Mardi 18 mars 2025

- Présidence de Pierre Barros, président -

La réunion est ouverte à 16 h 00.

Audition conjointe de MM. Grégory Emery, directeur général de la santé (DGS), et Denis Robin, président du collège des directeurs généraux d'agences régionales de santé (ARS)

M. Pierre Barros, président. - Mes chers collègues, au cours des trois semaines passées, nous avons commencé les travaux de notre commission d'enquête par des auditions de nature transversale : experts, hauts fonctionnaires, acteurs économiques, associations d'élus locaux.

Le cadre étant désormais posé, nous nous consacrerons principalement, dans les semaines à venir, aux politiques publiques pour lesquelles les agences jouent un rôle particulier. La politique publique de la santé nous occupera cet après-midi avec une audition conjointe de M. Grégory Emery, directeur général de la santé (DGS), et de M. Denis Robin, président du collège des directeurs généraux d'agences régionales de santé (ARS). Jeudi après-midi, nous poursuivrons avec Santé publique France, la Haute Autorité de santé (HAS) et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Le paysage des opérateurs du domaine de la santé est sans doute l'un des plus complexes, et nous aurions pu recevoir encore bien d'autres organismes. Cette politique est conduite à la fois par l'État et par les administrations de sécurité sociale, de sorte que les informations sont non pas unifiées dans les documents budgétaires, mais dispersées entre plusieurs sources.

Ce paysage a par ailleurs fait l'objet de nombreuses réorganisations, avec, notamment, la création des ARS voilà près de quinze ans, celle de Santé publique France plus récemment encore, peu avant la crise de la covid-19, au cours de laquelle certaines de ces agences ont joué un rôle de premier plan.

Le DGS disposant d'une vue d'ensemble, il pourra nous dire si ces recompositions ont produit leurs effets en améliorant la mise en oeuvre des politiques de santé. L'agence Santé publique France, par exemple, a-t-elle parfaitement intégré les trois organismes dont elle est issue ?

Les ARS sont souvent mentionnées dans les débats au Sénat, chambre des collectivités territoriales, parce qu'elles sont en relation avec les élus locaux. Devant cette commission, nous avons entendu des voix d'élus locaux regretter une époque où, selon eux, l'État parlait d'une seule voix.

Comment voyez-vous le rôle de l'ARS vis-à-vis de l'État central, avec le préfet, d'une part, et les services déconcentrés, d'autre part ? La répartition des rôles est-elle identique dans toutes les régions ou cela dépend-il aussi des endroits et des personnes ?

Avant de vous laisser la parole, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat, et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Grégory Emery et M. Denis Robin prêtent serment.

M. Grégory Emery, directeur général de la santé. - Je vous remercie de votre invitation. Je précise que j'ai précédemment exercé la fonction de responsable de service au sein de la HAS.

J'aborderai plusieurs points, en commençant par rappeler les missions de la direction générale de la santé (DGS).

La première consiste à préparer le système de santé aux crises sanitaires. Pour ce faire, nous coordonnons la préparation des moyens sanitaires permettant de faire face aux menaces et aux crises, afin de mieux protéger la population.

Notre deuxième mission consiste à concevoir et à mener des politiques de prévention en santé. Nous souhaitons nous assurer que les Français soient en meilleure santé et tâchons de leur donner des clés, afin qu'ils adoptent des comportements plus favorables à leur santé, de la petite enfance au grand âge, qu'il s'agisse de la prévention en direction des jeunes enfants, de lutte contre les addictions, de la promotion de l'activité physique ou encore de vaccination et de dépistage.

La troisième mission vise à garantir la sécurité et la qualité des produits de santé, c'est-à-dire les médicaments et les pratiques de soins, avec pour objectif de permettre aux patients d'accéder à des produits innovants, tout en négociant les médicaments à des prix équitables dans les instances compétentes.

Notre quatrième mission a trait à la protection des Français, en s'assurant que leur environnement soit favorable à leur santé. Il s'agit donc de prévenir les risques sanitaires liés à l'alimentation et au milieu de vie, qu'il s'agisse de l'air ou de l'eau, et notamment de l'eau en bouteille, au coeur de l'actualité récente.

Afin de mener à bien ces missions, la DGS peut s'appuyer sur un réseau d'acteurs, à commencer par six agences sanitaires dont elle assure la tutelle : l'Institut national du cancer (Inca), l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), Santé publique France, l'Agence de la biomédecine (ABM), l'ANSM et, enfin, l'Établissement français du sang (EFS).

L'Inca et l'Anses sont financés par des crédits de l'État sur le programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », et les quatre autres agences par les crédits de l'assurance maladie, plus précisément sur le sixième sous-objectif de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). C'est donc la direction de la sécurité sociale (DSS) qui exerce la tutelle financière sur ces organismes, la DGS assurant pour sa part la tutelle « métier ».

Je précise que je n'exerce aucune tutelle sur les ARS, qui font vivre les politiques publiques de santé au quotidien dans les territoires. Ces agences sont bien les acteurs de terrain qui assument les missions que je viens de décrire, et nous échangeons chaque mois avec leurs directeurs généraux.

La tutelle sur nos agences s'exerce à trois niveaux.

Elle s'exerce tout d'abord à un niveau « stratégique », par le biais d'une réunion des directeurs généraux d'agences permettant d'échanger sur l'actualité et les éventuelles urgences. Depuis ma prise de fonction, j'ai en effet souhaité animer le réseau de directeurs de manière beaucoup plus directe, dans le cadre de ce comité d'animation des agences, afin de mutualiser les informations sur des sujets tels que la cybersécurité ou la préparation des jeux Olympiques.

Le deuxième niveau d'exercice de la tutelle a trait au pilotage de chaque agence, avec des contrats d'objectifs et de performance (COP) signés par les administrations concernées, le plus souvent sur une durée de quatre ans et avec un suivi annuel d'une série d'indicateurs.

Nous assurons aussi l'évaluation professionnelle de chacun des directeurs généraux, dont une partie de la rémunération dépend de l'atteinte d'objectifs chiffrés. Par ailleurs, le directeur général de la santé ou son adjointe participe à l'ensemble des conseils d'administration des agences.

J'en viens au pilotage des moyens de chacune des agences. Nous animons un réseau des directeurs adjoints d'agences, qui permet de mener une réflexion commune autour de l'homogénéisation des marchés publics, de la gestion des ressources humaines ou de la transition écologique. Je dispose donc, grâce à un collaborateur présent dans chaque agence, d'une vision à chaque instant de l'activité de la structure concernée.

Est-ce à dire que nous ne pourrions pas progresser sur l'exercice de la tutelle ? À l'évidence, non. Je m'interroge depuis plusieurs années sur cet enjeu compte tenu de la diversité des champs d'action de ces agences. Les réflexions de votre commission d'enquête, ainsi que les travaux menés sous l'égide du Premier ministre sur le rôle des opérateurs de l'État, nous conduiront à mettre en place des plans d'action, afin d'améliorer l'exercice de notre tutelle.

Comment exercer une tutelle plus stratégique ? Il convient tout d'abord de ne pas passer à côté des futurs grands défis de nos opérateurs, dont l'intelligence artificielle (IA), les données et la cybersécurité, à la fois en les intégrant dans les COP et en mutualisant l'expertise. Il faut ensuite revenir aux missions fondamentales de ces agences en s'assurant que les COP, qui se sont complexifiés au fil des années, puissent être traduits en objectifs concrets pour les citoyens et les élus.

Nous menons d'ailleurs un travail avec Santé publique France, dix ans après sa création, afin de déterminer si les trois cultures de la prévention, de la surveillance et de la gestion de crise se sont correctement amalgamées. C'est le sens de la démarche des ministres Catherine Vautrin et Yannick Neuder, qui ont sollicité une mission de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur la bonne réalisation des missions de Santé publique France.

Plus globalement, l'exercice d'une tutelle telle que la nôtre dans un paysage particulièrement complexe justifie que nous modernisions régulièrement notre approche et que nous nous posions des questions simples, du moins en apparence : qu'attendons-nous de l'État et d'une agence sanitaire en matière de santé ? Les réponses ne sont pas si aisées, puisque certaines missions actuellement exercées par des agences pourraient probablement être intégrées dans le périmètre d'action de l'État ; à l'inverse, d'autres missions, impulsées à l'échelon national, pourraient sans doute être mieux appliquées par des opérateurs à un niveau déconcentré.

Du reste, les synergies entre l'ANSM et la HAS doivent être renforcées dans le champ du médicament, tout comme les synergies entre Santé publique France et l'Anses dans le champ de la surveillance. J'assume d'ailleurs ma part de responsabilité en matière de gestion de crise, puisque Santé publique France, opérateur de gestion de crise, coexiste avec un centre de crises sanitaires (CCS) au sein de la DGS.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le comité d'animation des agences est-il de nature interministérielle ?

Par ailleurs, pourriez-vous préciser les missions susceptibles d'être déconcentrées ?

M. Grégory Emery. - Ce comité est prévu par le code de la santé publique. Une telle mention dans la loi, qui avait sans doute vocation à sécuriser cette coordination, pourrait être supprimée. Il s'agit d'une réunion des directeurs d'agences, avec un objectif de mutualisation, mais sans portée interministérielle.

Concernant les missions qui pourraient être déconcentrées à l'avenir, il importe de se fixer des objectifs nationaux, par exemple en termes de couverture vaccinale contre la grippe, mais en laissant le soin de la mise en oeuvre aux ARS.

Notre politique ne doit en effet pas être uniquement créatrice de normes et d'instructions pour les agences, à qui il convient de laisser sans doute davantage de latitude dans la déclinaison. Je suis persuadé de la nécessité de trouver un nouvel équilibre en sortant d'un système de circulaires pour aller sur une politique de résultats, avec un fort principe de subsidiarité : je ne prétends pas connaître les spécificités de chaque territoire depuis mon bureau parisien.

M. Denis Robin, président du collège des directeurs généraux d'ARS. - J'indique en préalable que le collège des directeurs généraux d'ARS n'a pas d'existence juridique et qu'il a été créé à des fins de coordination, notamment afin de faciliter les prises de contact avec les autorités ministérielles. Je n'ai donc aucun pouvoir hiérarchique sur mes collègues directeurs généraux dans ce cadre.

Actuellement directeur général de l'ARS d'Île-de-France, j'ai exercé la même fonction au sein de l'ARS de Provence-Alpes-Côte d'Azur. N'étant ni médecin ni directeur d'hôpital de carrière, je ne suis pas un produit du ministère de la santé, ayant accompli toute ma carrière au sein du ministère de l'intérieur en tant que préfet de Mayotte et du Pas-de-Calais, avant de devenir secrétaire général du ministère de l'intérieur.

J'ai souhaité diversifier mon parcours, et j'ai rejoint la communauté de la santé afin d'exercer la fonction de directeur général d'ARS, ce qui m'a permis de retrouver une activité de terrain et de découvrir un nouveau domaine, articulé autour d'autres priorités. J'ajoute qu'Édouard Philippe m'avait demandé de créer le centre national de crise pour accompagner le déconfinement, en élargissant la réflexion à des aspects autres que sanitaires : j'ai dirigé ce centre pendant environ sept mois.

J'en viens à vos questions, en constatant que le modèle des ARS fait encore l'objet d'interrogations. Qu'avait souhaité le législateur en créant ces agences au moment de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) ? Il s'agissait d'abord de mettre fin à des ruptures entre des segments de la politique de santé sur le territoire, afin de bâtir une politique de santé inclusive. Plus précisément, l'objectif consistait à mener une réflexion sur la prévention et la promotion de la santé, en en faisant le socle de nos politiques, avec notamment le volet santé-environnement que nous cherchons à développer.

Il fallait également compléter l'offre de soins, en ajoutant à l'offre hospitalière, publique, privée non lucrative et privée lucrative, l'offre de soins de ville, qui était alors plutôt isolée. Enfin, il s'agissait de rajouter à toutes ces composantes le volet médico-social, qui était, avant la création des ARS, placé sous la responsabilité des directions régionales des affaires sanitaires et sociales (Drass) et des conseils départementaux, ainsi que les compétences de veille sanitaire et de gestion de crise, qui étaient jusqu'à présent exercées par le préfet.

L'ensemble de ces compétences a donc été confié aux ARS, ce qui m'amène à la deuxième volonté exprimée par le législateur, à savoir la simplification du panorama des acteurs de la politique de santé sur le territoire. Dans la configuration précédente, les agences régionales de l'hospitalisation coexistaient avec les Drass, les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (Ddass), les groupements régionaux de santé publique, les maisons régionales de santé, l'assurance maladie, l'autorité préfectorale et les collectivités territoriales, soit une dizaine d'acteurs portant chacun un segment de la politique de santé dans les territoires : désormais, ce réseau d'acteur est piloté par l'ARS.

Troisièmement, le législateur avait souhaité rapprocher les financeurs des décideurs : la politique de santé était très largement financée par l'assurance maladie, tandis que de multiples décideurs administratifs intervenaient. La création des ARS avait pour ambition de transférer à ce décideur référent les financements : c'est ce qui a été mis en place, puisque les ARS gèrent notamment des budgets d'intervention, dont le fonds d'intervention régional (FIR), à la fois alimenté par des crédits de l'État, par des crédits de l'assurance maladie et par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).

En résumé, la création des ARS a permis de mettre sur pied l'acteur d'une politique inclusive et coordonnée abordant tous les segments de la politique de santé, et doté des moyens nécessaires.

Pourquoi avoir choisi, ensuite, ce statut d'agence, chaque ARS étant un établissement public ? Peut-être qu'un effet de mode l'explique, mais la réponse la plus pertinente, selon moi, tient au fait que l'allocation de moyens fongibles et d'origines diverses devait amener la création d'une nouvelle entité administrative et financière à même de gérer ceux-ci : cela explique le choix de la création d'une agence, plus agile que l'État, enserré dans ses modes de fonctionnement classiques.

Je souhaite insister par ailleurs sur le fait que l'autonomie des ARS ne s'exerce pas de la même façon selon que l'on considère la définition des missions et des priorités ou la mise en oeuvre des politiques qui nous sont confiées.

Aussi, les politiques que nous portons sont enserrées par de très nombreuses dispositions législatives et réglementaires, parfois à l'excès, par exemple pour les autorisations d'activité dans le domaine de la pharmacie : des élus nous demandent régulièrement des transferts ou des autorisations, mais notre action est très contrainte.

Un autre pan de notre activité a trait aux sociétés savantes, dont les avis s'imposent de fait aux ARS, même si elles peuvent les adapter en partie à la réalité des territoires.

Pour ce qui est de la tutelle, exercée de manière très étroite par les ministères sociaux, chaque ARS doit respecter un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM) suivi de près, et chaque directeur reçoit une lettre de mission signée par chacun des trois ministres, qui détermine une part de sa rémunération : Catherine Vautrin, Yannick Neuder et Charlotte Parmentier-Lecocq.

De surcroît, le ministère a mis en place une forme de tutelle assez moderne et agile au travers des séminaires mensuels des directeurs généraux d'ARS, qui permettent de bien s'accorder sur les politiques menées et les résultats obtenus. Contrairement à ce que pourrait laisser entendre l'appellation d'agence, l'action des ARS est donc très encadrée.

En revanche, le fait de disposer d'enveloppes fongibles, notamment le FIR, leur permet d'adapter les politiques aux territoires, les directeurs généraux pouvant s'appuyer sur tel ou tel acteur ou établissement de leur choix, en fonction des besoins.

J'en arrive aux impacts de la création des ARS sur leur environnement administratif et institutionnel, à commencer par les professionnels de santé. Certains d'entre eux, notamment les directeurs d'hôpitaux, avaient exprimé des inquiétudes ou ne voyaient pas d'un bon oeil l'arrivée de cette tutelle, mais je crois pouvoir dire que l'ensemble des professionnels a bien compris l'intérêt de pouvoir travailler avec une agence bénéficiant de crédits fongibles, car ce mode de fonctionnement a apporté une souplesse appréciable à la prise de décision, sans remonter pour chaque décision au ministère.

Du point de vue de la relation avec les préfets, une période de tension et de méfiance a marqué les débuts des ARS, car ils ont mal vécu l'apparition d'un nouveau décideur qui n'était pas placé sous leur autorité hiérarchique directe. Ces difficultés s'étaient traduites, par exemple, par le fait que le directeur général de l'ARS ne participait aux réunions de la conférence administrative régionale du préfet qu'à la condition d'intervenir sur un point précis, tandis que les directeurs départementaux de l'ARS ne participaient que très exceptionnellement aux réunions des chefs de service.

Cette période est désormais révolue, les préfets et les ARS échangeant très régulièrement dans le cadre des instances de dialogue animées par le préfet de région ou le préfet de département.

Du reste, les préfets ont conservé des compétences en matière sanitaire et restent ainsi responsables de la police de l'hygiène publique. Le code de la santé publique organise les relations entre le préfet et l'ARS, la seconde ayant la mission d'informer le premier et les élus concernés dès lors qu'elle identifie un risque sanitaire particulier. Si ce dernier est susceptible de créer des troubles à l'ordre public ou si un basculement en gestion de crise intervient, les moyens de l'ARS sont alors mis à la disposition du préfet, à l'instar de ce qui a été pratiqué pendant la période des jeux Olympiques.

La forme d'une agence n'est donc selon moi plus vraiment un problème du point de vue de la relation avec le corps préfectoral, qui est assez proche, in fine, de celle qui unit les recteurs et les préfets.

Enfin, les ARS entretiennent des relations avec les élus locaux et avec les collectivités territoriales, et c'est sans doute sur ce point que les marges d'amélioration restent les plus importantes. Un sondage réalisé par Ipsos à l'occasion du Congrès des maires a ainsi révélé que 86 % des maires interrogés connaissaient les missions des ARS et que 73 % d'entre eux avaient une bonne image de ces structures.

En contrepoint, 60 % des maires les jugeaient trop éloignées de leurs communes, 45 % d'entre eux souhaitaient que les ARS leur transmettent plus régulièrement des éléments de communication leur permettant d'améliorer leur dialogue avec leurs concitoyens, et 46 % des élus sollicitaient davantage de transparence et de pédagogie quant à la réglementation et à leurs obligations en matière de politique publique de santé.

J'en ai conclu que nous avions un problème d'incarnation dans les territoires, notamment au niveau départemental et au niveau communal, et que les ARS étaient sans doute restées des structures trop expertes et trop régionales. J'entends mener une transformation en ce sens, en renforçant significativement les structures départementales en Île-de-France, y compris sur le plan financier puisque j'ai décidé de déléguer une partie du fonds d'intervention régional aux directeurs départementaux, de manière à ce qu'ils puissent nouer des partenariats locaux.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Selon vous, la relation entre les ARS et les préfets n'est plus un problème, mais nous avons pu entendre des critiques relatives à la gestion de la crise sanitaire. En particulier, certains préfets de départements ont pu évoquer des difficultés dans la transmission d'informations de la part des ARS.

En admettant que nous conservions les ARS telles qu'elles existent, serait-il selon vous opportun que leurs directeurs départementaux soient directement placés sous la tutelle du préfet de département ?

Par ailleurs, les effectifs départementaux des ARS semblent relativement réduits. Ne pourrait-on pas envisager une fusion avec les départements qui portent la politique sociale, en lieu et place des partenariats que vous évoquiez ?

M. Denis Robin. - Pour ce qui est de la crise sanitaire que nous avons vécue, les ARS ont agi sur la base des informations qui leur étaient transmises et n'étaient pas en mesure d'avancer les certitudes dont les préfets pouvaient exprimer le besoin : la situation était inconfortable pour tous.

Il me semble que nous avons amélioré le fonctionnement en décidant que la gestion de crise devait revêtir un caractère interministériel, afin que l'ensemble du réseau de l'État - préfets, ARS, rectorats, etc. - soit irrigué par les connaissances disponibles et par la politique du gouvernement. Je pense que nous aurions de meilleurs réflexes si une crise de cette ampleur venait à se reproduire.

Pour ce qui concerne l'opportunité de placer les directeurs départementaux sous la tutelle des préfets, je note que ces directeurs entretiennent déjà des relations étroites avec les préfets et qu'ils exercent d'ailleurs un certain nombre de compétences par délégation de ces derniers : tel est le cas, par exemple, en matière de lutte contre l'habitat indigne. Les directions départementales sont donc pleinement intégrées aux instances pilotées par les préfets.

Quant à un éventuel rapprochement avec la collectivité départementale, je n'ai pas vocation à me prononcer sur une orientation politique telle que la décentralisation, mais j'attire votre attention sur le fait que les départements sont déjà très mobilisés sur les politiques sociales et qu'ils partagent avec les ARS la relation avec le médico-social, qu'il s'agisse des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou de la politique en matière de handicap. Aller vers une décentralisation en transférant ces compétences aux départements est un choix politique qui appartient au Gouvernement et au Parlement...

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'aurais surtout voulu savoir s'il existait des obstacles d'ordre technique à ce transfert de compétences.

M. Denis Robin. - Le médico-social est devenu un segment à part entière de notre politique de santé, alors qu'il était traité un peu différemment jusqu'à présent. Le fait que les ARS s'en emparent a justement permis cette inclusion.

Nous le savons, les Ehpad deviendront progressivement des structures intervenant en aval de l'hôpital. En outre, ils devront être médicalisés, car ils accueilleront des personnes de plus en plus âgées et dont la situation de santé est de plus en plus dégradée. L'intégration entre l'offre sanitaire et l'offre médico-sociale me paraît absolument indispensable si l'on veut préparer cette évolution et un décloisonnement.

Le transfert de l'action médico-sociale à la collectivité départementale, dans un pôle social, briserait la dynamique de son intégration. Ce serait fâcheux, car cette dernière est nécessaire pour conduire nos politiques sanitaires.

M. Hervé Maurey. - Vous l'avez dit, vous avez à coeur de vérifier si votre action est conforme aux objectifs fixés par la loi. Toutefois, vous n'avez pas indiqué si vous vous assuriez de son adéquation aux besoins actuels. Il conviendrait que vous vous posiez cette question, les ARS ayant été créées voilà quinze ans.

Il serait bon que vous puissiez dresser le bilan de la création des ARS et de toutes les agences placées sous l'autorité de la DGS. On peut en effet se demander ce qu'elles ont coûté, notamment en matière de création de postes. Je ne suis pas certain que la création des agences sanitaires ait conduit à supprimer d'autres structures au sein des départements et des services de l'État.

Sans précision de votre part sur ces divers sujets, je quitterai cette salle avec un sentiment de frustration, car je n'aurai rien appris de nouveau, que ce soit sur l'utilité des agences sanitaires ou sur l'intérêt éventuel de les regrouper ou de les supprimer.

Du reste, vous avez évoqué les contacts avec les élus locaux. Pourtant, là où il existe des marges de progression, c'est avec les élus nationaux. Pour ma part, je ne connais pas un seul sénateur qui soit satisfait de l'action de l'ARS dans son département. Cela tient davantage à la structure de l'agence qu'à la personne qui la préside. Il faudrait sans doute se pencher sur cet aspect.

M. Grégory Emery. - Chaque année, le Parlement, au travers du sixième sous-objectif de l'Ondam, voté dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, attribue de nouvelles missions et de nouveaux moyens aux directions et agences sanitaires. En conséquence, notre réseau d'agences n'est pas figé dans le temps.

Concernant les évaluations, je m'inscris en faux par rapport à vos propos. Premièrement, tous les COP sont évalués, soit par l'Igas, soit par la Cour des comptes. Je ne manquerai pas de renseigner votre commission sur l'ensemble des COP, qui sont structurés et formulés en des termes très concrets : l'ANSM réduit le nombre de pénuries de médicaments, tandis que l'INCa définit le nombre de dépistages de cancers à effectuer et le nombre de recherches à financer.

Ces objectifs sont parfaitement transparents dès lors qu'ils sont publiés sur le site internet des agences sanitaires.

La surveillance sanitaire m'occupe au quotidien. Depuis la crise de la covid-19, nous avons tiré un certain nombre de leçons, si bien que, aujourd'hui, la surveillance des eaux usées, la surveillance génomique et la surveillance syndromique, effectuée à partir d'indicateurs transmis par les cabinets médicaux, fonctionnent. En outre, la couverture vaccinale est assurée ; je peux vous en communiquer les chiffres.

Il n'y a aucune ambiguïté. Santé publique France, qui devait servir d'outil de pilotage aux décideurs, fonctionne bel et bien. Toutefois, il me semble parfois nécessaire de faire évoluer les agences et leurs missions, non pas parce qu'elles sont inopérantes, mais parce qu'il y a lieu de les adapter à de nouveaux enjeux.

Il y a cinq, dix ou quinze ans, il aurait été difficile de définir les objectifs de la politique One Health, ou « une seule santé ». Aujourd'hui, nous savons qu'elle consiste en une imbrication de la santé animale, de la santé environnementale et de la santé humaine, mais ce n'est qu'après la survenance de différentes crises - épidémie aviaire, crise de la covid-19 et accélération du dérèglement climatique - que nous avons pris conscience de ces enjeux-là.

Je vous le confirme, l'Anses effectue les missions qui lui ont été assignées, notamment l'évaluation des produits phytosanitaires, mais le fait-elle dans des délais suffisants ? Je veux bien revenir sur ce sujet, indicateur par indicateur. Sachez que, pour chaque COP, un relevé mensuel est fait. En outre, la Cour des comptes contrôle régulièrement le financement des agences sanitaires et l'Igas évalue systématiquement les COP.

M. Denis Robin. - L'évolution des ARS a permis d'obtenir des résultats. Par rapport au schéma initial que j'ai vu se construire lorsque j'étais préfet, nous avons levé beaucoup de difficultés et surmonté de nombreux obstacles. Les ARS sont toujours perfectibles, d'autant qu'elles n'ont que quinze ans. Reste que nous sommes parvenus à réaliser un décloisonnement entre les structures. En conséquence, nous sommes plus à même de gérer l'offre hospitalière sur un territoire, en relation avec l'offre de ville. En outre, nous sommes en mesure de réfléchir à ce qui doit intervenir en aval et en amont d'une structure hospitalière, mais aussi de financer des actions ou des parcours qui n'existaient pas auparavant.

Progressivement, nous avons apporté de la fluidité dans la réponse à certaines difficultés. Si les ARS n'existaient pas, les blocages seraient bien plus grands que ceux que nous connaissons à chaque pic de tension estival ou hivernal. Personnellement, je crois beaucoup à cette évolution.

Je l'ai dit sans fard lors de mon propos introductif, la relation avec les élus est l'une des pistes d'évolution majeure des ARS dans les années qui viennent. Je le reconnais, ces institutions n'ont sans doute pas été suffisamment attentives à leur relation avec les acteurs du territoire. Elles doivent donc évoluer, sans quoi elles continueront de traîner le boulet d'une mauvaise réputation, celle d'être des structures technocratiques lointaines et mal comprises.

Je reste absolument persuadé que, pour nourrir le débat sanitaire à l'échelon territorial, il faut donner aux ARS des moyens pour construire des partenariats et des actions. D'où ma décision de déconcentrer les moyens financiers à l'échelle départementale, en Île-de-France et en région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

J'ajoute que la dernière réforme visant à transformer le conseil de surveillance des ARS en conseil d'administration s'est traduite par l'intégration très importante d'élus au sein de cette instance de contrôle. Désormais, un sénateur, un député et le président du conseil régional siègent au conseil d'administration. Dans l'ARS qui relève de ma compétence, trois présidents de conseil départemental et quatre représentants des maires y sont également associés.

Cette représentation des élus change complètement la tournure des conseils d'administration : alors qu'ils se bornaient traditionnellement à être des instances financières et comptables, ils permettent aujourd'hui la tenue d'un débat sur les politiques conduites par l'ARS.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Lorsque la politique One Health a été mise en place, un nouveau comité a été créé pour la surveiller, le groupe santé-environnement (GSE). Pourtant, on disposait déjà de l'Anses et, plus tard, on a institué Santé publique France.

Cette multiplication d'instances semble contradictoire avec la vision d'une santé intégrée, sur laquelle vous insistez. Vous me répondrez sans doute que le GSE est un simple comité de surveillance qui n'a pas de rôle exécutif. On peut toutefois se demander si la mobilisation d'agents publics pour assurer son animation n'engendre pas des coûts.

M. Grégory Emery. - A-t-on besoin du GSE ? Sans vouloir botter en touche, je me permets de renvoyer cette question aux parlementaires, car ce sont eux qui ont pris l'initiative de le créer. Le GSE, qui a été successivement présidé par deux députées, Mmes Élisabeth Toutut-Picard et Anne-Cécile Violland, assure l'interface entre l'État, les parlementaires et les organisations non-gouvernementales, afin qu'ils puissent discuter de sujets de santé et d'environnement et définir collectivement une politique publique cohérente. Il vise précisément à éviter que la politique de santé environnementale, telle qu'elle est mise en oeuvre et pensée par l'État, ne soit critiquée comme étant non concertée ou déconnectée des réalités.

Le GSE n'est qu'un groupe de concertation, comme on en a besoin dans beaucoup de domaines. En revanche, vous avez raison de poser cette question : faut-il, à chaque fois que l'on crée un comité de ce genre, lui donner un nom, fixer sa composition par décret et le rattacher à un article dans tel ou tel code ? Très sincèrement, je ne pense pas que cela soit nécessaire. Heureusement que les gens arrivent à travailler en dehors de cadres réglementaires !

Malheureusement, nombreux sont les projets et propositions de loi qui prévoient la création de comités Théodule et d'instances de suivi. C'est un mal français que de vouloir inscrire dans la norme ce qui relève d'un simple travail quotidien.

M. Cédric Vial. - L'objectif de notre commission d'enquête est de réfléchir à la meilleure organisation possible, afin de perfectionner la conduite de l'action publique dans certains domaines, dont celui de la santé.

Je le dis d'emblée, je n'ai aucun problème de relation avec l'ARS dans mon département, la Savoie. Toutefois, j'admets qu'il faudrait revoir la question de l'installation des pharmacies, comme M. Robin l'a indiqué. Nous avons souvent discuté de ce sujet au Sénat, car nous sommes conscients des difficultés que pose la courroie de transmission avec l'administration.

Un décret favorisant l'installation des pharmacies en milieu rural est enfin paru, sept ans après une ordonnance de janvier 2018. Qu'est-ce qui justifie ce retard ? S'agit-il d'une décision politique ou bien est-ce le lobby de certaines organisations constituées qui a empêché, pendant sept ans, la parution de ce décret ? Je me réjouissais que ce dernier ait été enfin pris, jusqu'à ce que je m'aperçoive en le lisant qu'il empêche l'application de la loi.

J'étais encore maire lors de la crise de la covid-19. Antérieurement, j'avais travaillé, dans le cadre d'un cabinet ministériel, sur la mise en place de protocoles à l'occasion de la crise de la grippe aviaire, mais ceux-ci ont été supprimés au profit d'une nouvelle organisation. C'est l'ARS qui a fini par assurer le pilotage de la gestion de crise, et non le ministère de l'intérieur, comme c'est le cas habituellement.

En conséquence, la crise a été traitée au travers d'une approche essentiellement hospitalière ; certaines collectivités territoriales ont eu des difficultés à travailler avec la médecine de ville et il a fallu que les élus se battent pour être associés aux nouveaux dispositifs. Pourquoi a-t-on organisé les choses ainsi ? Le regrettez-vous ou pensez-vous qu'il s'agissait de la meilleure décision à prendre ?

Enfin, quelques mots sur le futur des Ehpad. Ayant dirigé l'un de ces établissements dans le secteur public pendant treize ans, je sais que les Ehpad hospitaliers ne sont pas forcément les moins chers ni les mieux gérés. Au fond, l'intégration hospitalière n'est-elle pas le résultat d'une culture qui est propre aux ARS ? Une approche plus intégrée n'est-elle pas préférable ?

Mme Pauline Martin. - Pour ma part, je m'exprimerai dans un esprit moins sénatorial que mes collègues. Je vois bien la tactique de l'ARS, qui consiste à renvoyer aux parlementaires la responsabilité d'avoir voté des dispositifs. Selon moi, une agence a dans son ADN de l'agilité et de la flexibilité.

Vous vous bornez à faire référence aux directives ministérielles et aux lois qui ont été votées. Pensez-vous qu'il est bien nécessaire de créer une agence à part entière, plutôt que de créer un service rattaché à un ministère ou à la DGS ?

Par ailleurs, la désertification médicale constitue un problème prégnant. Ce sont bien les élus locaux qui s'en sont emparés, car ils sont en contact direct avec la population. Toutefois, ils se sentent isolés, car l'ARS refuse souvent leur demande d'équiper les territoires pour assurer la continuité de l'offre de soins.

M. Grégory Emery. - Je ne saurais répondre ni à la question de l'installation des pharmacies ni à celle des déserts médicaux, car elles relèvent de la direction générale de l'offre de soins (DGOS). Néanmoins, je sais combien les indicateurs pour définir le bon maillage territorial sont un sujet difficile.

En tant que directeur général de la santé, je dois veiller à ce que les Français puissent accéder aux 21 000 officines présentes dans notre pays et m'assurer qu'il n'existe pas de zones blanches. À cet égard, la prolongation des ordonnances médicales permet aux individus qui habitent très loin d'une pharmacie de ne pas s'y rendre trop régulièrement.

M. Cédric Vial. - Vous dites ne pas pouvoir répondre à ces questions, mais il me semble que vous étiez conseiller auprès du ministre des solidarités et de la santé entre 2018 et 2020.

M. Grégory Emery. - Certes, mais j'étais uniquement chargé de la santé publique et de la sécurité sanitaire, et je n'avais pas à traiter de l'offre de soins.

J'en viens à la crise de la covid-19. Encore une fois, nous avons tiré un certain nombre d'enseignements de cet épisode ; ils nous permettraient de gérer demain un risque infectieux équivalent. La manière dont les préfets et les ARS travaillent entre eux a évolué. Nous disposons désormais de cadres d'anticipation et de préparation, à savoir l'organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles (Orsan), spécifiquement dans le domaine de la santé, et l'organisation de la réponse de sécurité civile (Orsec), qui relève de la compétence des préfectures.

Sous l'égide des différents premiers ministres qui se sont succédé, nous avons mis en place un plan de crise en cas de pandémie, qui, à l'échelon national, répartit les compétences entre le ministère de l'intérieur et celui de la santé. Les plans Orsan et Orsec ont vocation à être déclinés à l'échelon territorial. Cela permet de normer les choses dès le début de la crise et à chacune de ses étapes.

Grâce à la création d'un centre de crise sanitaire (CCS), en mars dernier, la DGS s'est assurée, en amont de la tenue des Jeux olympiques et paralympiques, que les ARS avaient bien actualisé ou mis en place leur plan Orsan.

M. Denis Robin. - Dans notre pays, la gestion de crise est une compétence du Premier ministre. À cet égard, il préside le centre interministériel de crise (CIC). Compte tenu de la nature des crises que nous avons à gérer, le Premier ministre délègue souvent sa compétence de pilotage au ministre de l'intérieur. Cependant, lorsque nous sommes entrés dans la crise sanitaire, ce n'est pas ce schéma classique qui a été retenu, le président de la République ayant choisi de la gérer dans le cadre d'un conseil de défense. Cela lui a permis de gérer la crise lui-même, avec plusieurs ministres associés.

Lorsque le confinement a été déclaré et que les activités économiques et sociales du pays ont été mises à l'arrêt, on a considéré que l'animation territoriale de la gestion de crise, qui avait alors un caractère essentiellement sanitaire, relevait du ministère de la santé.

Néanmoins, lorsqu'on a préparé le premier déconfinement, on a admis que la crise ne pouvait plus être uniquement sanitaire : il fallait traiter de sujets économiques et sociaux et s'occuper de la vie quotidienne des Français.

C'est à ce moment que le Premier ministre, Édouard Philippe, m'a demandé d'activer le centre national de crise : il s'agissait de transformer la cellule interministérielle de crise, afin que les informations soient adressées non plus seulement aux ARS, mais à l'ensemble des réseaux de l'État. J'ai moi-même veillé à rendre cette diffusion effective, au moment où j'ai pris mes fonctions à la tête du CCS, au début du mois d'avril 2020.

Si nous devions affronter de nouveau un risque sanitaire semblable à la covid-19, je pense que nous choisirions directement ce type de gestion, sans avoir à traverser au préalable une phase d'hésitations.

Concernant les Ehpad, je me suis très mal fait comprendre. Que les choses soient claires, je ne suis pas un défenseur des Ehpad hospitaliers. Le Gouvernement nous avait demandé de contrôler de façon exhaustive l'ensemble des Ehpad dans nos régions. À cette occasion, je me suis efforcé de mener un contrôle qualitatif, basé sur plusieurs critères, tels que la forme, la taille et la gestion des établissements. Il en résulte que les Ehpad hospitaliers ne constituent pas la forme d'avenir de la prise en charge des personnes vieillissantes dans notre pays.

Il convient d'étudier les moyens qui permettront aux Ehpad, quel que soit leur statut, d'assurer la prise en charge médicale de personnes de plus en plus âgées et dont les situations de santé sont de plus en plus lourdes. Or le manque de médicalisation est l'un des points faibles des Ehpad, aujourd'hui.

La désignation d'un médecin coordonnateur dans les Ehpad est un sujet extrêmement douloureux dans de nombreux territoires. C'est à cela que je faisais allusion, je ne parlais pas du tout de la forme des établissements.

Madame la sénatrice, sachez que les ARS ont accompli bien des choses grâce à l'agilité dont on les a dotées. Je mettais en oeuvre des initiatives spécifiques lorsque j'étais directeur général de l'ARS de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, car son écosystème et ses acteurs étaient bien particuliers. Je ne prends pas les mêmes mesures aujourd'hui en tant que directeur général de l'ARS d'Île-de-France, où l'organisation du secteur est complètement différente et le milieu urbain beaucoup plus homogène.

Par exemple, grâce au fonds d'intervention régionale (FIR), qui est mobilisable à tout moment, je peux mettre en place une cellule régionale de gestion des urgences psychiatriques, lors du pic de tension estival et hivernal. Cela permet de décharger les urgences classiques, qui se retrouvent en extrême difficulté lorsqu'elles doivent prendre en charge des patients relevant a priori des urgences de santé mentale.

De même, je peux créer une cellule d'aide à l'inscription en maternité (Aima), qui permet aux femmes en grande précarité de trouver une place en maternité, ou une cellule de transferts à terme et post-accouchement (Tatepa), qui assure une place en néonatologie aux enfants qui en ont besoin de façon urgente.

Voilà le genre d'initiatives que je suis capable de financer de manière quasi immédiate grâce au FIR. Si nous nous en tenions aux programmes ministériels et aux budgets opérationnels de programme (BOP), dont la mise en oeuvre nécessite des accords interministériels, il est certain que nous n'aurions pas la même agilité.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - À vous entendre, j'ai le sentiment que tout va pour le mieux et qu'il ne faut rien changer. Je souhaite tout de même vous poser trois questions précises. Premièrement, pensez-vous qu'il est pertinent de faire financer Santé publique France via l'Ondam, alors que c'est l'État qui prend les décisions stratégiques ? Autrement dit, le décideur ne devrait-il pas être le payeur ? Cela aurait-il des conséquences en matière de tutelle ?

Deuxièmement, jugez-vous positivement le transfert vers l'Ondam du financement de l'ANSM, qui était autrefois rattaché à la mission « Santé » ?

Troisièmement, pourrait-on simplifier le dialogue entre la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) et les ARS à l'échelon territorial, en remettant au goût du jour les plans pluriannuels régionaux de gestion du risque et d'efficience du système de soins ? On pourrait en faire des documents uniques de référence, aux côtés des schémas régionaux de santé (SRS), dont les ARS pourraient être les pilotes.

M. Grégory Emery. - Je vais répondre aux deux premières questions, même si la tutelle financière est exercée par la direction de la sécurité sociale (DSS). Le transfert du budget total de Santé publique France à l'Ondam est intéressant puisqu'il permet, dans une perspective de construction budgétaire, de traiter le maximum d'opérateurs de la même manière. On peut émettre quelques réserves sur cette évolution ; d'ailleurs, une mission de l'Igas a été diligentée sur ce sujet : Santé publique France gère des stocks stratégiques de masse, dont les stocks de vaccins. Elle assure ainsi une fonction régalienne. Je ne sais pas si le sixième sous-objectif de l'Ondam est le meilleur endroit pour traiter cette question-là.

Le transfert du budget de l'ANSM vers l'Ondam participe de la même logique. L'idée est que toutes les agences sanitaires soient gérées dans le cadre de l'Ondam, donc par la sécurité sociale, plutôt que par l'État. Cependant, qu'il s'agisse de l'État ou de l'assurance maladie, la cohérence d'ensemble est la seule chose qui compte. D'où l'intérêt d'avoir choisi le sixième sous-objectif de l'Ondam.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si j'ai bien compris, l'Anses et l'INCa sont financés sur le programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins ». Pourquoi celui-ci ne servirait-il pas aussi à financer l'ANSM et Santé publique France ? Vous parlez de cohérence, mais vous prétendez en même temps que la gestion des stocks ne relève pas du domaine de la santé...

M. Grégory Emery. - Je me suis sans doute mal exprimé. Je dis simplement que les agences sanitaires doivent être gérées au même endroit. Qu'il s'agisse du programme 204 ou de l'Ondam m'importe peu ; je renvoie la décision à ceux qui préparent les budgets.

M. Denis Robin. - La relation entre les ARS et l'assurance maladie a complètement changé, pour la simple et bonne raison que les premières sont financées par la seconde. En outre, de nombreux collaborateurs de l'assurance maladie travaillent désormais au sein des ARS. Il existe donc aujourd'hui une communauté de vues, de compréhension et de culture qui n'existait pas dans le modèle antérieur.

Par ailleurs, nous organisons très régulièrement des réunions avec l'assurance maladie pour piloter diverses politiques, telles que la permanence des soins ou l'organisation des gardes sur les territoires.

Concernant les plans pluriannuels, l'ARS pilote la constitution et l'écriture du projet régional de santé (PRS), qui fixe les grandes lignes de la politique de santé dans la région. Ce projet n'est pas uniquement celui de l'ARS, c'est celui de toute la communauté de santé et il appartient à l'assurance maladie de le décliner dans ses documents internes, aux côtés des SRS.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le PRS n'est-il pas redondant avec le SRS ?

M. Denis Robin. - Chaque acteur doit pouvoir disposer de sa propre feuille de route, pourvu qu'elle respecte les grandes priorités régionales qui ont été définies collectivement.

M. Ludovic Haye. - L'ANSM emploie 1 000 agents ; l'Anses, 1 400 agents ; la Haute Autorité de Santé (HAS), 443 agents ; Santé Publique France, 590 agents. Nous ne doutons pas de l'utilité de ces instances, mais nous savons pertinemment que leurs missions se superposent et se chevauchent. A priori, cela ne pose pas de problème : on peut ainsi combler des lacunes qui, dans le domaine de la santé, ne sont pas toujours évidentes à traiter.

Hier, notre commission s'est posé la question du recrutement de praticiens de santé dans les déserts médicaux. Cela suppose de faire un état des lieux précis. Or les formateurs, les doyens de faculté de médecine, les directeurs d'hôpitaux et les élus des collectivités sont incapables de s'entendre sur le nombre exact de praticiens de santé dont nous disposons sur l'ensemble du territoire. Force est de constater que la multiplication des services d'urgences ne nous a absolument pas aidés.

Mme Solanges Nadille. - Permettez-moi de vous dire que je vous trouve hors sol, à l'image du directeur de l'ARS dans mon département. Connaissez-vous la Guadeloupe et sa dimension archipélagique ?

M. Grégory Emery. - Je la connais en partie, ayant participé sur le terrain à la relève de la réserve sanitaire.

Mme Solanges Nadille. - Je souhaite avoir votre avis sur le centre hospitalier universitaire (CHU) : il n'est toujours pas ouvert et, pour l'heure, il fait peur à voir. La prise en charge des patients est extrêmement difficile sur notre territoire, ainsi que dans le sud de la Martinique, comme notre collègue Frédéric Buval le répète presque tous les jours.

Sur l'une des îles de Guadeloupe, il n'y a ni services d'urgences ni moyens d'évacuation. L'ARS a reproché à un médecin d'avoir ouvert une seringue avant vingt heures pour soigner un individu qui s'était blessé, alors même qu'il n'était pas possible de l'évacuer, faute de disponibilité de l'hélicoptère sanitaire ou de celui de la sécurité civile. Dans ces conditions, le médecin a été obligé de mentir auprès de l'ARS sur l'heure à laquelle il a pratiqué les soins. Que pensez-vous de ce genre de situations ?

M. Grégory Robin. - L'offre de soins et les CHU relèvent des compétences de la DGOS. Si vous le souhaitez, je peux interroger mon collègue qui est chargé de ces questions. Quant à la situation que vous décrivez sur cette île, je ne peux prendre aucun engagement devant vous, aujourd'hui.

Mme Solanges Nadille. - Vous avez parlé d'acteurs référents sur le territoire et d'agilité. Pensez-vous que l'ARS soit véritablement agile ?

M. Grégory Emery. - Oui, je peux même vous donner un exemple. J'ai été recruté à la tête du centre de crises sanitaires au cours de l'été 2021, lorsque l'épidémie de covid-19 a durement frappé la Guadeloupe et la Martinique. J'en profite pour remercier tous les professionnels de santé qui se sont alors mobilisés et pour saluer la mémoire des victimes décédées.

À cette époque, des milliers de patients ont été évacués vers la métropole et, dans un mouvement inverse, des milliers de réservistes sanitaires sont arrivés sur ces territoires ultramarins. Songez que cela n'aurait pas été possible sans les ARS.

Mme Solanges Nadille. - Vous êtes donc satisfaits de vous... Savez-vous seulement combien il y a eu de morts en Guadeloupe ?

M. Grégory Emery. - C'est la raison pour laquelle j'ai commencé par saluer leur mémoire. La France a été le seul pays au monde à procéder à des évacuations sanitaires de manière massive, ce qui confirme l'agilité des ARS.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'agilité dont vous vous prévalez proviendrait-elle du fait que les ARS échappent aux BOP et à la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) ? Les évacuations sanitaires ont pu être effectuées surtout grâce à l'existence de compétences humaines et logistiques. Les évacuations n'auraient-elles pas été possibles en mobilisant les agents du ministère de la santé, sans recourir aux ARS ?

M. Grégory Emery. - La sénatrice Nadille me reproche d'être hors sol. Or je suis médecin : les BOP et la Lolf ne sont pas des sujets que je ne maîtrise pas au quotidien.

M. Cédric Vial. - Vous n'êtes au courant de rien, alors que vous avez conseillé le ministre de la santé et que vous êtes directeur d'administration centrale !

M. Grégory Emery. - Mon objectif est d'améliorer la santé de la population. La Lolf permettrait-elle de modifier notre capacité d'intervention en cas de crise ? Concernant Mayotte, les initiatives que nous avons prises sur place depuis le 13 décembre dernier, après le passage du cyclone Chido, n'auraient pas été possibles si nous nous en étions tenus au budget du ministère de la santé.

Du reste, je ne sais ni acheter des bouteilles d'eau pour le territoire de Mayotte, ni contractualiser en urgence avec des grossistes répartiteurs, ni commander des lits de camp depuis mon bureau : en effet, mon cadre d'intervention ne le permet pas, contrairement à celui de l'ARS.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le cadre d'intervention de l'ARS est-il défini par des contraintes de nature budgétaire ou par la compétence des personnes qui y travaillent ? Les agents des ARS sont-ils plus compétents que ceux de la DGS ou d'un service préfectoral ?

M. Denis Robin. - Je connais en partie les spécificités ultramarines, dans la mesure où j'ai servi deux fois en outre-mer et où j'ai été directeur de cabinet du ministre des outre-mer. Il est vrai que les ARS en outre-mer ne ressemblent pas à celles qui sont établies dans l'Hexagone.

L'agilité n'est pas qu'une question financière. L'ARS a été en mesure de faire intervenir au sein de ses services des professionnels qu'on ne trouvait ni dans les services préfectoraux, ni dans les directions régionales des affaires sanitaires et sociales (Drass), ni dans les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (Ddass), ni dans les agences régionales de l'hospitalisation (ARH).

Ainsi, les ARS disposent de fonctionnaires de l'assurance maladie, de fonctionnaires hospitaliers, de médecins spécialistes ou de médecins de ville. La mobilisation de ces professionnels n'aurait pas été possible au sein d'une administration territoriale de l'État (ATE), placée sous l'autorité du préfet.

Au demeurant, dès que nous entrons en gestion de crise, l'ARS est placée sous l'autorité du préfet, sans aucune exception. Dès lors, personne ne remettra en cause le fait que le préfet demande à l'ARS de réaliser des missions sur le territoire.

M. Pierre Barros, président. - Nous remercions le directeur général de la santé et le président du collège des directeurs généraux d'ARS de leur venue.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Pascal Berteaud, directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema)

M. Pierre Barros, président. - Les auditions de cette semaine sont structurées autour de deux thématiques : d'une part, la politique publique de santé, et d'autre part, l'accompagnement des collectivités territoriales. Dans le cadre de cette seconde thématique, nous recevons aujourd'hui Monsieur Berteaud, directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Nous auditionnerons jeudi les représentants de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

Le Cerema est reconnu pour son expertise scientifique et technique dans de nombreux domaines liés aux politiques publiques territoriales, que ce soit l'environnement, les infrastructures de transport, la prévention des risques, la sécurité routière et maritime, l'urbanisme, la construction, l'habitat, ainsi que les énergies et le climat. Certains de ces champs d'intervention présentent des similitudes avec ceux de l'Agence de la transition écologique (Ademe). Toutefois, le Cerema se distingue par son approche fondée sur l'ingénierie, à l'instar de l'ANCT. Nous souhaitons ainsi mieux comprendre les limites de votre champ d'action et identifier d'éventuels chevauchements avec d'autres agences.

Notre commission d'enquête ne se limite pas à un objectif de réduction du nombre d'agences publiques, elle s'attache avant tout à examiner les marges d'amélioration en matière d'efficacité du service public. À ce titre, nous souhaitons revenir sur la création du Cerema, issue de la fusion de onze services distincts, afin d'évaluer les gains d'efficacité qui en ont résulté ainsi que les défis rencontrés en matière de gestion des ressources humaines.

Par ailleurs, nous nous intéressons à la récente réforme qui a transformé le Cerema en un centre d'expertise partagé entre l'État et les collectivités territoriales. Face à la diversité des donneurs d'ordre, comment sont arbitrées les demandes qui vous sont adressées ? Certains élus ont exprimé des réserves quant à l'accessibilité du Cerema pour les petites communes. Quelle est votre analyse sur ce point ?

Avant de vous laisser la parole, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat, et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Pascal Berteaud prête serment.

M. Pascal Berteaud, directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). - Le Cerema est issu de la fusion de onze services. Il nous a fallu sept à huit ans pour parvenir à une organisation pleinement opérationnelle. Ce délai aurait pu être réduit d'environ deux ans, mais en aucun cas en deçà de six années.

Nous avons mené un important travail de restructuration. L'État nous avait fixé pour objectif une réduction de 20 % des effectifs au cours du premier quinquennat 2017-2022, ce que nous avons réalisé. Parallèlement, nous avons revu notre organisation et nos missions en nous fondant sur deux critères essentiels : d'une part, l'importance du sujet en matière de politique publique et, d'autre part, la nécessité pour la puissance publique d'en assurer la prise en charge. Nous avons également évalué si le Cerema était la structure de référence sur ces thématiques ou si d'autres entités disposaient d'une expertise plus pertinente. Ce travail a conduit à une rationalisation de notre structure : nous sommes passés de 66 pôles de compétences à 22 secteurs d'activité. Cette restructuration a entraîné la suppression de 350 postes et la modification substantielle de 800 autres. Elle a été déterminante pour assurer la pérennisation du Cerema.

Aujourd'hui, l'établissement exerce trois missions principales : une mission de recherche, d'innovation et de développement méthodologique ; une mission d'accompagnement des services de l'État et des collectivités sur le terrain ; une mission de diffusion des connaissances, consistant à capitaliser et partager le savoir sur l'aménagement. Cette transmission s'opère à travers des bases de données accessibles en ligne, des formations continues et de l'animation de plateformes collaboratives permettant d'échanger avec les professionnels du secteur.

Au final, avec 20 % d'effectifs en moins, nous devons être à 10 % de production en plus.

Depuis mai 2023, grâce à la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale dite « 3DS », le Cerema fonctionne sous un régime de gouvernance partagée. Les collectivités locales peuvent désormais adhérer au Cerema, de la même manière qu'elles le font pour une agence d'urbanisme ou un établissement public local. Le pouvoir décisionnaire est réparti entre deux collèges, représentant respectivement les collectivités territoriales, qui votent à la majorité qualifiée, et l'État, qui conserve un droit de veto. Cette nouvelle organisation a permis une participation significative des collectivités aux instances de décision. Lors des conseils d'administration et des conseils stratégiques, 12 à 13 représentants des collectivités sont systématiquement présents.

Un autre élément clé réside dans le mode de contractualisation. Le Cerema fournit des prestations intégrées dites « in-house » lorsqu'une collectivité territoriale adhérente souhaite recourir à ses services. La contractualisation est alors simplifiée : une discussion préalable permet de définir précisément la prestation et son coût, puis une lettre de commande officialise l'accord, évitant ainsi jusqu'à quatre mois de procédure administrative.

Nous avons plus de 1000 adhérents. À ce jour, toutes les régions, à l'exception de la Corse, sont membres du Cerema. L'établissement compte également 86 départements parmi ses adhérents. Les autres adhésions se répartissent de manière équilibrée entre les intercommunalités (420 adhérentes) et les communes (450 adhérentes).

Ce modèle fonctionne efficacement, notamment grâce à un maillage territorial adapté. Le Cerema est implanté dans 27 villes, dont 4 en Outre-mer et 23 en métropole, une répartition qui correspond globalement aux anciennes régions. À Paris, nous ne disposons que de quelques bureaux dans les locaux de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), qui sert de pied-à-terre administratif. L'ensemble des autres collaborateurs sont répartis sur le territoire.

L'activité du Cerema repose avant tout sur l'apport d'une expertise. Notre rôle n'est pas d'intervenir sur des aspects de proximité. Toutefois, pour garantir un échange constructif avec nos experts, une ingénierie territoriale minimale s'avère indispensable. C'est notamment ce qui pose difficulté dans les très petites communes. Lorsqu'une municipalité ne dispose que d'un secrétaire général de mairie présent un jour par semaine, l'intervention d'un expert du Cerema ne produit pas d'effet tangible. C'est pourquoi nous avons privilégié une approche fondée sur les intercommunalités. À partir de 10 000 à 15 000 habitants, une intercommunalité dispose généralement d'un embryon de service technique, permettant une collaboration efficace avec nos équipes.

Le Cerema a pour principe de ne pas entrer en concurrence avec le secteur privé. Au contraire, il entretient des relations de coopération avec les syndicats représentant les bureaux d'études privés, avec lesquels des conventions ont été signées.

La principale difficulté réside dans le niveau de compétence. De nombreux petits bureaux d'études ne disposent pas des capacités techniques nécessaires pour mener à bien des projets complexes. Afin de pallier cette lacune et d'accompagner ces structures dans leur montée en compétence, le Cerema a mis en place des sessions de formation en partenariat avec le syndicat professionnel des bureaux d'études.

Le Cerema regroupe environ 2 500 agents répartis sur 27 sites et dispose d'un budget de 190 millions d'euros. Deux tiers de ce budget proviennent de la dotation de l'État, tandis que le tiers restant est issu de ressources autres, notamment des collectivités, des entreprises et de fonds européens.

L'essentiel des ressources financières est consacré à la masse salariale, car le savoir-faire constitue la principale valeur ajoutée du Cerema. Toutefois, la dotation de l'État demeure inférieure de 10 à 20 millions d'euros aux besoins réels nécessaires à l'exercice optimal des missions de l'établissement.

S'agissant du statut des agents, les fonctionnaires du Cerema sont en position normale d'activité, ce qui signifie que leur carrière est administrée par le ministère de tutelle et non par la direction générale du Cerema.

Le paysage des opérateurs dans le domaine de l'écologie et de l'aménagement est assez diversifié, reflet d'une évolution historique. Chaque opérateur s'est structuré selon des dynamiques propres, ce qui a conduit à des recoupements notables entre le Cerema, l'Ademe et l'ANCT dans notre champ d'intervention. À l'inverse, ces recoupements sont moins marqués avec l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) et l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), qui agissent exclusivement dans le domaine du logement. En revanche, des intersections existent avec la Banque des Territoires, mais celle-ci bénéficie de l'autonomie de la Caisse des Dépôts.

À l'échelle locale, nous avons établi un groupe de travail avec les agences départementales, permettant au Cerema d'intervenir en tant qu'expert de second niveau, tandis qu'elles jouent un rôle d'opérateur de premier niveau. Ce principe est globalement partagé, bien que la principale difficulté réside dans la diversité des pratiques : chaque département ayant développé son propre mode de fonctionnement, l'hétérogénéité demeure un défi majeur.

S'agissant des opérateurs nationaux, la question d'une fusion mérite d'être posée. L'expérience de la création du Cerema, qui résulte de la fusion de onze entités aux statuts homogènes, a démontré que ce type d'intégration nécessite au minimum six à sept ans. Une fusion entre le Cerema, l'Ademe et l'ANCT représenterait un projet d'une tout autre ampleur, s'inscrivant dans une perspective décennale.

Des ajustements immédiats peuvent toutefois être mis en oeuvre. L'Ademe et le Cerema ont mis en place un comité de direction commun, qui se réunit tous les deux mois, afin d'identifier les recoupements de compétences. Ce travail collaboratif nous permet d'affiner nos expertises respectives et de rationaliser nos interventions, en veillant à ce que chaque organisme se concentre sur les missions pour lesquelles il est le plus pertinent. Une démarche similaire a été mise en place avec l'ANCT, par le biais d'un comité commun qui se réunit tous les trois mois. Cette double approche, combinant une vision stratégique à long terme et des ajustements opérationnels immédiats, nous semble être la voie la plus adaptée.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez évoqué la suppression de postes consécutive à la création du Cerema. Les agents concernés relevaient-ils du droit privé ? Comment avez-vous procédé s'agissant du départ des fonctionnaires, sachant que leur réintégration dans d'autres entités publiques constitue malgré tout une charge pour l'État ?

Par ailleurs, pourriez-vous nous expliquer pourquoi l'ensemble des fonctionnaires du Cerema sont maintenus en position normale d'activité, alors que dans d'autres établissements publics, il est courant qu'ils soient placés en détachement sur contrat ? Cette spécificité résulte-t-elle d'une demande formulée lors de la création de l'établissement ou d'un impératif imposé par le contrôleur financier ?

Vous avez également souligné l'importance du rôle des collectivités territoriales au sein du conseil d'administration du Cerema. Dans le comité stratégique, les élus locaux y occupent désormais une place prépondérante. Quel est votre avis sur cette gouvernance et son effet sur le fonctionnement de l'institution ? Pensez-vous que ce modèle pourrait être étendu à l'ensemble des agences travaillant en étroite collaboration avec les collectivités territoriales ?

En vous écoutant, il apparaît que le Cerema a développé un ensemble d'outils d'analyse qui bénéficient également aux entreprises. Ces ressources leur permettent, par exemple, de s'appuyer sur des référentiels techniques pour la construction de pistes cyclables conformes aux normes ou l'aménagement de ronds-points. Ne serait-il pas opportun d'accorder aux entreprises une place plus significative au sein du Cerema ?

Enfin, vous avez mentionné que les ressources du Cerema proviennent pour un tiers des entreprises et des collectivités territoriales. Pouvez-vous préciser sous quelle forme ces financements sont perçus ? Après avoir consulté le catalogue des prestations proposées par le Cerema, j'ai constaté que certains services, notamment les logiciels, sont mis à disposition gratuitement. Cette gratuité résulte-t-elle d'une obligation imposée par le cadre réglementaire de l'État, notamment en matière d'ouverture des données et de partage des ressources ? Envisagez-vous d'accroître vos ressources propres ?

M. Pascal Berteaud. - Le Cerema comptait environ 90 % de fonctionnaires et un nombre relativement restreint de contractuels. Nous avons largement eu recours aux dispositifs prévus par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. Ainsi, des départs volontaires ont été organisés pour les agents proches de la retraite, tandis qu'un certain nombre d'entre eux ont été réaffectés au sein de l'administration. L'ensemble des mécanismes offerts par cette réforme a été mobilisé, ce qui a permis d'accompagner cette transition sur une période de plus de deux ans. À ce jour, sur les 350 suppressions de postes prévues, il reste encore cinq ou six situations non résolues liées à des fonctionnaires exprimant un refus catégorique de toute mobilité.

Les onze entités fusionnées relevaient des services centraux, les agents étaient en position normale d'activité. Lors des négociations relatives à la création du Cerema avec les organisations syndicales, la possibilité d'un passage au détachement sur contrat n'était tout simplement pas envisageable. La seule transformation de ces services en établissement public, plutôt qu'en service à compétence nationale, constituait déjà un défi majeur. Un débat plus approfondi sur cette question du détachement devrait être mené à l'avenir.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pour quelle raison vous semble-t-il nécessaire que les fonctionnaires du Cerema soient placés en détachement sur contrat ?

M. Pascal Berteaud. - Cela permet une gestion beaucoup plus souple des effectifs.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Confirmez-vous, en tant que directeur d'établissement, qu'il existe, aujourd'hui encore, une plus grande flexibilité dans la gestion des agents publics en détachement sur contrat par rapport à ceux en position normale d'activité ?

M. Pascal Berteaud. - Oui, sans aucun doute. Il devient, au demeurant, de plus en plus difficile de recruter des experts au sein de la fonction publique. Le taux de rotation des postes au sein du Cerema est de l'ordre de 300 départs par an sur 2 500 emplois, ce qui n'est pas courant dans la fonction publique de l'État mais reste inférieur aux grands bureaux d'étude privés.

Face à ces difficultés, nous avons progressivement élargi notre recherche de compétences, d'abord en recrutant au sein de la fonction publique territoriale, puis en nous tournant vers le secteur privé. Aujourd'hui, nous recrutons de plus en plus de contractuels. Je citerai l'exemple d'un expert en ouvrages d'art chargé du programme national Ponts. Cet ingénieur, profondément attaché au service public, avait initialement fait carrière dans le secteur privé avant de nous rejoindre.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Un fonctionnaire qui rejoint un opérateur public devrait, en principe, pouvoir réintégrer aisément son ministère de tutelle. Vous soulignez l'existence d'un cadre de gestion bien plus souple que ce que l'on pourrait imaginer. Il semble ainsi possible de recruter les meilleurs experts techniques, potentiellement avec une rémunération plus attractive, lorsqu'ils sont en détachement plutôt qu'en position normale d'activité.

M. Pascal Berteaud. - Pour les fonctionnaires en détachement, la question de la rémunération n'est pas l'enjeu principal. Le véritable sujet réside dans le caractère temporaire du détachement, qui ne peut être maintenu indéfiniment.

S'agissant de la gestion de l'établissement avec les collectivités, l'expertise dans certains domaines est rare, et cette rareté implique que nous ne disposons pas des ressources nécessaires pour que les collectivités et l'État puissent, chacun de leur côté, constituer leurs propres viviers d'experts. À titre d'exemple, nous comptons environ 300 spécialistes des ouvrages d'art, dont 20 à 30 experts internationaux de très haut niveau. Si ces spécialistes étaient répartis au niveau régional, cela ne représenterait qu'un ou deux experts par région, ce qui n'est pas suffisant pour assurer un niveau de compétence adéquat. L'expertise et l'ingénierie nécessitent un travail en réseau. C'est sur cette base que repose l'idée du Cerema : un établissement d'expertise de second niveau, avec une mutualisation à l'échelle nationale. Toutefois, une organisation nationale ne signifie pas nécessairement une structure exclusivement étatique. Dans des domaines tels que la mobilité ou les infrastructures, les collectivités territoriales sont pleinement compétentes, ce qui justifie la création d'un établissement partagé.

Nous avons été confrontés à de nombreuses réticences concernant cette organisation inédite, considérée comme difficilement réalisable. Avec le temps, l'idée a gagné en crédibilité et a pu être mise en oeuvre.

Cela suppose une bonne mobilisation des élus, ce qui a été facilité ces dernières années par le recours aux réunions en visioconférence. Aujourd'hui, nous avons généralement un tiers des participants présents physiquement, un tiers en visioconférence et un dernier tiers absent.

Quant à la possibilité de répliquer ce modèle, je suis convaincu qu'il est transposable, dès lors qu'il s'agit d'un domaine où l'État et les collectivités partagent des compétences et des intérêts communs.

Notre collaboration avec les entreprises est particulièrement développée dans le domaine des infrastructures routières, notamment grâce à nos activités de laboratoire, qui présentent un niveau d'expertise avancé. Par ailleurs, nous travaillons également avec le secteur privé dans le cadre de contrats de recherche. En tant qu'institut Carnot, nous bénéficions d'un cadre favorable pour mener diverses initiatives en recherche partenariale. Cependant, selon moi, ce volet demeure encore insuffisamment exploité.

Actuellement, nos recettes issues des prestations aux entreprises s'élèvent à 20 millions d'euros, un montant qui doit être augmenté. Toutefois, la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, dite loi « Le Maire », exige que toute production financée par des fonds publics soit accessible gratuitement, y compris les logiciels. Cette exigence normative nous contraint à explorer des alternatives, telles que la création de filiales en partenariat avec des acteurs privés, afin de développer de nouvelles sources de financement.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quelle est la différence entre le statut d'adhérent au Cerema et celui d'une collectivité qui ne serait pas adhérente ?

M. Pascal Berteaud. - L'adhésion au Cerema est peu coûteuse : elle s'élève à 2 500 euros pour un département et 2 000 euros pour une agglomération. Les collectivités adhérentes disposent d'un interlocuteur dédié et d'un accès à des webinaires exclusifs. Elles reçoivent en avant-première l'ensemble de nos guides techniques, avec 80 publications chaque année. Elles peuvent également bénéficier d'un diagnostic gratuit sur l'adaptation au changement climatique. Enfin, elles ont la possibilité de commander des études auprès du Cerema. À titre d'exemple, en 2024, nous avons reçu entre 700 et 800 demandes d'études émanant de collectivités territoriales.

M. Hervé Reynaud. - Le Cerema apporte une expertise technique indéniable. Toutefois, vous n'êtes pas le seul acteur à intervenir dans ce domaine. Il y a environ deux ans, vous aviez porté un projet visant à rapprocher, voire à fusionner, le Cerema et l'Ademe. Pouvez-vous préciser comment s'organise aujourd'hui la coordination entre ces différents opérateurs sur le terrain ? Ne serait-il pas pertinent d'envisager un rapprochement plus structuré entre ces différentes entités ?

M. Hervé Maurey. - Il faut reconnaître que vous avez su optimiser vos effectifs tout en améliorant votre productivité, ce qui mérite d'être souligné et fait votre agence un bon élève en la matière.

Lors de la création de l'ANCT, l'idée initiale était de regrouper l'ensemble des structures impliquées dans l'accompagnement des collectivités locales. Cependant, cette réorganisation a finalement été réalisée de manière très partielle. En ce qui concerne le Cerema, les partisans de ce rapprochement avaient fait valoir que votre établissement avait déjà subi une restructuration conséquente, ce qui rendait une fusion immédiate difficile à accepter. Aujourd'hui, vous semblez plus ouvert à cette perspective. Pensez-vous qu'il faille se limiter à un rapprochement entre ces structures ou envisagez-vous une fusion complète entre le Cerema et l'ANCT ?

M. Pascal Berteaud. - La multiplicité des organismes dans notre domaine est le fruit de l'histoire. Afin d'améliorer la coordination entre ces différentes entités, nous avons signé des conventions de coopération avec nos homologues et identifié les points de friction, notamment avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et l'Ademe.

Initialement l'Ademe se concentrait sur l'énergie et la réduction des émissions, tandis que le Cerema se consacrerait à l'adaptation, notamment dans le cadre du programme France 2030. Cependant, l'Ademe a progressivement élargi son champ d'intervention à des sujets comme la mobilité piétonne, le vélo et les mobilités douces. Dans son nouveau contrat d'objectifs, l'agence intègre désormais un axe dédié à l'adaptation au changement climatique. Il ne s'agit pas ici de critiquer l'Ademe, mais d'affirmer que si une partition des compétences doit être opérée, elle doit être menée de manière rigoureuse.

Nous sommes convaincus que la solution à moyen terme réside dans une fusion de certaines de ces entités, car leurs missions sont de plus en plus entremêlées. Ce constat s'applique en particulier à l'ANCT, l'Ademe et le Cerema. En revanche, les agences comme l'ANRU et l'ANAH relèvent d'une logique différente, centrée sur le logement. Pour l'ANCT, la question d'un rapprochement avec le Cerema est aujourd'hui beaucoup plus pertinente qu'elle ne l'était à sa création, à une époque où notre structure traversait une période de transition complexe. Désormais, le Cerema est en mesure d'apporter une véritable valeur ajoutée aux missions de l'ANCT, notamment grâce à sa présence territoriale.

Nous estimons que cette évolution est possible, mais elle doit être pensée selon un calendrier précis : que pouvons-nous entreprendre immédiatement ? Quels objectifs fixer pour les cinq ou dix prochaines années ? Nous avons pleinement conscience que cette transformation prendra du temps.

Enfin, vous avez souligné que nous sommes perçus comme un « bon élève », ce dont je me réjouis particulièrement. L'atteinte de ce résultat est en partie due à l'approche adoptée par le gouvernement, qui a privilégié la définition d'un objectif clair de réduction de 20 % des coûts sur l'ensemble du quinquennat, plutôt que l'application d'une diminution progressive et annuelle des effectifs de 3 % à 5 %. L'objectif fixé sur une période déterminée a permis une réflexion approfondie et une réorganisation structurelle, bien plus significatives que ne l'aurait permis une réduction budgétaire annuelle plus modérée.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous plaidons souvent en faveur d'une approche pluriannuelle plutôt qu'une gestion strictement annuelle des budgets. Avez-vous pu mener cette réorganisation précisément parce que vous avez bénéficié de cette pluriannualité ? Concrètement, comment a-t-on pu vous imposer une réduction de 20 % de vos dépenses de fonctionnement alors que le principe de l'annualité budgétaire s'applique ? Cette réduction figurait-elle dans votre contrat d'objectifs et de performance ?

M. Pascal Berteaud. - Nous ne disposions pas de contrat d'objectifs et de moyens à cette époque. La réduction budgétaire n'était pas inscrite dans un cadre formel mais a été très clairement annoncée par le ministre.

Chaque année, la diminution des effectifs a été d'un peu moins de 100 équivalents temps plein (ETP). L'exercice que j'évoquais précédemment s'est articulé autour de deux critères fondamentaux : d'une part, l'importance de l'implication du secteur public sur certaines missions, et d'autre part, notre capacité à les exécuter efficacement. Ce travail d'analyse a été salutaire, bien que difficile. Il nous a permis de recentrer nos actions sur les missions pour lesquelles nous disposions d'une expertise avérée.

Mme Ghislaine Senée. - Vous annoncez un budget de 199 millions d'euros. Quels ont été les gains financiers de la fusion des onze entités ayant conduit à la création du Cerema ?

Ma seconde question porte sur la possibilité d'une fusion entre l'ANCT, l'Ademe et votre établissement. Certes, ces organismes interviennent sur des champs d'action distincts, mais ne pourrait-on pas envisager la mise en place d'un guichet unique afin de simplifier l'accès aux services pour les collectivités et les acteurs territoriaux ? L'ANCT travaille déjà dans cette direction avec le développement du dispositif France Services. Pensez-vous qu'il serait pertinent d'engager une réflexion approfondie sur ce sujet ?

M. Sébastien Fagnen. - Comment le Cerema coordonne-t-il ses actions avec les services déconcentrés de l'État, qu'ils relèvent du niveau régional ou départemental, notamment en matière d'ingénierie publique et d'accompagnement des collectivités territoriales ?

Ces dernières années ont été marquées par une diminution progressive des effectifs et des moyens alloués à ces services, réduisant leur capacité d'intervention. Aussi, pour des raisons budgétaires, la mise en place d'appels à projets s'est progressivement imposée. Toutefois, ce dispositif peut se révéler particulièrement complexe pour les élus locaux, entraînant une certaine frustration.

Dans ce paysage institutionnel, comment concevez-vous aujourd'hui le rôle du Cerema, et le cas échéant d'une entité avec laquelle vous pourriez être amené à fusionner ?

M. Pierre Barros, président. - Je souhaiterais compléter ces questions en vous interrogeant sur la position du président de l'ANCT à l'égard d'une éventuelle fusion. A-t-il déjà eu l'occasion de se prononcer sur cette proposition ?

M. Michaël Weber. - Il convient également d'examiner cette question sous l'angle de l'efficacité : la fusion de l'ensemble des structures constitue-t-elle une garantie d'une amélioration de l'efficacité et d'un accompagnement technique renforcé des collectivités ? Bien que des outils adaptés aient été développés, le principal enjeu en matière d'efficacité demeure la proximité et la mise à disposition d'une ingénierie adaptée aux besoins des territoires.

M. Pascal Berteaud. - Nous avons accru notre production de 10 % tout en réduisant les effectifs de 20 %. Parallèlement, nous avons instauré une comptabilité analytique. Lorsque j'ai rejoint le Cerema il y a sept ans, les recettes externes s'élevaient à environ 20 millions d'euros. Aujourd'hui, elles oscillent entre 70 et 80 millions d'euros, générant ainsi un gain significatif pour l'État, tant en matière d'efficacité que de ressources financières.

Cependant, cette progression est en partie atténuée par l'inflation et les mesures salariales. Le coût de la masse salariale a augmenté de 20 millions d'euros en raison des différentes mesures catégorielles mises en place par le ministère, lesquelles ne font jamais l'objet d'une compensation. Les fonds que nous avons mobilisés auprès des entreprises et des collectivités permettent en grande partie d'absorber ces coûts supplémentaires. Ainsi, depuis cinq ou six ans, ce sont environ 20 millions d'euros qui ont été réaffectés à cette fin.

S'agissant du guichet unique, il convient d'adopter une approche pragmatique. Certaines collectivités sont adhérentes au Cerema et ne sont donc pas concernées par ce dispositif. En collaboration avec l'ANCT, nous avons mis en place un guichet unique relativement simple, qui repose sur le préfet de département. À ce jour, nous n'avons pas identifié de système plus efficace. Nos relations avec les préfets sont excellentes, et nous n'avons pas besoin qu'ils soient formellement désignés comme délégués départementaux ou régionaux. Nos équipes ont pour consigne de les informer en cas d'enjeu majeur, et en cas de désaccord, nous trouvons une solution directement avec eux. Ce principe est fondamental pour nous, car nous ne pouvons ignorer les décisions des préfets.

S'agissant des appels à projets, le Cerema n'a pas vocation, à l'origine, à être un organisme financeur, bien que nous assurions ponctuellement cette fonction dans le cadre du programme national Ponts à destination des collectivités. Notre mission principale consiste à diffuser de l'expertise et des compétences. À cet effet, nous privilégions une approche fondée sur des appels à partenaires. Lorsque nous souhaitons approfondir un sujet afin d'élaborer des méthodologies, nous sollicitons nos mille adhérents pour identifier ceux qui souhaitent s'engager sur leur territoire. En général, nous sélectionnons entre 20 et 30 territoires, ce qui nous permet de progresser efficacement.

Le programme national Ponts est administré selon une logique de guichet, avec des règles précises. Il ne repose pas sur une mise en concurrence des collectivités. Toutefois, compte tenu des ressources disponibles, nous devons prioriser les interventions sur les ouvrages classés en catégorie 4, c'est-à-dire ceux présentant des défaillances critiques.

S'agissant de la réception d'une démarche de fusion par l'ANCT et l'ADEME, je ne formulerai pas de jugement. L'objectif n'est pas de supprimer des fonctions, mais d'améliorer le fonctionnement global. Ce sujet suscite des appréhensions fortes, ce qui est compréhensible.

Monsieur Weber, la question centrale est effectivement celle de l'efficacité. L'enjeu principal réside davantage dans la fluidité des processus et l'harmonisation des points d'entrée sur un même sujet. À l'échelle nationale, ces ajustements peuvent générer des bénéfices significatifs en matière de coordination et de cohérence des actions.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez mentionné la mise en place d'une comptabilité analytique. Dois-je en conclure que les structures fusionnées au sein du Cerema opéraient sans avoir une connaissance précise du coût réel de leurs prestations ? D'une manière générale, toute organisation qui produit des services, dans nos collectivités, met assez naturellement en place un suivi analytique des coûts pour mieux comprendre la nature et la rentabilité de ses activités.

J'aimerais également revenir sur les conditions de la fusion. Le Cerema compte aujourd'hui 27 implantations, dont 23 en métropole et 4 en Outre-mer. Certaines des entités fusionnées en Île-de-France disposaient de multiples sites, parfois dispersés géographiquement. Avez-vous regroupé ces sites en un pôle unique au sein de chaque région ? La réorganisation des implantations peut, par ailleurs, engendrer des temps de trajet plus longs pour certains agents, ce qui peut influencer leur choix de mobilité. Les fonctionnaires qui ont quitté le Cerema l'ont-ils fait parce que leur nouveau site d'affectation était éloigné de leur domicile ? La proximité géographique est souvent invoquée pour justifier le maintien en l'état de certaines structures administratives et freiner toute réforme.

M. Pascal Berteaud. - Dans les années 1980, des dispositifs équivalents à la comptabilité analytique existaient au sein des services techniques de l'État. Toutefois, ces pratiques ont progressivement disparu.

La mise en place d'une comptabilité analytique dans la fonction publique demeure peu courante. Nous avons d'abord instauré un suivi analytique sur certains projets. Lorsqu'un projet est initié, il est doté d'un budget propre, ce qui justifie naturellement l'établissement d'un devis, indispensable pour garantir une gestion efficace. Ce dispositif a été mis en oeuvre de manière progressive sur une période de trois ans. À compter du 1er janvier 2025, nous généralisons cette approche à l'ensemble des activités du Cerema, y compris aux fonctions support.

S'agissant des conditions de la fusion et, plus particulièrement, des regroupements géographiques, notre principal enjeu réside aujourd'hui dans la dispersion de nos infrastructures. Actuellement, nous disposons d'environ 180 bâtiments, soit près du double de ce qui serait réellement nécessaire. De surcroît, la grande majorité d'entre eux sont dans un état lamentable. Nous avons donc adopté, en fin d'année dernière, un schéma directeur immobilier reposant sur un principe clair : concentrer nos activités dans 80 à 90 bâtiments, tandis que les autres sites feront l'objet d'une valorisation, soit par la vente, soit par la mise en location. Toutefois, la direction de l'immobilier de l'État (DIE) et le ministère des Finances imposent que 50 % des recettes issues des ventes immobilières soient affectées à la réduction du déficit public. Par ailleurs, notre ministère de tutelle revendique l'autre moitié de ces fonds. Cette situation nous place dans une impasse : si nous devons engager une restructuration immobilière mais que les fonds générés par la cession des actifs ne peuvent être réinvestis dans notre projet, l'opération devient économiquement inintéressante.

En matière de regroupements immobiliers en Île-de-France, nous avons choisi de maintenir une présence à la fois à l'est et à l'ouest de la région afin de limiter les temps de déplacement des agents. Notre direction territoriale francilienne demeure structurée autour de ces deux pôles.

À l'origine, notre siège était situé à Bron, en périphérie de la métropole lyonnaise, à proximité de l'aéroport. Toutefois, cet emplacement engendrait des contraintes logistiques significatives : se rendre à la gare nécessitait un délai d'une heure et demie à deux heures. Pour remédier à cette situation, nous avons opté pour la location de bureaux au sein d'un hub de transports en commun bien desservi.

Par ailleurs, le développement du télétravail constitue un levier majeur dans notre stratégie immobilière. Certains métiers permettent désormais d'exercer à distance deux jours de la semaine, entraînant une réduction de près de 40 % de l'occupation des locaux.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Aujourd'hui, le Cerema est l'un des derniers opérateurs publics à conserver des missions d'assistance à maîtrise d'ouvrage et, plus encore, de maîtrise d'oeuvre, notamment à travers la réalisation d'études. Quel est votre regard sur l'externalisation progressive de la maîtrise d'oeuvre, qui est désormais majoritairement confiée au secteur privé ? Pensez-vous que cette évolution puisse en partie expliquer le sentiment d'abandon ressenti par certaines collectivités territoriales et contribuer au rejet du modèle de l'agence ?

Il nous est fréquemment rapporté que les dispositifs antérieurs étaient plus efficaces, mais il est difficile d'obtenir des éléments précis sur les évolutions ayant conduit à ce constat. Selon vous, quels sont les principaux changements ayant affecté ce modèle au fil du temps ?

M. Pascal Berteaud. - J'ai eu l'opportunité de débuter ma carrière dans les années 1980 au sein d'une direction départementale de l'équipement (DDE). À l'époque, la DDE de La Réunion était particulièrement structurée et jouait un rôle majeur dans l'accompagnement des collectivités territoriales. L'État leur apportait un soutien technique significatif.

Puis, une nouvelle doctrine a émergé, considérant qu'il n'était pas approprié que les services de l'État soient à la fois juges et parties. Dans cette logique, l'Assistance Technique fournie par les Services de l'État pour des raisons de Solidarité et d'Aménagement du Territoire (ATESAT) a été progressivement réduite, puis supprimée quelques années plus tard. Le résultat est sans appel : depuis la suppression de l'ATESAT, tous les acteurs concernés regrettent son existence. J'ai d'ailleurs interrogé des professionnels du secteur privé à ce sujet. Lorsque l'ATESAT a été supprimée, leur marché n'a pas augmenté, mais diminué. Les collectivités, notamment les plus petites, n'ont, en effet, souvent pas les ressources ni les compétences nécessaires pour monter des dossiers techniques. Sans accompagnement en amont, elles ne sont pas en mesure de solliciter des bureaux d'études ou des entreprises privées. Il est donc évident qu'il faut recréer un dispositif similaire à l'ATESAT. Il ne s'agit pas nécessairement de rétablir ce dispositif au sein des services de l'État, mais d'instaurer un mécanisme qui permette aux collectivités de bénéficier à nouveau d'un appui technique structurant.

L'état actuel des compétences techniques dans les directions départementales des territoires (DDT) est préoccupant. Ces services ont perdu une grande partie de leur expertise. Autrefois, un agent pouvait solliciter son subdivisionnaire pour un problème local. Si la difficulté nécessitait une expertise plus approfondie, un technicien du siège de la DDE était dépêché. Enfin, pour les cas les plus complexes, des experts de renommée étaient mobilisés, capables d'intervenir sur des infrastructures sensibles, même dans des communes rurales de quelques centaines d'habitants. Aujourd'hui, cette organisation n'existe plus, et de nombreuses collectivités se retrouvent isolées, sans appui structuré. Il est donc impératif de recréer un dispositif adapté. Nous observons cette nécessité dans le cadre de la réflexion sur une fusion entre le Cerema et l'Ademe.

L'une des tentatives actuelles pour pallier ce manque consiste à financer des chargés de mission au sein des collectivités, notamment pour des programmes comme Action coeur de ville ou Petites Villes de demain. Nous avons recensé environ 3 000 postes dédiés à ces missions. Cependant, ces recrutements concernent principalement de jeunes diplômés. Parmi eux, seuls les 5 à 10 % les plus performants parviennent à s'adapter et à produire un travail de qualité. Autrefois, un jeune ingénieur ou technicien intégrait une équipe d'une vingtaine de personnes, sous la supervision d'un chef et entouré de collègues expérimentés. Aujourd'hui, ces jeunes se retrouvent livrés à eux-mêmes dans des collectivités parfois dépourvues de tout encadrement technique.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quelles sont les raisons pour lesquelles le Cerema n'a pas pu reprendre le rôle autrefois assuré par les DDE ?

M. Pascal Berteaud. - Le principal facteur réside dans l'échelle d'intervention du Cerema. Nous opérons à une maille régionale, bien que celle-ci corresponde encore aux anciennes régions, et non à une échelle départementale. Le Cerema a repris l'ensemble des missions qui étaient exercées à un niveau supérieur aux DDE, notamment celles des centres techniques d'équipement (CTE). Pour assurer pleinement ces missions, il serait nécessaire de renforcer les effectifs alloués à ces activités.

M. Cédric Vial. - Avec la disparition de l'ATESAT, nous avons constaté non seulement une perte d'ingénierie, mais aussi un changement profond dans la culture de l'État. Autrefois, dans les DDT ou les DDE, l'État jouait un rôle d'accompagnement des collectivités territoriales. Aujourd'hui, il adopte davantage une posture d'instruction et de contrôle. Cette transformation a profondément modifié la relation entre les collectivités et l'État.

Désormais, l'un des principaux défis pour les élus n'est plus seulement la gestion de la complexité administrative, mais aussi la capacité à s'orienter dans un écosystème de plus en plus dense de structures censées les accompagner. Il est d'ailleurs frappant de constater que certaines agences, comme l'Agence de l'eau, financent aujourd'hui les départements pour aider les collectivités à monter des dossiers auprès... de l'Agence de l'eau. Ce système est paradoxal.

Ce changement de culture appelle une réflexion plus large. Si l'on souhaite que l'État retrouve son rôle historique de partenaire des collectivités, et non plus uniquement celui d'une autorité de tutelle, cette mutation est essentielle.

Il ne s'agit pas simplement de disposer d'agents instructeurs chargés de demander des comptes et d'évaluer les dossiers, mais de rétablir une logique de co-construction avec les collectivités. Cette ambition est-elle compatible avec l'organisation actuelle, ou serait-il nécessaire de réintroduire des compétences techniques et de l'ingénierie directement au sein des services de l'État ?

M. Michaël Weber. - Lors de la mise en place de l'ATESAT, certains maires se montraient réticents à l'idée de devoir s'acquitter d'une cotisation pour bénéficier de ce dispositif. Pourtant, avec le recul, cette contribution financière apparaît relativement modeste en comparaison des sommes que les collectivités versent aujourd'hui, que ce soit aux bureaux d'études privés ou aux conseils départementaux. À ce titre, quel regard portez-vous sur les agences techniques départementales ? Vous disposez sans doute d'une vision globale, qui peut varier selon les départements. Comment évaluez-vous leur efficacité et la qualité des services qu'elles offrent aux collectivités ?

M. Pascal Berteaud. - J'ai débuté ma carrière dans les années 1980, à une époque où, en tant que chef de service au sein d'une DDE, les missions des agents combinaient à la fois la maîtrise d'oeuvre pour les collectivités et l'application des réglementations en vigueur. Ce modèle, selon moi, fonctionnait plutôt bien, car les agents conservaient une approche pragmatique : ayant été confrontés à des problématiques techniques sur le terrain, ils faisaient preuve d'une certaine mesure dans l'application des règles. À l'inverse, lorsqu'ils travaillaient aux côtés des collectivités, ils tenaient compte des exigences réglementaires qu'ils contribuaient à définir.

Cependant, à partir des années 1990, une évolution doctrinale a conduit à une remise en cause de cette double compétence. Il a été estimé que la coexistence de ces missions pouvait générer une confusion des rôles, voire un conflit d'intérêts, aboutissant à un recentrage exclusif des agents sur les aspects réglementaires.

Cette transformation a eu pour effet la disparition progressive des ingénieurs et des experts techniques au sein des administrations. Si certaines directions départementales des territoires, notamment les plus importantes, disposent encore de quelques compétences techniques, beaucoup en sont aujourd'hui totalement dépourvues.

Ce phénomène ne concerne pas uniquement les services de l'État, mais touche également les collectivités territoriales, notamment les conseils départementaux. Lors du transfert des compétences routières, un certain nombre d'ingénieurs et de techniciens ont été intégrés aux services départementaux. Toutefois, ces personnels atteignant aujourd'hui l'âge de la retraite, une tendance préoccupante se dessine : au lieu de recruter de nouveaux ingénieurs ou techniciens pour assurer la continuité de l'expertise, les collectivités privilégient majoritairement l'embauche de personnel administratif.

Cette évolution soulève des interrogations quant à la place du savoir technique dans l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques publiques. Il s'agit d'une question qui me tient particulièrement à coeur et qui dépasse largement le cadre du Cerema. Nous évoluons dans un monde de plus en plus complexe sur le plan technique et technologique. Paradoxalement, la présence d'ingénieurs et de techniciens au sein de l'appareil d'État ne cesse de diminuer. Cette contradiction interpelle.

En ce qui concerne la multiplication des agences et la difficulté pour les élus locaux de s'y retrouver, il serait malvenu de porter un jugement définitif, car nous ne subissons pas directement cette complexité. Il serait aisé d'affirmer que l'organisation est parfaitement lisible, car nous en maîtrisons les rouages.

Je suis convaincu que le rôle du préfet est central dans l'organisation de l'ingénierie territoriale. Il devrait pouvoir assurer un rôle de coordination et être en mesure d'orienter une collectivité vers l'organisme compétent. Or, force est de constater que ce n'est pas le mode de fonctionnement actuellement en vigueur.

Une solution envisageable consisterait à constituer, autour du préfet, une équipe technique dédiée, capable d'assurer les missions autrefois confiées à l'ATESAT. Depuis quinze ans, de nombreux acteurs regrettent la suppression de l'ATESAT, et pourtant, aucune alternative réellement structurée n'a été mise en place pour combler ce manque. Il est temps de reconnaître collectivement que cette suppression a constitué une erreur et qu'il est nécessaire de recréer, sous une forme adaptée aux enjeux actuels, un dispositif similaire. À titre de comparaison, avant sa suppression, l'ATESAT mobilisait environ 4 000 ETP. Aujourd'hui, les chargés de mission recrutés directement par les collectivités représentent plus de 3 000 ETP. L'écart entre ces deux volumes est donc relativement faible. Si l'on rétablissait une ingénierie de proximité inspirée du modèle de l'ATESAT dans environ 70 départements, avec des équipes d'une vingtaine de personnes, cela représenterait 1500 ETP.

Concernant les agences techniques départementales, elles présentent une forte hétérogénéité. En Haute-Garonne, par exemple, l'agence technique départementale regroupe plus de 100 agents et propose un large éventail de services aux collectivités. Toutefois, cette capacité varie fortement d'un département à l'autre : certaines agences techniques départementales disposent de moyens beaucoup plus réduits, tandis que d'autres n'existent tout simplement pas.

Une autre difficulté, de nature plus politique, réside dans les relations entre les collectivités et les conseils départementaux. Par le passé, les maires pouvaient s'adresser directement à l'État, notamment via les directions départementales de l'équipement ou les directions départementales de l'agriculture, qui étaient perçues comme des interlocuteurs neutres. Aujourd'hui, certaines petites communes hésitent à solliciter leur conseil départemental, ce qui complexifie encore davantage l'accès à l'ingénierie territoriale.

Afin de répondre à ces enjeux, nous avons mis en place un groupe de travail réunissant plusieurs agences techniques départementales dans le but d'identifier les synergies possibles et de renforcer la coopération entre ces structures. Ce travail devrait aboutir, d'ici un mois, à une série de propositions qui seront soumises à l'Assemblée des Départements de France.

M. Cédric Vial. - Vous avez évoqué une piste intéressante en suggérant la création d'une structure au sein des services de l'État, inspirée de l'ATESAT, mais repensée pour répondre aux enjeux actuels. Une telle initiative nécessiterait de réinternaliser certaines compétences. Aussi, si une telle structure devait être créée, cela impliquerait-il de mobiliser les effectifs de votre agence ou ceux d'autres structures ?

M. Pascal Berteaud. - Une partie des effectifs proviendrait sans doute du réseau actuel du ministère de l'Écologie, anciennement ministère de l'Équipement.

Si des équipes d'ingénierie étaient réimplantées dans les départements, il serait possible de trouver et recruter les profils adéquats. Lorsqu'un ingénieur est formé, sa motivation première réside dans la conception et la réalisation de projets techniques, et non dans l'instruction de dossiers purement réglementaires. Je parle d'expérience, je suis moi-même ingénieur. Les professionnels que nous recrutons sont animés par cette même passion pour l'ingénierie et la construction.

En pratique, nous recrutons un nombre significatif de jeunes diplômés en sortie d'école. Il est courant qu'après cinq années d'expérience, ils évoluent vers d'autres structures. Toutefois, nous observons également qu'au bout de 10 à 15 ans, beaucoup d'entre eux reviennent dans nos services, cette fois sur des postes à plus haute responsabilité.

Notons également que les services de l'État jouaient également auparavant un rôle de redistribution financière. Aujourd'hui, les canaux de financement sont multiples, ce qui complique encore davantage l'accès aux ressources pour les collectivités.

M. Pierre Barros, président. - Il y a 35 ans, l'externalisation des compétences avait été pensée dans l'objectif d'ouvrir le marché à la concurrence. Certains agents ont constitué leur propre bureau d'études privé et ont su tirer profit de ce modèle. Ce retour vers une ingénierie publique questionne donc les orientations politiques qui ont été prises à l'époque. Sommes-nous aujourd'hui en mesure d'opérer un retour en arrière et de réintégrer ce type de service au sein de l'État ?

M. Pascal Berteaud. - Dans nos échanges avec Cinov Ingénierie et la fédération Syntec, les principaux syndicats représentant les bureaux d'études, il ressort que le marché n'a pas réellement progressé. En réalité, de nombreuses collectivités se retrouvent isolées, sans interlocuteur compétent pour les aider à formaliser leurs besoins. Or, sans cahier des charges précis, il leur est impossible de solliciter un bureau d'études.

Notre intervention se situe donc principalement en amont du processus. Lorsque les collectivités ne disposent pas d'une vision claire de leur projet, nous les accompagnons dans leur réflexion. En ce sens, nous jouons un rôle d'assistance à la maîtrise d'ouvrage.

Notre rôle tend également à s'étendre à l'aval du processus. Les collectivités nous sollicitent fréquemment pour bénéficier de notre regard sur les prestations proposées par le secteur privé. Dans ce cadre, nous intervenons en tant que tiers de confiance, aux côtés des collectivités, afin d'évaluer le travail réalisé par les bureaux d'études et les entreprises.

M. Pierre Barros, président. - Nous vous remercions pour votre venue et vos propos, Monsieur le directeur général.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 55.

Jeudi 20 mars 2025

- Présidence de Pierre Barros, président -

La réunion est ouverte à 10 h 40.

Audition de MM. Christophe Bouillon, président du conseil d'administration, et Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires

M. Pierre Barros, président. - Nous recevons aujourd'hui M. Christophe Bouillon, président depuis 2022 du conseil d'administration de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), également maire de Barentin, en Seine-Maritime, président de l'Association des petites villes de France (APVF) et ancien député. Il est accompagné de M. Stanislas Bourron, directeur général de l'ANCT depuis début 2023, précédemment directeur général des collectivités locales.

Messieurs, l'ANCT est l'agence à laquelle le plus grand nombre de rapports parlementaires sont consacrés, tout particulièrement au Sénat. Il est normal que l'assemblée qui représente les territoires s'intéresse à l'agence qui leur est dédiée.

L'ANCT a d'ailleurs été citée à de nombreuses reprises au cours des premières auditions que nous avons conduites : parfois pour dire que les dispositifs déployés par l'ANCT recoupent ceux des régions, parfois pour apprécier les travaux de l'Agence sauf lorsqu'ils sont insuffisamment adaptés à la réalité des territoires. L'utilité des chargés de mission financés par l'Agence a également été soulignée.

Un souhait a toutefois été exprimé pour l'ANCT, mais aussi pour d'autres agences : celui d'une meilleure visibilité de l'articulation entre les différents opérateurs et leur lien avec l'État incarné localement par le préfet. Celui-ci est-il bien partie prenante dans toutes les actions conduites par l'ANCT ?

Vous nous présenterez bien entendu les apports de l'ANCT aux collectivités. Lorsque l'Agence apporte de l'ingénierie, celle-ci est-elle financière, technique ou juridique ? En quoi cette expertise se distingue-t-elle - ou arrive-t-elle en complément - de celle apportée par d'autres agences telles que le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et l'Agence nationale de l'habitat (Anah) ?

L'ANCT nous intéresse aussi parce qu'elle est l'archétype même de l'agence, censée assurer la mise en oeuvre d'une politique publique conçue par un État stratège. Mise en place le 1er janvier 2020, c'est une structure jeune, mais sa croissance rapide permet de dresser un premier bilan. Avez-vous achevé la fusion des trois organismes dont l'Agence est issue, à savoir le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), l'Agence du numérique et l'Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Épareca) ?

Une fusion avec l'Ademe et le Cerema est régulièrement évoquée. Garantirait-elle une meilleure efficacité et une plus grande lisibilité pour les collectivités locales ? Ne constituerait-elle pas une fausse bonne idée, risquant d'éloigner ce super-opérateur des territoires ?

L'ANCT est ainsi au coeur de plusieurs thèmes importants de nos auditions, par son rapport avec les autres agences actives au niveau local ainsi qu'avec les services déconcentrés et les collectivités territoriales. Sur tous ces points, les acteurs de terrain manquent d'une vision claire de « qui fait quoi » et certains regrettent le temps où l'État, via les services départementaux, apportait une aide directe aux collectivités locales.

Il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Christophe Bouillon et M. Stanislas Bourron prêtent serment.

M. Pierre Barros, président. - Je vous propose d'intervenir pour un propos introductif d'une dizaine de minutes, après quoi notre rapporteur, Christine Lavarde, et ceux de nos collègues qui le souhaitent vous poseront leurs questions.

M. Christophe Bouillon, président du conseil d'administration de l'Agence nationale de la cohésion des territoires. - Merci de nous accueillir dans le cadre des travaux de cette commission d'enquête. J'exprime le point de vue d'un maire d'une petite ville et, vous l'avez rappelé, du président de l'APVF, qui fédère plus de 1 500 collectivités et porte le témoignage de tous ces maires. Je préside le conseil d'administration de l'ANCT depuis décembre 2022, à la suite de Michel Fournier, qui était lui-même président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) et succédait à Caroline Cayeux, laquelle était maire de Beauvais et présidait l'Association Villes de France. Ce conseil d'administration présente la particularité, et c'est une chance, de compter dix représentants d'associations de collectivités locales dont l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), l'AMRF, Villes de France, Intercommunalités de France, Ville et banlieue, l'Association nationale des élus de la montagne (Anem), Régions de France ou encore l'Assemblée des départements de France (ADF). Soulignons la présence de deux députés et deux sénateurs au sein du conseil pour assurer le relais entre la représentation nationale et la représentation des territoires.

Mon propos est libre, puisque je suis élu et exerce cette fonction à titre bénévole. Nous avons la chance de compter au sein de l'Agence diverses compétences appréciables. Nous les sollicitons en cas de catastrophes naturelles, telles que les inondations de la vallée de la Roya ou du Pas-de-Calais, ou plus récemment le cyclone à Mayotte - avec Stanislas Bourron, nous avons récemment reçu des élus de l'archipel. Les actions se concentrent sur l'ingénierie, le pilotage ou l'animation. L'Agence, créée en 2020, est issue de la fusion entre l'Épareca, le CGET et l'Agence du numérique - celle-ci réunissait diverses compétences aujourd'hui sollicitées dans l'exercice de nos missions.

Toutes les auditions, les évaluations et les contrôles sont parfaitement légitimes. Comme l'a indiqué M. le président, plus de trente rapports ont été produits sur l'Agence depuis 2020, et d'autres sont en préparation. En ma qualité de président du conseil d'administration, je réponds aux diverses sollicitations. Dans le même temps, il faut maintenir un rapport direct dans les territoires. Avec Stanislas Bourron, qui a pris ses fonctions en décembre 2022, nous avons décidé de faire le tour de France des actions que mène l'Agence. Ensemble ou séparément, nous avons effectué plus de 90 déplacements à la rencontre des élus locaux, de l'État territorial, des associations et porteurs de projets afin de vérifier comment les actions sont menées.

La notion d'« État stratège » a été évoquée à raison. Elle s'observe au travers des cinq missions que la loi a confiées à l'Agence, qui est le fruit d'une initiative sénatoriale.

La première mission concerne la conception et le pilotage d'actions en direction des 1 600 quartiers prioritaires de la ville (QPV), où vivent 6 millions de Français. Citons par exemple « Cités éducatives », mais il existe nombre d'autres programmes concrets de soutien à des associations.

La deuxième mission consiste à concevoir et animer des actions interministérielles de l'État en direction de territoires ruraux ou de montagne, où résident 30 % des Français. À ce titre, nous sommes chargés du plan France ruralités, qui se décline notamment avec Villages d'avenir, et des deux volets du programme Avenir montagnes : Avenir montagnes ingénierie et Avenir montagnes mobilités.

La troisième mission, tout aussi importante, est d'appuyer les collectivités locales fragilisées en ingénierie pour faire face à des défis importants comme la revitalisation des centres-bourgs ou centres-villes. Les programmes Action coeur de ville (ACV) et Petites Villes de demain (PVD) concernent respectivement 245 et 1 600 collectivités et ont été engagés en 2018 pour le premier, et en 2020 pour le second. Ils s'appuient d'abord sur la vision de l'élu, à la maille de son territoire, qui ressent les difficultés et imagine en partenariat des solutions pour redresser la situation. C'est souvent le constat d'une vacance importante de commerces ou de logements qui a incité à porter l'effort d'ingénierie sur ces territoires vulnérables.

La quatrième mission porte sur l'accès à des services publics, au numérique et à des offres commerciales. Un très important programme a permis l'ouverture de 2 800 espaces France services, répartis entre des maisons et des bus en fonction de la topographie ou de la volonté exprimée à la maille départementale. Aujourd'hui, 99,4 % de la population se trouve à moins de vingt minutes de l'un de ces espaces, que près de 1 million de personnes fréquentent chaque mois. Les points de contact avec plus d'une douzaine d'opérateurs essentiels, tels que les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), les Urssaf, MaPrimeRénov', etc., facilitent l'inclusion numérique.

La cinquième et dernière mission, peu connue, participe aussi de l'État stratège. Orientée vers la coordination, elle vise à s'assurer que les fonds européens de cohésion sont bien employés à l'échelle régionale.

Ces cinq missions s'articulent en une quinzaine de programmes, parmi lesquels je citerai Tiers-lieux ou Territoires d'industrie. En tant que président de l'APVF, j'en suis arrivé à la conclusion suivante : derrière chaque programme il y a une association d'élus, en vertu d'un principe de co-construction. Et toute action trouve son origine dans un constat.

Le programme Petites Villes de demain a par exemple vu le jour grâce aux maires, qui ont souligné un vrai enjeu lié à la dévitalisation de nos centres-bourgs.

Derrière Territoires d'industrie, vous trouverez Régions de France et Intercommunalités de France. Ensemble, ces associations ont pris acte de la nécessaire anticipation à l'échelle des bassins industriels, dont le périmètre dépasse parfois celui des seules intercommunalités. Elles ont inspiré le « temps II » du programme, ciblé sur la formation, le foncier, la décarbonation et l'innovation.

Quant au programme Action coeur de ville, il a aussi été inspiré par la volonté de Villes de France d'agir dans des villes moyennes en vue de leur redynamisation. La deuxième phase du programme tire les leçons de l'expérience, en mettant cette fois l'accent sur les entrées de ville, les gares, la renaturation des centres-villes ou la sobriété foncière. Sur ce dernier point, les maires avaient l'habitude, il y a dix ans, de se référer à des modèles un peu lointains, inspirés par exemple de la Suisse. Ils ont aujourd'hui à leur disposition 245 exemples très concrets de transformation urbaine. Certes, cela prend du temps, souvent la durée de deux mandats ; mais dans la mesure où Action coeur de ville a commencé dès 2018, il est possible d'en apprécier les résultats, qui sont probants. Par ailleurs, des indicateurs - taux de vacance ou de réhabilitation des logements - peuvent s'y rattacher.

En termes d'ingénierie, la loi a fixé une mission de coordination avec les cinq opérateurs nationaux que sont l'Anah, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), le Cerema, la Banque des territoires et l'Ademe. Le principe de subsidiarité prévaut : le préfet - ou, dans les faits, le sous-préfet - joue un rôle essentiel, car il est le délégué territorial de l'Agence, autrement dit le point de contact. Il vérifie d'abord s'il existe une réponse au niveau de l'État local, puis il se penche sur les opérateurs et l'ingénierie locale. C'est ce qui nous a conduits à élaborer des guides de l'ingénierie et organiser des forums dédiés à l'échelle départementale. En définitive, nous intervenons au bout du bout si rien ne se passe.

Je conclurai en évoquant la mission d'ingénierie sur mesure qui nous a été confiée. Lorsqu'une collectivité locale n'est pas éligible à l'un des programmes existants, nous pouvons lui apporter une ingénierie dite « de précision ». Depuis la création de l'Agence en 2020, plus de 3 000 projets ont bénéficié de ce dispositif. Pour répondre à votre question sur la nature de l'aide apportée, je vous répondrai qu'il s'agit de tous types d'ingénierie, à savoir l'animation, la conception ou la recherche de financements. Pour certains projets très complexes, comme la transformation d'un bâtiment en cinéma, notre offre repose sur une étude de faisabilité et des marchés à bons de commande.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez largement évoqué la question de l'ingénierie. Pourquoi n'a-t-elle pas été confiée dès le départ au Cerema, qui exerce des missions d'ingénierie technique ? Peut-être est-ce lié au fait que vous exercez aussi des missions de conseil et d'organisation ?

S'agissant des centres-villes, pourquoi estimez-vous que l'ANCT est le meilleur maillon pour agir ? Je suis élue de la métropole du Grand Paris (MGP), qui a créé une foncière pour préempter des baux commerciaux là où la dévitalisation menaçait le tissu économique. Personne ne m'a jamais parlé de l'ANCT. Pourquoi la collectivité s'est-elle substituée à une agence qui devrait intervenir partout sur le territoire ? Dans les situations particulières, du fait de la géographie ou de l'organisation, ne serait-il pas logique d'agir comme la MGP ?

Vous avez évoqué les fonds européens, qui ont été abordés hier par la ministre Amélie de Montchalin devant la commission des finances. Comment vérifiez-vous concrètement que les régions utilisent ou non ces fonds ? Cela ne relève-t-il pas plutôt de leur propre responsabilité ?

Selon vous, un constat exprimé par une association d'élus donne lieu à une nouvelle mission. Pourquoi ne pourraient-elles pas créer un groupe de travail afin de faciliter le partage d'expériences ? Un nouveau programme d'État se justifie-t-il ?

Vous avez déclaré qu'une aide ponctuelle était apportée à une collectivité non éligible à un dispositif existant. Est-ce à dire que toute collectivité deviendrait éligible au soutien ?

J'en viens aux marchés à bons de commande. Comment l'ANCT résout-elle le recours à des prestations extérieures ? Concernant les cabinets de conseil, sur lesquels le Sénat s'est penché longuement, une doctrine assez stricte a été édictée au niveau de l'État central. Quelle est la position de l'ANCT à cet égard ? Pouvez-vous nous indiquer la part d'ingénierie confiée à des tiers privés et celle qui est conservée par l'Agence ?

M. Christophe Bouillon. - S'agissant de votre première question, je dirai que nos actions ne sont pas identiques à celles du Cerema, dont l'ingénierie représente 7 % de l'activité. La coordination s'opère de la façon suivante : l'ANCT, représentée par le préfet, peut solliciter le Cerema en fonction de la nature du besoin. Elle ne le fait pas systématiquement, car les cinq opérateurs de l'État et d'autres organismes à l'échelle locale sont susceptibles de répondre aux besoins : des agences techniques existent dans 75 départements environ et se spécialisent en fonction des demandes - numérique, voirie, etc. - ; des Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) interviennent également ; parfois, une ingénierie est offerte par les métropoles ou les agglomérations aux communes adhérentes aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Des inégalités perdurent néanmoins d'un territoire à l'autre.

Concernant les centres-villes, l'ANCT n'a pas vocation à se substituer à qui que ce soit. Le point de départ, c'est d'abord la vision des collectivités qui souhaitent transformer leur centre-ville et s'appuyer sur l'intercommunalité et sur leurs partenaires. À titre d'exemple, Action coeur de villes réunit les acteurs concernés - notamment l'Anah, la Banque des territoires ou encore Action logement - autour de la revitalisation d'un territoire, via la production et la réhabilitation de logements, l'aménagement du centre-ville, l'amélioration de la mobilité, etc. L'Anah, qui est spécialisée dans la réhabilitation de logements privés, agit aussi dans le cadre du programme Petites ville de demain.

Vous avez raison, certaines métropoles et agglomérations sont très dotées en moyens d'ingénierie. Mais force est de constater que nombre de collectivités en sont dépourvues. D'ailleurs, avant la création de l'Agence, beaucoup d'associations de communes réclamaient une telle offre, notamment pour leurs appels à projets. Pour notre part, nous parlions d'une « prime à l'ingénierie » en faveur des collectivités plus importantes. Le « sur-mesure » permet d'y remédier. Nous sommes un peu « le trou dans la raquette ».

D'ailleurs, nous n'épuisons pas l'ensemble de l'offre d'ingénierie existant dans ce pays. L'offre d'ingénierie est diverse. Lorsqu'un maire réalise un plan local d'urbanisme intercommunal habitat et déplacements (PLUi-HD), ou un plan-climat-air-énergie territorial (PCAET), il fait appel à l'ingénierie privée. Celle-ci est fournie non pas par des cabinets de conseil, mais par des spécialistes. Le principe de subsidiarité permet à l'ANCT d'intervenir lorsque les capacités d'offre sont épuisées.

Les élus sont parfois nostalgiques des directions départementales de l'équipement (DDE). Ces structures n'existent plus aujourd'hui pour des raisons de libre concurrence. Il est vrai que les DDE jouaient un rôle précieux, jusqu'à l'assistance à maîtrise d'ouvrage. Elles permettaient ainsi de réaliser des voiries. Pour rappel, des centres techniques de DDE étaient installés à proximité des communes. Une chose est sûre, il s'agissait d'une organisation pratique et les relations avec les élus étaient fortes.

Tout cela n'existe plus aujourd'hui, en vertu de la réglementation européenne. Néanmoins, les EPCI et les agences techniques départementales ont semblé se substituer aux DDE.

Par ailleurs, vous nous interrogez sur le rôle des associations d'élus. Notez que l'APVF ne dispose que de cinq chargés de mission. Ainsi, elle aura bien des difficultés à accompagner les élus.

Néanmoins, l'ANCT veille à ce que l'ensemble des élus concernés puissent se réunir au sein de certaines structures, telles que le club Petites Villes de demain. Des échanges réguliers ont lieu entre la Banque des territoires et les communes assurant la mise en oeuvre du programme Action coeur de ville et, dernièrement, des réunions ont été organisées sur le thème du mieux vieillir.

Ces interconnexions sont essentielles pour partager les expériences et expérimenter des mesures dans certains territoires, afin de les étendre à d'autres collectivités, dans une logique d'essaimage. La mise en place de réseaux de territoires permet d'accomplir ce que les associations d'élus sont incapables de faire à leur échelle.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - En effet, les DDE ont été supprimées pour respecter le droit européen de la concurrence. Or leur expertise a été transférée aux agences. Cela ne change donc pas grand-chose.

M. Christophe Bouillon. - L'ANCT doit accomplir des missions d'État stratège, en vertu de la loi. Dès lors, son métier n'a rien à voir avec celui des DDE. Si de grands programmes nationaux existent - Action coeur de ville, Petites Villes de demain, Territoires d'industrie, plan France Très Haut Débit (PFTHD) -, c'est parce que l'ANCT doit assurer des missions de cohésion territoriale. Or telle n'était pas la vocation des DDE. De fait, ce sont les agglomérations et les territoires qui ont remplacé les DDE, pour accompagner des collectivités membres de leurs EPCI.

Certains territoires ont la chance de disposer de foncières régionales. Nous travaillons très bien avec les établissements publics fonciers dans les différentes régions, ainsi qu'avec les foncières commerciales à l'échelle des agglomérations. Ainsi, l'agglomération d'Alençon recourt à des outils de portage foncier utiles.

L'Épareca avait pour mission première de restructurer les centres commerciaux dans des quartiers très difficiles. L'ANCT, qui a récupéré cette fonction, est désormais responsable de la réintégration sur le marché d'une cinquante de centres commerciaux. Aujourd'hui, la maille territoriale à travers laquelle nous intervenons est beaucoup plus serrée, ce qui nous a amenés à soutenir un commerce en difficulté dans le centre-ville de Vierzon.

En vertu du principe de subsidiarité, nous n'intervenons que si d'autres entités ne le font pas ou ne le peuvent pas à l'échelle locale.

M. Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires. - L'ANCT est un établissement public administratif sui generis, en vertu des missions qui lui sont confiées par la loi. Le préfet, en tant que délégué territorial de l'Agence, est chargé d'animer les différentes missions aux côtés de la préfecture, de la sous-préfecture et des directions départementales des territoires (DDT).

Nous avons considérablement renforcé l'appui aux préfets, afin que le réseau de proximité construit avec les élus locaux soit le plus performant possible. Je connais bien ces réseaux, ayant été directeur général des collectivités locales et agent du ministère de l'intérieur.

Des améliorations sont toujours possibles, cela ne fait aucun doute. En 2024, nous avons déconcentré une très grande partie de nos crédits d'ingénierie, qui nous permettaient d'intervenir de façon subsidiaire. Ces crédits sont désormais à la main du préfet, qui décide localement des conditions dans lesquelles ils peuvent être mobilisés. En 2024, 920 projets ont été accompagnés ; 80 % d'entre eux concernaient des communes de moins de 3 500 habitants ou des intercommunalités de moins de 15 000 habitants.

Cela fait cinq ans que l'ANCT a été créée. Dès lors, il me semble que le sujet de la fusion est derrière nous, même s'il faut encore perfectionner un certain nombre de choses, notamment en matière de ressources humaines. Nous avons introduit de la transversalité dans le fonctionnement de l'ANCT. Désormais, nous sommes capables d'utiliser en zone rurale ce qui a été accompli dans le domaine de la politique de la ville. Notamment, nous pouvons mobiliser les outils qui ont été développés pour les QPV en faveur du commerce rural. Ces compétences sont mobilisées de façon transversale et doivent profiter à toutes les collectivités qui en ont besoin.

Par ailleurs, l'ANCT intervient en tant qu'autorité de coordination des fonds de cohésion. Cette compétence lui a été confiée par le législateur sur le fondement de textes communautaires. Vous avez raison, madame le rapporteur, cela ne remet nullement en cause la responsabilité des autorités de gestion, notamment les régions, qui restent à la manoeuvre pour définir et appliquer les programmes.

Toutefois, dans tous les États membres de l'Union européenne, il existe une interface entre l'échelon communautaire et les autorités de gestion. En France, il s'agit de l'ANCT. Dans ce cadre, nous animons le dispositif Synergie, mis à la disposition des régions, pour gérer divers fonds. En outre, nous réalisons des missions de suivi et de reporting, et servons d'interface avec la Commission européenne. Nous nous assurons du respect des délais prévus et de la bonne information des autorités de gestion sur les outils existants.

Nous accompagnons tout particulièrement les départements et régions d'outre-mer (Drom), qui ont parfois plus de difficultés, dans leur fonctionnement interne, à mobiliser les fonds, notamment les financements européens.

Malgré notre mission d'appui, nous veillons à ne pas nous substituer aux autorités de gestion. Nous nous bornons à expliquer aux collectivités les outils mis à leur disposition et les conditions dans lesquelles elles peuvent faciliter les modes de gestion. Nous les aidons également à utiliser les fonds de cohésion.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pouvez-vous nous assurer qu'aucun agent ne réalise ce suivi des Drom au sein du ministère des outre-mer ou de la direction générale des collectivités locales (DGCL), comme vous le faites ?

M. Stanislas Bourron. - L'ANCT assure une fonction de coordination qui lui a été confiée par le législateur ; ce n'est pas elle qui l'a décidé.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je ne remets pas en cause ce principe, je vous demande simplement si d'autres administrations centrales interviennent dans ce domaine, en plus de l'ANCT.

M. Stanislas Bourron. - Le ministère des outre-mer a des responsabilités spécifiques sur ces sujets et articule son travail avec celui de l'ANCT. Il dispose notamment d'un dispositif d'assistance technique dédié, coordonné par nos soins. Le soutien que nous apportons aux territoires ultramarins ne se fait ni sans eux ni sans les préfets de région et les départements concernés.

Ayant été responsable de la création de la structure, au sein de la DGCL, qui assure la tutelle de l'ANCT, et ayant exercé cette tutelle pendant trois ans, je peux vous certifier que la fonction de reporting n'est assurée que par un demi-chargé de mission. C'est tout à fait normal pour une tutelle qui s'exerce sur un établissement public de l'État.

J'en viens à la question du recours aux marchés à bons de commande. Le soutien de l'ANCT en matière d'ingénierie se fait à deux niveaux.

D'une part, des chefs de projet peuvent être sollicités. Dans ce cadre, ils bénéficient de cofinancements au titre des grands programmes nationaux, tels qu'Action coeur de ville. La plupart du temps, les chefs de projet sont positionnés dans les intercommunalités ou les communes et accomplissent une mission spécifique.

Le Parlement, la Cour des comptes et les autorités d'inspection estiment que les chefs de projet sont utiles, dès lors qu'ils aident, sur le temps long, à construire des projets structurés, notamment des projets d'investissements de qualité.

D'autre part, les collectivités peuvent recourir au guichet unique et consulter des guides d'ingénierie lorsqu'elles ont des besoins plus ponctuels. Elles peuvent ainsi être soutenues dans la réalisation de divers projets : entretien d'une station-service qui tombe en ruine, gestion des friches, développement touristique, etc.

Lorsqu'une réponse locale ne peut être apportée aux problèmes, l'ANCT se doit d'intervenir, en lien avec les préfets et les départements.

Un rapport du Sénat relatif à l'ingénierie dans les territoires a souligné le fait que certains départements ne disposent pas encore d'une agence technique départementale. Dans ce cas, ils peuvent avoir besoin d'un accompagnement subsidiaire de l'État, pouvant être réalisé de deux façons : dans un premier temps, les collectivités peuvent solliciter des opérateurs nationaux, tels que le Cerema ; à défaut d'offre publique, elles peuvent recourir à un marché à bons de commande.

Passés tous les quatre ans, ces marchés permettent de répondre, notamment avec des lots régionaux, à la totalité des problèmes qui se posent dans divers domaines : service public, numérique, tourisme, commerce, aménagement urbain, etc.

Les marchés à bons de commande sont parfaitement conformes à la doctrine de l'État en matière de prestation. Encore une fois, l'ANCT se contente de proposer une offre de service simplifiée et ne se substitue à personne. Dans ce cadre, elle agit presque comme une structure de type Union des groupements d'achats publics (Ugap) : la collectivité n'a pas à passer le marché et peut, dès lors, recevoir une prestation adaptée à son besoin.

Par ailleurs, l'ANCT, en vertu d'une décision du conseil d'administration, prend en charge tout ou partie du coût de cette prestation, y compris si elle est publique. La prise en charge peut aller jusqu'à 100 % pour les plus petites communes et jusqu'à 30 % pour les plus grandes. Cette logique de péréquation permet aux collectivités d'accéder à l'ingénierie à un tarif acceptable et de développer un projet de qualité répondant aux grands enjeux territoriaux.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'État a-t-il recensé l'ensemble des soutiens publics reçus par les communes ? Je pense non seulement à l'appui fourni par l'ANCT et le Cerema, mais aussi à la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Cette question recoupe celle de la répartition de l'aide apportée aux collectivités.

M. Christophe Bouillon. - Ce qui compte, c'est d'avoir un positionnement de l'État à l'échelle départementale. Il est incarné par le préfet, qui agit comme délégué territorial ; c'est à cette échelle que se joue l'attribution de différentes dotations. Force est de constater que le couple préfet-maire est opérationnel dans beaucoup de territoires, surtout en temps de crise.

Il existe des revues de projet à la fois à l'échelle régionale, pour les questions financières et calendaires, et à l'échelle nationale. Cela permet d'avoir une connaissance fine de l'ensemble de l'offre et du coût qu'elle représente.

Au sein même du conseil d'administration, nous faisons régulièrement état d'un tableau détaillé sur la nature et le nombre d'interventions. Ainsi, plus de 900 collectivités ont été accompagnées au cours de l'année 2024. Les guides d'ingénierie sont essentiels pour faire jouer la notion de guichet unique et le principe de subsidiarité.

En 2023, un important travail a été conduit, sous l'égide de Stanislas Bourron, avec les cinq grands opérateurs de l'État, afin de déterminer l'ensemble de l'offre d'ingénierie existante.

Ainsi, dans chaque département, l'ANCT est désormais capable d'orienter les élus et de répondre le mieux possible à leurs besoins. Sachez que nous veillons à aller au plus fin de l'ingénierie, dont le spectre est assez large.

En outre, nous avons distribué aux maires un flyer, notamment à l'occasion du congrès des maires et des présidents d'intercommunalité de France. Il leur permet d'identifier, parmi les opérateurs de l'État, celui qui sera le plus à même de répondre à leurs besoins.

La pire chose qui puisse arriver aux maires est le changement permanent. Pour ma part, je ne crois pas à la fusion perpétuelle : il faut qu'on se laisse le temps de mettre en oeuvre des actions, pour pouvoir les évaluer correctement. Il se trouve que les maires sont très satisfaits par le programme Petites Villes de demain, car il est adossé à leur mandat de six ans.

Le temps long, c'est aussi celui de la transformation urbaine. En effet, la mise en oeuvre des programmes Action coeur de ville, Petites Villes de demain ou Villages d'avenir excède parfois la durée d'un seul mandat municipal.

Stanislas Bourron l'a fort bien rappelé, on ne réalise pas une fusion en appuyant simplement sur un bouton. Elle nécessite un temps d'acculturation et une certaine transversalité. Justement, nous avons réalisé un important travail visant à assurer la transversalité de l'ensemble des métiers de l'ANCT, en dépit des différences de statut et d'approche.

J'insiste, la stabilité est utile, car elle nous permet d'être opérationnels.

Ne l'oublions jamais, l'ANCT a été créée en 2020, au coeur de la crise sanitaire, que les préfets et les maires ont dû gérer pendant au moins deux ans. Malgré tout, elle est parvenue à mettre en oeuvre divers programmes, tels que Petites Villes de demain en 2020 et Avenir montagnes en 2021. Désormais, notre agence est connue par de nombreux territoires et navigue à sa vitesse de croisière, si j'ose dire.

Lorsque je suis entré au conseil d'administration de l'ANCT, on m'a demandé d'améliorer la visibilité et la lisibilité de l'institution. Je pense que nous avons beaucoup progressé en ce sens, mais cela a pris du temps.

Encore une fois, il faut éviter de déstabiliser un écosystème et des programmes qui sont désormais compris par les collectivités. Ce n'est pas la peine d'embrouiller les actions qui doivent être menées par les élus sur la durée de leur mandat.

Mme Ghislaine Senée. - Dans ma circonscription, les Yvelines, les dispositifs d'accompagnement aux collectivités sont salués. Je souhaiterais vous interroger sur le recoupement des missions entre divers opérateurs, dont l'ANCT.

Au fil du temps, toutes sortes de structures se sont multipliées dans les territoires. Par exemple, le département des Yvelines a créé les agences IngénierY et RuralogY, dont les missions s'ajoutent à celle de l'agence Île-de-France Ruralité. Quelle structure choisir ? Pour quelles raisons une structure devrait-elle prévaloir sur les autres ?

Par ailleurs, quel type de personnels l'ANCT a-t-elle récupéré après la fusion ? S'agissait-il de fonctionnaires détachés ou d'agents mobilisés au titre de la position normale d'activité (PNA) ?

Enfin, avez-vous défini des objectifs en matière de réduction d'effectifs ? Avez-vous pu mesurer les gains de productivité apportés par la fusion ? On présente souvent cette dernière comme une solution miracle. Je pense qu'il faut nous assurer d'objectiver ce genre de stratégie.

M. Christophe Bouillon. - Les guides d'ingénierie ne sont pas qu'un simple document de communication. Ils constituent l'aboutissement d'un travail qui permet d'identifier, à la maille locale, l'ensemble de l'ingénierie disponible : agences techniques départementales, CAUE, agents d'urbanisme, agences de ruralité, etc. Nous avons également dressé un tableau des cinq opérateurs de l'État.

Notre mission consiste à renseigner les collectivités sur les activités de chaque structure. Pour le dire plus simplement, les élus sont capables, grâce à notre action, de savoir qui fait quoi.

Je dois aussi mentionner les comités locaux de cohésion des territoires (CLCT), qui sont à la main des préfets dans les départements. Ils sont essentiels, bien que leur organisation varie d'un territoire à un autre, car ils permettent de réunir les opérateurs nationaux, les collectivités locales et les associations d'élus.

M. Stanislas Bourron. - L'ANCT est née du regroupement d'une administration centrale, le CGET, d'un service à compétence nationale, l'Agence du numérique, et d'un établissement public industriel et commercial (EPIC). Or il se trouve que ce dernier employait des salariés de droit privé.

L'ANCT doit être regardée comme un opérateur sui generis sur le plan juridique, dès lors qu'elle a été définie comme un établissement public administratif (EPA) avec une activité industrielle et commerciale. Cette caractéristique lui a permis de conserver des salariés de droit privé, dont les compétences sont rarissimes au sein des services de l'État : construction, gestion de projet, gestion locative des centres commerciaux principalement dans les QPV.

Le législateur a été très clair : l'ANCT ne peut aider les centres commerciaux qu'en l'absence de toute intervention privée. Ainsi, la puissance publique intervient à titre subsidiaire pour acquérir le foncier, reconstruire le bâtiment et assurer la gestion locative, en symbiose avec la collectivité locale concernée. Au bout de sept ou huit ans, l'ANCT revend le foncier à un commerçant, à une association ou à des structures spécialisées et veille à la pérennité et à la proximité du projet avec les habitants.

Les salariés de droit privé qui supervisent ce genre d'opérations ont, par définition, des compétences très particulières. Actuellement, ils représentent 10 % de nos effectifs.

Par ailleurs, nous employons 60 % de contractuels en CDI ou en CDD, sous statut de droit public. Certains agents ont un statut particulier, car ils sont issus de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé) qui, dans les années 2010, gérait les fonds de la politique de la ville.

Enfin, nous disposons d'un petit tiers de fonctionnaires - il s'agit notamment d'agents du ministère de la transition écologique, auquel nous sommes organiquement rattachés - qui sont placés sous différents statuts : PNA, mise à disposition (MAD), etc. Certains de nos fonctionnaires sont enfin détachés de la fonction publique territoriale, ce qui nous permet d'avoir une plus grande connaissance du monde local.

En matière d'effectifs, notre objectif n'est pas d'organiser des grands mouvements de personnels. Il consiste plutôt à garder les bons agents au bon endroit, peu importe leur statut juridique.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La question du statut n'est pas si neutre, car les conditions de rémunération ne sont pas les mêmes dans le cadre d'une PNA ou d'un détachement sous contrat. Privilégiez-vous l'un de ces statuts ?

M. Stanislas Bourron. - La réponse est simple : l'ANCT emploie essentiellement des personnels contractuels. La PNA est assez marginale : si des fonctionnaires se positionnent, nous regardons les conditions statutaires qui leur permettent de venir à l'ANCT dans les meilleures conditions. Notez que cela n'engendre aucun coût.

L'ANCT n'est pas maître de sa politique de rémunération, tant s'en faut. Elle doit tenir compte des visas préalables émis par les contrôleurs budgétaires et financiers sur chaque contrat supérieur à 700 points dans le cadre de la grille indiciaire.

L'an dernier, la Cour des comptes a conduit un contrôle organique de l'ANCT pour le compte de la commission des finances du Sénat. À cette occasion, elle a relevé que le coût moyen de nos agents était inférieur à celui qui était prévu.

Depuis sa mise en place, l'ANCT a développé ou relancé un certain nombre de programmes. Afin d'assurer leur mise en oeuvre, nous avons créé sept postes : trois pour gérer les programmes relatifs à la montagne ; quatre pour encadrer les plans France ruralités et Villages d'avenir, lequel concerne tout de même 2 500 communes.

Il est arrivé que nos effectifs augmentent de manière marginale en raison de transferts de missions. Par exemple, la Cour des comptes a relevé que la mise en oeuvre du fonds national pour la société numérique (FSN) par la Caisse des dépôts et consignations posait problème. On a donc demandé à l'ANCT d'assurer la gestion directe de ce dispositif, ce qui l'a amenée à récupérer un certain nombre d'effectifs. En outre, nous avons repris les personnels de l'Anru qui travaillaient à la mise en oeuvre du programme Urbact de suivi des fonds européens.

Bref, nos effectifs varient d'une période à l'autre. Par exemple, nous enregistrons une baisse de 21 équivalents temps plein (ETP) cette année.

Du reste, les gains de productivité sont réels puisque, comme la Cour des comptes le précise, l'ANCT a été en mesure de prendre en charge davantage de missions sans recevoir de moyens supplémentaires.

Mme Ghislaine Senée. - Savez-vous exactement quand ces transferts ont eu lieu ?

M. Stanislas Bourron. - Entre 2021 et 2023.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Qu'est-ce qui justifie le maintien de l'Anru aujourd'hui, à côté de l'ANCT ?

M. Christophe Bouillon. - L'Anru est spécialisée et n'intervient pas dans tous les territoires, contrairement à l'ANCT, qui intervient dans l'ensemble des 1 600 QPV. Les cinq grandes missions conférées par le législateur à l'Agence lui permettent d'intervenir à la fois dans les zones urbaines et rurales, et de travailler à la résorption des inégalités, au nom de la cohésion des territoires.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Qu'est-ce qui empêche d'intégrer l'Anru à vos missions ? Une telle fusion serait-elle source d'efficience ?

M. Christophe Bouillon. - L'Anru accompagne depuis un certain nombre d'années les collectivités sur des projets de transformations urbaines très lourds. L'ANCT travaille de concert avec l'Anru sur les quelque 400 quartiers concernés. Voilà pourquoi je me suis rendu dans un QPV de Montpellier, aux côtés de responsables de l'Anah et de l'Anru.

Ce travail de coordination est essentiel dans le cadre de la politique de la ville, notamment pour mettre en oeuvre le programme Cités éducatives.

Je pense que le maire a une bonne vision du territoire. Il est donc important qu'il puisse disposer d'une boîte à outils pour réaliser ses projets. Il peut ainsi solliciter l'Anru pour les transformations urbaines lourdes, l'ANCT pour la politique de la ville et l'Anah pour la réhabilitation du logement privé.

Ce qui compte, c'est que les différentes agences ne se marchent pas dessus et que la boîte à outils ne soit pas alourdie par des dispositifs redondants.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - À vous entendre, les élus n'ont aucune difficulté à se repérer face aux nombreuses agences qui existent.

M. Christophe Bouillon. - C'est moins difficile aujourd'hui. Le travail de coordination qui a été mené avec les cinq opérateurs nationaux, les revues de projet et les guides d'ingénierie ont contribué à rendre visible et lisible le rôle de l'ANCT, de même que les outils mis à disposition des collectivités.

L'ANCT, dans une logique d'État stratège, intervient là où des besoins s'expriment et assure une mission de cohésion territoriale.

Les maires qui souhaitent mettre en place un réseau de chauffage urbain doivent solliciter l'Ademe pour mobiliser le fonds Chaleur. Encore faut-il qu'ils sachent que l'Ademe peut les accompagner dans ce projet, et c'est notre rôle de les en tenir informés.

Mme Ghislaine Senée. - Vous l'avez dit, l'ANCT permet de déterminer l'opérateur qui doit intervenir pour répondre à un besoin particulier.

Pour ma part, je crois beaucoup au guichet unique. Comment pourrions-nous donner encore plus de visibilité aux habitants et aux collectivités ? La maire d'une commune de mon département m'a sollicitée pour un problème d'éboulement rocheux. Il se trouve que le Cerema est intervenu pour l'aider à régler cette situation. Comment consolider la coordination entre les agences, qui ont des fonctions bien différentes ?

M. Christophe Bouillon. - L'ANCT gère la plateforme numérique Aides Territoires, qui permet aux collectivités de se renseigner sur les projets en cours et la façon dont ils sont conduits et organisés. Nous avons eu l'occasion de faire la promotion de cet outil extraordinaire lors du congrès des maires et de l'événement ANCTour. Le dernier ANCTour a eu lieu en région Occitanie, au mois de juillet 2024, et le prochain se tiendra à Dijon, le 3 juin 2025.

Par ailleurs, nous avons envoyé à tous les parlementaires un document, mis à jour régulièrement, qui recense l'ensemble des actions entreprises par l'ANCT dans chaque département. La représentation nationale peut ainsi connaître l'état d'avancement de divers projets, comme en matière de couverture numérique, par exemple.

La capacité à faire remonter les informations dans une logique d'essaimage est essentielle pour les élus. C'est pourquoi la plateforme numérique Aides Territoires est précieuse.

Les maires des petites communes nous font souvent part de leur étonnement, car ils s'attendent à ne pas trouver de réponse à leur demande en matière d'ingénierie. Si les élus ne sollicitent ni l'État, ni la DETR, ni l'ingénierie, c'est souvent parce qu'ils ne disposent pas des informations nécessaires. C'est la raison pour laquelle l'ANCT doit porter à leur connaissance l'ensemble des dispositifs.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le rapport de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat du 2 février 2023 relatif à l'ANCT recense l'ensemble des financements qui transitent par l'Agence. Or on se rend très vite compte que les crédits budgétaires liés à ces financements ne relèvent pas tous du ministère de la cohésion des territoires. Comment les ministères peuvent-ils vérifier la bonne utilisation des fonds qu'ils délèguent ?

M. Stanislas Bourron. - À la création de l'Agence, une tutelle administrative a été confiée à la DGCL, qui a été dotée de quelques effectifs supplémentaires pour l'assumer. Ceux-ci ont été pris sur les organismes fusionnés pour armer trois bureaux. Le premier est chargé du programme 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » et du programme 147 « Politique de la ville ». Le second gère les tutelles, car l'ANCT n'est pas la seule à être placée sous tutelle : c'est aussi le cas, par exemple, de l'Anru et de Business France. Le troisième est consacré aux politiques interministérielles, notamment le suivi, en lien avec le préfet de région, des contrats de plan État-région (CPER) et des contrats de plan interrégionaux État-régions (CPIER), qui représente un volet important.

Nous travaillons donc étroitement avec la DGCL. Vous évoquez l'Anru, mais nous ne sommes pas du tout configurés de la même façon. L'Anru est un grand centralisateur de financements. Pour notre part, nous sommes environ 350 personnes et nous agissons sur un budget d'une centaine de millions d'euros, dont 30 millions d'euros d'ingénierie, ce qui est une somme assez ramassée.

En revanche, nous actionnons des crédits à différents stades. En ce qui concerne la politique de la ville, nous mobilisons les fonds du programme 147 pour le compte des ministres concernés pour animer des programmes tels que Cités éducatives, les adultes-relais, quartier d'été ou encore les contrats de ville. Je rappelle que nous avons été mandatés pour actualiser les périmètres des QPV en 2023 et 2024. Nous étions à la manoeuvre pour préparer les décrets que la DGCL a pu prendre par la suite.

Nous actionnons donc des crédits pour le compte des ministres, nous aidons à concevoir des politiques publiques très largement déconcentrées et nous nous assurons de leur bonne diffusion. Ces crédits sont ensuite à la main des préfets.

Par exemple, sur les cités éducatives, nous instruisons les dossiers, nous vérifions qu'ils sont bien conformes au cahier des charges et, le cas échéant, nous proposons à notre autorité ministérielle la labellisation de la cité éducative.

En ce qui concerne l'aménagement du territoire, nous mobilisons le programme 112, qui finance France Services à hauteur de 70 millions d'euros, notamment pour doter les maisons France Services de 45 000 euros cette année, mais aussi pour cofinancer des postes d'ingénierie pour les programmes Petites Villes de demain, Territoires d'industrie, Villages d'avenir, Avenir montagnes. Mais là aussi, nous le faisons sur la base d'orientations partagées, sous l'autorité des ministres.

Par ailleurs, nous actionnons des crédits de manière plus lointaine. Au sein du ministère, nous sommes mobilisés sur deux lignes budgétaires du fonds vert : l'une de 60 millions d'euros sur les investissements du programme Territoires d'industrie, sur laquelle nous sommes instructeurs et mandataires, et l'autre sur le fonds de restructuration des locaux d'activité. Ce dernier constitue un outil pour subventionner un EPCI ou une société d'économie mixte (SEM) qui souhaiterait réaliser une opération en centre-ville ne pouvant être que déficitaire à cause du coût des travaux à réaliser.

Enfin, nous agissons sur quelques fonds relevant de la direction générale des entreprises autour du numérique, notamment celui qui finance le dispositif de conseiller numérique ou le fonds de soutien au commerce rural.

Voilà les trois ensembles de fonds que nous mobilisons, soit sur notre propre budget, soit dans le cadre d'un partenariat étroit avec l'ensemble des directions et ministères.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je comprends mal le rapport entre la politique foncière que vous menez et le fonds vert. Que financez-vous par ce biais ?

Par ailleurs, le fonds vert devait être mobilisé librement par les préfets afin qu'ils choisissent les actions à financer sur leur territoire. Or nous comprenons que vous intervenez au nom de l'État, ce qui me semble en contradiction avec l'objet initial de ce fonds.

M. Christophe Bouillon. - Nous n'instruisons pas le fonds vert, qui est en effet à la main des préfets. Toutefois, au sein de l'enveloppe globale de ce fonds, nous mobilisons deux lignes budgétaires.

La première est consacrée à l'ingénierie et nous permet par exemple d'accompagner une petite commune qui a sollicité le fonds vert pour procéder à du relamping, c'est-à-dire le remplacement des éclairages extérieurs, et dont le dossier n'était pas éligible pour des raisons techniques. Il s'agit notamment de l'aider à réaliser une estimation des performances énergétiques futures.

La seconde est consacrée au programme Territoires d'industrie, à hauteur de 60 millions d'euros environ, qui comporte quatre volets : innovation ; formation et compétences ; foncier industriel ; décarbonation de l'industrie.

Nous ne gérons aucunement le fonds vert dans sa totalité ; nous agissons simplement sur ces deux parties spécifiques. En tout état de cause, les fonds restent à la main des préfets. Je pense d'ailleurs à des exemples très concrets où le préfet estime qu'il faut rendre éligible une collectivité donnée et l'aider à monter son dossier.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Sur l'ingénierie, il n'y a pas de sujet. Ma question porte sur la mobilisation du fonds vert pour rendre un projet commercial économiquement viable.

M. Stanislas Bourron. - Il s'agit d'une ligne du fonds vert destinée à des projets instruits localement par les préfets et portés par les élus. Nous ne faisons qu'apporter notre expertise pour nous assurer que le dossier est viable, compte tenu de la complexité du sujet. Nous vérifions également que l'opération en question répond aux critères du fonds vert. En général, il s'agit de requalifier une friche commerciale, notamment en matière de rénovation thermique des bâtiments. Le projet est certes de créer de nouveaux objets commerciaux, mais qui soient conformes aux normes actuelles en matière de bâti. Je précise que ces fonds dépendaient à l'origine du plan de relance.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'avais bien compris l'idée, mais je pense que ce programme pourrait être intégré à la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), car il me semble éloigné de la philosophie du fonds vert, dont l'objet est la transition écologique et l'adaptation.

Mme Ghislaine Senée. - C'est tout le problème du fonds vert !

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Tout à fait, mais ce n'est pas le sujet de cette commission d'enquête.

M. Christophe Chaillou. - Monsieur Bourron, vous avez reconnu que nous pouvions toujours faire mieux sur certains aspects. Dans mon département du Loiret, les programmes Action coeur de ville, Villages d'avenir ou Petites Villes de demain semblent globalement satisfaire les acteurs locaux, mais des questions demeurent. Au regard de votre expérience à tous les deux, quelles seraient selon vous les marges d'amélioration ?

M. Pierre Barros, président. - Nous constatons que les programmes qui fonctionnent sur les territoires sont ceux où les préfets et les sous-préfets s'investissent fortement. Ces derniers vont même souvent chercher les collectivités pour les conseiller sur les dispositifs à mobiliser. Ils ont parfois déjà travaillé avec l'ANCT et apportent, lorsqu'ils changent de département, la culture qu'ils ont acquise en la matière. Confirmez-vous ce constat ?

Par ailleurs, j'apprécie beaucoup le principe de la caisse à outils. À mon sens, l'ANCT en est une. Toutefois, vos missions sont très diverses. Avec la même caisse à outils, vous êtes amenés à réparer tant un train qu'une petite voiture. Le périmètre que vous couvrez n'est-il pas trop large ?

Je vois très bien le travail colossal que représente un projet de requalification d'une friche commerciale dégradée viable dans le temps. Cela nécessite un accompagnement.

Je connais bien le programme Petites Villes de demain pour avoir été maire d'une commune bénéficiaire du dispositif. Vous avez environ 350 collaborateurs, mais les collectivités embauchent également des ingénieurs et des porteurs de projets avec des moyens que vous leur fournissez. Il est parfois très difficile de trouver des profils correspondant au besoin, au point que la recherche peut prendre des mois, voire des années. Et quand vous trouvez la bonne personne, il arrive qu'elle parte au bout de six mois et que votre projet soit alors mis en pause.

L'assistance à maîtrise d'ouvrage à laquelle vous donnez accès est donc particulièrement bienvenue. Elle donne un sacré coup de main aux services techniques et aux directions générales des services. Il s'agit d'une réponse véloce et utile.

L'appui technique par un tiers est très intéressant et pourrait être développé. Est-ce l'un des axes sur lesquels vous vous penchez ? Cela répond en partie à la question que nous nous posions en matière de ressources humaines : vous avez en réalité au moins deux fois plus de collaborateurs externes, embauchés par les collectivités, qu'internes.

M. Christophe Bouillon. - Nous sommes engagés dans une démarche d'amélioration continue. À ce titre, les recommandations issues des rapports publics, notamment parlementaires, sont intégrées dans notre feuille de route, adoptée par le conseil d'administration en juin 2023. Chaque recommandation fait l'objet d'une analyse approfondie : nous ne faisons jamais l'économie d'une réflexion critique. Lorsque leur pertinence est reconnue, et sous réserve de validation par notre conseil d'administration, elles sont intégrées à nos orientations stratégiques.

Nous sommes également liés à la DGCL par un contrat d'objectifs et de performance. Ce contrat fixe un certain nombre d'indicateurs, que nous suivons attentivement. Un nouveau contrat a d'ailleurs été signé lors du dernier conseil d'administration. Nous veillons à y intégrer les retours issus des visites de terrain, qui constituent pour nous une source précieuse d'informations. La circulaire du 28 décembre 2023 relative au renforcement de l'appui en ingénierie aux collectivités constitue, en cela, un jalon important. Elle a permis de renforcer la transversalité des actions et d'accélérer la mise en oeuvre du guichet unique à l'échelle départementale.

L'ensemble des associations d'élus sont représentés au sein de notre conseil d'administration. À travers cette gouvernance élargie, mais aussi grâce à des échanges réguliers sur chacun de nos programmes, nous disposons d'un retour permanent qui alimente notre capacité d'adaptation. Cette agilité est d'ailleurs l'un des atouts majeurs de l'agence. Elle nous permet d'agir dans le cadre d'un contrat d'objectifs et de performance, tout en conservant une capacité à animer en cours de route de nouveaux programmes, sans provoquer de désorganisation ni exiger de moyens démesurés.

S'agissant des programmes reposant sur des chefs de projet, nous sommes aujourd'hui dans une deuxième génération pour Action Coeur de ville et les Territoires d'industrie. Le programme Villages d'avenir est, pour sa part, né d'un travail de co-construction autour de l'ingénierie territoriale portée par les chefs de projet. Les choix faits en matière de déploiement varient. Pour le programme Petites villes de demain, l'échelon privilégié est celui de l'EPCI. On compte aujourd'hui environ 900 chefs de projet pour près de 1 600 communes de moins de 20 000 habitants engagées dans ce programme. En l'absence de seuil plancher, certaines communes sont très petites, ce qui pose la question de la pertinence d'avoir un chef de projet qui y est directement implanté. Dans ces cas, il est préférable qu'il puisse s'insérer dans une équipe existante, à l'échelle de l'EPCI ou d'un regroupement de collectivités.

L'ingénierie en début de projet est d'abord tournée vers la conception et l'animation, puis se transforme en fonction des besoins. Ces dynamiques sont souvent longues et s'inscrivent dans un contexte où la fonction publique territoriale connaît des tensions en matière d'attractivité. Il est courant que des agents quittent leur poste après quelques années pour d'autres opportunités. Nous observons toutefois des intégrations réussies dans les équipes des collectivités territoriales elles-mêmes. Par ailleurs, le volontariat territorial en administration (VTA) permet aux communes très rurales de bénéficier des compétences d'une personne qui se déplace le temps d'une mission dans leur territoire.

Cette ingénierie de proximité représente une véritable valeur ajoutée pour les collectivités : elle contribue à relever les défis des transitions multiples. Elle repose également sur une animation départementale active, renforcée par des dispositifs de formation, notamment via une convention avec le CNFPT, permettant d'aligner les compétences des agents sur les besoins spécifiques des postes, comme ceux liés à France Services.

Concernant le programme Villages d'avenir, le positionnement des chargés de projet en préfecture répond à une demande des associations d'élus. Cette proximité permet de mieux cibler les niveaux d'intervention, selon la nature des projets. Le programme met, en particulier, en évidence la diversité des configurations territoriales : certaines initiatives sont portées par des groupements de collectivités, parfois en dehors d'un même EPCI, selon des logiques de vallée ou de proximité géographique. Ce programme concerne déjà 3 000 collectivités, pour plus de 6 000 projets. Certains sont très complexes, notamment lorsqu'ils touchent aux problématiques de bâtiments. D'autres, plus ciblés, nécessitent des solutions concrètes. L'un des objectifs essentiels de l'agence est précisément de « décoincer » des situations - selon les mots d'un maire -, qu'il s'agisse d'obstacles juridiques ou opérationnels. Cette agilité repose souvent sur des personnes clés, capables de s'adapter et de porter un soutien en ingénierie.

M. Stanislas Bourron. - Nous souhaitons poursuivre les orientations prévues dans le contrat d'objectifs et de performance, en consolidant une offre de services clarifiée et simplifiée à l'échelle départementale. Le département constitue en effet le point d'entrée naturel pour les échanges entre les élus locaux, les services de l'État et le tissu associatif.

Dans ce cadre, les dispositifs tels que le guichet unique, le guide et le forum d'ingénierie, les CLCT, ainsi que la déconcentration de nos leviers d'ingénierie, visent à créer une véritable synergie entre l'ensemble des acteurs. Il est naturel que cette offre soit riche, compte tenu de la diversité des besoins locaux. Toutefois, il est essentiel que les usagers puissent y accéder aisément. C'est pourquoi nous devons poursuivre les efforts engagés depuis deux ans pour faciliter l'accès à l'information. Cela s'accompagne d'une déconcentration de notre action en faveur des services préfectoraux et départementaux, à qui nous mettons à disposition des outils concrets, notamment des boîtes à outils techniques.

Monsieur Bouillon a mentionné le projet Aides Territoires, initiative ministérielle dont nous sommes partenaires et que nous avons l'honneur de piloter. Cet outil numérique centralise l'ensemble des ressources disponibles en matière d'ingénierie territoriale. Nous en assurons aujourd'hui le développement et la mise en oeuvre, au même titre que d'autres outils numériques de gestion de projet. Ces services sont destinés aux DDT, aux directions départementales de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS), aux sous-préfets et préfets. Il s'agit de les doter des moyens nécessaires pour exercer pleinement leur mission de proximité auprès des collectivités.

Nous sommes convaincus que la réussite de l'action locale repose sur les services départementaux de l'État, en tant que principal espace d'échange. L'expérience récente, notamment durant la crise sanitaire liée à la Covid-19, a démontré qu'il s'agit d'un échelon pertinent pour coordonner l'action publique, même si des ressources régionales ou nationales peuvent ponctuellement être mobilisées.

Nous réaffirmons ainsi notre volonté de poursuivre cette dynamique. Cette feuille de route a été validée sous l'autorité des ministres, qui souhaitent renforcer cette orientation stratégique dans la durée.

M. Pierre Barros, président. - Je vous remercie pour ces réponses et cet échange tout à fait intéressant et important.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion, suspendue à 12 h 20, est reprise à 14 h 10.

Audition de Mme Caroline Semaille, directrice générale, et de Mme Marie-Anne Jacquet, directrice générale adjointe de l'Agence nationale de santé publique (Santé publique France)

M. Pierre Barros, président. - Nous recevons Mme Caroline Semaille, directrice générale, et Mme Marie-Anne Jacquet, directrice générale adjointe de l'Agence nationale de santé publique, que nous connaissons mieux sous le nom de Santé publique France (SPF).

Cette audition s'inscrit dans le programme d'auditions que nous consacrons cette semaine à l'écosystème des agences et opérateurs mettant en oeuvre la politique de santé. Mardi, nous avons reçu la direction générale de la santé (DGS) et les agences régionales de santé (ARS), représentées par le président du collège de leurs directeurs généraux. Nous poursuivrons tout à l'heure avec la Haute Autorité de santé (HAS) et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Santé publique France est l'un des opérateurs les plus importants dans ce domaine. Créée en 2016 par fusion de quatre organismes spécialisés, cette agence a joué un rôle de premier plan lors de la crise du covid-19. Il sera utile que vous reveniez sur les conditions de cette fusion, ainsi que sur votre action pendant la crise sanitaire. Le rôle que la nouvelle agence a alors pu jouer a parfois été critiqué, y compris ici, au cours de nos premières auditions. Toutefois, notre objectif n'est pas de refaire une analyse générale de la réponse apportée par la puissance publique pendant la crise sanitaire, ce qui a déjà fait l'objet d'une mission nationale et, au Sénat, d'une commission d'enquête.

Je vous poserai donc la question telle qu'elle nous intéresse dans la perspective de nos travaux : la structure même de l'agence est-elle en cause ? Les choses se seraient-elles passées différemment si le dispositif de crise existant auparavant avait été maintenu, avec notamment un Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Éprus) autonome ?

Notre commission d'enquête cherche d'abord à comprendre comment l'action publique doit - ou ne doit pas - être partiellement transférée de l'administration centrale vers des structures plus ou moins autonomes que sont les agences et les opérateurs. Nous sommes conscients que supprimer une agence ou la fusionner avec une autre ne supprimerait pas les crédits consacrés à ses missions ni même la totalité des crédits de personnel.

Sur ce dernier sujet, je vous interrogerai sur les questions relatives au personnel, car c'est un point sur lequel nous avons eu des retours contrastés. Santé publique France est un établissement public administratif : son personnel est-il principalement de droit public ? Si oui, quelles en sont les conséquences sur la facilité ou non à recruter et sur les perspectives de reclassement de ces personnels s'ils reviennent vers leur administration d'origine ?

Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif de dix minutes environ, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mmes Caroline Semaille et Marie-Anne Jacquet prêtent serment.

Mme Caroline Semaille, directrice générale de l'Agence nationale de santé publique. - Monsieur le président, madame le rapporteur, je vous remercie de me donner l'opportunité de m'exprimer devant votre commission d'enquête pour vous présenter les missions et l'organisation de Santé publique France, sa position et ses relations dans l'écosystème sanitaire, ainsi que les évolutions de l'Agence depuis sa création en 2016.

Les structures qui sont en place, dont Santé publique France, sont-elles taillées, armées, pour faire face aux besoins d'aujourd'hui ? Quelles sont leurs priorités et répondent-elles aux besoins des responsables politiques et de nos concitoyens face aux enjeux de santé publique et aux menaces sanitaires ?

Lors de sa création en 2016, l'ambition de Santé publique France était de hisser la prévention et la promotion de la santé, la surveillance et l'intervention en santé au rang de fonctions tout aussi essentielles pour la santé que l'accès aux soins. Nos missions sont fondées sur la mise en synergie au sein d'une seule et même agence des fonctions essentielles de santé publique selon les référentiels de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) : anticiper et garantir une réponse réactive aux menaces, surveiller l'état de santé de la population dans tous les territoires, y compris ultramarins, développer la prévention et la promotion de la santé.

Nous allons ainsi de la production de la donnée, via les enquêtes et les dispositifs de surveillance, à l'intervention, via notre établissement pharmaceutique, la réserve sanitaire ou la prévention et la promotion de la santé. Je sais que le principe de la fusion pour créer une agence nationale de santé publique aux missions intégrées n'avait pas été forcément partagé par tous, y compris dans cette assemblée - je le respecte. Pourtant, je peux témoigner que je mesure tous les jours à la tête de Santé publique France la pertinence de ce modèle pour répondre aux enjeux de santé publique.

Je suis médecin de santé publique, infectiologue. J'ai pris mes fonctions en tant que directrice générale de Santé publique France il y a deux ans, après un parcours dans l'humanitaire, puis en tant que praticien hospitalier en maladie infectieuse et après vingt ans dans plusieurs agences de sécurité sanitaire - l'Institut de veille sanitaire (InVS), ancêtre de SPF, et l'ANSM. J'ai eu l'opportunité, au cours des vingt dernières années, de voir comment se construit et comment évolue l'écosystème des agences au gré des crises sanitaires que j'ai connues, depuis le VIH jusqu'au covid.

En arrivant à la tête de Santé publique France, j'ai trouvé un établissement encore éprouvé par deux ans et demi de mobilisation intense due à la crise du covid, mais en ordre de marche, un établissement où la cohésion interne et la complémentarité des métiers ont été renforcées pendant la crise. Pourtant toute jeune, l'Agence a réussi à traverser cette crise, en mobilisant au maximum ses ressources, et elle a été capable d'adapter en un temps record son organisation, ses moyens de production et sa capacité de réponse aux besoins vertigineux rendus nécessaires pour faire face à une crise sans précédent.

Ainsi, quoi que l'on en dise, nous lui devons notamment une campagne de vaccination nationale massive, précoce et réussie sur l'ensemble du territoire dès que les vaccins ont été disponibles. Dans cette crise, il y a aussi eu, bien sûr, des reproches, des incompréhensions ; je peux vous dire qu'ils ont été entendus et que les enseignements de la crise ont été tirés. Certains de ces travaux d'amélioration sont encore en cours et relèvent de l'adaptation en continu aux besoins.

Nous avons renforcé et diversifié nos compétences. Nous avons notamment recruté des agents issus de la préfectorale pour la coordination de l'alerte et de la gestion de crise, des pharmaciens et des logisticiens.

Nous avons consolidé nos systèmes de surveillance et nous en avons créé de nouveaux - nous en avons aujourd'hui soixante-quatorze. Je pense notamment au système Orchidée, un nouveau réseau de surveillance hospitalière, à EMERGEN 2.0, qui a pour objet la surveillance génomique des pathogènes, ou à la surveillance des eaux usées.

Nous avons aussi renforcé l'établissement pharmaceutique et les stocks stratégiques. Notre capacité de stockage a été multipliée par deux. Les produits sont disponibles en tout point du territoire et ils sont beaucoup mieux répartis, y compris dans les territoires ultramarins. Les stocks gérés par Santé publique France ont été multipliés par dix.

Beaucoup de missions, de corps de contrôle et d'inspection se sont penchés sur notre agence depuis la crise du covid. Le Sénat a missionné la Cour des comptes pour auditer la gestion de l'Agence de 2016 à 2022. Nous sommes très contrôlés et c'est normal : nous devons savoir rendre des comptes.

Je ne suis évidemment pas propriétaire du périmètre de l'Agence que je dirige et je m'inscris dans le cadre institutionnel qui est considéré comme le plus pertinent par nos décideurs, dont vous êtes. L'Agence, dont la mission est de protéger la population, doit être en capacité de remplir celle-ci. Il y a bien sûr des points d'amélioration - j'y reviendrai -, mais le périmètre intégré, de la production de données à l'intervention, qui est celui de Santé publique France aujourd'hui, est réellement une force.

Cette organisation nous a permis d'atteindre une taille critique. Nous restons toutefois parmi les plus petits dans l'écosystème des agences en termes d'effectifs, avec 596 agents en 2025, répartis sur l'ensemble du territoire, y compris outre-mer - Antilles, Guyane, Réunion et Mayotte. Cette organisation nous permet d'atteindre un effet de seuil pour exercer nos missions essentielles, être agiles et nous adapter face aux événements sanitaires auxquels nous sommes régulièrement confrontés.

Je vais prendre des exemples concrets.

À Mayotte, avant et après le passage du cyclone Chido, nous avons eu une approche totalement intégrée avec la réserve sanitaire et nos missions épidémiologiques. Avant même le passage de ce cyclone, nous avions mis en place, en raison de la crise de l'eau, une surveillance au plus près des populations pour détecter les premiers cas de choléra. En nous appuyant sur cette surveillance et sur le tissu associatif local, et dès les premiers cas de choléra identifiés, nous avons mobilisé la réserve sanitaire et l'établissement pharmaceutique pour acheter des vaccins et déployer les réservistes sur le terrain pour vacciner.

Après le passage du cyclone Chido, le 14 décembre, alors que l'île était dévastée et que plus aucun système d'information n'était opérationnel, nous avons pu mobiliser les réservistes pour venir en appui au centre hospitalier de Mayotte et à nos épidémiologistes qui étaient eux-mêmes déployés sur le terrain. Nous envoyons très régulièrement en renfort des agents de Santé publique France. Au total, une centaine de réservistes sont envoyés en rotation tous les quinze jours à Mayotte. Pour une réponse rapide et de long terme, nous appuyons la direction générale de la santé et l'ARS de Mayotte.

Nous sommes très mobilisés en appui aux agences régionales de santé dans toutes les régions de France, tout particulièrement dans les départements d'outre-mer. Nos cellules régionales, qui sont présentes dans les départements de toutes les régions, apportent une expertise à la fois en épidémiologie et en prévention de terrain.

Autre exemple, pendant deux ans, nous avons préparé le grand événement qu'ont été les jeux Olympiques pour cartographier les risques, mettre en place des systèmes de surveillance spécifiques, nouer des partenariats, automatiser nos productions. L'Agence a été totalement mobilisée, tout en gérant les affaires courantes.

Les crises et événements sanitaires sont des accélérateurs d'innovation. Leur gestion est un axe fort de notre programme de travail.

Je pourrais multiplier à l'infini les exemples de l'intérêt, voire de la nécessité, de l'articulation de nos missions. Nous lançons des dispositifs de prévention - il y en aura près de cinquante-neuf en 2025 -, sur la base des priorités de santé publique identifiées par nos analyses et en lien avec la direction générale de la santé. C'est notamment grâce à nos analyses de risques que nous constituons les stocks de produits de santé destinés à répondre aux menaces. C'est ce qui a été fait à Mayotte pour acheter des vaccins contre le choléra et la typhoïde.

Bien entendu, nous pouvons améliorer des choses et nous travaillons déjà sur de nombreux sujets en lien avec le ministère de la santé, avec lequel nous sommes en relation quotidienne. Je pense notamment à la modernisation des systèmes d'information de santé, au développement de l'évaluation, à la modélisation de l'impact des stratégies de prévention ou encore au renforcement des liens de Santé publique France avec le monde de la recherche.

Nous sommes déjà très engagés sur le sujet des synergies avec les autres agences de sécurité sanitaire.

Nous avons, par exemple, un partenariat opérationnel avec l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), les missions de nos deux agences étant très complémentaires, et nous avons conclu une convention-cadre. Nous coordonnons nos grandes enquêtes avec la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) du ministère et avec les autres acteurs pour éviter les redondances. Nous avons aussi une coordination renforcée avec l'Institut national du cancer (Inca) et avec la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) sur les grandes campagnes. Je pourrais vous donner des exemples de rationalisation des coûts et d'amélioration de notre efficacité.

En conclusion, Santé publique France s'appuie sur une trajectoire aujourd'hui ambitieuse. Nous avons un contrat d'objectifs et de performance (COP), qui a été signé par Mme Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités, il y a six mois. Nous avons une stratégie scientifique pour 2025-2030, qui est partagée avec l'ensemble des équipes en interne et avec nos partenaires. Nous avons un collectif très engagé, très mobilisé, avec des compétences rares. En bref, nous avons un COP, un cap et un collectif face aux risques sanitaires. Nous ne sommes pas à l'abri d'une épidémie zoonotique majeure ; nous y sommes prêts.

Face aux enjeux de santé publique - le vieillissement de la population, l'impact du changement climatique, les inégalités sociales et territoriales, l'augmentation de la fréquence et de l'ampleur des urgences sanitaires -, nous avons collectivement besoin d'une agence forte et consolidée.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Lorsque nous avons auditionné leurs représentants des ARS, ils nous ont dit eux aussi que celles-ci avaient été très mobilisées par les JO. Cela pose évidemment la question du recoupement des missions.

Vous nous dites que vous passez des commandes en cas de crise, mais n'est-ce pas le rôle des préfets de gérer les crises ? Pourquoi leurs services ne passent-ils pas les commandes ?

Que contient votre convention-cadre avec l'Anses ? Quel est le cadre juridique des autres partenariats ?

Vous n'avez pas évoqué les collectivités territoriales. Est-ce une omission ou n'avez-vous pas de relations avec elles ?

Mme Caroline Semaille. - Les JO ont été un immense événement, et les sites étaient répartis dans plusieurs régions. En ce qui nous concerne, nous sommes déjà intervenus très en amont pour cartographier les risques, par exemple en termes d'infections - rougeole, dengue.

Pendant les Jeux, nous avons mis en place des systèmes de surveillance en temps réel - ce sont nos collègues anglais qui avaient connu les JO de Londres qui nous avaient alertés sur ce point. Peu de pays disposent d'un tel système de surveillance en temps réel et Santé publique France a la charge du système Surveillance sanitaire des urgences et des décès (SurSaUD), qui permet la centralisation quotidienne d'informations : grâce à cet outil, nous savons tous les jours ce qui se passe aux urgences, en termes à la fois de nombre de passages et de justification de ces passages, mais aussi chez SOS Médecins.

Ainsi, durant les JO, nous avons fourni une cartographie des événements sanitaires aux centres de crise et à nos partenaires tous les jours, à 14 heures. De la même manière, toutes les semaines, nous réalisions un bulletin de surveillance épidémiologique en français et en anglais. Nous profitons de chaque occasion pour nous améliorer : les JO nous ont ainsi permis d'automatiser la production de ces bulletins.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Qu'est-ce qui justifie que ce travail de centralisation de systèmes numériques soit réalisé par Santé publique France et pas dans un bureau du ministère de la santé ?

Vous avez vous-même travaillé dans d'autres agences sanitaires ; je comprends que cette mission entre dans le champ de compétences de votre agence, mais ne pourrait-on simplifier les choses et procéder à des redéploiements ?

Mme Caroline Semaille. - Cette compétence est l'essence même de Santé publique France : nous sommes chargés de la surveillance.

Ainsi, le réseau OSCOUR (Organisation de la surveillance coordonnée des urgences), que SPF - et, avant elle, l'InVS - développe depuis vingt ans, contribue au système SurSaUD, dont je viens de parler. Nous ne demandons pas aux professionnels de santé de remplir des questionnaires ; nous utilisons des bases de données et nous contribuons autant que faire se peut à ce que le codage dans ces bases corresponde à nos besoins en termes d'analyse et de surveillance épidémiologiques. Cette analyse est réalisée par des épidémiologistes.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Qu'est-ce qui empêcherait que ces épidémiologistes soient affectés au ministère de la santé ?

Mme Caroline Semaille. - Ce type d'analyses nécessite de travailler en réseau et de manière collective. Il faut une synergie.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les épidémiologistes sont tous à Santé publique France en ce moment ; ne pourraient-ils pas être au ministère ?

Mme Caroline Semaille. - La plupart des pays du monde, en particulier dans les pays développés, ont une agence de santé publique comme SPF : les États-Unis, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, le Royaume-Uni... Lorsque l'on a créé en 1992 le Réseau national de santé publique (RNSP), c'était justement pour sortir les fonctions d'analyse et d'expertise du ministère de la santé, qui reste chargé du cadre normatif. Il s'agissait de dissocier la décision politique de l'expertise. Par exemple, nous avons, pour notre part, très peu de juristes : nous avons essentiellement des épidémiologistes et des logisticiens.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Cela s'explique-t-il par des questions de recrutement ? Est-il plus facile de recruter des épidémiologistes dans une agence qu'au ministère ?

Mme Caroline Semaille. - Tout cela découle de l'affaire du sang contaminé, dont a été tiré l'enseignement qu'il fallait scinder expertise scientifique et décision politique. Le RNSP est né dans ce contexte. C'est l'essence même d'une agence comme la nôtre. En outre, pour disposer de l'expertise la plus pointue possible, il faut mettre en place un corpus et une collégialité.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je comprends la nécessité de la collégialité, mais celle-ci n'est pas liée au statut de l'établissement. S'il faut dissocier l'expertise et la décision politique, pouvez-vous nous dire si Santé publique France est indépendante ? Le politique peut-il vous demander de ne pas rendre publiques certaines informations ?

Mme Caroline Semaille. - Nous n'avons pas le statut d'autorité publique indépendante comme la Haute Assemblée : nous sommes un établissement sous tutelle du ministère de la santé. Pour autant, l'expertise scientifique qui est réalisée l'est de manière indépendante. Pour fixer nos priorités, nous dialoguons bien évidemment avec le ministère, qui donne ses priorités.

Pour ce qui concerne les stocks ou la réserve sanitaire, nous agissons pour le compte de l'État. Nous ne sommes responsables que de la mise en oeuvre, des aspects opérationnels. Par exemple, le ministère nous dit qu'il veut tant de réservistes - chirurgiens, infirmières... - à Mayotte et nous organisons le recrutement, la logistique, etc.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous êtes sous tutelle du ministère de la santé : il me semble qu'il n'y a donc pas vraiment de disjonction entre politique et expertise...

Pouvez-vous nous donner des précisions sur les conventions que vous avez conclues avec vos partenaires ?

Mme Caroline Semaille. - J'y insiste, même si l'établissement est sous tutelle du ministère, l'expertise scientifique est indépendante.

L'Anses est un partenaire important, et nos missions sont complémentaires. La convention-cadre qui nous lie repose sur trois piliers : l'expertise, la surveillance et les enquêtes.

Nous réalisons certaines enquêtes ensemble, chacune dans son domaine de compétences, par exemple PestiRiv, une étude visant à mieux connaître l'exposition aux pesticides des personnes vivant près de vignes ou éloignées de toute culture, ou Albane, une grande enquête nationale avec examens de santé. Ainsi, nous mutualisons nos compétences et nous réduisons les coûts.

En ce qui concerne la surveillance, je peux citer la grippe aviaire, l'Anses travaillant sur la santé animale et nous sur la santé humaine. Si un élevage de volailles est contaminé, nous surveillons l'exposition des éleveurs et des autres humains autour, nous analysons la souche humaine, s'il y en a une, l'Anses analyse la souche animale, et nous comparons les résultats.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Avez-vous une convention-cadre avec d'autres organismes ?

Mme Caroline Semaille. - Nous avons aussi des conventions avec l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Météo-France, l'Inca ou encore l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).

Par exemple, nous avons une convention quadripartite, que nous devons renouveler, avec l'Inca, les Hospices civils de Lyon (HCL) et France cancer incidence et mortalité (Francim) à propos des registres de cancers.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quel est le contenu des conventions avec l'Ademe et Météo-France ?

Mme Caroline Semaille. - Nous pourrons vous les transmettre. Par exemple, la convention avec Météo-France nous permet de gérer le système d'alerte canicule et santé (Sacs), dont nous avons la charge dans le cadre du plan national canicule.

De manière générale, ces conventions fixent notamment la répartition des compétences entre les signataires.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Y a-t-il des transferts financiers ?

Mme Caroline Semaille. - Non. Avec l'Anses, nous n'avions pas vraiment besoin d'une convention-cadre, parce que nous travaillons main dans la main depuis longtemps, mais cela a permis de fixer les choses.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si vous travaillez si étroitement avec l'Anses, n'auriez-vous pas vocation à fusionner ?

Mme Caroline Semaille. - Cette question s'est déjà posée il y a quelques années, mais nous avons des missions différentes, et une fusion est toujours une opération complexe à mener. Aujourd'hui, nos périmètres respectifs sont bien définis, et je ne suis pas certaine qu'une fusion changerait les choses, puisque nous travaillons déjà en totale harmonie.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'imagine que vous me ferez la même réponse pour chaque organisme avec lequel vous partagez une mission... Je pense notamment à l'Inca, à l'Agence de la biomédecine (ABM) ou à l'ANSM.

Mme Caroline Semaille. - J'ai évidemment beaucoup parlé des complémentarités avec l'Anses, mais notre approche est différente : pour simplifier, nous avons une approche populationnelle - quel est l'impact sur la santé humaine ? -, alors que l'Anses a une approche d'évaluation des risques de produits, par exemple les pesticides ou les biocides. L'Anses évalue des produits réglementés, un peu à l'image de ce que fait l'ANSM, et autorise leur mise sur le marché. Ainsi, l'Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) est, au sein de l'Anses, l'autorité compétente française en matière d'évaluation et de gestion du risque pour les médicaments vétérinaires. Nous n'avons pas de telles missions de réglementation ou d'autorisation de produits.

Évidemment, vous retrouverez un peu toujours les mêmes mots dans la définition des compétences des uns et des autres : « évaluer », « surveiller », « informer », « promouvoir », etc. Mais il y a, derrière, des réalités différentes.

L'ANSM évalue et autorise la mise sur le marché de produits et surveille les effets indésirables - la pharmacovigilance. Ce n'est pas du tout notre travail. D'ailleurs, il y aurait une forme de conflit d'intérêts à nous rapprocher de l'ANSM, puisque, d'une part, nous achetons des produits de santé au titre des stocks stratégiques, d'autre part, nous avons un établissement pharmaceutique qui est, à ce titre, inspecté par l'ANSM - ce fut le cas en 2024. Ainsi, l'ANSM a de nombreux inspecteurs ; nous n'en avons pas.

En ce qui concerne les ruptures de stocks de médicaments, c'est l'ANSM qui est compétente, pas du tout SPF, qui achète des produits spécifiques en petites quantités pour constituer des stocks stratégiques, par exemple des vaccins, des médicaments contre le botulisme ou la diphtérie - nous n'achetons pas de l'amoxicilline ou du paracétamol.

Bien sûr, nous utilisons les mêmes bases de données que l'ANSM, en particulier le système national des données de santé (SNDS), base gérée par la Cnam et très utilisée par tous les acteurs du monde de la santé. L'ANSM va, par exemple, regarder l'exposition à un produit pour évaluer les effets indésirables, alors que nous allons construire des algorithmes pour évaluer la prévalence de telle ou telle maladie dans la population. Naturellement, nous utilisons le plus souvent possible le même algorithme et la même méthodologie, mais pas dans la même finalité.

Nous avons peu d'interfaces avec l'Agence de la biomédecine (ABM), qui est notamment chargée de gérer les registres nationaux de greffes d'organes. Lorsque la question s'y prête, nous travaillons ensemble en bonne intelligence et nous essayons de mutualiser ; c'est par exemple le cas pour le registre de surveillance de l'insuffisance rénale chronique terminale, qui est hébergé par l'ABM. Nos deux agences ont des missions d'information, mais pas sur les mêmes choses : l'ABM fait la promotion des dons d'organes, nous faisons des campagnes sur le tabac, l'alcool, etc.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Notre commission d'enquête est notamment née de l'idée que la logique du rabot a ses limites. Nous devons aussi simplifier les structures et les procédures et répondre au ressenti des usagers, qui considèrent souvent que tout cela est bien compliqué et qu'il y a beaucoup d'acteurs qui s'occupent un peu des mêmes choses.

Avez-vous des propositions à nous faire dans cet esprit ? Comment simplifier ? Même si nous ne dégageons pas d'énormes économies, nous pouvons au moins améliorer les politiques publiques.

M. Pierre Barros, président. - Dans votre propos liminaire, vous avez mentionné la possibilité de pistes d'amélioration. Pourriez-vous les préciser ?

Vous avez des homologues au niveau européen. J'imagine qu'il doit exister un partage d'expérimentations, de données ou de pratiques entre les opérateurs ?

Croyez-vous qu'il serait possible de mutualiser ce type d'agences à l'échelle européenne, au moins sur certaines missions ?

Nous avons besoin que vous nous donniez des pistes d'amélioration organisationnelle pour éviter un rabotage pur et simple au moment du débat budgétaire.

Mme Caroline Semaille. - Des agences similaires existent en Europe et aux États-Unis. Les comparaisons entre agences peuvent être difficiles à faire, mais, en général, compte tenu de l'ampleur de nos missions, notre agence mobilise moins d'agents qu'ailleurs. D'autant qu'aucun autre État membre de l'Union européenne n'a de territoire ultramarin qui présente des spécificités aussi importantes que l'outre-mer français ! Certes, il y a la partie hollandaise de Saint-Martin et les Îles vierges britanniques, mais la présence de Santé publique France aux Antilles, en Guyane, à Mayotte et à La Réunion est essentielle au regard des spécificités de ces territoires. Il suffit de citer le choléra et le chikungunya à La Réunion, les cyclones, la dengue aux Antilles ou bien les intoxications aux métaux à cause des orpailleurs en Guyane. Les besoins des territoires ultramarins sont nombreux et notre agence doit y répondre, car elle est au service du territoire national et de toutes ses régions, y compris ultramarines.

Des organismes européens existent. Pour les maladies infectieuses qu'il est important de réguler, car elles traversent les frontières, nous travaillons depuis très longtemps avec le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), dont le mandat a évolué, ce qui a conduit au développement d'une task force permettant d'apporter un appui dans un pays exposé à une épidémie. De plus, l'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire (HERA) permet aux États membres européens d'acheter en commun des vaccins. En effet, nous avons tiré les leçons de la crise covid en constatant que ces achats en commun permettaient de mieux négocier et de faciliter la commande, notamment dans les pays de plus petite importance. Pour la grippe aviaire, nous avons ainsi acheté 200 000 doses de vaccins prépandémiques, qui font partie du stock stratégique de l'établissement pharmaceutique de Santé publique France.

M. Pierre Barros, président. - Santé publique France représente le ministère et l'État, dont la volonté est de ramener sur le territoire national la production des médicaments. Quelle capacité d'influence avez-vous sur ce sujet et quel rôle pouvez-vous jouer ?

Mme Caroline Semaille. - L'ANSM gère les ruptures de stock et dispose d'outils pour le faire. À Santé publique France, nous gérons uniquement les stocks stratégiques. Mon rôle est de veiller à ce qu'il y ait, dans ces stocks, suffisamment de vaccins pandémiques ou prépandémiques pour faire face à des situations sanitaires exceptionnelles. Je le fais pour le compte de l'État, ce qui signifie que nous ne décidons rien nous-mêmes, mais que nous recevons des ordres du ministère de la santé.

M. Pierre Barros, président. - Dans une situation qui semble compliquée, on ne peut que s'interroger sur l'aspect stratégique des stocks. Quel regard portez-vous sur cette situation ?

Mme Caroline Semaille. - Je pourrais mieux répondre à votre question si j'exerçais encore des fonctions à l'ANSM, mais ce n'est pas le cas. Les ruptures de stock sont de plus en plus fréquentes et ont des causes très diverses, liées entre autres à la chaîne de production. Pour en rester à Santé publique France et aux stocks stratégiques, notre agence n'aura pas les moyens de pallier toutes ces ruptures de stock, car c'est impossible. Nous avons des plateformes de stockage pour les stocks stratégiques, réparties dans le territoire. Nous achetons des masques et des équipements de protection individuels (EPI), mais nous ne pouvons pas répondre au problème des ruptures de stock.

M. Pierre Barros, président. - Vous semblez nous confirmer qu'il n'y a pas de problème d'approvisionnement des stocks stratégiques pour le moment.

Mme Caroline Semaille. - Il s'agit des stocks stratégiques de l'État, ce qui signifie que nous parlons de produits comme des masques et des gants, ou de médicaments que l'on ne trouve pas habituellement en pharmacie, comme les vaccins prépandémiques ou les toxines antidiphtériques pour traiter le botulisme. Dans la mesure où il s'agit de produits biologiques difficiles à produire, nous faisons des stocks que nous centralisons. Notre rôle est de prévoir des situations sanitaires exceptionnelles.

M. Pierre Barros, président. - Comment sont calculés ces stocks ? Prévoyez-vous 70 millions de doses pour couvrir la population française ?

Mme Caroline Semaille. - Nous achetons les stocks stratégiques et nous pouvons être force de proposition, mais la doctrine des stocks stratégiques relève du ministère de la santé, qui reste notre donneur d'ordre. Il peut bien évidemment solliciter l'appui d'autres instances, dont le Haut Conseil de la santé publique, et nous prenons part à la réflexion.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Dans le budget de Santé publique France, quelle est la part consacrée chaque année à la constitution de ces stocks ? On pourrait considérer que, si tout se passe bien, c'est de l'argent perdu...

Mme Caroline Semaille. - Le système est assurantiel.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Certes, mais, s'il ne se passe rien, les Français ne verront jamais à quoi a servi cet argent.

Mme Caroline Semaille. - Mieux vaut espérer que tout se passe bien !

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Notre travail doit être impartial et nous devons mesurer objectivement le service rendu par rapport au coût des stocks, qui seront détruits s'il ne se passe rien.

Mme Caroline Semaille. - Les stocks sont renouvelés de manière à toujours pouvoir faire face à des situations exceptionnelles.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les masques, par exemple, ont une durée limitée, de sorte qu'ils sont détruits s'ils n'ont pas servi avant leur date d'expiration.

Mme Caroline Semaille. - Les stocks stratégiques représentent une grande partie de notre budget, l'autre partie étant constituée par le budget-socle. En cas d'épidémie, le budget consacré à ces stocks augmentera certainement, comme cela a été le cas pendant la crise covid. Nous avons donc une certaine flexibilité et c'est justement parce que nous sommes une agence que nous disposons de l'agilité nécessaire pour passer très rapidement des appels d'offres.

Mme Marie-Anne Jacquet, directrice générale adjointe de l'Agence nationale de santé publique. - Le budget de Santé publique France avoisine les 200 millions d'euros. Nous pourrons vous donner plus d'informations par écrit.

Nous sommes dans une logique assurantielle. Durant la crise covid, nous avons pu monter un budget de plus de 4 milliards d'euros en 2020 et en 2021, car il fallait acheter des masques pour protéger les soignants, puis acquérir des vaccins. Cela a fait l'objet d'un budget exceptionnel de crise séparé de notre budget-socle classique.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La distribution des vaccins vous a-t-elle apporté des recettes ? Ou bien les vaccins dont vous disposiez étaient-ils uniquement destinés aux professionnels de santé ?

Mme Marie-Anne Jacquet. - Dès lors que des vaccins font partie du stock stratégique de l'État, ils doivent être utilisés pour répondre à des menaces sanitaires graves. Lorsque la pandémie de covid s'est déclenchée, le ministère de la santé a demandé à Santé publique France d'acquérir les moyens de répondre à une menace sanitaire grave. Nous avons passé des commandes pour le compte de la France auprès des laboratoires pharmaceutiques qui produisaient des vaccins à ARN messager contre le virus. Nous en avons assuré la distribution en collaborant avec nos partenaires habituels, à savoir les dépositaires pharmaceutiques, et nous continuons de détenir le stock des vaccins contre la covid. Encore une fois, il s'agit de vaccins très spécifiques pour répondre à une menace sanitaire grave.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je comprends la nécessité qu'il y avait d'acheter des vaccins en 2020 et 2021. Mais, aujourd'hui, quand il s'agit de vacciner les personnes âgées contre la covid, cela ne relève pas du stock stratégique. Par conséquent, les vaccins que vous stockez sont pour le cas où il y aurait une résurgence de l'épidémie ?

Mme Marie-Anne Jacquet. - Pour l'instant, le choix a été fait de continuer de les acheter et d'en assurer la distribution jusqu'en 2026. Toutefois, l'agence se repose sur un circuit de distribution logistique et pharmaceutique qui se rapproche de celui du droit commun.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je n'ai toujours pas compris à quoi servent ces vaccins que votre agence achète. Si vous les redonnez aux pharmacies pour qu'ils servent à la vaccination des plus de 65 ans, la personne devra payer et l'agence aura une recette.

Mme Marie-Anne Jacquet. - C'est l'assurance maladie qui paie.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'assurance maladie vous verse donc quelque chose.

Mme Caroline Semaille. - Cela entre dans notre budget, qui est prévu à la hauteur de tous les stocks que nous devons acheter. Nous dépendons de la sécurité sociale.

Mme Marie-Anne Jacquet. - Nous préparons, avec le ministère, la distribution des vaccins contre la covid dans un circuit qui relève du droit commun. Pour l'instant, nous sommes dans un schéma de transition.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pour compléter les questions du président, existe-t-il une politique européenne en matière de stocks stratégiques et de veille sanitaire ? Serait-il possible de mutualiser certaines entités à l'échelle européenne ?

Mme Caroline Semaille. - Nous n'en sommes pas là. En matière de surveillance, il existe, comme je viens de l'expliquer, un ECDC, qui s'appuie sur les données collectées par tous les pays européens. Le principe de ce centre européen est d'être un soutien exceptionnel en cas de besoin.

En revanche, il existe une volonté d'harmoniser la manière de collecter les données et les systèmes de surveillance pour que les données puissent être analysées, comparées et interprétées. Pour l'heure, l'ECDC n'a pas vocation à se substituer aux agences nationales, sauf en cas de situation sanitaire exceptionnelle, par exemple si une énorme épidémie de rougeole advenait. La création récente de cette task force s'inspire du modèle de la réserve sanitaire. Pendant les jeux Olympiques, elle nous a apporté son aide sur la veille scientifique.

Par ailleurs, l'agence HERA nous permet d'acheter en commun nos vaccins prépandémiques. Nous avons passé la commande dans le cadre d'un marché européen après la fixation, par chaque pays, du nombre de vaccins qu'il souhaitait acquérir. De cette manière, nous formulons une offre plus importante qui nous permet de négocier de manière plus formelle avec les industriels.

M. Pierre Barros, président. - Permettez-moi de revenir sur les stocks stratégiques et de vous poser une question peut-être naïve. Lorsque les masques se périment, nous les détruisons. Qu'en est-il pour les vaccins ou les sérums, qui ont une durée de vie de quelques jours, quelques mois ou quelques années et qui se conservent de manière très particulière ? Attendez-vous qu'ils soient périmés pour les détruire ou renouvelez-vous le stock régulièrement afin qu'ils soient utilisés dans des territoires où le besoin existe avant qu'ils ne deviennent inutilisables ? Une telle démarche serait vertueuse. Acheter des vaccins pour qu'ils ne soient pas utilisés ne semble pas être le meilleur moyen de gérer les stocks...

Mme Caroline Semaille. - Heureusement, la durée de vie des vaccins est bien supérieure à quelques mois. Tout l'enjeu du stock stratégique est de pouvoir suivre l'assurance qualité, dans la mesure où il s'agit de vaccins qui doivent être conservés à moins 80 degrés. Il est possible de prolonger une date de péremption si l'ANSM l'estime possible.

Par ailleurs, nous essayons de lisser les stocks dans le temps pour que des vaccins sortent et d'autres entrent régulièrement. Bien entendu, Santé publique France ne détruit pas de vaccins de son propre chef. L'ordre doit venir du ministère de la santé.

Mme Marie-Anne Jacquet. - Monsieur le président, à la demande de la direction générale de la santé et en lien avec elle, nous avons beaucoup étudié la question d'une gestion dynamique des stocks, c'est-à-dire la possibilité de disposer de stocks tournants pour éviter une péremption inutile. Il se trouve que ce n'est pas aisé. En effet, le propre même des stocks stratégiques de l'État est de répondre à une menace sanitaire très grave. Il est donc question de produits très rares et monopolistiques, parfois fabriqués par un unique laboratoire à l'échelle mondiale. Aussi, nous ne sommes pas toujours en mesure de négocier et de nous fournir de manière à avoir un stock dynamique.

Nous nous sommes également posé la question sur les masques : nous avons mené une étude très approfondie auprès des fournisseurs, notamment français, pour savoir s'il était possible d'organiser un marché au sein duquel les industriels pourraient conserver une quantité de masques suffisante pour pourvoir aux besoins de l'État en cas de crise, tout en continuant de les écouler au fur et à mesure auprès des particuliers. De la sorte, le stock tournerait et les masques ne seraient pas bloqués jusqu'à ce qu'ils deviennent inutilisables.

Toutefois, aucun n'a pu s'engager dans ce système de stocks tournants dans ses propres réserves. Tous ont demandé que l'État soit acquéreur de ces masques à un moment donné.

M. Pierre Barros, président. - Je suis un peu étonné. Des hôpitaux et des services publics utilisent ce genre de produits. Plutôt que de chercher un système avec les industriels, ne pouvons-nous pas imaginer un système de stocks tournants du côté des usagers ?

Mme Marie-Anne Jacquet. - C'est bien pour cela que les masques de protection et les équipements de protection individuelle nous semblaient les produits les plus susceptibles de faire l'objet d'un stock dynamique. Toutefois, les fournisseurs estiment ne pas avoir l'assurance d'une consommation et d'une production suffisante pour faire fonctionner un tel système.

La dernière étude date de deux ou trois ans, mais nous en réaliserons d'autres sur le même thème.

Par ailleurs, nous assumons totalement que le stock État réponde à une logique assurantielle, a fortiori depuis la pandémie de covid. Vous vous souvenez comme moi des débats que nous avons eus en 2020 sur les vaccins ou les masques.

M. Pierre Barros, président. - L'objectif est en effet de ne pas reproduire les erreurs du passé et de ne pas laisser des produits devenir inutilisables.

Avant que cette audition s'achève, pouvez-vous préciser les pistes d'amélioration que vous envisagez ?

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Un rapport de la Cour des comptes sur l'ANSM, publié en novembre 2019, jugeait nécessaire de réfléchir à un statut national d'expert sanitaire : « L'ANSM devra être en mesure de procéder au recrutement de compétences scientifiques rares. Plus largement, pour renforcer l'attractivité de l'ANSM vis-à-vis de ces compétences scientifiques, une réflexion sur un statut national d'expert sanitaire est nécessaire. Le champ de cette réflexion embrasse nécessairement, au-delà de l'ANSM, les autres agences. » Estimez-vous que cette réflexion a bien eu lieu ?

Mme Caroline Semaille. - Nous avons des compétences rares et, vous avez raison, nous devons être compétitifs vis-à-vis du secteur privé, parce que nous avons besoin de recruter les meilleurs professionnels. Je laisse Marie-Anne Jacquet répondre à la question du statut des agents ; je reviendrai sur celle de la compétitivité.

Mme Marie-Anne Jacquet. - Je n'avais pas connaissance de ce rapport, mais, s'il s'agit de déterminer un statut commun aux personnels de certaines agences sanitaires, le décret du 7 mars 2003 fixant les règles applicables aux personnels contractuels de droit public recrutés par certains établissements publics intervenant dans le domaine de la santé ou de la sécurité sanitaire me semble y pourvoir. Les agents de Santé publique France, mais aussi de l'ANSM, de l'ABM, de l'Anses, ont le statut d'agent contractuel de droit public régi par ce décret.

Mme Caroline Semaille. - L'ANSM fait face aux industriels en matière de recrutement, et il est vrai qu'il peut y avoir une différence de salaire entre un professionnel de la pharmacovigilance travaillant à l'ANSM et un autre travaillant pour un industriel. Cette question d'attractivité se pose également pour Santé publique France, mais de manière un peu moins forte.

En ce qui concerne les pistes d'amélioration, nous nous organisons pour mutualiser les campagnes de prévention, mais nous pourrions les rationaliser encore davantage. Nous nous attachons d'ores et déjà à les évaluer, mais il serait intéressant de disposer d'une cartographie un peu meilleure des grandes campagnes de prévention.

La santé mentale ayant été désignée grande cause nationale en 2025, la Cnam se charge de la campagne sur les repères, et nous de celle sur la santé mentale. Ainsi, le site de la Cnam embarquera MonSoutienPsy, tandis que nous dirigerons vers un nouveau site qui s'appellera santementaleinfoservice.fr.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je découvre le nom de ces deux sites.

Mme Caroline Semaille. - Le second n'est pas encore lancé.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pourquoi n'y a-t-il pas un site unique, puisqu'il s'agit de la même cause ?

Mme Caroline Semaille. - Il est important d'avoir deux sites distincts, car MonSoutienPsy est destiné aux repères, tandis que l'objet du nouveau site sur la santé mentale est de faire en sorte que ceux qui n'ont pas de pathologie s'intéressent également à leur santé mentale. Bien entendu, il y aura, dans ce site, des liens vers celui de la Cnam.

Je précise que les sites de la Cnam et de Santé publique France sont tous deux cités sur le portail de la grande cause nationale, mais ce dernier n'a pas vocation à perdurer, contrairement aux deux autres, qui ne s'adressent pas aux mêmes personnes.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Peut-être est-ce lié au fait que je connais mal ces questions, mais je suis perplexe. Pourquoi ouvrir deux portails pour répondre à une politique qui est une grande cause nationale, et pourquoi les héberger sur un portail éphémère pendant un an ?

Mme Caroline Semaille. - Ce site éphémère renvoie vers deux sites qui n'ont ni le même public ni le même objectif. Mais il est bien sûr important que le site santementaleinfoservice.fr renvoie vers celui de la Cnam.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous ne sommes pas experts de la question, mais nous pouvons jouer un rôle de conseil. Or je ne comprends pas l'intérêt d'avoir différents portails pour une cause nationale, qui doit être facile d'accès. Il serait intéressant pour nous que vous explicitiez cela par écrit.

Mme Caroline Semaille. - Je me suis certainement mal exprimée ; la grande cause nationale ne porte que sur l'année 2025. Le portail que vous citez est donc éphémère. Les actions de promotion et d'information de la Cnam ou de Santé publique France ont vocation à perdurer. Actuellement, le site de la grande cause nationale fait office de portail unique pour renvoyer vers de nombreux autres sites. En 2026, il disparaîtra, mais pas les sources d'informations, qui doivent continuer d'exister.

Il existait une demande pour faire la promotion de la santé mentale, qui fera l'objet d'une grande campagne en septembre 2025 pour que les Français, grâce à la grande cause nationale, prennent conscience de l'importance de la santé mentale, comme ils sont conscients de celle de la santé physique. Ce faisant, nous nous adressons à tout un chacun, et non aux seules personnes déprimées, anxieuses, etc. Nous avons une santé physique, et nous avons une santé mentale. Notre objectif est de faire comprendre qu'il faut la préserver, que ce soit par le sommeil et l'activité physique ou en faisant des choses pour autrui. Le nouveau site aura vocation à aider le citoyen et sera ouvert à tous.

M. Pierre Barros, président. - La santé mentale et la pédopsychiatrie sont en grande souffrance dans les territoires. Certes, tout est bon à prendre pour communiquer et alerter, mais il me semble qu'il y a avant tout un problème de moyens. La situation de la pédopsychiatrie dans les hôpitaux est catastrophique, de même que celle de la santé mentale en ville.

Mme Caroline Semaille. - C'est précisément pour cela qu'il convient d'agir en amont et de faire de la prévention pour éviter la survenue de troubles psychiques. Il est important de faire comprendre que la santé mentale s'entretient.

M. Pierre Barros, président. - Tant mieux si le message passe, mais ma question était de savoir comment accompagner les personnes souffrant de pathologies.

Au-delà de la sensibilisation, sur laquelle vous semblez vous organiser pour optimiser votre action, quelles autres solutions envisagez-vous pour gagner en efficacité ?

Mme Caroline Semaille. - Santé publique France et l'Inca cofinancent les registres. Peut-être pourrions-nous revoir notre stratégie en la matière. Le Parlement s'est d'ailleurs saisi de la question.

Pour ce qui est de la réserve sanitaire et des établissements pharmaceutiques, le fait qu'ils soient au sein de Santé publique France, qui s'occupe de l'aspect opérationnel, permet au ministère de garder son rôle de cadre et de décideur politique. Nous travaillons bien sûr en collaboration avec la direction générale de la santé, qui nous donne les ordres, mais je vois mal une administration nationale gérer le côté opérationnel.

Lorsque nous envoyons cent réservistes tous les quinze jours à Mayotte, cela implique de rédiger de nombreux contrats et de réserver un grand nombre de billets d'avions et de logements. En l'occurrence, nous avons même été amenés à construire une base de vie sur un parking et de déployer des tentes. Nous sommes plus agiles qu'une administration centrale pour gérer ce genre de situations.

De la même manière, pour les stocks stratégiques, nous passons des contrats avec des plateformes et nous disposons de notre propre plateforme. Pour vous la représenter, imaginez un énorme entrepôt de 17 mètres de hauteur. Pour manoeuvrer, il faut des logisticiens, des caristes, des manutentionnaires... Encore une fois, je ne pense pas que ce soit le travail des agents d'une administration centrale que de gérer de tels travailleurs, ou d'être réveillés la nuit pour se rendre sur le site parce que l'un des congélateurs émet un bip et qu'il faut veiller à ce qu'il se maintienne à la bonne température.

M. Pierre Barros, président. - Je vous remercie des éléments que vous avez partagés avec nous et de la qualité de nos échanges.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de MM. Lionel Collet, président, et Jean Lessi, directeur général de la Haute Autorité de santé (HAS), et Mme Catherine Paugam-Burtz, directrice générale, et M. Alexandre de La Volpilière, directeur général adjoint en charge des opérations de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)

M. Pierre Barros, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons cet après-midi notre commission d'enquête sur les agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État. Après avoir auditionné la direction générale de la santé (DGS), les agences régionales de santé (ARS) et Santé publique France, nous poursuivons notre examen des agences et opérateurs du domaine de la santé.

Nous accueillons la Haute Autorité de santé (HAS), représentée par son président, M. Lionel Collet, et son directeur général, M. Jean Lessi, ainsi que l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), représentée par sa directrice générale, Mme Catherine Paugam-Burtz, et M. Alexandre de La Volpilière, directeur général adjoint en charge des opérations.

Notre commission cherche à comprendre l'articulation entre les différentes agences, leurs relations avec les administrations au niveau national et territorial, ainsi qu'avec les collectivités territoriales.

Nous nous interrogeons notamment sur le statut de la Haute Autorité de santé, à savoir si elle peut être considérée comme une agence. En 2012, le Conseil d'État rappelait qu'elle exerce des fonctions d'évaluation héritées de l'ancienne Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES), sans toutefois l'inclure dans sa liste de 103 agences.

La Haute Autorité de santé, en tant qu'autorité publique indépendante non soumise à tutelle, se voit confier par le code de la sécurité sociale diverses missions : évaluation des produits et prestations de santé d'un point de vue médical et économique, élaboration de recommandations pour les professionnels des secteurs sanitaire, social et médico-social, et contribution à l'évaluation de la qualité et de la sécurité des soins et prestations.

Ma première question porte sur la distinction entre les missions de la Haute Autorité de santé et celles des autres agences et administrations, notamment concernant l'évaluation des médicaments et des produits de santé, également effectuée par l'ANSM pour l'autorisation de mise sur le marché. L'ANSM a en effet pour objectif général de permettre l'accès aux produits de santé et d'assurer leur sécurité tout au long de leur cycle de vie.

Vos deux organismes sont un peu plus anciens que les autres agences que nous avons auditionnées. La HAS a été créée en 2005 et l'ANSM en 2012, prenant la succession d'une autre agence. Considérez-vous que la répartition actuelle des compétences entre les différentes structures du domaine de la santé est satisfaisante, ou des adaptations seraient-elles nécessaires ?

Notre commission ne cherche pas à supprimer ou fusionner pour le principe, mais nous constatons que la politique de santé s'appuie sur un grand nombre d'agences. Cette complexité est-elle l'héritage des scandales et drames sanitaires qui ont marqué notre pays ?

Je vous rappelle que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site Internet du Sénat, qu'un compte rendu sera publié, et que tout faux témoignage serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal allant de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment et à nous faire part d'éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Mme Paugam-Burtz et MM. Collet, Lessi et de La Volpilière prêtent serment.

M. Lionel Collet, président de la Haute Autorité de santé. - La Haute Autorité de santé a été créée par la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie, dans un contexte où la situation de l'assurance maladie était jugée préoccupante. Ses deux missions principales étaient de définir le périmètre des produits de santé remboursables et de promouvoir la qualité des pratiques de santé.

Plus précisément, nos missions consistent à évaluer les produits de santé à des fins de remboursement, à élaborer des recommandations de bonne pratique, et à évaluer les établissements de santé et médico-sociaux. Cette approche s'inspirait d'organismes similaires créés à l'étranger, comme le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) au Royaume-Uni (1999) et l'Institut für Qualität und Wirtschaftlichkeit im Gesundheitswesen (IQWiG) en Allemagne (2004), qui étaient indépendants de leurs agences du médicament respectives.

Le législateur a choisi de faire de la HAS une autorité publique indépendante à caractère scientifique, une appellation unique soulignant son expertise scientifique. Cette indépendance visait à garantir la neutralité de ses évaluations et recommandations.

Depuis sa création en 2004, les missions de la HAS, codifiées dans l'article L-161-37 du code de la sécurité sociale, ont connu 31 versions en 21 ans. La dernière modification, datant de janvier 2025, a ajouté l'élaboration des ratios soignants-soignés à ses attributions.

La HAS fête aujourd'hui ses 21 ans. Au fil du temps, ses missions se sont élargies. Nous avons notamment intégré l'évaluation médico-économique et la commission technique des vaccinations, auparavant rattachée au Haut Conseil de la santé publique. Cette évolution visait à regrouper au sein d'une même instance l'élaboration des recommandations vaccinales et l'évaluation du service médical rendu des médicaments.

En 2018, notre champ d'action a été étendu à l'évaluation des établissements sociaux et médico-sociaux en intégrant l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM). Cette fusion avait pour objectif d'appliquer nos approches méthodologiques de qualité à ces établissements.

En 2004, la HAS est née du regroupement de trois structures : la commission de la transparence, la commission d'évaluation des dispositifs médicaux (future CNEDIMTS), et l'ANAES. Depuis, deux autres structures nous ont rejoints.

En 21 ans, le contexte a considérablement évolué. La transition épidémiologique, le vieillissement de la population, nous ont amenés à couvrir l'ensemble du parcours de santé, de l'évaluation du médicament à son utilisation dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). L'évolution de la démographie professionnelle nous conduit à nous prononcer sur les compétences des non-médecins et les protocoles de coopération. Le rôle croissant des usagers et des patients exige plus de transparence et d'information. Nous travaillons en lien avec 2 500 experts chaque année, représentant tous ces milieux.

Les innovations médicales ont également transformé notre travail. Le coût des traitements a explosé, passant de quelques milliers d'euros dans les années 2000 à plusieurs millions aujourd'hui pour certaines thérapies géniques. Cette évolution exige une évaluation encore plus rigoureuse et indépendante. De plus, nous devons désormais évaluer conjointement les médicaments et les actes associés, comme les tests compagnons en cancérologie. Ces tests permettent de choisir les patients pour lesquels un médicament est le plus efficace et de déterminer le dosage.

L'Europe joue elle aussi un rôle croissant, avec la mise en oeuvre récente du règlement sur l'évaluation des technologies de santé (règlement HTA). La France et la HAS sont très impliquées dans ce processus européen. Le secrétariat de cette évaluation est assuré par la Commission européenne elle-même et non par l'Agence européenne du médicament, ce qui montre que ce ne sont pas les mêmes métiers.

Pour l'avenir, plusieurs enjeux se profilent. Un rapport récent de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) propose de nous confier les missions de l'Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC), élargissant notre champ d'action à l'évaluation des professionnels de santé. C'est assez logique car c'est lié à l'impact de nos recommandations. Nous prendrons cette mission si le législateur nous la confie.

L'intelligence artificielle, notamment générative, représente un autre défi majeur. Nous devons nous préparer à évaluer de plus en plus de dispositifs médicaux numériques intégrant des algorithmes apprenants et nous devons nous préparer à utiliser l'intelligence artificielle. Enfin, compte tenu du coût croissant des produits de santé, nous serons de plus en plus impliqués dans les évaluations médico-économiques.

Mme Catherine Paugam-Burtz, directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). - L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé est un établissement public créé par la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. Elle succède à l'Agence du médicament de 1993 et à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (AFSSAPS) de 1998. Au fil du temps, l'ANSM s'est vu confier un nombre croissant de missions par le ministère de la Santé, notamment un pouvoir de police judiciaire exercé au nom de l'État. Cette particularité la distingue des autres agences qui émettent des recommandations sans pouvoir de sanction.

L'ANSM veille à ce que les produits de santé disponibles en France soient sûrs, efficaces, accessibles et correctement utilisés. Notre champ de compétence couvre l'ensemble des produits de santé destinés à l'homme, incluant les médicaments, les dispositifs médicaux, mais aussi les produits biologiques à effet thérapeutique tels que le sang, les tissus, les cellules et le lait maternel. Nous sommes également responsables de l'autorisation de tous les essais cliniques menés sur l'homme, y compris ceux ne concernant pas des médicaments.

Nos missions principales consistent à autoriser, surveiller, inspecter, contrôler la qualité des produits et informer les patients et les professionnels de santé. Ces missions sont clairement au service des patients, nous les menons aux côtés des professionnels de santé et en concertation avec leurs représentants qui sont présents et dans toutes les instances de l'agence, qu'il s'agisse des représentants des professionnels de santé, des médecins, des infirmiers, des pharmaciens mais aussi des représentants des patients et des usagers.

Nous prenons environ 80 000 décisions par an au nom de l'État dans nos différents domaines de responsabilité. Notre travail vise à garantir la sécurité des produits de santé tout au long de leur cycle de vie et à offrir un accès rapide et équitable à l'innovation pour tous les patients, en collaboration avec la HAS pour les accès précoces aux médicaments.

Nos objectifs sont définis dans un contrat quinquennal. Le contrat d'objectifs et de performance (COP) 2024-2028 a été signé en juillet 2024, suite à une évaluation et un audit de l'IGAS en 2023. Le précédent COP s'était exécuté de manière satisfaisante. Ce nouveau COP s'articule autour de quatre axes stratégiques majeurs : garantir la sécurité des patients, accompagner l'innovation de manière agile, être à l'écoute et au service des citoyens, et être une agence performante et engagée.

Le COP s'aligne sur les politiques de santé nationales et européennes, mettant l'accent sur des actions spécifiques telles que le renforcement de la lutte contre les pénuries, la valorisation des données de l'agence, et une meilleure articulation avec les acteurs de terrain. Nous travaillons notamment à une contractualisation avec les agences régionales de santé pour mieux intégrer les besoins locaux et régionaux dans nos actions nationales. L'état d'avancement est présenté chaque année à notre conseil d'administration qui comprend des représentants des patients, mais aussi des parlementaires avec trois députés et trois sénateurs.

90 % de notre budget provient d'une dotation de l'assurance maladie et 10 % de recettes versées par l'Agence européenne des médicaments (EMA) en échange des travaux que nous réalisons pour son compte. Pour 2025, nous prévoyons une augmentation de ces recettes issues de notre collaboration avec l'EMA. De plus, certaines de nos missions, comme les autorisations de mise sur le marché (AMM) et leurs modifications, génèrent des droits recouvrés par les services fiscaux de l'État, représentant plusieurs dizaines de millions d'euros annuellement. De même, les sanctions que nous prononçons sont recouvrées par les services fiscaux.

L'ANSM est fortement impliquée dans les travaux européens et internationaux, participant activement à l'évolution réglementaire, notamment dans la révision du « paquet » législatif pharmaceutique européen. Nous sommes présents dans de nombreux groupes d'experts, membres du management board de l'EMA, et dans le groupe de coordination européen pour les dispositifs médicaux.

Pour clarifier le processus d'autorisation de mise sur le marché, il est important de comprendre que cette action résulte d'une évaluation du rapport bénéfices-risques du produit, impliquant une collaboration entre les structures européennes et nationales.

Pour évaluer un médicament en vue de son autorisation de mise sur le marché (AMM), nous analysons les données qualitatives, chimiques, biologiques, non cliniques et cliniques soumises par les industriels. Notre évaluation repose sur trois critères essentiels : la qualité du médicament, son efficacité et sa sécurité.

Concernant le processus d'obtention d'une AMM au niveau européen, il existe quatre procédures possibles. Trois d'entre elles sont européennes et représentent environ 80 % des nouvelles demandes reçues par l'agence française.

La procédure centralisée, qui concerne un nombre limité de demandes, implique un dépôt de dossier auprès de l'EMA. Les deux autres procédures européennes, majoritaires, sont la procédure décentralisée et la procédure par reconnaissance mutuelle.

La quatrième procédure, nationale, représente environ 20 % des nouvelles demandes annuelles.

Il est important de noter que l'EMA ne réalise pas elle-même l'évaluation des dossiers. Ce sont les autorités nationales compétentes qui évaluent le rapport bénéfice-risque des produits. L'EMA coordonne les ressources scientifiques mises à sa disposition par les États membres via leurs agences.

Dans le cadre de la procédure centralisée, l'industriel dépose sa demande auprès de l'EMA. Un État membre rapporteur et un co-rapporteur sont désignés pour effectuer l'évaluation. Le Comité des médicaments à usage humain (CHMP) de l'EMA, où siègent les représentants des différents États membres, émet ensuite un avis. La Commission européenne prend la décision finale d'autorisation, valable pour tous les États membres.

Pour les procédures décentralisées ou par reconnaissance mutuelle, l'évaluation scientifique est partagée entre plusieurs pays européens, mais la décision finale d'octroi reste nationale, sans implication de l'EMA. Ces procédures sont les plus courantes en volume.

La procédure nationale concerne uniquement la France. L'ANSM évalue seule les demandes et prend une décision valable uniquement sur le territoire français. Ces demandes concernent principalement des médicaments génériques ou hybrides.

Pour certains médicaments innovants, notamment dans le domaine anti-infectieux et les vaccins, la procédure centralisée est obligatoire. Pour les autres types de médicaments, l'industriel peut choisir la procédure qu'il souhaite suivre.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Concernant la HAS, je souhaiterais savoir si les critiques formulées dans le rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) de 2012 sur son statut sont toujours d'actualité. Ce rapport estimait que le statut de la HAS n'était pas nécessairement le plus adapté à ses missions.

Par ailleurs, j'ai une question qui concerne à la fois l'ANSM et la HAS. Un rapport de la Cour des comptes de novembre 2019 portant sur l'ANSM soulevait la question du statut des experts. Il préconisait une réflexion plus large englobant notamment la HAS et d'autres agences de l'écosystème de la santé. Depuis 2019, cette réflexion a-t-elle eu lieu et, si oui, quelles en ont été les conclusions ?

M. Lionel Collet. - Concernant votre première question sur le rapport de l'IGF, je laisserai Monsieur Lessi répondre. Quant au rapport de la Cour des comptes de 2019, je ne le connais pas et ne peux donc pas commenter ses recommandations sur le statut des experts.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le rapport de la Cour des comptes a été demandé par la commission des affaires sociales du Sénat dans le cadre de la procédure de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances. Il portait spécifiquement sur l'ANSM. La Cour a noté que l'agence avait été fragilisée par la crise du Mediator, mais qu'elle avait repris sa place au niveau européen à partir de 2015. Le rapport souligne la nécessité pour l'ANSM de pouvoir recruter des compétences scientifiques rares. Pour renforcer son attractivité, la Cour recommande une réflexion sur un statut national d'expert sanitaire, réflexion qui devrait inclure, au-delà de l'ANSM, d'autres agences telles que la Haute Autorité de Santé, Santé Publique France, l'Établissement français du sang et l'Agence de la biomédecine.

M. Jean Lessi, directeur général de la Haute Autorité de santé. - Concernant le statut d'autorité publique indépendante (API), le rapport critiquait l'absence de plafond d'emplois, limitant ainsi le contrôle du Parlement. Depuis, deux évolutions majeures ont eu lieu. La loi organique prévoit désormais que le Parlement vote sur le plafond d'emploi des autorités publiques indépendantes. Depuis 2025, à l'initiative du Sénat, le Parlement vote également sur des plafonds de dotation de l'assurance maladie, renforçant ainsi le contrôle parlementaire.

Quant à la personnalité morale de la HAS, elle se justifie principalement par son mode de financement. La HAS est financée par une dotation de l'Assurance maladie, ce qui correspond davantage au modèle d'une API qu'à celui d'une autorité administrative indépendante (AAI) classiquement financée sur le budget de l'État.

L'indépendance de la HAS est cruciale pour garantir l'intégrité scientifique de ses évaluations, qu'il s'agisse de produits de santé ou de modalités de prise en charge. Cette indépendance vise à assurer qu'aucune considération externe n'interfère avec l'analyse scientifique.

C'est pour cette raison que, hormis pour les accès précoces où la HAS rend des décisions, nous émettons des avis pour éclairer les pouvoirs publics. Notre avis est purement scientifique, sans aucune interférence d'autres considérations. Ensuite, les payeurs, le ministère et le comité économique des produits de santé (CEPS) décident du remboursement et négocient le prix en intégrant éventuellement d'autres facteurs.

L'objectif est d'établir un socle scientifique pour l'évaluation des produits, la certification des hôpitaux et l'évaluation des établissements et services sociaux et médico-sociaux. L'indépendance de l'évaluateur et du certificateur est une garantie de crédibilité. C'est la philosophie qui sous-tend nos deux principaux métiers depuis 2004, avec les diverses extensions de mission.

Mme Catherine Paugam-Burtz. - Le statut d'expert national sanitaire doit effectivement trouver un équilibre entre les principes de déontologie et d'indépendance. À la suite de l'affaire du Médiator, les modifications de 1992 ont renforcé les règles déontologiques, devenues essentielles à la confiance dans nos décisions. Nous avons mis en place un système de déclarations publiques d'intérêts (DPI) transparentes pour tous nos experts, internes et externes. Lors de nos comités scientifiques, les liens d'intérêts sont systématiquement vérifiés et peuvent conduire à l'exclusion d'un expert d'une réunion spécifique. Tout ce processus est transparent et tracé.

Nous pouvons exceptionnellement auditionner un expert reconnu ayant des liens d'intérêts, mais sans qu'il participe aux décisions ou aux votes. Bien que nous n'ayons pas de statut officiel d'expert sanitaire, notre fonctionnement a inspiré une proposition dans le cadre du paquet pharmaceutique européen pour introduire des « experts témoins ».

Nous accordons une attention particulière à la transparence et à la confiance, avec des audits internes systématiques des déclarations d'intérêts et des processus de contrôle de second niveau. Cette approche est fondamentale pour garantir la sécurité des patients.

M. Lionel Collet. - L'approche de la HAS est très similaire. Nous avons un déontologue, ancien magistrat judiciaire, qui examine les déclarations d'intérêts de tous nos collaborateurs et experts potentiels. Les liens d'intérêts n'empêchent pas nécessairement la participation à un groupe, sauf s'ils sont trop importants. Cependant, ils interdisent la participation aux délibérations concernant un produit pour lequel il existe un lien d'intérêts avec l'industriel. Dans le cas d'un expert incontournable ayant des liens d'intérêts significatifs, nous pouvons l'auditionner sans qu'il prenne part aux délibérations.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pour clarifier, ces experts ne sont pas des agents de vos structures respectives. Les rémunérez-vous ou leur versez-vous une contribution pour leur présence et leur expertise, sous forme de vacation par exemple ?

M. Lionel Collet. - Il faut distinguer deux cas. Les membres d'une commission de la HAS, qui sont en quelque sorte des experts même s'ils ne travaillent pas sur un produit spécifique, sont rémunérés par vacation pour le temps passé dans les réunions. En revanche, nous ne rémunérons pas les parties prenantes qui interviennent en tant qu'experts très spécifiques lors des auditions.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous disposez également de personnel propre avec des compétences très spécifiques. Le cadre d'emploi public vous permet-il d'avoir accès aux compétences dont vous avez besoin ? Souffrez-vous d'une certaine inégalité par rapport au secteur privé ?

M. Lionel Collet. - C'est une question complexe et récurrente. Je vais laisser le directeur général répondre. La question est de savoir si, en raison de ce cadre d'emploi, nous sommes dans l'incapacité de recruter certaines personnes de qualité, notamment à cause des limitations en termes de rémunération. J'aurais tendance à dire que oui, cela peut effectivement se produire.

M. Jean Lessi. - Nous sommes confrontés à un double enjeu de recrutement et de fidélisation. Pour l'évaluation des produits de santé, nous parvenons assez facilement à recruter de jeunes profils en début de carrière ou ayant déjà une première expérience. Cependant, nous avons du mal à les fidéliser sur le long terme, notamment face au secteur privé.

Nous rencontrons également des difficultés pour certains profils spécifiques, comme ceux liés à l'intelligence artificielle. L'État a mis en place une politique volontariste avec la circulaire prise par la Première ministre Élisabeth Borne, qui nous offre plus de flexibilité pour les profils numériques. Néanmoins, pour d'autres profils où la concurrence du secteur privé est forte, nous restons confrontés à des difficultés.

Nous sommes soumis à des grilles spécifiques, définies par un décret de 2003, qui régissent les déroulements de carrière et les classifications de nos contractuels dans les agences et autorités publiques indépendantes sanitaires. Paradoxalement, nous avons moins de marges de manoeuvre que la fonction publique d'État pour recruter des contractuels. Ces grilles, vieilles de 22 ans, sont en partie dépassées. Nous avons déjà soulevé cette question auprès de la direction de la sécurité sociale (DSS) et de la direction générale de la santé (DGS), mais le contexte budgétaire complique toute révision.

Mme Catherine Paugam-Burtz. - Je partage ce constat. Concernant la fidélisation, j'ai récemment constaté que beaucoup de nos experts évaluateurs sont présents depuis dix, quinze, voire vingt ans. Donc, à ce stade, la fidélisation ne semble pas être un problème majeur. Nous avons des collaborateurs très motivés, et notre travail d'évaluation est largement internalisé. La création de comités scientifiques permanents vise à la fois à obtenir une expertise externe et à impliquer les parties prenantes.

Je voudrais également souligner que la déontologie s'applique non seulement lors du recrutement de nouveaux agents, mais aussi au moment où ils quittent l'organisation. Certaines personnes envisageant un passage temporaire dans un poste peuvent être confrontées à des restrictions déontologiques à leur sortie. Ces contraintes, bien que non négociables, peuvent influencer les décisions de carrière.

M. Jean Lessi. - Un facteur important à considérer est l'autocensure des candidats qui renoncent en anticipant des contraintes déontologiques, parfois surestimées. Nous devons donc faire un travail de pédagogie à ce sujet. Concernant la rémunération, il est satisfaisant de constater que le service public reste un motif d'attractivité. Les candidats acceptent souvent un écart de rémunération pour une mission qui a du sens, même s'il peut y avoir des limites.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Notre objectif est d'apporter des réponses au sentiment de complexité et de chevauchement des responsabilités. Nous visons la rationalisation et la simplification. On attend également de nous des propositions d'économies réalistes pour les budgets 2026 et suivants. Vous qui observez quotidiennement l'écosystème de la santé, quels éléments vous semblent devoir être simplifiés ou rationalisés ? Y a-t-il des domaines qui devraient être transférés au secteur privé, où la puissance publique n'interviendrait plus ? Ou bien des transferts vers d'autres acteurs seraient-ils envisageables, par exemple aux collectivités, notamment les départements, qui jouent déjà un rôle central dans le médico-social ?

M. Pierre Barros, président. - Pour prolonger la question, un autre angle à considérer concerne les médicaments et leur mise sur le marché. Ce processus nécessite un travail considérable et de nombreuses autorisations, ce qui est rassurant. Les industriels n'ont-ils pas intérêt à promouvoir de nouvelles molécules, légèrement différentes mais plus chères, pour remplacer des molécules existantes et efficaces ? Cette pratique ne génère-t-elle pas des dépenses publiques supplémentaires en termes d'essais, d'évaluations et de surveillance ? Serait-il pertinent d'engager un dialogue avec les industriels pour encourager une certaine sobriété dans ce domaine, ce qui pourrait permettre des économies non négligeables ?

Mme Catherine Paugam-Burtz. - L'évaluation des médicaments ne se passe plus comme vous la décrivez. Nous avons mis en place des guichets innovation-orientation dans nos structures. Ces guichets permettent de discuter avec tous types d'industriels, y compris des start-up, pour les aider à optimiser leur processus d'évaluation pour les innovations. L'objectif est de les guider dans le choix des critères pour leurs essais cliniques, en vue d'une évaluation plus efficace dans le cadre d'un dépôt de dossier au niveau européen.

Quant aux choix industriels, cela relève de l'évaluation du service médical rendu et du service médical rendu additionnel, qui est au coeur de notre mission.

Concernant un éventuel transfert des missions de l'ANSM hors du secteur public, ma réponse est clairement négative. Notre histoire et la nature de nos missions, qui incluent des décisions de police sanitaire, nécessitent que l'Agence du médicament et des produits de santé reste dans le domaine public.

Pour ce qui est d'un transfert au niveau régional ou départemental, je parlerais plutôt d'une meilleure articulation de nos actions, particulièrement au niveau régional. Par exemple, nous avons mis en place une contractualisation avec les ARS. Le 8 avril, nous lancerons une campagne sur le bon usage des médicaments avec l'ARS Grand Est et les acteurs locaux, notamment le réseau des observatoires des médicaments, dispositifs médicaux et innovations thérapeutiques (OMéDIT) qui travaille sur la pertinence des prescriptions.

L'objectif n'est pas tant de simplifier que de mieux articuler et rendre plus efficaces les actions publiques. Cela peut se faire en démultipliant nos actions au niveau national ou en s'inspirant des bonnes pratiques régionales. Une meilleure articulation avec les réseaux régionaux pourrait nous faire gagner en efficacité.

M. Lionel Collet. - Concernant la simplification, j'ai évoqué le rapport de la l'IGAS sur la NDPC et je vous ai donné notre position.

Sur les économies, qui sont l'enjeu principal, nos travaux montrent que des économies pourraient être réalisées par l'ensemble du système de santé, à condition que certaines décisions soient prises, notamment sur la pertinence des actes, des soins et l'évaluation des médicaments. Prenons l'exemple du Sofosbuvir qui guérit l'hépatite C. Il serait intéressant de savoir si sa mise en service a entraîné une réduction du nombre de lits en hépatologie en France. Nous fournissons l'information, mais c'est à d'autres de décider de sa mise en oeuvre.

Concernant la pertinence des actes, lorsque nous proposons un parcours de soins ou de santé, nous savons que c'est la méthode la plus efficace et la plus rationnelle. Dès qu'on s'en écarte, des actes inutiles et coûteux sont réalisés. La question est de savoir comment s'assurer que ces parcours sont respectés. Nous élaborons des fiches de bon usage des médicaments, mais ce n'est pas à la HAS d'aller plus loin.

S'agissant du médicament, les innovations arrivent principalement par la filière de l'accès précoce, qui concerne uniquement les maladies rares, graves et invalidantes, avec une présomption d'innovation. L'industriel peut alors rendre le produit disponible avant la négociation du prix. En 2024, nous avons eu 51 nouveaux médicaments au titre de l'innovation, dont nous avons accepté 30, soit près de 60 %. Il est important de distinguer les véritables innovations des simples nouveautés.

Les industriels nous proposent des indications de plus en plus étroites pour les accès précoces. Par exemple, pour un médicament déjà autorisé, ils demandent l'accès précoce pour une infime partie de l'indication. On en vient à travailler par mutation, notamment dans le cas du cancer du poumon non à petites cellules. Cette approche tend à faire passer des sous-groupes de patients pour des maladies rares, ce qui peut justifier des prix plus élevés. C'est une tendance sur laquelle nous devrons échanger avec les pouvoirs publics.

M. Jean Lessi. - La question des territoires est importante et devant nous, notamment pour la qualité dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux. Ces structures relèvent localement soit de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), soit des départements et/ou des ARS. Il existe une réelle sensibilité sociétale sur la qualité de l'accueil des personnes. Nous avons été récemment auditionnés sur la qualité en EHPAD. Nous avons besoin d'un dialogue avec les autorités de tarification et de contrôle, à savoir les conseils départementaux et les ARS.

Prenons l'exemple de l'évaluation de la qualité. Cette mission nécessite peu d'équivalents temps plein (ETP) car le législateur a opté pour un dispositif où la HAS établit le référentiel d'évaluation et une partie du cahier des charges d'accréditation des organismes évaluateurs. Nous analysons ensuite les rapports d'évaluation des 41 000 établissements et services sociaux et médico-sociaux pour fournir des retours et des outils qualité. Le travail d'évaluation est réalisé par des organismes privés accrédités par le comité français d'accréditation (COFRAC), sur la base de notre cahier des charges. Ces organismes effectuent les évaluations dans le cadre d'une relation commerciale avec les établissements, ce qui soulève certaines questions.

Bien que nous soyons très identifiés à ce dispositif, nous n'y consacrons que 12 ETP. Nous essayons de réaliser un véritable contrôle qualité sur le travail de ces organismes d'évaluation, car les résultats sont cruciaux pour les personnes accueillies et leurs familles. Nous avons besoin de démultiplier notre pilotage de ce dispositif par un bon dialogue avec les autorités de tarification et de contrôle.

Nous avons un dialogue constructif avec l'Assemblée des départements de France sur ces sujets. L'enjeu est de créer un chaînage vertueux entre le rapport d'évaluation et les actions entreprises par le conseil départemental ou l'ARS en termes de pilotage de la qualité et de suivi des établissements. C'est ce qui garantira la réussite de ce dispositif relativement récent.

Concernant la possibilité d'externalisation au secteur privé, nos missions, comme celles de l'ANSM, sont assez régaliennes et difficilement externalisables. Cependant, des partenariats intéressants peuvent être développés. Par exemple, nous avons mis en place un système de labellisation pour les travaux des sociétés savantes ou des professionnels de santé. Nous produisons des recommandations de bonnes pratiques sur divers sujets comme la prise en charge du diabète de type 2 ou de l'obésité.

Lorsqu'il n'y a pas de consensus scientifique, il est nécessaire que la HAS le crée elle-même. Pour les sujets où les données sont plus claires et univoques, nous envisageons de déléguer davantage aux sociétés savantes et aux professionnels, tout en garantissant le respect des règles de prévention des conflits d'intérêts et la rigueur méthodologique. Notre rôle serait alors de vérifier et de labelliser. Nous avons déjà expérimenté cette approche, par exemple pour les traitements pré ou post-exposition au VIH. Cette méthode est moins consommatrice en ETP et permet une meilleure appropriation par les futurs utilisateurs, tout en maintenant un contrôle qualité et un suivi continu. Nous comptons développer cette approche pour produire plus, de manière plus agile et au plus près de la pratique. Nous testons actuellement ce modèle sur des contenus relatifs à la sécurité des patients en établissement, en collaboration avec le réseau des OMéDIT. Cette approche pourrait également s'appliquer aux indicateurs de qualité. C'est une piste d'avenir en termes d'efficience des moyens administratifs, permettant d'externaliser tout en conservant le contrôle qualité.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par « sociétés savantes » ? S'agit-il de l'ordre des médecins ?

M. Lionel Collet. - Les sociétés savantes sont des sociétés scientifiques, par exemple la Société française d'oto-rhino-laryngologie avec laquelle nous travaillons actuellement sur la surdité chez les personnes âgées. Nous pouvons les laisser travailler sur ces sujets, puis nous validons leur travail en les accompagnant tout au long du processus.

M. Pierre Barros, président. - J'ai une interrogation concernant la prescription. Nous savons que la médecine de ville est en grande difficulté, avec une pénurie de médecins et une tension croissante. Parallèlement, nous constatons une augmentation colossale des charges de santé depuis la crise du Covid. Il y a clairement des effets post-Covid et la santé de nos concitoyens est préoccupante, tant sur le plan physique que mental. L'assurance maladie est amenée à prendre en charge de plus en plus de pathologies.

On pourrait penser naïvement que moins de médecins signifierait moins de prescriptions et donc moins de dépenses. C'était d'ailleurs un argument avancé pour réduire le numerus clausus, ce qui s'est avéré être un échec. En réalité, malgré la diminution du nombre de médecins, les dépenses continuent d'augmenter.

Nous voyons émerger la télémédecine et de nouveaux opérateurs qui s'implantent sur ce marché, ainsi qu'une réorganisation de la médecine de ville avec des centres de santé privés. Dans ce contexte de transformation du parcours de santé, avez-vous mené une réflexion sur ces évolutions ? Notre commission d'enquête vise à examiner le fonctionnement des opérateurs pour identifier des marges de manoeuvre et proposer des économies pour le PLF 2026. Nous nous interrogeons sur l'organisation de la santé dans les territoires, tant au niveau de la médecine de ville que des nouvelles structures qui comblent les vides. Ces nouvelles pratiques pourraient-elles générer des dépenses publiques plus importantes ?

M. Lionel Collet. - J'ai brièvement évoqué la question de la pertinence des actes. Si pour un patient donné, c'est la bonne intervention qui est réalisée, c'est déjà une source d'économie. C'est bénéfique car le patient sera bien pris en charge et parce que cela permet d'éviter des actes inutiles. Je pense que c'est vraiment sur ce point que nous devrions concentrer nos efforts. Je me souviens que la ministre Agnès Buzyn avait souhaité travailler sur ce sujet en 2017. Il serait opportun aujourd'hui, après la crise du Covid, de remettre ce dossier à plat en s'appuyant sur nos recommandations.

Cependant, je reconnais que la situation est complexe, notamment en raison de la démographie médicale. Il ne faut pas que les médecins, qui revendiquent leur liberté de prescription, aient l'impression qu'on leur impose une prise en charge. Néanmoins, nous sommes dans un domaine d'intérêt général pour notre pays, qui concerne l'équilibre des comptes sociaux et plus précisément de l'assurance maladie. Il me semblerait donc judicieux d'encourager de la manière la plus efficace possible cette pertinence des actes. Cela pourrait probablement réduire la consommation et donc les dépenses, tout en améliorant la prise en charge des patients.

M. Jean Lessi. - Il est important de considérer non seulement la pertinence des actes, mais aussi celle des parcours de soins. La HAS a travaillé sur des parcours, notamment pour les maladies chroniques comme le diabète, l'épilepsie, la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) et l'insuffisance cardiaque. Nous élaborons scientifiquement ce à quoi doit ressembler le parcours pour garantir la bonne intervention de santé au bon moment, pour le bon patient, par le bon professionnel. L'enjeu, nous en discutons avec l'assurance maladie et la direction générale de l'offre de soins (DGOS), est de rendre ces parcours opérationnels et concrets. L'objectif est d'éviter des interventions trop tardives qui sont plus coûteuses et impactent négativement la qualité de vie des patients. La pertinence des actes et des parcours est donc cruciale.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pouvez-vous revenir sur les facteurs de blocage à la mise en oeuvre de vos recommandations ?

M. Alexandre de La Volpilière, directeur général adjoint en charge des opérations de l'ANSM. - Nous travaillons beaucoup sur le bon usage des médicaments, notamment, en lien avec la HAS, avec les tests rapides d'orientation diagnostique (TROD) de l'angine. Les pharmaciens peuvent désormais réaliser ces tests et prescrire des antibiotiques lorsque l'origine de l'angine est bactérienne. L'introduction de ces TROD a amélioré le bon usage des antibiotiques, contribuant ainsi à la lutte contre les résistances. L'utilisation de ces TROD a permis aux pharmaciens de prescrire un antibiotique dans environ 25 % des cas. On constate ainsi une réduction de la consommation des antibiotiques par le bon usage. C'est une pratique porteuse d'avenir qu'il faudrait davantage développer.

M. Lionel Collet. - Vous nous interrogez sur la manière d'accroître l'impact de nos recommandations. Nous travaillons sur ce sujet plus de deux ans. Si l'on considère la question d'un point de vue global, deux pistes principales se dessinent. La première consiste à s'assurer que nos recommandations sont véritablement intégrées dans le contenu de la formation des professionnels, notamment la formation continue. C'est pourquoi la proposition de la HAS sur le développement professionnel continu (DPC) nous paraît intéressante : il s'agit de s'assurer que les actions de DPC sont en phase avec nos recommandations. Cela inclut également la labellisation que vous a présentée Monsieur Lessi, car lorsqu'une société savante d'une spécialité élabore la recommandation avec la HAS, elle a un impact beaucoup plus rapide chez les spécialistes concernés, qui reconnaissent l'autorité de cette société savante. La deuxième piste, plus complexe et politiquement sensible, est celle de l'opposabilité de tout ou partie de nos recommandations pour les prises en charge, pendant une période qui pourrait être limitée dans le temps. Nous pourrions considérer qu'il existe en France, dans certains domaines, trop d'hétérogénéité de prise en charge par rapport à ce que nous proposons. Dans ce cas, il faudrait peut-être envisager de rendre opposables certains types de prises en charge.

M. Jean Lessi. - Il existe une troisième piste, en plus de l'appropriation de la labellisation et de l'opposabilité : il s'agit d'intégrer davantage nos recommandations dans les outils numériques du quotidien des professionnels de santé. Nous y travaillons, notamment avec la CNAM, pour faire en sorte que les logiciels professionnels, d'aide à la prescription et à la dispensation pour les pharmacies, soient actualisés et tiennent compte des règles de pertinence, de bon usage du médicament, et des alertes de sécurité.

Historiquement, la France a été assez volontariste en exigeant, dans les années 2010, une certification obligatoire de ces logiciels avant leur mise sur le marché. Cependant, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que cette obligation de certification sous l'égide de la HAS avant la mise sur le marché était contraire au droit de l'Union. Aujourd'hui, si nous voulons que ces logiciels intègrent certaines règles de bonnes pratiques, nous ne pouvons passer que par des incitatifs. Revenir à des outils plus volontaristes nécessiterait un débat important au niveau européen, puisqu'il faudrait modifier le droit de l'Union européenne. C'est un débat à moyen ou long terme, mais il est vrai que tout ce que nous pourrons faire pour que ces outils, que le professionnel utilise dans son cabinet, intègrent immédiatement les règles de bonne prescription et de bon usage, aura un effet sur les pratiques de prescription.

Les professionnels sont très demandeurs de ces outils. Nous avons travaillé sur des référentiels concernant la prescription des antibiotiques pour aider le professionnel à déterminer dans quels cas, selon les caractéristiques du patient, il faut ou non prescrire des antibiotiques.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Êtes-vous acteurs de la grande cause nationale de santé mentale ? Comment est-elle coordonnée entre les acteurs de l'écosystème santé ? Ne risque-t-on pas de créer un nouvel objet ?

M. Lionel Collet. - Avant que le Premier ministre Michel Barnier n'annonce la grande cause nationale, nous avions déjà défini pour notre prochain projet stratégique, qui a débuté au 1er janvier 2024, trois thématiques, dont la thématique santé mentale et psychiatrie.

Nous élaborons des recommandations de bonnes pratiques. Or, dans le domaine de la psychiatrie lourde, notamment la schizophrénie, il existe peu ou pas de recommandations françaises de bonnes pratiques. Ce sont principalement des recommandations internationales. On pourrait se demander quelle est la différence, puisque le patient est le même. En réalité, cela change fondamentalement, car les professionnels de santé ne sont pas les mêmes. Un psychologue en Angleterre et un psychologue en France n'ont pas du tout la même formation : très scientifique d'un côté, beaucoup plus axée sur les sciences humaines et sociales de l'autre. De plus, nous sommes dans un pays où la psychiatrie est sectorisée depuis les années soixante, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays. Ainsi, si nous voulons travailler sur le parcours de prise en charge de certaines pathologies mentales lourdes, ces recommandations doivent être spécifiques à notre pays. Nous avons donc décidé de travailler sur ces sujets et avons constitué un comité santé mentale et psychiatrie. Nous apprenons et nous nous réjouissons sincèrement que cela devienne une grande cause nationale. Bien que nous ne soyons pas directement impliqués dans la grande cause nationale, nous connaissons les acteurs et nous nous articulons avec eux. Enfin, nos productions serviront à la grande cause nationale.

M. Alexandre de La Volpilière. - L'ANSM, sous la coordination du ministère de la Santé, décline la grande cause nationale avec les professionnels de santé, notamment avec sa campagne sur le bon usage qui sera lancée le 8 avril aux niveaux national et régional. Elle sera consacrée à la lutte contre le mésusage, notamment des benzodiazépines utilisées dans le traitement de l'anxiété et de l'insomnie. Nous avons construit cette campagne avec les professionnels de santé et les patients. Nous observons une augmentation de la consommation des benzodiazépines contre l'anxiété chez les jeunes, notamment en post-Covid. Nous notons également une augmentation de la consommation de cette classe de médicaments chez les personnes de plus de 65 ans, notamment dans le traitement de l'insomnie. Nous avons choisi de centraliser nos messages à destination du grand public pour rechercher des solutions alternatives, garder ces traitements uniquement pour des durées courtes et penser, dès la prescription, à l'arrêter très rapidement. Ces messages seront diffusés lors de la prochaine campagne en ciblant à la fois le grand public et les professionnels de santé. Cela vise aussi à réduire cette consommation et améliorer le bon usage des médicaments dans le secteur de la santé mentale.

M. Pierre Barros, président. - Nous vous remercions pour le temps que vous avez consacré à cet échange et de nous avoir aidés à appréhender le secteur de la santé.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 h 55.