- Mardi 22 avril 2025
- Audition de Mme Carole Delga, présidente, et de M. Yoann Iacono, directeur général délégué chargé de la transformation économique, de la souveraineté industrielle, de la recherche, de l'enseignement supérieur, de l'emploi, de la formation et des métiers de demain, du conseil régional d'Occitanie (en visioconférence)
- Audition d'Airbus - M. Guillaume Faury, directeur général d'Airbus, M. Didier Loiselet, directeur comptable et consolidation et M. Fabien Menant, directeur des affaires publiques
- Mardi 22 avril 2025
- Audition d'Atos - M. Philippe Salle, président-directeur général
- Audition d'EDF - MM. Luc Rémont, président-directeur général, et Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques
- Audition du Medef - M. Patrick Martin, président, Mmes France Henry-Labordère, directrice générale adjointe en charge des affaires sociales et Christine Lepage, directrice générale adjointe en charge de l'économie
Mardi 22 avril 2025
- Présidence de M. Olivier Rietmann, président -
La réunion est ouverte à 9 h 10.
Audition de Mme Carole Delga, présidente, et de M. Yoann Iacono, directeur général délégué chargé de la transformation économique, de la souveraineté industrielle, de la recherche, de l'enseignement supérieur, de l'emploi, de la formation et des métiers de demain, du conseil régional d'Occitanie (en visioconférence)
M. Olivier Rietmann, président. - Nous poursuivons les travaux de la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants avec l'audition, en visioconférence, de Mme Carole Delga, présidente de la région Occitanie et de l'association Régions de France. Elle est accompagnée de M. Yoann Iacono, directeur général délégué chargé de la transformation économique, de la souveraineté industrielle, de la recherche, de l'enseignement supérieur, de l'emploi, de la formation et des métiers de demain.
L'audition de ce jour est enregistrée et diffusée en direct, et elle fera l'objet d'un compte rendu sur le site du Sénat.
Madame, Monsieur, avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête, outre bien entendu vos mandats et fonctions au conseil régional d'Occitanie. Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Carole Delga et M. Yoann Iacono prêtent serment.
Notre commission d'enquête, dont les membres ont été nommés le 15 janvier dernier, vise trois objectifs principaux : établir le coût des aides publiques octroyées aux grandes entreprises, entendues comme celles employant plus de 1 000 salariés et réalisant un chiffre d'affaires net mondial d'au moins 450 millions d'euros par an, ainsi que le coût des aides versées à leurs sous-traitants ; déterminer si ces aides sont correctement contrôlées et évaluées, car nous devons veiller à la bonne utilisation des deniers publics ; réfléchir aux contreparties qui pourraient être imposées en termes de maintien de l'emploi au sens large lorsque des aides publiques sont versées à de grandes entreprises qui procèdent ensuite à des fermetures de site, prononcent des licenciements, voire délocalisent leurs activités.
Madame la présidente, Monsieur le directeur, vous êtes les premiers représentants des collectivités territoriales à être entendus par notre commission d'enquête. Selon la revue de dépenses de l'inspection générale des finances (IGF) de mars 2024, les aides aux entreprises versées par les collectivités territoriales s'élevaient à 7 milliards d'euros en 2021, dont 40 % de la part des régions. L'audition de ce jour porte essentiellement sur votre action en tant que présidente de la région Occitanie, mais il vous est évidemment possible de vous exprimer en tant que présidente de l'association Régions de France, si vous le souhaitez.
Pouvez-vous rappeler succinctement les compétences des régions en matière d'aides aux entreprises et celles des autres collectivités territoriales ? Faut-il selon vous faire évoluer le cadre juridique applicable aux aides aux entreprises versées par les collectivités territoriales ? Quelles sont les obligations actuelles en termes de transparence des aides publiques régionales aux entreprises ? Seriez-vous favorable à leur renforcement ? Quelles ont été en 2023 les différentes aides aux entreprises versées par votre région, et pourriez-vous rappeler les montants en jeu et les logiques économiques propres à chaque dispositif ? Quelles sont parmi les aides versées par la région Occitanie aux entreprises celles qui sont issues de fonds européens ? Quels sont les moyens mis en oeuvre pour assurer le contrôle des aides versées par votre région ? Comment sont assurés le suivi et l'évaluation de ces aides ?
Je vous propose de traiter ces questions dans un propos liminaire d'une vingtaine de minutes. Puis M. Fabien Gay, rapporteur, vous posera quelques questions pour approfondir certains points. Enfin, les membres de la commission d'enquête pourront également vous interroger s'ils le souhaitent.
Mme Carole Delga, présidente de la région Occitanie et de l'association Régions de France. - La région Occitanie, qui compte 6 millions d'habitants, connaît la plus grande progression démographique en France, puisque nous accueillons chaque année plus de 40 000 nouveaux habitants. Pour éviter une hausse du taux de chômage, il est nécessaire de créer 25 000 emplois par an, ce qui constitue un défi important. Avec ma majorité régionale, je considère la création d'emplois comme une priorité absolue pour lutter contre le chômage et la précarité qui sont, comme nous le savons, le terreau du populisme.
Nous souhaitons également agir de manière volontaire pour mettre en place un nouveau modèle de développement économique. La région Occitanie est la plus enclavée de France, mais nous nous battons pour avoir de grandes infrastructures de transport, comme les lignes à grande vitesse (LGV), et pour obtenir la réouverture de lignes ferroviaires, notamment dans la vallée du Rhône ou dans les Pyrénées.
Notre taux de chômage est parmi les plus élevés de France, à presque 9 %, et notre progression démographique est essentiellement due à l'installation de jeunes couples, dont un membre a un emploi, l'autre non. Pour favoriser la création d'emplois, nous soutenons les projets des entreprises et nous oeuvrons via des associations, ainsi que par l'action publique.
Nous travaillons aussi à mettre en oeuvre un nouveau modèle de développement économique, en favorisant l'innovation des entreprises pour une décarbonation des filières économiques et en encourageant l'innovation pour la compétitivité des entreprises. Nous accompagnons également la transformation du modèle économique des entreprises vers un modèle plus vertueux, moins consommateur d'énergie et d'espace agricole, et nous mettons en place une politique sociale affirmée. Nous formons les demandeurs d'emploi à des emplois de qualité et nous veillons à ce que la création d'emplois soit répartie sur tous les territoires.
Si la région est chargée de l'aide aux entreprises, les intercommunalités peuvent compléter son action sous la forme de conventions, ce qui favorise la lisibilité des aides apportées. Les départements peuvent également intervenir dans certains cas, qui restent exceptionnels. En revanche, l'immobilier d'entreprise relève de la compétence de l'intercommunalité, la région pouvant intervenir sous la forme d'un conventionnement. Là encore, la traçabilité des aides est assurée.
Par conséquent, il n'existe pas de doublons dans les aides que les différentes collectivités locales apportent aux entreprises et le dispositif fait l'objet d'une grande transparence. Toutefois, il serait utile d'approfondir la question de la répartition des aides entre les régions et l'État. Par exemple, les appels à projets des administrations centrales ne sont pas toujours élaborés en concertation avec les régions et j'ai pu constater, en tant que présidente de l'association Régions de France, que cela pouvait créer de la confusion et des difficultés de lisibilité sur les aides disponibles pour les entreprises.
Dans la région Occitanie, les aides concernent à 98,4 % les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME). Ce chiffre est conforme au taux moyen que l'on constate dans la plupart des régions, où entre 97 % et 99 % des aides concernent les TPE et les PME.
Pour assurer la transparence des aides, la Commission européenne nous impose de renseigner la plateforme en ligne TAM (Transparency Award Module), qui compile les aides aux entreprises de plus de 10 000 euros dans un délai de six mois à compter de leur attribution. En outre, les régions doivent faire remonter à l'État et à la Commission européenne l'ensemble des aides versées au cours de l'année, conformément à l'article 1511-1 du code général des collectivités territoriales. La mise en place d'un registre national ou européen est en cours pour inscrire les aides versées dans un délai de vingt jours après leur octroi, et son usage sera généralisé à partir du 1er janvier 2026.
La région Occitanie a souhaité, dans le respect du régime des aides que l'État verse aux entreprises, mettre en place des aides à l'innovation qui représentent 25 % des montants votés. Elle octroie aussi des aides à la croissance des entreprises et à l'internationalisation, dans le cadre du dispositif Contrat Entreprise d'Avenir, qui ne concerne que les TPE et les PME. De plus, nous avons mis en place des aides à la réindustrialisation visant à rapprocher la production de la consommation et à participer au rétablissement de la souveraineté industrielle de notre pays. Des aides à la décarbonation sont également prévues, notamment dans le cadre du plan Avion vert, ou pour favoriser les économies d'énergie et la réduction de la consommation d'eau. Enfin, des aides directes pour faciliter le recrutement et répondre aux enjeux de ressources humaines sont aussi disponibles, bien que leur volume soit faible, qui visent à appuyer les entreprises, en particulier les TPE et PME, lorsqu'elles doivent redéfinir leur système de production et leurs compétences associées.
Les régions de France ont la volonté de favoriser la création d'emplois en prévoyant un principe de conditionnalité pour les aides qu'elles versent. Les estimations globales des aides publiques aux entreprises varient fortement selon qu'elles proviennent de l'INSEE ou de l'IGF, allant de 70 milliards à plus de 200 milliards d'euros. Les aides directes des régions ne représentent qu'environ 1 % du total des aides publiques. Pour l'année 2023, l'association Régions de France estime leur montant légèrement supérieur à 1,9 milliard d'euros.
Depuis mon élection en 2016, la région Occitanie a accompagné 90 000 projets d'entreprise pour un montant cumulé d'aides directes de 1,5 milliard d'euros, dont 98,4 % ont été consacrés aux projets de TPE et PME. Dans le budget de la région pour 2025, les aides directes représentent 75 millions d'euros en autorisations de programme (AP), dont 40 millions d'euros au titre du Fonds européen de développement régional (Feder), aides auxquelles les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les grandes entreprises ne sont pas éligibles. Des comptes rendus de délibérations, ainsi que des rapports, permettent d'avoir accès à ces données, en toute transparence.
Pour ce qui est des grandes entreprises, telles que vous les définissez, 120 d'entre elles ont bénéficié d'aides de la part de la région Occitanie depuis janvier 2016, ce qui représente un accompagnement d'un montant de 22,7 millions d'euros pour 150 projets, soit 1,6 % du montant total des aides versées par la région.
Les aides accordées aux grandes entreprises sont encadrées et respectent la réglementation. Les deux tiers d'entre elles sont des aides à l'innovation, plafonnées à 25 % de l'assiette pour les projets individuels et à 40 % pour les projets collaboratifs. Elles doivent poursuivre un intérêt régional et avoir un impact significatif pour le territoire et son écosystème. Un tiers des aides concerne de nouvelles implantations d'activités en zone rurale, dans le cadre du fameux dispositif des zones d'aide à finalité régionale (AFR), avec un taux limité à 15 % de l'assiette des dépenses éligibles.
En plus des subventions et des avances remboursables, nous avons souhaité privilégier des dispositifs d'ingénierie financière, tels que le tiers-financement dit Fiteeo, pour Financeur pour l'industrie et le tertiaire de l'efficacité énergétique en Occitanie, proposé par l'Agence régionale de l'énergie-climat (Arec) d'Occitanie. Par exemple, l'usine française de l'entreprise Villeroy & Boch, située à Valence d'Agen dans le Tarn-et-Garonne, en territoire rural, a pu décarboner son mode de production grâce à ce dispositif. Nous avons également un partenariat avec l'entreprise Andros, qui est basée dans le nord du Lot.
De plus, l'Agence régionale de l'aménagement et de la construction (Arac) d'Occitanie réalise des portages immobiliers pour le compte des entreprises et des industriels, en se rémunérant sur la base de loyers versés sur une longue période.
Enfin, nous disposons d'un fonds souverain régional doté de 400 millions d'euros avec une part minoritaire d'argent public, provenant de la région et de la Caisse des dépôts et consignations, au travers de Bpifrance, et une part majoritaire d'argent privé provenant des grandes entreprises. Cela permet de distribuer des obligations simples convertibles, des prêts où le capital n'est remboursé qu'à la dernière année du prêt, ou encore des fonds propres, ce qui signifie que nous pouvons être actionnaires dans le capital des entreprises. La région a ainsi voix au chapitre pour développer des solutions innovantes, comme le montre l'exemple de la start-up Genvia, qui utilise des électrolyseurs à haute température pour produire de l'hydrogène vert.
Le principe de la conditionnalité des aides mises en place par la région Occitanie a été approuvé dans le cadre du schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII). Nous appliquons les critères légaux et réglementaires. Le maintien des investissements et des emplois aidés pendant la durée de réalisation du programme, ainsi que durant les trois ans qui suivent pour les PME et les cinq ans qui suivent pour les ETI et les grandes entreprises ayant bénéficié de l'aide, constitue la première conditionnalité.
Nous avons adopté des critères supplémentaires. Les entreprises doivent maintenir l'activité sur le site aidé pendant cinq ans à compter de la date de la fin du programme, quel que soit leur statut. La région peut demander le remboursement de l'aide à la suite d'une opération en capital affectant le contrôle de l'entreprise, notamment en cas de prise de contrôle par un actionnaire étranger ou dans le cadre de toute opération qui conduirait à un déménagement de l'établissement soutenu. Dans certains dossiers, nous pouvons faire valoir l'incitation de l'aide à la création d'emplois. Le versement du solde peut également être conditionné à la réalisation effective de création d'emplois. Dans d'autres cas, nous pouvons demander le non-versement de dividendes. Enfin, les entreprises qui bénéficient d'un soutien à l'innovation doivent s'engager à réaliser leur programme de recherche et développement (R&D) exclusivement dans un établissement situé en Occitanie.
Nous tenons donc à contrôler la réalisation des conditions fixées lors de l'attribution de nos aides, et il est arrivé que nous rappelions certaines aides qui avaient été versées à cause du non-respect de ces conditions. Cela a été le cas pour l'entreprise Taramm, située en Ariège, productrice de pièces pour la filière aéronautique, qui n'avait pas respecté l'obligation de conserver ses équipements sur le territoire. Toujours dans la filière aéronautique, l'entreprise ariégeoise MKAD a subi le même sort pour ne pas avoir respecté le niveau de création d'emplois sur lequel elle s'était engagée. Un autre exemple est celui d'une entreprise montpelliéraine, qui, dans le cadre d'un contrat d'innovation, n'avait pas réalisé ses activités de R&D en Occitanie. Ou bien encore, nous avons diminué notre subvention au groupe Latécoère proportionnellement à la réduction des ambitions de l'entreprise que nous avions constatée.
Depuis 2016, moins de 200 subventions n'ont pas été versées en totalité, principalement en raison de la moindre ampleur des projets d'investissement par rapport aux dossiers de demande initiaux. Cependant, pour une vingtaine d'entreprises, c'est le non-respect des conditions fixées lors de l'attribution des aides qui est en cause.
Dans le cadre de l'association Régions de France, nous défendons fortement le maintien de l'aide régionale aux entreprises pour la création d'emplois, la réduction du chômage et les enjeux de souveraineté. Nous demandons une meilleure coordination entre les initiatives régionales et celles des administrations centrales pour plus de lisibilité et d'efficacité.
En Occitanie, ces aides ont permis la création d'emplois et la structuration de filières écologiques. Je pense notamment au plan Avion vert, qui a bénéficié aux PME, c'est-à-dire aux sous-traitants de la supply chain. Nous avons également choisi de diversifier notre économie, qui repose sur l'agriculture, le tourisme, l'aéronautique et le spatial, en développant la filière santé, notamment grâce à la construction d'une usine de production de paracétamol, et en investissant dans les énergies renouvelables, par exemple dans le cadre du projet Genvia, issu d'un partenariat public-privé entre la région, l'entreprise Schlumberger New Energy, le cimentier Vicat, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et Vinci Construction. Cela nous a permis de maintenir les emplois existants et d'en créer d'autres sur un site industriel qui était très menacé, à savoir celui de l'entreprise Cameron située à Béziers.
Notre objectif est aussi de répartir les emplois sur tous les territoires. Ainsi, malgré la fermeture de l'usine de la Société des aciéries de la marine (SAM) à Decazeville, dans l'Ouest aveyronnais, la région a racheté l'ensemble du site et continue sa prospection pour soutenir des entreprises et favoriser leur essaimage sur les territoires affectés. Nous soutenons également l'entreprise Figeac Aero, à l'est du Lot.
Nous estimons que 33 000 emplois directs ont été créés par les entreprises qui ont bénéficié d'une aide directe de la région. Nous utilisons la plateforme Viziaéco, développée en partenariat avec l'Urssaf, pour mesurer l'évolution du nombre d'emplois.
Nous avons réussi à préserver environ 80 000 emplois après la crise Covid, période pendant laquelle l'économie de la région Occitanie a été fortement affectée du fait de la chute de la production dans l'aéronautique et de l'arrêt du tourisme. Ainsi, grâce à Genvia, nous avons pu préserver 237 emplois à Béziers, comme le rappelle Luc Mas, le directeur du site de l'entreprise Cameron Schlumberger, qui a traversé de grandes difficultés dans le cadre de ses activités dans le champ pétrolier. Nous avons pu créer 170 emplois supplémentaires. Cependant, nous aurions besoin que l'Insee, l'Urssaf ou bien les ministères concernés proposent des outils plus fiables pour mieux documenter l'impact sur l'emploi des politiques économiques régionales.
M. Fabien Gay, rapporteur. - On ne peut que saluer le volontarisme dont votre région fait preuve sur la question de l'emploi. Cependant, la priorité que vous semblez donner aux projets de décarbonation rappelle beaucoup ce que l'État a fait, notamment dans le cadre des plans de relance. Vous avez dit qu'il n'y avait pas assez d'échanges avec l'État sur les aides publiques, allant jusqu'à parler de « confusion » et de « difficultés de lisibilité ». Cela interroge sur l'existence d'une superposition entre ce que fait la région d'un côté et ce que peut faire l'État de l'autre. Appelez-vous à une clarification des rôles visant, par exemple, à ce que ce soit seulement les régions, ou bien seulement l'État, qui interviennent dans les projets de décarbonation ? Quand on est présidente de région, comment fait-on pour éviter qu'une PME qui bénéficie d'une aide régionale ne concoure pas aussi à des aides de l'État ? Autrement dit, comment éviter que les aides de l'État ne viennent en doublon de celles de la région sur un même projet ?
Mme Carole Delga. - Les présidents de région sont capables de contrer des initiatives qui n'auraient pas été concertées, grâce au travail qu'ils mènent en région avec les services de l'État. En Occitanie, ce travail collaboratif est très fort, ce qui nous permet d'avoir une visibilité complète sur les aides dont pourrait bénéficier une entreprise, évitant ainsi les doublons entre les aides régionales et étatiques. Grâce à un dialogue hebdomadaire avec le Secrétariat général pour les affaires régionales (Sgar), nous veillons à ce que nos aides soient complémentaires et efficaces.
Toutefois, il est clair que nous perdons souvent du temps à rattraper certaines initiatives des administrations centrales, principalement Bercy. J'ai dû appeler personnellement le ministre de l'économie pour signaler des initiatives non concertées qui nous ont obligés à retravailler tout le dispositif. Mais, dans les faits, à ma connaissance, il n'y a pas de doublons, en Occitanie, en matière d'aides publiques aux entreprises.
Je considère qu'il faut décentraliser ces aides au maximum et en laisser la responsabilité aux régions. Cependant, quand une entreprise est en grande difficulté, nous devons travailler avec Bercy sur les questions fiscales.
M. Olivier Rietmann, président. - Madame la présidente, vous êtes une élue locale. Disons-le sans langue de bois : vous avez forcément constaté qu'il y avait un problème.
L'argent public est utilisé par plusieurs administrations et par plusieurs services, avec les mêmes objectifs, sans qu'il existe vraiment de transparence, puisque vous venez de dire que vous aviez dû appeler Bercy, voire le ministre lui-même, au sujet de certains dossiers.
Cela représente une perte d'énergie, une perte d'efficacité et, finalement, une perte d'argent. Chaque administration est rémunérée et elles ont toutes le même objectif, celui d'aider les entreprises, qu'elles soient en difficulté ou en développement, pour favoriser la décarbonation, la création d'emplois et une meilleure dynamique sur les territoires. Mais chaque administration travaille en silo, ce qui entraîne une déperdition très importante de l'argent public.
Mme Carole Delga. - L'organisation des services de l'État devrait en effet être revue pour optimiser la dépense publique, notamment en matière d'aides à l'emploi et à la réindustrialisation, ainsi que pour la reconquête de la souveraineté industrielle. Le fonctionnement en silo à l'échelle de l'État est particulièrement préjudiciable.
Néanmoins, en tant que présidente de l'association Régions de France, et sans langue de bois, je considère qu'il n'y a pas de gaspillage des aides régionales lié à un éventuel doublon que créeraient d'autres aides, qu'elles soient européennes ou d'État. En revanche, il est clair que la désorganisation des services de l'État entraîne une perte de temps et d'argent public. L'État devrait donc se concentrer sur ses missions régaliennes et laisser les collectivités locales agir. Les régions sont compétentes dans le domaine de l'économie, mais les départements ou les intercommunalités seraient mieux placés pour favoriser la production de logements grâce aux aides à la pierre, afin de répondre aux besoins sociaux de nos concitoyens et de soutenir la filière du bâtiment.
M. Olivier Rietmann, président. - Vos réponses restent très générales. Pragmatiquement, comment voyez-vous les choses ? L'État ne s'occupe plus de l'accompagnement des entreprises et transfère les finances aux régions. Celles-ci sont en première ligne pour le développement économique et doivent prendre des décisions. Comment procéder ? Vous convenez qu'il existe un manque d'organisation, avec comme conséquence une perte de temps et d'argent. Plusieurs administrations centrales ou territoriales sont payées pour actionner les mêmes leviers économiques. Comment pourrions-nous être plus efficaces et résoudre le problème ?
Mme Carole Delga. - Très concrètement, il faudrait que le Gouvernement et les présidents de région passent un contrat de partenariat pour favoriser la création d'emplois et préserver la souveraineté de notre pays. Cela permettrait de définir des objectifs et de fixer les modalités de leur déclinaison, notamment en matière de création d'emplois et de décarbonation de l'industrie.
Les régions doivent rester prioritaires dans la mise en oeuvre des politiques d'accompagnement aux entreprises, que ce soit par le biais de l'ingénierie financière, de subventions ou d'avances remboursables. Les appels à projets nationaux ne pourront porter que sur certains sujets et il faudra prévoir une cellule réunissant l'État et la région dans le cas où une entreprise serait en grande difficulté. En effet, les questions de fiscalité ne peuvent se traiter qu'à l'échelon de l'État, car les régions ne lèvent pas d'impôts, à l'exception de la taxe sur les cartes grises, qui représente 5 % de leurs recettes, les 95 % restants provenant de dotations de l'État. C'est pourquoi il est regrettable qu'il n'y ait jamais eu de réunion de travail entre le Président de la République et les présidents de région sur les enjeux cruciaux que sont la création d'emploi et la réindustrialisation.
Le contrat de partenariat entre l'État et les régions doit être élaboré avec l'ensemble des acteurs. Il faut qu'il y ait une conférence annuelle et que le rôle de chacun soit clairement défini. La primauté doit être donnée aux régions, l'État n'intervenant que sur certains sujets très spécialisés. Les objectifs de décarbonation et de création d'emplois dans tous les territoires doivent être clairement fixés. Cela nécessite une modification législative sur les compétences économiques des régions par rapport à l'État.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Vous ouvrez le débat en employant des mots extrêmement forts : vous avez dit avoir « contré » l'intervention de l'État dans certains projets et avez parlé d'une « désorganisation » des services de l'État...
Par conséquent, l'alternative est la suivante : soit l'on transfère aux régions la totalité des 2 200 dispositifs existants, ce qui représente au bas mot entre 70 milliards et 100 milliards d'euros, soit l'on remonte les 7 milliards d'euros d'aides que gèrent les régions directement à l'État.
Vous ne pouvez pas vous engager en employant des mots aussi forts que ceux que nous avons entendus, puis choisir de rester dans un entre-deux où les régions continueraient à gérer les aides publiques aux TPE-PME, qui représentent moins de 10 % du montant total versé chaque année, tandis que l'État ferait le reste, sans qu'il y ait de coordination entre les deux, ce qui crée de la confusion et de l'illisibilité.
Mme Carole Delga. - Notre pays est en difficulté et nous voulons qu'il puisse se relever. Il est en difficulté budgétaire et nous devons faire en sorte que chacun puisse avoir accès à un travail source d'une rémunération digne. Un autre défi à relever est celui du réchauffement climatique. Dans ce contexte de graves difficultés, il faut se poser les bonnes questions et avoir le courage de faire de grandes réformes.
Je ne crois pas à la recentralisation. Les aides à l'apprentissage, par exemple, ont été recentralisées depuis bientôt sept ans. Les chiffres sont meilleurs, mais le coût a doublé, passant de 5,5 milliards à 11,2 milliards d'euros. Ces aides ont principalement bénéficié à l'apprentissage et à l'enseignement supérieur.
Je crois à l'échelon local. La décentralisation doit être beaucoup plus aboutie. Les régions doivent pouvoir s'emparer de la question du développement économique et la décentralisation ne doit pas se limiter à un transfert de compétences. C'est à l'échelon local que nous pourrons répondre aux attentes de nos concitoyens en faisant preuve de rapidité et d'adaptabilité.
De plus, nous connaissons nos entreprises à l'échelon local. En Occitanie, j'ai pu créer un lien entre les jeunes en recherche de stage et les entreprises susceptibles de les accueillir, grâce au fichier dont je dispose sur les 90 000 entreprises aidées par la région.
Je pourrais multiplier les exemples pour montrer l'importance de l'échelon local. Ainsi, sur la question de la décarbonation de l'aviation, il est nécessaire de pouvoir décliner les objectifs européens et nationaux à l'échelle régionale, car le système aéronautique est différent d'une région à l'autre.
Je défends donc une réforme massive de décentralisation et de transfert des aides économiques aux régions françaises.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Les aides régionales vont surtout aux PME-TPE et les grandes entreprises en reçoivent moins de 1 %. Toutefois, en Occitanie, de nombreuses TPE et PME travaillent pour les grands donneurs d'ordre de l'aéronautique, notamment Airbus et Safran. De quelle nature est le dialogue que vous entretenez avec ces grandes entreprises ? En effet, vous avez dit que la région pouvait demander le remboursement des aides publiques, par exemple quand l'entreprise n'assurait pas le niveau d'emploi sur lequel elle s'était engagée. Mais en réalité, ce sont souvent les grands donneurs d'ordre qui donnent le « la » en matière d'emploi sans laisser le choix à leurs sous-traitants, en l'occurrence les PME-TPE du secteur aéronautique. Par exemple, lorsque l'entreprise Airbus a supprimé 5 000 postes en 2020, en pleine crise Covid, cela a eu des conséquences en cascade sur les sous-traitants, qui ont dû réduire leurs effectifs.
Par conséquent, avez-vous des discussions régulières avec les grands donneurs d'ordre dans l'aéronautique ? Sur les 90 000 projets que la région a soutenus depuis 2016, quelle est la part qu'ont prise les TPE et PME de ce secteur ?
Enfin, j'ai été surpris par les conditions assez fortes que vous posez pour l'attribution des aides, comme l'obligation de réaliser la R&D dans les sites aidés, le non-versement de dividendes sur certaines aides ou le maintien de l'emploi pendant cinq ans. Combien d'agents a-t-il fallu mobiliser pour contrôler les 90 000 projets ?
Depuis le début de notre commission d'enquête, nous nous posons la question du contrôle de l'argent versé. À l'échelle de l'État, les administrations centrales semblent parvenir à l'exercer, notamment grâce à l'administration fiscale. Mais l'évaluation des projets reste insuffisante en raison de critères trop imprécis et surtout du manque de fonctionnaires disponibles pour effectuer les contrôles. Je me demande donc comment votre région avait fait pour contrôler et évaluer 90 000 projets depuis 2016, soit environ 10 000 projets par an, et combien d'agents étaient mobilisés pour cela.
Mme Carole Delga. - En Occitanie, nous avons la chance d'entretenir un dialogue de confiance avec les grandes entreprises de la région, notamment Airbus, qui est un donneur d'ordre essentiel. Je m'entretiens très régulièrement avec Guillaume Faury, le directeur général d'Airbus, et mes équipes travaillent en étroite collaboration avec les siennes. C'est également le cas avec le groupe Pierre Fabre. Mes équipes s'attachent à promouvoir la présence des entreprises sur l'ensemble du territoire.
Pour l'aéronautique, nous avons avec Airbus le même objectif de garantir une production d'avions de qualité, dans des délais courts. C'est pourquoi la région soutient les PME et les TPE, qui sont les sous-traitants de la supply chain, par des aides à l'investissement et à la formation.
Airbus est toujours présent pour structurer et pérenniser la supply chain. Lorsqu'une entreprise de sous-traitance aéronautique est en difficulté, Airbus se montre toujours un partenaire solidaire, que ce soit par le biais des commandes ou au moyen d'avances ou d'une recapitalisation. Le groupe a par exemple joué un rôle majeur dans le rachat de l'entreprise Aubert et Duval, tout comme Safran.
Pour ce qui est du pourcentage des aides de la région versées aux PME-TPE du secteur de l'aéronautique, je propose que mon directeur vous transmette l'information par écrit sous quarante-huit heures.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Je reviens sur la relation de la région Occitanie avec Airbus. Vous êtes très volontariste sur la question de l'emploi. Vous avez mentionné les conditions très fortes qui ont été fixées en matière de maintien de l'emploi pour l'attribution des aides publiques.
Que se passe-t-il lorsqu'un groupe comme Airbus prend la décision de supprimer 5 000 postes, comme en 2020 ? On dit souvent qu'un emploi direct équivaut à trois ou quatre emplois induits. Mais on oublie de dire que, lorsqu'il est détruit, ce sont aussi trois à quatre emplois induits qui disparaissent. Une cascade de sous-traitants a dû se retrouver en grande difficulté, notamment en Occitanie. Je l'ai constaté à l'époque : ACH Aéronefs a dû supprimer 900 postes, Derichebourg en a supprimé 700, sans parler de Cauquil, GE Aviation ou Figeac Aero.
Par conséquent, quel type de dialogue entretenez-vous avec les donneurs d'ordre et comment défendez-vous auprès d'eux les conditions très fortes en matière de maintien de l'emploi que vous fixez aux TPE-PME dans le cadre de l'attribution des aides publiques ? Quand vous décidez de supprimer une aide publique à un sous-traitant qui n'aurait pas respecté son engagement en matière de maintien de l'emploi, bien souvent c'est à cause du donneur d'ordre qu'il a dû supprimer des emplois, car sans carnet de commandes il ne pouvait pas faire autrement. Quel atout avez-vous, y compris par la loi, pour faire valoir vos exigences aux donneurs d'ordre, notamment au sujet des conditions que vous fixez à leurs sous-traitants en matière de maintien de l'emploi ?
Mme Carole Delga. - Monsieur le rapporteur, je vous rappelle qu'Airbus crée énormément d'emplois, notamment en Occitanie, puisqu'il s'agit de la région qui bénéficie le plus de la présence d'entreprises dans le secteur de la production aéronautique. Airbus garantit la création d'emplois rémunérés à un niveau de salaire très élevé.
La question des restructurations qui sont intervenues à la suite de la crise Covid a été traitée de manière à en limiter au maximum les conséquences. Il était nécessaire de préserver la supply chain pour assurer la reprise de la production aéronautique, qui a d'ailleurs été plus rapide que prévu. Mais pendant plusieurs mois, la production d'avions a été arrêtée et Airbus a dû prendre la décision de supprimer des emplois. Toutefois, le groupe en a créé plusieurs milliers depuis 2020 et les sous-traitants ont également bénéficié de cette reprise d'activité à un niveau élevé.
De plus, quand certaines entreprises essentielles à la souveraineté de notre pays se sont retrouvées en difficulté, comme l'entreprise Aubert et Duval, basée en Occitanie et dans la région voisine Auvergne-Rhône-Alpes, nous avons réussi à mettre en place avec Airbus un montage financier qui a permis de sauver cette entreprise, qu'il s'agisse de ses emplois ou de sa production industrielle, indispensable pour la souveraineté de l'aéronautique.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Airbus crée de l'emploi, certes, mais son carnet de commandes, qui s'étend sur sept ans, a été modifié par la crise Covid. D'ailleurs, un nouveau plan de licenciement de 540 emplois a été prévu en 2024, alors que c'était une période de pleine activité.
Notre commission s'intéresse à l'utilisation de l'argent public par les grandes entreprises et à ses conséquences sur la sous-traitance, notamment dans les filières automobile et aéronautique, où les donneurs d'ordre travaillent avec des sous-traitants quasi exclusifs. Lorsque la région soutient les TPE et PME, elle exige des conditions très fortes pour attribuer ses aides, qui peuvent être difficiles à respecter pour certaines entreprises - même s'il ne s'agit pas de les exonérer de toute responsabilité -, notamment dans l'aéronautique, secteur où c'est le donneur d'ordre qui décide de remplir ou non le carnet de commandes. Les suppressions de postes en 2020 et en 2024 en Occitanie, notamment à Toulouse, ont eu des conséquences importantes pour les TPE-PME.
Ma dernière question concerne le nombre de personnes que la région mobilise pour exercer le contrôle et le suivi des aides, car l'État a des difficultés à y parvenir. Quel pourcentage de dossiers contrôlez-vous ?
Mme Carole Delga. - Je me permets de rappeler que la filière aéronautique crée massivement de l'emploi, avec des niveaux de salaire et des conditions sociales très favorables. En Occitanie, l'aéronautique...
M. Olivier Rietmann, président. - Madame la présidente, je voudrais que nous progressions et que vous répondiez aux autres questions du rapporteur, notamment celle sur le contrôle.
Mme Carole Delga. - Je vais y répondre, mais mon combat est celui de l'emploi et je tiens à dire combien la filière aéronautique est importante de ce point de vue.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Personne n'a dit le contraire, madame la présidente. Nous soutenons tous l'emploi.
Mme Carole Delga. - Je ne suis pas informée des licenciements qui auraient eu lieu chez Airbus. Il faut différencier Airbus Defence and Space et Airbus dans ses activités aéronautiques.
Les versements d'argent public de la région sont bien évidemment contrôlés, qu'il s'agisse des aides aux communes, des aides aux associations ou des aides aux entreprises. Une vingtaine de collaborateurs sont affectés à la liquidation des aides. Certaines petites entreprises ou communes se plaignent parfois du nombre de documents que nous leur demandons pour effectuer ces contrôles.
Pour les aides aux entreprises, une vingtaine de fonctionnaires de la région sont affectés au contrôle du versement des subventions, en particulier sur le solde, pour vérifier que toutes les conditions fixées dans l'arrêté attributif de subvention sont remplies. Si une condition n'est pas remplie, nous ne versons pas le solde ou nous pouvons même émettre un titre de recette si la somme versée a été supérieure à ce qu'elle aurait dû être. Comme je vous l'ai indiqué, des titres de recette ont été émis pour annuler certains versements de subventions et ont bien été exécutés.
À l'échelle européenne, le programme opérationnel Feder 2021-2027 a alloué 14,7 millions d'euros d'aides directes aux TPE et PME, principalement pour l'innovation. Dans ce cadre, le Fonds Occitanie de soutien territorial aux entreprises régionales (Foster), qui offre une garantie bancaire aux entreprises, a bénéficié de 52,5 millions d'euros, permettant un effet levier de 700 millions d'euros de prêts au TPE-PME.
M. Michel Masset. - Je suis élu du Lot-et-Garonne, un département proche de votre région. Je ne reviendrai pas sur le suivi du contrôle des aides, car j'ai compris qu'il concernait peu d'entreprises, d'après votre réponse.
Mme Carole Delga. - Toutes les aides aux entreprises sont contrôlées, comme toutes les subventions versées par la région.
M. Michel Masset. - Vous avez parlé d'ingénierie financière dans le cadre de ces aides. De quoi s'agit-il exactement ? Est-ce un dispositif qui existe dans les intercommunalités ou est-il propre à la région ?
Avez-vous de nouveaux prospects tous les ans pour les demandes d'aides ou s'agit-il souvent des mêmes entreprises ?
Enfin, vous avez évoqué la décentralisation, mais sans mentionner le département, qui reste un acteur économique important, notamment dans le secteur de l'agroalimentaire, même s'il a perdu la clause de compétence générale par la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite NOTRe.
M. Daniel Fargeot. - La question essentielle est de savoir comment définir entre l'État et les régions la réorganisation des aides économiques, afin de ne pas les démultiplier et de ne pas risquer d'alourdir la dépense publique de façon directe ou indirecte.
La région Occitanie s'est dotée d'un programme ambitieux pour soutenir le développement économique sur son territoire en rassemblant les quatre schémas obligatoires : développement économique, enseignement supérieur et recherche, formation professionnelle, tourisme et loisirs. Le budget de cette stratégie 360 est de 4 milliards d'euros, dont 2 milliards pour le SRDEII. Selon vous, y a-t-il un champ qui ne serait pas couvert par cette stratégie ?
De plus, vous avez précisé qu'il y avait un volet de contrôle de l'utilisation des aides publiques. Dans ce cadre, avez-vous connaissance des aides versées par l'État aux entreprises que vous soutenez au sein de la région Occitanie ? Avez-vous également pu évaluer la pertinence de ces aides à partir du cas de certaines entreprises qui en auraient bénéficié dans la durée ? Avez-vous mesuré l'efficience de ces aides pour la région Occitanie ?
M. Olivier Rietmann, président. - Vous avez parlé de l'apprentissage, en disant que l'État avait repris la compétence de l'accompagnement de l'apprentissage, ce qui avait doublé le coût. Mais cela a aussi doublé le nombre d'apprentis en France, dynamisant ainsi la prise en compte de l'apprentissage par les entreprises. Aujourd'hui, l'État peut se permettre de retirer une partie des accompagnements, car les entreprises nous disent que cela ne les empêchera pas de continuer l'apprentissage. Nous sommes passés de 400 000 apprentis à quasiment un million d'apprentis. Il fallait le préciser.
Enfin, je vous livre une réflexion personnelle qui pourrait faire l'objet d'un examen approfondi. Vous avez insisté sur l'importance de l'échelon local qui caractérise l'intervention des régions. Toutefois, depuis la création des grandes régions, peut-on encore parler d'une collectivité locale ?
Mme Carole Delga. - Encore une fois, toutes les subventions et aides versées par la région aux entreprises sont contrôlées. Dans chaque direction, un service composé d'une vingtaine de personnes vérifie que les objectifs de l'aide publique régionale sont atteints, et cela pour tous les bénéficiaires, entreprises, communes et associations. C'est un principe de l'action publique régionale : l'argent public versé par la région est contrôlé et l'on vérifie que les objectifs fixés dans l'arrêté attributif de subvention ont bien été atteints. Un principe de conditionnalité figure dans le règlement d'intervention auprès des entreprises et l'argent public n'est versé par la région que si les conditions fixées sont respectées.
Lorsqu'une entreprise fait une demande de subvention, nous nous réunissons avec l'ensemble des financeurs potentiels, y compris l'intercommunalité et les services de l'État, pour une analyse partenariale. Cela nous permet d'avoir une bonne évaluation de la configuration de l'aide régionale et d'éviter les redondances.
Les départements n'ont plus la possibilité de donner des aides aux entreprises, sauf dans le domaine agricole, via des conventions avec la région, mais pas dans le secteur agroalimentaire. En Occitanie, la région aide les entreprises, qu'il s'agisse d'un boulanger qui s'installe et dont il faut subventionner le four ou d'une grande entreprise qui innove dans le secteur des énergies renouvelables.
S'agissant de la prospection, il est essentiel que toutes les entreprises connaissent les aides dont elles peuvent bénéficier. En Occitanie, nous avons une implantation locale dans les 13 départements, grâce aux 17 maisons de la région qui correspondent à des implantations de bassin d'emploi. Nous travaillons en partenariat avec les services de la sous-préfecture des intercommunalités concernées, ainsi qu'avec les chambres consulaires et les fédérations professionnelles. Nous avons des conventions avec les chambres de métiers et de l'artisanat, les chambres d'agriculture et les chambres de commerce et d'industrie, pour répartir les missions et aller vers les entreprises. Grâce aux maisons de la région, les services économiques sont implantés dans les 17 bassins d'emploi de la région Occitanie. Tout cela permet aux PME-TPE d'avoir une information précise sur les dispositifs qui existent, même si elles ne disposent pas forcément d'un service spécifique pour cela.
J'ai mentionné l'ingénierie financière comme un outil possible, par exemple au travers d'un fonds souverain ou d'un tiers-financement pour la transition écologique et énergétique.
Nous avons développé un partenariat fort avec les entreprises. Le principe de conditionnalité le rend exigeant, mais cela se passe très bien. Nous menons une évaluation sur plusieurs années. L'Agence régionale de développement économique d'Occitanie (Ad'Occ) compte 120 salariés ; ils sont répartis territorialement pour assurer ce suivi auprès des entreprises qui nous permet de juger de la pertinence et de l'efficience de nos dispositifs. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, quand j'ai été élue présidente de région, j'ai souhaité mettre en place, à travers ce dialogue constant, des outils d'ingénierie financière pour le haut de bilan, pour parler très clairement.
M. Olivier Rietmann, président. - Vous parlez d'ingénierie. Les chambres de commerce, qui sont chargées d'accompagner les entreprises dans leur développement, et les fédérations ne remplissent-elles pas déjà cette mission ? Voulez-vous dire qu'elles ne feraient pas leur travail ?
Mme Carole Delga. - Non, monsieur le président : qu'il n'y ait pas de confusion dans mes propos ! La région dispose d'outils financiers pour mettre en oeuvre l'ingénierie financière des entreprises. Le fonds souverain et le dispositif de tiers-financement avec Fiteeo sont des outils régionaux. L'ingénierie dont vous parlez, c'est-à-dire le conseil, est assurée dans le cadre des conventionnements avec les chambres consulaires. Nous avons en effet un conventionnement qui passe par le conseil et l'accompagnement des entreprises, que les chambres consulaires réalisent. Nous avons également une plateforme commune, mutualisée entre les intercommunalités, les services de l'État, les chambres consulaires et la région, qui permet de recueillir des renseignements sur l'entreprise qui demande une aide, offrant ainsi une vision transversale.
L'accompagnement des entreprises se fait donc en Occitanie de façon coordonnée. Nous avons mis en place une sorte de pack qui est composé des chambres consulaires, des fédérations professionnelles, des intercommunalités, de l'État et de la région.
M. Olivier Rietmann, président. -Nous vous remercions, Madame la présidente. Si vous avez des documents ou des informations complémentaires, vous pourrez nous les transmettre par écrit.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 30.
Audition d'Airbus - M. Guillaume Faury, directeur général d'Airbus, M. Didier Loiselet, directeur comptable et consolidation et M. Fabien Menant, directeur des affaires publiques
- Présidence de M. Olivier Rietmann, président -
La réunion est ouverte à 10 h 30.
M. Olivier Rietmann, président. - Nous poursuivons les travaux de la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants avec l'audition de M. Guillaume Faury, directeur général d'Airbus, de M. Didier Loiselet, directeur comptable et consolidation, et de M. Fabien Menant, directeur des affaires publiques.
L'audition de ce jour est enregistrée et diffusée en direct. Elle fera l'objet d'un compte rendu sur le site du Sénat.
Messieurs, avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête, outre bien évidemment vos fonctions chez Airbus.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Guillaume Faury, M. Didier Loiselet et M. Fabien Menant prêtent serment.
M. Olivier Rietmann, président. - Notre commission d'enquête, dont les membres ont été nommés le 15 janvier, vise trois objectifs principaux : établir le coût des aides publiques octroyées aux grandes entreprises, entendues comme celles employant plus de 1 000 salariés et réalisant un chiffre d'affaires net mondial d'au moins 450 millions d'euros par an, ainsi que le coût des aides versées à leurs sous-traitants ; déterminer si ces aides sont correctement contrôlées et évaluées, car nous devons veiller à la bonne utilisation des deniers publics ; réfléchir aux contreparties qui pourraient être imposées en termes de maintien de l'emploi au sens large lorsque des aides publiques sont versées à de grandes entreprises qui procèdent ensuite à des fermetures de site, prononcent des licenciements, voire délocalisent leurs activités.
Après une présentation succincte de l'activité de votre groupe, nous aimerions connaître votre regard sur les aides publiques aux entreprises.
Quelques questions pour guider vos propos : quelles sont les principales différences entre les aides versées en France et celles octroyées dans les pays où votre groupe est présent ? Quel est le montant global des aides publiques reçues par votre groupe en 2023 en France, et plus particulièrement le montant des subventions ? Quel est le panorama de vos sous-traitants et des aides qu'ils perçoivent ? Avez-vous le sentiment que les aides publiques aux entreprises sont suffisamment suivies et évaluées en France ? Quelles sont, selon vous, les aides dont l'efficacité est avérée et celles dont l'efficacité est douteuse ? Quelles seraient vos propositions pour renforcer l'efficience des aides publiques octroyées aux entreprises ? Seriez-vous favorable à l'introduction de conditions ou de critères qui permettent d'évaluer l'efficacité des aides ? Quelles devraient être les limites à la conditionnalité de ces aides ?
M. Guillaume Faury, directeur général d'Airbus. - Je serai succinct sur la présentation de l'entreprise, qui est connue. Airbus est un groupe essentiellement européen, par ses racines, et mondial, par ses clients et ses implantations. Nous intervenons principalement dans trois types d'activités : l'aviation commerciale avec les avions Airbus ; la défense et l'espace ; et les hélicoptères. Nous avons des sous-activités assez nombreuses, en particulier dans la défense et l'espace, avec des produits et services à un haut niveau de granularité.
Les chiffres que je vous communiquerai datent de 2023 et de 2024.
L'aviation commerciale, en 2024, a représenté 50 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Nous sommes le leader mondial de l'aviation commerciale depuis 2019, tant par les prises de commandes que par les livraisons. L'activité défense et espace a représenté 12 milliards d'euros de chiffre d'affaires et les hélicoptères 8 milliards d'euros. Le chiffre d'affaires total s'est donc élevé à 69 milliards d'euros en 2023. Nous sommes quasiment revenus au niveau d'avant le covid. On ne peut pas parler d'aides publiques sans évoquer le covid, qui a été une crise existentielle que nous avons réussi à gérer relativement bien tous ensemble.
Notre activité est en croissance dans la plupart de nos métiers, mais pas tous, car nous avons de grands concurrents mondiaux et européens. Nous subissons des assauts concurrentiels forts d'acteurs situés outre-Atlantique, mais aussi en Asie.
La principale priorité d'Airbus est d'arriver à gérer la montée en cadence, ou ramp up en anglais, puisque nous avons le privilège d'avoir un très gros carnet de commandes, qui correspond au succès de nos produits et services. Pour pouvoir livrer, nous devons prendre beaucoup de mesures, pour nous comme pour nos partenaires. En effet, nous ne pouvons monter en cadence seuls. Nous nous appuyons sur un très gros réseau de 3 500 fournisseurs en France. Cela signifie beaucoup d'embauches, d'investissements et d'activités économiques, mais aussi beaucoup de difficultés, dans un environnement rendu particulièrement complexe ces dernières semaines par les décisions des États-Unis en matière de barrières douanières.
La deuxième priorité est la décarbonation de l'aviation. C'est la quatrième révolution de l'aviation : la première était de faire voler des avions ; la deuxième, de le faire de façon sûre ; la troisième, de façon économiquement accessible au plus grand nombre. Nous devons rendre l'aviation soutenable en la décarbonant. Cette transition offre beaucoup d'opportunités, mais fait naître beaucoup de risques. En tant que leader mondial, nous devons être aussi performants, voire plus, sur la prochaine génération d'avions que sur celle que nous commercialisons actuellement. Nous rejouons notre titre. C'est important pour Airbus, ses partenaires et ses fournisseurs, mais aussi pour la France, compte tenu de notre implantation et de notre importance économique et sociale dans le pays.
La troisième priorité est liée à la complexité de la situation dans le domaine de la défense et de l'espace. En Europe, nous sommes très petits et fragmentés, dans des métiers où les investissements sont très importants pour des séries relativement petites, alors que nos concurrents aux États-Unis et en Chine bénéficient de bien meilleurs effets d'échelle. Nous ne pouvons pas régler ce problème seuls.
Notre activité repose sur une implantation mondiale, très largement européenne. Airbus, dans son périmètre consolidé, compte 156 000 salariés dans le monde, dont un tiers en France, un tiers en Allemagne et un tiers dans d'autres pays. Nous avons 12 000 à 15 000 salariés en Grande-Bretagne et en Espagne et une présence significative au Portugal, en Pologne, en Hongrie et en Roumanie. Nous sommes de plus en plus implantés aux États-Unis, en Chine et en Inde.
Nous sommes très français par notre implantation et le nombre d'employés, mais aussi par la force du tissu industriel autour de nous.
Nous avons la chance, en France, de disposer d'une filière aérospatiale et de défense très unie, solidaire et active, donc très efficace. La France bénéficie d'un tissu très riche dans le domaine de l'aviation, de l'espace et de la défense, présent sur tous les segments, avec une représentation de l'ensemble des métiers. L'animation de la chaîne de fournisseurs et de la filière est très importante, pour nous évidemment, mais plus encore pour le pays.
Nous payons chaque année 2,4 milliards d'euros de contributions, sous forme d'impôts, de taxes et de prélèvements. Nous avons reçu, en 2023, 159 millions d'euros de subventions et 108 millions d'euros de crédits d'impôts, dont 98 millions d'euros de crédit d'impôt recherche (CIR).
Il est important de se figurer ces grandes masses, car nous recevons des subventions et des aides, mais elles s'inscrivent dans un ensemble. Airbus contribue dix fois plus au pays que ce qu'il reçoit.
Sur les près de 70 milliards d'euros de chiffre d'affaires du groupe Airbus, 28 milliards d'euros sont issus des ventes à des clients européens, soit environ 40 %. Près de 5 milliards d'euros sont issus de clients français, soit 7 %. Le reste est réalisé à l'international. Nous sommes très largement exportateurs dans le reste du monde.
Nous avons environ 56 000 employés en France. La création de valeur est d'environ 8 milliards d'euros et nos achats réalisés auprès de fournisseurs français oscillent entre 14 et 19 milliards d'euros, selon que l'on compte en fonction de l'origine de production ou de l'origine de contractualisation. C'est considérable.
Nous versons chaque année 2,6 milliards d'euros de salaire en France, auxquels s'ajoutent 730 millions d'euros de charges salariales et 1,8 milliard d'euros de charges patronales. Nous payons également 163 millions d'euros d'impôts de production et 430 millions d'euros d'impôt sur les sociétés (IS) - voilà comment sont constitués les 2,4 milliards d'euros que j'évoquais tout à l'heure.
Sur les 159 millions d'euros de subventions, 150 millions d'euros proviennent du Conseil pour la recherche aéronautique civile (Corac).
Je répondrai aux questions que vous nous posez en évoquant principalement le Corac et le CIR : répondent-ils aux objectifs ? Sont-ils contrôlés ? Sont-ce de bonnes subventions et de bons crédits d'impôt ? À quelles conditions est-il approprié de les donner ou de ne pas les donner ? Sont-ils bien gérés ? Doivent-ils être conditionnés à d'autres paramètres comme celui de licencier ou de ne pas licencier, ou de verser des dividendes ou de ne pas en verser ?
Nous sommes présents dans 10 des 13 régions françaises métropolitaines. Nos achats sont réalisés auprès de 3 500 fournisseurs, dont 1 000 entreprises de taille intermédiaire (ETI) et 2 500 petites et moyennes entreprises (PME), qui représentent près de 30 % du montant total mondial de nos achats. Nous sommes le premier employeur en Occitanie avec 33 000 collaborateurs et en région Sud-Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca) avec 9 500 collaborateurs. Notre site industriel de Toulouse est le premier site industriel français et celui de Marignane le troisième. Nous avons 6 000 salariés en Pays de la Loire, 2 800 en Île-de-France et 1 800 en Nouvelle-Aquitaine.
Les dernières années ont été marquées par une tendance de fond d'augmentation du nombre de salariés et une situation très difficile pendant le Covid, qui nous a amenés à baisser temporairement nos effectifs. Depuis le point bas de 2021, nous avons créé 10 000 emplois en France sur l'ensemble de nos activités.
Toutes ces données ne prennent pas en compte nos participations dans des filiales aux côtés d'autres acteurs industriels. Ainsi nous sommes actionnaires à 50 % d'Ariane, à 37,5 % de MBDA, leader mondial des missiles, avec Leonardo et BAE Systems, à 50 % d'ATR, leader mondial des avions de transport régionaux, avec Leonardo, et avons des participations ailleurs, comme chez Aubert & Duval, au capital duquel nous sommes entrés avec Safran et Tikehau pour sauvegarder et développer une filière de métaux spéciaux. Nous participons également aux fonds Ace Aéro Partenaires AAP 1 et AAP 2, à hauteur d'un peu plus de 200 millions d'euros, le premier ayant été constitué pendant le covid pour soutenir la chaîne de fournisseurs. Nous sommes de très loin le premier investisseur industriel dans ces fonds, à côté de Tikehau et d'acteurs bancaires. Notre influence dépasse donc largement notre périmètre consolidé.
La filière aéronautique et spatiale est la première contributrice à la balance commerciale française, avec un surplus de 30 milliards d'euros, ce qui est une très grosse contribution à la prospérité du pays. Pour quelles raisons ? D'abord par la qualité et la performance de nos produits, qu'il faut absolument préserver, voire continuer à développer, si l'on veut protéger la filière. Celle-ci est rassemblée au sein du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas), dont je suis le président depuis près de quatre ans, qui regroupe 500 entreprises du secteur, soit un peu plus de 200 000 salariés.
Nous nous organisons pour être au rendez-vous. En effet, nous avons de longues périodes sans programmes, puis, tout d'un coup, des programmes qui doivent franchir des marches technologiques très hautes. Le Corac joue un rôle très important en réunissant des acteurs publics et privés pour définir les technologies à développer pour que la filière puisse être au rendez-vous des grands appels d'offres. Cette façon de travailler a été historiquement très performante. C'est pourquoi les PME du Gifas sont très attachées au Corac.
Le Corac, dont les financements sont orchestrés par la direction générale de l'aviation civile (DGAC), qui dispose d'un très haut niveau d'expertise, permet de flécher les dépenses sur les bonnes technologies pour être au rendez-vous des prochains programmes - en l'occurrence, pour nous, le remplacement de l'A320.
Le Corac est essentiel à la feuille de route de l'avion décarboné. La feuille de route actuelle, mise en place en 2020, prévoyait un investissement de 10 milliards d'euros sur les technologies sur dix ans, avec un équilibre privé-public à 50-50. Elle a été fortement revue à la baisse en 2023 sur l'initiative de l'État. Les financements sont passés de 450 millions d'euros par an à 300 millions d'euros par an. Il est très important pour nous d'avoir de la visibilité. Nous avons considéré que ces 300 millions d'euros étaient le minimum pour conserver un intérêt à jouer collectif. En deçà, ce sont les stratégies individuelles qui sont plus performantes, et l'on perd cet effet de préparation de l'ensemble de la filière.
L'Allemagne, la Grande-Bretagne ou l'Espagne ont des modèles qui se rapprochent du nôtre, mais le Corac reste le plus gros financeur. Il a démontré par le passé qu'il pouvait atteindre le plus haut niveau de convergence et de partenariat de l'ensemble des acteurs de la filière. Le Corac est très bien animé, avec un expert aux manettes : la DGAC, qui contribue aux arbitrages et aux fléchages pour atteindre un résultat performant.
Le Corac constitue du co-investissement. En effet, la subvention ne peut pas dépasser 50 %. C'est aussi notre intérêt de contribuer, pour que l'argent redescende vers les ETI et PME sur lesquelles nous comptons lors des nouveaux programmes. Nous nous appuyons beaucoup sur le Corac et, en tant que président du Gifas, comme mon prédécesseur, je me bats pour expliquer pourquoi il s'agit d'un très bon outil, gagnant-gagnant pour la France comme pour les entreprises qui y sont implantées.
L'avantage compétitif, en France, n'est pas le coût du travail, mais les technologies. Par conséquent, si l'on veut maintenir nos exportations, il est très important de s'appuyer sur ce co-investissement pour préparer les technologies de demain.
Le CIR est une autre façon de rendre les activités de recherche et de technologie plus compétitives en France. Pour garder une activité industrielle dans notre pays, il est essentiel de s'appuyer sur ces points forts. C'est pourquoi le Corac et le CIR sont tout à fait bienvenus.
Si nous n'étions pas attractifs en matière de technologies et de recherche, la phase de développement et d'industrialisation ne se ferait plus en France. En effet, c'est près de là où l'on a les technologies et le savoir-faire que l'on développe, et près de là où l'on a développé que l'on produit. L'effet démultiplicateur du Corac est absolument considérable à long terme. Le soutien à la recherche et à l'innovation est absolument consubstantiel à la capacité de la France à être exportatrice.
J'en viens à la compatibilité entre payer des dividendes, recevoir des subventions et restructurer. Notre entreprise est multidimensionnelle, avec des dynamiques économiques différentes selon ses secteurs et sous-secteurs d'activité. Nous sommes aussi implantés dans diverses régions. Très souvent, nous avons des activités qui vont bien et d'autres qui vont moins bien. Quand cela va mal, il faut réagir tout de suite, parfois en restructurant, en réduisant le format parce que l'activité baisse ou parce que des concurrents nous prennent des parts de marché.
En ce moment, par exemple, nous sommes en très forte croissance sur l'aviation commerciale et les hélicoptères, mais nous sommes en très grande difficulté sur le spatial. Nous évitons les licenciements secs, et ce depuis très longtemps, mais nous ne sommes pas sûrs de toujours le pouvoir.
Pour un grand groupe comme le nôtre, il est normal d'être à la fois en défense et en attaque, en croissance et en restructuration. Il ne faudrait pas que, parce que nous avons des difficultés à certains endroits, on arrête de nous aider ailleurs, où cela a vraiment du sens.
Pour répondre à votre question, oui, nous sommes régulièrement en situation de restructurer tout en recevant des subventions.
J'en viens aux dividendes. Dans notre activité, comme dans beaucoup d'autres probablement, on a besoin d'un très grand capital humain, mais aussi d'un important capital financier. Nos métiers requièrent de très gros investissements. Nous avons besoin d'attirer les travailleurs, mais aussi les investisseurs. Le capitalisme a peut-être des défauts, mais il a pour avantage que, lorsque l'on attire les investissements, on peut innover, être compétitif et donc embaucher, croître et faire appel à des fournisseurs.
Là encore, pour répondre à votre question, nous avons en permanence à la fois des subventions, des dividendes ou d'autres formes de retour aux investisseurs et des restructurations. Nous devons attirer les investisseurs. C'est presque existentiel. Ainsi, nous avons levé en quelques jours, sur les marchés financiers, les 15 milliards d'euros dont nous avons eu besoin pendant le Covid, parce qu'Airbus se comporte bien vis-à-vis des investisseurs et qu'ils ont confiance.
La coexistence de ces situations peut paraître contradictoire si l'on réduit l'entreprise à quelque chose de monocellulaire, mais nous avons des activités de natures très différentes, à des moments de cycle de vie différents, et il faut pouvoir faire ce qui est approprié à chaque moment.
M. Olivier Rietmann, président. - Merci. Vous avez dit être présent aux États-Unis, en Chine et en Inde. Dans chacun de ces pays, y a-t-il à la fois recherche, développement et production ? Comment les subventions y fonctionnent-elles ?
M. Guillaume Faury. - Nous faisons un peu de recherche et développement aux États-Unis et en Chine et, de façon croissante, en Inde. La pure recherche reste tout de même très européenne. Plus de 90 % de la recherche se situe en Europe - France, Allemagne, Grande-Bretagne, Espagne. La part de la France est de 40 %. Nous sommes surtout présents aux États-Unis, en Chine et en Inde pour produire et assembler des appareils.
Prenons l'exemple de l'A320, qui représente 75 % de nos livraisons d'avion. À partir de l'année prochaine, nous nous reposerons sur dix chaînes d'assemblage : deux aux États-Unis, deux en Chine et six en Europe. C'est cohérent avec nos marchés : le marché américain représente 20 % de notre marché d'aviation commerciale, la Chine 20 %, et l'Europe produit pour le reste du monde.
L'activité de production de composants se fait très largement en Europe. La quasi-totalité des ailes sont fabriquées en Grande-Bretagne, les fuselages avant, très largement en France, les fuselages arrière, très largement en Allemagne, les fuselages arrière d'empennage horizontaux et verticaux, en Espagne. Nous avons un peu spécialisé les pays.
En Inde, nous sommes en croissance sur l'informatique et l'ingénierie, donc le développement. Nous sommes moins présents sur la fabrication et l'assemblage, en revanche. Nous nous reposons sur des fabricants locaux qui investissent beaucoup et qui sont de plus en plus compétitifs. Notre croissance s'appuie sur celle des pays dans lesquels nous voulons nous développer, par l'augmentation de notre activité et de nos parts de marché.
M. Olivier Rietmann, président. - En Inde, faites-vous principalement appel à la sous-traitance ?
M. Guillaume Faury. - En Inde, nous avons de l'activité en propre, avec 4 000 à 5 000 employés, principalement en col blanc, dans l'informatique. Nous achetons également à hauteur d'un milliard d'euros à des partenaires - ce que vous appelez de la sous-traitance.
Nos activités sont à chaque fois très fortement aidées. Quand on implante une chaîne d'assemblage ou un site de production, on a un soutien local très fort, bien plus fort que ce qui est possible en Europe en raison de la réglementation.
En France, il est très difficile d'être soutenu pour une implantation industrielle, alors que d'autres pays, comme les États-Unis, la Chine et l'Inde, se rendent très compétitifs.
En outre, le coût du travail y est beaucoup plus faible. En termes d'efficacité économique, il est très difficile d'opérer en Europe de l'Ouest. C'est pourquoi la France ne doit pas perdre son avantage compétitif que sont les compétences sur le produit si elle veut conserver son industrie ou réindustrialiser.
M. Olivier Rietmann, président. - Pouvez-vous nous donner des exemples chiffrés ?
M. Guillaume Faury. - Quels chiffres souhaitez-vous connaître ?
M. Olivier Rietmann, président. - En Inde, en Chine ou aux États-Unis, combien d'aides avez-vous reçues ?
M. Guillaume Faury. - Chaque pays a ses caractéristiques. En Chine, les investissements industriels sont majoritairement financés par les autorités et les partenaires locaux, ce qui les rend beaucoup moins coûteux et beaucoup moins risqués.
M. Olivier Rietmann, président. - Pourquoi vous être implantés en Chine et en Inde ?
M. Guillaume Faury. - Il y a un marché très fort sur place, et l'implantation locale nous aide auprès des partenaires et des clients, dans une proximité technique et business. Nous sommes plus efficaces en étant sur place avec de l'assemblage.
Nous avons une très grosse part de marché aux États-Unis sur les avions monocouloirs. Nous avons une chaîne d'assemblage de ces avions, et bientôt deux. Nous n'avons en revanche pas de chaîne d'assemblage d'avions long-courrier, pour lesquels notre part de marché est bien plus faible.
Les acteurs privés ne sont pas directement intéressés par le lieu de production de l'avion, mais en pratique, cela crée une intimité avec les clients et partenaires qui fonctionne bien. Comme ce sont de gros marchés, nous nous y sommes implantés et, globalement, cela a permis à Airbus de passer de 15 % de parts de marché il y a trente ans à plus de 50 % désormais.
L'aviation est en train de se développer très vite en Inde. On compte déjà quatre sites principaux de production d'avions monocouloirs, à Toulouse, à Hambourg, à Mobile aux États-Unis et à Tianjin en Chine. Nous n'avons donc pas voulu en ajouter. Le savoir-faire indien est très développé dans les métiers de l'ingénieur et les technologies de l'information, donc nous nous y développons dans ces domaines, et nous avons des partenaires industriels sur place. Toutefois, notre activité industrielle en Inde est faible par rapport à celle des autres pays où nous sommes présents.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Êtes-vous favorable à la transparence des aides ? Nous sommes plutôt enclins, au sein de cette commission d'enquête, à une transparence qui pèse sur l'administration et non sur les entreprises.
Par ailleurs, je vous remercie des chiffres que vous avez donnés, mais vous n'avez pas parlé des exonérations de cotisations sociales. Vous n'avez pas évoqué le plan France 2030 ni l'aide à la décarbonation de l'aviation, d'un montant total de 430,5 millions d'euros. Airbus en bénéficie-t-il et pour quel montant ? Vous n'avez pas non plus évoqué le fonds européen, par exemple pour le programme EcoPulse avec Daher et Safran. Pouvez-vous l'évoquer ? Ne recevez-vous pas d'aide pour la question énergétique ? Quid des certificats d'économies d'énergie (C2E) ?
Comme vous développez des brevets avec le CIR, avez-vous recours à l'IP Box ? Mme Delga nous a dit tout à l'heure que très peu d'aides publiques des régions allaient aux grands groupes. En recevez-vous ?
M. Guillaume Faury. - Bien sûr, sur le principe, nous sommes favorables à la transparence des aides publiques. La transparence est très élevée pour le Corac et le CIR.
La limite de la transparence, c'est qu'il faut éviter de donner à nos grands concurrents des informations qui pourraient leur être utiles. Il ne faudrait pas que la transparence sur les technologies ou les investissements industriels les conduise à savoir ce qui se passe. La transparence de l'argent versé par l'État me paraît essentielle, mais attention à ne pas être naïf.
M. Olivier Rietmann, président. - Ce n'est pas parce que l'on dit que vous avez reçu 150 millions d'euros d'aides que l'on dit vers quoi elles sont fléchées.
M. Guillaume Faury. - Je dis qu'il faut une transparence appropriée, qui préserve la concurrence.
M. Didier Loiselet, directeur comptable et consolidation d'Airbus. - Nous avons reçu 108 millions d'euros de crédits d'impôt, dont 98 millions d'euros de CIR, 6,2 millions d'euros d'allègements de cotisations patronales sur les bas salaires, ce qui est assez faible compte tenu du nombre d'employés, 2,5 millions d'euros de crédit d'impôt mécénat et 1,5 million d'euros de crédit d'impôt famille.
M. Guillaume Faury. - Oui, nous bénéficions de France 2030, via le Corac. En effet, France 2030 contribue financièrement au Corac. Sa contribution sera même majoritaire pour 2025-2026.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Une part des 150 millions d'euros du Corac provient du fonds d'aide à la décarbonation de France 2030, n'est-ce pas ?
M. Olivier Rietmann, président. - Pour le dire autrement, les 300 millions d'euros d'apport de l'État au Corac sont en partie issus de France 2030.
M. Guillaume Faury. - Les 300 millions d'euros, devenus 285 millions d'euros, sont issus de plusieurs financements de l'État, dont un financement de France 2030 croissant. Heureusement que nous l'avons pour 2025 et 2026, mais cela pose la question de l'avenir du Corac ! Pour nous, ces investissements doivent être pluriannuels. Il est important d'assurer le développement des technologies de bout en bout, donc la stabilité du Corac.
Nous sommes aussi financés par l'Europe, à hauteur d'environ 50 millions d'euros par an. Ces programmes financent de la recherche en France, mais surtout des programmes européens. C'est une autre forme de coordination pour être compétitifs à grande échelle, en Européens. Les bons effets d'échelle se font au niveau des États-Unis, de l'Europe et de la Chine. EcoPulse fait partie des programmes européens.
Je confesse mon ignorance sur les aides énergétiques et l'IP Box.
M. Olivier Rietmann, président. - Quel est l'accompagnement dont vous bénéficiez après l'explosion des coûts de l'énergie ?
M. Guillaume Faury. - Nous sommes un gros consommateur d'énergie dans l'absolu, mais un petit consommateur à notre échelle. Nous ne sommes pas un groupe électro-intensif. L'augmentation du coût de l'énergie a représenté 300 millions d'euros en 2023.
Nous sommes aussi très concernés, car l'ensemble de notre supply chain est concerné, dont certains acteurs électro-intensifs ou énergie-intensifs, qui se sont parfois retrouvés en grande difficulté financière. Nous avons été à leur chevet, en tant que filière ou en tant qu'entreprise.
La hausse des prix de l'énergie n'a pas été un enjeu majeur pour notre périmètre consolidé.
Je ne sais pas ce que les entreprises de notre supply chain ont reçu.
M. Olivier Rietmann, président. - Ce serait bon de le savoir.
M. Guillaume Faury. - Nous vous fournirons l'information.
Je ne peux pas répondre à votre question sur l'IP Box, car je ne sais pas ce que c'est.
M. Fabien Gay, rapporteur. - L'IP Box permet de loger les brevets en France et de réduire la fiscalité. Dans certains cas, on peut doubler, voire tripler le CIR.
M. Olivier Rietmann, président. - Cela vient s'appliquer directement sur l'impôt sur les sociétés.
M. Didier Loiselet. - À ma connaissance, nous n'y avons pas recours. Notre calcul de CIR est fondé sur nos chercheurs. S'y ajoutent des frais de fonctionnement, et l'on retire les subventions reçues par ailleurs. Nous avons moins de 5 % de sous-traitance auprès d'organismes agréés.
M. Guillaume Faury. - Je vais examiner le sujet de l'IP Box avec curiosité, pour savoir si nous passons à côté de quelque chose...
M. Fabien Gay, rapporteur. - Le rapporteur que je suis n'encourage pas forcément le recours à ce schéma d'optimisation fiscale !
M. Olivier Rietmann, président. - Déposez-vous beaucoup de brevets ?
M. Guillaume Faury. - Nous vous répondrons par écrit sur ce point.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Vous nous écrirez. D'autres entreprises ont procédé ainsi. Tout le monde est pour la transparence, sauf sur la fiscalité des brevets.
M. Guillaume Faury. - Ce n'est pas un manque de volonté.
M. Fabien Gay, rapporteur. - J'ai bien compris qu'il n'y avait pas malice. Selon mes informations, vous n'êtes pas dans les dix premiers bénéficiaires de l'IP Box.
M. Fabien Menant, directeur des affaires publiques d'Airbus en France. - Nous faisons bien partie des dix premiers déposants de brevets, avec 300 brevets déposés en 2024.
M. Olivier Rietmann, président. - L'IP Box permet de bénéficier d'un taux préférentiel d'impôt sur les sociétés à 10 % pour les revenus générés par les brevets. L'avantage fiscal peut être important.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Si vous n'en bénéficiez pas alors que vous le pourriez, vous pourrez nous remercier !
M. Guillaume Faury. - Les aides régionales sont très faibles.
M. Didier Loiselet. - Selon mes équipes, nous avons reçu 30 000 euros pour les Pays de la Loire et rien en Occitanie.
M. Olivier Rietmann, président. - Cela s'adresse sans doute plutôt à vos sous-traitants, en effet.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Toutes les aides de France 2030 que vous recevez passent-elles par le Corac ? Il me semble que certaines entreprises en reçoivent à la fois par le Corac et par ailleurs.
M. Guillaume Faury. - En 2023, nous n'en avons pas reçu hors-Corac. En 2024, je ne pense pas non plus. Pour l'avenir, il est prématuré de le dire.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Comment le Corac est-il financé ? Y a-t-il un euro d'argent public pour un euro des industriels ? Quelle a été l'évolution sur les cinq dernières années ?
M. Guillaume Faury. - Il ne peut pas y avoir plus de 50 % de financements publics. Certains projets sont en deçà. Je ne connais pas le taux moyen, mais nous vous répondrons par écrit. J'imagine que nous sommes aux alentours de 35 à 40 % de financement public par rapport au financement privé, pour ce qui concerne Airbus, mais nous allons vérifier.
Les montants sont attribués par projet. On explique à la DGAC pourquoi les projets que nous souhaitons développer sont importants, on explique les technologies et leur lien avec les grands objectifs collectifs de l'aviation décarbonée. L'État a lui-même ses priorités. Nous sommes passés d'un financement assez général sur la compétitivité de l'outil technologique France au financement de la décarbonation. Le Corac est désormais très fortement centré sur cette thématique.
M. Fabien Gay, rapporteur. - La part du public et du privé est-elle décidée projet par projet ?
M. Olivier Rietmann, président. - Y a-t-il une enveloppe globale ?
M. Guillaume Faury. - L'État décide d'une enveloppe, qui était de 300 millions d'euros, devenus 285 millions d'euros deux années de suite. Après nous être mis d'accord sur les priorités, les projets et leur cohérence, nous menons des discussions projet par projet avec la DGAC. Les projets sont validés un par un.
Comment le partage de la subvention est-il fait, projet par projet ? Je ne le sais pas.
M. Olivier Rietmann, président. - Cela peut-il concerner aussi bien de grands donneurs d'ordre que des PME ? Y a-t-il un comité d'attribution au sein de la DGAC ?
M. Guillaume Faury. - C'est piloté par la DGAC. Celui qui dirige cette partie s'appelle Pierre Moschetti. C'est quelqu'un d'extrêmement professionnel, tant sur la gestion des deniers publics que sur les technologies de demain. Les projets sont décidés un par un en fonction de leur pertinence, de leur montage et de leur contribution à la feuille de route globale.
M. Fabien Gay, rapporteur. - M. Loiselet a dit que 95 % du CIR concernait de la recherche en France, avec très peu de sous-traitance.
Monsieur le directeur général, on constate que les critères d'attribution du CIR sont assez larges. Vous avez dit que la recherche et le développement participaient à l'industrialisation en France. Or un certain nombre d'entreprises font la recherche et du développement en France, puis l'industrialisation hors de l'Union européenne. Une des entreprises dont nous avons reçu les représentants en audition a nourri l'un de ses produits à 50 % par du CIR et a décidé d'une industrialisation en Chine ! Êtes-vous favorable, quand on bénéficie d'argent public de façon assez abondante, à l'obligation d'industrialiser le brevet, ou au moins une partie de celui-ci, pendant un certain temps, en France ou au sein de l'Union européenne ?
M. Olivier Rietmann, président. - Dans l'autre sens, des entreprises étrangères viennent installer leur recherche et développement en France pour bénéficier d'ingénieurs très bons et pas chers et du CIR, puis envoient les résultats en production dans leur pays d'origine.
M. Guillaume Faury. - Je ne sais pas de quelle entreprise vous parlez.
M. Olivier Rietmann, président. - Nous vous interrogeons sur le principe. Est-il normal qu'une entreprise française reçoive du CIR en France, puis industrialise à l'étranger, ou que des entreprises étrangères n'installent que leur recherche et développement en France, avant de développer la phase industrielle dans leur pays ?
M. Guillaume Faury. - Je ne sais pas dans quelle mesure des entreprises se retrouvent dans cette situation.
Notre activité de recherche et développement se fait essentiellement en Europe. Ensuite, en cours de développement, nous choisissons les sites industriels en fonction d'un grand nombre de paramètres. Il faut pouvoir rester libre de choisir le site au mieux selon l'intérêt de l'entreprise.
Si le CIR n'est accordé que si l'industrialisation se fait à 100 % en France, le dispositif sera peu attractif. On se demandera si l'on a bien raison d'établir l'activité de recherche en France.
M. Olivier Rietmann, président. - Même si c'est une partie ?
M. Guillaume Faury. - C'est une question d'appréciation des perspectives de l'activité de recherche et développement en matière d'industrialisation en France.
Le problème de l'industrialisation en France est lié aux barrières réglementaires et au coût du travail. La France a un très gros désavantage compétitif en matière d'industrialisation, surtout quand le coût du travail est un paramètre majeur. Il y a généralement intérêt à encourager l'innovation et la recherche, car c'est l'un de nos facteurs de compétitivité à préserver. Cela génère de façon statistique une très forte activité de développement, puis d'industrialisation. Si la conditionnalité est trop élevée, on risque d'obtenir l'effet inverse de celui qui est recherché.
En Europe, nous faisons de la technologie et du développement, ainsi qu'une grosse partie de l'industrialisation. Le fait qu'il y a de l'industrialisation dans d'autres parties du monde nous ouvre des marchés. Il faut trouver des équilibres.
La France a intérêt à rester attractive sur le développement des technologies et la recherche. Dans le secteur de l'aviation, du spatial et de la défense, le résultat est très positif.
M. Olivier Rietmann, président. - Ce n'est pas mon cas, car je sais prendre de la hauteur, mais on pourrait être choqué par ce que vous venez de dire.
M. Guillaume Faury. - Pourquoi ?
M. Olivier Rietmann, président. - Vous dites qu'il faut que l'État verse beaucoup d'argent pour développer la R&D, pour donner de l'emploi à ces chercheurs, mais que l'industrialisation doit pouvoir se faire ailleurs. En faisant cela, vous créez des millions de chômeurs. Celui qui n'a pas de haut niveau de diplôme doit pouvoir être embauché. On doit aussi développer la production en France. On ne peut pas se contenter de dire que, le coût du travail étant élevé en France, tenons-nous-en à la R&D et allons développer l'industrie ailleurs !
M. Guillaume Faury. - Ce n'est pas ce que je vous ai dit.
M. Olivier Rietmann, président. - C'est ce qui pourrait être compris.
M. Guillaume Faury. - Avoir une activité de recherche et d'innovation technologique compétitive en France y entraîne des développements, puis, compte tenu du grand besoin de proximité, dans nos métiers, entre les ingénieurs de développement et les techniciens de production, y entraîne assez naturellement une activité de production forte. En outre, Airbus a un très gros ancrage français, allemand, et plus généralement européen, donc la question ne se pose pas. J'essaie de répondre sur le cas général.
Si vous créez une conditionnalité trop forte, vous risquez d'entraîner une déconnexion avec l'activité d'innovation et de recherche. Le remède serait pire que le mal. Il faut trouver un bon équilibre. Conditionner très directement l'aide à la recherche à une obligation d'industrialiser en France poserait problème à beaucoup d'acteurs multinationaux.
Chez Airbus, on fait essentiellement du développement dans le pays dans lequel on a créé la technologie, mais ensuite, tous les pays sont impliqués dans l'industrialisation. Nous avons besoin de répartir de nouveau la production et de jouer au moins en Européens. Il faut être capable de voir l'Europe comme un terrain de jeu, d'innovation, de développement et de production.
M. Fabien Gay, rapporteur. - On dit toujours qu'en France les conditionnalités sont extrêmement fortes. Mais ce n'est pas le cas du CIR, en réalité. On donne de l'argent public et la recherche ne doit pas obligatoirement être faite en France, ni même en interne ; cela peut être ailleurs dans l'Union européenne et externalisé. Certains groupes que nous avons reçus en audition sous-traitent ainsi entre 35 et 50 %.
Les Américains financent beaucoup, mais attendent beaucoup d'industrialisation en retour.
Nous pourrions recommander une conditionnalité pour de grands groupes qui bénéficient de millions d'euros, voire de dizaines de millions d'euros, pendant des années. On pourrait citer des groupes pharmaceutiques qui ont reçu plus d'un milliard d'euros d'argent public en dix ans et qui, en ce moment même, ferment des sites de production et refusent d'industrialiser les futurs brevets en France. On peut se poser une question légitime.
On peut vouloir conserver la recherche et développement en France, mais cela doit participer à la réindustrialisation, ou au moins servir à conserver l'industrie en France, a minima au sein de l'Union européenne.
M. Olivier Rietmann, président. - Nous ne faisons pas de procès à Airbus. Nous voulons vraiment votre avis, en tant que directeur général d'un fleuron.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Vous avez évoqué des difficultés dans le domaine spatial.
Le plan Bromo était censé montrer l'explosivité de l'Union européenne face à SpaceX, et vous avez été chercher un nom de volcan indonésien - vous auriez pu trouver un autre nom qui représente davantage la conquête européenne... Bromo, c'est 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires annoncé pour ce plan issu d'une fusion entre Airbus, Thales et Leonardo ; 2 443 postes supprimés, dont 500 en France ; une provision de 1,6 milliard d'euros - le confirmez-vous ? Ne pensez-vous pas qu'en s'amputant de savoir-faire et de compétences, en supprimant tous ces postes, vous vous mettez en difficulté pour concurrencer SpaceX ?
M. Guillaume Faury. - La nécessité, en Europe, est de recréer un effet d'échelle suffisant pour être compétitif face à de grands acteurs américains aidés à un niveau bien supérieur au nôtre. Nous avons absolument besoin de créer les conditions du succès de demain.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Les acteurs américains du spatial bénéficient d'abondantes subventions. Sur ce point, nous nous rejoignons. Venons-en à la restructuration.
M. Guillaume Faury. - Nous la réalisons, car nous sommes en grande difficulté économique et financière dans ce domaine, comme nos futurs partenaires, Thales et Leonardo, qui opèrent sur le même terrain de jeu.
Dans le domaine spatial, nous menons trois actions. La première est la restructuration des contrats individuels. Nous avons mis en place un nouveau management et portons une attention accrue à ces programmes. Nous avons réalisé une évaluation des programmes un par un, y compris avec notre supply chain, pour réévaluer les montants et les risques sur la durée du développement.
La deuxième est la restructuration de la division Airbus Defence and Space, plus particulièrement de l'activité spatiale. Les chiffres sur l'emploi que vous avez cités ne sont pas liés à Bromo, ni à la future consolidation que nous tentons d'atteindre, mais aux difficultés actuelles et à notre tentative de redevenir rentables.
La troisième est de créer un futur qui nous permette de réinvestir en fusionnant ces activités avec nos partenaires Leonardo et Thales. Le montant de 1,3 milliard d'euros auquel vous faites référence, Monsieur le rapporteur, concerne sans doute nos provisions pour 2024 pour notre entité spatiale, qui s'ajoutent à 600 millions d'euros de provisions déjà constituées en 2023, soit au total près de 2 milliards d'euros de provisions, qui couvrent les pertes actuelles et futures des programmes en grande difficulté technique et financière.
Je ne comprends pas pourquoi rapprocher ces montants du sujet des subventions...
M. Fabien Gay, rapporteur. - Je n'ai pas parlé de subvention. J'ai dit que vous provisionniez en vue de la restructuration. Je n'ai absolument pas dit que vous provisionniez de l'argent public.
M. Guillaume Faury. - Ce sont des montants prévus non pas pour la restructuration, mais pour les pertes futures.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Les pertes, ainsi que la restructuration qui vous coûtera.
M. Guillaume Faury. - Non. Ce ne sont pas des montants liés à la restructuration, mais aux pertes des programmes. Ce sont deux choses totalement différentes. Nous n'avons pas encore défini le montant de la provision pour la restructuration.
M. Didier Loiselet. - Concernant les 500 personnes en France, il n'y a pas de licenciements secs, mais des départs en retraite et de la mobilité interne.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Je connais le refrain !
M. Guillaume Faury. - C'est un point auquel nous sommes particulièrement attachés. Nous pouvons nous le permettre quand la situation de l'entreprise est suffisamment bonne.
Le Covid nous a entraînés dans une crise existentielle qui aurait pu très mal se terminer. Nous avons pu bénéficier de l'activité partielle de longue durée (APLD), avec l'État, mais aussi du fonds Ace Aéro Partenaires ou AAP 1 que nous avons nous-mêmes mis en place. Nous avons ainsi pu passer cette période sans licenciement sec.
M. Fabien Gay, rapporteur. - J'entends bien qu'il n'y a pas de licenciements secs, mais un plan de départs volontaires... Mais je ne connais personne qui se lève le matin en souhaitant être licencié. Tant mieux s'il y a de la mobilité interne, mais tout cela conduit quand même à 500 suppressions de postes.
M. Michel Masset. - Monsieur le directeur général, vous plaidez pour une industrie de défense européenne et française plus souveraine et une meilleure utilisation des moyens financiers. Vous avez déclaré : « L'argent de la défense de l'Europe est mal dépensé ». Pouvez-vous développer ?
M. Daniel Fargeot. - Nous avons entendu les décisions outrancières de Donald Trump sur les droits de douane, qui mettent évidemment à mal le secteur aéronautique européen et, par voie de conséquence, le secteur américain. Vous appelez, comme nous tous, à un retour à la raison. Pensez-vous qu'une politique d'aides publiques pourrait contrer tout ou partie de ces mesures dévastatrices à terme ?
M. Guillaume Faury. - Les montants d'acquisition de matériel de défense sont cinq fois plus faibles en Europe qu'aux États-Unis. L'Union européenne achète 20 % de ce que les États-Unis achètent.
De plus, les Américains achètent la quasi-totalité à des entreprises implantées aux États-Unis, tandis que les pays de l'Union européenne achètent la majorité de leurs 20 % hors de l'Union européenne - de l'ordre de 60 % à 65 % -, et ce, très largement aux États-Unis. Il n'y a qu'un tiers de ces 20 % qui est acquis en Europe. Les entreprises européennes ne reçoivent donc que 7 % de ce que les entreprises américaines reçoivent.
Cela révèle trois choses.
La première est que les Européens s'équipent très peu en matériel de défense et de sécurité. C'est d'ailleurs un très gros enjeu actuellement.
La deuxième est qu'ils achètent trop peu en Europe. Si nous voulons que l'Europe soit souveraine en matière de défense et de sécurité, ils doivent acquérir le matériel auprès d'entreprises européennes, avec une technologie, une implantation et une logistique européennes.
La troisième est qu'ils achètent de façon très fragmentée. Ces 7 % sont distribués par petits paquets dans les différents pays, avec très peu de coopération, et cela pour des matériels sur lesquels l'effet d'échelle est important, puisque l'on développe de petites séries dont la durée de vie est faible.
Voilà pourquoi j'ai dit que l'argent était mal dépensé. Alors que l'Europe va devoir mieux s'équiper pour se protéger contre les menaces extérieures, il faudra dépenser plus d'argent, plus en Européens, et plus conjointement.
Nous sommes au tout début de la crise des droits de douane, qui est caractérisée par un très haut niveau d'incertitude. On a de la difficulté à définir des solutions, car on commence tout juste à analyser la situation, entre les États-Unis, la Chine et l'Union européenne. Le niveau de complexité est élevé. Nous devrons éviter toute rupture des chaînes d'approvisionnement.
Il est trop tôt pour comprendre de quels dispositifs nous aurons besoin, mais il ne me semble pas, à ce stade, que ce soient des aides publiques. Ce dont nous aurons besoin, c'est d'une Europe qui se mette d'accord sur la façon d'aborder le problème, et faute de résolution à l'amiable rapidement, qui mette en place des réponses appropriées pour éviter de trop affecter les entreprises européennes, tout en ayant un argument de négociation avec les États-Unis.
Nous sommes dans cette phase tout à fait transitoire. Nous espérons que les grands décideurs trouveront des solutions pour éviter un impact trop important sur l'économie mondiale en général et française en particulier.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Ma dernière question portera sur le Covid.
Il y a des questions de restructuration, de réorganisation, de cadence de production. On n'a pas le temps d'évoquer votre plan Lead dans l'aviation civile, qui consiste, entre autres, à augmenter les cadences et geler les embauches.
Votre entreprise a été extrêmement aidée pendant le Covid. Je rappelle que 15 milliards d'euros ont été déboursés pour la filière aéronautique - vous nous direz combien Airbus en a perçu. Vous avez reçu un prêt garanti par l'État (PGE) de 2 milliards d'euros. Entre 8 000 et 10 000 de vos salariés, comme 10 millions de salariés au total, ont été placés au chômage partiel en mai 2020. Vous avez signé un accord d'entreprise pour maintenir les salaires à 92 %, au lieu de 84 % ailleurs. Enfin, vous avez fait appel à l'APLD en octobre 2020. En même temps, vous avez mis en place un plan de 4 248 suppressions d'emplois.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Si ! À chaque fois que l'on évoque des plans de licenciements, même si tout est documenté, on entend : « Non ! » Je précise que les 4 248 suppressions se sont faites sans licenciement contraint. Vous avez aussi massivement mis fin aux contrats intérimaires. Or les carnets de commandes de l'aéronautique sont sur six à douze ans.
Effectivement, il fallait passer la crise Covid, qui a affecté l'ensemble de l'économie, mais, de fait, vous saviez que la production allait repartir.
Je précise, pour dépeindre un tableau le plus exact possible, que vous n'avez pas versé de dividendes en 2020 et 2021.
Quand on a un carnet de commandes aussi fourni, sur plusieurs années, et que l'on est aidé, pourquoi supprimer des emplois ? On peut se poser la question.
M. Guillaume Faury. - On vit beaucoup de crises. Après coup, on fait un retour d'expérience, une fois que l'on connaît toute l'histoire.
Nous avons été déterminés à trouver des solutions pour passer la crise du covid tout en restant capables d'être performants ensuite. Nous nous en sommes assez bien sortis, collectivement.
Les montants d'aides qu'Airbus a reçus ont été très faibles. Au contraire, nous avons aidé les autres. Airbus a été chercher 15 milliards d'euros sur les marchés financiers pour disposer de suffisamment de liquidités pour traverser la crise, et près de la moitié de ces 15 milliards d'euros sont allés vers notre chaîne de fournisseurs, car nous avons continué de recevoir ce que nous avions commandé et de le payer.
Nous avons mis en place un plan de départs volontaires, après avoir trouvé les bons montants de liquidités et décidé du niveau de réduction de la production, pour trouver une position viable qui amortisse le choc au maximum. En proportion, nous avons beaucoup moins licencié que notre activité n'a baissé en 2020 et 2021.
Nous avons pris la décision de réduire notre production de 65 avions par mois à 40, ce qui restait beaucoup plus que ce que les clients achetaient, puisque leur santé financière se dégradait très rapidement - je rappelle qu'ils n'avaient presque plus le droit de voler. Il a fallu faire des pieds et des mains pour continuer à livrer à cette période. Nous avons fait le pari que les livraisons reprendraient.
Le carnet de commandes n'avait plus de sens à ce moment-là, car, concrètement, si les clients ne prennent pas leur livraison, qu'ils aient commandé ou non, vous ne faites pas votre chiffre d'affaires et vous gardez vos avions sur les bras.
Nous avons fait tout ce que nous avons pu, en tant qu'entreprise et en tant que filière, pour que l'ensemble de la filière, en France et en Europe, s'en sorte. Nous y sommes parvenus.
L'argent public a-t-il été bien dépensé ? On peut toujours faire mieux, mais le résultat visé a été atteint. Nous sommes même sortis mieux positionnés que Boeing, dont le redémarrage a été et reste très difficile.
Notre amortissement a été très important par rapport à la gravité de la crise. Je considère que l'APLD a été cruciale. En revanche, les 15 milliards d'euros...
M. Fabien Gay, rapporteur. - J'ai cité le plan de 15 milliards d'euros pour la filière et je vous ai demandé le montant que vous aviez reçu. Ensuite, j'ai cité le PGE de 2 milliards d'euros, dont le montant est public. Enfin, j'ai cité le nombre de salariés au chômage partiel et en APLD, dont je ne connais pas le coût.
M. Didier Loiselet. - Nous avons reçu 94 millions d'euros d'APLD. Nous avons réduit la production de 40 %, nous avons demandé à nos employés de travailler 15 % de moins, notamment en production, et nous les avons indemnisés à 92 %.
M. Fabien Gay, rapporteur. - J'ai évoqué ce taux de 92 %.
M. Guillaume Faury. - Une part très importante de l'aide à la filière est allée aux transporteurs aériens.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Vous n'avez donc rien reçu du plan pour la filière ?
M. Guillaume Faury. - Nous avons reçu l'APLD. J'insiste sur le fait que nous avons contribué à financer d'autres acteurs. Nous avons été au chevet de la filière pour lui permettre de passer la crise.
Je n'ai pas connaissance d'un PGE chez Airbus. Nous nous sommes organisés différemment. Nous sommes allés chercher de l'argent sur les marchés.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Les Échos vous ont cité parmi les principaux bénéficiaires...
M. Guillaume Faury. - Nous n'avons pas reçu 2 milliards d'euros de PGE, c'est certain. Nous vous répondrons précisément par écrit, car il est possible que certaines petites filiales aient reçu des PGE.
M. Fabien Menant. - Vous avez évoqué 4 200 départs pendant le Covid. Il y a eu 2 800 départs volontaires sur les 5 000 prévus initialement, donc zéro licenciement, ainsi que des départs à la retraite anticipés et de l'aide à la création d'entreprise, en particulier avec notre filiale à 100 % Airbus Développement, qui a fait un très bon travail.
M. Guillaume Faury. - Au début du Covid, j'ai communiqué sur environ 5 000 départs.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Je maintiens mon chiffre de 4 248, issu de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares).
M. Guillaume Faury. - Nous vous fournirons les chiffres les plus fiables possible, après coup.
Les entreprises du Gifas comptaient 200 000 salariés juste avant le covid. Nous sommes descendus à 184 000 ou 186 000, de mémoire, puis nous sommes remontés pour dépasser les 200 000 l'année dernière. Nous avons amorti un terrible choc avec des départs volontaires et nous avons réembauché ensuite. Ces départs volontaires ont été l'occasion de renouveler les compétences. En effet, nous n'avons réembauché qu'un tiers, environ, des compétences laissées.
Je sais bien que ce sont des destructions de postes, mais nos clients ne nous prenaient plus d'avions. Ce n'est pas tenable longtemps. L'ajustement a été plutôt bien fait pendant le Covid.
En ce qui nous concerne, les aides apportées ont été plus que largement rémunérées par le redémarrage de l'activité. L'État, pendant le Covid, a bien fait son travail de soutien aux entreprises, pour ce qui me concerne.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Personne, au sein de cette commission, ne dira qu'il ne fallait pas aider les entreprises pendant la crise du covid. J'ai moi-même plaidé pour une couverture du salaire à 100 %. Mais vous êtes un grand donneur d'ordres. Plusieurs milliers d'emplois directs ont été supprimés, et pour chaque emploi direct supprimé, c'est quatre emplois indirects qui disparaissent.
Votre groupe a joué le jeu, je ne dis pas le contraire, mais il a aussi été largement accompagné. On peut s'interroger, d'autant que, aujourd'hui, vous êtes revenu à un niveau d'emploi supérieur à ce qu'il était, parce que le carnet de commandes est resté rempli et qu'il faut livrer.
M. Olivier Rietmann, président. - Quand vous dites qu'on s'est bien sorti de la crise du Covid, cela n'engage que vous, car les finances de l'État paient encore les pots cassés...
C'est un libéral qui vous le dit : que ce soit un départ volontaire ou un licenciement, à la fin, c'est quelqu'un qui se retrouve sans emploi. Parlons vrai ; chez moi, un vrai départ volontaire, ça s'appelle une démission.
Vous n'avez pas mentionné l'apprentissage. N'y avez-vous pas recours ? Ne recevez-vous pas d'aide à l'apprentissage ?
M. Didier Loiselet. - Nous avons accueilli 1 400 apprentis en 2023, soit 2 millions d'euros d'aides annuelles. Il me semble que c'est en plus des chiffres déjà cités.
M. Olivier Rietmann, président. - Si les aides diminuent, poursuivrez-vous l'apprentissage ?
M. Guillaume Faury. - Nous poursuivrons l'apprentissage. Nous n'en supprimerons pas 100 %.
M. Olivier Rietmann, président. - Je suppose que vous ne choisissez pas l'apprentissage parce qu'il est subventionné, mais pour préparer l'avenir de l'entreprise et renouveler vos ressources humaines.
M. Guillaume Faury. - Nous avons un lycée Airbus, dans lequel nous investissons. Nous multiplions par 2,5 le nombre des élèves qui y passent. Nous avons une activité permanente d'investissement. Nous avons même fait récemment homologuer par l'Éducation nationale une formation sur le cyber. Nous formons de plus en plus, car, sinon, nous ne trouvons pas les compétences dont nous avons besoin.
M. Olivier Rietmann, président. - Êtes-vous sûr de votre chiffre de 2 millions d'euros d'aides à l'apprentissage ?
M. Fabien Menant. - Nous dénombrions 2 575 apprentis en 2024 et Airbus a contribué à la taxe d'apprentissage à hauteur de 23 millions d'euros en 2023.
M. Didier Loiselet. - Je crois que le crédit d'impôt est de 1 600 euros par apprenti.
M. Fabien Menant. - La rémunération d'un apprenti chez Airbus est de 20 % supérieure aux minima fixés par l'État.
M. Olivier Rietmann, président. - Finalement, ce ne sont pas les 6 000 euros d'aide à l'embauche qui vous poussent à prendre un apprenti ; on fait donc bien de supprimer les aides aux très grandes entreprises et aux plus hauts niveaux de diplôme. C'est tout de même de la main-d'oeuvre déjà bien qualifiée, à un niveau de rémunération bien inférieur à celui d'un salarié plein et entier.
M. Guillaume Faury. - Nous sommes en faveur de l'apprentissage en France, cela ne fait aucun doute. Le soutien à l'apprentissage et sa mise en lumière étaient nécessaires et bienvenus, mais je comprends que des actions budgétaires doivent être menées.
Nous allons poursuivre l'apprentissage, tout en naviguant sur le volume d'apprentis en fonction de nos besoins, de notre situation économique et des taxes à l'importation des États-Unis.
M. Olivier Rietmann, président. - Le fait que vous payez bien mieux les apprentis que d'autres entreprises est intéressant. L'argent public sert à amorcer une dynamique et, une fois que celle-ci fonctionne d'elle-même, on peut le consacrer à autre chose.
Enfin, par écrit, je vous demanderai de nous dire ce que peut vous coûter un informaticien, en brut et en net, en moyenne, aux États-Unis, en Chine, en Europe et en Inde, et ce que peut vous y coûter un investissement. Nous conserverons la confidentialité de ces données.
M. Guillaume Faury. - Nous ferons au mieux.
M. Olivier Rietmann, président. - Merci de cette audition.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 30.
Mardi 22 avril 2025
- Présidence de M. Olivier Rietmann, président -
La réunion est ouverte à 14 h 05.
Audition d'Atos - M. Philippe Salle, président-directeur général
M. Olivier Rietmann, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants avec l'audition de M. Philippe Salle, président-directeur général d'Atos.
L'audition de ce jour est enregistrée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Monsieur le président-directeur général, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
M. Philippe Salle, président-directeur général d'Atos. - Je suis président de Viridien (ex-CGG), entreprise cotée en bourse et intervenant dans le secteur du pétrole.
M. Olivier Rietmann, président. - Vous faites bien de le préciser.
Je vous invite à présent à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Philippe Salle prête serment.
M. Olivier Rietmann, président. - Notre commission d'enquête, dont les membres ont été nommés le 15 janvier dernier, vise trois objectifs principaux : tout d'abord, établir le coût des aides publiques octroyées aux grandes entreprises, entendues comme celles employant plus de 1 000 salariés et réalisant un chiffre d'affaires net mondial d'au moins 450 millions d'euros par an, ainsi que le coût des aides versées à leurs sous-traitants ; ensuite, déterminer si ces aides sont correctement contrôlées et évaluées, car nous devons veiller à la bonne utilisation des deniers publics ; enfin, réfléchir aux contreparties qui pourraient être imposées en termes de maintien de l'emploi au sens large, lorsque des aides publiques sont versées à de grandes entreprises qui procèdent ensuite à des fermetures de site, prononcent des licenciements, voire délocalisent leurs activités.
Monsieur le président-directeur général, après une présentation succincte de l'activité de votre groupe, nous aimerions connaître votre regard sur les aides publiques aux entreprises. Quelles sont les principales différences entre les aides versées en France et celles octroyées dans les pays où votre groupe est présent ? Quel est le montant global des aides publiques reçues en France par votre groupe en 2023 comme sur ces dernières années en moyenne, ainsi que, en particulier, le montant des subventions ? Quel est le panorama de vos sous-traitants et des aides qu'ils perçoivent ? Avez-vous le sentiment que les aides publiques aux entreprises sont suffisamment suivies et évaluées en France ? Quelles sont selon vous les aides dont l'efficacité est avérée, celles dont l'efficacité est douteuse ? Quelles seraient vos propositions pour renforcer l'efficience des aides publiques octroyées aux entreprises ? Seriez-vous favorable à l'introduction de conditions ou de critères permettant d'évaluer l'efficacité des aides ? Quelles devraient être, alors, les limites à la conditionnalité de ces aides ?
Je vous propose de traiter ces questions dans un propos liminaire d'une vingtaine de minutes environ. Fabien Gay, rapporteur, vous posera ensuite quelques questions pour approfondir certains points. Enfin, les membres de la commission d'enquête pourront vous interroger s'ils le souhaitent.
M. Philippe Salle, président-directeur général d'Atos. - Je vous remercie de votre invitation. Ayant été nommé président-directeur général d'Atos très récemment, le 1er février dernier, je m'exprime publiquement pour l'une des premières fois, et cela devant la Haute Assemblée. Compte tenu des grandes difficultés que le groupe a rencontrées - destruction de valeur, endettement, effondrement de son cours de bourse - et des défis qui lui font face, je crois devoir dire en quelques mots mon avis sur le parcours d'Atos.
Atos est aujourd'hui dans une situation très particulière, le groupe ayant été placé en procédure de sauvegarde accélérée par le tribunal de commerce de Nanterre le 24 juillet 2024. À l'origine, Atos était une société française de services en ingénierie informatique de taille moyenne, dont le chiffre d'affaires a doublé en quelques années. Après une entrée momentanée au CAC 40, elle s'est véritablement effondrée, jusqu'à faire face au risque d'une procédure de redressement judiciaire aux prises avec ses créanciers, qui en ont pris le contrôle.
L'entreprise s'est trouvée confrontée à une réalité interrogeant sévèrement la pertinence de sa stratégie, sa discipline financière dans les acquisitions et ses prises de commandes, certains contrats n'étant pas rentables. La course au chiffre d'affaires et les mauvaises commandes ont créé une tension insupportable, notamment sur le besoin en fonds de roulement.
Je n'en dirai pas plus aujourd'hui, car ma priorité est de me tourner vers l'avenir. Notre travail et notre énergie ne doivent pas être encombrés par le passé. Avec toute l'équipe et les talents d'Atos, nous avons bien sûr fort à faire. Leur énergie est intacte, leur volonté collective est de réussir et nous avons le soutien de nos clients.
Pour votre information, j'annoncerai ma stratégie le 14 mai prochain. Atos étant une société cotée, je ne pourrai pas en dire grand-chose d'ici là. Je reste très concentré sur le futur et je suis convaincu que nous avons devant nous un chemin de qualité et d'excellence.
J'en viens à une rapide présentation d'Atos. En 2023, année que vous prenez comme référence, nous avions à peu près 95 000 collaborateurs dans le monde, répartis sur environ 80 pays, et notre chiffre d'affaires s'élevait à 10,7 milliards d'euros. Nous sommes le numéro un européen de la cybersécurité, du cloud, de la conception et de la fabrication des supercalculateurs notamment, et nous fournissons des solutions intégrées pour tous les secteurs. Le groupe est reconnu, d'ailleurs, pour son excellence par les analystes spécialisés en technologie digitale, comme IAG ou Gartner.
En France, pour votre information, nous comptions en 2023 environ 10 000 collaborateurs, pour un chiffre d'affaires de 1,8 milliard d'euros. Nos activités sont réparties sur 47 sites sur le territoire : centres de données, centres de services, laboratoires de recherche et, bien sûr, notre usine d'assemblage de nos supercalculateurs à Angers. Nous avons plusieurs établissements dans le Val-d'Oise, par exemple, et employons 3 000 personnes environ en Gironde, 500 en Isère ou à Paris.
Le groupe Atos a finalisé sa restructuration financière le 18 décembre 2024. Il est aujourd'hui organisé en trois grandes lignes d'activité, qui évolueront bien sûr à l'occasion des annonces que je ferai en mai prochain.
Le premier périmètre, puisqu'il a été décidé, à une époque, de scinder la société en deux, s'appelle Eviden. Eviden a une activité digitale et une activité dite BDS, pour Big Data et Sécurité. Sous ce nom, nous intervenons dans 47 pays, comptons près de 40 000 collaborateurs et réalisons un chiffre d'affaires légèrement supérieur à 5 milliards d'euros. Nous sommes le seul acteur européen capable de manufacturer des supercalculateurs, afin de répondre à des besoins très spécifiques et pointus. Nous livrerons ainsi cette année au centre de recherche de Jülich, en Allemagne, le premier Exascale, soit l'ordinateur le plus puissant - un milliard de milliards d'opérations à la seconde - jamais livré en Europe.
Le deuxième périmètre s'appelle Tech Foundations, et recouvre les activités traditionnelles d'infogérance, c'est-à-dire la conception d'infrastructures numériques pour nos divers clients. Nous gérons ainsi les systèmes critiques d'entreprises ou d'administrations et optimisons leur environnement informatique, afin de réduire le coût total des processus. Cette activité représente également un chiffre d'affaires de 5 milliards d'euros environ.
Enfin, notre entité Major Events a été le partenaire informatique des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris. Il est aussi celui de l'Union des associations européennes de football (UEFA).
Voilà ce que je voulais vous dire sur Atos. Je pourrai naturellement, à votre demande, vous apporter des informations complémentaires.
J'aborde à présent l'objet central de cette commission d'enquête. Le montant total des aides que nous avons perçues en 2023 est de l'ordre de 59 millions d'euros. Quelque 60 % de ce montant, soit à peu près 38 millions d'euros, proviennent du crédit d'impôt recherche (CIR). En tant que patron, j'estime que le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et le CIR sont non pas des aides, mais une façon très compliquée d'atténuer les conséquences douloureuses d'un coût élevé du travail en France, avec au passage des contrôles et des procédures extrêmement complexes. J'en veux pour preuve que le CICE a été transformé en réduction pérenne de cotisation sociale de façon à diminuer notre taux d'imposition sur les salaires.
Nous utilisons le CIR depuis plus de quinze ans pour réduire le coût de nos équipes de recherche et développement (R&D). Dans la mesure où le CIR est constaté en fin d'année et concerne les activités de l'année écoulée en fonction des critères attendus par l'administration, il est anticipable. Comme nous ne payons pas d'impôt sur les sociétés (IS) aujourd'hui, nous ne sommes remboursés que trois ans après.
Plus de 70 % du montant du CIR est affecté à des projets de R&D sur nos supercalculateurs. Ils peuvent porter sur des aspects matériels tels que la conception de racks et de moyens de refroidissement - nous avons une technique très concurrentielle de cartes mères pour supporter les processeurs -, sur les technologies de réseau bien sûr, mais aussi sur des aspects logiciels, la gestion des supercalculateurs, l'optimisation de leurs performances ou encore leur consommation électrique, qui est très importante. Pour rappel, les supercalculateurs simulent un processus physique. Ils servent à modéliser, par exemple, les prévisions météorologiques d'évolution du climat ou à simuler des explosions, comme celle de la bombe nucléaire. Les autres cas d'usage concernent la santé, la pharmacie et l'aéronautique. Sur ce marché nous n'avons essentiellement que deux concurrents au niveau mondial : l'américain HP, qui avait racheté les activités de Cray, et le chinois Lenovo.
Le CIR sert également à la recherche et développement sur les serveurs à haute performance que nous délivrons également dans le cadre de notre activité de cloud. En 2023, le portefeuille de propriété intellectuelle du groupe atteignait à peu près 2 400 brevets. Nous avons déposé 64 demandes de brevets, avec une augmentation de 28 % des brevets liés à l'intelligence artificielle.
Le montant du CICE perçu en 2023 était très faible : 2,4 millions d'euros. Nous avons également perçu d'autres subventions, toutes quasiment à des fins de R&D, en particulier sur nos calculateurs de haute performance. Les fonds issus de l'Union européenne proviennent de divers programmes - Horizon Europe, Digital Europe, European Defence Fund, EuroHPC - aux règles de financement et aux objectifs différents, mais accessibles via un guichet unique. En 2023, nous avons reçu à ce titre environ 5,1 millions d'euros.
De la part de l'État français, nous recevons des fonds de différents interlocuteurs : Direction générale des entreprises, Bpifrance, Agence nationale de la recherche (ANR), Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), ou encore Caisse des dépôts et consignations (CDC). En 2023, quelque 6,6 millions d'euros nous ont été alloués pour divers projets de recherche dans le logiciel et le quantique. Notons notamment la subvention octroyée par la CDC en 2021 au titre de l'Académie du numérique pour la mise en oeuvre et le déploiement d'une ingénierie de formation dans quatre filières du numérique.
Enfin, nous recevons des subventions de la part des régions, sur fonds propres ou via le fonds européen de développement régional (Feder). Parfois, des métropoles complètent des subventions attribuées au niveau régional. En 2023, cela n'a pas été significatif, mais en 2022, par exemple, Atos a bénéficié, pour son nouveau campus à Échirolles, en Isère, d'une subvention de la région Auvergne-Rhône-Alpes de 4 millions d'euros.
Outre ces subventions directes, nous bénéficions également de subventions indirectes. Par exemple, dans le cadre de la construction de notre nouvelle usine de supercalculateurs à Angers, c'est la société d'économie mixte, le promoteur, qui a négocié et obtenu une subvention du fonds vert de 1,2 million d'euros, contribuant à réduire indirectement le coût pour Atos. Cette usine coûtera ainsi environ 86 millions d'euros et n'aura bénéficié, à ce jour, d'aucune aide directe de l'État.
Enfin, citons également l'aide indirecte que constitue l'accompagnement des agents du Trésor et des services de Bercy lorsque nous développons l'export vers des pays où l'État français souhaite proposer des prêts d'État à État. Par exemple, nous venons de conclure un contrat avec l'État serbe. Nous avons vendu ce qu'on appelle une AI factory. En fait, l'État français prête de l'argent à l'État serbe, qui nous achète des prestations. Pour notre part, nous avons décidé - je n'étais pas aux responsabilités à l'époque - de ne pas bénéficier d'un prêt garanti par l'État (PGE).
En résumé, sur les 59 millions d'euros d'aides que le groupe Atos a touchés en 2023, quelque 38 millions proviennent du CIR, 17 millions de subventions directes de l'UE, de l'État et des régions, à peu près 2,4 millions de baisses de charges et environ 1,5 million de l'aide au mécénat.
En France, le groupe Atos bénéficie quasi exclusivement de subventions tournées vers la R&D. Je saisis cette occasion pour vous préciser que, contrairement à nous, d'autres pays compétiteurs, comme les États-Unis, ne se privent pas, avec leur plan Inflation Reduction Act (IRA), de soutenir également les moyens de production. Ils assurent également des commandes publiques exclusivement nationales, ce qui n'est pas notre cas non plus. On peut s'interroger sur le bien-fondé de soutenir un programme de R&D sur une filière donnée pour voir ensuite la commande publique privilégier des acteurs étrangers. C'est une évidence, mais depuis quelque temps, beaucoup de choses sont en train d'être clarifiées.
Nous sommes bien sûr soumis - vous m'avez posé la question - à de nombreux contrôles. Nous subissons d'ailleurs actuellement un contrôle du fisc sur le CIR. À ce jour et à ma connaissance, nous n'avons jamais eu de redressement lié à l'éligibilité de nos travaux, ce qui atteste du sérieux avec lequel nous montons les dossiers. Les mécanismes de contrôle sur les subventions sont à plusieurs niveaux. Tout d'abord, le commissaire aux comptes valide chacun de nos relevés de dépenses en fonction de la subvention signée. Ensuite, en fonction de l'organisme qui fournit l'aide, un contrôle supplémentaire peut être exigé. Les régions, par exemple, exigent un audit interne systématique. Bpifrance n'en effectue pas, mais contrôle étroitement l'exécution des projets. L'ANR effectue des audits au cas par cas. Quant à la Commission européenne, elle fait mener des contrôles aléatoires par une société d'audit externe.
Vous m'avez également interrogé sur la transparence des subventions. Sans y être totalement défavorables, nous sommes très attentifs à ce que les informations concernées ne permettent pas de déduire un certain nombre de données très sensibles que nous produisons et gérons pour le compte de nos clients. Nous ne sommes pas favorables, par exemple, à la transparence sur les montants du CIR, car cela donnerait une très bonne idée des dépenses R&D de l'entreprise. Or cette information est par essence industriellement très sensible. Je tiens à souligner de nouveau que nos sociétés font très régulièrement l'objet d'un contrôle fiscal, ce qui permet à l'administration de procéder aux différentes vérifications, en particulier sur le CIR.
Pour terminer, je formulerai trois recommandations concrètes visant à améliorer l'efficacité des aides publiques, en particulier pour les entreprises qui, comme la nôtre, s'engagent pleinement en faveur de la souveraineté technologique et prennent part activement à la réindustrialisation du pays.
Trois axes nous paraissent essentiels : premièrement, simplifier les aides pour accélérer leur déploiement ; deuxièmement, alléger les modalités de gestion pour maximiser leur impact ; troisièmement, mieux coordonner l'action des agences de l'État pour bâtir un écosystème cohérent et performant.
Ma première recommandation consisterait à réduire la complexité des aides, en particulier leur instruction, qui est une véritable barrière à l'entrée. C'est l'un des enseignements les plus marquants du programme américain IRA : aux États-Unis, le soutien de la filière industrielle a été massif grâce à des mécanismes d'aide simples et lisibles. En Europe, la Commission européenne s'est engagée à s'inspirer de cette approche. Nous saluons et soutenons pleinement cette orientation.
En France en revanche, la complexité administrative constitue encore une véritable barrière à l'entrée pour de nombreuses entreprises, en particulier pour les entreprises sous-traitantes. Prenons l'exemple du Feder. Au lieu de relier les aides européennes avec fluidité, l'État ou les régions y ajoutent des conditions et des contrôles supplémentaires, rendant l'accès encore plus contraignant que dans d'autres États membres. De même, la lourdeur des procédures d'instruction - les délais sont parfois supérieurs à deux ans - est inadaptée à des projets de R&D où l'innovation est par définition rapide et évolutive. Il nous paraît urgent de raccourcir drastiquement les délais d'étude des dossiers, afin que les aides accompagnent les projets au rythme où ils se construisent. À cet égard, une réflexion sur les avances remboursables serait peut-être à mener.
Par ailleurs, les aides en France portent sur la recherche et développement au sens strict, et non sur l'innovation. Pour votre gouverne, au Royaume-Uni, le crédit d'impôt englobe l'innovation, qui ne résulte pas exclusivement d'une activité de recherche. Ainsi, la mise à jour du Research Development Expenditure Credit (RDEC), l'équivalent britannique du CIR, accepte les dépenses de cloud computing, d'achat de données ou les factures d'électricité. Ce triptyque permet au Royaume-Uni de répondre aux évolutions de la recherche et développement sur l'intelligence artificielle, qui requiert un cloud important et suppose l'accès à des jeux de données qui sont énormes. Ce n'est absolument pas le cas en France.
Ma deuxième recommandation vise à repenser les modalités de gestion des aides, qui sont trop coûteuses et trop rigides. L'un des exemples les plus parlants est celui des états de dépenses. En France, pour un projet subventionné, il faut produire un rapport annuel et un état final, tous deux audités par un commissaire aux comptes. Le coût de ces audits est parfois très important. Pour une subvention de 300 000 euros répartie sur trois ans, les seuls frais d'audit peuvent ainsi atteindre près de 7 % du montant, soit 20 000 euros, autant d'argent consacré à un contrôle administratif plutôt qu'au projet lui-même.
À l'échelle européenne, la pratique est plus légère, tout aussi sérieuse et moins coûteuse. La règle est assez simple : un relevé de dépenses, non pas audité, mais validé, est transmis chaque année, puis un rapport d'état de dépenses audité est demandé en fin de projet. Il serait plus efficace d'aligner les procédures françaises sur ce modèle européen, en particulier lorsqu'un même projet bénéficie à la fois de financements européens et de financements français. Aujourd'hui, les entreprises se retrouvent à produire des documents redondants, à payer deux fois pour les mêmes audits et, parfois, à mobiliser des ressources importantes pour répondre à des exigences qui sont en fait parallèles.
Enfin, troisième recommandation, il nous paraît essentiel de mieux coordonner les pratiques d'instruction et de demandes de rapports entre les différentes agences de l'État - Bpifrance, Ademe, ANR, etc. - sur un même type d'aide. Aujourd'hui, une entreprise sollicitant une aide de type R&D auprès de ces différentes institutions est confrontée à des processus d'instruction complètement distincts, à des demandes de documents hétérogènes et à des formats de reporting spécifiques à chaque agence, parfois pour un même type de projet. Cette absence d'harmonisation entraîne des pertes d'efficacité pour l'administration, mais aussi des coûts supplémentaires, des doublons et un risque accru d'erreur pour les entreprises. Il serait pertinent de mutualiser et d'unifier les processus d'instruction, d'audit et de suivi pour des aides comparables. Une telle simplification représenterait un gain de temps précieux pour les entreprises, renforcerait la lisibilité pour les agents publics et constituerait un véritable levier d'efficacité collective au service de notre réindustrialisation.
Enfin, il me paraît important d'instaurer en Europe, comme en France, la préférence européenne et nationale pour les grands contrats d'intérêt stratégique. Les moyens pour la faire jouer existent d'ores et déjà, mais ils ne sont pas assez utilisés. J'ai eu l'occasion de le constater lors de mon déplacement à Bruxelles au début du mois. Si la prise de conscience arrive à la faveur des derniers rebondissements aux États-Unis, il me paraît important d'instaurer systématiquement la préférence européenne face à nos concurrents américains et chinois. Je tiens juste à rappeler que le groupe Atos, avec ses supercalculateurs, ne peut pas concourir à des marchés publics aux États-Unis et en Chine, alors que les Américains et les Chinois ne se privent pas de concourir en Europe.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Je vous remercie de ces propos introductifs. Avec mes trois collègues Sophie Primas, désormais porte-parole du Gouvernement, Jérôme Darras et Thierry Meignen, j'ai mené au début de l'année 2024 une quarantaine d'auditions d'acteurs intervenant dans l'environnement d'Atos. Nous n'avions pas eu l'occasion de nous rencontrer, puisque vous n'étiez pas encore en fonction et que nous avons assisté pendant six mois à une valse des dirigeants chez Atos. Dans notre rapport, nous avions fait onze propositions pour éviter ce que nous appelions la « catastrophe Atos ». Malheureusement, je vois que la situation continue de se dégrader.
Je voudrais donc exprimer en premier lieu notre solidarité envers l'ensemble des salariés d'Atos. Vous l'avez rappelé, Atos est une très belle entreprise, dont l'action affecte le quotidien des Français. Le public n'en connaît pas nécessairement les détails, mais Atos a géré, par exemple, les jeux Olympiques et Paralympiques de Paris, les systèmes d'information, ou encore le Grand Paris Express. Atos, c'est aussi la dématérialisation de nos services publics, Mon espace santé et bien d'autres choses encore. Et c'est une société qui ne repose que sur les cerveaux de ses salariés. Il s'agit donc d'une entreprise extrêmement importante.
Mettons de côté les supercalculateurs, qui soulèvent, comme vous l'avez rappelé, un enjeu de souveraineté stratégique. Peut-être pouvez-vous tout de même nous dire un mot sur la commande publique, une question que nous avons peu creusée jusqu'à maintenant ? Atos fonctionne en grande partie grâce à la commande publique, qui, certes, n'est pas une aide. Vous avez perdu notamment un appel d'offres du ministère des armées sur les supercalculateurs, remporté par HP. Or nous avions dit pour notre part que nous souhaitions au minimum, pour accompagner Atos dans sa transformation, que la commande publique reste à niveau. Pouvez-vous apporter à la commission d'enquête des éléments plus précis sur ce point ? Avec quels ministères agissez-vous ? Sans entrer dans le détail, pouvez-vous nous communiquer un montant global de commande publique, de sorte que nous nous représentions le travail réalisé par Atos ?
M. Philippe Salle. - En ce qui concerne la commande publique, nous considérons deux secteurs, celui de la défense et celui des administrations. Vous avez raison, monsieur le rapporteur, de souligner que nous travaillons avec de nombreuses administrations, en France comme à l'étranger, ainsi qu'avec des acteurs de la défense. Nous comptons ainsi un certain nombre de clients au Royaume-Uni, en Allemagne et au Danemark. Le secteur de la défense représente environ 6 % de notre chiffre d'affaires, ce qui équivaut à environ 600 millions sur 10 milliards d'euros. Je n'ai pas les chiffres précis concernant le secteur public, mais je dirai qu'il représente environ 20 % de notre activité au niveau mondial. Comme vous l'imaginez, nous travaillons très peu pour le secteur public aux États-Unis. Notre activité se concentre essentiellement sur le secteur public européen.
Je me réjouis de pouvoir rebondir sur votre commentaire : nous avons en effet perdu un contrat. Il est important de comprendre les enjeux qui se jouent entre les trois principaux acteurs mondiaux dans le domaine des supercalculateurs. C'est en effet une question de souveraineté pour la France et, au-delà, pour l'Europe. Il faut bien comprendre que nous ne pouvons pas jouer sur le terrain de nos concurrents. En revanche, eux viennent jouer chez nous et nous sommes suffisamment stupides pour les laisser faire.
En réalité, nos concurrents cherchent à nous fragiliser en baissant les prix. J'ai entendu dire qu'ils étaient moins chers. Ils ne sont pas moins chers : comme nous, ils achètent des cartes Nvidia. Certes, nous les assemblons et nous avons un système de refroidissement très différent, mais il ne peut pas y avoir un écart de prix monumental entre ce qu'ils font et ce que nous faisons. Il est évident que, si rien ne change, à la fin, nous ne vendrons plus de supercalculateurs : nous ne cesserions pas d'acheter, en provenance notamment des États-Unis des produits qui sont « dumpés » sur le marché. Gardons la tête froide. On ne peut pas se dire qu'il y a des coups à faire de temps en temps sur ce type de marché en achetant moins cher. En réalité, nos concurrents cherchent à nous déstabiliser. Si un jour nous arrêtons de produire des supercalculateurs faute de moyens pour le faire, alors, assurément, ils auront gagné le combat.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Vous avez énuméré l'ensemble des aides dont vous avez bénéficié, y compris le mécénat et les exonérations, qui s'ajoutent aux subventions directes et indirectes. Quid de l'IP box ?
M. Philippe Salle. - Nous ne faisons pas d'IP box. Quoique, je n'en suis pas sûr à 100 %... Comme j'ai prêté serment, je vérifierai et vous transmettrai la réponse. Il me semble que nous n'avons pas recours à ce dispositif.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Dans ce cas, il vaut mieux dire que vous ne savez pas.
M. Philippe Salle. - Alors, je ne sais pas.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Nous aimerions que vous nous répondiez par écrit.
M. Philippe Salle. - Je le ferai.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Vous êtes en poste depuis un mois et demi. Nous comprenons tout à fait que vous n'ayez pas toutes les réponses.
M. Olivier Rietmann, président. - Ce dispositif s'applique à l'impôt sur les sociétés. Comme vous n'en payez plus, vous n'auriez pas grand intérêt à y recourir.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Je ne reviens pas sur le passé ; vous avez raison de vous tourner vers l'avenir. Il faut tout de même que nous cernions deux ou trois problèmes. Comme vous l'avez évoqué, votre entreprise comptait 110 000 salariés. Ce n'est plus le cas aujourd'hui...
M. Philippe Salle. - Nous sommes à un peu moins de 80 000.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Un peu moins, en effet. En deux ans, vous avez donc perdu pratiquement un tiers des effectifs, ce qui est considérable. Et cette fuite des cerveaux se poursuit.
M. Philippe Salle. - Si je puis me permettre, monsieur le rapporteur, il n'y a pas de fuite des cerveaux. Le taux de turn-over au sein d'Atos, de l'ordre de 15 % y compris l'année dernière, est comparable à celui de nos concurrents. Il n'y a pas de fuite. Nous avons perdu des contrats et nous avons également vendu certaines activités.
M. Fabien Gay, rapporteur. - J'y viens. Pour avoir rédigé avec trois autres collègues un rapport sur l'entreprise, je la connais assez bien.
M. Philippe Salle. - Je le sais bien.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Je rencontre régulièrement vos syndicats. J'avais d'ailleurs prévu de venir visiter l'usine d'Angers. Vous l'avez refusé, ce qui est parfaitement votre droit, mais je connais bien l'entreprise. Je le répète, de 110 000 salariés il y a deux ans, nous sommes tombés à un peu moins de 75 000. La baisse est considérable, en particulier pour une entreprise qui n'a pour actifs que ses cerveaux.
Certes, cela ne s'est pas fait sous votre direction et il est toujours simple de le dire après coup, mais il y a eu de mauvaises acquisitions, comme celle de Syntel, acheté 3,4 milliards d'euros. Il y a eu aussi de mauvais contrats - celui avec Siemens a beaucoup pesé -, ainsi que le refus du cloud privé. Il y a eu encore, pendant très longtemps, le refus - en tant que rapporteur communiste, je ne peux que le soutenir - de l'offshoring, notamment en Inde. Manifestement, vous avez accéléré sur cette question, puisque la moitié des effectifs se situe désormais en Inde.
À présent, vous vendez actif après actif. Worldgrid a été vendu à Alten pour 270 millions d'euros. Je rappelle que cette société, qui emploie 1 100 salariés, est spécialisée dans les systèmes de contrôle-commande des centrales nucléaires, notamment des futurs EPR 2. Il s'agit donc d'un actif assez stratégique et nous ne voulions pas qu'il tombe entre de mauvaises mains. Se pose désormais la question des supercalculateurs. L'État a fait une offre autour de 500 millions d'euros. Vous en voulez 625 millions d'euros, si j'en crois l'ensemble des coupures de presse que j'ai lues.
M. Philippe Salle. - Si je puis me permettre, l'offre que nous avons signée en novembre était de 500 millions d'euros, plus 50, plus 75.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Très bien, c'est donc une affaire réglée ?
M. Philippe Salle. - Non, elle n'est pas réglée. C'était une intention. Les négociations sont en cours. Je peux réaffirmer l'objectif que nous avions annoncé en novembre : signer un accord d'ici à la fin du mois de mai.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Vous allez donc vous séparer de cette activité.
M. Philippe Salle. - Si nous trouvons un accord.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Très bien, un accord autour de 625 millions d'euros.
Vous avez bien développé, dans votre propos liminaire, la présentation d'Eviden et de Tech Foundations. Je perçois une envie de fusionner de nouveau ces deux entités, qui avaient été séparées d'une très mauvaise façon à l'époque. Si je peux me permettre, cette scission aura coûté cher à l'entreprise, notamment pour rémunérer les cabinets de conseil qui ont mis cette idée dans la tête du président du conseil d'administration. Êtes-vous sur le point de fusionner de nouveau les deux activités ?
M. Philippe Salle. - Comme je vous l'ai dit, je ne peux pas tout dire. J'annoncerai beaucoup de choses le 14 mai prochain. Cela étant, je peux vous répéter ce que j'ai dit aux journalistes de Challenges.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Ces informations ne sont pas confidentielles. Je les ai obtenues dans la presse ou en discutant avec des salariés et des syndicalistes. Elles sont publiques. Je ne communique ici aucun élément relatif au secret fiscal ou au secret des affaires.
M. Philippe Salle. - J'ai déclaré dans la presse - et je vous le répète aujourd'hui - que la scission n'était pas un bon projet, et ce pour plusieurs raisons. La première est que nous sommes engagés dans une course à la taille. Pour jouer dans la cour des grands, il faut réaliser au moins 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Nous n'y étions pas l'année dernière et nous n'y serons pas cette année. En divisant le groupe en deux, nous devenons un acteur moyen dont le chiffre d'affaires avoisine les 4 ou 5 milliards d'euros. Cela n'a pas beaucoup de sens.
La seconde raison est que les activités concernées sont assez complémentaires. De prime abord, ces deux mondes n'ont strictement rien à voir, mais les activités de Tech Foundations s'articulent autour de contrats de très long terme qui permettent d'avoir de très bonnes relations avec les départements informatiques de nos clients. Cela ouvre la porte pour les activités de type Eviden. En se coupant d'une partie du business, Eviden aurait été extrêmement fragilisé. La réponse est donc oui : il n'y a plus de projet de scission.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Je pense également - je l'ai dit - que la scission entre les deux entités a été une erreur stratégique et industrielle assez grave.
J'ai par ailleurs été surpris, voire agacé, par une information : au moment où nous sortions notre rapport, l'État contribuait financièrement, sans monter au capital, à la restructuration de la dette d'Atos de 5 milliards d'euros. Je rappelle que 3,1 milliards d'euros ont été convertis en emprunts du capital pour l'ensemble des fonds, qui sont d'ailleurs aujourd'hui détenus par les seuls actionnaires, et qu'il reste 1,9 milliard d'euros à restructurer...
M. Philippe Salle. - Pour être très précis, nous avons une dette brute de 3,1 milliards d'euros. Nous disposons, par ailleurs, de 1,8 milliard d'euros de liquidités.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Disons 1,8 milliard d'euros, vous connaissez le chiffre mieux que moi. Toujours est-il que l'État a mis au pot 50 millions d'euros, sans contrepartie. Or au même moment, Atos annonçait la création d'une double holding, Dutch Co, aux Pays-Bas, ce montage juridique et financier devant permettre de payer moins d'impôts et de réduire la fiscalité sur les cessions d'actions et les dividendes.
Nous sommes, nombre de mes collègues et moi-même, bienveillants avec Atos. Nous souhaitons que le comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) intervienne. Le fait que des fonctionnaires viennent au chevet d'entreprises en difficulté pour les accompagner dans la restructuration de leur dette est aussi une forme d'aide. Tout le monde ici, je pense, en sera d'accord. On vous a donné 50 millions d'euros, notamment pour passer les jeux Olympiques et pour stabiliser l'entreprise. Tout le monde était d'accord avec cette décision. Mais permettez-moi de vous dire mon étonnement, pour ne pas dire mon agacement, d'apprendre que, au moment même où nous l'accompagnions sans contrepartie dans la restructuration de sa dette, l'entreprise envisageait une solution d'optimisation fiscale à l'étranger.
Je considère que l'État peut et doit accompagner les entreprises en difficulté. Mais on ne peut pas en même temps demander le soutien de l'État, qui n'est même pas actionnaire, et jouer une fois encore la carte de l'optimisation fiscale, sachant, de plus, que vos résultats étant déficitaires, vous ne payez déjà pas l'impôt sur les sociétés.
M. Philippe Salle. - Nous sommes d'accord. Puis-je rectifier deux points ?
M. Fabien Gay, rapporteur. - Naturellement, c'est un échange !
M. Philippe Salle. - Le prêt que vous évoquez a été remboursé le 18 décembre dernier à un taux de 15 %. L'État a certes été présent, mais il a aussi été bien servi en termes d'intérêts. Je rappelle que 15 % de 50 millions d'euros, c'est 7,5 millions d'euros.
M. Fabien Gay, rapporteur. - C'est sans commune mesure avec l'ensemble des cabinets de conseil qui ont oeuvré au cours des cinq dernières années pour un montant de 300 millions à 500 millions d'euros, contribuant à scinder l'entreprise en deux et à la mettre en difficulté !
M. Philippe Salle. - Je tiens simplement à dire que ce prêt a été remboursé.
M. Fabien Gay, rapporteur. - L'État ne s'est pas « gavé » sur Atos.
M. Philippe Salle. - Je ne me serais pas permis de dire cela.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Beaucoup, en revanche, se sont gavés. L'État a été au rendez-vous pour accompagner une entreprise dans laquelle il n'avait aucune participation. Je préfère le dire.
M. Philippe Salle. - Par ailleurs, la double Dutch Co que vous évoquez n'a pas été créée dans une perspective d'évasion fiscale, comme cela a pu être écrit.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Il s'agit non pas d'évasion, mais d'optimisation.
M. Philippe Salle. - L'objectif n'était même pas la simplification ou l'optimisation fiscale, appelez cela comme vous voulez. Nos créditeurs ont simplement demandé que certains actifs soient protégés, en prévention de nouveaux problèmes. L'idée n'était pas de payer moins d'impôts. Cette solution permet de loger certains actifs et d'offrir une lecture plus simple aux créditeurs. Cela ne change rien sur le plan fiscal, je peux vous l'assurer.
M. Fabien Gay, rapporteur. - J'ai lu le document que vous nous avez transmis. Vous avez raison : ce sont vos créanciers, donc vos actionnaires, qui vous l'ont demandé. Je répète qu'il ne s'agit pas d'évasion fiscale. Un montage juridique et financier visant à payer moins d'impôts, cela s'appelle de l'optimisation fiscale, et c'est tout à fait autorisé. On peut s'interroger sur la moralité de la démarche, mais elle est légale.
M. Olivier Rietmann, président. - Jusqu'à un certain point !
M. Fabien Gay, rapporteur. - Par ailleurs, je m'interroge sur cette volonté de réduire la fiscalité sur les cessions d'actions et sur les dividendes, alors que vous étiez en pleine restructuration de la dette et que des ventes d'actions avaient lieu. Je vous le dis en tant que parlementaire ayant un regard acéré sur la situation : que l'État accorde un prêt de 50 millions d'euros, très bien, mais que, au même moment, quasi concomitamment, ce schéma soit organisé, cela m'interroge d'autant plus que l'État n'est pas actionnaire de l'entreprise !
On a beaucoup reproché à l'État de ne pas avoir agi plus tôt. Selon moi, chaque chef d'entreprise est responsable de la conduite de son entreprise. On ne peut pas demander à l'État de venir pallier la défaillance des directions successives et, quand ce dernier est au chevet de l'entreprise pour tenter de préserver des emplois, agir de la sorte. Cela n'aurait pas dû être fait, du moins pas de façon concomitante.
M. Philippe Salle. - Je le note. Je me permets simplement de vous redire qu'il ne s'agit nullement d'une démarche d'optimisation.
M. Fabien Gay, rapporteur. - En général, quand on crée une double holding aux Pays-Bas, ce n'est pas pour aller cueillir des fleurs ni par amour des tulipes !
M. Michel Masset. - Les années 2023 et 2024 ont été particulièrement éprouvantes et difficiles pour votre groupe. Vous devez annoncer le 14 mai prochain votre feuille de route. Sans trahir de secret, pouvez-vous nous dire si la part des aides publiques dans cette feuille de route sera plus ou moins importante ? Quelle est par ailleurs votre vision de l'accompagnement européen dans l'avenir du groupe Atos ?
M. Philippe Salle. - Sans dévoiler de secret, il n'y aura pas d'appel, dans notre feuille de route, à une augmentation des aides françaises ou européennes. Au passage, la plupart des aides que nous percevons sont concentrées sur l'activité de calculateurs, que nous allons perdre et dont l'Agence des participations de l'État (APE) deviendra actionnaire. De fait, le montant de nos subventions diminuera substantiellement à partir de 2026, puisque nous serons dès lors une société de services n'exerçant plus d'activité de hardware.
M. Michel Masset. - Qu'en est-il de votre repositionnement européen ?
M. Philippe Salle. - Nous sommes déjà un acteur essentiellement européen, puisque près de 70 % de l'activité du groupe a lieu en Europe. Dans les grandes lignes, les États-Unis représentent environ 20 % de notre chiffre d'affaires et le reste du monde environ 10 %. Notre objectif est naturellement de poursuivre dans cette direction. Nous sommes un acteur français dont le siège est en France. La double Dutch Co disparaîtra lorsque nos créanciers seront remboursés. Cette structure n'est pas pérenne ; elle a été créée selon un principe de caution, et c'est tout.
Nous avons donc vocation à nous développer fortement en Europe, où le potentiel est phénoménal. Les acteurs mondiaux et européens sont peu nombreux. En réalité, nous ne sommes que deux au niveau mondial et les deux acteurs sont français. Nous continuerons à nous développer en France, bien sûr, mais dans aussi d'autres pays, puisque nous sommes très forts en Allemagne et en Angleterre. Nous sommes également présents en Belgique, aux Pays-Bas ou encore dans les États nordiques.
Permettez-moi de corriger une donnée. En Inde, les effectifs sont de 20 000 personnes, soit 25 % du total, et non pas 50 % comme vous l'avez dit. Le nearshoring en Europe - en Roumanie, en Pologne et en Bulgarie notamment - représente bien en revanche 50 % du total. Il faut savoir que de nombreux acteurs publics européens nous demandent de faire de l'offshoring, mais en Europe.
M. Olivier Rietmann, président. - Pourriez-vous préciser ces notions ?
M. Philippe Salle. - Le nearshoring, de l'anglais « à côté », consiste à recourir à une main-d'oeuvre localisée dans des pays à moindre coût, mais en Europe. L'offshoring concerne des pays situés hors d'Europe. Nous sommes ainsi très présents en Inde et, dans une moindre mesure, aux Philippines.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Au temps pour moi. 25 000 personnes sur 75 000, cela ne fait pas 50 %.
M. Philippe Salle. - 20 000, pour être précis. Cela fait un quart des effectifs.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Nous sommes plus près du tiers.
M. Philippe Salle. - Si vous voulez.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Pour répondre à M. le président, l'offshoring, c'est la délocalisation d'emplois sans site industriel. C'est de la délocalisation de cerveaux. M. le président-directeur général vient de le dire : il s'agit de délocaliser pour réduire le coût du travail.
M. Philippe Salle. - Exactement, c'est une façon d'être plus compétitifs face à d'autres acteurs, notamment les Indiens, qui sont très forts. Je disais que le CICE et le CIR n'étaient pas des aides, mais que ces dispositifs permettaient simplement de baisser le coût des salaires en France. Pour votre information, un ingénieur en Inde coûte cinq fois moins cher qu'un ingénieur en France. Or il fait le même travail. Il ne faut pas penser que ces gens travaillent moins bien ; ils travaillent même plus, à peu près quarante heures par semaine. Lorsque nous sommes pressés sur les prix - nous le sommes, y compris par les administrations publiques -, nous essayons aussi de proposer un meilleur prix à nos clients. Pour ce faire, nous sommes contraints d'utiliser certaines ressources à l'étranger.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Si je comprends bien, pour concourir à des marchés publics, vous avez parfois recours à des cerveaux non pas français ou européens, mais indiens...
M. Philippe Salle. - Non, pour les marchés publics, c'est pratiquement impossible et cela nous est souvent interdit. C'est la raison pour laquelle nous recourons au nearshoring : nous utilisons, comme vous le dites, des cerveaux roumains ou polonais notamment, qui ne sont pas français, mais européens.
M. Olivier Rietmann, président. - C'est assez extraordinaire. Ces personnes font partie de l'entreprise, heureusement.
M. Philippe Salle. - Nous ne nous permettrions pas de recourir à du personnel indien si les règles des marchés publics nous l'interdisent. Je vous promets que nous ne le faisons pas.
M. Daniel Fargeot. - Nous sommes impatients de connaître la stratégie que vous annoncerez au mois de mai. C'est une étape importante pour l'avenir d'Atos, auquel tout le monde est attentif. L'an passé, Atos a annoncé le recours à un mandataire pour faciliter la discussion avec ses vingt-deux banques créancières, afin de refinancer sa dette d'ici à la fin de 2025. Le ministre de l'économie indiquait que l'État utiliserait tous les moyens à sa disposition pour préserver les activités stratégiques du groupe. Dans cette situation d'urgence économique, avez-vous identifié ou expérimenté des formes d'aides autres que financières que l'État pourrait mettre à disposition de votre société qui, vous l'avez dit, deviendra davantage une société de services ?
M. Philippe Salle. - Sur les activités dites de services, hors supercalculateurs, nous avons besoin non pas d'aides, mais de clients, États ou administrations publiques européennes ou françaises. Oui, nous devons atteindre une certaine taille, un certain volume. J'évoquais les coûts et la préférence qui pourrait être donnée à certains acteurs. Il faut s'assurer que les données que nous manipulons restent en Europe. C'est très important pour notre souveraineté.
Mon objectif principal est le retour de la croissance. Notre chiffre d'affaires a décru au premier semestre de 15 %, en raison notamment de la perte de contrats. Il faut le savoir, lorsque les agences de notation nous ont placés en défaut sur la question de la dette, certaines entreprises, notamment américaines, ont mis un terme aux contrats qui nous liaient, craignant une prochaine disparition d'Atos. Nous avons perdu, au travers de ces contrats, des centaines de millions d'euros, et au passage des salariés.
La note d'Atos est repassée à B- le 18 décembre dernier. C'est une note qui reste assez faible et nous aimerions bien sûr retrouver - c'est l'un de nos objectifs - le triple B qui était le nôtre voilà quelques années. Il est surtout important de retrouver le chemin de la croissance, et nous estimons y parvenir en 2026. Le point bas sera 2025, en raison des contrats perdus en 2024. Depuis quatre mois, nous n'avons perdu aucun appel d'offres, c'est plutôt bon signe. Je traîne simplement derrière moi le poids très lourd des années 2023-2024. Nous mettons fin tout de même à certains contrats négatifs. La baisse du chiffre d'affaires de 15 % est donc due également à des actions volontaires de notre part. J'estime que nous devons pouvoir travailler à marge positive. Nous sommes donc en train de renégocier ou de rompre certains contrats qui étaient à marge négative.
Nous espérons retrouver la croissance au quatrième trimestre. Plutôt que de recevoir des aides, nous préférons continuer à servir les administrations publiques ou les sociétés d'État, en France ou en Europe.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Au-delà de la simplification de l'instruction des dossiers d'aides que vous souhaitez, êtes-vous favorable à une conditionnalité renforcée des aides publiques au respect de certains critères sociaux, environnementaux ou à d'autres engagements ? Dans le cadre de vos activités à l'étranger, avez-vous l'impression que certaines aides sont moins complexes à mettre en oeuvre et plus efficaces ? Les conditions de contrôle sont-elles plus faciles ?
M. Philippe Salle. - Je ne cherche pas à vous dire que tout est plus facile ailleurs. La confiance n'exclut pas le contrôle. Que notre entreprise soit contrôlée, en France ou dans les autres pays, cela me va très bien. Il y a forcément des acteurs qui jouent avec les règles, ce qui n'est pas notre cas. Je ne vois donc aucun souci dans le fait que, dès lors que nous touchions des aides, nous soyons contrôlés.
Il faut bien comprendre néanmoins que nous agissons sur un marché mondial. À un moment donné, je prends la décision de placer ou de déplacer certaines équipes à tel ou tel endroit. Dans ce contexte, il serait dommageable pour un groupe comme le nôtre que la France impose des critères trop compliqués - vous évoquez la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ou d'autres critères -, auxquels ne seraient pas soumis ses concurrents.
Il y a des aides dans tous les pays et, dans certains d'entre eux, il est plus simple d'en bénéficier. Le contrôle me paraît tout à fait normal. Tout ce que je demande, c'est d'éviter de permettre à nos concurrents de nous attaquer plus facilement sur nos marchés.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Ce débat est très intéressant. Vous trouverez ici de nombreux sénateurs favorables à l'idée que l'on accompagne une entreprise pour maintenir ou développer des emplois ou pour assurer une transition numérique, énergétique ou écologique. Lorsque l'on parle du marché international, il est souvent question des États-Unis et de la Chine, qui, il est vrai, subventionnent, parfois à gogo, certaines filières industrielles. Ce financement peut être très simple et passer par des guichets uniques, mais le retour sur investissement se fait à l'intérieur de ces pays.
Pour nous, les choses sont différentes. Prenons le CIR par exemple, qui est censé favoriser la compétitivité, même si nous pourrions en débattre. On s'aperçoit tout d'abord que cette aide est conditionnée à une activité non pas en France, mais dans l'Union européenne, et, ensuite, que la sous-traitance est permise. Surtout, le CIR n'impose aucune contrepartie en matière d'industrialisation. On peut donc faire de la recherche et développement en France ou au sein de l'Union européenne et ensuite délocaliser ailleurs pour réduire le coût du travail. C'est un problème : on ne peut pas en même temps demander de la simplification, une moindre présence de l'État et un allègement des normes et attendre que l'État octroie des aides publiques sans aucune contrepartie pour la nation.
Nous sommes prêts à examiner la question du guichet unique et à simplifier les procédures. Aucun parlementaire ne vous dira le contraire. En revanche, nous voudrions au minimum que l'argent public serve non seulement à la phase de recherche et développement, mais aussi à l'industrialisation du territoire, en France ou sein de l'Union européenne. Les États-Unis, eux, ne financent pas la recherche et développement aux États-Unis pour industrialiser l'Europe !
M. Olivier Rietmann, président. - Quelle est votre position sur cette question ? Nous avons discuté ce matin de la présence d'entreprises étrangères qui viennent en France exercer une activité de R&D dans le but de bénéficier des aides publiques, avant de réaménager leur production industrielle dans leur pays d'origine. Certaines entreprises françaises, de leur côté, bénéficient d'aides à la R&D, puis produisent à l'étranger. Je ne demande pas que la production se fasse en totalité en France, mais il y a un minimum.
M. Philippe Salle. - L'ensemble de la production d'Atos est situé en France. Nos supercalculateurs sont à Angers, où notre usine a été entièrement rénovée et inaugurée récemment. Il s'agit d'un projet de plusieurs années qui sera conduit à l'avenir par l'APE. Je fais donc en sorte que ce projet se poursuive.
Notre activité de supercalculateurs et de logiciels étant localisée en France, toutes les aides que nous percevons, au titre du CIR notamment, sont utilisées pour des produits développés en France. Qu'un État exige des contreparties, cela ne me choque pas. L'articulation entre la R&D et les ateliers, tout ce qui relève de la fabrication proprement dite, représente, me semble-t-il, un autre sujet. Pour notre part, nous sommes dans le monde de la technologie et de la recherche. Nous n'avons pas de centre de production en dehors de la France.
M. Olivier Rietmann, président. - Nous avons beau être sénateurs, nous ne sommes pas totalement déconnectés. Nous savons bien qu'il y a un enjeu sur le coût du travail. Il faut trouver le bon équilibre.
M. Philippe Salle. - C'est bien pour cela que nous avons des effectifs en Inde. Il faut savoir que la France « produit » 50 000 ingénieurs quand l'Inde en produit 1,5 million. La vérité est que nous ne pouvons pas rivaliser avec ce pays. Il reste que nous subissons, de la part des administrations comme de tous nos clients, des pressions sur le prix de nos prestations. Je ne peux pas faire 100 % du travail en France, c'est impossible. Je ne pourrais pas tenir face à mes concurrents.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Pour être compétitif sur les marchés publics, une partie du travail effectué pour l'administration est donc réalisée hors de France...
M. Philippe Salle. - En effet, mais en Europe, en Roumanie notamment. Les contrats avec les administrations nous imposent de travailler au sein de l'Union européenne.
M. Daniel Fargeot. - Atos est en difficulté d'un point de vue économique. Pourtant, c'est un fleuron pour la France et pour l'Europe. On évoque souvent la souveraineté nationale et européenne. Au-delà des aides financières, l'État français ne pourrait-il pas prendre part au capital, en attendant que la société revienne à un niveau de rentabilité plus cohérent ? Cela éviterait notamment une éventuelle offre publique d'achat (OPA) de la part de vos concurrents. Cela pourrait être aussi une forme d'aide.
M. Philippe Salle. - Nous sommes aujourd'hui protégés par l'État. Vous savez que l'État a acquis une action de préférence dans notre filiale Bull. Lorsque l'activité de supercalculateurs sera vendue, ce dernier conservera un droit de regard. On ne peut pas faire n'importe quoi. Je considère qu'il n'y a aucun risque qu'un concurrent vienne nous acheter, sauf si, bien sûr, il en demande l'autorisation à l'État et si ce dernier donne son feu vert.
Ensuite, comme vous le savez, le 18 décembre 2024 a été un big bang pour Atos, puisqu'une grosse partie de sa dette a été effacée. Nos états de liquidité montrent - nous étions aux alentours de 2,2 milliards d'euros en fin d'année et à un peu moins de 2 milliards d'euros à la fin du mois de mars - que le groupe n'a pas de problème de liquidités.
Ce qu'il nous faut, c'est redresser ce fleuron, comme vous dites, pour qu'il redevienne rentable et retrouve un cash-flow positif. Ce sera le cas en 2026. C'est en tout cas l'objectif que nous nous sommes fixé et je pense que nous l'atteindrons. Pour y parvenir, nous n'avons pas besoin de l'État. Cela demande un véritable travail. L'État nous protège déjà au travers de cette action de préférence. De toute façon, il sera vigilant dans l'hypothèse où un acteur souhaiterait faire une improbable OPA sur le groupe.
M. Daniel Fargeot. - Tant mieux !
M. Fabien Gay, rapporteur. - Ce que vous venez dire est valable pour Eviden, moins pour la partie Tech Foundations.
M. Philippe Salle. - En effet, mais le groupe entier est protégé. Si vous touchez au groupe, vous touchez à Eviden.
M. Fabien Gay, rapporteur. - C'est pour cela qu'il est important de rassembler les deux entités.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Tout le monde sait que Daniel Kretinsky, par exemple, était très intéressé par Tech Foundations.
M. Philippe Salle. - Vous avez raison, mais aujourd'hui, personne ne peut toucher au groupe Atos.
M. Fabien Gay, rapporteur. - C'est mieux !
M. Philippe Salle. - Oui, je trouve cela très bien en tant que PDG. Il faut éviter les prédateurs, notamment parce que nos activités revêtent encore un caractère souverain. Il est hors de question qu'elles tombent dans n'importe quelles mains. En tant que Français, je ferai tout pour qu'elles soient protégées.
M. Fabien Gay, rapporteur. - La scission en deux filiales laissait penser que Tech Foundations pouvait être rachetée.
M. Philippe Salle. - C'était en effet le projet.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Les activités de Tech Foundations et d'Eviden étant fortement liées - vous l'avez souligné, tel contrat en amène un autre -, l'idée qu'un Kretinsky puisse racheter une partie des activités suscitait une certaine crainte. C'est plutôt une bonne chose que cela ne puisse pas se faire, du moins pour l'instant.
Vous nous avez donné le montant que vous avez perçu au titre du CIR - 38 millions d'euros -, mais vous ne nous avez pas indiqué le montant global de R&D du groupe en France. Nous aimerions estimer le pourcentage que représente l'aide publique dans la recherche et développement du groupe Atos.
M. Philippe Salle. - Je n'ai pas cette information, mais je pourrai vous la transmettre par écrit. Il s'agit d'une donnée ultra confidentielle. Le pourcentage est inférieur à 10 %.
M. Olivier Rietmann, président. - Je comprends votre réserve. Il est assez facile d'effectuer des calculs. Les chiffres que vous nous enverrez resteront strictement confidentiels dans la mesure où ils n'auront pas été communiqués lors de cette réunion.
M. Philippe Salle. - Il faut bien comprendre que nous avons deux types d'activité. Sur le chiffre d'affaires de 9,6 milliards d'euros de l'année dernière, la partie dite hardware-software représente à peu près 1 milliard d'euros. La partie dite services représente environ 8,5 milliards d'euros et le montant de la recherche y est assez faible.
M. Fabien Gay, rapporteur. - L'infogérance est une activité qui est plutôt en déclin.
M. Philippe Salle. - Elle est en transformation. Nous aidons nos clients à passer sur le cloud, sachant qu'ils sont de plus en plus nombreux à se demander où vont leurs données. Dans ce contexte, il est très important que les centres de données restent en Europe. Sur l'activité software-hardware, les montants de R&D sont en effet beaucoup plus significatifs.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Vous nous transmettrez ces chiffres, qui resteront confidentiels.
M. Olivier Rietmann, président. - Monsieur le président-directeur général, plutôt que de dire : « Je ne sais pas » - cela m'aurait surpris que vous n'ayez pas ces chiffres -, dites-nous tout simplement : « Nous vous les enverrons ». Il s'agit d'une information qui mérite d'être protégée au regard de l'importance de l'entreprise.
Je vous remercie de votre franchise et de votre disponibilité.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 15 h 10.
Audition d'EDF - MM. Luc Rémont, président-directeur général, et Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques
- Présidence de M. Olivier Rietmann, président -
La réunion est ouverte à 15 h 30.
M. Olivier Rietmann, président. - Mes chers collègues, à l'ordre du jour des travaux de la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants figure à présent l'audition de MM. Luc Rémont, président-directeur général d'EDF, et Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques.
L'audition de ce jour est enregistrée et diffusée en direct, et elle fera l'objet d'un compte rendu sur le site du Sénat.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
M. Luc Rémont, président-directeur général d'EDF. - Mon épouse travaille pour Bpifrance. Comme moi, elle s'est déportée de certains sujets.
M. Olivier Rietmann, président. - Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Rémont et Le Thiec prêtent serment.
Notre commission d'enquête, dont les membres ont été nommés le 15 janvier dernier, vise trois objectifs principaux.
Tout d'abord, nous entendons établir le coût des aides publiques octroyées aux grandes entreprises, entendues comme celles employant plus de 1 000 salariés et réalisant un chiffre d'affaires net mondial d'au moins 450 millions d'euros par an, ainsi que le coût des aides versées à leurs sous-traitants.
Ensuite, il s'agit déterminer si ces aides sont correctement contrôlées et évaluées, car nous devons veiller à la bonne utilisation des deniers publics.
Enfin, nous souhaitons réfléchir aux contreparties qui pourraient être imposées en matière de maintien de l'emploi au sens large lorsque des aides publiques sont versées à de grandes entreprises qui procèdent ensuite à des fermetures de site, prononcent des licenciements, voire délocalisent leurs activités.
Depuis la loi du 11 avril 2024, EDF est une société anonyme « d'intérêt national », dont le capital est détenu à 100 % par l'État. Société chère au coeur de nos concitoyens, EDF compte environ 190 000 collaborateurs dans le monde entier et elle est aujourd'hui le premier producteur mondial d'électricité bas carbone grâce notamment à son parc nucléaire.
Après une présentation succincte de l'activité de votre groupe, nous aimerions connaître votre regard sur les aides publiques aux entreprises.
Quelles sont les principales différences entre les aides versées en France et celles qui sont octroyées dans les pays où votre groupe est présent ?
Quel est le montant global des aides publiques reçues par votre groupe en 2023 en France, en particulier des subventions ?
Quel est le panorama de vos sous-traitants et des aides qu'ils perçoivent ?
Avez-vous le sentiment que les aides publiques aux entreprises sont suffisamment suivies et évaluées en France ?
Quelles sont selon vous les aides dont l'efficacité est avérée et celles dont l'efficacité est douteuse ? Quelles seraient vos propositions pour renforcer l'efficience des aides publiques octroyées aux entreprises ?
Seriez-vous favorable à l'introduction de conditions ou de critères visant à évaluer l'efficacité des aides ? Quelles devraient être alors les limites à la conditionnalité de ces aides ?
Je vous propose de traiter ces questions dans un propos liminaire de vingt minutes environ, avant de répondre aux questions de notre rapporteur et des membres de la commission d'enquête.
M. Luc Rémont. - EDF est une société anonyme d'intérêt national, détenue à 100 % par l'État. Depuis 1946, elle est engagée dans l'électrification du pays et, depuis plusieurs décennies, dans sa décarbonation. EDF est aujourd'hui le premier producteur mondial d'électricité bas carbone et représente environ 20 % de la production de ce type d'électricité au sein de l'Union européenne.
EDF a développé son activité en tant qu'entreprise industrielle, sans aides d'État. À l'exception des renouvelables, l'ensemble de notre appareil productif, qu'il s'agisse du nucléaire ou de l'hydraulique, a été financé par les Français en tant que clients.
Notre outil industriel est constitué de 57 réacteurs nucléaires et de plusieurs centaines de barrages, qui contribuent à l'équilibre instantané du système électrique grâce au suivi de la demande et à la capacité de s'adapter à l'intermittence.
Notre modèle économique est grevé depuis treize ans par un dispositif qui est précisément l'inverse d'une aide d'État : nous sommes contraints de céder de facto les deux tiers de notre production nucléaire en dessous de son coût de production, le reste étant vendu aux conditions du marché. Ce dispositif prendra fin au terme de l'année 2025.
Dans ce contexte, nous avons poursuivi des investissements massifs destinés à assurer la pérennité de notre mission auprès des Français, dans tous les domaines d'activité du groupe en France et à l'étranger.
En France, ces investissements atteindront bientôt 25 milliards d'euros par an. Ils seront notamment dédiés au grand carénage de l'activité nucléaire, à hauteur de 6 milliards d'euros par an, à la maintenance du parc hydroélectrique qui sera, je l'espère, bientôt libérée des contraintes juridiques qui l'affectent, et qui représente plusieurs centaines de millions d'euros par an, au développement du réseau de notre filiale Enedis, pour 5 milliards d'euros par an, ainsi qu'au nouveau nucléaire, maintenant que la centrale de Flamanville est raccordée au réseau.
EDF réalise ces investissements dans un contexte de concurrence sur le prix de l'électricité. Or, dans la période récente, la totalité de nos investissements en France est deux fois supérieure à ceux qui sont réalisés dans un cadre bénéficiant d'une aide sous forme de garantie de prix. Nous avons ainsi été, de très loin, le premier investisseur, en prenant un pari sur la capacité de l'équilibre futur entre l'offre et de la demande électrique à soutenir notre activité industrielle, malgré une régulation qui nous empêchait de vendre notre électricité à un prix correspondant à son coût.
L'an dernier, EDF a payé 5,111 milliards d'euros d'impôts en France. Ce montant doit augmenter, sous forme de contributions ou d'impôts.
Cette année, nous payerons un dividende au titre de nos résultats. Cela me paraît normal, dès lors que l'entreprise est profitable. Ainsi, les contributions faisant l'objet d'impôts spécifiques à notre activité, sur le nucléaire notamment, atteindront 2,745 milliards d'euros en 2025, voire davantage, en fonction des décisions que prendra le pouvoir réglementaire sur la base des autorisations législatives ouvertes par la loi de finances.
Nous sortons actuellement d'une crise énergétique, dont le déclenchement, entre 2021 et 2022, résultait à la fois de la guerre en Ukraine, d'un manque d'eau patent et du problème de la corrosion sous contrainte.
Fort heureusement, grâce à la reprise de notre production industrielle, qui a permis à notre production électronucléaire de remonter à 360 TWh l'année dernière, contre 280 TWh pendant la crise, nous pouvons désormais envisager la fin de cette décennie et le début de la prochaine avec un volume suffisant pour faire face à la demande. Ainsi, en 2024, nous avons exporté 90 TWh à destination de nos voisins.
En outre, nous constatons une détente très nette des prix de l'électricité. L'année 2026 sera la première année post-Arenh (accès régulé à l'électricité nucléaire historique). Les prix qui se forment actuellement sur le marché de gros sont de 59,70 euros le mégawattheure. Ce sont les prix les plus compétitifs en Europe, inférieurs même à ceux de l'Espagne. En Allemagne et en Belgique, ils s'élevaient à 79 euros le mégawattheure, à 86 euros au Royaume-Uni et à 97 euros en Italie. Cette nouvelle situation, appelée à durer, nous permet de formuler des propositions commerciales pour nos clients comme pour nos concurrents, à qui nous fournissons de l'électricité au-delà de 2030. Nous pourrons ainsi sortir de l'incertitude qui pesait sur les conditions de prix de l'électricité et faire des choix résolus d'électrification pour contribuer à la décarbonation.
Le prix de l'électricité dépend du prix de fourniture, mais également des tarifs de réseau et des taxes. L'évolution future de la performance de notre système électrique sera reflétée par cet ensemble.
Les tarifs de réseau seront conduits à augmenter en raison de la multiplication des besoins de raccordement de nouvelles sources d'injection dans le réseau de transport ou de distribution à venir. La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a récemment décidé d'une hausse de 10 % des tarifs de transport d'Enedis et de Réseau de transport d'électricité (RTE) pour refléter les investissements passés et à venir dans le cadre du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (Turpe) 7, pour une période de trois ans.
Par ailleurs, même s'il n'y a pas de lien de cause à effet direct entre les prix de rachat de l'électricité sur les moyens de production qui bénéficient d'une garantie de prix et la taxe sur l'électricité, le coût, pour le contribuable, de ces moyens de production devra être répercuté. Ce coût représentait 3,2 milliards d'euros en 2024. Il s'élève à 4 milliards d'euros en 2025 et atteindra 7,7 milliards d'euros en 2027. Si les prix relativement bas que nous connaissons aujourd'hui se maintiennent d'ici à 2030, comme l'anticipent les marchés de l'énergie, 10 à 12 milliards d'euros de subventions publiques seront nécessaires à l'équilibre du système électrique à cet horizon.
Ces préoccupations sont donc essentielles pour la compétitivité de l'ensemble de notre système électrique et sous-tendent les débats sur la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).
Pour autant, le principal sujet de compétitivité pour les activités énergo-intensives reste l'écart entre le prix du gaz européen et celui du gaz américain, ce qui induit des contraintes insolubles pour notre entreprise.
J'en viens à la question des aides d'État. Différentes activités d'EDF sont éligibles à des aides, notamment dans le domaine de la recherche et développement (R&D) et du développement.
Le groupe bénéficie du crédit d'impôt recherche (CIR) à hauteur de 72 millions d'euros, pour une dépense totale d'EDF seule de 370 millions d'euros. Le taux du crédit est de 5 % pour la partie des dépenses supérieure à 100 millions d'euros.
Par ailleurs, les projets de R&D du groupe EDF sont soutenus à hauteur de 7 millions d'euros par des aides provenant à 70 % de l'Union européenne.
Certains projets de nos clients font également l'objet d'aides, auxquelles nous contribuons également. Je pense par exemple au fonds Chaleur de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).
Enfin, le seul développement nucléaire qui a fait l'objet d'une aide dans l'histoire du groupe EDF est le petit réacteur Nuward (Nuclear forward), qui, dans le cadre d'un programme approuvé à hauteur de 300 millions d'euros, a bénéficié de 150 millions d'euros de subventions, dont 15 millions restent à recevoir. L'an dernier, ce projet a été réorienté vers la construction d'un réacteur de cogénération, pour lui donner les meilleures chances d'aboutissement dans un marché relativement incertain.
Nous recevons également des aides pour l'apprentissage, qui sont passées de 28 millions d'euros en 2024 à 9 millions d'euros en 2025. Si cette réduction est compréhensible, il importe avant tout que ces aides continuent à soutenir notre filière industrielle. Sur le nucléaire et les réseaux électriques au sens large, mon groupe représente plus de 600 000 personnes en France. Or, pour l'ensemble des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) comme pour EDF, l'alternance fait partie des moyens les plus sûrs d'attirer les jeunes talents et de les conserver.
L'électrification des usages est souhaitée par tous en tant que véhicule fondamental de décarbonation. Cependant, un écart se creuse entre ce désir d'électrification, tel qu'il est planifié, et la réalité. Les planifications économiques pour 2035-2040 prévoient une consommation électrique de 650 TWh à 700 TWh dans notre pays. Or nous en sommes à 400 TWh, et l'aiguille ne bouge pas. Si nous ne nous confrontons pas à cette réalité, nous nous retrouverons dans quelques années face à un écart entre le dimensionnement du système de production électrique, de transport et de distribution et les niveaux de consommation, et cela se traduira par une augmentation des coûts.
Pour accélérer la hausse de la consommation et la conversion des usages, les opérateurs doivent offrir des prix compétitifs à long terme pour garantir une visibilité à ceux qui peuvent utiliser l'électricité, certes. Mais la politique publique a aussi un rôle à jouer. En cela, la stabilité est essentielle. MaPrimeRénov' a connu cinq à dix évolutions en deux ans. Il en va de même pour les aides à l'installation d'une pompe à chaleur ou à l'adoption d'un véhicule électrique. Plus qu'un quantum d'aides dans ce domaine, c'est la clarté de l'objectif de la politique publique et sa stabilité qui permettront aux acteurs de réaliser des choix avisés en matière de décarbonation.
Nous avons plaidé, dans le cadre européen, pour l'établissement d'une banque de l'électrification. Une banque de la décarbonation a finalement été créée, ce qui nous convient parfaitement. En effet, pour beaucoup d'industriels, le choix de la décarbonation par l'électricité est un cheminement qui nécessite plusieurs étapes, dont certaines requièrent l'engagement d'un capital significatif. Une politique publique homogène à l'échelle européenne peut donc les aider à prendre les bonnes décisions.
Par ailleurs, les délais de raccordement des utilisateurs sont encore trop longs, souvent à cause de la lourdeur des procédures. De nombreux leviers peuvent donc être actionnés avant même de songer à des aides financières.
J'en viens aux politiques publiques liées à la production. À l'échelle européenne comme mondiale, les dispositifs de garantie de prix compensent l'instabilité intrinsèque des prix de l'électricité et offrent une visibilité suffisante pour engager des sommes considérables sur une vingtaine d'années.
Le cadre européen me paraît stable et bien défini. En 2023, il a été révisé de manière à considérer l'ensemble des moyens de production électrique à parité, sans biais technologiques. Ainsi, chaque pays, notamment la France, peut développer son instrument de production électrique en choisissant les technologies les plus pertinentes. C'est une évolution majeure. Il est essentiel que le même esprit prévale pour l'hydrogène.
Cependant, en raison d'un écart croissant entre l'offre et la demande, un déséquilibre du système électrique s'observe entre sources commandables et intermittentes. Il faut éviter que cette situation ne grève la stabilité physique ou économique du système. C'est le plus grand défi des années à venir.
Il serait donc préférable d'orienter la politique publique en déterminant l'utilité pour le système électrique de chaque demande de raccordement, ne serait-ce que pour juger si une garantie publique est souhaitable ou non.
Permettez-moi de préciser que le groupe EDF est présent dans toutes les technologies et tient précisément à conseiller les autorités publiques dans la bonne allocation des ressources pour la performance du système. Mais à très court terme, l'explosion des demandes de raccordement dans le domaine solaire a conduit à une multiplication par deux, en 2024, du nombre d'heures où le prix de l'électricité était nul, voire négatif. Or cela signifie que toute l'électricité ajoutée à cela sera payée en totalité par la garantie publique. In fine, il est demandé à ces nouvelles capacités, ainsi qu'aux capacités existantes, de se débrancher sur ces créneaux, alors qu'elles sont payées comme si elles avaient produit de l'électricité ! Ainsi, en choisissant de subventionner différents moyens de production par une garantie de prix, on engage la stabilité du système électrique pour les prochaines décennies.
Trois pistes importantes pour l'avenir doivent être soulignées.
Tout d'abord, il me semble que la meilleure aide réside dans la réduction du poids des procédures. Les démarches administratives ont pris une place déterminante, dix fois plus importante qu'il y a vingt ans. Un tri serait nécessaire, à la fois pour aller plus vite et pour baisser les coûts.
Ensuite, pour un opérateur industriel comme EDF, il importe de donner un cadre clair et stable, ainsi que des objectifs mesurables, aux politiques publiques. À ce titre, la politique européenne mériterait de progresser encore sur les objectifs de décarbonation des usages.
Enfin, la responsabilité des acteurs fait partie des conditions qui s'imposent à tout acteur industriel pour opérer dans un pays. Or on est d'autant plus responsabilisé que les conditions d'engagement sont claires. Les dispositifs d'aides doivent donc être améliorés de ce point de vue.
Pour garantir l'équilibre du système électrique, le groupe EDF aura besoin d'un mécanisme de financement et de partage du risque avec la puissance publique, afin de réaliser ses propres investissements dans les meilleures conditions.
Deux mois après ma prise de fonction, je déclarais, devant une commission d'enquête, que le nucléaire doit pouvoir investir et que, pour cette raison, il ne peut pas payer pour tout le monde. Ces propos m'avaient valu une sévère réaction. Ils sont pourtant toujours aussi vrais.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Monsieur Rémont, je vous remercie de votre présence, alors que vous vous apprêtez à quitter vos fonctions.
De quelles exonérations de cotisations bénéficie EDF ? Par ailleurs, seriez-vous favorable à une totale transparence des aides publiques, qui s'appuierait non pas sur un reporting effectué par les entreprises, mais sur un tableau de bord fourni par l'État ?
M. Luc Rémont. - Je ne connais pas le montant précis des exonérations. Je vous le transmettrai ultérieurement.
Sur la transparence, je suis d'accord avec vous. Par définition, l'État et l'ensemble de ses corps constitués ont tous les moyens de savoir ce qui se passe chez EDF !
M. Fabien Gay, rapporteur. - Le bouclier tarifaire a coûté plus de 25 milliards d'euros sur la seule année 2022. Quelle partie de ce montant a bénéficié à EDF ? En comparaison, l'Arenh+, instauré par le Gouvernement en mars 2023, et qui consistait à mettre 20 TWh supplémentaires à disposition des fournisseurs, aurait coûté 8,4 milliards d'euros. Confirmez-vous ce montant ?
M. Luc Rémont. - Ce sont les clients qui ont bénéficié du bouclier tarifaire. L'année 2022 a été particulièrement difficile pour EDF. En raison des problèmes de corrosion sous contrainte, la production nucléaire n'a été que de 279 TWh, contre 360 TWh aujourd'hui. Or nous avons dû acheter l'électricité que nous ne pouvions pas produire, au moment où son prix, qui dépend du cours du gaz, explosait en raison de l'invasion de l'Ukraine. Et la même année, nous devions revendre 20 TWh de plus aux fournisseurs, pour 42 euros le mégawattheure. Ce n'était vraiment pas une bonne affaire ! La dette d'EDF a augmenté de 20 milliards d'euros cette année-là.
Concernant l'Arenh+, le groupe EDF a déposé une demande auprès des autorités judiciaires administratives pour obtenir une réparation, dont l'ordre de grandeur est cohérent avec le montant que vous avez évoqué - vous pourrez en déduire ce que l'Arenh nous a coûté pendant treize ans...
M. Fabien Gay, rapporteur. - Le Gouvernement a décidé de plafonner le prix de l'électricité aux alentours de 330 euros le mégawattheure, au moment où EDF et ses concurrents achetaient de l'électricité à un prix plus élevé sur le marché. Cependant, la moyenne sur l'année n'atteignait pas ce plafond. J'y vois donc une forme d'aide : la facture a augmenté pour l'usager, et vous avez été indemnisés lorsque le prix de l'électricité achetée était supérieur à 330 euros le mégawattheure. Selon moi, donc, le bouclier tarifaire a représenté un effet d'aubaine pour l'ensemble des énergéticiens, qui a coûté cher tant à l'État français qu'aux usagers - qui sont aussi des contribuables !
M. Luc Rémont. - Notre dette a augmenté de 20 milliards d'euros en 2022. Grâce à la reprise de la production du parc nucléaire entre 2023 et 2024, son niveau a été réduit de 10 milliards, pour atteindre 54 milliards d'euros - contre 68 milliards d'euros lorsque j'ai pris mes fonctions -, pendant que les investissements augmentaient. Si EDF s'était enrichie, cela se serait vu !
M. Fabien Gay, rapporteur. - L'Arenh suscite un certain malaise. En effet, le partage de la rente du nucléaire est justifié par le fait que c'est l'État qui aurait investi dans l'électricité. Mais en réalité, ce sont les usagers, au travers de leurs factures, qui ont financé le système ! Personnellement, j'y vois une spoliation d'EDF et des clients.
En 2010, le Gouvernement prétendait que ce mécanisme permettrait aux acteurs alternatifs d'investir dans la production, ce qu'ils n'ont jamais fait, puisque rien ne les y contraignait.
L'Arenh prend fin cette année. Nous devrons débattre d'un nouveau mécanisme extrêmement complexe, dont ni la représentation nationale ni même le Gouvernement ne semblent avoir compris le fonctionnement. Pourriez-vous revenir sur ce point ?
M. Luc Rémont. - Comme cela a été prévu en 2012, l'Arenh prend fin au terme de l'année 2025. Dès lors, EDF ne sera plus contrainte de vendre sa production à prix administré, à hauteur d'un tiers selon la loi et de deux tiers dans les faits.
À partir de 2026, notre objectif est d'organiser le commerce de notre électricité de façon à offrir les meilleures conditions de compétitivité, dans un horizon de quatre à cinq ans, à nos clients - dont certains sont en réalité nos concurrents, puisqu'ils revendent l'électricité que nous leur cédons.
Jusqu'ici, nos clients étaient exposés à la fois à l'incertitude du prix administré et à la très grande volatilité des prix spot de court terme. Durant la période de l'Arenh, nous avons cumulé les défauts du système régulé et du système de marché. Désormais, notre régime sera celui d'un opérateur électrique normal, dont l'objectif est de donner de la visibilité à ses clients. C'est ce qui nous a permis, en reprenant notre volume de production, de diviser les prix par deux entre le début de nos discussions, en 2023, et aujourd'hui.
Lorsque nous avons conclu cet accord avec le Gouvernement en 2023, nous proposions de fixer le prix à environ 70 euros le mégawattheure. Le prix retenu est finalement inférieur à la cible. Cette stratégie a fonctionné et a permis une baisse de prix significative. Désormais, nous pouvons offrir une visibilité jusqu'en 2030 aux entreprises qui en ont besoin.
Par ailleurs, le Parlement a voté un dispositif applicable en cas de hausse des prix. Ainsi, si les prix dépassaient 78 euros le mégawattheure pour 50 % des revenus dégagés par EDF ou 110 euros le mégawattheure pour 90 % des revenus dégagés par EDF, l'État reprendrait ces revenus excédentaires pour les redistribuer aux clients, sous forme d'un bouclier financier.
La Commission de régulation de l'énergie n'a pas rendu publiques ses analyses, mais le prix fixé pour 2026 - 60 euros le mégawattheure - parviendra à peine à assurer notre équilibre de long terme pour financer nos investissements sur le parc nucléaire existant, sans même inclure la construction des réacteurs pressurisés européens (EPR) 2.
Le prix fixé à 42 euros le mégawattheure en 2012 aurait dû être révisé pour tenir compte des besoins d'investissement et des coûts. Or il ne l'a jamais été. Il y a donc un écart entre ces deux prix, qui représente simplement l'économie actuelle.
Nous négocions des accords sur des horizons de quatre à cinq ans avec les entreprises, voire de quinze ans ou davantage avec les entreprises électro-intensives qui ont besoin de davantage de visibilité, sous des formes compatibles avec notre statut d'entreprise concurrentielle.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Comment sera financé le nouveau nucléaire ? Quel est le coût de la construction de six EPR, de huit EPR et de quatorze EPR - cette dernière option étant appelée de ses voeux par la majorité sénatoriale ?
M. Luc Rémont. - Le financement est monté pour six réacteurs. L'accord entre l'État et EDF suivra un calendrier qui s'étendra potentiellement jusqu'à la fin du siècle, puisqu'il faut tenir compte des phases de construction, puis d'exploitation - soit au moins soixante ans. Le dispositif doit donc être robuste.
Nous ne partons pas de rien. Il existe des projets de nouveaux réacteurs nucléaires associés de dispositifs de financement dans l'ensemble de l'Europe. La centrale de Flamanville, qui a été intégralement financée par EDF, sans aucune forme de garantie, est probablement le seul exemple de la sorte sur le continent. Cependant, les conditions de son lancement ont été élaborées il y a déjà vingt ans. Désormais, tous les projets nucléaires en Europe - au Royaume-Uni, en République tchèque, en Hongrie, en Suède, aux Pays-Bas - font l'objet de schémas alliant une garantie de prix de l'électricité et une forme de préfinancement par la puissance publique, qui sont appelés à être systématiquement validés par la Commission européenne.
Nous nous sommes donc inscrits dans ce cadre pour déterminer avec l'État le plan de financement de ces six EPR. Nous ne sommes pas encore arrivés à une conclusion : ce travail reviendra à mon successeur. Nous convergeons sur certains points, notamment sur l'objectif de parvenir à un dispositif garantissant un prix inférieur à 100 euros le mégawattheure, ce qui correspond à un équilibre souhaitable. Cependant, nous devons encore travailler sur les modalités de financement par l'État. Environ 100 milliards d'euros courants seront nécessaires pour réaliser les six EPR. La dette d'EDF s'établissant à 54 milliards d'euros, son niveau d'endettement sera difficile à soutenir sans une quote-part de financement assurée par la puissance publique.
M. Olivier Rietmann, président. - Quel devrait en être le niveau ?
M. Luc Rémont. - Dans les autres pays européens, les financements de la puissance publique s'élèvent au minimum à 75 % du volume nécessaire. Pour l'heure, nous n'en sommes qu'à 55 %.
Encore une fois, il ne s'agit pas de dépenses budgétaires. Nous proposons que l'État prête de l'argent à sa filiale EDF pour lui éviter d'aller chercher ces sommes sur les marchés financiers, ce qui présenterait le risque de tensions importantes. Or, en cas de tension, les investissements les plus à risque sont ceux de court terme, c'est-à-dire ceux qui permettent la pérennité du parc existant. Cependant, EDF a besoin de construire de futurs EPR pour assurer la puissance commandable disponible de la seconde moitié de la prochaine décennie, mais aussi de réaliser chaque année 6 milliards d'euros d'investissement sur le parc nucléaire existant pour en assurer la pérennité et le bon fonctionnement.
Quand on s'engage pour un siècle, il vaut mieux être clair sur les conditions d'exercice ! Si celles qui concernent le post-Arenh le sont, ce n'est pas le cas des niveaux de prélèvement de l'État sur EDF. Or, si l'aléa atteignait plusieurs milliards d'euros, l'entreprise pourrait se retrouver en difficulté.
M. Michel Masset. - Pensez-vous que les régimes d'aide, tels que le CIR et le CICE, doivent être identiques dans les secteurs privé et public ?
Vous avez évoqué la nécessité de la simplification et de la stabilité des politiques publiques. Avez-vous chiffré financièrement les pertes de marchés liées à ces problématiques ?
Pouvez-vous revenir sur la situation des filiales RTE et Enedis ?
M. Daniel Fargeot. - Votre départ précipité ne peut que nous interroger, non sur votre personne, mais sur un possible malaise plus profond dans la conduite de notre stratégie nucléaire. Il donne le sentiment d'un cap étatique encore incertain comme d'une gouvernance de projet insuffisamment structurée.
Les aides publiques sont-elles un levier efficace pour que l'État pèse sur la politique d'une entreprise ? Quels autres piliers pourraient fonder les relations entre l'État et EDF, et plus généralement les entreprises ?
M. Luc Rémont. - Plus que le statut de l'entreprise, c'est le cadre dans lequel elle opère qui compte. À l'exception d'Enedis, qui est en situation de monopole, EDF est entièrement dans le champ de la concurrence. Empêcher une entreprise publique de bénéficier des mêmes aides que ses concurrentes privées, de même que lui imposer des taxes ou des régulations, revient à la condamner ou à la freiner fortement.
Il est difficile d'évaluer l'impact de l'instabilité des politiques publiques sur la perte de marchés. Il faut cependant souligner l'effet immédiat du changement de régulation sur la décarbonation des usages dès lors qu'un paramètre, en apparence anodin, de MaPrimeRénov' ou des aides à l'adoption d'un véhicule électrique, par exemple, est modifié. Cela ne représente pas une perte de marchés pour EDF, mais la réussite de ces politiques publiques en est affectée.
RTE et Enedis sont des entreprises agissant dans le cadre d'un monopole légal. Ce sont les syndicats d'électrification qui sont propriétaires du réseau d'Enedis, qui opère pour leur compte. Ces deux entreprises n'ont pas besoin d'aides pour exercer leur activité, qui est d'ailleurs réglementée par la CRE, laquelle détermine l'adéquation de leurs ressources par rapport à leurs missions sur le long terme.
Je n'ai pas d'inquiétude quant à la bonne santé de ces entreprises. Enedis est toujours au sein d'EDF, alors que RTE n'est plus entièrement détenue par le groupe. Ces deux entreprises font cependant face à un défi équivalent à l'évolution du système électrique que je décrivais. Les volumes d'investissement de RTE sont appelés à être multipliés par trois dans les années à venir, et ceux d'Enedis à augmenter de 50 à 60 % pour répondre aux demandes de raccordement supplémentaires.
Cela pose d'importantes difficultés opérationnelles. Le réseau de distribution injecte l'électricité dans le réseau de transport. Or nous faisons face à un nombre croissant de situations de congestion locale. Une augmentation de la demande à hauteur de 10 % par an résoudrait ce problème. Pour l'heure, ce n'est pas le cas. Nous devons donc trouver une solution avec la puissance publique et la CRE, qui définissent les priorités des gestionnaires de réseau, pour donner la priorité de raccordement à ceux qui soutirent de l'électricité, en trouvant des procédures permettant d'aller plus vite.
Monsieur Fargeot, les aides publiques sont parfois nécessaires. Mais il me semble que, plus tard on y vient, mieux l'on se porte ! Nous aurions beaucoup à gagner en améliorant ou en accélérant les interactions entre le secteur productif et la puissance publique dans toutes ses dimensions. N'abandonnons pas le combat de la simplification des procédures en pensant le compenser par la dépense publique. Il y aurait une forme de renoncement pour une entreprise à reposer sur des subventions publiques pour réaliser sa mission principale. La vocation d'une entreprise est de trouver ses clients, dans des conditions optimales, pour elle comme pour eux. Lorsqu'elle n'y parvient pas, en raison d'un défaut de marché caractérisé ou parce que le cycle économique n'est pas encore mature, la politique publique peut contribuer à limiter les risques. Mais il faut éviter à tout prix la tentation de l'abonnement.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Comment agissez-vous pour garantir un accès fiable et abordable à l'énergie dans nos territoires d'outre-mer, où la vie chère est un problème persistant ?
M. Daniel Fargeot. - Vous avez indiqué qu'à l'horizon 2035-2040, la production serait d'environ 600 TWh et la consommation de 400 TWh. Selon vous, quel est l'avenir des énergies renouvelables ?
M. Olivier Rietmann, président. - EDF, comme tous les producteurs et fournisseurs d'énergie, prend une part active dans la transition et la rénovation énergétiques, au travers de MaPrimeRénov' et des certificats d'économies d'énergie (C2E). Dans le cadre du premier dispositif, la puissance publique met chaque année 2,5 milliards d'euros sur la table. Quel est votre regard sur la proposition de loi renforçant la lutte contre les fraudes aux aides publiques, récemment adoptée par le Sénat, dont j'étais rapporteur ?
M. Luc Rémont. - Les territoires d'outre-mer ne sont pas interconnectés : cela signifie qu'il faut y apporter tous les moyens de production, de distribution et de transport qui correspondent aux besoins du territoire, afin de répondre à la demande de l'ensemble de nos concitoyens et aux enjeux de décarbonation. En effet, il est souvent difficile d'y proposer une énergie commandable décarbonée.
Notre activité est soutenue par les pouvoirs publics et par la Commission de régulation de l'énergie. La Réunion a été le premier territoire français dont l'électricité est intégralement décarbonée, grâce à l'utilisation de bioliquide dans les turbines de sa centrale thermique.
Ce sera bientôt le cas de la Guyane, grâce à la construction de la centrale du Larivot, qui remplacera celle de Dégrad-des-Cannes. Dans ce territoire se pose en outre la problématique des communautés situées à l'intérieur des terres, comme la ville de Maripasoula, qui compte plus de 10 000 habitants. Des investissements sont en cours pour permettre l'amélioration du système électrique.
Par ailleurs, en Corse, nous avons inauguré il y a quelques mois le chantier de la centrale bioénergie du Ricanto, qui remplacera la centrale du Vazzio.
L'ensemble de ce schéma est étayé dans le cadre d'une programmation pluriannuelle de l'énergie pour chacun des territoires, en essayant de répondre au mieux à l'ensemble des enjeux de décarbonation. Les consommateurs bénéficient quant à eux du tarif réglementé et sont protégés des surcoûts de la production dans leur territoire.
Monsieur Fargeot, je n'ai pas été jusqu'à dire que le niveau de la consommation ne devrait pas évoluer jusqu'en 2035 ! EDF a fait de sa progression son premier objectif stratégique. Nous devons accompagner nos clients vers la décarbonation et l'utilisation de l'électricité, en nous tenant au rendez-vous en matière de production et de réseaux. Le groupe EDF souhaite donc contribuer, d'ici à 2035, à l'émergence de 150 TWh de demande en France. Cela nous amènerait donc au moins à 550 TWh, sachant que d'autres acteurs, je l'espère, y contribueront également.
Cette croissance de la demande nous éviterait l'instabilité totale qui résulterait d'un trop grand écart entre les volumes produits et consommés, d'un point de vue économique, mais aussi technique. En effet, les capacités de production intermittentes augmentent la modulation du parc nucléaire : cet effacement représentait 30 TWh de production en 2024, contre 15 TWh en 2023. Ainsi, une action résolue sur la demande garantira l'atteinte de l'objectif de décarbonation de notre énergie et, partant, d'une plus grande indépendance et souveraineté énergétiques.
Concernant les C2E et MaPrimeRénov', je ne suis pas certain que la loi renforçant la lutte contre les fraudes aux aides publiques joue un rôle déterminant. Nos actions en la matière sont régulièrement auditées. Mais ces dispositifs, qui mobilisent des sommes colossales, sont d'une complexité insurmontable. Ils pourraient représenter des instruments pertinents pour financer la décarbonation industrielle : nous montons d'ailleurs des projets dans lesquels l'industriel bénéficie de nos engagements de C2E pour franchir le cap d'investissement rentable qui permet la décarbonation. Cependant, la complexité du dispositif est dommageable et facilite sans doute les fraudes. Il conviendrait de le simplifier.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Pouvez-vous estimer le coût que représentent les raccordements des producteurs d'énergie renouvelable chaque année ? Quel montant d'aides publiques recevez-vous dans ce cadre ?
Par ailleurs, certains industriels, notamment Saint-Gobain, ont dénoncé votre décision de mettre aux enchères des volumes d'électricité, considérant même qu'il s'agissait « d'un bras d'honneur à l'industrie française », puisque cela pouvait conduire à ce que des mégawatts échappent à nos entreprises. Par voie de presse, vous avez répondu qu'« EDF n'a pas de leçon de patriotisme industriel à recevoir, en particulier de la part d'une entreprise qui vit depuis des décennies de politiques publiques à la rénovation et à l'efficacité énergétiques [...]. Une entreprise publique n'est pas là pour faire des subventions à un petit club privé. ». Pensez-vous que certaines entreprises vivent effectivement des aides publiques ?
Dans la même prise de parole, vous avez parlé d'un « lobby d'entreprises bien installées, qui ont déjà, par le passé, mis l'ensemble du système électrique français en risque ». Pouvez-vous nous éclairer sur la réalité de ces risques ?
M. Luc Rémont. - Les prix garantis concernent pour l'essentiel des technologies renouvelables, car ce sont celles que nous développons effectivement. L'hydroélectricité est bloquée pour des raisons juridiques, et il n'existe pas actuellement de projet de construction nucléaire nécessitant de mobilisation de la puissance publique - ce sera le cas lorsque les EPR 2 seront lancés.
Les prix garantis représenteront cette année 4 milliards d'euros. Ce montant dépendra de l'évolution des prix de l'électricité industrielle à la fourniture sur les marchés de gros, mais il devrait atteindre au moins 10 milliards d'euros à l'horizon 2030, au global. Au titre des prix garantis, EDF récupérera sa quote-part de marché pour les projets conclus dans chacune des technologies, soit 10 % du solaire et de l'éolien à terre et un peu plus pour l'éolien en mer.
Pour l'heure, ces volumes sont secondaires par rapport aux investissements que nous réalisons sur notre parc de production principal, sur lequel nous opérons à risque marchand.
Je vous transmettrai ultérieurement le coût précis des raccordements et de l'effacement. C'est une part très significative des investissements d'Enedis et de RTE. Le coût du raccordement au kilowatt est plus élevé lorsque le raccordement est décentralisé. Ainsi, le raccordement d'une grande ferme solaire de 50 mégawatts au kilowatt est moins coûteux que celui d'un simple toit.
Concernant les propos que vous avez cités, je ne veux pas relancer une polémique inutile. Au fond, la mission d'EDF a toujours été de faire réussir l'industrie française. EDF elle-même est un groupe industriel : ce n'est pas une banque de subventions.
Si nos clients nous perçoivent comme des industriels et négocient des prix qui correspondent à notre production, nous pouvons obtenir les meilleurs prix possibles, qui sont tout à fait compétitifs à l'échelle européenne, et pour une durée longue qui permettra à nos contreparties industrielles d'investir.
Si, à l'inverse, les entreprises considèrent qu'EDF, en tant qu'entreprise publique, est un guichet supposé fournir des prix qui ne représentent pas la réalité de notre économie industrielle, nous ne pouvons satisfaire leurs attentes. Ce n'est pas à EDF de compenser l'écart sur le prix du gaz ! Cela reviendrait à subventionner les industriels, ce qui serait contraire au droit de la concurrence : nous fournirions alors des aides d'État non déclarées.
Ce débat ne concerne qu'un tout petit nombre d'entreprises qui imaginent que le rôle d'EDF est de subventionner leur décarbonation. Cela ne sera pas le cas, et mon successeur s'y opposera tout autant !
C'est l'Arenh qui a conduit EDF, entreprise industrielle totalement soumise à la concurrence, à vendre son électricité pour un montant inférieur des deux tiers à ses coûts, pendant treize ans. Aucun des industriels que vous mentionnez n'accepterait de travailler dans ces conditions une seule année ! Cette logique n'est pas soutenable. Si elle devait être envisagée une nouvelle fois, nous commencerions par réduire nos investissements et notre pays se retrouverait en déficit d'électricité commandable. C'est ce que j'appelais à éviter dans le texte que vous citez.
M. Fabien Gay, rapporteur. - La commission des affaires économiques du Sénat a créé une mission d'information sur l'avenir des concessions hydroélectriques. Je suppose que vous seriez opposé à l'instauration d'un Arenh hydroélectrique.
M. Luc Rémont. - Ce n'est pas l'appellation que je préférerais ! Cependant, n'oublions pas qu'il s'agit de lever un blocage juridique qui pèse depuis vingt ans sur l'ensemble des acteurs. Or il est déterminant de réinvestir dans ce secteur et de consolider la puissance commandable, nécessaire pour l'équilibre du système électrique, afin de mieux faire face aux pentes électriques.
EDF pourrait s'y atteler avec d'autres acteurs. Il serait compréhensible que nous devions vendre, dans un cadre structuré, une partie de cette électricité, tout en conservant la maîtrise industrielle du secteur. Il reviendra à mon successeur d'en déterminer les conditions.
M. Olivier Rietmann, président. - Monsieur Rémont, je vous remercie.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 00.
Audition du Medef - M. Patrick Martin, président, Mmes France Henry-Labordère, directrice générale adjointe en charge des affaires sociales et Christine Lepage, directrice générale adjointe en charge de l'économie
- Présidence de M. Olivier Rietmann, président -
La réunion est ouverte à 17 h 30.
M. Olivier Rietmann, président. - Nous poursuivons les travaux de la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants avec l'audition de M. Patrick Martin, président, Mme France Henry-Labordère, directrice générale adjointe en charge des affaires sociales et Mme Christine Lepage, directrice générale adjointe en charge de l'économie du Medef, le Mouvement des entreprises de France.
L'audition de ce jour est enregistrée et diffusée en direct, et elle fera l'objet d'un compte rendu sur le site du Sénat.
Monsieur le président, mesdames les directrices, avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous remercie, par ailleurs, de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête outre, bien entendu, vos fonctions au Medef.
M. Patrick Martin, président du Medef. - Je suis à la tête d'une entreprise qui entre, au vu de ses effectifs et de son chiffre d'affaires, dans le champ de votre commission d'enquête.
M. Olivier Rietmann, président. - Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrick Martin, Mme France Henry-Labordère et Mme Christine Lepage prêtent serment.
M. Olivier Rietmann, président. - Notre commission d'enquête, dont les membres ont été nommés le 15 janvier dernier, vise trois objectifs principaux.
Le premier est d'établir le coût des aides publiques octroyées aux grandes entreprises, entendues comme celles qui emploient plus de 1 000 salariés et réalisent un chiffre d'affaires net mondial d'au moins 450 millions d'euros par an, ainsi qu'à leurs sous-traitants.
Le deuxième est de déterminer si ces aides sont correctement contrôlées et évaluées, car nous devons veiller à la bonne utilisation des deniers publics.
Enfin, le troisième est de réfléchir aux contreparties qui pourraient être imposées en termes de maintien de l'emploi au sens large lorsque des aides publiques sont versées à de grandes entreprises qui procèdent ensuite à des fermetures de site, prononcent des licenciements, voire délocalisent leur activité.
Quelle définition retenez-vous des aides publiques aux entreprises ?
Quel regard portez-vous, de manière générale, sur les aides publiques versées aux entreprises ? Leur lisibilité et leur accessibilité sont-elles assurées ?
Que pensez-vous du rôle de chef de file des régions en matière d'aides publiques aux entreprises ? La répartition des rôles entre collectivités territoriales vous semble-t-elle cohérente ? Pensez-vous que les aides publiques aux entreprises sont suffisamment contrôlées ? Quid de leur évaluation ?
Quel regard portez-vous sur les contreparties en termes d'emploi qui assortissent certaines aides ?
Enfin, quelles sont les propositions du Medef en lien avec les aides publiques aux entreprises ?
Nous vous proposons d'organiser cette audition en trois temps. Tout d'abord, vous apporterez des réponses à nos interrogations dans un propos liminaire de vingt minutes. Puis M. Fabien Gay, rapporteur, vous posera quelques questions pour approfondir certains points. Enfin, les membres de la commission d'enquête pourront également vous interroger s'ils le souhaitent.
M. Patrick Martin. - Je souhaite commencer par un rapide rappel de ce qu'est le Medef, qui réunit 200 000 entreprises employant 11 millions de salariés. Celles-ci sont de toutes tailles, de la très petite entreprise (TPE) jusqu'au plus grand groupe, et interviennent dans tous les secteurs d'activité, de l'industrie, du commerce, des services et de la distribution. À l'intérieur de ce large échantillon d'entreprises, on retrouve toutes celles qui intéressent votre commission d'enquête, en termes d'effectifs et de chiffre d'affaires, que ce soit des grands groupes à proprement parler ou des entreprises de taille intermédiaire. Ma propre entreprise fait partie de cet échantillon, puisqu'elle réalise un peu plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires et emploie 3 000 salariés.
En termes de propos liminaires, je voudrais mentionner huit points.
Premièrement, ces aides publiques me semblent devoir être appréciées au regard d'un contexte concurrentiel et international qui se durcit. En effet, d'un pays à l'autre, l'on retrouve des dispositifs de soutien ou d'aide assez variés. Ainsi, nous avons tous en tête ce que les États-Unis ont fait d'assez efficace, avant même l'installation de l'administration Trump, sous la présidence de Joe Biden, en particulier avec l'Inflation Reduction Act (IRA), mais aussi la manière dont la Chine, de manière plus ou moins lisible, agit en soutien de ses entreprises. Je rappelle, en outre, les annonces du nouveau gouvernement allemand en matière de soutien et d'attractivité de son économie.
J'ai évoqué, à l'instant, la diversité des mesures de soutien qui peuvent être mises en place. À titre d'illustration, les Allemands ont instauré un système de tarification de l'électricité très favorable aux entreprises et, a contrario, beaucoup moins avantageux pour les ménages, puisque ces derniers acquittent un prix de l'électricité de 42 % supérieur à celui qui est pratiqué en France.
Mon deuxième point, sans aucun esprit polémique de ma part, est que je préfère parler de compensation plutôt que d'aide. Pourquoi ? Parce que, dans notre pays, nous avons une propension singulière, qu'il ne me revient pas de juger, des acteurs publics, de l'État et des collectivités locales à mener des stratégies très encadrées, voire interventionnistes, lesquelles peuvent, au cas par cas, fausser la rationalité économique. Dès lors, des mesures de compensation viennent corriger les effets pervers de certaines législations ou réglementations.
Il est important de noter que, déduction faite de ces aides, ou compensations, les prélèvements obligatoires qui pèsent sur les entreprises françaises et sociétés non financières représentent 10,5 % du produit intérieur brut. Ce taux est supérieur à celui de la quasi-totalité des pays concurrents et, pour la plupart, voisins. Je prends l'exemple de la Suisse, souvent considérée comme un pays uniquement financier. Elle l'est, mais elle a conservé un tissu industriel représentant 22 % de son produit intérieur brut, soit deux fois plus qu'en France. En Suisse, le taux moyen d'impôt sur les sociétés est de 19,65 %, tandis que les impôts de production ne représentent que 0,4 % du produit intérieur brut. À l'intérieur de l'Union européenne, l'Espagne a un taux d'impôt sur les sociétés de 25 % et les impôts de production y représentent 2 % du produit intérieur brut. Aux Pays-Bas, le taux d'imposition sur les sociétés est comparable à celui de la France, à 25,8 %, mais les impôts de production ne pèsent que 1,2 %. La Suède est le seul pays où les impôts de production sont sensiblement supérieurs à ceux de la France, à 10,5 % du produit intérieur brut, mais cela est dû au fait qu'ils y financent largement la protection sociale. En regard, le taux d'impôt sur les sociétés n'atteint que 20,6 %. Il est utile de prendre en compte ce panorama global pour apprécier ce qui est fait en France, de bien et de moins bien.
En troisième point, je rappelle que ces aides sont intrinsèquement conditionnées, puisqu'elles sont liées à un objet précis. Par exemple, on ne touche pas d'aide à l'apprentissage si l'on n'embauche pas d'apprentis. Soit dit en passant, j'ai un pronostic sombre sur l'effondrement du nombre d'apprentis du fait de la réduction desdites aides, ce qui démontrerait leur conditionnalité. Je pense aussi au crédit d'impôt recherche, ainsi qu'aux aides délivrées par France 2030, entre autres. Considérer que ces aides sont excessives en France me semble quelque peu abusif.
Vous avez certainement connaissance d'une étude de la fédération Syntec, qui regroupe toutes les professions de services à forte valeur ajoutée, selon laquelle la réduction des allègements de charges en France conduit à un différentiel de coût salarial de 8 milliards d'euros par rapport à l'Allemagne pour les métiers concernés. De manière globale, sur le système de protection sociale allemand, qui prévoit un plafonnement des assiettes de cotisation, on aboutit à un différentiel de 37 milliards d'euros entre la France et l'Allemagne. Ainsi, du point de vue du Medef, les aides liées aux allègements de charges ne gomment pas complètement, tant s'en faut, les distorsions avec des pays concurrents.
Mon quatrième point consiste à suggérer que, de la même manière qu'il est parfaitement légitime d'essayer d'apprécier l'efficacité de ces aides ou compensations, il conviendrait de s'interroger sur l'efficacité des impôts au regard de la performance économique, sociale, environnementale de notre pays, laquelle, à bien des égards, laisse à désirer.
Par exemple, l'impôt sur la fortune immobilière a un impact très négatif sur l'investissement locatif dans le logement, ce qui est l'une des composantes de la grave crise du logement que nous subissons en France. La contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) dont je rappelle que la suppression a été votée il y a bien longtemps déjà, a été qualifiée par le Conseil d'analyse économique d'« impôt stupide ». Quant à la taxation sur les complémentaires santé, de l'ordre de 14 % à ce jour et appelée, si j'ai bien compris, à augmenter encore, elle renchérit directement le coût du travail au même titre que le transfert vers ces mêmes complémentaires santé d'une partie de la prise en charge des indemnités journalières de sécurité sociale. N'oublions pas la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui pèse deux fois et demie plus sur l'industrie que sa part dans le PIB, ce qui en fait une machine à disqualifier l'industrie. Enfin, la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) ouvre un boulevard aux géants américains et, de plus en plus, chinois du e-commerce, et contribue à désertifier nos zones commerciales en centre-ville ou en proche périphérie.
Cinquièmement, je rappelle que la stabilité de l'environnement législatif et réglementaire, d'une manière générale, mais aussi spécifiquement s'agissant de ces dispositifs de soutien à l'économie, est un déterminant pour les entreprises. Le fait que, d'une année sur l'autre, ces dispositifs puissent être remis en cause, a fortiori dans le contexte très tendu sur le plan économique que nous vivons actuellement, est d'évidence un frein à la prise de décision en matière d'investissement comme en matière d'emploi. Le Medef, constant dans ses convictions, appelle à une stabilité de ces dispositifs.
Mon sixième point consiste à attirer votre attention sur une loi que vous avez votée vous-même, mesdames, messieurs les sénateurs, qui a repris fidèlement un accord national interprofessionnel sur le partage de la valeur. Ce dernier a été fondé sur un diagnostic partagé avec les organisations syndicales, établissant que le partage de la valeur ne s'est pas déformé au fil des ans, a fortiori pas au détriment des salariés, et que la répartition de cette valeur est l'une des plus équitables du monde. En définitive, s'il y a eu une déformation, cela a été uniquement au bénéfice des impôts. Il a ainsi été établi, d'un commun accord avec les organisations syndicales, que le niveau des dividendes était resté assez stable, aux alentours de 4 % de la valeur ajoutée.
Mon septième point est de rappeler qu'il faut des rendements pour attirer des actionnaires. Or le rendement moyen des investissements en actions en France est de l'ordre de 3 %, ce qui, pour un placement à risque, ne paraît pas exagéré. Il convient de rappeler par la même occasion que les actions des sociétés cotées, qui méritent une grande attention, sont pour moitié détenues par des investisseurs étrangers.
La place de la France sur les marchés boursiers est relative. Ainsi, la capitalisation boursière de Paris, à l'instant où je vous parle, est de 2 174 milliards d'euros. C'est beaucoup, mais cela ne constitue que 3,5 % de la capitalisation boursière mondiale. À titre de comparaison, le New York Stock Exchange regroupe 32 000 milliards de dollars, soit 50 % de la capitalisation mondiale. La bourse de Shanghai représente, elle, 20 000 milliards de dollars. Il ne faut donc pas sous-estimer la volatilité de ces marchés et le fait que, dans ce panorama boursier mondial, Paris est une place secondaire. C'est une raison de plus pour être attentif à la rentabilité des investissements engagés dans les titres cotés en France.
Enfin, pour mon huitième point, sur un mode plus personnel, j'affirme une forme de sérénité dans mes propos. En effet, j'ai signalé précédemment que j'étais moi-même à la tête d'une entreprise intermédiaire, qui réalise un peu plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires et emploie 3 000 salariés. C'est une entreprise familiale, bientôt bicentenaire, provinciale, avec son siège social à Bourg-en-Bresse depuis l'origine. Par les hasards de la généalogie, j'en suis, à la septième génération, l'actionnaire majoritaire.
Au moment de la pandémie, en 2020, l'entreprise a touché 2,6 millions d'euros au titre de l'activité partielle de longue durée (APLD), soit 2,4 % seulement de sa masse salariale, laquelle représente 108 millions d'euros, alors même que nos marchés industriels ou dans le bâtiment étaient à l'arrêt. Elle n'a rien perçu en 2021 au titre de l'APLD, parce qu'elle n'a rien demandé, et, ayant souscrit un prêt garanti par l'État (PGE) en 2020, elle l'a remboursé intégralement dès l'année suivante.
Cette même entreprise, non cotée, est en train de procéder à des rachats d'actions en vue d'une réduction de capital. Est-ce que c'est une manoeuvre sauvagement capitaliste ? Non. En effet, il se trouve qu'un actionnaire familial a mis sous pression les autres, dont moi-même, pour que nous vendions l'entreprise. L'entreprise aurait été vendue - les offres existaient - à un fonds d'investissement ou à un grand concurrent étranger. Pour désintéresser cet actionnaire et régler ce contentieux, qui a même pris une forme judiciaire au sein de l'actionnariat, il a été décidé d'une réduction de capital réservée.
En conclusion, le Medef est constant dans sa conviction selon laquelle nous gagnerions tous à simplifier ces dispositifs, à condition de veiller à ce que cela ne se fasse pas au détriment de la compétitivité de l'économie et des entreprises françaises. En effet, le problème de compétitivité me semble évident et ne se résume pas uniquement à la compétitivité prix ou coût, qui a tout de même son poids. Les 80 milliards d'euros de déficit commercial annuel de la France en sont une triste illustration.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Je vous remercie de vos propos introductifs et je dois dire que je ne suis pas surpris. Nous ne vous auditionnons pas en tant que PDG de votre entreprise, raison pour laquelle je mettrai votre huitième point de côté, même si nous vous remercions de cette illustration.
En tant que président du Medef, vous êtes extrêmement proactif et faites de la politique, ce qui n'est pas un gros mot pour moi. Vous intervenez fortement dans le débat politique, notamment dans le contexte actuel de guerre commerciale avec les États-Unis et de questions sociales en France, entre le conclave sur les retraites, qui n'aboutira probablement pas à grand-chose, et la recherche de 40 milliards d'euros d'économies, le tout dans le cadre d'une économie de guerre. Il est donc légitime d'avoir ces débats politiques et sociaux, et il est normal que des chefs d'entreprise et une organisation patronale comme la vôtre interviennent dans le débat.
En outre, on oublie, alors que les discussions sont souvent caricaturées et hystérisées, que le débat démocratique, c'est la dispute organisée. On peut donc être en désaccord, se le dire, s'affronter argument par argument, mais aussi trouver des points de convergence. C'est ce que nous essayons de faire depuis le début, y compris entre le président et le rapporteur de cette commission d'enquête - vous aurez noté que nous n'avons pas la même étiquette politique.
Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky du Sénat a décidé de cette commission d'enquête dans un contexte social précis. Ainsi, au mois de novembre dernier, au sein de grands groupes, notamment Michelin et Auchan - dont nous avons auditionné les PDG -, dans le cadre de 300 plans sociaux ou de licenciements, environ 300 000 emplois ont été menacés ou supprimés.
Olivier Rietmann, qui est aussi président de la délégation sénatoriale aux entreprises, pourrait également parler des défaillances, qui touchent surtout les petites et moyennes entreprises. Ce qui suscite le débat dans la société, c'est le fait que les grandes entreprises bénéficient d'aides publiques parfois importantes, versent des dividendes parfois élevés, utilisent le rachat d'actions pour augmenter artificiellement le cours de l'action, parfois deux ou trois fois dans l'année, et, dans le même temps, détruisent de l'emploi. Cela soulève des interrogations, de l'émotion, de la colère, de l'indignation. Il est nécessaire d'avoir un débat public sur ces questions et que le Parlement s'en saisisse.
Ainsi, le PDG de TotalEnergies, M. Pouyanné, a déclaré que pendant la crise Covid, il n'avait pas voulu toucher d'argent public, car il souhaitait verser des dividendes. Il a ajouté que, sur une période donnée, si des entreprises touchaient des aides pour traverser la crise, il serait partisan qu'elles ne versent pas de dividendes. Or majoritairement, elles ont continué à le faire. Y a-t-il une réflexion au sein du Medef sur ces sujets ? Dans un climat social lourd, des questions vont continuer à se poser, notamment sur le bon emploi de l'argent public.
M. Olivier Rietmann, président. - J'ajoute une précision : quelques entreprises, comme TotalEnergies, ont préféré ne pas avoir recours aux aides publiques et continuer à verser des dividendes. Une majorité ont touché les aides publiques tout en diminuant sensiblement, de 20 à 40 %, les dividendes versés. Enfin, certaines entreprises auditionnées ont effectivement touché des aides publiques et versé des dividendes sans diminuer ceux-ci, mais ce phénomène me semble marginal. Reconnaissons une vraie prise de responsabilité au niveau des grandes entreprises, avec un effet, dans la plupart des cas, sur le versement de dividendes. Néanmoins, il est vrai que certaines entreprises ayant touché des aides ont continué à verser des dividendes à hauteur de ce qui se faisait avant le Covid. Tel est le ressenti des auditions passées.
M. Patrick Martin. - Je comprends l'émotion, les interrogations, voire, selon les cas, la colère que cela peut susciter. Voilà une raison supplémentaire d'éclairer ce débat autant que possible.
Certaines entreprises sont-elles en difficulté du fait qu'elles ont distribué des dividendes, alors même qu'elles avaient reçu des aides ? Peut-être, mais je n'en connais pas. Prenons le cas du secteur de la distribution en détail, avec Casino et Auchan, mais nous pourrions aussi citer Casa, ou encore C&A. Ces entreprises sont confrontées à des difficultés, parfois de manière violente et brutale, en tout cas imprévisible, en raison d'une évolution profonde de leur modèle économique. Je précise au passage que certains grands acteurs du e-commerce, que j'ai évoqués tout à l'heure, bénéficient d'une certaine manière d'aides au travers de la fiscalité et des tarifs postaux, quand elles ne sont pas aidées - je reste très prudent, car de telles aides sont difficiles à identifier - par le gouvernement de leur pays d'origine. Le marché de ce secteur est déprimé, et les entreprises concernées sont ainsi confrontées à de nouveaux modes de commerce, parfois inéquitables et qui remettent en cause leur équilibre économique.
Dans le cas de l'automobile, j'assume le commentaire selon lequel la Commission européenne a commis une grave erreur stratégique en ne mesurant pas les conséquences économiques, sociales et territoriales de ses décisions sur la motorisation thermique. Le raz-de-marée d'importations, dont on sait d'où elles viennent, déstabilise complètement ce modèle. Très sincèrement, je n'ai pas connaissance de dirigeants de grands groupes automobiles, ni même, en amont ou en aval, de sous-traitants équipementiers de premier, deuxième, troisième rang, qui avaient mesuré à quel point la filière automobile européenne serait déstabilisée. Or on trouve, parmi les 70 000 défaillances d'entreprises vers lesquelles on se dirige en 2025, de plus en plus d'entreprises de ce secteur.
J'ai parlé du retail, la distribution auprès du grand public en bon français, et de l'automobile. Il en va de même pour d'autres secteurs d'activité. Ainsi de la sidérurgie, qui est complètement déstabilisée, du fait d'une sous-consommation couplée à une offensive très résolue de la part de concurrents, en particulier chinois. Attribuer à des dirigeants de ces entreprises des comportements irrespectueux, voire coupables, en leur reprochant d'avoir cherché des aides et distribué des dividendes alors même que leurs entreprises étaient en difficulté me paraît être un raccourci. Les réalités économiques, de plus en plus brutales et rapides, sont à l'origine de l'essentiel des difficultés que ces entreprises connaissent.
Sur les politiques de distribution de dividendes, j'ai bien entendu les propos de la plupart des chefs d'entreprise que vous avez auditionnés. Je ne commenterai pas les déclarations de Patrick Pouyanné, lequel a le mérite de la cohérence. Je voudrais simplement rappeler que l'Association française des entreprises privées (Afep), alors que les aides les plus importantes ont été distribuées au moment de la pandémie, s'est appliqué un code de bonne conduite, une prescription visant à limiter le montant des dividendes. Je crois savoir qu'il a été essentiellement respecté. Le code Afep-Medef, qui relève de la soft law, prévoit un certain nombre de conditions, notamment sur la gouvernance et les politiques de rémunération des groupes cotés. L'échantillon que couvre votre commission d'enquête comprend entre 800 à 1 000 entreprises, dont toutes ne sont pas cotées. J'ai la conviction que la très grande majorité d'entre elles n'ont pas eu de comportement abusif au regard de ce que vous pointez.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Je pense qu'une majorité d'entreprises jouent le jeu. Ce n'est pas là-dessus que porte la question, et il ne s'agit ni de parler d'un complot ni d'employer un ton accusateur.
Je souhaite prendre deux cas en exemple. Tout d'abord, Sanofi a reçu un milliard d'euros d'argent public en dix ans rien qu'au titre du crédit d'impôt recherche (CIR). Dans le même temps, on observe une diminution des emplois en matière de recherche, que j'estime à 3 500 postes, quand Sanofi parle de 1 200 postes. Quoi qu'il en soit, il y a une diminution sensible de l'emploi, alors que l'efficacité reste à démontrer au cours des dix dernières années. Par exemple, pendant la crise du covid, Sanofi n'a pas été parmi les premiers à trouver un vaccin... Cela peut interroger au regard de l'argent public dépensé : il n'a pas bénéficié à l'emploi et son efficacité industrielle reste à démontrer.
Je citerai un second exemple, dans la grande distribution, avec Carrefour. Sur les six ans d'existence du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), l'entreprise a bénéficié de 2 milliards d'euros d'argent public au titre de ce dispositif et des exonérations de cotisations sociales, alors qu'elle a réalisé 3,5 milliards d'euros de bénéfices et distribué 2 milliards d'euros de dividendes. Sans les aides publiques, le résultat net aurait été de 1,5 milliard d'euros. On peut donc imaginer que les dividendes versés aux actionnaires auraient été moindres.
Ces deux cas, sans volonté de cibler qui que ce soit, justifient le fait que la représentation nationale s'interroge. Nous acceptons l'idée que les entreprises soient accompagnées avec de l'argent public, mais nous devons nous assurer qu'elles n'en profitent pas pour nourrir les dividendes ou participer à la destruction d'emplois. Notre collègue Daniel Fargeot a développé l'idée de soustraire des résultats, pour le versement des dividendes, le montant des aides. Cette piste de réflexion alimentera notre débat.
M. Patrick Martin. - L'entreprise Carrefour étant cotée, son actionnariat est très dilué et comporte une bonne part d'actionnaires étrangers. Je reste prudent dans mon commentaire, mais le cours de bourse de Carrefour ne s'est pas revalorisé ces dernières années. Dans ces conditions, comment peut-on attirer et fidéliser des actionnaires d'une société cotée ayant, pour des raisons de marché essentiellement, une telle performance économique, donc boursière - cela est vrai de beaucoup d'autres enseignes de la grande distribution -, sans leur distribuer de dividendes ? C'est une question de rationalité économique. À juste titre, les actionnaires français ou étrangers, sans plus-value ni distribution de dividendes, pourraient être amenés à vendre leurs actions. Or plus on vend d'actions, plus le cours du titre se dégrade, ce qui entraîne un cercle vicieux. Il faut prendre en compte la logique de l'actionnaire, qu'on l'apprécie ou non.
S'agissant de Sanofi, l'entreprise a fait et va faire des annonces importantes d'investissement en Europe et en France. Alors que la France ne représente plus que 6 ou 7 % du chiffre d'affaires de Sanofi, le groupe y maintient un quart de son effort d'investissement en recherche et développement et la même proportion de ses chercheurs. J'espère que c'est par patriotisme, même si l'actionnariat de Sanofi est lui aussi très internationalisé, sans même parler de sa concurrence. Il y a de bonnes raisons pour que ses effectifs soient maintenus en France. Prenons donc en compte la logique des actionnaires, qui ne sont par définition pas captifs d'une société cotée en bourse, et conservons une vision d'ensemble.
Par ailleurs, ces aides ou ces compensations publiques, si on parle de salaires, ne conduisent pas à ce que la France soit un pays de dumping social. Je redis qu'il s'agit de la correction d'un système qui s'est construit au fil des ans, je dois le reconnaître, bien souvent avec l'assentiment du patronat, parfois même sur son initiative. Cela a conduit à une structure des coûts salariaux, des circuits de distribution et des compensations assez illisible, donc à des comportements parfois irrationnels. J'ai évoqué la rationalité économique tout à l'heure : les travaux confiés à MM. Bozio et Wasmer aboutissent peu ou prou à la même conclusion.
Je répète ce que j'ai dit en introduction : nous sommes tout à fait ouverts à ce que tout cela soit revisité, tant en termes de modalité de financement qu'en termes d'équilibre des aides, lorsqu'elles existent. Ces éléments étaient dans la feuille de route de MM. Bozio et Wasmer, qui n'ont pu mener leurs travaux jusqu'à leur terme, pour éviter les effets de seuil et les trappes à bas salaire, qui existent de tous côtés, par exemple entre les revenus du travail et la prime d'activité.
M. Olivier Rietmann, président. - Je suis convaincu que, lorsqu'une grande entreprise cotée est en difficulté, ce qui lui permet de continuer son activité, c'est le soutien de ses investisseurs. Or si elle ne répond plus aux attentes de ces derniers, si les investisseurs partent, l'entreprise est morte. Le soutien de ses investisseurs passe aussi par la distribution de dividendes, qui sont la rémunération de la prise de risque.
Je ne pense pas qu'on puisse établir une relation étroite entre la difficulté rencontrée par une entreprise, les aides publiques et les dividendes, ce qui n'est pas forcément le cas pour la délocalisation ou les licenciements. Ce qui permet à l'entreprise de tenir malgré les orages, c'est la confiance que lui portent les investisseurs.
M. Patrick Martin. - Je me permets de rebondir sur votre propos en citant deux exemples. Nous avons un fleuron industriel et scientifique français absolument extraordinaire avec Air Liquide, dont je souligne que le capital est extrêmement morcelé et dont les principaux actionnaires, hormis le fonds d'investissement des salariés eux-mêmes, sont dorénavant étrangers. Pourquoi Air Liquide a-t-il, en termes d'image, en termes de performance, ce standing ? C'est parce que l'entreprise a de longue date une politique de distribution qui rassure les investisseurs, au-delà de sa performance intrinsèque absolument remarquable. J'ai visité une nouvelle usine d'Air Liquide à Shanghai il y a trois semaines, qui m'a paru très impressionnante : être mondialisé a ses avantages.
À l'inverse, la situation de British Steel, en Grande-Bretagne, est dramatique. Au sein de cette entreprise chinoise, comme son nom l'indique, des actionnaires n'ont pas joué le jeu de l'entreprise. Le marché de l'acier, qui, à travers toute l'Europe, est déstabilisé par des intrants, en particulier chinois, mais également indiens. Le manque d'un actionnariat robuste, stable et en soutien d'une direction qui elle-même a une stratégie de moyen ou de long terme, donne de tels résultats. D'un point de vue stratégique ou en termes de souveraineté pour le pays, cela peut même avoir un effet très déstabilisant.
M. Olivier Rietmann, président. - Contrairement à un patron français, un actionnaire international n'a aucune raison d'être patriote. C'est la rentabilité qui compte.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Il subsiste ainsi un désaccord profond. En effet, l'actionnaire qui vient soutenir l'entreprise, qui apporte des fonds, qui souhaite développer des projets, n'existe plus. Moins de 3 % des investisseurs correspondent à ce profil ! Je ne parle pas de l'entreprise familiale qui a sept générations d'actionnaires, comme la vôtre, monsieur Martin. Mais aujourd'hui, vous avez raison, même des entreprises sous pavillon français sont en majorité détenues par des capitaux étrangers.
Par exemple, M. Menegaux, PDG de Michelin, nous a dit en audition que 75 % de ses actionnaires étaient étrangers et que 9 % de son chiffre d'affaires et 16 % de ses effectifs étaient encore en France. Il est vrai que le siège social y reste.
Le problème est que les très grandes entreprises ne sont plus soutenues par des actionnaires qui apportent du cash et veulent investir dans la durée, mais par des actionnaires qui cherchent la rentabilité, notamment à court terme. Je pense que nous vivons sur un mythe qui n'est plus la réalité, du moins pour ces très grandes entreprises. Toutes les études le montrent.
Louis Gallois, en audition, a évoqué le rachat d'actions, qu'il considère comme une « perversion » du système. Partagez-vous ses propos ? Je parle du rachat d'actions qui a pour objet d'augmenter artificiellement le cours en bourse.
M. Patrick Martin. - Le rachat d'actions intéresse parfois les salariés eux-mêmes, la France étant le pays d'Europe où l'actionnariat salarié est le plus développé.
M. Olivier Rietmann, président. - Certaines opérations de rachat d'actions permettent une redistribution aux salariés.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Cela permet de ne pas débattre des salaires.
M. Daniel Fargeot. - Mais non !
M. Patrick Martin. - Les deux ne sont pas mutuellement exclusifs.
Je rappelle qu'il existe quelques grandes familles capitalistes françaises impliquées dans des groupes magnifiques, qui sont des références mondiales, et qui jouent parfaitement le jeu. La famille Peugeot s'est diluée dans Stellantis, mais elle n'a pas vendu ses actions. La famille Bettencourt-Schueller reste l'actionnaire de référence de ce magnifique groupe qu'est L'Oréal, sans oublier des participations au sein de Nestlé. M. Bernard Arnault a plutôt racheté des actions qu'il n'en a vendues dans son groupe. Réjouissons-nous donc d'avoir de grands actionnaires patrimoniaux qui restent constants dans leur attachement.
En ce qui concerne les rachats d'actions, si l'on peut mettre de côté des cas particuliers, ces derniers sont tout de même assez nombreux, du désintéressement d'un actionnaire qui veut se dégager au rachat d'actions en vue de leur distribution au personnel, via l'attribution gratuite d'actions en particulier.
M. Fabien Gay, rapporteur. - En général cela bénéficie aux plus hauts cadres dirigeants. Quand un ouvrier touche dix actions, le haut cadre en recevra 10 000, voire plus.
M. Patrick Martin. - Il y a tout de même 3,5 millions de salariés actionnaires en France, essentiellement à la suite de programmes de distribution d'actions gratuites.
Cela me donne l'occasion de mentionner que, dans le cadre de l'accord national interprofessionnel sur le partage de la valeur, il avait été imaginé, ce qui a été repris dans la loi, que des actions dites fantômes puissent être créées. Cela permettait d'éviter, dans les entreprises patrimoniales, un problème assez sensible. Or la loi a considérablement diminué la portée de la mesure en en plafonnant le montant, de sorte que ce dispositif auquel on croyait beaucoup et que les syndicats avaient validé ne connaît pas le succès qu'il aurait pu et dû avoir, pour mieux associer les salariés à la performance de l'entreprise.
Je ne commenterai pas les propos de Louis Gallois, pour lequel j'ai le plus grand respect. Dans certaines circonstances, l'entreprise se doit de soutenir son cours de bourse si elle ne veut pas être vulnérable à une offre publique d'achat (OPA) ou partir vers des horizons inconnus. Il est des rachats d'actions qui, me semble-t-il, n'obèrent ni la robustesse ni la stratégie des entreprises qui les pratiquent.
Il peut arriver qu'une entreprise soit en excédent de trésorerie. Que faut-il alors qu'elle fasse ? Le placer sur le marché monétaire est une option envisageable. En restituer une partie aux actionnaires en soutenant le cours de bourse au travers des rachats d'actions l'est également. Je me garde d'avoir une opinion de principe sur ces comportements. La réalité, c'est que les entreprises investissent et ne procèdent pas, par exception, à des rachats d'actions quand elles ont des opportunités de marché qui les poussent à investir, étant entendu que le rendement est meilleur en investissant qu'en rachetant des actions.
Je vais peut-être vous choquer, mais introduire de la morale dans ce type de comportement peut mener très loin.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Je ne suis pas choqué, mais je n'ai pas compris. Que vient faire la morale dans ces questions ?
M. Patrick Martin. - Il serait coupable ou répréhensible d'utiliser une trésorerie dont elle n'a pas l'usage, sans mettre son activité ou sa stratégie en péril, pour procéder à des rachats d'action. Mais à quel titre peut-on dénoncer une telle attitude, si ce n'est la morale ?
M. Fabien Gay, rapporteur. - Je reprends les propos de Louis Gallois, qui parle de perversion du système. Selon le libéral qu'il est, le comportement d'une entreprise qui rachète des actions, les détruit et augmente artificiellement le cours des actions restantes demeure une perversion. Il n'a pas parlé de morale. Peut-être est-ce une question d'éthique.
J'en viens à mes deux dernières questions. Vous avez déclaré que la politique de l'offre en France avait créé deux millions d'emplois au cours des dernières années et participé à la stabilité, avant le déficit budgétaire que nous connaissons aujourd'hui. Cependant, des études d'économistes et un chiffrage de la Banque de France - nous ne parlons donc pas d'ultragauche - estiment que la politique de l'offre aurait créé entre 100 000 et 240 000 emplois, soit entre 20 et 10 fois moins que ce que vous estimez. Cela renvoie aux déclarations de Pierre Gattaz, l'un de vos prédécesseurs, qui avait promis, pin's à l'appui, un million d'emplois grâce à 100 milliards d'euros de CICE sur 6 ans. Or le dernier rapport de France Stratégie parle de 100 000 à 120 000 emplois créés. On est donc loin du million promis.
Pourtant, nous parlons bien de politique de l'offre. Ne pensez-vous donc pas que cette dernière, au regard du décalage entre les déclarations et les résultats, est, finalement, un échec ?
M. Patrick Martin. - Je ne pense pas qu'elle ait été - car cette politique de l'offre est suspendue, quand elle n'est pas remise en cause - un échec. Mais je conviens qu'il est à peu près aussi difficile d'établir le nombre de créations d'emplois liées à cette politique de l'offre que celui qui est issu de l'instauration des 35 heures.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Des rapports, notamment produits par l'ancêtre de France Stratégie, indiquent que les 35 heures ont permis de créer 500 000 emplois. C'est la dernière fois qu'on en a créé autant en France.
Certains, au Sénat, sont des pourfendeurs des 35 heures, mais la réalité, ce sont ces 500 000 emplois. Or le CICE n'a permis de créer que 100 000 emplois, quand un million d'emplois étaient promis. Quant aux sept dernières années, je n'avais pas compris que nous étions sortis de la politique de l'offre pour entrer dans une économie néomarxiste... Toujours est-il que vous annonciez deux millions d'emplois, alors que le rapport de la Banque de France mentionne plutôt 100 000 à 240 000 créations.
Pourquoi donner une estimation de deux millions si vous dites vous-même que ce nombre est complexe à déterminer ? Louis Gallois dit la même chose sur le CICE : selon lui, il était question, non d'emploi, mais de compétitivité, qui ne s'évalue pas.
M. Patrick Martin. - Peut-être est-ce un hasard du calendrier, mais l'on ne peut déconnecter complètement cette politique de l'offre des performances plutôt satisfaisantes qu'a enregistrées la France depuis qu'elle a été mise en oeuvre. En termes de croissance, d'investissements et de créations d'emplois, la vision d'ensemble est plutôt satisfaisante pour la France.
J'évoquais tout à l'heure l'effet tout à fait récessif qu'aura le retrait des aides à l'apprentissage sur le nombre de contrats d'apprentissage. Je crois que, à ce jour, on est d'ores et déjà sur une baisse du nombre de contrats de 20 à 30 %, certes sur la période du début de l'année, assez peu probante. Il faut y être très attentif.
Je veux revenir sur la stratégie américaine d'attractivité, qui ne date pas de Donald Trump - d'ailleurs, je ne suis pas sûr que les dernières annonces du président Trump aillent dans le sens de l'attractivité du territoire américain. Je fais référence à l'Inflation Reduction Act, ce programme de subvention massive de l'industrie. Il a transformé les États-Unis, conjugué avec d'autres éléments - je pense au prix de l'énergie en particulier -, en une véritable pompe aspirante pour les investissements internationaux. Enfin, j'écoute attentivement ce qu'annonce M. Merz, en Allemagne, pour son futur gouvernement, avec l'accent mis sur l'attractivité et la compétitivité, au travers de mesures fiscales et sociales, qui ne me paraissent d'ailleurs pas du tout être antisociales, tant s'en faut.
Pour tenir son rang, notre pays, dont je suis convaincu qu'il a les moyens de la réussite, ne peut pas se déconnecter de ce qui se passe ailleurs. J'évoquais tout à l'heure le différentiel de charges sociales entre la France et l'Allemagne, qui est assez impressionnant. Pourquoi l'Allemagne a-t-elle conservé un niveau d'industrie aussi élevé, c'est-à-dire avec une proportion deux fois plus haute de son PIB que ce que nous voyons la France ? C'est multifactoriel, dirait-on. Je ne vous ferai pas l'affront, monsieur le rapporteur, de dire que les sujets de simplification, ou plutôt de complexification, sont étrangers à cette situation. Sans en savoir mesurer les effets au millimètre près, je suis tout à fait affirmatif, y compris en tant que chef d'entreprise. En résumé, tout cela a été très stimulant pour les entreprises françaises.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Vous êtes très habile. Nous vous apprécions parce que vous faites beaucoup de politique.
Vous aviez déclaré que la politique de l'offre créerait deux millions d'emplois, et je vous ai rappelé que la Banque de France estimait un résultat dix à vingt fois moindre. Nous sommes donc bien d'accord : la politique de l'offre, sous Emmanuel Macron, n'a pas créé deux millions d'emplois.
M. Patrick Martin. - La politique de l'offre, qui a commencé avant Emmanuel Macron...
M. Fabien Gay, rapporteur. - Bien sûr ! Je rappelle que votre prédécesseur avait promis un million d'emplois grâce au CICE.
M. Patrick Martin. - Parmi les composantes de la fiscalité, l'on retrouve les coûts salariaux, dont l'écart avec des pays concurrents a été pour partie résorbé par le CICE. Une autre est la fiscalité. Or la France n'est certainement pas devenue un paradis fiscal. En termes d'impôt sur les sociétés, elle s'est simplement alignée sur la moyenne européenne. Cependant, en ce qui concerne les impôts de production, on est encore loin du compte. Je rappelle que les entreprises françaises supportent des impôts de production équivalant à 3,5 % du produit intérieur brut, contre 0,7 % en Allemagne. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, je ne peux m'empêcher de penser que ce n'est pas indifférent dans le décrochage industriel de la France.
Les salaires sont élevés en Suisse, mais le coût de la protection sociale y est sensiblement moindre, de même que les impôts, de production et les impôts en général. On constate ainsi, de manière contre-intuitive, que ce pays, qui n'est pas majeur, de par sa superficie et sa population, a réussi à conserver une industrie d'excellence très exportatrice dans la mécanique ou dans la chimie. Or les déterminants de cette performance de la Suisse tiennent beaucoup aux coûts salariaux et à la fiscalité. À nouveau, les mêmes causes produisant les mêmes effets, j'affirme que la politique dite de l'offre a contribué à une performance de la France meilleure que celle des années précédentes.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Nous devrions avoir un débat sur le modèle social, car il est aussi un élément de compétitivité et d'attractivité. Il vaut mieux avoir des salariés bien formés, bien soignés et mieux payés que des salariés chinois, indiens ou bangladais.
Je souhaite vous interroger sur le crédit d'impôt recherche. Selon le dernier rapport de la Cour des comptes, qui date de 2019, il profite plus aux grandes entreprises qu'aux PME, les premières recevant proportionnellement plus d'argent à ce titre qu'elles ne paient d'impôts sur les sociétés. En effet, plus une entreprise est grande, plus elle a recours à des schémas d'optimisation fiscale, comme l'IP Box pour les brevets, qui permettent de réduire le taux de l'impôt sur les sociétés. Certaines entreprises sont même largement subventionnées et ne paient pas d'impôt sur les sociétés en France.
Par exemple, en 2019, quelque 3 milliards d'euros de crédit d'impôt recherche (CIR) ont été attribués aux grandes entreprises, tandis que l'ensemble des PME n'a reçu que 1,9 milliard d'euros. Or la Cour des comptes révèle que, pour 1 euro d'argent public donné aux grandes entreprises, l'effet d'entraînement est de 0,40 euro. En revanche, pour les moyennes entreprises, l'effet d'entraînement est de 1 euro, et, pour les petites entreprises, il atteint 1,40 euro.
Êtes-vous en faveur de la concentration du CIR au bénéfice des petites et moyennes entreprises, plutôt que des grandes ? Seriez-vous favorable à une limitation du CIR à une proportion du volume dépensé ? Ainsi, on observe habituellement que le CIR atteint entre 5 et 7 % des dépenses de recherche et développement, alors que, dans deux groupes, il dépasse les 50 %. On pourrait donc envisager un plafonnement, par exemple à 10 %.
Par ailleurs, nous avons appris que le crédit d'impôt recherche pouvait être attribué au titre d'activités menées dans l'Union européenne ou en sous-traitance. Ne devrait-on pas prévoir comme condition d'attribution du CIR l'industrialisation du brevet en France, en totalité ou en grande partie ? Par exemple, dans le domaine des microprocesseurs, nous venons d'apprendre qu'un produit développé pendant plusieurs années serait industrialisé en Chine.
M. Patrick Martin. - Limiter encore le bénéfice du crédit d'impôt recherche pour les grandes entreprises conduira-t-il à ce que les PME l'utilisent plus ? De mon point de vue, non, parce qu'à ce jour rien n'interdit à une PME ou une entreprise de taille intermédiaire (ETI) d'y recourir. En revanche, cela renvoie à une autre considération : monter un dossier de crédit d'impôt recherche est horriblement compliqué.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Nous sommes d'accord.
M. Patrick Martin. - L'effet en est assez dissuasif pour beaucoup de PME et d'ETI. Si d'aventure le système était simplifié, peut-être aurait-on un meilleur équilibre entre les différents types de populations. Enfin, si l'on raisonne en nombre d'entreprises, 84 % des bénéficiaires du crédit d'impôt recherche restent des PME. Le dispositif a quand même été sérieusement écrêté, au-delà de 100 millions d'euros, pour les grandes entreprises.
J'en profite pour rappeler l'existence d'un dispositif mieux adapté aux petites et moyennes entreprises : le crédit d'impôt d'innovation (C2I). Cependant, pour des raisons que nous ignorons, sa consommation a atteint un plafond depuis des années. On peut s'en réjouir pour les finances publiques, mais cela signifie que le dispositif n'est peut-être pas aussi séduisant ou convaincant qu'il devrait l'être. Ainsi, 250 à 300 millions d'euros sont consommés au titre du crédit d'impôt d'innovation.
M. Olivier Rietmann, président. - Le dispositif se diffuse difficilement parmi des entreprises concernées.
M. Patrick Martin. - Ensuite, la traduction en investissement du recours au CIR, y compris en dehors du territoire français, relève à mon avis de différentes logiques, à commencer par le rapprochement des entreprises concernées de leur marché. Vient ensuite le sujet, central, de la compétitivité industrielle de la France. C'est une chose de découvrir un produit intéressant, c'en est une autre de le mettre sur le marché.
En effet, jusqu'ici, il est une partie prenante dont nous n'avons pas parlé : le client. Le client final, qu'il soit en B2B ou en B2C, c'est-à-dire qu'il s'agisse d'une entreprise ou d'un consommateur, est-il prêt à payer plus cher au seul motif que le produit inventé sur le territoire national serait produit sur le même territoire ? Je n'en mettrais pas ma main à couper. Chacun doit gérer ses propres contradictions, ce qui vaut aussi pour les chefs d'entreprise.
Enfin, les brevets, donc leurs redevances, doivent rester sur le territoire national, car cela importe en termes de souveraineté et de rendement. Or on peut comparer ce qui existe en France et dans des pays voisins, notamment le coût des chercheurs. Ainsi, ce dernier est 30 % plus bas en Espagne, sans parler de la Chine. Dans ce pays, les salaires sont d'ailleurs en train de flamber pour les profils les plus qualifiés, ce qui, à l'échelle de la Chine, équivaut tout de suite à des centaines de millions de personnes.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Cela a beaucoup monté, en effet, pour l'encadrement.
M. Patrick Martin. - Ce débat mérite d'être mené, mais il faut véritablement prendre en compte ce qui existe dans les pays voisins, ainsi que les coûts complets, en tenant compte des aides publiques, des coûts industriels et salariaux... J'y aspire sincèrement et résolument.
Sans cela, on risquerait d'augmenter les capacités de production en France pour, dans certains cas, ne pas avoir de clients. Cela vaut pour les médicaments : je renvoie au courrier adressé aux autorités européennes par les grands laboratoires pharmaceutiques implantés en Europe, qui ne sont pas nécessairement d'origine européenne. La politique de tarification du médicament impose parfois aux laboratoires de délocaliser leur production, car leur vocation n'est pas de produire à perte. Le sujet me semble beaucoup plus complexe que cela.
M. Olivier Rietmann, président. - Il n'y a qu'un seul grand pays où les ingénieurs coûtent beaucoup plus cher qu'en France : les États-Unis. Ainsi, les entreprises américaines viennent installer leurs activités de recherche et développement en France pour bénéficier d'ingénieurs de très haut niveau, car elles reconnaissent que nos ingénieurs sont très bien formés et moins chers que leurs homologues américains. Pour le reste, un ingénieur en France coûte effectivement plus cher que dans les pays voisins.
M. Daniel Fargeot. - Monsieur Patrick Martin, vous évoquez davantage des compensations que des aides publiques, certainement par rapport au coût des prélèvements fiscaux et sociaux très élevés en France. Il serait nécessaire, selon vous, de simplifier les dispositifs d'aide sans réduire la compétitivité, car cette dernière est essentielle, tout comme la souveraineté. Vous soulignez également des distorsions liées aux aides publiques entre pays concurrentiels européens et posez la question de la stabilité des dispositifs réglementaires et législatifs, qui est plus que nécessaire, ce qui ne serait pas le cas aujourd'hui dans les politiques publiques.
Le contexte économique et industriel est inflammable. Pour autant, le climat social dans les entreprises est apaisé, à un plus bas historique, malgré l'inflation et la question du pouvoir d'achat. Serait-ce le calme avant la tempête ?
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Depuis des années, l'État consacre des sommes substantielles aux aides publiques aux entreprises sous diverses formes : exonérations, crédits d'impôt, compensations... Cependant, ce système nous paraît peu lisible, peu évalué et, surtout, largement déconnecté de critères d'efficacité et de conditionnalité. Or le Medef a largement soutenu ces dispositifs, insuffisamment ciblés, peu équitables et non assortis de véritables obligations. Avez-vous des propositions concrètes pour que ces aides soient plus justes, plus efficaces et conditionnées à des engagements mesurables, ou bien considérez-vous que le statu quo est acceptable ?
M. Marc Laménie. - Votre exposé en huit points, particulièrement pédagogique, suscite certaines interrogations.
Vous avez rappelé le grand nombre de salariés - 11 millions -, employés par les entreprises, petites et grandes, que vous représentez. En ce qui concerne l'apprentissage, alors que certaines entreprises ont du mal à recruter et qu'il est indispensable de susciter des vocations, cet aspect est-il réellement pris en compte au niveau des financements de l'État et de l'Union européenne ?
Ensuite, comment les financements provenant des collectivités territoriales, principalement les intercommunalités et les régions, sont-ils gérés ?
Enfin, je voudrais aborder le sujet de la constitution des dossiers, qui peut être très difficile pour certaines entreprises.
M. Olivier Rietmann, président. - Un examen attentif révèle une pléthore d'aides publiques en France, destinées à pallier les difficultés des entreprises en matière de coûts salariaux, notamment. Cependant, malgré ces aides, nous nous dirigeons vers 70 000 défaillances pour l'année 2025, alors que 67 000 avaient déjà été enregistrées en 2024. Cela signifie donc que ce qui existe n'est pas suffisant.
Cependant, les aides publiques ont-elles réellement pour vocation, ce qui relève d'un choix politique, de rendre nos entreprises plus compétitives ? Ne s'agit-il pas plutôt d'une volonté de les orienter dans le sens de certaines politiques, comme la décarbonation ? On ferait alors fi de la volonté de les rendre plus compétitives, pourvu qu'elles agissent dans le sens souhaité. Mis à part les exonérations de cotisations, les aides sont destinées à inciter les entreprises à adopter certaines orientations, quitte à les rendre moins compétitives. Cela m'est revenu à l'esprit lorsque le ministre de l'économie et des finances, récemment nommé, déclarait que la préoccupation prioritaire des entreprises dorénavant était la transition écologique, quitte à ce qu'elles acceptent une moins grande rentabilité. Allez l'expliquer à des chefs d'entreprise et, surtout, à leurs investisseurs... N'y a-t-il pas là une erreur de paradigme ?
M. Patrick Martin. - J'ai mentionné, à tort, la morale ; allons-nous maintenant parler de philosophie ?
M. Fabien Gay, rapporteur. - La philosophie, ce n'est pas la même chose...
M. Patrick Martin. - Il est vrai qu'il y a un interventionnisme croissant et une volonté de pilotage très fin, y compris dans les stratégies des entreprises, au titre de politiques publiques. Est-ce efficace, à la fin ? Je n'en suis pas absolument convaincu. Les entreprises françaises et, sans doute, européennes sont d'accord pour que, avec le politique, nous nous fixions des objectifs ambitieux, en particulier environnementaux. Cependant, nous souhaitons que le législateur ou les administrations nous laissent naviguer dans le cadre de ces objectifs, avec par exemple la neutralité technologique.
Je vais citer l'exemple de l'obligation, au titre de la loi Climat et Résilience, de rénovation thermique des logements, laquelle posait problème dès l'origine. Nous avons évidemment en commun la finalité de cette disposition. Cependant, nous n'en approuvons pas du tout les modalités et constatons qu'il se produit un effet d'éviction sur le parc locatif, alors même que le marché du logement en France est extrêmement tendu.
De même, sur la décision de l'Union européenne en matière de motorisation thermique, on n'est pas allé jusqu'au bout du raisonnement. L'Union, en accord avec les acteurs de l'automobile à proprement parler, mais les usagers également, aurait pu fixer un objectif et laisser les acteurs se débrouiller à l'intérieur de cet objectif, quitte à prévoir de dures sanctions si celui-ci n'était pas atteint. Je pense que cela aurait bien mieux fonctionné.
Nous sommes tout à fait résolus - je sais que cela surprend parfois - à lutter contre la fraude fiscale et la fraude sociale. Si nous avions moins de textes, parfois instables et incohérents entre eux, donc un cadre législatif et réglementaire beaucoup plus lisible, beaucoup plus constant, nos performances seraient sensiblement meilleures.
Je parlais de philosophie et, sans grande surprise, nous avons une philosophie libérale. Mais le libéralisme, ce n'est pas l'ultralibéralisme. Accordons-nous sur des objectifs ambitieux, luttons, les uns et les autres, contre la fraude, dont je rappelle qu'elle est, pour les entreprises un facteur d'inéquité concurrentielle. Ainsi, jamais le Medef ne prendra la défense du travail illégal. Nous pourrions alors fonctionner beaucoup mieux.
Dans le cadre de cette philosophie générale, les conditionnalités me semblent consubstantielles à un certain nombre de dispositifs. Ainsi, il n'y a pas d'aide à l'apprentissage sans apprentis et pas d'allègements de charges sans des salariés rémunérés à un niveau qui les y rende éligibles. Le crédit d'impôt recherche est l'un des dispositifs les plus scrutés de France, un dossier sur quatre étant systématiquement contrôlé. Pourquoi pas, mais cela fait le bonheur d'un certain nombre d'officines qui montrent les dossiers de demande de crédit d'impôt recherche et qui viennent en assistance quand il y a des contrôles. Il faut bien que cela profite à quelqu'un, même si je ne suis pas certain que ce soit là la finalité du crédit d'impôt recherche... Nous estimons que sont ainsi absorbés 20 % à 30 % du montant attribué au titre du crédit d'impôt recherche. Voilà l'illustration par l'absurde de ce que peuvent générer ces complexités, y compris en termes de perte d'argent public, celui-ci aboutissant dans la poche de ces officines.
En ce qui concerne la multiplicité des intervenants, les collectivités locales ont été évoquées. On s'y perd, là aussi, entre ces dernières, l'État, les agences, les autorités indépendantes, etc. Cela entraîne beaucoup de délais et beaucoup de complexité, pour les entreprises comme pour la sphère publique. Si l'on pouvait rétablir le principe de compétence des collectivités locales, tout le monde y gagnerait beaucoup, y compris la sphère publique.
M. Daniel Fargeot. - Les aides publiques sont-elles un levier efficace pour que l'État pèse sur la politique d'une entreprise ? Existe-t-il d'autres leviers que financier à même d'étayer les relations entre l'État et les entreprises ? Enfin, appartient-il à l'État ou aux entreprises de contrôler l'efficacité de ces dispositifs ?
M. Patrick Martin. - C'est dans l'ordre des choses que le bon usage de l'argent public soit contrôlé. Cependant, en partant d'objectifs plus simples, il serait préférable de contrôler le respect d'une obligation de résultat plutôt que celui d'une obligation de moyens.
Par ailleurs, il y a un sérieux problème de confiance réciproque. Pourquoi y a-t-il autant de contrôles ? En effet, il existe une suspicion, parfois fondée, je dois le reconnaître, de mauvaise utilisation, voire de détournement des financements publics.
En revanche - j'ai déjà mentionné les impôts de production -, le fait que la C3S existe encore et que la fin de la CVAE n'en finisse pas d'être repoussée pose un problème d'espèces sonnantes et trébuchantes pour les entreprises qui, pour beaucoup d'entre elles, avaient intégré dans leur stratégie cette suppression progressive. De manière plus fondamentale, cela soulève la question de la confiance en la parole de l'État. Ainsi, bien des entreprises, alors qu'elles prennent les mauvaises nouvelles pour argent comptant, sont dubitatives ou soupçonneuses face à des annonces positives, pour lesquelles on ne sait plus très bien à quel saint se vouer. Il y a une impérieuse nécessité de restaurer ou de consolider cette relation de confiance. Cela passe par l'identification des responsables du côté des entreprises, mais aussi du côté des décideurs publics, et par le fait que les annonces soient effectivement suivies d'effet dans les délais impartis.
En outre, je vous confirme, pour le niveau de conflictualité, un plus bas historique dans les entreprises. Cela peut s'expliquer pour partie par une crainte, commune aux salariés et aux entrepreneurs, liée à une situation économique assez précaire, voire menaçante. Mais cela tient aussi au fait que, même si nous avons des désaccords de fond, le dialogue est de qualité à tous les niveaux, entre les chefs d'entreprise et les organisations patronales, d'un côté, et les salariés et les organisations syndicales, de l'autre. C'est le cas, en ce moment, autour du conclave, mais aussi sur d'autres sujets encore.
Ainsi, même si nous n'avons pas les mêmes solutions, nous avons une grande convergence sur le diagnostic. Certains médias, et peut-être certains politiques - je ne parle bien sûr pas de vous, mesdames, messieurs les sénateurs -, sont moins conscients de cette réalité. Mme Sophie Binet, par exemple, connaît les dossiers industriels sur le bout des doigts. Pouvoir partager ces visions et prendre des décisions adaptées relève de l'intérêt général.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Êtes-vous pour ou contre la transparence des aides publiques de la part de l'administration ?
Par ailleurs, les exonérations de cotisations sociales atteignent 80 milliards d'euros. Or tous les économistes s'accordent à dire que les exonérations versées au titre des salaires inférieurs à 1,6 Smic, soit 20 milliards d'euros, sont une trappe à bas salaires. Partagez-vous ce constat ?
M. Patrick Martin. - Oui, la transparence sur l'utilisation des aides publiques ne nous pose aucune difficulté.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Je parlais plutôt de la transparence sur les montants versés. En effet, nous parlons d'un total compris entre 170 milliards et 250 milliards d'euros. Cette transparence est, à tout le moins, nécessaire pour les organisations syndicales. Beaucoup nous ont indiqué ignorer, par exemple, le montant du crédit d'impôt recherche perçu par les entreprises, ou encore le montant des exonérations. J'ai été très surpris : dès la première audition d'un chef d'entreprise, le ton a été donné par Florent Menegaux, qui a joué la transparence totale sur les montants perçus au titre des dispositifs les plus importants. Globalement, tout le monde a joué le jeu, détaillant les subventions directes, le mécénat, etc. Ainsi, tout le monde est favorable à la transparence.
M. Patrick Martin. - Cela ne me crée par de difficulté, dans la limite des informations concurrentielles qui pourrait être révélées.
Sur le montant des aides ou compensations publiques, même en déduisant ces dernières, les prélèvements obligatoires français restent importants.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Voilà une nouvelle expression : les compensations publiques !
M. Patrick Martin. - J'ai déjà dû corriger mon vocabulaire : je ne parle plus de charges sociales, mais de cotisations sociales...
M. Fabien Gay, rapporteur. - Voilà qui est très bien !
M. Patrick Martin. - Je crois que vous avez assisté vous-même à une scène où, à deux reprises, je me suis fait reprendre après avoir parlé de charges sociales ! Mais le terme de compensation me paraîtrait conforme à la réalité.
Vous avez, monsieur le rapporteur, évoqué le financement de la protection sociale. Il y a une urgente nécessité de revisiter tous ces dispositifs, d'abord pour apporter de la lisibilité, puis pour éviter un certain nombre d'effets de seuil. Je vous rejoins sur les effets pervers des différents niveaux d'allègement de charges, qui sont des trappes à bas salaires. Je l'ai dit moi-même.
J'irai même plus loin : lorsque Mme Borne, alors Première ministre, a tenu sa conférence sociale fin 2023, c'est sur l'initiative du Medef - je peux le prouver - que le sujet des trappes à bas salaire a été évoqué. Je peux vous citer un certain nombre de cas, que vous connaissez, d'entreprises employant des salariés à temps partiel. En effet, les travailleurs pauvres sont essentiellement des travailleurs à temps partiel, souvent subi, j'en suis conscient, mais parfois voulu. Il arrive que, de manière parfaitement rationnelle, les intéressés refusent de travailler plus à la demande de leur entreprise. Or il est plus facile pour cette dernière d'augmenter la durée du travail d'un salarié que d'en recruter, former et suivre administrativement un nouveau. Bien sûr, je me garde d'en faire une généralité, mais certains salariés refusent de travailler plus, parce qu'ils perdraient alors tout ou partie du bénéfice de certains dispositifs d'aide sociale, en particulier la prime d'activité.
Il y a donc urgence à s'interroger sur l'architecture de ces différents dispositifs, afin de les simplifier et de gommer leurs effets pervers, de reconstituer des marges de manoeuvre de nature à faire regagner de la compétitivité à nos entreprises - je reste constant sur ce point : nous avons un problème de compétitivité -, de revaloriser les salaires nets et, enfin, dans une certaine proportion, de supprimer des allègements de charge, c'est-à-dire des compensations. En effet, à un moment, il y a bien quelqu'un qui paie. Or actuellement, cela pèse de manière tout à fait excessive sur les entreprises et les salariés.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Le débat est passionnant. Nous conservons un désaccord sur cette question : les cotisations sociales, patronales et salariées, sont du salaire différé, qui finance la protection sociale, elle-même un élément de compétitivité.
M. Patrick Martin. - Cependant, les branches famille et santé vont très au-delà des populations salariées.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Ces droits ont été ouverts par des cotisations.
M. Patrick Martin. - Trois régimes doivent relever des entreprises et des salariés : le chômage, les retraites et les accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). Certes, les entreprises ne doivent délaisser ni la famille ni la santé, qui sont des sujets d'intérêt pour les salariés, mais ce n'est certainement pas à elles de les financer dans les proportions actuelles. Ces régimes sont des régimes de solidarité.
In fine, il s'agit selon moi d'un problème d'efficacité économique. Dynamiser la croissance, la compétitivité et l'emploi aura un effet vertueux pour la collectivité dans son ensemble.
M. Fabien Gay, rapporteur. - La santé est intimement liée au travail.
M. Patrick Martin. - Mais pas seulement.
M. Olivier Rietmann, président. - Voilà pourquoi nous intégrons les maladies professionnelles. C'est un débat à part entière, mais la réalité des faits nous ramènera toujours sur terre.
Nous vous remercions de votre disponibilité et de votre franchise.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 05.