- Mercredi 14 mai 2025
- Organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) d'hiver 2030 - Audition de MM. Pierre-Antoine Molina, délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques (Dijop), Edgar Grospiron, président du Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) des Alpes françaises 2030, Cyril Linette, directeur général du Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) des Alpes françaises 2030, et Damien Robert, directeur général exécutif de l'établissement public Société de livraison des ouvrages olympiques Alpes 2030 (SOLIDEO Alpes 2030) (sera publié ultérieurement)
- Projet de loi d'habilitation à prendre par voie d'ordonnance les mesures permettant de transférer à l'État les personnels de l'enseignement du premier degré dans les îles Wallis et Futuna - Examen du rapport et du texte de la commission
Mercredi 14 mai 2025
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) d'hiver 2030 - Audition de MM. Pierre-Antoine Molina, délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques (Dijop), Edgar Grospiron, président du Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) des Alpes françaises 2030, Cyril Linette, directeur général du Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) des Alpes françaises 2030, et Damien Robert, directeur général exécutif de l'établissement public Société de livraison des ouvrages olympiques Alpes 2030 (SOLIDEO Alpes 2030) (sera publié ultérieurement)
Ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.
Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Projet de loi d'habilitation à prendre par voie d'ordonnance les mesures permettant de transférer à l'État les personnels de l'enseignement du premier degré dans les îles Wallis et Futuna - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons à présent le rapport de notre collègue Evelyne Corbière Naminzo sur le projet de loi relatif au transfert à l'État des personnels enseignants de l'enseignement du premier degré dans les îles Wallis et Futuna dont nous débattrons en séance lundi prochain.
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. - Je tiens tout d'abord à remercier ceux d'entre vous qui ont assisté aux auditions. Je remercie tout particulièrement notre collègue Mikaele Kulimoetoke pour ses interventions très éclairantes sur son territoire et sur une organisation de l'école qui surprend au premier abord.
Je souhaite également exprimer un regret sur la méthode de législation retenue par le Gouvernement. En tant que sénatrice d'un territoire ultra-marin, je regrette qu'une fois encore, pour l'outre-mer, le Gouvernement ait fait le choix de l'ordonnance et demande au Parlement de se dessaisir de sa compétence, au motif qu'il s'agirait de sujets techniques.
Ce dont il est ici question, c'est l'enseignement. Le débat devrait avoir lieu dans l'hémicycle. Malheureusement, il sera tronqué en raison du recours à l'ordonnance et du périmètre qui nous est imposé.
Avant d'aborder le projet de loi, il me semble essentiel de présenter en quelques mots le système éducatif à Wallis-et-Futuna, tant il diffère de ce que nous connaissons. Il faut évoquer l'héritage historique de ce territoire, fait de colonisation et d'évangélisation.
Lorsque, en 1961, les îles de Wallis et Futuna ont quitté le statut de protectorat pour devenir un territoire d'outre-mer, la loi a donné compétence à l'État en matière d'enseignement, tant sur les programmes et les enseignants que sur le bâti scolaire, ce qui est déjà une première spécificité. L'État est ainsi compétent pour la construction et l'entretien des écoles, collèges et lycées.
Deuxième spécificité, à l'origine du texte que nous examinons aujourd'hui, l'État a concédé en 1969 l'organisation de l'enseignement primaire à la mission catholique. L'Église disposait depuis la fin du XIXe siècle d'un monopole en matière d'enseignement. L'État entendait en outre respecter les équilibres locaux entre l'Église, l'État et les chefferies. Il en résulte une situation unique en France : à Wallis-et-Futuna, l'école primaire est exclusivement privée et catholique.
Cette concession est régie par une convention régulièrement renouvelée. La dernière a été signée le 5 juin 2020 pour une période de cinq ans. Elle arrive donc à échéance le 5 juin 2025, soit dans trois semaines.
En échange de la gratuité de l'école et de l'accueil de l'ensemble des enfants sans distinction, l'État assure la rémunération des maîtres d'école. La convention précise, à son article 19, que ceux-ci sont des agents de droit privé. Elle prévoit leurs modalités de rémunération et la progression salariale via une grille indiciaire qui ressemble à la grille des professeurs des écoles, sans lui être toutefois identique.
La situation particulière d'enseignants soumis au droit privé et les dispositions salariales de la convention de concession ont conduit à une succession de grèves, en particulier depuis 1990 : les maîtres d'école de Wallis-et-Futuna revendiquent l'obtention des mêmes droits que leurs homologues enseignants fonctionnaires.
En effet, ce qui n'est pas prévu dans la convention n'est pas appliqué. Ce fut le cas du congé maternité. Les enseignantes ont dû se battre pour pouvoir bénéficier d'une durée de congé maternité identique à celle qui est applicable aux salariées et aux fonctionnaires. Cette conquête sociale date de 1987. En revanche, aujourd'hui encore, la durée du congé paternité n'est que de onze jours pour les enseignants de Wallis-et-Futuna : l'allongement à vingt et un jours en métropole date de 2021, soit après la signature de la dernière convention.
Mentionnons en second lieu l'indemnité de suivi et d'accompagnement des élèves (Isae), créée en 2013 et versée à l'ensemble des enseignants du premier degré : elle n'a été attribuée à ceux de Wallis-et-Futuna qu'à partir de 2020, après une grève en 2019.
Deux revendications récurrentes étaient au coeur de la dernière grève, en 2023. La première est l'application du coefficient de majoration de 2,05 dont bénéficient, pour leur traitement, tous les fonctionnaires qui travaillent à Wallis-et-Futuna. Les enseignants, agents de droit privé, ne le touchent pas. En compensation, un coefficient spécifique a été créé, mais à un taux de 1,7. La deuxième revendication porte sur l'accès à la grille nationale des professeurs des écoles.
La grève de 2023 a été particulièrement éprouvante. Elle a duré plus de deux mois et demi. Le président de la commission Enseignement de l'assemblée territoriale, que j'ai auditionné, m'a d'ailleurs indiqué qu'il s'agissait de la plus longue grève à Wallis-et-Futuna, tous secteurs confondus. Elle a fortement dégradé les relations entre la direction de l'enseignement catholique et les enseignants.
Le protocole de fin de conflit signé en juillet 2023 prévoyait une réflexion pour mettre fin au régime de concession. Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui en découle.
Ce texte habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance les dispositions permettant l'intégration des personnels enseignants dans les corps de la fonction publique d'État. Ils pourraient également opter pour le maintien dans le régime de retraite de Wallis-et-Futuna, plus avantageux.
Il me semble important de souligner que ce projet de loi fait consensus parmi l'ensemble des acteurs.
En effet, il répond aux attentes des enseignants et permet de sécuriser leur statut. Ensuite, le vice-rectorat y voit le moyen de renforcer le pilotage pédagogique, qui est aujourd'hui quasi inexistant, ainsi que la formation continue, au service de la réussite des élèves, dont les résultats aux évaluations nationales sont inférieurs à la moyenne nationale, mais aussi à ceux des élèves de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie. Par ailleurs, la direction de l'enseignement catholique est consciente de la dégradation des relations avec les enseignants, qui rend presque impossible toute discussion. Enfin, les parents d'élèves espèrent que ce transfert permettra l'amélioration du système scolaire.
Si je salue ce projet de transfert, qui permettra de normaliser la situation de l'enseignement primaire à Wallis-et-Futuna, j'ai néanmoins quelques points de vigilance.
Il me semble tout d'abord impératif que l'ensemble des personnels enseignants soient intégrés à la fonction publique. En exclure certains d'entre eux pour des raisons de diplôme, alors même qu'ils sont aujourd'hui titulaires et accomplissent les mêmes missions, serait très mal perçu localement. Ce texte a pour objectif de résoudre les tensions sociales et non d'en créer de nouvelles.
C'est la raison pour laquelle je vous proposerai tout à l'heure d'adopter un amendement de précision du champ de l'habilitation.
Les autres points de vigilance ne relèvent pas de la loi. Je souhaite toutefois les souligner. Le Gouvernement devra être particulièrement attentif à ce que le reclassement dans les grilles du corps de professeur des écoles n'entraîne pas un déséquilibre salarial entre territoires français du Pacifique.
Par ailleurs, j'estime indispensable la création d'une circonscription de l'éducation nationale à Wallis-et-Futuna. Elle serait neutre budgétairement, car elle pourrait s'appuyer sur les équipes d'inspection déjà présentes. Cette entité administrative participerait à la normalisation de la situation scolaire à Wallis-et-Futuna. Elle s'inscrirait pleinement dans la volonté du vice-rectorat de renforcer le pilotage pédagogique. Elle serait également garante d'un meilleur accompagnement des enseignants, au moyen de rendez-vous de carrière plus réguliers. Il s'agit d'un point important, car le reclassement va entraîner pour les enseignants de la classe normale un écrasement de la grille : quinze d'entre eux, avec une ancienneté supérieure à dix ans, seront reclassés dans les deux premiers échelons de la nouvelle grille, sans toutefois subir de perte de salaire. Ils devront faire l'objet d'un suivi de carrière particulièrement attentif.
Avant-dernier point, l'État est compétent à Wallis-et-Futuna sur le bâti scolaire : le personnel non enseignant ne doit donc pas être oublié.
Il s'agit de 49 agents dans le premier degré, qui sont actuellement des personnels de la direction de l'enseignement catholique. La fin de la concession entraîne le basculement de ces personnels à l'État. Or le texte est muet à leur sujet, le ministère considérant que le droit existant se suffit à lui-même. Ces agents passeraient sous le statut défini par l'arrêté n° 76 du 23 septembre 1976, dit « arrêté 76 ». Il s'agit pourtant d'un statut en voie d'extinction depuis que la collectivité de Wallis-et-Futuna a créé un statut spécifique pour sa fonction publique, en 2022. Les agents du vice-rectorat seraient les seuls encore soumis à cet arrêté. Cela représente environ 120 personnes : les 49 agents non enseignants du premier degré, auxquels s'ajoutent les 72 agents du second degré dont le vice-rectorat a déjà la charge. Concrètement, les droits en matière de congés et d'autorisations d'absence accordés aux agents régis par l'arrêté 76 sont inférieurs à ceux des contractuels de l'État. La majoration du traitement appliquée aux agents de l'arrêté 76 est de 1,5 depuis janvier 2023, contre 2,05 pour les contractuels de l'État.
Cela implique, au quotidien, de traiter différemment des agents exerçant des missions semblables selon qu'ils soient fonctionnaires, de l'État ou de la collectivité de Wallis-et-Futuna, ou soumis à l'arrêté 76. Le maintien de cette situation est source d'un nouveau conflit social.
Il ne nous est malheureusement pas possible de légiférer sur ce sujet dans ce texte. Toutefois, j'appelle le Gouvernement à permettre rapidement à ces personnels d'être soumis au droit commun du code de la fonction publique, le cas échéant avec quelques adaptations nécessitées par les spécificités locales. Pourquoi ne pas d'ailleurs envisager la création d'un corps spécifique à ces personnels accomplissant des missions nécessaires relevant du bon exercice d'un service public d'État ?
Je conclurai en soulignant le calendrier particulièrement serré auquel nous contraint le Gouvernement. Le protocole de fin de conflit date de juillet 2023, la mission d'inspection préconisant l'intégration dans la fonction publique de mars 2024. Or le Gouvernement a déposé ce texte seulement à la mi-avril 2025, tout en sachant que la convention actuelle de concession prend fin le 5 juin prochain.
Lors de mes travaux, j'ai eu des contacts avec le rapporteur de l'Assemblée nationale, M. Mikaele Seo, pour déterminer ensemble les points possibles d'évolution du texte dès l'examen par le Sénat. L'objectif est de permettre à nos collègues députés d'adopter le texte sans modification.
Mes chers collègues, ce texte marque une rupture majeure dans l'organisation scolaire à Wallis-et-Futuna. À bien des égards, il s'agit du retour de l'école de la République sur ce territoire. Cette réforme fait consensus parmi les acteurs. Tous m'ont confirmé attendre l'adoption de ce texte avec un objectif partagé : la réussite des élèves.
Concernant le périmètre de ce projet de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer qu'il inclurait les dispositions relatives aux modalités d'intégration des personnels enseignants de Wallis-et-Futuna et à leurs conséquences en termes de droits et devoirs. En revanche, n'entreraient pas dans ce périmètre les dispositions relatives au personnel non enseignant de Wallis-et-Futuna et à l'organisation du système éducatif à Wallis-et-Futuna.
M. Max Brisson. - Goûtons notre bonheur : si l'on est généralement réduit ces temps-ci à des propositions de loi, c'est bien un projet de loi que nous examinons aujourd'hui ! Je tiens à lever d'emblée le suspense : le groupe Les Républicains partage les constats, les préconisations et les vigilances de notre rapporteure et votera son texte.
Mme la rapporteure a parfaitement présenté l'héritage auquel nous avons affaire. Si le consensus est qu'il doit évoluer, il faut le faire dans le respect de l'histoire et des habitants de ce territoire, si différent de la France hexagonale. Or, absurdement, alors qu'il aurait fallu avoir du doigté, prendre le temps de la réflexion et du travail parlementaire, le Gouvernement commence par procrastiner, puis nous bouscule, nous impose de l'habiliter, dans l'urgence, à légiférer par ordonnance. Nous y consentons, mais il faudra que les Wallisiens et les Futuniens soient respectés au cours du processus.
Oui, le système est aujourd'hui à bout de souffle : les agents de droit privé font le travail de fonctionnaires de l'éducation nationale sans avoir les mêmes avantages. De telles distorsions, même avec leurs collègues de Nouvelle-Calédonie ou de Polynésie française, ne sont plus acceptables. Nous approuvons à ce propos l'amendement que nous présentera Mme la rapporteure : il ne faudrait pas laisser sur le côté dix agents qui méritent de terminer dans la dignité leurs années de service.
Bien entendu, nous devons être vigilants sur certains points. Le transfert ne peut se faire automatiquement de grille à grille ; même si bien évidemment il faut veiller à ce que les agents ne voient pas leur salaire baisser. J'ajoute que ce transfert leur permettra de profiter des avantages de leur intégration dans le corps des professeurs des écoles.
Reste un point que Mme la rapporteure n'a pas abordé - je ne doute pas que Pierre Ouzoulias y reviendra après moi ! -, celui de la laïcité. Oui, notre objectif partagé est bien d'aller vers une école publique, donc laïque et gratuite. Oui, la neutralité des fonctionnaires est un grand principe de notre République. Simplement, la mise en place de cette école doit se faire progressivement, avec doigté et dans le respect de l'histoire wallisienne, des traditions, des pratiques et de la culture de ce territoire. Wallis-et-Futuna est un territoire de la République, mais un territoire très spécifique. Je demande donc avec force que l'administrateur supérieur et le vice-recteur ne bousculent pas les Wallis-et-Futuniens, mais mettent en oeuvre le principe de laïcité avec pragmatisme, respect et progressivité.
M. Mikaele Kulimoetoke. - Aujourd'hui est un jour exceptionnel pour moi, puisque c'est la première fois que je vois Wallis-et-Futuna au centre des discussions de la grande maison qu'est le Sénat. Vous m'en voyez particulièrement honoré. Je tiens à remercier notre président d'avoir facilité le travail sur ce texte et notre rapporteure, Mme Evelyne Corbière Naminzo, sénatrice de La Réunion, de son écoute et de son sérieux, sans oublier tous nos collègues qui ont participé aux auditions.
Je suis conscient de la difficulté de faire comprendre les spécificités de Wallis-et-Futuna, qui ne ressemble à aucune autre collectivité de la République. Je suis d'autant plus reconnaissant à notre rapporteure de sa volonté de comprendre les anomalies qui perdurent dans le fonctionnement de ce territoire.
Je voudrais partager avec vous, en tant que natif et qu'élu de Wallis-et-Futuna, ma vision de ce dossier. Je rappellerai d'abord que c'est le seul territoire où il existe encore des royautés au sein de la République française, mais aussi le seul où le pouvoir exécutif est encore assuré par le représentant de l'État, et ce malgré la décentralisation de 2003. Notre territoire est administré directement par l'État. Depuis sa mise en place en 1962, notre Assemblée territoriale se limite à voter des délibérations qui sont rendues exécutoires selon la bonne volonté du préfet.
Je remonterai un peu plus loin dans l'histoire de Wallis-et-Futuna pour expliquer la situation qui justifie le présent texte. Notre histoire a toujours été liée à l'Église catholique depuis l'arrivée des pères maristes, en 1837, et l'évangélisation qui suivit, pendant le règne du roi d'Uvea, ou lavelua, Soane-Patita Vaimua, qui fut le premier autochtone baptisé. C'est sa fille, Amelia Tokagahahau, qui régna de 1869 à 1895, qui a demandé le protectorat français, institué le 5 mars 1888. La proximité entre la royauté et l'Église était telle que les souverains successifs ont cédé gracieusement plusieurs parcelles de terre à l'Église pour faciliter son intégration dans la société wallisienne et futunienne. C'est sur ce foncier qu'ont été construits les presbytères, mais aussi toutes les écoles primaires qui existent aujourd'hui. La population était totalement asservie aux pratiques imposées par ces religieux, qui ont oeuvré pour imposer leur ascendance sur le roi, allant jusqu'à le choisir lors des successions, mais aussi pour asseoir la mainmise de la France sur Wallis-et-Futuna. Le protectorat marque l'arrivée à Wallis d'un représentant de l'État français, alors appelé le résident ; il n'avait dans les premiers temps qu'un rôle de représentant de Paris et, surtout, d'exécutant des volontés coutumières et religieuses.
En 1959, l'intronisation du roi Tomasi Kulimoetoke, dont je suis le premier petit-fils de la lignée directe, marqua la fin des tentatives répétées de l'Église de décider à la place du roi et de sa chefferie. Ce lavelua régna quarante-huit ans, jusqu'à son décès le 7 mai 2007. C'est grâce à son action auprès du général de Gaulle que le statut de territoire d'outre-mer fut octroyé à Wallis-et-Futuna par la loi du 29 juillet 1961. La population du territoire reste aussi attachée à la mémoire de ce souverain, adulé pour sa bienveillance et la protection qu'il apportait à ses sujets, qu'au respect strict du statut de 1961 dont il fut à l'origine.
Wallis-et-Futuna demeure une collectivité à part, tant par son statut que par sa gestion. L'on compte deux rois à Futuna et, traditionnellement, un à Wallis ; toutefois, depuis 2016, du fait de l'immixtion de l'État dans les affaires coutumières, la division des chefferies fait qu'il y a aussi deux rois à Wallis.
La répartition des compétences entre l'État et le territoire est très claire. Ainsi, l'article 7 de la loi du 29 juillet 1961 définit l'enseignement comme une compétence régalienne. L'État a cependant décidé, en 1969, de déléguer par convention de concession l'enseignement primaire à la mission catholique, alors même que cette possibilité n'a jamais été prévue en droit français. En outre, le tribunal du travail de Mata-Utu a jugé en septembre 2022 que la direction de l'enseignement catholique n'avait aucune personnalité juridique à Wallis-et-Futuna. Par conséquent, non seulement la convention de concession n'avait aucun fondement juridique, mais elle avait été signée avec une entité inexistante : son illégalité est donc absolue.
Je regrette le chemin sinueux sur lequel cette décision de l'État de 1969 a emmené les personnels dont nous parlons et leurs familles, jusqu'à ce que nous tentions de rétablir la situation légitime prévue dans la loi statutaire de 1961. Je remercie chaleureusement M. Pap Ndiaye, alors ministre de l'éducation nationale, de m'avoir répondu, lors des questions d'actualité au Gouvernement du 7 juin 2023, que les enseignants du premier degré pourraient accéder au statut d'agent public de l'État.
J'attache une grande importance à la parole donnée. C'est pourquoi je tiens à restituer fidèlement les revendications portées durant deux mois et demi de grève par les personnels du primaire. Sous la pression du préfet, l'on n'a pas fait figurer dans le protocole de fin de conflit signé le 20 juillet 2023 avec le syndicat Force ouvrière tous les points de revendication ; manque notamment l'intégration à la fonction publique d'État des personnels non enseignants, pourtant obligatoire aux termes de la loi de 1961. Faute de cette intégration, le 5 juin prochain, ces personnels se retrouveraient sans statut ni corps d'attache.
Les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, qui relèvent actuellement des circonscriptions administratives, doivent également bénéficier de cette intégration, car leur activité est par nature étroitement liée à l'enseignement primaire. Il serait impensable de laisser des agents sur le carreau, ou que nos travaux aboutissent à créer des situations inéquitables entre des agents qui contribuent à la réussite de la même mission de service public, l'enseignement primaire. L'expérience de l'application à Wallis-et-Futuna, en 2019, de la loi dite Sauvadet du 12 mars 2012, qui a permis de résorber l'emploi précaire, m'incite à la plus grande prudence ; il ne faudrait pas répéter les erreurs du passé !
Enfin, pour ce qui est des aumôniers, il est prévu qu'ils soient pris en charge par l'État, sur mise à disposition par la mission catholique auprès du vice-rectorat pour dispenser la catéchèse en dehors des heures d'école.
Voilà l'éclairage historique que je tenais à apporter pour aider à votre bonne compréhension du contexte local et de l'histoire de mon territoire, marquée par l'influence de l'État comme de l'Église, qui n'a pas toujours bien accompagné les instances coutumières et la population de Wallis-et-Futuna.
Au bénéfice de ces observations, je vous demande, mes chers collègues, de soutenir ce projet de loi d'habilitation, tout en demandant au Gouvernement de présenter un calendrier d'intégration du personnel non enseignant dans la fonction publique d'État ; ainsi, l'on redonnera tout simplement un minimum de dignité à Wallis-et-Futuna.
Mme Colombe Brossel. - Le groupe SER votera évidemment ce projet de loi, dont la nécessité a été démontrée par nos collègues, chacun à sa façon, mais il n'est pas sûr que toutes les difficultés soient ainsi réglées. Nous avons tous à coeur d'améliorer la situation des personnels, mais aussi l'enseignement apporté aux élèves et la cohésion sociale de la communauté éducative. Tout reste à faire pour le Gouvernement ! Nous aurions intérêt à aborder tous ces sujets pour que la situation s'apaise et que l'école de la République aille vers la normalité à Wallis-et-Futuna, faute de quoi nous irons au-devant d'autres difficultés, et notre travail aura été inutile.
Mme Annick Billon. - Je remercie notre rapporteure pour son travail, ainsi que notre collègue élu de Wallis-et-Futuna pour son explication de la situation de l'école sur ce territoire ; c'est bien l'héritage historique qui explique la spécificité de l'organisation et notamment le fait que l'enseignement primaire soit exclusivement privé et catholique.
L'échéance du 5 juin nous oblige à légiférer dans l'urgence ; c'est regrettable, mais s'explique sans doute par la succession de cinq ministres de l'éducation nationale en un an, ce qui empêche toute stratégie de long terme. Je déplore l'injustice que subissent les enseignants de Wallis-et-Futuna, qui ne bénéficient pas des mêmes droits que leurs collègues d'autres territoires, notamment en matière de congé maternité ou paternité. Ce texte permet en partie de réparer cette injustice, mais il en appellera d'autres.
Le groupe UC suivra la position de la rapporteure ; il doit y avoir consensus sur ce texte au Sénat comme parmi les acteurs locaux. Nous défendons souvent la différenciation entre territoires dans l'élaboration des politiques publiques, mais cet argument ne vaut pas pour l'école, qui fait face à des enjeux majeurs de transmission des savoirs et doit être protégée. La laïcité aussi interroge, mais ce n'est pas l'angle de ce projet de loi. L'important est l'unité de décision, pour des politiques fortes et adaptées ; c'est bien ce qui nous est proposé ici.
M. Pierre Ouzoulias. - Je salue à mon tour la qualité du travail de notre rapporteure et voudrais, en préambule, envoyer un message de fraternité à notre collègue Mikaele Kulimoetoke, qui a su exprimer avec clarté et dignité la situation très particulière de Wallis-et-Futuna, sans cacher les incohérences qui se font jour aujourd'hui. Je l'en remercie très sincèrement, ainsi que de m'avoir fait découvrir à cette occasion la civilisation Lapita et la grande spiritualité des peuples océaniens.
Ce texte demande à un sénateur communiste de s'exprimer sur un territoire où il y a trois royaumes et où l'éducation est aujourd'hui encore assurée par l'Église... je m'efforcerai d'être modéré, mais comprenez que je ressente quelques crispations !
Oui, il faut assumer le poids de l'histoire et traiter dignement des personnels qui, dans une situation de vide juridique absolu, ont assuré une mission d'enseignement dont nous n'avons pas à juger. Cette dignité doit évidemment s'étendre aux dix enseignants que le ministère entendait traiter d'une manière inéquitable, dans une volonté d'économie absolument misérable ! Il faut que ces personnes profitent pleinement des dispositions proposées ici.
Mikaele Kulimoetoke a bien rappelé que la loi de 1961 définissait clairement l'enseignement comme une responsabilité de l'État. Celui-ci l'avait déléguée ; aujourd'hui, il la reprend, ce qui exige de réorganiser un service public de l'enseignement, dans des conditions conformes au droit. La première exigence est le respect des droits et des obligations des fonctionnaires ; vous connaissez sur ce point l'attachement du groupe CRCE-K à la loi Le Pors du 13 juillet 1983. Il faudra donc garantir le droit à la neutralité des agents de l'éducation nationale : on ne saurait les obliger à assurer un enseignement religieux qui serait contraire à leur conscience. Nous y serons attentifs et le ferons savoir à la ministre en séance. Il ne faudrait pas que le Gouvernement nous soumette à l'avenir, pour Wallis-et-Futuna, des dispositions dérogatoires à certains principes qui suscitent déjà des discussions très intenses en France. Je crains que ces dérogations n'en justifient ensuite d'autres, en Corse ou sur d'autres territoires.
Enfin, je veux rappeler le nom polynésien de Wallis, Uvea, homophone d'Ouvéa en Nouvelle-Calédonie, dont les habitants sont originaires de Wallis. Cela évoque toute l'ampleur et la complexité de la civilisation polynésienne, que notre pensée métropolitaine a tant de mal à assimiler, mais à laquelle je voudrais ici rendre hommage.
Mme Monique de Marco. - Je tiens à remercier notre rapporteure, mais aussi notre collègue Mikaele Kulimoetoke, qui avait alerté le Gouvernement sur cette situation. Il me semblait à l'origine que l'objet de ce projet de loi était simple et évident, l'intégration de 135 maîtres d'école dans la fonction publique, mais j'ai découvert au fil des auditions toute la complexité de la situation. Rappelons que les 24 heures de cours hebdomadaires comprennent un enseignement religieux, et que les enseignants doivent être bilingues pour passer au quotidien dans leur salle de classe, notamment pour la maternelle, du français aux langues vernaculaires parlées par leurs élèves. Nous nous réjouissons de la présentation d'un texte pour régler au moins une partie du problème, même si nous regrettons, par principe, le recours du Gouvernement à une ordonnance, qui nous dessaisit quelque peu du sujet. De nombreuses questions resteront toutefois en suspens, notamment le devenir du personnel non enseignant. Nous voterons ce texte, ainsi que l'amendement de Mme la rapporteure.
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. - Je vous remercie de la confiance que vous me témoignez.
Si le sujet de la laïcité a été régulièrement abordé au cours des auditions, je n'en ai pas fait mention dans mon intervention, car je savais qu'il y aurait débat sur ce point et souhaitais qu'il ait lieu en séance publique. Je veux toutefois vous exposer quelques éléments qui, je l'espère, vous rassureront sur ce sujet très sensible. Certains aménagements se mettent progressivement en place sur le terrain, chapeautés par le vice-rectorat, en lien avec l'Église, le préfet, les enseignants et leurs représentants syndicaux. Dans les échanges que j'ai eus avec le ministère de l'éducation nationale, j'ai beaucoup insisté sur la nécessité de garantir les droits comme les obligations de ces nouveaux fonctionnaires intégrés au corps de professeurs des écoles. Ils doivent mesurer la liberté pédagogique dont ils pourront jouir, dans le respect de la neutralité. J'ai pu être rassurée sur ces sujets, mais il faut rester attentif et accompagner cette évolution.
Ce projet de loi est un premier pas, nécessaire, qui empêche tout retour en arrière et nous engage vers la pleine mise en oeuvre de l'école publique, de l'école de la République, à Wallis-et-Futuna.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Mikaele Kulimoetoke. - Mon amendement COM-1 vise à réécrire l'article 1er, pour les raisons que je vais vous exposer.
À l'issue d'un conflit social qui a duré deux mois et demi, de mai à juillet 2023, et en réponse à ma question au Gouvernement du 7 juin 2023, le ministre Pap Ndiaye s'était engagé à permettre aux enseignants de Wallis-et-Futuna d'accéder au statut d'agent public de l'État. Une mission interministérielle a rendu, en mars 2024, ses recommandations, autour desquelles les groupes de travail composés de toutes les autorités du territoire de Wallis-et-Futuna se sont concertés, pour parvenir à un consensus en faveur de l'intégration à la fonction publique d'État des personnels enseignants et non enseignants du premier degré.
Ayant pris part aux différentes négociations, je relève les insuffisances flagrantes du présent projet de loi, qui sont susceptibles de provoquer d'autres mouvements sociaux et une incompréhension totale des autorités locales si l'État décidait de passer en force en s'en tenant à des dispositions minimalistes. Selon le ministère de l'éducation nationale, le projet d'ordonnance se baserait uniquement sur les termes du protocole de fin de conflit signé le 20 juillet 2023. C'est un tort, car ce protocole résulte d'une action d'intimidation du préfet, qui a refusé d'en signer les annexes. Tout n'est donc pas écrit.
On avait alors acté, en vain, une mise en oeuvre des engagements de l'État pour la rentrée scolaire de février 2025. C'est pourquoi la principale organisation syndicale, Force ouvrière, a déposé un nouveau préavis de grève le 1er avril 2025 effectif depuis le 5 mai. Il a depuis lors été suspendu, dans l'attente des négociations en cours à Paris.
Il me paraît par conséquent opportun de rédiger l'article 1er du projet de loi de manière à en faire bénéficier les personnels non enseignants, c'est-à-dire administratifs, techniques et de cuisine, les surveillants et les assistantes maternelles, ainsi que d'y préciser la date de prise d'effet des mesures envisagées, au 1er janvier 2025. Il convient également de préciser que les reclassements se feront conformément à la réglementation en vigueur et de garantir le maintien des droits acquis spécifiques à Wallis-et-Futuna, comme le maintien de l'indexation en cas d'évacuation sanitaire de l'agent ou en cas de congé d'accompagnement. Enfin, nous devrions préciser que ces personnels du premier degré seraient administrés dans le cadre d'une circonscription scolaire propre au territoire.
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. - Je comprends bien, à la suite des auditions que j'ai menées, la position de notre collègue Mikaele Kulimoetoke. Il est impératif que l'État n'oublie pas les personnels non enseignants. L'arrêté 76, qui définit le statut qu'ils vont se voir appliquer, est obsolète et risque de susciter de nouveaux conflits.
Toutefois, la Constitution, à son article 38, interdit au Parlement de se dessaisir de sa compétence législative. Dès lors, aux termes de l'article 44 bis, alinéa 3 bis de notre Règlement, cet amendement, comme tout amendement parlementaire qui prévoit une habilitation à légiférer par ordonnance ou élargit le périmètre d'une habilitation demandée par le Gouvernement est irrecevable.
M. Max Brisson. - Je comprends parfaitement l'argument de notre rapporteure quant à l'irrecevabilité de cet amendement, mais il faudra bien régler les problèmes soulevés par notre collègue. Nous l'évoquerons en séance avec la ministre. Il serait également pertinent de créer une circonscription scolaire pour le territoire, dotée d'un inspecteur de l'éducation nationale (IEN). Le dispositif proposé par notre collègue comporte donc de bonnes idées, même si je comprends son irrecevabilité.
M. Laurent Lafon, président. - Je suggère à notre collègue Mikaele Kulimoetoke d'interpeller le Gouvernement sur ce sujet lors de son intervention dans la discussion générale du texte en séance publique, plutôt qu'en redéposant cet amendement en vue de la séance, qui serait également déclaré irrecevable.
L'amendement COM-1 est déclaré irrecevable en application de l'article 44 bis du Règlement du Sénat.
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. - Mon amendement COM-2 vise à préciser le périmètre de l'habilitation. Comme nous avons pu le comprendre lors de nos échanges avec le ministère, il convient de sécuriser les choses pour ne pas exclure les 10 enseignants qui ne sont pas titulaires du baccalauréat, mais n'en sont pas moins actuellement en fonctions devant leurs classes. Je propose donc d'expliciter la rédaction en insérant les mots : « quel que soit leur niveau de diplôme ».
L'amendement COM-2 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 2
L'article 2 est adopté sans modification.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La réunion est close à 12 h 25.