Mercredi 14 mai 2025
- Présidence de Pierre Barros, président -
La réunion est ouverte à 13 h 30.
Structures intervenant en matière de développement d'infrastructures de transport - Audition de MM. Rodolphe Gintz, directeur général des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM), Franck Leroy, président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIT France), Mme Katrin Moosbrugger, secrétaire générale de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France, et M. David Valence, président du conseil d'orientation des infrastructures (COI)(sera publié ultérieurement)
Le compte rendu sera publié ultérieurement.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 15 h 00.
Jeudi 15 mai 2025
- Présidence de Pierre Barros, président -
La réunion est ouverte à 10 h 30.
Audition de Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics
M. Pierre Barros, président. - Nous recevons ce matin Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Cette audition était très attendue. En effet, depuis le 27 avril dernier, madame la ministre, vous tenez en suspens les médias et l'ensemble des services publics, à la suite de votre annonce, au micro de CNews et d'Europe 1, de votre volonté de supprimer un tiers des agences et opérateurs de l'État d'ici à la fin de l'année, et de présenter aujourd'hui au Sénat les contours de votre plan.
Cette annonce est d'autant plus surprenante que, vous le savez, notre commission d'enquête mène depuis plusieurs mois un travail approfondi en vue de formuler des propositions sur la rationalisation des périmètres d'intervention des agences et opérateurs de l'État, ainsi que sur les économies qu'une organisation plus efficiente pourrait permettre de réaliser.
Votre audition de ce jour revêt donc une dimension toute particulière.
Vous avez évoqué entre 2 et 3 milliards d'euros d'économies qu'offrirait cette réorganisation. Au lendemain de votre annonce, nous vous avons demandé des précisions sur les modalités de calcul de ces chiffres. Or force est de constater que les documents que vous nous avez transmis sont très généraux, voire quelque peu confus. Ils ne permettent pas de déterminer clairement les économies envisagées, les agences concernées et les critères retenus pour leur éventuelle suppression.
Votre présence nous permettra, à n'en pas douter, de mieux comprendre pourquoi vous voulez supprimer un tiers des agences - et pas un quart ou la moitié - et comment vous arrivez à ce montant d'économies : s'agit-il de supprimer certaines missions de politiques publiques que les agences exercent, et, dans ce cas, lesquelles ? Ou pensez-vous que des fusions d'agences ou de services permettent de réaliser des économies d'échelle se chiffrant en milliards d'euros ?
Je rappelle que M. Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification, que nous avons reçu la semaine dernière, a affirmé : « Je ne veux pas que l'on se fixe un objectif chiffré, comptable. Je ne veux pas non plus décider au doigt mouillé, ce qui ne serait pas responsable. » L'approche est-elle différente entre vos deux ministères ?
Au cours de la présente audition, notre rapporteur ainsi que les sénateurs qui le souhaitent vous interrogeront afin d'approfondir quatre grandes thématiques : d'abord, votre connaissance du fonctionnement de ces agences ou opérateurs, et du nombre de fonctionnaires et d'agents qui les composent ; ensuite, la méthode envisagée pour procéder à leur suppression ou à leur fusion ; puis votre méthode de calcul des économies annoncées dernièrement ; enfin, votre analyse de la gouvernance de ces entités.
Il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée, en direct et en différé, sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Amélie de Montchalin prête serment.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Madame la ministre, je partirai des propos que vous avez tenus sur CNews le 27 avril dernier. À l'issue de ces déclarations, nous vous avons demandé de nous transmettre certains documents, mais ceux-ci ne nous ont pas permis de vérifier les différents chiffres que vous avez mentionnés. J'y reviendrai donc, point par point, et vous inviterai à les préciser.
La première thématique portera sur le nombre de fonctionnaires ou d'agents, ainsi que sur la connaissance des agences, des opérateurs et des comités dits « Théodule », qui sont au coeur des travaux de notre commission d'enquête.
Ma première question porte sur le chiffre de 180 000 agents. Comment l'avez-vous calculé ? En effet, après avoir analysé le tableau que vous nous avez transmis, nous n'arrivons pas à retrouver ce chiffre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. - Je me réjouis d'être parmi vous aujourd'hui. Je pense que nous menons collectivement un travail très convergent et légitime.
En préambule, je souhaiterais vous exprimer une gêne par rapport à l'idée que la préparation d'un budget et les objectifs que se fixe le Gouvernement puissent donner lieu à des faux témoignages. Je tiens à le redire : nous sommes en train de réaliser un travail méthodique qui me conduit à penser que nous sommes tout à fait en mesure de rendre les politiques publiques plus lisibles et plus efficaces.
Si, comme je l'ai fait dans les médias, j'annonce un objectif de 2 à 3 milliards d'euros d'économies d'ici à 2027, et si, in fine, nous ne l'atteignons pas, cela ne signifie pas que j'aurais menti. Nous préparons un budget et nous sommes fixé des objectifs qui reposent sur des éléments crédibles, utiles et concourant à une meilleure efficacité des politiques publiques. Mais, en définitive, ce sera le Parlement, en toute souveraineté, qui décidera d'accorder ou non les crédits, de les réduire par rapport à nos recommandations, ou d'aller au-delà de ces dernières.
Je tiens simplement à m'assurer que nous évoluons bien dans un cadre où les ministres peuvent présenter des objectifs, qui seront ensuite suivis ou non d'effets selon les décisions des parlementaires, dans le cadre de l'examen du budget.
Quant au chiffre de 180 000 agents, il correspond au nombre d'agents figurant dans le schéma d'emploi des opérateurs, à l'exclusion des universités et de France Travail.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous prenons note de cette information. Nous procéderons donc à de nouveaux calculs. Pourquoi avoir exclu France Travail ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - France Travail et les universités sont des opérateurs qui comptent un grand nombre d'agents et remplissent des missions fondamentales. Les emplois prévus dans le cadre de la loi de finances initiale (LFI) s'élèvent à 402 000, dont quelque 170 000 dans les universités et 50 000 dans France Travail. La soustraction de ces chiffres conduit au résultat que je vous ai présenté.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si vous excluez les universités, pourquoi avez-vous conservé les différents centres de recherche, qui figurent eux aussi dans la liste ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - J'ai choisi de communiquer de cette manière, notamment parce que certains centres de recherche peuvent être amenés à établir des rapprochements utiles en termes de politiques publiques. Quant aux universités, elles ont fait l'objet de nombreux rapprochements et de projets de loi visant à les faciliter. Je précise, et c'est un choix personnel, que notre projet ne vise aucunement à relancer un projet de fusion des universités.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Disposez-vous d'un document vous indiquant, pour chaque agence, la pyramide des âges des agents ? Vous avez déclaré que vous souhaitiez le non-remplacement des départs à la retraite, afin d'éviter les licenciements massifs. Pouvez-vous nous fournir la trajectoire de réduction des effectifs de fonctionnaires, année après année ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je n'ai pas la trajectoire sous les yeux.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Disposez-vous du document ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je ne l'ai pas pour chaque opérateur, mais je dispose des données pour la fonction publique, ainsi que par ministère de manière générale. Et nous savons qu'un certain nombre de remplacements de fonctionnaires peuvent être modulés ou limités dans le temps. Je compte bien répondre à toutes vos questions, madame le rapporteur.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous avons déjà connaissance du rapport écrit de la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), mais rien ne nous garantit que la pyramide des âges des opérateurs soit strictement identique à celle des ministères auxquels ils sont rattachés. Nous restons dans le flou. Existe-t-il des documents au sein du ministère dont nous n'aurions pas eu connaissance ? Votre réponse corrobore ce que nous avons déjà entendu : aujourd'hui, personne ne connaît la pyramide des âges de ces opérateurs, et presque personne ne sait vraiment qui y travaille.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Sur la question du coût des ressources humaines (RH), et afin que nous puissions avoir un débat éclairé, il me semble nécessaire de revenir aux objectifs et à la méthode de manière macro. Vous me posez des questions précises et y répondre de façon fragmentée pourrait effectivement donner une impression un peu trop impressionniste, si je puis dire.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Cela fait plus de quatre mois que nous travaillons sur ce sujet ; nous commençons à bien cerner les grands objectifs. Nous avons lu toutes les déclarations du Gouvernement et auditionné certains de vos collègues. Nous avons des questions assez précises pour pouvoir formuler des préconisations cohérentes, argumentées et étayées.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je suis entièrement disponible. Je vous propose simplement de préciser, de manière un peu plus macro, l'objectif, l'intention et la méthode. Sinon, mes réponses détaillées risqueraient de vous paraître un peu déconnectées de l'ensemble.
Pourquoi avons-nous créé des agences dans notre pays ? Pour des raisons diverses.
Premièrement, il existait un mythe selon lequel certains pays avaient réussi à réduire leurs dépenses publiques en créant des agences. Mais cela s'était accompagné de la suppression de ministères, ce que nous n'avons pas fait.
Deuxièmement, à une époque, on a pensé que recruter des contractuels plutôt que des fonctionnaires permettrait de faire des économies. Le statut des agents est en effet un enjeu essentiel. Mais aujourd'hui, cet argument ne tient plus vraiment, car la part des contractuels au sein des ministères est importante.
Troisièmement, des structures plus autonomes et un pilotage plus managérial - je reprends des termes historiques - devaient permettre de gagner en efficacité. Le travail de votre commission d'enquête est essentiel pour examiner l'efficience des structures, car il n'est pas prouvé que cette vision soit, de facto, appliquée.
Quatrièmement, certains ont vu dans les agences un moyen d'éloigner un peu le pilotage des politiques publiques du regard des parlementaires, notamment par le biais d'un processus budgétaire moins transparent. Lorsque j'étais députée, membre de la commission des finances, j'ai moi-même soutenu le lancement de travaux d'évaluation et de contrôle comparables aux vôtres. Il n'est pas normal, et je le dis en tant que ministre chargée des comptes publics, qu'un certain nombre d'éléments échappent encore au suivi des parlementaires.
Le travail que vous accomplissez aujourd'hui est essentiel. Mais il ne devrait pas être nécessaire de recourir à une commission d'enquête pour avoir accès à ces informations de base, telles que le nombre d'opérateurs, leur budget et les types d'engagements pris. Le « jaune » budgétaire vous est certes communiqué, mais à mes yeux, il n'est pas satisfaisant.
Notre priorité, et je rejoins totalement les propos de Laurent Marcangeli, n'est pas d'ordre comptable : nous n'avons pas d'objectif chiffré, « au doigt mouillé ». Il ne suffit pas d'annoncer une économie de 3 milliards d'euros. Ce n'est pas l'esprit de notre démarche.
L'approche du Premier ministre, et c'est pourquoi nos travaux sont très convergents et utiles, est centrée sur l'efficacité des politiques publiques, l'efficacité des organisations publiques, l'efficacité de ce que les Français, les collectivités, les entreprises perçoivent de leur côté, ainsi que sur une revue de nos priorités.
Votre travail est très complémentaire, car votre commission réalise un travail que nos services, à ce stade, ne font pas de la même manière : vous évaluez l'efficience des organisations, avec une revue très précise et détaillée des budgets, des structures et des performances.
Je tiens à le préciser pour les personnels de ces opérateurs : je n'ai pas pour projet - j'ai été ministre de la fonction publique, et je crois au dialogue social - de me lancer dans un exercice de « serpette » ou de « tronçonneuse », en annonçant la suppression de 10 000 emplois sous prétexte qu'il est difficile de le faire dans les ministères. Ce n'est pas notre approche.
Notre démarche repose sur une logique d'efficacité. Les agents de certains opérateurs constatent les nombreuses redondances, lourdeurs et complexités. Je partage avec eux la conviction qu'ils doivent pouvoir offrir un service public de grande qualité et d'efficacité.
Notre approche peut être résumée en cinq points clés.
Premier point : nous avons 196 opérateurs, qui pourraient être considérés comme faisant partie de 14 réseaux. Je désigne ainsi des opérateurs ayant les mêmes missions, mais répartis sur différents territoires. Laurent Marcangeli a évoqué les instituts régionaux d'administration (IRA), qui forment les attachés d'administration. L'idée serait de centraliser la politique de formation des attachés sous une seule organisation disposant de la personnalité morale et d'un budget, avec des antennes locales sur le territoire.
Un très bon exemple de cette approche est celui des parcs marins : vous avez un organisme national des parcs marins et, sur le terrain, des parcs marins locaux. Cela n'empêche pas la mise en place de conseils consultatifs locaux ou l'ancrage territorial auquel vous êtes très attachés. Mais, sur un plan budgétaire, comptable et d'efficacité, ce modèle présente un intérêt.
Lorsqu'on évoque des fusions, il ne s'agit pas de dire : « On va créer un grand IRA. » Il faut plutôt tenir compte de ce qui existe déjà, à l'instar des parcs nationaux, des agences régionales de santé (ARS), ou encore des écoles d'architecture. Ce n'est pas nécessairement le modèle que nous allons adopter, mais cette piste est intéressante pour gagner en efficacité.
Dans ce cadre, les enjeux liés aux RH ne concernent pas la suppression d'effectifs. Il pourrait néanmoins y avoir quelques suppressions en raison de la redondance des structures juridiques, telles que celles qui sont chargées de convoquer le conseil d'administration.
Deuxième point : rapprocher, et donc fusionner - et rationaliser - les opérateurs ayant des missions très proches.
Un exemple bien connu concerne le rapprochement de France Stratégie et du Haut-Commissariat au plan (HCP), ou encore de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii). Dans ces cas, vous réalisez de petits gains opérationnels : les missions ne sont pas réduites, mais pour l'efficacité, la lisibilité et le pilotage ministériel, vous faites d'importants progrès.
Troisième point : assumer des suppressions sur des missions qui sont échues, ce qui ne signifie pas qu'elles aient échoué. Par exemple, nous souhaitons que le projet concernant l'Institut national de la consommation (INC) aille à son terme. D'autres revues sont envisagées. Dans cette même logique, nous voulons encadrer de manière stricte la création de nouvelles entités, en leur fixant des objectifs limités dans le temps.
Quatrième point, la « reministérialisation » de certaines missions.
« Reministérialiser », ce n'est pas « reparisianiser ». Certains opérateurs nationaux ont des réseaux très vastes et, dans de nombreux cas, les préfets agissent comme représentants territoriaux, mais ne gèrent pas directement les agents. Cela crée une architecture complexe, car les agents territoriaux sont censés être sous une forme d'autorité fonctionnelle, ou du moins sous la coordination des préfets. Il serait envisageable de « reministérialiser » les missions d'un certain nombre d'agences et d'opérateurs. Par exemple, des petits opérateurs, qui remplissent des missions très régaliennes, pourraient trouver leur place au sein des ministères parisiens. D'autres opérateurs, qui ont des réseaux très étendus, ont fait du préfet leur représentant local. Pourquoi ces agences ne seraient-elles pas directement sous son autorité ?
Autre cas intéressant : les collectivités. Certains opérateurs accomplissent des missions que les collectivités prennent déjà en charge, ou qu'elles souhaiteraient assumer elles-mêmes. On pourrait envisager un système où, plutôt que de confier à un opérateur national la tâche de signer des conventions avec chaque département ou région pour coordonner les agents, on applique le principe de subsidiarité. Cela permettrait d'éviter les redondances, tant dans l'administration de l'État que dans le cadre des collectivités.
Le cinquième point, qui est plus budgétaire, consisterait à conserver les opérateurs comme agents de dissémination et de diffusion de la politique, mais en récupérant complètement les crédits alloués. Cela impliquerait de « reministérialiser » ces crédits et de les réinscrire intégralement dans la loi de finances, afin de garantir une meilleure gestion sur les enjeux que vous connaissez bien, madame la rapporteur, dans un contexte de pilotage budgétaire très contraint.
Pour ce qui est des agents, je veux être rassurante : je n'ai pas d'objectif précis - 10 000, 5 000, 12 000 ? -, car cela n'aurait aucun sens. Le Gouvernement a engagé deux processus distincts : le premier a été lancé par le gouvernement de Michel Barnier, sous la houlette du secrétariat général du Gouvernement (SGG), en collaboration avec la direction du budget et la direction interministérielle de la transformation publique. Ce processus a été porté par les secrétaires généraux des ministères, qui ont eux-mêmes proposé des réorganisations afin de redonner de l'efficacité à leurs structures, ce qui a donné lieu à certaines informations que nous avons communiquées.
Depuis le 15 février, le Premier ministre a demandé à chaque ministre et à chaque directeur d'administration centrale de mener un exercice de refondation de l'action publique, avec une revue « ligne à ligne » des missions. Dans ce cadre, nous identifions les missions prioritaires et celles qui ne le sont pas. Veut-on en faire une politique pilotée nationalement, ou une politique pilotée plutôt au niveau préfectoral ? Certaines missions pourraient-elles être confiées aux collectivités ? Dans cette organisation, avons-nous besoin d'autant d'acteurs différents ? Ne serait-il pas pertinent de recentrer les choses ? Par exemple, j'ai lancé une revue des dépenses sur l'ingénierie territoriale, un sujet que vous connaissez très bien ; je pourrai vous transmettre la lettre à ce sujet, si cela n'a pas déjà été fait.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Au vu de la nature des documents que nous avons reçus, je ne suis pas certaine nous puissions aboutir à toutes les conclusions que vous venez de nous décrire...
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - La revue des dépenses a été lancée le 28 janvier, sous ma signature, en collaboration avec l'Inspection générale des finances (IGF), l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD), ainsi que l'Inspection générale de l'administration (IGA).
Cette mission se concentre sur la rationalisation des interventions des opérateurs de l'État au profit des collectivités en matière d'ingénierie, qui est un domaine que vous connaissez très bien. Nous avons demandé à ces inspections d'examiner comment mieux organiser, voire rationaliser, les actions de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), tout en prenant en compte les initiatives de certaines collectivités. L'objectif n'est pas de dire aux collectivités ce qu'elles doivent faire, mais de réfléchir à une organisation plus efficiente.
L'idée n'est pas non plus de supprimer la mission de soutien de l'État à l'ingénierie territoriale. Mais est-il pertinent d'avoir quatre opérateurs qui accomplissent des missions similaires, avec des coûts importants et une certaine confusion ? Le but n'est pas d'agir de manière précipitée, d'où la répartition des 3 milliards d'euros sur plusieurs années, jusqu'à l'horizon 2027, avec certaines actions dès 2025, et d'autres dès 2026.
Ce travail implique un tiers des plus de 300 opérateurs, hors universités, qui peuvent être réorganisés selon les cinq axes précités : des rapprochements via les réseaux ; la rationalisation ou la fusion d'opérateurs aux missions très proches ; un certain nombre de suppressions ; la « reministérialisation » au niveau central ou territorial ; des échanges avec les collectivités pour leur permettre de reprendre des personnels, des compétences et des financements correspondants. Nous prévoyons également une « rebudgétisation », qui constitue une forme de fusion budgétaire. À chaque étape, des enjeux humains, technologiques et immobiliers seront pris en considération.
J'ai la conviction qu'il est possible d'obtenir un gain de productivité de 2 % sur l'ensemble des dépenses des opérateurs, non pas à coup de rabot, mais plutôt par une réorganisation et une rationalisation. J'insiste sur ce point : je ne suis pas ici pour sortir la « serpette » ou la « tronçonneuse ». Mon objectif est que cette réorganisation aboutisse à un meilleur fonctionnement et permette aux collectivités, aux entreprises et aux contribuables français de s'y retrouver.
M. Pierre Barros, président. - Nous partageons ces objectifs. Cependant, notre commission d'enquête va au-delà du simple contrôle et de l'évaluation ; elle s'inscrit dans le cadre de la Constitution. Tout ce que vous évoquez fait déjà l'objet de nos travaux depuis très longtemps, et de façon plus précise ces derniers mois.
Les intentions et objectifs sont importants, mais notre priorité aujourd'hui est de comprendre comment vous atteignez les chiffres annoncés. Lors de précédentes auditions, nous avons échangé avec des experts sur ces sujets, mais ce qui nous intéresse ici, madame la ministre, c'est d'obtenir des réponses concrètes. Nous devons avancer de manière pragmatique et obtenir des éléments qui nous permettent de progresser collectivement.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'ai lu en détail certaines fiches du programme de refondation de l'action publique. Le document, que j'ai sous les yeux, comporte 68 pages et constitue essentiellement un catalogue des directions. Pour chaque direction, on y indique le nombre d'équivalents temps plein (ETP), leurs missions, les intitulés des sous-directions et les indicateurs extraits des projets annuels de performances (PAP). Comment comptez-vous refonder l'action publique à partir d'un tel document ?
Seules deux pages, relatives à un seul opérateur, suggèrent des perspectives d'évolution et une réflexion sur l'articulation entre la sphère déconcentrée et la sphère nationale. Pourtant, il ne s'agit que d'un seul opérateur parmi la dizaine qui relève du périmètre du ministère. Tout le reste du document n'est constitué que de chiffres, qui sont essentiellement une concaténation d'informations déjà disponibles dans les PAP ou sur les sites internet des différents ministères.
Si vous disposez d'autres documents plus approfondis que ces fiches transmises aux commissions des finances des deux chambres, je vous invite à nous les communiquer, afin que nous puissions disposer d'éléments consolidés au début du mois de juillet.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Madame le rapporteur, le travail que vous évoquez est en cours et se déroule en trois étapes clairement définies par le Premier ministre. La première étape est la photographie actuelle des missions des ministères - la concaténation à laquelle vous faites référence. Elle n'apprend rien à ceux qui, comme vous, évaluent et contrôlent régulièrement l'action publique, puisqu'elle présente simplement une vision statique des priorités actuelles des ministères.
La deuxième étape, en cours, vise à refonder l'organisation administrative. Chaque semaine, une réunion se tient sous l'autorité du directeur de cabinet du Premier ministre, en présence des directeurs de cabinet concernés, notamment celui du ministre de l'action et de la transformation publiques, Laurent Marcangeli, de mon propre directeur de cabinet, ainsi que des représentants des différents ministères. En temps voulu, le Premier ministre annoncera les décisions qui en découleront.
Comme je l'ai indiqué à la radio, nous menons sérieusement ce travail, et non de façon théâtrale ; il ne s'agit pas non plus de donner l'impression de nous occuper. Avant le 14 juillet, conformément à ses engagements, le Premier ministre présentera un plan global visant à maîtriser et réduire le déficit public. Par ce plan, nous n'entendons pas recourir à une logique de rabot ou nous contenter d'ajuster le budget précédent en fonction de l'inflation. Au contraire, notre démarche consiste à repenser en profondeur notre organisation.
Madame la rapporteur, soyez assurée que je vous transmettrai volontiers les documents pertinents dès lors qu'ils seront suffisamment aboutis pour être utiles à votre commission d'enquête. À ce stade, il serait prématuré de communiquer les comptes rendus de réunions de travail qui ne comportent pas encore de véritables arbitrages. Au cours de ces réunions, chaque ministère indique, à la suite du travail mené par leur secrétaire général, le nombre d'emplois et les orientations envisagées.
Après la photographie des missions et des priorités - première étape - et la refondation de l'organisation administrative - deuxième étape -, la troisième étape sera la budgétisation. Autrement dit, nous tirerons les conséquences budgétaires de ces deux premières étapes ; elles seront intégrées dans un plan pluriannuel, comme l'a souhaité le Premier ministre.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Sachant que cette audition est très suivie, permettez-moi de revenir brièvement sur la question initiale concernant les 180 000 agents. Il semble que vous ayez omis de mentionner certains éléments, sans lesquels le chiffre de 180 000 ne peut être atteint. À partir du tableau qui nous a été transmis, nous parvenons précisément au chiffre de 184 339 agents, en soustrayant les agents des universités, ceux de France Travail, ceux du réseau des centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous) ainsi que ceux des autres opérateurs relevant de l'enseignement supérieur. Par conséquent, le réseau des Crous est également exclu du champ de votre réforme.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je confirme, madame la rapporteur, avoir exclu la mission « Recherche et enseignement supérieur ». Lorsque je me suis exprimée à la radio, j'ai évoqué le chiffre de 180 000 agents, non de 184 000. Par ce chiffre, j'ai souhaité montrer aux Français que de nombreux agents étaient concernés, et qu'au regard des effectifs de la fonction publique, il devenait nécessaire de mieux les connaître, de mieux piloter leur gestion.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous nous interrogeons sur la situation du réseau des Crous, lequel fait partie des 14 réseaux d'opérateurs, regroupant 196 structures, que vous avez évoqués. Il y a une question de cohérence : il ne paraît pas pertinent d'inclure ces établissements dans une première catégorie pour les exclure ensuite du périmètre des réformes envisagées. Ce point mérite d'être précisé, sachant que les chiffres seront minutieusement vérifiés et repris ultérieurement.
Je souhaite également vous interroger sur la qualité des informations disponibles, notamment dans les « jaunes » budgétaires. La liste de ces annexes budgétaires a été fixée par l'article 179 de la loi de finances initiale pour 2020, qui précise clairement que le jaune sur les opérateurs présente, pour chaque opérateur, des données telles que la masse salariale et les emplois. Or, en pratique, ces informations ne sont fournies que par catégorie d'opérateurs. Par exemple, nous avons de telles données pour l'ensemble des universités, mais pas pour chacune d'entre elles. Cette pratique n'apparaît donc pas cohérent avec l'article 179 de la LFI de 2020. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je ne suis pas en mesure d'expliquer précisément cette situation, n'étant pas responsable de ces publications à l'époque considérée - j'ai pris mes fonctions le 23 décembre 2024. Cependant, lorsque j'étais parlementaire, j'ai défendu fermement la possibilité pour les assemblées de disposer de plus de moyens d'évaluation et de contrôle.
Votre constat révèle que notre organisation administrative actuelle est trop touffue. Il met en évidence que les tutelles elles-mêmes n'ont qu'une connaissance partielle des données relatives aux emplois, aux salaires, aux grilles et aux pyramides d'âge. Est-ce satisfaisant ? Non. Est-ce que cela doit nous pousser à agir ? Oui. Est-ce un moteur de l'action que je mène ? Absolument.
Ce que vous indiquez est exact : certaines informations nous manquent encore. Je vous encourage - c'est utile pour tout le monde - à interroger directement les ministères et les directions concernés. Il est essentiel de disposer de la vision la plus précise possible et d'enrichir l'information disponible.
Comme je l'ai indiqué, la doctrine initiale ayant justifié la création des agences visait à ce qu'elles soient moins pilotées par le Parlement, ce qui n'est pas satisfaisant. C'est pourquoi j'évoque la reministérialisation de certains opérateurs ainsi que la rebudgétisation, dès le premier euro, de l'ensemble de leurs crédits. À défaut, vous ne pouvez exercer votre mission de contrôle dans des conditions acceptables. D'ailleurs, en tant que ministre chargée des comptes publics, je voudrais bien, en cours d'année, ralentir ou repositionner certaines dépenses, à l'image de ce qui se pratique dans les ministères ; or ce n'est plus possible. La photographie dont vous disposez, qui est un bilan, reflète une gestion annuelle qui, à mes yeux, n'est pas satisfaisante.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous partageons pleinement ce constat. Pourriez-vous nous préciser quels organismes seront concernés par le projet Information financière des organismes de l'État (Infinoé), destiné à regrouper toutes les données des opérateurs et des structures parapubliques ? Comment améliorera-t-il leur pilotage par l'État ? Quel calendrier prévoyez-vous pour son déploiement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je vous transmettrai par écrit une réponse précise, après consultation de la direction du budget, concernant le périmètre exact et le calendrier précis du projet Infinoé.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Est-ce un sujet majeur, selon vous ? De notre point de vue, cela répond à un manque, qui constitue l'un des principaux obstacles à notre mission et, j'en suis certaine, à la vôtre également.
Ce projet n'est pas nouveau ; il ne date pas du mois de février, il a même été reporté à plusieurs reprises. Il ne semble donc pas figurer parmi les priorités de déploiement du ministère de l'économie et des finances, alors même qu'il viendrait combler une lacune essentielle. Sans portage politique, le projet n'avancera pas, je le crains...
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - C'est un projet porté par la direction générale des finances publiques (DGFiP), qui tient les comptes de l'ensemble des acteurs publics, y compris des hôpitaux et des collectivités.
S'agissant du portage politique, je défends avec une grande vigueur l'amélioration de l'usage de la donnée comptable, aussi bien dans les opérateurs que dans les hôpitaux et les collectivités.
C'est l'un des sujets du comité d'alerte que nous avons réuni, pour avoir une vision en temps réel, plus fine. Compte tenu de la volatilité budgétaire dans la période actuelle, nous devons avoir - et le Parlement aussi - une vision beaucoup plus fine de l'exécution budgétaire.
Ce sujet soulève deux questions : comment l'exercice des tutelles est-il fait ? comment dispose-t-on de données précises, utilisables, à la fois budgétaires et financières ?
Dans le cadre de la réforme de la formation des cadres supérieurs de l'État, nous avons renforcé, au sein de l'Institut national du service public (INSP), les modules relatifs à l'exercice de la tutelle.
Par ailleurs, les commissaires du Gouvernement du contrôle général économique et financier (CGefi) siègent au sein des conseils des opérateurs. Eux-mêmes se trouvent parfois confrontés à des canaux de remontée d'informations peu structurés, insuffisamment automatisés - d'où les projets en cours de réforme des systèmes d'information.
Le portage politique de cette démarche existe bel et bien, madame la rapporteur.
Vous m'avez demandé quel est le périmètre exact des opérateurs qui seraient concernés et de ceux qui ne le seraient pas ; c'est précisément pourquoi je parle de fusion, de rapprochement, de réministérialisation, de rebudgétisation.
Vous en conviendrez, les Français trouveront qu'il y a quelque chose d'assez cocasse à constater que l'on mobilise des ressources publiques pour gérer une complexité que l'État a lui-même engendrée, et dont il peine aujourd'hui à assurer le suivi.
La revue des politiques publiques nous conduit à interroger la viabilité même de cette organisation fragmentée. J'apporterai une réponse écrite à votre question sur ce projet, qui vise à exploiter les données comptables de la DGFiP à des fins de suivi budgétaire et financier et qui intégrera le plus d'informations possible.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je vous invite également à regarder le partage bizarre des responsabilités en matière de contrôle financier des opérateurs entre le CGefi, le contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM) et la direction du budget.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Vos recommandations et vos observations sur des sujets qui vous semblent, sinon bizarres - le mot est trivial -, mais...
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Surprenantes !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - En tout cas, vos remarques m'intéressent vivement et contribueront utilement à notre réflexion.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez indiqué ne pas disposer, à ce stade, d'un objectif chiffré concernant la réduction d'effectifs susceptible de résulter des réorganisations en cours. Pourtant, chacun ici sait qu'une part significative de la réduction de la dépense publique reposera sur une diminution de la masse salariale des fonctionnaires, qui constitue un poids important dans notre budget.
Comment envisagez-vous l'articulation entre deux dynamiques qui, de prime abord, peuvent sembler contradictoires : la réduction des effectifs, d'un côté, et le renforcement de certains services publics, de l'autre ? Vous avez vous-même exclu France Travail, qui compte près de 50 000 agents, du périmètre concerné. D'ailleurs, l'amendement défendu par la ministre du travail et de l'emploi du gouvernement Barnier lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, visant à réduire 500 postes sur ces 50 000, n'a pas été maintenu.
De plus, les plus gros opérateurs ont été sortis d'office du champ de votre réflexion ; l'effort pèsera donc sur les plus petits. Dans cette perspective, envisagez-vous également de mettre fin à certaines politiques publiques, ou du moins de ne plus en confier la mise en oeuvre au secteur public ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Le fait de retirer tel ou tel organisme d'un périmètre de comptage ne signifie pas que celui-ci serait sanctuarisé, exclu de toute réforme, ni qu'il échapperait à notre examen. Je suis en contact avec l'ensemble des ministres au sujet de leur organisation respective, y compris avec Philippe Baptiste, notamment sur sa manière de soutenir les universités.
Dès que l'on parle d'opérateurs, les exemples de France Travail et des universités s'imposent immédiatement, et l'on en conclut, à tort, qu'il n'y aurait rien à revoir : j'ai retiré ces deux opérateurs du débat, car il s'agit là de grands services publics, qui ont des processus et des revues budgétaires qui leur sont propres, et qui font l'objet de débats lors de l'examen du PLF.
Faut-il supprimer certaines missions ? Ce n'est ni un totem ni un tabou ; parfois l'État n'est plus attendu sur une politique publique, ni légitime à s'y maintenir s'il n'apporte plus de valeur ajoutée, en particulier lorsque les collectivités ou d'autres acteurs publics remplissent déjà ce rôle.
Dans certains domaines, notamment ceux qui reposent sur la distribution de crédits, nous disposons, via les opérateurs, d'outils de subvention. Mais de nombreux rapports, y compris les vôtres, interrogent la pertinence de ce mode de financement. Dans bien des cas, il serait plus approprié de recourir à des garanties, à des avances remboursables ou à des prêts bonifiés.
Si nous aboutissons à la conclusion qu'un financement ne doit plus reposer exclusivement sur une subvention, cela implique mécaniquement une redéfinition du rôle de l'opérateur chargé de distribuer celle-ci. À l'inverse, des structures comme la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui interviennent à travers des prêts bonifiés ou via la Banque des territoires, pourraient voir leur rôle renforcé pour atteindre certains objectifs de politique publique.
Notre démarche - elle peut vous sembler simpliste - consiste à répondre de manière rigoureuse à plusieurs questions : que doit faire l'État ? quels outils budgétaires doit-il mobiliser pour être efficace ? Il s'agit parfois d'une subvention - est-ce normal qu'elle soit, quelquefois, versée par quatre opérateurs publics ? -, parfois d'un prêt, d'une garantie, ou encore d'un fonds européen ; d'ailleurs, et cela me met mal à l'aise, certains opérateurs sont un doublon exact des régions s'agissant de l'activation des fonds européens.
Vous ne m'entendrez pas annoncer, alors que j'ai prêté serment devant votre commission d'enquête, la suppression de la politique de transition écologique ou de celle de la formation des adultes ; la question est celle de l'organisation, de l'efficacité, de la pertinence de chaque euro engagé - il n'y a pas d'argent public, il n'y a que l'argent des Français. Nous devons garantir que chaque euro versé au pot commun soit utilisé de la manière la plus efficiente possible.
Lorsque le précédent gouvernement a décidé de supprimer l'Institut national de la consommation, il a estimé que ce champ ne relevait plus d'une gestion publique telle qu'elle existait jusqu'alors. Cette orientation me semble pouvoir être assumée, sans pour autant verser dans une logique de « serpette » ou de « tronçonneuse » - ce ne sont pas mes mots, et ce n'est pas mon approche.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous venez de nous l'apprendre, un module consacré à l'exercice de la tutelle a été intégré aux formations de l'INSP : nous saluons cette avancée.
Même si ce n'est plus votre portefeuille actuel, vous avez été ministre de la transformation et de la fonction publiques ; aussi, pouvez-vous nous dire s'il existe d'autres initiatives visant à renforcer les compétences de la haute fonction publique, notamment pour faire mieux avec moins, à l'avenir ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je peux évoquer mon expérience en tant que ministre de la transformation et de la fonction publiques entre juillet 2020 et mai 2022, qui explique en grande partie la motivation et l'énergie que je déploie actuellement.
Après le premier confinement, lorsque le ministère de la transformation publique a été créé, l'idée d'avoir des opérateurs spécialisés, présents sur tout le territoire, semblait pertinente, particulièrement dans une phase de relance. Ainsi, sous l'autorité du Premier ministre Jean Castex, en lien avec le ministre Bruno Le Maire, nous avons mis en place des sous-préfets spécifiquement chargés de la relance - j'avais été auditionnée ici même par Mme Françoise Gatel. Ce choix a été beaucoup débattu, mais pourquoi l'avions-nous fait ? Parce qu'il fallait créer des chefs de projet capables de déployer une politique publique d'ampleur et d'urgence sur le terrain, tout en surmontant la complexité organisationnelle et en facilitant le lien entre collectivités, entreprises et État, afin de mettre d'accord les opérateurs entre eux et d'accélérer les processus.
Cette expérience a conduit Jean Castex et moi-même à intégrer pleinement la question des tutelles et du pilotage opérationnel de l'action publique au coeur de la formation continue des cadres supérieurs de l'État et du cursus de l'INSP. Cette question a été intégrée dans la feuille de route de l'INSP et de la délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État (Diese).
À l'époque, nous avons constaté que de nombreux administrateurs civils, pourtant formés par l'État, n'étaient plus connus ni suivis lorsqu'ils rejoignaient des opérateurs ou des agences. Une partie de la mission de la Diese consiste précisément à cartographier ces compétences pour renforcer la résilience et l'efficacité opérationnelle de l'État, notamment en temps de crise, en évitant de recourir systématiquement à des agents extérieurs.
Cette réflexion a été nourrie par les débats intervenus pendant la crise sur l'externalisation de certaines missions. J'ai moi-même été auditionnée à ce sujet par une commission d'enquête du Sénat. Il était apparu que nous ignorions parfois l'existence même de certaines compétences disponibles au sein de l'État, faute de les avoir recensées, ce qui avait conduit à recourir massivement à des consultants externes.
Ma conviction, en tant que ministre de la fonction publique, était qu'il fallait renforcer la formation sur la tutelle, harmoniser les méthodes et doter l'État d'une doctrine unifiée en matière budgétaire, afin d'améliorer les remontées d'informations, qui ne doivent pas reposer uniquement sur les rapports des commissaires du Gouvernement siégeant dans les conseils d'administration, mais s'appuyer aussi sur des outils structurés.
Est-il encore possible de progresser ? Oui. En avons-nous terminé ? Non. Mais je suis convaincue que nous devons collectivement porter une vision d'évaluation, de réorganisation et d'efficience. Je ne suis pas sur la défensive ; au contraire, je suis volontariste : je souhaite que les Français, les parlementaires et l'ensemble des responsables publics disposent d'une organisation administrative plus lisible et plus performante.
Il faut sans cesse rappeler aux hauts fonctionnaires qu'ils ne gèrent pas de l'argent public, mais qu'ils gèrent l'argent des Français ! Cet argent n'est pas versé par une main invisible ; il est voté par le Parlement, dans le cadre des lois de finances. Il appelle donc la plus grande exigence en matière de transparence.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Avez-vous vérifié si les orientations que vous aviez données à la Diese ont été effectivement mises en oeuvre ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Même si je n'étais plus ministre, j'ai suivi avec intérêt ce dossier. La Diese fait une meilleure évaluation des fonctionnaires ; la tutelle est également mieux évaluée.
Des avancées ont également été enregistrées sur les objectifs assignés aux fonctionnaires, ainsi que sur leurs feuilles de route et sur les résultats attendus.
Des progrès ont été réalisés sur la cartographie des compétences, même si elle n'est sans doute pas encore exhaustive. Mais cette dynamique a permis à l'État de reprendre conscience de ses compétences. Et le fait que l'on ait aujourd'hui recours à moins de consultants tient aussi au fait que l'on a mieux identifié les ressources internes. Sommes-nous arrivés au bout ? Sûrement pas, mais c'est un levier de transformation utile que nous devons continuer à activer.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Cela ressortait des travaux que nous avons pu mener.
M. Pierre Barros, président. - En tant que sénateurs, nous sommes beaucoup sur le terrain ; aussi, les questions qui nous mobilisent sont d'ordre opérationnel.
Certes, il est possible de définir des objectifs, d'élaborer une stratégie, de se donner des moyens de contrôle - ces éléments s'inscrivent dans le périmètre même des travaux de notre commission d'enquête et rejoignent, madame la ministre, vos propres objectifs, que nous partageons sans réserve.
Toutefois, si, sur le terrain, les services ne disposent pas des moyens opérationnels nécessaires pour mettre en oeuvre les dispositifs envisagés, qu'il s'agisse de fusions, de suppressions ou d'autres mesures, ce sont, in fine, les services déconcentrés de l'État, les maires et les directions générales des services des collectivités territoriales qui subiront les conséquences de ces carences.
Notre commission d'enquête s'attelle à un travail de fond. Viendra peut-être, en conclusion, le moment de produire des chiffres. Mais, à ce stade, la difficulté réside dans le fait que des chiffres ont déjà été communiqués par le ministère, sans que nous puissions encore comprendre précisément selon quelle méthode ils ont été établis. Le travail semble d'ailleurs toujours en cours, et il est probable qu'il ne connaîtra pas de fin véritable, tant il engage une réflexion structurelle.
Nous tentons, avec honnêteté, de construire une méthodologie rigoureuse, de réunir l'ensemble des éléments nécessaires à une évaluation solide. L'objectif est non pas de produire une donnée chiffrée, mais de dégager une orientation claire, une organisation rationnelle des structures existantes, afin d'améliorer l'effectivité du déploiement des politiques publiques.
Si nous échouons à mener un travail de qualité à ce stade, ce sont les politiques elles-mêmes qui risquent d'être rabotées à terme.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous allons passer maintenant au thème des suppressions ou fusions des opérateurs. Avez-vous connaissance d'une sorte de « Nutri-score des opérateurs », selon la comparaison reprise dans la presse, avec des catégories précises telles que A pour les opérateurs performants, B pour ceux qui seraient redondants, C pour ceux qui, créés pour l'agilité, seraient potentiellement réinternalisables ?
Avez-vous participé à cette classification, laquelle diffère de celle, composée de cinq catégories, que vous nous avez décrite précédemment ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - J'ignore s'il y a trois, cinq, huit ou douze catégories. Ce qui importe, c'est que cet exercice de refondation repose sur deux processus complémentaires. L'objectif est de disposer d'une vision aussi complète, aussi exhaustive et surtout, aussi peu arbitraire que possible.
Le premier processus s'appuie sur les remontées des secrétaires généraux, qui ont une connaissance fine des opérateurs relevant de leur champ de politiques publiques. Ils ont pu identifier les opérateurs qui fonctionnent efficacement, comme ceux qui rencontrent des difficultés manifestes.
Actuellement, 58 opérateurs, soit 16 % du nombre total d'opérateurs hors universités, perçoivent un financement de l'État inférieur à 20 millions d'euros ; cela représente seulement 1 % des financements globaux. Parmi ces 58 opérateurs, 33, soit 10 % du total des opérateurs, reçoivent moins de 10 millions d'euros, pour un poids budgétaire de 0,2 %. Cette analyse nous a notamment conduits à nous interroger sur l'efficacité et la nécessité de ces opérateurs de petite taille.
Cette réflexion rejoint, monsieur le président, votre remarque sur le déploiement : lorsque l'on dispose d'un opérateur de très petite taille, sa capacité à couvrir tout le territoire - jusqu'au dernier kilomètre, jusqu'au dernier village de France - de manière équitable est structurellement limitée.
Le second processus consiste en un travail d'analyse plus global, que vous avez évoqué sous le nom de Nutri-score. Il s'agit non pas d'un indicateur aussi standardisé, mais d'une méthode d'évaluation que nous avons mise en oeuvre, qui peut paraître simple, voire rudimentaire, mais qui repose sur une construction par colonnes.
La première colonne recense les réseaux d'opérateurs. Au sein de ces réseaux, certains peuvent faire l'objet d'un jugement favorable : « Cela fonctionne bien ainsi. » Je pense, à titre d'exemple, aux agences de l'eau. Il s'agit d'un réseau pour lequel certains nous disent : « Mieux vaut maintenir les six agences de bassin plutôt que de les fusionner dans une structure unique. »
Je ne sais s'il faut appeler cela un Nutri-score, mais il s'agit bel et bien d'une appréciation qualitative du fonctionnement et de la pertinence des opérateurs concernés.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'un de vos collègues nous a indiqué disposer d'un tableau comportant des colonnes intitulées A, B et C. Nous avons demandé à obtenir ce document, mais il ne nous a pas été transmis, du moins pas sous cette forme.
Confirmez-vous que cette classification n'existe pas, ou, à tout le moins, que vous n'en avez jamais eu connaissance ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - J'ignore si cette classification s'appelle « A, B, C » ou « vert, rouge, jaune » ; ce que je peux vous assurer, c'est qu'un travail méthodique est en cours.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez évoqué, de manière plus précise, des colonnes correspondant à des opérateurs potentiellement redondants, agiles, ou susceptibles d'être réinternalisés. Cette typologie s'inscrit clairement dans les cinq axes que vous avez décrits précédemment.
Elle ne correspond en rien à la classification « A, B, C » mentionnée par l'un de vos collègues. Il s'agit simplement de savoir s'il existe deux démarches distinctes, ou si votre approche est bien celle qui est reflétée dans les documents que ce ministre nous a transmis, lesquels relèvent, d'ailleurs, de l'égide du Gouvernement et non d'un ministère en particulier - ce qui, du reste, est cohérent avec vos propos.
Nous pourrons donc conclure de cette audition que la classification dite Nutri-score « A, B, C » n'existe pas.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je vous confirme ne pas avoir connaissance d'une classification « A, B, C » des opérateurs. En revanche, je connais le tableau de travail sur lequel nous nous appuyons, qui nous permet de progresser, d'affiner l'analyse - comme vous avez pu le constater - selon une méthode structurée et rigoureuse.
Je le répète ici comme je l'ai dit à la presse : lorsque je déclare qu'un tiers des opérateurs représentent 3 milliards d'euros, c'est parce que le travail que nous conduisons montre qu'au moins un tiers des opérateurs figure d'ores et déjà dans les colonnes de ce tableau. Mon objectif est clair : aller jusqu'au bout de cette démarche.
Derrière bon nombre des projets de fusion, de rapprochement ou de réorganisation que nous étudions se trouvent des missions d'inspection, parfois conduites depuis plusieurs décennies. Autrement dit, l'État a déjà mobilisé des fonctionnaires de grande qualité pour examiner ces situations, évaluer les doublons éventuels, diagnostiquer les dysfonctionnements ou les insuffisances d'organisation.
En tant que ministre des comptes publics, je considère que, si ces travaux existent et aboutissent à des conclusions claires, il est de notre responsabilité de les mettre en oeuvre. J'assume publiquement - devant vous et ailleurs - que l'ensemble de ces travaux sont sérieux et qu'ils nous montrent qu'au moins un tiers des opérateurs se situe dans des configurations pour lesquelles des améliorations sont manifestement possibles.
Dans la plupart des cas, des missions d'inspection ont déjà été diligentées. Du temps, de l'énergie et des moyens publics ont été investis. Je souhaite que ces travaux aboutissent ; heureusement, le Premier ministre a cette même volonté. Il y a un moment politique ; vous-même avez été en avance sur ces sujets depuis plusieurs années et vous accomplissez un travail utile ; il me semble que nous devons saisir ce moment politique, budgétaire et collectif. C'est pourquoi je tiens à ce que les objectifs que je fixe soient bien compris, car ils sont atteignables.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Cela m'amène à ma question suivante, qui porte sur le chiffre d'un tiers, que vous avez évoqué le 27 avril et que vous venez de rappeler à l'instant.
Vous nous indiquez qu'un tiers des agences, opérateurs et autres structures figure dans ce tableau de travail. Toutefois, il me semble que vous raisonnez sur un périmètre sans doute plus restreint que le nôtre. En effet, jusqu'à présent, il n'a jamais été question des comités Théodule, commissions consultatives ou autres instances.
Si l'on considère que ce tiers regroupe les structures présentes dans le tableau, vous avez mentionné, à juste titre, que certaines - comme les agences de l'eau - y figurent également. Or, au regard de vos premières analyses, il ne serait pas pertinent de les regrouper au sein d'une structure unique.
Comment conciliez-vous, dès lors, l'idée d'un tiers concerné par des projets de suppression ou de fusion avec le fait que ce même tiers inclut des opérateurs dont le maintien sous forme actuelle semble justifié ? Autrement dit, à l'intérieur de ce tiers, certains opérateurs ressortent du champ des réformes possibles. Faut-il y voir un tiers, une moitié, un quart ? L'évaluation paraît fluctuante.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Prenons un exemple simple : lorsque les cinq instituts régionaux d'administration sont regroupés en un seul, cela fait bien cinq qui deviennent un.
Aujourd'hui, environ un tiers des opérateurs font l'objet d'un examen attentif. Il s'agit d'entités pour lesquelles il paraît possible d'envisager, selon les cas, une fusion de réseaux, un rapprochement entre structures aux missions proches, une suppression, une reministérialisation d'une partie de leurs missions. Cela peut également concerner une rebudgétisation, parfois sur la totalité, parfois uniquement sur une partie de leurs crédits.
Concrètement, cela signifie qu'un tiers des opérateurs relèvent désormais d'un périmètre sur lequel le Gouvernement, sous l'autorité du Premier ministre, estime qu'il faut faire différemment. La nature et l'ampleur de ces transformations feront naturellement l'objet d'un travail commun avec vous, parlementaires, dans le cadre des débats budgétaires.
Aujourd'hui, nous travaillons sur un noyau d'environ 60 opérateurs, en excluant les grands réseaux déjà identifiés, lesquels font l'objet de travaux menés en parallèle.
Ce tiers n'implique en rien une politique de coupes généralisées. Il s'agit du périmètre d'analyse active. Et sur ce point, madame la rapporteur, vous soulevez un élément central. Il faut, pour que chacun comprenne bien - y compris les Français qui nous écoutent -, clarifier des distinctions qui, dans le débat public, sont souvent confondues. On regroupe en effet sous le même terme des entités très différentes.
Premièrement, il y a ce qu'on appelle, dans le langage courant, les « comités Théodule ». Il s'agit d'organismes consultatifs, souvent juridiques ou réglementaires, qui participent à l'élaboration des normes. Ils interviennent en amont du processus normatif. Leur caractéristique principale est qu'ils ne gèrent pas d'argent public. Leur budget, lorsqu'ils en ont un, se limite à du fonctionnement.
Deuxièmement, on trouve les opérateurs de l'État et les agences. Ceux-là disposent de comptabilités budgétaires ou privées, exécutent des missions de service public, et interviennent à partir de crédits publics. Ce sont eux qui relèvent directement de mon champ d'action en tant que ministre chargée des comptes publics.
Troisièmement, il y a les autorités administratives indépendantes (AAI), qui disposent de pouvoirs de régulation.
Or, dans le débat public, ces trois catégories sont souvent amalgamées. Mon rôle, en tant que ministre des comptes publics, est de me concentrer sur ceux qui gèrent effectivement de l'argent public : examiner comment ils le mobilisent, comment ils le déploient et dans quelle mesure leur gestion est efficace.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous venez de nous réexpliquer qu'environ un tiers des opérateurs fait l'objet d'un examen, pouvant conduire à des modifications de périmètre. C'est une approche sensiblement différente de celle qui consisterait à évoquer systématiquement des fusions ou des suppressions.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Il peut s'agir d'une fusion avec un ministère, avec un autre opérateur, avec une collectivité territoriale ; il peut aussi s'agir d'une fusion budgétaire.
Lorsque je m'exprime sur CNews un dimanche matin, je ne suis pas devant une commission d'enquête du Sénat. Le mot « fusion » a beaucoup d'acceptions différentes.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - S'agissant d'un sujet particulièrement sensible dans l'opinion - une partie de nos concitoyens estiment qu'il faudrait tout supprimer d'un seul coup -, il faut faire attention au sens que l'on donne aux mots. En vous écoutant, certains ont ainsi pu estimer que vous vouliez supprimer un tiers des opérateurs. Au reste, on ne sait même pas s'il s'agit d'un tiers de 400 ou de 1200 opérateurs.
Nous parlons ici en techniciens, parce que nous travaillons sur ces sujets depuis plusieurs mois, mais il faut rester très rigoureux si nous voulons éviter de nourrir l'idée - fausse - qu'il serait possible, d'un simple d'un coup de tronçonneuse de tout supprimer du jour au lendemain.
Votre réponse était très précise sur la question relative au tiers, qu'il faut entendre comme un périmètre indicatif de structures actuellement à l'étude, dont les missions, l'organisation ou l'articulation budgétaire avec leur ministère de tutelle pourraient évoluer.
Je souhaiterais maintenant revenir sur l'une de ces petites structures, l'Agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique, dite Agence bio. Le Sénat avait voté sa suppression, mais le Gouvernement n'a pas souhaité retenir cette orientation. Pourquoi ?
Cet exemple est intéressant, car il interroge la logique même d'une revue fondée uniquement sur des critères quantitatifs. Sur un fichier Excel, il est facile d'établir un tri selon le nombre d'agents ou le volume budgétaire. Cela permet de produire des catégories, dans lesquelles est entrée l'Agence bio ; d'ailleurs, pourquoi sa suppression a-t-elle été proposée, s'agissant d'un groupement d'intérêt public (GIP), ce qui n'est pas ce qui coûte le plus cher à l'État ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Cet exemple montre qu'il faut aborder ces questions autrement. L'objectif n'a jamais été de supprimer la politique de soutien à l'agriculture biologique en France, ni de désigner telle ou telle agence comme un bouc émissaire ou une cible symbolique.
Ce que révèle ce cas, c'est qu'une intervention isolée, hors d'un cadre cohérent et d'un objectif explicite, ne peut produire les effets attendus. Notre objectif est clair : rendre les politiques publiques plus efficaces, et garantir une utilisation optimale de l'argent public. Il s'agit aussi, je le dis très directement, de permettre aux ministres d'exercer pleinement, devant le Parlement, leur responsabilité en matière de pilotage.
Le budget annuel de l'Agence bio est, je crois, de l'ordre de 3 millions d'euros, alors que les crédits consacrés au soutien à l'agriculture biologique se chiffrent en centaines de millions. Le débat a révélé une confusion : certains ont laissé entendre que, sans agence, il n'y aurait pas de politique. Heureusement, toutes les politiques publiques ne nécessitent pas la création d'une agence spécifique pour exister.
Aussi, notre approche se fonde d'abord sur le constat d'une telle confusion. À ce propos, votre travail est précieux, car il permet de déconstruire l'idée selon laquelle une politique publique ne pourrait exister que si elle dispose de sa propre agence ou l'idée inverse, selon laquelle fusionner, réintégrer ou restructurer un opérateur reviendrait à supprimer cette politique. Tel est le premier enseignement que nous avons tiré de ce débat.
Deuxième enseignement : ces réformes doivent être menées de manière globale et coordonnée, au risque de donner l'impression que nous désignons arbitrairement des boucs émissaires, ce qui ne correspond pas à notre démarche.
Troisième enseignement : le débat a fait émerger de nombreuses questions relatives à l'organisation du soutien à l'agriculture biologique. On y trouve l'Agence de services et de paiement (ASP), FranceAgriMer, le ministère de l'agriculture, les fonds européens, et l'Agence bio. On voit bien que le sujet dépasse très largement le cas de cette seule agence.
Aujourd'hui, le travail engagé dans les ministères consiste précisément à cartographier ces missions connexes ; je pense, pour la politique publique de l'agriculture biologique, aux missions de l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao), de l'Agence bio, de l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (Odéadom), du ministère lui-même, et de l'ASP pour le versement des aides.
La volonté du Premier ministre n'est pas de tailler à la tronçonneuse pour faire un joli bosquet ; il demande qu'on identifie, pour chaque politique publique - en l'occurrence, le soutien à la transition agroécologique -, les moyens les plus cohérents pour atteindre les objectifs fixés. Certaines décisions pourront être mises en oeuvre dès le projet de loi de finances pour 2026. D'autres nécessiteront davantage de temps, voire un texte de loi. C'est cette méthode que nous appliquons.
Cet exemple nous appris qu'il fallait aborder ces sujets avec une autre méthode, au service de notre objectif qui est non pas de supprimer par principe, mais d'améliorer le fonctionnement des politiques publiques, et de renforcer la lisibilité de leur pilotage pour le Parlement.
D'ailleurs, je doute que quiconque dispose aujourd'hui d'une vision exhaustive des crédits publics, français et européens, mobilisés en faveur de la politique de l'agriculture biologique. Ce manque de visibilité n'est pas acceptable.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La fusion récente entre l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a coûté 65 millions d'euros. Anticipez-vous clairement de tels surcoûts dans vos réflexions actuelles ? Comment prévoyez-vous de faire coïncider ces dépenses avec l'objectif global d'économies de 40 milliards d'euros ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Ce qui est certain, c'est que si l'on s'en tient à ce constat, alors rien ne sera entrepris, car, bien entendu, la transformation a un coût.
Je rappelle que notre objectif reste un déficit public à 3 % du PIB d'ici à 2029. J'assume donc pleinement, devant vous, que notre démarche s'inscrit dans le cadre d'un plan pluriannuel. Rien ne pourra être engagé de façon instantanée, mais refuser d'agir sous prétexte que la dépense initiale est élevée, c'est renoncer à toute réforme durable.
C'est précisément pourquoi je défends l'idée que les économies doivent être envisagées sur une trajectoire de moyen terme, et non sur une seule année budgétaire.
L'exemple du rapprochement entre l'ASN et l'IRSN est à ce titre révélateur. Il s'agit bien d'un processus de fusion, mais qui s'inscrit dans un contexte particulier : la politique publique concernée est en pleine expansion. Le programme nucléaire est relancé, les petits réacteurs modulaires (SMR) sont en cours de développement, et de nouvelles technologies apparaissent.
Le contrefactuel, c'est-à-dire le niveau de dépenses que nous aurions atteint si les deux structures avaient été maintenues dans un contexte de croissance, n'est pas clair ; et nous ne l'avons pas.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pour éclairer précisément ce point, je souhaite rappeler que les 65 millions d'euros supplémentaires évoqués ne correspondent pas à une extension de la politique publique. Le périmètre est resté constant. Ces coûts résultent directement du processus de fusion entre deux structures juridiques distinctes.
D'abord, cette opération a impliqué une harmonisation des rémunérations par le haut. On a fusionné deux entités dont les statuts juridiques étaient différents. Ensuite, on a procédé à une refonte complète du système d'information, car les deux structures disposaient de systèmes informatiques incompatibles. Il a donc été nécessaire de construire une nouvelle architecture.
Ces surcoûts relèvent donc exclusivement de la logique même de la fusion : il a fallu faire en sorte que deux agents exerçant des responsabilités comparables perçoivent une rémunération équivalente.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Nous avons accepté ces coûts dans ce cas précis parce que nous savons que la politique publique concernée est confrontée à la forte croissance du secteur, que l'ambition est réelle, et que des dépenses supplémentaires sont inévitables. Cette dynamique justifie d'autant plus les investissements consentis.
Ce serait tout à fait différent si l'on procédait à une telle réorganisation pour une politique publique dépourvue de priorisation ou d'ambition nouvelle.
C'est exactement ce que nous analysons aujourd'hui : la fusion juridique de telles structures doit être regardée à deux fois ; la reministérialisation des crédits, par exemple, ne génère pas de coûts spécifiques. La mise en réseau, en revanche, peut entraîner des coûts, même si les structures concernées partagent un même cadre juridique. Le rapprochement entre le Haut-Commissariat au plan et France Stratégie, dont M. Clément Beaune a esquissé les contours, en est une illustration. Ce type de réorganisation permet d'identifier des gains réels, notamment à propos du périmètre, et d'éviter les doublons.
C'est précisément pour cette raison que nous sommes réunis ici aujourd'hui. Trop souvent, l'annualité budgétaire a constitué un frein à la mise en oeuvre de nombreux projets de transformation, qui n'ont pas pu aboutir.
Entre 2020 et 2022, alors ministre de la transformation et de la fonction publiques, je disposais du fonds pour la transformation de l'action publique (Ftap). Cet instrument, souvent contrôlé et évalué - à juste titre - était à l'époque le seul levier permettant de financer, sur plusieurs exercices, des projets à fort potentiel de rendement budgétaire, mais nécessitant un investissement initial élevé.
C'est dans ce cadre, par exemple, que nous avons soutenu plusieurs projets de modernisation des systèmes d'information. Je pense notamment à la facturation électronique ou encore à la numérisation des déclarations d'urbanisme via la plateforme PLAT'AU. Ce projet, certes coûteux au départ, a permis des gains notables, notamment en matière de ressources humaines et d'efficience organisationnelle.
Le Premier ministre a d'ailleurs évoqué, dans sa déclaration de politique générale, la nécessité de disposer à nouveau d'outils pluriannuels permettant de porter des projets dont la rentabilité s'inscrit dans un horizon de trois à cinq ans. C'est une position que je défends à la fois comme ministre des comptes publics et comme ancienne ministre de la transformation publique. Il me semble que l'avis des parlementaires sur l'utilité ou non de tels instruments serait éclairant.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ma question était la suivante : vos annonces, au mois de juillet prochain, sur les réorganisations de périmètres seront-elles accompagnées d'une estimation du surcoût temporaire qu'elles entraîneraient pour chaque projet ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je vous remercie de me faire part d'une telle demande.
C'est dans le cadre du projet de loi de finances que seront traduits les projets que nous porterons. Je prends bonne note de votre observation, afin que la présentation budgétaire soit aussi transparente que possible.
Nous veillerons à ce que, pour chacun des projets envisagés, vous disposiez d'une vision claire des gains d'efficacité attendus, ainsi que des conditions de leur soutenabilité budgétaire. J'assume pleinement que cela puisse, dans certains cas, s'accompagner de surcoûts temporaires.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - S'agissant de la fusion entre l'ASN et l'IRSN, heureusement que l'adoption du projet de loi de finances a été décalée de deux mois, car, en novembre, les questions statutaires liées à l'harmonisation financière n'étaient pas encore réglées. Peut-être n'avaient-elles pas été suffisamment anticipées...
Il est essentiel de disposer de toutes les informations au moment où l'on engage une réorganisation ou une fusion. Nous sommes tous conscients, ici, de la nécessité de faire des économies, de réorganiser, et de la complexité de ces opérations ; mais la transparence demeure indispensable.
Elle l'est d'autant plus que certains, dans le débat public, défendent encore l'idée qu'il suffirait d'agir à la tronçonneuse, de supprimer purement et simplement, comme si l'on pouvait passer de 100 à 0. Ce n'est évidemment pas le cas. Il importe donc que chacun mesure les tenants et les aboutissants de chaque décision.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - En une phrase, madame le rapporteur : les économies doivent être fondées sur des réformes. Le rabot permanent ne produit plus d'effet. Si l'on souhaite engager de véritables transformations, il faut envisager des réformes de périmètre de l'action publique, des réformes d'organisation, ou encore des évolutions dans les outils publics mobilisés.
Je le répète : tout ne peut pas reposer sur la subvention publique. Ce modèle est illogique et inadapté.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - En mars 2023, le Président de la République a prononcé un discours sur le plan France ruralités dans lequel il a appelé à un « réarmement territorial de l'État », afin de répondre au sentiment d'abandon exprimé dans de nombreux territoires.
Or chacun ici sait que certaines suppressions de structures peuvent être perçues, sur le terrain, comme un recul de la présence de l'État et des services publics. J'ai bien compris que tel n'était pas votre objectif et que vous souhaitiez, au contraire, renforcer l'administration déconcentrée.
Pouvez-vous confirmer que votre projet de réforme ne vise en aucun cas une recentralisation bureaucratique ou un retour vers Paris, mais bien un renforcement durable de la présence de l'État dans les territoires, en cohérence avec cette ambition présidentielle ?
M. Pierre Barros, président. - Nous avons auditionné le corps préfectoral dans le cadre de nos travaux, et le sujet mérite une attention particulière. Je crois, par ailleurs, que nous sommes écoutés ce matin par de nombreux agents de l'État, en particulier au sein du corps préfectoral.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Oui, oui et oui ! Madame la rapporteur, ce que vous venez de dire correspond exactement à la ligne que je défends depuis 2020, aux côtés de Jean Castex à l'époque, que le Premier ministre actuel porte également, et sur laquelle le Président de la République n'a jamais varié : une partie du sentiment d'abandon des territoires s'est nourrie, vous le savez, de ces créations d'agences.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'agencification, comme l'on dit...
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Ces agences ont parfois conduit à une forme de régionalisation, sans diminution apparente des effectifs, mais avec une présence humaine amoindrie sur le terrain. Cela a pu entraîner de la confusion, d'autant plus que certaines approches étaient contradictoires.
Oui, nous portons une ambition claire de renforcement de l'administration territoriale de l'État, fondée sur l'agilité et la différenciation. Je me suis exprimée devant vous, en 2022, aux côtés de Mme Jacqueline Gourault, dans le cadre du projet de loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS), dont le rapporteur était, au Sénat, l'actuel président de votre groupe politique. Cette vision est au coeur de mon action, et les équipes qui m'entourent la partagent pleinement. La question centrale est celle de l'efficacité et de la clarté de l'action publique.
Ce qui m'inquiète profondément, c'est la baisse du consentement à l'impôt. Si les Français ont sentiment de ne plus en avoir pour leur argent, c'est que les politiques publiques que nous déployons, et qui sont coûteuses, ne touchent plus nos concitoyens, qui ne les comprennent plus.
Je le dis très clairement : la reministérialisation ne saurait être synonyme de reparisianisation. Lorsque le préfet est désigné comme délégué territorial d'une agence ou d'un opérateur, il est légitime de s'interroger sur la pertinence de ne pas lui confier directement la responsabilité de certains agents. Parfois, cette organisation a du sens ; parfois, elle n'en a aucun. Lorsque ce n'est pas pertinent, il faut pouvoir y renoncer. Lorsqu'elle l'est, il faut pouvoir l'assumer.
Cette réflexion, je la mène avec le Premier ministre, avec François Rebsamen et d'autres membres du Gouvernement. Nous constatons que certaines structures relèvent aujourd'hui d'un véritable doublon entre l'État et les collectivités. Dans plusieurs cas, des opérateurs ou des agences ont été créés pour exercer des missions déjà remplies par les départements, les régions ou les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Il faut alors s'interroger : est-ce justifié ?
Dans certaines situations, il serait plus cohérent de transférer les compétences à la collectivité concernée, avec les moyens humains correspondants, afin d'avoir un chef de file clairement identifié pour la politique publique. Vous connaissez, en tant que parlementaires, la réalité de ces chevauchements. En tant que sénateurs, vous voyez, chaque jour, des exemples de ce que j'appellerais une fausse décentralisation, avec un double financement - État et collectivité - qui peut apparaître confortable, mais qui, en réalité, nuit à l'efficacité.
Je préfère une organisation plus rapide, plus claire, avec une autorité de coordination unique. Nous avons aujourd'hui des opérateurs - et vous les connaissez - dont l'apport spécifique, par rapport à l'action des collectivités, peut légitimement être interrogé.
Mme Ghislaine Senée. - Je vous remercie d'avoir précisé le fond de votre pensée et d'être revenue sur les propos que vous avez tenus le 27 avril. Il y a manifestement eu une mécompréhension, notamment en raison de la manière dont vos déclarations ont été rapportées par certains médias. Par exemple, le journal Le Monde vous cite en indiquant que « le Gouvernement souhaite “d'ici à la fin de l'année proposer dans le budget [2026]” la suppression ou la fusion d'un tiers des agences et des opérateurs de l'État ». Cela a le mérite de clarifier les choses : cette réforme ne relève donc pas du prochain projet de loi de finances.
Sur le fond, je perçois un véritable rapprochement entre votre démarche et les constats que nous tirons progressivement au fil de nos auditions au sein de cette commission d'enquête.
Ma question de fond est la suivante : comment parvenez-vous à estimer que ces réorganisations généreraient entre 2 milliards et 3 milliards d'euros d'économies ?
Nous attendons les annonces que vous avez évoquées à ce sujet. Et, pour être claire, je suis tout à fait favorable au recentrage de l'ingénierie au coeur des collectivités territoriales. Les territoires disposent aujourd'hui de compétences, ils ont besoin d'une ingénierie renforcée pour mettre en oeuvre leurs projets eux-mêmes. Cela renforcerait très probablement l'efficacité de l'action publique.
Mais dans le même temps, comment concilier ce principe avec l'idée, par ailleurs exprimée, selon laquelle les collectivités doivent consentir des efforts significatifs sur leurs dépenses de fonctionnement ?
Nous sommes aujourd'hui dans un contexte où les compétences techniques les plus recherchées - dans l'ingénierie, dans l'intelligence artificielle, dans la gestion des données - deviennent de plus en plus coûteuses. Il y a donc une tension croissante sur les ressources humaines, que les collectivités doivent affronter, alors même qu'on leur demande de réduire leurs charges de fonctionnement, voire qu'on les accuse de dépenses excessives.
Comment, dans ces conditions, réussir à compenser les transferts de compétences, tout en réalisant des économies à hauteur de 2 milliards à 3 milliards d'euros, et en réorganisant certains opérateurs, en créant des réseaux, voire en conservant certaines structures ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je maintiens intégralement les propos que j'ai tenus à la radio. Notre objectif est de disposer d'une feuille de route claire d'ici au projet de loi de finances pour 2026, car celle-ci aura des conséquences budgétaires en 2026, d'autres en 2027. La transformation d'un tiers des structures ne se fera pas au 1er janvier 2026, mais cette échéance doit marquer un tournant majeur dans notre approche.
J'ignore combien de temps nous resterons en fonctions, car nous sommes, par définition, au service du pays, et c'est un honneur immense : aucun jour n'est inutile. Nous menons donc ce travail avec méthode, en concertation. Les copies devront, à un moment, être partagées ; il faudra aussi voir de quelle manière les parlementaires souhaitent s'engager. Mais, in fine, il faut décider. Sinon, nous pourrions organiser cette même commission d'enquête chaque année.
S'agissant du chiffre de 2 milliards à 3 milliards d'euros, je rappelle que, grâce notamment à l'impulsion du Sénat - et je tiens à souligner le rôle de plusieurs groupes politiques dans ce sens -, nous avons inscrit, dans le projet de loi de finances pour 2025, une réduction des crédits alloués aux opérateurs, par rapport à leur trajectoire tendancielle.
On dit : « 5 milliards », mais l'on pourra toujours débattre de ce qui relève de la tendance et de ce qui constitue un effort réel. Mais, dans tous les cas, un effort de maîtrise des dépenses de fonctionnement, y compris pour les opérateurs, a bien été engagé.
En tant que ministre des comptes publics, je dois répartir équitablement l'effort collectif qui nous permettra d'atteindre un déficit public de 3 % du PIB en 2029. Il serait incohérent que les ministères contribuent à cet effort sans que les opérateurs y participent.
L'effort de productivité sous-jacente que nous visons correspond à environ 2 % de la dépense publique pilotable par an. C'est également l'ordre de grandeur retenu pour les collectivités territoriales sur leurs dépenses de fonctionnement. Cela constitue, au fond, l'effort nécessaire pour retrouver une trajectoire soutenable.
Ces 2 %, je le précise, sont inférieurs à la croissance nominale attendue. Dans un pays comme le nôtre, avec une hypothèse de 1,5 % d'inflation et 1,5 % de croissance, cela correspond à une croissance nominale de 3 %. L'effort consiste donc à ralentir la progression des dépenses de fonctionnement, afin qu'elles croissent moins vite que le PIB.
Cette logique est appliquée à toutes les dépenses pilotables de l'État. Il est évident que certains secteurs - la défense, notamment, ou ceux qui relèvent de lois de programmation - ne peuvent être soumis à cette règle de manière mécanique. Mais, pour le reste, nous devons nous y tenir.
S'agissant des crédits des opérateurs, qui s'élèvent à 64 milliards d'euros, un effort de 2 % représente environ 1,3 milliard par an. À l'horizon de deux ans à deux ans et demi, cela nous conduit à une économie cumulée de 2 à 3 milliards d'euros.
Je pourrais me contenter de transmettre aux opérateurs une simple consigne : « Vous devez atteindre l'objectif de 2 % ; débrouillez-vous ! » Mais cela ne fonctionnerait pas ; les agents publics n'en peuvent plus ! Et l'expérience montre que, lorsque les ministères ont tenté de procéder ainsi, les résultats n'ont pas été au rendez-vous.
Nous identifions des doublons, des opérateurs aux missions redondantes, des structures dont l'utilité n'est plus avérée. Pour atteindre ces 2 milliards à 3 milliards, nous devons procéder à une réorganisation fondée sur l'efficacité des politiques publiques. Cette économie globale reposera à la fois sur des gains de productivité dans le fonctionnement courant, sur des fusions, des rapprochements, et sur des redéploiements de crédits.
Je prends un exemple très concret : de nombreux opérateurs ne contribuent pas aujourd'hui à la réserve de précaution. Or, lorsqu'il a fallu procéder à un décret d'annulation budgétaire, nous nous sommes heurtés à cette absence de levier. Certaines politiques publiques déléguées aux opérateurs échappent au champ de cette réserve interministérielle. Pour un ministre des comptes publics, c'est un vrai sujet.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je souhaite, madame la ministre, que nous puissions disposer du tableau Excel qui vous a permis d'estimer les économies entre 2 milliards et 3 milliards d'euros. Car, de notre côté, nous observons que de nombreuses structures disposent certes de budgets importants, mais que la part réellement consacrée à leurs dépenses de fonctionnement, qu'il s'agisse de la masse salariale ou des frais liés aux locaux, y est extrêmement faible.
Dès lors, même en appliquant un effort de 2 % sur ces structures, l'économie en valeur absolue reste très limitée, voire irréaliste.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je parle aussi des crédits d'intervention.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Il faut le dire clairement.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je l'assume pleinement.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les économies envisagées sur les opérateurs ne relèvent pas, pour l'essentiel, des seules dépenses de fonctionnement. Faire croire que ces 2 milliards à 3 milliards pourraient être ainsi obtenus, c'est alimenter le discours de ceux qui pensent qu'il suffirait de passer un « coup de tronçonneuse » pour régler le problème. Or ce n'est pas le cas.
La réalité, si l'on veut parvenir à l'équilibre budgétaire en 2026, c'est qu'il faudra remettre en cause certaines politiques publiques. Et cela change considérablement la nature du message politique porté.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Non, madame le rapporteur.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si ! Lorsque l'on diminue les crédits d'intervention, ce sont des subventions qui sont réduites, qu'elles s'adressent aux particuliers, aux collectivités ou aux entreprises. Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas le faire ; simplement, cela doit être annoncé avec honnêteté : on ne peut laisser croire que la seule réorganisation du fonctionnement des structures permettrait de générer 2 milliards à 3 milliards d'euros d'économies. J'entends bien votre objectif de maîtrise des dépenses publiques - et je le partage. Je dis simplement qu'il faut le présenter honnêtement, avec ses implications concrètes. Nous dépensons trop, j'en conviens, mais il faut annoncer votre plan avec honnêteté.
Si vous nous indiquez que ces économies porteront effectivement sur les crédits d'intervention, sur les dépenses de personnel ou de fonctionnement, alors oui, cet objectif devient crédible. Mais nous ne disposons d'aucun document permettant de vérifier que ces 2 milliards à 3 milliards d'euros d'économies seront réalisés sur les seules dépenses de fonctionnement.
M. Pierre Barros, président. - Dans ces conditions, quelle est la différence, concrètement, avec une stratégie de rabot ou de serpe ? Si l'on ne se limite pas à un travail sur l'organisation, mais que l'on procède aussi à un réexamen du déploiement des politiques publiques, en quoi cela ne relève-t-il pas, finalement, d'un rabot généralisé ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - L'exemple de l'ingénierie me semble particulièrement éclairant - une mission a été lancée sur ce sujet, nous pourrons, si vous le souhaitez, vous transmettre la lettre de mission. Les conclusions du rapport définitif étaient prévues pour le 30 avril, mais le rapport n'est pas encore prêt ; dès qu'il le sera, nous vous en présenterons les résultats.
Il n'est pas question de supprimer la politique publique d'aide à l'ingénierie. Chacun d'entre vous inaugure régulièrement des projets sur le terrain ; c'est une excellente chose : notre pays investit, innove, agit pour ses citoyens. Cependant, est-il normal que, pour chaque projet, les crédits d'intervention, les aides à l'ingénierie et les divers dispositifs de soutien soient financés par trois, quatre, parfois cinq financeurs différents ?
Aujourd'hui, un maire peut se retrouver à devoir solliciter le Cerema, l'Ademe, l'ANCT, son agence départementale d'ingénierie locale, voire sa région, via des dispositifs comme le chèque rural, pour être aidé à faire une étude complexe...
Si, pour une politique donnée, un seul opérateur est désigné comme responsable exclusif de sa mise en oeuvre, alors vous réalisez, de fait, des économies de fonctionnement auprès des structures qui n'auront plus à s'en charger. Les personnels concernés pourront être redéployés vers l'opérateur unique mandaté. Et surtout, lorsque cinq financeurs interviennent sur un même projet, il est probable que la somme totale des crédits d'intervention excède ce qui serait nécessaire si un seul opérateur gérait l'ensemble.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Lorsque vous indiquez que le crédit ou la subvention totale diminuera, cela signifie bien que le niveau de soutien public baissera. Nous sommes d'accord sur ce point.
Nous avons d'ailleurs observé des cas concrets où, du seul fait de la multiplicité des cofinanceurs, le taux de financement final atteignait, voire dépassait, les 80 %.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Exactement.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ce n'est pas normal, et je pense que nous pouvons en convenir.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Ce sont ces économies que je veux aller chercher.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - D'accord, mais ces cas restent exceptionnels.
Pour notre part, au regard de l'ensemble des documents et des données dont nous disposons à ce jour, nous maintenons qu'il ne nous semble pas possible d'atteindre 3 milliards d'euros d'économies sur la seule part des dépenses de fonctionnement.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je ne ferai pas ces 3 milliards d'économies en réduisant uniquement les dépenses fonctionnement...
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Effectivement, vous ferez ces 3 milliards d'euros d'économies en diminuant également les enveloppes de crédits d'intervention distribuées aux bénéficiaires.
Cela signifie, concrètement, qu'il y aura un taux de subvention moindre. Si l'on réduit la subvention d'un projet qui bénéficie d'un cofinancement de 80 %, ce taux global d'aide diminuera ; or l'enveloppe d'argent public reste la même, de sorte qu'elle peut alors être redéployée vers un autre projet.
Mme Pauline Martin. - Madame la ministre, je crois que nous partageons, dans l'ensemble, un certain nombre de constats.
Et, avec un peu de prétention, je dirais que cette commission d'enquête a peut-être eu le mérite de secouer quelque peu les réflexions de l'État, et c'est une bonne chose.
Au-delà des économies potentielles, je voudrais savoir si, dans les documents dont vous disposez - ou peut-être dans ceux dont la commission d'enquête dispose, mais qui ne nous ont pas encore été communiqués -, vous avez identifié des enveloppes d'intervention qui ne sont pas utilisées. Il pourrait alors être légitime de s'interroger sur le bien-fondé de certaines politiques publiques.
Ne pensez-vous pas que les ARS gagneraient à être véritablement placées sous l'autorité des préfets ? Ce n'est pas le cas aujourd'hui, et cette situation pose de réelles difficultés dans les territoires.
Nous avons également auditionné l'ANCT, présentée comme « l'opérateur des opérateurs ». Cette formule illustre bien ce que vous disiez : l'ingénierie apportée par l'ANCT est, en pratique, souvent mise en oeuvre par les conseils départementaux eux-mêmes. Je vous rejoins pleinement sur ce point.
Par ailleurs, ne pensez-vous pas qu'il serait pertinent de thématiser davantage certaines interventions ? Je pense à la formation : l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), les groupements d'établissements publics locaux d'enseignement (Gréta), le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) - toutes ces structures déploient, parfois avec quelques différences, des politiques très similaires sur le terrain. Il me semblerait utile de porter un regard plus global sur ce secteur.
M. Pierre Barros, président. - Vous le voyez, madame la ministre, les membres de notre commission d'enquête se sont posé beaucoup de questions, et nous avons auditionné tous les acteurs précédemment cités.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Oui, il y a bien des phénomènes de sous-exécution. Et c'est un véritable sujet budgétaire, car ces sous-exécutions génèrent des excédents de trésorerie qui, à terme, donnent lieu à des prélèvements. Ces prélèvements sont parfois vécus par certains acteurs comme une forme de spoliation, ce qui n'est pas acceptable.
C'est pourquoi, sur plusieurs politiques publiques, nous souhaitons procéder à une rebudgétisation. Cela ne signifie en rien que les agents perdront leur mission ou leur rôle, mais simplement que l'argent public sera mieux géré.
Hier encore, j'ai reçu des informations du CGefi concernant des reports budgétaires. Certains reports, issus de sous-exécutions, sont considérés comme automatiques. Or dans notre cadre budgétaire, ces reports doivent être annulés, repris, précisément pour éviter une accumulation excessive de trésorerie.
C'est un sujet budgétairement fondamental, et je suis certaine que votre commission aura des observations à formuler à ce propos, notamment en matière de suivi, de transparence et de pilotage.
S'agissant des ARS, ce n'est pas le coeur du sujet de cette audition, mais la question que vous soulevez relève d'une réflexion de fond, que vous avez d'ailleurs bien située : il s'agit à la fois de la tutelle, du pilotage, mais aussi, plus globalement, des chaînes de commandement, en temps normal comme en temps de crise.
On peut parfaitement imaginer que ces chaînes de commandement ne soient pas les mêmes dans ces deux contextes. Ce sont des réflexions que nous avons menées, notamment durant la gestion de la crise sanitaire, et qui se sont révélées, à bien des égards, instructives.
Sur l'ANCT, je ne reviendrai pas plus longuement. Mais ce qui est certain, c'est qu'il faut simplifier. Et cette simplification aura, mécaniquement, un impact sur certains crédits d'intervention. Non pas qu'ils disparaîtront automatiquement, mais dans de nombreux cas, une partie de ces crédits sert simplement à couvrir le temps passé à constituer les dossiers. À partir du moment où l'on en fait un seul, on simplifie l'ensemble.
Le dossier unique proposé par M. Éric Woerth dans son rapport me paraît être une excellente idée. Dès lors qu'il existe un dossier unique, il n'est plus nécessaire que quatre administrations différentes l'instruisent. C'est ce type d'organisation simplifiée qui permet de générer des économies.
La thématisation, c'est exactement ainsi que nous abordons les politiques publiques, secteur par secteur. Prenons la formation des adultes : qui fait quoi ? Comment ces missions sont-elles réparties ? Est-ce la bonne organisation ? Et comment peut-on la faire évoluer ? Je pourrais également évoquer, à titre d'exemple, la politique de soutien à l'agriculture biologique.
Je tiens à dire, madame la rapporteur, à l'attention de celles et ceux qui nous écoutent, qu'il ne s'agit pas de supprimer les dispositifs ou les structures mentionnées. Mais les agents de ces entités savent eux-mêmes - et ils me l'ont dit lorsque j'étais ministre de la fonction publique - qu'ils se heurtent parfois à des lourdeurs, à des lenteurs, à des procédures qui les empêchent de remplir pleinement leur mission de service public, du fait de notre propre désorganisation, lourdeur et bureaucratisation.
C'est bien dans cet esprit que nous menons cette démarche. Et je le redis : votre connaissance du terrain est précieuse. Elle complète utilement les remontées que nous recevons de nos services. C'est ensemble, dans les prochaines semaines, que nous devons parvenir à formuler des propositions convergentes, parfois complémentaires, et je n'espère pas concurrentes.
Je veux le redire : vous avez un rôle précurseur depuis plusieurs années. Je considère que nous vivons un moment politique et budgétaire important, que nous devons saisir pour conduire un travail rigoureux, non caricatural, non arbitraire.
Et, dans tous les tableaux - les vôtres, les nôtres -, il apparaît qu'environ un tiers des structures mériterait d'être réorganisé. Cela ne signifie pas leur suppression, mais une capacité collective à mieux s'organiser.
M. Ludovic Haye. - Je vous remercie, madame la ministre, de vos éclairages et de l'ensemble de vos interventions, qui confirment, au travers de vos différentes responsabilités ministérielles, votre engagement constant en faveur de la simplification, de l'efficacité, de la transparence - ce que l'on qualifie désormais d'efficience - de l'action territoriale.
Depuis le début de nos travaux, l'adage qui pourrait peut-être résumer notre démarche serait : les petits ruisseaux font les grandes rivières. Je crois qu'à aucun moment nous n'avons écarté, ni même occulté, une piste d'économie dès lors qu'elle trouvait une véritable signification sur le territoire.
Cela dit, et c'est sans doute mon profil scientifique qui m'y conduit, je souhaite revenir sur ce que l'on appelait à l'école les ordres de grandeur. Un million, c'est 106 ; un milliard, 109. Or, depuis le début de nos auditions, les fois où il a été question de milliards ont été rares - à ma connaissance, deux.
La première, ce fut lors de l'audition de M. Jean-Louis Borloo, qui nous a invités à engager une réflexion structurelle sur l'efficacité des politiques publiques. La seconde, avec les directeurs de l'Urssaf, de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) et de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) à qui nous avons posé la question du coût de la fraude. À notre grande surprise, ils nous ont répondu avec des estimations précises, indiquant que la lutte contre la fraude permettrait, à elle seule, de dégager entre 12 milliards et 16 milliards d'euros d'économies sur l'ensemble des trois régimes.
Dans ce contexte, je souhaite revenir à l'annonce que vous avez formulée, madame la ministre, et sur laquelle vous avez déjà apporté plusieurs précisions. Pouvez-vous nous confirmer que l'objectif de 2 milliards à 3 milliards d'euros d'économies repose bien sur une véritable réforme des politiques publiques ? Disposez-vous, à ce jour, d'éléments concrets ou d'annonces à nous présenter à ce sujet ?
Enfin - et c'est, à mes yeux, un point particulièrement important -, je souhaite évoquer ce que j'appelle le syndrome du bon élève dans les territoires.
Dans l'outil de classement évoqué tout à l'heure, que l'on a parfois désigné, par commodité, sous le terme de Nutri-score, pouvez-vous nous confirmer que la qualité de gestion des agences, des organismes ou des collectivités territoriales sera prise en compte comme critère d'évaluation ?
Les élus locaux nous le disent, tout le monde ne gère pas de la même manière. De nombreux élus locaux ont anticipé, sur cinq ou dix ans, les évolutions budgétaires, avec sérieux et responsabilité. Puisque la pluriannualité a été évoquée à plusieurs reprises, il serait légitime que ces efforts soient reconnus et que ceux qui ont fait preuve de bonne gestion ne soient pas traités de la même manière que ceux qui ne l'ont pas fait.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je suis la ministre des comptes publics d'un pays dont les dépenses se comptent en milliards. Et, sur ce point, je vous rejoins pleinement : les petits ruisseaux font les grandes rivières.
Concrètement, si l'on applique un effort de productivité de 2 % par an, dans un contexte où la croissance nominale - et donc celle des recettes - s'établit autour de 3 %, alors, sur le périmètre concerné, on parvient bien aux 2 milliards à 3 milliards d'euros d'économies annoncés, sans qu'il soit nécessaire de supprimer un tiers des crédits. Que cela soit bien clair.
Le seul guide de notre action, c'est l'efficacité des politiques publiques. Chaque euro dépensé doit l'être parce qu'il est utile, déclencheur, structurant - et non par simple inertie ou reconduction mécanique.
Vous me demandez si j'ai, à ce stade, des annonces concrètes à faire en matière de réforme des politiques publiques. J'y ai déjà fait allusion, mais je peux être plus explicite.
Prenons le champ de l'écologie. Selon les thématiques, et Mme le rapporteur connaît parfaitement ces sujets, les évolutions technologiques ont permis à certains modèles économiques d'être quasiment rentables. Dans ces cas-là, le recours à des outils tels que le prêt, la garantie ou l'avance remboursable s'avère plus pertinent que la subvention.
À l'inverse, sur des sujets comme l'adaptation au changement climatique - et je n'ai pas besoin de vous en faire un dessin -, il est évident que la rentabilité directe est quasi inexistante. On parle ici de coûts évités. Cela suppose donc une organisation différente de la politique publique, avec des dispositifs de soutien adaptés.
Cela signifie aussi que les outils budgétaires que nous consacrons aux agences et aux opérateurs doivent évoluer dans le temps. Une politique publique, au moment de son amorçage, ne nécessite pas les mêmes moyens que lorsqu'elle entre en phase de maturité.
Je pense notamment à l'Ademe, dont l'action a toujours été précieuse. Elle a su faire évoluer ses outils au fil des années. Lorsqu'on était aux prémices de la transition énergétique, la rénovation thermique ou les énergies renouvelables nécessitaient un soutien direct massif. Mais aujourd'hui, le prix des panneaux solaires ou du mégawatt installé n'a plus rien à voir avec celui d'il y a quinze ou vingt ans.
De même, en matière de maîtrise de l'énergie, de sobriété énergétique, d'accompagnement des industries, les technologies ont progressé, les ratios ont changé. Il y a trente ans, la dimension de communication et d'appropriation par le public nécessitait des dispositifs très différents de ceux dont nous avons besoin aujourd'hui.
Cela implique une évolution des compétences, une transformation des outils, et une adaptation constante des leviers budgétaires.
Les annonces que j'ai à vous faire aujourd'hui tiennent dans ce constat : nous menons un travail sérieux. Et je tiens à remercier les équipes du ministère de l'économie, de la direction du budget, de la DGFiP, de la direction générale du Trésor - tous ceux qui oeuvrent à la construction d'un budget exigeant, qui ne se limite pas à reconduire le budget précédent augmenté de x %. Notre objectif est précisément de sortir de cette logique de rabot.
Vous évoquez, monsieur le sénateur, une question qui ne relève pas directement du périmètre de cette commission d'enquête. Si M. le président m'y autorise, je vous répondrai que nous souhaitons donner aux collectivités territoriales de la prévisibilité.
L'objectif de parvenir à 3 % de déficit public en 2029 doit être l'occasion de changer fondamentalement notre rapport au temps.
Un maire, une collectivité, agit sur un horizon de mandat - six ans. L'État, lui, raisonne à l'échelle de l'année budgétaire. Cette dissymétrie temporelle est à l'origine de nombreuses incompréhensions, frustrations, voire d'une grande animosité.
Il faut recréer un cadre prévisible. C'est tout le sens de la conférence financière des territoires que nous avons ouverte, sous l'autorité du Premier ministre, la semaine dernière, au ministère de l'aménagement du territoire, autour de François Rebsamen. Cette conférence a réuni l'ensemble des associations d'élus, des sénateurs - notamment vos collègues Bernard Delcros et Jean-François Husson - et a posé les bases de ce nouveau cadre.
Cette prévisibilité valorise la bonne gestion : les collectivités qui ont eu une bonne gestion en milieu de mandat seront en mesure de faire davantage que celles qui n'auraient pas anticipé. Nous souhaitons recréer un cadre de prévisibilité.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous nous confirmez, madame la ministre, que ce chiffre de 2 milliards à 3 milliards d'euros ne résulte pas, à ce stade, des premiers travaux de refondation de l'action publique, ni d'un arbitrage interministériel formel.
Il s'agit plutôt d'une estimation fondée sur le volume global des crédits concernés : cette économie est jugée possible parce qu'elle ne représenterait qu'un pourcentage limité de la masse budgétaire totale.
Mais, aujourd'hui, nous ne savons pas encore quelle part de cette économie relèvera de la suppression ou de la transformation de structures existantes, et quelle part proviendra d'une réduction des crédits d'intervention.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je vous le confirme : c'est bien ainsi que ce montant est atteignable.
Nous sommes en train de mener ce travail, mais toujours dans une logique de service rendu aux Français. Je le dis, je le redis : si l'on ne clarifie pas cette démarche, on se ment à soi-même, et l'on ment aux Français sur la manière de faire des économies. Car il ne s'agirait alors pas d'économies durables, mais d'ajustements temporaires, qui, comme les champignons après la pluie, finiraient par réapparaître.
Je refuse que l'on se donne l'illusion de maîtriser durablement la dépense publique si l'on n'aborde pas les causes structurelles.
Vous évoquez un tableau Excel : ce document existera bien, au moment de la présentation du projet de loi de finances. Bien sûr, nous travaillons avec des simulations, des données, des projections. Mais, sur le fond, ce sont aussi les ministères eux-mêmes, au travers de leurs secrétaires généraux, qui disposent d'une vision précise de l'allocation des ressources.
Et ils expriment parfois une certaine frustration, car ils constatent eux aussi que certaines structures ont été conçues pour répondre à des besoins d'hier, et qu'il faut aujourd'hui les adapter à ceux d'aujourd'hui.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous attachez une grande importance du travail parlementaire : en juin 2023, une mission d'information sur la rationalisation de notre administration comme source d'économies budgétaires, dont les rapporteurs étaient Mme Véronique Louwagie et M. Robin Reda. Par leur recommandation n° 10, ils préconisaient de réduire d'un tiers la subvention des opérateurs employant moins de 250 agents.
La faisabilité de cette recommandation a-t-elle été étudiée par vos services ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - C'est précisément pour cela que je vous ai parlé des opérateurs dont le budget est inférieur à 20 millions, voire à 10 millions d'euros.
Cela dit, nous ne souhaitons pas appliquer une réduction d'un tiers de manière uniforme à tous les opérateurs.
Certaines petites structures sont particulièrement performantes, bien organisées. Il n'y aurait aucun sens à leur retirer un tiers de leur budget. À l'inverse, lorsque l'on constate qu'une part significative du budget d'un opérateur est absorbée par son propre fonctionnement, cela soulève une vraie question : est-ce là une organisation optimale ?
Dans de tels cas, on peut envisager qu'un ministère ou un secrétariat général reprenne certaines fonctions mutualisables : les ressources humaines, les systèmes de paye, les systèmes d'information, la cybersécurité, la protection des données... Je ne vous fais pas un dessin : dès lors qu'une structure consacre une part trop importante de ses moyens à sa propre existence administrative, il devient légitime de s'interroger sur son modèle.
Je tiens toutefois à le rappeler très clairement : ce n'est pas parce qu'un opérateur est de petite taille qu'il disparaîtra dans le cadre du projet de loi de finances.
Mais les dirigeants de ces structures, eux-mêmes, savent que des besoins d'investissement existent, notamment sur le plan numérique ou en matière de cybersécurité. Dans certains cas, il peut avoir du sens de les adosser à une structure plus grande - non par souci de gigantisme, mais parce que cela permet de réaliser des gains de gestion qui peuvent ensuite bénéficier directement à la mission centrale de l'opérateur.
Les agents en poste dans ces structures savent parfaitement de quoi il s'agit. Ils expriment d'ailleurs, souvent, la même intuition : sans dénaturer leur mission, il serait possible de s'organiser autrement, plus efficacement.
Par définition, les plus petites structures font l'objet d'une attention particulière. Beaucoup d'entre elles s'inscrivent d'ailleurs dans des réseaux. C'est pour cette raison que nous avons également examiné les enjeux liés à ces réseaux.
Lorsqu'on observe qu'une dizaine, parfois une douzaine d'organismes, disposant chacun d'une personnalité morale, d'une structure juridique autonome et d'un budget propre, exercent les mêmes missions sur des zones différentes du territoire, la question se pose : ne pourrait-on faire autrement ?
L'exemple des parcs marins est, de ce point de vue, particulièrement éclairant. On y trouve une organisation du service public qui demeure efficace, tout en étant fortement ancrée dans les territoires, ce qui est, je le redis, une condition essentielle.
Prenons le cas du parc marin des îles : il ne mobilise pas les mêmes acteurs au sein de son conseil de pilotage que celui qui intervient dans la zone des calanques, et c'est parfaitement normal. Mais la structure fonctionne, et elle le prouve. Elle constitue un exemple de gouvernance différenciée, territorialisée, mais cohérente dans son ensemble.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les parcs marins sont un objet récent dans l'histoire administrative française - ceci explique peut-être cela.
M. Christophe Chaillou. - Madame la ministre, à plusieurs reprises, vous avez insisté sur l'importance de s'adresser aux Français, de leur faire comprendre, d'expliquer, notamment dans le contexte d'une baisse du consentement à l'impôt et d'une perte de sens de l'action publique.
Je suis de ceux qui considèrent que ce lien avec nos concitoyens est, aujourd'hui, largement fragilisé par une forme de surenchère dans les annonces, souvent non suivies d'effets.
Vous avez d'ailleurs déclaré tout à l'heure, ce qui m'a interpellé, qu'en vous exprimant sur CNews, vous aviez annoncé la suppression ou la fusion d'un tiers des agences ou opérateurs de l'État, dans l'objectif de dégager 3 milliards d'euros d'économies. Vous l'avez dit explicitement. J'ai sous les yeux vos propos rapportés dans la presse : vous avez annoncé que « d'ici à la fin de l'année un tiers des agences et des opérateurs de l'État allaient être fusionnés ou supprimés. »
Sur le fond, nous sommes nombreux à partager votre constat sur la nécessité de renforcer l'efficacité des politiques publiques, et sur l'exigence de justification de chaque euro dépensé dans un contexte budgétaire particulièrement contraint. Mais je crois aussi qu'annoncer de tels objectifs de manière aussi catégorique, avant même d'avoir exploré et présenté les pistes concrètes, peut desservir votre message. Cela relève du slogan, et c'est précisément ce type de démarche qui contribue à fragiliser le lien avec les citoyens. Car, en définitive, lorsqu'on dressera le bilan, on constatera probablement que ces objectifs sont, dans les faits, extrêmement difficiles à atteindre.
Pourquoi ne pas poser, en préalable, les grandes lignes de réflexion, dont certaines, d'ailleurs, ont été évoquées au fil de votre intervention, plutôt que d'annoncer d'emblée des chiffres et des intentions aussi marquées ?
J'ai une autre question sur la place des collectivités territoriales dans ce processus.
Dans votre propos liminaire, vous n'avez à aucun moment mentionné l'hypothèse d'un transfert ou d'une reprise de missions d'agences par des collectivités territoriales. Par la suite, vous y êtes brièvement revenue, en évoquant, d'une part, la fusion possible entre un opérateur et une collectivité, et d'autre part, l'intégration d'un opérateur au sein d'une collectivité.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur ces pistes ? Car certaines collectivités se sont déjà positionnées en indiquant qu'elles étaient prêtes à reprendre des compétences. De plus, certaines régions ont, au fil du temps, créé leurs propres agences, ce qui pose la question des doublons.
Ce sujet intéresse donc à la fois les collectivités candidates à de nouveaux transferts, mais aussi toutes celles qui bénéficient actuellement du soutien de ces agences et qui s'interrogent sur ce qu'il adviendra si ces structures venaient à disparaître ou à être profondément modifiées.
Quelle place entendez-vous donner aux collectivités territoriales dans ce processus de rationalisation ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je ne suis pas ici pour faire de la parlotte. J'ai rejoint ce gouvernement dans un moment difficile - tout le monde prédisait que nous serions en fonction pour quinze jours. Mon objectif, dans ces conditions, est non pas de multiplier les prises de parole dans les médias, mais d'être utile.
Ce qui nuit à notre démocratie, c'est l'entretien, par les responsables politiques, du sentiment ou de la réalité de l'impuissance de l'action publique.
Lorsque je dis que, d'ici à la fin de l'année, un tiers des structures identifiées comme illisibles par nos concitoyens - ce que certains appellent un maquis administratif - fera l'objet d'une clarification, d'une suppression, d'un rapprochement ou d'une fusion, je parle d'une réalité concrète. Il peut s'agir de missions redéfinies, de structures consolidées, de réseaux réorganisés. C'est un travail minutieux, mais nécessaire.
J'essaie précisément de faire le contraire du slogan : je ne suis pas dans la production de rapports conceptuels ou de grandes constructions théoriques. Je ne suis pas dans le commentaire, je suis dans l'action : chaque jour, dans mon bureau, je cherche à répondre à une question concrète : comment faire en sorte que l'organisation publique fonctionne mieux pour les Français ?
Pourquoi ai-je annoncé ce chiffre d'un tiers ? Si l'on se contente de dire : « j'y travaille », on suscite immédiatement le soupçon de l'inaction. Si l'on promet de tout supprimer à la tronçonneuse, on tombe dans l'absurde. Le juste équilibre, c'est de dire : « Voilà ce que nous avons déjà identifié comme faisable, de manière réaliste et sérieuse. » Et je crois que vous partagez ce constat : il est possible de réaliser 2 milliards à 3 milliards d'euros d'économies par le biais de réorganisations ciblées. Ces réorganisations ne sont pas synonymes de coupes brutales. Je ne suis pas en train d'expliquer que France Travail ou les universités seraient dans mon périmètre, et encore moins que leur suppression permettrait de dégager des marges. Ce n'est pas sérieux, et cela n'aurait aucun sens.
Je crois, très précisément, qu'il nous faut incarner non pas une forme de bougisme, mais une capacité à travailler et à décider en lien avec vous, parlementaires, dans la recherche d'un consensus utile à notre pays.
Le Premier ministre formulera des propositions. Vous en ferez également, j'en suis certaine, et c'est vous qui, dotés de la légitimité parlementaire, serez souverains.
Peut-être ce tiers évoluera-t-il, car au fur et à mesure que nous avançons dans le travail de fond engagé depuis plusieurs mois, nous constatons que le potentiel de rationalisation pourrait être supérieur. Mais l'objectif, au travers de cette annonce, est aussi de donner aux Français un signal clair : nous sommes capables de regarder en face une organisation devenue illisible - un véritable maquis - et de remettre de l'ordre, avec méthode et discernement.
Ce que je vous dis n'est pas un slogan - depuis que j'ai l'honneur de servir notre pays, j'ai toujours veillé, dans ma pratique politique, à ne jamais me dédire. Ce n'est donc pas un effet d'annonce ; c'est l'affirmation d'un cap, et la conviction que nous sommes capables d'agir concrètement.
S'agissant des collectivités territoriales, j'ai bien évoqué leur rôle dès le début de mon intervention. J'ai affirmé qu'il ne s'agissait pas de reparisianiser l'action publique. Repenser la tutelle, c'est aussi envisager des rapprochements entre agences et collectivités. Appelons-les fusion, intégration, transfert - peu importe : chaque situation exige des modalités spécifiques, adaptées aux réalités locales.
Et toutes les collectivités ne souhaitent pas la même chose. Certaines régions, certains départements se déclarent volontaires pour reprendre des compétences. D'autres sont plus prudents. Les collectivités territoriales peuvent faire des propositions. Lors d'une visite à Vichy, j'ai pu observer que le maire et la métropole avaient réuni dans un même lieu tous les dispositifs d'aide à la rénovation du logement : l'Agence nationale de l'habitat (Anah), MaPrimeRénov' et les aides locales à la pierre. C'est une forme de fusion par rapprochement géographique. Juridiquement, chacun conservait son autonomie, mais tous travaillaient dans un même lieu. Peut-on aller plus loin ? Peut-on inciter à ce type de regroupement ? Ce sont des pistes ouvertes.
Je pense aussi à la région Grand Est, qui, avec l'Ademe, a mis en place la structure commune Climaxion. Faut-il se contenter de conventions ? Faut-il envisager, dans certains cas, la fusion pure et simple des structures ? Ce sont des questions légitimes.
Je suis également élue régionale d'Île-de-France. J'ai vu des agences régionales être supprimées, d'autres être créées. Et parfois, je m'interroge franchement : n'a-t-on pas, délibérément, doublonné des dispositifs existants ? C'est une autre forme de dysfonctionnement.
Sur tous ces sujets, nous avons besoin de vous, parlementaires. Il serait absurde de construire ce chantier de manière verticale. La différenciation territoriale peut être une réponse pertinente, à condition qu'elle ne se traduise pas par une complexité coûteuse. Il faut que cela reste lisible et utile.
M. Sébastien Fagnen. - Vous avez évoqué de possibles fusions, notamment entre l'ANCT et le Cerema, hypothèse qui a été évoquée au cours de nos auditions.
Mais, comme Mme le rapporteur l'a bien démontré à partir d'exemples concrets, ces fusions n'engendrent pas systématiquement des économies. Elles peuvent même générer des surcoûts significatifs, comme l'illustre la fusion entre l'IRSN et l'ASN, qui s'est traduite par un surcoût de 65 millions d'euros à périmètre constant - bien éloigné de l'effet de levier attendu, et sans lien avec les investissements prévus dans la relance de la filière nucléaire.
Dans le cas, encore hypothétique à ce jour, d'une fusion entre l'ANCT et le Cerema, il y a tout lieu de penser que les coûts inhérents à la réorganisation dépasseront largement les économies potentielles que pourrait générer le fonctionnement de la nouvelle entité une fois stabilisée.
Ma question est donc la suivante : dans le cadre de ces pistes d'économies, quel serait l'impact pour les collectivités territoriales ? Car, bien souvent, les agences cofinancent des postes, et toute modification de leur architecture affecte directement les équilibres locaux.
Ma seconde question porte sur les relations entre les agences, les opérateurs de l'État et les cabinets de conseil privés. À la suite des travaux engagés par nos collègues Arnaud Bazin et Éliane Assassi, une agence interne de conseil a été créée au sein de l'État, et vous connaissez bien ce sujet.
Le Sénat a joué un rôle déterminant de lanceur d'alerte. Mais aujourd'hui, quels sont les outils de contrôle pour encadrer le recours aux cabinets privés ?
Je citerai un exemple très récent : l'Agence des participations de l'État (APE) a lancé un appel d'offres concernant la relance de la filière nucléaire et le financement du nouveau nucléaire français, pour une mission de 36 mois, dont le coût s'annonce particulièrement élevé.
Or, sur ce sujet stratégique, l'APE, la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), la direction générale du Trésor, la direction générale des entreprises ou la direction du budget ont déjà travaillé en profondeur, produit des scénarios, et disposent de compétences solides.
Et au-delà de la question budgétaire, il y a une interrogation essentielle : celle de la souveraineté. Est-il normal de recourir à un cabinet de conseil pour une mission aussi sensible ?
M. Pierre Barros, président. - Sur ce sujet, il y a des chiffres. Ceux que vous aviez donnés le 19 janvier 2022, lors de votre audition par la commission d'enquête sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, étaient plus qu'approximatifs. Pourriez-vous être plus précise à présent ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - J'avais alors répondu sous serment, et personne, à ma connaissance, n'a considéré que j'avais caché quoi que ce soit au Sénat.
Nous n'avons pas créé un opérateur ou un cabinet de conseil autonome. Cette entité n'est qu'un volet de l'activité de la direction interministérielle de la transformation publique ; elle a le nom d'agence, mais n'a pas, heureusement, de personnalité morale ni de budget séparé. Nous n'avons pas créé d'agence pour supprimer des coûts, ce qui aurait été très baroque.
L'APE est un service à compétence nationale, qui répond totalement à la circulaire ministérielle, j'espère vous rassurer sur ce point. Quant au processus à suivre pour tous les appels d'offres et à la nécessité d'avoir recours à un acteur extérieur à l'État, une circulaire a été révisée dans les dernières semaines, qui porte notamment sur les enjeux de recours à des prestataires pour l'informatique et les logiciels. Je n'ai pas connaissance de l'appel d'offres évoqué par Mme le rapporteur, je ne suis pas ligne à ligne ce qui se fait, mais je suis persuadé que l'administration se conforme en la matière à la circulaire et aux recommandations. Vous avez un pouvoir de contrôle du bon respect des normes dans les procédures suivies, de la justification de ce recours à un prestataire extérieur par le manque de compétences spécifiques nécessaires en interne. Je ne saurais vous en dire plus.
En revanche, il est très pertinent de se pencher - c'est d'ailleurs l'objet, me semble-t-il, de travaux de votre rapporteur - sur les opérateurs qui, pour des raisons statutaires ou administratives, se trouvent en dehors du périmètre juridique de l'application du principe de moindre recours à l'externalisation et peuvent avoir des politiques internes différentes de ce que nous appliquons dans les ministères, non seulement pour le recours aux cabinets de conseil, mais aussi pour les systèmes d'information et les achats de solutions logicielles.
Je viens de signer, avec mes collègues Clara Chappaz et Laurent Marcangeli, une nouvelle instruction, notamment à destination des contrôleurs budgétaires et comptables ministériels (CBCM) afin qu'aucune solution logicielle ne soit plus retenue si elle ne respecte pas la norme SecNumCloud. Le contexte géopolitique nous impose cette exigence si l'on veut garantir une protection effective de l'ensemble de nos données publiques. Une dérogation à cette règle ne pourra être envisagée qu'en cas de besoin impérieux, signalé formellement au CBCM et validé par une double expertise, dont celle de la direction interministérielle du numérique (Dinum).
Ce sujet constitue un angle pertinent pour identifier les freins juridiques auxquels nous nous heurtons encore aujourd'hui, notamment en matière d'équipement et d'outillage numérique. Il s'agit là d'une des difficultés que nous rencontrons au sein des ministères, tandis que nos opérateurs disposent de marges de manoeuvre opérationnelles plus larges, alors même qu'ils relèvent de notre tutelle. Ce paradoxe mérite d'être examiné. J'ai bien des idées, mais votre appui en la matière pourrait être requis afin de faire évoluer nos pratiques internes : tout n'est pas de niveau réglementaire, des modifications législatives pourraient être requises.
Il faut distinguer entre plusieurs approches : le contrôle budgétaire dans l'exécution ; l'organisation et l'armature de l'administration publique ; enfin, le rôle essentiel du Parlement dans cette architecture.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je veux à présent vous interroger sur la gouvernance.
Ma première question découle d'un ressenti largement partagé par les personnes que nous avons auditionnées. Beaucoup constatent que Bercy occupe une place croissante dans la gouvernance et dans le contrôle des opérateurs publics. Cela traduit-il une volonté affirmée de mieux les contrôler ? Cette prédominance de votre ministère ne va-t-elle pas à l'encontre de la nature même des agences, censées fonctionner dans un cadre de relative autonomie ? Partagez-vous ce constat, vous qui êtes à la tête du ministère régulièrement incriminé en la matière ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Le terme « incriminé » me semble un peu fort...
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La question revient tout de même très souvent ! Presque systématiquement, lorsque nous auditionnons un responsable d'entité publique, il finit par nous dire : à la fin, c'est toujours le Budget qui décide. On ne gère alors plus véritablement une politique publique ; on gère la décision de votre ministère.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Que l'argent des Français constitue le juge de paix ultime, cela ne me choque pas. Il faut que toute politique publique soit financée. Je le répète ici : il n'y a pas d'argent public, il n'y a que l'argent des Français.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Peut-être, mais il faut alors aussi poser la question de la cohérence globale de la politique nationale. On ne peut pas continuer d'afficher des politiques publiques si les moyens de les mener manquent. Si tel est le cas, il faut avoir le courage de dire que l'on renonce à cette politique, qu'on la fait sortir du giron de l'État.
M. Pierre Barros, président. - Et cela impose un débat public, parlementaire !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - C'est exactement pourquoi vos travaux sont nécessaires ; il faut un plus grand contrôle parlementaire et budgétaire de la manière dont tout cela fonctionne, afin que vous puissiez faire des choix souverains.
Je souhaite revenir sur la nature des différents types de subventions, car cela explique en partie pourquoi l'enjeu du contrôle budgétaire a pris une place croissante au cours des dernières années. Les 64 milliards d'euros que j'évoquais précédemment se répartissent en réalité en trois grandes catégories.
D'abord, 23 milliards d'euros correspondent à des subventions pour charges de service public. Elles sont censées financer essentiellement des dépenses de fonctionnement. Néanmoins, comme vous le savez très bien, ces sommes sont parfois utilisées comme des crédits de paiement pour couvrir des engagements antérieurs, dont la nature n'est pas toujours connue de l'administration centrale. Certains opérateurs demandent que leur soient alloués en loi de finances des crédits correspondant à des engagements pris sur la base d'une programmation extrêmement difficile à suivre, tant pour le ministère que pour les parlementaires. Un exemple en est le fonds Chaleur de l'Ademe. Un tel fonctionnement a pour conséquence une rigidification considérable et complique fortement le pilotage budgétaire.
Ensuite, 20 milliards d'euros correspondent à des dépenses d'intervention déléguées aux opérateurs. Ce volet soulève plusieurs difficultés, notamment en matière de gestion des reports ou de la réserve. Cette méthode aboutit parfois à des niveaux de trésorerie très élevés, dont la lecture est complexe, y compris pour la direction du budget. Il n'est pas toujours aisé de distinguer la part de cette trésorerie qui est effectivement destinée à honorer des engagements concrets de celle qui constitue une réserve de précaution. Or, ces deux finalités n'ont pas la même portée ni la même légitimité.
Enfin, 21 milliards d'euros sont issus de taxes affectées. Ces ressources, par définition, ne sont pas justifiées au premier euro ; elles ne peuvent pas toujours être intégrées à une gestion efficiente des périmètres ministériels. Les bases de certaines de ces taxes affectées sont très dynamiques, un plafond n'est pas toujours fixé ; on se trouve donc parfois face à des opérateurs ainsi dotés de moyens financiers importants, qu'ils considèrent comme les leurs, mais il s'agit, là aussi, de l'argent des Français ! Il est donc pertinent de s'interroger sur une éventuelle amélioration de la flexibilité de gestion de ces sommes.
Que la direction du budget, dans ce maquis organisationnel et budgétaire, se sente tenue d'exercer une vigilance constante dans l'intérêt des Français me semble parfaitement légitime. Par ailleurs, les commissaires du Gouvernement sont très souvent actifs, à juste titre, au sein des opérateurs concernés.
Il est essentiel, j'y insiste, que l'on fasse un bon usage de l'argent des Français. Vous posez en l'occurrence une question qui rejoint pleinement notre propre réflexion : si l'on veut un pilotage intelligent, l'outil budgétaire ne saurait suffire. Il faut le faire reposer sur les projets, sur la substance même des politiques publiques, sur les missions. C'est tout l'objet du travail que nous menons. À défaut d'un tel pilotage, on se retrouve enfermé dans un pilotage strictement budgétaire, contraint par une logique de plafonds, qui engendre de la frustration pour toutes les parties prenantes, y compris les ministères. C'est un sous-optimum caractérisé. D'où l'importance des efforts que nous engageons.
Mon souhait, c'est que, dans un cadre futur, tout cela soit mieux pilotable pour les ministères, plus lisible pour le Parlement et plus transparent pour les Français. Nous pouvons, me semble-t-il, partager cet objectif.
Un autre élément mérite d'être souligné : nous avons, en France, la passion de l'égalité, ce qui, parfois, se traduit par une forme d'égalitarisme. Il arrive ainsi que certains ministères eux-mêmes réclament un traitement homogène, arguant qu'ils ne sauraient être traités différemment des autres. Cela conduit parfois à adopter des règles trop uniformes, qui s'avèrent elles aussi sous-optimales.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Dans votre réponse, vous êtes revenue sur une autre critique, là encore formulée de manière quasi unanime.
Ainsi, l'existence d'un opérateur - l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France) - nous a été justifiée hier après-midi par le fait qu'il dispose de ressources propres et parallèlement d'effectifs très réduits : quatre agents, dont nous avons découvert qu'ils sont en réalité rémunérés sur le budget du ministère concerné. Ses ressources lui permettraient d'engager des projets dans la durée. D'autres structures auditionnées ont tenu un discours similaire, justifiant leur qualité d'opérateur par la capacité d'exprimer une vision pluriannuelle.
Comment, dans ce contexte, concilier votre exigence, parfaitement légitime, de pilotage global de la dépense publique avec le besoin, fréquemment exprimé, que la parole de l'État vaille engagement dans la durée, notamment s'agissant des politiques publiques à forte composante d'investissement, comme les projets d'infrastructure ?
La directrice du budget nous a expliqué que, selon elle, la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) permet de gérer la pluriannualité, à condition d'en faire bon usage. Pourtant, à les entendre, aucun des directeurs d'établissements que nous avons auditionnés ne semble en mesure de maîtriser la complexité de la Lolf : tous affirment manquer de véritables outils de pluriannualité, y compris pour ce qui concerne les moyens humains mis à leur disposition. L'un d'entre eux nous a même expliqué que ce qui l'a le plus aidé, à son entrée en fonctions, c'est d'avoir dû signer un contrat d'objectifs et de moyens (COM) qui lui imposait de réduire ses effectifs de 100 postes par an. Il avait une feuille de route claire, il ne découvrait pas un nouvel objectif à la présentation de chaque PLF.
Dès lors, ne jugez-vous pas nécessaire de repenser en profondeur la manière dont l'État négocie et délègue ses moyens, afin de sortir d'une gestion strictement annuelle ? Certes, l'ouverture des crédits demeure, conformément à la Lolf, soumise à l'annualité du PLF. Mais ne pourrait-on envisager que cette procédure s'inscrive dans le cadre d'un COM sanctuarisé, sur lequel l'État ne pourrait pas revenir ? Nous avons ressenti cette tension entre annualité et pluriannualité dans toutes nos auditions.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Vous touchez là au coeur d'une interrogation qui constitue une véritable source de réflexion pour moi. Je veux vous exposer les arbitrages complexes que nous devons rendre. La problématique est exactement la même que pour les collectivités qui fonctionnent sur des cycles de six ans, alors même que le principe d'annualité impose que le Parlement revoie le budget chaque année.
Il existe un ministère qui maîtrise particulièrement bien la gestion pluriannuelle dans le cadre de la Lolf : c'est le ministère des armées. La loi de programmation militaire comporte des autorisations d'engagement qui créent, de facto, de la pluriannualité. On peut considérer ce type de loi comme une forme de COM, qui fonctionne : nous avons su, dans ce cadre, réaliser bien des choses pour notre défense, sans que le ministère ait eu besoin de créer des agences. La direction générale de l'armement (DGA) est dans le giron de l'État, alors qu'elle gère des programmes pluriannuels.
C'est aussi le cas du secrétariat général pour l'investissement (SGPI), service administratif chargé du plan France 2030, tâche éminemment pluriannuelle. Il délègue certes des crédits aux opérateurs, mais il les gère par des autorisations d'engagement.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Certes, mais rappelez-vous l'annonce faite la semaine dernière en vue du sommet Choose France : elle a directement remis en cause les crédits gérés par le SGPI, puisque les 100 millions d'euros promis par le Président de la République seront prélevés sur une enveloppe dont l'objet était tout autre. C'est une réaffectation, effectuée sans aucun vote du Parlement, de crédits censés être sanctuarisés !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - La question de l'horizon temporel est l'une de celles qui se posent. La Lolf nous offre, pour gérer la pluriannualité, l'outil des autorisations de programme, dont bien des exemples montrent qu'il fonctionne.
Le cas de l'Afit France est intéressant. Cet opérateur bénéficie de taxes affectées, par le biais d'un compte d'affectation spéciale (CAS). Au prétexte que cela coûte un peu moins cher à l'État, on crée des structures juridiques potentiellement très lourdes, sans grande lisibilité, ce qui rend le contrôle parlementaire plus difficile.
Les COM sont de très bons outils, qui peuvent contribuer à une meilleure performance budgétaire. Mais ils présentent aussi un inconvénient majeur : la rigidification de la dépense publique.
Je ne reviendrai pas sur les débats de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur le dérapage budgétaire des exercices 2023 et 2024. Mais on constate que, alors que l'on souhaitait ralentir la dépense publique, la structure de celle-ci le rend extrêmement difficile. Les crédits aux collectivités sont garantis, de même que ceux de la sécurité sociale. L'État se retrouve dans la situation d'assureur de dernier ressort, avec un périmètre pilotable toujours plus restreint par rapport aux dépenses préengagées. Dans le monde volatile où nous sommes depuis cinq ans, entre le covid, l'envolée des prix de l'énergie et les tensions commerciales, la pluriannualité garde certes des avantages, notamment pour les structures qui savent bien la gérer, mais je vois aussi la rigidification qu'entraîne ce modèle et le recul du contrôle parlementaire annuel : vous votez des dispositions de moins en moins mordantes.
Certains disent que nous allons vers un « tout petit État » : c'est ce qu'il reste une fois que l'on a retiré les lois de programmation, les opérateurs et les engagements pluriannuels. Le périmètre effectivement pilotable d'une année sur l'autre devient très réduit. C'est à mes yeux un problème crucial, car l'investissement public en dépend.
La pluriannualité, nous savons la gérer dans le cadre de la Lolf comme en dehors de ce cadre. C'est d'ailleurs pourquoi nous avons lancé une conférence de financement des transports : dans certains cas, il peut y avoir un intérêt à créer des structures ad hoc. Mais c'est moins pertinent pour des subventions. C'est bien pourquoi nous parlons aujourd'hui de rebudgétisation. Je doute que la bonne méthode soit de créer des structures déléguées, qui s'engagent sans que l'on sache vraiment à quoi, et auxquelles on est ensuite contraint de verser les crédits de paiement parce que la promesse a été faite. C'est pour moi une interrogation : je n'ai pas de solution évidente à apporter.
On justifie la création de telles structures, adossées à un CAS, par la souplesse qu'elles permettraient, notamment pour les reports de crédits, mais je ne sais pas si c'est un gain réel. Je n'ai pas de certitude sur ce sujet, dont je reconnais l'importance ; il m'occupe donc beaucoup. C'est ce qui m'a conduit, avec le Gouvernement, à faire des propositions visant à améliorer la prévisibilité financière pour les collectivités. Avec elles, on devrait pouvoir progresser, parce qu'elles s'administrent librement et disposent déjà de comptes pluriannuels.
Pour l'État, sincèrement, je suis très preneuse de vos réflexions et de vos propositions. Une évolution de la Lolf est peut-être à envisager. Ce ne sera pas pour les trois prochains mois, mais cela peut être un sujet très intéressant de débat.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quel regard portez-vous sur l'hypothèse d'une mutualisation de l'ensemble des fonctions support des agences ? Dans cette perspective, nous n'aurions plus qu'un gestionnaire des ressources humaines, un gestionnaire des achats et un gestionnaire de l'immobilier, au lieu d'avoir un métier de ce type dans chacune des structures.
Une autre solution consisterait à rattacher aux ministères de tutelle l'ensemble de ces fonctions - cela permettrait de mieux identifier les fonctionnaires.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Votre question rejoint l'idée des réseaux : quand il est question d'exercer des missions similaires, la mutualisation des fonctions support fait sens.
J'exerce la tutelle sur la direction des achats de l'État (DAE) et nous tâchons d'encourager très fortement les achats mutualisés - nous ne parvenons pas à les imposer, ce qui est un peu étrange en termes de structuration administrative -, car certains opérateurs achètent à des prix élevés.
Je souhaite également que l'immobilier s'inscrive dans une réflexion collective, de manière à limiter les surcoûts. En matière de ressources humaines, j'ai néanmoins tendance à me méfier des grandes cathédrales et distinguerai la partie « paye » de la fonction de suivi des carrières.
Dans le temps qui m'est imparti, et dans le contexte de l'adoption tardive du budget, le Premier ministre et moi-même nous sommes orientés vers une revue des politiques publiques, c'est-à-dire un travail à caractère opérationnel.
Nous tâcherons d'avancer sur l'idée de réseaux et de mutualisation, en particulier en ce qui concerne la protection cyber : des représentants d'AAI m'ont contactée en soulignant l'absurdité de développer des schémas de cybersécurité séparés. Ce sujet illustre bien l'intérêt d'une mutualisation non pas forcée, mais encouragée.
De manière générale, je me méfie de l'argument simpliste selon lequel nous pourrions réaliser des économies en fusionnant toutes les structures : vous êtes bien placés pour savoir qu'il ne s'agit pas toujours d'une solution miracle.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le versement des aides est actuellement plutôt éclaté, l'ASP n'en prenant en charge qu'une partie. Avez-vous envisagé une recentralisation de cette fonction ? Dans une telle hypothèse, serait-elle exercée par l'ASP ou au sein de la DGFiP ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Il s'agit d'un sujet sur lequel je travaille activement, car la fraude aux aides publiques représente un enjeu considérable. Les conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) sur la proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques ont d'ailleurs été votées hier à l'Assemblée nationale à une quasi-unanimité.
Outre de nombreuses critiques portant sur certains délais, la fonction paiement-versement ne répond pas toujours aux attentes de nombreux secteurs. Un rapport de l'IGF de 2022 a été consacré à cet enjeu des versements et des paiements en 2022.
J'échange à ce sujet avec la directrice de la DGFiP, car si nous voulons éviter de suspendre les aides en cas de suspicion de fraude, il est préférable d'avoir un système de contrôle efficace. Dès lors qu'elle sera promulguée, la proposition de loi nous donnera de nombreux outils, mais il faudra que nous traquions mieux ces fraudes.
Certaines missions ont été centralisées : Tracfin, par exemple, est un service qui interagit largement avec nous. Il n'en reste pas moins que l'enjeu des paiements est crucial et qu'il faudra surmonter les inquiétudes qui émergent dès lors qu'il est question d'une reprise en main par Bercy.
Une nouvelle mission d'opérationnalisation du rapport que je mentionnais s'apprête donc à être lancée et nous devrons progresser dans la lutte contre la fraude. Les collectivités, qui utilisent déjà l'outil de facturation électronique de la DGFiP, pourraient d'ailleurs être très intéressées par un service centralisé de ce type, qui leur permettrait d'économiser des frais bancaires tout en renforçant la sécurité des paiements.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous avons évoqué une série d'évolutions structurantes dont le vecteur législatif est le PLF, qui obéit à un calendrier précis. Dans la mesure où les travaux de revue des politiques publiques ont été décalés, comment pouvez-vous assurer à la représentation nationale que toutes les dispositions figureront dans le texte initial et n'arriveront pas par amendement, sans étude d'impact ?
Nous parlons en effet de changements structurants dans la manière de conduire les politiques publiques ou porteurs de conséquences pour les agents publics. Dès lors qu'il est question d'une fusion de structures ou d'une refonte de la chaîne de paiement, par exemple, nous devrons recevoir un minimum d'informations. Dans la configuration actuelle, vous devriez donc connaître les articles du PLF initial au début du mois de juillet afin qu'ils puissent être envoyés au Conseil d'État et que les analyses d'impact soient réalisées.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Le PLF ne peut pas porter l'ensemble des évolutions que vous citez. Je rappelle que la création d'une foncière de l'État avait été considérée comme un cavalier législatif par le Conseil constitutionnel, alors qu'un gain budgétaire évident était en jeu.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Cette mesure avait été déposée par voie d'amendement et ne figurait pas dans les articles initiaux du PLF.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je souhaite que les parlementaires puissent voter en disposant d'informations étoffées et des avis requis. Il me semble que de nombreux sujets que nous avons évoqués devraient figurer dans un ou plusieurs textes ad hoc, qu'il s'agisse d'une proposition de loi d'initiative issue de vos travaux ou d'un projet de loi dans le cas où des fonctions régaliennes seraient concernées.
De manière générale, j'ai toujours dit que l'effort se déploierait sur plusieurs années, à rebours des discours selon lesquels il serait aisé de réduire immédiatement les dépenses. En effet, des enjeux de ressources humaines sont à prendre en considération et il faut prendre le temps d'aboutir à une vision partagée, par le biais du dialogue social.
L'objectif du Premier ministre consiste à être en mesure de présenter des arbitrages au début de l'été, afin que nous puissions travailler dans le cadre d'un calendrier que j'espère resserré. Pour ce qui concerne, une fois encore, le tiers d'opérateurs pour lesquels nous envisageons une fusion ou d'autres évolutions, de très nombreux rapports et études ont déjà été écrits : il relevait donc de ma responsabilité de ministre des comptes publics de dire qu'il est temps d'agir pour de bonnes raisons, c'est-à-dire en faveur de la bonne utilisation de l'argent des Français.
In fine, l'aiguillon budgétaire de la réduction du déficit nous oblige à agir et à ne pas nous contenter de fragiles coups de rabot, qui ne nous permettraient pas d'enrayer la progression de la dette publique.
Voilà la vision que souhaitais exposer, en toute sincérité. Je vous remercie pour votre travail et je pense que nous aurons l'occasion d'avancer de concert pour rendre toutes ces réflexions tangibles et opérationnelles, car le pire serait de parler beaucoup et de n'agir que très peu.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Merci, mais je note que le Président de la République a fêté ses huit ans de mandat et que des trajectoires très ambitieuses de redressement des comptes publics étaient évoquées lors de son arrivée. Pour autant, les mesures identifiées pour améliorer l'efficience et l'efficacité n'ont pas été mises en oeuvre.
Je vous crois volontiers lorsque vous évoquez le nombre impressionnant de rapports dont vous disposez, car nous savons que les inspections générales travaillent, mais pourquoi nous réveillons-nous uniquement maintenant ? Le montant de la dette, désormais supérieur à 3 300 milliards d'euros, a sans doute joué un rôle dans cette prise de conscience, mais la dette existait déjà avant le covid et une bonne gestion aurait pu consister à commencer à la rembourser.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Sans être dans une posture défensive, je me permets de reprendre la chronique du quinquennat allant de 2017 à 2022 : Édouard Philippe a accompli un énorme travail de rationalisation, de fermeture des petites structures et de fusion des fameux comités Théodule, tandis que le programme Action Publique 2022 fait des propositions et on crée le Ftap.
Ministre de la transformation et de la fonction publiques en 2020, j'ai participé au déploiement très volontariste du Ftap, à un moment où de nombreuses voix suggéraient de ne pas se disperser en plein milieu d'une crise sanitaire. C'est pourtant à cette période que France Connect a été déployé, ainsi que la facturation électronique et la numérisation des autorisations d'urbanisme.
Jean Castex a, quant à lui, porté la grande ambition de redonner de la vigueur à l'administration territoriale départementale, d'où un certain nombre de circulaires qui ont notamment soutenu le corps préfectoral et apporté un suivi départemental des politiques publiques, afin de disposer de données plus fines.
Nous avons ensuite connu la guerre en Ukraine et la crise de l'énergie, qui ont renforcé la pression budgétaire. Les travaux administratifs préparatoires étant aujourd'hui largement mûrs, l'objectif de réaliser des gains d'efficacité de l'ordre de 2 % pour une croissance nominale d'environ 3 % est à la fois sain, proportionné, et atteignable, d'autant plus que les Français considèrent qu'il s'agit de notre devoir.
J'estime donc qu'il relève de ma responsabilité d'affirmer qu'il est temps d'agir sur ce tiers d'opérateurs qui a fait l'objet de tant de propositions, non pas en maniant la tronçonneuse, mais en faisant en sorte d'améliorer le fonctionnement de l'ensemble, tant pour les agents de ces organisations que pour les Français.
Dès lors qu'une entité est concernée par des changements de manière isolée, elle est considérée comme un bouc émissaire. Je suis, pour ma part, un peu gênée que des agences puissent se concevoir comme des monuments plutôt que comme des outils, et je souhaite que ces opérateurs endossent à nouveau ce rôle. Nous avons ainsi le droit d'en modifier la nature, les périmètres, le fonctionnement et les budgets, car ils appartiennent aux Français et sont placés sous le contrôle du Parlement.
M. Pierre Barros, président. - Depuis 2020, les maires, les services déconcentrés et les collectivités ont été confrontés à de sérieuses difficultés, ce qui a nous certes fournit une expérience intéressante des dysfonctionnements des opérateurs et des ministères sur différents sujets : il a parfois fallu improviser largement.
La commission d'enquête contribuera à l'atteinte des objectifs que vous avez annoncés au travers d'un important travail, puisque nous aurons conduit plus de soixante-dix auditions en l'espace de quelques mois, et que nous formulerons des préconisations.
Cependant, les décisions seront prises par les ministres et par le Président de la République. Nous serons donc très vigilants à ce que chacun prenne ses responsabilités et se souvienne de nos échanges. Même si nous devons avancer ensemble, une seule personne signera en bas de la page, et il s'agit de vous.
Merci d'avoir consacré du temps à notre commission d'enquête, madame la ministre.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 13 h 00.
Audition de MM. Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières, et Éric Woerth, député
M. Pierre Barros, président. - C'est à une audition d'un type particulier à laquelle nous procédons cet après-midi.
Nous recevons en effet deux personnalités qui ont en commun d'avoir remis l'an dernier au Gouvernement deux rapports importants : l'un sur la décentralisation, par M. Éric Woerth, l'autre sur le coût du millefeuille administratif par M. Boris Ravignon.
Ces deux rapports ne portent pas directement sur les agences et les opérateurs de l'État. C'est la raison pour laquelle nous ne vous avions pas invités dès les débuts de nos auditions. Plus nos travaux ont progressé, plus nous avons perçu des points de rencontre entre vos travaux et les nôtres. Monsieur Woerth, vos recommandations sur la clarification de la répartition des compétences, sur le besoin de prévisibilité des moyens budgétaires et sur la nécessité de « remettre les préfectures au centre des relations entre l'État et les collectivités territoriales » touchent à autant de sujets que les personnes que nous avons entendues en audition ont également abordés pour ce qui concerne les relations entre l'État central, les agences et les collectivités.
Monsieur Ravignon, vous notez « une confusion entre les responsabilités », « un enchevêtrement des compétences » et « l'importance des flux financiers entre l'État et les collectivités » : là encore, ces mots sont souvent revenus dans nos auditions pour décrire les agences. Travailler sur les missions des agences, des opérateurs et des organismes consultatifs de l'État nous a très vite amenés à réfléchir à la question de l'organisation administrative de la France. Dès lors, comment vos travaux pourraient-ils nous inspirer ? Vos recommandations, qui s'appliquent à l'État central, pourraient-elles se transposer à ses agences et opérateurs ?
Vous avez l'un et l'autre une carrière de responsable politique qui vous permettra de nous faire part de votre point de vue de manière éclairée sur l'objet de notre commission d'enquête, au-delà du cadre strict de ces rapports.
Monsieur Woerth, vous avez présidé entre 2017 et 2022 la commission des finances de l'Assemblée nationale, dont vous êtes toujours membre. Vous avez par exemple cosigné, avec Laurent Saint-Martin, la proposition de loi réformant la loi organique relative aux lois de finances, qui a élevé au niveau organique la règle de plafonnement des emplois des opérateurs. Bien avant cela, entre 2007 et 2010, vous avez été ministre du budget. Cette période nous intéresse particulièrement parce que c'est celle de la révision générale des politiques publiques (RGPP) qui a notamment connu d'importants rapprochements entre agences. Quelles leçons en avez-vous tirées ? Cela vaut-il vraiment le coup de se lancer dans des fusions souvent complexes ? À quelles conditions, pour quel objectif et avec quel sens ?
Monsieur Ravignon, vous pourrez également nous faire part de votre vision des agences tirée de votre expérience accumulée aussi bien en cabinet ministériel que comme élu local à plusieurs niveaux : vous êtes en particulier maire de Charleville-Mézières depuis 2014 et vice-président d'Intercommunalités de France. Dans vos différents mandats, quelle a été votre perception des agences de l'État et de leur coordination avec les collectivités, d'une part, avec les préfets, d'autre part ?
Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes chacun, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêt en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Éric Woerth et M. Boris Ravignon prêtent serment.
M. Éric Woerth, député. - Permettez-moi d'évoquer à la fois l'objet de votre commission d'enquête et l'expérience que vous nous invitez à partager.
Le rôle des agences, des opérateurs, des autorités administratives indépendantes, des commissions, de tout ce que l'on regroupe souvent sous l'appellation de comitologie, constitue un ensemble hétérogène que l'on confond aisément. La presse s'y perd, certes, mais les responsables politiques également, et ce quelle que soit leur appartenance partisane.
Nous avions, de manière comptable, pris l'habitude de désigner ces structures par le sigle ODAC pour organismes divers d'administration centrale, mais il est clair qu'aujourd'hui la réalité va bien au-delà.
Le nombre d'agences et d'opérateurs ne correspond pas toujours aux classifications officielles, et les niveaux de financement ou les coûts de fonctionnement varient fortement d'un opérateur à l'autre. Les interventions et les charges réelles de fonctionnement sont souvent confondues. Or certaines structures qualifiées d'opérateurs ou de comités ne coûtent rien du tout, quand d'autres mobilisent des milliards d'euros.
Il s'agit donc de sujets de nature très différente. À cet égard, il serait particulièrement utile que votre rapport puisse proposer une répartition claire et cohérente des responsabilités entre ces entités.
Pourquoi avons-nous, malgré quelques fusions, multiplié le nombre d'opérateurs ? Il y avait, me semble-t-il, une raison légitime : il s'agissait de lutter contre l'excès de centralisation. Trop de centralisation dans l'administration centrale, trop de fonctionnaires régis par des statuts rigides, trop de budgets encadrés, de plafonds d'emploi figés... Dans bien des cas, le besoin d'oxygène s'est fait sentir.
Les gouvernements successifs ont donc créé ce que l'on pourrait appeler des administrations de mission, confiant une mission spécifique à un responsable, en structurant autour de lui une organisation dédiée. Et une fois la mission achevée, l'opérateur avait vocation à disparaître. Telle était la logique initiale.
Dans cette dynamique, nous nous sommes inspirés d'exemples étrangers, ceux des pays du nord comme la Suède ou la Finlande, voire le Canada.
Mais la créature a fini par échapper à ses concepteurs. Le personnel est devenu un peu opaque. Quant à l'immobilier, je préfère ne pas m'y attarder. Et les budgets eux-mêmes sont devenus difficilement lisibles. Les champs d'intervention se sont multipliés : environnement, école, enseignement supérieur... Lorsque nous avons rendu les universités autonomes, nous les avons, en quelque sorte, transformées en opérateurs de l'État. Il en va de même pour la santé, avec les agences régionales de santé (ARS), qui ressemblent davantage à des préfectures de santé qu'à de véritables agences indépendantes. Et que dire du secteur agricole, du social, et en particulier de la politique de l'emploi ?
Nous recherchions la flexibilité. C'était cela, le coeur de la démarche : introduire de la souplesse et de la responsabilité, identifier un acteur chargé d'une politique et l'en tenir comptable. C'était une réponse à la rigidité de l'appareil d'État.
Dire que ce système a totalement échoué serait absurde. Il serait tout aussi inexact de prétendre qu'il a produit les effets attendus. Il n'a pas apporté la flexibilité espérée. Nous sommes restés prisonniers d'un modèle d'État rigide.
Le paradoxe tient sans doute à ceci : plus nous avons confié de compétences à ces opérateurs, plus nous les avons rapprochés du fonctionnement administratif traditionnel. Plus nous fusionnerons les opérateurs, plus nous fusionnerons les missions, les responsabilités, les personnels, les budgets, les sièges, et plus nous recréerons, en réalité, des institutions publiques d'une ampleur considérable, soumises à des règles toujours plus nombreuses, marquées par une complexité croissante et une accessibilité réduite.
Le second élément qui explique pourquoi cette réforme n'a pas permis de transformer un État rigide en un État agile, comme on le disait à l'époque, tient à l'absence totale de pilotage politique.
Les gouvernements ont, certes, créé des structures, en avançant qu'elles seraient moins lourdes et moins complexes, mais dans les faits, aucun ministre n'a véritablement assumé la gestion de ce système. La tutelle n'a exercé ni l'autorité ni la responsabilité qui lui revenait. Cela s'explique notamment par l'éloignement de ces structures, mais surtout par le renouvellement de plus en plus rapide des ministres, dont le mandat ne dépasse parfois pas quelques mois. Comment, dans ces conditions, s'occuper sérieusement de l'organisation administrative des opérateurs ? L'attention est portée ailleurs, sur ce qui est plus visible, plus médiatisé.
Dans cet abandon progressif, l'État perd en puissance. On assiste à une fragmentation de sa présence, à un morcellement de ce que l'on appelait autrefois la « marque État ». Lors d'une inauguration, par exemple, le nombre d'intervenants qui se succèdent à la tribune au nom de l'État, parfois sans réelle légitimité, peut devenir inquiétant. Et lorsqu'un discours prétend que l'État est absent du domaine de la sécurité, qu'il ne fait rien, mais qu'il faut saluer le travail des gendarmes et de la police, on ne peut s'empêcher de relever l'incohérence, car enfin, ces forces incarnent bel et bien l'État !
La présence de l'État devient donc fragmentée. Ce n'est d'ailleurs pas le cas des collectivités territoriales, même si elles sont nombreuses. Sur le plan local, les agences interviennent sur des politiques majeures, souvent en chevauchement avec celles des collectivités ou de la préfecture. Le manque de coordination entre ces acteurs provoque un sentiment de désordre et d'inefficacité.
Cette « agenciarisation », comme on l'appelle, a été dénoncée à juste titre par de nombreux élus locaux. Le rapport que j'ai remis au Président de la République aborde longuement cette question : celle des appels à projets, des interventions sur les territoires sans même que le préfet en soit informé, alors qu'il représente l'État.
La solution paraît simple : il faut la mettre en oeuvre. Le préfet doit pouvoir consolider l'ensemble des interventions. Il doit être consulté avant toute initiative d'une agence sur son territoire. Il faut également l'associer avant tout versement de subvention. Certains crédits doivent être déconcentrés. Il faut faire vivre l'idée, inscrite dans les textes, que le préfet représente l'État et qu'il en est l'égal face aux agences.
Les témoignages recueillis auprès de nombreux préfets montrent cependant une tout autre réalité. C'est pourquoi il faut encadrer les appels à projets, déconcentrer les budgets, éviter le gaspillage et les situations illisibles, voire contradictoires.
En 2008 et 2009, vous l'avez rappelé, monsieur le président, nous avons mis en place la RGPP. Le Président de la République, Nicolas Sarkozy, m'avait confié sa conduite politique. Dans ce cadre, un travail approfondi a été mené sur les opérateurs : une vingtaine ont été fusionnés et de nombreux autres ont été supprimés. Nous avons repris en main la gestion de l'immobilier - personne ne savait plus qui était propriétaire de quoi -, la rémunération au mérite des directeurs selon des objectifs, les contrats d'objectifs. Ce fut un exercice de tutelle exigeant, une véritable reprise en main.
Des résultats ont été obtenus, mais une action isolée, sans continuité, ne suffit pas. Depuis, aucun suivi sérieux n'a été engagé. Pourtant, 63 mesures ont été prises en conseil des ministres pour redéfinir les missions, les politiques et les structures des agences dans le cadre de la RGPP. L'objectif était d'éviter les doublons, de rendre plus compliquée la création de nouvelles structures, car si la démarche est trop simple, on démembre l'administration, qui se reconstitue ailleurs, tandis que la nouvelle entité grossit à son tour. La contradiction est totale.
Il faut optimiser les structures de gouvernance : les conseils d'administration, les comités et les conseils territoriaux rattachés à certains opérateurs.
Pour conclure, la réduction du nombre d'opérateurs n'est pas la solution miracle à la maîtrise de la dépense publique. Elle peut y contribuer, bien sûr, mais elle n'est pas suffisante. Trop souvent, certains responsables politiques s'empressent de réagir au dernier titre de presse, dénoncent la multiplication des agences et vont dans les médias proclamer qu'il faut toutes les supprimer.
Bien sûr, il est plus facile de dire que l'on va supprimer l'Agence de la transition écologique (Ademe), parce que personne ne sait très bien ce que c'est, que d'annoncer la suppression, par exemple, du dispositif MaPrimeRénov'. On dit souvent que derrière chaque niche fiscale, il y a un chien. De même, derrière chaque agence, il y a une politique publique, et parfois plusieurs.
Il faut donc interroger les politiques publiques elles-mêmes. Cela me paraît bien plus légitime, mais, dans ce cas, les candidats sont beaucoup moins nombreux. Il y a peu de volontaires pour dire : « supprimez cela », en assumant les conséquences sur les politiques que portait cette structure.
Prenons l'exemple de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) et de l'Ademe, avec la politique de la rénovation thermique des logements. Ce n'est plus très clair aujourd'hui : qui instruit ? Qui communique ? Qui agit ? Nous proposons donc que certaines politiques publiques, aujourd'hui menées par des agences, soient redéployées dans le cadre des grandes métropoles qui ont été créées, ou, à défaut, dans celui de certains départements. Mais je pense surtout aux métropoles, car c'est dans leur nature même : les grandes agglomérations sont, au fond, les mieux placées pour gérer ces questions environnementales.
Par ailleurs, je le répète, si l'on veut supprimer des agences, il faut assumer politiquement la suppression des politiques publiques qu'elles portent. C'est là que résident les véritables économies. Il y a, certes, quelques économies possibles dans les emplois, mais le vrai gisement d'économies est dans le choix d'abandonner certaines politiques.
J'insistais au début sur ce point : parmi ces structures, certaines sont très molles. Sur les centaines qui existent, certaines ne sont rien d'autre que des comités informels. Cela ne coûte rien, c'est très souple. Nous n'avons pas besoin d'une loi ni d'une commission d'enquête pour créer ou supprimer un groupe de travail.
En revanche, il existe aussi des autorités de régulation, qui sont trop souvent mélangées avec les autres agences. Je veux bien que soient supprimées l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel), la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), ou encore l'Autorité des marchés financiers (AMF), mais dans un monde qui a besoin de moins de sauvagerie, nous avons aussi besoin de régulation, tout particulièrement en ce qui concerne le numérique. En France, le taux de de dépenses publiques est de 57 % ! Cela signifie que la puissance publique est présente dans pratiquement tous les domaines de la vie nationale. Dès lors, les autorités de régulation sont nécessaires pour empêcher que le plus faible soit mangé, soit par le plus fort, soit par le moins honnête.
Il y a également des opérateurs que personne ne remet en cause. Je n'ai pas entendu beaucoup d'élus proposer la suppression des universités. Peut-être faut-il revisiter la question de leur autonomie : c'est un vrai débat, encore faut-il l'engager de façon honnête et transparente.
Que penser du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ? Que penser du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ? On peut estimer que ces structures sont trop importantes, ou qu'il faudrait organiser différemment les actions de recherche, mais elles fonctionnent. La France n'est pas au dernier rang mondial en matière de recherche. Peut-on rendre ces structures encore plus efficaces ? Sans doute, mais cela reste plus complexe que de simplement annoncer leur suppression.
Certaines structures, enfin, ressemblent furieusement à des administrations. Je pense notamment à l'agence régionale de santé, que j'ai déjà évoquée. Il y a aussi la Banque des territoires, qui est une émanation de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Ce n'est donc pas un opérateur à proprement parler : elle gère au nom de la CDC plusieurs dizaines de milliards d'euros de prêts accordés aux collectivités locales pour financer leurs projets.
Les objectifs assignés à ces opérateurs sont-ils suffisamment clairs ? Ont-ils été précisément définis par leur tutelle ? Les politiques menées sont-elles efficaces ? Sont-elles bien évaluées ? L'organisation est-elle rationnelle ?
Il y a eu plusieurs fusions ces dernières années. Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) en est l'exemple. L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), souvent critiquée, en est un autre. A-t-on besoin d'ingénierie ? C'est une vraie question, mais elle n'est pas soluble dans un simple « je supprime ceci ».
La rationalité de l'organisation doit donc s'apprécier au regard des objectifs. Il faut également interroger l'exercice de la tutelle politique. La responsabilité de l'État ne se limite pas aux administrations centrales : elle doit s'étendre à l'ensemble des démembrements de l'administration.
Enfin, il y a la question de la simplification de l'accès. Ces opérateurs ne recréent-ils pas la complexité que les administrations centrales avaient justement tenté de réduire ? Y a-t-il simplification ou complexification ?
Plutôt que d'ouvrir périodiquement une chasse aux opérateurs, la vraie question est la suivante : a-t-on besoin d'opérateurs pour mener certaines politiques publiques ? Ou vaut-il mieux les confier à l'administration centrale ou à une administration déconcentrée, mieux organisée ? Si l'on garde des opérateurs, il faut des objectifs très clairs et une tutelle effective.
Je pense que le Parlement a un rôle à jouer. Le Sénat, je le sais, évalue depuis longtemps les politiques publiques. L'Assemblée nationale, beaucoup moins. On a essayé, notamment avec la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), mais aussi à travers d'autres initiatives, de faire de l'évaluation une priorité. On a du mal à y parvenir, et je le regrette.
Si vous voulez faire des économies sur les opérateurs, un coup de rabot aveugle n'a aucun sens, compte tenu de la diversité des structures et des politiques engagées. Pour rendre l'action publique plus lisible, notamment en présence d'une multitude d'opérateurs, il faut clarifier l'organisation par la territorialisation. Et je pense que cette territorialisation, sous l'autorité du préfet pour un certain nombre d'opérateurs, constitue une bonne solution pour réintroduire de la rationalité.
M. Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières. - La question des opérateurs ou des agences n'était pas directement traitée dans le rapport que j'ai eu l'occasion de remettre. Pour autant, elle n'en est pas absente, et je souhaite revenir sur quelques points de contact que nous avions identifiés, car ils éclairent, me semble-t-il, les préoccupations qui ont été exprimées.
Tout d'abord, s'il avait été possible de disposer de plus de temps, il aurait certainement fallu s'intéresser davantage aux coûts de la coordination entre les collectivités territoriales et les opérateurs de l'État. Par manque de temps, cela n'a pu être fait, et nous nous sommes concentrés sur une évaluation du coût de la coordination politique publique par politique publique, rendue nécessaire par la complexité de la répartition des compétences.
Dans toutes les politiques étudiées, si nous avions comptabilisé le temps que les collectivités, à tous les niveaux, consacrent aux échanges avec l'ANCT, l'Ademe, l'Anah ou encore l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), le coût de coordination affiché - estimé à 6 milliards d'euros pour les collectivités - aurait été significativement majoré.
Nous avons également identifié le rôle de complexification que jouent ces opérateurs dans les dispositifs de financements croisés, comme cela a été rappelé tout à l'heure. Cela vaut pour les aides à l'investissement, mais également pour les aides au fonctionnement. L'Ademe, par exemple, coûte beaucoup en moyens de fonctionnement pour l'échelon intercommunal, notamment sur les questions de gestion des déchets ou de mobilités. Elle contractualise directement avec les collectivités. La sollicitation de ces agences, l'instruction des dossiers, leur mobilisation, tout cela contribue à accroître les coûts de coordination et d'instruction, tant pour les collectivités que pour l'État.
Ces constats nous ont conduits à formuler plusieurs propositions, notamment celle de coupler la déconcentration à une remise sous l'autorité du préfet, en réunifiant la représentation de l'État et de ses opérateurs. Ce mouvement a d'ailleurs déjà commencé. La loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (loi 3DS) a ainsi désigné le préfet comme délégué territorial de l'Ademe. C'est le cas pour l'Anru, ainsi que pour l'ANCT, et ce depuis leur création.
Ainsi, dans certains cas, le préfet devient le délégué de l'opérateur, en particulier le préfet de département. Il existe cependant des cas qui appellent à la vigilance. Certaines agences structurées à un niveau régional, comme les ARS, ne permettent pas toujours une réelle implication des préfets de département. Certes, les préfets de région président les conseils d'administration des ARS, mais les préfets de département se sentent souvent totalement exclus de la politique sanitaire conduite par ces agences, étant peu ou pas informés des actions menées. Être informé ne signifie pas être codécideur.
Ces constats, issus à la fois de mon expérience d'élu local et de fonctionnaire, rejoignent pour l'essentiel ceux exprimés par Éric Woerth, tout en appelant peut-être à une certaine prudence. Des chiffres très impressionnants ont circulé aujourd'hui - 700, voire 1 200 opérateurs de l'État. Pour atteindre de tels niveaux, il arrive que soient additionnés sans distinction universités, écoles nationales, musées nationaux, en comptabilisant chaque entité séparément. Cela conduit nécessairement à des chiffres vertigineux.
En revenant à la définition du Conseil d'État, qui repose sur l'unicité et la spécialité des opérateurs par politique publique, les chiffres sont moins importants. Le problème demeure néanmoins sérieux. Ce nombre a fortement progressé ces dernières années.
Éric Woerth parlait de rigidité : elle est bien réelle, et à tous les niveaux. Et l'État ne s'est jamais vraiment donné les moyens de traiter cette question de manière structurelle.
L'un des moteurs de l'agencification a précisément été le constat d'une rigidité interne au fonctionnement des services de l'État, à laquelle on a cherché à échapper. Ces rigidités prennent plusieurs formes.
Il y a d'abord les problèmes de gouvernance. Il a parfois été jugé si compliqué d'associer d'autres parties prenantes significatives que l'État a préféré créer de nouvelles structures. Ainsi, l'organisation des ARS sous la forme d'établissements publics visait notamment à permettre la mise en place d'un conseil d'administration intégrant, entre autres membres, des représentants des caisses primaires d'assurance maladie. Faute de parvenir à construire, dans les services centraux ou déconcentrés de l'État, une relation efficace avec les organismes de sécurité sociale, il a été créé des opérateurs dotés de conseils d'administration pluripartites pour accueillir ces différentes sensibilités.
Ces questions de gouvernance ont également été au coeur de la réorganisation du Cerema, dont le conseil d'administration vise à représenter l'ensemble des parties prenantes. La création de telles structures - établissements publics ou autres personnes morales - a ainsi souvent été justifiée par la volonté d'adopter une gouvernance spécifique, mieux adaptée à la diversité des acteurs.
Ces choix visaient également à contourner des règles financières particulièrement rigides. Il s'agissait de trouver davantage de souplesse, notamment en matière de comptabilité analytique, et, disons-le franchement, d'échapper aux règles de la fonction publique.
Les agences permettent ainsi de mobiliser plus rapidement les moyens confiés par la Nation. Prenons l'exemple de l'Ademe et du fonds chaleur. Si les crédits de ce fonds avaient été gérés dans le cadre de la chaîne de dépenses publiques de l'État, les délais d'intervention et la complexité auraient été bien supérieurs. C'est la raison pour laquelle cette compétence a été confiée à un établissement public industriel et commercial (Épic), afin de bénéficier d'une souplesse accrue, tant financière que comptable, et de faciliter le recrutement de contractuels relevant du droit privé, et non plus du statut de la fonction publique.
En somme, faute de s'être réorganisé et d'avoir assoupli ses propres procédures, l'État a multiplié les créations d'organismes distincts pour contourner ses propres rigidités, qu'elles relèvent de la gouvernance ou de la gestion financière.
Parmi ces rigidités financières, il faut également mentionner les difficultés d'identification et de suivi comptable. Il n'est pas toujours aisé d'isoler, dans les comptes d'un ministère, les dépenses liées à une politique publique spécifique. La création d'un organisme autonome permet alors de disposer d'une comptabilité dédiée, même si l'on tend aujourd'hui à confondre dépenses de fonctionnement et dépenses d'intervention. Là encore, pour revenir à l'Ademe, il suffit de rappeler que cette dernière dispose de 4 milliards d'euros de budget, auxquels s'ajoutent les dépenses de fonctionnement ainsi que les crédits d'intervention qu'elle redistribue à d'autres acteurs.
Ce mouvement de création et de développement des agences s'explique donc essentiellement par de réels blocages internes aux services de l'État.
Il serait difficile de nier que certaines créations relevaient d'une volonté politique de visibilité. Très clairement, s'agissant des missions aujourd'hui portées par l'ANCT, il existait déjà, auparavant, des directions compétentes. Le choix de créer une agence a aussi visé à manifester une préoccupation pour l'ingénierie des territoires. Il ne nous appartient pas ici de juger si l'objectif a été atteint ou non. Mais cette motivation d'affichage n'a pas été le seul moteur : les rigidités internes aux services de l'État ont constitué un facteur déterminant.
Ce phénomène d'agencification ne touche pas uniquement l'État. Les collectivités territoriales en subissent également les conséquences. Ainsi, une commune qui souhaite attribuer des aides aux enfants ou aux parents d'élèves, ou prendre en charge la cantine scolaire, se trouve tenue, en vertu d'un article du code de l'éducation hérité des lois de la fin du XIXe siècle, de constituer une caisse des écoles, établissement public rattaché à la commune. Beaucoup de communes se sont néanmoins affranchies de cette règle, sans que l'État y trouve à redire.
Il en va de même pour les centres communaux d'action sociale (CCAS), à travers lesquels les collectivités sont tenues de gérer l'aide sociale facultative. Cette obligation les contraint à créer un établissement public distinct, à y affecter du personnel et à gérer les conséquences en matière de ressources humaines. Il y a deux employeurs pour un même financeur.
Plus récemment, j'ai été confronté à la réglementation aussi foisonnante que délirante qui encadre la gestion des services d'eau et d'assainissement. Même en cas de gestion en régie, la réglementation impose une identification comptable et financière, ainsi qu'une affectation précise des personnels. Il faut établir un tableau des effectifs spécifique, ce qui incite à la création d'un service d'exploitation doté d'une autonomie juridique, financière et comptable, autrement dit, d'une quasi-agence, même lorsque l'intention n'est pas de déléguer au privé. Et les chambres régionales des comptes, de leur côté, veillent rigoureusement au respect de ces normes. Je parle ici d'expérience.
Quelle approche adopter dans ce contexte, étant entendu que je souscris à ce qu'a dit Éric Woerth sur le foisonnement ?
Il faut se donner deux objectifs.
Le premier est le plus important : c'est la cohérence des politiques publiques. Je ne vois pas comment on échapperait à une révision périodique de nos politiques publiques, politique par politique, en se demandant comme chacune d'elles est organisée et quelle part l'État, les collectivités et les opérateurs peuvent y prendre.
Il faut examiner aussi la nature des missions, car il peut paraître surprenant de voir des missions de réglementation exercées par des établissements publics, comme les ARS, alors que les services de l'État pourraient y pourvoir. Je pense aussi aux missions d'expertise, même si, dans certains cas, la structuration en agences et le recours à des contractuels de droit privé peuvent permettre de s'attacher des compétences spécifiques. Reste qu'il est difficile d'expliquer que des missions de ce type doivent être détachées et exercées par une personne morale distincte de l'État ou des collectivités.
Cette restructuration de nos politiques publiques doit permettre de satisfaire le deuxième objectif de cette revue, qui est essentiel compte tenu du contexte, à savoir réaliser des économies budgétaires. Je rejoins ce qu'a dit Éric Woerth à cet égard : ce qui rapporte le plus, sur le plan budgétaire, c'est de supprimer une mission. C'est par là qu'il faut commencer et c'est cela qui, incontestablement, rapporte le plus - c'est aussi le plus difficile à faire. Il faut toujours se poser la question, pour chaque cas d'espèce, de savoir si l'on a besoin d'une intervention publique, c'est-à-dire d'une mission financée par l'argent public.
L'autre approche importante, qui, du point de vue de l'État, peut équivaloir à une forme de suppression, c'est la décentralisation : ne peut-on pas faire confiance aux collectivités pour assurer et assumer telle ou telle mission ?
Il est des sujets sur lesquels, petit à petit, les esprits évoluent. Si l'on va par exemple vers une décentralisation de la politique du logement et de l'habitat, il va de soi que l'instruction des dossiers doit évoluer en conséquence : il faut un vrai transfert. Des régions travaillent déjà en ce sens avec des agences de l'État. Ma région a ainsi lancé avec l'Ademe un programme intitulé Climaxion : la région Grand Est, considérant qu'elle bénéficie d'une proximité plus grande avec les demandeurs, instruit tous les petits dossiers, lesquels émargent ensuite sur les crédits de l'Ademe.
Dans son rapport, Éric Woerth propose d'aller plus loin dans la délégation des crédits des fonds aux collectivités, en procédant par convention, sur le modèle de ce qui existe déjà pour le fonds Chaleur ou en matière de rénovation énergétique et de lutte contre le changement climatique : c'est la collectivité qui instruirait les dossiers et en rendrait compte régulièrement auprès de l'agence. Cette délégation peut prendre diverses formes ; on n'est pas obligé d'aller jusqu'à un morcellement complet de l'agence, qui peut très bien continuer d'exister au niveau national. L'idée est de décentraliser l'instruction et la consommation des ressources. Si l'on veut simplifier et rationaliser le paysage des opérateurs de l'État, la décentralisation est vraiment une piste à creuser.
Il est nécessaire par ailleurs de travailler à ce que les agences gagnent en efficience et gèrent mieux les moyens de fonctionnement qui leur sont confiés. Je partage le constat d'une nécessaire mise sous tension, pour dire le moins, de ces moyens de fonctionnement, pour ce qui est de l'immobilier notamment.
Un autre chantier à ouvrir est celui de la fusion des opérateurs. Rapprocher des opérateurs, c'est souvent d'abord consentir une dépense importante ; mais cette dépense doit être mise en regard avec les économies de deniers publics que permet ensuite de réaliser la mutualisation des fonctions support.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Monsieur Woerth, combien de temps ont duré les travaux relatifs à la RGPP ? Quelle durée s'est écoulée entre le lancement de l'initiative et la validation des soixante-trois mesures en conseil des ministres ? Six mois ? Un an ? Deux ans ?
M. Éric Woerth. - Les travaux de la RGPP se sont déclinés en plusieurs conseils des ministres : le conseil des ministres valait comité de pilotage de la RGPP. À l'époque, en effet, on considérait - c'est toujours un peu vrai - qu'il fallait qu'une initiative soit rattachée à l'Élysée ou à Matignon pour qu'elle ait du poids. Il n'y a pas d'organisme de décision publique mutualisée plus élevé que le conseil des ministres.
Le travail s'est déroulé sur trois ou quatre conseils des ministres, qui se sont révélés de plus en plus tendus : les mesures se faisant plus précises, il devenait compliqué de les arbitrer. Des audits conjoints ont été lancés, associant des corps d'inspection de l'État et des cabinets de conseil.
Sur les opérateurs, nous sommes allés très vite, avec peu d'audits. En tant que ministre, j'ai réuni l'ensemble des opérateurs dans la grande salle de conférence de Bercy pour leur annoncer que les administrations de tutelle allaient fixer ou repréciser des objectifs qui donneraient lieu à la signature de contrats d'objectifs. Je leur ai demandé de nous donner, dans les trois semaines, l'état exact de leur parc immobilier, qu'il était impossible d'obtenir dans les ministères - il n'existait en la matière aucune centralisation, et nous avons d'ailleurs créé, à cette occasion, une structure dédiée à l'immobilier de l'État. J'ai lié l'ensemble des résultats exigés - contrats signés et état de l'immobilier éclairci - à la rémunération au mérite des directeurs d'organisme. Cette méthode a déclenché un mouvement de réponse très rapide...
Tout cela s'est fait sur un temps assez bref : la RGPP a duré deux ans. Ensuite est arrivée la crise financière, et l'État a trouvé que cette façon de faire était un peu rude.
Mais l'idée demeure - c'est le coeur des questions que vous vous posez - que les opérateurs doivent participer à l'effort de productivité de l'État, qui est encore plus nécessaire aujourd'hui. Il ne saurait donc y avoir d'un côté un îlot où il ne se passe pas grand-chose, où l'on gère et dépense les crédits comme avant, et de l'autre l'État, qui s'époumonerait à trouver des économies.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - À cet égard, que pensez-vous du calendrier de la « refondation de l'action publique » lancé par l'actuel Gouvernement ? À entendre ce que nous disent à demi-mot la ministre des comptes publics et le ministre de la fonction publique, que nous avons auditionnés respectivement ce matin et la semaine dernière, cette refondation se veut une « RGPP 2 ». Entre son lancement le 9 février et la date fixée pour la remise des conclusions, qui doivent être rendues publiques mi-juillet, le calendrier vous semble-t-il tenable ?
M. Éric Woerth. - Oui : nous disposons d'ores et déjà d'une bonne connaissance des choses.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous avons plutôt le sentiment, pour notre part, d'un manque de connaissance.
Je vous rejoins sur un point : quand on s'intéresse à la maille « micro », c'est-à-dire quand on descend au niveau de l'agence - j'ai travaillé dans le passé à la Cour des comptes -, on récupère tout : on est capable de reconstituer l'état de son parc immobilier, le nombre total de ses agents, l'ancienneté de chacun, les fiches de paie, etc.
En revanche, personne n'est en mesure d'appuyer sur un bouton pour nous transmettre un fichier regroupant toutes les données relatives à l'ensemble des opérateurs et comités publics. Quand nous avons demandé une liste exhaustive, nous avons reçu un fichier, constitué par Bercy et par le secrétariat général du Gouvernement, recensant y compris des structures locales, qui ne concernent qu'une commune en France ! Certaines régions semblent devenues expertes dans la création de telles structures locales, dont on peut se demander pourquoi elles apparaissent dans des fichiers constitués au niveau national par l'administration centrale et où sont collectées des informations par ailleurs parcellaires et lacunaires.
M. Éric Woerth. - J'ai peu de certitudes, mais j'en ai au moins une : on ne peut pas faire ce travail au coup par coup. Lorsqu'on fait une RGPP, il faut définir une méthode - je crois beaucoup à la méthode, qui n'est pas spécifique à un parti politique, ce qui n'enlève rien au contenu politique de la réponse aux difficultés.
Il faut donc une méthode pour juger de l'efficacité d'une structure : est-elle en mesure de remplir sa mission ? A-t-on besoin de cette politique ? Peut-elle la conduire dans des conditions acceptables d'un point de vue des coûts publics ? Si vous vous contentez de le faire une fois, c'est bien, cela donne un article dans le journal, et éventuellement quelques décisions ; mais nous avons besoin d'une méthode dans la durée, aujourd'hui plus encore qu'hier. À défaut, on recommence périodiquement, et chaque fois on réinvente la roue : c'est épuisant et ça coûte très cher !
On doit évidemment s'occuper des opérateurs, mais ils doivent retrouver leur vocation, qui est d'être plus rapides, plus agiles et moins coûteux qu'une intervention de l'État, ce qui ne veut pas dire, d'ailleurs, que ce dernier perd de son importance. L'État doit structurer les réponses : il doit être stratège, comme on disait autrefois, et ne pas s'occuper du détail. Mais chaque ministre doit avoir toutes les informations nécessaires pour exercer sa tutelle dans de bonnes conditions.
Ces orientations ont l'air de relever du bon sens ; malheureusement, ce n'est pas le cas.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je voudrais revenir sur la délégation de certains fonds, par exemple le fonds Chaleur, à des régions. Êtes-vous convaincu que l'on gagnerait en efficacité dans la distribution des crédits de ce fonds en le décentralisant ? Serait-il plus efficace de le confier aux régions ou de transformer l'Ademe pour déléguer la gestion du fonds aux directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) ?
Si l'on délègue le fonds aux régions, on aura besoin d'une structure d'expertise dans chaque région, capable d'instruire les dossiers. Certains diront qu'il ne s'agit que de dépenses de guichet ; mais le guichet en question consiste tout de même à vérifier la solidité du modèle financier, la pertinence du dossier eu égard à l'objectif de décarbonation, ainsi que l'absence d'autre solution moins coûteuse.
Le fait de disposer aujourd'hui de cette unité d'instruction et de paiement qu'est l'Ademe ne permet-il pas, précisément, de mutualiser les compétences ? Si l'on décidait de faire basculer le fonds à la maille des Dreal, on resterait dans la sphère de l'État ; en revanche, dans l'hypothèse où l'on éclaterait la gestion du fonds en le faisant passer dans la sphère des régions, il faudrait composer avec le fait que chaque région est indépendante de sa voisine.
J'ai pris l'exemple du fonds Chaleur, mais la même réflexion pourrait s'appliquer à d'autres. Prenez les fonds européens : vous connaissez l'argument - leur gestion étant divisée entre l'État et les régions, pourquoi ne pas les placer entièrement dans l'orbite des secondes ? Mais la question cruciale doit rester celle de l'expertise.
M. Boris Ravignon. - Cette possibilité de délégation, qui existe, a très peu fonctionné jusqu'à présent, essentiellement parce que l'opérateur en question n'était pas vraiment enthousiaste à l'idée de se défaire de moyens importants pour les confier aux régions. Mais ce sujet est transversal dans vos réflexions : fait-on une économie lorsqu'on change simplement l'attributaire d'une compétence, en l'espèce l'instruction des dossiers du fonds Chaleur et des projets de constitution de réseaux de chaleur portés par les collectivités ?
Y aurait-il un intérêt budgétaire et une capacité à décentraliser l'exercice de cette mission au niveau des régions ? J'ai tendance à penser que oui ; mais ce ne serait pas vrai au niveau départemental : les compétences techniques manqueraient sans doute, à ce niveau, pour procéder à l'évaluation d'un projet de réseau de chaleur.
En revanche, ces compétences, on les trouve en principe dans les services des régions, qui sont très présentes sur les sujets de transition énergétique : on parle de services qui, parce qu'ils ont préparé le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), ont tout de même une petite idée, par exemple, des disponibilités en bois-énergie sur le territoire. Autrement dit, les régions disposent des compétences clés pour évaluer la crédibilité d'un projet.
La régionalisation permettrait-elle de réaliser une économie ? Ce n'est pas gagné d'avance, mais j'ai tendance à penser que oui, car les régions sont déjà des interlocutrices du bloc communal sur bon nombre d'autres projets d'investissement. Un tel transfert reviendrait donc à confier une action supplémentaire à des gens qui ont l'habitude de ce genre de missions et qui disposent déjà, de surcroît, des données pertinentes et de la connaissance des territoires. Tel ne serait pas le cas des Dreal, qui ont sans doute l'expertise nécessaire, mais qui n'ont absolument aucune expérience aujourd'hui, à ma connaissance, pour ce qui est d'instruire des dossiers d'aides à destination des collectivités.
Cette question de savoir si la région est capable de faire - si elle dispose de l'expertise nécessaire - et si ce transfert présente un intérêt budgétaire et permettrait de faire des gains de productivité, nous allons la retrouver dans tous les domaines. Au cas d'espèce, concernant le fonds Chaleur, il me semble que les régions cocheraient plutôt bien les cases.
M. Éric Woerth. - Boris Ravignon et moi-même sommes tous les deux persuadés, comme beaucoup d'entre vous, que la décentralisation est une restructuration de la dépense publique. Elle consiste à l'affecter autrement, donc à la contrôler différemment, ce qui revient au bout du compte - on peut l'espérer - à dépenser autrement, objectif qui doit être celui d'une décentralisation réussie. Or nous avons besoin, incontestablement, de restructurer la dépense publique, en investissement comme en fonctionnement, en la reliant mieux aux objectifs définis par ailleurs, ce qui est difficile lorsque ceux-ci sont totalement nationaux. Mais une planification nationale peut s'assortir de plans territorialisés.
La stratégie bas-carbone est par définition obligatoirement nationale ; mais, à mesure qu'elle se décline en plans, en Sraddet, elle se territorialise et on commence à parler de choses concrètes.
Si l'on admet que les collectivités doivent avoir davantage de pouvoir, il est logique de dire que le conseil régional doit être chargé des schémas, qui doivent évidemment rester compatibles avec la stratégie nationale, lorsqu'elle existe, mais qu'il doit adapter à son territoire, la réponse n'étant pas la même d'une région à l'autre.
Et il faut, bien sûr, des outils de mise en oeuvre, car une collectivité qui fait des schémas, en soi, cela ne sert à rien : la région doit être chargée de l'opérationnalité de ces schémas et de leur déploiement avec les acteurs concernés - autres collectivités, entreprises, organismes de logement. Il va de soi, en outre, qu'une telle manière de faire devrait aller de pair avec une déconcentration des crédits.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La même logique vaudrait pour la lutte contre l'habitat insalubre et les copropriétés dégradées. D'ailleurs, les collectivités interviennent déjà en créant des agences locales là où l'Anah n'a pas de bureaux : ce sont les agences locales qui agissent, l'Anah payant une partie du salaire de leurs conseillers.
Cela étant dit, si l'on se place dans l'hypothèse d'une décentralisation de ces politiques, comment sera-t-on certain qu'elles pourront être équitablement réparties sur le territoire ? Vous avez parlé des grandes métropoles, mais je pense aux zones qui ne sont pas situées dans une aire métropolitaine : comment les traite-t-on ?
Je prends l'exemple des réseaux de chaleur : le gisement disponible n'est pas équitablement réparti sur le territoire. Avec une enveloppe nationale, les meilleurs projets à la tonne de CO2 évitée, les plus pertinents du point de vue de la décarbonation, sont sélectionnés, sachant que la tonne de CO2 évitée a tendance à coûter de plus en plus cher chaque année. Comment parvient-on à affecter l'argent public, qui est rare, au projet le plus pertinent quand on raisonne à l'échelle d'une maille plus fine ?
Cette remarque est moins une critique qu'une réponse, car je suis sensible à ce que vous dites : passer d'une administration de schémas à une administration de gestion serait très satisfaisant pour les conseils régionaux.
M. Éric Woerth. - Les agglomérations et les métropoles peuvent faire beaucoup de choses, car il s'agit de communautés de vie très larges, avec des centaines de milliers d'habitants, des structures administratives solides et une bonne connaissance de la réalité du terrain - nul ne peut penser le contraire.
Là où des choix très opérationnels sont à effectuer - faire passer telle copropriété avant telle autre, fonctionner par quartier, par rue, par immeuble, ou que sais-je encore -, du moment que les résultats sont là en matière de réduction de l'impact carbone, c'est à ces établissements publics que sont les agglomérations ou les métropoles d'en décider.
En revanche, en milieu rural, c'est le département qui trouve tout son rôle, comme je l'ai écrit dans le rapport, la région ayant plutôt vocation à agir dans le domaine économique. Le département est garant de l'unité de la ruralité : il prend le relais là où les métropoles ne sont pas, c'est-à-dire dans les petites communes, pour assurer un certain équilibre, par exemple, dans la répartition des services publics. Le département, au fond, c'est la métropole de la ruralité. L'agglomération est quelque chose d'extrêmement opérationnel. Quant au département ou à la région, selon la compétence dont il s'agit - logement ou développement économique -, ils peuvent être les garants de l'égalité devant le service public en milieu rural.
M. Boris Ravignon. - Il est important de penser la décentralisation du logement sans oublier aucun domaine. Il paraît compliqué, par exemple, de « sortir » l'hébergement d'urgence de la compétence en matière de logement. À moins de considérer que l'hébergement d'urgence est une voie sans issue, il convient en principe de ménager des ponts vers du logement plus durable ; si l'on décentralise le logement, il faut donc aussi décentraliser l'hébergement. Je cite une autre dimension de la compétence logement : la politique de rénovation de l'habitat. Il faut donc une véritable compétence habitat qui couvre toutes ces missions, de l'hébergement d'urgence au logement en passant par l'accompagnement à la mutation énergétique du parc résidentiel.
Je partage ce que disait Éric Woerth sur les agglomérations et les métropoles. Certaines d'entre elles ont d'ailleurs déjà fait la démarche de demander et d'obtenir le statut d'autorité organisatrice de l'habitat ; nous ne sommes pas très loin de pouvoir nous appuyer sur elles pour déployer des politiques en ce domaine. Pour les autres territoires, la question se pose, en effet. Dans le cadre de la mission que j'ai menée, j'ai rencontré des communautés de communes très motivées par le sujet, qui pourraient candidater, sur une base volontaire, pour être attributaires d'un tel statut. Il est vrai aussi qu'il est des territoires dans lesquels il n'y a pas d'agglomération et pas de communauté de communes de taille suffisante ou désireuse de se saisir du sujet. Il paraît assez évident, le cas échéant, que le département pourrait être le bon niveau pour le faire. Du reste, il existe déjà des départements qui sont délégataires des aides à la pierre.
J'en viens aux critères de répartition. On ne le sait pas toujours, mais l'attribution des aides à la décarbonation fait l'objet d'un encadrement européen extrêmement poussé : c'est une obligation européenne que de devoir les attribuer à la tonne de carbone évitée la moins coûteuse. Et, de toute façon, ce genre d'obligation est transitive : aujourd'hui, c'est l'Ademe qui la respecte ; si demain les fonds sont délégués, la réglementation continuera d'être appliquée, je n'en doute pas. Autrement dit, la délégation n'est pas une carte blanche : il y a des contrôles.
S'agissant également des aides économiques, des gains de productivité me semblent possibles. Ayant été vice-président chargé de l'économie d'une région plus grande que la Belgique, je me souviens que nous passions beaucoup de temps à co-instruire les projets - je pense en particulier au plan France 2030 - avec l'État, notamment avec Bpifrance. Au total, l'instruction de l'intérêt et de l'opportunité d'un projet pouvait avoir lieu trois fois...
À un moment où l'argent public est rare, il serait plus pertinent et plus économe de rationaliser les moyens et de faire en sorte qu'il n'y ait qu'une seule instruction, qu'elle soit le fait d'un opérateur ou d'une collectivité - en l'occurrence, s'agissant des aides économiques, la région me semble plutôt bien placée.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous avons entendu ce matin, de la part de la ministre des comptes publics, l'idée de conserver les structures, mais de réinternaliser les crédits. Qu'en pensez-vous ?
M. Boris Ravignon. - Réinternaliser, cela veut dire les faire revenir dans le giron de l'administration ?
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Cela veut dire, semble-t-il, reministérialiser.
M. Ludovic Haye. - Je l'ai compris comme un retour en arrière : les agences, si l'on revient à leur contexte de création, avaient vocation à apporter ce que les ministères, de par leur rigidité, ne pouvaient pas apporter. Il s'agit de faire le chemin inverse, sans qu'il y ait nécessairement des économies à la clé.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - À ce compte-là, on pourrait aussi bien tout mettre dans le ministère... Se pose aussi une question d'acceptabilité - prenez des crédits qui sont aujourd'hui gérés par une structure sise à Charleville-Mézières : s'ils redeviennent des crédits du ministère de la transition écologique, installé à La Défense, cela risque de poser quelques problèmes...
Je souhaitais vous interroger également sur le sujet de la pluriannualité : vous le disiez justement, les agences ont été créées, en France, pour contourner des problèmes, et non pour faire différemment ou autrement ce que faisaient les ministères. Ce que nous disent les dirigeants de ces agences, c'est qu'ils aimeraient avoir de la visibilité sur leurs moyens - à la hausse comme à la baisse -, ce dont ils ne disposent pas aujourd'hui : ils voudraient connaître leur horizon d'ici à un an, trois ans, cinq ans, afin de pouvoir construire une trajectoire.
Le président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France), que nous auditionnions hier, s'est félicité de ne pas être dans un ministère : ainsi, nous a-t-il expliqué, l'agence peut-elle s'engager dans des projets d'infrastructures de long terme. Si demain on décide de conserver l'Afit France tout en réinternalisant les crédits au sein du ministère des transports, on perdra cette souplesse budgétaire que procure le statut actuel.
M. Éric Woerth. - Oui, à une réserve près : les crédits étant des crédits - les choses sont différentes s'il s'agit de ressources propres -, ils doivent obéir au principe d'annualité budgétaire. Même une taxe affectée reste une taxe, qui, comme telle, peut être revue d'une année sur l'autre. Qu'il y ait des engagements, d'accord, mais les engagements dont on parle ne sont pas du tout assurés de tenir.
J'ai plutôt dans l'idée que les crédits des agences pourraient être décentralisés, et non déconcentrés, dès lors qu'une partie des fonds que nous avons évoqués serait déléguée dans le cadre de politiques conduites par les collectivités locales. Dans cette perspective, il restera bien un opérateur pour organiser la politique en question et fixer un certain nombre de critères ; la collectivité sera là, ensuite, pour assumer cette politique, la mettre en oeuvre et, surtout, l'adapter à l'échelle locale. Il faut donc non seulement l'argent de l'État, mais aussi et en même temps une vision globale et un pouvoir d'adaptation territoriale.
Reministérialiser les crédits, cela veut simplement dire avoir la main sur ces crédits. Mais, au fond, l'État a déjà la main. Tout cela, c'est de l'argent public : les crédits font bien l'objet d'un jaune budgétaire. La réinternalisation dont il est question faciliterait le contrôle et le coup de rabot, sans doute, mais il n'y a là aucune réforme structurelle.
M. Boris Ravignon. - Vous avez dit tout à l'heure que vous aviez du mal à avoir une vision budgétaire d'ensemble. Je suis tout de même très étonné : dans tous les conseils d'administration de ces opérateurs siègent des représentants de la direction du budget et des différentes directions thématiques d'administration centrale. C'est leur rôle d'exercer cette surveillance et de prendre connaissance de la volumineuse documentation financière et budgétaire dont ils sont destinataires. Mon expérience est d'ailleurs qu'ils interviennent y compris pour orienter les choix et les réaffectations de crédits.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Au niveau « micro », cette information existe, mais elle n'est jamais consolidée ne serait-ce qu'à l'échelle d'un secteur. Le bureau ministériel qui exerce la tutelle sur l'Anah, par exemple, dispose de toutes les données intéressant cette agence, mais celles-ci ne sont pas concaténées dans une grande base où seraient retracées des données homogènes et comparables pour l'ensemble des différents opérateurs qui s'occupent de politique du logement. Une application informatique est censée être créée à cet effet, mais nous n'avons pas le sentiment qu'il s'agit d'une priorité de l'action publique.
En attendant, les données, nous ne les avons pas : chacun y va de son chiffre, mais tout cela manque de cohérence. Dans le jaune de l'Afit France, à la ligne « coût salarial », on trouve le chiffre de 70 000 euros, ce qui est tout simplement impossible.
M. Éric Woerth. - Les agents de l'Afit France sont payés par l'État.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Exactement ; les représentants de l'agence, que nous avons reçus hier, le reconnaissent d'ailleurs avec honnêteté. En définitive, on ne trouve nulle part le coût de fonctionnement de l'opérateur, pas plus dans le jaune que dans le projet annuel de performances (PAP). Les agents de l'Afit France sont en effet noyés dans la masse du programme 217 « Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, du développement et de la mobilité durables », au lieu de relever du programme 203 « Infrastructures et services de transport ». Ce chiffre, donc, on ne le connaît pas : seuls le connaissent peut-être les membres du conseil d'administration de l'Afit France.
M. Boris Ravignon. - Par ailleurs, le jaune budgétaire sur les transferts financiers de l'État aux collectivités territoriales n'existe plus depuis l'an dernier. C'est tout de même un petit sujet à 150 milliards d'euros... La présentation de ces chiffres consolidés dans un document unique n'existe plus, sauf si la Cour des comptes décide ponctuellement de réaliser ces calculs.
Le sujet de la pluriannualité est au coeur de toutes les discussions relatives à la refondation des relations financières entre l'État et les collectivités. La Constitution et les lois organiques organisent la répartition des ressources de la Nation, mais la capacité à s'engager de manière pluriannuelle va devenir absolument cruciale, tant vis-à-vis des opérateurs que des collectivités. Si plusieurs années difficiles se suivent, connaître la hauteur des marches trois ou quatre ans en avance devient absolument vital pour que les destinataires des fonds puissent les gérer tout en prenant des engagements crédibles. Je ne sais pas comment concilier ce besoin de pluriannualité avec la règle constitutionnelle de l'annualité budgétaire, mais une articulation doit être possible.
M. Éric Woerth. - Il n'y a pas d'astuce : honnêtement, nous avons tout utilisé pour tenter de réduire l'augmentation et la dérive des dépenses, du moins tout ce qui évite d'avoir à faire le principal. Il n'y a pas d'échappatoire à un travail sur le contenu de la dépense publique. Aujourd'hui, la masse de la dépense publique est considérable. On peut le déplorer ou s'en féliciter, selon que l'on soit de gauche, de droite ou du centre, mais si l'on veut réduire les dépenses publiques tout en garantissant leur efficacité, il n'y a pas d'échappatoire. Ensuite, il faut aussi examiner les structures et la manière dont a lieu cette dépense, mais c'est d'abord le contenu de la dépense que nous devons reconsidérer.
Dans notre rapport, nous proposons de remplacer les dotations de l'État dans les départements - dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), aides financières pour installer des caméras de surveillance, fonds vert, etc. - par une dotation unique, qui pourrait être gérée de manière autonome en fonction des projets locaux, en prenant les gens pour des adultes, une partie de cet argent pouvant être conservée afin de financer certains projets pluriannuels des collectivités, qui ont besoin de fonds sécurisés sur plusieurs années. Compte tenu des montants en question, nous savons le faire.
M. Ludovic Haye. - M. Ravignon parlait de la décentralisation et de la territorialisation. Tous les élus locaux le savent, le problème est que lorsqu'ils reçoivent une compétence, ils demandent le budget qui va avec l'exercice de cette compétence. Le seul cas où cela fonctionne, c'est lorsqu'une collectivité transfère une compétence à une collectivité ou à un organisme qui exerçait déjà cette compétence. Dans tous les autres cas, la structure bénéficiant du transfert de compétences demandera un budget afférant. Je ne vois pas où se situent les pistes d'économies dans ce cadre-là...
Le temps, c'est de l'argent, disais-je à Mme de Montchalin ce matin. Monsieur Woerth, votre rapport indique que la simplification présentait diverses vertus, notamment celle d'accélérer les dossiers. Cette question du temps a-t-elle été réellement posée ? Je sais que les chiffres sont difficiles à établir en la matière, mais le temps a plusieurs conséquences : lorsqu'une procédure doit passer par trois ou quatre intermédiaires, les délais sont évidemment allongés. Il faut payer les intermédiaires, et beaucoup de temps est perdu avant la validation du processus. Supprimer des agences, ce n'est pas seulement supprimer des intermédiaires, c'est aussi supprimer les coûts induits par cette lenteur, que certains appellent lourdeur administrative. Ces derniers ont-ils été évalués ?
Mme Ghislaine Senée. - Ce matin, la ministre Amélie de Montchalin a justifié son annonce de réaliser 2 ou 3 milliards d'euros d'économies en trois ans en se fondant uniquement sur l'application statistique d'un gain de productivité de 2 % sur les 63 milliards d'euros du coût total des agences. Au fur et à mesure de nos auditions, il apparaît manifestement que chaque opérateur et chaque collectivité a son système de gestion et de subvention. Tout le monde travaille sur l'intelligence artificielle et la gestion des données. Même si les informations transmises par les ministères nous montrent que ces compétences ne sont pas totalement maîtrisées, des gains de productivité sont peut-être envisageables sur cet axe global. Plutôt que de supprimer des fonctionnaires et d'attribuer les gains de productivité directement au secteur privé, les services de l'État pourraient gagner en productivité et les fonctionnaires pourraient être réaffectés au service des Français. Pourrait-on envisager une optimisation des systèmes développés par les opérateurs pour réaliser rapidement des gains de productivité, tout en évitant les guéguerres éventuelles quant à la comparaison entre les logiciels ?
M. Éric Woerth. - Selon l'adage, le temps, c'est de l'argent, mais aujourd'hui, c'est exactement le contraire : perdre du temps, c'est gagner de l'argent. Comme les collectivités locales n'ont pas les moyens de financer leurs investissements, le temps nécessaire pour mener un projet a été multiplié par deux ou trois en dix ou quinze ans. Ce n'est pas seulement une question de règles, environnementales ou autres : si on avait de l'argent, on y arriverait. Perdre du temps, c'est ne pas dépenser, ne pas faire. Certes, les structures de financement perdurent, mais il y a là un vrai sujet.
Autant, dans le privé, le temps c'est de l'argent, parce qu'on examine la rentabilité de chaque dépense, autant dans le public on ne raisonne pas comme cela, en étudiant la rentabilité de chaque investissement ou du fonctionnement. Il peut y avoir une rentabilité sociale, certes, mais on ne raisonne pas selon une rentabilité économique. Les pertes d'opportunité deviennent alors des sources d'économie, ce qui est en soi assez grave.
Plus on rapproche la décision du contribuable - même si on ne sait plus très bien s'il contribue ou non aux finances locales -, qui a une vision sur la politique décentralisée dans sa commune, mieux c'est : cela permet de clarifier les responsabilités et donc de restructurer la dépense publique. Il n'y a pas non plus les mêmes moyens de contrôle, notamment de la part des citoyens.
Peut-on pour autant s'exonérer de revoir l'organisation des opérateurs de l'État ? La ministre a eu raison de remettre le sujet sur le devant de la scène, mais il ne faut pas en attendre un bénéfice immédiat. Vous semblez d'ailleurs le penser, au vu de vos questions. La question n'est évidemment pas uniquement celle des porteurs de projets, mais celle des projets eux-mêmes. De même qu'un porte-avions sans avions n'a aucun intérêt, ce n'est pas la structure qui est importante, ce sont les projets et les politiques qu'elle porte. Si l'on veut moins dépenser, il faut donc réfléchir sur les politiques publiques elles-mêmes, puis se demander comment celles-ci sont organisées.
À ce moment, si l'on veut économiser de l'argent sur les opérateurs, il faut d'abord mettre les choses à plat et dédoublonner. Si la cartographie avait continué à être tenue d'année en année, les choses seraient peut-être plus simples, mais un certain nombre d'outils permettent toutefois de réaliser ce travail. Ensuite, il faut aller au plus près du terrain pour adapter la granulométrie aux objectifs que l'on se fixe. Sinon, on se perd et on ne change rien... Il faut optimiser la dépense publique, bien sûr, mais l'optimisation des politiques est au fond le moteur de l'optimisation des structures qui portent ces politiques.
M. Boris Ravignon. - L'optimisation de la gestion des pouvoirs publics et de leurs différents opérateurs est une question qui n'est ni de droite ni de gauche. Une organisation où la productivité est faible, par exemple parce qu'elle n'est pas habituée à traiter un certain type de dossier et doit s'y remettre en mobilisant de nouveau des ressources, gaspillera de l'argent alors qu'elle pourrait faire le même travail bien plus facilement, plus vite et à un moindre coût si elle était habituée à traiter toujours le même type de dossiers. On observe le même résultat si plusieurs opérateurs interviennent sur une même politique. Par exemple, sur l'accompagnement à la rénovation de l'habitat, il y a le tuyau à très haut débit de MaPrimeRénov', mais à l'échelon intercommunal on essaie de mobiliser des moyens de la région ou du département pour monter des opérations programmées d'amélioration de l'habitat, et l'on revient sur une partie de l'aide à l'adaptation, en finançant pour cela des associations qui instruisent des dossiers... On demande à de nombreuses personnes de faire le même travail dans des structures différentes, ce qui revient à perdre de l'argent à cause de doublons.
Il n'y a pas non plus de dépolitisation complète du débat : les vrais choix politiques, ce sont ceux par lesquels on décide ce qu'on fait des marges de manoeuvre dégagées. En revanche, gérer les finances de manière cohérente et rationnelle n'est ni de droite ni de gauche, mais relève de la salubrité publique. Dans de nombreux endroits, notre organisation actuelle nous fait gaspiller de l'argent public, alors que celui-ci est rare, et que nous aimerions pouvoir le diriger vers d'autres objets plus nobles.
La décentralisation et le transfert de compétences ne permettent pas de gains magiques. Transférer les compétences de l'Anah et de MaPrimeRenov' à un seul opérateur présenterait l'inconvénient de recentraliser, alors qu'il faut se rapprocher du terrain. Trouver l'échelon de collectivité auquel transférer cette responsabilité et la gérer pour la Nation permettrait de ne traiter ces questions qu'une seule fois, avec un seul interlocuteur, dans un seul guichet. Cette rationalisation reviendrait aussi à ne plus demander à chaque acteur de faire son bricolage tout seul dans son coin. C'est aussi un sujet sur lequel les collectivités attendent l'État : il faut faire respecter les règles du jeu. Quand des collectivités qui en ont les moyens exercent certaines compétences alors qu'elles n'en ont pas vraiment le droit, de l'argent est perdu et l'énergie est gaspillée.
Nous pouvons gagner en productivité sur l'instruction des dossiers relatifs à la rénovation de l'habitat ou aux aides aux entreprises. Des collectivités sont parfois mieux placées que d'autres, mais il n'y a pas d'effet magique de la décentralisation, et on ne fait pas disparaître le besoin de travailler. Ce sont des questions de productivité, du rapport entre les moyens mobilisés et les résultats. Si ceux-ci sont meilleurs, seules de petites économies seront réalisées, sauf si l'on renonce d'accomplir la mission.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - En préalable, il faudrait faire appliquer le principe de spécialisation des compétences, en attribuant par exemple le logement à l'intercommunalité, l'énergie à la région, le social au département, et le tourisme à l'intercommunalité.
M. Éric Woerth. - C'est exactement ce que nous disons dans notre rapport, en présentant des tableaux qui préconisent une telle rationalisation.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si l'on avait une grille stable dans le temps, et si personne ne pouvait se saisir d'une compétence qui ne lui est pas attribuée, il serait plus facile de redistribuer au bon étage les moyens de gestion, d'analyse et d'expertise. Ce qui manque, c'est un État stratège capable de penser le temps long, d'avoir une vision non des petits morceaux du réseau de transport et de la desserte du quotidien, mais une vision globale du réseau qui permette d'assurer l'approvisionnement en marchandise. Nous avons le sentiment que cet État stratège n'existe plus.
M. Éric Woerth. - C'est exactement ce que nous proposons. Supprimer une strate, finalement, cela revient à clarifier : c'est presque un raisonnement par l'absurde. Il y a trois strates, plus l'intercommunalité, ce qui est dû au fait que la France compte beaucoup plus de communes que d'autres pays. C'est un choix. Nous ne pouvons pas recommencer la guerre des strates, ce qui nous ferait perdre beaucoup de temps et d'énergie. Il faut organiser intelligemment ces compétences et essayer de faire de cette diversité une force.
Le tourisme en fournit un exemple : ce n'est pas la peine que tout le monde exerce cette compétence. Il est certes important de bien valoriser les qualités touristiques de toutes les régions et micro-régions, mais il ne va pas de soi que cette tâche soit réalisée par les offices de tourisme dans les communes, puis par le département, puis par la région, car cette problématique est stratégique du point de vue économique. Il faut choisir, comme nous le faisons dans notre rapport.
Il ne peut y avoir de grandes régions sans grandes politiques ; sinon, il valait mieux en rester aux départements. Si nous avons créé de grandes régions voilà une dizaine d'années, c'est que cela a un sens. Tout le développement économique dépend des régions. Toute la schématisation opérationnelle qui le permet relève du pouvoir réglementaire, qu'il faut modifier, ce qui nécessite de réviser la Constitution.
M. Boris Ravignon. - Nous avons choisi d'appliquer le principe selon lequel celui qui décide paie sur son budget. Il faut être vigilant si l'on dissocie la décision de la responsabilité financière, car cela peut créer des situations où, marginalement, des droits peuvent être accordés de manière irresponsable lorsque d'autres sont débiteurs. Notre politique du handicap, où les départements et l'État sont à la manoeuvre, l'illustre particulièrement. Les maisons départementales des personnes handicapées ouvrent des droits à l'allocation aux adultes handicapés (AAH) sur le budget de l'État, à l'affectation d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) dont la mise en oeuvre est assurée par les rectorats, ou encore à l'accueil des enfants handicapés qui ont besoin d'un accompagnement plus important dans des structures comme des instituts médico-éducatifs (IME) ou des instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (Itep), qui eux relèvent non de l'État ou du rectorat, mais des ARS. Bref, ce type d'organisation ne permet pas d'économiser l'argent public ou de s'assurer qu'il va à ceux qui en ont vraiment besoin. Sur ce sujet, nous savons pourtant que les besoins sont immenses...
M. Éric Woerth. - Le jardin à la française ne sert à rien, mais il est très bien ordonné. Nous pouvons encore mettre beaucoup d'ordre : les mesures que les collectivités ne parviennent pas à financer elles-mêmes peuvent être cofinancées, mais il faut alors donner du contenu à la notion de « chef de file », qui est une belle notion. Le chef de file est celui qui dirige, qui cherche des financements, qui dispose du pouvoir réglementaire : c'est celui qui tient la barre. Une autre collectivité peut demander son soutien, si elle estime en avoir besoin. Il y a des compétences légales, la possibilité de venir en soutien existe, et le cadre permettant d'aider l'exercice des compétences est déjà parfaitement fixé. Les compétences légales, il faut les exercer avant d'exercer les autres.
Mme Ghislaine Senée. - Si on rouvre ce débat, des collectivités ou des départements voudront financer localement certaines opérations pour gagner en visibilité.
M. Éric Woerth. - C'est un peu obligatoire : les communes rurales ne peuvent pas mener ces investissements et ont besoin d'une capacité financière plus importante que celle de la plupart des intercommunalités.
Mme Ghislaine Senée. - Sauf à travailler à une dotation unique...
M. Éric Woerth. - En revanche, le département ne pourrait venir en aide aux collectivités que s'il a correctement rempli ses obligations légales, notamment sociales, qui posent des problèmes de financement considérables.
Mme Ghislaine Senée. - Ce qu'il fera si l'État le rembourse...
M. Éric Woerth. - Le département ne devrait ainsi pas pouvoir décider que l'aide aux communes est plus importante que l'aide sociale à l'enfance (ASE).
M. Pierre Barros, président. - Cela reviendrait presque à fixer des contrats d'objectifs et de moyens entre l'État et les différentes strates territoriales.
M. Éric Woerth. - Du point de vue des compétences ?
M. Pierre Barros, président. - L'État délègue aux EPCI des compétences relatives aux politiques publiques. Il y a un contrat d'objectifs et de moyens, c'est logique qu'il y ait une évaluation.
M. Boris Ravignon. - Le mécanisme de décentralisation, plus qu'un rapport entre la collectivité et l'État, est un rapport entre la collectivité et le citoyen. Il s'agit de clarifier et de simplifier pour aider nos concitoyens à comprendre qui est responsable de chaque politique publique. C'est eux qui, par leur vote, sanctionnent ou approuvent les politiques conduites. L'idée de la décentralisation, c'est de partager le pouvoir entre l'État et les collectivités. Il est fondamental que les citoyens connaissent les compétences de chacun, pour, le cas échéant, pouvoir les sanctionner. À mon sens, c'est beaucoup plus motivant, pour les élus, de travailler dans ce cadre que de travailler dans celui d'un contrat d'objectifs et de moyens.
M. Éric Woerth. - Les collectivités ne sont pas des opérateurs de l'État...
M. Pierre Barros, président. - C'est vrai. Les collectivités abordent des sujets territoriaux divers, très marqués par la diversité des réalités locales. Nous croyons évidemment à la sanction populaire qui s'exerce si les collectivités ne font pas le travail sur l'ASE ou le handicap, mais il faut quand même que l'État vérifie comment ces politiques sont menées sur l'ensemble du territoire.
M. Éric Woerth. - Nous nous éloignons du sujet de cette audition, mais nous avons beaucoup travaillé sur l'organisation de l'aide sociale dans les départements, en particulier sur l'ASE. Dans notre rapport, nous indiquons deux scénarios : l'un qui est très organisé, y compris financièrement, et l'autre dans lequel la protection de l'enfance serait recentralisée. Nous ne vivons pas dans un état fédéral ; l'État peut considérer qu'il doit reprendre la main, car le droit de l'enfant domine celui du département et tous les enfants de France doivent être traités de la même manière. Toutefois, cette reprise en main aurait un coût considérable, mobiliserait énormément d'énergies pour recréer les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (Ddass), qui n'étaient pas non plus formidables et ont été défaites il y a une vingtaine d'années. Cela supposerait également de restructurer la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), la médecine scolaire, etc. Le rapport comporte un passage sur ce sujet, qu'il faudra trancher à un moment.
M. Pierre Barros, président. - J'avais remarqué ces pages de votre rapport. Ces sujets font énormément défaut à l'échelon départemental, en souffrance budgétaire assez aiguë.
M. Éric Woerth. - Il faut parler du fond, et non seulement s'intéresser aux modalités d'exercice des mandats, au statut de l'élu ou à la modification de certaines règles électorales. Toutes ces réformes peuvent se comprendre, mais elles doivent servir une décentralisation qui inspire davantage de confiance. Aujourd'hui, c'est d'abord la défiance qui prédomine dans les rapports entre les collectivités et l'État, ce qui n'est pas bon. Les rapports de travail peuvent être un peu vigoureux, mais la défiance actuelle n'est pas acceptable. Il n'est plus possible que la dotation globale de fonctionnement (DGF) soit ancrée sur des éléments de calcul figés depuis vingt ou trente ans. Aucun élu n'accepte de ne rien comprendre au versement de la part de DGF qu'il reçoit. On ne peut pas dire qu'il faut simplifier, et ne pas clarifier les critères qui déterminent le versement de la DGF.
M. Boris Ravignon. - Une part des composantes forfaitaires de la DGF, décidée en partie dans les années 1970, reprend une vieille taxe sur les ventes créée en 1941 sous le régime de Vichy. Les éléments de calcul ont été figés depuis plusieurs décennies.
M. Ludovic Haye. - Il me semble que nous ne nous éloignons pas vraiment de notre sujet : ces choses sont essentielles. Monsieur Ravignon, vous parliez de ce qui est politique et de ce qui ne l'est pas. On ne peut s'adjuger une compétence uniquement parce que travailler ce sujet est plus vendeur d'un point de vue politique. Il faut reclarifier les missions de chacun, et éviter les superpositions.
M. Boris Ravignon. - Il me semble essentiel de ne pas travailler uniquement à une lecture juridique des compétences, mais de travailler en responsabilité, car c'est cela qui crée de la redevabilité de la part des citoyens. La limite de la décentralisation, c'est qu'il n'y a que le pouvoir qui arrête le pouvoir. Ce sont les citoyens qui contrôlent les élus et les arrêtent. La décentralisation, ce n'est pas un chèque en blanc fait aux territoires et aux élus, car elle reste placée sous la responsabilité des électeurs locaux. Ce point majeur est parfois oublié, ce qui fait un peu obstacle dans notre pays, où l'on a tendance à donner d'une main et reprendre de l'autre.
M. Pierre Barros, président. - Nous vous remercions pour vos réflexions sur ces questions de fond.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 15 h 45.