Mardi 25 mars 2025

- Présidence de Pierre Barros, président -

La réunion est ouverte à 14 h 05.

Audition de M. Sylvain Waserman, président, Mme Patricia Blanc et M. Baptiste Perrissin-Fabert, directeurs généraux délégués de l'Agence de la transition écologique (Ademe)

M. Pierre Barros, président. - Nous recevons cet après-midi M. Sylvain Waserman, président, Mme Patricia Blanc, directrice générale déléguée, et M. Baptiste Perrissin-Fabert, directeur général délégué de l'Agence de la transition écologique (Ademe).

Cette réunion s'inscrit dans le cycle d'auditions que nous consacrons cette semaine à des agences actives dans le secteur de l'environnement et de l'agriculture : nous recevrons en effet l'Office français de la biodiversité (OFB) à 15 h 30, les agences de l'eau à 17 h, puis jeudi après-midi, FranceAgriMer, l'Agence de services et de paiement (ASP) et les syndicats agricoles.

L'Ademe est un établissement public industriel et commercial (EPIC), créé en 1990. Son domaine d'intervention comprend - la liste est longue : la prévention de la pollution de l'air, de la production de déchets et de la pollution des sols ; le réaménagement des installations de stockage de déchets ultimes ; la réalisation d'économies d'énergie et de matières premières ; le développement des énergies renouvelables et des technologies propres ; la lutte contre les nuisances sonores. Deux missions ont été ajoutées en 2019 : la lutte contre le réchauffement climatique et l'adaptation au changement climatique. Enfin, depuis 2023, l'Ademe est chargée du suivi statistique des installations agrivoltaïques.

Compte tenu de la diversité de ces missions, parvenez-vous à les mener toutes de front ? Sur lesquelles mettez-vous l'accent, soit de votre propre initiative, soit à la demande de vos autorités de tutelle ?

Le nom même de l'agence présente un intérêt pour nos travaux : alors que le code de l'environnement définit l'Ademe comme l'« Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie », vous utilisez depuis quelques années l'appellation d'« Agence de la transition écologique » ; que signifie ce changement de nom ? Qui l'a décidé et reflète-t-il l'évolution de vos missions légales ou des activités que vous conduisez en pratique ?

L'Ademe, comme l'OFB que nous verrons tout à l'heure, a souvent été citée ces derniers mois, avec parfois des batailles de chiffres, et il faut bien reconnaître qu'il n'est pas très facile de savoir exactement de quoi l'on parle. Vous écriviez dans une lettre ouverte, le 21 février dernier, que l'État a confié 3,4 milliards d'euros à l'Ademe en 2024. Or les comptes approuvés par votre conseil d'administration le 6 mars dernier font état d'un montant de recettes de l'ordre de 1 milliard d'euros, auxquels s'ajoutent environ 950 millions d'euros au titre de divers dispositifs gérés pour compte de tiers tels que France 2030.

Il serait donc utile, afin que nos échanges puissent s'établir sur de bons fondements, que vous clarifiiez ce qu'est le « budget » de l'Ademe, c'est-à-dire le montant total des fonds passant par l'Agence en 2024 et en 2025 à un titre ou à un autre, en décomposant selon que ces fonds sont versés à des tiers - bénéficiaires d'aides ou autres dépenses - ou au fonctionnement interne de l`Agence. Enfin, vous préciserez dans quelle mesure le versement de ces aides nécessite un travail important d'instruction, d'étude ou de contrôle de la part de vos services, car c'est cela qui peut justifier les frais de fonctionnement ou de personnel.

Il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous remercie enfin d'indiquer, le cas échéant, vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Sylvain Waserman, Mme Patricia Blanc et M. Baptiste Perrissin-Fabert prêtent serment.

M. Sylvain Waserman, président de l'Agence de la transition écologique (Ademe). - Je vous remercie de l'occasion qui nous est donnée d'apporter notre contribution au débat. Je le ferai en rappelant quatre éléments et en formulant quatre propositions, à l'aune des travaux que vous avez engagés et des réflexions en cours.

Je commencerai par le budget : fixé à 3,4 milliards d'euros, il est celui que l'État nous demande d'opérer pour son compte.

Selon la segmentation, une partie de ce budget, qui s'élève à 1,683 milliards d'euros, est dite « pour compte de tiers ». Par exemple, dans le cadre de France 2030, nous opérons le budget de transition écologique. Nos ingénieurs instruisent les dossiers, les classent et les analysent ; la contractualisation est réalisée avec l'Ademe, mais la décision est prise par le secrétariat général pour l'investissement (SGPI) ou par le Premier ministre. Pour autant, cela reste un contrat entre l'Ademe et le bénéficiaire pour opérer la décision qui est prise par un tiers.

Quant au budget « incitatif », c'est celui qui est voté par l'Agence en conseil d'administration. En 2024, il était de 1,373 milliards d'euros, dédiés essentiellement au fonds Chaleur - 820 millions d'euros -, au fonds Économie circulaire - 300 millions d'euros - et à l'ensemble des frais de fonctionnement, des coûts des ressources humaines et des autres activités. À cela s'ajoutent quelques budgets que nous opérons, dont certains volets du Fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires, dit « Fonds vert », ressources externes ou éléments des filières à responsabilité élargie des producteurs (REP).

La gestion est complexe pour nous, car à chaque système correspond un processus spécifique de décision. Toutefois, cette complexité n'affecte pas le bénéficiaire, dans la mesure où son interlocuteur reste l'Ademe, qui contractualise le versement de l'aide.

Puisque M. le président l'a évoqué, j'attire votre attention sur le fait que chaque aide de l'État nous impose deux missions.

La première mission vise à garantir la bonne utilisation de l'argent public, ce qui inclut pour chaque dossier l'évaluation, par nos ingénieurs, de l'« efficacité carbone » de l'euro investi - la décarbonation des entreprises fait partie des grandes masses financières. Grosso modo, il s'agit de chiffrer, pour chaque million d'euros d'argent public, les économies réalisées en tonnes de carbone. Cette analyse permet de fonder la décision que prendra le SGPI ou le Premier ministre pour ce qui concerne France 2030. Ensuite, la phase de contractualisation, mêlant des juristes et des ingénieurs, ne se réduit pas à un simple virement. Le contrat s'étale dans le temps, donne lieu à des jalons de versement et fixe des critères techniques à atteindre pour prétendre à d'autres financements. Toute cette ingénierie est l'une des responsabilités de l'Ademe.

La seconde mission consiste à travailler avec les porteurs de projets pour enrichir ces projets quand le cadre juridique le permet. Par exemple, dans les réseaux de chaleur, nous sommes aux côtés des collectivités pour les aider dans leur réflexion et dans la mise en oeuvre des priorités, notamment dans le choix des énergies renouvelables utilisées.

Le deuxième point est la structure territoriale que nous utilisons à l'Ademe et les évolutions intervenues depuis l'an dernier. Depuis la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite « 3DS », le préfet de région est le délégué territorial de l'Ademe. En conséquence, nos directeurs régionaux assistent presque partout au comité de l'administration régionale (CAR), et à tout le moins à des points réguliers avec le préfet de région. De plus, ils sont évalués par lui et ne sont recrutés qu'avec son accord - à l'issue d'un entretien. Enfin, le contreseing du préfet de région doit être apposé sur les engagements territoriaux auprès des collectivités.

En prenant mes fonctions, j'avais été choqué de constater qu'un préfet de département pouvait découvrir, lors d'un échange avec un président de communauté de communes, que l'Ademe - donc l'État - était en train de travailler avec elle sur tel ou tel dispositif. Cette situation a été résolue au milieu de l'année 2024, puisque nous avons mis en place un reporting trimestriel - non pas des décisions prises, mais de tous les projets en cours - à destination du préfet de département. Ce dernier dispose désormais d'un droit de regard sur les engagements et les projets de l'Agence avec les acteurs de son département.

Troisième point : la notion d'expertise et à la façon dont nous gérons celle-ci. Sur cette question aussi, de profondes modifications sont intervenues en 2024. Je suis accompagné de deux directeurs généraux délégués : Patricia Blanc traite plus spécifiquement de la généralisation et de l'accélération de la transition écologique, tandis que Baptiste Perrissin-Fabert est chargé de l'expertise. Le choix, opéré avec le ministre de tutelle, d'un poste dédié sur l'expertise visait à apporter des améliorations, non pas tant dans les compétences elles-mêmes, que dans l'articulation et l'engineering du processus. Par exemple, nous avons mis en place un système de gestion des connaissances appelé Gecko, pour avoir une traçabilité de l'ensemble de nos études, analyses et avis, et ce de leur genèse à leur publication.

Nous avons aussi procédé à un reengineering du processus en segmentant nos différents types d'études - à côté de celles qui relèvent du quotidien, il existe des études phares ou stratégiques - et, surtout, en les planifiant pour donner au ministère une visibilité complète de toutes les études qui ont été lancées ou qui sont sur le point d'être conclues en 2025. Cette planification garantit un meilleur arbitrage entre les différentes sources de production d'études, qu'il s'agisse du Commissariat général au développement durable (CGDD), d'une direction, du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), de l'Ademe ou d'un autre opérateur. Ce rôle de pilotage pourra être exercé réellement, ce qui n'était pas complètement le cas auparavant. En dépit des commandes du ministère, certaines études pouvaient rester longtemps sous le radar...

Enfin, je soulignerai l'importance de la structuration de notre activité pour nos élus. En ma qualité de maire d'un village et président de communauté de communes, j'ai piloté des projets et mis en place la redevance incitative. Mais c'est lorsque je suis arrivé à l'Ademe, à Angers, que j'ai pris conscience de tout ce que ces informations auraient pu m'apporter. Nous avons donc cherché les moyens d'ouvrir notre expertise au maximum. À cette fin, sous l'impulsion des deux ministres de l'époque, Christophe Béchu et Agnès Pannier-Runacher, nous avons lancé le réseau « Élus pour agir », qui réunit 3 600 élus lors de sessions et de webinaires, en vue du partage des clefs de décryptage de la transition écologique, concernant notamment la façon dont les problèmes peuvent se matérialiser sur le territoire.

En réponse à vos réflexions, je formulerai quatre propositions concrètes.

La première concerne le pilotage ministériel. La ministre de la transition écologique anime une revue des missions. De plus, dans le cadre de l'expertise, nous avons la possibilité d'assurer pleinement la transparence et la planification de nos études. S'agissant de la rationalisation des expertises, je milite pour que les ingénieurs - qu'ils travaillent au Cerema, à l'Ademe ou ailleurs - utilisent une seule méthodologie par thématique dans la sphère étatique. Il ressort des échanges de la « revue des missions » que le ministère peut désormais être garant du référentiel des méthodologies, avec toutes les conséquences qui en résultent : par exemple, l'opérateur chargé de cette méthodologie ouvrira sa gouvernance aux autres. Quoi qu'il en soit, cela évitera des redondances et des confusions. Grâce à ces nouveautés, nous sommes aujourd'hui en mesure d'aller un cran plus loin dans la finesse de ce pilotage.

La deuxième proposition s'inspire du modèle - à mon sens satisfaisant - de la loi 3DS, qui a fait du préfet de région le délégué territorial de l'Ademe. Nous pourrions projeter le modèle vers une logique où le préfet de région serait en quelque sorte la tour de contrôle de tous les opérateurs de la transition écologique sur sa région. Et si le préfet de département disposait, comme nous l'avons mis en oeuvre, d'un reporting trimestriel et, à terme, d'un système d'information en temps réel de l'ensemble des travaux en cours sur son département, ce serait l'arbitrage le plus puissant ! Nous ne sommes pas très loin de cette visibilité au niveau du département : c'est en progressant sur ce modèle territorial que nous pourrons l'atteindre.

La troisième proposition consiste à ce que nous allions un cran plus loin dans la mutualisation des systèmes d'information (SI). Pourquoi ? Parce que les budgets sont importants pour chaque opérateur et qu'il existe à mon sens certains SI de référence. À l'Ademe, nous utilisons par exemple le SI Opale pour instruire les aides. Vu de Bercy, c'est-à-dire de très loin, notre productivité - autrement dit, le ratio entre le montant du budget confié par l'État et le nombre d'équivalents temps plein (ETP) - a augmenté de 155 % en quatre ans. Cela s'explique par trois facteurs : un très bon SI piloté par mes prédécesseurs ; un reengineering de processus mené à bien en 2024 ; enfin, une forte charge opérationnelle.

Je vous suggère également de poser une règle décisionnelle assez claire : on ne lance pas une refonte des SI sans avoir vérifié au préalable la pertinence des systèmes existants. Un tiers arbitre pourrait en juger, étant précisé que les montants en jeu sont importants. Cela se justifie surtout pour les opérateurs dont ce n'est pas le coeur de métier.

L'exemple le plus typique est celui de l'intelligence artificielle (IA), pour lequel tout reste à faire. Avec le Cerema, nous avons décidé d'engager une réflexion à ce sujet et de l'étendre ensuite à l'ensemble des opérateurs qui le souhaitent. Nous travaillons main dans la main pour lancer une IA de confiance sur la transition écologique, qui se nourrisse uniquement d'éléments et de rapports scientifiques tels que ceux de l'Ademe, du Cerema, etc.

Ma quatrième proposition a trait à la communication de l'État sur la transition écologique. Eu égard à la multiplicité d'acteurs, on pourrait imaginer une bannière commune à l'instar de France services dans les collectivités, par exemple. Cela permettrait de réaffirmer, comme je le fais systématiquement dans mes discours, qu'il s'agit bien de l'argent de l'État, et non de celui de l'Ademe.

Pour conclure, nos débats revêtent trois dimensions différentes.

Premièrement, est-il pertinent que l'État investisse 3,4 milliards d'euros, via l'Ademe, sur la transition écologique ? Les entreprises ont plus que jamais besoin de lui pour leur décarbonation, qui n'est pas rentable à court terme. Si elles continuent à agir, ce n'est pas pour faire plaisir à un ministre, à une politique ou pour correspondre à leur propre vision de ce que devrait être le climat en 2050 ; c'est pour répondre à un enjeu qu'elles considèrent comme stratégique.

La situation est la même pour les collectivités territoriales. À ce propos, je voudrais remercier le Sénat de son volontarisme sur le fonds Chaleur, qui - sous l'impulsion d'Agnès Pannier-Runacher - a été préservé à hauteur de 800 millions d'euros. Au total, l'État a investi dans cet outil extrêmement important 4,3 milliards d'euros, qui représentent de 1 milliard à 4 milliards d'euros d'économies sur les importations - en fonction de l'évolution du prix du gaz. Cet investissement est positif, car il améliore chaque année le déficit de la balance commerciale et favorise notre souveraineté.

Deuxièmement, l'Ademe fait-elle bien son travail ? L'an dernier, l'Inspection générale des finances (IGF) a réalisé un audit complet sur quatre sites de l'Ademe. Durant quatre mois, chacune de nos dépenses a été scrutée. L'IGF a conclu que l'Ademe était globalement bien gérée - en valeur absolue, le coût moyen par ETP est resté stable au cours des trois ou quatre dernières années. Elle a même recommandé, pour la première fois à ma connaissance dans un rapport de l'IGF, l'augmentation des effectifs de l'Agence. Enfin, elle a suggéré des axes d'amélioration, notamment pour l'efficacité des réseaux ou la structuration de nos achats. Nous suivons ces points avec le conseil d'administration.

Troisièmement, y a-t-il d'autres modèles possibles ? Bien sûr. Autre question sous-jacente : à quoi servent un opérateur et un modèle d'opérateur ? Ce qui caractérise un opérateur, c'est le fait d'avoir un objectif, un contrat d'objectifs et de performance (COP) et des indicateurs de résultats. Lors des dix dernières années, quatre audits de fond et 76 autres types d'audits ont été réalisés, notamment par l'IGF et la Cour des comptes. Ces contrôles sont légitimes, mais cette focalisation sur un objectif précis nous permet d'évaluer la stratégie et le pilotage d'une politique publique.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Mes premières questions portent sur le fonctionnement de l'Ademe en tant que tel.

Comment justifiez-vous son statut d'EPIC, alors que, sur un budget légèrement supérieur à 1 milliard d'euros - hors opérations pour compte de tiers -, seulement 44,2 millions d'euros sont des fonds propres ?

Comme l'a rappelé le président, le périmètre de l'Ademe s'étend aux nuisances sonores. Pourquoi l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa) exerce-t-elle un contrôle à côté et non à l'intérieur de l'Ademe ?

La plupart des agents de l'Ademe travaillent dans les trois sites dédiés aux services centraux. Dans ce cas, que coordonne vraiment le préfet en sa qualité de délégué territorial ? Pour quelle raison reçoit-il en entretien le chef de l'antenne régionale ?

Le réseau « Élus pour agir » s'apparente-t-il à celui du Cerema ? L'adhésion des collectivités leur confère-t-elle la priorité pour certaines interventions ?

M. Sylvain Waserman. - L'ensemble de nos missions nous est conféré par la loi : un texte fondateur et 40 morceaux de textes de loi précisent notre rôle, parfois via des circulaires. Nous n'inventons pas nos responsabilités. Nous mettons en oeuvre ce que le Parlement décide et tâchons de répondre aux exigences que fixe la loi.

Le statut d'EPIC nous donne de la flexibilité : par exemple, nous avons pu créer une filiale sur des méthodologies qui s'adressent aux entreprises, permettant de facturer des formations. Cette méthodologie, très particulière, permet d'évaluer les plans de décarbonation et a été reconnue par la Banque de France, avec laquelle nous avons signé une convention, la Banque de France estimant qu'il s'agissait de la meilleure méthodologie existante. Avec le Mouvement des entreprises de France (Medef), le Club ETI (entreprises de taille intermédiaire) et la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), nous organisons un tour de France entre mai et octobre pour montrer que cette méthodologie est à disposition des entreprises.

Nous portons alors le message suivant : tout chef d'entreprise présente des matrices de risques à ses actionnaires, tout chef d'entreprise se pose la question stratégique de savoir jusqu'où décarboner. Si le chef d'entreprise fait le choix de la décarbonation, notre thèse est qu'il peut en faire un avantage concurrentiel. La loi impose aux marchés publics d'avoir en 2026 des clauses environnementales obligatoires. Les collectivités devront comparer les candidatures en fonction d'éléments tangibles ; cette méthodologie ACT Adaptation permet de se distinguer. En accord avec notre tutelle nous avons monté une filiale. En effet, lors de ma prise de fonctions, étant donné les plafonds d'emploi, le temps d'attente pour bénéficier de la méthodologie était de six mois. Ainsi, nous avons pu gagner en flexibilité, pour pouvoir facturer aux entreprises - à un coût très faible d'ailleurs - et ainsi recouvrer nos coûts.

Cela étant dit, d'autres statuts seraient possibles ; celui-ci a été fixé par la loi, il ne nous pose pas de problème opérationnel.

Les directions régionales comptent 225 agents : ce n'est pas du tout de la figuration ni du passe-plat ! Ainsi, nous avons beaucoup d'expertise et de proximité. Chaque préfet de département a un interlocuteur dans les directions régionales, tout comme les élus. Cette proximité est la valeur ajoutée de notre modèle. Nous avons évidemment des équipes en central, car l'État opère des programmes en central, comme le programme national France 2030. Dans ce cas, que les dossiers soient dans le Limousin, dans le Gers où à Brest, nous étudions les dossiers en centrale

L'articulation des logiques territoriales entre le siège et les directions régionales, de manière ascendante et descendante, est essentielle et fait la force de l'Ademe. Il existe une logique descendante : grands accords internationaux, politiques européennes, une stratégie nationale bas-carbone (SNBC), politique pluriannuelle de l'énergie (PPE), contrat d'objectifs et de performance territoriaux. Mais il existe aussi une logique ascendante, grâce à une fantastique innovation présente dans nos territoires. J'ai fait 72 déplacements depuis le début de ma présidence : nos territoires ont une force et une vitalité réelles. Notre rôle est aussi de faire de l'essaimage : par exemple, nous avons repéré des méthodologies très intéressantes de réseaux de chaleur en Île-de-France, qui sont devenues ensuite des méthodologies nationales. Notre rôle est aussi de voir quelle innovation pourrait bénéficier à tous. Ce rôle d'essaimage part bien de la réalité du terrain.

Notre expertise se nourrit énormément de ces remontées du terrain. Il n'y a pas une seule méthodologie qui soit faite en chambre. Ainsi, un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) sur deux a adopté notre méthodologie Trajectoire d'adaptation au changement climatique des territoires (TACTT), méthodologie de référence pour les collectivités territoriales, alors qu'il n'existe aucune obligation ni aucune conditionnalité pour obtenir une subvention. Cette méthodologie s'est nourrie de notre expérience terrain.

Je constate que l'articulation entre les équipes centrales et régionales est notre force. Couper ce lien très fort entre le siège et les régions serait une erreur.

Pour un projet de pyrogazéification, un projet de géothermie profonde qui demande de savoir s'il y a du lithium - cela rend éligible au fonds de garantie -, seuls quelques experts nationaux maîtrisent les sujets ; or ils sont présents soit en région, soit au siège. L'imbrication de notre expertise se nourrit de notre expérience terrain.

Le réseau « Élus pour agir » concerne tout type d'élus, et uniquement des élus. Nous agissons toujours en trois temps. Nous expliquons comment les grandes problématiques se traduisent concrètement dans la vie des territoires - je pense aux canicules, aux rénovations d'écoles - ; nous organisons des partages d'expériences entre élus, où les échanges sont très libres et où ils parlent de leurs difficultés et de leurs réussites en tant qu'élus ; enfin, nous portons à leur connaissance les outils existants et les financements de l'État à disposition, de manière très ouverte, et avec les autres opérateurs avec lesquels nous travaillons fréquemment.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pouvez-vous détailler la doctrine d'intervention de votre filiale Ademe Développement. Comme décide-t-elle où investir ? Vérifiez-vous que les projets dans lesquels elle investit relèvent bien du champ de compétence de l'Ademe ?

Comment sont réalisées vos études ? Sont-elles toutes réalisées en interne, faites-vous appel à des prestataires extérieurs, avez-vous des conventions de partenariats avec d'autres opérateurs ou agences de l'État ? Comment s'organisent la sous-traitance ou la cotraitance avec le Cerema ? Pourquoi l'entité publique ne demanderait-elle pas directement au Cerema, plutôt que de passer par l'Ademe ?

Quelles méthodes déployez-vous pour mesurer l'efficacité de l'argent public investi ? Avez-vous des équipes d'économistes ? Comment évaluez-vous le retour sur investissement ?

M. Sylvain Waserman. - Concernant Ademe Développement, depuis un an et demi nous n'avons pris aucune participation. Nous avons une stratégie claire pour gérer les actifs : ne plus utiliser ce véhicule, tout en honorant les engagements pris précédemment. Nous gérons l'extinction.

Il faut distinguer cette entité de l'entité Ademe Investissement, car il y a parfois une confusion dans le débat public : Ademe Investissement ne fait qu'opérer les décisions prises par l'État, nous n'avons pas de droit de vote. La logique est la suivante : investir en fonds propres dans des entreprises qui, si elles réussissent en passant à l'échelle, pourraient avoir un impact significatif. Les cinq personnes décisionnaires sont cinq représentants de différentes directions de l'État, nous ne faisons qu'opérer pour son compte. L'Ademe n'a aucun pouvoir de décision.

Concernant la sous-traitance sur les études, l'Ademe produit 600 publications par an, principalement des retours d'expérience. Un cas d'école : via France 2030, nous accompagnons telle ou telle entreprise dont le cas nous semble intéressant ; nous publions alors un retour d'expérience, par transparence et pour capitaliser sur cette connaissance. Telle est la gestion courante de notre base de connaissances fondée sur nos retours d'expérience, qui sont d'ailleurs publics.

Nous publions 70 avis par an. Chaque avis propose un point à 360 degrés de l'état de la connaissance sur un sujet. Nous ne créons pas de connaissance, mais nous consolidons l'état existant du savoir sur un thème donné, par exemple sur la biomasse et son utilisation ou sur le stockage de l'électricité.

Enfin, nous menons des études, parfois très longues, par exemple sur le cycle de vie du véhicule électrique, ou encore sur les pompes à chaleur (PAC). Ainsi, nous avons observé en conditions réelles 100 domiciles disposant de PAC, instrumentés avec des outils de mesure, pendant deux ans pour avoir deux périodes de chauffe, selon une méthodologie extrêmement solide, au-dessus de tout soupçon. Il n'existe pas de référentiel sur les PAC ; il nous semblait important de proposer cette réflexion au débat public et que le ministère puisse savoir ce qu'il en est des performances des PAC. Ces études sont de long terme.

Sur l'analyse du cycle de vie, notre expert est celui qui travaille sur la modélisation du réseau électrique. Nous travaillons avec Réseau de transport d'électricité (RTE), mais RTE n'est pas prestataire. Modéliser le réseau électrique en fonction de l'augmentation du parc de véhicules fait partie du cycle de vie.

Comme en informatique, où il existe une maîtrise d'ouvrage, soit nous faisons les études en propre, soit nous sous-traitons, ce pour deux raisons : disposer d'une expertise de pointe, ou bien accélérer le rythme des études.

C'est le cas pour les plans de transition sectoriels : ces études massives permettent de déterminer comment les filières de l'acier, du ciment ou du papier pourront se décarboner. Nous avons travaillé avec l'ensemble des entreprises et des parties prenantes. Nous avons réalisé les six premières études avec nos ressources internes. Nous avons constaté que décarboner une entreprise n'est pas la même chose que décarboner un secteur. Par exemple, l'implantation géographique sur le captage de CO2 compte dans l'efficacité économique du modèle. Nous avons sous-traité deux de ces études en parallèle pour pouvoir les reproduire sur deux autres segments, en reprenant nos méthodologies.

L'utilisation de la sous-traitance est due à des raisons liées à l'expertise ou plus anecdotiquement à des raisons de charge. Notre mission reste d'assurer la maîtrise d'ouvrage et donc de capitaliser sur la connaissance produite. Bref, nous réalisons une partie de nos études en interne, une autre partie est sous-traitée.

Concernant le Cerema, je veux expliquer ce que j'ai fait, lors de ma prise de fonctions, avec Pascal Berteaud, directeur général du Cerema, avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et avec la Banque des territoires. Lors de mes auditions pour la présidence de l'Ademe, les parlementaires m'ont dit à trois reprises qu'il y avait des zones de recoupement. Nous avons donc écrit, nous, les quatre responsables des quatre entités, la même lettre à tous nos directeurs régionaux, pour qu'ils évaluent ces zones de recoupement et examinent si nous répondons correctement aux demandes d'ingénierie des collectivités.

Nous avons constaté plus de zones de recoupement avec le Cerema qu'avec les autres agences. Nous avons entamé - une première - des comités exécutifs communs avec le Cerema, notamment pour faire avancer la thèse suivante : une seule méthodologie dans la sphère de l'État. Ainsi, nous avons fait le premier pas en abandonnant notre méthodologie sur la nature en ville au profit de celle du Cerema, qui s'appelle Sésame et qui était meilleure que la nôtre ; le Cerema a fait le deuxième pas en reprenant notre méthodologie TACCT ; nous avons lancé une troisième étape sur les friches et une quatrième étape, en cours, sur les mobilités douces. Cela permettra au ministère d'avoir un référentiel partagé de méthodologies dans la sphère de l'État, et ainsi d'éviter les redondances.

Vis-à-vis des collectivités territoriales, qui représentent 30 % de notre activité, nous ne faisons pas le même métier : le Cerema vend des prestations, l'Ademe opère des subventions pour le compte de l'État. Notre base d'expertise est commune, dans des domaines disjoints ou qui présentent des recoupements, et que nous sommes en train d'évaluer grâce à nos comités exécutifs communs.

En matière d'efficacité de l'argent public investi, nous avons des équipes spécialisées dans l'évaluation des politiques publiques. Ainsi, nous pouvons produire les chiffres très solides que je vous ai cités, par exemple sur le fonds Chaleur. Ainsi, chaque dossier que nous gérons est efficace et nous pouvons, dans nos comités de pilotage, suivre l'impact en matière d'efficacité carbone de l'euro investi. Oui, nous disposons de ces compétences, qui sont intimement liées à l'analyse financière et à l'analyse technique.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pourriez-vous, dans vos réponses écrites, nous préciser la part de vos études qui est externalisée ? Vous avez répondu sans nous donner le chiffre.

Concernant la mise en place des politiques publiques, l'idée n'est pas tant de mesurer l'impact de la tonne de CO2 investie que de vérifier que la tonne de CO2 investie via cet outil coûte moins cher que la tonne de CO2 investie via un autre outil. Dès lors, jugez-vous pertinent d'avoir attribué 1,8 milliard d'euros à ArcelorMittal, dans le cadre de Territoires d'industrie ? Aurions-nous pu investir autrement, de manière plus efficace ?

Des dispositifs reposent uniquement sur des subventions, alors que les technologies sont déjà assez matures ; ces dernières pourraient très bien se développer avec des avances remboursables ou des prêts, logique initiale des programmes d'investissements d'avenir (PIA). En effet, certaines technologies seront bien rentables sur le long terme. L'État pourrait, en attendant qu'elles atteignent cette rentabilité, agir comme prêteur, avec des taux très bas, pour faciliter la mise en oeuvre des projets. L'État n'est pas obligé de donner de l'argent à fonds perdu. Qu'en pensez-vous ?

Certains fonds ne pourraient-ils pas être complètement délégués à des collectivités, aux régions notamment, pour éviter les doublons ? Vous avez en effet insisté sur la manière dont vous travaillez avec les acteurs locaux.

M. Pierre Barros, président. - Le Sénat mène actuellement une autre commission d'enquête sur les aides publiques aux entreprises. Mme le rapporteur questionne la pertinence des aides publiques de l'État qui passent par des opérateurs. L'opérateur devrait fournir une analyse qualitative, mesurer le rendement et assurer l'évaluation de l'efficacité de ces aides.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ne manque-t-il pas un signal-prix ? Les filières, grâce à ce signal-prix, pourraient d'elles-mêmes examiner comment diminuer leur empreinte carbone pour ne plus payer d'amende.

Aujourd'hui, une entité publique se retrouve à devoir réaliser des études et fournir un service qui pourrait être payé par le secteur privé s'il existait une véritable incitation. Partagez-vous cette analyse ?

M. Sylvain Waserman. - Nos listes de KPI, ou indicateurs clés de performance, incluent l'impact de l'action sur les projets terminés, les tonnes de carbone évitées, l'efficacité de l'euro dépensé au regard des émissions de CO2, des données sur les déchets détournés du stockage, avec des tendanciels pour toutes les années, pour chaque dossier, le tout en open data.

Concernant le groupe ArcelorMittal, l'aide est de 850 millions d'euros, pour un projet de 1,7 milliard d'euros. La direction générale des entreprises (DGE) a piloté les négociations, et je pense que l'État a raison d'accompagner ArcelorMittal dans sa décarbonation. L'acier est produit au charbon. Des pays comme la Suède ont une stratégie de totale décarbonation de leur acier. Des salariés sont inquiets, car ArcelorMittal a demandé de repousser de huit mois la décision définitive d'acceptation de la subvention de l'État. Les entreprises ne guettent pas les subventions de l'État, ArcelorMittal n'est pas sûr d'accepter.

M. Pierre Barros, président. - Oui, car ils ne sont pas sûrs de rester !

M. Sylvain Waserman. - En effet, c'est la raison pour laquelle l'inquiétude est légitime. Pourquoi ? Parce que se décarboner est un signe de pérennité de l'entreprise. Une entreprise qui veut être pérenne se décarbone.

Monsieur le président, vous insistez sur un point essentiel. Quand l'État intervient auprès d'une entreprise pour qu'elle se décarbone, il pérennise l'emploi. Quand l'entreprise investit de son côté 850 millions d'euros, elle est dans une logique de pérennisation. Vous avez raison : l'État doit être présent pour pérenniser les activités et protéger l'emploi. C'est une finalité très importante de l'action de l'État, au-delà de l'enjeu climatique.

Les avances remboursables constituent une piste très intéressante, nous l'examinons à la demande de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), par exemple sur les réseaux de chaleur et la récupération de la chaleur fatale de l'industrie. Cependant, récupérer la chaleur fatale est difficile : les entreprises s'interrogent sur la pérennité des entreprises qui fourniraient cette énergie. Le ministère y travaille : la création d'un fonds de garantie est à l'étude, solution qui pourrait être plus impactante qu'une simple subvention.

Sur les transferts aux régions, la loi 3DS permet un nouveau modèle de délégation, qui n'est pas de la décentralisation. C'est un travail main dans la main avec les régions volontaires : nous déléguons une partie du fonds Chaleur, pour avoir une granularité plus forte, car il ne nous est pas possible de rencontrer chacune des petites communautés de communes. Nous passons donc parfois des contrats de délégation avec des syndicats d'énergie et des régions. Les régions Grand Est, Nouvelle-Aquitaine, Provence-Alpes-Côte d'Azur et Bretagne ont fait ce choix, la dernière il y a deux semaines. Les régions bénéficient de ces fonds, mais selon des règles décidées par l'État et votées au conseil d'administration. Ces règles s'imposent au moment de la délégation : les règles sont donc transférées, notamment en matière de priorisation des énergies renouvelables - énergie fatale en premier, géothermie, solaire thermique, puis seulement biomasse, cette dernière rencontrant des tensions dans certaines régions. Il faut être très vigilant à cette hiérarchie dans les choix de ces différentes solutions.

Sur le signal-prix du carbone, restons à notre juste place. Nous ne faisons pas le prix du carbone. Notre rôle commence un peu là où la réglementation s'arrête. S'il y avait une obligation de décarbonation, l'État n'aurait pas forcément à l'accompagner financièrement. Chaque entreprise est libre de faire le choix de la récupération de la chaleur fatale. L'Ademe intervient en soutien pour enclencher une forme de bascule et rendre possible ces projets.

Le législateur peut décider ce qu'il veut en matière de signal-prix du carbone, et il existe un marché du carbone qui répond à d'autres dynamiques. L'Ademe intervient auprès de celles et de ceux, élus ou chefs d'entreprise, qui décident de mener un projet de décarbonation ou de piloter un projet d'infrastructures d'énergies renouvelables. Nous n'avons jamais rien imposé à personne. Un chef d'entreprise décide, en fonction de son intérêt stratégique, d'avancer dans la décarbonation. Notre mission est d'être aux côtés des porteurs de projet, grâce à notre expertise et avec les financements de l'État, pour qu'ils réussissent leur projet de transition écologique - pas plus, pas moins. C'est un rôle déterminant : les acteurs ont besoin d'une expertise solide et des financements de l'État pour optimiser les chances de succès de leur projet.

Mme Pauline Martin. - Je vais revenir sur l'une des questions qui vous a été posée et que vous semblez avoir habilement détournée.

J'ai bien compris que vous souhaitiez optimiser les méthodologies entre les différents opérateurs, et cela est tout à votre honneur. Toutefois, pour poser la question de manière parfaitement directe : quel serait le bien-fondé d'un regroupement entre l'Ademe, le Cerema et l'ANCT ? Certes, le Cerema fait des prestations tandis que l'Ademe opère. Mais un modèle différent reste envisageable, à en croire ce qui nous a été suggéré dans le cadre d'autres auditions. Qu'en pensez-vous ?

De plus, en tant qu'ancienne élue locale, j'aimerais savoir comment vous vous positionnez auprès des collectivités, en particulier sur les projets territoriaux à propos desquels l'Ademe et la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) peuvent « se refiler la patate chaude avec délice », si je puis le dire ainsi, de sorte que les territoires y perdent en lisibilité. Est-ce qu'un guichet unique, ou en tout cas un regroupement conséquent des opérateurs, ne pourrait pas simplifier les démarches ?

M. Hervé Reynaud. - Les questions qui se posent sont légitimes dès lors qu'il s'agit d'améliorer l'efficacité de l'action publique et d'optimiser les moyens des agences. Vous avez d'ailleurs répondu assez fermement, ces derniers mois, à un certain nombre d'accusations mettant en cause l'Ademe.

Toutefois, au cours des auditions, nous avons constaté qu'il existait encore des chevauchements et que l'optimisation des moyens n'était pas parfaite, les responsables d'autres opérateurs proposant encore des regroupements, des fusions et des possibilités d'amélioration de fonctionnement.

Vous avez-vous-même été élu local et vous connaissez l'obligation d'économie de moyens qui s'impose à nous. Comment expliquez-vous les propos très durs qui ont été tenus à l'encontre de l'Ademe ? Au-delà des pistes que vous avez suggérées, que proposez-vous pour parvenir à une rationalisation des moyens ?

M. Sylvain Waserman. - La décision de créer un guichet unique est à la main des régions et certaines l'ont fait. Dès lors qu'il y a un guichet unique, il n'y a plus aucun risque de double instruction. L'État et la région peuvent avancer en parfaite harmonie, la main dans la main, car ils trouvent là une marque commune. La région Grand Est a été la première à créer un guichet unique, suivie par celle du Centre-Val-de-Loire. Encore une fois, le dispositif est entièrement à la main des régions. Elles peuvent choisir aussi bien de ne pas parler à l'État que de créer un guichet unique avec lui, au travers de l'Ademe, pour l'instruction des dossiers sur la transition écologique. C'est leur choix. En tout cas, la loi rend cela possible, et nous travaillons main dans la main avec de nombreuses régions, car ce sont des acteurs déterminants.

En tant qu'élu régional - je le suis encore -, j'ai piloté le premier schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII) qui a été mis en place dans le Grand Est, et je crois que la force du modèle de coopération entre l'État et les régions sur la transition écologique est la formule gagnante.

En effet, si l'on prend l'exemple d'une entreprise qui veut se développer de façon significative dans un territoire, pour instruire son dossier, il faudra d'abord en faire une lecture technique, presque mathématique, en adoptant un point de vue d'ingénieur : la technologie que propose l'entreprise est-elle efficace ? Est-ce qu'elle vaut l'argent public que l'on peut y investir ? Mais ensuite, il faudra prendre en compte les politiques publiques de la région où se trouve l'entreprise, car il peut exister des stratégies de développement particulières, comme celles mises en oeuvre dans la vallée de la chimie ou dans la vallée de l'automobile, par exemple. Or l'Ademe ne connaît pas forcément la vision que les élus régionaux défendent et, à l'inverse, la région n'est pas experte de certains procédés techniques comme la pyrogazéification ou la géothermie profonde, pour reprendre les exemples précédents.

J'ai rencontré tous les préfets de région et quasiment tous les élus de région, à divers niveaux. Au quotidien, le travail avec les collectivités territoriales se passe très bien. Les situations peuvent être plus ou moins compliquées, mais tout se fait sous l'égide du préfet. Ainsi, à Rennes, il y a deux semaines, nous avons signé avec le préfet de région et le président de région un accord prévoyant les modalités d'une délégation de fonds. Le choix de ce modèle est à la main des régions, sous l'égide du préfet, et nous sommes à leur disposition.

Je ne vais pas du tout éluder la question qui porte sur la possibilité de fusionner les organismes. Je commencerai par rappeler que tous les modèles sont possibles et que c'est vous qui en décidez. En effet, la création de l'Ademe ou du Cerema, ainsi que les missions qui nous sont confiées, relèvent de la loi et donc de votre décision.

En réalité, en matière de fusion, tout dépend des objectifs que l'on se fixe. La contrainte budgétaire a pour conséquence qu'il est irresponsable de gaspiller l'argent public en faisant les mêmes choses, de façon redondante, à deux endroits différents. Je pense que, compte tenu des propositions qui sont faites et des avancées que nous pouvons constater, il est possible de garantir le recours à une seule méthodologie par thématique dans la sphère de l'État, de manière à ce qu'il n'y ait pas deux études similaires menées par l'Ademe, le Cerema ou le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). En effet, la ministre est en train de piloter une revue des missions exigeante, qui ne s'en tient pas à examiner les missions du point de vue de la loi, mais qui en étudie la mise en oeuvre au travers des travaux et des publications qui sont produites.

En outre, la logique que j'ai décrite s'applique aussi à d'autres opérateurs. Par exemple, nous disposions d'une méthodologie et d'un outil pour calculer l'empreinte carbone. Nous avons travaillé avec les agences de l'eau, qui oeuvrent comme nous pour les entreprises et les collectivités territoriales, en exerçant le même métier que nous, puisqu'elles leur apportent des financements, mais sur le thème connexe de l'eau. Nous avons donc étendu l'empreinte carbone à l'empreinte eau et carbone, en travaillant main dans la main avec les agences de l'eau, pour avoir la vision la plus complète possible. Or nous n'avons pour cela créé aucune redondance sur l'expertise, puisque les agences de l'eau ont gardé l'expertise de l'eau tandis que l'Ademe a conservé l'expertise de l'outil carbone étendu à l'eau.

Il en va de même pour la biodiversité. L'OFB s'est montré intéressé par notre méthodologie ACT qui traite le carbone et a suggéré de développer un module sur la biodiversité. Or nous n'avons pas pour autant créé de compétence sur la biodiversité à l'Ademe. L'OFB apporte ses compétences en la matière et nous apportons nos compétences de méthodologie aux entreprises que nous côtoyons au quotidien.

Pour en revenir spécifiquement à la thématique de la fusion, il faut tenir compte du fait qu'une fusion prend du temps et est forcément inflationniste. En effet, il existe toujours des différences entre les grilles de salaires et, pour les fusionner, la construction se fait vers le haut. Il a fallu cinq ans ou sept ans pour réussir le Cerema.

Nous devons économiser 105 millions de tonnes de carbone en cinq ans, si nous voulons atteindre les objectifs fixés pour 2030. L'Ademe dispose d'une machine opérationnelle de 3,4 milliards d'euros pour atteindre cet objectif, en tout cas pour y contribuer à sa juste place. La pression opérationnelle est lourde, car il faut des équipes qui fonctionnent pour permettre un gain de productivité de 155 %. Par conséquent, je ne veux pas que l'on perde trois ans et que l'on fasse dysfonctionner une machine qui marche bien.

Ma conviction est que, même si tous les modèles sont possibles, nous n'avons pas aujourd'hui le luxe de nous payer une fusion, d'autant que nous disposons de solutions opérantes pour optimiser l'existant.

Quelles peuvent être les redondances de moyens ? Si les méthodologies sont harmonisées et qu'elles sont bien attribuées, il n'y aura pas d'études redondantes. La semaine dernière, nous nous sommes rendus à Lyon pour travailler avec le Cerema sur la planification de nos travaux. Nous les avons tous passés en revue pour identifier d'éventuelles zones de recoupement. Par exemple, le Cerema prévoit de mener un important travail sur la façon dont les mobilités peuvent s'intégrer au cadre urbain, car cela relève de sa compétence. L'Ademe s'intéressera, quant à elle, aux sujets d'innovation portant sur les véhicules. Nous sommes en train de définir exactement ces limites.

Maintenant qu'il dispose de la liste exhaustive des études qui sont lancées, le ministère est capable d'effectuer ce type d'arbitrage et d'optimisation.

En ce qui me concerne, je crois aux modèles d'agilité et d'efficacité, à condition qu'il existe des moyens d'exercer un contrôle, à la fois au niveau de l'arbitrage territorial rendu par les préfets et dans le pilotage du ministère, puisque celui-ci peut désormais le faire grâce à la revue des missions. Il existe des solutions simples, rapides et opérantes pour éviter la fusion, car il s'agit d'un processus qui nécessitera de changer la loi et qui prendra trois ou quatre ans, alors que le délai pour atteindre l'objectif que nous nous sommes fixé est urgent.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez parlé de la fusion, mais qu'en est-il de la réinternalisation, qui consisterait à replacer au sein du ministère les agents qui relèvent du droit public ? Considérez-vous qu'il soit impossible de l'envisager ? On éviterait ainsi d'avoir à aligner les grilles de salaires par le haut.

M. Sylvain Waserman. - Nos effectifs ne comptent que 3 % de fonctionnaires en détachement. Tous les autres agents relèvent d'un contrat de droit privé. La question n'est donc pas opérante pour l'Ademe.

Je considère d'ailleurs que ce taux est trop faible et qu'il faudrait plus de mixité dans les parcours. C'est une chance d'avoir des fonctionnaires en détachement et c'est aussi une chance d'avoir des gens qui ont travaillé en entreprise.

Notre modèle de fonctionnement en tant qu'opérateur nous apporte des possibilités de flexibilité que n'a pas l'État. C'est le cas, par exemple, quand nous cherchons à obtenir des fonds européens. Ainsi, notre méthodologie ACT n'a pas été commandée par le ministère, mais elle a abouti dans le cadre de notre réponse à l'appel à projet européen Finance ClimAct et elle est désormais reconnue par la Banque de France.

Dans la logique de l'opérateur, l'agilité est un élément essentiel. Ainsi, le 31 juillet de l'année passée, nous avons signé avec le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire une convention visant à confier à l'Ademe la gestion du renouvellement forestier. L'équipe a été constituée en deux mois, entre septembre et octobre, c'est-à-dire que nous avons recruté 23 personnes, ce qui n'aurait pas été possible sans faire preuve d'agilité. En outre, comme notre plafond d'emploi ne pouvait pas évoluer compte tenu de la rapidité de la commande - il fallait planter les arbres avant l'automne -, nous avons dû faire appel à des intérimaires pour un recrutement sur des postes d'ingénieur. Nous avons eu la chance - j'insiste sur ce mot - de trouver des jeunes ingénieurs qui ont accepté de quitter les entreprises privées où ils étaient employés en contrat à durée indéterminée, pour exercer un emploi temporaire et moins bien payé à l'Ademe, parce que c'est chez nous qu'ils trouvaient du sens à leur travail. Je leur suis très reconnaissant et, bien évidemment, quand l'État a augmenté notre plafond de ressources de 99 ETP au 1er janvier 2024, nous avons internalisé certains de ces jeunes au profil d'ingénieur. Cette souplesse est l'une des forces des opérateurs.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous nous dites que l'Ademe a embauché 23 personnes sur une compétence forêt pour laquelle il existe déjà un opérateur national - l'Office national des forêts (ONF) -, ainsi que le Centre national de la propriété forestière (CNPF) pour les forêts privées ! Pourquoi donc fallait-il que l'Ademe intervienne dans ce secteur avec ses propres agents ?

M. Sylvain Waserman. - Il s'agit d'agents intérimaires et nous sommes intervenus parce que l'État nous le demandait.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Il y a donc un problème au niveau de la tutelle de l'État et de son organisation ?

M. Sylvain Waserman. - Rassurez-vous, ce budget n'a pas été pérennisé dans les arbitrages budgétaires et l'Ademe n'est plus chargée de sa mission de renouvellement forestier. Le problème est donc résolu.

Un serrage de ceinture évident nous contraint dans les arbitrages que nous devons rendre, de sorte que nous sommes conduits à recentrer notre activité sur notre coeur de métier. Par exemple, nous avons dû arrêter un fonds spécifique qui existait pour favoriser le tourisme durable.

En revanche, nous opérons les budgets que l'État nous demande d'opérer. Sur les poids lourds électriques, le ministère nous a demandé de conduire un appel à projets, car cela relève de notre compétence. En effet, nous savons mobiliser et construire des équipes en un temps record, de manière à ce que l'État puisse réagir sur ce genre de sujet, en quelques mois, en faisant preuve d'une vitesse et d'une agilité très fortes. Notre compétence, dans ce cadre, n'est donc pas seulement d'ingénierie, mais consiste aussi à savoir gérer un appel à projet pour le compte de l'État. C'est pour cela que l'État a fait appel à nous et nous avons répondu à cet appel avec le plus de professionnalisme et d'implication possible.

Croyez-moi, sur le sujet du renouvellement forestier, comme sur tous les autres sujets que l'État nous confie, notamment les poids lourds électriques, nous sommes soumis à une pression opérationnelle très forte et il n'y a rien de confortable. Au contraire, nous devons répondre à une exigence de résultat, parce que la politique publique nécessite que nous nous montrions extrêmement agiles, qu'il s'agisse de faire décoller l'utilisation des poids lourds électriques ou de renouveler avant l'automne les arbres de nos forêts.

Mme Ghislaine Senée. - La question de la pertinence des investissements est fondamentale, à un moment où les élus sont nombreux à juger qu'il n'est pas forcément très intéressant ni très important d'investir dans l'écologie et que, s'il faut sabrer dans le budget des agences, mieux vaut viser celles qui sont chargées de l'écologie, parce que l'écologie, « ça commence à bien faire ! ». Je crois que c'est là le coeur du sujet.

Vous nous avez expliqué que la moitié des 3,4 milliards d'euros de votre budget est constituée de fonds que vous gérez pour le compte de l'État, de sorte que vous êtes l'interlocuteur des entreprises et des collectivités dans le cadre de dispositifs qui relèvent en réalité de l'État. Vous gérez également 1,3 milliard d'euros de budget incitatif, consacrés à des dispositifs comme le fonds Chaleur ou le fonds Économie circulaire. Vos actions concernent les entreprises à 70 %.

La question que nous nous posons est de savoir s'il ne faudrait pas fusionner l'Ademe, le Cerema et l'ANCT ou, en tout cas, reprendre leur action au niveau des ministères. Toutefois, il me semble important de distinguer, d'une part, un État et des ministères stratèges et, d'autre part, des modules très opérationnels qui mettent en place les politiques publiques.

Vous travaillez à identifier les zones de chevauchement de l'action des agences et vous avez mené un travail approfondi avec le Cerema sur ce sujet. Nous aurions besoin, dans le cadre de cette commission d'enquête, de savoir très précisément quels sont les champs de recouvrement qui existent, quelles sont les cibles sur lesquelles ils portent, c'est-à-dire quelles entreprises, ou quelles collectivités ils concernent, et quels sont les moyens de gagner en efficacité, d'optimiser l'organisation et de mieux répartir les tâches. Je suis très sensible à la question de la méthodologie et mieux vaut, en effet, simplifier les dispositifs plutôt que les multiplier.

Je suis convaincue que le Cerema donne de l'espoir à tous ceux que le réchauffement climatique inquiète. Il y a cinq ans, on considérait que si le réchauffement atteignait quatre degrés Celsius, l'effondrement ne serait pas très loin. Désormais, certains médias laissent entendre que ce ne serait pas grave, alors que ce n'est pas vrai. En effet, des climatologues anglais ont démontré dans une récente étude que les modèles de gestion des risques se trompaient et que d'ici à 2070, c'est-à-dire dans quarante-cinq ans, il risquait d'y avoir un effondrement qui affecterait jusqu'à 4 milliards de personnes. Plutôt que de nous interroger sur le fait de savoir s'il est judicieux d'investir dans la décarbonation des entreprises ou s'il y a trop de fonctionnaires qui travaillent sur le sujet, mieux vaudrait réfléchir aux moyens d'atteindre les objectifs qui ont été fixés pour faire en sorte que nous n'arrivions jamais à un réchauffement des températures de quatre degrés Celsius.

M. Christian Bilhac. - Pour évoquer un problème plus particulier, ne croyez-vous pas que l'on manque de contrôle sur les primes distribuées ?

Je suis de l'Hérault, région viticole où l'on utilise des interceps, ces outils qui évitent le désherbage dans les vignes. Ceux qui les achètent bénéficient d'une aide, mais depuis la mise en place de ce financement, les prix ont augmenté de 35 %.

Autre exemple, il y a quinze ans, j'ai décidé de faire installer des panneaux solaires sur le toit de ma maison. L'installateur m'a annoncé un prix de l'ordre de 15 000 euros. J'ai pris le temps de réfléchir et quand je l'ai rappelé pour lancer le projet, il m'a dit que l'État avait supprimé l'aide de 4 000 euros. Je me suis donc inquiété d'une augmentation du prix en conséquence, mais il m'a rassuré en me disant qu'il me ferait une remise de 4 000 euros. Je ne sais pas comment vous analysez cela, mais j'ai eu l'impression que l'on prenait l'État pour une vache à lait et que l'on faisait payer au client un bénéfice exorbitant qui disparaissait automatiquement avec la suppression de l'aide.

C'est pourquoi je vous pose cette question : n'entre-t-il pas dans votre rôle d'exercer un certain contrôle sur les dérives de prix que l'on constate dès lors que vous mettez en place, à juste titre, des aides pour encourager la transition écologique dans tous les domaines ? Sans contrôle, ces aides finissent par entraîner un dérapage des prix assez inquiétant.

M. Cédric Vial. - Vous avez dit que l'Ademe employait 3 % d'agents détachés de la fonction publique, les autres étant des agents sous contrat de droit privé. Pour ce qui est des agents détachés, pourriez-vous nous dire en moyenne de combien leur rémunération est supérieure ou inférieure à ce que prévoit la grille de la fonction publique à laquelle ils étaient rattachés avant d'être recrutés par votre agence ?

M. Sylvain Waserman. - Madame la sénatrice Senée, je souscris à ce que vous avez dit sur l'urgence de la situation, car c'est un fait scientifique, et pas une opinion. Nous sommes dans un sprint. L'argent public est rare et précieux, et nous devons l'optimiser, d'où la nécessité de faire 155 % de gains de productivité et celle de surveiller l'efficacité carbone de chaque euro investi, comme le fait le ministère. Nous rendons compte de toutes ces évolutions à la DGEC, dont les représentants assistent à tous nos conseils d'administration et avec laquelle nous dialoguons en permanence. Certes, des améliorations sont possibles, mais encore une fois nous sommes dans un sprint.

Tous les systèmes sont en amélioration continue, conformément aux axes qui ont été définis. Nous vous communiquerons les résultats des travaux que nous avons menés avec le Cerema, car nos équipes sont en train de les affiner et de clarifier les frontières entre les agences quand elles doivent l'être.

Quoi qu'il en soit, je partage votre sentiment : le temps est précieux tout autant que l'argent de l'État. Les Anglo-Saxons ont coutume de dire qu'il ne faut pas réparer ce qui n'est pas cassé. Or nous faisons des gains de productivité sur les 3,4 milliards d'euros que nous gérons et nous rendons des comptes dans une transparence totale et absolue, puisque tout est en open data. Certes, nous pouvons encore nous améliorer, comme tout le monde, mais ne cassez pas ce qui fonctionne !

Monsieur le sénateur Bilhac, j'avoue que ma compétence est trop limitée pour pouvoir répondre à votre question, car l'Ademe ne s'occupe ni des interceps ni des panneaux photovoltaïques pour les particuliers. Je ne peux donc pas me prononcer sur ces sujets précis.

En revanche, le ministre de l'économie et le ministre de l'industrie disent souvent que les subventions de l'État portent sur des activités qui sont très peu rentables pour les entreprises. Certaines entreprises hésitent à se décarboner parce que le contexte économique est difficile et nous tentons de les convaincre de le faire dans le cadre des projets que nous menons. La situation est donc différente des exemples que vous avez donnés.

Monsieur le sénateur Vial, quand un fonctionnaire demande à ce que nous le recrutions, tout le processus est validé par le contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM) auquel nous soumettons une proposition de salaire. La prime de détachement n'existe plus, de sorte que les salaires de l'Ademe sont en moyenne inférieurs à ceux de nos homologues. C'est du moins ce qui résulte de l'étude menée par l'IGF. Par conséquent, les gens ne viennent pas chez nous pour l'argent.

Mme Patricia Blanc, directrice générale déléguée de l'Ademe. - Il n'y a plus de prime de détachement. Quand un fonctionnaire en détachement vient travailler chez nous, le salaire qui lui est proposé est celui qu'il aurait s'il restait en position normale d'activité dans son administration. Ce salaire est vérifié par le contrôleur budgétaire et comptable ministériel sur chaque contrat de détachement.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le salaire de base est défini en fonction de la grille et de l'échelon, mais s'y ajoutent les indemnités de service et autres, n'est-ce pas ?

Mme Patricia Blanc. - Quand un fonctionnaire est en détachement, ce qui est mon cas personnel, l'ensemble des composantes de sa rémunération, qui inclut en effet une série d'indemnités liées à chaque corps de fonctionnaires, est exactement le même que s'il exerçait dans sa position normale d'activité au sein d'un ministère ou dans une Dreal. Il n'y a pas de prime supplémentaire ou de gain supplémentaire lorsque l'on vient en détachement à l'Ademe.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La ventilation de la prime n'est-elle pas plus large dans les agences plutôt que dans les ministères en administration centrale ?

Mme Patricia Blanc. - Parmi les composants de la prime, il y a une part variable que l'État tend à développer, même si tous les fonctionnaires en détachement n'en bénéficient pas. Pour prendre l'exemple de ma situation personnelle, je bénéficie de cette part variable parce que je suis membre de la direction générale de l'Ademe. En effet, sous le contrôle de notre président-directeur général, les trois personnes qui forment la direction générale de l'Ademe bénéficient de parts variables qui sont indexées sur les objectifs de résultat de l'établissement.

J'étais précédemment directrice d'administration centrale. Je peux donc témoigner que les directeurs d'administration centrale ont des parts variables de même amplitude que celles que je constate dans mon poste actuel.

En revanche, les fonctionnaires en détachement qui ne sont pas membres de la direction générale de l'Ademe n'ont pas ces parts variables.

Indexer les parts variables sur les objectifs de résultat de l'établissement est une pratique classique dans la rémunération des dirigeants d'établissement public.

M. Cédric Vial. - Nous sommes dans une commission d'enquête et votre réponse est importante. Si j'ai bien compris, hormis à la direction générale, les agents qui sont en position de détachement touchent à l'Ademe la même somme qu'ils toucheraient s'ils étaient dans leur corps d'origine et sur la grille de la fonction publique à laquelle ils étaient rattachés précédemment. C'est bien ce que vous êtes en train de nous dire ?

Mme Patricia Blanc. - C'est le même ordre de grandeur. Ensuite, cela dépend des positions d'activité. Il n'y a pas de réponse immédiatement simple. En cabinet ministériel, il y a des primes associées aux servitudes et au cabinet ministériel. Il y a donc des primes qui sont spécifiques à la fonction ou à l'activité. Mais ce sont les mêmes grilles qui s'appliquent.

M. Cédric Vial. - Il n'y a pas de détachement en cabinet ministériel et les agents y sont affectés, ce qui est une situation un peu différente, dans la mesure où il y a des indemnités de sujétion. Ma question porte sur les agents en détachement, pas sur ceux qui sont mis à disposition. Ils ne bénéficient pas d'indemnités de sujétion, mais vous devez passer une convention de détachement avec le ministère qui vous affecte l'agent. Est-ce donc vous qui déterminez la rémunération, sans être liés par la grille de la fonction publique initiale ? Tel était le sens de ma question. Autrement dit, est-ce que vous me confirmez que vous recrutez les agents sur la même base que la grille de la fonction publique de l'administration à laquelle ils étaient rattachés ? Ou bien leur attribuez-vous un salaire supérieur à cette grille, comme vous êtes en droit de le faire ?

Mme Patricia Blanc. - Je vous confirme que pour la partie fixe comme pour les primes, nous demandons très concrètement une fiche financière au ministère d'origine. Ce ministère nous indique la rémunération qu'il verserait à l'agent si celui-ci restait en position normale d'activité et nous appliquons cette rémunération avec une nuance : à l'issue de la période de détachement, qui est en général de trois ans, si l'agent devait bénéficier d'un changement d'échelon prévisionnel dans son corps d'origine, nous anticipons en le prévoyant pour que l'agent ne soit pas pénalisé, puisqu'il n'aura pas son changement d'échelon en détachement. Mais il s'agit bien de la même rémunération et nous la fixons sur la base d'une fiche financière qui nous est fournie et qui est validée par le ministère d'origine.

Je précise que nous n'employons pas que des fonctionnaires en détachement, mais aussi des fonctionnaires mis à disposition sur un métier très spécifique qui est celui de la gestion des sols pollués. Il s'agit d'un métier historique de l'Ademe pour lequel des agents sont mis à disposition, notamment par les Dreal. Il y a donc deux catégories de fonctionnaires qui exercent chez nous.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Un fonctionnaire en détachement qui bénéficierait d'un changement d'échelon dans son corps d'origine ne verrait pas ce changement s'appliquer pendant sa période de détachement ? Et s'il est nommé en chef pendant sa période de détachement, vous le laissez sur la grille de l'ingénieur ? Cela ne se passait pas comme cela auparavant.

M. Baptiste Perrissin-Fabert, directeur général délégué de l'Ademe. - Cela correspond à mon cas personnel et je confirme donc que c'est ainsi que cela se passe. Avant que je rejoigne la direction générale déléguée où je bénéficie d'une prime variable, j'étais directeur exécutif de l'expertise et des programmes et je ne bénéficiais pas de cette part variable. J'ai même accepté une baisse de mon salaire par rapport à mon poste précédent en cabinet ministériel.

M. Sylvain Waserman. - Je vous apporterai des éléments factuels sur ce sujet. En effet, les gens qui viennent chez nous acceptent très souvent de diminuer leur salaire et l'IGF, à l'issue de son inspection, a constaté que nous étions en moyenne moins payés qu'ailleurs. Je ne voudrais donc pas laisser penser que les opérateurs seraient une espèce de manne financière pour les gens qui viennent travailler chez eux. Les gens qui choisissent de travailler à l'Ademe le font par vocation et par engagement. Je me fais donc un point d'honneur de vous transmettre en toute transparence, mais conformément aux règles d'anonymisation, des éléments de réponse très précis et ultra factuels, afin de ne pas en rester à une impression.

M. Pierre Barros, président. - Nous vous remercions pour ces propos éclairants.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 15 h 36.

Audition de M. Olivier Thibault, directeur général de l'Office français de la biodiversité (OFB)

M. Pierre Barros, président. - Monsieur le directeur général, madame le rapporteur, mes chers collègues, nous recevons M. Olivier Thibault, directeur général de l'Office français de la biodiversité (OFB).

Cette audition fait suite à celle de l'Ademe et précède l'audition des six agences de l'eau. Nous recevrons jeudi FranceAgriMer, l'Agence de services et de paiement (ASP) et les syndicats agricoles, ce qui nous donnera un aperçu des agences agissant dans le secteur environnemental et agricole.

L'OFB est une agence jeune, puisqu'elle a été créée le 1er janvier 2020 par la réunion de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et de l'Agence française pour la biodiversité. Cette dernière résultait elle-même de la fusion de quatre établissements en 2017. C'est le premier sujet sur lequel je vous interrogerai : comment, concrètement, se sont passées ces fusions successives, qui plus est dans le contexte de la crise sanitaire, et estimez-vous que l'OFB dispose au bout de cinq ans d'une organisation unifiée permettant de réaliser de véritables synergies entre ces activités et les personnes qui les réalisent ?

Cette question est d'autant plus importante que le code de l'environnement confie à l'OFB des missions très variées : police de l'environnement, police sanitaire, gestion de parcs naturels marins, connaissance générale sur les espèces et les milieux. Vous êtes donc à la fois des experts et des contrôleurs, dotés de moyens de police qui ont fait l'objet de mises en cause récentes : tout le monde a en tête les déclarations du Premier ministre dans sa politique générale, à la mi-janvier, sur le port d'armes par les agents de l'OFB, alors même qu'une circulaire avait prévu un mois plus tôt que ce port devrait être moins visible. Vous pourrez bien sûr revenir sur ce point, mais notre commission d'enquête ne cherche pas à mettre en cause tel ou tel opérateur, et encore moins ses agents. Nous cherchons surtout à comprendre comment l'État doit organiser ses missions, en passant -- ou en ne passant pas -- par une agence dotée d'autonomie, de la manière qui soit la plus efficace et la plus compréhensible pour les usagers, les citoyens, les entreprises et les collectivités territoriales.

À cet égard, la manière dont l'OFB s'inscrit dans le paysage des opérateurs de l'État dans les territoires nous intéresse tout particulièrement : la biodiversité fait aussi partie des objectifs des agences de l'eau. Nous les recevrons tout à l'heure : quelles sont vos relations et en quoi est-il justifié d'avoir des structures distinctes alors que vous avez tant de relations avec ces agences, y compris sur le plan financier puisque les agences de l'eau, opérateurs de l'État, financent partiellement un autre opérateur de l'État qui est l'OFB ?

Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

M. Thibault prête serment.

M. Olivier Thibault, directeur général de l'Office français de la biodiversité. - Je vous remercie pour cette invitation et vais répondre à vos questions en présentant l'Office français de la biodiversité.

L'OFB est un établissement à la fois jeune, avec cinq ans d'existence, et héritier d'une longue histoire remontant à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Nous avons acquis une véritable expertise en matière de fusion, ayant vécu une dizaine d'années de regroupements successifs. Ces fusions ont concerné le Conseil supérieur de la pêche, devenu l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, l'Agence des aires marines protégées, Parcs nationaux de France, le GIP ATEN, spécialisé dans la formation, et en 2020, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage. Aujourd'hui, l'OFB est un établissement intégré dans le domaine de la biodiversité, articulé autour de trois grands axes : la connaissance, l'accompagnement et la protection.

La fusion représente un véritable défi, nécessitant du temps pour l'adaptation, l'acculturation et la reconstruction des systèmes d'information, des outils informatiques et de paie. Avec 3 000 agents répartis sur l'ensemble du territoire, ce processus a été complexe, aboutissant à notre raison d'être : protéger le vivant pour préserver l'avenir. Cette fusion a été réalisée dans un contexte difficile, avec une période de préfiguration d'une durée très courte de moins d'un an et le début de la crise sanitaire peu après sa mise en place. Malgré ces obstacles, la fusion a porté ses fruits, comme l'atteste le premier rapport de la Cour des comptes sur les quatre premières années de fonctionnement de l'établissement. Ce rapport souligne que l'OFB exerce ses missions et a répondu aux objectifs en termes d'utilisation de l'argent public et de construction de l'établissement. Il a également mis en lumière la faiblesse des financements et des effectifs au regard de l'ampleur des missions confiées, notamment en comparaison avec des établissements similaires en Suède, en Espagne et en Allemagne. Il est important de noter que, si l'OFB et ses composantes ont perdu environ 100 postes depuis 2010, le champ de ses missions s'est considérablement élargi par rapport aux anciennes missions de garde-chasse et de garde-pêche.

Nous avons reçu plusieurs rapports positifs, notamment celui de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, avec le rapport du sénateur Bacci. Ce dernier, complémentaire à celui de la Cour des comptes, s'est concentré sur le fonctionnement de l'établissement et a reconnu le rôle positif de l'OFB dans la protection des milieux et des espèces. Cependant, il a également mis en évidence des points d'amélioration, notamment concernant notre positionnement vis-à-vis de l'extérieur. Nous devons encore travailler sur l'équilibre entre la police et l'accompagnement, entre le répressif et la pédagogie, ainsi que sur l'acceptabilité de nos actions. Il est crucial de faire la distinction entre ce qui relève de la norme et ce qui concerne son application. Ces derniers mois, nous avons constaté que les critiques portaient souvent plus sur la norme elle-même que sur son application par nos agents. Les questions de posture ou d'armement ne sont que des symptômes de sujets plus profonds. Ce sont des sujets politiques importants qui soulèvent des questions sur les normes que nous voulons dans notre pays et sur notre adaptation aux changements climatiques.

Nous avons reçu une dizaine de missions d'inspection du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), de l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD), de l'Inspection générale de la justice (IGJ), de l'Inspection générale de finances (IGF), qui mettent en évidence un fort besoin d'accompagnement et de financements pour de nombreuses missions. Nous sommes face à de véritables enjeux stratégiques que nous devons relever dès maintenant, sous peine de les voir s'aggraver.

Notre établissement possède des atouts majeurs liés à sa raison d'être : protéger le vivant et préserver notre avenir. Premièrement, le continuum entre nos trois grandes missions : connaître, accompagner et protéger. Cette approche globale et intégrée de la préservation de la biodiversité est notre force. L'OFB est chargé d'instrumenter le vivant, de collecter des données et de les mettre à disposition du public. Nous gérons les systèmes d'information sur l'eau, la biodiversité et les milieux marins, ce qui permet d'évaluer objectivement l'évolution de ces milieux. Il est crucial de comprendre précisément ce qui se passe pour apporter des réponses appropriées.

Nous avons développé des outils pour accompagner les différents acteurs dans leur transition écologique. Pour les collectivités, nous proposons des atlas de la biodiversité communale. Pour les jeunes, nous avons mis en place plus de 500 aires éducatives. Pour les entreprises, nous offrons des systèmes de diagnostic et d'action en collaboration avec d'autres opérateurs comme l'Ademe.

Nous gérons nous-mêmes des espaces protégés, dont huit parcs naturels marins, ainsi que des réserves qui servent de laboratoires pour tester différentes approches de protection de la biodiversité.

Notre mission de police de l'environnement, bien que la plus connue, ne représente qu'une partie de notre action. Nous ne créons pas les normes, nous les appliquons, garantissant ainsi l'état de droit et l'égalité des citoyens devant la loi. Cette police est ancrée dans les territoires, sous l'autorité du préfet pour la partie administrative et du procureur pour la partie judiciaire.

Il est important de comprendre que, lorsque nous parlons de biodiversité, nous ne parlons pas seulement de « petites bêtes et de petites fleurs », mais de l'eau que nous buvons, de l'air que nous respirons, de la nourriture que nous mangeons et de l'écosystème dans lequel nous vivons tous. Détruire la biodiversité, c'est mettre en péril notre propre existence.

La structure de l'OFB lui permet d'agir à l'échelle nationale, régionale et départementale, avec deux tiers de nos agents présents sur le terrain dans 189 représentations. Nous disposons d'une expertise pluridisciplinaire, avec des inspecteurs environnementaux, des ingénieurs, des experts, des vétérinaires, des techniciens, des scientifiques, des chercheurs, ce qui nous permet de répondre efficacement aux problèmes spécifiques de chaque territoire.

Enfin, notre gouvernance est solide. Nous sommes un établissement public administratif sous double tutelle des ministères chargés de l'environnement et de l'agriculture. Nous fonctionnons avec un contrat d'objectifs pluriannuel, une lettre de mission annuelle pour le directeur général, et un conseil d'administration qui intègre l'ensemble des parties prenantes. Notre conseil d'administration comprend deux représentants du Sénat, des élus départementaux et régionaux, ainsi que des pêcheurs, des chasseurs, des associations de protection de l'environnement et des établissements publics. Cette composition garantit une transparence totale sur nos attributions financières.

L'Office français de la biodiversité, qui a aujourd'hui cinq ans, a considérablement renforcé son autorité en matière environnementale, notamment grâce à la collaboration avec les agriculteurs. Notre expertise est de plus en plus reconnue et notre ancrage territorial est une réalité. Actuellement, nous devons travailler sur notre intégration dans les territoires avec les différents acteurs, en partie à cause des conséquences de la crise sanitaire qui nous a contraints à nous recentrer sur nous-mêmes. Nous cherchons maintenant à nous tourner vers les élus et nos différents interlocuteurs pour établir des partenariats, définir des objectifs communs pour les territoires et trouver un équilibre entre accompagnement et police. Il est important de souligner que nous ne sommes pas des militants, mais des professionnels. Deux tiers de nos agents sont présents sur le terrain, dans les territoires, au plus près des acteurs locaux. Nous appliquons la loi et la réglementation telles que définies par le Parlement et le Gouvernement.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Votre établissement a connu des fusions successives. J'aimerais avoir des précisions sur les 100 postes qui ont disparu depuis 2010. S'agit-il de postes dans les fonctions support ou d'intervention ? Quelle proportion des emplois représentent ces 100 postes ? Concernant les fonctions support, pouvez-vous nous indiquer leur nombre avant 2016, et aujourd'hui en 2025 ? Ces fusions se sont-elles opérées à masse salariale constante ou y a-t-il eu un alignement par le haut des rémunérations ?

Vous avez mentionné 189 implantations. Un rapport de l'IGF et du CGEDD faisait état en 2018 de structures avec des effectifs inférieurs à 9 équivalents temps plein (ETP). Cette situation a-t-elle été corrigée ? Avez-vous atteint l'effectif cible dans chacune de ces implantations, notamment pour assurer efficacement le rôle de police de l'environnement ?

Enfin, quelle est actuellement la proportion de fonctionnaires à l'OFB ? Sont-ils en position normale d'activité, en détachement ou sous un autre statut ?

M. Olivier Thibault. - Merci pour ces questions. Je vais tâcher d'y répondre le plus précisément possible. Tout d'abord, c'est 200 ETP que nous avons perdus depuis 2010. En réalité, nous en avons même perdu davantage, mais nous en avons récupéré 47 l'année dernière et 15 l'année précédente. Entre 2014 et 2016, nous perdions entre 40 et 60 ETP par an.

La fusion a permis une amélioration qualitative significative, notamment au niveau des fonctions support. Alors que les systèmes de chaque établissement manquaient de robustesse, la création d'un établissement de 3 000 personnes a nécessité la mise en place de systèmes beaucoup plus solides. Par exemple, la gestion de la paie pour 3 000 personnes ne peut pas se faire de la même manière que pour 15 personnes. Cette fusion nous a obligés à professionnaliser nos processus, notamment en matière de marchés publics et d'attribution d'aides. Nos systèmes ont d'ailleurs été validés et salués par la Cour des comptes pour leur professionnalisation.

Concernant les effectifs, nous manquons actuellement de personnel dans certains domaines, notamment les systèmes d'information. Ce manque nous contraint parfois à faire des choix que nous préférerions éviter, comme opter pour des marchés ou des offres intégrées plutôt que de réaliser des développements en interne, ce qui soulève des questions de maintenance.

Quant aux statuts des agents, nous avons plusieurs types de populations. Dans les territoires, nous comptons environ 1 700 techniciens de l'environnement et agents assermentés sur nos 3 000 agents, en position normale d'activité. Nous comptons également quelques fonctionnaires d'autres corps (policiers, douaniers, militaires) en seconde carrière, qui peuvent être détachés avant d'être intégrés dans le corps. Les postes de direction sont parfois occupés par des fonctionnaires détachés, avec un système de fiche financière contrôlé par notre contrôleur budgétaire pour éviter toute dérive salariale. Enfin, certains de nos agents ne sont pas fonctionnaires et relèvent d'un quasi-statut. L'OFB est confronté à de nombreux problèmes liés à ce quasi-statut obligatoire. Ce statut, mis en place il y a quelques années, est similaire à celui des agences de l'eau. Il présente un inconvénient majeur : les grilles de rémunération sont inférieures de 20 % à 40 % à celles des contractuels du ministère de l'Environnement. Cette situation est documentée dans le rapport de la Cour des comptes et fait partie des revendications syndicales pour une évolution des conditions de rémunération à l'OFB.

Concernant l'évolution de la masse salariale, l'augmentation du compte d'affectation spéciale « Pensions » a entraîné une hausse de quelques millions d'euros dans notre budget, mais cela concerne les retraites et non les agents en activité.

Quant au nombre d'implantations, nous avons réalisé un important travail de rationalisation. Partant de 251 implantations de bureau en 2020 lors de la création de l'OFB, nous en sommes aujourd'hui à 189, soit une réduction de 25 % en quatre ans. Ce processus a été mené de manière réfléchie, en rapprochant nos implantations des cités administratives et des directions départementales du territoire (DDT) ou en les regroupant, pour créer des synergies dans le travail d'instruction et renforcer les liens avec les préfets, qui sont les délégués territoriaux de l'OFB pour la police administrative.

Notre défi actuel consiste à trouver le bon équilibre, car la force de l'OFB réside dans sa présence territoriale. Nous maintenons une ou deux implantations par département, en fonction de la géographie et des contraintes de déplacement. Par exemple, dans les territoires montagneux, nous pouvons avoir une implantation à l'est et une à l'ouest, pour assurer une couverture efficace.

Concernant l'effectif cible, la situation est complexe. L'effectif cible théorique passé n'est pas atteint en raison des baisses d'effectifs, mais nous avons dû répondre à des demandes d'augmentation d'agents dans certains domaines, comme les parcs naturels marins ou la thématique de la mer. Actuellement, nos effectifs sont inférieurs aux cibles initiales des établissements avant la fusion. Cette situation nous oblige à faire des choix en termes de priorisation des interventions et des sollicitations.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pensez-vous que le ministère a clairement défini la répartition des rôles et des missions entre les niveaux régional et départemental de l'État et les agences environnementales, comme l'OFB ? Cette répartition est-elle claire pour tous les acteurs ? Ou bien, ne devrions-nous pas envisager une structure unique au niveau du département ou de la région, mutualisant les agents de l'OFB, des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et des DDT ?

Concernant le statut, un agent relevant du programme 113 « Paysages, eau et biodiversité », soumis au quasi-statut des agences de l'eau et de l'OFB, peut-il postuler sur des postes ouverts au titre du programme 217 « Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, du développement et de la mobilité durables » du ministère de l'Environnement ? La mobilité est-elle possible dans les deux sens ?

M. Olivier Thibault. - La mobilité entre les programmes 113 et 217 est théoriquement possible, mais en pratique, elle est complexe. La portabilité du contrat à durée indéterminée existe sur le papier, mais reste difficile à mettre en oeuvre. Cette mobilité a du sens, car elle permet de construire des parcours qualifiants pour nos agents et d'éviter la stagnation professionnelle. L'intégration de personnes venant des DDT, des DREAL ou d'autres opérateurs enrichit notre établissement grâce à la diversité des cultures professionnelles.

Concernant la répartition des rôles et des missions, à l'OFB, nous avons une mission claire définie par notre contrat d'objectifs. Notre priorité actuelle n'est pas de restructurer à nouveau l'écosystème, mais d'appliquer les règles existantes. Prenons l'exemple de la police de l'environnement : une stratégie nationale de contrôle a été établie en janvier 2023, demandant aux préfets d'organiser une mission interservices de l'eau, de hiérarchiser les enjeux, de coordonner le travail entre les différents corps d'instruction et de contrôle et de communiquer sur cette politique de contrôle. Nos agents interviennent ensuite dans ce cadre établi. La difficulté survient lorsque la communication sur la politique de contrôle est insuffisante. L'année dernière, deux tiers des préfets ont jugé inopportun de communiquer sur ce sujet. C'est alors plus difficile pour nos agents. Je suis un fervent défenseur du rôle du préfet au niveau départemental pour organiser et coordonner les différents enjeux. Par exemple, dans le cas du partage de l'eau, l'intervention du préfet est cruciale pour assurer l'équité et l'efficacité des contrôles, notamment en période de sécheresse. En conclusion, lorsqu'il y a un consensus sur ce qui doit être contrôlé et une communication claire, notre action est beaucoup plus efficace et acceptée, même par ceux qui font l'objet des contrôles.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez évoqué la question du contrôle, et je souhaite l'étendre aux agences de l'eau. Aujourd'hui, est-il simple pour un acteur de savoir vers qui se tourner pour obtenir une subvention dans le domaine de l'eau et de la biodiversité ? L'OFB peut en verser, l'agence de l'eau également.

La question de la police environnementale est claire : il s'agit uniquement du rôle de l'OFB, mais les responsabilités des autres missions sont plus floues.

M. Olivier Thibault. - Ces questions sont très pertinentes. Je suis confronté à des injonctions contradictoires. Depuis un an, l'on m'explique que l'OFB fait trop de contrôle et de répression, et pas assez d'accompagnement. Pour faire de l'accompagnement, il faut plus de personnel sur le terrain ou des outils d'accompagnement et d'incitation. Actuellement, les aides territoriales relèvent plutôt des agences de l'eau, tandis que les aides nationales sont du ressort de l'OFB. L'OFB n'a pas d'aide territoriale, seulement des systèmes nationaux, conçus pour être complémentaires et non superposés avec les agences de l'eau.

L'enjeu stratégique pour l'OFB est de trouver un équilibre entre accompagnement et contrôle a posteriori. Nous devons répondre aux besoins des collectivités, entreprises et agriculteurs, mais il s'agit d'un exercice délicat.

Si on demande à l'OFB de ne faire que du régalien et de laisser d'autres acteurs s'occuper des aides pour plus d'efficience, il ne faudra pas lui reprocher de ne faire que du répressif et pas de l'accompagnement.

Nos systèmes d'aides sont très cadrés. Par exemple, le plan Ecophyto est doté de 41 millions d'euros par an, encadré par les ministères de l'agriculture, de l'environnement et de la santé. Pour l'écocontribution, 10 millions d'euros sont réservés aux chasseurs. Pour la solidarité outre-mer, un plan de 35 millions d'euros est cadré et nous jouons le rôle des agences de l'eau dans ces territoires. Ces domaines d'intervention sont clairs et non redondants. Nous n'avons pas de conflits de périmètre entre opérateurs. Les agences de l'eau restent l'opérateur territorial principal.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Dans l'écosystème des opérateurs, deux semblent fonctionner de manière plus autonome : l'Établissement public du Marais poitevin, dont on a beaucoup parlé récemment, et le Conservatoire de l'espace littoral et des espaces lacustres. Pensez-vous que ces deux établissements doivent rester indépendants ? L'Établissement public du Marais poitevin est une petite structure ; or vous avez souligné l'intérêt des grandes structures. Si cet établissement devait être supprimé, à qui confieriez-vous ses missions : l'OFB, le Parc régional, ou l'agence de l'eau Loire-Bretagne ?

Quant au Conservatoire du littoral, qui s'occupe principalement de politique de préemption et d'entretien, est-il toujours pertinent d'avoir une gestion séparée entre la bande littorale par le Conservatoire et le reste des espaces par l'OFB ?

M. Olivier Thibault. - Les compétences de l'Établissement public du Marais poitevin, initialement créé pour une durée limitée, pourraient être confiées aux collectivités territoriales locales. Cependant, ces dernières préfèrent unanimement qu'il reste sous la tutelle de l'État. La gestion de l'eau dans le Marais poitevin est complexe, et un équilibre a été trouvé avec cet établissement public, malgré quelques difficultés juridiques persistantes. Il faut noter que l'Établissement public du Marais poitevin et les parcs nationaux sont rattachés à l'OFB, notion peu commune dans le droit français, ce qui s'avère être un système efficient. Ce rattachement implique que l'OFB gère pour ces établissements plusieurs tâches administratives : la paie, un service facturier, la gestion du corps des techniciens de l'environnement de ces établissements, le site internet des parcs nationaux, et une grande partie du back-office. Cette mutualisation permet de sécuriser et de solidifier ces structures, tout en préservant la gouvernance locale des parcs nationaux, essentielle pour eux.

Concernant le Conservatoire du littoral, son métier est très différent du nôtre. Il s'agit d'un opérateur foncier qui acquiert, préempte, gère ou fait gérer des territoires. L'OFB, en revanche, ne possède que très peu de terrains. Il n'y a donc pas de réelle synergie ou de plus-value à envisager entre l'OFB et le Conservatoire du littoral, leurs missions et structures financières étant fondamentalement différentes.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous comprenons effectivement la différence entre les métiers. Cependant, étant donné que les deux domaines concernent la préservation de la biodiversité et la conservation des espaces naturels, il était nécessaire de poser la question et de recueillir votre avis.

J'aimerais également avoir votre point de vue sur la question de la mobilisation des fonds européens. Je suppose que votre statut d'opérateur vous offre plus de flexibilité que si vous étiez une direction au sein du ministère. Pensez-vous avoir atteint le maximum de ce que l'on peut espérer, ou y a-t-il encore des opportunités à saisir, notamment concernant le projet LIFE ? Enfin, j'aimerais vous interroger sur deux nouvelles réformes concernant l'OFB et leurs modalités de mise en oeuvre.

M. Olivier Thibault. - Notre statut d'opérateur nous permet effectivement de rechercher des financements différents de ceux d'un service de l'État. J'en identifie au moins trois types. Concernant les fonds européens, nous nous sommes spécialisés ces dernières années sur le programme LIFE. Nous avons constaté que d'importants fonds européens étaient disponibles pour la préservation de la biodiversité, et que la France était en retard par rapport à d'autres pays européens dans ce domaine. Nous avons mis en place un système très structuré pour obtenir ces fonds, ce qui fonctionne très bien. Actuellement, nous nous interrogeons sur les limites de cette démarche, car elle implique des enjeux de rapportage et de trésorerie. Nous gérons plusieurs projets LIFE : sur l'adaptation au changement climatique, sur l'Outre-mer, sur les espèces marines mobiles, sur les habitats marins, sur la biodiversité en France, etc. Cela représente plusieurs dizaines de millions d'euros que nous obtenons pour nous-mêmes ou pour d'autres acteurs. Cette capacité est liée à notre statut d'établissement public et à notre taille, car les enjeux de trésorerie peuvent être complexes pour des structures plus petites.

Nous développons également la recherche de financements privés, notamment à travers le mécénat. Cela nous permet de financer des opérations de restauration spécifiques avec des financements apportés par des entreprises, tout en les sensibilisant à leur empreinte sur la biodiversité. Cette approche change la perception, car il s'agit d'argent privé investi dans des projets publics, plutôt que l'inverse.

Enfin, nous collaborons avec les collectivités, en particulier les conseils régionaux, qui sont chefs de file pour la biodiversité. Cette collaboration fonctionne très bien dans certaines régions, moins dans d'autres. Nous avons mis en place un système d'agences régionales de la biodiversité, qui permet de créer des effets de levier.

Tous ces mécanismes sont des avantages liés à notre statut d'opérateur. Nous cherchons constamment à maximiser notre impact et à trouver des solutions innovantes pour financer nos actions en faveur de la biodiversité.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'ai deux autres questions à vous poser. La première concerne la circulaire du 4 novembre 2024, qui crée dans chaque département une mission interservices agricoles (MISA) regroupant plus de quinze agences et services. Comment envisagez-vous la mise en oeuvre de cette mission ? Vous semble-t-elle réalisable, considérant l'articulation nécessaire entre ces nombreuses entités ?

La seconde question porte sur la recommandation de la mission flash CGAAER-IGEDD, dont les conclusions ont été publiées le 19 mars dernier. Cette mission recommande la création d'un guichet unique en DDT dans chaque département. Comment percevez-vous ce guichet unique et comment l'OFB pourrait-il s'intégrer dans ce dispositif ?

M. Olivier Thibault. - Concernant les MISA, sur le principe je pense qu'il s'agit d'une excellente initiative. La coordination des services de l'État pour éviter les visites multiples à court intervalle est très positive. L'OFB s'inscrit pleinement dans ce système. Cela permettra également un meilleur partage des informations sur les exploitations à contrôler, ce qui n'est pas toujours simple.

D'un point de vue quantitatif, cela ne change pas énormément la situation actuelle. Selon le rapport, 80 % des agriculteurs ne reçoivent pas de contrôle dans l'année, 8 % sont contrôlés une fois, et seulement 1 % sont contrôlés plus d'une fois. Cependant, ces 1% sont cruciaux. À l'OFB, nous constatons souvent que, lorsqu'un agriculteur commence à avoir des difficultés, tous les aspects de son exploitation sont affectés. Des problèmes financiers peuvent entraîner des négligences dans les soins aux animaux ou la gestion des déchets, et potentiellement causer des problèmes de pollution. Ce nouveau système permettra une meilleure coordination pour identifier et accompagner ces situations difficiles avant qu'elles ne deviennent critiques. Il s'agit surtout d'améliorer l'efficacité des contrôles, notamment pour les exploitations en difficulté.

Il est important de souligner que cette coordination ne concerne que les contrôles administratifs. Il ne faut pas croire qu'un contrôle unique annuel signifie qu'on peut ensuite agir en toute impunité. Par exemple, un arrêté sécheresse peut survenir en cours d'année et nécessiter un nouveau contrôle. L'enjeu maintenant est de mettre en oeuvre ce système de manière efficace, en trouvant le bon équilibre entre la résolution administrative des problèmes et le recours à la voie judiciaire quand c'est nécessaire. Il faut que cette coordination des services fonctionne concrètement sur le terrain.

En réalité, nous avons testé cette approche des guichets uniques à certains endroits et les résultats sont très positifs. À l'OFB, nous avons formulé plusieurs propositions. Beaucoup de nos interlocuteurs nous font remarquer, parfois à juste titre, que la réglementation est complexe et difficile à comprendre. Il est donc nécessaire d'apporter une réponse structurée à ce type de situation. C'est pourquoi nous avons proposé une dizaine de fiches pédagogiques portant sur les contrôles qui posent le plus souvent problème. Je peux citer par exemple la taille des haies, le curage des cours d'eau, les traitements, etc. Ce sont des sujets qui soulèvent fréquemment des questions. Nous avons besoin de réponses harmonisées au niveau de l'État pour ces thématiques. C'est le préfet, via ses services, principalement la DDT, qui établit la norme dans le département. Il me semble très pertinent que l'État, par l'intermédiaire du préfet ou de la DDT, élabore des fiches sur certains types de réglementations afin d'avoir une règle claire, affichée et partagée.

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. - Je tiens tout d'abord à souligner que nous sommes pleinement conscients de la difficulté de votre mission. Lors de moments de tension, vous êtes en première ligne, et les atteintes subies par les agents de votre office sont injustes. Nous devons faire preuve de compassion face à ce qu'ils ont vécu. Votre rôle est d'appliquer la loi. En tant que parlementaires, nous avons une responsabilité, puisque nous votons les lois. Cependant, une grande partie de la norme provient aujourd'hui de l'aspect réglementaire, parfois produit par une administration qui n'a pas toujours conscience des enjeux sur le terrain. Nombre d'entre nous sommes convaincus que la norme et la loi doivent s'adapter à des territoires différents, où les enjeux varient, ce qui nécessite une part d'interprétation, d'autant plus que, parfois, des normes environnementales peuvent s'opposer les unes aux autres. Par exemple, nous avons dû mettre en place sur mon territoire une unité d'ultrafiltration pour améliorer la qualité de l'eau, qui devait être construite à proximité de la source, mais les lois sur la biodiversité nous obligeaient à respecter l'habitat du lézard ocellé. Nous avons de nombreux exemples similaires : une unité d'assainissement qui doit respecter une espèce protégée, ou des aménagements pour mettre en valeur le patrimoine d'une église qui s'opposent à la nidification des alouettes.

Vous avez indiqué que vous n'avez pas suffisamment d'implantation locale pour bien comprendre le terrain. Quels pourraient être vos alliés dans ce contexte ? Nous avons évoqué plus tôt la question des agents de l'État sur le terrain, des DDT, des DREAL. Nous avons parfois l'impression qu'il n'y a pas de communication entre ces différents acteurs.

Concernant les collectivités, je comprends qu'elles n'ont pas le pouvoir de police si l'on veut une application uniforme de la loi sur le territoire. Cependant, elles ont certainement un rôle important à jouer dans la préparation à l'application des lois. En tant qu'ancien responsable d'une communauté d'agglomération, j'ai parfois eu l'impression qu'il n'y avait pas d'échange ni de dialogue entre les différents acteurs. Si nous ne résolvons pas ces problèmes de communication et de compréhension mutuelle, il sera très difficile à l'avenir de faire accepter des lois environnementales pourtant nécessaires. Sans l'adhésion à la loi et à la norme environnementale, la situation deviendra problématique et tout le monde sera perdant.

M. Hervé Maurey- Votre agence a déjà fait l'expérience d'une fusion, et même de plusieurs fusions en peu de temps. Avez-vous aujourd'hui établi un bilan pour déterminer si ces fusions ont effectivement permis de réaliser des économies et d'accroître l'efficacité ? Le coeur de cette commission d'enquête correspond à la question des économies qui pourraient être générées par des suppressions et des regroupements d'agences. Sur ce sujet, votre expérience est particulièrement précieuse.

M. Olivier Thibault. - Merci, Monsieur le Sénateur, pour vos mots concernant les agents de l'OFB. Nous avons effectivement vécu des moments difficiles. Depuis un an, nous essayons de faire en sorte que cela nous aide à progresser et à trouver des solutions.

Concernant l'amélioration de l'application de la loi, je suis frappé par un point lorsque nous discutons de la complexité de la loi et de la nécessité de la simplifier. La lisibilité et la simplicité de la loi sont systématiquement confondues avec l'adaptabilité au cas par cas. En réalité, chaque fois que l'on parle de simplification, les gens comprennent qu'ils vont obtenir des exemptions supplémentaires ou que des cas particuliers seront pris en compte, leur permettant de ne pas appliquer certaines règles. Au final, le texte est beaucoup plus touffu, complexe et incompréhensible qu'au départ. Au lieu de chercher une loi simple et lisible qui fonctionnerait dans 80 % des cas, avec la possibilité de discuter pour les 20 % restants, on cherche à tout écrire, notamment toutes les possibilités d'exemptions.

Prenons l'exemple des 14 réglementations sur les haies. À l'origine, c'était assez simple : on voulait les protéger en raison des nombreux services écosystémiques qu'elles offrent. Les haies permettent de lutter contre les inondations, de retenir la terre, elles ont des aspects paysagers, elles contribuent à la rétention d'eau et à la biodiversité. Cependant, lors de la construction d'un patrimoine, il faut pouvoir supprimer ou déplacer une haie. Quand on passe d'un élevage à une culture, il faut pouvoir rationaliser le foncier, donc couper les haies. Pour la construction d'une route, il faut pouvoir éliminer les risques d'accidents, donc enlever les haies.

C'est ainsi que la réglementation se complexifie progressivement. Pour chaque type de politique, nous avons créé des exceptions à l'objectif de protection globale. Le résultat correspond à un ensemble de 14 réglementations complexes que personne ne maîtrise vraiment.

Telle est la difficulté inhérente à notre système en France, où l'on cherche à anticiper et codifier toutes les exceptions possibles. La politique agricole commune illustre parfaitement cette tendance. Il s'agit de maximiser les aides tout en minimisant les contraintes réglementaires, ce qui aboutit à des mécanismes extrêmement complexes. Aujourd'hui, l'application de toutes ces réglementations devient réellement difficile. De plus, nous nous imposons des obligations de rapportage compliquées pour justifier que l'on se place bien dans l'une des exceptions. Il faut effectivement travailler sur ce point, en acceptant des solutions plus simples, même si elles ne résolvent pas tous les problèmes, tout en confiant à un acteur le pouvoir de valider les exceptions en fonction d'un objectif global. C'est ce qui avait été fait pour les retournements de prairies, avec un accord sur un pourcentage maximum en la matière. Malheureusement, après trois ans, la limite a été dépassée, nous ramenant au point de départ ; en conséquence, un système complexe a été remis en place pour bloquer les abus.

Nous devons réfléchir ensemble à la manière de préserver l'esprit de la loi et ses objectifs tout en assumant ces derniers. Trop souvent, nous nous abritons derrière la réglementation en la blâmant pour les contraintes qu'elle impose. Il s'agit là d'un défi collectif qui relève d'abord de la loi, puis du réglementaire.

Vous avez souligné que les normes s'opposaient. Une norme ne prend pas en compte toutes les autres. Il faut accepter que nous travaillons sur des écosystèmes, particulièrement dans le domaine de la biodiversité. Vos exemples illustrent bien ce dilemme : l'interdiction d'entretenir une haie pendant la nidification des oiseaux malgré la nécessité de préparer les terrains avant l'été pour prévenir les incendies. La solution n'est pas d'imposer les travaux juste avant l'été, mais d'adopter une vision plus large de l'aménagement du territoire. Il faut démontrer l'impact positif de certaines actions sur la biodiversité, tout en justifiant certaines actions spécifiques à des endroits précis. Cela nécessite une approche globale que nous devons accepter.

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. - Vous évoquez vos difficultés sur le terrain. Avec qui travaillez-vous pour que vos décisions puissent être partagées et acceptées ?

M. Olivier Thibault. - Je ne cherche pas à augmenter le nombre de nos implantations. Les 189 existantes me semblent suffisantes et nous permettent d'être présents dans tous les territoires, ce qui est essentiel pour nous. Cependant, nous manquons d'effectifs dans ces implantations pour mener à bien toutes les missions qui nous sont confiées. Face à cette situation, nous cherchons des alliés et des relais, qui varient selon les sujets. Prenons l'exemple de la chasse. Certains regrettent l'époque où les gardes-chasse de l'ONCFS pouvaient avoir une connaissance approfondie de chaque association de chasse sur le territoire ; avec 14 personnes par département pour toute la police de l'eau, sanitaire et environnementale, il n'est pas possible de faire le même travail. Aujourd'hui, nous devons travailler en bonne intelligence avec les agents de développement des fédérations, les gardes champêtres et les maires pour obtenir les informations nécessaires et intervenir efficacement. Concrètement, nous ne menons plus de nuits de lutte anti-braconnage au hasard. En revanche, dès que nous recevons un renseignement fiable d'une fédération de chasse ou d'une collectivité, nous intervenons. Nous avons mené plusieurs opérations anti-braconnage réussies récemment, grâce à nos liens avec les chasseurs et les maires. Cette collaboration avec les acteurs du territoire est fondamentale.

Concernant l'expansion de l'OFB, nous sommes maintenant suffisamment importants pour avoir des processus solides de back-office et de financement. Notre priorité actuelle est de renforcer nos liens avec les acteurs dans les territoires. J'ai demandé à tous mes services de reprendre contact avec les parlementaires et les élus, ne serait-ce que pour expliquer notre métier, car le contrôle des exploitations agricoles ne représente que 6 % de notre activité. Notre objectif est de reconstruire des alliances au service des politiques territoriales, dans le but d'avoir un environnement de qualité pour tous. Nous sommes souvent trop anthropocentrés dans nos décisions, privilégiant l'intérêt humain à court terme. En protégeant la biodiversité, nous travaillons pour l'homme sur un horizon un peu plus long, mais avec des retours d'expérience rapides.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Avant de conclure, une dernière question : parmi toutes les missions accomplies par l'OFB, lesquelles pourraient être transférées à des tiers, notamment au secteur privé, sans compromettre la mission et surtout les objectifs de l'Établissement ?

M. Olivier Thibault. - Cette question est difficile à aborder. Ma préoccupation actuelle est plutôt de savoir comment répartir et coordonner le travail de tous les acteurs du territoire pour une efficacité optimale. Plutôt que de déléguer des missions, je préfère réfléchir à une meilleure organisation collective, impliquant l'État et les différentes parties prenantes. Nous avons besoin de l'implication des préfets et d'une bonne coordination avec les collectivités pour un aménagement du territoire réfléchi. Or nous sommes souvent consultés trop tardivement pour des avis techniques ou des contrôles, alors que les projets sont déjà lancés. L'expérience montre que, lorsqu'un projet démarre mal, les problèmes s'accumulent et s'aggravent avec le temps. Notre priorité devrait être d'organiser et de coordonner l'action de chacun, en respectant les responsabilités de tous, plutôt que de chercher à transférer des missions. C'est de cette approche collaborative dont nous avons besoin aujourd'hui pour relever efficacement les défis environnementaux.

Actuellement, il est crucial que l'OFB ne soit pas cantonné à ses missions de police, car cela réduirait son action au seul aspect punitif, au détriment de l'accompagnement. Nous avons besoin d'un équilibre entre l'accompagnement et la police, et cela ne fonctionne que si nous parvenons à convaincre et à expliquer la légitimité de nos actions. Par exemple, si l'on demande à la gendarmerie pourquoi elle ne s'implique pas davantage dans les questions environnementales, on constate rapidement que, sans une connaissance approfondie de la faune et des enjeux spécifiques, on est vite dépassé. Cette expertise spécifique est indispensable. Par conséquent, il est bien plus efficace de travailler ensemble sur les deux aspects de notre mission plutôt que d'essayer d'intégrer l'un dans l'autre.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je vais reformuler ma question. Dans l'hypothèse d'un financement de l'effort de guerre, si le budget de l'OFB était réduit de 30 %, quelles missions abandonner ? Mettons de côté la question du statut des agents et supposons que vous n'ayez que des agents privés. Il s'agit d'un scénario purement théorique. Avec 30 % de budget en moins, quelles seraient vos priorités ?

M. Olivier Thibault. - Face à une réduction brutale de 30 % du budget, nous serions contraints d'arrêter les missions d'accompagnement. Actuellement, deux tiers de notre budget sont consacrés au fonctionnement de l'OFB, principalement pour les salaires et les frais opérationnels comme l'essence et les véhicules, essentiels pour le travail de terrain. Il faudrait également maintenir le financement des parcs. Une telle réduction impliquerait donc l'arrêt de 30% des missions d'accompagnement. Ensuite, il faudrait examiner les contradictions potentielles, car réduire le volet punitif pour favoriser l'accompagnement soulèverait des débats.

M. Pierre Barros, président. - Merci, monsieur le directeur général, pour cet échange et le temps que vous nous avez consacré cet après-midi.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Christophe Leblanc, directeur général adjoint de l'agence de l'eau Rhin-Meuse, Mme Isabelle Matykowski, directrice générale de l'agence de l'eau Artois-Picardie, MM. Nicolas Mourlon, directeur général de l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, Loïc Obled, directeur général de l'agence de l'eau Loire-Bretagne, Mmes Sandrine Rocard, directrice générale de l'agence de l'eau Seine-Normandie et Aude Witten, directrice générale adjointe de l'agence de l'eau Adour-Garonne

M. Pierre Barros, président. - Nous recevons les directeurs généraux ou directeurs généraux adjoints des six agences de l'eau, soit, dans un véritable tour de France : Christophe Leblanc pour l'agence de l'eau Rhin-Meuse, Isabelle Matykowski pour l'agence de l'eau Artois-Picardie, Nicolas Mourlon pour l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, Loïc Obled pour l'agence de l'eau Loire-Bretagne, Sandrine Rocard pour l'agence de l'eau Seine-Normandie et Aude Witten pour l'agence de l'eau Adour-Garonne.

Cette audition s'inscrit dans celles que nous consacrons cette semaine aux secteurs de l'environnement et de l'agriculture : nous venons de recevoir l'Agence de la transition écologique (Ademe) et l'Office français de la biodiversité (OFB), et jeudi prochain nous échangerons avec FranceAgriMer, l'Agence de services et de paiement et les syndicats agricoles.

Notre commission d'enquête porte sur le mouvement d'« agencification » de l'État, que l'on associe généralement à la multiplication des transferts entre l'État central et les agences des années 1980 aux années 2000. Les agences de l'eau sont bien plus anciennes puisqu'elles ont été créées par la loi sur l'eau du 16 décembre 1964, mais leurs missions ont évolué avec le temps. Leur originalité réside aussi dans leur périmètre géographique, fondé sur la réalité physique des bassins et non sur les limites administratives des régions. Je souhaiterais savoir si, à votre sens, cette originalité est une force, afin de mieux prendre en compte les enjeux de la ressource en eau, ou bien si une organisation calquée sur celles des régions faciliterait la coordination avec les autres politiques publiques ?

Cette originalité pose la question de l'articulation avec les autres agences, les services déconcentrés et les collectivités territoriales. Nous venons de recevoir l'OFB, avez lequel vous avez des liens particuliers, y compris financiers, puisqu'une partie du produit des taxes qui vous sont affectées est reversé à cet établissement : considérez-vous que ce schéma de financement est adapté ? D'une manière plus générale, la délimitation des missions entre les agences de l'eau et les autres agences de l'État devrait-elle évoluer ?

La coordination de vos actions avec celles des collectivités territoriales fait bien entendu partie des sujets que nous étudions, car vous faites partie des agences les plus souvent citées dans nos débats. Par exemple, que répondriez-vous aux élus qui, devant notre commission d'enquête, ont expliqué que les agences de l'eau établissent des critères non définis par la loi et les règlements, rendant possibles ou impossibles des projets sans qu'ils en soient suffisamment informés ? Cette audition vous donne l'occasion de répondre aux incompréhensions qui s'expriment régulièrement, notamment au Sénat.

Avant de vous laisser la parole, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Christophe Leblanc, Isabelle Matykowski, Nicolas Mourlon, Loïc Obled, Sandrine Rocard et Aude Witten prêtent serment.

Mme Sandrine Rocard, agence de l'eau Seine-Normandie. - Je vais commencer par évoquer le rôle des agences de l'eau, leurs grandes missions et surtout leurs spécificités qui justifient leur statut d'établissements publics distincts des administrations classiques. Les agences de l'eau ont été créées en 1964, posant les grands principes de la gestion de l'eau en France.

Le premier est de travailler à l'échelle des bassins hydrographiques, qui correspond à la réalité physique du cycle de l'eau.

Le deuxième principe est de créer une gouvernance collective au sein de chaque bassin, à travers les comités de bassin, dans une triple logique : solidarité entre les différents acteurs du bassin ; responsabilisation des acteurs, le comité de bassin ayant un rôle décisionnaire ; décentralisation, avec un poids important des collectivités. Les agences de l'eau animent ces comités de bassin au service de l'ensemble des parties prenantes : collectivités, services de l'État, acteurs économiques et associatifs. Ces parties prenantes constituent la gouvernance même de l'agence, notamment son conseil d'administration, qui est une sorte de comité de bassin en miniature. Il est présidé par un préfet, mais l'État n'y est pas majoritaire, ce qui diffère du modèle d'une administration classique.

En troisième lieu, la loi de 1964 attribue à chaque bassin des recettes spécifiques, des redevances, permettant à l'agence de répondre aux besoins du bassin. L'agence agit comme une mutuelle au service du bassin et est financièrement autonome, ne recevant aucune subvention pour charge de service public de l'État pour ses missions.

Quatrième élément : les conditions de soutien et d'accompagnement de l'agence sont fixées dans un programme pluriannuel d'intervention, élaboré et validé collectivement par les instances de bassin. Cela confère une forme d'autonomie de décision à l'agence et ses instances, tout en agissant dans un cadre national fixé par le ministère de tutelle.

Les missions des agences ont évolué depuis 1964, s'adaptant aux enjeux identifiés par le législateur et l'État. Initialement centrées sur la réduction des pollutions urbaines et industrielles, elles couvrent aujourd'hui un spectre beaucoup plus large, incluant la gestion des milieux aquatiques, la biodiversité, l'adaptation au changement climatique.

Le rôle des agences de l'eau a également évolué en termes de missions. Aujourd'hui, nous disposons de différents leviers pour faire progresser nos bassins dans les domaines que j'ai cités, conformément aux engagements de la France vis-à-vis de la directive-cadre européenne sur l'eau. Notre rôle va bien au-delà du simple financement ; nous ne sommes pas un simple guichet. Nous jouons un rôle structurant dans la mise en oeuvre des politiques publiques qui nous sont confiées, ce qui est caractéristique des agences de l'État.

Notre mission principale est la gestion des redevances et l'intervention. Une autre de nos grandes missions consiste également à approfondir la connaissance du bassin. Les agences de l'eau établissent des liens avec le monde de la recherche et de l'expertise scientifique. Nous avons également un rôle en matière de planification, introduit par la loi sur l'eau de 1992. L'agence de l'eau prépare les grands documents d'orientation du bassin, notamment le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), approuvé par le comité de bassin. Nous élaborons aussi des plans et des stratégies d'adaptation au changement climatique. En termes de planification, nous soutenons les acteurs locaux dans la mise en place d'instances de dialogue et dans l'élaboration de leurs propres plans d'action pour la gestion de l'eau.

Plus largement, nous jouons un rôle fédérateur pour le bassin, en animant un réseau d'acteurs ancrés dans les territoires. Cela se traduit par l'animation des instances de bassin et, plus généralement, de l'ensemble des acteurs. Nous assurons l'information et la communication auprès des parties prenantes, cherchant des relais sur le terrain pour promouvoir nos politiques et nos priorités. Avec environ 1 500 agents répartis dans toute la France, nous nous efforçons de faire en sorte que tous ces acteurs partagent les enjeux du bassin et les priorités d'action.

Je voudrais souligner deux atouts supplémentaires des agences de l'eau, en commençant par notre expertise technique, qui est développée et reconnue. Cette expertise est indispensable dans nos domaines d'activité et s'étend à l'accompagnement technique et financier des acteurs et à la gestion des redevances. Ces dernières années, l'État nous a confié la gestion de nouveaux dispositifs d'accompagnement et a élargi le champ des redevances que nous gérons, s'appuyant sur cette expertise. Par exemple, nous avons géré certains volets du plan de relance et du fonds vert, ainsi que les nouveaux fonds biodiversité liés aux parcs éoliens en mer. Nous avons également accompagné le plan baignade en Île-de-France en vue des Jeux olympiques, et nous lançons une expérimentation sur un dispositif de certificats de biodiversité avec les entreprises.

Le deuxième atout majeur est notre agilité, qui nous permet de nous adapter aux besoins du bassin. Notre programme d'intervention pour la période 2019-2024 a été modifié 17 fois, illustrant notre capacité d'adaptation et l'efficacité de notre circuit décisionnel, qui intègre l'ensemble des parties prenantes.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez évoqué la gestion des redevances. Assurez-vous la collecte ? Considérant que la DGFIP gère désormais l'ensemble des autres taxes et impôts, y compris des missions anciennement dévolues aux douanes, ne serait-il pas pertinent qu'un collecteur unique au niveau de l'État répartisse ensuite les fonds ?

Concernant la mutualisation, nous comprenons le principe de gestion par bassin hydraulique. Cependant, avec six agences, pouvez-vous garantir qu'il n'y a pas de redondance de certaines expertises ? Certains profils très spécifiques pourraient-ils être centralisés plutôt que répartis dans les six agences ?

Comment la tutelle exerce-t-elle son rôle ? Existe-t-il un véritable comité d'animation pour s'assurer que la mutualisation, notamment des fonctions support et d'expertise, est effective et que les agences fonctionnent de manière harmonisée ? Il serait intéressant d'avoir le retour d'expérience des collectivités situées dans des zones couvertes par deux agences de bassin pour comprendre pourquoi nous nous posons ces questions.

Mme Isabelle Matykowski, agence de l'eau Artois-Picardie. - Concernant les redevances, les agences en gèrent une dizaine, dont trois représentent plus de 80 % des ressources. Les taux de ces redevances sont arrêtés par les comités de bassin dans une logique globale de stratégie liée au programme d'intervention. Nous préparons actuellement les 12èmes programmes d'intervention pour la période 2025-2030. Face à une stratégie avec des ambitions spécifiques aux caractéristiques de chaque territoire de bassin, les acteurs du territoire s'accordent sur le volet recette pour activer tel ou tel dispositif de tarification ou niveau de tarif en fonction des besoins du territoire.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je faisais référence à la gestion du recouvrement, pas à la politique tarifaire. Aujourd'hui, avec un système d'information performant, il est possible de déterminer l'agence de bassin dont relève un usager et le niveau de tarification à appliquer en fonction de son adresse. Est-il encore pertinent d'avoir six agences de recouvrement plutôt que de transférer cette charge à la DGFIP, qui gère déjà d'autres encaissements ? Je comprends la nécessité de politiques tarifaires différenciées selon les territoires, mais ma question porte spécifiquement sur la partie recouvrement.

Mme Sandrine Rocard. - Il faut souligner que les redevances des agences de l'eau ne sont pas simples à instruire. Il faut tenir compte d'une dimension technique importante dans l'instruction des redevances effectuée par les agences. Par exemple, nous avons mis en place un nouveau système de redevances basé sur la performance des systèmes d'assainissement et des réseaux d'alimentation en eau potable, qui nécessite une véritable expertise technique de la part des agences de l'eau.

Le deuxième aspect provient d'un rapport de l'IGF de 2018 qui a examiné cette fonction de gestion des redevances, la perception des redevances et son coût. La conclusion était que le système était globalement efficient et relativement peu coûteux. Le coût de la collecte annuelle des redevances avait alors été évalué à environ 1 % des redevances perçues, ce qui était considéré comme particulièrement efficace et performant par rapport aux normes ou aux taux de la DGFIP.

M. Loïc Obled, agence de l'eau Loire-Bretagne. - Concernant les recrutements dans les directions des redevances, les profils recherchés sont plutôt techniques et diffèrent de ceux de l'administration des finances publiques. La territorialisation et le contact direct avec les délégations territoriales permettent une relation directe avec les collectivités, facilitant le conseil et les recommandations. La réforme des redevances vise à récompenser la performance, ce qui nécessite d'expliquer le lien entre les recettes ou la redevance et les aspects techniques mis en oeuvre. Il s'agit d'une expertise complexe.

Pour le comité de bassin, il est symboliquement important que l'agence assure le recouvrement. Pour le « Parlement de l'eau » qu'est le comité de bassin, cela garantit le principe selon lequel « l'eau paie l'eau » et permet à ce Parlement, conformément aux règles démocratiques, de fixer les lignes directrices tout en contrôlant l'utilisation des fonds.

Concernant les mutualisations, les agences de l'eau ont différents métiers, dont celui du lien avec les territoires. Contrairement à certains services de l'État qui ont perdu ce lien, les agences maintiennent une forte proximité avec les acteurs locaux. De nombreux agents combinent expertise territoriale et technique.

L'OFB, héritier de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), assure des missions nationales au service des agences de l'eau comme le rapportage des directives européennes, la gestion des données, la recherche, et l'élaboration de guides techniques. Dans certains cas, la proximité de terrain est importante. Parfois, il est préférable qu'un établissement public comme l'OFB assure les missions. Parfois encore, la mutualisation entre agences est nécessaire. Depuis plusieurs années, cette démarche de mutualisation a été initiée, se concrétisant par la création d'une direction des systèmes d'information commune. Nous capitalisons également sur les compétences spécifiques présentes dans différentes agences pour améliorer l'efficacité globale.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pourquoi le système d'information commun n'est-il pas hébergé par l'ONEMA, plus tard intégré dans l'OFB ? Considérant le montant significatif des redevances collectées et reversées à l'OFB pour diverses politiques, estimez-vous que la doctrine « l'eau paie l'eau » est toujours applicable ?

M. Loïc Obled. - Les agences de l'eau ont été chargées de s'occuper à la fois de l'eau et de la biodiversité, reflétant l'approche globale du grand cycle de l'eau. Cette évolution coïncide avec la création de l'Agence française de la biodiversité (AFB), puis de l'OFB, qui traitent également les domaines de l'eau et de la biodiversité. Il est donc logique que les financements de l'eau et de la biodiversité soutiennent des structures oeuvrant dans ces domaines.

Toutefois certaines missions ajoutées à l'OFB ne relèvent pas directement des agences de l'eau. L'absence de fiscalité spécifique à la biodiversité soulève des questions sur les outils de financement.

Concernant les systèmes d'information, la répartition des tâches se fait selon les compétences : l'OFB développe certains outils, tandis que les agences en gèrent d'autres. Cette répartition est décidée en concertation avec la tutelle, qui organise des réunions régulières entre les agences et l'OFB pour assurer une coordination stratégique et technique.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Concernant la distribution des aides, jugez-vous pertinente la répartition actuelle entre les aides locales versées par les agences de l'eau et les aides nationales versées par l'OFB ? N'estimez-vous pas que certaines politiques, notamment liées à l'eau et à l'assainissement, devraient être entièrement gérées par les collectivités locales et les syndicats d'assainissement, alors que les agences de l'eau continuent d'intervenir ?

M. Loïc Obled. - Concernant la répartition entre l'OFB et les agences de l'eau, ces dernières se concentrent sur les activités du bassin et les enjeux territoriaux. Elles accompagnent les collectivités et les professions agricoles pour atteindre des objectifs spécifiques liés à l'eau, avec des objectifs environnementaux ancrés dans les territoires. L'OFB, quant à lui, finance plutôt les animations, les têtes de réseau et les associations, avec un bénéfice plus large pour l'ensemble des bassins.

Les subventions accordées par les agences visent des objectifs clairement définis par le SDAGE. Nous utilisons les fonds collectés via les redevances pour atteindre ces objectifs. Les agences jouent un rôle de levier, favorisant la transition, le ciblage et la solidarité entre les territoires. Cette solidarité entre l'amont et l'aval est cruciale.

Cela n'empêche pas les collectivités d'assumer leurs responsabilités dans la gestion de leurs réseaux. Notre rôle est d'apporter un effet levier, d'assurer une certaine homogénéité, par exemple avec le plan eau suite à la sécheresse de 2022, et de maintenir la solidarité entre les différentes parties du bassin.

M. Christophe Leblanc, agence de l'eau Rhin-Meuse. - Si nous laissons les syndicats et les intercommunalités seuls responsables du financement, beaucoup ne pourront pas y parvenir. Malgré les hausses parfois importantes du prix de l'eau, certains n'arrivent pas à obtenir des taux de financement adaptés. L'aide de la Banque des territoires pour les financements est certes intéressante, mais nous sommes parfois contraints de déroger à nos aides pour des petits syndicats.

Mme Aude Witten, agence de l'eau Adour-Garonne. - L'action de l'agence est particulièrement cruciale dans les bassins ruraux, comme en Adour-Garonne, où la question du prix de l'eau est un levier majeur pour le modèle économique des syndicats face aux investissements considérables nécessaires dans chaque bassin pour faire face aux effets du changement climatique. Cependant, les bases sur lesquelles repose la capacité d'investissement sont parfois trop faibles pour que les syndicats ou certaines communes puissent, seuls, faire face à l'ampleur de ces investissements.

L'action de l'agence vise à permettre aux collectivités de porter des projets répondant à l'accélération du dérèglement climatique, non seulement par le biais du prix de l'eau, mais aussi grâce à des effets de levier et de financement, avec la Banque des territoires.

En matière d'assainissement, notre intervention est particulièrement urgente. La directive-cadre sur l'eau fixe à 2027 l'objectif d'atteindre 100 % de bon état des eaux. Nous avons des objectifs déclinés à l'échelle des bassins, mais les points de pression que représentent les stations d'épuration non conformes nous poussent à les identifier et à demander une accélération de leur mise aux normes, en utilisant l'effet de levier pour faire en sorte que les délais soient tenus.

M. Cédric Vial. - Premièrement, concernant le financement, vous avez évoqué l'eau et le financement de l'OFB. Une partie de l'argent collecté sur les redevances de l'eau entre directement dans le budget de l'État. Comment réagissez-vous à cette situation ? Vous avez indiqué que les redevances sont fixées par le comité de bassin. Vous avez également parlé du « Parlement de l'eau ». Pouvez-vous préciser le mode de scrutin de ce Parlement ? Selon moi, un Parlement est élu, et sa légitimité à prendre des décisions vient du vote. J'aimerais que vous expliquiez votre conception de la légitimité de ce Parlement de l'eau.

Deuxièmement, concernant le financement, la Cour des comptes a soulevé plusieurs points il y a une dizaine d'années. Notamment, une hausse de 22 % du salaire moyen de chaque agent au sein des agences de l'eau avait été dénoncée par la Cour des comptes. Qu'en est-il aujourd'hui de l'évolution du salaire moyen des personnels ? Avez-vous corrigé cette tendance ? Une hausse de 13 % de la masse salariale avait également été dénoncée. Quelle est la situation actuelle ? De plus, la Cour des comptes avait recommandé une mutualisation entre les agences, notamment une mutualisation des services d'information. Avez-vous progressé sur ce point depuis ce rapport ?

Ma deuxième question porte sur la légitimité. J'ai des difficultés avec la politique de l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, qui me semble s'écarter de ce que souhaitent la représentation nationale ou les élus locaux. Par exemple, la loi permet actuellement aux communes de gérer l'eau en régie, et cette loi sera sans doute prolongée. Pourtant, certaines agences de l'eau décident de ne plus financer les communes rurales en régie. Dans le département de la Savoie, en moyenne, moins de 3 % des communes rurales isolées ont été financées ces dernières années par des aides de l'agence. Comment expliquez-vous cet écart entre la politique de l'agence et celle fixée par le législateur ?

Devant qui rendez-vous compte de ces aides ? Vous indiquez que le « Parlement de l'eau » décide des montants prélevés, mais qui sont ces élus et à qui rendent-ils des comptes ?

Mme Isabelle Matykowski. -Pour revenir sur le sujet des plafonds, il en existe plusieurs types. Le plafond de recettes est fixé chaque année et le « plafond mordant » a été institué par la loi de finances de 2017 pour éviter les prélèvements sur les fonds de roulement des agences et pour gérer un montant maximum de redevances des six agences. Le fonctionnement du plafond mordant implique que toutes les recettes qui dépassent le plafond de recettes fixé retournent directement dans le budget général de l'État.

La Cour des comptes, dans un rapport de 2023 sur la gestion quantitative de l'eau en période de changement climatique, a préconisé de supprimer le plafonnement du produit perçu par les agences de l'eau. L'objectif était de donner davantage de responsabilités aux comités de bassin dans l'établissement de la fiscalité affectée à la politique de l'eau. En effet, ce plafond mordant peut avoir des effets pervers. Par exemple, dans le cas de l'agence Artois-Picardie, où les tarifs de redevances étaient relativement élevés, les administrateurs ont décidé en 2022 de baisser ces tarifs pour éviter le versement direct à l'État, qui représentait environ 20 à 30 millions d'euros sur la période 2019-2024. Cette décision de baisse des tarifs est intervenue en 2022, une année marquée par une importante sécheresse dans le nord de la France. Cela a permis d'envoyer un signal concernant un usage responsable des ressources en eau.

M. Christophe Leblanc. - Concernant la composition du comité de bassin, qu'on appelle aussi « Parlement de l'eau », ce qui peut paraître abusif, il est constitué à 40 % de représentants des collectivités et à 20 % d'usagers économiques. Les collectivités sont représentées par des élus communaux, départementaux et régionaux, désignés par Régions de France, l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités (AMF) et l'Assemblée des départements de France (ADF). Ces personnes sont nommées par les associations représentatives, sans scrutin direct. Deux parlementaires, une sénatrice et une députée, siègent au sein de notre comité de bassin. L'expression « Parlement de l'eau » provient du fait que l'ensemble des usagers de l'eau sont représentés dans cette instance, qui a l'obligation de débattre des enjeux et des partages. Les comités de bassin ont été créés par la loi, en application du code de l'environnement. En termes de transparence, l'ensemble des délibérations et des procès-verbaux sont accessibles sur les sites internet des agences. Quant à la légitimité, c'est une question de fond de savoir si le fait de ne pas être élu la remet en cause.

M. Nicolas Mourlon, agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse. - S'agissant de l'exercice de la tutelle, nous fonctionnons avec un programme d'intervention, en recettes comme en dépenses. Le processus d'élaboration de ce programme commence par un acte politique descendant, la lettre de cadrage. Le programme actuel a été élaboré en mai 2023, quelques mois après le plan eau.

Concernant le personnel, au 31 août 2024, les agences de l'eau comptaient environ 1 600 agents, dont 86 % de contractuels et 14 % de fonctionnaires. Cette répartition répond à un constat du rapport du Conseil d'État datant de 2012, indiquant que le recrutement d'agents contractuels, facilité par le statut d'agence, permet une plus grande capacité à mobiliser des experts et une meilleure attractivité. En 2007, un décret a défini un « quasi-statut », comprenant des règles spécifiques pour nos agents, différentes de celles de la fonction publique. Ce statut, qui n'a pas évolué depuis, est aujourd'hui perçu comme vieillissant, tant dans ses règles que dans ses valeurs. Actuellement, nos standards se situent en dessous des standards des contractuels du droit public. Une revalorisation est en réflexion, inscrite à l'agenda social du ministère de la transition écologique depuis mars 2024.

Concernant la masse salariale, il existe des points de contrôle. Notre arrêté de dépenses fixe des limites sur l'ensemble du programme, notamment sur le fonctionnement, qui inclut la masse salariale. Le budget non consommé sur les interventions ne peut se reporter sur la masse salariale. Nous observons une stabilisation, voire une baisse de la masse salariale ces dernières années, due à une importante réduction d'effectifs d'environ 25 % entre 2015 et 2023. Actuellement, il y a une volonté de stabiliser l'effectif, avec une légère augmentation de 66 postes l'an passé, atténuée par une baisse de 12 postes en fin d'année financière.

En tant qu'organisme d'intervention, nous devons prioriser certains dispositifs en fonction de la disponibilité des crédits. Cependant, nous devons veiller à ne pas créer de la norme, notamment concernant le prix de l'eau. Notre rôle est de transmettre un message sur un prix de l'eau au niveau national, sans interdire des prix inférieurs, qui peuvent résulter de choix politiques locaux.

Concernant le transfert des compétences, suite à l'annonce du Gouvernement de renoncer au transfert automatique, nous avons veillé à ce que nos programmes ne créent pas de nouvelles normes imposant ce transfert. Nous proposons des dispositifs de financement pour les services publics d'eau et d'assainissement, avec des accès facilités pour certaines communes, notamment celles en zone de solidarité rurale. Les contrats permettent également d'accéder à des aides spécifiques, bien que leur mise en place demande une certaine ingénierie, souvent portée par les structures intercommunales. Néanmoins, les communes restent éligibles aux aides, il suffit d'examiner les différents dispositifs disponibles.

Mme Pauline Martin. - Je souhaite rebondir sur plusieurs points. Je perçois un message implicite de la préfecture concernant un chantage au financement en cas d'absence de transfert. Tel est le message actuellement transmis aux communes.

Ensuite, je m'interroge sur la déclinaison de votre lettre de cadrage au niveau des bassins. Nous constatons des différences d'accompagnement et de financement entre les agences. Je suppose que c'est le comité de bassin qui prend ces décisions. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

J'ai bien noté l'effet de synergie des financements, avec un rôle d'accélérateur, mais nous notons une fâcheuse tendance à financer principalement les études au détriment des travaux ou des projets sur les territoires.

Enfin, comment les agences collaborent-elles avec les autres opérateurs publics tels que l'OFB, l'Ademe, l'agence régionale de santé (ARS) et les collectivités pour éviter les doublons et optimiser la gestion de la ressource en eau ?

M. Cédric Vial. - En complément, j'ai déjà abordé les sujets suivants avec certains de vos collaborateurs et le préfet de région. Malgré le règlement permettant à tous de bénéficier des aides, la réalité est différente. Les aides sont soit non attribuées, soit les communes sont dissuadées de les demander. Le milieu rural est particulièrement affecté, avec seulement quatre aides sur 120 en moyenne ces trois dernières années, à l'exception d'une commune. Les communes sont dissuadées de déposer des demandes.

Nous rencontrons des difficultés avec votre méthode, notamment concernant la légitimité de certaines règles que vous imposez.

De plus, il existe une forme de « chantage » où l'aide pour un projet, par exemple une station d'épuration, est conditionnée à des investissements supplémentaires, comme la renaturation d'une rivière ou l'arasement d'un barrage. Ces situations créent des pressions sur les collectivités, les obligeant à utiliser leur budget général pour des dispositifs imposés.

La complexité de vos dossiers est également problématique. On m'a même expliqué que vous envisagiez de mettre en place des aides aux départements pour qu'ils puissent financer du personnel aidant les communes à monter les dossiers. Cette situation est absurde.

Il est nécessaire de changer la relation que vous avez avec les collectivités. La gestion actuelle de l'argent public et la différence des règles d'une agence à l'autre posent question. Les décisions sont prises par des personnes non élues, parfois en contradiction avec les élus.

Concernant vos effectifs, avec environ 1 600 agents, soit en moyenne 16 par département, il semble y avoir un écart important entre les moyens affectés et ce que l'on constate sur le terrain. Or les agents en charge des interventions représentent 1,5 équivalents temps plein (ETP) par département, donc il y a des postes sur d'autres fonctions. Ne serait-il pas possible d'optimiser cette organisation, à l'échelle du bassin ou plus largement ? Ne pourrait-on pas envisager une mutualisation avec les départements, plutôt que de les financer, afin d'aider les communes à monter leurs dossiers ?

M. Ludovic Haye. - Je vous remercie pour ces éclaircissements sur le rôle des agences de l'eau et leur perspective sur des territoires diversifiés. Ma question porte sur l'aspect organisationnel. Actuellement, vos agences s'appuient sur des outils comme les SDAGE et les schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE). L'OFB et l'Ademe interviennent, ainsi que les établissements territoriaux de bassin, les syndicats de bassin, les collectivités territoriales, sans oublier la gestion des milieux aquatiques et la partie étatique, avec les préfectures, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), le ministère, etc. Si vous en aviez le pouvoir, que changeriez-vous dans cette organisation pour la simplifier ? Je ne cherche pas à établir de hiérarchie, mais pour un élu local, la multiplication des acteurs peut mener à des situations absurdes.

M. Nicolas Mourlon. - L'eau recouvre une réalité physique, avec des bassins étendus parfois sur plusieurs départements et plusieurs régions. Les agences de l'eau apportent une capacité à comprendre le phénomène sur l'ensemble de ces territoires.

Dans des périodes de tension sur la ressource en eau, proportionnellement aux autres, plus de communes isolées ont rencontré des difficultés. Notre préoccupation principale porte sur la gestion équilibrée de la ressource en eau, afin de mettre tous les territoires en capacité de gérer leur eau de manière satisfaisante. Cette situation ouvre un débat sur le meilleur niveau de gestion. Nous encourageons la réflexion et le débat sur cette question, considérant que cela va dans le sens d'une meilleure gestion de l'eau.

En 2012, le Conseil d'État a constaté que les agences permettaient une meilleure implication des parties prenantes issues du milieu professionnel, grâce à leur implantation locale. Concernant le comité de bassin, nous suivons le cadre fixé par la loi en termes de désignation, avec le préfet de bassin qui désigne les membres. Cela permet l'association des parties prenantes, pour réfléchir aux bons équilibres entre les différentes catégories d'usagers sur leur contribution à la politique de l'eau et les bénéfices qu'ils en tirent. Ces équilibres varient d'un bassin à l'autre, en fonction de la géographie et de la nature du territoire.

Mme Aude Witten. - Tous les programmes des agences ont été rehaussés pour ces nouveaux programmes qui démarrent le 1er janvier et dureront six ans. Ils ont été négociés au sein de ces « Parlements » et des conseils d'administration, qui en ont été la cheville ouvrière. La composition plurielle de ces instances, incluant des collectivités, qui forment le plus gros collège, des associations environnementales, des industriels, des agriculteurs et l'État, a permis d'obtenir un consentement à payer. Les programmes d'intervention ont été renforcés pour répondre aux besoins d'investissement liés au changement climatique, soutenus par une stratégie fiscale. Cette négociation entre les différents collèges est cruciale pour que la politique soit autoportante et financée. Ces « Parlements de l'eau » créent le consentement à payer et à soutenir ces programmes. Nous observons un très bon taux de recouvrement, ce qui est confirmé par les enquêtes, notamment la dernière enquête de l'Ademe, montrant un meilleur consentement à l'impôt lorsque la taxe est affectée et que sa destination est expliquée et partagée.

En Adour-Garonne, nos administrateurs, en approuvant un programme avec une capacité financière accrue, nous ont également demandé d'obtenir des résultats. Ils l'ont fait parce qu'on leur avait communiqué les impacts des études scientifiques, et notamment la dernière étude relative aux effets du changement climatique, qui montrait bien que les investissements devaient être faits dans les dix prochaines années et être impactants pour que notre territoire soit réellement résilient face au changement climatique. Ils nous ont demandé de nous assurer de l'efficience de l'euro investi. Quand on écrit des délibérations avec des conditionnalités, quand on prévoit, par exemple, de financer du stockage de l'eau à condition qu'il soit multi-usages, à condition qu'il engage aussi de la sobriété, à condition qu'il engage des pratiques agroenvironnementales, ce sont des éléments qui vont permettre la soutenabilité et l'acceptation de ces projets sur le terrain. Nous avons négocié ces critères de conditionnalité avec l'ensemble de nos collèges. De même, pour les investissements en eau potable et assainissement, nous demandons que les effets du changement climatique soient pris en compte dans les projets qui nous sont présentés, que les projets d'eau potable y soient portés à bonne échelle pour être robustes face au changement climatique. L'expérience de 2022, où 400 communes ont frôlé la rupture d'approvisionnement, nous pousse à exiger les meilleurs projets qu'il soit possible pour les six prochaines années du programme. C'est sur ces bases que nous rendons des comptes à notre comité de bassin et à nos bénéficiaires.

M. Cédric Vial. - J'aimerais obtenir des réponses à plusieurs questions. Premièrement, est-il vrai qu'aujourd'hui vous accordez des aides en échange d'un engagement de la collectivité à mener des projets de renaturation, par exemple en contrepartie d'une aide pour leur station d'épuration ? Est-ce une pratique courante ?

Deuxièmement, est-il exact que vous envisagez ou avez déjà mis en place des aides auprès d'autres collectivités pour fournir de l'ingénierie et accompagner les collectivités dans la conduite de leurs dossiers ?

Enfin, une question plus ouverte : l'action que vous et vos agents conduisez ne serait-elle pas plus efficace, efficiente ou pertinente si elle était portée, par exemple, par une collectivité comme les départements, qui ont déjà une action en matière d'assainissement ? Cela tout en conservant un cadrage national et potentiellement les agences de bassin à votre échelle, mais en remplaçant ces « parlements », qui n'en sont pas vraiment puisque leurs membres sont nommés, par les présidents de départements. Ces élus seraient alors porteurs de la politique locale à l'échelle du bassin et pourraient fixer la redevance. Ils pourraient adapter la politique dans le cadre d'une agence nationale. Cette approche ne permettrait-elle pas d'améliorer la synergie avec les autres acteurs, de gagner en efficience et d'éviter de nombreuses concertations locales ? Cette direction vous semble-t-elle intéressante, et sinon, pourquoi ?

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. - L'alimentation en eau potable va être fortement impactée par le changement climatique, et nous devons nous y préparer. Concernant l'assainissement, qui semble être un problème local, la loi prévoit que la même entité gère à la fois l'eau, l'assainissement et les aspects pluviaux. Pourriez-vous, à la lumière de votre expérience, nous dire s'il y a un réel intérêt à ce que la même structure soit responsable de ces différentes compétences ?

M. Loïc Obled. - En ce qui concerne le deuxième programme, notamment en Loire-Bretagne, nous nous efforçons d'accompagner les collectivités dans leurs réflexions sur l'eau de manière globale. Face au changement climatique et à l'évolution des ressources, il n'est plus possible de mener des politiques séparées pour la gestion de l'eau, le cycle de l'eau, l'urbanisme, etc. Notre rôle est d'apporter un appui technique et une expertise aux collectivités pour qu'elles appréhendent l'eau dans sa globalité. Il n'y a aucune pression de notre part sur les collectivités à engager une action sur un sujet pour obtenir une aide sur un autre. Nous les encourageons à adopter une vision systémique, conformément à la lettre de cadrage qui nous demande d'établir des contrats de territoire. Nous travaillons avec les collectivités pour définir des objectifs communs, puis nous déterminons les moyens à mobiliser en fonction des caractéristiques spécifiques de chaque situation. Les collectivités déterminent ensuite ce qu'elles font et, en fonction de ce qui a été voté par le conseil d'administration et étudié par le comité de bassin, dire à quel niveau la collectivité sera aidée.

Concernant les départements, dans mon bassin, nous ne payons pas des agents pour aider des collectivités à obtenir des aides. Toutefois, l'échelon départemental est crucial pour réfléchir à des schémas directeurs à l'échelle du territoire. Par exemple, dans le Finistère et la Creuse, des initiatives sont prises pour interconnecter les réseaux et exercer une solidarité face aux risques de pénurie. L'agence accompagne ces démarches. L'échelle départementale s'insère dans une logique de bassin, ce qui est essentiel. Si les départements devaient reprendre les missions des agences de l'eau, cela engendrerait des coûts de transaction importants et poserait probablement des problèmes de consentement à l'impôt.

Notre rôle est de travailler avec les collectivités, qui sont les décideurs sur leur territoire. Nous avons pour mission de les éclairer et de les accompagner en termes d'expertise et de soutien financier.

En Loire-Bretagne, 90 % des communes qui ont connu des difficultés d'approvisionnement en eau étaient isolées. Elles ont été aidées, notamment grâce aux moyens déployés par l'État et d'autres collectivités. Le plan eau nous demande de travailler sur l'interconnexion des réseaux pour éviter que ces situations ne se reproduisent. L'échelle intercommunale, quand elle est possible, permet de simplifier les contrats et de mutualiser les ressources et les compétences, ce qui peut être bénéfique pour la gestion de l'eau.

Dans le Loiret, nous avons proposé de réunir l'ensemble des parlementaires, afin de faire des points d'actualité devant la représentation nationale. Le 1er avril à l'Assemblée nationale et le 9 avril au Sénat, nous organiserons des rencontres avec les parlementaires pour présenter notre actualité et lever d'éventuelles incompréhensions. Il est vrai que nous finançons des études, ce qui peut être critiqué, mais ces études ne représentent que 10 % de nos dépenses et sont nécessaires pour préparer les investissements considérables à venir. L'argent qui parvient dans les caisses de l'agence y reste un mois en moyenne, puis est réinvesti dans les territoires. Les collectivités font face à un mur d'investissement. Peut-être ne sommes-nous pas toujours en mesure, dans notre bassin, d'accompagner toutes les collectivités qui voudraient être aidées sur les thématiques qui nous intéressent.

M. Christophe Leblanc. - Je voudrais illustrer la difficulté de se limiter à l'échelle départementale. Nous avons travaillé sur les bassins versants avec la Moselle, la Haute-Marne et la Communauté européenne d'Alsace. Pour la Moselle, par exemple, dix bassins versants concernent ce département, mais seuls trois sont entièrement internes au département, un autre concerne trois départements. Cette situation nécessite une coordination importante entre les territoires. Nous signons des contrats de territoire avec certains départements, ce qui montre bien notre engagement.

Mme Anne-Sophie Patru. - En tant que sénatrice d'Ille-et-Vilaine, j'ai récemment été interpellée concernant la révision du SAGE Vilaine. Nous avons le sentiment d'une représentativité insuffisante des élus ruraux dans ces instances qui prennent des décisions importantes. Nous constatons une forte représentation des territoires métropolitains, liée au nombre d'habitants, qui contraste avec celle des territoires ruraux qui produisent l'eau. Je voudrais avoir votre point de vue sur cette question de représentativité. Comment pourrait-on envisager une certaine progressivité pour résoudre ce sentiment d'injustice, qui me semble être une préoccupation légitime ?

M. Loïc Obled. - Je pense que c'est un enjeu majeur. Nous évoquions les solidarités que les agences tentent de mettre en oeuvre. Il existe un défi crucial entre les métropoles et les zones rurales, car souvent, l'eau consommée dans les métropoles provient des aires rurales. Nous devons réfléchir collectivement à la gestion de la ressource sans opposer les territoires. Un enjeu sensible est de parvenir à générer un débat public apaisé sur la question de l'eau. Cette thématique, très technique, a peut-être été trop longtemps l'apanage des spécialistes, qu'ils soient fonctionnaires, agents publics ou élus. Les élus qui s'intéressent à l'eau sont souvent des experts maîtrisant parfaitement les mécanismes institutionnels, mais utilisant un langage trop spécialisé. Face au changement climatique et aux enjeux de qualité de l'eau, nous devons élargir le débat, afin de générer de l'action, que ce soit par la réglementation étatique, l'accompagnement des agences ou la gouvernance des collectivités. Nous avons besoin d'un débat public sur l'eau qui ne soit pas réservé aux seuls techniciens.

M. Pierre Barros, président. - Le débat est intéressant parce que ceux qui produisent ne sont pas ceux qui consomment, et ils ne sont pas ceux qui payent. Cela interroge sur le modèle et sur les frustrations qui sont générées dans les territoires : ce n'est pas anodin et il y a des retours d'expérience douloureux.

M. Michaël Weber. - Vous traitez à la fois de l'eau et de la biodiversité. Comment gérez-vous les éventuels doublons ou chevauchements ? Comment considérez-vous cette nouvelle mission qui vous est confiée ? Disposez-vous des moyens nécessaires et quelle est l'articulation entre ces différents aspects ?

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Cette question a déjà été posée, mais elle est légitime.

M. Cédric Vial. - Monsieur Obled, vous avez répondu à ma question concernant « le chantage » et le financement des opérations. Je voudrais savoir si les autres participants partagent votre point de vue sur ce sujet.

Mme Sandrine Rocard. - Dans mon bassin, il n'y a pas de conditions particulières imposées sur les aides.

Mme Aude Witten. - Je me retrouve dans cette approche décrite par Loïc Obled, notamment sur la notion d'approche systémique. C'est ce qui est évoqué lorsqu'un acteur propose un projet de politique territorialisée. Ces politiques visent à avoir une vision à 360 degrés sur les enjeux de la politique de l'eau. Avec notre expertise, nous réfléchissons à l'ensemble de ces facettes. Ces politiques sont bonifiées dans ce sens. Le contrat fonctionne dans les deux sens, et nous adoptons également cette approche systémique.

Mme Isabelle Matykowski. - Cette approche systémique est même officialisée dans notre bassin. Avec les acteurs concernés, nous avons identifié ensemble les actions prioritaires à mettre en oeuvre s'agissant des masses d'eau. Nous avons ainsi mis en place des contrats de masse d'eau qui permettent de bonifier les actions visant le bon état des masses d'eau.

M. Christophe Leblanc. - Nous intervenons dans une logique de contrat, certaines de nos actions méritant d'être davantage prises en considération. Nous avons un retour positif qui nous encourage à avancer. Je peux vous communiquer l'évaluation que nous avons menée. Plusieurs collectivités sont prêtes à s'engager dans de nouveaux contrats avec nous.

M. Nicolas Mourlon. - Nous sommes en parfait accord avec les territoires dans une relation de longue date, pour partager les enjeux de la gestion de l'eau.

Concernant votre question sur l'ingénierie dans le territoire, il s'agit en fait d'une ingénierie de mission. Par exemple, nous ne finançons pas de postes généraux de directeurs. Nous finançons de l'ingénierie liée à un projet.

M. Pierre Barros, président. - Merci pour ces éclaircissements. Je vous remercie tous pour vos interventions.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 35.

Jeudi 27 mars 2025

- Présidence de Pierre Barros, président -

La réunion est ouverte à 14 h 05.

Audition de M. Martin Gutton, directeur général, Mme Julie Brayer Mankor, directrice générale adjointe, et M. Stéphane Le Den, directeur des interventions de FranceAgriMer

M. Pierre Barros, président. - Mes chers collègues, cette journée est consacrée en grande partie au secteur agricole, puisque nous entendrons tout à l'heure l'Agence de services et de paiement (ASP), avant d'entendre les syndicats agricoles.

Pour commencer, nous recevons M. Martin Gutton, directeur général d'un autre organisme, l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer, que l'on connaît mieux sous le nom de FranceAgriMer. Il est accompagné de Mme Julie Brayer Mankor, directrice générale adjointe, et de M. Stéphane Le Den, directeur des interventions de FranceAgriMer.

FranceAgriMer et l'ASP ne sont pas forcément bien connus du grand public. Ces auditions nous permettront de mieux comprendre comment sont délimités les champs de compétence respectifs des deux opérateurs. Je rappelle que les deux agences ont été créées en même temps, en 2009, et qu'elles ont toutes les deux un siège ou un site national à Montreuil. Cela me conduit à vous poser une première question. Cette proximité historique et géographique vous permet-elle de mieux coopérer, en mutualisant certains services ou en bénéficiant de l'expertise de l'autre organisme ? Avez-vous l'occasion d'échanger sur les bonnes pratiques ?

FranceAgriMer n'est pas seulement un organisme payeur ; c'est aussi un centre d'expertise sur les marchés, un lieu de concertation entre les filières et, enfin, un organisme de soutien à l'exportation pour les secteurs agricole et agroalimentaire.

Votre établissement résulte de la fusion entre les anciens offices agricoles, qui étaient spécialisés par secteurs. Cela m'amènera à vous interroger sur le bilan de cette fusion. Combien d'années a-t-il fallu pour que FranceAgriMer l'« absorbe » ? Comment s'est passée l'intégration des personnels, en fonction de leur statut ? Cette fusion a-t-elle conduit, selon vous, à un gain d'efficacité ou à des économies d'échelle ?

D'une manière générale, notre commission s'intéresse à la manière dont les agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État accomplissent leurs missions et à la façon dont leur organisation ou la répartition des rôles avec les services déconcentrés ou les collectivités territoriales pourrait être améliorée. N'hésitez donc pas à nous faire part des difficultés que vous rencontrez à cet égard et à formuler des propositions allant dans le sens d'une meilleure mise en oeuvre des politiques publiques.

Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif de dix minutes environ, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu en sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois ans à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Martin Gutton, Mme Julie Brayer Mankor et M. Stéphane Le Den prêtent serment.

M. Martin Gutton, directeur général de FranceAgriMer. - Monsieur le président, madame la rapporteure, permettez-moi en préalable de me présenter. J'ai pris mes fonctions de directeur général de FranceAgriMer voilà moins de deux mois. Par le passé, j'ai dirigé une agence de l'eau. J'ai également été directeur régional de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt entre 2009 et 2015, d'abord en Poitou-Charentes, au moment a été créé l'établissement FranceAgriMer, puis en Bretagne. J'ai donc contribué à la préfiguration de l'organisation territoriale de l'établissement : je l'ai vu se mettre en place pendant ses six premières années d'existence, aux côtés de l'ASP.

Le ministère de l'agriculture a hébergé de longue date beaucoup d'opérateurs publics. Le premier, datant de 1936, fut l'Office national interprofessionnel du blé (Onib). Nombre d'organismes ont été institués par la suite, la plupart ayant des liens directs avec la politique agricole commune (PAC). Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le Fonds d'orientation et de régularisation des marchés agricoles (Forma) a été créé dans les années 1960 pour regrouper toute une série d'organisations d'intervention agricoles.

En 2009, le ministère de l'agriculture, dont Michel Barnier était alors à la tête, s'est engagé dans la suppression ou la fusion d'un certain nombre d'organisations communes des marchés agricoles (OCM). S'est produit également un changement de paradigme dans la gestion des aides à l'agriculture, avec le passage d'un système d'aides et de soutien de marché à des dispositifs d'aides directes aux producteurs. C'est à ce moment que les organismes ayant précédé l'ASP ont commencé à jouer un rôle plus important dans la gestion des aides de la politique agricole commune. D'une certaine manière, nous avons vécu une bascule du monde de FranceAgriMer vers le monde de l'ASP, du fait des changements de règles communautaires.

Pour autant, il est resté une organisation commune des marchés : c'est sur ce pôle que travaille l'établissement FranceAgriMer, là où l'ASP, elle, est l'acteur principal de la gestion des aides directes à l'agriculture. En un sens, FranceAgriMer évolue dans le monde des filières quand l'ASP est dans l'amont constitué par l'agriculture, avec les services déconcentrés du ministère et, aujourd'hui, les conseils régionaux, qui sont autorités de gestion sur une partie des fonds.

Mais FranceAgriMer, ce n'est pas uniquement la gestion des aides. Pour pouvoir intervenir sur ce terrain, nous avons besoin d'informations, notamment économiques, de connaissance du fonctionnement des marchés et des filières et d'études prospectives. Nous voyons bien quelles sont les difficultés de nos filières agricoles et agroalimentaires ; c'est là l'une des missions importantes de l'établissement. Au-delà de l'agriculture et des entreprises industrielles, notre spectre d'intervention couvre la grande distribution, les consommateurs et, d'une certaine manière, le grand public.

Dans les instances de gouvernance de FranceAgriMer siègent ainsi des représentants des consommateurs. J'utilise souvent la formule : « de la fourche à la fourchette ». Au sein du conseil d'administration de l'établissement, on trouve les syndicats agricoles représentatifs à l'échelon national, la coopération, l'industrie, la distribution, les consommateurs, les salariés, ainsi que des élus, dont deux parlementaires - un sénateur et un député - et un représentant des conseils régionaux, et seulement quatre représentants de l'État.

En d'autres termes, si l'établissement public est sous une tutelle du ministère de l'agriculture, ainsi que du ministère du budget - nous sommes des gestionnaires de fonds publics -, sa gouvernance a un caractère interprofessionnel marqué. Mieux, les conseils spécialisés, qui sont un peu la mémoire des différents offices existant au moment de la fusion, sont des lieux d'exercice d'une certaine forme de « démocratie participative ». On y retrouve les acteurs des grandes cultures, des fruits et légumes, de la viticulture, de la pêche et de l'aquaculture. D'ailleurs, ce conseil spécialisé est sans doute le seul véritable lieu national où tous les acteurs de la pêche et de l'aquaculture se retrouvent dans les locaux de l'établissement, à Montreuil. En un mot, FranceAgriMer est l'établissement des filières agricoles et de la pêche.

Monsieur le président, vous avez évoqué la question de notre articulation avec les services territoriaux de l'État.

En 2009, l'organisation qui avait été choisie par le ministre de l'agriculture consistait précisément à croiser l'établissement et son organisation avec l'échelon territorial régional du ministère. Tous les agents des offices concernés qui ont intégré FranceAgriMer ont été intégrés dans un service territorial, soit au sein d'un service préexistant dans la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf), soit - c'est notamment le cas dans les régions viticoles, où les effectifs sont plus importants - dans un service de FranceAgriMer, sous l'autorité du directeur régional de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt, donc du préfet de région.

Je sais qu'une telle organisation peut faire débat. Mais, pour l'avoir connue moi-même dans mes fonctions passées, je crois qu'elle a un grand intérêt pour les services déconcentrés de l'État. Ceux-ci avaient progressivement évolué vers des tâches avant tout administratives, là où les agents de FranceAgriMer intervenaient sur le terrain, au plus près des filières. L'organisation dont je viens de parler a donc permis aux services de l'État, à compter de 2009, de bénéficier des compétences de véritables agents de terrain, spécialistes des produits de l'élevage, des filières viticoles ou des fruits et légumes.

En outre, nous travaillons régulièrement avec les directions départementales des territoires (DDT). L'établissement, en plus de gérer des fonds européens, est amené à intervenir dans la gestion de crise. Il est largement utilisé par le ministère de l'agriculture pour mettre en place des mesures d'urgence, sous l'autorité de la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises du ministère de l'agriculture (DGPE) et des services pilotés par Stéphane Le Den. L'outillage informatique, qui est essentiel dans la mise en place de tels dispositifs, relève du siège, mais l'instruction des dossiers se déroule le plus souvent à l'échelon départemental, qui est l'échelon des bassins de vie.

FranceAgriMer est clairement avant tout un gestionnaire d'aides de la PAC. C'est notre établissement qui gère le Fonds européen agricole de garantie (Feaga). C'est là que se définissent les priorités annuelles, les dispositifs de gestion des aides et les modalités d'accompagnement des filières, toutes ces missions nécessitant la connaissance dont j'ai parlé. Cela se fait notamment via des conseils spécialisés qui rassemblent tous les professionnels concernés. Encore une fois, on n'y trouve pas seulement les syndicats agricoles : c'est toute la filière qui discute des priorisations. Cela entraîne - je ne vous le cache pas - de nombreux débats pour ce qui est de définir les priorités en fonction de la situation des marchés.

Nous gérons également le volet national du Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture (Feampa) et du Fonds européen d'aide aux plus démunis (Fead), ce dernier étant piloté par le ministère chargé de la cohésion sociale.

L'établissement FranceAgriMer a été très fier que son importance soit reconnue dans la loi du 24 mars 2025 d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture, dont le Sénat a débattu. Il s'est vu confier un rôle particulier en matière d'organisation des conférences de la souveraineté alimentaire et d'accompagnement des filières et interprofessions dans la définition des stratégies de souveraineté alimentaire, avec une cible en 2026. C'est là, me semble-t-il, une belle reconnaissance de notre travail.

Vous m'avez interrogé sur le bilan de la fusion. J'ai été présent sur le terrain de 2009 à 2015. Une fusion, c'est souvent très lourd, à moins de la mener au pas de charge, ce qui emporte nécessairement des conséquences sociales pour l'établissement. Or, en l'espèce, mon sentiment est que la culture « FranceAgriMer » est aujourd'hui très largement partagée au sein de l'établissement. Cela fait tout de même plus de quinze ans que la fusion a eu lieu. Même si certains collaborateurs aiment à rappeler qu'ils viennent de l'Office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers (Onil) ou de l'Office national interprofessionnel des céréales (Onic) - d'ailleurs, c'est plutôt sympathique ! -, il existe globalement une culture commune à l'ensemble de l'établissement. Il reste bien quelques outils informatiques datant d'avant la fusion, ce qui fragilise notre organisation, mais la fusion a permis de considérables économies d'échelle. Aussi sommes-nous capables de répondre très vite aux engagements des ministres lorsque surviennent des situations difficiles, qu'il s'agisse de l'agriculture ou de la pêche. L'intégration des personnels a également été une réussite, me semble-t-il.

Je l'ai indiqué : quinze ans, c'est long. Nous constatons avec satisfaction que la fusion a été réussie, y compris au sein des directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt : croiser la culture d'un établissement national avec celle d'un service déconcentré de l'État n'était peut-être pas l'exercice le plus facile qui soit.

J'ai peut-être un regret pour ce qui est de l'articulation de notre travail avec celui des régions, et en particulier des treize collectivités régionales métropolitaines, qui ont aujourd'hui, vous le savez, des compétences extrêmement étendues en matière de développement économique et d'agriculture. En la matière, nous avons manifestement des marges de progression. Cette articulation est sans doute plus difficile à réaliser pour un établissement national ; elle se fait à l'échelon local via les services territoriaux et les Draaf, mais des coopérations restent sans aucun doute à développer. Tel est du reste l'objectif que nous nous sommes fixé avec Régions de France. En tout état de cause, nous devons aller plus loin dans la construction d'un travail commun.

Si le siège de l'ASP est à Limoges, son président-directeur général et un certain nombre de ses collaborateurs sont installés dans les mêmes locaux que nous. FranceAgriMer gère un bâtiment entier, qui s'appelle l'Arborial, sur un ancien site industriel de déroulage du bois. On y trouve l'Agence Bio, l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao), l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (Odéadom), l'équipe nationale de l'ASP et 600 agents de FranceAgriMer, les 300 restants étant dans les Draaf. Nous avons donc déjà engagé d'importantes mutualisations.

FranceAgriMer gère l'ensemble du site et offre une série de prestations communes à tous les établissements du ministère de l'agriculture, qui partagent par exemple un groupement comptable. Cette semaine, nous étions réunis avec les directeurs et les directrices des différentes structures pour échanger, comme c'est régulièrement le cas, sur nos thématiques communes.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le groupement comptable que vous venez de mentionner ? Y a-t-il d'autres mutualisations au sein des agences du ministère de l'agriculture ?

Quel est le statut des 300 agents qui sont dans les Draaf ? Qui les paie ? Qui exerce l'autorité fonctionnelle ?

Vous avez indiqué que la naissance de FranceAgriMer était pour partie liée à la réforme des aides européennes. Les autres pays de l'Union ont-ils, comme nous, un système bicéphale ?

M. Martin Gutton. - Je vais corriger mon propos : l'ASP a son propre groupement comptable. Elle gère des montants absolument considérables, qui comprennent, outre les crédits du ministère de l'agriculture et ceux de la PAC, bien d'autres dispositifs pour de nombreux ministères.

En revanche, nous partageons bel et bien un groupement comptable avec l'Agence Bio, l'Odéadom ou encore l'Inao.

J'en viens à votre question sur les agents placés en Draaf : à cet égard, notre organisation est originale. Ces agents, qui sont amenés à travailler avec la direction des interventions de FranceAgriMer, sont payés par FranceAgriMer, mais leur responsable hiérarchique est bien le directeur régional de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt.

FranceAgriMer réunit régulièrement les Draaf au ministère de l'agriculture ; il y a là autant d'occasions d'échanger. De la même façon, des échanges réguliers ont lieu entre les services territoriaux des Draaf, c'est-à-dire notre réseau déconcentré, et les administrations centrales du ministère de l'agriculture. Ce système, qui croise une organisation nationale et une organisation territoriale, me paraît assez fluide : cela fonctionne bien.

Les agents de FranceAgriMer peuvent évidemment être représentés dans les instances sociales des Draaf. Ils sont également représentés, bien sûr, au sein de notre établissement. Il y a donc deux lieux de dialogue social, ce qui permet de lever les incompréhensions ou les difficultés qui peuvent apparaître.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Y a-t-il une convention qui régit ces modalités de fonctionnement entre le ministère et FranceAgriMer ?

M. Martin Gutton. - Il y a une délégation de signature du directeur général de FranceAgriMer aux préfets : j'appelle cela un dialogue de gestion. Nous échangeons régulièrement avec les directeurs régionaux à propos des moyens que nous leur confions, puisque nous finançons une partie du fonctionnement des Draaf - je pense aux véhicules, par exemple.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - C'est intéressant et cela nous ouvre des pistes. Pourrez-vous nous communiquer par écrit un historique relatif à la manière dont les choses se sont passées en 2009 ?

M. Martin Gutton. - J'ai vécu cette période. À l'époque, j'étais directeur régional. Je garde plutôt le souvenir d'un travail mené en étroite coopération entre tous les acteurs concernés.

Le plus complexe était peut-être la fusion entre agents d'offices qui, certes, avaient le même statut, mais qui se découvraient : les agents de l'Onil, par exemple, ne connaissaient pas nécessairement leurs collègues de l'Onic.

L'exercice était donc double : d'une part, une fusion à la fois au siège et dans les régions ; d'autre part, l'intégration d'agents au sein d'une autre administration, la Draaf.

Les fonctionnaires du ministère de l'agriculture travaillaient avec l'ensemble des offices agricoles ; les acteurs de l'économie agricole au sein de la Draaf connaissaient donc bien leurs collègues des différents offices.

Nous vous enverrons une réponse détaillée à ce sujet.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Considérez-vous que, géographiquement, la maille régionale soit plus pertinente que la maille départementale, même avec la création des grandes régions ? On aurait en effet pu imaginer que ces agents soient placés dans les directions départementales des territoires (DDT).

M. Martin Gutton. - Le département reste l'échelon de proximité. Pour ce qui est de la gestion de crise, la région n'est pas forcément la mieux placée pour agir, la proximité restant un critère indispensable, et ce d'autant que la fusion des régions a entraîné le rapprochement de plusieurs directions régionales de l'agriculture, comme cela a été le cas pour tous les autres services régionaux de l'État et même pour les collectivités régionales. Les périodes de crise sont celles où les acteurs sont confrontés à des situations d'incertitude forte. Ils ont besoin d'être accompagnés et d'avoir des interlocuteurs dans les services publics de proximité.

À l'inverse, quand il s'agit de construire des stratégies de filière, la maille régionale peut s'avérer insuffisante ; il arrive, du reste, que les acteurs travaillent sur plusieurs régions. Il suffit pour s'en convaincre de se pencher sur les grands acteurs coopératifs français : alors que la coopérative est par construction ancrée sur son territoire, les acteurs peuvent travailler sur deux, voire trois régions administratives, comme c'est le cas notamment dans le Grand Ouest. La fusion des régions a sans doute atténué le phénomène, mais je reste convaincu qu'à cet égard l'action doit être portée à l'échelon régional. C'est d'ailleurs ce que le législateur a inscrit dans la loi en confiant aux régions l'essentiel des leviers dans les domaines du développement économique, de l'aménagement du territoire et de l'agriculture. Une part importante des politiques agricoles sont désormais sous le pilotage des régions ; d'où le regret que j'ai exprimé tout à l'heure et la nécessité d'approfondir les travaux que nous menons avec les régions.

De toute façon, les effectifs étant assez restreints dans certaines régions, l'échelon départemental était impraticable à moins d'un éclatement des moyens, qui auraient été, dès lors, insuffisants.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Comment s'organisent, de ce point de vue, les autres pays européens ?

Mme Julie Brayer Mankor, directrice générale adjointe de FranceAgriMer. -Il est important de rappeler que FranceAgriMer, qui est issu de la création des offices, est intimement lié à l'histoire agricole française. Les offices sont nés après la crise des années 1930, dans le cadre de la mise en place d'une politique agricole d'intervention et d'organisation des filières qui a précédé la mise en oeuvre de la politique agricole commune (PAC), après la signature du traité de Rome. La PAC a été marquée pendant tout le XXe siècle par une volonté d'intervention et de régulation des prix et des marchés, ainsi que par une volonté d'intervention, via la création de stockages. C'est d'ailleurs ce qui fonde les missions que nous exerçons en matière d'aide alimentaire.

M. Pierre Barros, président. - Avant les années 1930, il n'existait pas d'organismes de régulation ou de planification ?

Mme Julie Brayer Mankor. - À ma connaissance, il n'y avait pas d'organisme de régulation des marchés. C'est à partir de la crise des années 1930 qu'ont été mis en place la gestion, le contrôle qualité et tout le travail sur les appellations. Ainsi ont été créés l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao), au moment de la crise viticole, puis ce qui deviendrait l'Office national interprofessionnel du blé (Onib), après la crise céréalière, puis l'Office national interprofessionnel des grandes cultures (ONIGC). Ce travail s'est ensuite étendu à l'ensemble des filières.

Dans les années 1960, 1970 et 1980 et jusqu'aux premières réformes des années 1990 et à la grande réforme dite « Agenda 2000 », la politique agricole commune était essentiellement liée à l'organisation commune des marchés agricoles, ce qui justifiait de développer une approche par filière, y compris pour les outils d'intervention et les outils financiers européens, ceux-ci ayant par la suite évolué pour devenir plus transversaux. Le déploiement de l'Agenda 2000 a permis de réformer profondément la politique agricole commune, via notamment le déploiement d'aides aux revenus. Tout cela a été décidé dans le cadre de discussions internationales, conformément aux engagements pris dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Par conséquent, les dix derniers États membres qui ont rejoint l'Union européenne ont mis en place une politique agricole commune qui était déjà réformée, de sorte qu'ils ont bénéficié d'outils de financement européens dont la gestion est plus simple, à l'image de ce que peuvent être le Feaga et le fonds européen agricole pour le développement rural (Feader).

En revanche, les États membres qui ont eu à gérer la PAC avant cette réforme ont connu une diversité d'outils qui était fonction de l'organisation territoriale de chaque pays. Ainsi la politique agricole commune est-elle en Italie ou en Allemagne intrinsèquement liée à une forte compétence régionale, les régions y mettant en oeuvre la politique agricole dans son ensemble. Je ne sais pas ce qu'il en est en détail des organismes payeurs, mais il est clair que les régions ont en ce domaine une compétence totale - je pense y compris au respect des engagements en matière de coordination et de gestion des contrôles, mais aussi à l'exercice de la responsabilité financière liée aux potentiels apurements des comptes.

M. Martin Gutton. - Pour en revenir aux années 1930, le développement de l'agriculture française après la guerre doit beaucoup à l'essor de la mécanisation, puis à la politique agricole commune, qui est aussi une politique de souveraineté alimentaire européenne. Il faut toujours le rappeler : sans la PAC, nous ne serions sans doute pas dans la situation d'aujourd'hui. La PAC a joué un rôle majeur dans le développement de l'agriculture française.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - FranceAgriMer a déjà intégré une grande partie des opérateurs et des agences du ministère de l'agriculture, mais certains restent isolés, dont l'ASP que je mets à part. Qu'est-ce qui justifie que l'Inao, l'Office du développement agricole et rural corse (Odarc) et l'Odéadom ne soient pas dans FranceAgriMer ?

M. Martin Gutton. - Compte tenu du statut particulier de la Corse, il me semble justifié que l'Odarc relève de l'organisation départementale.

De manière plus générale, je ne suis pas certain que la fusion d'opérateurs soit toujours la bonne solution. À l'époque où l'État avait la volonté de réformer, il y a très largement recouru en lançant une énième phase de refondation et de réorganisation de ses opérateurs, qui avait été en réalité préparée par l'évolution de la politique agricole commune. En effet, puisqu'il n'y avait plus qu'une seule organisation commune des marchés agricoles, il était naturel que l'ensemble des établissements fusionnent ; cette fusion a donc fini par intervenir, quoiqu'avec un peu de retard.

Le développement de politiques de qualité justifie sans doute que l'Inao n'ait pas été inclus dans la fusion : cela permet un affichage politique sur les actions particulières qui sont menées en ce domaine, lesquelles ont une longue histoire. La directrice générale de l'Inao en parlerait mieux que moi, mais cet organisme entretient des liens étroits avec les territoires et sa gouvernance est encore plus particulière que la nôtre, puisqu'une partie de ses financements vient des territoires sous signe officiel d'identification de la qualité et de l'origine.

Tous les organismes que vous avez cités ont des gouvernances particulières. Concernant l'outre-mer, il serait intéressant d'avoir le retour des parlementaires concernés. L'agriculture qui s'y développe est propre à des territoires îliens, si l'on excepte la Guyane ; elle est de toute façon très différente de celle que l'on trouve en métropole, ce qui justifie vraisemblablement une gouvernance spécifique.

D'ailleurs, les élus politiques et agricoles de ces territoires seraient inquiets si la concertation se faisait dans des cercles plus larges que ceux qui regroupent les acteurs de leurs départements. Une observation, malgré tout : quand nous travaillons avec les départements d'outre-mer, nous procédons déjà à des regroupements en réunissant, par exemple, les élus de La Réunion, de la Guyane et des Antilles.

À mon sens, la spécificité des lieux et des acteurs de la concertation justifie en tout cas la nécessité d'une gouvernance propre.

Qu'apporterait une fusion, sinon des économies d'échelle qui se feraient vraisemblablement sur les fonctions supports ? Or, ces économies, nous les faisons déjà : je pense notamment au groupement comptable. Certes, des améliorations sont possibles, parce qu'il est clair qu'une structure de vingt ou cinquante personnes ne peut pas se permettre de financer des postes spécialisés dans certains domaines. Depuis que j'ai pris mes fonctions à FranceAgriMer, je discute avec un certain nombre d'interlocuteurs pour étudier la possibilité de mieux mutualiser ces fonctions particulières.

Par exemple, pour travailler sur les achats, il faut une équipe achat, qui peut d'ailleurs être assez réduite et limitée à six ou sept personnes. Mais les petites structures, qui doivent pourtant faire des achats, n'ont pas forcément les moyens de se doter de spécialistes de ce sujet. Par conséquent, il faudrait faire comme les agences de l'eau, si je puis me permettre cette comparaison, et mieux rapprocher nos fonctions supports afin que les structures de petite dimension puissent concentrer leur effort sur leur mission principale.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - En lisant votre dernier rapport d'activité, le rapport pour 2023, je me suis interrogée sur la légitimité de FranceAgriMer à réaliser certaines missions. Et, à tout le moins, la lisibilité de l'action publique ne m'a pas toujours paru évidente.

Ainsi, vous consacrez une partie de votre action à l'aide alimentaire aux plus démunis, alors que cette politique relève selon moi, si l'on suit la logique de la loi de finances, de la mission budgétaire « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Autre exemple : vous financez le programme « Lait et fruits à l'école », ce qui revient, me semble-t-il, à prendre la place des collectivités locales qui sont chargées des écoles primaires. Dernier cas d'espèce : vous soutenez le dynamisme de l'agriculture en Côte d'Ivoire alors même que l'une des missions du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) est de développer la coopération agricole et que l'Agence française de développement (AFD) y oeuvre aussi.

Comment gérez-vous cette interconnexion avec des politiques publiques de nature très diverse ? Ne pensez-vous pas qu'il faudrait recentrer ou concentrer l'action de FranceAgriMer, quitte à abandonner des pans entiers de son action ? Quand trop d'acteurs s'occupent des mêmes questions, cela n'est-il pas source d'inefficience ou de surcoût ?

M. Martin Gutton. - Notre rapport d'activité est un très beau document ; il est d'autant plus intéressant qu'il n'a pas la forme habituelle d'un rapport d'activité. Il s'agit plutôt d'un document qui met en valeur chaque année, sous une forme qui ressemble à une suite d'articles, toute une série de projets accompagnés par FranceAgriMer. Évidemment, cela ne rend pas compte du poids que représente chaque activité au sein de l'établissement.

Premièrement, notre programme d'aide aux plus démunis est un reliquat de l'histoire, et plus précisément de l'époque où la politique agricole commune avait conduit à constituer des stocks considérables de poudre de lait ou de viande. Ces stocks étaient utilisés, précisément, pour apporter une aide alimentaire aux plus démunis. C'est à ce titre, d'ailleurs, que l'Europe accompagnait ces dispositifs et que les opérateurs intervenaient dans le déploiement de cette action. Désormais, le dispositif a pris fin et l'aide aux plus démunis relève non plus de la politique agricole, mais d'une politique d'action sociale. Celle-ci s'inscrit dans le cadre d'un service public important et exceptionnel qu'il faut bien évidemment préserver, mais qui relève de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), avec laquelle nous travaillons.

Ma prédécesseure avait fait la même analyse que vous au sujet de l'aide aux plus démunis, mais personne ne veut prendre le relais. Autrement dit, si j'annonce au directeur général de la cohésion sociale que nous souhaitons arrêter ce programme, il n'aura pas de solution de substitution. En tout cas, de notre côté, nous ne nous accrochons pas du tout à cette action, même s'il s'agit d'un service public qu'il faut préserver.

Le sujet est difficile et nous avons fait l'objet d'audits et de contrôles. À un moment, certains ont considéré que nous n'étions pas suffisamment exigeants, ce qui a engendré certaines difficultés avec la Commission européenne. A également éclaté une affaire liée à la qualité des produits, notamment le steak haché, de sorte que notre établissement a fait l'objet d'une mauvaise communication à l'échelle nationale. En outre, cette aide est très lourde à gérer pour ce qui est des achats, car c'est l'établissement qui achète directement les denrées pour les fournir ensuite aux ONG, sans être les maîtres de l'organisation. Nous pourrions trouver une forme de gestion plus légère, mais nous ne sommes pas les ordonnateurs.

Deuxièmement, le programme européen « Lait et fruits à l'école » est financé par le Feaga, dont nous sommes les gestionnaires ; c'est pour cette raison que nous continuons d'agir avec les collectivités sur ce point précis. En l'occurrence, nous ne faisons qu'intervenir auprès d'elles : elles restent maîtresses de leur action.

Enfin, à l'international, nous exerçons une mission importante d'accompagnement des filières. Au salon de l'agriculture, toutes les interprofessions que j'ai pu rencontrer m'ont parlé de l'action d'accompagnement de FranceAgriMer à l'international. En effet, les procédures d'agrément sont très lourdes et le ministère de l'agriculture, plus précisément la direction générale de l'alimentation (DGAL), s'appuie sur FranceAgriMer pour jouer ce rôle d'interface entre les acteurs économiques, c'est-à-dire les entreprises, et les services, notamment sanitaires, des pays étrangers. Dans le domaine de la santé animale, par exemple, nos vétérinaires peuvent parler à d'autres vétérinaires exerçant dans des pays étrangers. Plus récemment, cela nous a permis de travailler sur l'ouverture du marché indonésien aux huîtres françaises. Nous jouons donc un rôle de facilitateur, en lien, évidemment, avec les services économiques de l'ambassade et avec les autorités sanitaires françaises. Nous sommes un tiers de confiance - cela vaut aussi pour la formation des prix - garantissant aux filières un cadre sécurisé d'action.

Les trois quarts des agents de FranceAgriMer sont des fonctionnaires, mais, si nous pouvons jouer ce rôle d'intermédiaire, c'est grâce à des professionnels qui sont membres de nos instances et que nous connaissons. Nous faisons en sorte qu'ils se réunissent avec les représentants des services de l'État pour discuter de certains sujets, et notamment de ceux qui ont trait à l'exportation.

Nous développons aussi une coopération institutionnelle en appui de ce que font les ministères. Par exemple, le Maroc était l'invité d'honneur du dernier salon de l'agriculture. L'office des céréales avait une coopération ancienne avec son interlocuteur marocain. C'est important, étant entendu que l'Algérie, elle, s'est fermée à toutes les importations françaises de céréales : certains opérateurs se trouvant dès lors en difficulté, le marché marocain apparaît d'autant plus précieux. Ce type de coopération facilite aussi les échanges entre opérateurs nationaux.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Élargissons la discussion : comment expliquez-vous qu'il vous revienne de verser certains « morceaux » de la PAC et qu'il incombe à l'ASP d'en verser d'autres ? Ne faudrait-il pas confier à un seul organisme d'État la tâche de verser toutes les aides, ce qui faciliterait le regroupement des informations sur les bénéficiaires, donc les contrôles et la lutte contre la fraude ? Ou existe-t-il une explication particulière justifiant que FranceAgriMer verse une partie de ces aides ?

M. Christian Bilhac. - Premièrement, compte tenu de la situation financière des agriculteurs, ne faudrait-il pas revenir à une conception des dossiers de demande un peu plus légère que ce qu'elle est à l'heure actuelle ? J'ai connu l'époque où tous les agriculteurs remplissaient eux-mêmes leurs dossiers. Aujourd'hui, ils doivent payer un organisme associatif ou privé pour monter des dossiers qui sont d'une complexité qui est, pour lui, inabordable.

Deuxièmement, il faudrait revoir les délais. J'ai été sollicité par un agriculteur qui avait déposé un dossier d'aide il y a deux ans. Il a reçu le 3 février de l'année dernière un courriel lui annonçant que son dossier était retenu. Ne voyant rien venir en septembre, il m'a demandé d'intervenir, ce que j'ai fait. À force d'insistance, l'agriculteur a fini par recevoir, le 2 février suivant, la notification indispensable pour obtenir son prêt bancaire ; autrement dit, il a fallu attendre 364 jours après que la décision a été rendue. Et, à ma connaissance, il ne s'agit pas là d'un cas isolé !

Troisièmement, quels étaient les effectifs de FranceAgriMer à sa création et quels sont-ils aujourd'hui ?

M. Martin Gutton. - Comme je l'ai dit dans mon propos liminaire, la ligne de partage avec l'ASP tient au fait que sa mission - et le métier de ses agents - est clairement la gestion des aides directes. Or il n'y a pas forcément besoin d'échanger avec l'agriculteur qui demande une aide directe : celui-ci déclare ses productions et, en fonction de ses droits, il se voit allouer une aide.

Dans le cadre des programmes opérationnels des filières, en revanche, les organisations de producteurs peuvent bénéficier d'aides pour leurs investissements. Nous sommes alors face à des entreprises qui construisent un projet autour de l'investissement, de la promotion d'un produit ou d'actions innovantes, et le travail n'est pas tout à fait le même : il suppose nécessairement d'échanger avec les responsables de l'entreprise. Nos techniciens sur le terrain se déplacent pour les rencontrer. Nous nous occupons donc de ce qui concerne l'organisation de marché, ce qui correspond à un autre métier, que l'ASP aurait d'ailleurs du mal à exercer. C'est là selon moi que se trace la ligne de partage entre nos deux organismes.

Des possibilités de réajustement existent sans doute. Par exemple, nous sommes souvent sollicités en matière de gestion de crise. Le cas échéant, quand il doit trouver un opérateur, le ministère de l'agriculture se tourne vers celui qui sera capable de réagir rapidement et de mettre en place le dispositif qui convient, en s'appuyant sur les services départementaux de l'État - dans pareil contexte, ces derniers sont en effet des interlocuteurs naturels, car ils ont à connaître à la fois des aides du premier pilier et de celles que FranceAgriMer est susceptible de verser. Comme le montre cet exemple, il y a certainement des choses à améliorer dans la façon dont notre action est conçue ; le Sénat nous aide, à cet égard, à formuler les bonnes questions.

Monsieur le sénateur Bilhac, je souscris à ce que vous avez dit sur la complexité des dossiers. Depuis que j'ai commencé à travailler sur ces sujets, je n'ai pu que constater, au fil des décennies, l'évolution des dossiers. Cela dit, dès lors qu'il s'agit de fonds européens, nous devons respecter toute une série de règles, sous peine de nous exposer à un risque de non-apurement, les factures pouvant se chiffrer, le cas échéant, en milliards d'euros. Si le volume des anomalies est trop important, en effet, la Commission européenne prononce des sanctions d'un montant considérable. C'est la raison pour laquelle, d'année en année et d'audit en audit, nous avons dû resserrer un certain nombre de règles, car nous sommes pris, de ce point de vue, dans une sorte de machine infernale.

Toutefois, depuis un ou deux ans, nous constatons une prise de conscience : cette complexité est reconnue comme excessive, de sorte que la tendance, nationale comme européenne, est à la simplification. Par exemple, les contrôles ont été simplifiés pour la viticulture à l'échelle européenne.

Le dossier que vous citez est regrettable et je veux bien que vous me transmettiez le nom du viticulteur concerné. Le délai est assurément trop long. Toutefois, depuis 2020, notre organisation a été beaucoup secouée, et nous avons aussi dû gérer les plans France Relance et France 2030 ainsi qu'un dispositif de planification écologique important. Il a donc fallu faire face, sans effectifs supplémentaires, à une charge de travail considérable. Je salue à cet égard le travail réalisé par l'équipe de Stéphane Le Den, qui a su oeuvrer dans un temps très court malgré toute une série de crises conjoncturelles.

Nous avons donc dû assumer, ces dernières années, une réelle surcharge d'activité, ce qui ne nous a pas toujours permis de répondre aussi rapidement que nous le souhaitions aux demandes individuelles. Mais nous travaillons à améliorer notre organisation et nous étudierons avec attention les cas particuliers qui sont portés à notre connaissance. Ceux qui remontent jusqu'aux élus sont souvent les plus difficiles et ne sont pas représentatifs de la majorité des dossiers, mais il s'agit d'irritants que nous devons régler.

J'en viens aux effectifs : en 2009, on recensait 1 500 agents dans l'ensemble des offices qui ont constitué FranceAgriMer. Aujourd'hui, l'établissement en compte moins de 1 000 : pour être tout à fait précis, 968 équivalents temps plein (ETP). L'évolution a surtout touché les fonctions supports. En effet, mon prédécesseur avait additionné des services supports qui arrivaient des différents offices, de sorte qu'il a été possible de réaliser des économies d'échelle très importantes.

M. Christian Bilhac. - Le nombre d'exploitations agricoles a fortement baissé.

M. Martin Gutton. - Certes, mais notre métier concerne non pas les exploitants agricoles, mais les acteurs économiques.

J'ai passé de nombreuses années au ministère de l'agriculture et j'ai souvent entendu cet argument. Mais le ministère de l'agriculture n'est pas seulement le ministère des agriculteurs, même s'ils sont une priorité des ministres depuis toujours. C'est aussi le ministère de l'alimentation ; et les services de la direction générale de l'alimentation garantissent la qualité des produits que tous les Français consomment, depuis l'étable jusqu'à l'étal. Le ministère de l'agriculture est donc le ministère de l'alimentation de Français.

Par conséquent, notre mission est de travailler avec les entreprises et avec les filières et de développer les exportations vers les pays étrangers. C'est pourquoi notre évolution ne dépend pas directement du nombre d'agriculteurs : elle est plutôt liée aux volumes de production.

En outre, les chefs d'exploitation agricole sont sans doute moins nombreux, mais le nombre de salariés agricoles, lui, n'a pas beaucoup varié. Les agriculteurs produisent en réalité autant que leurs parents et leurs grands-parents, et sans doute beaucoup plus que leurs arrière-grands-parents qui vivaient dans les années 1930.

M. Pierre Barros, président. - Nous vous remercions pour ces éclairages sur FranceAgriMer.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de MM. Sylvain Maestracci, président-directeur général, et Vianney Bourquard, secrétaire général de l'Agence de services et de paiement (ASP)

M. Pierre Barros, président. - Nous recevons M. Sylvain Maestracci, président-directeur général de l'Agence de services et de paiement (ASP) accompagné de M. Vianney Bourquard, secrétaire général.

Cette audition s'inscrit dans une journée consacrée aux agences et aux opérateurs agissant dans le cadre de la politique agricole, après une audition de FranceAgriMer et avant de recevoir les syndicats agricoles.

Toutefois, l'ASP ne se limite pas au paiement des aides de la politique agricole : elle gère plus de 200 dispositifs dans les domaines de l'agriculture, de l'emploi ou de l'environnement et verse environ 20 milliards euros d'aides publiques chaque année. En outre, elle agit à la demande de l'État, mais aussi pour le compte des collectivités territoriales, de l'Union européenne ou d'autres organismes publics. Cela m'amène à vous poser plusieurs questions.

Comment parvenez-vous à gérer autant de dispositifs différents dans des contextes aussi variés ? Considérez-vous que tous ces dispositifs ont suffisamment de points communs pour justifier leur gestion par une agence unique ? Quelles sont les difficultés concrètes nécessitant le recours à une agence spécialisée pour gérer des dispositifs d'aides d'importance variée ?

Afin d'assumer cette multiplicité d'activités, vous avez développé une expertise en gestion administrative et financière des aides publiques, par exemple par le développement d'outils informatiques ou de formation. Pourquoi ne pas aller plus loin ? Pensez-vous qu'il serait possible ou souhaitable de confier à votre agence le versement d'aides aujourd'hui confiées à d'autres établissements tels que FranceAgriMer ou l'Agence nationale de l'habitat (Anah), qui nécessitent eux aussi un traitement de masse en termes de nombre de bénéficiaires et de volumes financiers ?

Notre commission s'intéresse à la manière dont les agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État mettent en oeuvre les politiques publiques et à leurs relations avec les services déconcentrés et les collectivités territoriales. N'hésitez pas à nous faire part des difficultés que vous rencontrez et de vos propositions.

Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif de dix minutes environ chacun, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site Internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Sylvain Maestracci prête serment.  

M. Sylvain Maestracci, président-directeur général de l'Agence de services et de paiement. - L'ASP est un établissement placé sous la double tutelle du ministère du Travail et du ministère de l'Agriculture. Nous collaborons avec la quasi-totalité des départements ministériels, mais également parfois avec d'autres agences ainsi que des collectivités territoriales, principalement des régions.

Notre mission principale réside, non pas dans l'élaboration, mais dans la mise en oeuvre de politiques publiques via les dispositifs d'aides qui nous sont confiés. Nous sommes donc assez peu connus en dehors du monde agricole, car l'ADN de notre agence est d'être un opérateur au service d'autres structures, sans vocation à se mettre en avant.

Nous mettons en place des circuits administratifs et des systèmes informatiques, du plus simple au plus sophistiqué. Certains de nos dispositifs figurent probablement parmi les dix plus complexes de l'État. Nous instruisons, contrôlons et payons. Pour certaines aides, nous n'assurons que le paiement, pour d'autres, nous réalisons l'instruction et le contrôle. Avec 200 dispositifs différents, nous couvrons un large éventail de cas.

Nous poursuivons quatre objectifs principaux.

Le premier est d'opérer à moindre coût, en étant le plus efficace possible dans l'octroi des aides. Dans ce cadre, nous apportons notre expertise aux donneurs d'ordre, en signalant les dispositions complexes à mettre en oeuvre ou qui risquent d'engendrer des fraudes. Nous faisons également en sorte de mutualiser les systèmes informatiques et les ressources humaines. D'une part, nos systèmes servent à de multiples dispositifs, de l'agriculture à l'énergie, en passant par la comptabilité. Par ailleurs, nos agents peuvent passer d'une tâche à l'autre, ce qui est particulièrement utile pour les activités saisonnières.

Le deuxième objectif est de payer rapidement et dans les délais. Cela est crucial non seulement pour le secteur agricole, mais aussi pour d'autres bénéficiaires comme les apprenants ou les personnes en situation de handicap, pour qui ces aides constituent souvent leur revenu mensuel.

En troisième lieu, nous devons effectuer des paiements de manière fiable et sécurisée. En tant qu'agence publique, nous sommes soumis au contrôle budgétaire et à celui de la Cour des comptes, qui vient de réaliser une mission spécifique sur l'ASP. La cybersécurité et la lutte contre la fraude représentent des enjeux majeurs, face à des fraudeurs qui se professionnalisent.

Enfin, il nous revient d'accorder une attention particulière aux bénéficiaires. Nous avons notamment développé des services d'assistance aux usagers, internalisés autant que possible, avec des gestionnaires capables d'apporter des réponses et de trouver des solutions aux difficultés rencontrées.

Au total, nous avons versé 27 milliards d'euros en 2024, contre 35 à 40 milliards d'euros par an sur la période 2020-2022, en raison de notre forte implication dans les dispositifs liés au Covid, au plan de relance et à l'impact de la guerre en Ukraine.

L'ASP est présente dans tous les territoires, y compris les cinq départements d'outre-mer. Par exemple, nous avons 11 agents à Mayotte.

Nous disposons de 31 sites en France, implantés dans les chefs-lieux des anciennes régions, contre 36 en 2019. Cette rationalisation s'inscrit dans notre logique de maintien d'une présence territoriale tout en optimisant notre organisation.

Nos paiements se répartissent en trois grands secteurs. Un tiers va à l'agriculture dans le cadre de la politique agricole commune, un second tiers au travail - alternance, formation professionnelle, insertion par l'activité économique -, et un troisième concerne divers domaines, principalement l'énergie : chèque énergie, bonus écologique, etc.

Notre expertise dans la conception des aides et des services informatiques nous permet de proposer des solutions techniques adaptées tout en maîtrisant nos frais de gestion. Notre comptabilité analytique démontre des frais de gestion moyens de 1,3 % sur l'ensemble de nos dispositifs, ce qui nous positionne favorablement par rapport à d'autres opérateurs.

Nous avons démontré notre capacité de réaction lors de la crise Covid, notamment dans la gestion de l'activité partielle, où nos agents se sont mobilisés très fortement pour délivrer rapidement les aides tout en maintenant un processus sécurisé. Nous sommes également intervenus sur les conséquences du Brexit et de la guerre en Ukraine, notamment pour le versement de compléments au chèque énergie.

Notre force réside dans notre capacité à élaborer et gérer de manière sécurisée presque tout type de dispositif.

Nous intervenons auprès d'autres ministères ou régions sur la base de conventions incluant le paiement des frais de gestion, avec un principe d'équilibre financier pour chaque convention. Notre comptabilité analytique nous permet de justifier nos coûts de gestion auprès de nos donneurs d'ordre et de nos tutelles.

Nous travaillons également pour d'autres agences et collectivités territoriales, parfois dans le cadre de marchés concurrentiels : nous répondons dans le cadre d'appels d'offres. Cette exigence d'équilibre financier et de transparence est essentielle pour garantir la solidité juridique de nos conventions.

Notre organisation nous permet de capitaliser sur nos compétences en systèmes d'information et en gestion, ce qui nous confère une grande flexibilité pour répondre aux besoins saisonniers ou urgents. Par exemple, nous pouvons basculer rapidement d'un dispositif à l'autre en fonction des périodes de l'année.

Pour le champ agricole, notre structure comprend des directions régionales ou interrégionales. Afin de mutualiser les ressources, certaines, comme la Bretagne et les Pays de la Loire, ont été couplées.

Chaque site prend en charge sa région, mais peut également, sur la partie hors agricole, gérer certains dispositifs déployés à l'échelle nationale. En effet, plusieurs sites peuvent être impliqués dans la gestion d'un même dispositif en intervenant par exemple chacun sur des champs différents selon la spécialisation de leurs équipes. L'activité peut passer d'un site à un autre afin d'être réactif et d'optimiser l'occupation de nos agents.

La sécurité des systèmes d'information, la cybersécurité et la lutte contre la fraude sont des priorités transversales. Nous versons une vingtaine de milliards d'euros d'argent public. On a pu avoir des dispositifs, par exemple lors de la crise du covid, sur lesquels des gens tentent de jouer avec le système. C'est une valeur ajoutée que nous avons en tant qu'agence publique : par exemple, si on gère 10 000 dossiers et qu'on voit 10 dossiers portant sur des cartes grises différentes, mais partageant un fond identique, on reprend tous les dossiers, y compris ceux qu'on a traités, pour regarder de plus près. Ça prend du temps, le coût n'est pas prévu dans la convention, mais on le fait tout de même parce que c'est de l'argent public et cela nous permet d'alerter nos donneurs d'ordre. Un des enjeux que nous avons, voire une injonction paradoxale, c'est que nous devons réduire les coûts sur chacune des opérations mais, en même temps, assurer la lutte antifraude et la cybersécurité, qui représentent un coût. Nous devons justifier nos coûts à chaque fois auprès de nos donneurs d'ordre.

Nous accordons également une grande importance à l'assistance fournie aux usagers, en capitalisant sur les connaissances de nos agents pour offrir un accompagnement humain, complémentaire à nos solutions numériques, notamment aux publics les plus éloignés du monde administratif.

Si le champ d'intervention de l'ASP est particulièrement large, nous pouvons en théorie tout payer, mais certains dispositifs nécessitent parfois l'accompagnement et l'expertise d'acteurs ancrés dans un écosystème ou des filières, comme FranceAgriMer.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quel est le statut des personnels de l'ASP ? Des agents publics ou des contractuels ?

M. Sylvain Maestracci. - Il s'agit majoritairement d'agents publics en position normale d'activité (PNA) du ministère de l'agriculture dont dépendent nos plafonds d'emploi. Nous employons également un certain nombre de contractuels en contrats longs ainsi que des CDD.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'ai consulté votre site Internet et j'ai quelques remarques.

Premièrement, certaines pages traitent de sujets très spécifiques comme des dispositifs médicaux, le système informatique de radiologie ou un mécanisme de bourse pour des étudiants en médecine. Je ne suis pas sûre qu'un professionnel de santé ou le bénéficiaire potentiel iraient naturellement sur le site de l'ASP.

Deuxièmement, vous avez mentionné n'être que des payeurs pour certains dispositifs. Cela soulève la question de la valeur ajoutée de l'ASP par rapport à d'autres services de l'État qui gèrent déjà des paiements, comme l'administration des finances publiques. J'ai notamment été très étonnée des coûts de gestion portés par la mission « Écologie, développement et mobilité durables » pour la définition des nouvelles modalités du chèque énergie, alors que l'administration des finances publiques dispose déjà des informations.

Enfin, concernant les dispositifs où vous êtes à la fois instructeur et payeur, et sachant que l'instruction nécessite une connaissance technique et une compréhension de la politique publique, n'y a-t-il pas un risque de redondance avec les agents des ministères ou des organismes qui définissent ces politiques ?

D'une manière générale, pouvez-vous justifier la légitimité de l'ASP à rester telle qu'elle est ?

M. Sylvain Maestracci. - Les bénéficiaires ne se rendent jamais directement sur le site de l'ASP pour solliciter une aide. Nous disposons d'un portail spécifique dédié à chaque dispositif, par exemple la plateforme Telepac pour les aides agricoles. Le site de l'ASP sert principalement à informer sur nos activités, mais n'est pas le point d'entrée pour les demandes d'aide.

Même lorsqu'elle n'est que payeur, l'ASP effectue systématiquement un contrôle en vérifiant la complétude des dossiers et la régularité de l'opération. Nous effectuons également un certain nombre de contrôles croisés pour vérifier l'authenticité des informations fournies, comme la validité des coordonnées bancaires.

Les dispositifs où nous sommes uniquement payeurs demeurent néanmoins peu nombreux. Dans la majorité des cas, nous sommes impliqués dans le contrôle, l'instruction et le paiement.

Le chèque énergie est particulier car l'aide est donnée sans demande préalable. La difficulté consiste principalement à récupérer les données de tous les distributeurs d'énergie et à croiser ensuite ces informations. Le coût de gestion est lié à ce traitement de données massives et aux vérifications nécessaires pour éviter les erreurs.

Enfin, il est crucial de comprendre que nos agents sont formés et spécialisés sur un nombre limité de dispositifs afin de garantir la qualité de leur expertise. Nous travaillons également en étroite collaboration avec les ministères pour toute question réglementaire.

M. Vianney Bourquard lève la main droite et dit « Je le jure ».

M. Vianney Bourquard, secrétaire général de l'Agence de services et de paiement. - Concernant le chèque énergie, nous gérons aussi des centaines de milliers d'appels par an pour résoudre divers problèmes : adresses postales erronées, questions sur les montants, difficultés de compréhension du dispositif, etc. Cela représente un coût réel.

L'ASP est un outil au service de la puissance publique, des ministères et des donneurs d'ordre. Nous sommes soumis à de nombreux audits par divers organismes de contrôle tels que la Cour des comptes, l'Inspection générale des finances, l'Inspection générale des affaires sociales, la Cour des comptes européenne, la Commission européenne. Ces analyses démontrent que l'ASP est un outil efficace en termes de coûts.

M. Pierre Barros, président. - Selon le récent rapport d'information parlementaire intitulé « Réparer la chaîne de paiement des aides agricoles, un devoir pour nos finances publiques et notre agriculture », les coûts de gestion supportés par les organismes payeurs, à savoir l'ASP, FranceAgriMer et l'ODEADOM, se seraient élevés à 343 millions d'euros, soit 3,5 % des transferts aux exploitants agricoles. Bien que ce pourcentage puisse sembler raisonnable, les montants en jeu sont considérables. Pouvez-vous confirmer ces chiffres ? La situation a-t-elle évolué en 2025 ? Avez-vous un plan d'optimisation pour réduire ces coûts ?

M. Sylvain Maestracci. - En 2016, les aides de la politique agricole commune (PAC) ont connu un accident industriel : elles ont été versées avec un à deux ans de retard, ce qui a été traumatisant pour de nombreux agriculteurs et a engendré des dégâts importants. La réforme de 2023 avait donc pour objectif de garantir le paiement de toutes les aides dans les délais impartis.

Nous utilisons notamment le système intégré de gestion et de contrôle, qui répond à des critères européens stricts en matière de construction des outils, de traçabilité et de sécurité. Ces derniers sont très rigoureux et engendrent des frais d'opération élevés que nous ne supporterions probablement pas pour des dispositifs nationaux. L'Union européenne exige une logique de zéro défaut pour son budget. La France étant contributeur net au budget européen, nous avons intérêt à ce que ce niveau d'exigence s'applique également à nos partenaires. Ne pas répondre aux exigences européennes nous exposerait à des pénalités financières de plusieurs centaines de millions d'euros par an : il est donc moins onéreux d'avoir un dispositif sûr. Nous plaidons néanmoins en faveur d'une simplification des modalités et d'une réduction des coûts de gestion de ces dispositifs.

Ainsi, les coûts de gestion pour l'établissement sur les aides de la politique agricole commune se situent entre 1,7 et 1,8 %, le coût complet représentant 2,7 %, sachant que le coût européen s'inscrit plutôt entre 3 et 3,5 % sur le champ relevant de l'ASP.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez évoqué le centre d'appel pour le chèque énergie. Je suppose que les agents qui répondent au téléphone ne sont pas les mêmes que ceux qui valident le versement des aides après instruction des dossiers. En examinant votre organigramme, que j'ai trouvé difficilement compréhensible pour un observateur extérieur, on constate que le processus de versement est réparti entre plusieurs services. Pouvez-vous nous expliquer la répartition des compétences au sein de votre agence ?

Par ailleurs, comment l'ASP anticipe-t-elle la révolution de l'intelligence artificielle ? Dans nos collectivités, qui ont aussi un rôle de payeur et de gestionnaire, nous constatons que de nombreuses tâches dans les régies comptables, comme la vérification des RIB lors du paiement des factures, pourraient être automatisées.

M. Sylvain Maestracci. - Notre organisation comprend trois directions métiers. La direction des soutiens directs agricoles (DSDA) gère le système intégré de gestion et de contrôle. La direction du développement rural et de la pêche (DDRP) s'occupe du développement rural, avec certaines dispositions liées à l'agriculture. La direction de l'emploi, de l'environnement et des politiques sociales (DIREEPS) s'occupe des dispositifs liés à ces politiques.

Nous avons également des structures plus restreintes, comme la mission de coordination des organismes payeurs des fonds agricoles.

En plus d'être lui-même un organisme payeur, l'ASP joue également un rôle, exigé par la réglementation européenne, de coordination pour l'ensemble des organismes payeurs en France, car ceux-ci sont au nombre de quatre. Notre établissement transmet notamment des comptes financiers agrégés. Le service de la certification européenne et des actions internationales (SCEI) sert d'interface avec la commission de certification des comptes des organismes payeurs.

Enfin la direction du numérique et des systèmes d'information (DNSI) gère les systèmes d'information pour les autres directions.

Concernant l'intelligence artificielle, nous l'utilisons déjà, notamment avec le système de suivi des surfaces en temps réel. Ce dispositif nous permet d'internaliser une partie du contrôle de la PAC, conformément aux exigences du droit européen, afin d'automatiser et de réduire les contrôles sur place. Nous avons un laboratoire qui effectue des tests et explore des cas d'usage. Nous travaillons principalement sur l'aide à l'instruction et l'assistance aux gestionnaires, mais notre approche n'est pas d'utiliser l'intelligence artificielle directement pour interagir avec les bénéficiaires finaux.

Nos systèmes d'information intègrent déjà de nombreux contrôles automatisés, avec ou sans intelligence artificielle. Aujourd'hui, nous cherchons à automatiser au maximum les tâches de vérification. Cependant, l'intervention humaine reste cruciale dans certains cas, comme dans l'exemple de la carte grise que j'ai évoqué : l'intelligence artificielle ne peut pas toujours détecter des anomalies subtiles ou des cas particuliers. Nos gestionnaires continuent donc à superviser le dispositif, avec une double perspective : lutte antifraude et assistance aux usagers. Leur connaissance approfondie leur permet de gérer les cas complexes ou atypiques et d'apporter une aide humaine aux usagers lorsque c'est nécessaire.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Certains logiciels vous sont-ils donnés directement par la Commission européenne ?

M. Sylvain Maestracci. - Nous disposons d'un seul logiciel fourni par la Commission européenne, qui nous permet de transférer les données financières et tous nos plans stratégiques. Pour le reste, chaque État membre en est responsable. Je pense qu'il est préférable qu'il n'y ait pas de liens directs entre les logiciels de la Commission européenne et les agriculteurs, car cela pourrait engendrer des difficultés.

Mme Ghislaine Senée. - Chaque organisme payeur développe ses propres outils, et vous ciblez de multiples objectifs. La situation est similaire pour l'ADEME et le Cerema. Afin notamment d'optimiser l'exploitation des données, ne serait-il pas judicieux de rationaliser ces outils ?

Quelle part de vos tâches globales représente la lutte contre la fraude ? Avez-vous calculé les gains ou l'impact de ces actions ? Ces éléments pourraient être mis en avant. Bien que chronophage, le fait d'avoir des services d'organismes payeurs dédiés à la lutte contre la fraude constitue un réel avantage.

M. Sylvain Maestracci. - Il existe aujourd'hui quatre organismes payeurs, contre plus d'une dizaine au début des années 2000 : l'Office du développement agricole et rural de la Corse (Odarc), l'ODEADOM, en charge du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI), FranceAgriMer, chargé de la gestion des programmes opérationnels dans le cadre de l'organisation commune de marché, et l'ASP, responsable des paiements directs et du développement rural.

Ces quatre entités payent des aides de la PAC. Des doublons potentiels en matière de conception d'outils peuvent survenir uniquement avec l'Odarc, mais la séparation est basée sur les spécificités corses. Nous échangeons entre établissements. Le système intégré de gestion et de contrôle, qui concerne les paiements directs et les aides surfaciques de la PAC, a vocation à être unique, étanche et particulièrement sécurisé.

Concernant la lutte anti-fraude, notre expertise évolue avec la pratique. Nous traitons des fraudes classiques, comme la modification de dates de commande de travaux, et des cas de cessions fictives pour toucher plusieurs fois le plafond des aides. Avec la crise du Covid, nous avons vu l'arrivée de professionnels de la fraude, notamment pour les aides à l'activité partielle.

Nous avons depuis peu mis en place de nouvelles procédures et nous continuons à affiner notre suivi. Notre enjeu premier était de savoir sur quel dispositif concentrer notre action. Nous estimons qu'une centaine d'équivalents temps plein travaillés (ETPT) sur 2 100 travaillent sur la lutte anti-fraude.

Les montants évités se situent entre plusieurs dizaines et plusieurs centaines de millions d'euros par an. Nous sommes en train de refondre notre système informatique interne de lutte contre la fraude pour mieux démontrer ces résultats et justifier que l'investissement dans ce domaine s'avère extrêmement bénéfique pour les finances publiques.

Une fois qu'un schéma de fraude est identifié, nous le bloquons, mais nous sommes dans une logique de course permanente. La fraude ne diminue pas, elle devient plus sophistiquée, donc nous devons être de plus en plus pointus. Auparavant, les fraudes se voyaient facilement. Maintenant, nous traitons des dossiers individuels qui semblent irréprochables, mais c'est en en examinant plusieurs d'entre eux que nous détectons des anomalies. Par exemple, nous avons remarqué des cas où un opérateur vend toujours exactement le même type de scooter, cinq à la fois, en atteignant systématiquement le montant maximal autorisé. Nous suivons également les numéros SIRET impliqués dans l'activité partielle que nous retrouvons dans d'autres dispositifs. Nous constatons que certains fraudeurs tentent différents dispositifs successivement. La fraude se professionnalise, ce qui nécessite une collaboration avec d'autres organismes comme la Mission de coordination ministérielle anti-fraude (MICAF). Notre objectif est d'être plus performants que les autres.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les cas de fraude impliquant les SIRET suggèrent que tous les versements soient centralisés. En effet, un fraudeur utilisant son SIRET auprès de l'ASP pourrait également tenter de percevoir des aides auprès d'autres structures comme la direction générale des entreprises (DGE) ou l'URSSAF. Transmettez-vous les fichiers de fraudeurs à tous les autres organismes payeurs, malgré les contraintes du RGPD ?

M. Sylvain Maestracci. - En réalité, nous payons une partie des aides de la DGE, mais pas celles de l'URSSAF. Il existe un véritable enjeu d'interconnexion des systèmes et de partage d'informations entre agents habilités, ce qui soulève des questions liées au RGPD.

Au sein de notre établissement, c'est plus simple, mais à moins de centraliser tous les paiements de l'État et des organismes publics dans une seule structure, ce problème persistera. La question est de savoir comment communiquer entre nous tout en assurant la protection des données individuelles. Les interrogations de bases de données que nous effectuons entre organismes assurent une certaine forme d'anonymat. Je mentionne cela, car dans le cadre de la proposition de loi sur la lutte contre la fraude, plusieurs dispositifs concernent l'ASP.

M. Vianney Bourquard. - L'ASP est une plateforme de paiement déjà très développée, offrant un service conséquent. Nous pourrions certes en faire davantage, mais nous nous concentrons sur les demandes de nos donneurs d'ordre.

Il est important de souligner que nos clients sont généralement très satisfaits de nos services, notamment la DGE. Cette satisfaction se traduit par une fidélisation de notre clientèle. Les donneurs d'ordre qui nous choisissent restent généralement avec nous, appréciant la qualité de nos services en termes de coûts, de lutte contre la fraude, de gestion des données et de qualité globale. Ce constat s'applique aussi bien à la lutte contre la fraude qu'à l'utilisation de l'intelligence artificielle.

M. Sylvain Maestracci. - Du fait de notre implication dans presque tous les champs politiques, nous sommes fréquemment audités. Nous subissons au moins une trentaine d'audits par an dans le domaine de l'emploi, de l'environnement et des politiques sociales, ainsi qu'une dizaine d'audits annuels sur le secteur agricole. Ces audits sont menés par des instances allant du niveau européen à la quasi-totalité des corps d'inspection de la République. Cette pression constante de contrôle nous pousse à l'excellence, notamment dans le domaine de l'emploi et de la formation. Sur les 125 audits réalisés ces dernières années, 75 % ont abouti à des recommandations pour l'ASP. Cela démontre, d'un point de vue externe, que nous répondons efficacement aux exigences de nos donneurs d'ordre.

M. Pierre Barros, président. - Je vous remercie pour votre contribution à cette commission d'enquête.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de représentants de syndicats agricoles - MM. Stéphane Galais, Thomas Gilbert, secrétaires nationaux de la Confédération paysanne et Mme Amélie Rebière, vice-présidente de la Coordination Rurale

M. Pierre Barros, président. - Nous recevons MM. Stéphane Galais et Thomas Gibert, secrétaires nationaux de la Confédération paysanne, et Mme Amélie Rebière, vice-présidente de la Coordination Rurale. Cette audition sera suivie tout à l'heure de celle des représentants de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et des Jeunes Agriculteurs.

Notre commission d'enquête porte sur la mission des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État. Nous examinons les organismes dépendants de l'État, mais pas ceux qui dépendent des collectivités territoriales. Nous avons par exemple auditionné ces derniers jours l'ADEME, l'Office français de la biodiversité (OFB), les agences de l'eau, FranceAgriMer et, juste à l'instant, l'Agence de services et de paiement (ASP).

Nous sommes donc intéressés par vos observations sur ces agences et opérateurs. Les agriculteurs comprennent-ils bien à quoi servent ces opérateurs ? Disposent-ils d'informations adéquates sur les canaux par lesquels il faut passer pour recevoir ces aides, par exemple FranceAgriMer, l'ASP ou encore les agences de l'eau ?

Ces opérateurs interviennent également pour contrôler l'application des normes. À ce sujet, notre objectif n'est pas de remettre en cause tel ou tel opérateur ou ses agents, ni de nous lancer dans un chantier de refondation de ces normes, ce qui est l'objet d'autres projets de loi ou commissions. Nous souhaiterions néanmoins avoir vos idées et propositions sur la manière dont une meilleure organisation des services de l'État pourrait contribuer à améliorer la situation. Que pensez-vous de l'initiative récente d'organiser une visite annuelle de contrôle administratif dans les exploitations, qui devrait remplacer des visites multiples ? Est-il nécessaire que le préfet ou les collectivités locales soient mieux impliquées dans ces contrôles ?

Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site Internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement, et de 45 000 à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Stéphane Galais et Thomas Gibert, d'une part, et Mme Amélie Rebière, d'autre part, prêtent serment.

M. Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne. - Je vous remercie de donner la parole à la Confédération paysanne, syndicat généraliste représentant les paysans et les paysannes, les agriculteurs et les agricultrices, et portant le projet d'agriculture paysanne. Cette commission d'enquête intervient dans un contexte particulier, marqué par de nombreuses manifestations exprimant la colère agricole et un malaise profond du secteur.

Nous souhaitons rappeler que les agences et opérateurs ne sont aucunement responsables du manque de revenu agricole ni de la cause principale du malaise agricole. Ces entités sont des outils au service d'une vocation publique. Pour la Confédération paysanne, l'enjeu réside dans les choix des politiques publiques pour le secteur agricole. Leur remise en question ou leur suppression éventuelle équivaudrait à une libéralisation et un abandon des objectifs qui leur sont associés, tels que la protection de l'environnement, la préservation de la biodiversité, ou la promotion de l'agriculture biologique.

Nous estimons que le débat devrait se concentrer non pas sur les outils eux-mêmes, mais sur leur utilisation et le maintien de leurs ambitions et orientations. Cela soulève également la question de leur gouvernance, qui doit être un enjeu prioritaire afin de garantir la représentativité et la pluralité des représentant du monde agricole. Nous constatons des lacunes à ce niveau et revendiquons une plus grande implication de la Confédération paysanne dans la gouvernance de ces agences pour contribuer à l'orientation des politiques publiques qu'elles mettent en oeuvre.

Nous observons par exemple des défaillances dans la gouvernance des agences de l'eau, ainsi qu'une certaine défiance de l'État vis-à-vis des orientations prises par ces agences. Nous notons également que votre enquête semble porter un focus sur les agences liées à la protection de l'environnement, ce qui pourrait suggérer une remise en question des normes environnementales. Or, ces normes sont, selon nous, protectrices des moyens de production. En tant que paysannes et paysans, nous sommes les premiers touchés par les problématiques climatiques.

Nous considérons que l'application des normes sanitaires conçues pour l'agro-industrie est bien plus préoccupante, en opposition à l'élevage paysan et à l'élevage en plein air que nous défendons. Ces normes inadaptées entraînent la disparition de nombreuses fermes.

Nous tenons à rappeler l'importance de ces agences pour maintenir un rapport objectif à la science, permettant de conduire des politiques d'avenir sans déni de la réalité. Nous constatons que beaucoup d'acteurs remettent en cause cet apport scientifique, ce qui pourrait être une des raisons expliquant que ces agences sont parfois prises comme boucs émissaires.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous affirmez donc que des bénéficiaires remettent en cause les arguments scientifiques avancés par les agences ?

M. Stéphane Galais. - Une partie des acteurs du monde agricole, mais aussi du monde politique, remettent en cause l'approche scientifique, car elle va parfois à l'encontre des intérêts de l'agro-industrie ou de certains lobbys de compétitivité. Par exemple, lorsque la mise sur le marché de certains produits phytosanitaires est remise en question, cela s'oppose aux intérêts de lobbys et d'un certain modèle de production agricole. On critique alors le fait scientifique, bien qu'il soit souvent très objectif.

La suppression de ces agences ne constituerait ni une réponse ni une solution aux problèmes agricoles exprimés lors des récentes manifestations. Cependant, nous reconnaissons l'existence d'une problématique liée à la surcharge administrative et à la pression bureaucratique vécues par les paysans. Cet aspect pèse considérablement sur nos activités. Toutefois, cette situation n'est pas imputable aux agences elles-mêmes, mais plutôt à la complexité des politiques publiques et de leur mise en oeuvre.

La dématérialisation et le manque d'interlocuteurs aggravent ces difficultés. Nous demandons davantage de moyens humains dédiés à l'accompagnement des agriculteurs dans leurs démarches, privilégiant des personnes plutôt que des interfaces informatiques.

Enfin, la complexité administrative entraîne souvent un réflexe de délégation entraînant une perte d'autonomie sur les exploitations, mal vécue par de nombreux paysans et paysannes.

M. Thomas Gibert, secrétaire national de la Confédération paysanne. - Il nous semble que cette commission d'enquête vise à désigner les normes environnementales comme principale cause du malaise agricole. Nous estimons, au contraire, que la question du revenu doit être au coeur de cette problématique. Établir un lien de causalité direct entre les normes environnementales et le revenu des agriculteurs nous paraît intellectuellement malhonnête. Croire que nous pourrions être compétitifs sur le marché international uniquement en abaissant nos normes reviendrait à ignorer d'autres facteurs déterminants dans le prix de nos productions, tels que les avantages comparatifs agronomiques ou la rémunération du travail paysan.

Prenons l'exemple du traité de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande. Ce pays bénéficie de conditions idéales pour l'élevage ovin, ce qui réduit considérablement ses coûts de production par rapport à ceux de nos éleveurs et de nos éleveuses, comme dans le Limousin. Cette situation explique en partie la diminution du cheptel dans nos régions et l'importation de viande depuis l'autre bout du monde, une pratique économiquement motivée mais écologiquement discutable.

Concernant le coût du travail, nous pouvons également évoquer l'importation de fruits et légumes en provenance des pays de l'Est, où la main-d'oeuvre est moins chère. Or, dans la structure des prix des fruits et légumes, le coût du travail représente une part significative. Nous n'avons aucunement l'intention de réduire la rémunération du travail agricole pour gagner en compétitivité.

M. Pierre Barros, président. - Votre analyse soulève effectivement des points importants. Cependant, je souhaite recentrer notre discussion sur l'objet principal de cette commission d'enquête : vos relations avec les opérateurs et les agences de l'État.

Notre objectif est de déterminer si ces entités facilitent votre travail quotidien. Vous avez évoqué précédemment la question des surcharges administratives. Pouvez-vous nous éclairer sur l'efficacité de vos interactions avec ces opérateurs ? Nous sommes conscients des difficultés inhérentes à votre métier, liées aux filières et au modèle économique. Bien que ces aspects soient interconnectés sur le terrain, je vous invite à vous concentrer sur le sujet spécifique de notre commission d'enquête, à savoir vos rapports avec FranceAgriMer, l'ASP, l'OFB et d'autres organismes similaires. Cela nous permettra d'avancer dans nos réflexions.

M. Stéphane Galais. - Pour répondre à votre question, prenons l'exemple de l'OFB que vous avez cité. Cette agence a été particulièrement au centre de l'attention médiatique récemment. Bien que des tensions ponctuelles puissent survenir entre ses agents et les agriculteurs, ces cas restent relativement isolés. Nous estimons que l'OFB a été injustement utilisé comme bouc émissaire, détournant l'attention des véritables problématiques du monde agricole, notamment celle des revenus évoquée par mon collègue.

En réalité, les critiques envers l'OFB semblent peu fondées. Cet organisme contrôle la protection de l'environnement et de l'eau, et prend en charge la problématique de la prédation. Nous considérons que l'acharnement médiatique orchestré par certains syndicats agricoles est scandaleux et contribue à créer un climat délétère dans nos relations avec l'administration.

Notre objectif devrait être d'établir des relations apaisées et constructives avec ces agences. Des améliorations sont certainement possibles, mais la stigmatisation n'est pas la solution. Il est important de rappeler, dans un souci d'objectivité, que la probabilité d'être contrôlé par l'OFB est d'environ une fois tous les 120 ans, et que seulement 7 % des contrôles concernent l'agriculture. Bien que l'OFB puisse faire l'objet de critiques, il ne constitue certainement pas la source principale du malaise agricole.

Mme Amélie Rebière, vice-présidente de la Coordination Rurale. - Également présidente de la Coordination Rurale de la Corrèze, j'exerce en tant qu'éleveuse en Haute-Corrèze. Installée depuis dix ans avec mon mari, j'étais auparavant infirmière. Cette expérience m'a permis de vivre pleinement la lourdeur administrative et le processus d'installation, impliquant diverses agences de l'État.

Nous saluons, à la Coordination Rurale, l'initiative de cette commission qui met en lumière le rôle des agences de l'État et la complexité administrative du secteur agricole. Nous avions déjà soulevé cette problématique dans le cadre de la loi d'orientation agricole, malheureusement sans grand succès. Cette opportunité de nous exprimer sur ce sujet est donc particulièrement bienvenue.

Je tiens à préciser que notre critique ne porte pas sur les lois ou les normes en elles-mêmes. Ce que nous remettons en question, c'est la multiplicité des interlocuteurs et les problématiques de terrain qui en découlent. Les agriculteurs se retrouvent souvent confrontés à plusieurs agences, parfois avec des doublons, ce qui génère un sentiment d'isolement et de déconnexion avec la réalité du terrain.

Permettez-moi de vous dresser une liste non exhaustive des agences de l'État et des établissements publics avec lesquels nous interagissons régulièrement : le ministère de l'agriculture, les préfectures et sous-préfectures, la direction départementale des territoires (DDT), la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf), la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP), qui a repris l'ancienne direction départementale des services vétérinaires (DDSV), les chambres d'agriculture, l'ASP, l'OFB, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail sanitaire (Anses), l'Agence Bio, l'ADEME, les agences de l'eau, les Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer), la Mutualité sociale agricole (MSA), la direction générale de l'alimentation (DGAL), les commissions de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), les commissions départementales d'orientation de l'agriculture (CDOA), FranceAgriMer, la Banque publique d'investissement (BPI) ou encore l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO). Cette multiplicité d'interlocuteurs illustre la complexité administrative à laquelle nous sommes confrontés quotidiennement.

Voici plusieurs illustrations concrètes des difficultés rencontrées au quotidien par les agriculteurs.

L'installation d'un simple captage d'eau destiné à abreuver le bétail est une procédure particulièrement longue et complexe nécessitant de contacter tour à tour la chambre d'agriculture, l'Association syndicale d'aménagement des fonciers agricoles (AZAFAC), qui renvoie vers l'OFB pour la police de l'eau, et la DDT qui délivre l'autorisation de captage. On a un retour plus ou moins rapide, parfois il faut prendre un cabinet d'études, trouver un entrepreneur qui se mette en rapport avec la DDT et l'OFB pour être sûr de ne pas être verbalisé. Une vérification post-installation est également effectuée.

Le sujet de la prédation, qui nous concerne particulièrement en Haute-Corrèze, mobilise également de nombreux acteurs que sont la cellule de veille du loup, la Draaf, la préfecture, le préfet coordonnateur du plan loup, le sous-préfet, la DDT ou encore le parc naturel régional (PNR). En cas d'attaque, nous devons contacter la gendarmerie et l'OFB. Ces derniers, ainsi que le PNR, peuvent installer des pièges photographiques et effectuer des relevés d'indices. L'ensemble des formulaires remplis sont ensuite transmis à la DDT pour vérification par un agent qui ne se déplace pas sur le terrain. Le délai entre la prédation et l'indemnisation s'élève à 125 jours, délai dont se félicite l'administration, mais imaginez la détresse pour l'éleveur.

Un autre exemple porte sur les agriculteurs en situation de mal être. J'ai moi-même suivi une formation « sentinelle » proposée par la MSA pour lutter contre le suicide des agriculteurs. Malgré mon intérêt personnel et professionnel en tant qu'infirmière, j'ai été confrontée à un manque d'interlocuteurs directs lorsque j'ai dû gérer le cas d'un agriculteur en détresse. La procédure exigeait l'établissement d'une fiche de signalement, ce qui semble inadapté face à l'urgence potentielle de ces situations, compte tenu du taux élevé de suicide dans notre profession.

Enfin, pour les jeunes agriculteurs qui s'installent, auparavant les comités départementaux d'orientation agricole (CDOA) assuraient un suivi tout au long du parcours d'installation et au-delà. Mais depuis que la région a pris en charge ce domaine, nous constatons un véritable « ping-pong » entre cette dernière et la DDT. L'absence d'interlocuteur direct au niveau régional empêche de savoir à qui s'adresser. De nombreux acteurs interviennent : la DDT, la préfecture, la sous-préfecture, divers services régionaux, et même le département pour l'octroi de certaines subventions.

Cette multiplicité d'agences et de services étatiques génère une anxiété palpable dans le milieu agricole. Bien que ces organismes ne soient pas la cause directe de la crise agricole, ils impactent significativement notre quotidien. Personnellement, je consacre 30% de mon temps aux tâches administratives : remplir des formulaires, répondre à des questions, constituer des dossiers. Ce temps considérable est autant de moments que je ne passe pas à m'occuper de mon bétail.

Lorsque la Coordination Rurale évoque la dissolution de l'OFB, cela ne veut pas dire que nous ne voulons pas être soumis aux normes et aux contrôles. Nous ne sommes pas au-dessus des lois et les contrôles sont normaux lorsqu'on touche de l'argent public. Ce que nous pointons du doigt, c'est la manière dont ça se passe sur le terrain. Est-ce que vous avez déjà vu des agriculteurs attaquer des commissariats ou des gendarmeries ? D'autres attaquent plus facilement les gendarmeries que les agriculteurs. Le problème, ce n'est pas le port d'arme et ce n'est pas l'autorité, mais la façon dont ça se passe sur le terrain. Il y a des gros problèmes de compétences, nous l'avons relevé. La gendarmerie pourrait avoir une branche spécialisée dans la police de l'eau. Ils ont ce statut de force de l'ordre, ils sont formés à porter une arme et à avoir comme interlocuteur n'importe quel citoyen en ayant cette stature d'autorité. Il pourrait y avoir, à côté, une fonction de conseil assurée par des agents de l'OFB, avec un statut et des prérogatives différents.

S'agissant du contrôle unique, j'ai fait partie de la mission inter-services de l'agriculture (MISA) qui sert à le mettre en place. Sont groupés dans ce contrôle unique les contrôles qui sont programmables, qui se passent en présence de l'agriculture et qui sont de nature administrative. C'est très compliqué pour les administrations, parce que certaines administrations planifient pendant le premier semestre, d'autres pendant le deuxième semestre. L'OFB nous dit qu'elle n'est pas concernée pour les contrôles de nature judiciaire, l'administration des impôts et la MSA disent qu'ils ne s'y rattachent pas en raison du secret professionnel... Le contrôle unique, ça donne plus de travail aux fonctionnaires qui se demandent comment ils vont pouvoir faire. Ce n'est pas la solution, et il va falloir réfléchir à une autre manière de procéder.

Nous ne demandons pas l'arrêt des contrôles : notre demande de moratoire avait pour but de tout mettre tout à plat, d'identifier les doublons, de s'organiser pour que les contrôles puissent se passer au mieux dans les exploitations. Et on pourrait dévier les contrôles sur les marchandises importées, sur tout ce qui peut créer une baisse de revenus chez les exploitants agricoles, car le fond du problème, comme l'ont dit les collègues, c'est bien les revenus.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Selon vous, quelle entité, parmi les régions, l'ASP et FranceAgriMer, verse les aides aux agriculteurs de la manière la plus efficace ?

M. Stéphane Galais. - Parmi les trois options mentionnées, l'ASP est probablement la plus efficace. Cependant, est-ce vraiment le coeur du problème que de déterminer qui effectue les paiements le plus rapidement ?

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - C'est de rendre la politique publique plus efficace, plus efficient, pour qu'elle réponde mieux aux attentes.

M. Stéphane Galais. - Une vraie question est soulevée, celle de la problématique de la surcharge administrative. Or je viens de faire un captage d'eau, mais je n'ai pas vécu la même chose que ma collègue. Il ne suffit pas d'énumérer les différentes agences pour comprendre la pression réelle vécue dans les exploitations. La surcharge administrative est une réalité dans les fermes, mais elle est en grande partie due à l'isolement des agriculteurs et à la surcharge de travail globale. Historiquement, ce travail administratif n'était pas rémunéré car il était souvent pris en charge par les femmes. Nous revenons donc toujours à la question fondamentale de la rémunération équitable des agriculteurs et agricultrices. La rapidité de paiement par FranceAgriMer ou l'ASP n'est pas, à mon sens, le coeur du problème.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si vous considérez que cette question n'est pas pertinente, j'ai l'impression que toutes nos interrogations risquent de vous sembler sans intérêt.

M. Stéphane Galais. - Je vous prie de m'excuser, mais comme mes collègues, j'exprime ma frustration face à ce que je perçois comme une approche inadéquate. Je ne vois pas en quoi la comparaison de la rapidité de paiement entre l'ASP et FranceAgriMer est véritablement pertinente pour résoudre les problèmes de fond.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Notre objectif est d'optimiser la dépense publique. Compte tenu de la situation actuelle de nos finances publiques, nous serons contraints de réaliser des économies l'année prochaine. Le but de cette commission d'enquête est d'identifier les domaines où ces économies peuvent être réalisées de manière ciblée, afin de ne pas pénaliser les politiques efficaces et d'améliorer celles qui ne fonctionnent pas de manière optimale.

M. Stéphane Galais. - Pour répondre efficacement au malaise agricole profond et limiter la disparition des exploitations, il est essentiel d'accompagner les agriculteurs et de renforcer les moyens humains. La simplification administrative est certes nécessaire, mais il faut également prendre en compte que la complexité actuelle résulte souvent du fait que certaines réglementations, initialement simples, se sont complexifiées en raison de la multiplication des exceptions. Il serait judicieux de commencer par aborder ce problème. Ensuite, nous pourrons effectivement nous pencher sur l'amélioration de l'efficacité des agences et des systèmes de paiement.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Notre mission principale est précisément d'améliorer le fonctionnement du système. J'ai noté que selon vous, l'entité la plus performante semble être l'ASP.

M. Thomas Gibert. - Concernant l'ASP, nous constatons des problèmes récurrents systématiquement attribués à des bugs informatiques. Il est inacceptable que les paysans subissent les conséquences de ces dysfonctionnements.

De plus, nous remarquons que les aides liées à la transition écologique, telles que les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) et les aides bio, sont invariablement versées en dernier, et ce, année après année.

Je tiens également à revenir sur les propos de mes collègues. Il existe véritablement un double discours dans certains syndicats. Notre insistance sur les normes environnementales n'est pas fortuite. Sur le terrain, nous faisons face à une attaque particulièrement virulente sur cette question, basée sur une analyse erronée. Le discours que je viens d'entendre est en totale contradiction avec ce que nous constatons localement. Par conséquent, dans le cadre de cette commission d'enquête, nous mettons l'accent sur la question du revenu, qui est le véritable enjeu. Si les propositions qui nous sont faites se limitent à l'amélioration de l'efficacité et de la rapidité de paiement de telle ou telle agence, cette approche est franchement insuffisante.

M. Pierre Barros, président. - La rapidité de réponse des opérateurs, notamment concernant les aides, est effectivement une composante du revenu. Nous abordons ainsi une partie du sujet.

La complexité de vos métiers réside dans leur multiplicité. En tant qu'agriculteur, vous êtes à la fois producteur, maçon, vous réalisez des travaux s'apparentant presque au génie civil. Chacun de ces aspects comporte son propre cadre normatif, ses processus et ses interlocuteurs au sein des services de l'État. En outre le format de l'exploitation et le type de production sont divers. Que vous soyez dans l'élevage, la production laitière ou céréalière, votre métier est en constante évolution et particulièrement vulnérable aux aléas climatiques, à l'aménagement du territoire et à la pression foncière, notamment en Île-de-France.

Vous exprimez un sentiment de solitude dans vos exploitations, malgré un environnement chargé de partenaires et de représentants de l'État, censés non seulement appliquer les normes, mais aussi vous accompagner. Quel est l'interlocuteur, qu'il s'agisse d'un opérateur ou d'un service de l'État, qui vous est le plus facilement accessible ? Hormis les élus locaux, souvent proches des administrés, des entreprises et des exploitants agricoles, quels services de l'État voyez-vous régulièrement sur le terrain ?

Mme Amélie Rebière. - En termes d'aides, FranceAgriMer nous pose le plus de difficultés. Nous devons passer par un portail qui fonctionne très peu pour répondre à des appels à projets aux enveloppes limitées.

Concernant l'ASP, le problème majeur réside dans la difficulté à trouver un interlocuteur. Lorsque nous appelons, nous tombons sur des personnes qui ne connaissent pas nos dossiers. À l'inverse, l'Agence Bio fonctionne bien car c'est une petite structure avec des interlocuteurs facilement accessibles et proches des agriculteurs.

Lorsque les régions étaient plus petites, la communication était plus fluide. Le problème principal réside dans la taille de ces agences, devenues de véritables machines de guerre où nous ne sommes qu'un numéro insignifiant.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous souhaiteriez donc avoir un interlocuteur unique qui serait votre point de contact principal, et qui se chargerait ensuite de communiquer avec les différents services de l'État en votre nom ?

Mme Amélie Rebière. - Le réflexe naturel d'un agriculteur est de contacter sa chambre d'agriculture. Celle-ci pourrait parfaitement jouer le rôle du guichet unique que vous évoquez. Elle dispose de techniciens et de personnes capables de trouver l'interlocuteur approprié pour chaque type de subvention. Elle peut potentiellement bénéficier d'un accès plus facile à FranceAgriMer ou d'un numéro direct pour contacter l'ASP, par exemple.

M. Stéphane Galais. - Effectivement, la chambre d'agriculture devrait être notre interlocuteur privilégié. Cependant, nous sommes confrontés à des problèmes de gouvernance au sein de ces instances, notamment à la lumière des difficultés rencontrées lors des élections professionnelles. La plupart des chambres sont dirigées par la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), mettant en doute leur capacité à rester impartiales vis-à-vis de l'ensemble des agriculteurs, indépendamment de leur mode de production ou de leur approche du travail agricole.

M. Thomas Gibert. - Pour appuyer cette question des problèmes de gouvernance, nous avons également relevé des difficultés avec l'ODEADOM, pour nos collègues des DROM. Ils rencontrent de nombreux problèmes, particulièrement en termes d'opacité dans la répartition des aides du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI).

Nous constatons un problème majeur de représentation de nos organisations syndicales au sein de l'ODEADOM. Cette situation entrave la capacité à promouvoir la diversification des productions pour mieux répondre aux besoins locaux. L'ODEADOM est largement dominée par les lobbies de la banane et de la canne à sucre. L'orientation de cet établissement devrait évoluer vers plus de démocratie et de diversification des productions.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La solution serait-elle que votre interlocuteur unique se trouve au sein d'un service de l'État comme la Draaf ou les DTT, pour dépassionner le débat ? On pourrait envisager de constituer ces cellules de proximité en récupérant des agents actuellement dispersés dans diverses structures du ministère de l'Agriculture. Nous constatons que cette demande de proximité n'est pas isolée. Il est évident que les agents de l'État sont soit trop peu nombreux, soit trop éloignés du niveau local, perdus dans les grandes régions comme vous le soulignez. Cette solution vous paraît-elle envisageable ?

Mme Amélie Rebière. - Cette approche est déjà en place pour les organisations syndicales représentatives. Elle permet d'entretenir des relations privilégiées avec la DDT et la préfecture. Je rejoins mes collègues sur la gestion des chambres d'agriculture. La DDT et la préfecture, où il s'agit de fonctionnaires objectifs, constituent un interlocuteur de proximité qu'il faut conserver.

Mme Ghislaine Senée. - Je souhaite revenir sur les aides bio et les MAEC. Nous savons que des retards systématiques ont été constatés. Quels sont les délais aujourd'hui ?

La question de la pertinence des politiques publiques se pose, notamment face aux contraintes environnementales. Au-delà du débat sur l'acceptation de ces normes, que nous avons déjà eu dans l'hémicycle, nous avons besoin de comprendre votre perception concrète du terrain. M. Galais, votre expérience avec le captage d'eau a-t-elle été aussi complexe que décrit précédemment par Mme Rebière ?

M. Stéphane Galais. - Dans mon cas, le processus a été relativement simple. J'ai fait appel à une entreprise de forage qui s'est chargée de l'essentiel des démarches en nous accompagnant. Nous n'avons pas eu à faire face à cette litanie d'échanges interminables évoquée précédemment. L'entreprise a certes géré ces aspects. Mon expérience est peut-être un cas particulier et ne reflète pas nécessairement celle de tous les agriculteurs. Il est important de souligner qu'il est possible de se faire accompagner et de vivre une expérience différente de celle décrite comme catastrophique.

Cependant, je ne nie pas l'existence d'une pression administrative réelle. La rémunération insuffisante au regard du nombre d'heures travaillées et de la production ne permet pas d'être serein pour consacrer du temps aux tâches administratives.

Mme Ghislaine Senée. - Cela signifie-t-il que vous faites appel à une entreprise privée pour vous accompagner dans ces démarches administratives ?

M. Stéphane Galais. - Oui, mais le prix était intégré dans le forage. Je tenais simplement à illustrer deux réalités différentes. Mon expérience diffère de la perception de pression administrative évoquée précédemment, du moins dans ce cas précis. Je ne prétends pas que cette situation soit généralisable, car la complexité varie selon les territoires.

M. Thomas Gibert. - Les déclarations PAC sont particulièrement complexes à effectuer, en particulier pour les exploitations diversifiées, devant gérer différentes cultures, conversions bio, etc. Se voir en plus pénalisé par des retards de paiement donne l'impression que la transition écologique est reléguée au second plan des politiques publiques, malgré l'urgence de préserver notre outil de production en opérant cette transition.

C'est nous qui subissons en premier les conséquences de la dégradation de la biodiversité, de l'érosion et de la perte de fertilité des sols. Nous sommes également les plus exposés aux effets néfastes des pesticides et aux aléas climatiques. Logiquement, nous devrions encourager cette transition, ce qui n'est manifestement pas le cas actuellement.

Mme Amélie Rebière. - Le calendrier de paiement débute généralement mi-octobre. Les MAEC, les aides bio, ou même les aides label pour les veaux de lait sont souvent versées en avril-mai. Ce décalage entre le début du paiement des aides PAC, qui commence par les aides découplées, non liées à la production, et le versement tardif des aides à la production, reflète les priorités actuelles de notre agriculture. On commence par les aides à la surface et on finit par les aides à la production, ce qui montre l'ordre des priorités.

M. Stéphane Galais. - Concernant les MAEC en Bretagne, les difficultés de paiement que nous avons rencontrées sont également liées à un manque d'anticipation politique dans le calibrage de ces aides et le traitement des dossiers. Ce n'est pas uniquement imputable à l'agence de paiement, mais aussi aux politiques publiques qui n'ont pas anticipé l'engagement volontaire des paysans dans cette transition agro-écologique.

Nous pouvons légitimement nous inquiéter pour les années à venir. Nous espérons que les paysans et paysannes, les agriculteurs et agricultrices continueront à s'engager massivement dans ces mesures, car la transition agro-écologique est cruciale. Cependant, il faudra que les politiques et le gouvernement soient à la hauteur pour éviter de nouvelles problématiques.

Il n'incombe pas aux agences de l'eau de pallier les insuffisances budgétaires pour le paiement des MAEC. Cela nous apparaît être un détournement de leurs missions et des ambitions qui devraient être les leurs.

Mme Amélie Rebière. - Au niveau de la région ou du département, les agriculteurs sont confrontés à des élus dont le mandat est limité dans le temps, ce qui peut affecter la continuité des politiques.

Pour certaines agences comme l'OFB, la gouvernance s'effectue via un conseil d'administration où les agriculteurs demeurent sous-représentés, ce qui contribue aux tensions sur le terrain.

M. Stéphane Galais. - Je rejoins ces propos sur le problème de gouvernance et l'insuffisante place laissée aux syndicats, particulièrement au sein de l'OFB, qui engendre des difficultés. En tant que premiers concernés par les actions de ces agences, notre exclusion pose un réel problème.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les agences de l'eau n'ont-elles pas instauré le concept de « Parlement de l'eau », où les agriculteurs sont censés être représentés ?

M. Stéphane Galais. - Seule une partie des agriculteurs y est représentée. Comme je l'ai mentionné précédemment, il existe une méfiance de l'État envers ces agences, notamment concernant leurs orientations. Par exemple, l'agence de l'eau a émis des avis moratoires sur les retenues d'eau et les bassines, que l'État, qui fait partie de sa gouvernance, n'a pas suivis.

M. Pierre Barros, président. - Je vous remercie, Mesdames et Messieurs, pour votre précieuse contribution à notre commission d'enquête. Vos apports recoupent de nombreux éléments issus d'autres auditions menées ici même. Vous avez notamment mis en lumière les questions cruciales de la proximité et de la difficulté à identifier un interlocuteur unique, lisible et ancré sur le terrain. Votre participation active a enrichi nos réflexions. Je vous en suis reconnaissant et vous souhaite un bon retour.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de représentants de syndicats agricoles - MM. Yannick Fialip, membre du bureau de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et Quentin Le Guillous, secrétaire général des Jeunes Agriculteurs

M. Pierre Barros, président. - Après les représentants de la Confédération paysanne et de la Coordination rurale, nous recevons M. Yannick Fialip, membre du bureau de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), en visioconférence, et M. Quentin Le Guillous, secrétaire général des Jeunes Agriculteurs.

Notre commission d'enquête porte sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État, c'est-à-dire que nous examinons les organismes dépendant de l'État, mais pas ceux qui dépendent des collectivités territoriales. Nous avons par exemple auditionné ces derniers jours l'Ademe, l'Office français de la biodiversité (OFB), les agences de l'eau, FranceAgriMer et l'Agence de services et de paiement (ASP).

Comme je l'ai dit aux syndicats reçus précédemment, nous sommes donc intéressés par vos observations sur ces agences et opérateurs. Ces opérateurs sont-ils bien accessibles aux agriculteurs? Ceux-ci disposent-ils d'informations adéquates sur les canaux par lesquels il faut passer pour recevoir des aides, qu'il s'agisse de FranceAgriMer, de l'ASP ou encore des agences de l'eau ?

Ces opérateurs interviennent également pour contrôler l'application des normes. Notre objectif n'est pas de remettre en cause tel ou tel opérateur ou ses agents, ni de nous lancer dans un chantier de refondation de ces normes. Nous souhaitons simplement avoir vos idées et propositions sur la manière dont une meilleure organisation des services de l'État pourrait contribuer à améliorer la situation.

Cela m'amène à vous poser les questions suivantes. Que pensez-vous de l'initiative récente d'organiser une visite annuelle de contrôle administratif dans l'exploitation, qui devrait remplacer les visites multiples ? Est-il nécessaire que les préfets ou les collectivités locales soient mieux appliqués dans ces contrôles ?

Il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site Internet du Sénat et qu'un compte rendu sera rédigé et publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêt en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite tous les deux à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Yannick Fialip (en visioconférence) et M. Quentin Le Guillous prêtent serment.

M. Yannick Fialip, membre du bureau de la FNSEA. - Nous sommes très impliqués sur ce sujet qui a fortement mobilisé les agriculteurs l'année dernière, notamment concernant les contrôles en exploitation. Nous pouvons classer les agences intervenant dans le monde agricole en trois catégories.

La première catégorie comprend les agences économiques ou de paiement. FranceAgriMer joue un rôle important en offrant une vision de l'économie de marché tout en assurant le paiement rapide lors de crises, comme récemment pour la fièvre catarrhale ovine. L'établissement jouit d'une vision plutôt positive au sein du monde agricole. L'Agence de services et de paiement (ASP) gère les paiements de la politique agricole commune (PAC). Des évolutions positives ont été constatées en termes de rapidité des paiements ces dernières années même si certaines contraintes européennes, dans la justification de certaines aides, peuvent ralentir le dispositif.

La deuxième catégorie, c'est les nouvelles agences apparues dans le monde agricole comme l'Office français de la biodiversité (OFB) qui suscite des inquiétudes. Les agriculteurs perçoivent un décalage entre leurs besoins de production et les contrôles exercés par l'OFB, qu'ils assimilent à une police de l'environnement. Nous proposons, non pas une suppression de l'OFB, mais une évolution de ses missions pour une meilleure compatibilité avec le monde agricole, notamment en privilégiant des pénalités administratives plutôt que judiciaires pour certaines infractions mineures.

Enfin, certaines agences sont plus détachées du monde agricole. L'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) semble avoir pris un rôle plus politique que technique ces dernières années : ainsi ai-je lu dans la presse, ce matin, que le directeur de l'Anses menaçait de démissionner si une certaine loi passait. Cela nous préoccupe, car nous estimons qu'elle devrait rester un organisme scientifique et technique.

On peut également mentionner l'Institut national de la recherche agronomique (INRAE). Malgré certaines orientations qui nous interrogent, cet établissement demeure essentiel pour l'innovation, la recherche et le développement dans le secteur agricole, qui sont essentiels face aux défis de la compétition internationale et du changement climatique. L'INRAE doit être plus proche des agriculteurs et diffuser davantage ses travaux de recherche pour une meilleure efficacité locale.

Enfin au-delà des débats sur la suppression de l'Agence Bio, nous souhaiterions voir davantage de professionnels agricoles impliqués au sein de cette structure. Cela permettrait de mieux aligner le développement de l'agriculture biologique avec la demande du marché.

Les agences de l'eau constituent un autre sujet majeur. Nous constatons depuis des années une tendance à l'orientation politique plutôt qu'au travail technique. Nous sommes préoccupés par le fait que les agences de l'eau ne prennent pas toujours en compte les besoins agricoles, notamment en matière d'irrigation. Le carcan administratif a freiné le développement de l'irrigation en France, où seulement 5 % des terres sont irriguées, contre 10 à 15 % en Espagne. C'est un véritable enjeu d'adaptation au changement climatique. Nous appelons à plus de bon sens paysan et à un rapprochement avec la profession agricole.

Nous avons également vu apparaître plusieurs comités consultatifs ces dernières années, tels que le comité national de l'agriculture biologique, le comité national d'éthique des abattoirs, le conseil national de l'alimentation qui a un rôle important et la commission nationale de la certification environnementale. Certains semblent parfois plus orientés vers la communication que vers la recherche de solutions concrètes pour améliorer notre compétitivité agricole.

Nous tenons à préserver certains comités importants pour le secteur agricole, comme la commission des comptes agricoles, qui fournit un bilan annuel sur les revenus agricoles. Le conseil national de la montagne, malgré les récentes menaces de suppression, reste crucial pour les politiques de développement des territoires montagneux, tant sur le plan agricole que touristique.

Enfin, concernant le volet sanitaire, le conseil national d'orientation de la politique sanitaire animale et végétale soulève la question de l'organisation future du suivi sanitaire. Faut-il privilégier une approche basée sur des comités et des agences, ou un partenariat plus étroit avec la profession ?

En conclusion, nous ne cherchons pas à supprimer systématiquement toutes les agences et tous les comités existants, mais plutôt à les rationaliser et à ce que les attentes de la profession agricole soient mieux prises en compte.

M. Quentin Le Guillous, secrétaire général des Jeunes Agriculteurs. - Nous sommes ravis d'être présents aujourd'hui pour répondre à ces questions qui préoccupent fortement les jeunes agriculteurs.

Je suis moi-même agriculteur, installé en Eure-et-Loir depuis 2016. Mon installation a été relativement simple, bien accompagnée par les chambres d'agriculture. Cependant, depuis, toutes mes démarches pour obtenir de l'accompagnement ou du soutien se sont révélées complexes.

Par exemple, j'ai envisagé de passer en agriculture biologique, mais face à la complexité des procédures d'accompagnement, j'ai abandonné cette idée. L'Agence Bio, comme l'a mentionné M. Fialip, reste le principal levier pour échanger sur l'agriculture biologique. Malheureusement, ce secteur est en crise depuis quelques années, notamment à cause de la pandémie et de la guerre en Ukraine. La chute des marchés et la hausse des charges ont rendu l'agriculture biologique moins attractive, surtout dans un contexte où les consommateurs, disposant de moins de revenus, tendent à privilégier les produits moins chers au détriment de la qualité.

Pour quelqu'un qui souhaite se lancer en agriculture biologique aujourd'hui, c'est un véritable parcours du combattant. Il faut naviguer entre l'ASP, la PAC, diverses agences, sans parler des contrôles supplémentaires pour l'élevage. Cette complexité administrative décourage de nombreux agriculteurs, les poussant à rester dans leurs pratiques habituelles et à résister aux nouvelles idées. C'est en partie ce qui explique les récentes manifestations : un ras-le-bol face à l'excès de normes.

Les agences sont souvent perçues comme des applicateurs de nouvelles normes plutôt que comme un soutien aux agriculteurs. Nous pensons par exemple que l'OFB a sa place, mais que le dialogue avec les agriculteurs doit être repensé. Actuellement, beaucoup n'osent pas contacter cette agence pour des questions environnementales, de peur d'être réprimandés ou contrôlés. Cette image négative, bien que parfois injustifiée, persiste.

Le défi est donc de recréer un lien de confiance entre les agriculteurs et ces organismes, pour que nous puissions travailler ensemble de manière constructive plutôt que dans un climat de méfiance et de peur.

Auparavant, nous avions des échanges constructifs avec la police de l'eau et les agents expérimentés. Aujourd'hui, avec l'arrivée de jeunes agents, on perçoit une forme de militantisme au sein de l'OFB et d'autres agences. Il est crucial de recréer du lien et d'encourager ces nouveaux agents à dialoguer directement avec les exploitants agricoles pour comprendre leurs défis face au climat et à la structure de leurs terres. Les agriculteurs doivent composer avec le vivant, les animaux, la météo et l'environnement naturel.

Concernant l'agence de l'eau, en tant qu'irrigant, je suis déçu de son apport. Lorsque je sollicite l'agence de l'eau pour améliorer mon irrigation ou proposer des projets collaboratifs comme la création d'une retenue d'eau avec plusieurs communes, je me heurte à une complexité administrative décourageante. Le sujet du stockage de l'eau, surtout si on prononce le mot « bassine », suscite des craintes et une fermeture au dialogue de la part de l'administration.

Je souhaiterais voir les contributions financières des agriculteurs à l'agence de l'eau être utilisées pour soutenir des améliorations concrètes. Malheureusement, ces demandes se heurtent souvent à des refus. De plus, la représentation agricole dans les instances de décision de l'agence de l'eau est très faible, ce qui limite notre influence.

Les agriculteurs sont prêts à collaborer, à appliquer les normes, mais le dialogue est souvent inefficace, ce qui génère de la frustration et peut mener à des mouvements de protestation comme ceux de l'année dernière. Il est essentiel de repenser le fonctionnement de ces institutions pour favoriser un dialogue plus constructif et éviter de futures tensions.

Concernant l'Agence de services et de paiement (ASP), les principales critiques portent sur les retards de paiement et les problèmes informatiques. Quant à FranceAgriMer, la complexité administrative des dossiers de demande de financement est un frein majeur. Il faudrait soit former les agriculteurs à remplir ces dossiers complexes, soit simplifier les procédures.

J'accepte les contrôles sur mon exploitation, à condition qu'ils soient légitimes et menés dans un esprit de dialogue. La situation varie selon les territoires, certains étant plus tendus que d'autres, notamment sur des sujets sensibles comme le loup ou la gestion de l'eau.

J'espère que votre commission pourra contribuer à améliorer la dynamique et le dialogue entre les agriculteurs et ces différentes agences. Nous sommes prêts à collaborer et à nous adapter, mais nous avons besoin d'un véritable accompagnement et d'un dialogue constructif.

M. Pierre Barros, président. - Je tiens à préciser le contexte de cette commission d'enquête. Elle répond à une commande politique du gouvernement, face à d'importants défis budgétaires. L'objectif est d'améliorer le fonctionnement des services tout en réalisant des économies. Nous sommes conscients que nous ne pourrons pas résoudre toutes les problématiques du terrain, qui sont diverses.

Notre mission ne porte pas spécifiquement sur la question des normes, bien que nous reconnaissions leur impact sur votre quotidien. Nous nous concentrons sur l'organisation des opérateurs et des acteurs sur le terrain, qui est souvent perçue comme peu lisible, confuse et peu accessible.

Dans le cadre de cette commission d'enquête, nous avons besoin de votre retour d'expérience sur l'accessibilité de ces services et vos propositions d'amélioration. Nous cherchons également à identifier d'éventuelles économies, voire des aides que vous jugeriez superflues.

Jusqu'à présent, nous n'avons pas encore identifié précisément les économies à réaliser, ce qui est pourtant l'une de nos missions principales. Nous partons du principe qu'une meilleure organisation permettra de générer des économies, mais nous avons besoin de votre aide pour concrétiser cela.

Nous sommes conscients des défis que vous rencontrez au quotidien et des rapports de force qui existent avec les instances politiques. D'autres organisations syndicales nous ont également fait part de leurs préoccupations, qui peuvent parfois recouper les vôtres.

Dans nos échanges à venir, nous vous encourageons à nous fournir des retours concrets du terrain qui nous permettront d'améliorer la situation et, in fine, de réaliser les économies nécessaires pour améliorer la situation budgétaire de notre pays.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pensez-vous qu'une amélioration des relations avec l'OFB pourrait passer par une dissociation du pouvoir de contrôle ? Ce volet pourrait être confié, par exemple, aux gendarmeries ou à d'autres entités qui exercent déjà un rôle d'application de la loi. L'OFB pourrait alors se concentrer sur la partie conseil en amont, pour s'assurer que les installations sont conformes à la réglementation en vigueur.

M. Yannick Fialip. - Cela pourrait effectivement être une solution. Je tiens à souligner deux points importants.

De nombreux agriculteurs se sentent en insécurité juridique face à un contrôle de l'OFB. Cette situation conduit certains à renoncer par exemple à la plantation de haies, ne sachant pas précisément quand ils peuvent les tailler ou les couper.

Le traitement administratif des procès-verbaux mis en place dans certains départements permet d'économiser de l'argent et de désengorger les tribunaux, mais impliquer les forces de gendarmerie dans ces contrôles pourrait être problématique. Les agriculteurs, très respectueux de l'État, pourraient percevoir l'arrivée des gendarmes comme le signe d'un événement grave.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'idée n'est pas d'ajouter les gendarmes aux agents de l'OFB, mais plutôt de séparer, au sein de l'État, les fonctions de contrôle et de conseil.

Nous avons également d'autres pistes d'évolution qui pourraient vous convenir. Nos auditions successives ont révélé que le manque de proximité pose problème. Ne faudrait-il pas regrouper les différents agents du ministère - actuellement répartis entre FranceAgriMer, l'OFB ou les agences de l'eau - au sein d'un pôle au niveau des directions départementales des territoires (DDT) ? Cette entité pourrait servir de cellule d'appui aux agriculteurs ou à toutes les activités économiques liées aux politiques de l'eau et de l'environnement.

Voilà deux pistes que nous explorons avec vous. Rien n'est définitif, nous avançons au fur et à mesure des auditions.

M. Yannick Fialip. - À la FNSEA, nous sommes plutôt favorables à votre deuxième proposition. Elle permettrait effectivement un suivi plus proche du monde agricole avec les services de la DDT, qui sont plus au fait de la réalité de notre métier. Ils comprennent que nous sommes des entrepreneurs du vivant et que nous ne pouvons pas tout maîtriser de A à Z, notamment en ce qui concerne les dates d'épandage ou la taille des haies, qui sont parfois déconnectées de la réalité du terrain.

Cela rejoint ce qui concerne le contrôle unique mis en place dans certains départements, ainsi que l'implication des services de la DDT dans l'organisation des contrôles. Dans mon département, par exemple, une réunion de la mission inter-services de l'agriculture (MISA) s'est tenue aujourd'hui sous l'égide du préfet. Ces échanges permettent de faire le point avec l'ensemble des organisations agricoles sur les difficultés rencontrées en termes de contrôle et sur les améliorations possibles, sans nécessairement aboutir à des pénalités.

Je terminerai par une observation : quand on considère que 4 % de notre PIB est consacré à des mesures de contrôle et au financement de diverses agences, il y a certainement des améliorations à apporter. On nous dit souvent que lorsqu'une décision politique est prise, l'ensemble de l'administration française ralentit sa mise en oeuvre auprès des agriculteurs.

M. Quentin Le Guillous. - Il me semble que lors de la création de l'OFB, une mise sous tutelle préfectorale ou du moins une surveillance par les préfets était prévue. J'ignore où en est ce projet aujourd'hui. Les préfets nous disent qu'ils n'ont pas la main sur les décisions de l'OFB.

Auparavant, nous avions la police de l'eau et les gardes fédéraux pour les chasseurs. Ces derniers étaient chargés de la sensibilisation et des contrôles concernant le braconnage, la pollution, les dépôts sauvages, etc. On a décidé de tout regrouper avec la police de l'eau, qui est maintenant devenue l'OFB. Aujourd'hui, on entend parler de remettre certains agents de l'OFB sous la tutelle des fédérations des chasseurs, et d'autres sous une tutelle de conseil.

Il serait judicieux, à l'avenir, d'étudier l'impact financier de ces nouvelles structures au moment de la création des lois.

L'idée de déléguer ces contrôles à des personnes plus assermentées pouvant effectuer des vérifications plus larges est intéressante. Il ne faudrait pas qu'il s'agisse d'un contrôle unique qui durerait une journée ou deux, et où l'on enfermerait l'agriculteur dans son bâtiment pour vérifier tous les documents un par un.

Par ailleurs, même si nous avons demandé un contrôle administratif unique, les vérifications de la PAC, les contrôles sur le bio ou encore les contrôles vétérinaires pour l'élevage demeureront, sans oublier tous les contrôles européens. En réalité, le contrôle unique n'existera jamais.

Dans ce contexte, comment améliorer l'approche des contrôles ? Avec qui ? Ce sont des questions que nous nous posons nous-mêmes, sans avoir nécessairement toutes les réponses. Comment rationaliser et être le plus efficace possible à l'avenir, tout en faisant peut-être plus confiance aux agriculteurs, même si nous savons qu'un suivi reste nécessaire ?

M. Pierre Barros, président. - J'ai le sentiment en vous écoutant que vous considérez les services de l'État, notamment les préfectures et sous-préfectures, comme plus légitimes en matière de contrôle et d'accompagnement de proximité sur ces sujets. En comparaison, vous semblez percevoir les opérateurs ou les agences de l'État comme moins légitimes, peut-être parce que moins proches de vos préoccupations et moins compétents sur les questions qui vous concernent directement.

M. Quentin Le Guillous. - Je pense effectivement qu'en confiant ces missions aux préfectures et aux DDT, nous pourrions bénéficier d'interlocuteurs ayant une connaissance plus fine du terrain et des problématiques locales à la différence de grandes agences couvrant plusieurs départements, voire une quinzaine pour les agences de l'eau. Les enjeux peuvent varier considérablement d'une zone à l'autre au sein d'un si vaste territoire. Remettre du bon sens dans la gestion et établir une tutelle forte, avec un interlocuteur direct comme le préfet, pourrait s'avérer plus efficace pour les agriculteurs.

M. Pierre Barros, président. - Cependant, même en répartissant tous les effectifs de ces agences dans les DDT ou les préfectures, nous risquons de ne pas atteindre la couverture territoriale et la qualité de service requises.

M. Quentin Le Guillous. - Je suis d'accord avec vous sur ce point. Néanmoins, je pense qu'une gestion interne plus efficace pourrait être mise en place. Actuellement, la communication n'est pas optimale entre les différentes parties prenantes, avec des directions à la tête de grandes agences qui peuvent parfois sembler hermétiques au dialogue. Si nous parvenions à nous impliquer davantage dans leur fonctionnement, nous pourrions résoudre une partie des difficultés que rencontrent les exploitants agricoles avec ces agences.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous abordez la question de la gouvernance. Je comprends que vous souhaiteriez être davantage associés à la gouvernance de ces agences.

Le fait d'avoir le préfet comme véritable chef de file des différentes politiques de l'État, exerçant une réelle autorité sur les agents, y compris ceux issus des agences de l'eau, de l'OFB, de FranceAgriMer et d'autres organismes, simplifierait-il vos relations avec l'administration ?

M. Quentin Le Guillous. - Oui, je le pense, et ce sentiment est également partagé par certains membres des Jeunes Agriculteurs. Si ces agences étaient placées sous la tutelle directe du préfet, avec une hiérarchie claire, nos échanges seraient beaucoup plus efficaces et simplifiés. Nous pourrions centraliser nos interactions via la préfecture, plutôt que de devoir jongler avec une multitude d'interlocuteurs, sans parler des avantages en termes de fonctionnement et de gestion des ressources.

M. Yannick Fialip. - Je partage cet avis. Cette approche s'applique d'ailleurs à d'autres domaines en fonction des besoins spécifiques du département. Par exemple, la décision de lancer une campagne de contrôle d'alcoolémie ou de vitesse sur les routes revient aux préfets, en fonction de la situation dans le département. On pourrait envisager un fonctionnement similaire avec l'OFB. Cela permettrait probablement de réduire les coûts de l'agence et de renforcer la présence des services de l'État auprès des agriculteurs.

Je peux vous donner quelques exemples concrets. Dans mon département, 500 kilomètres de haies ont été plantés en 10 ans. Pourtant, on voit des agriculteurs importunés pour avoir coupé quelques mètres de haies ou encore un maire ayant élargi un chemin pour organiser un événement local se retrouver au tribunal administratif avec une amende de 175 000 euros.

Il faut aussi souligner le rôle important que jouent les chambres d'agriculture dans l'identification des animaux, une mission qu'elles assurent pour le compte de l'État dans 95 % des départements. Cette proximité permet un accompagnement des agriculteurs pour améliorer leurs pratiques, ce qui limite les sanctions lors des contrôles. C'est une approche bien plus constructive que d'avoir des agents qui parcourent la campagne avec pour seul objectif de traduire les agriculteurs en justice.

Je pense qu'il y a là un véritable enjeu de simplification qui permettrait à la fois de réaliser des économies pour l'État et de redonner aux agriculteurs une certaine liberté d'entreprendre.

Mme Ghislaine Senée. - Au fil de nos auditions, certaines idées communes émergent.

La notion de guichet unique, par exemple, rappelle le dispositif France services mis en place pour les citoyens face à la multiplicité des services de l'État. Ont été évoqués comme points d'entrée potentiels les chambres d'agriculture, le Préfet, la DDT. La question de la neutralité a également été soulevée.

Aujourd'hui, nous avons une administration centrale qui définit la stratégie, et des agences chargées de la mise en oeuvre des politiques publiques. L'exemple de l'OFB, issu de dix ans de fusions successives, montre qu'une certaine efficacité se met en place, même si le ressenti est celui d'une politique plus répressive que d'accompagnement. Il y a certainement des améliorations à apporter dans le dialogue.

Il faut reconnaître que l'OFB remplit son rôle, malgré une réduction de ses effectifs de 200 postes depuis 2010. Nous devons trouver un mode de fonctionnement qui permette de mettre en oeuvre les politiques publiques définies en France, sans pour autant remettre systématiquement en cause l'existant, car faire et défaire ne fait que créer plus de confusion pour tous les acteurs concernés.

Si le financement des agences représente, comme vous l'avez dit, 4 % du coût du PIB, les dernières études estiment que le changement climatique devrait engendrer une chute de 50 % du PIB mondial d'ici 2070. Il est donc crucial de trouver un juste équilibre.

J'ai une question spécifique sur l'ASP. Il semblerait que les aides bio et les MAEC soient toujours versées avec un décalage, en avril-mai, contre octobre pour les autres aides. Pouvez-vous confirmer cette information ?

Par ailleurs, je souhaite souligner un point récurrent : la question de la gouvernance dans les agences et de la représentation des agriculteurs. C'est un aspect qui me semble particulièrement important et que vous avez d'ailleurs déjà évoqué.

M. Quentin Le Guillous. - Il existe effectivement un décalage significatif. Actuellement, le premier versement du 15-16 octobre est considéré comme une avance. Normalement, les premiers versements devraient intervenir début janvier, suivis des paiements pour les services environnementaux et l'éco-régime en février. Les aides bio sont versées en février, mars, avril, et les MAEC peuvent s'étendre jusqu'en juin.

Ce décalage s'explique en partie par les difficultés rencontrées dans le secteur agricole ces dernières années, ce qui nous pousse à demander systématiquement une avance au 15 octobre. Le dossier PAC étant rempli et délivré le 15 mai, le temps de traitement crée des problèmes de trésorerie pour les exploitations.

On nous dit que le retard dans le versement des aides bio et MAEC est justifié par la nécessité de contrôles. Cependant, étant donné que les sanctions pour non-conformité représentent généralement un faible pourcentage des aides, nous proposons de verser rapidement 80 % des aides, puis d'ajuster le solde une fois les contrôles terminés. Cela éviterait de bloquer l'intégralité des versements pour des exploitations en cours de contrôle.

Concernant la gouvernance, nous demandons une plus grande transparence sur l'utilisation des fonds, par exemple ceux provenant de la redevance pour pollution diffuse (RPD) que nous payons sur nos usages phytosanitaires et nos eaux captées. Nous souhaitons savoir où va l'argent, pour qui, pourquoi, comment, et si nous pouvons en bénéficier.

Quant aux agences, nous ne demandons pas leur suppression, car elles répondent à un besoin. Cependant, nous nous interrogeons sur la manière de les rendre plus efficaces. Il est important de clarifier le rôle de chaque agence, son utilité, et d'améliorer leur gouvernance et leur efficacité financière.

Mme Ghislaine Senée. - Au début de cette commission d'enquête, nous avions beaucoup d'a priori. Cependant, au fur et à mesure que chacun explique son rôle, nous réalisons l'importance de chaque entité. C'est pourquoi l'intégration des agriculteurs dans la gouvernance est cruciale. Cela permettrait de mieux comprendre les tenants et les aboutissants, de régler certains problèmes, et d'exercer un contrôle mutuel, ce qui pourrait améliorer l'efficacité globale.

M. Yannick Fialip. - Effectivement, les MAEC et les aides bio sont versées bien après le solde de la PAC sur les autres aides, ce qui est problématique. Les agriculteurs font leur déclaration avant le 15 mai, et nous disposons maintenant d'un contrôle satellitaire qui permet de vérifier rapidement l'état des parcelles - semé ou pas semé. Les paiements pourraient donc être effectués beaucoup plus rapidement.

Cette situation soulève une autre question concernant l'établissement du Plan stratégique national (PSN) de la PAC. Nous avons mis en place des schémas d'orientation assez lourds qui contraignent les agriculteurs, alors que nous traitons du vivant. Il est difficile d'expliquer à un agriculteur qu'il ne peut pas faire une culture de printemps sur une terre adaptée en raison d'une mesure rotationnelle.

Pour 2027, nous devons viser une simplification de la PAC, en allant vers un contrat de confiance avec les agriculteurs. Cela simplifierait les contrôles et la mise en oeuvre, générant des économies pour l'État tout en étant plus efficace. Nous devrions fixer aux agriculteurs l'objectif de nourrir la population tout en préservant l'environnement, mais de manière simplifiée.

La représentation des agriculteurs dans les différentes agences est possible, mais constitue une charge de travail importante. Si l'objectif français est de réarmer nos productions agricoles, il faut simplifier les dispositifs pour permettre aux agriculteurs d'entreprendre sur leurs exploitations.

M. Quentin Le Guillous. - Prenons l'exemple de la construction d'un stockage d'eau. Il faut d'abord consulter les autorités locales, comme la mairie ou la communauté de communes, pour discuter de l'impact du projet. Ensuite, nous devons nous adresser à la préfecture et à la DDT pour aborder les questions d'utilité et de finalité. S'en suivent une succession de démarches à accomplir dans le cadre du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), auprès de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ou de l'OFB, pour évaluer les impacts environnementaux.

C'est à ce stade que les simplifications seraient nécessaires. Actuellement, un tel projet peut prendre entre cinq et dix ans dans le meilleur des cas, en raison de la complexité du montage du dossier et de la multiplicité des interlocuteurs, chacun ayant des délais de réponse de plusieurs mois.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si je comprends bien, c'est à vous de faire le tour de tous les services concernés pour obtenir les autorisations requises.

M. Quentin Le Guillous. - Cette situation est malheureusement courante en France, que ce soit pour l'agrandissement d'une maison ou d'autres projets.

M. Pierre Barros, président. - Cependant, il existe des contre-exemples, comme le dépôt d'un permis de construire pour un établissement recevant du public (ERP) ou un bâtiment public. Dans ces cas, le dossier est déposé par le maître d'ouvrage et circule ensuite automatiquement entre les différents services de l'État. Le demandeur reçoit ensuite une validation ou une demande de pièces complémentaires. Il existe donc des procédures efficaces, bien que parfois critiquées pour leur longueur, dont il faudrait peut-être s'inspirer.

M. Yannick Fialip. - Plus le délai d'autorisation est long, plus le risque d'attaques juridiques de la part d'organisations non gouvernementales (ONG) ou d'autres parties augmente, créant une insécurité juridique. Un investisseur dans une retenue d'eau a besoin de 4 à 5 ans pour obtenir une autorisation, qui peut ensuite être contestée au tribunal, par exemple pour des questions de protection d'espèces rares.

Il est donc essentiel de simplifier ces processus. Le stockage de l'eau en France est une nécessité reconnue par l'État, mais sa mise en oeuvre reste difficile. Cette situation peut pousser certains à réaliser des retenues illégales. Plus la loi est rigide, plus elle risque d'encourager les pratiques illégales. Il est donc essentiel de simplifier les procédures et de retrouver du bon sens paysan.

M. Pierre Barros, président. - Je vous remercie pour le temps que vous avez consacré à notre commission d'enquête sur les agences et opérateurs de l'État. Votre contribution est précieuse pour nos travaux. Je vous souhaite un bon retour chez vous.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 00.