres d'ici 2030.

La France a signé le BBNJ dès le jour de la cérémonie d'ouverture au siège des Nations Unies, le 20 septembre 2023, marquant ainsi son fort engagement en faveur de la protection de la biodiversité. Nous continuons à vouloir apparaître comme un pays leader en la matière, ne serait-ce que par la responsabilité importante qui nous a été confiée par les Nations Unies d'organiser en juin 2025 la conférence précédemment mentionnée, et travaillons à encourager un maximum d'États à signer et ratifier cet accord au plus vite. L'engagement de la France s'est traduit très tôt par le lancement, lors de la présidence française de l'Union européenne, d'une coalition très efficace, qui réunit aujourd'hui quelque 60 États.

À ce jour, rien n'est encore gagné. 87 États seulement ont signé l'accord, ce qui est insuffisant, et il reste des étapes importantes à franchir pour que ce texte entre en vigueur. 60 ratifications sont nécessaires pour cela. Or aujourd'hui, seuls les Palaos et le Chili ont déposé leur instrument de ratification auprès des Nations Unies. Il est donc légitime, à la veille de la troisième grande conférence des Nations Unies sur l'océan, de s'inquiéter que le seuil des 60 pays ne soit pas atteint.

Pour la France, la ratification implique une autorisation parlementaire, conformément à l'article 53 de la Constitution. Je ne peux évidemment qu'encourager notre pays à s'engager dans cette voie le plus rapidement possible. Cela suppose toutefois de travailler de façon concomitante à une ratification de l'Union européenne : nous espérions que l'UE pourrait ratifier l'accord lors de la session actuelle du Parlement européen, mais il semble que cela soit difficile, voire impossible. La ratification simultanée de l'UE et de ses États membres n'est donc pas acquise. Il faut par conséquent poursuivre le travail, auprès notamment des parlementaires européens et de la Commission européenne. Une ratification prochaine, sous cette législature ou juste après les élections européennes, est souhaitable. Il faut en effet que nous, Européens, donnions un signal fort aux autres pays pour qu'ils ratifient cet accord.

L'Union européenne s'est engagée à mobiliser 40 millions d'euros dans le cadre d'un programme mondial pour l'océan, afin d'aider les pays en développement à se préparer à la ratification, car cela nécessite un important travail juridique et implique des coûts de mise en oeuvre.

Il est très important à nos yeux que cette ratification intervienne dans les plus brefs délais. Toutes les actions que vous pourrez entreprendre dans ce cadre auprès des députés européens seront assurément très utiles.

La protection de la biodiversité ne se limite pas à ce sujet. La France a notamment pris une position très marquée et remarquée sur la question del'exploitation des grands fonds marins, partagée avec les territoires d'outre-mer, qu'il s'agisse de la Polynésie ou de la Nouvelle-Calédonie. Le Président de la République a ainsi souhaité porter l'idée, pour notre propre zone économique exclusive mais aussi au-delà, dans le cadre de la négociation d'un accord sur l'établissement d'un code minier, d'un moratoire visant à s'assurer que l'exploitation des fonds marins envisagée n'impactera pas fortement cet environnement.

Il s'agit d'un sujet crucial, assez technique, sur lequel votre action est tout à fait déterminante. Je tiens à vous remercier de porter cette dynamique à un niveau politique.

PREMIÈRE TABLE RONDE
LE BBNJ POUR FAIRE FACE AUX MENACES PESANT SUR LA BIODIVERSITÉ LIÉES AUX ACTIVITÉS EN HAUTE MER

Mme Mereana Reid Arbelot, députée, rapporteure. - La première table ronde va mettre en lumière les menaces liées aux activités en haute mer qui pèsent sur la biodiversité.

Nous accueillons tout d'abord Pascale Ricard, chargée de recherche CNRS au Centre d'études et de recherches internationales et communautaires. Sa thèse, couronnée de plusieurs prix, portait sur la conservation de la biodiversité dans les espaces maritimes internationaux, alors que le BBNJ était encore en négociation. Entrée au CNRS en 2019, elle a orienté ses travaux principalement vers le droit international de la mer, de l'environnement, mais aussi le droit international public général et le droit des organisations internationales. Mme Ricard va nous présenter le contenu du traité BBNJ, ainsi que la manière dont celui-ci s'articule avec l'existant. Je vous remercie, Madame, d'avoir pris sur votre temps de congé pour partager avec nous par visioconférence votre excellente connaissance du BBNJ.

Mme Pascale Ricard, chargée de recherche CNRS au Centre d'études et de recherches internationales et communautaires (CERIC). - Je tiens tout d'abord à rappeler que l'adoption du BBNJ est l'aboutissement d'un processus de longue haleine. C'est en effet en 2004 que l'Assemblée générale des Nations Unies a formulé ses premières préoccupations concernant la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité dans les espaces maritimes internationaux et que les États se sont interrogés sur le caractère suffisant ou non du droit international en la matière. Cela a ensuite conduit progressivement à la négociation formelle du texte, qui a duré cinq ans, de 2018 à 2023, ce qui est relativement court, après un important travail préparatoire de plus de quinze ans.

Cet accord concerne 65 % de la surface des océans et près de la moitié de la surface de la Terre. Son champ d'application spatial porte sur la haute mer, c'est-à-dire la colonne d'eau située au-delà des 200 milles nautiques de la zone économique exclusive des États, mais aussi la zone internationale des fonds marins que constituent le sol et le sous-sol sous-jacents à la haute mer. Cet accord marque donc une tentative de défragmentation des espaces maritimes, avec une mise en commun des espaces maritimes internationaux que sont la haute mer et la zone internationale des fonds marins. Cela pose quelques questions en termes d'articulation avec d'autres textes. Nous y reviendrons.

L'accord contient principalement des dispositions relatives à quatre champs thématiques, identifiés dès 2011 par les États comme un package deal, avec des éléments pour lesquels des lacunes pouvaient être relevées en matière de droit de la mer.

Cela concerne tout d'abord les outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées. Aucun instrument juridique ne permet actuellement de créer des aires marines protégées en haute mer. Seules certaines conventions régionales ont cette capacité.

Le deuxième champ est celui des études d'impact environnemental. Les États ont certes une obligation générale de réaliser de telles études, mais comme aucune procédure spécifique n'était jusqu'alors prévue à cet effet, cette obligation n'était pas respectée.

De la même manière, l'utilisation des ressources génétiques marines, au fort potentiel économique, dans les domaines par exemple de la médecine ou des industries cosmétiques, n'était régie par aucune norme, si bien que le principe du « premier arrivé premier servi » primait.

Enfin, le quatrième volet est relatif au renforcement des capacités des pays en développement et au transfert des technologies.

Nous allons à présent, avant de nous intéresser à l'articulation avec l'existant, examiner ce que prévoit le BBNJ pour chacun de ces éléments.

Concernant les outils de gestion par zone et les modalités de création d'aires marines protégées, les États pourront, lorsque l'accord sera en vigueur, désigner collectivement ou individuellement des aires protégées ou tout autre outil de gestion par zone. Leurs propositions devront alors contenir toutes les informations nécessaires à la désignation des zones concernées, y compris les mesures de conservation et les mesures de contrôle associées afin d'assurer leur effectivité. Cette procédure inclut la consultation et la collaboration avec toutes les parties prenantes concernées, une évaluation par un organe scientifique et technique et une adoption de ces mesures par la conférence des parties du nouvel accord, par consensus ou vote à la majorité des trois quarts, afin d'éviter toute situation de blocage telle que celles rencontrées dans le cadre du système relatif à l'Antarctique. Les États ont négocié une possibilité d'opt out leur permettant, dans certaines circonstances et si cela est justifié, de demander à être exemptés des mesures de conservation décidées. Cette possibilité est toutefois assez encadrée. Ces outils de gestion par zone vont permettre de mettre en oeuvre les objectifs adoptés lors de la COP15, dans le cadre de la convention sur la diversité biologique de décembre 2022, et notamment de créer 30 % d'aires marines et terrestres protégées d'ici 2030.

Si l'obligation de réaliser des études d'impact environnemental existait déjà, aucune procédure relative aux activités dans les espaces maritimes internationaux n'était prévue. Le seuil reste élevé : la réalisation de telles études ne sera en effet exigée qu'en cas de risque de pollution importante ou de modifications considérables et nuisibles du milieu marin. La procédure définie dans le BBNJ comporte des éléments tels que la consultation des parties prenantes au sens large, la transparence et la prise en compte des États potentiellement affectés parce qu'ils sont côtiers ou mènent des activités dans les espaces concernés. La procédure est intéressante car elle prévoit une prise en considération des impacts cumulés des différentes activités conduites en mer, y compris des changements climatiques, ainsi que des évaluations stratégiques d'impact. Il convient par ailleurs de noter que le dernier mot appartient à l'État, qui peut décider de déployer ou non son activité à la lumière de l'étude d'impact environnemental. Il doit toutefois avoir « fait tous les efforts raisonnables pour que l'activité puisse être menée d'une manière compatible avec la prévention des impacts néfastes importants sur le milieu marin ».

Je ne développerai pas, faute de temps, les éléments relatifs aux ressources génétiques marines, à l'accroissement des capacités des pays en développement et au transfert de technologies, sur lesquels nous reviendrons, je suppose, lors des échanges.

Il faut savoir que le nouveau traité n'arrive pas dans un espace vierge, mais va chevaucher des règlementations qui existent déjà en matière de navigation, d'exploration et d'exploitation des fonds marins ou de pêche. Pour articuler ce texte avec l'existant, les États ont consacré d'emblée le principe de ne pas porter atteinte aux instruments juridiques pertinents et de favoriser la cohérence et la coordination. Des dispositions relatives à la coopération ont donc été introduites. Il est en effet difficile de parler de protection de la biodiversité en écartant les questions relatives à la pêche ou à l'exploration et l'exploitation des fonds marins. L'une des dispositions particulièrement intéressantes à cet égard est celle de l'article 22, qui prévoit que « la Conférence des parties mène des consultations avec les institutions compétentes et formule des recommandations quant à l'articulation de leurs compétences ».

Des outils spécifiques sont également prévus : il est par exemple indiqué que les aires marines protégées ne doivent pas diminuer l'effectivité des mesures de conservation adoptées dans d'autres cadres. Des recommandations visent par ailleurs à promouvoir l'adoption de mesures pertinentes dans d'autres cadres.

Pour ce qui est des études d'impact environnemental, des systèmes d'équivalence, de transparence et de publication sont prévus.

Cette question de l'articulation du traité avec l'existant est un enjeu très important, puisque les compétences de l'Autorité internationale des fonds marins ou des organisations régionales de gestion des pêches par exemple chevauchent en partie les éléments qui devraient être règlementés dans le cadre du BBNJ. Le champ d'application de ce nouveau traité demeure donc relativement limité et dépendant de l'effectivité des autres régimes de conservation de la biodiversité.

Mme Mereana Reid Arbelot, députée, rapporteure. - La parole est à Denis Duclos, directeur des relations européennes et internationales au Muséum national d'histoire naturelle, qui va évoquer la place de la science dans le BBNJ. Elle y apparaît comme un outil d'aide à la décision, notamment dans l'élaboration des aires marines protégées ; mais le BBNJ tend également à règlementer les activités scientifiques dans le cadre de la protection des ressources génétiques marines, ainsi que les informations de séquençage numérique acquises à partir de ces ressources.

M. Denis Duclos, directeur des relations européennes et internationales au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN). - Mon intervention s'inscrit dans le prolongement de l'exposé précédent, puisque je vais vous proposer une lecture de l'accord au regard de ses enjeux scientifiques. Le BBNJ accorde une place importante à la science et lui assigne différents rôles. Dans le cadre des analyses menées au Muséum national d'histoire naturelle, nous en avons distingué trois : un outil d'aide à la décision, un outil d'aide à la coopération et un objet de réglementation.

Je souhaite avant tout mettre l'accent sur le fait que la science est une composante incontournable du BBNJ. Pour le démontrer, j'utilise un indicateur relativement basique, consistant à comptabiliser dans le texte les occurrences des termes « recherche », « science » et « scientifique ». J'ai obtenu un résultat de 132 occurrences. Sachant que l'accord compte seulement 57 pages, annexes comprises, on peut affirmer que les mots recherchés y sont très présents.

Ce critère quantitatif doit nécessairement être couplé à un indicateur qualitatif. Ainsi, la liberté scientifique maritime et l'utilisation des meilleures données scientifiques disponibles sont consacrées dans les alinéas c et i de l'article 7 et doivent permettre d'atteindre les objectifs de préservation et de conservation de la biodiversité en haute mer fixés dans l'accord. Il y est fait mention très précisément de « la liberté de la recherche scientifique conjuguée aux autres libertés de la haute mer » et il est indiqué que « l'utilisation des meilleures connaissances et informations scientifiques disponibles concourt à l'atteinte des objectifs du présent accord ».

L'accord BBNJ assigne à la science un rôle d'outil d'aide à la décision. Ceci se matérialise notamment par l'instauration d'un organe scientifique et technique composé de membres siégeant en qualité d'experts, qui doit refléter une expertise multidisciplinaire et fournir des avis et recommandations scientifiques et techniques à la conférence des parties. En ce sens, cet organe a un rôle fondamental.

Signalons également, à l'article 46 de l'accord, l'instauration d'un comité de renforcement des capacités et de transfert de techniques marines, qui sera lui aussi très probablement constitué de scientifiques.

L'organe scientifique et technique mentionné précédemment interviendra tout particulièrement dans la mise en place des outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées, à tous les stades de leur existence, c'est-à-dire lors de leur création, au cours de leur gestion et à l'occasion de leur révision périodique. Cet organe aura un rôle de premier plan lorsque des mesures d'urgence devront être prises, en cas de menaces particulièrement graves sur la biodiversité située en haute mer. Ceci étant, le dernier mot appartient aux États, ainsi que l'a indiqué Mme Ricard précédemment.

Cet organe est également central dans le domaine des études d'impact environnemental. L'article 38, qui les encadre, lui donne en effet l'obligation d'élaborer des « normes et lignes directrices sur les évaluations d'impact sur l'environnement ». Il appartiendra en outre à cet organe de déterminer des seuils pour la réalisation des contrôles préliminaires. Il pourra enfin, le cas échéant, émettre une liste indicative non exhaustive d'activités qui requièrent ou non une étude d'impact environnemental.

La science est également considérée dans cet accord comme un outil d'aide à la coopération. Cela est très clair en matière de renforcement des capacités et de transfert de technologies marines comme vient de le présenter Mme Ricard. L'article 46 de l'accord indique ainsi que les parties doivent veiller à renforcer les capacités scientifiques et techniques marines, notamment dans le cadre de l'élaboration de programmes techniques, scientifiques et de recherche et développement.

Cette dimension apparaît également dans le principe d'un partage juste et équitable des avantages découlant des activités relatives aux ressources génétiques marines. Cela concerne notamment les avantages non monétaires, dans lesquels la science dispose d'une place centrale avec la mise en place de projets de recherche pour les scientifiques et les chercheurs, et l'affirmation d'un accès libre à des données scientifiques faciles à trouver, accessibles, interopérables et réutilisables (dites « données FAIR »).

Ainsi, la science, soit de façon autonome, soit via l'organe scientifique et technique, est centrale dans les quatre piliers de l'accord BBNJ.

Elle est enfin un objet de réglementation. La science fait en effet partie du périmètre du BBNJ, à la différence des pêcheries. On peut d'ailleurs s'interroger sur la pertinence de l'inclusion de l'une et de l'exclusion des autres ; mais ceci est un autre débat.

Au titre du BBNJ, les scientifiques doivent effectuer des déclarations préalables à toute campagne de collecte de ressources génétiques et transmettre, par la suite, des informations sur les résultats de collecte. Mais les délais prévus dans l'accord sont difficilement tenables pour la transmission des résultats. De même, il y a un point de vigilance à souligner sur le rôle du clearing house mechanism chargé de recenser et centraliser les déclarations préalables des chercheurs. Si ce dispositif se contente d'être un lieu de stockage des déclarations, alors il n'y aura pas de problème. Si en revanche il dérive vers une structure devant évaluer l'opportunité des campagnes de collecte, alors cela risque fort de remettre en jeu la liberté scientifique. Il existe par ailleurs, dans toute campagne de recherche, un degré d'imprédictibilité. Il est très difficile d'anticiper, dans le cadre des informations préalables à fournir, l'ensemble des découvertes auxquelles la recherche pourra donner lieu.

Je terminerai en évoquant un point particulièrement sensible pour le Muséum national d'histoire naturelle, à savoir l'impossibilité pour lui de mettre en oeuvre la rétroactivité de l'accord, dont l'article 10 du BBNJ fait une règle de droit commun. Ceci étant, les États ont la possibilité d'y déroger en activant l'article 70. Ce principe de rétroactivité est intenable pour une institution comme le Muséum national d'histoire naturelle, dont les collections parfois très anciennes s'élèvent à 68 millions d'items, dont certains issus de la haute mer et peu ou pas référencés. Si la France ne demandait pas à bénéficier sur ce point de la possibilité d'opt out lors de la ratification de l'accord, cela pourrait avoir des conséquences très difficiles pour le MNHN.

Mme Mereana Reid Arbelot, députée, rapporteure. - Je vais donner la parole à Robert Blasiak, professeur américano-suédois associé au Stockholm Resilience Centre. Après avoir étudié aux États-Unis, en Suède et au Japon, M. Blasiak concentre désormais ses travaux de recherche sur la gestion des ressources océaniques, en particulier sur l'utilisation durable et équitable des ressources génétiques marines. Il va nous expliquer ce que l'on entend par « ressources génétiques marines » et les différentes façons dont elles sont utilisées et commercialisées. Il va également nous éclairer sur le concept d'informations de séquençage numérique de ces ressources et sur les questions d'équité et de partage des avantages qui en découlent.

M. Blasiak s'exprimant en anglais, une traduction simultanée de ses propos est disponible.

M. Robert Blasiak, professeur associé au Stockholm Resilience Centre, Université de Stockholm (Suède). - Mon exposé va s'inscrire dans la droite ligne des présentations précédentes, mais mettra l'accent sur les ressources génétiques marines (RGM). Ces RGM sont désormais définies juridiquement : il s'agit de « tout matériel marin d'origine végétale, animale, microbienne ou autre qui contient des unités fonctionnelles de l'hérédité ayant une valeur effective ou potentielle ».

Au-delà de ce jargon juridique, je souhaite prendre quelques instants pour évoquer la valeur de ces ressources, qui les utilise, à quelles fins et quel est leur lien avec le BBNJ. Les RGM sont utilisées notamment pour le développement d'enzymes permettant la synthèse de biocarburants, ou le marquage et le découpage de fragments d'ADN, mais aussi pour la fabrication de cosmétiques, de peintures ou revêtements anti-salissures, d'adhésifs, d'antibiotiques, d'antiviraux ou encore pour la bioremédiation. La biotechnologie marine est ainsi utilisée pour contribuer à la résolution de problèmes et à la fabrication de produits utiles.

Je me suis lancé le défi de représenter graphiquement cette valeur. Le schéma montre le nombre d'années nécessaires au développement de ces innovations, ainsi que les différentes catégories, en partant à gauche de celles qui peuvent être développées le plus rapidement pour aller, à droite, jusqu'à celles dont la mise au point et l'acceptation par des instances comme la Food and Drug Administration (FDA) ou l'Anses peuvent nécessiter des décennies.

La diapositive suivante présente cinq médicaments à base de ressources génétiques : les gains cumulés générés par leur commercialisation durant la période 2011-2020 s'élèvent à près de 12 milliards de dollars. Seuls 15 médicaments à base de RGM ont reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM) ; 43 autres sont en phase 1, 2 ou 3 d'essais cliniques et pourraient recevoir une AMM dans les prochaines années.

Une étude a montré que 10 pays représentaient 90 % des brevets associés à des ressources génétiques marines, incluant des RGM provenant d'eaux internationales. Cela montre l'intérêt commercial de ces ressources et éclaire le processus d'innovation. Cette situation est susceptible de changer avec les négociations et la mise en oeuvre du BBNJ. Des articles publiés voici quelques années montrent qu'environ 800 espèces et plus de 12 000 séquences d'ADN étaient référencées dans les brevets en 2017.

De nombreux pays ne participent pas à cette activité d'innovation. Les dix pays leaders concentrent 98 % des ressources marines présentes dans les brevets, ce qui soulève des questions d'équité et de justice et rend la tâche des négociateurs particulièrement ardue. La diapositive suivante représente des espèces des fonds marins et les relie aux pays qui en sont les plus grands utilisateurs. On observe que certains pays sont très largement représentés.

L'article 7 du BBNJ pose des principes absolument essentiels, dont ceux de pollueur - payeur et de patrimoine commun de l'humanité. La convention mentionne également la liberté de la recherche scientifique marine, conjuguée aux autres libertés relatives à la haute mer, ainsi que le principe d'équité et de partage juste et équitable des avantages obtenus. Il existe ici une composante économique importante.

Quand les avantages obtenus, monétaires ou non, seront-ils partagés ? Il est très difficile d'avoir une vision claire de cette question. Cela suppose tout d'abord que l'accord BBNJ entre en vigueur. Les plus optimistes pensent que cela interviendra en 2025 ; il est toutefois plus probable, si l'on se base sur l'exemple d'autres accords multilatéraux, que cela n'ait lieu que dans quatre à sept ans. Cela demandera beaucoup d'efforts et de nombreuses personnes y travaillent d'arrache-pied. Une fois l'accord entré en vigueur, il faudra constituer le comité sur l'accès et le partage des avantages, composé de quinze membres élus par la première conférence des parties (COP). Ce comité formulera des recommandations à l'attention de la COP sur les taux et les mécanismes à utiliser pour partager les avantages monétaires tirés de l'utilisation des RGM et des informations de séquençage numérique. Sur cette base, la COP décidera des modalités de partage des bénéfices.

Dans l'intervalle, le partage des avantages non monétaires est une priorité, au même titre que le renforcement des capacités et le transfert de la technologie marine, ainsi que l'établissement du centre d'échange (clearing house mechanism) et d'identifiants de lots normalisés.

De nombreuses questions restent en suspens. Même s'il existe un risque réel que cela sape les recherches, il est essentiel de nous assurer que les fruits de cet accord seront équitablement partagés.

Je termine en vous présentant deux graphiques qui selon moi démontrent pleinement l'urgence d'avancer sur ces points. À gauche est représentée l'évolution du coût du séquençage de l'ADN, qui est passé de 6 000 dollars en 2001 à environ 1 centime aujourd'hui. Nous avons parallèlement mis en place des bases de données d'informations de séquençage numérique, qui ont connu une augmentation phénoménale en vingt ans. Cela ne va pas ralentir durant la période de ratification de l'accord. La technologie continue à avancer.

Mme Mereana Reid Arbelot, députée, rapporteure. - Le prochain intervenant est Pierre-Marie Sarradin, chercheur à l'Ifremer, qui va nous parler de l'exploration des écosystèmes marins pour les connaître et les protéger.

M. Pierre-Marie Sarradin, chercheur à l'Ifremer. - Je n'aborderai pas dans ma présentation l'aspect règlementaire, mais me concentrerai sur le volet écologique du sujet. À partir de quelques exemples portant sur la compréhension du fonctionnement des écosystèmes marins, je tenterai d'effectuer un parallèle avec ce que nous allons faire avec l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) ou en matière d'accès et de partage des avantages.

Le milieu marin profond commence à être connu depuis une cinquantaine d'années seulement. La photographie en bas à gauche de la diapositive est celle d'un écosystème de nodules polymétalliques, situé sur les plaines abyssales à quelque 5 000 mètres de profondeur. Cet écosystème est basé sur la photosynthèse : la production primaire formée en surface va sédimenter et nourrir ces organismes.

En haut à droite de l'image, nous voyons une dorsale médio-océanique, avec une source hydrothermale. Cela a donné lieu à une découverte majeure en biologie marine : il faut savoir en effet que ces écosystèmes ne dépendent pas de l'énergie solaire, mais de l'énergie chimiosynthétique. Le flux hydrothermal très chaud permet ainsi à des microorganismes de former la production primaire qui va nourrir des « oasis de fond de mer », selon l'expression utilisée pour les décrire lors de leur découverte, dans les années 1970. C'est également dans ces écosystèmes extrêmes que l'on trouve les microorganismes les plus thermotolérants existant sur Terre, qui vivent dans un environnement à 122 degrés.

L'image de gauche a été prise dans le canyon de Lampaul, dans le golfe de Gascogne, qui présente des écosystèmes de coraux profonds fortement affectés par la pêche profonde.

En bas de cette mosaïque, vous pouvez apercevoir des organismes étranges mesurant entre un millimètre et 300 microns, regroupés sous le terme de méiofaune. Nous connaissons de plus en plus de ces organismes, car nous sommes désormais capables de les chercher, ce qui n'était pas le cas auparavant.

On observe une très grande diversité d'écosystèmes au fond de la mer. Si 80 % de ces espaces sont constitués par la plaine abyssale, on observe également des écosystèmes hydrothermaux sur les dorsales médio océaniques, des écosystèmes chimiosynthétiques associés à des émissions de méthane sur les zones de subduction, des coraux profonds sur les talus, notamment sur les monts sous-marins situés en Polynésie. Il arrive en outre parfois que des apports organiques massifs, sous forme de bois ou de carcasses de baleines, soutiennent des écosystèmes particuliers pendant dix, vingt ou trente ans. Il est important de garder en tête cette grande variabilité spatiale, qui fait que l'on ne retrouve pas les mêmes écosystèmes dans les différents océans.

Ces écosystèmes sont encore relativement peu connus en raison des difficultés d'accès. Une source hydrothermale occupe par exemple environ le volume de cette salle : la trouver dans l'océan nécessite de disposer d'outils d'exploration et de cartographie adaptés. Étudier ces organismes nécessite d'avoir accès à des technologies de pointe.

Dans les années 1930, un ornithologue et un ingénieur américains, William Beebe et Otis Barton, eurent l'idée folle d'aller explorer les fonds marins avec leur bathysphère et établirent le premier record de plongée à 950 mètres de profondeur.

Dans les années 1960, le professeur Auguste Piccard plongea à 11 000 mètres de profondeur dans la fosse des Mariannes avec son bathyscaphe le Trieste. Ont ensuite été développés les submersibles scientifiques comme le Nautile, capables de plonger à 6 000 mètres de profondeur. Puis est venu l'avènement des robots, qui se poursuit aujourd'hui avec le ROV (remotely operated vehicle) Victor 6000 par exemple, engin filoguidé qui, à la différence d'un submersible habité qui reste huit heures sur le fond, peut y travailler pendant trois jours, ce qui ouvre des possibilités considérables.

Dans les années 2010 s'est posée la question de la dynamique temporelle. Une campagne océanographique donne en effet une photographie d'un écosystème à un instant t. Ce constat a conduit au déploiement d'observatoires en mer qui permettent, grâce aux capteurs fixés sur le fond pendant plusieurs années, d'avoir accès à cette dynamique temporelle.

Actuellement, on développe de plus en plus d'engins autonomes. Ulyx, dernier-né de la flotte océanographique française, a ainsi pour vocation d'effectuer des opérations de cartographie, de prélèvement et de photographie, de façon totalement autonome.

Nous avons la chance, pour mettre en oeuvre ces outils, de bénéficier en France d'une « très grande infrastructure de recherche » (TGIR), la flotte océanographique française, qui gère les navires et les submersibles. Le Pourquoi pas ?, navire amiral de cette flotte, mesure 107 mètres de long et présente la double particularité de pouvoir mettre en oeuvre les submersibles et d'abriter un laboratoire embarqué de 250 m2, avec des salles blanches et des zones où il est possible de maintenir les organismes en vie.

Les écosystèmes marins profonds sont parfois qualifiés de « dernière frontière de notre planète ». En matière de biodiversité, on connaît environ 250 000 espèces marines mais on estime qu'il reste entre un et dix millions de nouvelles espèces à découvrir. Les études menées portent notamment sur l'adaptation des animaux et microorganismes marins à ces environnements extrêmes et variables. Nous nous intéressons également de plus en plus au rôle de ces écosystèmes dans le fonctionnement global de l'océan, dont la compréhension permettra d'évaluer les impacts d'une exploitation potentielle. Nous abordons enfin des questions de sécurité, dans la mesure où de nombreux câbles sont susceptibles de passer dans les grands fonds.

Les ressources convoitées sont essentiellement pétrolières, bien qu'actuellement en décroissance, et minérales.

Dans ce contexte, l'Ifremer a, en tant qu'établissement public industriel et commercial (EPIC), une mission d'appui à la politique publique et est gestionnaire pour la France de deux contrats d'exploration en haute mer, l'un pour les nodules polymétalliques, l'autre pour les sulfures polymétalliques sur la dorsale médio-atlantique. C'est dans ce cadre que nous participons à l'acquisition de connaissances, à l'évaluation des lignes de base environnementales et à l'écriture de la réglementation du code minier.

Le processus d'accès et partage des avantages (APA) règlemente l'accès aux ressources génétiques dans les zones économiques exclusives des pays. Il est assez similaire dans son principe au processus défini par le BBNJ, mais se limite aux ZEE. Des travaux sont en cours, à l'Ifremer notamment, pour assurer la traçabilité des échantillons, qui serviront de base à la mise en place du BBNJ.

Quels sont les enjeux de connaissance relatifs à ces écosystèmes marins profonds ? Disposer de connaissances fondamentales est nécessaire pour en comprendre le fonctionnement et appréhender l'impact de leur exploitation potentielle. La science permettra de construire des outils de gestion pertinents et de servir de base à l'élaboration de la réglementation.

Mme Mereana Reid Arbelot, députée, rapporteure. - La dernière intervenante de cette première table ronde est Mme Mariana Travassos Tolotti, chercheuse d'origine brésilienne qui travaille à l'Institut de recherche pour le développement au sein de l'UMR Marbec (Marine Biodiversiy, Exploitation and Conservation). Sa présentation portera sur les manières de concilier la conservation de la biodiversité marine et l'exploitation des ressources halieutiques hauturières.

Mme Mariana Travassos Tolotti, chercheuse IRD (Institut de recherche pour le développement) à l'UMR Marbec (Marine Biodiversity, Exploitation and Conservation). - L'homme exploite les ressources halieutiques hauturières depuis de nombreuses décennies, essentiellement au travers de la pêche industrielle. Le principal mode d'exploitation est la pêche thonière, avec des captures dépassant 5 millions de tonnes par an depuis 2018. Plusieurs techniques de pêche sont utilisées dans ce cadre, mais les senneurs sont les navires qui capturent les plus gros volumes de thon.

La France est présente dans les océans Atlantique et Indien. En 2021, sa flotte, essentiellement composée de thoniers senneurs, capturait 17 % des thons pêchés dans l'Atlantique et 6 % des thons pris dans l'océan Indien. Ces pêcheries revêtent une importance économique assez élevée. Les 20 navires qui composent la flotte française sont responsables de 11 % des revenus de la pêche nationale.

La pêche thonière entraîne un coût élevé pour l'écosystème. Parmi les principaux impacts négatifs de la pêche en haute mer, citons la capture et la mortalité d'espèces sensibles telles que les requins, les raies et les tortues marines. Les filets maillants, les palangriers et les senneurs sont les techniques qui causent le plus d'effets négatifs. Malheureusement, le manque de données rend difficile une estimation globale du nombre d'espèces sensibles indûment capturées. Une étude très récente menée dans l'océan Pacifique ouest a évalué à 1,8 million le nombre de requins capturés par les palangres en 2019 et à 100 000 le nombre de requins victimes de la pêche à la senne.

Un autre impact important est celui de la pollution plastique, principalement générée par des engins abandonnés ou perdus. Dans ce contexte, le principal facteur est le déploiement, chaque année, d'environ 120 000 dispositifs de concentration de poissons (DCP) par la pêche à la senne. 20 % environ de ces DCP s'échouent sur la côte, risquant ainsi d'endommager des habitats côtiers sensibles comme les récifs coralliens. Le reste coule probablement dans les eaux profondes et devient du déchet plastique.

La pêche a également un impact négatif sur les espèces cibles. Les thons sont biologiquement assez résistants, mais une gestion inadéquate peut conduire à une surexploitation des stocks. Actuellement, 17 % des stocks de thons sont considérés comme surexploités et 22 % nécessitent une attention particulière. Il n'en demeure pas moins que 86 % des captures de thons proviennent de stocks en bonne santé.

En pratique, le BBNJ a exclu la pêche de son champ d'application. Ainsi, la pêche commerciale ne sera pas interdite dans les futures aires marines protégées, mais le BBNJ appelle néanmoins à une « utilisation durable » des ressources halieutiques. Les organisations régionales de gestion des pêches (ORGP) restent souveraines dans la gestion de la pêche hauturière, mais doivent faire coïncider leurs objectifs avec cette dimension d'utilisation durable et travailler en collaboration.

Les ORGP sont des organisations internationales créées pour gérer et conserver les thons et d'autres espèces pêchées, par association entre plusieurs États. Elles comptent entre 20 et 48 pays membres, dont des États côtiers et des États lointains. Ce cadre exige une collaboration entre des pays ayant des objectifs et des intérêts très divers, ce qui est extrêmement complexe.

Les processus de gestion des ORGP reposent essentiellement sur des évaluations de stocks individuels. Malgré cela, force est de constater que les stocks sont exploités de manière non durable. Il convient toutefois de reconnaître que toutes les ORGP ont désormais intégré l'approche écosystémique dans leur mandat et prennent des mesures de conservation pour les espèces sensibles. Mais peu de ces dispositions prennent vraiment en compte les aspects multifactoriels d'une gestion des pêcheries basée sur les écosystèmes.

La gestion durable de la pêche hauturière constitue un réel défi. La méthode de gestion focalisée sur l'évaluation de stocks individuels peut en effet avoir des impacts involontaires sur d'autres composantes de l'écosystème. À titre d'exemple, le thon albacore indien est surpêché depuis plusieurs années. Afin de tenter de reconstituer le stock, la commission du thon de l'océan Indien a mis en place depuis 2017 un quota pour la pêche à la senne. Face à cette nouvelle mesure, la flotte française a adapté sa stratégie de pêche en réduisant la capture sur les bancs libres composés essentiellement de gros individus de thons albacores et en pêchant davantage sur les bancs associés aux DCP, plutôt composés de thons listaos et de juvéniles de thons albacores ou patudos. Le problème est que d'autres espèces s'associent aux DCP, dont des espèces sensibles comme le requin soyeux. La flotte française a ainsi étendu sa zone de pêche vers une zone riche en listaos, mais celle-ci constitue aussi un hotspot connu de requins soyeux. La combinaison de ces changements de stratégie a entraîné une augmentation de l'ordre de 35 % du nombre de requins soyeux capturés par la flotte française dans les trois années qui ont suivi la mise en place de quotas.

Cet exemple montre qu'il est impératif, si l'on veut inverser la tendance actuelle de perte de biodiversité marine, d'instaurer une gestion vraiment intégrative prenant en compte l'ensemble des aspects de l'écosystème. Il est absolument nécessaire d'adopter une approche écosystémique des pêches.

Il convient de rappeler que la science joue un rôle essentiel dans cette approche. Il faut que les conseils scientifiques soient pris en compte durant les processus de définition des objectifs et des mesures de gestion.

Je conclurai en rappelant les principaux messages à retenir. Nous avons vu que les ressources halieutiques hauturières étaient exploitées depuis plusieurs décennies et que le BBNJ a exclu la pêche de son champ d'application. Pour autant, une gestion durable est impérative. Pour ce faire les ORGP doivent aligner leurs objectifs et travailler en collaboration avec le BBNJ, sachant qu'une gestion durable implique nécessairement d'adopter une approche écosystémique.

Mme Mereana Reid Arbelot, députée, rapporteure. - Ma première question s'adresse à M. Poivre d'Arvor. La France a-t-elle associé ses collectivités ultramarines au processus de négociation du BBNJ ?

M. Olivier Poivre d'Arvor. - Les collectivités ont, pour un certain nombre d'entre elles, exprimé leur point de vue, mais les procédures en matière de traités internationaux n'impliquent pas de consultation préalable à la ratification et au vote. Pour autant, l'engagement de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie, notamment sur la question de la biodiversité, a largement contribué à forger le mantra français en la matière, centré sur la notion de protection, tout d'abord dans nos zones économiques exclusives. Le fait que les parlements de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie aient voté en faveur de la non-exploitation des grands fonds marins au sein de la ZEE a alimenté la position française. Ainsi, même si ces collectivités ne sont pas présentes autour de la table lors des négociations aux Nations Unies, elles y sont représentées par l'intermédiaire des principes et valeurs qu'elles portent et nous ont transmis, à savoir un principe de précaution et une approche particulière de l'océan qui ont guidé notre démarche et forgé notre logique en matière d'exploitation des fonds marins, mais aussi de soutien au traité BBNJ.

Mme Micheline Jacques, sénatrice. - Je souhaiterais revenir sur la question de la pêche au thon et évoquer un aspect, plus politique, qui n'a pas été mentionné. Certaines îles indépendantes des Caraïbes rencontrent d'importants problèmes de développement et de grandes puissances asiatiques viennent y investir en contrepartie de l'octroi de droits de pêche. La mer des Caraïbes est ainsi en train de se faire piller par des navires-usines. Or j'ai le sentiment que cela est passé sous silence. J'alerte en vain depuis 2014 sur cette situation. Existe-t-il une omerta sur ce sujet ? Faut-il le dénoncer ouvertement ?

Mme Mariana Travassos Tolotti. - Cette question dépasse le cadre de mes compétences. Je travaille beaucoup au sein des organisations de gestion de la pêche et suis plutôt spécialiste de l'océan Indien ; je connais donc moins bien les problématiques des Caraïbes. De nombreux parallèles peuvent toutefois être établis. Le problème réside essentiellement dans la définition des quotas et la répartition des ressources entre les différents pays. En réalité, si les accords de pêche passés entre des pays sont légaux, il est difficile de s'y opposer. Il s'agit d'une gestion très compliquée de ressources partagées entre plusieurs pays.

Mme Micheline Jacques, sénatrice. - J'estime que les territoires ultramarins ne sont pas assez impliqués dans la préservation de la ressource.

M. Pierre-Marie Sarradin. - L'exploitation des ressources dans les ZEE dépend du code minier de ces zones.

Mme Huguette Tiegna, députée. - Mes questions s'adressent à M. Poivre d'Arvor. Angèle Préville et moi avons travaillé sur la problématique des pôles et soulevé la question des moyens financiers. Aujourd'hui, le contexte international est plus compliqué qu'au moment où nous avons rédigé notre rapport. Je souhaite savoir si les fonds évoqués lors du One Planet Polar Summit en juin 2023 ont permis de favoriser le développement de la recherche et d'équipements nécessaires pour explorer les fonds marins.

La guerre en Ukraine est par ailleurs venue bouleverser l'équilibre de l'exploitation des fonds marins. A-t-elle un impact sur la biodiversité que nous cherchons à protéger ?

M. Olivier Poivre d'Arvor. - Votre question concerne en réalité le système de l'hydrosphère, qui comporte non seulement les océans, mais aussi les zones polaires et les fleuves.

Au niveau politique, il faut savoir que même si nous nous sommes mis d'accord sur le BBNJ, la Russie s'est abstenue. C'est donc par consensus et non à l'unanimité que cet accord a été adopté.

La Chine a quant à elle une politique plus que conquérante en matière de pêche et négocie des accords avec divers pays afin de récupérer des zones de pêche, de manière légale. Cela contribue très largement aux phénomènes de surpêche et de pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN).

La bonne nouvelle est que se tient actuellement à Abou Dhabi la treizième réunion ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), lors de laquelle devrait être ratifié un accord très important sur l'interdiction des subventions illégales à la pêche INN, utilisées le plus souvent pour la construction d'immenses bateaux qui, dans le cadre du chalutage et de la pêche à la senne, capturent beaucoup de poissons dans des zones non autorisées. Une autre discussion en cours à l'OMC concerne la surpêche.

Même si les résultats espérés ne sont pas encore atteints, une dynamique est en cours dans ce domaine, pour une meilleure organisation de l'utilisation de la ressource halieutique. Cela se heurte au fait que le dispositif de surveillance ne permet pas aujourd'hui d'appréhender l'ensemble du système maritime ni de repérer les pays pratiquant une pêche illicite ou la surpêche. Certains accords permettent toutefois de mieux contrôler les arrivées de ressources halieutiques dans les ports.

Vous avez par ailleurs, en tant que parlementaires, un rôle majeur à jouer sur la question polaire. C'est grâce à l'action des députés et des sénateurs que nous avons pu, sur la base de la première stratégie polaire française que j'avais rédigée à la demande du Président de la République et du Premier ministre de l'époque, prendre en novembre 2023 au Muséum national d'histoire naturelle des engagements forts, avec l'annonce par le Président de la République de l'allocation d'un milliard d'euros en faveur de la recherche française polaire d'ici 2030. Cela comprend à la fois des rénovations de nos stations Dumont d'Urville et Concordia en Antarctique, mais aussi des moyens nouveaux dédiés à des programmes de recherche ainsi qu'à la construction d'un navire dit « à capacité glace » baptisé Michel Rocard en l'honneur de mon prédécesseur aux fonctions d'ambassadeur des pôles et des océans, qui sera basé entre Nouméa et l'Antarctique. Ce bateau, géré par la flotte océanographique française, pourra passer plusieurs mois dans le Pacifique puis, durant la période où l'océan est libre de glace dans l'Antarctique, s'approcher des stations polaires et aider les chercheurs qui y séjournent. Ces engagements financiers doivent à présent se traduire dans les faits. L'Institut polaire français va ainsi devoir engager les études préalables à la rénovation des stations. Il va également falloir lancer la construction du Michel Rocard et faire en sorte que les crédits annoncés soient disponibles afin que les objectifs fixés puissent être atteints à l'horizon 2030. Nous sommes face à une perspective politique et financière tout à fait favorable.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Je vous remercie pour ces exposés, qui nous plongent dans des considérations à la fois scientifiques et politiques.

Vous avez indiqué que seuls 87 États avaient à ce jour signé l'accord BBNJ et que très peu l'avaient ratifié. Nous voyons ainsi le chemin qu'il reste à parcourir. Je suis quelque peu inquiet des délais annoncés et ai bien compris que la perspective d'une entrée en vigueur de l'accord en 2025 était irréaliste. Je m'interroge sur la volonté politique qui sous-tend cela. Signer de grands accords internationaux est parfois une manière de se donner bonne conscience et de verdir son discours politique, mais cela n'est pas toujours suivi d'effets concrets.

Il a été rappelé par ailleurs que la pêche était exclue du champ d'application du BBNJ, mais qu'il était fait mention dans l'accord d'une « utilisation durable » des ressources. Ce terme sera-t-il laissé à l'appréciation de chaque État signataire ou fait-il l'objet d'une définition consensuelle dans le traité ?

M. Olivier Poivre d'Arvor. - Je suis plus optimiste que vous : le mandat qui m'a été confié est de disposer, dans l'optique de la conférence des Nations Unies de juin 2025 à Nice, des 60 ratifications nécessaires : j'ai bon espoir d'y parvenir. Je reviens d'Inde où le processus ne passe pas par le Parlement et où la ratification va être effective prochainement. Cela est important dans la mesure où ce pays représente 1,43 milliard d'habitants. Si l'Union européenne et les États membres se mettent d'accord, ce qui constitue vraiment un point crucial, nous aurons 28 ratifications supplémentaires, portant le total à près de 35. Notre travail, au travers du réseau diplomatique, va consister à convaincre le maximum de pays de ratifier l'accord d'ici 2025. Le combat n'est pas gagné d'avance, mais il est très loin d'être perdu et je pense qu'il faut persévérer afin d'atteindre cet objectif.

Concernant la pêche, le fait de pouvoir construire un réseau d'aires marines protégées me semble constituer un élément important, même si le grand débat est de déterminer jusqu'où ira cette protection. Le reproche souvent adressé à la France est que son niveau de protection est trop faible et qu'il est possible de pêcher dans les aires marines protégées. En l'occurrence, je pense que le fait pour les ORGP d'avoir dans leur mandat cette mission d'« utilisation durable » des ressources constitue déjà, sur le papier, un progrès important. C'est ensuite au sein de ces instances que se discutera le niveau de durabilité.

Mme Pascale Ricard. - La notion d'« utilisation durable » est définie à l'article premier du traité et s'imposera à tous les États signataires comme « une utilisation des éléments constitutifs de la diversité biologique d'une manière et à un rythme qui n'entraînent pas leur appauvrissement à long terme et sauvegardent ainsi leur potentiel pour satisfaire les besoins et les aspirations des générations présentes et futures ». Cette définition est très large, mais permet d'aplanir la crainte d'une absence de vision commune.

La pêche n'est pas explicitement exclue de l'accord, sauf en ce qui concerne les ressources génétiques marines, c'est-à-dire ne provenant pas des ressources halieutiques. Elle est en outre déjà règlementée par les ORGP. La coopération et la coordination entre institutions permettront de rendre effectif ce principe d'utilisation durable. L'accord dessine des lignes directrices, mais tout dépendra de la pratique et de la manière dont les institutions créées par le nouveau traité et les instances existantes en matière de pêche pourront collaborer et mettre en symbiose leurs compétences pour assurer cet objectif de gestion durable.

M. Daniel Salmon, sénateur. - Vos exposés démontrent que la France a le souci d'être un élément moteur dans la protection de la biodiversité marine. Est-elle toutefois vraiment exemplaire ? On observe en effet que notre pays est très mal placé dans le ratio des aires marines protégées, où il figure à la 17e place. Une évolution est-elle possible dans ce domaine, afin que nous puissions être véritablement exemplaires et nous montrer plus exigeants au niveau international ?

M. Olivier Poivre d'Arvor. - Il faudrait poser cette question à notre secrétaire d'État à la mer et à la biodiversité. Il est apparu que la France a déjà rempli, lors du One Ocean Summit à Brest en février 2022, son contrat de 30 % de protection des espaces dans les ZEE, alors que l'échéance était initialement fixée à 2030. Cela a certes notamment concerné les espaces situés autour des Terres australes et antarctiques françaises. La question que vous soulevez se pose donc en fait principalement pour les façades atlantique et méditerranéenne de l'Hexagone, où le sujet de la pêche est le plus tendu et où un travail reste à faire. Les associations environnementalistes nous reprochent un degré de protection qu'elles estiment ne pas être à la hauteur des critères de l'Union nationale pour la conservation de la nature (UICN). La réalité est qu'il existe effectivement des activités de pêche dans les ZEE des façades atlantique et méditerranéenne. Le sujet est sensible, comme en témoigne la décision du Conseil d'État d'empêcher la pêche dans le golfe de Gascogne pendant un mois, en janvier-février, pour protéger les dauphins qui se trouvaient là à cette période et risquaient d'être mis en danger, voire tués du fait de l'activité de pêche. Cette interdiction a entrainé pour les pêcheurs des dommages extrêmement importants. Je me réjouis que le secrétaire d'État à la mer soit aussi celui de la biodiversité, car nous devrons résoudre cette équation d'ici un an et demi. Je ne doute pas que des députés ou des sénateurs engagés feront entendre leur voix. La pêche au chalut est évidemment dans ce domaine le sujet majeur, réactivé récemment par le lancement de l'un des plus grands bateaux de ce type au large de Saint-Malo.

Mme Sylvie Dufour, chargée de mission Mer au Muséum national d'histoire naturelle. - Je souhaiterais revenir sur la question de l'exclusion de la pêche du traité BBNJ. Il a été indiqué que le critère de durabilité serait pris en compte. Mais qu'en est-il de l'équitabilité ? On pourrait considérer que les ressources en haute mer font partie d'un bien commun de l'humanité. La pêche en haute mer devrait donc faire l'objet de réflexions sur un partage équitable des ressources qui en sont issues. Or je ne pense pas que cela figure dans le traité.

Si je comprends bien les éléments du BBNJ relatifs aux ressources génétiques, la prédéclaration concerne les campagnes d'exploration scientifique. Or une campagne de pêche peut très bien aboutir à la découverte de nouvelles espèces et de ressources génétiques auxquelles on ne songe pas nécessairement, en lien notamment avec le microbiote des espèces marines. Une réflexion me semble devoir être menée à ce sujet.

Mme Martine Berthet, sénatrice. - Comment les laboratoires de recherche se procurent-ils ces ressources ? Comment cette filière s'organise-t-elle actuellement ? Nous avons vu que l'Allemagne était très en avance par rapport à d'autres pays comme les États-Unis, le Japon ou la France.

M. Pierre-Marie Sarradin. - Il existe en effet actuellement en France peu de projets de valorisation directe des ressources génétiques. En revanche, le schéma que je vous ai présenté à propos de l'APA, concernant l'accès aux ressources génétiques dans les ZEE, fait apparaître un objectif de traçabilité. Ainsi, nous sommes obligés d'effectuer des demandes d'autorisation dans les ZEE concernées. Je pense d'ailleurs qu'un principe identique va se mettre en place dans le cadre du BBNJ. Il va très certainement falloir exposer clairement l'objectif des campagnes scientifiques envisagées. Par exemple, les campagnes que nous conduisons actuellement ont une vocation de recherche fondamentale, sans valorisation. Si nous voulons changer l'objectif de nos recherches, c'est-à-dire inclure de la valorisation, il faut effectuer une nouvelle demande d'autorisation auprès des pays concernés, pour commencer à mettre en place un contrat d'échange, correspondant à l'accès au partage des avantages. À partir de là, nous pouvons commencer à travailler avec des industriels notamment. Je pense que le principe sera le même. C'est la raison pour laquelle nous mettons l'accent sur la notion de traçabilité des échantillons à partir des navires scientifiques, voire des navires de pêche. La question de l'équitabilité est intéressante, mais j'ignore si elle figure dans le traité.

M. Robert Blasiak. - J'ai évoqué dans mon exposé les brevets découlant de ces matériaux génétiques et tiens à souligner que les responsables n'en sont pas des entreprises, mais des navires scientifiques ayant pour but d'effectuer des recherches taxonomiques et d'étudier la faune présente dans les eaux internationales et la haute mer. La visée n'est donc pas commerciale. Le partage de ces données est bien sûr essentiel pour établir une base de données commune permettant leur utilisation dans le monde entier et comprendre l'évolution des espèces. Bien évidemment, ces ressources sont également très intéressantes pour des entreprises. Cela recouvre un territoire assez vaste. Je pense qu'introduire un degré de traçabilité peut apporter de la transparence à l'ensemble du système et est de nature à engendrer davantage d'équité et de partage des bénéfices issus de ces ressources lorsqu'une commercialisation intervient.

Vous avez évoqué la biodiversité des ressources halieutiques et des espèces. L'intérêt principal de cette diversité réside assurément dans la microbiologie, les bactéries, les virus et non les poissons. Or nous avons très peu de connaissances sur la distribution et l'abondance de la vie bactérienne dans les océans. Il est très probable que ces éléments soient présents non seulement dans les eaux internationales, mais aussi dans les eaux sous juridiction nationale. Il s'agit d'un domaine que nous découvrons en temps réel. Il est très important dans ce contexte d'avoir de la traçabilité, car cela facilitera les choses à l'avenir. Je crois que cela constitue l'un des éléments majeurs mis en lumière par ce traité. Cela est essentiel pour le long terme.

SECONDE TABLE RONDE
LES CONDITIONS À RÉUNIR POUR ASSURER L'EFFICACITÉ DU BBNJ

Mme Mereana Reid Arbelot, députée, rapporteure. - La seconde table ronde de cette audition est consacrée aux conditions à réunir pour assurer l'efficacité du BBNJ.

Nous accueillons Sophie Arnaud-Haond, chercheuse Ifremer à l'UMR Marbec, qui s'intéresse dans ses recherches aux paramètres naturels et anthropiques façonnant la distribution de la biodiversité marine, de la bande côtière aux grands fonds. Elle a également travaillé avec des entreprises privées au développement de protocoles d'études d'impact basés sur l'utilisation de nouvelles technologies de séquençage associées à l'exploitation de l'ADN environnemental.

La partie 4 du BBNJ est consacrée aux évaluations d'impact sur l'environnement. Mme Arnaud-Haond va évoquer cette question et préciser les conditions que devront remplir ces études afin de servir réellement l'objectif recherché, à savoir la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité en haute mer.

Mme Sophie Arnaud-Haond, chercheuse Ifremer à l'UMR Marbec. - Comme vous le voyez sur la carte, la zone abyssale située sous le seuil des 3 500 mètres représente environ 70 % de l'environnement marin. Les informations extraites de la base de données mondiale OBIS (Ocean Biodiversity Information System) montrent par ailleurs que moins de 10 % des observations d'espèces marines ont lieu dans cette zone, qui couvre pourtant quasiment la moitié de la planète.

Cela s'explique tout d'abord, de façon évidente, par la difficulté d'accès à ces grandes profondeurs, mais aussi par le fait que l'environnement marin fait l'objet de 10 % seulement de l'effort de recherche en biodiversité, contre 90 % pour l'environnement terrestre. Un travail que j'ai conduit récemment sur la base de données mondiale ISI Web of Science, laquelle fait référence en termes de littérature scientifique, montre qu'avec les mêmes équations de mots clés, on trouve environ 200 000 publications sur la biodiversité, dont 30 000 en biodiversité marine et un nombre très modeste concernant l'environnement profond.

Cela constitue évidemment un obstacle à la compréhension non seulement du fonctionnement des écosystèmes et des espèces qui les composent, mais aussi de leur implication dans les grands cycles biogéochimiques. Cela représente également un frein à l'obtention des états de référence (baseline studies) nécessaires à la mise en place d'études d'impact.

Dans ce contexte de connaissance très partielle et parcellaire de l'environnement marin, il est légitime de s'interroger sur notre capacité à prédire ou estimer l'incidence des activités anthropiques ou du changement climatique sur ces écosystèmes largement méconnus.

Un exemple représentatif de cette méconnaissance est celui de la zone de Clarion Clipperton, qui a probablement fait à ce jour l'objet du plus grand nombre d'études. Pour autant, nous ne disposons sur cette zone d'aucun état de référence complet et les études d'impact sont majoritairement lacunaires.

Les faibles connaissances acquises nous permettent néanmoins de penser que l'environnement profond, et notamment la majeure partie du plancher océanique concerné par l'accord BBNJ, est caractérisé par des propriétés relativement répandues. La première est une diversité très élevée, mais des difficultés d'études liées à une biomasse, c'est-à-dire une quantité de matière vivante présente dans les grands fonds, souvent très faible, sauf dans certains écosystèmes ponctuels et relativement étudiés car charismatiques, comme les récifs coralliens ou les écosystèmes chimiosynthétiques, notamment les sources hydrothermales et les sources de fluides froids. S'ajoute à cela une distribution très hétérogène, qui rend difficile pour les biologistes le fait de prédire à quel endroit de ce vaste espace se rendre pour étudier des phénomènes concernant la vie et la biodiversité. Cela explique que de nombreuses études menées ces dernières années se soient concentrées sur les zones à forte concentration de biomasse, qui représentent 20 % de ces grands fonds.

La plaine abyssale, qui couvre la majorité de notre planète, est ainsi encore relativement méconnue. Nous soupçonnons d'ailleurs que l'écosystème que nous qualifions de plaine abyssale recouvre en réalité un grand nombre d'écosystèmes différents que nous n'avons pas encore pu caractériser et différencier.

Cet environnement profond présente par ailleurs des points de vulnérabilité, avec une dynamique en général très lente et des espèces longévives ou à faible renouvellement. L'âge de la gorgone rouge figurant sur la photographie à droite de l'écran a par exemple été estimé à 200 ans. On imagine par conséquent la durée d'un impact sur ce type d'écosystème.

Face à ces lacunes, nous voyons émerger des technologies et des méthodes visant à accélérer l'acquisition des connaissances nécessaires à l'établissement des états de référence et à la réalisation des études d'impact sur ce biome, qui est le plus grand de la planète. Citons notamment les drones ou les robots autonomes sous-marins, qui vont permettre de réaliser avec un relatif haut débit des cartographies physiques et éventuellement chimiques des grands fonds et de détecter des points d'intérêt majeurs en termes de biodiversité. Au vu des enjeux, nous attendons beaucoup de ces outils encore en développement.

Nous observons par ailleurs une amélioration récente des méthodes basées sur l'acoustique, qui permettent de caractériser des écosystèmes dans leur état le plus vierge, le plus naturel, le moins impacté possible. Ces données servent à établir des états de référence acoustiques de ces écosystèmes, utilisés par la suite pour en effectuer un suivi assez rapide et à large spectre. Chaque écosystème est en effet caractérisé par un ensemble de bruits liés à ses propriétés physico-chimiques et à sa biodiversité.

Les méthodes fondées sur l'ADN environnemental permettent de réaliser assez rapidement un inventaire des espèces en présence dans un écosystème, à partir d'ADN extrait non des animaux, qu'il peut être très long d'isoler individuellement, mais de leur environnement, c'est-à-dire d'échantillons d'eau ou de sédiments. Les organismes vivants ayant la propriété de laisser derrière eux des traces (mucus, fèces, fragments de peau) contenant de l'ADN, il est possible d'extraire de l'ADN d'échantillons prélevés dans l'environnement et de procéder à une caractérisation ou un inventaire assez complet de la diversité des organismes qui sont ou ont été présents dans l'écosystème considéré.

Il convient, afin que l'accord BBNJ soit efficace pour protéger la biodiversité marine, de prendre en compte le niveau de méconnaissance et la vulnérabilité des écosystèmes qu'il a été possible de caractériser.

Il faut par ailleurs ne céder à la tentation de la modélisation qu'avec parcimonie. Si celle-ci est nécessaire, il faut avoir conscience qu'un modèle doit être bien informé pour ne pas être dangereux. J'apprécie la citation selon laquelle « tout doit être fait de façon aussi simple que possible, mais pas plus simple » : selon moi cela s'applique particulièrement à la modélisation, afin qu'elle soit utile et non dangereuse.

Il convient en outre de poursuivre la recherche de proxy biologiques et d'indicateurs de l'état de santé des écosystèmes qui soient robustes face à une exploration des différents compartiments du vivant aussi partielle que celle que je viens de décrire.

Mme Mereana Reid Arbelot, députée, rapporteure. - Je laisse la parole à Rodolphe Devillers, directeur de recherche IRD à l'UMR Espace-Dev, situé à La Réunion. Sa présentation portera sur les aires marines protégées et les conditions à réunir pour assurer leur efficacité.

M. Rodolphe Devillers, directeur de recherche IRD (Institut de recherche pour le développement) à l'UMR Espace-Dev. - Une aire marine protégée (AMP) est un « espace délimité en mer qui répond à des objectifs de protection de la nature à long terme ». J'insiste sur le fait qu'il s'agit de protéger la nature : il existe en effet de nombreux autres outils permettant de protéger d'autres éléments des océans, comme les stocks de poissons par exemple. Cette protection s'effectue au moyen d'interdictions et de contrôles des activités impactant la biodiversité marine.

Par exemple, vous voyez sur cette carte les frontières d'une aire marine protégée dans les Pyrénées-Orientales, près de Banyuls. La ligne verte marque la frontière de l'AMP, au sein de laquelle d'autres zones sont délimitées par des traits rouges et orange, avec des icônes correspondant aux types d'activités autorisées.

Une aire protégée est un espace géographique où sont définies des zones à l'intérieur desquelles on détermine les activités autorisées ou interdites : bateaux en mouillage, pêche à la ligne, pêche professionnelle, etc.

Les AMP sont des outils de plus en plus utilisés, dont la création a été stimulée par les conventions internationales sur la biodiversité des dix ou vingt dernières années. On est ainsi passé en deux décennies d'un nombre très faible d'aires protégées dans les ZEE des pays à un nombre beaucoup plus important, bien qu'encore insuffisant. La France est quant à elle passée de 0,3 % de ses eaux couvertes par au moins une AMP en 2006 à plus de 33 % en 2022. À l'échelle internationale, ce taux se situe à 8 % environ. Il apparaît ainsi que sans la haute mer, il ne sera pas possible d'atteindre l'objectif de 30 % fixé par les nouvelles conventions. L'importance du BBNJ est, de ce point de vue, considérable.

L'une des difficultés tient au fait que le terme « aire marine protégée » est une sorte de fourre-tout réunissant des éléments plus ou moins efficaces. En France, sont considérées comme AMP des portions marines de parcs nationaux comme les Calanques, des réserves naturelles, des parcs naturels marins comme la mer d'Iroise, des sites Natura 2000 et même des zones de pêche réglementées. Certaines AMP interdisent presque toute activité humaine et sont efficaces, tandis que d'autres autorisent quasiment tout et n'ont aucun impact en pratique.

Vous voyez à l'écran un tableau relatif à la Grande barrière de corail, en Australie, où a été mis en place un système de zonage au sein des AMP. Chaque ligne correspond à une activité : aquaculture, différents types de pêche, recherche, etc. Les colonnes font apparaître les différents niveaux de protection, de celle de gauche où tout est autorisé à celle de droite où tout est interdit, sauf potentiellement la recherche. Cela fait trente ans environ que la recherche s'intéresse à ces aires marines protégées et observe que certaines fonctionnent mieux que d'autres. L'une des raisons de cette disparité tient à la diversité des niveaux de protection offerts.

Le tableau maintenant affiché à l'écran présente, en colonnes, les étapes de création d'une aire marine protégée, depuis l'annonce jusqu'à la phase de gestion active, en passant par la qualification et la mise en oeuvre. Vous observez qu'au-delà de la ligne jaune, qui marque le début de la mise en oeuvre, des conséquences bénéfiques sur la biodiversité apparaissent. Nous avons également constaté que ces bénéfices sont d'intensité différente en fonction du niveau de protection. Ainsi, les AMP qui fonctionnent le mieux sont celles dites « de protection forte ». Certaines études scientifiques ont démontré que les résultats obtenus dans les zones bénéficiant d'un faible niveau de protection n'étaient pas très différents de ceux observés à l'extérieur de l'aire protégée. Cela signifie que mettre en place une aire marine ne bénéficiant que d'un faible niveau de protection ou ne pas créer d'AMP revient quasiment au même.

En France, les AMP jouissant d'une protection forte sont peu nombreuses. Il en va de même pour d'autres pays, qui ont créé de nombreuses AMP en se concentrant exclusivement sur l'objectif de placement en aire protégée d'un certain pourcentage de leur ZEE, sans nécessairement les doter de niveaux de protection forts, gages de qualité et d'efficacité.

En haute mer, le même problème se posera. La question du niveau de protection est cruciale. Cette difficulté est accrue par la fragmentation de la gouvernance, entre des organisations sectorielles et régionales avec des mandats différents. Ainsi, la Commission baleinière internationale s'occupe exclusivement des baleines, tandis que l'Organisation maritime internationale gère le transport maritime. Les ORGP s'occupent des pêches, mais de façon régionalisée. La gouvernance est donc morcelée, si bien qu'il est difficile de parvenir à une gestion coordonnée.

Développer des aires marines protégées en haute mer supposera d'utiliser l'information scientifique existante. Nous disposons en effet déjà de cartes répertoriant des endroits identifiés comme potentiellement intéressants en termes de biodiversité.

Mais cela nécessitera par ailleurs de faire face à de nombreux défis en matière de gouvernance, de partage d'informations, de financement, de contrôle du respect des règles, etc. Le traité BBNJ représente un pas en avant, mais n'est qu'une première étape à franchir.

Je tiens à insister sur le fait que la crise de la biodiversité marine ne concerne pas uniquement l'outre-mer, mais nous concernent tous, car elle a des répercussions économiques et sociales qui dépassent de loin les territoires ultramarins et les régions côtières.

Le traité BBNJ est indispensable à l'atteinte des cibles internationales de conservation. Les aires marines protégées sont la pierre angulaire de cette conservation, mais ont une efficacité très variable. Ces outils sont en effet parfois peu efficaces, car résultant de compromis excessifs avec les acteurs conduisant à abaisser le niveau de protection.

Il est donc nécessaire de ratifier ce traité rapidement afin de mieux intégrer la gouvernance en haute mer, indispensable à la création d'aires marines protégées véritablement efficaces. Multiplier les AMP n'est en effet pas nécessairement le gage d'une meilleure protection de la biodiversité.

Mme Mereana Reid Arbelot, députée, rapporteure. - Nous accueillons Denis Bailly, économiste de l'environnement, maître de conférences à l'université de Bretagne, qui travaille sur l'intégration des connaissances en appui à l'action publique dans le domaine de la protection du milieu marin. Il va nous présenter les enjeux scientifiques et diplomatiques de la reconnaissance par les futures instances du BBNJ de deux sites à protéger : le dôme thermal dans le Pacifique et la mer des Sargasses.

M. Denis Bailly, économiste de l'environnement, maître de conférences à l'université de Bretagne. - Je voudrais illustrer les propos de mes collègues sur les aires marines protégées par un travail en cours, visant à anticiper la mise en place, que nous espérons rapide, des instances et des procédures issues du BBNJ.

L'article 19 de la troisième partie du traité indique que « les propositions de création d'outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées, sont soumises par les Parties agissant individuellement ou collectivement » et doivent comporter de nombreux éléments parmi lesquels la description géographique ou spatiale de l'aire, les informations sur tous les critères justifiant les besoins de conservation, sur les activités humaines concernées, la description de l'état du milieu marin et de la diversité biologique, des objectifs de conservation ainsi que le projet de plan de gestion. Il s'agit donc de dossiers très lourds à constituer, qui nécessiteront d'y consacrer beaucoup de temps.

Comme cela a été rappelé précédemment, la connaissance, la recherche, la science sont des composantes très importantes dans l'élaboration de ces propositions.

Le projet SARGADOM, financé par le Fonds français pour l'environnement mondial, associe l'ONG costaricienne MarViva, la Commission de la mer des Sargasses, l'Office français de la biodiversité et l'université de Bretagne occidentale pour étudier et contribuer à la mise en place d'une gouvernance hybride d'aires remarquables à protéger en haute mer, autour de deux sites emblématiques : le dôme thermal et la mer des Sargasses.

Le dôme thermal, situé dans l'océan Pacifique Est tropical, est une zone remarquable du fait d'un phénomène physique bien connu consistant en une remontée d'eaux profondes froides très riches en nutriments (on parle d'upwelling) qui, en arrivant à la surface, provoquent un bloom planctonique à l'origine d'une forte concentration de vie, grand attracteur pour toute une série d'espèces.

La mer des Sargasses est un écosystème de surface très riche, caractérisé par des algues flottantes (les sargasses) qui servent d'habitat d'alevinage à de nombreuses espèces et constituent la seule zone de frai connue des anguilles d'Amérique et d'Europe.

La carte projetée à l'écran fait apparaître un ensemble de sites, dont les deux précédemment cités, identifiés comme des candidats futurs pour une reconnaissance en tant qu'aires marines protégées au titre du traité BBNJ.

Nous essayons, dans le cadre du projet SARGADOM, de rassembler toutes les données disponibles et de travailler sur l'acquisition de nouvelles connaissances afin de défendre la nécessité de mise en protection de ces deux sites.

Cela nous a conduits à appréhender diverses problématiques, dont certaines communes à plusieurs des sites figurant sur la carte. La première est le chevauchement entre ZEE et haute mer : vont se poser dans ce contexte des problèmes d'interaction, puisqu'il s'agira de travailler à la fois en coopération à l'échelle internationale, mais aussi en proximité avec les États côtiers des ZEE concernées.

Une deuxième problématique réside dans la grande variabilité spatio-temporelle à la fois infra-annuelle et interannuelle, à court et à long terme, de ces zones. Les schémas sur la droite de l'écran montrent par exemple clairement la variation et le déplacement de la biomasse de zooplancton liée à l'upwelling dans le dôme thermal d'un mois à l'autre. Cela a des implications pour la délimitation de l'aire protégée, sa gouvernance, la régulation des usages en fonction de la réalité de l'enjeu, les suivis scientifiques et bien évidemment la surveillance nécessaire à une mise en oeuvre efficace.

Il est essentiel par ailleurs de documenter les activités humaines. Je vous présente ici un exemple d'acquisition et de traitement de données sur les usages dans le cadre du projet Global Fishing Watch. Les données satellitaires fournissent une cartographie des indicateurs d'intensité des activités humaines, donc des pressions potentielles qu'elles exercent sur la biodiversité, en termes de pêche, de déchets ou de bruit. Cela permet notamment d'identifier les zones de concentration de l'activité de pêche selon les périodes et d'observer les lieux de chevauchement avec les espaces présentant des enjeux importants de conservation de la biodiversité.

Ces analyses ne peuvent être réalisées par les chercheurs de façon totalement indépendante. Elles visent en effet à objectiver la nature des pressions humaines, donc à mettre en débat la question de régulation des activités avec la gouvernance des AMP et plus globalement du BBNJ. Cela implique notamment un travail de coopération avec les organisations régionales de gestion des pêches (ICATT, IATCC, NAFO).

Avant même que le BBNJ soit mis en place, nous essayons de préfigurer ce que pourrait être une coopération entre les aires protégées et ces organisations, afin d'incarner la volonté portée par ce traité de coopérer sans porter préjudice aux autres organisations, donc de créer des relations de confiance et de collaboration. En ce sens, la science et notamment le traitement et l'analyse des données constituent un pont très intéressant à construire.

Un autre exemple est celui de la cartographie de l'intensité du trafic maritime, représentée ici au niveau du dôme thermal et de la mer des Sargasses. La forte circulation enregistrée dans la zone du dôme thermal est liée à la proximité du canal de Panama. La mer des Sargasses est quant à elle soumise à l'intensité du trafic maritime transatlantique.

Nous avons initié dans le cadre de ce travail une collaboration avec l'Organisation maritime internationale et mis en oeuvre plusieurs ateliers visant à réfléchir à la mise en opération d'un outil nommé ZMPV (zone maritime particulièrement vulnérable), permettant d'envisager des mesures de régulation du trafic maritime.

La traduction rapide et effective de l'objectif de création d'AMP en haute mer est à mettre en lien avec quelques enjeux tels que l'état parcellaire des connaissances, appelant un investissement de recherche intensif, et le besoin de renforcement de la coopération internationale, avec un différentiel d'investissement considérable entre le Nord et le Sud.

Il convient en outre de souligner l'importance de la recherche ex ante, afin de disposer d'une connaissance approfondie permettant de justifier la création des AMP, d'élaborer les plans de gestion et d'en gérer la mise en oeuvre.

Il est également nécessaire d'intégrer les connaissances sous la forme d'analyses diagnostiques sociales et écologiques (SEDA) structurées selon les enjeux socio-économiques, politiques, de gouvernance, juridiques et les problématiques physiques, biologiques, écologiques et environnementales d'une manière générale.

Un point positif mérite d'être souligné, à savoir la baisse du coût d'acquisition de certaines données et de la surveillance, due au développement de l'observation satellitaire et du traitement systématisé des informations. Un enjeu de mise à disposition en science ouverte pour tous les acteurs subsiste toutefois.

Je tiens enfin à mettre l'accent sur le besoin, beaucoup plus coûteux, de renforcer l'observation in situ et de développer une coopération entre acteurs étatiques, organisations sectorielles, ONG et acteurs économiques dépassant très largement la recherche publique.

J'ajoute que tout ceci intervient dans des contextes environnementaux, institutionnels et économiques complexes, marqués par la variabilité liée au changement climatique, des pressions anthropiques externes telles que la pollution et des dimensions géostratégiques et politiques liées aux intérêts des différents pays et acteurs économiques.

Cela me conduit à souligner l'importance de l'engagement de la France et de l'Union européenne pour accompagner les sites candidats à leur reconnaissance comme AMP dès l'ouverture des procédures du BBNJ, en matière de développement des connaissances, avec une approche transdisciplinaire, d'élaboration de dossiers de candidatures et de constitution de partenariats internationaux pour porter les futures aires marines protégées, reconnaissant tout à la fois le rôle central des pays riverains proches de ces zones, notamment les pays du Sud, et l'enjeu global, autour d'une gouvernance hybride, dans la mesure où la poursuite des objectifs du BBNJ nécessitera d'y investir des moyens considérables.

Il est essentiel d'anticiper ainsi la ratification prochaine de l'accord et la mise en place de ses instances.

Mme Mereana Reid Arbelot, députée, rapporteure. - La prochaine intervenante est Klaudija Cremers, chercheuse d'origine lituanienne à l'Institut du développement durable et des relations internationales. Elle s'intéresse principalement à la gouvernance régionale de l'océan, à la mise en oeuvre effective des aires marines protégées en haute mer et à l'exploitation minière des grands fonds marins. Elle va aborder un sujet clé pour la mise en oeuvre des futures AMP, à savoir le suivi, le contrôle et la surveillance des activités humaines en haute mer. De quels types d'outils de surveillance disposons-nous ? Comment les États peuvent-ils commencer à préparer les premières aires marines protégées en haute mer dans le cadre du traité BBNJ ?

Mme Klaudija Cremers, chercheuse en gouvernance internationale de l'océan à l'Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales). - Je vais aborder la question du suivi, du contrôle et de la surveillance des futures AMP en haute mer, en vous expliquant dans un premier temps ce que comporte le BBNJ à ce sujet, puis en donnant des éléments de réponse à la question posée, avant de conclure par quelques messages clés.

Les précédents intervenants ont déjà passé en revue les différents éléments que devront comporter les propositions de création des AMP. L'une des obligations inscrites dans le traité concerne la nécessité d'inclure dans le dossier un projet de plan de gestion englobant les mesures qu'il est proposé d'adopter et décrivant les activités de suivi, de recherche et d'examen qu'il est envisagé de mener pour atteindre les objectifs retenus. Ainsi, la dimension de suivi, de contrôle et de surveillance peut y être intégrée.

Nos travaux de recherche ont mis en évidence le caractère essentiel de ce plan de gestion pour assurer l'efficacité des aires marines protégées et faire en sorte qu'elles n'existent pas uniquement sur le papier.

Je rappelle qu'en haute mer, les États du pavillon sont, selon les termes de la convention de Montego Bay, responsables pour exercer effectivement leur juridiction et leur contrôle sur les navires battant leur pavillon. Ils disposent pour ce faire de plusieurs outils, dont certains traditionnels comme les journaux de bord ou encore les navires ou avions de patrouille, mais aussi de plus en plus de technologies émergentes parmi lesquelles les technologies satellitaires, les drones et les caméras embarquées. Il existe ainsi déjà de nombreuses technologies disponibles pour connaître l'activité des bateaux en haute mer.

Quels sont les défis à relever ? Il est tout d'abord important de savoir que les mesures prises dépendent de la capacité et de la volonté politique des États du pavillon d'assurer ce contrôle et cette surveillance en haute mer.

Les technologies émergentes sont certes de moins en moins chères (il s'agit là d'un point positif), mais elles nécessitent encore un travail en termes d'actions de suivi, telles que les sanctions par exemple. Une fois le constat effectué, encore faut-il que les entreprises ayant contrevenu aux règles puissent être punies. Or les images satellitaires ne sont pas toujours admises dans certains tribunaux comme éléments de preuve. Il s'agit là d'un problème à résoudre dans plusieurs pays.

Un troisième défi, mentionné précédemment, tient à l'existence d'une gouvernance fragmentée. Le traité BBNJ a pour objectif de promouvoir, en matière de conservation de la biodiversité marine et d'utilisation durable des ressources, la coopération et la coordination avec les organisations existantes comme les ORGP ou l'Organisation maritime internationale, qui disposent déjà de nombreuses données sur les activités humaines en haute mer.

Il faut savoir qu'il existe encore en haute mer des zones non couvertes par les organisations régionales de gestion des pêches. Le traité BBNJ a donc pour objectif de combler cette lacune et de compléter le dispositif, sans porter préjudice à l'existant.

Quelles leçons tirer des aires marines protégées existantes ?

Dans la mesure où il n'existe pas de cadre de gestion commun, il apparaît qu'aucune solution ne semble applicable à l'ensemble des régions concernées. Tout dépend de l'objectif poursuivi, du budget, de la localisation de l'aire (plus ou moins loin de la côte par exemple), des États riverains, de la fiabilité des données disponibles et des outils de contrôle et de surveillance mis en oeuvre, de leur couverture, de leur facilité de manipulation et des considérations en matière de confidentialité et d'analyse. Il existe déjà beaucoup de données sur les activités humaines, mais la question centrale est de savoir qu'en faire et comment les utiliser.

L'expérience de l'Antarctique montre que même s'il existe une gestion commune, certains pays jouent un rôle clé. On soupçonne ainsi qu'en haute mer, certains États côtiers joueront un rôle plus important que d'autres plus éloignés de l'aire marine protégée concernée.

Les États du pavillon n'ayant pas de réelle capacité de contrôle en haute mer s'appuient davantage sur le contrôle portuaire. Il importe ainsi de réfléchir aux modalités de renforcement de ce contrôle afin de mieux gérer les aires marines protégées en haute mer.

Les organisations ayant déjà un mandat en haute mer collectent une multitude d'informations susceptibles d'être utilisées pour les AMP.

Je terminerai en insistant sur quatre messages clés.

Le premier est que le suivi, la surveillance et le contrôle humains sont une condition essentielle de l'efficacité des futures aires marines protégées en haute mer. Il apparaît que la plupart des aires marines protégées créées dans les eaux nationales ne disposent pas de plan de gestion.

Ces actions de contrôle et de surveillance peuvent s'appuyer à la fois sur des outils traditionnels, mais aussi sur des technologies émergentes, notamment satellitaires, ce qui suppose de développer la capacité d'analyse des données recueillies.

Il apparaît par ailleurs que la surveillance des aires marines protégées « no-take », bénéficiant d'une protection complète, est beaucoup plus simple et moins coûteuse que celle des AMP présentant différents types de zonage et plusieurs activités humaines, qui implique plusieurs organisations et nécessite de prendre en considération chaque bateau.

Les futures AMP bénéficieront, au-delà de la gestion commune, d'une forme de leadership de la part de certains pays, notamment en matière de surveillance. Nous avons vu l'illustration de ce phénomène dans l'Antarctique avec l'exemple de l'ORGP CCAMLR, dans laquelle l'Australie et la Nouvelle-Zélande jouent un rôle plus important que d'autres membres de cette organisation.

Mme Mereana Reid Arbelot, députée, rapporteure. - La dernière intervenante est Virginie Tilot, océanologue biologiste, membre de l'Académie des sciences d'outre-mer et de l'Académie royale belge des sciences d'outre-mer. Face à la multiplication des organes internationaux compétents en matière de protection des océans, il apparaît indispensable de mettre en place une gouvernance plus globale et mieux coordonnée. Mme Tilot va évoquer la manière dont l'intégration des savoirs des pays insulaires du Pacifique peut favoriser une gestion holistique des ressources marines en haute mer.

Mme Virginie Tilot, océanologue biologiste, membre de l'Académie des sciences d'outre-mer et de l'Académie royale belge des sciences d'outre-mer. - L'intégration des savoirs des pays insulaires du Pacifique aux outils scientifiques d'exploration et de gestion des ressources des espaces marins n'est pas nouvelle. Depuis une trentaine d'années en effet, les Nations Unies développent des programmes s'attachant à travailler avec les communautés locales, à les écouter, à former des agents environnementaux et à recueillir tous les savoirs locaux afin que les communautés s'approprient les zones que l'on suggère de protéger.

Concernant la haute mer, ces savoirs ont également pu être intégrés par exemple dans les programmes LME (Large Marine Ecosystems) qui se sont développés depuis trente ou quarante ans un peu partout dans le monde. Il existe actuellement 60 LME, qui s'attellent d'abord à la gestion des pêches, mais ont une approche multidisciplinaire, prennent en considération l'ensemble des impacts et essaient de proposer des politiques sectorielles, avec néanmoins une vision holistique.

Il apparaît que l'objectif de développement durable (ODD) relatif à la gestion de l'espace marin est intimement lié à de nombreux autres et compte lui-même plusieurs sous-objectifs. Plutôt que de fragmentation, je préfère donc parler de continuité.

Vous voyez à l'écran un tableau sur lequel nous avons travaillé lors de la rédaction des lignes directrices du BBNJ, à Hambourg. Il est très parlant : à gauche, figurent les accords non contraignants mais adoptant une approche holistique et à droite, des accords sectoriels contraignants. Tous présentent différentes caractéristiques d'aires marines protégées. J'insisterai tout particulièrement sur les propositions, pour la haute mer dans le cadre des LME, de corridors pour les mammifères marins, qui pourraient occuper, s'ils sont acceptés, une très grande partie de l'océan Pacifique et relever le défi des 30 % de zones protégées.

Là où nos yeux de scientifiques voient de la mer parsemée d'îles, les peuples océaniens voient plutôt une mer de connexion. On observe en effet une grande imbrication de toutes les ZEE et très peu de haute mer. Ainsi, lorsqu'il est question de l'exploitation de la haute mer par les grandes pêches commerciales, des migrations de baleines, de thons et de grands prédateurs, des écosystèmes eux-mêmes et des processus océanographiques qui évoluent avec le changement climatique, tout est imbriqué.

Il convient de rappeler par ailleurs que la Polynésie française couvre 5 millions de km2 sur les 11,2 millions de km2 placés sous la juridiction de la France. Cette région est soumise à de multiples facteurs de stress. Il y existe néanmoins une volonté d'harmonisation et de renforcement de la coopération et de la coordination, matérialisée par la signature de nombreux accords.

Il est intéressant de superposer la carte des ressources minérales à celle des ZEE. On observe ainsi qu'il existe de très importantes ressources de cobalt, de sulfures et de nodules polymétalliques dans les zones territoriales. Leur exploitation potentielle va évidemment impacter les communautés locales. Connaissant les processus océanographiques et les écosystèmes impliqués, l'impact dans des zones comme celle de Clarion Clipperton sera beaucoup plus grand que sur le territoire des permis miniers.

J'aimerais revenir sur la concrétisation de la volonté de coopération et de coordination en matière de gouvernance des océans dans la région Pacifique.

On sait que les connaissances traditionnelles et les pratiques coutumières de gestion d'espaces marins par les communautés locales ont un rôle central à jouer pour atteindre les objectifs régionaux, nationaux et internationaux en matière de conservation, de gestion des ressources marines et de développement durable.

Au niveau international, la référence dans le BBNJ à la notion de patrimoine commun de l'humanité peut être considérée comme un reflet clair de l'idée générale de propriété collective et d'objectifs de conservation mutuels.

L'adoption et la signature du traité BBNJ sont une opportunité pour soutenir la durabilité économique et le développement social à long terme des États insulaires du Pacifique et limiter leur dépendance à l'égard de l'aide internationale pour le développement.

La plupart des pays insulaires ont ratifié et adhéré à des instruments mondiaux, régionaux et sectoriels pertinents pour assurer la protection du milieu marin et de la biodiversité, tels que le droit de la mer ou les lignes directrices de l'accord relatif aux ressources minérales offshore. Les Fidji, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et le Vanuatu ont signé le moratoire de dix ans sur le deep sea mining jusqu'à 2030. Citons également la convention de Nouméa pour la protection des ressources naturelles et culturelles, dont l'exercice des droits coutumiers traditionnels dans les régions du Pacifique. En matière de pêche, mentionnons l'accord sous-régional de Nauru signé en 1982, qui organise la coopération dans la gestion des pêcheries d'intérêt commun. Je souhaite également citer l'initiative Pacific Ocean Space, endossée en 2010 par les dirigeants du Forum des îles du Pacifique avec une volonté de gouvernance collaborative des océans, dont le Pacifique, ainsi que le cadre législatif et règlementaire des États ACP de la région Pacifique, qui va servir de feuille de route pour les décideurs politiques, vers une législation efficace et une prise de décision adéquate pour le bénéfice à long terme des communautés insulaires et des générations futures.

Les domaines profonds et mésopélagiques sont peu connus et l'on utilise essentiellement pour les appréhender des moyens technologiques très sophistiqués, alors que les savoirs traditionnels peuvent aussi apporter de très importantes informations sur les processus, les cycles de vie de nombreuses espèces et leur rôle en tant que service écosystémique.

Cette prise en compte de la dimension traditionnelle dans la gestion intégrée est déjà présente dans les lois et la politique de l'environnement de différents pays. Les îles Cook et le parc marin Marae Moana en sont un très bon exemple, qui regroupe des aires à usages multiples, dont certaines sont régies par le rahui, ensemble de règles fondées sur une perception des terres et des eaux environnantes comme un continuum. La connaissance traditionnelle est source de nombreux savoirs, qu'il est possible de combiner avec des données satellitaires par exemple.

Les capacités des pays étant inégales, il est très important de procéder à des transferts de technologies et à un renforcement de la formation à l'étude et à la gestion des milieux marins, en intégrant des savoirs traditionnels. De nombreux exemples montrent l'intérêt d'adopter un tel modèle. Le fait que les communautés locales gèrent l'espace signifie par ailleurs une meilleure implication de leur part dans la problématique et dans l'application d'une stratégie adaptée. Mettre en place ces éléments impliquerait des innovations, une planification coopérative et la participation de toutes les parties prenantes. Il serait intéressant par ailleurs de s'inspirer des expériences menées dans les autres pays océaniens du Pacifique.

Les politiques et pratiques développées dans le Pacifique pourraient ainsi servir de modèle pour concilier les valeurs commerciales, écologiques, culturelles et sociales dans le contexte de l'exploitation durable des ressources marines et subvenir durablement aux communautés du Pacifique ainsi qu'à la santé de l'océan mondial.

J'ai extrait, pour conclure, quelques recommandations d'un colloque que nous avions organisé avec les académies belge et française, lors duquel étaient intervenus des orateurs de différentes agences, des Nations Unies et de l'Union européenne.

Ces recommandations sont les suivantes :

- renforcer la gouvernance régionale, avec plus de coordination et de coopération, en lien avec le nouveau traité sur la protection de la haute mer ;

- approuver des règlementations contraignantes pour la protection et la conservation du milieu marin, intégrant notamment les savoirs traditionnels ;

- élaborer des études d'impact pour mieux adapter les mesures contraignantes ;

- développer les activités de recherche associant les technologies modernes et les savoirs traditionnels ;

- améliorer les capacités régionales à étudier et gérer le milieu marin ;

- améliorer le transfert des savoirs traditionnels et des outils scientifiques de gestion parmi l'ensemble des acteurs.

Toutes ces recommandations mettent en évidence la nécessité d'une transformation fondamentale de la logique économique actuelle. Il faudrait selon moi considérer que le seul bénéfice à court terme, mesuré en termes de profit et de PIB, n'est pas une solution et qu'il faudrait s'appuyer sur une approche holistique à long terme, centrée sur le bien-être humain et la santé environnementale.

Mme Mereana Reid Arbelot, députée, rapporteure. - Je vous remercie. Le débat est ouvert.

Mme Micheline Jacques, sénatrice. - Il ressort de ces diverses interventions que des efforts se nouent collectivement pour préserver l'environnement et les océans pour les générations futures. Je souhaiterais évoquer un dispositif, qui n'a pas été mentionné, mis en place en Polynésie et dupliqué dans la quasi-totalité des territoires ultramarins : il s'agit des aires marines éducatives. Si nous voulons que la volonté de protection reçoive l'adhésion du plus grand nombre, il faut commencer à sensibiliser les enfants à cette problématique dès leur plus jeune âge.

Concernant la pêche et les autres activités humaines, je souhaiterais vous faire part d'une expérience qui me paraît intéressante. Lorsque nous avons créé en 1996 la première réserve naturelle de Saint-Barthélemy, nous nous sommes heurtés à des pêcheurs furieux qui, près de trente ans plus tard, sont pourtant devenus les plus grands protecteurs de cette réserve. Nous avons travaillé avec eux à la mise en place d'un règlement de pêche pour les pêcheurs et les plaisanciers, qui s'est depuis lors élargi à la Guadeloupe et à la Martinique. Ces bonnes pratiques développées près des côtes se propagent de plus en plus en direction de la haute mer, avec les dispositifs de concentration de poissons. Il s'agit d'une action de longue haleine, qui vise à toujours améliorer les dispositifs afin de les rendre plus vertueux.

S'il est vrai que les territoires ultramarins ne disposent pas nécessairement des technologies et des méthodes des scientifiques parisiens, on ne peut néanmoins faire abstraction, dans la stratégie française, des savoirs traditionnels. J'insiste sur la nécessité de porter un regard plus respectueux sur ces populations qui ont grandi dans la mer, ont utilisé pendant de très nombreuses années le milieu marin pour se nourrir, étaient isolées sur leurs territoires et représentent une mine d'informations sur les écosystèmes locaux. Ces communautés sont les premiers protecteurs de nos océans.

Mme Mereana Reid Arbelot, députée, rapporteure. - Les Polynésiens ont effectivement conquis leurs îles en traversant les océans et disposent de savoirs ancestraux basés sur l'observation. Leurs pratiques, dans lesquelles l'océan occupe une place essentielle, sont respectueuses de l'environnement et des cycles naturels.

M. Jimmy Pahun, député. - Nous sommes réunis ici aujourd'hui parce qu'en avril 2024 le Parlement va ratifier le BBNJ. J'ai été nommé rapporteur et voulais vous remercier du travail effectué depuis 22 années pour parvenir à ce texte. Je souhaite également saluer les ONG qui se sont beaucoup investies dans l'élaboration de cet accord. Notre rôle est de ratifier rapidement ce traité et notre ambition de le promouvoir afin qu'un grand nombre de pays l'aient ratifié à leur tour d'ici la conférence des Nations Unies sur l'océan, qui se déroulera à Nice en juin 2025.

Je tiens à souligner que le politique a joué un rôle important dans ce domaine, puisque j'avais, avec mes collègues polynésiens et polynésiennes, dont Maina Sage, déposé une résolution qui a permis d'accélérer sur le plan politique ces dernières négociations si importantes auprès de l'ONU.

Concernant les AMP, il me paraît nécessaire, comme vous l'avez suggéré, de s'inspirer largement des rahui et de les mettre en place tout d'abord le long de nos côtes. Il convient en outre de faire preuve de vigilance à l'égard des aires marines protégées dites « fortes » et être au clair sur ce que l'on ne souhaite pas y faire. Le Président de la République a demandé une feuille de route aux pêcheurs pour le mois de juillet : peut-être ces éléments pourraient-ils y être intégrés.

M. Pierre-Marie Sarradin. - L'intégration des sciences humaines et sociales dans nos projets scientifiques, à côté des sciences dites « dures », est aujourd'hui une priorité absolue.

Je souscris à vos propos relatifs à la médiation scientifique envers les plus jeunes. Il est difficile de mettre en place des aires marines éducatives en zone profonde, mais nous développons d'autres outils comme le programme pédagogique « Mon lopin de mer », des jeux sérieux, des projets de science participative. Ces objectifs de sensibilisation des jeunes sont désormais intégrés dans nos projets de recherche, dans le cadre notamment de France 2030, avec les programmes prioritaires de recherche (PPR) ou les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR).

M. Denis Duclos. - J'attire votre attention sur les programmes de sciences participatives centrés sur les publics scolaires de collégiens et lycéens. Je pense notamment au programme Vigie Mer, qui a pour objectif de faire en sorte que les jeunes s'approprient les problématiques de conservation de la biodiversité.

Mme Klaudija Cremers. - Je trouve intéressant que figure dans le préambule du traité la nécessité d'oeuvrer pour une bonne gestion des océans, pour les générations présentes et futures.

L'accord me semble par ailleurs assez innovant dans la prise en compte des communautés locales et des peuples autochtones. Dans la partie consacrée aux propositions concernant les aires marines protégées figure ainsi, parmi les différents critères que doivent mentionner les États, celui relatif aux informations scientifiques disponibles, mais aussi aux savoirs traditionnels des populations locales. Cela constitue un moyen d'intégrer les connaissances issues de Polynésie ou d'autres régions ultramarines dans l'élaboration des propositions.

M. Rodolphe Devillers. - L'IRD privilégie, dans les travaux qu'il mène avec les pays du sud notamment, les démarches de co-construction avec les populations locales, par exemple pour créer une AMP. Cela fonctionne très bien, mais sur de petits territoires, qui sont loin de dominer l'espace géographique que l'on essaie de protéger.

Nous observons par ailleurs que les pêcheries artisanales sont souvent très en support de ces aires marines protégées. Le problème vient plutôt des pêcheries industrielles. Or la pêche artisanale est peu présente dans le contexte de la haute mer, où domine la pêche industrielle, dotée de lobbies très structurés. Il est ainsi difficile de transposer le débat des AMP côtières aux AMP en haute mer. Le paysage d'acteurs, le tissu économique et les priorités ne sont pas identiques.

Mme Mereana Reid Arbelot, députée, rapporteure. - Alors que cette audition publique sur la protection de la biodiversité en haute mer touche à sa fin, je remercie vivement le président et le premier vice-président de l'Office d'en avoir accepté la tenue. J'espère qu'elle a démontré l'intérêt des sujets relatifs aux océans.

Je remercie bien évidemment les intervenants pour leurs présentations et les informations qu'ils nous ont apportées, ainsi que les participants, qu'il s'agisse des membres de l'Office ou de ceux des délégations aux outre-mer.

Cette audition publique a tout d'abord mis en lumière la nécessité de considérer l'océan et ses écosystèmes comme un tout, à l'image de la représentation qui prévaut chez les populations insulaires, particulièrement bien décrite par Mme Tilot.

Par conséquent, toute gestion fragmentée de l'océan est vouée à l'échec, ou tout du moins à des résultats insuffisants.

Les aires marines protégées ne peuvent être efficaces si la gestion durable des ressources halieutiques n'est pas garantie, que ce soit dans les zones hors ou sous juridiction nationale, ou si l'exploitation des ressources minières entraîne des conséquences néfastes pour les écosystèmes.

De même, ainsi que l'a montré Mme Travassos Tolotti, l'efficacité de la gestion durable des ressources halieutiques nécessite la prise en compte de l'ensemble de ces ressources et pas seulement de l'espèce que l'on souhaite protéger.

Le BBNJ constitue une réelle avancée pour la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité en haute mer. Il facilite la création des aires marines protégées, en évitant que le consensus soit l'unique mode de décision. Il renforce également la procédure pour la réalisation d'études d'impact environnemental.

Ce traité reste toutefois issu d'un compromis et peut à ce titre soulever certaines interrogations, voire des frustrations. Ainsi, la possibilité de décider de la création d'une AMP à la majorité qualifiée est contrebalancée par l'introduction d'une clause d'opt out pour l'État qui s'y opposerait.

Par ailleurs, comme l'a souligné Pascale Ricard, le champ d'application de cet accord demeure limité et dépendant de l'efficacité des autres régimes de conservation de la biodiversité. Ainsi, les ressources halieutiques sont exclues de son périmètre d'application, tandis que les ressources minières situées dans les fonds marins sont gérées par l'Autorité internationale des fonds marins.

Le BBNJ n'a en outre pas mis un terme à la multiplication des gouvernances et son efficacité dépendra largement, pour reprendre le propos de M. Devillers, de la capacité de coopération et d'articulation entre les différentes instances. Il convient toutefois de rester optimiste. En effet, ce sont les mêmes États qui siègent dans les diverses instances : or ils sont tenus, même si les services concernés ne sont pas nécessairement les mêmes, de faire preuve de cohérence et de respecter leurs engagements.

À court terme, la priorité est de s'assurer que le BBNJ soit ratifié le plus rapidement possible par au moins 60 États afin qu'il puisse entrer en vigueur. M. l'ambassadeur nous a fait part de l'engagement de la France en ce sens. Nous pouvons également agir à notre niveau, en sensibilisant les parlementaires des autres États que nous rencontrons dans le cadre de nos fonctions.

À long terme, le BBNJ ne sera efficace que si nous sommes capables d'assurer le suivi, le contrôle et la surveillance des activités humaines en haute mer. Mme Cremers a insisté sur le rôle de leadership que devraient avoir certains États en matière de surveillance. Compte tenu de la superficie du domaine maritime français, notre pays a une responsabilité particulière pour assurer cette surveillance. La France doit disposer de moyens à la hauteur de cette tâche. À cet égard, je vous informe que M. Éric Spitz, haut-commissaire de la République en Polynésie française, a annoncé récemment un renforcement des moyens de l'État consacrés à la surveillance de la pêche illégale. Les Falcon Guardian vont laisser place à deux Falcon 50, tandis que deux patrouilleurs vont remplacer le patrouilleur actuel. Des accords de coopération devraient en outre être signés avec les îles Fidji, Tonga et la Papouasie-Nouvelle-Guinée pour permettre à la France de réaliser des contrôles dans leurs ZEE respectives.

Concernant la création d'aires marines protégées, notre pays se doit de montrer l'exemple. M. Devillers a montré que le terme « AMP » englobait des situations très contrastées et que seule une protection forte de la biodiversité dans ces aires permettrait d'atteindre des résultats tangibles. Or nous avons tendance à privilégier la quantité sur la qualité. Il nous faut donc prendre en compte ces résultats scientifiques et adapter en conséquence notre politique de conservation de la biodiversité marine.

Je souhaite insister tout particulièrement sur le rôle de la science dans la protection de la biodiversité. Comme l'a fait remarquer M. Sarradin, les environnements marins profonds sont encore mal connus, mais présentent assurément des diversités d'écosystèmes et de fonctionnement. Seule la science permettra d'augmenter nos savoirs sur ces milieux, de connaître et d'évaluer leurs ressources potentielles et de mettre en place des outils de protection. M. Duclos, M. Bailly et Mme Arnaud-Haond ont tout particulièrement mis l'accent sur le rôle de la science comme outil de décision pour la mise en place des AMP et le développement des études d'impact environnemental. Il est par conséquent indispensable d'investir dans la science et de s'assurer que la France reste parmi les grandes nations en matière de recherche océanographique.

Deux autres sujets abordés lors de cette audition publique me tiennent à coeur.

M. Blasiak a montré l'accès très inégalitaire des États aux ressources génétiques marines. 98 % de l'activité commerciale liée à ces ressources sont le fait de dix États seulement. On comprend donc que la problématique du partage juste et équitable des profits découlant des activités relatives aux ressources génétiques marines ait été au centre des négociations du BBNJ. Je ne peux que me féliciter qu'un fonds spécial ait été prévu pour renforcer les capacités des pays en développement d'analyse des ressources génétiques marines. Ce fonds sera alimenté par le versement obligatoire de l'équivalent de 50 % de la contribution de chaque pays développé au budget du BBNJ.

En tant que députée de Polynésie, je souhaite enfin insister de nouveau sur le rôle et la place que devraient occuper les outre-mer dans la mise en application de cet accord. Comme l'a indiqué Mme Tilot, les communautés insulaires ont un rapport à l'océan qui contribue à sa protection et sont intéressées au premier chef par une protection efficace de la biodiversité marine. Les outre-mer sont par ailleurs proches géographiquement de nombreux États particulièrement importants pour l'application effective du BBNJ. Je pense aux États-Unis, au Japon et à l'Australie, sans parler de tous les États insulaires. Le gouvernement français a donc tout intérêt à impliquer les outre-mer dans sa politique d'influence pour la défense de la biodiversité marine et la ratification du BBNJ, mais également à s'inspirer de certaines pratiques traditionnelles comme le rahui.

Voici les premières réflexions, nécessairement partielles au regard de la densité des informations fournies, que m'a suggéré cette très riche audition publique. J'aurai l'occasion de présenter une synthèse plus complète de ces travaux aux membres de l'OPECST dans quelques semaines.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Merci, chère collègue, pour cette conclusion.

Je souhaite à mon tour remercier l'ensemble des intervenants des deux tables rondes, qui nous ont permis d'approfondir la question de la protection de la biodiversité en haute mer.

Je me félicite de l'annonce faite par Jimmy Pahun de la ratification du BBNJ par l'Assemblée nationale en avril prochain. J'imagine que le Sénat suivra dans un délai raisonnable.

Merci à vous tous de votre présence et de vos apports.

La réunion est close à 12 h 10.