Mardi 13 mai 2025

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 05.

Projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte - Examen du rapport pour avis

Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis. - Mes chers collègues, pour la seconde fois, et exactement six mois après le passage du cyclone Chido, je suis devant vous pour présenter un rapport sur un projet de loi relatif à Mayotte.

Alors que je m'y étais rendue seule en janvier dernier, je tiens à souligner l'importance et l'utilité du déplacement à Mayotte d'une délégation de notre commission conduite par sa présidente, la semaine dernière, en amont de l'examen de ce projet de loi. Cela nous a permis, avec Patrick Chaize, Daniel Fargeot, Viviane Artigalas et Antoinette Guhl, de balayer un large panel de sujets cruciaux pour l'archipel, allant de l'agriculture au logement, en passant par l'énergie. Plus encore, ce déplacement nous a permis d'être à l'écoute des élus locaux et des acteurs du terrain. Je tiens à remercier mes collègues présents lors du déplacement pour leur engagement et en particulier notre présidente, sans qui ce déplacement n'aurait pu se concrétiser.

Contrairement à l'examen du texte d'urgence examiné en janvier dernier, notre commission n'est ici saisie au fond que de trois articles, par délégation de la commission des lois : les articles 10, 23 et 24.

L'article 10 vise à faciliter la lutte contre l'habitat informel, un phénomène que j'ai déjà qualifié à de nombreuses reprises de fléau structurel pour Mayotte. Malheureusement, il est en expansion, dans un contexte migratoire sans comparaison avec l'Hexagone et les autres territoires ultramarins. Avec près de 22 000 habitations de fortune abritant environ 100 000 personnes avant le cyclone Chido, cet habitat illégal est non seulement un facteur d'insalubrité et de vulnérabilité sanitaire, en raison de l'absence d'assainissement et de la prévalence d'épidémies, mais aussi un risque majeur en matière de sécurité publique et d'exposition aux catastrophes naturelles. Ces constructions, souvent sans fondations, sur des terrains non constructibles ont été massivement détruites par Chido...et presque intégralement reconstruites depuis.

Je tiens à rappeler que l'article 5 de la loi d'urgence pour Mayotte habilite le Gouvernement à adapter, par voie d'ordonnance, les mesures de lutte contre l'habitat informel à Mayotte. Il n'en a pour l'instant pas fait usage. Certes, nous avions circonscrit la durée des mesures prises par ordonnance à deux ans, mais l'usage de cette faculté ou, comme nous l'avions suggéré et regretté, la prise de dispositions dès le projet de loi d'urgence, aurait sans doute permis de commencer à endiguer la reconstitution de l'habitat informel.

Les outils de résorption des bidonvilles actuels sont très insuffisants face à ce phénomène endémique. Bien que les opérations aient augmenté récemment, elles restent extrêmement limitées : 19 opérations d'évacuation ont été menées en 2023 et 2024 concernant 629 ménages, soit environ 3 000 personnes. Il n'y a qu'à comparer ces chiffres avec celui de 100 000 personnes résidant dans les bidonvilles avant le passage de Chido pour se rendre compte de l'insuffisance notoire des moyens de l'État face à ce phénomène : c'est « vider un océan à la petite cuillère ! »

À cela s'ajoute un dramatique déficit structurel d'hébergements et de logements. Il rend matériellement impossible pour le préfet de proposer un relogement ou un hébergement aux personnes à évacuer : le parc d'hébergement ne compte que 1 241 places ! Il est en suroccupation chronique, à 130 %. Pire, selon les services, dès qu'un arrêté d'évacuation est pris, des places d'hébergement sont « réservées » alors que l'opération n'est souvent réalisée que des semaines après. Cela engendre un phénomène indésirable de vacance de places d'hébergements. Vu la situation, c'est insensé.

L'article 10 prévoit donc plusieurs mesures de facilitation des opérations de résorption des bidonvilles : la réduction du délai d'exécution volontaire de l'ordre d'évacuation d'un mois à quinze jours ; la levée de l'obligation préalable, pour le préfet, de proposer un relogement ou un hébergement d'urgence ; l'élargissement, au-delà des officiers de police judiciaire (OPJ), de la liste des agents pouvant constater l'installation sans droit ni titre en vue d'une opération de « flagrance ». Cela permettra de pallier les moyens insuffisants des services sur place qui peinent à recruter des profils spécialisés.

Je considère ces mesures nécessaires, mais je propose deux ajustements essentiels. Le premier vise à tirer les conséquences de l'avis du Conseil d'État, dont le Gouvernement n'a pas tenu compte. Pourtant, le Conseil d'État a clairement indiqué que la suppression pérenne et systématique de l'obligation de relogement n'était pas conforme à la jurisprudence constitutionnelle. Si nous ne sommes pas là pour réparer les erreurs du Gouvernement, il me semble indispensable de ne pas laisser les élus locaux livrés à eux-mêmes face à un risque de censure du Conseil constitutionnel de cet article : cela signifierait le retour au droit actuel, alors que tous les élus de Mayotte nous enjoignent de lutter davantage contre ce fléau.

Je vous propose donc un amendement visant à tenir compte des remarques du Conseil d'État, dans le but de sécuriser autant que possible la mesure.

Par équilibre, je vous propose un second ajustement, qui va lui dans le sens d'une accélération des mesures de résorption de l'habitat informel. Il s'agit d'éviter que l'exercice d'un recours ne suspende pendant trop longtemps les délais d'exécution d'office de l'ordre d'évacuation, tout en laissant aux intéressés une voie de recours effective grâce au référé-liberté.

À l'aune de mes différents déplacements à Mayotte et de mes échanges avec les acteurs de terrain, ma conclusion est que, malgré ces avancées, seule une approche systémique permettra de lutter contre les bidonvilles. Au-delà d'agir sur les outils de résorption, il nous faut renforcer les effectifs de sécurité sur l'archipel, car l'habitat informel est accentué par l'immigration illégale et peut être à l'origine de graves troubles à l'ordre public. Il nous faut mettre en oeuvre une politique migratoire plus ferme afin de répondre aux arrivées quotidiennes massives, et accentuer les sanctions contre les organisations qui profitent financièrement de cette détresse humaine, qu'il s'agisse des réseaux de passeurs ou des marchands de sommeil.

Il faut aussi intensifier nos efforts en faveur de la construction de logements à Mayotte. Ces efforts sont freinés par les poches d'habitat informel qui limitent les politiques foncières. L'objectif du Gouvernement de construire 24 000 logements en dix ans ne pourra être réalisé sans lever les freins à la construction que notre commission a largement mis en évidence lors de l'examen du projet de loi d'urgence pour Mayotte : accès au foncier, coût et disponibilité des matériaux, capacités d'ingénierie des acteurs, prise en compte des caractéristiques sismiques et naturelles, etc. - ils sont immenses. En l'absence d'approche globale, nous ne faisons que poser un pansement sur une jambe de bois.

J'en viens maintenant à l'article 23, qui vise à classer tout Mayotte en quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV), de manière temporaire. J'ai accueilli cette mesure avec prudence, pour plusieurs raisons. Néanmoins, il me semble qu'elle se justifie au regard du caractère dramatique de la situation économique et sociale à Mayotte.

Premièrement, la géographie prioritaire de la politique de la ville a fait l'objet d'une révision en décembre 2024. Elle a porté le nombre de QPV à Mayotte à quarante-deux, pour quinze communes concernées sur les dix-sept communes de Mayotte. Cela fait de Mayotte, département le plus pauvre de France, le département le plus concerné par la politique de la ville. Or, vous le savez, la politique de la ville est fondée sur un principe de ciblage : on peut légitimement s'interroger sur le sens de classer l'intégralité d'un territoire d'une population de près de 300 000 personnes en QPV.

Néanmoins, cette révision a été entamée avant le passage du cyclone Chido et de la tempête Dikeledi : les critères de délimitation des QPV n'ont pas pris en compte leurs conséquences dramatiques sur les infrastructures, l'habitat et a fortiori l'activité économique et les populations à Mayotte. Je rappelle que seulement 16 % de l'habitat n'a pas été endommagé. Le sud de Grande-Terre, qui n'est actuellement pas classé en QPV, a été particulièrement touché par les inondations liées au passage de la tempête Dikeledi. Au regard de cette situation, il me semble légitime de réintroduire les communes sortantes de Bouéni et de Kani-Kéli dans la géographie prioritaire de la ville.

Deuxièmement, cette mesure aura probablement un effet limité sur le développement de Mayotte. Les trois quarts de la population de Mayotte sont déjà situés dans un QPV ! Certes, l'extension des dispositifs fiscaux adossés au zonage QPV, comme l'exonération de cotisation foncière des entreprises (CFE) ou de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), est bienvenue, mais l'essentiel du soutien à l'activité économique de Mayotte est porté par l'article 22, qui adapte à Mayotte la zone franche d'activité nouvelle génération (Zfang).

Troisièmement, j'ai insisté auprès des services et du Gouvernement sur la nécessité de veiller aux éventuels effets de bord du dispositif sur le logement social compte tenu d'impératifs de mixité sociale, qui limitent les agréments en faveur du logement social dans les QPV. Ils sont justifiés dans l'Hexagone, mais le sont beaucoup moins à Mayotte. Ce sujet ne relève pas du niveau législatif, mais est important pour notre commission : j'appellerai donc à nouveau le ministre à la vigilance sur le sujet en séance publique. Il faut que les administrations prévoient les dérogations nécessaires au niveau réglementaire.

Quatrièmement, j'insiste sur le pilotage des contrats de ville : c'est sur eux que repose le succès de la politique de la ville. La loi de finances pour 2025 a autorisé la mobilisation des crédits dédiés à la politique de la ville dans l'attente de la signature des contrats de ville, uniquement pour cette année. Il est donc indispensable que les contrats de ville des dix-sept communes de Mayotte soient signés d'ici au 31 décembre prochain.

Je vous propose d'adopter cet article modifié par un unique amendement de portée principalement rédactionnelle.

J'en viens à l'article 24. Cette disposition vise à permettre à la chambre de l'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture de Mayotte (Capam) de déléguer, dans des conditions définies par décret, ses compétences en matière de pêche et de conchyliculture. Cette délégation se ferait au profit d'une association préfiguratrice d'un comité régional des pêches maritimes et des élevages marins.

Il ressort de mes auditions, de même que des échanges que nous avons eus dans le cadre du déplacement à Mayotte, qu'il s'agit d'une mesure consensuelle, attendue tant par les pêcheurs que par les agriculteurs.

En effet, en raison d'une insuffisante structuration de la filière pêche - la filière conchylicole n'existe, quant à elle, pratiquement pas - Mayotte ne dispose pas, comme les autres départements et régions d'outre-mer (Drom), d'un comité régional des pêches maritimes et des élevages marins capable de représenter les intérêts des pêcheurs.

Les compétences de la chambre d'agriculture ont donc été aménagées pour permettre d'y accueillir un collège de pêcheurs, qui demeure, logiquement, minoritaire.

Cette situation ne satisfait ni la Capam, dont la vocation et le coeur de métier demeurent agricoles, ni les pêcheurs, à juste titre demandeurs d'une instance dédiée.

La mise en place sans délai d'un comité régional des pêches apparaissant hors de portée d'une filière dont la structuration reste largement à organiser, l'option privilégiée tant par les acteurs locaux que les pouvoirs publics est celle de la mise en place, dans un premier temps, d'une association préfiguratrice.

Dans un second temps, à l'horizon de 2027, l'objectif est bien de créer un comité des pêches au service de la filière.

Je soutiens naturellement cette méthode pragmatique tenant compte de la réalité du terrain. Je souligne cependant que la mise en place de cette association, puis du comité, nécessitera un engagement fort de l'ensemble des acteurs, ainsi qu'un soutien constant des pouvoirs publics.

En effet, si l'article 24 permet à la Capam de transférer en bloc les compétences pêches et conchyliculture, je note que des possibilités de délégations existaient déjà, et n'ont pas été exploitées, témoignant une fois encore de la difficile structuration d'une filière marquée par le poids des normes et de l'activité informelle.

Enfin, je note que, si la mise en place d'un comité des pêches aboutit bel et bien, se posera alors la question de la réforme de la Capam, pour que celle-ci devienne une chambre d'agriculture de droit commun, ce à quoi elle aspire.

Je vous propose donc d'adopter cet article conforme.

Il me revient maintenant de vous faire lecture du périmètre retenu pour apprécier la recevabilité des amendements au titre de l'article 45 de la Constitution, pour les articles 10, 23 et 24 du texte dont l'examen a été délégué à la commission des affaires économiques. Sont susceptibles de représenter un lien, même indirect, avec le texte retenu, les dispositions portant adaptation à Mayotte des règles relatives à la lutte contre l'habitat informel, à la mise en oeuvre de la politique de la ville et aux compétences de la Capam.

Il en est ainsi décidé.

Mme Viviane Artigalas. - Merci au rapporteur pour ce travail et pour l'organisation du déplacement à Mayotte, qui nous permet d'affiner le regard que nous portons sur ce projet de loi.

Nous avons un désaccord sur l'article 10 et suggérons de maintenir l'obligation de proposer une solution de relogement. Concernant l'article 23, les financements de la politique de la ville ne sont pas toujours à la hauteur des besoins, alors que ceux-ci sont encore plus grands à Mayotte.

Je m'inquiète, enfin, de l'avenir de la filière pêche à Mayotte, car les difficultés ne résident pas uniquement dans le financement, mais aussi dans un manque de structuration : il faudrait que des personnes dotées d'une véritable expertise jouent un rôle moteur en matière de respect des normes et des règlements, ainsi que pour protéger certaines zones de pêche.

Mme Antoinette Guhl. - Notre groupe vous remercie pour ce déplacement, qui nous a permis de mieux comprendre la situation de Mayotte en rencontrant aussi bien les pêcheurs et les entrepreneurs que les habitants des bidonvilles, ce qui nous permet de porter un autre regard sur le projet de loi.

Nous avons également déposé un amendement de suppression de l'article 10, dont les dispositions soulèvent des enjeux de constitutionnalité et ne nous paraissent pas de nature à régler le problème de l'habitat informel.

Concernant le zonage en QPV, nous ne pouvons qu'y être favorables afin de faciliter les constructions, mais encore faudra-t-il voir comment cela se traduira effectivement dans le budget.

Enfin, je partage l'inquiétude de Viviane Artigalas au sujet de l'avenir de la filière pêche, encore plus démunie après le passage du cyclone Chido qu'elle ne l'était déjà. Une structure préfiguratrice d'un comité des pêches pourrait amorcer une structuration qui prendra du temps, mais qui est indispensable compte tenu des enjeux, dont celui de la préservation de la biodiversité marine.

M. Daniel Fargeot. - Ce déplacement a en effet été enrichissant pour nous tous. La situation dans l'archipel reste très tendue.

Je suis favorable aux propositions du rapporteur et j'espère que nous pourrons apporter le meilleur à l'archipel. J'ai été marqué par l'accueil de la population, malgré la très grande précarité, lorsque nous nous sommes déplacés dans un bidonville.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Les visites variées que nous avons pu effectuer éclairent les travaux de notre commission, l'archipel ayant d'ailleurs reçu la visite de nombreuses délégations ministérielles et parlementaires. Des acteurs économiques s'y sont également rendus et Arnaud Rousseau, le président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), se trouvait à Mayotte en même temps que nous.

Je souligne que nous avons été pratiquement la seule délégation à avoir demandé à visiter un bidonville. Trois heures durant, nous avons pu constater le dénuement total des familles vivant sur place, nous permettant de nous rendre compte de l'importance de ce problème.

Nous avons également tenu à rencontrer les pêcheurs, profession très en colère. Ils sont favorables à la structuration de la filière par le biais d'un comité des pêches, afin de pouvoir avancer sur ce dossier avec leurs représentants.

Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis. - Je vous remercie d'avoir participé à ce déplacement, les territoires ultramarins étant souvent vus sous l'angle de clichés positifs ou négatifs : sans se rendre sur place et sans échanger avec la population, on peine à imaginer la difficulté des situations et le décalage existant avec la métropole.

Nous avons un désaccord sur l'article 10 : selon moi, il n'est pas envisageable, dans la France de 2025, de laisser perdurer des conditions de vie aussi précaires et indignes que celles qui existent dans les bidonvilles à Mayotte.

J'ajoute que l'île compte 300 000 habitants pour 379 kilomètres carrés, ce qui soulève la question de la souveraineté alimentaire. Des choix doivent être effectués dans un contexte où il est question de lutter contre l'artificialisation des sols, puisqu'il faut arbitrer entre l'usage agricole des terrains et la nécessité criante de construire des logements.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 10 (délégué)

Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis. - Je ne suis pas favorable à l'amendement de suppression COM-50, car la lutte contre l'habitat informel passe par une approche globale. De surcroît, le renforcement des pouvoirs de police administrative en matière d'évacuation et de démolition répond à une demande forte des élus locaux et des acteurs de terrain. Il serait dommageable de supprimer cet article qui vise à leur donner davantage de moyens, notamment en autorisant un plus grand nombre d'agents à constater l'édification des locaux et en accélérant les évacuations par la réduction des délais d'exécution.

En ce qui concerne la levée de l'obligation de relogement, je vous proposerai un amendement.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-50.

Mme Viviane Artigalas. - L'amendement COM-20 vise à supprimer les alinéas concernant la levée de l'obligation de relogement. S'il n'est pas adopté, nous voterons contre l'article 10.

Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-70 que je vous propose d'adopter vise à traduire les éléments présents dans l'avis du Conseil d'État concernant la conformité constitutionnelle de l'article 10. Comme je l'ai déjà dit, nous ne pouvons pas rester les bras croisés face à un risque de censure constitutionnelle de cet article alors que les élus de Mayotte comptent sur nous pour renforcer la lutte contre l'habitat informel.

Je propose donc, conformément à ce qu'a indiqué le Conseil d'État, de donner à l'absence possible de proposition de relogement ou d'hébergement d'urgence « un caractère d'exception », « fondé sur le constat d'une impossibilité matérielle pour l'État de satisfaire à cette obligation », « compte tenu de circonstances spécifiques » et « pour une durée limitée ». Le préfet ne pourra donc déroger à l'obligation de proposer un relogement ou un hébergement d'urgence qu'après l'avoir justifié au regard de l'état du parc à Mayotte.

Je propose aussi de faire référence à une durée de dix ans à compter de la survenance du cyclone Chido : cette période, qui peut paraître longue, est nécessaire face à l'ampleur et le caractère dramatique de la situation. Dix ans, cela correspond à deux plans quinquennaux en faveur du logement. Je me fonde également sur mon vécu : sept ans après l'ouragan Irma, force est de constater que tout n'est pas encore entièrement reconstruit à Saint-Martin, alors même que la situation économique et sociale y était plus favorable qu'à Mayotte.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-20.

L'amendement COM-70 est adopté, de même que l'amendement de précision rédactionnelle COM-68.

Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-69 vise à encadrer l'exercice du recours juridictionnel suspensif dirigé contre un arrêté d'évacuation et de démolition d'habitations informelles.

Actuellement, l'évacuation et la démolition des bidonvilles ne peuvent faire l'objet d'une exécution d'office qu'à l'issue d'un délai d'exécution volontaire d'un mois. Le Gouvernement entend réduire ce délai à quinze jours par le biais du présent article, afin d'accélérer la mise en oeuvre des opérations de résorption de l'habitat informel.

Je souscris à cette mesure : elle permet de répondre au sentiment d'attentisme - voire d'inaction - que ressentent beaucoup d'élus et de Mahorais face au délai qui peut s'écouler entre la prise d'un arrêté et la réalisation de l'évacuation. Dans l'intervalle, de nouvelles installations sont parfois constatées.

Néanmoins, afin que cet objectif d'accélération soit atteint, je propose de prévoir que seul le référé-liberté suspende les délais d'exécution d'office : en effet, dans le cadre du référé-liberté, le juge statue dans un délai de quarante-huit heures, alors que ce délai peut aller jusqu'à trente jours dans le cas d'un référé-suspension.

Cette mesure permettra de renforcer l'effectivité des opérations de résorption, sans pour autant priver les personnes concernées d'une voie de recours effective. En effet, le référé-liberté permet d'obtenir du juge, sous quarante-huit heures, des mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale - en l'occurrence le droit au respect de la vie privée et familiale. Les personnes intéressées sont donc bien plus susceptibles d'exercer un référé-liberté qu'un autre type de référé.

L'amendement COM-69 est adopté.

La commission propose à la commission des lois d'adopter l'article 10 ainsi modifié.

Article 23 (délégué)

Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-71 vise à préciser la date d'échéance du classement des communes de Mayotte en QPV. Dans la version actuelle du texte, les dix-sept communes de Mayotte sont classées QPV « jusqu'à la prochaine actualisation des contrats de ville ». Or cette date est prévue par décret.

Par cohérence avec l'actualisation de la liste des QPV, qui est, quant à elle, prévue dans la loi et qui interviendra au plus tard le 1er janvier 2030, il me semble important de fixer l'échéance de cette mesure dérogatoire au 1er janvier 2030 et de ne pas la renvoyer au décret.

L'amendement COM-71 est adopté.

La commission propose à la commission des lois d'adopter l'article 23 ainsi modifié.

Article 24 (délégué)

La commission propose à la commission des lois d'adopter l'article 24 sans modification.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Article 10

Auteur

Objet

Avis de la commission

Mme GUHL

COM-50

Suppression de l'article. 

Défavorable

Mme ARTIGALAS

COM-20

Suppression des alinéas concernant l'évacuation des bidonvilles en raison de risques graves pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques.

Défavorable

Mme JACQUES, rapporteur pour avis

COM-68

Précision rédactionnelle.

Favorable

Mme JACQUES, rapporteur pour avis

COM-70

Prise en compte des circonstances locales dans l'assouplissement de l'obligation de proposer un relogement ou un hébergement lors de l'évacuation d'un bidonville.

Favorable

Mme JACQUES, rapporteur pour avis

COM-69

Encadrement du caractère suspensif du recours contre un arrêté d'évacuation ou de démolition afin d'accélérer la mise en oeuvre des opérations de résorption des bidonvilles.

Favorable

Article 23

Mme JACQUES, rapporteur pour avis

COM-71

Précision quant à la date d'échéance du classement des communes de Mayotte en QPV.

Favorable

Audition de M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui devant notre commission M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, pour évoquer avec lui sa feuille de route en matière de recherche, de technologie et d'innovation, qui sont des éléments essentiels pour la croissance et la compétitivité de notre économie.

En premier lieu, monsieur le ministre, nous souhaiterions vous entendre sur votre vision globale des performances de la France en matière de recherche et d'innovation. Permettez-moi à cet égard de rappeler quelques données. L'effort de recherche français, c'est-à-dire la dépense intérieure de recherche et développement (DIRD) rapportée au PIB, s'élève à 2,2 %, un chiffre qui reste nettement en deçà de l'objectif de 3 % fixé par l'Union européenne dans le cadre de la stratégie « Horizon Europe », et très inférieur à l'effort consenti par des pays tels que la Corée du Sud, Israël ou les États-Unis.

La France est le neuvième pays participant le plus à des publications scientifiques avec une part de 2,4 % des publications mondiales et elle est au sixième rang mondial en matière de brevets avec 3,4 % des demandes de brevets déposées dans le monde, derrière la Chine, les États-Unis, le Japon ou bien l'Allemagne. Pensez-vous, monsieur le ministre, qu'il soit possible de faire mieux dans les années à venir ? Comment améliorer la place de la France dans la compétition mondiale pour la recherche et l'innovation ?

En ce qui concerne la recherche publique, le budget 2025, adopté dans les conditions très difficiles que chacun connaît, a été globalement protecteur pour cette politique nationale prioritaire, dont le caractère stratégique a été réaffirmé par la loi de programmation de la recherche (LPR) du 24 décembre 2020. Alors que vous avez annoncé que vous alliez activer la clause de revoyure de cette LPR, nous souhaiterions savoir comment vous allez travailler dans les mois à venir pour préserver une dynamique de réinvestissement dans la recherche publique - en dépit du contexte budgétaire que nous connaissons - et quels seront les grands secteurs que vous entendez financer en priorité, dans le cadre de la mission budgétaire de votre ministère ou de celui du plan France 2030.

S'agissant de la recherche privée, nous voudrions connaître vos pistes afin d'améliorer l'efficience du soutien public. En effet, alors que la France est l'un des pays qui apporte le plus fort soutien à la recherche et développement (R&D) des entreprises, notamment via le crédit d'impôt recherche (CIR), dont le montant devrait représenter 7,5 milliards d'euros en 2025, la dépense de R&D des entreprises demeure insuffisante en comparaison des dépenses privées dans les autres pays industrialisés.

Comment accroître les dépenses de R&D des entreprises tout en dimensionnant mieux nos dispositifs de soutiens publics à la recherche et à l'innovation ? Comment faire évoluer le CIR de sorte qu'il profite davantage aux TPE-PME et éviter les effets d'aubaine dont bénéficient certains grands groupes ?

Vos attributions portent également sur plusieurs domaines stratégiques pour notre économie. J'en évoquerai deux particulièrement décisifs : l'espace et l'intelligence artificielle (IA).

Vous connaissez bien le domaine spatial puisque vous étiez jusqu'en décembre dernier président-directeur général du Centre national d'études spatiales (Cnes). Quelles sont les priorités que vous portez au nom de votre ministère dans le cadre de l'élaboration de la politique spatiale française à l'horizon 2040, qui devrait aboutir d'ici le mois prochain ? Êtes-vous préoccupé par la possible remise en question par les États-Unis de programmes de recherche communs menés avec la Nasa, essentiels notamment pour comprendre le réchauffement climatique et ses conséquences ? Comment réagir et sur quels partenaires s'appuyer pour conserver la même ambition en matière de recherche spatiale ?

Dans le domaine de l'IA, notre pays a accueilli un sommet mondial au mois de février dernier et connaît une dynamique très positive, avec plus de 1 000 start-up et une place de troisième pays au monde en nombre de chercheurs spécialisés en IA. Beaucoup a été fait ces dernières années dans le cadre de la stratégie nationale de l'IA et du plan d'investissement France 2030, avec quelque 2,5 milliards d'euros de fonds publics qui ont notamment permis la construction du supercalculateur Jean Zay, ou bien encore la création de centaines de chaires de recherche et de programmes doctoraux.

Nous voudrions savoir comment vous comptez capitaliser sur ces premiers acquis afin, notamment, de renforcer les maillons critiques de la chaîne de valeur de l'IA en France, et surtout de former et d'attirer les talents de l'IA dans notre pays.

Voilà, monsieur le ministre, quelques sujets que je soumets à votre sagacité. Les membres de la commission ne manqueront pas de les compléter à la suite de votre intervention liminaire. Je rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et est diffusée en direct sur le site du Sénat.

M. Philippe Baptiste, ministre auprès de la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche - Madame la présidente, je vous remercie très chaleureusement pour votre invitation. Je me présente souvent comme le ministre de la recherche et de l'enseignement supérieur, tant le sujet de la recherche est crucial à mes yeux, car il engage l'avenir de notre pays, de son autonomie stratégique et de ses entreprises.

Vous avez mentionné l'effort de recherche qui s'établit aux alentours de 2,2 % du PIB et qui résume à lui seul une difficulté majeure pour notre pays depuis plusieurs décennies : malgré les efforts fournis, nous peinons à dépasser ce seuil, tandis que les entreprises sont très en retard et n'investissent pas suffisamment en matière de recherche et d'innovation, ce qui n'est pas sans conséquence sur les produits développés.

Nous sommes très en retard par rapport à un pays tel que la Corée du Sud, qui consacre près de 5 % de son PIB à la recherche et à l'innovation, alors qu'il s'agit, une fois encore, d'enjeux cruciaux pour notre avenir, nos emplois et notre autonomie stratégique.

La semaine dernière, à l'occasion du sommet européen Choose Europe for Science, le Président de la République a tenu les propos suivants, que je partage pleinement : « l'autonomie stratégique à laquelle nous croyons n'est pas possible sans une science libre, ouverte, sans un investissement massif et durable dans la recherche fondamentale et évidemment dans la recherche appliquée, dans la capacité, ensuite, à la transmettre du public au privé ». Cette vision est au coeur de la LPR déployée depuis 2020, même s'il reste du chemin à parcourir.

Nous nous situons à un tournant pour relever les défis liés au changement climatique, qui reste un enjeu absolument majeur pour le monde alors que nos partenaires américains stoppent leurs investissements de manière très brutale et caricaturale : si Donald Trump semble rayer le changement climatique d'un trait de plume en signant des décrets, la problématique demeure entière.

Nous devons aussi faire face à la révolution de l'IA et à des bouleversements géopolitiques, ce qui nous interdit de rester dans une posture immobiliste : nous devons réinvestir et nous réengager.

Par le biais de la recherche, nous regardons au-delà du présent et inventons de nouveaux possibles ; grâce à l'enseignement supérieur, son pendant naturel, nous formons les jeunes qui sont appelés à relever ces défis.

En préambule, je tiens à plaider en faveur d'une recherche libre : nous devons en effet favoriser une recherche guidée par la curiosité et conduite par les communautés scientifiques elles-mêmes, et non pas décidée par un ministre ou par un administrateur. Nous devons au contraire faire confiance aux scientifiques afin de produire une recherche « bottom-up » à même de sélectionner les meilleurs projets scientifiques qui seront ensuite financés.

Cette démarche relève d'un pari, car l'impact socioéconomique de ces travaux est très incertain : ils n'aboutissent très souvent qu'à une progression de la connaissance, sans impact significatif. Dans d'autres cas, ils peuvent déboucher sur des avancées majeures telles que la pénicilline ou l'utilisation des micro-ondes pour réchauffer les aliments : ces travaux n'avaient pas été programmés, mais résultaient d'une démarche basée sur la curiosité.

Parallèlement, nous devons continuer à investir dans de grands programmes, en demandant aux organismes de recherche et aux agences de prendre et d'assumer des risques. Il est donc bien question d'articuler à la fois le financement d'une recherche libre et, simultanément, d'assumer des choix d'enjeux et de thèmes verticaux, qui doivent être programmés et financés.

Ces enjeux majeurs doivent être portés par les agences et organismes de recherche déjà existants : ainsi, le sujet « climat, biodiversité et société durable » est porté par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ; le thème « agriculture, alimentation durable, forêt et ressources naturelles » par l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) ; les enjeux numériques et algorithmiques par l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) ; la santé par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ; les énergies décarbonées par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et enfin l'enjeu spatial par le Cnes.

Nous demandons à ces agences non pas de travailler pour elles-mêmes, mais pour l'ensemble de la communauté scientifique, en portant des programmes et des stratégies qui répondent à des besoins essentiels de pans entiers de notre économie et qui permettront de garantir notre autonomie stratégique.

En ce qui concerne le spatial, 2025 constitue une année charnière. La France a consenti un réel effort voilà trois ans en réinvestissant dans le spatial, portant désormais son engagement budgétaire à 3 milliards d'euros par an. Cela peut sembler important. Mais pour mémoire, les États-Unis investissent 70 milliards de dollars par an dans le spatial, tandis que l'ensemble de l'Europe en mobilise environ 15 milliards seulement. Nous accusons donc un net décrochage.

La France, sous le gouvernement d'Élisabeth Borne, a franchi une première étape avec cet engagement de 3 milliards d'euros, mais nous arrivons aujourd'hui à un moment déterminant, et ce à double titre. D'une part, en raison de la préparation de la programmation européenne, au sens de l'Union européenne, qui détermine les crédits alloués à son programme spatial. D'autre part, avec la conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne (ESA), prévue pour la fin de l'année 2025, qui constituera également un moment clé.

Au-delà des enjeux budgétaires, l'Europe se heurte à une difficulté structurelle : la fragmentation du pilotage spatial, partagé entre l'Union européenne, qui définit de grands programmes, et l'Agence spatiale européenne, avec laquelle la coordination reste difficile. Cette dispersion nuit gravement à l'efficacité de notre politique spatiale.

Par ailleurs, un autre obstacle fondamental mérite d'être mentionné : notre capacité à agir en Européens demeure entravée par des divergences stratégiques internes à l'Union. Nos principaux partenaires n'ont pas tous la même vision de l'industrie spatiale, ni les mêmes priorités, ni la même conception de la coopération. Cela complique toute initiative conjointe.

Néanmoins, l'arrivée d'un nouveau gouvernement en Allemagne peut constituer une ouverture. Il faut profiter de cette conjoncture pour reconstruire une Europe du spatial, en resserrant les liens entre la France, l'Allemagne et, si possible, l'Italie. Il serait toutefois naïf de sous-estimer les tensions existantes entre États membres et entre industriels, similaires à celles que l'on observe dans d'autres secteurs, comme l'armement. Il faut impérativement les surmonter.

Si cela s'avérait impossible, il nous faudrait assumer pleinement la mise en oeuvre de grands programmes avec d'autres puissances spatiales. Nous disposons déjà de coopérations solides, notamment avec les États-Unis, mais aussi avec le Japon, l'Inde, qui est aujourd'hui un partenaire stratégique majeur, et les Émirats arabes unis. Ces partenariats offrent des perspectives de développement qu'il convient d'approfondir.

Il s'agit donc de revitaliser la voie européenne sans pour autant s'y enfermer. Si l'Europe ne répond pas présente, il faudra se tourner vers d'autres alliés. C'est l'engagement que je prends aujourd'hui.

Un mot, enfin, sur notre relation avec les États-Unis. Nous faisons face à une difficulté sans précédent : des pans entiers de programmes scientifiques, y compris spatiaux, sont arrêtés de manière brutale. La stratégie américaine se reconfigure, parfois sans concertation. La Lune n'est plus une priorité, tandis que Mars redevient un objectif central. Des programmes tels que le Space Launch System (SLS), ce lanceur lourd destiné à la Lune, auquel nous étions associés sur plusieurs modules, sont stoppés unilatéralement.

Mais au-delà de l'exploration, le véritable enjeu réside dans l'observation de la Terre. C'est un domaine absolument crucial pour la compréhension du climat. Sans capacités d'observation, nous sommes aveugles face aux évolutions climatiques. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), par exemple, s'appuie à 60 % sur des données issues du spatial. Ces données sont indispensables à la modélisation : elles alimentent des supercalculateurs qui permettent de simuler les effets des politiques publiques sur la trajectoire des émissions de CO2 et les températures globales. Sans données précises, les modèles deviennent inopérants et les projections perdent toute crédibilité.

Or nous assistons à une mise à l'arrêt unilatérale, par les États-Unis, de plusieurs programmes d'observation de la Terre. C'est dramatique. Pour la France, ces interruptions remettent en cause des partenariats scientifiques structurants. Des cohortes entières de données risquent de disparaître. Aujourd'hui, des chercheurs téléchargent frénétiquement des téraoctets de données hébergées sur des serveurs américains, craignant qu'elles ne soient supprimées, comme si, sans données, le réchauffement climatique allait disparaître.

Je n'ai pas encore évoqué le spatial militaire, mais il me semble tout aussi fondamental. Aucun conflit moderne ne se déroule sans recours à des capacités spatiales. L'exemple ukrainien l'illustre parfaitement. Sur plusieurs sujets, nous nous retrouvons en situation de dépendance stratégique. Il devient urgent de renouveler et d'accélérer le développement de nos outils dans le domaine du spatial de défense, mais aussi dans celui des télécommunications en orbite basse. Je pense ici au projet IRIS² (Infrastructure for Resilience, Interconnectivity and Security by Satellite), un programme stratégique pour la France et l'Europe. Il reste encore quelques étapes à franchir pour parvenir à une convergence définitive.

Je terminerai en disant un mot sur la loi de programmation de la recherche (LPR). Elle prévoit un investissement total de 25 milliards d'euros. Nous n'en sommes qu'au début : seulement 6 milliards d'euros ont été engagés à ce jour. Il reste donc, entre 2025 et 2030, à investir 19 milliards d'euros supplémentaires. Ce sont des montants considérables, et il est logique, dans le contexte budgétaire actuel, qu'ils fassent l'objet de débats. Le Président de la République a réaffirmé lundi dernier l'importance de cette loi et la nécessité de respecter les marches prévues. Celles-ci correspondent à des surinvestissements annuels de l'ordre de 500 millions d'euros l'an prochain et de 600 millions l'année d'après.

C'est évidemment difficile à défendre dans le contexte général de dégradation des finances publiques. J'en discuterai avec le Premier ministre ainsi qu'avec la ministre chargée des comptes publics et le ministre de l'économie. C'est, à mes yeux, un point essentiel, car il s'agit d'un investissement dans l'avenir de notre industrie et dans celui de la connaissance : c'est tout simplement la clé de notre futur.

Quels sont les enjeux de la loi de programmation de la recherche ?

Premier enjeu : poursuivre l'effort consenti en matière de rémunération des chercheurs et des enseignants-chercheurs. Nous ne sommes pas très loin de la situation dans laquelle se trouve aujourd'hui l'enseignement scolaire du second degré, où nous avons collectivement paupérisé, au fil des décennies, le métier d'enseignant. Les métiers de chercheur et d'enseignant-chercheur sont aujourd'hui trop mal rémunérés.

Un effort significatif a été engagé au cours des quatre dernières années, les seuils minimaux ayant été considérablement relevés. Cet effort représente une part substantielle des 6 milliards d'euros mobilisés. Peu de secteurs publics peuvent se prévaloir d'un volontarisme aussi marqué. Pourtant, les rémunérations restent très inférieures à celles que perçoivent les chercheurs et enseignants-chercheurs allemands, suisses ou britanniques. Cet écart nuit gravement à notre attractivité.

Un mot sur la question du financement public et privé de la recherche. Le taux de dépense intérieure de recherche et développement s'établit à 2,2 % du PIB, alors que notre objectif est de 3 %. L'Allemagne dépasse ce seuil, tandis que nous stagnons. Il est crucial de poursuivre nos efforts, en particulier s'agissant de la contribution des entreprises. C'est là que se concentre la majeure partie de notre retard.

Le CIR constitue un levier important. S'il est piloté principalement par Bercy, notre ministère y contribue par le biais de l'expertise, de la vérification et du contrôle. Ce dispositif permet de maintenir en France des centres de recherche et développement en allégeant le coût du travail. Il n'est pas opportun de remettre en cause cette politique, au moment où le sous-investissement dans les centres de R&D est manifeste.

Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille maintenir ce crédit d'impôt dans sa configuration actuelle. Une priorisation en faveur des TPE-PME serait souhaitable, car ce sont elles qui sont probablement les plus sensibles à cette politique publique, bien plus que les grands groupes.

Nous pourrions également utiliser cet outil pour encourager la coopération entre les grandes entreprises et les laboratoires publics, par un système de bonus : plus vous coopérez, plus vous bénéficiez du crédit d'impôt recherche. Ce n'est pas suffisamment le cas aujourd'hui, et cela demeure une difficulté importante. Les laboratoires publics ne collaborent pas assez avec les entreprises privées. Des progrès ont été réalisés, mais ils restent insuffisants.

Il conviendrait donc de subordonner partiellement ce crédit d'impôt à des contrats conjoints entre acteurs publics et privés.

Concernant le transfert technologique, la France dispose de nombreux outils. L'un d'eux, ancien mais toujours pertinent, mérite d'être rappelé : les thèses réalisées dans le cadre de conventions industrielles de formation par la recherche, dites thèses « Cifre ». Il ne faut pas systématiquement jeter les anciens dispositifs. Parfois, il suffit de réexaminer ce qui fonctionne.

Les thèses Cifre permettent de réaliser une thèse en entreprise. C'est, de loin, l'outil de transfert technologique le plus efficace, car ce sont les femmes et les hommes ayant un pied dans l'université et un autre dans l'entreprise qui assurent véritablement ce transfert de connaissances. Le doctorant en Cifre est rémunéré par l'entreprise, avec une aide de l'État, et reste inscrit à l'université. Il partage son temps entre les deux structures. Ces profils hybrides, formés à l'interface entre recherche académique et monde économique, jouent un rôle pivot dans la circulation des savoirs et des compétences.

Des barrières culturelles subsistent. C'est pourquoi une mission a été confiée à M. Patrice Caine, président-directeur général de Thalès, et à Mme Nathalie Drach-Temam, présidente de Sorbonne Université, afin d'identifier les freins à cette coopération.

Nous entendons également confier aux universités la responsabilité de l'innovation et du transfert, en leur donnant la maîtrise de l'ensemble des outils aujourd'hui trop dispersés et pilotés de manière hétérogène. L'objectif est de structurer une véritable offre territorialisée à travers des pôles universitaires d'innovation (PUI).

Puisque j'évoque les territoires, je veux conclure sur ce point. La relation aux territoires est le premier sujet que j'ai mis au coeur de mon action ministérielle. Une carte de la formation, liée aux territoires, est essentielle, en particulier pour le premier cycle. Nos universités, grandes écoles, petites écoles, ou sections de technicien supérieur (STS), offrent des formations académiques longues, pour celles et ceux qui souhaitent devenir géographes, astrophysiciens, etc. Cependant, la plupart des jeunes, à la sortie du lycée, cherchent une formation qui mène rapidement à un métier identifiable, accessible et proche géographiquement, dans leur bassin de vie. De l'autre côté, les industriels ont besoin de jeunes formés. C'est dans les territoires que doivent se rencontrer ces attentes : celles des jeunes, des établissements de formation et des entreprises.

C'est ce que nous mettons en oeuvre avec les contrats d'objectifs et de performance, expérimentés en Nouvelle-Aquitaine et en Provence-Alpes-Côte d'Azur, avant une généralisation à l'échelle nationale. Ces contrats réuniront tous les acteurs pour discuter chaque année de la carte des formations, de l'innovation, du transfert et des questions budgétaires relatives au financement des établissements. Il s'agit de replacer cette carte des formations au coeur de l'action du ministère en région, en lien étroit avec les conseils régionaux.

Je conclus avec l'IA. Nous assistons à une transformation majeure, qui s'est amorcée depuis environ un an. Il faut avoir à l'esprit que les laboratoires de recherche comptent probablement parmi les secteurs qui recourent le plus massivement à l'intelligence artificielle. Celle-ci est mobilisée aussi bien pour les recherches bibliographiques, la rédaction de publications scientifiques, la compilation de documents, que pour des tâches plus spécialisées. Il n'existe pas, à ma connaissance, de laboratoire qui n'utilise pas quotidiennement ces outils. L'intelligence artificielle est également exploitée pour le criblage de nouvelles molécules, notamment dans la recherche biomédicale, ou encore pour analyser les données issues des détecteurs du Conseil européen pour la recherche nucléaire (Cern). En somme, les outils d'intelligence artificielle sont omniprésents dans le champ scientifique : la recherche en est déjà un immense consommateur.

La France et l'Europe ont, disons-le sans détour, manqué les révolutions numériques. Certes, nous avons nos champions - je pense à Dassault Systèmes ou à SAP -, mais nous ne disposons pas de l'équivalent des Gafam de nos partenaires nord-américains. Ce retard a un impact direct sur notre croissance et sur notre économie.

L'un des grands obstacles, en dehors même du champ de l'intelligence artificielle, réside dans l'ampleur des investissements requis. Il s'agit d'investissements privés colossaux, notamment en matière d'infrastructures, de capacités de stockage et de puissance de calcul, pour rester compétitifs face aux géants technologiques.

Nous disposons d'une carte à jouer. Les technologies évoluent en permanence ; elles ne sont pas encore stabilisées. Elles reposent sur des savoir-faire fondamentaux : les mathématiques, l'algorithmique et la programmation. Or, dans ces domaines, la France et l'Europe excellent. Je rappelle que nous sommes les premiers au monde en mathématiques. Et je ne parle pas ici d'un classement relatif, mais bien d'une position absolue. Nous disposons de chercheurs de tout premier plan et d'ingénieurs de très grande qualité. Des entreprises émergent. Nous avons un écosystème en construction.

Le vainqueur de cette course technologique ne sera pas nécessairement celui qui aura investi le plus massivement dans ses serveurs. Cette question se posera, certes, à un moment donné, mais ce n'est pas le coeur du sujet aujourd'hui. Nous ne sommes pas dans un modèle comparable à celui de la recherche web ou du cloud.

Je le répète, nous avons une carte à jouer, et c'est précisément la raison pour laquelle le Sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle a revêtu une importance stratégique. Il témoigne de l'attractivité de la France. Lorsque des investisseurs annoncent 50 milliards d'euros d'investissements dans l'intelligence artificielle en France, ce n'est pas seulement en raison de notre électricité décarbonée. C'est aussi, et surtout, parce que notre pays attire par la qualité de nos ressources intellectuelles, qui sont bel et bien présentes.

M. Patrick Chaize, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques sur les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». - Monsieur le ministre, je souhaite d'abord revenir sur l'actualité de ces derniers mois, marquée, aux États-Unis, par les attaques de l'administration Trump contre les libertés académiques et contre des pans entiers de la recherche, en particulier dans le domaine des sciences du climat, essentielles pour comprendre le réchauffement climatique et ses conséquences.

Dans ce contexte sans précédent, quelle est l'ambition de l'initiative Choose France for science, lancée en avril et mise en lumière la semaine dernière par le Président de la République lors de la conférence Choose Europe for science ? Pourriez-vous nous décrire précisément les mécanismes d'accueil, ainsi que la manière dont ils seront coordonnés avec nos partenaires européens ? Combien de chercheurs étrangers envisagez-vous d'attirer ? Combien d'Américains ? Une enveloppe de 100 millions d'euros a été annoncée pour accompagner cette initiative. Ce montant vous semble-t-il proportionné aux enjeux ?

Deuxième sujet : sept agences de programmes thématiques, portées par six organismes nationaux de recherche - le CEA, le Cnes, le CNRS, l'Institut national de la recherche agronomique (Inrae), l'Inria et l'Inserm - ont été créées début 2024.

Qu'attendez-vous de cette nouvelle architecture au regard de l'organisation préexistante ? Quel rôle entend-elle jouer en matière de programmation de la recherche ? Vise-t-elle à définir de grandes priorités stratégiques, afin de mieux concentrer nos efforts en matière de recherche ?

Dernier sujet, essentiel pour votre ministère : les transferts de connaissances entre la recherche publique et les entreprises demeurent insuffisants dans notre pays - vous l'avez vous-même souligné. Comment y remédier ? Comment inciter davantage les chercheurs publics à s'engager dans ces transferts et à orienter leurs travaux vers des recherches susceptibles de générer des retombées sociales ou économiques ? Enfin, comment renforcer les partenariats entre établissements publics de recherche et acteurs privés ?

M. Philippe Baptiste, ministre. - Je ne reviendrai pas sur ce qui se passe actuellement aux États-Unis, si ce n'est pour rappeler qu'il existe, hélas, une constance inquiétante dans les attaques visant la science.

Ces attaques concernent notamment la liberté académique, ce qui est extrêmement préoccupant, mais surtout des domaines particuliers tels que le climat. Ne plus mener de recherches sur le climat revient à nier le réchauffement climatique : c'est une manière d'évacuer le sujet. D'autres domaines sont également ciblés : la santé des femmes, les zoonoses ou encore l'aide publique au développement à destination des grands pays en développement.

La communauté scientifique en est profondément traumatisée, et pas seulement aux États-Unis. Nous recevons, en tant que chercheurs ou anciens chercheurs, des dizaines, parfois des centaines de messages de collègues qui témoignent, souvent à visage couvert. Cette situation est proprement surréaliste. Qui aurait pu imaginer, voilà deux ans à peine, que des chercheurs américains choisiraient de s'exprimer sous anonymat et en caméra cachée ?

Il s'agit là d'un bouleversement majeur, non seulement pour les États-Unis, mais aussi pour le monde entier. Pourquoi ? Parce que les États-Unis ont investi dans la recherche depuis des décennies, jouant le rôle de locomotive pour la recherche mondiale. Dès lors que cette locomotive s'arrête dans un certain nombre de secteurs, c'est l'ensemble du train de la recherche scientifique mondiale qui ralentit, s'interroge, voire s'essouffle.

Cela se vérifie, par exemple, dans le domaine spatial : certains programmes sont aujourd'hui dans une incertitude totale. Honnêtement, il m'est impossible de dire quels seront les grands projets spatiaux européens de demain. Dans le domaine de la santé, le constat est similaire.

Face à cela, la France, à l'instar d'autres pays européens, s'est saisie de cette question. Ils ont été relayés par l'Union européenne la semaine dernière. Il ne s'agit pas uniquement d'une logique d'opportunité, qui consisterait à « récupérer » quelques dizaines ou centaines de chercheurs talentueux. Certes, si cela est possible, nous en serons heureux, mais l'enjeu est bien plus large : ce sont des pans entiers de la recherche mondiale qui se retrouvent fragilisés et que nous devons tenter, d'une manière ou d'une autre, de stabiliser ou de reconstruire.

Comment cela va-t-il fonctionner concrètement ? Des thématiques prioritaires ont été définies, correspondant en grande partie aux axes couverts par les agences de programmes thématiques : le climat, la biodiversité, la santé, le spatial, les semi-conducteurs, les logiciels, entre autres. Il ne s'agit pas de domaines exclusifs, mais ils constituent néanmoins les priorités actuelles.

Les fonds mobilisés par l'État ont vocation à soutenir les initiatives portées par les universités ou les organismes de recherche : lorsqu'une université - par exemple celle d'Aix-Marseille -, ou un organisme de recherche tel que le CNRS identifie des chercheurs à accueillir, il soumet un projet que nous cofinançons à hauteur de 50 %, sur une période de trois ans. L'articulation avec le mécanisme européen reste à préciser, car les discussions sont en cours, mais il devrait être similaire.

Ces financements viennent en supplément : ils proviennent de France 2030 et ne ponctionnent pas les crédits existants. Il ne s'agit donc pas d'opposer l'accueil de chercheurs étrangers aux besoins de financement de la recherche nationale. La communauté académique nous a interpellés à ce sujet : elle nous dit, à juste titre, qu'elle manque de moyens. Notre réponse est claire : il s'agit de financements additionnels, spécifiquement fléchés, issus de France 2030.

Pourquoi une durée de trois ans ? Parce que ce délai permet un soutien significatif, généralement de l'ordre d'un million à un million et demi d'euros, même si les coûts varient fortement selon les secteurs. Ce financement permet à un chercheur, accompagné de son équipe, d'amorcer ses travaux, de déposer un dossier compétitif auprès du Conseil européen de la recherche (ERC) pour obtenir un soutien à long terme, et de disposer du temps nécessaire pour candidater à un poste pérenne dans nos universités ou nos organismes de recherche.

La plateforme Choose France for science est en ligne depuis le 18 avril : il y a eu 120 000 connexions et 600 créations de comptes. Nous en sommes encore au début, mais le bilan est encourageant.

Quant à l'ampleur que prendra cette initiative, il est trop tôt pour le dire : elle dépend de multiples paramètres, à commencer par la pression exercée aux États-Unis sur ces chercheurs.

Nous avons annoncé une enveloppe de 100 millions d'euros. Il faudra voir quel sera l'accueil réservé à cette mesure : peut-être faudra-t-il aller plus loin, peut-être cette somme sera-t-elle trop élevée et ne sera-t-elle pas entièrement utilisée. L'objectif reste clair : attirer de bons chercheurs, susceptibles de contribuer aux grands programmes que j'ai évoqués.

Ces actions s'inscrivent dans le cadre des agences de programmes thématiques que vous avez mentionnées, lesquelles couvrent les sujets prioritaires que j'ai rappelés. Ce sont ces agences qui portent les stratégies, des stratégies assumées comme « top-down », pilotées et dirigées dans les domaines où des efforts importants s'imposent.

J'attends des organismes de recherche qu'ils prennent des risques, qu'ils s'engagent et portent ces sujets. Il existe bien sûr une recherche « bottom-up », fondée sur les appels à projets et l'émergence de sujets portés par les chercheurs eux-mêmes : elle est précieuse. Mais, en complément, les programmes verticaux doivent être assumés et pilotés par le CEA, le CNRS, l'Inrae, etc. C'est leur mission : ces organismes doivent opérer des choix, identifier des programmes, des projets et des chercheurs, et les financer.

S'ils ne sont pas capables d'exercer cette responsabilité, alors une question se pose : à quoi servent les organismes de recherche ? Pour ma part, je suis convaincu de leur utilité. Encore faut-il qu'ils assument davantage leur rôle de pilotage et de programmation, ce qu'ils n'ont pas suffisamment fait ces dernières années. C'est ce qu'ils doivent désormais réaliser en prenant la tête des programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) actuellement en place.

En matière de renforcement du lien public-privé, plusieurs actions sont à mener. Lorsqu'on a eu l'occasion de travailler dans les deux sphères, notamment dans les grands groupes industriels, on constate une difficulté majeure : un directeur de la R&D qui souhaite collaborer avec le monde académique se heurte souvent à une grande hétérogénéité au sein des laboratoires. Dans un même laboratoire, on trouve des enseignants-chercheurs et des chercheurs relevant de différents organismes, qui éprouvent parfois des difficultés à se mettre d'accord sur les règles de propriété industrielle. Cela génère des lenteurs considérables. Or au bout du compte, il faut rappeler une chose simple : personne ne s'enrichit en vendant sa propriété intellectuelle (PI). Au contraire, cela coûte de l'argent.

Il s'agit donc bien d'une politique publique : il faut injecter de l'argent public pour la soutenir. Par conséquent, le fait que telle université et tel organisme se disputent pendant des semaines sur les modalités de partage des brevets, pour, au final, récolter deux francs six sous, n'a pas de sens. L'enjeu, c'est d'agir rapidement et de pouvoir conclure des contrats avec les industriels sans délai excessif. Cela ne signifie pas qu'il faille tout céder, mais la rapidité et la fluidité contractuelle sont des priorités essentielles.

C'est pourquoi nous voulons mettre en place des contrats types en matière de propriété intellectuelle, valables pour tous. Sur ce point, j'assume la nécessité de confier le pilotage aux universités ; le ministère n'a pas vocation à tout contrôler. Néanmoins, l'actuelle cacophonie est problématique. Il est temps d'adopter des contrats types, dont l'usage sera, si ce n'est imposé, du moins fortement encouragé. Si des dérogations s'avèrent nécessaires, elles seront possibles, bien sûr.

Par ailleurs, j'ai évoqué récemment les pôles universitaires d'innovation. Les agences de programmes thématiques devront également se saisir de la question de l'innovation et du transfert, qui ne doit pas être dissociée de la recherche.

M. Bernard Buis. - Monsieur le ministre, les inquiétudes des lycéens demeurent vives depuis plusieurs années au moment de finaliser leurs voeux sur Parcoursup. En cette fin d'année scolaire, envisagez-vous de nouvelles mesures pour la rentrée prochaine, afin de garantir une plus grande transparence des algorithmes utilisés pour la sélection des étudiants ?

Ma seconde question concerne les universités ultramarines. Ces établissements font face à des difficultés spécifiques : isolement géographique, accès restreint aux ressources, fuite des étudiants et des chercheurs. Envisagez-vous de proposer un plan dédié pour renforcer durablement ces universités ?

Mme Marie-Lise Housseau. - J'ai lu avec intérêt l'entretien accordé au journal L'Express par la directrice de l'Institut Imagine et le directeur de l'Institut Pasteur. Ils y expliquaient recevoir chaque jour de nombreuses candidatures de chercheurs américains auxquelles ils ne pouvaient pas répondre, d'une part, faute de moyens, et, d'autre part, parce que, même si les chercheurs français manifestent une réelle solidarité, ils n'accueillent pas toujours ces sollicitations d'un bon oeil, dans la mesure où ils ne disposent pas des moyens dont bénéficient leurs homologues américains.

Plus globalement, n'assistons-nous pas à un séisme majeur dans le domaine de la recherche ? L'ensemble de la communauté scientifique internationale travaille en réseau. Or les grandes bases de données américaines sont désormais inaccessibles. Cette situation ne risque-t-elle pas de nous ralentir très fortement au niveau mondial ?

M. Jean-Jacques Michau. - Le 25 avril dernier, lors de la présentation du pacte de lutte contre les déserts médicaux, au côté du Premier ministre, vous déclariez : « Chacun peut le constater, la France est confrontée à la difficulté de répondre aux besoins en professionnels de santé, en particulier dans les territoires éloignés des grandes villes ». Vous affirmiez également, et je vous rejoins sur ce point, que l'organisation de la formation constituait une composante incontournable de la réponse à cette crise. À ce titre, vous proposez le renforcement du maillage territorial des premières années d'accès aux études de santé.

Dans nombre de départements, les élus locaux se tiennent prêts à accueillir ces formations, notamment en distanciel. Certains disposent déjà d'infrastructures adaptées, comme des campus connectés. C'est le cas dans mon département, l'Ariège.

Ma question est donc simple, monsieur le ministre : quelles mesures entendez-vous prendre pour que les présidents et présidentes d'université mettent effectivement en oeuvre ces formations dans l'ensemble des territoires ruraux, en particulier ceux qui sont volontaires et déjà équipés ?

M. Philippe Baptiste, ministre. - Sur la question de la transparence des algorithmes de la plateforme Parcoursup, il importe d'opérer une distinction claire.

Premièrement, s'agissant de la plateforme elle-même, il n'existe aucun mystère : elle est totalement transparente. Son code source est intégralement disponible sur GitHub, un des serveurs utilisés par les développeurs. À ma connaissance, Parcoursup constitue probablement l'une des seules plateformes publiques d'État à offrir une transparence aussi complète.

Je tiens à rappeler que la plateforme, certes animée par des algorithmes, ne procède à aucun classement des candidats. Son rôle se limite à gérer l'interface entre l'offre de formation et les demandes des étudiants. Concrètement, une université propose une formation ; les étudiants s'y inscrivent et se retrouvent en file d'attente. Ce sont les jurys pédagogiques, réunissant des enseignants, qui procèdent au classement des dossiers. Il n'y a pas de mystère : Parcoursup ne fait que gérer des files d'attente de manière mécanique.

La question de la transparence se pose en réalité en amont, au niveau des formations. Il existe aujourd'hui plusieurs dizaines de milliers de formations disponibles pour le premier cycle de l'enseignement supérieur. Derrière chacune d'elles, des jurys, composés d'hommes et de femmes - des enseignants -, examinent les dossiers des candidats. Ils doivent classer ces dossiers, en fonction de leur propre grille d'analyse, pour déterminer lesquels seront prioritaires.

La question cruciale est donc celle des critères utilisés pour ce classement. Une première réponse consiste à invoquer l'autonomie des jurys et le secret de leurs délibérations. Cette réponse, juridiquement satisfaisante, peut cependant se révéler difficilement acceptable pour les candidats et leurs familles. C'est pourtant, reconnaissons-le, la règle dans tous les concours. Néanmoins, un véritable travail est engagé, formation par formation, pour inciter les enseignants-chercheurs à rendre publics, en amont, les critères sur lesquels ils fonderont leur évaluation. Il s'agit d'un effort de transparence qu'il faut poursuivre autant que possible.

Mais à force de vouloir objectiver à tout prix les critères, les enseignants-chercheurs finissent par se protéger en appliquant des formules strictes : une note, un coefficient et l'affaire est réglée. Or, ce n'est pas non plus cela que nous voulons. Nous souhaitons des décisions humaines, portées par des enseignants qui ouvrent les dossiers et évaluent globalement les candidats. Il faut donc trouver un équilibre.

Ce qui importe, c'est de laisser aux jeunes la possibilité de se tromper et celle de recommencer. Aujourd'hui, un million de jeunes sont inscrits sur Parcoursup. Parmi eux, plus de 200 000 sont en réorientation. C'est une bonne chose : cela signifie que certains ont entamé une première année, puis bifurqué vers autre chose ; d'autres reprennent leurs études ou envisagent une nouvelle filière. Ce n'est pas un échec. Peut-être leur licence durera-t-elle quatre ans au lieu de trois. Et alors ? Il faut leur donner ce temps de l'exploration. C'est fondamental.

Un autre problème, plus structurel, pèse sur l'accès à l'enseignement supérieur. Prenons un exemple très concret. Les bacheliers professionnels peuvent, mécaniquement, s'inscrire à l'université. Leur taux de succès moyen y est de 4 %. C'est dramatique. Environ 20 % d'entre eux rencontrent des difficultés en lecture ou pour la compréhension et la rédaction de textes simples. Dès lors, comment accuser les universités d'échec quand la réalité est aussi brutale ? On envoie ces jeunes à l'abattoir. Je ne plaide évidemment pas pour interdire l'accès au supérieur, mais il faut, à un moment donné, renforcer l'accompagnement. Le Premier ministre a évoqué à plusieurs reprises la notion de propédeutique. C'est une piste à explorer sérieusement.

Les études de santé représentent un enjeu fondamental. Oui, il faut développer des formations dans chaque département. C'est un levier puissant pour former localement des jeunes qui, pour une part d'entre eux, resteront ensuite sur leur territoire. Cela ne réglera pas les besoins de l'an prochain, car la formation prend du temps, mais il faut néanmoins s'y engager pleinement.

Notre objectif est d'offrir, dans chaque département, une première année d'études de santé. Cela pourra prendre plusieurs formes : formations en ligne, formations hébergées dans les Instituts de formation en soins infirmiers (IFSI), qui pourraient accueillir une première année de médecine. Nous allons déployer cela sur tout le territoire. La première année est relativement facile à mettre en place. Les deuxième et troisième années le sont moins, en raison des besoins accrus en encadrement, en infrastructures et en formation clinique, mais nous avancerons. Nous en avons besoin partout en France.

La question centrale pour les présidents d'université, notamment en matière de santé ou de formations de proximité, c'est celle des moyens. Tout le monde comprend que ces formations sont essentielles : elles soutiennent l'ascenseur social et ouvrent des perspectives aux jeunes sur l'ensemble du territoire, mais elles ont un coût. Les formations en ligne ont leurs limites. Il faut créer des antennes universitaires, mobiliser des enseignants et du matériel pédagogique, et organiser des déplacements. Ce n'est pas qu'un sujet de locaux, même si les collectivités, notamment les régions, sont souvent au rendez-vous. C'est aussi une question de logistique, de contenus et d'animation pédagogique. Cela exige des ressources.

Et en parallèle, nous concentrons les moyens de la recherche dans les grandes métropoles, pour des raisons évidentes de synergies, de pluridisciplinarité et de masse critique. Il y a là une forme de schizophrénie. La réponse passe nécessairement par des arbitrages budgétaires clairs, en faveur du maillage territorial de l'enseignement supérieur.

M. Yannick Jadot. - Dans son propos introductif, notre présidente a mentionné le retard de la France dans la recherche. Si l'on considère la part du PIB consacrée à la recherche, cela donne une idée de la situation. Vous évoquez régulièrement le montant de 19 milliards d'euros comme une forme de réassurance politique sur le budget de la recherche, mais au regard de notre richesse, nous devrions faire mieux. Les coups de rabot, les gels et les suppressions de budget se succèdent depuis un certain nombre d'années, de sorte qu'une partie de la communauté scientifique a mal perçu la volonté d'attirer à tout prix les chercheurs américains quand la recherche française est ainsi méprisée.

Vous mentionnez les enjeux importants que représentent le climat et la biodiversité, mais ce sont les programmes 190 « Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durable » et 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle » qui ont été les plus rabotés, dernièrement. Or ces coups de rabot nuisent à la flexibilité qui permet la liberté de recherche.

Vous avez eu raison de rappeler que la recherche, c'est de l'innovation. Mais malgré de bons résultats en matière de brevets, nous peinons à transformer notre recherche en résultats industriels. L'attractivité n'est plus là et nous devons travailler à la recréer.

La recherche offre des solutions aux grands défis auxquels nous sommes confrontés. Elle est également essentielle pour la démocratie, car sans recherche et sans vérité scientifique, le débat devient confus et nous sort du jeu démocratique. On le constate aux États-Unis, et même au-delà, malheureusement.

Par conséquent, comment faire pour sanctuariser dans les budgets à venir les domaines de recherche que vous avez mis en avant ?

De plus, on constate que, dans l'enseignement supérieur, l'investissement public par étudiant a baissé de 25 % en dix ans, ce qui est considérable, d'autant que c'est là que se joue l'avenir d'une économie dynamique et compétitive. Comment faire pour réinvestir et mettre fin à cette exception française qui consiste à maintenir le niveau d'investissement par étudiant dans les grandes écoles, mais à le diminuer à l'université ? la tendance se confirme depuis 2012, ce qui est inquiétant.

Enfin, aux États-Unis la recherche en géoingénierie, qui vise à manipuler ou modifier le climat, explose. Des start-up se créent partout, mais il n'existe aucune régulation de ce secteur au niveau européen ou international. On peut donc faire n'importe quoi sur le climat, ce qui crée des risques de conflits régionaux ou mondiaux considérables. Comment la France pourrait-elle prendre des initiatives pour encadrer la recherche en géoingénierie qui peut devenir extrêmement dangereuse ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - J'ajouterai trois points pour compléter ce qui a été dit.

Tout d'abord, les nombreux débats que nous avons pu avoir sur l'apprentissage dans l'enseignement supérieur ont montré que celui-ci favorisait le lien entre l'entreprise et la formation des jeunes. Quelles sont les perspectives dans ce domaine ?

Ensuite, dans le secteur spatial, où en est notre constellation de satellites européenne ? Progresse-t-on de manière positive ?

Enfin, dans le cadre de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), je mène une mission sur le futur collisionneur de particules du Cern. Quelle est la position du ministère sur ce sujet ?

M. Pierre Cuypers. - Monsieur le ministre, je veux vous remercier pour la qualité et la clarté de vos propos que j'ai beaucoup appréciées.

J'habite à 70 kilomètres de Paris et je constate que, un quart du temps, voire un tiers, je n'ai pas d'internet. Cette fracture numérique m'empêche de travailler correctement et m'oblige à me déplacer pour trouver des endroits où je peux le faire. J'ai donc fini par installer Starlink et j'ai multiplié par vingt ma capacité de connexion.

Nous devenons dépendants du reste du monde, notamment des États-Unis, nous sommes de plus en plus vulnérables et même d'une fragilité extraordinaire. Le ministère de la recherche envisage-t-il de combler ce retard et de le dépasser, ou bien est-ce impossible ? Sommes-nous à jamais condamnés à subir ce que nous n'avons pas été capables de faire à temps ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous sommes allés à Mayotte récemment et avons constaté que Starlink était installé partout. Patrick Chaize pourra le confirmer.

M. Alain Chatillon. - Nous avons parlé de recherche, et c'est très bien, mais encore faut-il utiliser cette recherche. Il existe un dispositif Territoires d'industrie, en France. Pourquoi n'y a-t-il pas une relation plus forte entre la recherche et ces territoires ?

Ainsi, nous avons créé en 2008 un territoire d'industrie qui regroupe les entreprises agroalimentaires du grand Sud, soit 470 entreprises, et qui entretient des relations étroites avec tous les centres de recherche, ce qui fonctionne bien. N'est-il pas nécessaire de développer ce lien avec les territoires d'industrie, autrement dit de nous appuyer sur les structures qui existent déjà dans nos territoires ?

M. Philippe Baptiste, ministre. - Je commencerai par revenir sur les questions budgétaires, notamment sur la DIRD qui repose sur deux éléments : l'investissement public et l'investissement des entreprises. Nous sommes en retard par rapport à nos partenaires allemands et en deçà de la moyenne de l'OCDE sur l'investissement public, et encore plus sur le privé.

Cependant, notre organisation et les grands équipements dont nous disposons font que la recherche en France est compétitive. Nous avons des secteurs où nous sommes très performants, comme les maths, et des grands équipements de physique uniques au monde. Les investissements d'avenir ont permis de créer des laboratoires et des équipements très attractifs. Bien que notre rang dans le classement concernant les publications soit en recul ces dernières années, nous continuons de nous défendre plutôt bien.

Il ne s'agit pas de dire que tout va bien dans le monde de la recherche, mais il n'y a pas non plus de sinistrose de la recherche académique. Nous avons aujourd'hui une vraie recherche de qualité, même si elle est parfois hétérogène et rencontre des difficultés dans certains endroits. Nous investissons 20 milliards d'euros par an dans la recherche, ce qui n'est pas un budget négligeable en matière de politique publique.

La LPR a donné ses premiers effets et continue d'avoir un impact. Il faut la sanctuariser et continuer à porter l'effort. C'est une position claire que le Président de la République défend depuis longtemps. En outre, il faut que nous parvenions à mieux accompagner les industriels pour qu'ils investissent davantage dans la recherche.

En effet, notre recherche est à la fois académique et appliquée, au service de l'innovation et du transfert. Vous avez raison de dire, monsieur le sénateur Chatillon, que nous devons nous appuyer sur les territoires d'industrie, et nous pourrons aussi travailler avec les instituts de recherche technologique (IRT) ou les pôles de compétitivité, dans les territoires. Il faut mieux mailler notre réseau, mais il faut aussi que les industriels fassent connaître leurs priorités pour que nous puissions nourrir en amont avec eux des programmes de recherche.

Sur le budget, il faut aller plus loin, mais sans crier misère.

Il est vrai que l'investissement par étudiant dans l'enseignement supérieur a baissé compte tenu de la vague démographique que subissent les universités - et nous sommes encore dans le haut de cette vague. Cela a eu pour effet de détourner une partie du flux vers l'enseignement supérieur privé, qui s'est développé de manière massive, en particulier autour de l'apprentissage - j'y reviendrai. En outre, le personnel au sein des universités a dû évoluer, avec une présence renforcée de vacataires et de professeurs agrégés (Prag) affectés dans le supérieur. Cet effet de vague démographique devrait se maintenir pendant encore quatre à cinq ans, avant de retomber progressivement avec l'affaissement démographique.

L'apprentissage est, selon moi, un grand succès en matière de politique publique même si certains considèrent que cela a coûté trop cher. Il répond à un besoin des étudiants, des familles et des entreprises, avant et après le baccalauréat. Toutefois, l'ouverture de l'apprentissage a entraîné une explosion du nombre de formations privées lucratives, notamment dans l'enseignement supérieur, dont certaines se sont développées de manière opportuniste, voire frauduleuse. La régulation de l'enseignement supérieur privé est donc devenue un nouvel enjeu pour le ministère. Il faudra probablement un projet de loi pour retoiletter les dispositifs existants, qui datent pour certains des années 1880 et qui sont devenus incompréhensibles à force d'empilement.

Quoi qu'il en soit, l'apprentissage est une chance pour tout le monde. Il faut éliminer les formations trop légères et nous travaillons à cela avec le ministère du travail en révisant le label Qualiopi.

En ce qui concerne le Cern, son programme est une révolution ! En effet, la version précédente visait à « chasser » le boson. Autrement dit, il s'agissait de démontrer l'existence du boson de Higgs à travers des expériences. Même si le boson ne peut pas être photographié, une preuve statistique de son existence peut être tirée de la répétition d'expériences, avec une probabilité très élevée. C'est ainsi que l'on a pu établir sa présence, la partie expérimentale venant confirmer la théorie initiale.

Aujourd'hui, de nombreux modèles sont sur la table pour poursuivre la recherche. En gros, car je ne suis pas physicien, nos collègues du Cern envisagent d'utiliser des équipements plus gros et plus puissants, qui les guideront sur la théorie, ce qui reviendrait à inverser la méthode. Mais cela représente des investissements massifs sur plusieurs décennies, de l'ordre de 60 milliards à 70 milliards d'euros, dont une part française significative. La question se pose donc de savoir si nous voulons nous engager dans cette voie et avec qui. En Chine, il existe des projets concurrents sur ce sujet. En outre, ces investissements serviront à une communauté scientifique très étroite et seront autant d'argent que l'on n'investira pas dans la biologie fondamentale, par exemple.

Nous sommes encore dans la phase d'instruction de l'avenir du Cern. C'est un enjeu essentiel à l'échelon non seulement européen, mais aussi national. L'Europe, et la France en particulier, concentre énormément de grands équipements de physique, ce qui est une force tout en représentant un coût considérable pour des communautés qui restent assez étroites.

Monsieur Cuypers, la bonne nouvelle, c'est que la constellation OneWeb d'Eutelsat concurrent de Starlink, est en train de se mettre en place. Nous aurons donc bientôt une alternative équivalente, dont une version est déjà disponible, avec des performances un peu différentes, pour les professionnels ou pour le secteur de la défense. Cet équivalent ne pourra pas immédiatement concurrencer Starlink, car les ordres de grandeur ne sont pas les mêmes, qu'il s'agisse du nombre de satellites ou du montant des investissements. Mais il offrira une alternative qui sera disponible.

Quant à la constellation IRIS², elle s'articulera avec OneWeb et permettra d'avoir un accès sécurisé au sens gouvernemental. C'est un enjeu majeur pour les applications de défense. On le constate dans le cadre du conflit ukrainien : le fait de ne pas avoir Starlink pose un véritable problème, ce qui permet à un seul individu d'avoir un poids totalement disproportionné dans les discussions.

Il s'agit donc d'un investissement indispensable. La France a défendu ce projet, contre vents et marées, partout en Europe. Le conflit en Ukraine démontre que nous avions raison.

Pour en revenir à l'accueil des chercheurs américains, traditionnellement, quand le CNRS, l'Inria ou l'Inserm organisent un concours, 60 % des lauréats n'ont pas fait leur thèse en France. Le fait que toutes les nationalités du monde se retrouvent dans nos laboratoires de recherche est un élément fondamental de notre culture de recherche. Par conséquent, en accueillant quelques centaines de chercheurs américains de plus, même si la démarche se veut visible, nous ne ferons rien de radicalement différent de ce qui se pratique au quotidien dans les laboratoires. C'est la circulation normale des cerveaux.

Ce qui se passe aux États-Unis aura des conséquences sur l'enseignement supérieur et sur l'attractivité des universités américaines, ces institutions extraordinaires qui faisaient rêver, mais qui ne le font plus. Il y aura donc probablement un bouleversement des flux et nous devons saisir cette opportunité.

Mme Marie-Lise Housseau. - De nombreux étudiants partaient aux États-Unis pour mener leurs recherches. D'ailleurs, la plupart de nos prix Nobel sont passés par les États-Unis, à quelques exceptions près. Si la situation perdure, cela pourrait mettre un coup d'arrêt à la recherche mondiale.

M. Philippe Baptiste, ministre. - C'est évident, et cela devrait nous inciter à nous questionner sur notre modèle. Je fais un parallèle avec les questions de défense : nous, Européens, avons probablement été un peu naïfs sur cette coopération, totalement aveugle et confiante, avec les États-Unis. Qui pouvait imaginer il y a un an qu'un président des États-Unis dirait ce qu'il a dit de l'université d'Harvard ? Ou que le NIH (National Institutes of Health) interdirait des mots-clés comme « diversité » ou « santé des femmes » ? Nous sommes entrés dans un monde que personne n'avait imaginé.

Je n'ai pas répondu sur la géoingénierie. Le terme recouvre des sujets très différents, comme la capture et le stockage de CO2 en sous-sol. En l'occurrence, les risques sont maîtrisés, mais ce n'est qu'un outil parmi d'autres pour lutter contre le réchauffement climatique. D'autres sujets sont plus inquiétants, qui sont à la main d'« apprentis sorciers », dont les impacts ne sont pas mesurés et qui nécessiteraient des régulations internationales. Est-ce que c'est faisable aujourd'hui ? Je ne suis pas très optimiste.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le ministre, nous vous remercions. Il s'agissait de votre première audition dans cette enceinte et nos collègues ont loué vos interventions fines et libres.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 20.

Mercredi 14 mai 2025

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de M. Dominique Thillaud, directeur général de la Compagnie des Alpes

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin devant notre commission M. Dominique Thillot, directeur général de la Compagnie des Alpes. La Compagnie des Alpes est un acteur incontournable du tourisme en France. Elle exploite dix domaines skiables, douze parcs d'attractions et de loisirs et, depuis plus récemment, des complexes sportifs.

Permettez-moi de revenir brièvement sur les origines de cette entreprise qui est profondément ancrée dans les territoires alpins, que connaissent bien nos collègues sénatrices de Savoie et de Haute-Savoie, Martine Berthet et Sylviane Noël.

Créée en 1989, la Compagnie des Alpes a pour actionnaire principal la Caisse des dépôts. Initialement tournée exclusivement vers l'exploitation des domaines skiables, l'entreprise a été privatisée en 2004, et s'est progressivement imposée comme un leader européen du tourisme de montagne et des loisirs. Dès le début des années 2000, elle amorce une stratégie de diversification avec l'achat de parcs d'attractions et de loisirs : monsieur le directeur général, vous en détenez aujourd'hui douze, dont  sept à l'étranger. Parmi eux, je ne citerai que les plus connus comme le Futuroscope, le parc Astérix, le musée Grévin et les différents parcs Walibi.

Cette dynamique se poursuit : en 2018, vous avez racheté Travelfactory, un distributeur de séjour de montagne en ligne, puis en 2022, vous avez pris une participation majoritaire dans MMV, deuxième opérateur hôtelier de montagne en France, avec plus de 11 000 lits dans les Alpes. En juin 2024, vous avez franchi une nouvelle étape avec l'acquisition de 83 % du capital de la société mère du groupe Urban, leader sur son marché des activités sportives indoor en France comme le foot à cinq ou le padel. Cette dynamique de croissance impressionnante me pousse à vous demander où s'arrêtera votre appétit de développement : avez-vous des ambitions à l'international, notamment dans le domaine des loisirs ?

Par ailleurs, votre filiale Travelski a annoncé le lancement d'un train de nuit qui reliera dès la saison prochaine Paris à Bourg-Saint-Maurice, avec des arrêts à Moutier et Aime. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce vaste projet ? S'inscrit-il dans une volonté de devenir un acteur intégré de l'ensemble de la chaîne touristique ?

Fort de vos 6 300 collaborateurs, vous vous illustrez par de bons résultats depuis la crise sanitaire liée au Covid-19 qui a durement touché le secteur de l'hôtellerie-restauration et du tourisme en général. À quoi attribuez-vous cette résilience ? Est-elle en partie liée à la fréquentation particulièrement soutenue des stations cet hiver ? Et quelles sont selon vous les perspectives à long terme en matière de fréquentation, compte tenu de l'évolution des conditions climatiques en montagne ?

Votre activité en montagne fait face à de nombreux défis, au premier rang desquels le verdissement des stations de ski ou le développement de la saison estivale : quelles sont vos priorités d'investissement pour les prochaines années ?

Je le disais il y a quelques instants, vous exploitez dix stations françaises comme Les Arcs ou La Plagne dans le cadre de délégations de services publics. Vous savez qu'ici, au Sénat, nous sommes particulièrement attentifs au rôle des maires. Comment se structure votre collaboration avec eux ? Vous avez déclaré, je vous cite : « Le véritable patron de la station, c'est le maire. On propose, il dispose. On est un compagnon de territoire et pas seulement quand ça va bien. »

Certains élus ont toutefois fait le choix de ne plus collaborer avec vous : en 2019, les Deux-Alpes, ou encore plus récemment, Tignes, d'ici 2026. Comment interpréter ces décisions ? De manière générale, comment les associez-vous à la gestion et à l'évolution des stations ?

Par ailleurs, plusieurs collectivités manifestent une volonté de mieux encadrer la fréquentation touristique. C'est le cas de Chamonix, qui a décidé, en mars dernier, d'interdire, dans certaines zones de son plan local d'urbanisme (PLU), les nouvelles constructions de résidences secondaires, conformément à la loi du 19 novembre 2024 que notre commission avait examinée. Comment adaptez-vous votre stratégie de développement touristique à ces nouvelles orientations locales ?

Enfin, je terminerai sur une note plus prospective. Quel sera l'impact des jeux Olympiques 2030 dans les Alpes sur votre activité, aussi bien dans les Alpes du Nord que les Alpes du Sud ? Comment allez-vous y être associés ? C'est un sujet d'actualité pour notre commission, puisque nous examinerons mi-juin le projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030, dont Martine Berthet, sénatrice de Savoie, devrait être rapporteure pour notre commission.

Voilà, monsieur le directeur général, les sujets principaux que notre commission souhaite aborder avec vous. Mes collègues ne manqueront pas de les compléter à la suite de votre intervention.

Avant de vous céder la parole, je rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et qu'elle est diffusée en direct sur le site du Sénat. Après votre intervention, je donnerai la parole à Sylviane Noël, sénatrice de la Haute-Savoie, qui anime le groupe de travail sur le tourisme, puis, à Martine Berthet, sénatrice de la Savoie.

Monsieur le directeur, je vous laisse la parole. J'ajoute que c'est avec plaisir que je vous retrouve, puisque vous avez été directeur des aéroports Nice-Côte d'Azur il y a quelques années de cela.

M. Dominique Thillaud, directeur général de la Compagnie des Alpes. - La Compagnie des Alpes a été créée par la Caisse des dépôts en 1989 pour reprendre un certain nombre de stations qui étaient en faillite. Quelques années plus tard, elle a été amenée à reprendre le Futuroscope et le parc Astérix, qui se trouvaient dans la même situation. Aujourd'hui, la Caisse des dépôts détient 40 % du capital, tandis qu'environ 5 % sont détenus par le département de Savoie avec la région Auvergne-Rhône-Alpes. Le reste est coté en bourse.

En quelques mots, je vais commencer par vous présenter la raison d'être de l'entreprise. Notre métier est de proposer des loisirs réels. Nous, ce que nous proposons, ce sont des expériences de vie réelle entre amis, en famille, entre collègues, dans un cadre de création de liens sociaux. Sur nos sites, vous pourrez trouver toutes les catégories socioprofessionnelles (CSP). Vous pourrez aussi bien trouver au parc Astérix le Prince Albert qui vient en famille pendant quatre jours que des jeunes qui viennent d'une cité proche de Creil. Peu d'endroits aujourd'hui offrent une telle mixité en termes d'espace et de temps. C'est un élément très important pour nous.

Avant de parler de la stratégie et de l'organisation de l'entreprise, j'évoquerai avec vous deux « méta-sujets ». Nous avons l'ambition pour chacun de nos sites d'atteindre le net zéro carbone en scope 1 et 2 d'ici 2030. Aujourd'hui, nous avons fait 72 % du chemin. C'est un objectif transversal puisque même si nous sommes cotés en bourse, nous publions nos comptes en euros et en kilos de CO2. Les deux sont validés par nos commissaires aux comptes. Je pense que nous sommes les seuls aujourd'hui à procéder ainsi : nous avons montré une trajectoire et nous suivons cette trajectoire année après année. Je précise que nous n'avons pas recours à la compensation carbone. Au Moyen-Âge, elles auraient pu s'apparenter à des indulgences. La neutralité carbone ne s'atteint pas en signant des chèques.

Le deuxième « méta-sujet » est l'accidentologie au travail. Quels que soient nos métiers, nos sites sont accidentogènes : nous sommes donc très vigilants sur ce sujet-là.

Ensuite, nous sommes organisés en trois divisions. La première division, j'allais dire, par ordre d'apparition à l'écran, c'est bien sûr les domaines skiables. Nous exploitons, vous l'avez dit, Val-d'Isère, Tignes, Les Arcs, La Plagne, Les Ménuires, Méribel, Serre-Chevalier et Grand Massif. Ce sont globalement des domaines de haute altitude. Tous les modèles climatiques, y compris le pire, c'est-à-dire le scénario Representative Concentration Pathway (RCP) 8.5, concluent que le ski a encore 50 ou 60 ans devant lui sur ces domaines. L'altitude n'est pas le seul critère : l'exposition et d'autres éléments sont également pris en compte. Nous avons donc une perspective assez forte. Ceci étant dit, n'oubliez pas mon premier « méta-sujet » qui est d'atteindre la neutralité carbone.

Les domaines skiables représentent donc à peu près 40 % de l'activité de la société. Cette activité est en forte croissance, entre 5 et 7 % par an, avec un peu de volume, mais avec du prix également. Nos chiffres d'affaires dans les domaines skiables sur le premier semestre sont en croissance de 5,5 % : nous battons chaque année des records. Nous travaillons principalement avec des clients français à 60 %- tandis que le reste vient du Benelux et du Royaume-Uni à 30 %. Les 10 % restants viennent du reste du monde.

Notre clientèle est donc principalement européenne, même si cette année, nous avons constaté une légère augmentation de la part de clients américains. Pourtant, nous n'avons pas de programme commercial et marketing spécifique à cette clientèle, car nous considérons que l'empreinte carbone d'un séjour d'une semaine au ski en France pour un client américain n'est pas compatible avec l'ambition climatique que nous nous donnons.

Notre deuxième division liée à l'hospitalité et à la distribution, qui représente à peu près 15 % de l'activité, est l'activité de gestionnaire de lits. Ces lits sont utilisés à peu près dix semaines par an. Nous sommes le premier gestionnaire de lits des Alpes, avec environ 30 000 lits. Nous détenons notamment MMV, que vous avez mentionné. Nous venons également de prendre une participation dans Terrésens, un gestionnaire de lits « 4 étoiles » et plus. De plus, nous détenons le premier réseau d'agences immobilières des Alpes, Mountain Collection, et le premier tour-opérateur digital, Travelski, que vous avez cité. C'est dans Travelski que nous avons intégré l'annonce du train, que je mentionnerai à nouveau. Ce train de nuit commencera cette année, le 19 décembre. Nous avions testé, à mon arrivée en 2021, le rétablissement de l'Eurostar entre Londres et Bourg-Saint-Maurice. Malheureusement, le partenaire dominant de l'époque n'a pas souhaité poursuivre sur cette voie-là. C'est dommage, car cela fonctionnait très bien et représentait un véritable transfert modal entre l'avion et le train.

Notre premier métier en chiffre d'affaires, qui représente à peu près 45 % du groupe, ce sont les parcs et les domaines de loisirs. Vous avez cité les noms des principaux parcs sur lesquels nous sommes de très gros employeurs et investisseurs. Le groupe investit au global plus de 300 millions d'euros par an, ce qui est très important par rapport à notre chiffre d'affaires. Nous avons une forte intensité capitalistique et une forte intensité humaine en termes d'emploi. Comme vous l'avez cité, madame la Présidente, nous avons en effet plus de 6 000 collaborateurs. En réalité, ce chiffre avoisine les 12 000 personnes, car nous travaillons beaucoup avec des saisonniers.

Nous sommes de très gros investisseurs et de très gros employeurs dans les territoires. Je pense notamment au département de la Vienne, avec le Futuroscope, mais aussi au département de l'Oise, avec le parc Astérix. Nous sommes très attachés à ces régions et nous sommes ravis de continuer à y investir. Nous l'annoncerons bientôt, mais nous avons de très gros programmes d'investissement sur nos sites, notamment en France'.

Nous continuons à poursuivre notre développement : nous avons récemment acquis un parc en Allemagne, et nous capitalisons sur le savoir-faire des équipes de la Compagnie des Alpes.

Nous avons mis en place un dispositif qui favorise la fidélité de nos collaborateurs. Nous offrons chaque année 30 actions à chacun de nos collaborateurs, quel que soit leur statut, pour peu qu'ils aient travaillé au moins quatre mois pour nous pendant deux années consécutives. Il peut sembler inhabituel pour une société cotée en bourse de donner des actions. Par ce biais, nous essayons de créer de la loyauté et de la fidélité, notamment parmi les saisonniers. C'est économiquement rentable : plus nous avons de saisonniers qui reviennent d'une année sur l'autre, plus nous économisons en coûts de recrutement et de formation initiale, notamment en matière de sécurité. C'est une initiative que nous avons prise, qui est en place depuis deux ans. Aujourd'hui, 4 500 salariés sont devenus actionnaires de la Compagnie des Alpes et sont donc intéressés par le développement de l'entreprise. Lorsque nous distribuons des dividendes, ils en reçoivent également. Ce sont des actions concrètes qui créent un collectif.

Nous réalisons un chiffre d'affaires d'environ 1,3 milliard d'euros. Sur le premier semestre de cette année, nous en avons réalisé 850 millions et nous allons continuer au deuxième semestre. Même si les chiffres ne sont pas encore connus, les perspectives sont plutôt bonnes. Au premier semestre, nous avons connu une croissance de 18 % de notre activité dans les parcs de loisirs et d'attraction. Si nous y ajoutons le groupe Urban, qui inclut les activités de padel et de foot à cinq avec des centres et des complexes sportifs, nous sommes leaders en France. Nous obtenons 32 % de croissance sur le premier semestre pour cette division-là. En ce qui concerne les domaines skiables, notre croissance est d'environ 5,5 %, ce qui est un record : on observe au fil du temps un effet de report des stations de basse montagne vers les domaines de haute altitude. Elle atteint presque 18 % pour la partie hospitalité et distribution.

Sur nos parcs, notamment français, nous avons adjoint beaucoup de capacités hôtelières et nous allons continuer à le faire, tout en gérant tout en direct, sans payer de commission à des intermédiaires tels que Booking.com. Ce modèle fonctionne très bien : je pense notamment au Futuroscope où nous avons pu transformer 300 contrats saisonniers en contrats à durée indéterminée en une année grâce à notre stratégie qui consiste à élargir les périodes d'ouverture des parcs.

En ce qui concerne le ski, l'organisation est un peu différente, puisque beaucoup de saisonniers sont des locaux, qui travaillent de génération en génération en station une partie de l'année tout en exerçant un autre métier l'autre partie de l'année - charpentier, éleveur, peu importe.

Si nous voulons gagner cette bataille de la transition écologique, chacun doit y faire sa part. Nos premiers efforts portent sur les scope 1 et 2, je l'ai expliqué. Par exemple, nos premières sources de réductions de consommations, ce sont les dameuses : nous avons testé, d'abord confidentiellement, puis plus officiellement, d'utiliser les huiles de friture usagées de nos parcs d'attractions comme carburant dans les dameuses, après filtration. Il n'y a aucun réglage à faire ; cela marche très bien. Cela s'appelle l'huile végétale hydrotraitée (HVO). Cela réduit les émissions de CO2 de 93 %. C'est maintenant démontré et audité.

Le seul inconvénient, si vous me permettez, c'est que cela coûte un peu plus cher que si nous étions restés au traditionnel diesel, car le HVO est taxé. Nous avons fait le choix de payer cette taxe pour être vertueux. Cela fonctionne aussi très bien dans les bus que nous exploitons à Tignes et Val-d'Isère, sans aucun réglage. Cela fonctionne également dans les chaudières de nos ateliers ou de nos bureaux même si des petits réglages du brûleur sont alors nécessaires - je préfère être précis. C'est ainsi que nous progressons.

La semaine dernière, nous avons signé un accord avec d'autres opérateurs européens de ski sur l'échange de nos meilleures pratiques sur la transition écologique. En me rendant au salon de la montagne d'Innsbruck, je me suis arrêté sur une aire d'autoroute, et j'ai constaté que sur les stations-service autrichiennes, vous pouvez acheter du HVO plutôt que du diesel.

Ensuite, en ce qui concerne nos émissions de scope 3, je vais aborder la question du train. Nous avions rétabli l'Eurostar jusqu'à Bourg-Saint-Maurice ; la SNCF a souhaité l'arrêter. Nous avons donc fait un appel d'offres européen pour trouver des opérateurs, sans succès. Nous travaillons donc avec une startup qui a trouvé des voitures couchettes - un actif rare en Europe - qui sont en rénovation. Pour permettre au projet de se pérenniser, nous avons acheté tous les trains de toute la saison et allons les packager avec des offres d'hébergement pour nos clients. Les ventes sont d'ailleurs ouvertes. Des compartiments seront réservés pour les femmes, et nous proposerons la faculté de réserver la totalité d'un compartiment pour les familles. L'objectif est de créer un produit innovant qui ravivera des souvenirs pour certains, ceux qui aimaient les voyages en train de nuit. Il est possible de proposer des trajets en train, y compris en train de nuit, en France et depuis Paris. Initialement, nous avions prévu un trajet de Lille jusqu'aux Alpes en passant par Paris, mais compte tenu des travaux et des difficultés, nous nous sommes contentés cette année d'un départ de Paris. Nous travaillerons aussi avec un opérateur, l' Union nationale des centres sportifs de plein air (UCPA), pour leur proposer des places dans le train. Les ventes ont débuté hier : la première a été réalisée par une famille de cinq personnes qui se rend à Val-Thorens - cette dernière n'étant pas une station que nous exploitons : nous ne sommes qu'un simple opérateur.

Nous prenons un risque financier significatif, mais nous sommes leaders dans les Alpes : si nous ne le prenons pas, personne d'autre ne le fera. Il faut donner une chance au produit pour un ou deux ans. Je rappelle que la première année, l'Eurostar a perdu de l'argent, mais était à l'équilibre dès sa deuxième année. Le produit doit s'installer dans la durée. Les voitures rouleront à partir de la mi-décembre dès cette année pour toute la saison prochaine.

Une étude a été menée par le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), parrainée par notre think tank interne, « Changeons d'air », sur la typologie des communes des Alpes et des stations de ski des Alpes. C'est la première fois qu'une telle étude est réalisée. La montagne englobe des réalités qui sont, comme vous le savez, très différentes. Cette étude objective a appliqué 50 critères à toutes les communes et les stations de ski et essayé de trouver des typologies. Le périmètre de l'étude était l'ancienne région Rhône-Alpes, c'est-à-dire qu'il s'étend jusqu'à Chambéry ou Grenoble.

Pour le ski, vous l'avez dit, le patron, c'est le maire. Il n'y a pas de débat : le maire a une légitimité démocratique tandis que la mienne n'est que contractuelle, ce qui est bien inférieur. Parfois, les communes se regroupent dans des syndicats intercommunaux. Donc sur un même domaine exploité en délégation de services publics, jusqu'à six ou sept contrats peuvent coexister, avec six ou sept maires qui ont parfois des souhaits différents. Je rappelle que ce sont les maires qui fixent les tarifs dans le cadre contractuel. Au global, ce sont les maires qui décident : la Compagnie des Alpes ne fait que proposer des aménagements, par exemple de remplacer deux télésièges par une télécabine à tel endroit. Nous proposons, nous justifions, nous expliquons et le maire décide in fine.

Nous essayons néanmoins de démontrer notre savoir-faire. Par exemple, cette année, nous avons réalisé une remontée mécanique, le Transarc aux Arcs, pour 43 millions d'euros. La tendance est plutôt en faveur d'appareils de remontée mécanique à fort débit, qui partent de très bas et qui vont jusqu'au sommet, pour répartir les flux sur l'ensemble du domaine.

Vous avez parlé de la décision de Tignes. C'est une décision des élus que je n'ai pas à commenter : notre contrat s'est terminé. Ce n'est pas du tout une remise en cause de la compétence des équipes de la Compagnie des Alpes. La commune a décidé de reprendre l'exploitation, avec un projet de territoire. Elle doit, dans ces conditions-là, nous racheter les actifs dont la valeur non amortie est de 150 millions d'euros. Nous allons donc cesser nos activités le 31 mai 2026. A priori, à l'heure où nous nous parlons, de ma compréhension, le financement n'est pas finalisé : nous sommes donc en attente. Par ailleurs, en ce moment, le syndicat intercommunal de La Grande Plagne mène un appel d'offres. Nous avons répondu aussi récemment à un appel d'offres d'une station qui ne correspond pas tout à fait à la typologie de celles que nous exploitons habituellement : il s'agit de Pralognan-la-Vanoise, qui pourrait être considéré comme le « petit Chamonix », à l'entrée du parc de la Vanoise. Hormis cela, nous n'avons pas de velléité de nous développer sur des stations de basse et moyenne montagne ; ce n'est pas notre métier.

Mme Sylviane Noël. - Monsieur le directeur général, en tant que présidente du groupe d'études sur le tourisme de la commission des affaires économiques, je souhaitais vous interroger sur un sujet qui me tient à coeur, à savoir l'avenir de nos stations de montagne.

J'ai reçu dans le cadre de ce groupe de travail, il y a environ un an, les représentants de l'association nationale des maires des stations de montagne, de Domaines skiables de France et de la Cour des comptes, à la suite de la publication du rapport de cette dernière sur les stations de montagne face au changement climatique. Ce rapport avait fait grand bruit ; certains acteurs avaient déploré son positionnement pessimiste sur l'avenir des stations de ski.

Il estimait que seules quelques grandes stations disposant de la fréquentation et de l'altitude nécessaires pour amortir de lourds investissements allaient s'en sortir. Le rapport était en outre très mitigé sur les stratégies de diversification, estimant qu'elles reproduisaient le même modèle économique de ski.

J'aurais souhaité avoir votre avis sur ces questions. Quel regard portez-vous sur ces conclusions ? Quelle est votre expérience et comment adaptez-vous votre stratégie ? Enfin, ce rapport dénonçait le manque de planification de l'État sur l'adaptation au changement climatique des stations de ski. En tant qu'exploitant, qu'attendez-vous de l'État ?

Mme Martine Berthet. - Monsieur le directeur général, comme l'a indiqué notre présidente, je devrais être rapporteure du projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques des Alpes 2030. Je suppose que vous êtes associé, en tant qu'opérateur important de la montagne, ou du moins consulté, dans le cadre de ce projet de loi qui va nous être soumis prochainement.

En tant qu'exploitant important de domaines skiables, mais aussi en tant que gestionnaire d'hébergement, avez-vous des suggestions à formuler, notamment concernant les sujets climatiques, de logement, d'urbanisme et de tourisme qui seront examinés par notre commission ?

J'ai une deuxième question concernant la mobilité, qui est une des seules façons de décarboner l'activité touristique de la montagne. Je voudrais vous féliciter pour le retour de ce train de nuit pour lequel je me suis beaucoup mobilisée depuis plusieurs années, avec encore une question orale dernièrement à ce sujet.

Concernant l'offre que vous avez développée avec Travelski, quel développement comptez-vous mettre en oeuvre, particulièrement dans l'objectif des jeux Olympiques ?

M. Dominique Thillaud. - Sur le rapport de la Cour des comptes, je ne porterai pas de jugement : il y a un peu un mélange de tout dedans. Certaines stations pourraient trouver arbitraires les classements entre telle ou telle catégorie. La pérennité d'une station n'est pas seulement une question d'altitude élevée.

Par exemple, à Serre-Chevalier, une station de la région Sud que nous exploitons, nous constatons des phénomènes de retour d'est, comme à Val-d'Isère d'ailleurs, qui fait que l'altitude a moins d'impact sur l'enneigement. Cela signifie que malgré une altitude moindre, l'enneigement peut être plus important en fait que dans d'autres stations.

Sur le modèle de diversification estivale, je l'aurais exprimé ainsi : s'il s'agit d'exercer des activités non rentables l'été en comptant sur les gains de l'hiver pour les compenser, cela renforce le modèle du ski. En outre, le modèle estival ne repose pas sur la même typologie de clientèle ni le même investissement. Nous l'avons fait dans quelques endroits, mais nous ne sommes pas partisans de couvrir les Alpes de luges sur rail et de tyroliennes. D'abord, cela artificialise et nous y sommes sensibles. Ensuite, un passage en tyrolienne coûte très cher, environ 50 euros par personne : or la clientèle familiale typique d'un séjour estival en montagne se contente d'un passage en tyrolienne. Ce n'est pas comme le ski où les clients sont prêts à payer 50 euros chaque jour pour aller skier toute la journée.

Et puis, rappelons-nous que la saison d'hiver est de plus en plus rentable pour l'ensemble des opérateurs.

Je le répète : si l'on développe des activités non rentables l'été, on accroît en fait la dépendance du territoire au ski. C'est donc de la fausse transition.

Il faut aussi que l'ensemble des stations de ski se mettent au travail : or, seuls 40 % des stations de ski ont fait leur bilan carbone - c'est une statistique de Domaines skiables de France.

Enfin votre dernier point, qu'est-ce que j'attends de l'État ? Décaler de 5 ans, la directive sur la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD), cela rendrait service à toute l'économie française. L'État pourrait aussi prendre en charge des investissements, en matière de mobilité, notamment sur le transfert modal pour favoriser la desserte ferroviaire. Par exemple, aujourd'hui, la SNCF dit manquer de rames, mais en exporte en Espagne pour proposer des trajets Madrid-Alicante à 9 euros.

Les jeux Olympiques d'hiver de 1992 à Albertville étaient ceux de la RN90 ; c'était le siècle dernier. Les jeux de 2030 seront peut-être ceux de la desserte ferroviaire, c'est en tout cas ce que nous attendons, mais il ne s'agit pas tant d'avoir des rails, il faut aussi des sièges.

Il faut en outre créer des conditions favorables aux nouveaux entrants. L'activité ferroviaire est très risquée : on le voit en ce moment, avec cette petite start-up qu'on aide de la meilleure manière possible.

Au niveau de la Compagnie des Alpes, nous avons les moyens et la chance de faire des choix malgré des coûts parfois plus élevés - comme concernant la taxe sur le HVO : nous n'avons pas attendu que la taxe baisse pour passer au HVO. Il nous semble important de respecter les sites naturels sur lesquels repose notre activité.

L'enjeu des jeux de 2030 est donc la mobilité : c'est ce que j'appelle de mes voeux. Nous sommes mobilisés pour faire rouler davantage de trains.

Aujourd'hui, nous commençons par proposer un train de nuit. L'opérateur en a prévu un deuxième l'année prochaine. Nous serons très engagés sur ces sujets-là.

En ce qui concerne le logement, il y a des villages olympiques qui sont prévus à Briançon, à Beauzelle. Il y a également un village olympique prévu au Grand-Bornand. Il y a six mois, on nous a demandé si une résidence MMV en cours de construction ne pourrait pas être réservée pendant la période des jeux pour loger les athlètes de biathlon et de ski de fond. Les équipes en ont discuté à l'époque, mais je n'ai pas d'autres informations.

M. Jean-Claude Tissot. - Monsieur le directeur général, nous avons bien compris que la Compagnie des Alpes opérait un virage depuis quelques années, en se tournant davantage vers les parcs de loisirs.

Cependant, je vais revenir sur votre coeur de métier initial, à savoir la gestion et l'exploitation des domaines skiables. Vous avez évoqué la question environnementale comme une priorité, bien qu'il soit compliqué de concilier environnement et ski sans tomber dans le « ski bashing ».

J'aimerais vous interroger sur une des composantes de vos engagements, à savoir la gestion de l'eau. C'est un sujet sensible, car la demande en eau s'accroît ponctuellement dans les stations de ski en période hivernale, sous l'effet des pics de fréquentation touristique. Cela nourrit des tensions dans les conflits d'usage. Plusieurs stations ont été épinglées, notamment en raison de l'assèchement des cours d'eau afin de produire davantage de neige artificielle.

En 2023, vous avez indiqué mettre en place un écosystème de recherche et de mesure de l'utilisation de la ressource en eau dans le but de limiter l'impact de vos activités et les éventuels conflits d'usage. Pouvez-vous nous dire où en est cette recherche ? Dans quelle mesure prenez-vous en compte la question de l'eau ? Est-ce que l'accaparement de la ressource en eau au profit de l'industrie du ski est une réalité ?

Mme Viviane Artigalas. - Monsieur le directeur général, depuis 2018, vous développez des projets de production d'énergie renouvelable pour réduire l'empreinte de carbone des stations de ski. Je pense par exemple à Serre-Chevalier, où vous avez mis en place un programme combinant trois sources d'énergie renouvelable - l'hydroélectricité, le photovoltaïque et le petit éolien. Ce programme vise à couvrir 30 % de la consommation électrique de la station. Où en êtes-vous par rapport à cet objectif ? Ce même travail de décarbonation est-il également en cours sur toutes les autres stations avec un mix énergétique similaire, au-delà des dameuses roulant au HVO ? Avez-vous le même objectif pour toutes vos stations de ski ?

J'en viens à une deuxième question, concernant les saisonniers. Vous avez déjà abordé le sujet, en mentionnant que vous aviez 6 000 collaborateurs en équivalent en temps plein, mais 12 000 en comptant les saisonniers. Rencontrez-vous des difficultés à les recruter ? On a bien vu que vous essayez de les fidéliser via des actions. Est-ce que cela fonctionne bien ? Nous connaissons les difficultés que les saisonniers rencontrent en matière de logement. Avez-vous une politique de logement pour vos saisonniers, soit par des logements propres à la Compagnie des Alpes soit par des contrats avec d'autres entreprises ? Ou avez-vous d'autres types de logements, comme des tiny houses ou des solutions similaires ?

M. Jean-Marc Boyer. - Je pense qu'il est important de concilier le développement du ski et la protection de la nature et de la biodiversité. C'est, je suppose, l'objectif que vous vous êtes fixé.

Vous avez mentionné plus tôt que l'activité de ski d'hiver pouvait servir à compenser les pertes engendrées par d'autres activités estivales. Or le réchauffement climatique a pour conséquence que l'enneigement se concentre de plus en plus sur les hautes altitudes. De nombreuses stations de moyenne montagne, notamment dans le Massif central, s'orientent désormais vers l'activité quatre saisons, afin de trouver des alternatives au ski.

J'aimerais avoir votre avis sur l'ensemble des activités, notamment liées aux parcs nationaux et des parcs régionaux qui protègent la biodiversité et qui sont nombreux dans les stations de montagne. Or, ce sont, il me semble, des moyens d'attirer une activité touristique qui, certes, est moins aisée que celle des sports d'hiver, mais qui peut quand même être rentable.

Ma deuxième question concerne votre politique de gestion des saisonniers en termes d'accueil et de formation. Vous avez mentionné plus tôt que vous étiez parvenu à pérenniser de nombreux emplois saisonniers.

Enfin, la Compagnie des Alpes est sur un territoire où se trouvent près de la moitié des stations thermales françaises. Entretenez-vous des relations, des projets ou des partenariats avec ces stations thermales qui sont, je suppose, importantes en termes d'activité économique ?

M. Dominique Thillaud. - La gestion de l'eau est un sujet que nous avons abordé avec l'université de Grenoble. Nous avons travaillé sur l'un des deux bassins versants de La Plagne. La conclusion de notre étude est qu'1,8 % de l'eau est prélevée pour la neige de culture. À Val d'Isère, 0,8 % de l'eau du bassin versant est consommée pour l'eau potable, en moyenne annuelle. Mais ce qui est intéressant, ce n'est pas tant la moyenne annuelle, mais plutôt le moment où l'on prélève l'eau.

Pour des raisons techniques, nous évitons de prélever l'eau en période de forte crue, c'est-à-dire à la fonte des neiges, car elle est chargée de limon, ce qui endommage les pompes. Dernier point : 90 % de l'eau s'écoule en mer en environ trois jours.

Lorsque l'agriculture a besoin d'eau en aval dans la vallée du Rhône, nous ne prélevons pas l'eau à ce moment-là, mais plutôt en septembre ou octobre - c'est en plus la période où il pleut le plus dans les Alpes. Pour nos domaines, il n'y a donc pas de conflit d'usage.

Des doctorants ont travaillé sur une étude à ce sujet, en particulier sur la naturalisation des retenues collinaires avec des bâches plastiques.

La neige de culture retarde le cycle de l'eau d'un mois et demi. Selon Ghislain de Marsily du Collège de France, 90 % de l'eau fond et revient exactement au même endroit - c'est-à-dire dans la mer - tandis que 10 % se sublime ou s'évapore. Il n'y a pas de nappe phréatique en montagne.

L'ambition, c'est ralentir le cycle de l'eau pour limiter notre empreinte hydrique. Évidemment, il n'y a pas d'additif dans la neige de culture : c'est de l'eau et de l'air.

Concernant les énergies renouvelables, effectivement, Serre Chevalier est un peu notre laboratoire, car cette station remplissait certaines conditions, notamment d'enneigement. Nous avons mis des turbines sur nos réseaux de neige de culture. Nous allons atteindre 30 % des besoins électriques de la station grâce à cette autoconsommation. Par ailleurs, pour produire de l'électricité, nous n'utilisons que de l'hydroélectricité dans tous nos domaines, puis des panneaux photovoltaïques sur les gares des télésièges ou des télécabines.

Cette dernière solution est efficace en termes d'autoconsommation, mais pose des difficultés en termes d'assurance. Les assureurs sont réticents à assurer des panneaux photovoltaïques qui pourraient potentiellement prendre feu sur des établissements recevant du public (ERP). Nous essayons donc de développer d'autres solutions. Mais installer des champs photovoltaïques en montagne ou des éoliennes, personnellement, je n'y suis pas très favorable.

Ensuite, concernant les saisonniers, premièrement, nous les payons un peu mieux que la moyenne. Deuxièmement, à la montagne, nous avons des saisonniers qui, à 75 %, sont propriétaires de leur logement. En effet, il s'agit souvent d'habitants des vallées. Cependant, ces personnes partiront un jour à la retraite et seront remplacées par des jeunes qui ne seront pas propriétaires. Aujourd'hui, la Compagnie des Alpes possède environ 400 appartements pour loger nos saisonniers. Nous condamnons certaines chambres de MMV pour loger nos propres saisonniers si jamais, à la construction, il n'il n'y avait pas des logements saisonniers déjà qui étaient prévus. Dans toutes les constructions neuves, nous incluons des logements saisonniers. La mairie de Bourg-Saint-Maurice nous a sollicités pour résoudre le problème du logement des saisonniers ; nous sommes donc devenus partenaires dans une société d'économie mixte locales (SEM) pour le logement des saisonniers. Nous disposons désormais d'une capacité de réservation. J'ai également acquis un petit bâtiment à Bourg-Saint-Maurice pour loger des saisonniers. Contrairement à ce que certains essaient de faire croire, j'estime que le logement des saisonniers est une responsabilité de l'employeur, et non de la puissance publique. L'un de nos engagements est de consacrer 2 % de notre budget pour l'investissement global à l'amélioration de la qualité de vie des employés, des collaborateurs : le logement des saisonniers en fait partie.

La moitié de l'investissement du groupe concerne le ski, encore aujourd'hui. Nous allons investir entre 120 et 150 millions d'euros d'investissement par an. Cela fait de nous l'un des premiers investisseurs dans les Alpes. Si nous développons des activités estivales qui ne sont pas rentables, que nous compensons par les gains sur le ski en hiver, alors cela signifie que les activités estivales sont dépendantes du ski.

Néanmoins, chaque territoire ou typologie de territoire a ses atouts, ses possibilités, dépendant de l'exposition, de l'altitude, de sa localisation. Malgré le raccourcissement des saisons, il est parfois plus rentable d'opérer de lourds investissements pour du ski deux mois dans l'année.

Cela relève d'un choix politique sur lequel je ne me prononce pas. Je pense à une station qui avait arrêté les activités de ski, ce qui avait fait grand bruit. Finalement, elle a réinvesti 5 millions d'euros dans le ski. En effet, elle aurait sinon observé une baisse de l'attractivité du site et, par conséquent, une baisse des revenus. On raisonne toujours en termes de flux, mais il ne faut jamais oublier le stock, c'est-à-dire la valeur du petit hôtel, du restaurant qui, le jour où l'on arrête les activités de ski, devient nulle. Non seulement il n'y a plus de flux, mais en plus, la valeur accumulée par des générations disparaît. C'est donc très compliqué et très difficile à vivre pour nombre de territoires et de ces entités familiales.

En ce qui concerne les stations thermales : non, nous n'entretenons pas de relations avec les stations thermales.

Je reviens encore sur les saisonniers : je l'ai dit, nos métiers sont à forte intensité capitalistique et à forte intensité humaine. Il faut faire travailler nos collaborateurs décemment, dans de bonnes conditions, en les rémunérant normalement et en leur offrant des perspectives de carrière. Outre les saisonniers, nous avons besoin de logements pour loger le personnel permanent. Or certaines ressources sont difficiles à trouver en station. Souvent, il n'y a pas ou peu d'écoles, pas de collèges, ce qui contraint certaines personnes à habiter en vallée. Ce sont donc des choix personnels et professionnels qui ne sont pas simples.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous devez également avoir une forte diversité de métiers.

M. Dominique Thillaud. - Oui, bien sûr. Par conséquent, l'attention portée aux métiers techniques, que l'on retrouve, par exemple, en Haute-Savoie, est essentielle. J'ai discuté avec le patron de Bontaz sur le fait que l'accès à des ressources et des compétences techniques pointues devient très compliqués, même dans des endroits qui sont, pour reprendre l'expression, riches, ou avec une forte activité. Bontaz, situé dans la vallée de l'Arve, rencontre un fort succès, mais est obligé parfois de sous-traiter ailleurs parce qu'il n'arrive pas à trouver la compétence sur ce territoire.

Il en va de même sur d'autres territoires : lorsqu'un grand site de distribution en ligne ouvre un nouvel entrepôt à 50 kilomètres au nord de Paris, il offre des conditions d'emploi qui attirent les électromécaniciens. Par conséquent, d'autres entreprises, peut-être de taille moyenne, auront du mal à les retenir. Il y a un vrai sujet de volume de compétences, et notamment techniques.

Nous sommes partenaires de certains lycées professionnels spécialisés en mécanique, etc. Nous sommes prêts à prendre tous les élèves si nécessaire.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Monsieur le directeur général, votre groupe a engagé, depuis un certain nombre d'années, un développement stratégique progressif à l'international. Vous n'en avez pas parlé jusqu'à présent. Vous disposez de quelques parcs de loisirs en Belgique, aux Pays-Bas, en Suisse et en Autriche. Cependant, votre présence à l'international est beaucoup plus forte grâce à votre activité de conseil en aménagement et en exploitation touristique. Un projet de station de ski au Maroc, des conseils pour le développement des stations de ski en Chine, l'étude pour des parcs de loisirs ou des domaines publics en Turquie.

En tant que sénateur des Français de l'étranger, je m'intéresse plus particulièrement à votre stratégie. Pour vos activités en exploitation directe à l'étranger, faites-vous de la franchise ou exploitez-vous en direct ? Vous nous avez expliqué que pour vos activités en exploitation directe à l'étranger, la sécurité donne la confiance et que c'est ce qu'il y a vraiment de plus important dans vos activités.

Pour les fonctions d'encadrement, est-ce que vous envoyez du personnel français pour former le personnel ? Est-ce que vous recrutez des Français qui vivent à l'étranger et qui constituent un véritable vivier d'embauche ? Pour vos activités de conseil, les missions nécessitent-elles des déplacements, des détachements et pendant combien de temps ?

M. Daniel Salmon. - Monsieur le directeur, vous avez exposé vos préoccupations environnementales de manière très complète, ce qui est particulièrement bienvenu dans le contexte actuel.

J'aimerais obtenir quelques précisions. Vous avez évoqué vos inquiétudes concernant la mobilité. Quelle est encore la proportion de vos clients qui se rendent sur place en voiture ?

Vous avez également mentionné les dameuses fonctionnant à l'huile de friture, ce qui semble très prometteur. Pouvez-vous nous indiquer la proportion d'HVO dans la consommation de vos dameuses et de vos bus ? Parce que, parfois, on constate quand même des taux de...

M. Dominique Thillaud. - C'est 100 % !

M. Daniel Salmon. - Dans le bilan carbone, vous n'avez pas abordé la consommation énergétique du logement. Quelles sont vos actions en matière de rénovation thermique ? Possédez-vous encore un grand nombre de passoires énergétiques dans votre parc immobilier ?

Ensuite, un autre point concernant les parcs d'attractions, qui sont souvent, en quelque sorte, des temples de la consommation. Et surtout, en matière d'alimentation, avec une grande quantité de soda, de frites, qui ne va pas dans le sens d'une bonne alimentation pour prévenir des pathologies de santé, notamment l'obésité.

Vous avez bien expliqué que la neige artificielle ne consommait pas beaucoup d'eau, car la grande majorité était restituée à l'environnement. Mais que représente la consommation énergétique pour produire de la neige artificielle ?

M. Fabien Gay. - Monsieur le directeur, ma question porte sur la course à la croissance extrêmement forte, au gigantisme, dans les domaines des loisirs et de la culture. Dans les parcs d'attractions, il y a une confrontation, y compris au niveau européen, avec Europa-Park, Disneyland Paris, etc.

Est-ce que vous allez rentrer dans la stratégie de croissance toujours plus forte pour accueillir plus de monde, parfois au détriment, justement, de la qualité d'accueil et de votre taille humaine ?

Ma deuxième question est liée à l'accessibilité et au prix. Par exemple, vos concurrents sont extrêmement chers. En raison de l'intelligence artificielle, des prix peuvent varier du simple au double voire au triple. Mais cela ne permet pas à un certain nombre de personnes de se rendre dans les parcs d'attraction, tout particulièrement en famille, car la visite pour une journée voire un week-end y est très coûteuse. Quel est votre questionnement en tant qu'industriel ? Est-ce que vous voulez garder une taille humaine et une accessibilité, peut-être au détriment de bénéfices qui pourraient être plus rentables ? Ou allez-vous entrer dans cette course au gigantisme pour accueillir plus de personnes, avec des manèges toujours plus sensationnels ? Je sais que vous avez rendu l'entrée gratuite cette année pour les moins de 13 ans, ce qui permet, même si cela reste cher, à un peu plus de familles de pouvoir s'y rendre.

M. Dominique Thillaud. - Effectivement, 100 % des dameuses fonctionnent au HVO depuis 2 ans. Cela a permis une réduction de 93 % de nos émissions. Nous avons investi dans la recherche et le développement pour passer à l'électrique, ce qui nous permettrait d'économiser les 7 % d'émissions restantes, ou presque.

En collaboration avec une entreprise, qui n'a malheureusement pas survécu, nous avions développé une dameuse électrique. Nous avons financé ce projet dont nous détenons la propriété intellectuelle. Parce qu'il est essentiel pour nous de produire en France, nous avons proposé à nos partenaires potentiels de leur mettre à disposition notre propriété intellectuelle, à condition qu'ils construisent une usine en France. Nous sommes l'un des premiers acheteurs mondiaux de dameuses, et nous sommes prêts à acheter un volume suffisant pour garantir leurs coûts fixes. Dans ce domaine, nous sommes face à un duopole, avec une entreprise allemande et une entreprise italienne. L'un des acteurs a refusé, mais l'autre a accepté. C'est pourquoi, en décembre dernier, nous avons annoncé la création d'une nouvelle usine en France, qui créera des emplois et sera le pôle mondial pour les constructions de dameuses 100 % électriques.

Nous ne pourrons pas économiser totalement les 7 % restants, car certaines dameuses fonctionnent avec des treuils. Or on ne sait pas encore passer à l'électrique sur les treuils. Pour être précis, nous allons donc gagner 6 ou 6,5 % de ces 7 %.

Sur la consommation énergétique des logements, nous essayons de faire de la rénovation lorsque c'est possible. De plus, les logements neufs sont limités par les contraintes spatiales. Notre enjeu est donc la rénovation. Et c'est pour cela que je souligne que le vrai actif stratégique de la montagne, c'est l'hébergement ; ce n'est pas les remontées mécaniques. Si 20 000 personnes arrivent en montagne, nous pouvons leur fournir 20 000 forfaits. En revanche, il faut les loger sur place.

Un sujet touche à la fois les résidents permanents et les saisonniers. J'ai en tête le cas d'une résidence que nous voulions racheter pour en faire un outil de location après rénovation. Si la Compagnie des Alpes rachète un bâtiment pour le louer en bloc, elle doit le désamianter, ce qui est normal. Il faut également le mettre aux normes des établissements recevant du public (ERP). En revanche, si un acteur avec le statut marchand de biens rachète ce même bâtiment, il n'aura pas besoin de procéder à ces travaux : cela relève de la spéculation immobilière. En outre, ce marchand de biens paiera 0,75 % de droits de mutation à titre onéreux tandis que la Compagnie des Alpes paiera 5,75 %. Le statut de marchand de biens est donc un outil fantastique pour faire de la spéculation.

C'est pour cela que j'avais proposé dans différentes instances, que le maire puisse décider où le statut de marchand de biens est utilisable dans sa commune.

Pour un exemple, sur cet immeuble-là, j'ai fait une offre à 20 millions, alors que le marchand de biens a pu payer 32 millions parce qu'il n'avait pas l'obligation de passer en ERP et parce qu'il n'avait pas l'obligation de désamianter. Derrière, il fait de la vente à la découpe, puisque compte tenu du statut, il lui faut vendre 50 % avant 3 ans et 100 % avant 5 ans. Si je résume : il fait moins de travaux, paie moins de droits de mutation et vend à la découpe pour faire des résidences secondaires au détriment des habitants permanents, des habitants saisonniers et des clients éventuellement.

Sur la consommation énergétique, en France, je crois que la moyenne par habitant, c'est 38 mètres carrés, chauffés à 70 % par une énergie fossile. À la montagne, c'est 10 mètres carrés chauffés à 80 % par de l'électricité. C'est positif en termes d'impact. De plus, quand le client est à la montagne, il n'est pas chez lui. J'aimerais bien voir l'impact différentiel. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas rénover ; c'est d'ailleurs ce que nous faisons. Mais on ne veut pas dépenser de l'argent pour rien.

En ce qui concerne la qualité gustative et nutritionnelle des menus que nous proposons, nous avons des menus végétariens partout et nous essayons de monter en qualité. Oui, nous vendons des frites, parce que les clients en veulent. Nous essayons aussi de nous fournir localement sur les limonades, etc. Il y a un certain nombre de produits que les clients veulent et qui ne sont pas faits localement ou qui sont faits dans l'usine la plus proche en France. Nous achetons tous les sangliers qui sont tués par les chasseurs au nord de la Loire pour les servir au parc Astérix. Si vous êtes allé au parc Astérix, vous pouvez manger du sanglier au restaurant. Cela fait partie de l'expérience. Au sein de nos résidences MMV à la montagne, nous essayons aussi de nous sourcer localement, cela fait partie de nos engagements. Et nous sommes même prêts à payer un peu plus cher pour des produits locaux. Nous sommes passés à la vaisselle non jetable - ce qui, d'un point de vue écologique, est pire que la situation antérieure.

Ensuite, pour répondre à la question sur l'accessibilité du parc Astérix : une grande part de nos clients, je dirais à peu près 40 %, achètent leurs billets par le comité social et économique (CSE) de leur entreprise. Nous avons des attentes selon la typologie de client que nous ciblons - adolescents, jeunes adultes, petits enfants, etc. Nous essayons dans nos parcs d'avoir la gamme complète.

Cela a été dit, mais nous avons également acheté un parc en Allemagne. Cependant, nous ne disposons pas des franchises Star Wars, ni des franchises Harry Potter. Concernant le parc Astérix, nous allons essayer de l'agrandir, dans les limites existantes : tout autour, ce sont des terrains agricoles et non constructibles ; il y a même une zone Natura 2000 au nord du parc. Nous n'avons pas du tout l'ambition de toucher à quoi que ce soit, nous nous concentrons uniquement dans nos clôtures. Donc, nous créons et recréons un produit pour satisfaire la clientèle. Il y a quatre ans, nous n'étions quasiment pas ouverts à Noël et très peu à Halloween. Maintenant, la période d'Halloween à elle seule représente 20 % du chiffre d'affaires. Nous ouvrons également à Noël ; c'est ce que je disais tout à l'heure sur l'extension des périodes d'ouverture. Nous sommes suffisamment ouverts pour pouvoir transformer des contrats saisonniers en CDI pour ceux qui le souhaitent. Nous avions aussi examiné le CDI intermittent, avec un employeur sur l'hiver, un employeur sur l'été, mais nous n'avons pas eu de candidat pour travailler dans une résidence MMV l'hiver et travailler dans un hôtel du Futuroscope ou du parc Astérix l'été avec une période de coupure.

Dans le passé, cela paraît un peu lointain, la Compagnie des Alpes a fait le design de la station de Sotchi pour les jeux d'hiver. Et à une époque encore plus lointaine, la Compagnie des Alpes avait fait le design de la station de ski indoor de Dubaï. Les choses ont changé depuis mon arrivée : on ne peut pas dire qu'on veut atteindre la neutralité carbone en France et continuer à apporter notre assistance technique à ce genre de projets - sans citer de projet spécifique, je pense à des pistes de ski de 500 mètres de long dans un pays où il y a 100 % d'humidité et 45 degrés pendant cinq mois de l'année et qui, par ailleurs, va construire 150 centrales à charbon dans les cinq prochaines années.

Nous avons donc arrêté. Nous n'apportons plus notre assistance technique à des projets pour lesquels il n'y a pas majoritairement de la neige naturelle, ce qui inclut un certain nombre de géographies que je ne vais pas citer. Nous avons donc renoncé à un certain nombre de contrats, très rentables et très bénéfiques, mais qui ne correspondaient pas à notre raison d'être que j'ai évoquée en introduction de cette intervention. Sur la partie internationale, désormais, notre assistance technique est soumise aux mêmes critères que ceux qu'on développe. Pour donner un exemple de projet, nous avons arrêté un projet de parc d'attractions sur une ex-ancienne plateforme pétrolière où l'on irait en hélicoptère et en yacht. Nous essayons d'être cohérents à l'extérieur comme avec ce que nous sommes à l'intérieur.

Nous avons quelques Français qui travaillent à l'étranger. Il se trouve qu'historiquement, nous avons beaucoup de Belges qui travaillent dans nos parcs en Autriche. Nous avons acheté en Allemagne aussi. Généralement, il faut quand même être local puisque, comme cela a été évoqué, les relations avec les autorités locales sont importantes. Dans les parcs d'attractions, il vaut mieux être Allemand en Allemagne, et Français en France. Nous n'avons donc pas beaucoup d'expatriés.

M. Bernard Buis. - J'ai deux questions. Avez-vous engagé des investissements dans des technologies moins énergivores ou des alternatives plus durables à la neige de culture ?

Vous avez évoqué vos activités à l'international, notamment via l'ingénierie touristique et la gestion des sites à l'étranger. Quelles sont aujourd'hui vos priorités en matière de développement et comment valorisez-vous le savoir-faire français dans l'exploitation des stations de montagne et des parcs de loisirs ?

M. Éric Dumoulin. - Monsieur le directeur général, je souhaite aborder avec vous la question de l'avenir. Vous gérez, comme vous l'avez mentionné, des stations de haute altitude, ou du moins d'altitude conséquente. Nous observons, compte tenu de la raréfaction de l'enneigement dans les autres massifs et également dans les stations basses, que vous devriez connaître une fréquentation en constante augmentation dans les années à venir.

Comment comptez-vous gérer cette surfréquentation ? Il ressort clairement de l'expérience client de nombreux skieurs dans certaines de vos stations que des problèmes d'engorgement et d'encombrement se posent. Certaines stations ont commencé à réfléchir à la mise en place de quotas ou de forfaits pendant certaines périodes clés ou tendues. Quelle est donc votre stratégie à court, moyen et long terme face à cette tendance qui va inévitablement se produire ? Comment comptez-vous gérer cela et comment comptez-vous maintenir la satisfaction client compte tenu de cette pression croissante dans vos stations ?

M. Daniel Fargeot. - Monsieur le directeur général, vous avez précisé dans votre propos liminaire quelques difficultés potentielles dans le cadre du renouvellement de certains contrats de gestion de domaine skiable à venir.

En cas de non-renouvellement de concession, ce que je ne vous souhaite pas, bien évidemment, vous aurez à faire face à des rachats d'actifs. Avec ce rachat d'actifs, auriez-vous une vision de croissance externe ? Peut-être devrez-vous revoir vos modèles économiques et envisagerez-vous de vous orienter vers d'autres compagnies, comme celle du Mont-Blanc, par exemple, pour étendre votre périmètre d'activité.

Pour quelles raisons ne souhaitez-vous pas développer vos activités de loisirs en moyenne montagne l'été ? Le tourisme de montagne reste pour autant une valeur sûre, avec ou sans enneigement l'hiver.

Mme Marianne Margaté. - Ma question concerne le transport des salariés au parc Astérix, situé dans un joli coin de l'Oise, au milieu des villages. Nous disposons d'une liaison directe entre l'aéroport de Roissy et le parc Astérix. Souvent, on est très attentif au transport rapide de la clientèle, parfois un peu moins à celui des salariés. En tant que résidente de banlieue de la grande couronne, je connais la difficulté à se rendre sur un lieu de travail, notamment lorsque les horaires sont adaptés au fonctionnement d'un parc, mais moins à la réalité des transports en commun.

Comment veillez-vous à la question du transport des salariés qui font vivre le parc ? Avez-vous des partenariats pour favoriser l'accès à l'emploi des jeunes et des moins jeunes du territoire, que ce soit de l'Oise, de la Seine-et-Marne, du Val-d'Oise ou de la Seine-Saint-Denis ?

M. Dominique Thillaud. - Nous avons investi beaucoup d'argent sur la tête d'enneigeur, ce qu'on appelle le canon à neige. Nous avons déposé un brevet sur une réduction de la consommation d'eau et d'énergie de 15 %. Petit à petit, au fil du temps, nous remplaçons ces nouvelles têtes d'enneigeur. Nous récupérons les bandes de roulement de nos remontées mécaniques pour en faire les tapis qu'on met au sol : ils sont en caoutchouc et sont recyclés. Maintenant, le sous-traitant en fait même des baskets.

En termes de développement, nous ciblons principalement l'Europe sur des marchés que nous connaissons et sur lesquels il peut y avoir des opportunités. Nous ne sommes pas destinés à exploiter à l'autre bout du monde et nous ne disposons d'ailleurs pas des propriétés intellectuelles qui le permettraient, comme celles des parcs Harry Potter ou des parcs Star Wars.

Pour les activités skiables, il en va de même, même si nous n'excluons rien.

Concernant la surfréquentation, il faut noter que le peu de croissance en volume que nous avons, c'est sur les périodes dites « creuses », c'est-à-dire, avant Noël et après les vacances de Pâques, pour faire simple. À Noël et en février, les hébergements sont à bloc, si vous me passez l'expression. La croissance, on va la chercher sur les semaines entre les vacances de Noël et le début des vacances de février, où là, effectivement, depuis 2 ou 3 ans, nous connaissons une augmentation de la fréquentation. Avant ces périodes, il y a un creux, mais un peu moins marqué qu'auparavant. Mars, c'est la période des vacances de Pâques françaises, mais aussi belges. Ensuite, il y a une grande descente en avril, suivant le positionnement des vacances de Pâques : elles avaient lieu en mars l'année dernière, et en avril cette année. Or à partir du mois d'avril, il y a deux week-ends à Paris à 25 degrés et plus personne ne pense à la montagne. Même si nos dernières stations, Tignes et Val-d'Isère, ferment le 4 mai. Pour résumer, il n'y a pas plus de monde en février et à Noël ; cela n'existe pas parce qu'il n'y a plus de capacité d'hébergement.

Le modèle actuel est conçu pour que les skieurs soient quasiment au pied des pistes. C'est l'organisation française qui a été conçue le siècle dernier. On pourrait construire en bas, mettre un ascenseur valléen comme à Bourg-Saint-Maurice - certains touristes l'acceptent, c'est ce qu'on appelle les excursionnistes, mais tous les clients n'ont pas forcément envie d'être logés en bas : ils veulent vivre l'ambiance de station de montagne, être en haut, en altitude. Pour les navettes, les touristes ne veulent pas prendre le bus.

Pour la grande satisfaction client, nous développons de gros appareils à très fort volume, comme aux Arcs avec le Transarc. Avant, il y avait trois télésièges ; c'était un cauchemar. Là, maintenant, il y a un appareil à très gros débit, très moderne, qui emmène tout le monde tout en haut. Cela permet de disperser sur le volume du haut. Car en effet, 80 % des clients sont sur 20 % du domaine et vont toujours un peu aux mêmes endroits, il y a un enjeu de répartition aussi du nombre de skieurs sur nos domaines. On essaie de faire évoluer, d'entrer en discussion avec le maire en proposant des solutions compte tenu des flux. Après, il décide, c'est sa décision. Comme je le disais, il ne sera pas possible d'avoir deux fois plus de monde au mois de février : comme nous ne construisons plus de logements neufs, nous sommes au maximum de nos capacités.

Récemment, nous avons acheté un parc à Leipzig, en Allemagne.

Vous m'avez posé la question de la Compagnie du Mont-Blanc. En effet, il n'y a pas beaucoup de stations, à ma connaissance, à vendre. Comme ce sont des délégations de service public, cela passe souvent par appel d'offres : or, ils interviennent tous les 25 ans, donc, nous avons le temps de nous positionner. Et puis, nous détenons 38 % de la Compagnie du Mont-Blanc. Même si nous sommes un gros actionnaire, nous n'avons pas d'impact sur la gestion, sur les décisions de la société, car nous sommes minoritaires. Chamonix est un peu le « Mont-Saint-Michel » de la montagne. Cette station est très touchée, évidemment, comme partout, par le réchauffement climatique. Si vous connaissez un climatosceptique, vous l'emmenez faire les 37 étages à pied de la mer de glace : à la sortie, il ne l'est plus.

Nous exploitons également l'été. Nous avons déjà une société qui s'appelle Évolution 2 qui fait, par exemple, tout le rafting sur l'Isère. Nous avons également les deux principales bases de rafting canoë sur l'Isère. Nous développons les activités outdoor, ainsi qu'un peu de ski même si l'objectif est d'avoir une offre hors du ski, car selon un sondage, 18 % des personnes qui viennent en montagne l'hiver ne font pas de ski. Évolution 2 est un peu un pionnier dans ce domaine pour élaborer et construire des offres attrayantes pour les personnes qui ne skient pas pour diverses raisons. Nous essayons de développer cela.

Nous investissons beaucoup pendant l'été. Certaines stations disent qu'elles aimeraient avoir un peu plus d'activité l'été.

Cependant, les stations comme Plagne-Soleil ne sont pas les mêmes que celles qui sont dans une station village, même en haute altitude. À certaines périodes, il est compliqué de trouver un hôtel ouvert ou des restaurants ouverts.

En termes de transports dans les parcs de loisirs, nous avons mis en place un système de tapis roulant pour nos salariés ainsi que pour nos clients sur Creil. Ainsi, à partir de Creil, nous avons considérablement augmenté les amplitudes et le nombre de fréquences. Nous disposons désormais d'un véritable de système de tapis roulant, très rapide, qui encourage nos salariés à utiliser ce type de transports. Nous avons étudié de nombreuses options, y compris la mise en place d'un système de remontée mécanique sur plusieurs kilomètres pour relier la gare au parc Astérix, mais cela s'est avéré trop compliqué et a été abandonné. C'est essentiel pour nous, puisque, comme vous l'avez dit, si les salariés ne peuvent pas se rendre au travail, ils ne peuvent pas travailler, les clients ne sont pas satisfaits, et nous non plus. Le Roissy Picardie est en cours d'arrivée, nous l'attendons. Nous aimerions bien, mais nous n'aurons pas de liaison ferroviaire directe ou en site propre. Cependant, nous avons mis en place un système de covoiturage pour nos salariés, nous avons collaboré avec une start-up qui propose ce service. Nous essayons de développer au maximum l'accessibilité, mais là, le saut quantique ne sera possible que si nous disposons d'un transport en commun en site propre, type ferroviaire ou tramway. Il faut faire des efforts et mettre en place un système de navette en aller-retour.

La formation, c'est très important. Nous délivrons 120 diplômes par an. Nous avons des partenaires avec l'assurance formation des activités du spectacle (Afdas) avec tout ce qu'il est possible de faire. Nous avons un programme dont je suis assez fier : le programme Hope. D'ailleurs, je remets moi-même les diplômes. Nous embauchons des migrants en formation. Nous leur enseignons le français. On leur apprend un premier métier et ils obtiennent un diplôme reconnu.

Nous avons également des programmes pour les jeunes, notamment avec les cités de Creil, ainsi que des programmes d'insertion avec toutes les associations des Hauts-de-France, de l'Oise, la chambre de commerce et d'industrie... Nous recrutons donc des personnes qui ont envie et qui ont de la bonne volonté. Ensuite, il y a des compétences plus particulières, plus techniques. Mais cela, nous en avons déjà parlé tout à l'heure. Nous éprouvons une très grande fierté pour ce programme Hope. Sept ou huit par an y sont inscrits, et nous en sommes très, très contents.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Bilan annuel de l'application des lois - Communication

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous en venons maintenant au traditionnel bilan de l'application des lois relevant du champ de compétences de notre commission. Cet exercice s'inscrit dans notre mission de contrôle de l'action du Gouvernement ; il nous revient en effet de nous assurer que toutes les mesures réglementaires nécessaires ont bien été prises pour que les lois que nous avons adoptées puissent être complètement mises en application.

Au-delà de ces aspects statistiques, relatifs aux taux de mesures réglementaires prises sur les mesures attendues, nous devons également nous prononcer sous un angle plus qualitatif : ces lois sont-elles appliquées conformément à nos attentes ?

Cet exercice éminemment politique ayant pris ces dernières années un tour un peu trop technique et formel, alors que nous menons déjà au fil de l'eau un travail d'application de la loi à travers nos rapports d'information et l'examen des projets ou propositions de loi, je vous propose cette année un nouveau format, plus interactif, qui mettra en valeur le « droit de suite » que le Règlement du Sénat, à son article 19 bis B, donne aux rapporteurs des projets de loi. Ainsi, après vous avoir exposé un tableau général de la situation, je donnerai la parole aux rapporteurs de sept lois non encore totalement mises en application, voire pas du tout, et qui ont été sélectionnées en fonction de l'importance des sujets en suspens. Nous aborderons successivement quatre séquences, relatives au logement et à l'urbanisme, à l'énergie, à l'agriculture et au numérique.

J'en viens au panorama général. Je voudrais tout d'abord en rappeler le cadre temporel. Le rapport établi cette année par notre commission ne concerne pas les lois promulguées depuis le début de la présente session ordinaire, car le Gouvernement s'est donné pour objectif, selon la circulaire du 29 février 2008, d'édicter dans les six mois suivant la promulgation d'une loi les mesures nécessaires à son application et les statistiques sont donc arrêtées au 31 mars 2025. Ainsi, relèvent de notre commission 18 lois, promulguées entre juin 2020 et mai 2024.

Parmi celles-ci, deux sont complètement applicables (deux de 2023, la première portant mesures d'urgence de lutte contre l'inflation et la seconde contre l'engrillagement des espaces naturels) et une loi l'est quasiment (celle de 2022 relative à l'aménagement du Rhône). Une autre, la loi du 3 mars 2022 pour la mise en place d'une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public, n'a, comme l'an dernier, encore reçu aucune mesure d'application. Les quatorze lois restantes sont partiellement applicables, selon des taux de mesures prises s'échelonnant de 25° % à 92° %. Le taux moyen s'élève à 64,7 %. Voilà pour la vision d'ensemble.

Je vais maintenant donner la parole à nos rapporteurs, pour entrer dans le détail de quelques-unes de ces lois.

Nous allons commencer par la séquence sur l'urbanisme et le logement. Vous pourrez intervenir si vous le souhaitez après les rapporteurs.

Je passe tout d'abord la parole à notre collègue Guislain Cambier sur la loi n° 2023-630 du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et à renforcer l'accompagnement des élus locaux.

M. Guislain Cambier. - C'est la première fois cette année que nous faisons le bilan de l'application de la loi « ZAN 2 » du 20 juillet 2023. Or ce bilan arrive pour ainsi dire trop tard, car nous avons déjà, entre-temps, fait le constat que les avancées permises par cette loi « ZAN 2 » n'ont pas suffi à corriger les vices originels de la loi dite Climat-résilience.

Sur le papier, la loi « ZAN 2 » est en effet intégralement applicable - tout comme, d'ailleurs, les principales dispositions de la loi Climat et résilience relatives à l'artificialisation. En effet, tous les textes d'application de la loi « ZAN 2 » ont été publiés. Il s'agissait de préciser le régime applicable aux « projets d'envergure nationale et européenne » - les « Pene » -, créés par l'article 3 de la loi. Les autres articles de la loi « ZAN 2 » étaient d'application directe.

L'arrêté fixant la liste des Pene a été pris le 31 mai 2024. Ces derniers sont au nombre de 175. Ce sont pour moitié environ des projets d'infrastructures de transport, et pour un tiers environ des projets industriels et nucléaires. Conformément à ce qui avait été annoncé lors de l'examen de la proposition de loi, cet arrêté précise également les modalités de prise en compte des surfaces mutualisées, en portant le taux de réduction de l'artificialisation des régions de - 50 % à - 54,5 %. Les délais de publication de cet arrêté n'ont pas été excessivement longs, compte tenu des différentes consultations nécessaires.

Cependant, la fixation tardive du cadre réglementaire relatif à la mise en oeuvre des objectifs fixés par la loi Climat-résilience, qui n'a finalement été stabilisé que près de trois ans après son entrée en vigueur, a créé des difficultés insurmontables pour les collectivités - je rappelle que les décrets d'application de la loi Climat-résilience, révisés grâce à l'action du Sénat, n'ont finalement été publiés dans leur version définitive qu'en novembre 2023 ! Nous en avions fait le bilan dans le rapport du groupe de suivi sur l'artificialisation, en octobre dernier. C'est bien pour cette raison qu'à mon initiative et à celle de notre collègue Jean-Baptiste Blanc, le Sénat a adopté le 18 mars dernier, à une très large majorité, la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux (« Trace »), qui assouplit le jalon intermédiaire du - 50 % en 2031.

Cette initiative découlait aussi du constat que les élus ne disposaient pas des outils juridiques et des leviers fiscaux pour mettre en oeuvre cette politique. Sur ce point, nous pouvons blâmer le Gouvernement. L'article 194 de la loi Climat-résilience lui faisait en effet obligation de remettre au Parlement au plus tard en février 2022 un rapport « proposant les modifications nécessaires en matière de délivrance des autorisations d'urbanisme, à la fiscalité du logement et de la construction ainsi qu'au régime juridique de la fiscalité de l'urbanisme, des outils de maîtrise foncière et des outils d'aménagement » à la disposition des collectivités territoriales pour mettre en oeuvre le « ZAN ». Ce rapport n'a jamais été rendu.

Restreignant l'ambition, l'article 9 de la loi « ZAN 2 » prévoyait la remise au Parlement, au plus tard en janvier 2024, d'un rapport plus ciblé sur la fiscalité comme outil de lutte contre l'artificialisation. Ce rapport non plus n'a pas été rendu, et c'est seulement il y a quelques semaines que le Gouvernement s'est enfin décidé à confier à l'inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD) et à l'inspection générale des finances (IGF) une mission relative aux « conséquences de la sobriété foncière sur l'économie de l'aménagement du territoire », qui devrait traiter ces différents aspects. Il était plus que temps.

À l'avenir, tâchons de ne pas mettre la charrue avant les boeufs, et de donner d'abord aux principaux intéressés les outils dont ils ont besoin avant de leur imposer des objectifs qui ne pourront que demeurer, sans cela, hors de portée.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Nous buvons vos paroles, Monsieur le rapporteur !

C'est maintenant à notre collègue Amel Gacquerre d'intervenir pour un point sur l'application de la loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement.

Mme Amel Gacquerre. - Je souhaite revenir sur la mise en application de cette loi dont j'étais rapporteure au nom de notre commission. Nous l'avions examinée en février dernier.

Parmi les articles relevant de la compétence de notre commission, 13 appelaient des mesures d'application. Parmi elles, seules quatre ont été prises. Mais beaucoup sont en cours d'élaboration : 13 décrets seront publiés d'ici cet été, conformément à l'engagement pris par la ministre déléguée chargée du logement, Valérie Létard.

Vous vous en souvenez sans doute, cette loi est une « boîte à outils ». Elle était très attendue des professionnels et des élus locaux qui avaient travaillé à son élaboration.

Sur son volet « copropriétés », elle inclut deux dispositifs emblématiques : le prêt collectif pour financer les travaux de rénovation et le syndic d'intérêt collectif.

S'agissant de l'emprunt collectif, un décret simple et un décret en Conseil d'État sont en cours de finalisation : le premier devrait être publié ce mois-ci et le second au mois de juin. Ils viendront notamment fixer la durée du prêt - qui devrait être de 25 ans - et définir les conditions d'accès de l'organisme prêteur à certaines informations sur le syndicat de copropriétaires, transmises par le syndic. Les décrets détermineront également les catégories de copropriétés pouvant bénéficier du fonds de garantie pour la rénovation : par exemple, les copropriétés accompagnées dans le cadre d'un plan de sauvegarde ou d'une opération de requalification ou d'amélioration de l'habitat.

Ce prêt collectif global est important : ne tenant pas compte de la solvabilité individuelle des copropriétaires, il représente un point d'entrée pour le développement du financement de la rénovation des copropriétés - et pas seulement des copropriétés en difficulté. Je rappelle que la Banque des territoires estimait l'an dernier que 60 % des copropriétés n'étaient pas éligibles à un prêt collectif en raison du niveau des impayés de charges. Elle estimait également le volume des travaux à financer dans les prochaines années à 9 milliards d'euros par an, un chiffre à mettre en regard des 175 millions d'euros de prêts octroyés aujourd'hui par une seule banque, la Caisse d'épargne d'Île-de-France. L'ingénierie bancaire en faveur de la rénovation doit être massifiée, notamment compte tenu de notre calendrier de rénovation énergétique. La ministre du logement nous a confié en novembre dernier, à Marianne Margaté et moi, une mission flash relative à la création d'une banque de la rénovation, qui travaille à approfondir ces solutions.

S'agissant du syndic d'intérêt collectif, qui est une demande ancienne des élus confrontés aux copropriétés dégradées, la loi renvoie à un décret sur les critères de définition de l'agrément et sa procédure d'obtention.

Le décret a été signé et sera publié dans le courant du mois. Il permettra de préciser les qualifications dont les syndics devront justifier pour être reconnus d'intérêt collectif et les conditions dans lesquelles les bailleurs sociaux pourront se voir reconnaître cette qualité de droit, sans passer par la procédure d'octroi par le préfet. Notre commission avait en effet reconnu la compétence spécifique de ces derniers.

Enfin, sur d'autres sujets, deux autres décrets sont attendus.

Le premier doit préciser les conditions de mise en oeuvre du diagnostic structurel décennal obligatoire que les communes pourront désormais exiger dans les secteurs d'habitat ancien ou dégradé. C'est un outil utile pour anticiper la dégradation des bâtiments d'habitation, et prévenir des drames comme celui de la rue d'Aubagne à Marseille ou celui de la rue Pierre-Mauroy à Lille. Le Conseil d'État a été saisi, le décret devrait être publié en juillet.

Le deuxième doit fixer les conditions minimales de confort et d'habitabilité des constructions temporaires et démontables à usage de relogement pour les habitants évincés lors d'opérations de rénovation de l'habitat dégradé. Comme je l'avais dit lors de l'examen du texte en commission, cette solution est pragmatique, et elle ne correspond pas à un pis-aller, puisque ces bâtiments éphémères peuvent être de bien meilleure qualité que certains logements pérennes. Le décret devra apporter des assurances sur ce point, je souhaite donc qu'il soit publié rapidement. Le ministère du logement m'a indiqué qu'il était en cours de rédaction.

M. Franck Montaugé. - Je voudrais formuler une remarque d'ordre général. Ce matin, nous traitons de la mise en application des lois, ce qui est une première étape. Mais ce qui compte, c'est bien l'efficacité des lois. Il nous revient de l'apprécier, conformément à la mission d'évaluation des politiques publiques confiée au Parlement à l'article 24 de la Constitution.

J'avais déposé à cet égard en mai 2021 une proposition de loi constitutionnelle n° 642 portant sur l'évaluation des politiques publiques par le Parlement, proposition qui n'a jamais été examinée. Il s'agissait d'introduire dans la Constitution un nouvel article disposant que « la loi et le règlement précisent ceux de leurs objectifs qui donnent lieu à des évaluations ». Le Parlement pourrait ainsi évaluer l'application d'une loi au regard des objectifs fixés. Le débat y gagnerait en clarté.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Nous conduisons déjà de nombreuses missions d'évaluation. Nous pouvons imaginer de nouvelles pistes, mais il faut tenir compte de nos autres priorités, comme l'examen des textes législatifs ou l'organisation d'auditions, et de la charge de travail de la commission. Notre temps contraint nous impose de faire des choix.

M. Franck Montaugé. - Pour tout dire, cette idée m'avait été soufflée par Bruno Lasserre, alors vice-président du Conseil d'État, à une époque où était à l'ordre du jour une proposition de modification du Règlement du Sénat.

Mme Amel Gacquerre. - Nous entendons souvent dire qu'il faudrait légiférer moins pour légiférer mieux. Peut-être est-ce le moment en effet de nous pencher plus avant sur ces questions pour voir comment travailler autrement ?

M. Yannick Jadot. - Nous sommes tous complices de l'inflation des propositions de loi, qui comblent le manque des projets de loi. Il faut occuper le Sénat. Or, nous savons bien que, dans 90 % des cas sinon davantage, les propositions de loi dont nous débattons ne prospéreront pas et resteront sans effets sur la vie de nos concitoyens.

Peut-être aussi pourrions-nous explorer la voie d'une meilleure complémentarité avec la Cour des comptes ?

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Le Président du Sénat a récemment incité les commissions permanentes, au-delà de celles des finances et des affaires sociales, à solliciter plus souvent la Cour des comptes. Il est vrai que nous n'en avons pas le réflexe.

M. Yannick Jadot. - Nous pourrions aussi entendre les présidents de chambre sur des sujets thématiques.

M. Franck Montaugé. - À l'occasion d'une réforme de notre Règlement, le Président du Sénat avait évoqué un budget permettant de commander des études à des cabinets privés. Cette possibilité complémentaire à celle du recours à la Cour des comptes n'a pas été exploitée.

M. Fabien Gay. - La question qui est posée porte plus généralement sur notre rôle. Nous n'avons tout bonnement pas les moyens de suivre l'application des lois. Pour rappel, nos prérogatives de contrôle sont limitées : les séances de questions d'actualité présentent peu d'intérêt, le Gouvernement ne répond guère aux questions écrites, les personnalités que nous auditionnons éludent nos questions... Même les ministres, comme Bruno Le Maire quand il était ministre des finances, rechignent à se rendre au Parlement.

On estime par ailleurs qu'1 % seulement des crédits budgétaires sont modifiés par le Parlement à l'issue de l'examen du projet de loi de finances. Le plus intéressant, ce sont encore les missions d'information ou les commissions d'enquête...

Comment, dans ces conditions, suivre l'application des lois ? Nous devrions bénéficier de moyens comparables à ceux accordés dans les parlements d'autres pays ou au Parlement européen. Il y va de l'équilibre des pouvoirs.

Mme Annick Jacquemet. - Ce qui me surprend le plus, c'est de constater le fréquent décalage entre les décrets d'application et l'esprit de la loi votée. Je ne comprends pas que le rapporteur du texte ne bénéficie pas d'un droit de regard sur son application. Comment faire changer les choses ?

M. Franck Montaugé. - Dans le droit fil de ce que disait notre collègue Fabien Gay, je regrette que ma proposition de loi, débattue en mars 2018, visant à instituer un conseil parlementaire d'évaluation des politiques publiques et du bien-être, ouvert à la société civile, n'ait pas prospéré. Le Sénat s'est montré alors trop conservateur.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Merci pour vos interventions. Nous aurons l'occasion d'aborder à nouveau tous ces sujets lors d'une prochaine réunion du bureau de la commission.

Nous en venons à la séquence consacrée à l'énergie. La parole est à notre collègue Daniel Gremillet pour la loi n° 2023-491 du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes.

M. Daniel Gremillet. - Je souhaiterais évoquer l'application de la loi « nouveau nucléaire » de 2023, dont j'étais le rapporteur pour le Sénat. Cette loi vise à accélérer la construction de nouveaux réacteurs, pour réaliser la relance de l'énergie nucléaire, annoncée par le Président de la République, dans son discours de Belfort, le 10 février 2022.

Deux ans après la publication de cette loi, son application est avancée.

Au 1er avril 2025, 15 articles ont trouvé une application : parmi ces articles, 11 sont d'application directe et 4 autres ont nécessité des décrets. Pour autant, 1'article n'est pas pleinement applicable, tandis que 8 rapports d'évaluation sont encore attendus.

Sur le fond, je voudrais évoquer trois sujets.

Premièrement, le décret du 29 mars 2024 est perfectible. D'une part, certaines des dispositions de ce décret sont inadaptées. Je pense à la notion de « proximité immédiate » qui restreint trop les sites où les nouveaux réacteurs nucléaires peuvent être déployés, ainsi qu'à la notion « d'opérations anticipables », qui définit mal les travaux de ces réacteurs pouvant ou non être réalisés en amont. D'autre part, certaines des dispositions de ce décret sont inopportunes. Le Gouvernement a ainsi modifié réglementairement des dispositions sur les déclarations préalables, les inspections de sûreté et les rapports de sûreté. Je le désapprouve, car cela excède le cadre permis par la loi et érode, par ailleurs, le niveau d'exigences en matière de sûreté.

Deuxièmement, 8 rapports d'évaluation devant être remis au Parlement sont manquants, ce qui est très problématique. En effet, ces rapports portent sur des sujets majeurs, tels que la construction des nouveaux réacteurs nucléaires, le développement de technologies alternatives, la prolongation des réacteurs existants ou l'adaptation au changement climatique de ces réacteurs existants... Alors que le Gouvernement a relancé la révision de notre programmation énergétique, il est regrettable que le Parlement ne dispose pas des études d'impact qu'il est en droit d'atteindre dans ce domaine stratégique...

Enfin, le dernier bilan d'application des lois que j'ai conduit sur la loi « nouveau nucléaire », de même que celui effectué par notre collègue Patrick Chauvet sur la loi « Aper », ont porté leurs fruits. En effet, la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur de l'énergie, que le Sénat a adoptée, le 16 octobre 2024, a intégré les ajustements et les compléments que nous avions identifiés l'an passé. Ce texte propose donc d'allonger la durée d'application de la loi, de 20 à 27 ans, et la durée des concessions, de 30 à 50 ans, mais aussi de mieux intégrer les petits réacteurs modulaires et le projet de réacteur expérimental ITER. Je forme le voeu que ces modifications prospèrent, car elles sont de nature à faciliter la relance de l'énergie nucléaire que nous attendons tous.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Notre collègue ·Patrick Chauvet va maintenant évoquer la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables.

M. Patrick Chauvet. - Je voudrais aborder l'application de la loi « Aper » de 2023, dont j'étais le rapporteur pour notre commission. Cette loi tend à renforcer le cadre applicable aux projets d'énergies renouvelables, sur le plan de la planification, du raccordement ou du financement notamment. Plusieurs novations ont été introduites, telles qu'un cadre légal pour l'agrivoltaïsme, des contrats de long terme pour les projets d'électricité et de gaz renouvelables ou encore une contribution au partage territorial de la valeur à destination des collectivités accueillant ces projets.

Deux ans après la publication de la loi « Aper », son application est perfectible.

Au 1er avril 2025, 29 articles délégués à notre commission ont trouvé une application : parmi ces articles, 20 sont d'application directe, 1 a nécessité une ordonnance et 12 un décret ou un arrêté. De plus, 4 rapports d'évaluation ont été remis. Pour autant, 5 articles ne sont pas pleinement applicables, tandis que 3 rapports d'évaluation sont encore attendus.

Sur le fond, je souhaiterais aborder trois points.

Tout d'abord, l'ordonnance du 23 août 2023, sur la réforme des raccordements, est revenue sur des principes inscrits dans la loi « en dur » par le Sénat. En effet, elle a amenuisé le rôle de la commission de régulation de l'énergie (CRE), et révisé le niveau et la répartition des coûts. Ce n'est tout simplement pas admissible ! Par ailleurs, elle a omis de coordonner le code de l'urbanisme avec celui de l'énergie. Ce n'est pas faute d'avoir alerté en amont sur ce sujet...

Plus encore, plusieurs décrets ou arrêtés posent des difficultés. D'une part, certaines mesures d'application sont encore en attente, s'agissant du cadre légal pour l'agrivoltaïsme, des contrats de long terme ou de la contribution au partage territorial de la valeur. D'autre part, d'autres mesures d'application ne sont pas satisfaisantes. À titre d'illustration, les décrets du 28 et du 29 mars 2024 ont privé d'effet le référent unique pour les projets d'hydrogène et procédé à des modifications non prévues dans le domaine du biogaz.

Enfin, comme l'a évoqué notre collègue Daniel Gremillet, la proposition de loi sénatoriale portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie, en cours d'examen à l'Assemblée nationale, a permis de mettre à profit le dernier bilan d'application des lois. Dans ce cadre, plusieurs compléments à la loi « Aper » ont été proposés. Je pense à la coordination entre le code de l'urbanisme et le code de l'énergie que j'ai indiquée, au renforcement des contrôles des installations agrivoltaïques, à l'application d'un bilan carbone aux projets hydroélectriques, à la faculté de dérogation aux débits réservés ou encore à la possibilité des augmentations de puissance. Deux de ces dispositions ont même été reprises par le Gouvernement, dans le cadre du dernier projet de loi « Ddadue ». Les choses progressent donc.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Dans la séquence « agricole », je donne d'abord la parole à notre collègue Anne Chain-Larché pour la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes.

Mme Anne Chain-Larché. - Près de quatre ans ont passé depuis le vote de la loi « maltraitance animale » en 2021, sur un sujet de société qui avait cristallisé beaucoup d'émotions, et suscité parfois certaines outrances.

Ma position sur ce texte a toujours été claire : d'une part, si nous devons bien sûr respect aux animaux, l'anthropomorphisme nous éloignerait d'une vision véritablement humaniste ; d'autre part, la protection des animaux est une chose trop sérieuse pour faire l'objet de législations à l'emporte-pièce prises sous le coup de chantages médiatiques.

En tant que rapporteure, j'avais appelé à une éthique de responsabilité et au contrôle des normes existantes, avant d'en prendre de nouvelles. Je n'avais pas vraiment été entendue par mes collègues députés, mais j'ai essayé de sauvegarder l'essentiel.

Lors de mon rapport sur l'application de cette loi de juin 2023, j'avais souligné que nous avions peu avancé dans l'application de cette loi, hormis sur le volet pénal, d'application directe, les textes les plus importants manquant alors à l'appel. Cela s'expliquait par l'entrée en vigueur échelonnée des mesures les plus lourdes de la loi - interdiction de la détention des cétacés en 2026, interdiction des cirques itinérants avec animaux sauvages en 2028.

Mais cela provenait aussi un peu de la mauvaise volonté du ministère de l'environnement, qui a traîné pour prendre ces textes, contrastant avec la diligence du ministère de l'agriculture sur les animaux de compagnie.

Ce sont donc trois dossiers sur les animaux sauvages qui ont le plus mobilisé mon énergie dans le suivi de cette loi depuis 2021. En premier lieu, les voleries, grâce à notre intention exprimée en commission mixte paritaire et à nos interventions, sont bien sorties du champ de l'interdiction, puisqu'il ne s'agit pas d'itinérance au sens strict ; du reste chacun saisit que les aigles ne sont pas des tigres en cage.

Du côté des cirques et de leurs 600 animaux sauvages, dont 400 fauves, je veux saluer le décret du 30 avril qui met enfin les 35 millions d'euros promis sur la table pour financer reconversions, formations, placements en refuge et stérilisations. Je ne suis pas sûre que cela suffise à réparer la blessure ressentie par les professionnels du cirque, dont l'activité, qui fait rêver petits et grands, a tout d'un coup été assimilée à de la maltraitance.

Reste le feuilleton des cétacés : 2 orques et 12 dauphins sont en attente de transfert à Marineland. Nos ministres successifs chargés de la biodiversité ont choisi la politique de l'autruche, et le résultat, c'est que la situation est absolument dramatique pour les animaux mais aussi pour les équipes de Marineland. J'avais pourtant prévenu qu'il n'y avait pas de solution, mais pour les associations c'est : courage, fuyons !

Plus récemment, toutefois, les alertes les plus sérieuses sont venues sur les animaux de compagnie et sur l'interdiction, depuis le 1?? janvier 2024, de la vente de chats et de chiens en animaleries, accusées d'achats d'impulsion. On nous avait juré que les abandons allaient chuter drastiquement ; les associations relèvent surtout des arrière-boutiques, du « click & collect » et des certificats antidatés pour contourner le délai de réflexion de sept jours qui, au passage, met aussi dans l'embarras certains refuges, même s'ils ne l'admettront jamais publiquement.

Ce n'était pas faute d'avoir prévenu : faire tomber le rideau sur les vitrines n'a fait que déplacer le commerce des animaux, sans l'assainir le moins du monde.

Avec l'accord de Mme la présidente, nous lançons donc une mission d'information flash de quelques semaines, avec comme feuille de route : mesurer l'ampleur réelle de ces ventes détournées ; établir si le « click & collect » est légal ou exploite une brèche ; et enfin déterminer si l'interdiction en magasin a véritablement réduit les abandons. J'ai bien sûr ma petite idée, mais il n'y a jamais eu d'étude d'impact et je voudrais en avoir le coeur net.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Nos collègues Anne-Catherine Loisier et Olivier Rietmann vont maintenant revenir sur la loi n° 2023-580 du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Avec Olivier Rietmann, nous souhaitons en effet dire un mot de cette loi, même si elle ne figure pas formellement stricto sensu dans le bilan de notre commission, puisqu'elle relevait d'une commission spéciale.

Il me paraît regrettable que l'Assemblée nationale ait pris les devants en dressant, il y a un mois, un bilan de l'application de cette loi... pourtant d'initiative sénatoriale !

Lors d'un groupe de travail, notre collègue Jean Bacci, qui était président de la commission spéciale, s'est d'ailleurs étonné de voir l'administration en difficulté pour traduire l'intention du législateur sur les obligations légales de débroussaillement, les OLD, une réglementation il est vrai réputée pour sa complexité.

C'est pourquoi j'ai souhaité entendre l'Office national des forêts (ONF) et le Centre national de la propriété forestière (CNPF) en février dans le cadre du groupe d'études forêt et filière bois. Le retour de terrain est plutôt encourageant.

Les zones à risque, où les OLD s'appliquent, ont été étendues à de nouveaux départements, et la présence de l'ONF en forêt pour contrôler, et surtout sensibiliser, a été renforcée, uniquement grâce à des réaffectations de moyens.

Près de 15 000 courriers ont été envoyés aux propriétaires entre 20 et 25 hectares, du fait de l'abaissement du seuil de gestion durable.

Les schémas régionaux de gestion sylvicole, qui s'imposent aux plans simples de gestion, ont été révisés pour mieux intégrer la défense de la forêt française contre les incendies, la DFCI : points d'eaux, pistes et bonnes pratiques pour réduire le risque, sur les conseils du référent DFCI de chaque centre régional de la propriété forestière. De véritables partenariats se sont mis en place.

Un décret paru la semaine dernière vient traduire l'article 59 de la loi sur la conditionnalité des aides au reboisement : il ne faut bien sûr pas planter sur les pistes DFCI, et il faut de la diversification des essences pour adapter nos massifs au changement climatique ; mais encore faut-il qu'ils soient adaptés à la station forestière ou que les plants soient disponibles, ce qu'une dérogation permet utilement.

En conclusion, je suggèrerais que notre commission mette en place un comité de suivi de cette loi, comme il en existe pour les lois Egalim, en parallèle du groupe de travail gouvernemental, lequel tourne en rond.

M. Olivier Rietmann. - Anne-Catherine Loisier a fait allusion aux conflits qui ont pu naître entre notre approche « par la gestion » et les enjeux environnementaux.

Il y a eu des débats notamment sur l'application des OLD, des « injonctions contradictoires » étant parfois pointées du doigt. Plusieurs logiques sont à concilier, c'est indéniable : mais notre démarche visait justement à ne pas tout sacrifier à une approche visant à la conservation de la biodiversité et à mettre l'enjeu de la DFCI autour de la table ! C'est l'exemple des tortues d'Hermann brûlées dans la plaine des Maures, parce qu'on n'avait pu y réaliser des pistes DFCI, de peur d'écraser leurs oeufs. Nous ne dirons jamais assez qu'une meilleure coordination interministérielle est souhaitable sur le terrain, sous la tutelle du préfet.

Sur les interfaces entre forêt et agriculture qui, avec les terres délaissées et les friches, sont un risque émergent, je regrette que les contrats de mise en valeur agricole ou pastorale prévus à l'article 41 ne soient toujours pas définis - c'est le dernier décret qui manque. Les agriculteurs auraient tout à gagner à endosser ce rôle de « pompier de la nature », qui valorise l'effet « ouverture des espaces » et « coupure de combustible » de leur activité.

Pour le reste, le rapport de nos collègues députés a établi que huit décrets sur onze avaient été pris. Depuis lors, deux autres ont été pris, celui mentionné par Anne-Catherine Loisier et celui instituant une journée nationale de la résilience.

Cela signifie-t-il que le travail de contrôle est derrière nous ? Certainement pas !

La stratégie nationale de défense des forêts et des surfaces non boisées contre les incendies est actuellement en consultation et de nombreuses actions de terrain sont encore nécessaires.

Les quelques feux qui se sont déclenchés prématurément en Bretagne encore cette année montrent que le risque incendie est une menace ô combien évolutive ! Nous n'avons malheureusement pas fini d'en entendre parler.

Mme Annick Jacquemet. - Je reviens à l'exposé de notre collègue Anne Chain-Larché. Qu'en est-il des salons de vente de chiens ? Comme vétérinaire, je me désole de retrouver dans les semaines qui les suivent des chiots en piteux état.

Mme Anne Chain-Larché. - Cet aspect n'entrait pas dans le cadre de la loi du 30 novembre 2021.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Pour notre dernière séquence, sur le numérique, la parole est à notre collègue Anne-Catherine Loisier.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Mon intervention portera sur la loi n° 2022-309 du 3 mars 2022 pour la mise en place d'une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinées au grand public. Cette loi est issue d'une proposition de loi sénatoriale qui avait été déposée en 2020 par Laurent Lafon et plusieurs de nos collègues et que j'avais rapportée au nom de notre commission.

Alors qu'elle est entrée en vigueur le 1er octobre 2023, cette loi demeure entièrement inapplicable dans la mesure où ni le décret déterminant son périmètre d'application ni l'arrêté ministériel fixant le contenu de l'audit de cybersécurité que doivent réaliser les opérateurs de plateforme en ligne concernés par ce texte n'ont été publiés par le Gouvernement.

Pourtant, ces projets de décret et d'arrêté existent puisqu'ils avaient été mis en ligne et soumis à consultation publique au printemps 2023, il y a maintenant deux ans.

Le projet de décret prévoyait de fixer un seuil en nombre de visiteurs uniques mensuels à partir duquel un opérateur de plateforme en ligne aurait l'obligation de réaliser un audit de cybersécurité dont les résultats seraient présentés au consommateur. Ce seuil devait être fixé dans un premier temps à 25 millions de visiteurs uniques mensuels, puis devait être progressivement abaissé à 15 millions de visiteurs uniques mensuels d'ici au 1er janvier 2025.

Le projet d'arrêté prévoyait plusieurs critères d'audit élaborés par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) qui devaient concerner notamment : l'organisation et la gouvernance des opérateurs de plateforme en ligne concernés, la protection des données, la connaissance et la maîtrise du service numérique, le niveau d'externalisation, le niveau d'exposition sur Internet, le dispositif de traitement des incidents de sécurité, la sensibilisation aux risques cyber et la lutte antifraude.

Or, les résultats de cette consultation publique n'ont jamais été publiés, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) et la Commission européenne n'ont jamais été saisies et ces mesures réglementaires d'application n'ont par conséquent jamais été adoptées.

Nous avons de nouveau interrogé ces dernières semaines la direction générale des entreprises (DGE) pour tenter de comprendre pourquoi ces textes avaient été ainsi abandonnés. Nous n'avons jamais obtenu de réponse. Je pense de mon côté que l'on s'est rendu compte que les critères risquaient d'avantager les grandes plateformes internationales et qu'ils seraient plus difficilement accessibles aux plateformes nationales ou européennes. Cela expliquerait la latence constatée.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Merci à tous pour vos contributions. Sans doute reprendrons-nous à l'avenir une telle formule interactive pour cet exercice.

Proposition de loi de simplification du droit de l'urbanisme et du logement - Désignation d'un rapporteur

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, avant de nous séparer, il nous reste à procéder à des désignations de rapporteurs.

Je vous propose de désigner deux corapporteurs, nos collègues Sylviane Noël et Guislain Cambier, pour la proposition de loi, en cours d'examen à l'Assemblée nationale, de simplification du droit de l'urbanisme et du logement.

Il n'y a pas d'opposition ?

Il en est ainsi décidé.

Mission flash sur les éventuels contournements de la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 en matière de vente de chiens et de chats - Désignation d'un rapporteur

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous propose la candidature de notre collègue Anne Chain-Larché pour la mission flash sur les éventuels contournements de la loi du 30 novembre 2021 en matière de vente de chiens et de chats.

Il n'y a pas d'opposition ?

Il en est ainsi décidé.

Mission d'information sur la nouvelle donne du commerce international - Désignation de rapporteurs

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Enfin, je vous propose les candidatures de nos collègues Yannick Jadot et Évelyne Renaud-Garabedian pour la mission d'information conjointe avec les commissions des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et des affaires européennes sur la nouvelle donne du commerce international.

Il n'y a pas d'opposition ?

Il en est ainsi décidé.

Je vous remercie

La réunion est close à 12 h 00.