Mardi 8 avril 2025

- Présidence de M. Raphaël Daubet, président -

La réunion est ouverte à 15 h 00.

Audition de Mme Julie Couturier, présidente du Conseil national des barreaux, et M. David Lévy, membre élu du Conseil national des barreaux (À huis clos)

M. Raphaël Daubet, président. - Nous commençons nos travaux de ce jour en entendant Mme Julie Couturier, présidente du Conseil national des barreaux, et M. David Lévy, membre élu du Conseil national des barreaux.

Madame la présidente, Monsieur, la profession d'avocat est à la foi en position de juger de l'efficacité du cadre juridique français en matière de lutte contre le blanchiment, et notamment de l'équilibre entre contrôle et respect des droits de la défense, et une profession assujettie à l'obligation de déclaration de soupçon à Tracfin.

Ce double regard nous intéresse particulièrement et il est important pour nous de vous entendre.

Je vous indique que cette audition fera l'objet d'un compte rendu publié.

Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Mme COUTURIER et M. LÉVY prêtent serment.

Mme Julie Couturier, présidente du Conseil national des barreaux. - Je vous remercie, Monsieur le Président. Mesdames et Messieurs les Sénateurs, nous vous sommes reconnaissants de nous avoir conviés dans le cadre de cette commission d'enquête qui aborde des enjeux fondamentaux pour lesquels la profession d'avocat est pleinement mobilisée. Ces thématiques touchent à l'État de droit, à la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée sous toutes ses formes, à la stabilité politique de l'État, à l'intégrité du système économique et, plus largement, à la cohésion de notre société.

La profession d'avocat est résolument engagée dans la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, avec certaines spécificités. Contrairement à d'autres professions, l'application de ces obligations aux avocats nécessite un équilibre délicat. Nous ne reculons pas devant l'impératif de lutter contre les activités criminelles, mais il est crucial de préserver certains principes fondamentaux. Deux notions clés guident notre approche : l'indépendance de la profession d'avocat et le secret professionnel, qui revêt une importance capitale dans le contexte de la lutte contre le blanchiment. Il y a une quinzaine d'années, certains avocats manifestaient des réticences, jurant qu'ils ne feraient jamais la moindre déclaration de soupçon. Cette attitude était, reconnaissons-le, contraire à notre ADN. Cependant, une prise de conscience salutaire s'est opérée. La profession a réalisé que son engagement dans la lutte contre le blanchiment était essentiel pour préserver son indépendance et son statut de profession libérale et réglementée dans une société de droit.

L'autorégulation nous protège des influences extérieures susceptibles de compromettre notre intégrité et notre indépendance, éléments essentiels au bon fonctionnement de la démocratie. Nous insistons sur le fait que tous les avocats, quelle que soit leur spécialité sont concernés par les enjeux de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Il incombe aux institutions ordinales de sensibiliser et de former l'ensemble de nos confrères à ces questions, notamment à l'approche par les risques, qui guide notre action.

Le Conseil national des Barreaux, en tant qu'instance représentative de la profession, est chargé de la représenter auprès des pouvoirs publics. Depuis 2017, nous avons mis en place un groupe de travail dédié à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Ce groupe travaille en étroite collaboration avec un membre du Bureau en charge de l'État de droit, soulignant l'importance que nous accordons à ce sujet.

Les dispositifs français et européen de lutte contre le blanchiment s'articulent autour d'un équilibre entre prévention et répression. Le volet préventif, qui concerne particulièrement les professionnels assujettis, vise à détecter le plus en amont possible les cas de blanchiment et de financement du terrorisme. Ce dispositif repose sur trois piliers auxquels nous adhérons pleinement : premièrement, la sensibilisation et la formation des professionnels assujettis à l'identification précoce des situations à risque. Deuxièmement, l'obligation de déclaration de soupçon dans des cas bien définis. Troisièmement, la confiance accordée à l'autorégulation des professions assujetties.

Le volet répressif est mis en oeuvre par l'autorité judiciaire, sur la base des informations et signalements reçus. Il comprend également les actions de contrôle et de sanction des entités assujetties. Ces deux volets sont au coeur de l'action du COLB, dont les travaux permettent un partage d'informations et d'expériences entre les professionnels assujettis et les administrations compétentes. Il convient de souligner la qualité des échanges au sein du COLB. Nous tenons à souligner la fluidité de la coopération tant avec les instances nationales qu'avec les autres professions, dans un esprit de confiance et de coordination, essentiel à l'efficacité de la lutte contre le blanchiment.

M. David Levy, membre élu du Conseil national des barreaux. - Le droit positif en matière de lutte contre le blanchiment connaît des évolutions significatives, comme vous l'avez constaté au cours de vos travaux de commission d'enquête. Parmi ces changements, deux aspects méritent une attention particulière : la poursuite de l'infraction de blanchiment elle-même et l'inversion de la charge de la preuve, avec l'introduction en 2013 d'une infraction de présomption de blanchiment. Nous comprenons la volonté d'assouplir le cadre juridique pour donner aux autorités d'enquête et de poursuite les moyens d'identifier, de poursuivre et de sanctionner efficacement le blanchiment. Cependant, ces orientations soulèvent plusieurs interrogations.

Premièrement, le traitement du blanchiment comme une infraction autonome au niveau judiciaire pose problème. En effet, bien que le blanchiment soit une infraction à part entière, il s'agit fondamentalement d'une infraction de conséquence, n'existant qu'en présence d'une infraction primaire ou sous-jacente. Malheureusement, la jurisprudence de la Cour de cassation s'oriente dans une direction qui n'est pas toujours satisfaisante d'un point de vue de rigueur juridique. Elle autorise le parquet et les autorités d'enquête à poursuivre uniquement sur le fondement du blanchiment, sans nécessairement rechercher ni démontrer l'existence de l'infraction primaire dans le cadre de la poursuite. Cette approche soulève des difficultés, notamment lorsqu'il s'agit de discuter des éléments constitutifs de l'infraction.

Deuxièmement, depuis la loi du 6 décembre 2013, la question de la présomption de blanchiment, introduite par l'article 324-1-1 du Code pénal, soulève des interrogations. Ce dispositif s'inscrit dans un cadre juridique reconnu par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et du Conseil constitutionnel. Ces juridictions admettent la création de présomptions de culpabilité, à condition qu'elles demeurent proportionnées et qu'il soit possible pour la personne à laquelle on les oppose de se défendre. La présomption doit donc être réfragable, permettant d'argumenter contre elle.

Cette évolution pose plusieurs difficultés. Elle remet en question le principe fondamental de la présomption d'innocence. Notre travail consiste désormais à rétablir cette présomption dans un premier temps, puis à apporter les éléments justificatifs pour démentir, le cas échéant, la présomption de blanchiment. Nous insistons sur l'importance de suivre systématiquement la circulaire d'application de la loi du 6 décembre 2013, prise le 23 janvier 2014, qui porte notamment sur l'article 324-1-1 du Code pénal. La circulaire précise que le renversement de la charge de la preuve institué par la présomption de blanchiment ne dispense pas de démontrer les éléments constitutifs du blanchiment et n'implique pas une présomption de constitution du délit. Il est crucial que ces points soient systématiquement rappelés dans le cadre de la procédure. Nous comprenons la volonté du législateur de répondre aux demandes des autorités de poursuite et d'enquête en leur fournissant des moyens facilitant la recherche, l'enquête et la sanction des actes de blanchiment. Néanmoins, ces dispositifs doivent rester dans un cadre respectueux des règles de la Convention européenne des droits de l'homme et des principes constitutionnels.

Le dispositif de lutte contre le blanchiment en France découle de l'Union européenne et, avant cela, des recommandations du GAFI dans les années 1990. Ces recommandations visaient initialement le secteur financier, avant d'être étendues au secteur non financier, incluant certaines professions, dont la profession d'avocat et de conseil juridique. La législation européenne en matière de lutte contre le blanchiment appliquée à la profession d'avocat a considérablement évolué depuis environ 25 ans. Une difficulté majeure réside dans l'application à la profession d'avocat de règles initialement conçues pour les professions financières, avec un langage et des typologies d'opérations spécifiques à ce secteur. Il a donc fallu adapter le langage et les définitions à notre profession, ce qui a représenté un défi important. Au fil de l'évolution de la législation européenne anti-blanchiment, transposée dans le Code monétaire et financier, le législateur européen a progressivement affiné les textes. Le sixième paquet LBC-FT, adopté en mai 2024 et publié au Journal officiel de l'Union européenne en juin 2024, apporte de nouvelles modifications. Du point de vue de la profession d'avocat, les règles désormais inscrites dans les règlements de l'Union européenne changent la donne en matière d'applicabilité directe des textes et de relations avec le droit national. Sur certains points, le règlement dépasse totalement le cadre juridique applicable à la profession d'avocat. Néanmoins, nous considérons que ce sixième paquet ne modifie pas radicalement le cadre juridique applicable à notre profession. Nous observons toutefois une attention accrue du législateur européen sur certains points. Il nous est demandé d'être plus vigilants en termes de vigilance et d'identification.

De plus, il nous est désormais demandé de porter une attention accrue à l'articulation entre le dispositif anti-blanchiment (identification, vigilance) et le dispositif de gel des avoirs. C'est un aspect que nous avons parfaitement intégré depuis plus de trois ans, notamment avec la crise ukrainienne et les décisions prises depuis février 2022 par l'Union européenne dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune.

Une vigilance particulière est également requise concernant les pays tiers à haut risque en matière de blanchiment, ceux qui figurent sur les listes grises ou noires identifiées par le GAFI.

Un point crucial pour nous concerne la problématique de la supervision et du contrôle, telle que prévue par le sixième paquet. L'Union européenne souhaite désormais s'assurer de l'efficacité des dispositifs de lutte contre le blanchiment mis en place. Le règlement européen, dans le sixième paquet, va créer une autorité européenne de lutte contre le blanchiment. Cette autorité sera en relation, dans chaque état membre, avec une autorité nationale liée directement aux entités de régulation des entités assujetties. Pour la profession d'avocat, il s'agira notamment du Conseil national des barreaux et, sans doute également, des ordres.

Dans nos échanges avec les parlementaires européens et la Direction générale du Trésor, qui a négocié le sixième paquet pour la France, nous avons affirmé ne pas avoir d'objection fondamentale au principe de supervision et de contrôle tel que prévu. Nous exigeons cependant une définition précise des compétences de chaque niveau de contrôle, de leurs interactions, et des informations que l'AMLA pourra demander à l'autorité. Nous sommes parvenus à un accord qui respecte l'autorégulation. L'entité nationale de supervision et de contrôle demanderait essentiellement des éléments administratifs aux autorités d'autorégulation, notamment sur les modalités des contrôles, l'échantillonnage, les résultats et les sanctions éventuelles. Nous acceptons cette approche, à condition qu'elle reste strictement encadrée par les textes, en particulier l'article 37 de la directive 2024/1640 et son considérant 100, bien que ce dernier manque de clarté.

Un point crucial, lié à l'avis du Conseil d'État du 23 janvier 2023 sur le périmètre de la déclaration de soupçon, concerne la déclaration des infractions sous-jacentes. Nous réexaminons cet avis et le droit positif actuel, ignoré par le Conseil d'État. Nous estimons qu'une interprétation extensive, exigeant la déclaration de toutes les infractions fiscales dans le cadre d'une déclaration de soupçon, est intenable et incohérente avec le règlement 1624 et son champ d'application.

En juillet 2021, le GAFI, lors de son évaluation de la France, nous a interrogés sur le faible nombre de déclarations de soupçon émanant de la profession d'avocat. Notre réponse s'articule en deux temps et nécessite une analyse précise. Premièrement, examinons les données chiffrées. En 2018, une seule déclaration de soupçon a été effectuée par la profession d'avocat. En 2020, les CARPA, sont devenues assujetties. Cette évolution a entraîné une augmentation significative : 16 déclarations en 2020, 22 en 2021, 28 en 2022, et 35 en 2023. Pour 2024, nous prévoyons entre 70 et 100 déclarations de soupçon. Bien que ces chiffres puissent paraître modestes en valeur absolue, leur progression est exponentielle et significative. Comme l'a souligné Julie Couturier, notre engagement est total et irréversible. Nous anticipons au moins le même niveau de déclarations, sinon plus, pour 2025.

Il est crucial de comprendre pourquoi ces chiffres, bien que modestes en apparence, sont en réalité pertinents et explicables. Premièrement, le champ des opérations soumises à déclaration de soupçon est strictement limité par le Code monétaire et financier, conformément aux directives européennes. Deuxièmement, l'article L. 561-3 prévoit une exception à l'obligation de déclaration pour les avocats lorsqu'ils évaluent la situation juridique de leur client, donnent un conseil juridique, ou interviennent dans le cadre d'une procédure judiciaire. Ces exceptions ont été validées par un arrêt important de la Cour de justice de l'Union européenne de 2012. Troisièmement, tous les avocats français n'interviennent pas dans le champ limité des activités potentiellement soumises à déclaration de soupçon. Quatrièmement, comparés à d'autres professions juridiques comme les notaires, les avocats n'exercent pas les mêmes activités, notamment en matière immobilière. Cinquièmement, les champs d'activité des avocats varient également selon les états membres de l'Union européenne. Sixièmement, les avocats ont le droit de dissuader leurs clients de s'engager dans des opérations qu'ils jugent illégales après analyse. Si le client renonce, l'opération n'existe pas, bien que nous considérions désormais que la tentative de blanchiment est déclarable, car nous avons fait évoluer notre doctrine. Nous déclarons les tentatives de blanchiment, ce qui contribue à l'augmentation du nombre de déclarations de soupçon effectuées par la profession d'avocat. Enfin, l'assujettissement des CARPA depuis l'ordonnance du 12 février 2020, transposant la cinquième directive anti-blanchiment, a considérablement modifié notre pratique. En effet, les CARPA ajoutent une couche de conformité et de contrôle supplémentaire au travail déjà effectué par l'avocat. Dans le cadre d'une opération, l'avocat identifie le client, analyse la nature de l'opération, examine les flux financiers, etc. Lorsque l'opération implique un maniement de fonds, celui-ci passe par la CARPA. Cette dernière, grâce à ses propres outils d'analyse, vérifie la validité et la légalité du mouvement financier, appliquant également ses propres obligations d'identification LCB-FT. Ce double contrôle crée un système robuste et efficace, rendant la profession d'avocat peu attractive pour ceux qui souhaiteraient se livrer à des opérations de blanchiment.

Pour illustrer ce point, je citerai un exemple concret issu d'une réunion du COLB au début de l'année. Le parquet d'un département francilien a présenté un cas pratique portant sur le démantèlement de sociétés éphémères se livrant à du blanchiment. Lorsque la question de l'implication d'avocats dans la création de ces sociétés a été posée, les représentants du parquet ont clairement affirmé qu'aucun avocat n'était intervenu dans ces opérations. Ils ont souligné que, dans toutes les affaires de blanchiment qu'ils traitent, les avocats ne sont généralement pas sollicités, car les personnes impliquées dans ces activités illicites ne trouvent pas auprès d'eux les ressources nécessaires pour faciliter le blanchiment.

M. Raphaël Daubet, président. - Je propose que nous passions aux échanges, étant donné le nombre de questions déjà en attente. Permettez-moi de commencer par une demande de clarification. Si j'ai bien compris, vous affirmez que dans le domaine du conseil juridique, vous êtes soumis à une exigence de vigilance, mais pas à l'obligation de déclaration de soupçon. Est-ce exact ?

M. David Levy. - Prenons un exemple concret pour illustrer cette distinction. Lorsqu'un client sollicite un avocat pour obtenir des informations sur la constitution d'une SCI, en demandant des explications sur son fonctionnement, l'avocat fournit une consultation juridique. Il rassemble les éléments de droit pertinents, basés sur les faits fournis par le client potentiel, et présente les différentes options possibles. À ce stade, l'avocat se situe uniquement dans le champ de la consultation et du conseil. Cependant, si le client, après avoir reçu cette consultation, revient vers l'avocat en choisissant une option spécifique et demande sa mise en oeuvre, la situation change. Dès lors que l'avocat accepte de procéder à la réalisation concrète de l'opération juridique, nous sortons du cadre du conseil pour entrer dans l'exécution opérationnelle. C'est à ce moment que les obligations de vigilance renforcée s'appliquent. Il est important de noter que les obligations de vigilance sont mises en oeuvre dès la phase de conseil. Par exemple, pour la constitution d'une SCI, l'avocat s'enquiert de l'origine des fonds, de l'identité des personnes impliquées, etc. Toutefois, c'est lors de la phase opérationnelle, comme l'enregistrement effectif de la SCI, que l'avocat peut être amené à effectuer une déclaration de soupçon si des éléments du dossier le justifient.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Je vous remercie pour ces explications détaillées. Concernant les déclarations de soupçon, il est crucial de souligner que leur qualité prime sur leur quantité. Actuellement, nous sommes confrontés à un afflux massif de déclarations, ce qui mobilise considérablement les ressources des services de traitement. Il serait plus judicieux de privilégier des déclarations de haute qualité, comme le préconise d'ailleurs la CNIL. L'objectif n'est pas d'atteindre un nombre élevé de déclarations, mais plutôt d'assurer leur pertinence et leur exploitabilité. Par conséquent, le volume de déclarations de soupçon ne constitue pas nécessairement un indicateur fiable de la bonne application de la loi ni de l'efficacité du dispositif de lutte contre le blanchiment.

M. David Levy. - Nos échanges avec plusieurs directeurs de TRACFIN ont confirmé cette approche. Ils nous ont clairement exprimé que leur priorité n'était pas le volume des déclarations, mais leur qualité et leur exploitabilité. Lors de nos discussions franches et ouvertes, ils ont souligné l'importance de recevoir des déclarations de soupçon de haute qualité, facilement exploitables pour leurs investigations. Nous avons adapté nos pratiques en conséquence, et leurs retours ont été positifs, confirmant que nos déclarations répondaient à leurs besoins en termes de qualité et d'utilité pour leurs enquêtes.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Je suis satisfaite de constater que mon observation corrobore les retours des directeurs de TRACFIN que vous avez rencontrés. Cela démontre une compréhension partagée des enjeux.

J'aimerais maintenant aborder la question des montages financiers. Nous avons eu l'occasion d'entendre divers témoignages, notamment lors des discussions sur la cinquième directive anti-blanchiment. L'un de vos confrères a notamment expliqué comment certains montages financiers, bien que complexes, pouvaient paradoxalement améliorer la détection des fraudes fiscales. Nous avons observé des cas où des avocats ont facilité la mise en place de structures facilitant l'optimisation fiscale. Je suis particulièrement intéressée par votre approche concernant les montages financiers et la manière dont vous les évaluez au regard des obligations de déclaration de soupçon.

De plus, votre mention de la déclaration des tentatives de blanchiment m'interpelle, car il me semble que cette notion n'était pas explicitement prévue dans le code. Pensez-vous qu'il serait pertinent de formaliser cette notion de tentative dans la législation ? J'aimerais approfondir la question des montages financiers et votre évaluation de ceux-ci.

Comment gérez-vous les situations impliquant des cabinets étrangers exerçant en France et des avocats français exerçant à l'étranger ? Quelles sont vos recommandations pour harmoniser ces pratiques et assurer une coordination efficace dans ce domaine ?

M. David Levy. - Je souhaite aborder la question en la mettant en perspective, notamment à partir de la notion de sécurité juridique que vous évoquez. Mon analyse prend pour point de départ une décision du Conseil constitutionnel relative à la loi de finances pour 2006. Dans cette décision, le Conseil était confronté à deux problématiques : le législateur avait souhaité assouplir les éléments constitutifs de l'abus de droit et la notion d'optimisation fiscale. Le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions à deux reprises, au motif qu'elles rendraient la loi imprécise et ne garantiraient pas une sécurité juridique suffisante.

Il convient de souligner qu'un professionnel du droit se doit de rester dans les limites de la loi et de sa déontologie. La loi l'autorise à effectuer certaines actions, et il n'y a donc aucune raison de ne pas utiliser les possibilités qu'elle offre. De plus, un avocat n'a aucun intérêt à risquer sa carrière en devenant complice d'un délinquant ou en commettant lui-même une infraction. Il n'a donc aucun avantage personnel à outrepasser les limites légales ou à enfreindre sa déontologie.

Par ailleurs, il est essentiel de distinguer les problématiques d'optimisation fiscale des problématiques de lutte contre le blanchiment. Ces deux aspects ne se recoupent pas nécessairement dans la pratique des avocats.

L'article L561-3 du Code monétaire et financier, dans le troisièmement de son I, vise spécifiquement l'activité de conseil fiscal dans le cadre des activités soumises à obligation de vigilance et de déclaration de soupçon. La Direction générale du Trésor a souhaité identifier spécifiquement cette typologie d'activité pour attirer l'attention des professionnels sur ces problématiques.

M. Raphaël Daubet, président. - Ne pensez-vous pas que l'obligation de vigilance renforcée pour le conseil en matière fiscale pourrait s'appliquer à d'autres types de conseils juridiques ? Par exemple, dans le cas du conseil pour l'ouverture d'une entreprise, l'avocat reçoit des informations précises sur le capital, les associés actuels et futurs. Ne pourrait-on pas considérer que certains types de conseils mériteraient également une attention particulière ?

M. David Levy. - Pour répondre à votre question, Monsieur le Président, il est crucial de distinguer le domaine d'activité et la nature de la prestation de services fournie par l'avocat pour son client. L'article L561-3 du Code monétaire et financier définit les types d'activités soumises aux obligations de vigilance et de déclaration de soupçon. Ces obligations s'appliquent déjà à de nombreuses activités, telles que la constitution de sociétés, les transactions immobilières, ou la gestion d'actifs pour les clients. Dans chacun de ces cas, l'avocat doit s'intéresser à l'identité des parties prenantes, à l'origine des fonds, et aux circuits financiers impliqués.

Par exemple, lors de la constitution d'une société, l'avocat doit s'enquérir de l'identité des associés, de l'origine du capital, et des projets d'acquisition de la future société. De même, pour une vente d'actifs, qu'il s'agisse de biens immobiliers ou d'oeuvres d'art, l'avocat doit identifier le propriétaire, vérifier l'origine de l'acquisition, et s'assurer de la légitimité des fonds utilisés pour l'achat. Il n'est pas nécessaire d'identifier et de qualifier spécifiquement d'autres types de conseils, car ils sont déjà couverts par le règlement européen et son équivalent dans le Code monétaire et financier.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - L'inversion de la charge de la preuve constitue effectivement un sujet important, qui mérite une attention particulière.

M. André Reichardt. - J'aimerais aborder deux points essentiels. Premièrement, concernant le contournement des sanctions internationales, un objectif souvent négligé de votre commission, pourriez-vous nous éclairer sur le rôle des avocats dans ce domaine ? Avez-vous identifié des montages particuliers ou des mécanismes inédits de contournement ?

Deuxièmement, au sujet du blanchiment d'argent, existe-t-il un ouvrage de référence que vous recommanderiez ? Votre expérience pratique vous a certainement permis d'acquérir des connaissances approfondies en la matière, au-delà de ce que nous pourrions savoir.

Je souhaite également revenir sur la question de l'internationalisation des barreaux, évoquée par le Président. Cette tendance, qui s'observe depuis plusieurs décennies, implique des avocats du monde entier exerçant partiellement à Paris et ailleurs. Cette internationalisation ne constitue-t-elle pas une opportunité pour les acteurs du blanchiment, étant donné la nature transfrontalière de ces activités ? Avez-vous connaissance de pratiques spécifiques dans ce contexte ? Est-il envisageable que, dans un cabinet international, un avocat français respecte scrupuleusement les limites légales, mais transmette certaines affaires à un confrère étranger moins contraint ? Cette dynamique internationale ne rend-elle pas le blanchiment plus complexe et plus efficace, dépassant largement le cadre local ou européen ?

M. Grégory Blanc. - Votre rôle, en tant qu'avocats, est crucial dans notre système démocratique, notamment par votre mission de défense, y compris des personnes accusées de crimes. Cependant, l'objectif de notre commission d'enquête est de déterminer comment renforcer les contrôles sur les institutions et les individus susceptibles d'adopter des comportements répréhensibles. Dans cette optique, comment la profession d'avocat peut-elle contribuer à la lutte contre la corruption ? Quelles mesures préconisez-vous pour prévenir et détecter les comportements corruptifs au sein de votre profession ? D'autres professions juridiques ont mis en place des dispositifs spécifiques. Quelles sont vos recommandations pour renforcer l'intégrité et la transparence dans votre secteur ?

M. David Levy. - Concernant les sanctions financières ciblées, la profession d'avocat est sensibilisée à cette problématique depuis le milieu des années 2010, initialement en lien avec les sanctions contre l'Iran. Cette vigilance s'est accrue depuis février 2022 avec les sanctions contre la Russie dans le contexte du conflit en Ukraine. Nous informons systématiquement les avocats de chaque nouveau paquet de sanctions adopté par l'Union européenne, en expliquant leurs implications et l'obligation de déclaration. Nous assurons également des formations spécifiques sur ce sujet.

Quant au blanchiment d'argent, il est important de noter que les mécanismes ne sont pas toujours complexes. Prenons un exemple concret : lors d'un licenciement, un accord transactionnel est conclu entre une entreprise et un salarié. L'avocat doit recevoir les fonds de l'entreprise pour les transmettre au salarié. Si soudainement, l'argent provient d'un tiers inconnu, non mentionné dans l'accord, cela constitue un signal d'alerte évident. La vigilance porte souvent sur des détails très simples, mais révélateurs. Nous avons procédé à des déclarations de soupçon dans ce type de situations. Le Conseil national des barreaux a publié un guide anti-blanchiment, que nous mettons régulièrement à jour, fournissant des exemples concrets et des typologies pour aider les avocats à identifier les situations à risque. Notre approche vise à sensibiliser la profession à ces enjeux cruciaux, en mettant l'accent sur des cas pratiques et des scénarios réalistes plutôt que sur des montages excessivement complexes.

Concernant l'internationalisation de la profession d'avocat, il convient d'adopter une approche pragmatique. En ma qualité de président nouvellement nommé du comité de services juridiques internationaux du Conseil des barreaux de l'Union européenne, je suis particulièrement sensible à cette question. Notre comité, représentant l'ensemble des avocats européens, collabore étroitement avec la Commission européenne pour négocier les accords commerciaux internationaux de l'Union. Ces accords comportent systématiquement un volet sur les services juridiques, visant à faciliter la mobilité des professionnels entre les parties contractantes. L'internationalisation de notre profession est une réalité incontournable, le droit transcendant les frontières nationales. Nos clients, opérant à l'international, sollicitent notre accompagnement à l'étranger. Cependant, il est crucial de souligner que cette internationalisation ne se traduit pas par un contournement des règles déontologiques. Les recommandations du GAFI sont internationales, et l'Union européenne, ainsi que de nombreux pays tiers, s'en sont inspirés pour élaborer leurs réglementations. Par conséquent, les avocats sont soumis à des règles similaires à l'échelle internationale, ce qui exclut toute possibilité de se soustraire à ses obligations en déléguant des activités douteuses à des confrères étrangers. Mon expérience ne m'a jamais confronté à une situation où un avocat français aurait tenté de se décharger d'une affaire de blanchiment sur un homologue étranger.

Mme Julie Couturier. - Concernant la lutte contre le blanchiment et les contrôles, il convient de souligner les progrès significatifs réalisés par la profession d'avocat en France. Le GAFI a récemment salué notre pays pour sa gestion de cette problématique, notamment en ce qui concerne les avocats. L'évaluation a mis en évidence une compréhension satisfaisante des enjeux et des obligations liées à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT) au sein de notre profession.

Un élément crucial de notre dispositif est le système des CARPA, qui constitue un rempart efficace contre les tentatives de blanchiment. Ces caisses exercent un contrôle rigoureux sur les flux financiers. Elles sont uniques à notre profession et reconnues comme un filtre particulièrement performant.

Néanmoins, le GAFI a soulevé des interrogations quant à l'impartialité des contrôles effectués par les ordres sur leurs propres membres. Pour répondre à cette préoccupation et en prévision de la prochaine évaluation en 2028, nous avons élaboré un nouveau dispositif de contrôle, à trois niveaux :

1. un questionnaire national d'autoévaluation ;

2. une plateforme mutualisée pour l'exploitation des résultats de ce questionnaire ;

3. un système de contrôle croisé entre barreaux, garantissant une plus grande objectivité.

Ce dispositif, bien qu'il représente un investissement conséquent pour la profession, vise à renforcer l'efficacité et l'impartialité de nos contrôles tout en préservant les prérogatives disciplinaires des ordres.

Il est essentiel de rappeler que les avocats ne sont pas des facilitateurs du blanchiment, mais des experts juridiques dont le rôle est d'éclairer leurs clients sur la légalité de leurs actions. Notre profession est encadrée par la loi et la déontologie, et les ordres veillent scrupuleusement au respect de ces principes. Bien que des comportements déviants puissent occasionnellement survenir, comme dans toute profession, ils demeurent exceptionnels et font l'objet de sanctions appropriées lorsqu'ils sont identifiés.

M. André Reichardt. - Concernant le blanchiment, disposez-vous de données territorialisées sur l'activité des avocats en France ? Plus précisément, êtes-vous en mesure de quantifier le nombre d'affaires ayant donné lieu à des déclarations de soupçon dans des zones géographiques spécifiques, notamment dans les régions frontalières ?

M. David Levy. - La profession d'avocat a élaboré une analyse sectorielle des risques spécifique pour l'ensemble des 77 000 avocats. Cette analyse, mise à disposition de tous les avocats, identifie plusieurs catégories de risques inhérents à la profession. Premièrement, nous attirons l'attention sur les risques liés à certaines activités particulières. Deuxièmement, nous soulignons les risques associés à l'origine géographique de l'avocat, qui peuvent soulever des questions spécifiques à identifier. Enfin, nous mettons en lumière les risques liés à la situation géographique de l'avocat ou du lieu de l'opération. Par exemple, nous accordons une attention particulière aux transactions transfrontalières, notamment avec la Suisse ou l'Italie. Les avocats français exerçant en outre-mer sont également très sensibilisés aux problématiques spécifiques de ces territoires. Grâce à ce travail d'identification et d'analyse, ils connaissent précisément les comportements à adopter face à ces risques.

Concernant les déclarations de soupçon, nous pouvons les localiser géographiquement. Ainsi, nous sommes en mesure d'identifier si une CARPA dans une région donnée a effectué deux ou trois déclarations. Cette approche géographique nous permet de suivre l'évolution de la situation sur l'ensemble du territoire.

La réunion est close à 16 h 00.

Audition de Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, conseillère d'État, présidente de la Commission nationale des sanctions (Audition à huis clos. Aucun compte rendu ne sera publié)

Aucun compte rendu ne sera publié.

La réunion est close à 17 h 30.

Jeudi 10 avril 2025

- Présidence de M. Raphaël Daubet, président -

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Audition de MM. Pierre-Jean Meyssan et Jérôme Fehrenbach, premier vice-président et directeur général du Conseil supérieur du notariat, et de M. Loïc Cantin, président de la Fédération nationale de l'immobilier

M. Raphaël Daubet, président. - Nous commençons nos travaux par l'audition commune de MM. Pierre-Jean Meyssan et Jérôme Fehrenbach, respectivement premier vice-président et directeur général du Conseil supérieur du notariat (CSN), et de M. Loïc Cantin, président de la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim).

Notaires et agents immobiliers appartiennent à des professions assujetties, et l'immobilier est souvent cité parmi les techniques de blanchiment en France et à l'étranger. Il est donc important pour nous de comprendre les enjeux et comment ces professions peuvent mettre en oeuvre les règles de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT).

Messieurs, je vous indique que cette audition fait l'objet d'une captation et d'une diffusion en direct sur le site internet du Sénat, et qu'un compte rendu sera publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Pierre-Jean Meyssan, M. Jérôme Fehrenbach et M. Loïc Cantin prêtent serment.

M. Pierre-Jean Meyssan, premier vice-président du Conseil supérieur du notariat. - Je commencerai par donner quelques repères chiffrés sur la profession notariale. Les notaires sont au nombre de 17 300, assistés par 60 000 collaborateurs, et ils reçoivent environ 20 millions de clients par an dans 8 398 points d'accueil. L'année dernière, 30 milliards d'euros d'impôts ont été collectés.

Notre profession se vante d'être structurée grâce à des textes fondateurs. Elle est encadrée par des chambres départementales, qui sont aujourd'hui autorités de contrôle de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, par des conseils régionaux et, enfin, par le Conseil supérieur du notariat, la structure nationale. Le CSN a pour mission de nous représenter après des pouvoirs publics, mais également de conduire la politique générale de la profession ; il n'a pas de prérogatives disciplinaires.

Je vous présenterai le système mis en place par la profession en trois temps : la progressive prise en compte du dispositif LCB-FT par la profession ; le travail actuellement mené par le CSN ; et les axes d'amélioration.

S'agissant de la prise en compte du dispositif LCB-FT, elle s'est faite progressivement.

Il y eut d'abord les balbutiements, avec les lois du 2 juillet 1998 et du 11 février 2004, qui étendent aux notaires les opérations de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Le notariat s'est interrogé après l'adoption de ces textes, car le secret professionnel fait partie de l'ADN de la profession. L'outrepasser pour révéler une opération dont nous avons pris connaissance dans l'exercice de nos fonctions ne va jamais de soi. Ce n'est pas un acte neutre, mais les notaires, qui sont des officiers publics, ont pris conscience que les pouvoirs publics attendaient cela d'eux. Il a fallu que nous fassions cette révolution.

De façon plus pragmatique, les notaires considéraient, au début des années 2000, que le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ne les concernaient globalement pas, à part ceux qui s'occupent, par exemple, de l'acquisition par un oligarque russe d'une villa de prestige sur la Côte d'Azur ou d'un chalet en Haute-Savoie, ou d'un appartement de prestige à Paris par un membre de la famille d'un chef d'État, ce qui représentait environ un notaire sur 1 000 ou 1 500.

Après les balbutiements, le deuxième temps fut celui, à partir des années 2010, du frémissement, marqué par plusieurs étapes.

D'abord, le 25 avril 2012, avec la signature d'une charte entre le CSN et la Caisse des dépôts et consignations (CDC), banque traditionnelle du notariat dans laquelle nous déposons les fonds de nos clients.

Ensuite, en 2019, avec la création du service conformité au sein du CSN. Ce service met en oeuvre une politique permettant aux études notariales de répondre aux attentes des pouvoirs publics. Nous avons commencé à former les notaires de façon artisanale, avec un simple flyer. Car lorsque l'on demandait à un client d'indiquer la provenance de l'argent d'un achat immobilier, il s'étonnait de devoir nous donner cette information, et il fallait lui expliquer notre mission d'officier public.

Nous avons ensuite organisé des formations qui s'apparentaient au départ à des grand-messes, avant de nous orienter vers des formats plus réduits pour 20 ou 30 personnes, avec des intervenants très spécialisés, comme Mme Lalaque, cheffe du service conformité.

Nous avons également mis en place un questionnaire de vigilance interactif. Chaque étude peut intégralement vérifier un dossier avec un questionnaire numérique de premier niveau, comprenant un système de clignotants : dispose-t-on de la carte d'identité du client ? De tel ou tel document ? Si un clignotant s'allume, alors on bascule automatiquement vers un questionnaire de deuxième niveau, beaucoup plus charpenté, qui interroge des bases de données. Nous nous sommes néanmoins très vite aperçus que ce dispositif manquait d'ampleur.

Le troisième temps correspond en quelque sorte au passage à la phase d'industrialisation avec la mise en place, par le Conseil supérieur du notariat, d'un plan d'action 2023-2025, suivant trois axes : organiser, former, faciliter.

Premier axe : organiser. Chaque chambre départementale comprend un référent LCB-FT, dont la mission est de récupérer les informations délivrées par le CSN et de fournir à chaque étude une information, un suivi et une aide à la décision. Ces référents sont actuellement au nombre de 58. Nous organisons une réunion tous les six mois pour répondre à leurs interrogations et leur communiquer de bonnes pratiques. Nous avons invité d'autres acteurs de la LCB-FT à échanger sur ces questions, et les référents sont en contact quotidien avec le service conformité. Le niveau d'écoute et de formation est excellent, et les choses avancent très bien.

Deuxième axe : former. Nous avons conscience que les formations de masse ont leurs limites. Il a donc été décidé de mettre en place des modules de e-learning, avec trois niveaux pour les notaires et deux pour les collaborateurs. Pourquoi cet écart ? Parce que le troisième niveau pour les notaires est une aide technique destinée à les aider à remplir la déclaration de soupçon, qui relève de leur seule prérogative. Le système de modules est progressif : pour passer de l'un à l'autre, il faut répondre à des questionnaires, et avoir atteint un taux de réussite de 80 %. Neuf mois après le lancement de ces modules, 61 % des notaires de France et 70 % des collaborateurs sont formés. Les écarts sont assez sensibles entre les territoires : la Basse-Normandie est en tête, avec 88 % des notaires formés. Nous exerçons une pression sur les mauvais élèves pour qu'ils suivent les formations, mais, il faut le dire, le taux de 61 % de notaires formés est déjà extrêmement important.

Troisième axe : faciliter la transmission des données. Un travail très important a été effectué sur l'un des chevaux de bataille du Groupe d'action financière (Gafi) : l'analyse sectorielle des risques. Le Conseil supérieur du notariat a bâti un modèle d'analyse avec 40 items. Ce document, qui est un tableur Excel, a été envoyé aux 8 300 études de France. Nous attendons un retour de leur part pour la fin du mois d'avril, ce qui permettra à chaque département de bâtir une analyse sectorielle des risques, laquelle sera envoyée au Conseil supérieur. Nous serons alors en mesure de produire, sans doute au début de l'automne prochain, l'analyse sectorielle des risques nationale du notariat.

Les résultats de ce plan sont déjà tangibles. En 2020, le notariat a déposé 1 546 déclarations de soupçon chez Tracfin ; en 2023, 3 242, soit un doublement en quatre ans. Cela signifie non pas que le blanchiment a doublé, mais que le notariat a augmenté son niveau de sensibilisation pour atteindre le degré attendu par les pouvoirs publics.

J'en viens au travail actuellement mené par le CSN, qui suit deux directions.

Première direction, nous poursuivons, à la fois, l'exécution du plan 2023-2025 et notre collaboration avec les institutions chargées de la lutte contre le blanchiment. Nous travaillons régulièrement avec le Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (Colb). Nous participons à toutes leurs séances de formation et avons d'excellentes relations avec le président Banquy qui est, je le crois, assez satisfait du travail des notaires. Nous collaborons avec la direction générale du Trésor et Tracfin. Le notariat a été choisi pour être la profession avec laquelle Tracfin a rénové son outil Ermes ; ce n'est sans doute pas par hasard !

Seconde direction, nous construisons un système de contrôle, lequel comprend deux niveaux.

D'abord, les études notariales sont inspectées a minima tous les deux ans. Le 30 décembre 2024, le garde des sceaux a publié un arrêté renouvelant intégralement le rapport d'inspection, en introduisant un important volet LCB-FT. Désormais, dans chaque étude inspectée, les inspecteurs vérifieront le respect du dispositif LCB-FT et l'exécution des plans déployés par le CSN. Si les réponses ne sont pas satisfaisantes, la mission des inspecteurs est de communiquer à l'organe disciplinaire de la zone, c'est-à-dire au conseil régional, les manquements constatés.

Ensuite, deuxième niveau, la transposition de la sixième directive conduira à la création d'un corps d'inspecteurs nationaux chargés de contrôler les manquements relevés par le premier niveau et d'appliquer les sanctions administratives prévues par le code monétaire et financier.

J'évoquerai, enfin, les axes d'amélioration - j'en citerai deux.

Le premier porte sur un sujet d'interrogation majeur depuis un certain temps : la société civile immobilière (SCI) comme vecteur d'acquisition. Si l'on a l'idée - saugrenue - de chercher à blanchir de l'argent, il faut se garder d'aller chez un notaire, en raison de tous les dispositifs de contrôle que j'ai décrits. En effet, si une personne me dit qu'elle achète dix garages sans emprunter, et qu'elle est gérante de société, un clignotant s'allume immédiatement !

Pour blanchir de l'argent, il est préférable d'acheter des parts d'une SCI. Acheter un bien immobilier par l'intermédiaire d'un notaire nécessite de produire des centaines de pages de documents, alors que dans le cadre d'une SCI il suffit de signer un document entre acheteur et vendeur, et l'argent peut venir d'un compte bancaire domicilié dans un paradis fiscal. Pour filer une métaphore un peu osée, je dirais que nous avons mis en place un dispositif de contrôle sur une route départementale, quand l'autoroute des cessions de parts de SCI reste ouverte pour les go fast, sans que personne regarde ! Un responsable de l'administration du Trésor a reconnu qu'il y avait un trou dans la raquette ; on peut plutôt dire qu'il n'y a pas de tamis !

Les officiers publics que nous sommes, et que nous sommes fiers d'être, ne comprennent pas pourquoi les pouvoirs publics n'ont pas encore traité ce sujet. Une solution évidente est de prévoir que la cession de parts se fasse par un acte soumis à la signature d'une personne assujettie aux obligations du code monétaire et financier. Cela englobe évidemment les notaires, mais aussi les avocats - nous ne sommes pas sectaires ou corporatistes !

Le deuxième axe d'amélioration porte sur la réduction de l'exposition du notaire déclarant. Je l'ai dit, faire une déclaration de soupçon n'est jamais un acte neutre, même maintenant que nous avons développé une culture de lutte contre le blanchiment et que nous avons pris conscience de l'attente des pouvoirs publics et de la représentation nationale vis-à-vis de notre profession.

La déclaration de soupçon a une vertu principale : l'anonymat. Le conseil que nous donnons aux notaires qui font des déclarations de soupçon, c'est de ne jamais garder de copie de ses déclarations à l'étude.

En effet, si la procédure judiciaire se déclenchait par la suite et que l'étude devait être perquisitionnée, l'officier de police judiciaire, ou le juge d'instruction, pourrait saisir cette déclaration de soupçon, laquelle deviendrait une pièce de procédure communicable à la partie adverse.

Nous veillons donc scrupuleusement à cet anonymat. Mais il y a un écueil : lorsque le notaire est sollicité dans le cadre d'une procédure judiciaire, qu'il a peut-être lui-même contribué à déclencher par sa déclaration, il ne peut pas dire qu'il a établi une déclaration de soupçon, et ce même s'il est placé en garde à vue. Et garder le silence sur ce sujet dans ces conditions, ce n'est pas simple...

Nous travaillons sur l'amoindrissement de l'exposition du notaire en proposant des solutions techniques, notamment d'ordre numérique. Nous avons la faiblesse de penser que nous aurons du mal à résoudre seuls ce problème. Lorsque nous serons arrivés au bout de cette analyse, nous nous tournerons sans doute vers la représentation nationale pour qu'elle nous aide à assurer cet anonymat et à améliorer le dispositif de lutte contre le blanchiment.

M. Jérôme Fehrenbach, directeur général du Conseil supérieur du notariat. - Avant que nous ne répondions à vos questions, je souhaite ajouter quelques mots au propos de M. Meyssan.

La Caisse des dépôts et consignations est, pour nous, un interlocuteur et un partenaire très important, à trois titres.

Premièrement, son activité est liée au système préventif, et vertueux, attaché à l'acte notarié. Contrairement à une transaction classique, une transaction immobilière devant notaire met en présence non pas deux, mais trois banquiers, le troisième - la CDC - exerçant son contrôle de façon d'autant plus diligente qu'il n'a aucun intérêt commercial ; en effet, ses clients ne sont pas des personnes physiques, ou de façon très marginale. Ce banquier supplémentaire exerce ses propres contrôles à l'entrée et à la sortie des flux.

Deuxièmement, la CDC est un partenaire avec lequel nous échangeons régulièrement, sur les plans politique et opérationnel, en vue d'exercer des contrôles.

Troisièmement, la CDC étant elle-même assujettie à ses propres obligations, portant sur les mêmes flux financiers - cela représente à peu près 600 milliards d'euros par an -, elle nous sert d'élément de comparaison, ce qui est très utile : nous regardons année après année, et région par région, si nous faisons, sur les mêmes flux, le même nombre de déclarations ou pas. La Caisse des dépôts voyant les flux passer, elle établit ses propres déclarations ; si nous nous positionnions en deçà, c'est l'indice de la faible intensité de nos contrôles. Or, depuis 2020 - et c'est rassurant -, nous sommes au même niveau, et même légèrement au-dessus, ce qui est positif. Par ailleurs, puisque nous rencontrons nos clients, contrairement à la Caisse, nous disposons d'indices supplémentaires. Il s'agit pour nous d'un excellent étalonnage et nous bénéficions, en travaillant avec la CDC, d'une très bonne dynamique sur ce sujet.

M. Loïc Cantin, président de la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim). - La Fnaim regroupe 10 000 entreprises, qui exercent des activités de syndic de copropriété, d'administrateur de biens et de transactionnaire. Je ne parlerai que pour les adhérents que je représente, puisque notre fédération ne recouvre pas la totalité du secteur, lequel compte 25 000 cartes professionnelles ; par ailleurs, de nombreux professionnels n'adhèrent à aucun syndicat, quand d'autres sont inscrits auprès d'autres organisations.

Notre profession est confrontée très en amont, avant même l'intervention du notaire dans le cadre d'une opération immobilière, aux sujets de l'identification et de la perception de tout risque de blanchiment, principalement lors des activités de transaction. Nous sommes en effet soumis aux obligations relevant de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, depuis 2009 pour les transactions immobilières, et depuis 2016 pour les activités de location.

Nous avons mis en place des outils pour accompagner cette lutte contre le blanchiment et permettre une détection très précoce, dès qu'il y a un contact avec un client, ou dès qu'un client manifeste une intention d'acquérir en présentant une offre d'achat. Des opérations préalables sont alors menées pour établir une cartographie des risques, afin d'aboutir à un scoring, l'évaluation du candidat accédant à la propriété.

Nous procédons en remplissant une fiche, élaborée avec la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), afin d'identifier les facteurs de risque - origine des fonds, discordance entre le statut professionnel et l'apport personnel ou le montant de l'investissement. Nous nous demandons si le règlement provient bien du client acquéreur, et si celui-ci ne procèdera pas à une substitution tardive, par une personne physique ou morale, la veille de l'établissement de l'acte authentique. Tous ces signaux nous permettent d'évaluer les risques et de satisfaire à notre obligation de vigilance préalable. Lorsqu'une anomalie est détectée, ou que le scoring est insuffisant, nous établissons une déclaration de soupçon.

Toutes les transactions sont assujetties à ce formalisme, dans la mesure où nous sommes placés sous le contrôle de la DGCCRF, qui exige une exhaustivité de ces vérifications pour tous les candidats acquéreurs.

Il est vrai que tous les secteurs ne sont pas soumis aux mêmes pressions. Mais l'évolution est certaine : alors que le problème du blanchiment concernait auparavant Paris ou la Côte d'Azur, aujourd'hui, à cause du phénomène croissant du narcotrafic, tous les territoires sont concernés.

À cet égard, il convient de prendre en compte les opérations que nous observons, même si elles sont bénignes, comme une simple transaction portant sur un fonds de commerce - cession d'un salon de coiffure à une personne n'ayant pas la compétence pour exercer cette activité, par exemple. Il n'existe pas à l'heure actuelle de disposition juridique permettant à un propriétaire de s'opposer à une telle cession. Aucun motif juridique n'autorise à faire valoir le contrôle de l'apport des fonds. Ainsi, l'obligation de réaliser et celle de présenter des justificatifs de compétences professionnelles dans un délai de trois mois ne suffisent pas pour se prévaloir d'une opération de lutte contre le blanchiment.

La lutte contre le blanchiment s'étend désormais à tous les secteurs, y compris à celui de l'immobilier d'entreprise et de commerce, et n'est plus limitée à l'immobilier d'habitation.

La Fnaim a réalisé un travail d'identification et de prévention des risques, au travers notamment de la publication d'un guide, qui a été rédigé avec la DGCCRF et Tracfin, et qui recense les huit réflexes à avoir dans une agence immobilière en vue de détecter, d'accompagner et de prendre des dispositions, jusqu'à l'établissement de l'indispensable déclaration de soupçon.

Nous allons aussi plus loin, en faisant preuve de vigilance lors de la signature de l'engagement des parties au contrat. Ainsi, nous utilisons un outil, qui a été salué par la DGCCRF, permettant d'établir une interconnexion avec plusieurs bases de données. Dès lors qu'un client est acheteur chez nous, nous nous connectons, grâce à son état civil et à d'autres données le concernant, au registre du commerce et des sociétés (RCS), au registre national des gels des avoirs et à la base Dow Jones relative aux personnalités publiques politiquement exposées. Cette interconnexion nous conduit, pas à pas, vers une détection et notre obligation de vigilance est ainsi confortée. Par ailleurs, l'archivage des vérifications effectuées, conforme aux exigences du règlement général sur la protection des données (RGPD), nous permet de restituer immédiatement les renseignements demandés en cas de contrôle, conformément à ce qu'exige la DGCCRF. Nous sommes d'ailleurs contrôlés régulièrement.

Notre profession recouvre des modèles économiques assez différents, qu'il s'agisse de la petite entreprise employant deux ou trois collaborateurs, d'une structure de 50, 100, voire 150 salariés, ou d'un réseau de mandataires. Ces entités ne sont pas soumises au même type de contrôle et ne sont pas susceptibles d'encourir les mêmes sanctions. Une petite entreprise doit répondre aux exigences imposées dans le cadre de la LCB-FT. En revanche, un intervenant en immobilier n'est pas soumis pareillement au contrôle de la DGCCRF, tout en étant astreint aux mêmes obligations de contrôle.

En tant que fédération, la Fnaim a effectué un travail de sensibilisation, en collaboration avec Tracfin et la DGCCRF, sur les outils à mettre en place, et notamment une formation professionnelle adaptée. Nous nous battons depuis longtemps pour qu'une formation préalable soit dispensée à tout professionnel chargé d'une opération d'entremise. Ainsi, nous avons attendu un décret sur ce point pendant plus de dix ans. Nous avons donc saisi le Conseil d'État afin qu'il contraigne le Premier ministre à le publier dans un délai de six mois, et nous avons eu gain de cause. Ce décret, qui sera promulgué avant le 25 juillet prochain, permet à tout collaborateur qui entre dans la profession et qui est habilité à s'entremettre, s'engager et négocier pour le compte d'un titulaire de la carte que nous représentons - j'indique que notre profession est réglementée par la loi du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce, dite loi Hoguet -, de disposer d'un quota minimal d'heures de formation. À défaut, comment pourrait-on peut lutter contre le blanchiment ?

Nous avons également demandé que soit inscrite dans le décret précité, au titre de cette obligation, une formation à la LCB-FT, laquelle nous semble tout aussi indispensable pour nos professionnels que celle relative à la lutte contre les discriminations, ou celle sur la déontologie qui doit prévaloir dans le cadre des relations et des transactions que nous prenons en charge. J'espère que nous serons entendus sur ce point.

En tant que professionnels de l'immobilier, nous sommes légalistes, et engagés dans l'application de ces politiques publiques, aux côtés de l'État. Mais il arrive que nos sollicitations ne soient pas entendues. Ainsi, la LCB-FT est inscrite dans notre code de déontologie, lequel devrait relever d'une commission des sanctions et de contrôle, dont nous attendons la mise en place depuis la promulgation de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan). Nous n'avons cessé de réclamer la création de cette commission auprès des Premiers ministres successifs, sans obtenir gain de cause. Or elle est indispensable : comment, à défaut, sanctionner un professionnel qui ne respecterait pas ses obligations ?

Les professionnels de l'immobilier et les notaires sont directement concernés par les politiques publiques liées à la LCB-FT, dans la mesure où leur activité se situe au carrefour du parcours résidentiel et des mutations immobilières. Je tiens, à cet égard, à dire un mot du secteur des locations immobilières, même si la Commission nationale des sanctions (CNS) ne le vise pas explicitement.

Aujourd'hui, vous pouvez louer une magnifique villa, au prix de 180 000 euros pour trois semaines, sur une plateforme hébergeant des locations de luxe - Airbnb, Abritel, etc. -, sans être redevable de quelque obligation que ce soit. Il n'existe aucune sanction dans ce domaine, et tout est permis : on peut louer sans que soit contrôlée l'origine des fonds utilisés, par exemple lorsque le paiement se fait en argent liquide. La seule obligation de déclaration qui existe dans le cas d'un loyer mensuel payé en cash concerne les sommes supérieures à 10 000 euros, mais elle pèse sur les seuls professionnels, et non sur les particuliers.

Plus largement, il conviendrait de se pencher sur la diffusion d'annonces immobilières par des hébergeurs internet. On constate en effet qu'il est permis de louer un appartement classé G au diagnostic de performance énergétique (DPE), ce qui est indécent, parce que l'hébergeur de l'annonce n'est pas responsable de sa diffusion ; or la responsabilité de l'annonceur ne peut pas être mise en cause.

En matière de lutte contre le blanchiment, la responsabilité ne saurait reposer non plus sur les seuls professionnels. Il faut mettre fin à cette distorsion de traitement qui empêche d'atteindre les objectifs poursuivis.

Je résume donc en quelques mots les éléments de notre action dans le cadre de la LCB-FT : établissement d'une cartographie ; détection des anomalies très en amont de la signature du contrat ; identification des mouvements de fonds et de l'identité des acheteurs ; recours à un outil d'interconnexion à l'ensemble des registres qui permettent d'identifier les personnes à risque. Enfin, nous agissons pour qu'une formation préalable et obligatoire soit étendue à l'ensemble des intervenants dans le secteur de l'immobilier, car on ne peut pas faire de transaction immobilière aujourd'hui sans maîtriser parfaitement ces outils.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Nous vous remercions, messieurs, pour ces exposés volontaristes et clairs. Je suis contente que les notaires de Basse-Normandie tiennent le haut du pavé en matière de conformité ; j'y vois un clin d'oeil à Alain Lambert, qui a longtemps présidé le Conseil supérieur du notariat et qui fut notre collègue dans cette maison, avant de devenir ministre du budget.

Pour ce qui concerne la cession des parts de SCI, le législateur a eu connaissance du dysfonctionnement que vous avez évoqué. Je suis très intéressée, à cet égard, par votre méthode des clignotants. Quels sont vos critères d'alerte dans le cas où une association cherche à acquérir un bien ? Vous manque-t-il des outils pour détecter les anomalies ?

Comment votre profession se prépare-t-elle à une invasion du marché par les cryptoactifs ?

Comment votre profession réagit-elle face aux activités des agences immobilières en ligne, lesquelles proposent notamment des biens à l'étranger, et plutôt dans des pays ensoleillés. Quelles sont vos préconisations à cet égard ? En effet, les nouvelles technologies modifient complètement les comportements des acheteurs honnêtes et de ceux qui le sont moins...

M. Pierre-Jean Meyssan. Concernant les cessions de parts de SCI, j'ai tout à fait conscience que vous ne découvrez rien ! Alain Lambert, d'ailleurs, me rappelait que des questions se posaient déjà à ce sujet il y a vingt-cinq ans. Si le notariat s'interroge, je me doute bien que vous vous interrogez aussi. Dès lors, comment se fait-il que rien ne se passe alors que chacun fait le même constat et va dans le même sens ?

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. C'est peut-être le bon jour et la bonne commission pour faire avancer le sujet.

M. Pierre-Jean Meyssan. Nous sommes à votre disposition, madame la rapporteure. J'ai essayé tout à l'heure de tracer sommairement des pistes.

J'ai été à peine caricatural : un bout de papier signé est parfaitement valable. Celui-ci peut même - allons au bout de la logique - être déposé auprès du tribunal de commerce, par le biais d'une copie par extrait de la cession de parts et de la mise à jour des statuts. Peut-être le greffier s'en étonnera-t-il, car cette copie n'est pas obligatoire : en ne la fournissant pas, qui s'en émouvra ? Peut-être un problème d'opposabilité se rencontrera-t-il, car, le changement ne figurant pas sur la plateforme Pappers, la même société restera propriétaire de l'immeuble au fichier immobilier. Ainsi, la transaction sera faite, valable et payée, et l'immeuble aura changé de main sans que personne le voie.

Il n'est pas possible de maintenir une procédure pareille. Les auxiliaires de justice sont tenus à des obligations. C'est leur métier. Je peux comprendre le souhait de ne pas passer par un acte authentique : il n'entre pas dans la maison que je représente de rallumer une énième guerre avec le barreau ! Néanmoins, que je sache, les avocats aussi sont tenus aux obligations du code monétaire et financier. Certes, ils y sont tenus plus difficilement que nous - nous le sentons ! -, mais ils y sont tenus. Ils ont lutté pour obtenir la mise en place des actes contresignés par avocat : peut-être pourraient-ils en réaliser ? Peut-être pourriez-vous les solliciter en ce sens ? Tout le monde prendrait ainsi ses responsabilités. En effet, l'acte contresigné par avocat engagerait la responsabilité de l'avocat sur les contrôles qu'il a à faire. Les outils existent donc déjà.

Quant à notre système de clignotant, il touche les personnes non seulement physiques, mais aussi morales. Les associations sont donc comprises. Nous savons que ces dernières sont un véhicule intéressant pour dissimuler des activités illicites.

Dans son plan de développement pour la période 2023-2025, le CSN demande à chaque étude de mettre en place une procédure écrite interne pour expliquer à tous les collaborateurs comment utiliser le questionnaire de vigilance. En effet, les inspecteurs doivent avoir accès aux fiches de vigilance de premier et de second niveau relatives à chaque dossier.

Il est assez facile de contrôler les personnes physiques. Comme le président de la Fnaim le rappelait tout à l'heure, les notaires sont extrêmement sensibles aux phénomènes de substitution. Nous ne parlons pas de la substitution souhaitée par un père de famille qui achète un bien et qui monte une SCI familiale pour le transmettre à ses enfants !

La substitution qui pose problème est celle de dernière minute au profit d'une société qui n'a rien à voir avec la personne qui a signé la promesse et dont je ne sais rien. Dans ce cas, nous sommes au-delà du clignotant qui s'allume : c'est le feu rouge aussitôt, car nous risquerions de monter un système qui dissimulera la vérité de l'opération.

Souvent, les promesses contiennent une clause de substitution, mais les notaires changent actuellement de politique : ils commencent à ne plus l'insérer de façon systématique, attendant qu'elle soit demandée pour vérifier ensuite dans quelle perspective elle l'est. C'est tout le travail d'infusion dont il était question tout à l'heure.

À partir du moment où il existe une clause de substitution, au profit de qui que ce soit - il peut s'agir d'une personne physique différente ou d'une personne morale de toute nature : société civile ou commerciale, association... -, le clignotant rouge s'allume : la déclaration éveille le soupçon. Ne parlons même pas d'un éventuel élément d'extranéité. Dans ce cas, tout clignote !

Nous tenons nos questionnaires de vigilance à votre disposition si vous le souhaitez, madame la rapporteure. Leur abord est simple, car la maison a mis en place un portail interactif ouvert à tous les notaires. Ainsi, chacun d'entre eux peut télécharger le premier questionnaire en ligne - il ne relève même plus du format papier - : il suffit d'abord de cocher des cases, avant que des liens ne l'envoient vers des bases de données.

Imaginons, pour reprendre un cas de figure rencontré par un adhérent de la Fnaim, un refus de présenter sa carte d'identité. Le clignotant de mise en garde passe au rouge aussitôt. De toute manière, il n'est pas possible de ne pas la présenter : le notaire doit vérifier l'identité des clients et donc demander des documents d'identité en cours de validité.

En somme, nous menons tout un travail de montée en puissance.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. Imaginons qu'un clignotant s'allume, que vous répondez à votre client que l'étude ne prendra pas en charge son dossier et que vous remplissez une déclaration de soupçon : l'intéressé se rendra chez un autre notaire.

Puisque votre système semble assez bien structuré - vous nous assurez qu'il est bien centralisé et les documents parfaitement diffusés auprès des études - et que votre volonté est affermie, disposez-vous de « notices rouges » fichant les clients qui, d'après vos constats, présentent un risque pour la régularité des actes à venir ? Dans le cas contraire, une telle notice, dont nous disposons pour les fraudeurs difficiles à suivre en matière sociale ou parfois fiscale, est-elle envisageable - je pense au contrôle de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) - ? Existe-t-il un moyen d'éviter le nomadisme notarial du client refusé, qui risquerait de se rendre vers un confrère susceptible d'être momentanément moins attentif ?

M. Pierre-Jean Meyssan. Nous adorerions disposer d'une liste noire de clients représentant un danger, mais je ne suis pas certain que les garants des libertés publiques comme la Cnil nous y autorisent, du fait du RGPD. Néanmoins, le nomadisme notarial fait désormais partie du faisceau d'indices susceptibles d'allumer un clignotant.

Face au nomadisme, un notaire peut agir de deux manières.

Premièrement, il peut pratiquer le « derisking », c'est-à-dire refuser de traiter un dossier, même s'il n'a pas le droit. Pour ce faire, il lui suffit d'assurer ne pas pouvoir s'en charger avant un an et demi, car le blanchisseur trouvera le délai trop long. Tracfin, avec lequel le CSN a des échanges au sujet du nomadisme notarial, demande de ne pas choisir cette solution.

Deuxièmement, Tracfin peut préférer laisser passer une transaction, invitant les notaires à l'accepter, quand le client est un maillon d'une chaîne beaucoup plus importante, même si cette cellule de renseignement financier ne le précisera pas - nous commençons toutefois à connaître son mode de fonctionnement -. Grâce à la déclaration par le notaire, Tracfin pourra aller plus loin dans ses enquêtes.

Nous aboutissons ainsi à un système assez curieux : je me méfie en tant que notaire d'un nouveau client. Je lui pose donc des questions dès le début. De la part de qui vient-il ? Pourquoi vient-il me voir personnellement alors que nous sommes 17 000 notaires en France ? Si je n'ai pas de réponse, d'autant plus s'il m'explique vouloir faire une opération d'achat de dix garages ou d'un studio dans un logement un peu douteux de Bordeaux, je me méfie d'autant plus et je lui fais passer une sorte d'entretien d'embauche. Si je ne suis pas satisfait, il y a de fortes chances que je n'accepte pas son dossier. Je suis très vigilant sur ce point.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. Est-il possible de mettre en place une alerte non pas sur une personne, mais sur un bien ?

M. Pierre-Jean Meyssan. Je crains que les difficultés soient liées non pas au bien mais au mode de financement. Si un jeune cadre qui dispose d'un apport personnel de 20 000 euros provenant des économies qu'il a faites depuis le début de sa carrière et d'un emprunt de 60 000 euros m'explique qu'il veut se lancer dans l'immobilier en achetant, dans un immeuble de rapport, un studio de 80 000 euros, aucune question ne se pose. Le problème viendra plutôt d'une personne se voulant gérant de société et disposant de 80 000 euros en liquide, sans financement bancaire, ou d'une étudiante de 23 ans achetant un T2 à 200 000 euros sans donation de ses parents.

Il nous serait très difficile de brandir des pancartes pour avertir du danger concernant un bien. Le danger provient plutôt des personnes.

Pour ce qui est des crypto-actifs, le CSN en a parlé lundi : un des six référents de notre comité de pilotage est très intéressé par le sujet. Pour l'instant, nous avons la chance que cette monnaie n'ait pas cours légal en France. En tant que notaire, je ne présente donc pas de prix en crypto-actifs. Dans une série à succès sur Netflix, un jeune homme créateur d'une start-up achète un appartement en le payant en bitcoins. J'attends que l'on m'explique comment, sauf en cession de parts de société civile immobilière.

Vous avez peut-être vu sur les réseaux sociaux la publication d'un de nos confrères dans laquelle il assure être payé en bitcoins. Or il ne fait payer en bitcoins que des petits actes, représentant une part minime de sa rémunération. Il prend son risque ! En effet, s'il choisit de faire payer une facture de telle manière, il aura peut-être un problème au moment de payer les 125 euros de droits d'enregistrement sur sa consultation et la TVA qu'il encaissera sur ses émoluments : s'il y a des variations de cours, il devra les assumer. Sauf erreur de ma part, il n'est pas possible de payer les impôts en bitcoins. Même si mon confrère a fait le buzz, vous pouvez toujours essayer de me payer en bitcoins, je refuserai.

Pour l'instant, le sujet est mineur. Pour autant, il ne faut pas ne pas s'en préoccuper. C'est le sens de la mission que nous attribuerons à nos référents : anticiper. Ainsi, si le sujet devient prégnant, nous serons prêts.

M. Jérôme Fehrenbach. Pierre-Jean Meyssan a beaucoup insisté sur la connaissance du client pour repérer les comportements inhabituels. À ce titre, nous avons la chance en France de disposer de 1 398 points de contact avec le public partout sur le territoire. Ainsi, tout notaire a une connaissance forte de sa clientèle et de son bassin de vie. La distance moyenne entre deux offices notariaux est de cinq kilomètres et, plus important encore, seuls 60 000 Français se situent à plus de vingt kilomètres d'un notaire.

Même dans les bassins reculés où peuvent se développer des formes de criminalité organisée, notamment les zones rurales ou semi-rurales, le notaire est là. Il est parfaitement capable de repérer une transaction anormale par rapport aux caractéristiques de son client et de son territoire.

Concernant la capacité à repérer les cas de nomadisme, le CSN réfléchit depuis quelque temps - je parle bien d'une réflexion : elle n'a pas encore atteint sa conclusion, car les conséquences techniques et juridiques sont importantes - non pas à la constitution d'une base de données, mais à la manière de mieux éveiller la vigilance des notaires sur les antécédents de certains clients ou de certaines transactions. Pour l'instant, ces réflexions ne sont que préliminaires. Elles n'aboutiront pas avant un certain temps. Certains ajustements techniques et juridiques ne sont pas à portée de main. Nous réfléchissons sérieusement au problème, car - c'est devenu un lieu commun que de le dire - l'intelligence artificielle (IA) est susceptible de simplifier l'exercice du devoir de vigilance.

M. Loïc Cantin. Madame la rapporteure, vous m'interrogiez sur les « agences en ligne ». Qu'entendez-vous au travers de cette expression ?

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. Sur un certain nombre de sites internet et de réseaux, des agences dont la situation géographique est mal définie multiplient les offres d'achat et de location. Je parle non pas d'Airbnb ou d'autres plateformes de la sorte, mais d'agences immobilières à l'étranger qui captent une clientèle française ou d'agences immobilières domiciliées à une adresse sans y être présentes physiquement. Je désigne par « agences en ligne » les agences dématérialisées.

M. Loïc Cantin. - C'est en effet un phénomène que l'on voit apparaître, particulièrement dans les systèmes anglo-saxons ou dans des pays où les choses sont totalement déréglementées.

Heureusement, sur ce point, que le rapport de l'Autorité de la concurrence de mai 2023 n'a pas été suivi de conséquences ! Il y était proposé de déréglementer totalement l'intermédiation immobilière, notamment l'activité de transaction immobilière. On imagine dans quelle situation nous serions aujourd'hui, notamment au regard des objectifs fixés par Tracfin...

Nous sommes favorables à un renforcement extrêmement fort de notre réglementation et à un renforcement de la formation.

Les plateformes en ligne « disruptent » les modèles existants et s'exonèrent d'obligations. Or elles ne font pas l'objet de contrôles, une directive européenne précisant que l'hébergeur ne fait qu'héberger et que la responsabilité repose sur l'éditeur. En conséquence, Seloger, Le Bon coin ou PAP ne seront pas sanctionnés s'ils continuent de louer des logements classés G. Où sont les objectifs de politique publique ? Quelle politique du logement souhaitons-nous avoir ?

Pour notre part, nous ne pouvons pas nous exonérer de la réglementation qui nous est applicable, car nous sommes contrôlés. Mais nous ne pouvons pas non plus être les seuls acteurs à respecter la réglementation alors que d'autres s'en affranchissent ! C'est un point très important.

Nous nous battons depuis onze ans pour avoir ce décret sur la formation professionnelle. Enfin, nous allons l'avoir.

Comme beaucoup de professions, la Fnaim a demandé une obligation de formation professionnelle tous les trois ans, équivalant à 42 heures. Nous y sommes assujettis pour le renouvellement de notre carte professionnelle. Nous avons poussé pour qu'il y ait notamment une extension à la non-discrimination dans l'accès au logement, avec un pôle de formation dédié ; nous l'avons obtenue en 2020. En revanche, il n'y a rien sur Tracfin aujourd'hui. Cela fait partie des demandes que nous espérons voir aboutir dans le cadre du décret que prendra M. le Premier ministre dans quelques mois. Cela nous semble très important.

J'y insiste, nous demandons aussi qu'il y ait un contrôle opérant sur tous les secteurs et tous les intervenants.

Je le répète, on ne peut pas garantir l'efficacité d'un dispositif comme Tracfin dans un système où il y a un porteur de carte professionnelle et 16 000 collaborateurs indépendants disséminés sur toute la France, en termes de rigueur, de vérification et de contrôle.

Les contrôles opérés par la DGCCRF se font sur des agences identifiées, qui ont pignon sur rue, non dans des no man's land qui ne permettent pas la localisation.

La réglementation se révèle donc problématique s'agissant des collaborateurs habilités par le détenteur d'une carte professionnelle, surtout quand le modèle économique repose sur la massification d'une transaction qui ne répond pas forcément aux objectifs de politique publique et de défense du consommateur qui vont dans l'intérêt des Français.

M. Raphaël Daubet, président. - Monsieur Meyssan, vous nous avez décrit la réflexion autour du secret professionnel au début des années 2000 et le quasi-changement de culture qui s'est mis en place à la faveur des formations et du travail que vous avez effectué. Quel est, à ce jour, le rapport des notaires au secret professionnel dans leur mission d'officier public ?

Quels sont les éléments déterminants qui expliquent que vous obteniez de meilleurs résultats - si vous en obtenez réellement - que d'autres professions ? Est-ce la familiarité avec les procédures ? Est-ce que cela tient à cette mission d'officier public ?

M. Pierre-Jean Meyssan. - Je vous remercie de cette question, à mes yeux absolument fondamentale.

Je ne crois pas qu'il y ait eu un changement de culture, parce que le secret professionnel est dans notre ADN - nous en parlions justement en venant à l'audition. Devoir faire une déclaration est, à chaque fois, un acte difficile, presque douloureux. Comme je le disais, mon bureau doit être étanche, et rien de ce qui m'a été confié ne doit en sortir.

Cependant, nous sommes aussi officiers publics et notre statut nous oblige. Je crois, du reste, que nos résultats s'expliquent par la conscience que nous avons des obligations liées à ce statut. Je ne suis pas le seul à avoir ce ressenti : la plupart de mes confrères ont la même analyse. Il y aura évidemment toujours des réfractaires - il y en a partout -, mais l'immense majorité des notaires considèrent que, si le secret professionnel est indispensable, nous sommes délégataires de l'autorité de l'État, que cette délégation n'est pas neutre et que nous devons nous en montrer dignes.

Il faut bien avoir conscience que cette mission transperce le verrou du secret professionnel, parce que c'est un élément indissociable du statut que l'État nous a confié. À cet égard, la montée en puissance ne s'explique pas par un changement de culture : le secret professionnel sera toujours omniprésent. Mais la prise de conscience que la mission de service public qui nous est confiée par l'État transcende ce secret professionnel est, pour moi, le grand changement de ces dernières années, et c'est ce qui explique nos résultats.

Mme Nadine Bellurot. - Le Conseil supérieur du notariat est aussi très engagé au niveau européen : vous êtes nombreux à siéger au Conseil des notariats de l'Union européenne (CNUE). Y a-t-il des échanges entre pays ? L'exigence française se retrouve-t-elle dans les autres notariats européens ?

On ne le sait pas souvent, mais vous avez un vrai rayonnement international, étant présents un peu partout. Y a-t-il, au niveau international, des coopérations face à la criminalité organisée, des échanges de bonnes pratiques ?

Vous publiez, tous les ans, un rapport thématique, généralement très complet. Un de ces rapports annuels traite-t-il précisément de cette question ? Avez-vous sinon des propositions à nous faire sur le sujet ?

La Fnaim a-t-elle fait des déclarations de soupçon ? Si oui, combien ? Est-ce entré dans vos pratiques ?

M. Pierre-Jean Meyssan. - Votre question, madame, est une autoroute... Je vais essayer de faire le plus court possible.

Vous avez rappelé l'action internationale du Conseil supérieur du notariat. Il s'avère que nous signons un certain nombre d'accords de partenariat et de coopération avec des pays européens et des pays du monde entier : 22 accords de coopération internationaux sont en place aujourd'hui.

Nous avons effectivement des échanges au niveau du CNUE, où nous accompagnons des États qui intègrent nouvellement cette structure. Par exemple, nous avons récemment signé un accord de partenariat avec l'Albanie, qui toque à la porte de l'Union européenne, justement sur un accompagnement en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

À l'échelle mondiale, nous sommes sollicités par des États qui souhaitent bénéficier de notre expertise sur ces sujets, généralement motivés par une annonce de l'arrivée du Groupe d'action financière chez eux. Nous avons ainsi vu arriver, à notre stupéfaction générale, une délégation de 18 personnes des Émirats arabes unis, pilotée par une personnalité de très haut niveau et venue nous demander un accompagnement dans la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Nous avons cru à une blague, mais c'était très sérieux. Un accord de coopération a été préparé et validé par les deux organismes ; nous allons le signer. Aux Émirats, cela ne relève pas du notariat, qui est extrêmement réduit et plutôt de type anglo-saxon, mais le chef de la délégation qui est venu nous chercher est à la tête de l'Organisation de lutte contre le blanchiment.

Il se passe la même chose avec le Vietnam. Nous sommes en train de passer des accords avec des pays relativement exotiques, comme le Kirghizstan.

M. André Reichardt. - Et le Qatar ?

M. Pierre-Jean Meyssan. - Le Qatar ne nous a pas sollicités ; cela viendra peut-être.

Nous avons souhaité, au sein du Conseil supérieur du notariat, mettre en place une équipe dédiée pour répondre à ces demandes. Nous sommes en train de construire l'outil, sur lequel nous comptons beaucoup. Nous allons essayer de mettre notre expertise au service des pays et des notariats qui nous le demandent. Cela paraît un peu curieux, mais c'est la réalité.

Aujourd'hui, nous avons dans le viseur l'Albanie, les Émirats, le Vietnam, le Kirghizstan, et nous allons renouveler notre accord avec l'Ouzbékistan, dont le président des notaires est extrêmement actif et tient absolument à régler ce genre de questions. Il se trouve qu'il a des liens très étroits avec le ministre de la justice ouzbek...

Sans dire qu'elle est embryonnaire, parce que nous y travaillons vraiment, cette démarche s'est véritablement incrémentée cette dernière année, et nous allons la faire aboutir.

Nous travaillons aussi en étroite collaboration avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Par exemple, le Quai d'Orsay vient de nous demander de mettre entre parenthèses notre travail avec la Géorgie, vu sa situation politique. En revanche, nous venons de recevoir un feu vert sur le Turkménistan, qui nous sollicite sur les mêmes sujets.

Et, chaque fois que l'on nous dit « allez-y », nous y allons ! Forts de notre statut et de notre panonceau Marianne, nous considérons que si les pouvoirs publics entendent nous utiliser comme un élément de connexion et un vecteur vers des pays parfois un peu étonnants, c'est que telle est notre mission. Nous sommes en train de construire l'outil en ce sens.

M. Jérôme Fehrenbach. - Il me semble que nous n'avons pas encore fait de zoom sur ce point, mais ce sera l'objet du nouveau rapport d'activité, dont nous choisissons chaque année le sujet en fonction des priorités.

Pour compléter ce qu'a dit le Pierre-Jean Meyssan, la coopération internationale n'est pas univoque : nous ne faisons pas que prêcher la bonne parole ou promouvoir les bons outils. Nous sommes notamment en relation, à l'échelon européen, avec l'Italie et l'Espagne, dont les notariats fonctionnent de manière très intéressante, mais ne sont malheureusement pas transposables dans notre pays, pour tout un tas de raisons, y compris juridiques et culturelles. Quoi qu'il en soit, nous avons des échanges de très bon niveau sur leurs techniques et sur ce que nous pouvons en importer dans notre pratique notariale. Ce sont deux notariats extrêmement avancés, pour des raisons que l'on peut tout à fait deviner.

M. Loïc Cantin. - Les seuls chiffres dont nous disposons sur les déclarations de soupçon sont issus du rapport Tracfin, puisque la plateforme Ermes ne permet pas de savoir si l'auteur de la déclaration appartient à la Fnaim, à un autre syndicat ou n'est pas syndiqué. Une modification en vue de permettre ce fléchage nous permettrait d'ailleurs de mesurer l'efficacité et la part de notre action dans cette lutte.

Ce que l'on sait seulement, c'est qu'il y a eu 440 déclarations en 2022 pour les professionnels titulaires d'une carte relevant de la loi Hoguet, et 505 déclarations en 2023, soit une augmentation de 15 %. Je pense que ce chiffre continuera à progresser dans les années à venir.

M. André Reichardt. - Je souhaitais vous poser la même question que Nadine Bellurot concernant l'aspect international. Il est clair que le blanchiment est international par définition : s'il peut être franco-français, il n'y a pas de raison qu'il s'arrête à nos frontières hexagonales - il va là où c'est le plus facile. Auriez-vous des documents à nous transmettre concernant la façon dont le blanchiment pourrait s'opérer dans les autres pays ?

Au-delà du blanchiment, avez-vous une façon de travailler, un modus operandi sur le contournement des sanctions internationales, qui est l'autre sujet de notre commission d'enquête ? Je pense naturellement aux sanctions liées, à l'heure actuelle, à l'agression russe en Ukraine, mais aussi, préalablement, à l'Iran. Y êtes-vous attentif et, si oui, comment ? Est-ce le même processus que sur le blanchiment ?

Le président du Conseil supérieur du notariat nous a dit que les études notariales étaient contrôlées tous les deux ans. Monsieur Cantin, y a-t-il des contrôles autres que ceux de la DGCCRF qui pèsent sur la Fnaim ?

J'ai eu l'occasion, voilà quelques années, de faire, dans le cadre de la préparation de l'examen du projet de loi de finances, un rapport sur le fonctionnement de la DGCCRF. Le moins que l'on puisse dire est que les effectifs de cette direction maigrissent - c'est presque un euphémisme - d'année en année. Les moyens dont elle dispose, notamment dans les territoires, sont de plus en plus limités, bien qu'elle ait à faire face à une recrudescence très importante de ses missions. Combien les directions régionales ou départementales de cette administration mènent-elles de contrôles auprès des entreprises Fnaim, voire du secteur dans son intégralité ?

M. Pierre-Jean Meyssan. - Nous ne sommes qu'au début de notre travail de consultation des pays étrangers sur le blanchiment. Les premières missions sont très délicates. Nous ne disposons donc pas, pour l'heure, d'une documentation rédigée sur le sujet. Et en réalité, nous nous demandons s'il serait véritablement opportun de procéder à la rédaction de documents de ce type, car nous risquerions surtout de donner de mauvaises idées à certains...

Pour vous donner un exemple, nous travaillons étroitement avec le Colb et son président Didier Banquy sur les ventes en état futur d'achèvement. Lorsqu'un acquéreur procède à un achat sur plan auprès d'un promoteur immobilier, le contrat prévoit un échéancier de versements pour les travaux. Le premier paiement a lieu lors de la signature de l'acte de propriété et passe par la comptabilité des notaires. Mais ce n'est pas le cas des suivants. Or le président Banquy nous a signalé à plusieurs reprises avoir eu vent de modalités de paiement transitant par plusieurs pays ou recourant à des prête-noms. Nous réfléchissons donc aux moyens de sécuriser ce dispositif. Sur ce sujet, nous disposerons ainsi d'un système de typologie que nous intégrerons par ailleurs aux modules de formation de nos confrères, pour leur donner des exemples concrets - sans pour autant produire une véritable littérature structurée.

Concernant les tentatives de contournement des sanctions, nous bénéficions d'un accès immédiat à la liste des avoirs gelés tenue par la direction générale du Trésor. Dès que le notaire travaille sur un dossier comportant un nom à consonance étrangère - Europe de l'Est, Asie, Proche ou Moyen-Orient -, il consulte cette liste, actualisée toutes les semaines sur notre site. Si les avoirs sont effectivement gelés, l'opération est immédiatement annulée. Lors de notre prochaine réunion de référents, nous accueillerons d'ailleurs la direction générale du Trésor pour poursuivre le travail sur ce sujet.

M. Jérôme Fehrenbach. - À cet égard, au moment de l'agression russe, nous avons assisté à une réaction immédiate des notaires face à l'avalanche de listes d'avoirs publiées entre février et avril 2022. La direction générale du Trésor avait créé à cette occasion une cellule de traitement des demandes de dérogation pour les transactions en cours, qui a remarquablement bien fonctionné.

M. Pierre-Jean Meyssan. - La collaboration entre les structures chargées de gérer ce sujet est très fonctionnelle. Lors du renversement du régime de Bachar Al-Assad en Syrie, Tracfin a déclenché une alerte pour nous appeler à la vigilance. Nous avons aussitôt incité nos confrères à vérifier l'identité et la provenance de tous leurs nouveaux clients.

M. Loïc Cantin. - La loi Hoguet, prévoit plusieurs types de contrôles.

Le premier, qui est sans rapport avec Tracfin, est effectué par notre garant, notamment l'organisme financier qui assure les fonds déposés par la clientèle, en particulier pour les professions manipulant des quantités importantes d'argent - je pense par exemple aux métiers liés aux syndics ou aux administrateurs de biens. Il s'agit d'une structure de veille, qui réalise un contrôle tous les deux ans en moyenne.

Le deuxième type de contrôle vise à s'assurer du respect par les professionnels des exigences de formation, à hauteur de quarante-deux heures tous les trois ans. Dans ce cadre, nous voulons intégrer un module obligatoire relatif à Tracfin pour accompagner la lutte contre le blanchiment.

Enfin, le troisième type de contrôle, effectué par la DGCCRF, concerne la réglementation applicable à nos professions, que ce soit le mandat de syndic ou de gestion, ou l'ensemble des aspects réglementaires applicables à nos professions, notamment le dispositif Tracfin. Ces contrôles sont moins nombreux, mais de plus en plus rigoureux, voire parfois excessifs. En effet, la DGCCRF nous impose, pour toute transaction, un travail d'identification de l'acquéreur et de l'origine des fonds, afin de rechercher un éventuel déséquilibre entre l'activité professionnelle, l'âge, la constitution de l'épargne, le recours à un financement ou une substitution. Le cas échéant, nous devons procéder à une déclaration de soupçon, grâce à des outils de fléchage d'interconnexion, comme la liste des avoirs gelés ou le fichier Dow Jones pour les personnes politiquement exposées. La DGCCRF se montre très efficace, voire pointilleuse, lors de ses déplacements, sur l'application à la lettre de ces modalités de contrôle.

Cependant, des pistes d'amélioration subsistent. Notre profession réclame la création de la commission de contrôle prévue par la loi, car celle-ci n'existe toujours pas. J'ai relancé le Premier ministre en ce sens, et j'espère avoir gain de cause, car cela marquerait un progrès dans l'autosaisine de la profession sur des désordres constatés. En effet, tous les professionnels de l'immobilier réglementés par la loi Hoguet n'appartiennent pas à une organisation professionnelle et passent très souvent entre les mailles du filet. Il serait donc dans l'intérêt des Français et des politiques publiques de soutenir cette démarche.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Si le Premier ministre tarde à vous répondre, n'hésitez pas à nous solliciter.

Certaines améliorations évidentes nous auraient-elles échappé dans le dispositif ? Je pense notamment au cadastre. Aux Émirats arabes unis, pays que vous avez mentionné, le cadastre est public.

M. Pierre-Jean Meyssan. - Au risque de vous apporter une réponse paradoxale, j'avoue ressentir une forme de malaise face au culte de la sanction qui prévaut dans certaines institutions. On dirait qu'il faudrait présenter des têtes sur des piques pour prouver que nous avons bien fait notre travail...

Mon objectif, c'est plutôt qu'il n'y ait pas de sanction : loin de prouver que nous sommes laxistes, cela montrerait que le dispositif fonctionne ! Nous craignons que dans sa prochaine évaluation, en 2029, le Gafi ne se mette précisément en quête de ces répressions pour l'exemple.

Cependant, nous ne pouvons pas être les seuls à porter ce discours sur les sanctions. Nous nous tenons donc à votre disposition pour faire valoir cet argument auprès du Gafi.

M. Raphaël Daubet, président. - Mesdames, messieurs, je vous remercie de ces échanges.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Audition de M. Romain Roussel, sous-directeur industrie, santé et logement de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et Mme Sonia Sbaa, cheffe de la Cellule de renseignement anti-fraudes économiques (CRAFE) de la DGCCRF, et M. Éric Le Cam, adjoint à la cheffe de la CRAFE

M. Raphaël Daubet, président. - Nous poursuivons nos travaux en accueillant M. Romain Roussel, sous-directeur industrie, santé et logement de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), Mme Sonia Sbaa, cheffe de la cellule de renseignement anti-fraudes économiques, et M. Éric Le Cam, adjoint à la cheffe de la cellule.

La DGCCRF joue un rôle essentiel dans le contrôle d'une part importante des professions soumises aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT).

Il s'agit donc pour nous de comprendre les enjeux auxquels vous faites face dans un contexte où l'appropriation des normes LCB-FT par les professions non financières pose régulièrement question, et où le nombre de personnes à contrôler est particulièrement important.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Romain Roussel, Mme Sonia Sbaa et M. Éric Le Cam prêtent serment.

Mme Sonia Sbaa, cheffe de la cellule de renseignement anti-fraudes économiques (CRAFE) à la DGCCRF. - La DGCCRF joue un rôle à la fois répressif et préventif, en tant qu'autorité de supervision de professions assujetties aux dispositifs de lutte contre le blanchiment de capitaux.

La DGCCRF compte 2 969 agents, dont 2 000 sont des enquêteurs, répartis dans des services d'enquête au sein de directions territoriales interministérielles, tant au niveau du département que de la région. Elle dispose également de quatre services à compétence nationale, dont un service national des enquêtes et une administration centrale, organisée en sous-directions sectorielles et d'appui, et au sein de laquelle a été récemment créée la cellule de renseignement anti-fraudes économiques.

Pour réaliser leurs enquêtes, les agents de la DGCCRF disposent de pouvoirs de police judiciaire. Lorsqu'ils constatent des manquements ou des infractions, ils peuvent mettre en oeuvre des suites pénales ou administratives, comme des injonctions ou des amendes.

Les principales infractions constatées sont les délits de pratique commerciale trompeuse et de tromperie. Il s'agit par exemple d'allégations dans la présentation d'un service ou de tromperies sur les qualités substantielles d'un produit.

À ce titre, la mission première de la DGCCRF consiste à garantir l'ordre public économique au profit à la fois du consommateur et des entreprises. C'est là sa principale intervention en volumétrie de contrôle et d'enquête. Son action centrale est d'assurer la transparence des pratiques commerciales, la sécurité des produits et la loyauté des relations entre professionnels et consommateurs dans le cadre de la consommation quotidienne. Le rôle de la DGCCRF n'est donc pas de lutter contre la criminalité organisée stricto sensu.

La DGCCRF veille au respect du droit de la consommation et de la concurrence. Cependant, elle peut être amenée à lutter contre une forme de délinquance économique lorsqu'elle identifie des cas de fraude complexes et très organisés, qui présentent souvent des dimensions multiples dépassant son cadre d'action propre. C'est la raison pour laquelle nous avons développé plusieurs partenariats.

Par conséquent, la DGCCRF s'est dotée d'un arsenal répressif qui s'est adapté au cours du temps, et qui prévoit notamment, depuis 2022, la création d'une circonstance aggravante de bande organisée pour le délit de pratiques commerciales trompeuses sur lequel les agents de la DGCCRF sont compétents et qu'ils recherchent dans de très nombreuses enquêtes.

L'autorité judiciaire a également tenu compte de cette situation en développant des cosaisines sur la base de l'article 28 du code de procédure pénale. La saisie des avoirs criminels peut également être demandée au procureur pour lutter contre ce type de fraude et de délinquance économique.

Ainsi, au titre de sa mission centrale de protection économique du consommateur, la DGCCRF lutte contre les fraudes économiques qui touchent également les entreprises. Dans certains secteurs, qui ne représentent cependant qu'une volumétrie minoritaire de notre activité, on constate que certaines pratiques sont de plus en plus organisées et sophistiquées, parfois commises par des réseaux professionnalisés, agiles, passant d'un secteur à l'autre de manière opportuniste.

Ces fraudes économiques sont notamment commises en ligne, le numérique étant un amplificateur sans précédent du phénomène frauduleux. Les dérives de l'influence commerciale ainsi que la collecte de données personnelles, qui permet de disposer de listes de prospects et qui donne parfois lieu à du démarchage illicite, forment deux champs d'action prioritaire de la DGCCRF.

Le numérique permet de toucher un nombre très élevé de victimes potentielles. Il devient ainsi un élément essentiel d'une forme de délinquance lucrative à bas bruit.

Les fraudes économiques concernent également des secteurs éligibles aux aides publiques. Il s'agit là de fraudes massives qui se traduisent par un nombre particulièrement élevé de plaintes et de signalements de consommateurs, transmis notamment via notre application SignalConso. Les préjudices financiers individuels de ces consommateurs sont parfois importants, notamment dans le domaine de la rénovation énergétique.

Ces fraudes reposent sur des pratiques commerciales déloyales, toujours trompeuses, souvent agressives, et qui touchent parfois des personnes vulnérables, ce qui représente un critère aggravant.

Ces pratiques commerciales trompeuses peuvent être sous-jacentes à l'infraction de blanchiment, puisque l'objectif pour les fraudeurs est in fine d'utiliser le produit illicite de l'infraction pour bénéficier des fonds qu'ils en retirent.

C'est pourquoi le format le plus pertinent pour y répondre est celui de la cosaisine judiciaire, qui permet d'appréhender le champ nécessairement multi-infractionnel de ces fraudes, blanchiment compris. À défaut, nous nous appuyons a minima sur une coordination inter-services.

Par conséquent, au travers de sa mission de protection économique du consommateur, la DGCCRF contribue indirectement à la lutte contre les fraudes aux aides publiques qui ont pour objectif principal la captation massive et indue de subventions, en les détectant et en transmettant les informations obtenues aux autorités compétentes.

Toutefois, la DGCCRF en elle-même n'est pas compétente pour relever le délit d'escroquerie, et n'a pas cette vocation. En effet, une habilitation d'officier de police judiciaire est nécessaire pour mettre en oeuvre l'ensemble des dispositions du code de procédure pénale et user de pouvoirs coercitifs, comme la garde à vue ou la perquisition. Or tout cela est très éloigné de nos méthodes de surveillance du marché, de contrôle et d'enquête.

En outre, la DGCCRF ne serait absolument pas en mesure de gérer de telles infractions, en raison notamment de ses effectifs limités, en comparaison de ceux dont disposent les services de police et de gendarmerie qui ont à connaître de ces infractions quotidiennement.

Enfin, cela l'éloignerait de son coeur de mission, qui reste la protection économique du consommateur classique au quotidien.

Aussi cette proposition, qui a été émise à plusieurs reprises, ne saurait-elle véritablement s'appliquer.

J'en viens aux moyens de lutte de la DGCCRF contre la délinquance économique.

Réaffirmons-le : cette lutte doit être collective. Face aux réseaux organisés, il faut que les services de l'État s'organisent en réponse. Au sein de la DGCCRF, l'ensemble des entités, quels que soient leur échelon ou leur mission, au sein des services d'enquêtes comme des services centraux, y participent. C'est dans ce sens qu'a été créée la cellule de renseignement anti-fraudes économiques en 2021. Comme l'a dit Corinne Cléostrate, sous-directrice des affaires juridiques et de la lutte contre la fraude de la direction générale des douanes et des droits indirects, « le renseignement, c'est vraiment le nerf de la guerre. » Il est donc nécessaire de lui apporter des forces vives.

La cellule de renseignement est à la fois un service de soutien opérationnel au profit des enquêteurs, qui les appuie notamment dans l'identification des réseaux organisés, et un service de production de renseignements, après recoupement, enrichissement et valorisation des informations contenues dans nos bases internes.

Nous travaillons à l'identification des personnes physiques bénéficiaires effectives des pratiques frauduleuses, via l'analyse de flux financiers, la compréhension des modes opératoires et le recoupement de dossiers en interne comme en externe avec nos partenaires, notamment les forces de police et de gendarmerie. Nous apportons une attention particulière aux fraudeurs récurrents. Madame le rapporteur, dans une audition précédente, vous disiez : « Un fraudeur content est un fraudeur qui revient. » En réalité, il revient souvent plusieurs fois !

Notre action permet aux enquêteurs de la DGCCRF d'investiguer de manière plus ciblée et efficace. Nous proposons presque systématiquement des pistes d'investigation concrètes, des stratégies, une vision pluri-infractionnelle et une mise en relation avec des services enquêteurs qui travaillent sur les mêmes personnes.

La cellule est également dédiée aux échanges opérationnels avec nos partenaires. Nous connaissons bien tous les acteurs que vous avez auditionnés. Depuis 2024, nous disposons d'un officier de liaison au sein de Tracfin, grâce auquel nous avons des échanges nourris sur des suspicions de blanchiment de capitaux.

À titre d'exemple, au cours de l'année 2024, la cellule a traité 384 dossiers. Pour la très grande majorité d'entre eux, nous avons recouru à des échanges de renseignements, à des ciblages et parfois à des actions communes avec différents partenaires.

M. Romain Roussel, sous-directeur industrie, santé et logement de la DGCCRF. - J'en viens au volet préventif mis en place par la DGCCRF au sein de la sous-direction que je pilote, dont deux bureaux sont directement impliqués dans les contrôles de second niveau de trois champs en matière de lutte contre le blanchiment.

La DGCCRF, en complément de sa mission de protection des consommateurs et de régulation des marchés, intervient dans le cadre du volet préventif de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme en tant qu'autorité de contrôle auprès de trois types d'acteurs : les intermédiaires immobiliers, tels que les agents immobiliers et les mandataires, les personnes exerçant l'activité de domiciliataire d'entreprises et les commerçants qui acceptent les paiements en espèces ou en monnaie électronique dans les secteurs du luxe, notamment l'horlogerie, la bijouterie et la joaillerie.

Il s'agit de contrôles de second niveau, qui visent à s'assurer du respect par ces professionnels de leurs obligations de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme à l'égard de leur clientèle.

La lutte contre le blanchiment a été renforcée au niveau de la DGCCRF depuis plusieurs années, au travers d'enquêtes annuelles diligentées dans le cadre du programme national d'enquête que nous pilotons et qui est ensuite déployé sur le terrain dans les échelons centraux pour la conception des orientations de ciblage, mais aussi dans les échelons départementaux et régionaux. Ce programme s'appuie également fortement sur notre service national d'enquête dans les cas les plus complexes, notamment dans les secteurs du luxe et de l'immobilier haut de gamme.

En outre, nous avons récemment déployé un plan national d'action consacré à la lutte contre le blanchiment qui se décline en quatre axes principaux.

Le premier axe consiste à accroître l'implication de la direction dans un certain nombre de démarches institutionnelles. Il s'agit d'approfondir la coopération nationale et internationale avec les différents acteurs de la communauté de lutte contre le blanchiment. Je pense par exemple à la participation de notre directrice générale au forum Tracfin, consacré en partie à l'immobilier. Un certain nombre de partenariats sont également noués, notamment avec l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Nous contribuons également aux travaux législatifs. En effet, une fois qu'elles auront été adoptées, les propositions de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic et renforçant la lutte contre les fraudes aux aides publiques permettront l'intégration des promoteurs immobiliers au périmètre de supervision de la DGCCRF. Ces textes conforteront également la DGCCRF dans ses habilitations pour enjoindre aux professionnels ayant manqué à certaines de leurs obligations en matière de lutte contre le blanchiment de se mettre en conformité.

Enfin, nous nous efforçons de répondre aux travaux conduits en lien avec le Groupe d'action financière (Gafi), qui évalue fréquemment le système français de lutte contre le blanchiment. À cet égard, une auto-évaluation a été transmise ce mois-ci. Nous préparons actuellement la prochaine évaluation du système français, qui sera effectuée en 2028.

Le deuxième axe consiste à monter en gamme sur le plan de la méthodologie des contrôles, en créant une communauté d'enquête et en consolidant la professionnalisation des enquêteurs au moyen de formations. Nos agents doivent être capables de mieux appréhender la lutte contre le blanchiment et les points clés du contrôle.

Le troisième axe implique de renforcer l'impact des contrôles, en les ciblant sur les secteurs et les professionnels les plus à risque, conformément aux signalements qui nous sont transmis. De plus, nous veillons, en lien avec la Commission nationale des sanctions (CNS), à renforcer le caractère dissuasif des sanctions.

Enfin, nous nous efforçons d'accroître les échanges avec les représentants des professions contrôlées, afin qu'ils connaissent mieux leurs obligations et soient plus à même de les respecter.

Quatrième et dernier axe : nous travaillons à améliorer la sensibilisation des personnes assujetties aux contrôles, en nous positionnant comme un interlocuteur privilégié des professionnels et des organisations représentatives.

Voilà l'ensemble des actions que nous nous engageons à mener dans les trois prochaines années, dans l'espoir de consolider l'impact de nos contrôles. Dans le cadre du déploiement de ce plan, nous sommes en contact avec un certain nombre d'acteurs institutionnels. Je pense notamment aux chambres de commerce et d'industrie (CCI) pour les intermédiaires immobiliers et aux préfectures pour les domiciliataires d'entreprises, deux entités qui assurent la délivrance de cartes professionnelles ou d'agréments préfectoraux à la suite de vérifications déontologiques.

Par ailleurs, dans le cadre de différents groupes de travail, nous partageons un certain nombre d'informations avec Tracfin et la direction générale des finances publiques (DGFiP). Nous échangeons également avec la CNS pour le suivi des décisions contentieuses.

Enfin, nous veillons à disposer de relais auprès des professionnels via différentes fédérations. Je pense, dans le domaine immobilier, à la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim), au Syndicat national des professionnels immobiliers (SNPI) et à l'Union des syndicats de l'immobilier (Unis) ; dans le domaine de la domiciliation, au Syndicat national des professionnels de l'hébergement d'entreprises (Synaphe) ; dans le domaine du luxe, au fédérations représentatives de l'horlogerie et de la bijouterie.

La DGCCRF a un champ d'intervention très large par rapport aux autres autorités françaises de supervision. Elle se singularise par la diversité et le très grand nombre d'entités assujetties, soit environ 130 000 acteurs. C'est la raison pour laquelle nous tenons à varier nos canaux d'intervention. Seuls 18 équivalents temps plein (ETP) sont attachés à la lutte contre le blanchiment. En dépit de la faiblesse de nos effectifs, le ciblage de nos contrôles permet d'obtenir des résultats.

Notre service national d'enquête mène un certain nombre d'opérations coup de poing, notamment dans les régions ou les secteurs qui présentent le plus de risques. Ces actions concernaient les Alpes-Maritimes ; désormais, elles se concentrent sur l'île de Saint-Barthélemy, où le risque de blanchiment est élevé. Au demeurant, nous avons récemment contrôlé des professionnels de l'immobilier de luxe dans l'ouest parisien.

En outre, nous souhaitons nous assurer que les professionnels remplissent bien leurs obligations et respectent la politique de gel des avoirs décidée dans le contexte de la guerre en Ukraine.

Notre stratégie multicanaux nous permet de développer une compétence transversale et assure l'efficacité de notre mission. De même, nous nous conformons aux standards internationaux auxquels veillent le Gafi et l'Autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux (Amla).

M. Raphaël Daubet, président. - Avez-vous des éléments plus détaillés concernant le résultat de vos contrôles ?

M. Romain Roussel. - Les contrôles effectués en matière d'immobilier et de domiciliation d'entreprise mobilisent les différents échelons de la DGCCRF. En 2024, nous avons contrôlé un peu plus de 400 professionnels de l'immobilier et près d'une centaine de sociétés de domiciliation d'entreprise, ce qui nous a conduits à détecter 50 % d'anomalies.

Nous menons également des campagnes régulières de contrôle sur une trentaine d'opérateurs du luxe, essentiellement dans le secteur de l'horlogerie et de la bijouterie. Dans ce cadre, un tiers des agissements contrôlés présentaient des anomalies.

Les anomalies relevées par la DGCCRF sont assez disparates. Dans certains cas, il peut s'agir de manquements véniels qui nous amènent à émettre des avertissements. Quelquefois, nous sommes confrontés à des faits plus graves, tels que l'absence totale de dispositifs de lutte contre le blanchiment, le manque de justificatifs concernant les transactions immobilières ou la non-conservation de pièces d'identité. Naturellement, ces manquements nous conduisent à prendre des sanctions plus lourdes.

En 2023, la DGCCRF a adressé environ 107 avertissements et 83 injonctions dans le secteur de l'immobilier, ainsi que 13 avertissements et 12 injonctions dans le secteur de la domiciliation d'entreprise. Par ailleurs, nous avons transmis un certain nombre de rapports d'intervention à la CNS ; 38 sanctions ont été prises en matière immobilière et 17 dans le secteur de la domiciliation d'entreprise.

Du reste, nos services d'enquête transmettent des informations à Tracfin en cas de soupçons de blanchiment, lorsque des transactions n'ont pas été déclarées spontanément. En 2024, une trentaine de transmissions concernant le secteur de l'immobilier ont été réalisées.

M. Raphaël Daubet, président. - Comment la DGCCRF travaille-t-elle avec la CNS et comment les sanctions sont-elles calibrées ? Est-ce l'importance du dossier qui détermine la nature de la sanction ? Quelles sont les marges de manoeuvre dont vous disposez dans l'élaboration des dossiers ?

M. Romain Roussel. - Ce sont nos enquêteurs qui montent les dossiers, à la suite des inspections conduites sur place et sur pièce. Ils interrogent les professionnels non seulement sur leur degré de connaissance des faits qu'on leur reproche, mais aussi sur les dispositifs préventifs éventuellement mis en place. Ils élaborent ensuite un rapport.

Les enquêteurs constatent aussi la présence ou non des pièces nécessaires à la traçabilité des dossiers. Enfin, ils vérifient si les professionnels ont procédé à des déclarations de soupçon auprès de Tracfin.

Une fois saisie des dossiers, la CNS détermine les sanctions appropriées en fonction de la gravité des faits soupçonnés et du niveau de connaissance des professionnels sur leurs agissements.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - L'écart entre le volume de contrôles et le nombre d'enquêteurs dont vous disposez est assez important. Comment jugez-vous la coordination entre les différents services ? Pensez-vous qu'il existe des marges de progrès ?

Mme Sonia Sbaa. - La faiblesse de nos effectifs affecte nécessairement l'exécution de nos missions. Toutefois, elle peut être regardée comme une chance, car elle nous oblige à faire preuve d'agilité et à définir certaines priorités. En matière de supervision, le décalage entre le nombre d'enquêteurs et de contrôles est encore plus significatif.

Je ne suis pas certaine qu'il existe une véritable coordination entre les différents services superviseurs, en raison des monopoles de compétences qui s'attachent à chaque profession. Ainsi, seule la DGCCRF peut superviser les agents immobiliers ou les domiciliataires d'entreprises. Les anomalies relevées au titre du volet répressif nourrissent le ciblage de la supervision, notamment à l'égard des sociétés frauduleuses domiciliées.

La coordination entre les services de lutte contre la délinquance économique existe à plusieurs niveaux et se révèle plutôt efficace. Sur le plan stratégique, la mission interministérielle de coordination antifraude (Micaf) joue un rôle très important d'intermédiaire entre les différents services. Cette action est complétée par plusieurs dispositifs territoriaux, tels que les comités opérationnels départementaux antifraude (Codaf).

C'est surtout sur le plan opérationnel que nous devons préserver la coopération. Il est utile de bénéficier d'une vision holistique des dossiers ; les solutions administratives peuvent s'avérer aussi efficaces que les solutions judiciaires. Cela nous permet, in fine, de calibrer les sanctions au cas par cas.

M. Romain Roussel. - La coordination entre les différentes autorités de supervision se matérialise au sein du Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (Colb). En effet, cette instance permet d'échanger des informations et de synthétiser les bilans des actions menées à l'échelon français en matière de lutte contre le blanchiment.

Au sein du Colb, on peut aussi discuter des analyses sectorielles des risques. La DGCCRF alimente ces discussions dans les trois secteurs qui relèvent de sa compétence : l'immobilier, la domiciliation d'entreprise et le luxe. Cette coordination est essentielle pour connaître les actions entreprises par les autres acteurs de supervision et assurer une cohérence d'ensemble entre les différents contrôles du système français.

Quant à nos effectifs, ils sont clairement insuffisants. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025, nous avions demandé des renforts. Or, pour des raisons budgétaires, ces derniers ne nous ont pas été accordés.

Bien entendu, la DGCCRF souhaite exercer ses missions de supervision de manière plus forte, d'où la nécessité de posséder une vision transverse des différents secteurs par l'intermédiaire du Colb. Il convient également de transposer la sixième directive anti-blanchiment, afin d'assurer la supervision des professions autorégulées : notaires, avocats et greffiers. Notre objectif est de construire collectivement un système plus résilient qui permet d'appréhender la fraude en amont et de manière plus globale.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - La DGCCRF coopère-t-elle avec les autres pays européens ?

M. Romain Roussel. - Elle n'établit pas directement des contacts avec nos homologues européens, contrairement au Colb et à la direction générale du Trésor. Dans le cadre du Gafi, nous pouvons connaître et échanger sur les pratiques mises en oeuvre par les autres pays européens.

M. Raphaël Daubet, président. - Quelle est l'ampleur de la contrefaçon et quels sont ses liens avec le blanchiment ?

M. Romain Roussel. - La DGCCRF est uniquement compétente en matière de contrefaçon de marque. Ainsi, elle ne possède pas une vision holistique en ce domaine, à la différence des services de douane et de l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi).

Cela dit, nous n'ignorons pas les liens qu'il peut y avoir entre la contrefaçon et le blanchiment ou d'autres formes de délinquance financière. La DGCCRF mène ses contrôles en matière de contrefaçon à l'occasion d'événements ponctuels : en témoignent les opérations coup de poing conduites lors de la Coupe du monde de Rugby en 2023 et des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris en 2024. Ces actions s'inscrivent dans des coopérations interservices et sont généralement conduites sous l'égide de la douane.

En 2024, au titre de la contrefaçon, nous avons contrôlé 420 entités, dont 55 sites internet. Nous avons ainsi adressé quatorze injonctions et rédigé six procès-verbaux pénaux.

Le contrôle des contrefaçons ne correspond pas à notre coeur de métier. Il peut toutefois nous amener à constater des faits plus graves en lien avec la délinquance financière et les réseaux criminels organisés, mais nous passons toujours la main aux autorités compétentes en la matière.

M. André Reichardt. - On ne peut que regretter le décalage entre les moyens dont vous disposez pour mener vos contrôles et l'ampleur de la tâche. Vous l'avez rappelé, seules 400 entités assujetties ont été contrôlées : c'est une goutte d'eau dans un océan de dérives financières ! Je ne mésestime pas les difficultés à doper le budget de la DGCCRF, mais qui veut la fin veut les moyens. Il faudra donc se pencher sur cette question un jour ou l'autre.

M. Romain Roussel. - Les 400 contrôles que vous évoquez sont effectués au titre de la lutte contre le blanchiment, mais la DGCCRF surveille aussi d'autres types de manquements. Par exemple, nous menons des enquêtes ciblées en matière de rénovation énergétique et de dépannage à domicile.

Souvent, ce sont les mêmes enquêteurs qui traitent différents dossiers ou qui travaillent en lien avec d'autres services disposant d'une expertise en matière immobilière. On peut ainsi mutualiser les informations, ce qui est utile au ciblage.

Nous veillons également à ce que les agences immobilières respectent non seulement les règles de protection du consommateur et de régulation des marchés, mais aussi certaines pratiques commerciales, telles que l'affichage du diagnostic de performance énergétique (DPE).

M. André Reichardt. - Vous menez donc 400 contrôles globaux annuels sur les agences immobilières, uniquement en matière de blanchiment ?

M. Romain Roussel. - C'est exact, mais nous menons aussi des contrôles complémentaires. En outre, en fonction des informations qui nous sont remontées et de la qualification des manquements, nous ne contrôlons pas les mêmes acteurs.

M. André Reichardt. - Les inspections et les actions coup de poing que vous menez de façon spontanée ne vous conduisent-elle pas à tout contrôler, au-delà du blanchiment ?

M. Romain Roussel. - Il faut distinguer les enquêtes programmées, au cours desquelles nos agents peuvent appréhender de façon panoramique divers manquements, et les actions coup de poing, qui sont conduites dans un laps de temps très court, sur un secteur géographique déterminé. Ces deux types d'actions sont différents, mais ils ne sont pas exclusifs l'un de l'autre.

Mme Sonia Sbaa. - Les contrôles de conformité menés en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme sont assez longs ; ils s'étalent souvent sur une journée entière. Nous partons du principe que les professionnels sont de bonne foi, mais nous vérifions tout de même, sur la base de plusieurs dossiers, qu'ils respectent bien leurs obligations.

Ce contrôle peut nous amener à détecter certaines anomalies qui pourront faire l'objet d'une inspection ultérieure au titre de la protection du consommateur.

M. Raphaël Daubet, président. - Si j'ai bien compris, la DGCCRF suit une stratégie territorialisée qui lui permet de sélectionner les zones où elle mène ses contrôles. Compte tenu des anomalies relevées au fil du temps, ciblez-vous un type d'agences immobilières en particulier ? Certaines entités sont-elles plus susceptibles d'être inspectées, en raison de leur structuration ?

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Les agences immobilières sont-elles prévenues de votre arrivée ?

M. Romain Roussel. - Non, les contrôles réalisés par la DGCCRF sont inopinés. Les professionnels ne sont en principe pas informés à l'avance de la visite de nos agents. Lorsque, dans une enquête, on constate un certain nombre d'anomalies, il est essentiel de pouvoir, le cas échéant, saisir des pièces ou de croiser des informations.

M. Raphaël Daubet, président. - Les contrôles sont donc inopinés, mais pas aléatoires, n'est-ce pas ?

M. Romain Roussel. - Exactement : nos contrôles sont ciblés. Ces cibles sont plus ou moins définies dans le cadre de notre programme national d'enquête. Néanmoins, les enquêteurs de terrain disposent d'une marge d'appréciation : vu qu'ils connaissent bien le tissu économique local, ils peuvent compléter le programme national par d'autres types de contrôle

En termes quantitatifs, le programme national d'enquête représente environ deux tiers de l'activité des services déconcentrés ; le tiers restant correspond à cette marge d'appréciation laissée aux contrôles d'initiative locale.

Notre objectif est de maximiser l'impact des contrôles, en mobilisant l'information disponible à tous les niveaux, pour intervenir là où cela est le plus pertinent.

Les manquements constatés sont malheureusement assez récurrents. Il s'agit souvent d'une connaissance insuffisante de la réglementation de la part des professionnels, de dispositifs de prévention incomplets ou mal appliqués, ou encore de négligences dans le traitement de dossier ou la conservation des pièces justificatives.

Les conséquences financières varient selon les cas. C'est pourquoi certains territoires sont davantage ciblés, car ils sont considérés comme à plus haut risque en matière de blanchiment. C'est notamment le cas de certains territoires ultramarins, des Alpes-Maritimes, des régions frontalières ou encore de l'immobilier de luxe en Île-de-France, que nous estimons structurellement plus exposés à ces risques qu'une agence immobilière située au coeur de la France.

M. Raphaël Daubet, président. - Je vous remercie des éléments que vous avez apportés à notre commission d'enquête.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à13 h 05.

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Audition de Mme Laure Beccuau, procureure de la République près le tribunal judiciaire de Paris, MM. Éric Serfass, procureur adjoint à la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO), Nicolas Barret, chef de la section de la criminalité financière et Mme Marie-Aude Faivre, vice-procureure près le tribunal judiciaire de Paris (Audition à huis clos. Aucun compte rendu ne sera publié)

Aucun compte rendu ne sera publié.

La réunion est close à16 h 45.

La réunion est ouverte à 17 h 00.

Audition de Mme Delphine Sarfati-Sobreira, directrice générale de l'Union des fabricants pour la protection internationale de la propriété intellectuelle (Unifab)

M. Raphaël Daubet, président. - Je vous remercie, Madame Delphine Sarfati-Sobreira. La lutte contre la contrefaçon et son lien avec le blanchiment d'argent constituent des aspects essentiels de nos travaux, comme l'a souligné notre rapporteure dès le début de notre enquête. Je tiens à vous informer que cette audition fait l'objet d'une diffusion en direct sur le site du Sénat et qu'un compte-rendu sera publié à l'issue de nos échanges. Je vous rappelle que tout faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous invite maintenant à prêter serment.

Delphine Sarfati-Sobreira prête serment.

Mme Delphine Sarfati-Sobreira, directrice générale de l'Unifab. - L'Union des Fabricants, association française de lutte anti-contrefaçon, regroupe plus de 200 entreprises représentant des milliers de marques en France, pour un chiffre d'affaires cumulé de 1,5 milliard d'euros. Nos missions principales sont la formation des agents opérationnels (police, douane, gendarmerie, répression des fraudes), la sensibilisation des consommateurs aux conséquences réelles de la contrefaçon, et le dialogue avec les plateformes d'e-commerce pour trouver des solutions acceptables.

La contrefaçon représente environ 3 % du commerce international, avec une prévalence variable selon les secteurs. L'industrie automobile est particulièrement touchée, notamment au niveau des pièces détachées. Ces contrefaçons sont distribuées par des garagistes peu scrupuleux ou vendues en ligne, profitant de la tendance à l'autoréparation. Le secteur aéronautique n'est pas épargné, avec des cas récents d'accidents liés à des pièces contrefaites.

Dans l'Union européenne, environ 6 % des importations sont des contrefaçons. La France se classe deuxième en termes de saisies, ce qui témoigne malheureusement de l'ampleur du problème sur notre territoire. La criminalité organisée s'est emparée de ce trafic, l'utilisant comme moyen de blanchiment d'argent et de financement d'autres activités illicites. Les méthodes des contrefacteurs évoluent rapidement. Aujourd'hui, l'assemblage final des produits se fait souvent en France, les composants arrivant séparément pour compliquer la détection. En 2024, les douanes françaises ont saisi plus de 21,5 millions de produits contrefaits, principalement des articles d'emballage, des jeux et jouets, des articles de sport, ainsi que des parfums et cosmétiques.

Les conséquences de la contrefaçon sont multiples et graves. Pour les jouets, par exemple, on constate des risques liés à des peintures trop chargées en plomb ou à des pièces mal fixées. Ces produits ne respectent généralement pas les normes françaises ou européennes, étant fabriqués dans des conditions illicites, souvent par des travailleurs exploités. De plus, ils ne répondent à aucune norme en matière de RSE, de santé publique ou d'environnement. Les produits contrefaits ne sont jamais recyclables et doivent être détruits par incinération en raison des risques sanitaires qu'ils présentent. Les usines qui les produisent rejettent fréquemment des déchets toxiques dans l'environnement. La contrefaçon a des impacts bien plus étendus qu'on ne l'imagine généralement. Elle affecte la santé, la sécurité, l'environnement, et a des répercussions sociales et économiques considérables.

Elle est désormais sous l'emprise de grands groupes criminels disposant de moyens considérables et d'une capacité d'adaptation remarquable. L'exemple récent de la pandémie de Covid-19 illustre parfaitement cette flexibilité : les usines produisant des contrefaçons de parfums et cosmétiques se sont rapidement reconverties dans la fabrication de faux gels hydroalcooliques, au mépris total de la santé publique mondiale.

Ces organisations criminelles ont développé des stratégies sophistiquées. Elles rapprochent leur production de nos frontières pour gagner en réactivité et s'adaptent aux tendances du marché, notamment en exploitant les réseaux sociaux. Elles y commercialisent leurs produits contrefaits en les faisant passer pour des articles authentiques et licites. Ces groupes utilisent également les services de livraison express et font appel à des influenceurs pour promouvoir leurs contrefaçons. Ils ont même créé un nouveau lexique trompeur, incitant les consommateurs à croire que l'achat de « dupes », « clones » ou « génériques » est parfaitement légal et sans conséquence.

L'attrait de la contrefaçon pour ces groupes criminels s'explique par la facilité de vente et la relative clémence des sanctions. Malgré un durcissement des peines introduit par la loi Sapin 2, l'application de ces sanctions reste insuffisante, avec de nombreuses relaxes. Europol a identifié 31 des groupes criminels les plus dangereux comme étant actifs dans la contrefaçon, dont 11 exclusivement spécialisés dans ce domaine. Cette situation est particulièrement préoccupante, car le niveau de criminalisation de ce secteur a considérablement augmenté ces vingt dernières années. Comparée au trafic de drogue ou au trafic d'armes, la contrefaçon demeure moins sévèrement punie, ce qui en fait une activité extrêmement lucrative.

La contrefaçon s'accompagne invariablement d'exploitation humaine et de corruption, les produits étant systématiquement fabriqués dans des usines clandestines. Un exemple récent illustre parfaitement l'interconnexion entre différentes formes de criminalité organisée : en mars dernier, la police a saisi plusieurs tonnes de contrefaçons à Saint-Ouen dans le cadre d'une enquête sur l'immigration clandestine.

Les produits contrefaits représentent un danger réel pour la santé publique. Aux États-Unis, un important trafic de faux fentanyl a entraîné le décès de 270 000 personnes. L'implication croissante des groupes criminels dans la contrefaçon de médicaments, de pièces automobiles et même de produits de consommation courante comme les dentifrices est alarmante. Dans les Hauts-de-France, une recrudescence de problèmes dentaires a permis de mettre au jour un trafic de faux dentifrices contenant du sucre, causant des caries chez les enfants.

Le blanchiment d'argent est une conséquence directe de l'ampleur prise par la contrefaçon. Les profits considérables générés par cette activité sont réinjectés dans des circuits de blanchiment, alimentant ainsi d'autres activités criminelles. La police judiciaire confirme que la contrefaçon alimente les flux financiers illicites et facilite leur dissimulation via des méthodes de blanchiment complexes.

Deux opérations récentes illustrent l'ampleur du phénomène. En juillet 2024, une collaboration entre les polices espagnole et française, soutenue par Europol, a permis de démanteler un réseau international de blanchiment, principalement composé de ressortissants chinois. Ce réseau, lié à la contrefaçon, au proxénétisme et à la fraude fiscale et douanière, blanchissait jusqu'à 1 million d'euros par jour. En Grèce, en 2022, un réseau criminel vendant des contrefaçons de produits de luxe a généré plus de 18 millions d'euros par an pendant deux ans. Pour dissimuler ces fonds, des services de messagerie privés étaient utilisés.

L'Unifab a identifié plusieurs systèmes de blanchiment dans un rapport récent, non encore remis au ministre de l'Intérieur. Le système de la Hawala, basé sur la confiance, reste utilisé. Les cryptomonnaies sont également très prisées en raison de leur anonymat et de l'absence de régulation centrale. Des « mixeurs » ou « tumblers » sont employés pour masquer l'origine des fonds, tandis que le dark web sert de plateforme pour vendre les produits contrefaits, avec des paiements en cryptomonnaies. Certaines cryptomonnaies confidentielles comme Monero, DASH et Zcash sont particulièrement utilisées dans le trafic de contrefaçon en raison de leur haut niveau d'anonymat, rendant extrêmement difficile la détection des transactions frauduleuses. En décembre 2024, Europol a arrêté des trafiquants de drogue et saisi des millions d'euros en cryptomonnaies, dont des NFT, utilisés pour le blanchiment d'argent lié à la contrefaçon. En 2020, l'un des plus importants blanchisseurs d'argent en Europe a été arrêté en Espagne, utilisant à la fois le système Hawala et les cryptomonnaies.

Les autorités font face à des défis considérables en raison de la polycriminalité associée à la contrefaçon. Les criminels exploitent tous les moyens disponibles pour blanchir l'argent issu de cette activité. La situation est d'autant plus complexe que les consommateurs achètent souvent des contrefaçons sans réaliser pleinement l'illégalité de leurs actes, en partie à cause du manque de sanctions visibles comme l'amende forfaitaire délictuelle.

Le rapport sur le lien entre la contrefaçon et la criminalité organisée, dont la deuxième édition sera bientôt publiée, confirme l'amplification de ce phénomène depuis la première édition remise au Gouvernement en 2016. Cette problématique nécessite une attention accrue et des mesures concrètes pour lutter efficacement contre ce fléau croissant.

M. Raphaël Daubet, président. - Je vous remercie pour votre introduction claire et précise. J'aimerais approfondir un point concernant les mécanismes que vous avez décrits. Vous indiquez que le dark web permet la vente de contrefaçons contre des cryptoactifs. Cela signifie-t-il que les produits contrefaits transitent systématiquement par ce type de transactions avant d'atteindre le marché réel ? Existe-t-il des entreprises illégales ou des trafiquants spécialisés dans l'achat et la distribution de contrefaçons ? Ou s'agit-il simplement d'un cas parmi d'autres, coexistant avec une infiltration directe de la contrefaçon dans le marché légal, sans passer par ces transactions sur le dark web ?

Mme Delphine Sarfati-Sobreira, directrice générale de l'Unifab. - Nous distinguons trois catégories de distributeurs de contrefaçons. Premièrement, le type que vous décrivez prend une importance croissante, étant principalement utilisé par la criminalité organisée. Deuxièmement, des petits vendeurs commandent régulièrement une dizaine de produits par mois sur des sites chinois pour arrondir leurs fins de mois. Enfin, la troisième catégorie se situe entre les deux précédentes. Il s'agit de criminels polyvalents qui, en plus de la contrefaçon, proposent des armes, de la drogue, ou tout autre produit à la demande. On peut les trouver dans certaines zones de Saint-Ouen ou du 18ème arrondissement de Paris. Ces individus sont capables de fabriquer n'importe quel faux médicament en quantité souhaitée, ce qui est particulièrement alarmant en France. Cette distribution se fait malheureusement en ligne, profitant du fait que de nombreuses personnes achètent des médicaments sur Internet en raison de la diminution des remboursements. Ainsi, nous avons le grossiste qui opère via le dark web et convertit tout en cryptomonnaie, le petit revendeur qui complète ses revenus et sert parfois de bouc émissaire, et entre les deux, le criminel polyvalent.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Je vous remercie pour votre disponibilité et vos travaux antérieurs qui ont contribué à démontrer que la contrefaçon n'est pas un acte anodin. Bien que souvent associée aux produits de luxe, la contrefaçon ne se limite pas à ce secteur. Il est crucial de comprendre les implications plus larges, notamment en termes de criminalité organisée et de financement du terrorisme. J'aimerais aborder plusieurs points.

Premièrement, concernant la coopération européenne, comment luttez-vous contre la prolifération de la contrefaçon, particulièrement visible dans le sud de l'Espagne, en Italie ou au bazar d'Istanbul ? Quelles mesures devraient être prises au niveau européen ?

Deuxièmement, au-delà des campagnes de sensibilisation existantes, j'ai l'impression que les pouvoirs publics ne s'emparent pas pleinement de ce sujet, peut-être parce que les conséquences semblent moins graves qu'elles ne le sont réellement. Quel type d'alerte faudrait-il promouvoir pour susciter une prise de conscience plus large ? Il ne s'agit pas d'en faire une cause nationale, mais plutôt de trouver des moyens efficaces de sensibiliser le public. Les Jeux olympiques offraient une opportunité intéressante, mais insuffisante. Je m'interroge également sur les stratégies à adopter pour éveiller la conscience du consommateur, notamment face aux trafics de médicaments et de pièces détachées automobiles orchestrés par des organisations comme le Hezbollah, ou aux trafics liés aux migrants d'Afrique subsaharienne dans le sud de l'Espagne. Comment pouvons-nous, à travers ce rapport et notre travail, sensibiliser davantage à la gravité de cette criminalité organisée et aux risques encourus par les consommateurs ?

Mme Delphine Sarfati-Sobreira, directrice générale de l'Unifab. - Effectivement, Madame la Sénatrice, le lien entre la contrefaçon et le terrorisme est avéré. Notre précédent rapport a établi une connexion, confirmée par les autorités publiques, entre les attentats de Charlie Hebdo et le financement obtenu par les frères Kouachi via la vente de chaussures de sport contrefaites. Malheureusement, ce phénomène persiste.

Pour répondre à votre première question, la coopération européenne existe notamment via Europol, mais la contrefaçon n'est une priorité pour aucun pays. La France, bien qu'elle soit le pays le plus engagé dans cette lutte, ne lui accorde pas encore une importance suffisante, malgré son riche patrimoine d'entreprises, de créativité et d'innovations à protéger. Certains pays, comme les États-Unis ou des nations d'Europe du Nord, ont nommé des ambassadeurs ou des ministres chargés de la propriété intellectuelle, reconnaissant son importance cruciale pour l'économie nationale. C'est un exemple que nous devrions suivre. La coopération entre les services de police et de douane varie considérablement selon les régions d'Europe, étant moins développée dans le Sud que dans le Nord, en partie due à des différences dans les enjeux économiques.

Pour alerter le Gouvernement, plusieurs actions sont envisageables. Premièrement, nous préconisons l'instauration d'amendes forfaitaires délictuelles pour les consommateurs, similaires à celles appliquées pour le cannabis, afin de souligner l'illégalité de l'acte. Deuxièmement, il est crucial d'impliquer le ministère de l'Éducation nationale, en intégrant la propriété intellectuelle dans la journée annuelle du droit à l'école. L'expérience de l'Unifab dans les établissements scolaires démontre l'efficacité d'une sensibilisation précoce à la propriété intellectuelle. Les élèves saisissent rapidement ce concept lorsqu'on le compare à l'interdiction de copier sur un camarade. Il serait judicieux d'approfondir cette approche en expliquant plus en détail les principes du droit de la propriété intellectuelle. Les pays asiatiques ont d'ailleurs compris l'importance de cette éducation et dispensent des cours sur ce sujet aux plus jeunes, mettant en avant la nécessité de respecter ces droits. Il est impératif de s'inspirer de ces bonnes pratiques à l'échelle mondiale. Par ailleurs, il est crucial de renforcer certaines autorités pour lutter plus efficacement contre les trafics de contrefaçons. Si les douanes contrôlent efficacement les importations, la surveillance de la production sur le territoire national, notamment l'assemblage qui se développe en France, s'avère plus complexe. Malheureusement, les effectifs de la police, de la gendarmerie et de la répression des fraudes sont insuffisants pour assurer un contrôle optimal de cette production locale.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Pourriez-vous nous communiquer des données chiffrées récentes ? Le rapport de 2022 mentionnait un coût de 26 milliards d'euros pour les entreprises du luxe en Europe dû à la contrefaçon. Votre nouveau rapport, dont nous espérons obtenir une copie prochainement, contient-il des chiffres actualisés ? Ces données quantitatives sont généralement très parlantes.

Mme Delphine Sarfati-Sobreira, directrice générale de l'Unifab. - En France, la valeur des contrefaçons saisies en 2024 s'élève à 645 millions d'euros, un chiffre alarmant. Cette somme correspond aux 20 millions de produits interceptés par les douanes. À l'échelle de l'Union européenne, les pertes annuelles dues à la contrefaçon et au piratage atteignent 83 milliards d'euros et 800 000 emplois. Dans les seuls secteurs de l'habillement, des cosmétiques et du jouet, le coût annuel des produits contrefaits s'élève à 16 milliards d'euros. Ces données vous seront transmises pour étayer vos travaux. Il est important de noter que la contrefaçon représente 6 % des importations dans l'Union européenne, sans compter la production et l'assemblage locaux. Les autorités publiques et les agents opérationnels constatent systématiquement la présence de contrefaçons lors du démantèlement de réseaux criminels impliqués dans le trafic de drogues, d'armes ou la prostitution. La contrefaçon constitue une source de financement majeure pour ces activités illicites. Le plus préoccupant est que le consommateur français moyen, en achetant des produits contrefaits, finance à son insu des crimes qu'il réprouve par ailleurs.

M. André Reichardt. - Je vous remercie pour votre intervention. Nous sommes ici confrontés à deux aspects distincts : la criminalité organisée en amont, représentée par les contrefacteurs, et la délinquance financière en aval, notamment le blanchiment des profits illicites. Ces deux volets sont au coeur des préoccupations de notre commission d'enquête.

Concernant la criminalité organisée, pourriez-vous nous fournir une analyse plus détaillée des différents types de contrefacteurs ? Il semble évident qu'on ne peut pas mettre sur le même plan la fabrication de fausses chaussures de sport et celle de faux médicaments. Ces activités requièrent des compétences et des moyens radicalement différents. Certains contrefacteurs opèrent probablement à petite échelle, tandis que d'autres disposent de moyens considérables, nécessitant des équipements sophistiqués, des espaces de production importants, voire des laboratoires. Cette production à grande échelle implique vraisemblablement des réseaux de corruption pour sécuriser les opérations.

Avez-vous observé une spécialisation géographique dans la contrefaçon ? Par exemple, la production de fausses chaussures de sport pourrait-elle être concentrée dans des pays comme le Bangladesh, déjà spécialisés dans ce secteur, tandis que la contrefaçon de produits pharmaceutiques serait plutôt l'apanage de la Chine ? Une compréhension fine de ces dynamiques nous permettrait de mieux cibler nos actions, que ce soit au niveau national ou européen.

Par ailleurs, vous avez mentionné que l'assemblage se faisait souvent en France. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette pratique ? S'agit-il d'une activité facilement réalisable avec un simple mode d'emploi ? Notre commission d'enquête vise à évaluer les outils de lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales. Dans ce contexte, il est crucial de comprendre l'ampleur du phénomène de la contrefaçon et ses ramifications.

Enfin, comment expliquez-vous l'attrait du consommateur moyen pour les produits contrefaits ? Est-ce uniquement une question de prix, ou y a-t-il d'autres facteurs en jeu ? Comment sensibiliser efficacement le public aux dangers et aux implications éthiques de l'achat de contrefaçons ?

Je souhaite obtenir des précisions sur la localisation exacte des activités de contrefaçon. Une analyse plus détaillée serait-elle disponible ? Je suis disposé à contribuer à ce travail d'investigation qui m'intéresse particulièrement.

Concernant la délinquance financière, j'aimerais savoir si les contrefacteurs sont uniquement des groupes industriels ou s'il existe d'autres types d'acteurs. Avez-vous connaissance de groupes industriels spécifiquement impliqués dans la contrefaçon ? En Chine, il existe probablement des organisations criminelles spécialisées dans ce domaine. Qu'en est-il du blanchiment d'argent lié à ces activités ? Les contrefacteurs gèrent-ils eux-mêmes le blanchiment des profits générés par leurs produits, ou font-ils appel à des réseaux de délinquance financière distincts et adaptés à cette forme de criminalité organisée ? Par analogie avec le narcotrafic, dont les mécanismes de blanchiment sont désormais mieux connus, existe-t-il des méthodes de blanchiment spécifiques à la contrefaçon ? Vous avez mentionné l'utilisation de la hawala et de cryptomonnaies. Y a-t-il d'autres techniques employées ? Devrions-nous concentrer nos efforts sur un type particulier de blanchiment en aval de la contrefaçon ?

Mme Delphine Sarfati-Sobreira, directrice générale de l'Unifab. - Je vous remercie pour ces questions, Monsieur le vice-président. Je vais m'efforcer d'y répondre avec précision. Concernant les types de contrefacteurs, il est important de souligner qu'aujourd'hui, environ 90 % d'entre eux sont liés à la criminalité organisée et opèrent de manière industrielle. Les contrefacteurs artisanaux, qui étaient encore présents il y a une quinzaine d'années, sont devenus extrêmement rares. Cette activité s'est massivement industrialisée et mondialisée, les groupes criminels ayant compris l'opportunité de financer leurs autres activités illégales tout en restant relativement peu détectés au niveau européen et international. Nous avons identifié plusieurs groupes criminels impliqués dans la contrefaçon, notamment la D-Company en Inde, le Hezbollah, les Yakuza en Asie, la mafia italienne, et même l'IRA, bien que certains de ces groupes soient moins médiatisés aujourd'hui.

Il existe effectivement des spécialisations géographiques. La Turquie, par exemple, se concentre sur les pièces détachées automobiles et les produits de luxe, l'Inde sur les faux médicaments, tandis que l'Europe, notamment la France, produit beaucoup de faux tabac. La fabrication de faux médicaments est également présente dans les zones orientales, avec une mention particulière pour le régime de Bachar al-Assad, qui produisait du faux captagon.

Cependant, ces réseaux pratiquent également le « forum shopping », adaptant leurs activités en fonction de l'évolution des législations et de la pression des autorités. Leur capacité à déplacer rapidement leurs opérations de fabrication ou de distribution témoigne de leur puissance. Malgré cette diversité, environ 80 % des contrefaçons proviennent de Chine, ce qui correspond aux statistiques douanières françaises et européennes. Néanmoins, les autorités chinoises ont récemment montré une volonté de coopération accrue, notamment en raison de l'émergence de leurs propres marques à protéger sur le marché international. Nous pourrons vous envoyer une note à ce sujet et ces informations sont également disponibles dans nos publications.

Concernant le blanchiment d'argent, les mêmes réseaux qui produisent les contrefaçons gèrent généralement l'ensemble du processus, de l'achat des matières premières à la distribution, en passant par la fabrication et le blanchiment des profits. Leur circuit typique inclut souvent un transit par Dubaï, où les marchandises sont reconditionnées en plus petits conteneurs pour inonder les ports et aéroports occidentaux. Pour illustrer l'ampleur de ce phénomène, je peux citer une récente opération à Saint-Ouen, où la fermeture de magasins vendant 100 % de contrefaçons a conduit à la découverte d'un entrepôt à La Courneuve contenant plus de 200 000 produits contrefaits. Les bénéfices générés sont considérables, avec des produits achetés à 2 ou 3 euros et revendus à 100 euros, dépassant largement les marges des entreprises licites.

M. Raphaël Daubet, président. - Nous vous remercions vivement pour ces informations éclairantes. Elles illustrent parfaitement l'infiltration de l'économie illégale dans l'économie légale, sujet central de nos auditions, ainsi que les connexions entre la criminalité organisée et d'autres types de trafics et de flux financiers illicites.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Je pense qu'il est essentiel de distinguer, dans le cadre de la contrefaçon, les produits de luxe et de marque des autres types de produits. Bien que le délit soit identique et doive être réprimé avec la même rigueur, il est crucial d'établir cette différenciation, notamment dans la perception du consommateur. Il est primordial de faire comprendre au consommateur que la contrefaçon ne se limite pas aux produits de luxe. Les contrefaçons de pièces détachées, qu'il s'agisse de plaquettes de frein, de composants d'avion ou de médicaments, représentent un danger bien plus grave pour le consommateur. Nous avons notamment constaté ce phénomène lors de la crise du Covid-19, mais il concerne également d'autres types de trafics de médicaments. Cette situation nécessite une surveillance accrue des plateformes en ligne qui servent de vecteurs de promotion pour ces produits contrefaits. Ces plateformes facilitent non seulement la vente de contrefaçons de produits de luxe comme les montres ou les sacs de marque, mais aussi de médicaments frauduleux. Elles jouent ainsi un rôle de facilitateur dans ces trafics, ce qui soulève de nombreuses difficultés qu'il faudra résoudre. En conclusion, il est crucial de comprendre que la contrefaçon ne se limite pas au secteur du luxe, mais englobe de nombreux autres produits potentiellement très dangereux pour les citoyens.

Mme Delphine Sarfati-Sobreira, directrice générale de l'Unifab. - La contrefaçon touche effectivement tous les secteurs d'activité. Nos membres représentent une grande diversité de domaines, allant des produits alimentaires aux composants aéronautiques et automobiles, en passant par les jeux, les jouets, et même les fleurs. À titre d'exemple, les douanes saisissent régulièrement des centaines de fausses fleurs en provenance du Pakistan, arborant les logos de fleuristes français réputés, juste avant la Saint-Valentin. Je suis convaincue que, tant que le consommateur n'aura pas conscience de la nature contrefaite du produit et ne sera pas sanctionné pour son achat, il ne modifiera pas son comportement. Il est alarmant de constater que la vente de fausses cigarettes à 5 euros le paquet est devenue monnaie courante, y compris aux abords de l'Assemblée nationale, en dépit de l'interdiction de vendre des cigarettes hors des bureaux de tabac. Cette tolérance envoie un message extrêmement néfaste et confère une forme d'impunité aux criminels qui commercialisent ces produits illicites.

M. Raphaël Daubet, président. - Nous prenons bonne note de ces observations. Serait-il possible de nous transmettre votre rapport ? Nous comprenons que vous en réserverez la primeur au ministre, mais nous sommes vivement intéressés par son contenu.

Mme Delphine Sarfati-Sobreira, directrice générale de l'Unifab. - Quelle est la date prévue pour la clôture de vos travaux ?

M. Raphaël Daubet, président. - Nous prévoyons de conclure nos travaux au mois de juin. Nous aurons terminé nos auditions fin mai et la rapporteure sera alors en phase de rédaction.

Mme Delphine Sarfati-Sobreira, directrice générale de l'Unifab. - Nous vous transmettrons l'ensemble de ces informations. Je vous remercie sincèrement pour votre attention.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 00.