- Mardi 20 mai 2025
- Mercredi 21 mai 2025
- Proposition de nomination de M. Alain Espinasse, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides - Communication
- Audition de M. Alain Espinasse, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides
- Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Alain Espinasse aux fonctions de directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles - Désignation de rapporteures
- Projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030 - Désignation d'un rapporteur
- Proposition de loi de simplification du droit de l'urbanisme et du logement - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
- Projet de loi portant création de l'établissement public du commerce et de l'industrie de la collectivité de Corse - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille - Examen du rapport et du texte de la commission
- Dépouillement sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Alain Espinasse aux fonctions de directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides
- Mission conjointe de contrôle sur la prévention de la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles - Examen du rapport d'information
- Mission d'information sur les polices municipales - Audition de M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur(sera publié ultérieurement)
Mardi 20 mai 2025
- Présidence de Mme Muriel Jourda, présidente -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte - Examen des amendements au texte de la commission
Les sorts des amendements des rapporteurs examinés par la commission sont retracés dans le tableau suivant :
La commission a également donné les avis suivants sur les autres amendements
- Présidence de Mme Muriel Jourda, présidente -
La réunion, suspendue à 14 h 10, est reprise à 21 h 20.
Projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte - Examen des amendements au texte de la commission
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons l'amendement des rapporteurs au texte de la commission sur le projet de loi organique relative au Département-Région de Mayotte.
EXAMEN DE L'AMENDEMENT DES RAPPORTEURS
L'amendement n° 1 est adopté.
Le sort de l'amendement des rapporteurs examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 5 |
|||
Mme CANAYER et M. BITZ |
1 |
Modification des conditions d'entrée en vigueur |
Adopté |
La réunion est close à 21 h 25.
Mercredi 21 mai 2025
- Présidence de Mme Muriel Jourda, présidente -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Proposition de nomination de M. Alain Espinasse, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides - Communication
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous entendons aujourd'hui, dans le cadre de la procédure prévue par le cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, Alain Espinasse, candidat présenté par le Président de la République pour exercer les fonctions de directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).
Il remplacerait Julien Boucher, qui avait été nommé à ce poste le 10 avril 2019 et qui a quitté ses fonctions le 15 avril dernier, après avoir été reconduit pour un second mandat en 2022. M. Espinasse serait nommé directeur général pour un mandat de trois ans courant jusqu'en mai 2028.
Créé par la loi du 25 juillet 1952, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides est un établissement public administratif, placé depuis 2010 sous la tutelle du ministère de l'intérieur. Cette tutelle s'accompagne toutefois d'une indépendance garantie par la loi ; aux termes de l'article L. 121-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda), l'Office exerce ses missions « en toute impartialité (...) et ne reçoit, dans leur accomplissement, aucune instruction ».
L'Ofpra est chargé de l'application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ainsi que de la Convention de New York de 1954 relative au statut des apatrides. À ce titre, sa mission principale consiste à instruire et statuer sur les demandes d'asile et d'apatridie qui lui sont soumises. L'Ofpra est particulièrement sollicité puisqu'il statue désormais sur plus de 150 000 demandes par an, un chiffre en nette augmentation depuis plusieurs années. Pour chacune de ces demandes, les services de l'Office sont chargés d'évaluer les motifs de protection selon les critères définis par le droit international et européen. Les décisions prises par l'Office dans ce cadre sont soumises au contrôle juridictionnel de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), qui peut substituer sa propre appréciation à celle de l'Ofpra.
L'Office est également chargé d'assurer la protection juridique et administrative des personnes reconnues comme réfugiées ou apatrides. Enfin, il assure une mission de conseil à la frontière dans le cadre de la procédure d'admission sur le territoire ; il rend des avis aux services du ministre de l'intérieur sur le caractère irrecevable ou manifestement infondé des demandes d'asile présentées par les personnes placées ou maintenues en zone d'attente.
Ces différentes missions placent donc l'Ofpra au coeur du système d'asile français.
Le directeur général est responsable du bon fonctionnement de l'Ofpra, qui emploie désormais près d'un millier d'agents, et de l'atteinte des objectifs fixés dans le contrat d'objectifs et de performance, le principal tenant à la réduction des délais d'instruction des demandes d'asile : si l'objectif fixé est de deux mois, soit 60 jours, le délai moyen d'instruction en 2024 s'élevait à 138 jours, contre 127 en 2023.
Conformément à l'article L. 121-14 du Ceseda, la nomination par le Président de la République se fait sur la proposition conjointe des ministres des affaires étrangères et de l'intérieur.
J'en viens à présent au parcours professionnel d'Alain Espinasse.
M. Espinasse a exercé une longue carrière dans le corps préfectoral, qu'il a rejoint à l'issue de sa formation à l'École nationale d'administration.
Après plusieurs postes de sous-préfet - directeur de cabinet, chargé de mission, secrétaire général et secrétaire général pour les affaires régionales (Sgar) -, M. Espinasse a été nommé préfet du département de l'Indre en 2014. Il a exercé cette même fonction en Haute-Savoie de 2020 à 2022, puis dans le Finistère où il est en poste depuis août 2023.
M. Espinasse a également contribué à définir la politique territoriale et de gestion de l'encadrement du ministère de l'intérieur en tant que secrétaire général adjoint, directeur de la modernisation et de l'administration territoriale (DMAT) entre 2016 et 2020. Enfin, le Parlement ne lui est pas inconnu puisqu'il a dirigé le cabinet de la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, de 2022 à 2023.
Si M. Espinasse ne paraît pas être un spécialiste des questions d'asile, il devrait tirer de ses fonctions de préfet et de DMAT une connaissance approfondie du fonctionnement de l'État et des politiques publiques en matière d'immigration, dont fait partie l'accueil des demandeurs d'asile. Il devrait sans nul doute être sensible à l'enjeu de la territorialisation de l'action de l'Ofpra et, plus largement, de la politique d'asile. M. Espinasse ne serait d'ailleurs pas le premier préfet à la tête de l'Ofpra ; Jean-François Cordet a ainsi dirigé l'Office de 2007 à 2012.
Sous réserve de son intervention devant notre commission ainsi que des réponses qu'il apportera aux questions qui lui seront posées, M. Espinasse me semble donc disposer d'un profil professionnel adéquat pour exercer les fonctions de directeur général de l'Ofpra.
Je vous propose à présent de procéder à l'audition de M. Espinasse.
Audition de M. Alain Espinasse, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides
Mme Muriel Jourda, présidente. - En application de l'article L. 121-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le ministre de l'intérieur et le ministre des affaires étrangères ont proposé au Président de la République de nommer M. Espinasse directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, nous entendons donc aujourd'hui M. Alain Espinasse, dont l'audition sera suivie d'un vote, qui se déroulera à bulletin secret, dans les conditions prévues par la loi organique et la loi ordinaire du 23 juillet 2010.
Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait pas procéder à la nomination de M. Espinasse si les votes négatifs au sein de notre commission et de la commission des lois de l'Assemblée nationale représentaient au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.
Le vote aura lieu à la suite de notre audition, qui est publique et ouverte à la presse. Nous procéderons au dépouillement vers 12 h 15, à l'issue de l'audition de M. Espinasse à l'Assemblée nationale, au même moment que nos collègues députés.
J'ajoute que les délégations de vote ne sont pas autorisées, conformément à l'article 3 de la loi organique du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
Monsieur Espinasse, j'ai, dans une communication liminaire hors votre présence, présenté aux membres de la commission des éléments de votre parcours professionnel.
Après votre propos liminaire, où vous pourrez nous exposer les principales orientations que vous souhaitez donner à votre mandat de directeur général, je donnerai la parole aux membres de la commission afin qu'ils vous fassent part de leurs questions, dont je ne doute pas qu'elles seront nombreuses.
Avant de vous passer la parole, je souhaiterais d'ores et déjà vous poser quelques questions.
Tout d'abord, l'Ofpra fait face à un mouvement d'augmentation du nombre de demandes d'asile inédit, par son ampleur, dans l'histoire récente de notre pays. En 2024, le nombre de demandes enregistrées par l'Ofpra s'élevait à plus de 153 000 demandes, soit plus du double de celui mesuré dix ans plus tôt, en 2014. Le nombre de décisions de protection a atteint un record historique en 2024 : 54 000 décisions environ, contre moins de 10 000, en 2014 ont été délivrées par l'Ofpra. Après recours devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), ce sont même 70 000 décisions de protection qui ont été prises. Comment expliquez-vous cette tendance ? Devrait-elle se poursuivre dans les prochaines années ? Vous paraît-elle soutenable, tant pour l'Ofpra que pour notre pays ? En particulier, comment expliquez-vous l'augmentation continue du taux de protection ?
Ensuite, les délais d'instruction des demandes d'asile, de 138 jours en 2024, sont toujours bien au-dessus de l'objectif de deux mois fixé par le contrat d'objectifs et de performance. Quelles seraient, selon vous, les actions prioritaires pour résorber le stock de dossiers et assurer une réduction significative des délais de traitement ?
Enfin, le pacte européen sur la migration et l'asile, qui doit entrer en vigueur à l'été 2026 et qui doit encore faire l'objet d'une transposition et d'une adaptation de notre droit, comporte des évolutions importantes relatives à la procédure d'instruction des demandes d'asile, comme le recours accru à la procédure accélérée ou bien la refonte de la procédure de l'asile à la frontière. Pourriez-vous nous en présenter les principaux enjeux pour l'Ofpra ? Quelles seront les principales adaptations rendues nécessaires pour la mise en oeuvre de ces nouvelles règles ?
M. Alain Espinasse, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. - Mesdames et messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de me présenter devant vous en tant que candidat aux fonctions de directeur général de l'Ofpra, en application des dispositions de l'article 13 de la Constitution.
Je ne reviendrai pas sur mon parcours, que vous avez rappelé, madame la présidente. Il me paraît en revanche utile d'introduire cette audition par quelques éléments de réponse à vos premières questions ; j'y reviendrai plus en détail le cas échéant.
Trois points structureront mon propos : tout d'abord, ma perception des enjeux relatifs à la demande d'asile et les raisons qui motivent ma candidature ; ensuite, les éléments de mon parcours qui, à mon sens, fondent la légitimité de cette candidature ; enfin, les priorités qui me semblent devoir guider l'action du directeur général de l'Ofpra et de ses équipes.
La demande d'asile constitue l'un des reflets les plus manifestes, sinon la traduction séculaire, des tourments du monde. Elle incarne la dimension tragique de l'Histoire, qui depuis que le monde existe pousse des millions de personnes sur les routes de l'exil. Le contexte international, depuis une dizaine d'années, n'est pas de nature à entraîner une baisse de la demande d'asile et des flux migratoires. Les foyers d'instabilité se multiplient. Ils durent de plus en plus longtemps, se rapprochent géographiquement et finissent par se superposer. Les crises qui en découlent atteignent un niveau de violence exceptionnel, faisant de la fuite la seule alternative possible pour de nombreux individus. À cela s'ajoutent désormais les effets du réchauffement climatique, qui contribuent à l'émergence de ceux que l'on qualifie de « réfugiés climatiques ». Il s'agit d'un phénomène massif, désormais structurel.
Dans ce contexte, les inquiétudes des populations européennes ne cessent de croître. Elles concernent la capacité de nos institutions, tant nationales qu'européennes, à maîtriser les flux migratoires et à contrôler les frontières. Ce climat de tension peut fragiliser notre conception des droits de l'homme. Il devient alors indispensable de la protéger.
Cela suppose un droit d'asile incontestable et irréprochable, celui qui est accordé aux personnes menacées dans leur pays d'origine, conformément à la Convention de Genève, dans le respect de ses exclusions à l'égard des criminels, des tortionnaires et des terroristes.
Accueillir et traiter la demande d'asile relève à la fois d'une nécessité et d'un devoir au regard de nos engagements internationaux ainsi que de la tradition d'asile inscrite dans le préambule de la Constitution de 1946. Ce devoir s'accompagne d'un défi organisationnel majeur, celui de maintenir des délais de traitement raisonnables dans le contexte de massification des demandes que vous avez souligné, madame la présidente.
Ces enjeux reflètent le sens même de l'action publique : rigueur dans l'application des textes, exigence dans la qualité du service rendu sans sacrifier la dimension humaine. Celle-ci concerne à la fois les demandeurs d'asile et les agents de l'Ofpra - je reviendrai sur l'engagement dont ils font preuve dans leur travail au quotidien.
Quant aux motivations qui me poussent à candidater au poste de directeur général de l'Ofpra, elles tiennent au fait que cette mission revêt quatre intérêts majeurs.
D'abord, cette mission a du sens. Elle s'impose avec une forme d'évidence et de limpidité, par contraste avec la complexité de certains postes de direction, notamment en administration centrale, que j'ai pu occuper.
Ensuite, elle consiste à mettre en oeuvre et à préserver un droit fondamental, à savoir le droit d'asile, pilier des droits de l'homme depuis la Révolution française et droit constitutionnel à part entière. L'Ofpra dispose, pour ce faire, d'une indépendance fonctionnelle dans les décisions qu'elle rend. La loi est sans ambiguïté sur ce point et le directeur général est garant de cette indépendance.
Par ailleurs, il s'agit de diriger un établissement public, l'Ofpra étant sous la tutelle du ministère de l'intérieur. Ce statut garantit une autonomie de gestion et une agilité dans l'action, au sein d'une structure à taille humaine où l'on peut mesurer directement l'effet de ses décisions.
Enfin - et c'est un critère important pour moi -, l'Ofpra est une maison à l'identité très marquée, portée par sa mission, son histoire et celles et ceux qui y ont travaillé. Elle est reconnue pour l'expertise de ses agents, passionnés par leur mission et guidés par la qualité et la clarté des décisions rendues. Elle s'appuie notamment sur la compétence de ses officiers de protection et le savoir-faire très spécialisé du service de l'état civil. Il s'agit d'un établissement moderne et performant qui a su tirer parti des évolutions techniques pour faire face à la croissance de la demande d'asile.
Avant d'aborder ce que je considère comme les priorités pour le directeur général de l'Ofpra et ses équipes, je souhaite dire quelques mots sur ce qui me semble fonder la légitimité et l'intérêt de ma candidature.
En tant que haut fonctionnaire, j'ai exercé diverses responsabilités depuis vingt-trois ans, principalement dans le corps préfectoral et pendant quatre ans comme directeur d'administration centrale au ministère de l'intérieur. Ces fonctions me donnent certains atouts pour me présenter au poste de directeur de l'Ofpra.
Être préfet, c'est incarner un État impartial et neutre, qui applique le droit dans toute la portée du corpus normatif national, voire international, et de la jurisprudence, quelles que soient les tensions. Je crois m'être aguerri à cet exercice pendant les années où j'ai été en fonction.
Conformément à l'article 72 de la Constitution, être préfet, c'est représenter l'ensemble du Gouvernement et donc s'efforcer, au quotidien, de réaliser pragmatiquement une forme de synthèse entre les différentes instructions qui sont données.
Comme directeur d'administration centrale, j'ai également eu à conduire des réformes complexes que ce soit en matière électorale ou dans la mise en oeuvre du plan Préfectures nouvelle génération, dans le cadre de la réorganisation de l'administration territoriale de l'État.
J'ai en outre exercé, dans ces fonctions, la tutelle de l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS). Or les problématiques de cette agence recoupent en partie celles de la gestion de l'état civil des bénéficiaires de la protection internationale.
Ces fonctions, en administration centrale comme sur le terrain, me semblent m'avoir préparé aux responsabilités de directeur général de l'Ofpra, dans une pleine conscience de l'indépendance fonctionnelle de l'établissement et de l'exigence d'impartialité qu'appelle cette mission.
Les priorités qui s'imposent aujourd'hui à la direction générale de l'Ofpra sont claires.
La première consiste à répondre à l'accroissement de la demande d'asile, dont vous avez rappelé les chiffres, madame la présidente. Il s'agit pour l'Ofpra d'absorber et de traiter ce flux de demandes en instruisant les dossiers et en rendant des décisions. Cela doit se faire, bien évidemment, en préservant la qualité des décisions au fond, c'est-à-dire en accordant la protection à ceux qui y ont droit, tout en intégrant pleinement la dimension d'ordre public, comme l'ont fait le directeur général sortant et son prédécesseur.
La deuxième priorité est la réduction des délais de traitement. Elle dépend de deux variables : le volume des décisions rendues, sur lequel l'Ofpra peut agir, et le nombre de demandes déposées, sur lequel il n'a pas de levier direct. La réduction des délais de traitement est une condition indispensable pour maîtriser l'évolution du stock et entamer sa réduction.
Pour illustrer ce point, en 2024, 153 000 demandes ont été enregistrées, tandis que 142 000 décisions ont été rendues, soit un écart de 11 000 dossiers. Le stock, qui s'élevait à 42 000 demandes non instruites ou n'ayant pas fait l'objet de décision, en 2022, a atteint 77 000 demandes à la fin de l'année 2024. On constate donc une progression du stock de demandes d'asile en instance. Si rien n'est fait sur les délais de traitement, et donc sur le volume des décisions rendues, ce stock continuera de croître.
Dans ce contexte, plusieurs leviers sont à la disposition de l'Ofpra.
Tout d'abord, l'Ofpra est déjà un organisme très performant. En dix ans, ses effectifs ont doublé et cette évolution a eu des effets significatifs : entre 2021 et 2024, les délais de traitement ont été quasiment réduits de moitié.
L'amélioration des procédures, notamment grâce à la dématérialisation des échanges, a également joué un rôle essentiel. La suppression du papier au profit d'un outil numérique adapté à un public largement équipé de smartphones a constitué un progrès décisif. Les équipes de l'Ofpra ont, dans ce domaine, accompli un travail remarquable.
Je n'ignore pas les débats récents qui ont émergé en interne sur la fixation d'objectifs individualisés pour les agents. La situation semble aujourd'hui s'apaiser. Le contrat d'objectifs et de performance n'a pas encore été signé, mais sa finalisation est en cours. L'orientation retenue privilégie désormais des objectifs à l'échelle de l'établissement, laissant à celui-ci, dans le respect de son autonomie de gestion, la liberté de déterminer les modalités internes permettant d'atteindre les cibles définies par le Gouvernement.
Ce cadre me paraît approprié. Il repose sur une dynamique collective, fondée sur une réflexion fine, partagée avec les équipes et avec la tutelle. Ce dialogue permettra de répondre aux objectifs quantitatifs du contrat, tout en garantissant une réponse rapide et de qualité aux demandeurs d'asile, ce qui constitue une demande légitime.
Je suis convaincu - et les agents de l'Ofpra le sont sans doute aussi - que toute organisation peut ajuster les paramètres pour éviter de disperser ses ressources. Je suis certain que si l'on demandait à des agents de l'Ofpra de nous dire quelles évolutions ils proposeraient pour que davantage de décisions soient prises sans altérer la qualité ni la sérénité du travail, ils ne manqueraient pas d'idées. C'est ce travail fin et attentif de management que j'ambitionne de conduire si je suis nommé.
Je ne viens pas avec des solutions toutes faites. Cette maison a de l'expérience et a démontré sa capacité d'évolution. J'ai bien sûr quelques idées, mais je souhaite les confronter aux observations des équipes d'encadrement et à celles des agents, notamment les officiers de protection.
La solution passera aussi par une fluidité accrue de la chaîne décisionnelle. La territorialisation de l'accueil devra y contribuer. C'est le sens de la réforme portée par la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, avec la création des espaces « France asile ». Le premier site a ouvert à Cergy, il y a deux jours.
Si je suis nommé, il me reviendra de conduire cette réforme. Elle vise à mieux intégrer l'Ofpra dans la chaîne décisionnelle, chacun restant dans ses compétences : les préfectures accompliront leurs missions, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) les siennes, et l'Ofpra conservera intégralement sa compétence.
Enfin, rien de tout cela ne sera possible sans un dialogue social soutenu. Ce dialogue constitue, à mes yeux, une condition sine qua non pour atteindre nos objectifs. C'est une exigence à laquelle j'ai toujours veillé dans les fonctions que j'ai exercées jusqu'à présent.
Les missions exercées par les officiers de protection sont difficiles. Elles impliquent d'écouter des récits parfois terribles et de prendre des décisions lourdes aux conséquences majeures.
La sérénité du collectif de travail me paraît essentielle. Il revient à l'équipe de direction, et au directeur général au premier chef, d'y veiller. Cela suppose, notamment, des moyens accrus dans un contexte budgétaire contraint que vous connaissez bien. À cet égard, je souligne que la tutelle a pleinement intégré cet enjeu, puisque 29 équivalents temps plein (ETP) ont été créés, de sorte que l'Ofpra dispose désormais d'un plafond d'emploi de 1 065 agents, sauf erreur de ma part.
Cette sérénité passe également par la poursuite du développement des outils informatiques, pour gagner du temps et faire gagner du temps aux demandeurs d'asile, pour simplifier et sécuriser les procédures d'instruction.
Enfin, le renforcement de l'attractivité des carrières au sein de l'Ofpra et la fidélisation des agents constituent un enjeu central. On observe une certaine stabilité chez les agents très expérimentés, tandis que d'autres, notamment parmi les jeunes officiers de protection, quittent leurs fonctions plus rapidement. Il convient d'offrir à tous des perspectives d'évolution afin que chacun puisse envisager un parcours professionnel lisible et motivant. C'est aussi l'une des responsabilités du directeur général.
Pour conclure, les priorités que j'identifie pour l'Ofpra sont les suivantes : premièrement, réduire les délais et augmenter le nombre de décisions rendues ; deuxièmement, préserver la qualité du travail et des décisions prises qui fonde la crédibilité du droit d'asile et la préservation de celui-ci ; troisièmement, renforcer l'efficacité des processus de travail, dans le cadre d'un dialogue social soutenu qui permettra aux agents de se concentrer sur leur coeur de métier, de gagner du temps, de l'énergie et, partant, de l'efficacité à chaque étape ; quatrièmement, veiller au bien-être des agents qui constitue une condition indispensable à la réussite de tous les autres objectifs.
Je me rends compte, madame la présidente, que je n'ai répondu que partiellement à votre question sur le pacte européen sur la migration et l'asile, et plus précisément sur l'asile à la frontière. Ce sujet constitue effectivement un enjeu pour l'Ofpra. Il faudra organiser une réponse adaptée à cette problématique, ce que nous faisons déjà partiellement pour le compte du ministère de l'intérieur.
Cela étant dit, il convient de garder en tête les ordres de grandeur. En 2023, environ 1 500 demandes ont été examinées à la frontière, soit environ 1 % du total des 150 000 demandes traitées par l'Ofpra. Ce chiffre reste important, mais il ne représente pas un volume susceptible, à lui seul, de désorganiser les équipes de l'Office. Il s'agit d'un enjeu réel, mais maîtrisable, sur lequel les équipes sont d'ores et déjà mobilisées.
Mme Nadine Bellurot. - Il se trouve que je souhaitais intervenir sur le sujet que M. le préfet vient précisément d'évoquer, à savoir le pacte européen sur la migration et l'asile.
Ce pacte prévoit désormais l'élargissement et la systématisation de la procédure d'asile à la frontière. L'Ofpra sera ainsi tenu d'examiner certaines demandes au fond, et non plus seulement au titre de leur irrecevabilité ou de leur caractère manifestement infondé, dans un délai contraint de douze semaines, ce qui est court. Comment anticipez-vous cette évolution ?
Mme Marie Mercier. - En tant que vice-présidente du groupe d'amitié France-Ukraine, je souhaite relayer la parole de nombreuses femmes de soldats et de jeunes veuves ukrainiennes. Nous avons constaté que de plus en plus de ressortissants ukrainiens déposent aujourd'hui des demandes d'asile auprès de l'Ofpra, malgré le régime de protection temporaire dont ils peuvent bénéficier - nous avions travaillé sur le sujet dans le cadre de la proposition de loi de Nadia Sollogoub visant à améliorer le dispositif de protection temporaire en France. Considérez-vous que cette redirection vers l'asile est adaptée ?
M. André Reichardt. - Les décisions de refus rendues par l'Ofpra sont en principe assorties d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Or dans une immense majorité des cas, ces obligations ne sont pas exécutées.
Ainsi, l'Ofpra puis la CNDA interviennent dans des procédures qui n'aboutissent que rarement dans les faits. Cela interroge, me semble-t-il, tant sur la motivation des agents que sur la vôtre, monsieur Espinasse. Intégrer un établissement dont on sait que nombre des décisions ne seront pas appliquées, n'est-ce pas, d'une certaine manière, s'exposer à devenir un Sisyphe ? Ce travail qui doit constamment être recommencé, n'est-ce pas là un effort vain ?
M. Alain Espinasse. - Madame Bellurot, je ne perçois pas encore de modifications substantielles introduites par la loi de janvier 2024, en comparaison des dispositifs existants. Encore une fois, au regard du volume de décisions prises, il ne s'agit pas d'un facteur de désorganisation générale.
Madame Mercier, concernant la situation des ressortissants ukrainiens, la France connaît une évolution singulière, que peu d'autres pays européens partagent. Comme vous l'avez justement rappelé, cette situation a nourri les débats lors de l'examen de la proposition de loi portée par Mme Sollogoub. Depuis le début de l'année, les ressortissants ukrainiens sont devenus la première nationalité représentée parmi les demandeurs d'asile en France, ce qui est assez contre-intuitif au regard des réactions observées en 2022, dans les mois qui ont suivi l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
J'étais alors préfet de la Haute-Savoie. Les premières familles accueillies exprimaient clairement leur refus de demander l'asile. Je me souviens de propos très nets et du refus d'envisager un exil durable. Aujourd'hui, la situation a changé. Il est donc possible que le statut de réfugié apparaisse désormais comme une option plus protectrice que la protection temporaire. Cela mérite d'être analysé finement. Il faudra le faire, avec les équipes de l'Ofpra et du ministère de l'intérieur, mais aussi avec les associations qui accompagnent cette population. Il est également essentiel de faire valoir que le statut de réfugié constituerait un frein dans la perspective d'un retour ultérieur en Ukraine. Nous sommes dans une phase incertaine des négociations internationales sur l'avenir de ce pays, et ces éléments doivent être intégrés.
Cette évolution a par ailleurs un impact immédiat sur le taux de protection. Aujourd'hui, pour les demandeurs ukrainiens, ce taux avoisine les 85 % à 90 %, ce qui est très élevé.
Enfin, concernant la question soulevée par M. Reichardt sur les OQTF, je veux être clair. Ce sujet a fait partie de mes préoccupations de préfet, comme pour l'ensemble de mes collègues. Faut-il que le faible taux d'exécution des OQTF affecte la motivation des équipes de l'Ofpra en les livrant à un « à quoi bon » ? À mon sens, non. Il s'agit de deux sujets distincts. L'asile répond à des règles internationales et nationales précises, fondées sur la protection des personnes. Il existe une capillarité forte entre la décision prise et les conséquences en aval, mais le travail de l'Ofpra consiste à évaluer la réalité sans se projeter sur ce qu'il adviendra si la demande est rejetée.
La réponse à cette problématique passe donc par un traitement plus rapide des demandes d'asile, de manière à sortir de cette zone qui génère la difficulté à exécuter l'OQTF. Lorsqu'un demandeur d'asile reste plusieurs années sur le territoire, en attente d'une décision, il se crée des droits sur le territoire national : il peut accéder à un emploi, parfois en dehors des voies légales, développer une vie sociale, se marier et fonder une famille. Le préfet, alors chargé d'exécuter l'OQTF, se retrouve confronté à une situation assez déchirante : l'obligation juridique d'éloigner la personne entre en conflit avec son intégration de fait. On finit par envisager une régularisation par défaut, ce qui n'est pas satisfaisant.
Or si l'on disait d'emblée au demandeur : « Vous ne remplissez pas les conditions pour bénéficier de la protection internationale, la réponse est négative et nous prenons à votre encontre une OQTF et nous pourrons l'exécuter rapidement avant que vous n'ayez tissé des liens profonds », alors la procédure d'éloignement pourrait se mettre en oeuvre dans un cadre plus cohérent. C'est donc toute la chaîne qui doit gagner en fluidité.
Mme Sophie Briante Guillemont. - Vous avez rendu hommage à juste titre au travail et à l'expertise des agents de l'Ofpra.
Je veux revenir sur un point que vous avez abordé, celui des indicateurs de performance, qui ne seront plus personnels, mais collectifs. C'était une inquiétude, notamment des agents des syndicats, puisque l'objectif était fixé à 1,7 entretien par jour.
Concrètement, comment se passera ce transfert à des indicateurs collectifs ? Certains agents feront-ils plus d'entretiens et d'autres moins ? Comment cela va-t-il fonctionner ?
M. Hervé Reynaud. - L'Ofpra a connu au printemps 2024 une série de grèves de la part des agents de protection. Comment percevez-vous aujourd'hui ce climat social ? Quel levier souhaitez-vous activer pour fidéliser et accompagner les agents de l'Ofpra, dont les conditions de travail sont régulièrement évoquées comme un enjeu majeur ?
Mme Lauriane Josende. -Le Ceseda permet de refuser ou de mettre fin au statut de réfugié dès lors qu'une menace grave pour la sûreté de l'État est identifiée ou en cas de condamnation pour un crime ou délit d'une particulière gravité.
Pouvez-vous me dire si, à votre avis, l'examen des dossiers prend suffisamment en compte les considérations d'ordre public qui peuvent conduire à rejeter une demande de protection ? De quels éléments l'Ofpra dispose-t-il pour apprécier si ces conditions sont réunies ?
M. Alain Espinasse. - Je commencerai par répondre aux questions qui portent sur les indicateurs de performance et les conditions de travail, les deux sujets étant liés.
Le principal point de tension à l'origine des grèves du printemps 2024 portait sur un objectif chiffré de dossiers par jour pour chaque agent. Cette logique a contribué à crisper la situation au sein des équipes. D'après les échanges que j'ai pu avoir, notamment avec le directeur général sortant et les représentants de la tutelle, l'orientation actuelle est celle d'un objectif fixé au niveau de la structure dans son ensemble.
Je n'ai pas encore eu l'occasion de me plonger dans le fonctionnement opérationnel de l'établissement et il serait prématuré de formuler des réponses précises. Néanmoins, la question est bien de savoir comment augmenter le nombre de décisions sans se focaliser sur une logique d'objectif chiffré par agent.
La réponse passera probablement par plusieurs leviers et d'abord par la poursuite de l'optimisation des procédures. Une part importante de la dématérialisation a déjà été accomplie, mais peut-être qu'il existe encore des marges de progrès dans ce domaine. En outre, des emplois ont été créés, récemment. Sur les 29 postes supplémentaires, je ne suis pas en mesure de dire combien ont été affectés directement aux officiers de protection. Leur effectif se situe, d'après les dernières données en ma possession, entre 450 et 500 agents. C'est cet effectif qui produit la décision. Est-il suffisant ? Peut-on l'augmenter et de combien d'agents ? Des réaffectations sont-elles envisageables ? Ce sont des pistes de réflexion qu'il faudra ouvrir.
En tout état de cause, si je suis nommé, un objectif clair sera fixé par la tutelle. Il nous appartiendra, sinon de l'atteindre immédiatement, du moins de nous en approcher progressivement. L'augmentation de la demande, conjuguée aux conséquences humaines de l'attente d'une décision pour les demandeurs d'asile, nous oblige à progresser sur ce point.
Il conviendra d'agir avec discernement, en ajustant les curseurs à l'intérieur du service qui produit la décision, sans focalisation excessive sur le rendement individuel, qui a constitué un point de blocage.
S'agissant de la fidélisation des personnels, certaines mesures ont déjà été prises. Ainsi, il y a eu un alignement des primes entre les titulaires et les contractuels. Il me semble également que des marges de progression demeurent en matière de formation. Le métier d'officier de protection est difficile, humainement et psychologiquement. On demande en plus aux agents d'intégrer de nouveaux risques sur lesquels ils doivent être formés. Ceux qui exercent ce métier sont souvent jeunes et titulaires d'un diplôme de master de Sciences Po ou équivalent. L'objectif est donc de pouvoir les garder une fois qu'ils sont formés, en leur proposant des possibilités de progression au sein de l'Ofpra.
Le métier d'officier de protection n'est pas le seul exercé au sein de l'établissement. Sur un total d'environ 1 065 agents, près de 450 exercent cette mission. D'autres assurent, par exemple, des fonctions essentielles dans le domaine de l'état civil, auquel j'attache une grande importance. La fidélisation peut se faire par la formation.
Dans mes fonctions antérieures, que ce soit comme préfet ou comme directeur d'administration centrale, j'ai toujours encouragé les agents à passer des concours de la fonction publique. Celle-ci constitue, à mes yeux, un cadre d'engagement digne et exemplaire, même s'il peut être difficile et nourrir le doute. C'est aussi notre rôle, en tant que dirigeants, d'accompagner ces parcours, en incitant les gens à s'engager et à rester au service de l'État.
Sur la question spécifique des menaces et de leur prise en compte, je tiens à rappeler que cette dimension a déjà été intégrée au travail de l'Ofpra. Le prédécesseur du directeur général sortant avait amorcé cette évolution, que ce dernier a poursuivie et consolidée. J'inscrirai mes pas dans les leurs.
En effet, il n'y a rien de plus terrible pour l'Ofpra, c'est-à-dire l'institution qui accorde la protection internationale, de découvrir quelques années plus tard que le statut de réfugié ou la protection subsidiaire a été accordé à un criminel de guerre ou à un terroriste. Le poids psychologique pour les agents qui font ce travail n'en est que plus grand. Il doit être terrible pour l'officier de protection qui a tamponné le dossier de se dire qu'il est passé à côté de ce qu'il n'aurait pas dû manquer.
C'est un élément dont il faut tenir compte et je serai extrêmement vigilant sur ce point. Il s'agit d'un devoir que nous devons à nos concitoyens. Auparavant, la seule question que l'officier de protection devait se poser était de savoir si un risque pesait sur le demandeur, justifiant qu'il lui accorde la protection internationale. Depuis 2015 et les vagues d'attentats, il doit se poser une deuxième question : « La personne qui est en face de moi peut-elle faire courir un risque à la société française ? » La perspective change de manière vertigineuse.
Le législateur a souhaité renforcer les liens entre ce qu'une autorité judiciaire pourra avoir à connaître sur un demandeur d'asile et le service instructeur. Un travail poussé est aussi effectué en collaboration avec les services de renseignement. C'est sur tous ces points que je souhaite me pencher, si ma candidature est acceptée.
M. David Margueritte. - Mme la présidente a évoqué dans son propos liminaire la question de la territorialisation des actions de l'Ofpra, à qui il est parfois reproché d'avoir un fonctionnement trop centralisé. Pensez-vous que la territorialisation est une action qu'il est opportun de développer, notamment dans l'optique de la réduction des délais et de la simplification ? Il semble en effet que nous soyons très en retrait sur la territorialisation par rapport aux objectifs fixés par le législateur en 2024, puisqu'il n'existe aujourd'hui qu'un seul espace France asile. Selon vous, cette territorialisation pourrait-elle contribuer à améliorer l'action de l'Ofpra ?
M. Alain Espinasse. - J'aurai à coeur de me rendre à Cergy pour observer de près le fonctionnement du premier espace France asile et la manière dont la greffe a prise, pour ainsi dire, faisant cohabiter les agents de l'Ofpra avec leurs collègues de la préfecture, dans ce qui constituait auparavant le guichet unique des demandeurs d'asile (Guda), ainsi qu'avec ceux de l'Ofii.
Je me souviens que, lors du rapprochement entre le Guda et les services de l'Ofii, des réserves avaient été exprimées : pourquoi les agents de l'Ofii devraient-ils se rendre en préfecture ? Ces interrogations étaient légitimes, mais l'organisation a fini par trouver son équilibre, parce que chacun est resté dans le périmètre de sa compétence. Nul n'a cherché à empiéter sur les prérogatives de l'autre.
Aujourd'hui, lorsqu'un demandeur d'asile est accueilli et que son récépissé est délivré, il peut être immédiatement orienté vers le collègue de l'Ofii chargé de la mise en oeuvre des aides sociales. Ce fonctionnement intégré représente un saut qualitatif en matière de service public. Il limite les déplacements et facilite le parcours administratif du demandeur.
L'intégration de l'Ofpra dans les espaces France asile n'a pas vocation à délocaliser l'instruction au fond, qui restera naturellement assurée depuis les locaux de l'Office. En revanche, cette présence en amont permettra de gagner un temps précieux. Ce sont des jours, parfois des semaines, qui seront gagnés pour le demandeur d'asile, bien plus que pour nos services.
Je suis convaincu de la pertinence de cette approche. L'essentiel de ma carrière s'est déroulé sur le terrain, et je garde la conviction que l'action publique gagne toujours à aller au-devant des usagers plutôt que de leur demander de venir à elle. En outre, pour traiter une telle massification de la demande, il est indispensable de maintenir une forme de concentration.
J'ai eu l'occasion d'échanger avec le ministère de l'intérieur à ce sujet. Il est clair qu'un bilan sera tiré de l'expérimentation menée à Cergy avant d'envisager l'ouverture de nouveaux espaces à Metz et à Toulouse. L'établissement, comme sa tutelle, a la volonté de s'assurer que l'expérimentation de cette greffe - même si le terme n'est pas parfait - fonctionne bien. Peut-être faudra-t-il quelques mois supplémentaires par rapport au délai que le législateur avait fixé en 2024. Mieux vaut accepter de les prendre si cela permet de réussir cette évolution.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Monsieur Espinasse, il nous reste à vous remercier et à vous laisser partir pour l'Assemblée nationale.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.
Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Alain Espinasse aux fonctions de directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous avons achevé l'audition de M. Alain Espinasse, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de directeur général de l'Office français de protection de protection des réfugiés et apatrides. Nous allons maintenant procéder au vote sur cette proposition de nomination.
Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de l'article 3 de la loi organique du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, les délégations de vote ne sont pas autorisées.
Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait pas procéder à la nomination de M. Alain Espinasse si l'addition des votes négatifs des commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Il est procédé au vote.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles - Désignation de rapporteures
La commission désigne Mme Elsa Schalck et Mme Dominique Vérien rapporteures sur la proposition de loi n° 504 (2024-2025), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles.
Projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030 - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. Jean-Michel Arnaud rapporteur sur le projet de loi n° 630 (2024-2025) relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030.
Proposition de loi de simplification du droit de l'urbanisme et du logement - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
La commission demande à être saisie pour avis sur la proposition de loi n° 632 (2024-2025) de simplification du droit de l'urbanisme et du logement et désigne M. Marc-Philippe Daubresse rapporteur pour avis.
Projet de loi portant création de l'établissement public du commerce et de l'industrie de la collectivité de Corse - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons à présent le rapport de notre collègue Olivia Richard sur le projet de loi portant création de l'établissement public du commerce et de l'industrie de la collectivité de Corse.
Mme Olivia Richard, rapporteure. - Ce projet de loi, qui a été déposé sur le Bureau de notre assemblée le 28 avril 2025, constitue l'aboutissement d'un long processus politique de réflexion et de négociation entre les représentants de la collectivité de Corse et l'État. Il a pour objectif principal de permettre le rattachement de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Corse à la collectivité insulaire.
À cette fin, il prévoit la création d'un établissement public sui generis, qui a vocation à reprendre l'ensemble des missions de la CCI de Corse et serait placé sous la tutelle de la collectivité de Corse.
L'enjeu de cette évolution institutionnelle, pour le moins stratégique, consiste à permettre à la collectivité de confier au nouvel établissement la gestion des ports et des aéroports de l'île, sans mise en concurrence préalable.
Avant d'aborder plus en détail le contenu du projet de loi, permettez-moi d'en retracer la genèse et de rappeler quelques éléments de contexte.
Depuis la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse, la collectivité de Corse dispose de larges compétences en matière de développement économique et de continuité territoriale. En application de cette même loi, elle est également devenue propriétaire des principales infrastructures portuaires et aéroportuaires de l'île.
En 2005 et 2006, elle a fait le choix d'en concéder la gestion - comme l'avait auparavant fait l'État - à la CCI de Corse, et ce pour une durée initiale de quinze ans.
Plus de 90 % des activités de la CCI de Corse sont aujourd'hui liées à la gestion des ports et des aéroports, qui mobilisent la quasi-totalité des plus de 1 000 agents employés par l'établissement.
À compter de 2018, la collectivité de Corse est devenue une collectivité unique exerçant à la fois les compétences des régions et des départements. S'en est suivie une réflexion sur l'évolution institutionnelle du réseau consulaire de l'île, afin qu'il corresponde au mieux aux institutions publiques locales.
L'article 46 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) a alors posé le principe d'une telle réflexion politique et juridique, en prescrivant la conduite d'une étude conjointe entre la collectivité, l'État et les chambres consulaires.
Cette étude, publiée en 2022, préconisait à titre principal une « absorption » de la CCI de Corse et de la chambre régionale des métiers et de l'artisanat (CRMA) au sein d'un établissement public placé sous la tutelle de la collectivité de Corse.
Comme me l'ont confirmé les représentants de la collectivité de Corse et l'administration centrale, cette question a fait l'objet de nombreux échanges dans le cadre du fameux « processus de Beauvau » initié par le Gouvernement en 2022 dans la perspective de l'évolution du statut de la Corse vers une plus grande autonomie. L'exposé des motifs du projet de loi présente d'ailleurs ce texte comme « étant issu » de ce processus de Beauvau.
Si, jusqu'alors, la réforme envisagée n'avait pas encore trouvé de traduction législative, une échéance de court terme est venue accélérer le processus : les contrats de concession conclus avec la CCI ont déjà été prolongés à deux reprises : la seconde fois, le 31 décembre 2024, la fin des concessions a été repoussée d'un an, dans l'attente de l'évolution législative permettant l'évolution institutionnelle escomptée. Ils arrivent désormais à leur terme au 31 décembre 2025.
À défaut d'entrée en vigueur du présent projet de loi avant cette échéance, une mise en concurrence deviendra nécessaire pour le renouvellement des contrats de concession, dans un délai extrêmement contraint.
J'en viens donc au contenu du projet de loi.
L'essentiel du dispositif est prévu par l'article 1er qui détermine les missions, les ressources financières, le statut et les institutions représentatives du personnel de l'établissement.
S'agissant des ressources financières et des missions de l'établissement, cet article s'inspire très largement des dispositions du code de commerce applicables à l'ensemble des CCI régionales.
Le nouvel établissement exercera ainsi les mêmes fonctions qu'une CCI classique, à commencer par sa mission générale de représentation des intérêts des secteurs professionnels auprès des pouvoirs publics. L'article 3 confie parallèlement au président de l'établissement la compétence en matière de délivrance des cartes professionnelles d'agent immobilier.
La nouvelle personne morale bénéficiera en outre des mêmes ressources que la CCI de Corse, à commencer par la fraction de la taxe pour frais de chambre, qu'il percevra grâce à son intégration au « réseau CCI France » organisée par l'article 2. Je précise que cette mesure impliquera une modification du code général des impôts (CGI) dans la prochaine loi de finances.
Concernant le statut du personnel, seuls des salariés de droit privé pourront être recrutés par l'établissement, dans les conditions prévues par le code du travail. Toutefois, afin de tenir compte du caractère mixte du personnel qu'emploiera l'établissement - c'est-à-dire à la fois des salariés de droit privé et des agents publics relevant du statut issu de la loi n° 52-1311 du 10 décembre 1952 -, l'article 1er prévoit la création d'un comité social territorial (CST) composé de différents collèges compétents en fonction du statut des personnels concernés.
Je précise, au passage, que l'établissement a vocation à reprendre les 1 026 agents aujourd'hui employés par la CCI de Corse, ce qui portera à près de 7 000 le nombre total d'agents que comptent la collectivité de Corse et l'ensemble des agences et offices placés sous sa tutelle.
En ce qui concerne, enfin, la gouvernance de l'établissement, son conseil d'administration ne pourra compter que deux catégories de membres : des conseillers à l'assemblée de Corse, qui devront y être majoritaires, afin de garantir le contrôle de la collectivité sur son établissement ; et des représentants des professionnels, désignés lors des élections consulaires de droit commun.
Le président de l'établissement sera désigné par le président du conseil exécutif de la collectivité de Corse parmi les membres de ce même conseil exécutif.
Pour finir, l'article 4 du projet de loi comporte des mesures transitoires destinées à sécuriser la mise en place du nouvel établissement, qui devra remplacer la CCI de Corse au 1er janvier 2026. Il prévoit notamment la reprise, par le nouvel établissement, de l'ensemble des personnels, des biens, des droits et des obligations de la CCI de Corse ; un délai de dix-huit mois pour valider ou renégocier les conventions, les accords et les engagements unilatéraux ; ainsi que la présence, jusqu'aux élections consulaires de novembre 2026, au sein du conseil d'administration de l'établissement, des 40 membres actuels de la CCI de Corse.
Comme je vous l'indiquais en préambule, un constat s'est imposé au cours des différentes auditions que j'ai conduites : ce projet constitue l'aboutissement d'un long processus et fait l'objet d'un large consensus parmi les acteurs insulaires concernés.
L'objectif final est, en tout cas, partagé par le plus grand nombre : il s'agit de sécuriser une gestion publique des ports et des aéroports de la Corse, qui constituent des infrastructures hautement stratégiques en raison des spécificités liées à l'insularité.
En raison des caractéristiques économiques et géographiques de la Corse, la gestion de ces infrastructures revêt en effet une dimension stratégique indéniable. Quelques données suffisent à s'en convaincre : le secteur du tourisme représente 40 % du PIB régional, tandis que 95 % des denrées alimentaires consommées sur l'île sont importées.
Le président du conseil exécutif, Gilles Simeoni, estime ainsi « qu'il est inenvisageable que les portes d'entrée de l'île soient gérées par des entités privées ayant pour seul objectif la rentabilité de leur activité ».
Je vous propose donc, chers collègues, d'approuver la création de ce nouvel établissement sui generis, sous réserve de l'adoption de plusieurs amendements visant à en améliorer la gouvernance et à faciliter le dialogue social en son sein.
En premier lieu, je vous proposerai un amendement pour remplacer le CST prévu initialement par un comité social et économique (CSE) de droit commun. Cette modification répond à une demande unanime des représentants de la CCI et de la collectivité de Corse, qui souhaitent préserver leur modèle de dialogue social, lequel inclut l'ensemble du personnel, sans distinguer les agents selon leur statut.
Toujours dans l'optique de garantir les bonnes conditions du dialogue social, je vous propose de prévoir la reprise, par principe, par le nouvel établissement des différents accords et engagements unilatéraux aujourd'hui applicables au sein de la CCI. Ils pourront être remplacés par de nouveaux accords, mais sans le couperet d'une date butoir.
En deuxième lieu, je vous présenterai un amendement visant à permettre aux représentants du personnel de l'établissement d'assister au conseil d'administration, avec voix consultative.
En troisième et dernier lieu, il m'a semblé nécessaire de réduire le nombre d'élus consulaires qui siégeront au conseil d'administration au cours de la période allant janvier à novembre 2026. Initialement fixé à 40, cet effectif serait ainsi réduit à 20. Ce faisant, la collectivité n'aura pas à désigner 41 élus de l'assemblée de Corse, ce qui aurait porté l'effectif du conseil d'administration à plus de 81 membres, avec toutes les difficultés pratiques que cela implique.
Au bénéfice de ces observations et sous réserve des quelques ajustements évoqués, je vous propose donc d'adopter le projet de loi portant création de l'établissement public du commerce et de l'industrie de la collectivité de Corse.
M. Paul Toussaint Parigi. - Je salue le travail de la rapporteure. Alors qu'il a fallu de longues années pour faire aboutir ce projet, nous sommes parvenus à un consensus qui va de l'État aux syndicats, en passant par le monde économique et la collectivité de Corse. Il est important pour l'insularité de gérer ses ports et aéroports, et d'en avoir la maîtrise et la gouvernance.
Mes chers collègues, je vous invite à suivre l'avis de la rapporteure, dont le rapport est d'une clarté éblouissante.
M. Éric Kerrouche. - Ce rapport est synthétique et exhaustif de sorte qu'il n'est pas nécessaire de reprendre le détail du texte. Il a fallu du temps pour aboutir à cette solution. L'étude du cabinet « Ernst & Young » sur la transformation de la CCI est pourtant disponible depuis 2022. L'enjeu est stratégique pour le tourisme et pour les importations : plus de 8,2 millions de passagers transitent par les ports et les aéroports de l'île chaque année. Cette organisation spécifique est nécessaire. Nous voterons ce texte ainsi que l'ensemble des amendements qui seront présentés. Je poserai toutefois une question sur le premier d'entre eux.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Comme c'est l'usage, il me revient, mes chers collègues, avant d'examiner les amendements, de vous indiquer quel est le périmètre indicatif du projet de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents.
Je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les dispositions relatives à la création, en lieu et place de la chambre de commerce et d'industrie de Corse, d'un établissement public du commerce et de l'industrie de la collectivité de Corse et aux adaptations, coordinations et mesures transitoires rendues nécessaires par la création de cet établissement.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Olivia Richard, rapporteure. - Lors des auditions, les représentants de plusieurs syndicats ont souhaité inscrire dans le cadre des missions de la CCI la sûreté et la sécurité des infrastructures aéroportuaires et portuaires. En réalité, cela figure déjà plus ou moins dans le droit existant. Compte tenu de l'importance de cette mission, il fallait la mettre en valeur. Tel est le sens de mon amendement COM-1.
M. Éric Kerrouche. - Le nouvel établissement public devra-t-il gérer cela en propre ou bien de manière externalisée ?
Mme Olivia Richard, rapporteure. - Il le gérera en propre ; il s'agit en réalité de clarifier en droit l'attribution d'une mission que la CCI de Corse exerce d'ores et déjà.
L'amendement COM-1 est adopté.
Mme Olivia Richard, rapporteure. - L'amendement COM-2 concerne la représentation du personnel avec voix consultative au sein du conseil d'administration de l'établissement.
L'amendement COM-2 est adopté.
L'amendement COM-3 de coordination est adopté.
Mme Olivia Richard, rapporteure. - L'amendement COM-4 a pour objet de remplacer le CST initialement envisagé par un CSE. Il s'agit là d'une demande unanime de la CCI, de la collectivité de Corse et des syndicats.
L'amendement COM-4 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Articles 2 et 3
Les articles 2 et 3 sont successivement adoptés sans modification.
Mme Olivia Richard, rapporteure. - L'amendement COM-5 vise à ajuster les modalités de présence, pendant la période transitoire allant de janvier à novembre 2026, des élus consulaires de la CCI de Corse au sein du conseil d'administration du nouvel établissement.
L'amendement COM-5 est adopté.
L'amendement de coordination COM-6 est adopté.
Mme Olivia Richard, rapporteure. - L'amendement COM-7 vise à supprimer le délai de dix-huit mois pour la renégociation des accords, conventions et engagements unilatéraux en vigueur.
L'amendement COM-7 est adopté.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous passons à l'examen du rapport de notre collègue Lauriane Josende sur la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Mes chers collègues, permettez-moi, à titre liminaire, de revenir sur l'organisation administrative spécifique des villes de Paris, Lyon et Marseille. Ces trois villes sont en effet divisées, depuis l'adoption des lois dites « PLM » de 1982, en plusieurs arrondissements et secteurs, qui disposent chacun d'une mairie d'arrondissement ou de secteur.
Paris est par exemple divisée en vingt arrondissements formant dix-sept secteurs. Les Ier, IIe, IIIe et IVe arrondissements ont en effet été regroupés en 2017 en un unique secteur nommé « Paris centre ».
À Paris, Lyon et Marseille, se superposent donc, d'une part, une mairie centrale, dirigée par le conseil municipal - ou conseil de Paris -, qui procède à l'élection du maire de la commune et dispose de la clause de compétence générale, à l'instar des autres communes de France ; et, d'autre part, des mairies d'arrondissement ou de secteur, administrées par un conseil d'arrondissement, qui élit lui-même un maire d'arrondissement.
Ces conseils d'arrondissement bénéficient essentiellement d'une compétence consultative, mais disposent également d'une compétence décisionnaire, par exemple en matière d'équipements de proximité.
De cette organisation administrative particulière découle un régime électoral spécifique. Ainsi, à Paris, Lyon et Marseille, les élections municipales sont organisées sur la base des arrondissements ou des secteurs, et non pas à l'échelle de la commune.
Lors des élections municipales, les électeurs élisent ainsi dans chaque secteur, en même temps et sur une même liste, d'une part, des conseillers d'arrondissement ; et, d'autre part, des conseillers municipaux, dont le nombre, dans chaque arrondissement, est fixé par la loi en fonction de leur population, et qui siègent également au conseil d'arrondissement.
Le conseil municipal regroupe donc les conseillers municipaux élus dans chaque arrondissement ou secteur et, une fois constitué, procède à l'élection du maire de la commune.
Le mode de scrutin spécifique en vigueur à Paris, Lyon et Marseille fait aujourd'hui l'objet de vives critiques, ce qui nous amène à la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
Selon Sylvain Maillard, l'un des auteurs du texte, le régime électoral applicable à Paris, Lyon et Marseille constituerait en effet « une anomalie démocratique » pour plusieurs raisons. En premier lieu, le maire n'y serait pas élu directement, contrairement aux autres communes de France ; en deuxième lieu, il serait possible d'être élu maire de ces trois communes avec une minorité de voix à l'échelle de la commune ; en troisième lieu, le vote d'un électeur n'aurait pas le même poids selon les arrondissements.
Face à ce constat, les auteurs de la proposition de loi nous invitent à faire rentrer ces trois villes dans le droit commun, en prévoyant l'élection des conseillers municipaux à l'échelle de la commune et non plus sur la base des secteurs.
À première vue, l'objectif de cette proposition de loi est donc louable : il s'agirait de modifier le mode de scrutin pour le rendre plus démocratique, selon le principe « un électeur, une voix ».
Les nombreuses auditions que j'ai conduites, en des délais très contraints, depuis la transmission de la proposition de loi par l'Assemblée nationale le 9 avril 2025, ont toutefois montré que cette réforme soulevait d'innombrables difficultés.
Avant d'aborder les difficultés posées par ce texte, je tiens à dire quelques mots de la méthode de travail que j'ai appliquée. En dépit du peu de temps à ma disposition, j'ai souhaité entendre l'intégralité des acteurs concernés par cette réforme, ce qui n'avait jusqu'alors jamais été fait.
Au cours de ces travaux préparatoires, j'ai ainsi entendu les maires de Paris, Lyon et Marseille ; l'ensemble des maires d'arrondissement des trois villes ; les présidents de la métropole du Grand Paris (MGP), de la métropole de Lyon et de la métropole Aix-Marseille-Provence.
Des demandes de contribution écrites ont également été adressées à chaque groupe politique siégeant au sein des conseils municipaux de Lyon et Marseille et du conseil de Paris, ainsi qu'à l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF).
Ces nombreuses auditions m'ont permis d'identifier, au fur et à mesure, les nombreuses difficultés que pose la réforme qui nous est aujourd'hui présentée. Elles ont également mis en lumière une forte opposition à ce texte, partagée par la quasi-totalité des personnes entendues.
Même les élus qui se sont prononcés en faveur du texte ont unanimement admis, malgré tout, que celui-ci était imparfait et soulevait des problèmes multiples.
J'en viens plus précisément à la présentation de ces nombreuses difficultés. En premier lieu, le dispositif qui nous est proposé apparaît fragile d'un point de vue juridique, et ce pour deux raisons essentielles.
D'une part, et bien qu'il prétende faire entrer Paris, Lyon et Marseille dans le droit commun, le texte retient une prime majoritaire de 25 % pour l'élection des conseillers municipaux. En revanche, une prime majoritaire de 50 % serait maintenue pour l'élection des conseillers d'arrondissement et des conseillers communautaires.
Cette prime majoritaire dérogatoire est critiquable à plusieurs égards. Tout d'abord, de l'avis unanime des professeurs de droit public que j'ai consultés au cours des travaux préparatoires, une prime majoritaire de 25 % crée une rupture d'égalité avec les autres communes, puisqu'elle n'est justifiée par aucune raison objective.
Par ailleurs, le maintien d'une prime majoritaire à 50 % pour l'élection des conseillers communautaires, tandis que les conseillers municipaux seraient élus avec une prime majoritaire de 25 %, créerait une distorsion de représentation difficilement justifiable au sein des métropoles, et créerait des difficultés d'application, puisqu'il serait impossible de pourvoir l'ensemble des sièges au sein des conseils métropolitains.
D'autre part, la réforme conduirait à l'organisation de deux scrutins le même jour à Paris et Marseille, et même à l'organisation de trois scrutins simultanés à Lyon - élections aux conseils d'arrondissement, élections aux conseils municipaux et élections métropolitaines -, ce qui risquerait de porter atteinte à la clarté et l'intelligibilité du scrutin.
L'organisation simultanée de plusieurs élections est en effet source de confusion et risque d'induire en erreur les électeurs, qui ne sont pas nécessairement au fait des compétences exercées par chacun.
L'expérience lyonnaise le montre d'ailleurs déjà : en l'état du droit, deux élections sont en effet déjà organisées simultanément à Lyon, pour la mairie et pour la métropole. Comme l'ont mis en lumière les auditions, la situation actuelle et la coexistence de deux campagnes électorales distinctes - mais imbriquées - génère déjà une importante confusion. Les candidats eux-mêmes mélangent dans leurs discours les programmes des deux campagnes.
La réforme envisagée conduirait donc à aggraver cette situation, au détriment des électeurs et de la démocratie locale.
Outre les difficultés juridiques, la réforme proposée paraît, en deuxième lieu, problématique d'un point de vue pratique, à commencer par le fait que l'adoption de cette proposition de loi conduirait à modifier le régime électoral moins d'un an avant les prochaines élections.
S'il est constitutionnellement possible de modifier les règles électorales l'année précédant une élection, l'ampleur de la réforme envisagée rend impossible son application avant les prochaines élections municipales de mars 2026. Ainsi, de l'aveu même de l'administration centrale chargée de l'organisation des opérations électorales, la mise en oeuvre d'une telle réforme dans des délais particulièrement contraints est de nature à fragiliser la capacité des pouvoirs publics à organiser ces scrutins dans des conditions matérielles satisfaisantes, ce qui est pour le moins inquiétant.
Au-delà de l'organisation matérielle des élections, l'adoption de cette proposition de loi laisserait trop peu de temps aux institutions, aux candidats et aux électeurs pour s'adapter à un tel changement.
Par ailleurs, l'organisation concrète des élections par les communes paraît également impossible en l'état, en raison de la nécessité d'organiser simultanément plusieurs scrutins.
Nous le savons tous, même avec une seule élection, il est de plus en plus difficile d'organiser les scrutins. Il est déjà délicat de mobiliser suffisamment de personnes pour s'occuper des bureaux de vote ou encore pour procéder aux dépouillements.
Par ailleurs, je tiens à rappeler que lors des élections départementales et régionales de 2021, d'importants dysfonctionnements dans l'acheminement de la propagande électorale ont eu lieu, précisément en raison de la concomitance de ces deux scrutins. Imaginez ce que représenterait alors l'organisation de deux, voire trois élections simultanées le même jour !
À titre d'exemple, si cette réforme entrait en vigueur et que trois élections étaient organisées le même jour à Lyon, il faudrait trouver au moins 300 bureaux de vote supplémentaires, puisque la dimension des bureaux actuels ne permet pas d'installer une nouvelle table pour les bulletins, de nouveaux isoloirs, etc. ; en termes de moyens matériels, trouver 1 900 tables, 1 300 chaises, 1 000 isoloirs et 300 urnes supplémentaires ; en termes de moyens humains, mobiliser a minima 300 présidents de bureaux de vote, 610 assesseurs et 300 agents de la ville supplémentaires.
La modification proposée du mode de scrutin ne ferait ainsi qu'aggraver les difficultés déjà existantes.
Enfin, la réforme proposée poserait également des difficultés du point de vue des comptes de campagne. Le dédoublement des élections au conseil d'arrondissement et au conseil municipal imposerait en effet la tenue de deux comptes de campagne séparés, voire de trois à Lyon.
Pour citer notre collègue Guy Benarroche lors de l'audition, la semaine dernière, de Christian Charpy, candidat à la présidence de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), comment différencier les dépenses effectuées au titre de la campagne pour la mairie centrale, de celles effectuées pour la campagne pour les mairies d'arrondissement ?
Aucune réponse n'a pu nous être donnée à ce sujet. Christian Charpy a néanmoins admis que le guide du mandataire relatif aux élections à Paris, Lyon et Marseille promettait d'être extrêmement compliqué.
Je rappellerai à cet égard que si la réforme était adoptée, ce guide « extrêmement compliqué » devrait impérativement être publié avant le mois de septembre prochain, date de début de la période pré-électorale. Il faudrait, en outre, que les candidats puissent en prendre connaissance et s'acclimater aux nouvelles règles...
J'en viens à présent, en troisième lieu, au coût financier de la réforme envisagée. Celle-ci entraînerait d'importantes dépenses supplémentaires, liées, d'une part, à l'organisation de deux - voire trois scrutins - le même jour, ce qui générerait, par exemple, un coût supplémentaire de 500 000 euros à Lyon ; et, d'autre part, à la hausse du nombre de candidats et d'élus découlant de la dissociation des mandats de conseiller municipal et de conseiller d'arrondissement. Il y aurait ainsi, potentiellement, 347 élus supplémentaires. Cela entraînerait une hausse des dépenses de campagne, des dépenses de formation, des dépenses liées à la prise en charge des frais de représentation des élus, des indemnités versées aux élus, etc.
Au total, selon le ministère de l'intérieur, le coût de la réforme s'élèverait à 15 millions d'euros, sans compter les indemnités de mandat et prises en charge de frais supplémentaires.
Comment pourrions-nous accepter une réforme avec un coût financier si élevé, dans le contexte budgétaire préoccupant que nous connaissons tous, et alors que le Sénat conduit en ce moment même des travaux visant à identifier les pistes d'économies à réaliser pour réduire le déficit, et que le président du Sénat vient d'évoquer la piste d'un gel budgétaire pour l'année 2026 ?
En quatrième lieu, la proposition de loi provoquerait une forte instabilité politique liée d'une part, à la modification potentielle profonde des équilibres politiques qu'elle induirait ; et, d'autre part, au risque d'une absence de majorité au sein des conseils municipaux des trois villes, en raison de l'introduction d'une prime majoritaire de 25 % qui conduirait à des hémicycles fracturés, inaptes à définir un projet municipal commun.
À titre d'exemple, à Paris, une liste recueillant 30 % des voix obtient à l'heure actuelle 106 sièges, sur un total de 163 sièges à pourvoir. Elle n'obtiendrait plus que 78 sièges dans le dispositif proposé. Autrement dit, une liste arrivant en tête ne serait plus nécessairement majoritaire au conseil municipal.
En cinquième lieu, la réforme envisagée mettrait à mal l'échelon de proximité auquel les électeurs sont pourtant attachés, à savoir les conseillers d'arrondissement ou de secteur.
En l'état du droit, en effet, les conseillers municipaux sont nécessairement élus au sein d'un conseil d'arrondissement. Lorsque les citoyens s'adressent aux élus qui leur sont le plus proches, c'est-à-dire à leurs élus d'arrondissement, ils ont ainsi la certitude que leurs préoccupations seront relayées au conseil municipal, qui constitue l'échelon décisionnaire. Ainsi, les intérêts de l'ensemble des territoires sont pris en compte.
Le dispositif qui nous est proposé mettrait à mal la démocratie de proximité, en prévoyant une dissociation des mandats de conseiller municipal et de conseiller d'arrondissement. Il existe en effet un risque que certains arrondissements ne soient plus du tout représentés au conseil central, tandis que d'autres y seraient surreprésentés. Ainsi, les besoins et préoccupations de certains arrondissements ne pourraient plus être relayés au niveau central et donc ne seraient plus pris en compte dans les décisions prises par le conseil municipal.
Cette réforme va donc à l'encontre des souhaits exprimés par les électeurs. Dans un contexte de hausse de l'abstention et alors que la confiance des citoyens envers les élus ne cesse de diminuer, le Sénat doit-il prendre la responsabilité de supprimer l'échelon de proximité dans les trois plus grandes villes françaises ?
Enfin, la réforme qui nous est proposée apparaît précipitée et a été élaborée sans concertation de l'ensemble des parties prenantes.
Ainsi, au-delà des problèmes de fond que pose la réforme envisagée, la méthode ayant présidé à son élaboration paraît problématique et témoigne d'une proposition de loi écrite dans la précipitation.
J'en veux pour preuve, premièrement, l'absence de consultation de l'ensemble des parties prenantes. De nombreux maires d'arrondissement nous ont ainsi indiqué, lors des auditions que j'ai conduites, ne pas avoir été consultés par les auteurs du texte. Ils sont d'ailleurs, comme je l'ai rappelé précédemment, majoritairement opposés à cette réforme du mode de scrutin.
Deuxièmement, le diagnostic initial inexact sur lequel repose la proposition de loi témoigne également d'un travail conduit trop rapidement, faute d'évaluation préalable et de consultation approfondie des acteurs concernés.
Comme je l'évoquais, les auteurs de la proposition de loi prétendent que le mode de scrutin actuel constitue une anomalie démocratique en ce qu'il permet à un maire d'être élu avec une minorité de voix à l'échelle de la commune. Or, ce cas est largement théorique et ne s'est vérifié qu'une unique fois depuis 1982, lors des élections municipales ayant conduit à l'élection de Gaston Defferre comme maire de Marseille. On ne peut donc pas parler d'une anomalie démocratique récurrente !
De même, les auteurs de la proposition de loi affirment vouloir faire rentrer Paris, Lyon et Marseille dans le droit commun en faisant élire le maire directement par les citoyens, comme c'est le cas dans les autres communes. Or, je n'ai pas besoin de vous rappeler le mode d'élection du maire dans les près de 35 000 communes françaises...
Enfin, la limitation de la réforme à la seule question du mode de scrutin illustre également son impréparation. L'enjeu des compétences et de leur répartition entre conseils d'arrondissement, conseils municipaux et métropole aurait impérativement dû être abordé. Cette demande a d'ailleurs été expressément formulée par une large majorité des maires et maires d'arrondissement que j'ai consultés durant les travaux préparatoires...
Pour toutes ces raisons, la proposition de loi qui nous est soumise apparaît comme « une réforme bâclée et de circonstance », pour reprendre les mots d'Olivier Berzane, maire du VIIIe arrondissement de Lyon.
Mes chers collègues, vous l'aurez compris, je suis entièrement opposée à la proposition de loi que nous examinons ce jour.
La réforme proposée paraît contestable à tous égards. Mal préparée, sans aucune concertation, elle pose des difficultés multiples, tant sur le plan juridique que d'un point de vue pratique, financier et politique.
Outre ces difficultés, les auteurs de cette proposition de loi n'atteignent pas les objectifs qu'ils poursuivent. Premièrement, celle-ci ne conduit pas à l'application du droit commun à Paris, Lyon et Marseille, puisque serait appliquée une prime majoritaire dérogatoire au droit commun ; deuxièmement, elle ne simplifierait pas le mode de scrutin applicable dans ces trois villes, car l'organisation des élections serait rendue plus complexe, tant pour les mairies que pour les candidats et les électeurs. Ainsi, la proposition de loi ne conduirait pas à renforcer la démocratie locale, bien au contraire.
Pour toutes ces raisons, je vous propose de ne pas adopter le texte.
Pour autant, ce n'est pas parce que je vous invite à le rejeter que je suis opposée à toute réforme du statut de Paris, Lyon et Marseille. Les auditions menées ont en effet mis en exergue qu'une réforme plus globale et réfléchie du statut de ces trois villes, abordant la question du mode de scrutin, mais également des compétences et intégrant la dimension métropolitaine, est nécessaire, et même réclamée par les acteurs concernés.
Je forme donc le voeu que soit mené un travail de long terme, sous la forme, par exemple d'une mission d'information, pour évaluer le fonctionnement actuel de ces trois villes, en concertation avec l'ensemble des acteurs intéressés. Une fois ce travail préalable mené, une refonte du statut de ces trois villes pourra être envisagée valablement.
Je précise d'ailleurs que, compte tenu des différences profondes qui existent désormais entre les trois villes, en termes de population, de répartition des compétences ou encore de structure institutionnelle, des solutions différentes pourraient être envisagées selon la ville concernée.
Mme Catherine Di Folco. - Je tiens à féliciter la rapporteure pour cette analyse fine et approfondie, menée dans des délais très contraints. Pour être quelque peu impertinente, je me demande quelle mouche a bien pu piquer le parti Renaissance et le Premier ministre pour nous imposer cette proposition de loi maintenant. En outre, je m'interroge sur la méthode de travail de nos homologues de l'Assemblée nationale, tant le sujet semble avoir été survolé.
M. Ian Brossat. - Je souscris totalement aux observations de la rapporteure : les arguments dont se prévalent les auteurs du texte sont fallacieux, qu'il s'agisse du prétendu rapprochement avec le droit commun ou de la possibilité que soient élus des maires qui n'auraient obtenu qu'une minorité de voix.
Si le groupe Communiste, Républicain, Citoyen et Écologiste - Kanaky (CRCE-K) rejette cette réforme, la question du statut de Paris, de Lyon et de Marseille devra être discutée de manière plus large. Par exemple, est-il normal que la municipalité parisienne ne dispose pas de certaines compétences dont dispose n'importe quelle autre commune, notamment en matière de circulation ? Une série de voies relève en effet des attributions du préfet de police : si l'on souhaite véritablement que Paris rentre dans le droit commun, il faudra débattre de ces sujets.
M. Marc-Philippe Daubresse. - Merci pour cet excellent rapport sur un sujet aussi sensible que difficile. Je tiens à dire à mes collègues parisiens, lyonnais et marseillais, que la question posée initialement est à l'évidence pertinente, car les élus des autres métropoles sont parfois assez agacés par des statuts spécifiques et par un enchevêtrement de compétences peu lisibles par la population.
Pour autant, répondre à ces enjeux en se limitant à la problématique du mode de scrutin - avec un choix à l'évidence subjectif - ne saurait constituer une réponse satisfaisante. Les véritables questions qui sont soulevées méritent une mission d'information et non pas une réforme moins d'un an avant le prochain scrutin.
Je voterai, sans aucun d'état d'âme, contre cette proposition de loi.
M. Alain Marc. - Les statuts spéciaux de Paris, Lyon et Marseille ont été décidés en raison de l'importance de leur population, mais je souligne que Toulouse, qui, selon les projections réalisées à partir des derniers chiffre de l'Insee disponibles, compte désormais 10 000 habitants de plus que Lyon, relève du droit commun.
Ces évolutions doivent nous inciter à la réflexion et à l'action, mais sans précipitation, d'où mon abstention sur ce texte. Pour autant, il nous faudra apporter des changements dans la perspective du scrutin de 2032, la population de Toulouse étant appelée à s'accroître. Nous avons le temps de nous y consacrer, ce texte ayant peu de chance d'être adopté.
M. Guy Benarroche. - Je souligne à mon tour la qualité du travail de la rapporteure, dont je partage totalement l'analyse.
La « mouche » évoquée par Catherine Di Folco a piqué l'Assemblée nationale il y a déjà longtemps, ce texte ayant été alternativement déposé et retiré avant d'être à nouveau soumis à l'examen du Parlement par le Gouvernement dans des délais qu'il estime « raisonnables », c'est-à-dire huit ou neuf mois avant les élections, ce qui nous paraît bien trop court.
Marc-Philippe Daubresse l'a exprimé avec des mots plus mesurés, mais tout le monde considère que ce texte s'apparente davantage à un « tripatouillage » politique visant à faciliter une élection en particulier.
Mon groupe partage l'objectif d'un retour à la règle commune, autour du mode d'élection du maire et de la prime majoritaire. Aussi, il importe que le maire soit bien élu, dans le cadre d'un scrutin de liste, par la totalité des électeurs de la ville, ce qui n'est actuellement pas le cas à Marseille. Nous demandons également que la prime majoritaire soit la même que dans les autres communes, c'est-à-dire de 50 %. Sans ces deux éléments essentiels à nos yeux, le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST) ne votera pas le texte présenté.
Au-delà de cette prise de position, nous devons nous interroger sur les intentions du Gouvernement : en cas de vote négatif de notre commission, persistera-t-il à vouloir faire voter ce texte avant la fin de la session parlementaire ? Cette interrogation mérite notre attention, car il n'y aurait pire résultat que de laisser cette proposition de loi entrer en vigueur dans sa rédaction actuelle.
Ne devrions-nous donc pas envisager de modifier ce texte afin de peser dans le choix futur du Gouvernement ? Il est possible qu'il décide d'aller jusqu'au bout de sa démarche, pour des raisons tenant à de petits arrangements politiques.
M. Francis Szpiner. - Lorsque j'ai été élu maire d'arrondissement, j'ai rapidement compris qu'il s'agissait d'une fonction « Canada Dry », car cet élu a la légitimité et l'apparence du maire, sans en avoir les pouvoirs. Le changement de statut de Paris est donc justifié.
Je rappelle que Paris, Lyon et Marseille n'ont plus rien en commun : si les métropoles de Lyon et de Marseille sont bien dotées de véritables pouvoirs, tel n'est pas le cas de la Métropole du Grand Paris (MGP) dont je souhaite ardemment la disparition, car elle ne regroupe pas, en réalité, la région parisienne.
À la fois ville et département, Paris est dotée d'un statut spécifique et est plus proche d'une agglomération de communes, le XVe arrondissement comptant par exemple plus de 220 000 habitants. Il fallait donc la doter d'un statut très original qui pourrait certes être modifié, mais pas en faisant n'importe quoi, ce qui est le cas avec ce texte.
Concernant la proposition de notre collègue Guy Benarroche, je ne pense pas utile d'amender un texte à ce point médiocre qu'il ne résistera jamais à l'examen du Conseil constitutionnel. Par exemple, je peine à identifier le corps électoral susceptible d'élire les conseillers métropolitains à Paris, car il faudra trancher des questions de liste et se confronter à des problèmes de cumul de mandats : je suis, à l'instar de Ian Brossat, sénateur, conseiller de Paris et conseiller d'arrondissement, et nous pourrions être contraints de choisir l'un de nos mandats s'il existait deux scrutins distincts pour l'arrondissement et pour le conseil de Paris.
Guy Benarroche a aussi soulevé, à juste titre, le risque d'une inégalité entre les candidats, car certains ne se présenteront qu'à une mairie d'arrondissement et bénéficieront d'une souplesse dans leur budget, tandis que ceux qui se porteront candidats à la mairie d'arrondissement et à la mairie centrale devront se doter d'un double budget : comment distinguer les deux enveloppes ?
En l'état, ce texte n'a donc aucune chance d'être validé par le Conseil constitutionnel, sans oublier les délais restreints qui devraient être respectés par rapport à la prochaine campagne.
Enfin, si vous me pardonnez ma naïveté, j'ai entendu le Premier ministre dire qu'il ne s'obstinerait pas en l'absence de consensus, et je l'imagine mal renier sa parole.
Mme Cécile Cukierman. - Je salue également le travail de la rapporteure, qui ne s'en tient pas à un simple rejet du texte, mais nous invite à nous pencher sur la nécessaire refonte du statut dit « PLM ».
Pardonnez-moi si je me répète, mais je reste attachée à certains principes, à commencer par celui qui consiste à ne modifier le code électoral qu'avec parcimonie et sans précipitation. Ce n'est en effet pas en urgence que l'on réforme de tels statuts, fussent-ils anciens, mais en s'attachant à anticiper toutes les conséquences de tels changements, y compris sur des aspects pratiques tels que la tenue de multiples bureaux de vote le même jour.
J'ajoute que des réformes de ce type n'ont pas vocation à être mises en oeuvre dans un temps qui précède de peu le scrutin.
De manière générale, l'argument des partisans de la proposition de loi relatif à l'application du droit commun est fallacieux, car le texte ne prévoit pas un retour complet audit droit commun : aller au bout de cette logique devrait conduire à supprimer les arrondissements.
Le Sénat doit poser la question politique de l'avenir de ce texte, avec l'élégance et le langage qui est le nôtre : y aurait-il une légitimité démocratique à poursuivre le processus législatif si notre assemblée venait à rejeter le texte ? Bien sûr, tout est possible sur le plan constitutionnel, qu'il s'agisse de réunir une commission mixte paritaire (CMP), de demander à l'Assemblée nationale de statuer définitivement ou même de recourir à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution. Néanmoins, il me semble qu'une telle démarche ne ferait que renforcer la crise politique que nous connaissons.
Enfin, il me paraît très surprenant d'appeler à la recherche du consensus et à la mise à l'écart des extrêmes et de soutenir, dans le même temps, un texte susceptible de faire entrer les clivages et les excès dans les conseils municipaux des trois villes concernées.
M. Stéphane Le Rudulier. - Les auditions ont révélé que cette proposition de loi, au-delà de son caractère hâtif et improvisé, recèle quelques incohérences juridiques. Son auteur ne s'est manifestement pas interrogé sur la structure démocratique de base de ces trois communes : s'agit-il de l'arrondissement ou d'éléments démographiques qui semblent sous-tendre ce texte ?
Si les seconds préfigurent l'évolution du mode de scrutin, il faudrait alors envisager, comme l'a relevé Cécile Cukierman, la suppression de l'arrondissement, mais cela poserait immédiatement d'autres problèmes de gestion administrative.
Un aspect très agaçant de ce texte tient à son idéalisation d'un scrutin direct qui n'existe nulle part dans les 35 000 communes de France, puisque les citoyens élisent des conseils municipaux et non pas un maire seul.
Enfin, une tradition démocratique consiste à ne pas modifier les règles d'un scrutin à moins d'un an de l'élection. La question de l'opportunité de ce texte est réellement posée, car il sera sans doute perçu par les électeurs comme une manigance électorale.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - La rapporteure a accompli un travail considérable et je salue - une fois n'est pas coutume - la décision de la présidente de choisir une collègue qui n'est pas directement concernée par le sujet, car cela permet d'apaiser la discussion. Les auditions conduites se sont révélées très intéressantes, car la grande majorité des personnes auditionnées ont exprimé un avis défavorable sur le texte et se sont interrogées sur la méthode : pourquoi ne pas avoir commencé par un texte dédié aux compétences, avant d'en faire découler une éventuelle réforme du mode de scrutin ?
En 1982, la loi du 2 mars relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions avait ainsi été suivie d'une réforme du mode de scrutin intervenue en décembre, et non pas l'inverse. Cette inversion pose problème en l'espèce, car on ignore les compétences qui seront respectivement, à l'avenir, dévolues aux arrondissements et aux conseils municipaux.
J'estime que le critère de la population n'est pas opérant et que le véritable sujet réside dans le critère institutionnel des arrondissements : tout conseiller de Paris est aujourd'hui nécessairement conseiller d'arrondissement. J'ajoute que la municipalité de Paris gère un budget de 11 milliards d'euros, tâche qui ne peut être menée à bien qu'en s'appuyant fortement sur les mairies d'arrondissement.
En outre, les trois villes dont nous débattons ont évolué de manière distincte : là où les compétences ont été décentralisées dans la capitale, Lyon a vu la mise en place de la métropole ; à Marseille, enfin, une série de compétences sont captées par le département. Il est donc curieux de traiter ces trois cas particuliers dans un seul texte, et j'ai tendance à penser que seule la capitale est véritablement concernée, les deux autres métropoles n'ayant été intégrées au dossier que pour habiller la transformation du mode de scrutin parisien.
En termes de calendrier, si le texte est voté vers la fin du mois de juin 2025, un recours devant le Conseil constitutionnel nous amènera rapidement à la fin juillet, alors que les comptes de campagne de ceux qui se sont d'ores et déjà déclarés candidats doivent être opérationnels au 1er septembre : je souhaite donc bonne chance aux fonctionnaires du ministère de l'intérieur qui devront adresser une circulaire explicative aux préfectures.
Au cours des auditions conduites par Lauriane Josende, de nombreux problèmes ont été soulevés, dont certains concernent les comptes de campagne - sujet que je connais bien pour avoir traité de nombreuses affaires de contentieux électoral financier. Lorsque le futur maire ne dispose pas de compte de campagne propre, le processus est plutôt aisé puisqu'il est procédé à une répartition des dépenses sur l'ensemble des arrondissements dans lesquels il présente une liste ; avec ce texte en revanche, nous aurions une liste centrale et des listes d'arrondissements - avec autant de comptes de campagne -, tandis que d'autres personnes ne seraient pas nécessairement candidats aux deux échelons.
En ce qui concerne l'élection des conseillers communautaires, actuellement désignés à Paris sur la liste des conseillers d'arrondissement, l'application du texte aboutirait à des disparités dans les primes majoritaires qui seraient retenues pour l'élection des membres du conseil municipal et celle des conseillers communautaires, sans aucune justification.
À ce stade, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) est défavorable à ce texte, même si nous déposerons peut-être des amendements en séance. La proposition de loi paraît cependant difficilement amendable, notamment en raison de la décorrélation entre les arrondissements et le conseil de Paris. La démarche qui sous-tend le texte va à l'encontre de ce qui a été entrepris en matière de déconcentration et de décentralisation.
M. Hervé Marseille. - Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage. Si la modification d'un mode de scrutin intervient rarement au moment opportun, je note que nous avons procédé ainsi il y a quelques semaines pour les communes de moins de 1 000 habitants, ce qui n'a guère suscité l'émoi alors que de nombreux élus ruraux ont été perturbés par le fait de devoir mettre en place des listes paritaires, à moins d'un an des élections.
Les trois villes concernées par ce texte disposent d'un statut sur mesure, l'un ayant été construit par Jean-Claude Gaudin à Marseille, un autre par Gérard Collomb à Lyon et un troisième par Jacques Chirac et Bertrand Delanoë, dans la capitale. Nous constatons quelques conséquences dommageables de cette réforme, notamment avec les trois scrutins qui devraient être organisés à Lyon.
Le véritable enjeu de cette discussion est politique, ce qui explique que le maire de Marseille soit favorable au mode de scrutin proposé, tandis que la municipalité de Paris y est hostile et que les positions varient selon les jours à Lyon. Au-delà des habillages juridiques de positionnements qui sont liés au souhait de conserver tel arrondissement ou de s'attaquer à la mairie centrale, il faudra apporter des solutions à terme, notamment pour répondre aux besoins des 22 métropoles que nous avons créées.
Nous devons pouvoir évoluer sur ces sujets et je m'associe à la prudence et au pragmatisme que défendait notre collègue Guy Benarroche, car nous ignorons de quoi les lendemains seront faits. Certains sujets pourraient évoluer dès à présent : je pense notamment à l'intégration des élus d'arrondissement au collège des grands électeurs du Sénat. Nous pourrions ensuite suivre la trajectoire du texte et prendre acte de l'éventuelle fin de son parcours législatif, mais je pense que le sujet reviendra sur le tapis, quoi qu'il arrive.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - J'ai abordé les auditions et l'analyse de cette proposition de loi en estimant qu'il faudrait parvenir à faire avancer ce texte, mais les propos des élus des villes concernées, pourtant de sensibilités différentes et vivant des réalités distinctes, ont convergé pour critiquer une réforme électorale jugée fort bancale.
Sans partager la même analyse au départ, les collègues qui ont participé aux travaux préparatoires à mes côtés et moi-même, avions un problème supplémentaire chaque fois que nous abordions plus précisément l'un des aspects de la proposition de loi, tombant de Charybde en Scylla. Face à l'opposition quasi-unanime des élus des communes concernées, nous en avons déduit que le Sénat, en tant que chambre des territoires, ne pouvait pas cautionner cette réforme.
N'oublions pas que nous sommes en effet non seulement garants de l'orthodoxie juridique, mais également d'un certain cadre budgétaire, cette dépense additionnelle de 15 millions d'euros n'ayant pas été prévue et risquant de mettre les communes en difficulté.
Garant des principes et de la stabilité de notre démocratie, le Sénat doit pleinement jouer son rôle en assurant une forme de sérieux : compte tenu de l'étendue des problèmes qui ont été recensés au cours desdites auditions, il semble impossible de choisir une autre solution que l'opposition à ce texte.
Le Gouvernement, quant à lui, a affiché sa détermination, même si nous ignorons quelles voies - la convocation ou non d'une CMP, par exemple - il pourrait choisir d'emprunter par la suite. En tout état de cause, je pense qu'il y va de la crédibilité et de la pérennité du Gouvernement que d'empêcher que ce texte parvienne à son terme.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Comme c'est l'usage, il me revient, mes chers collègues, et même si aucun amendement n'a été déposé à ce stade, de vous indiquer quel est le périmètre indicatif de la proposition de loi en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents.
Je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les dispositions relatives à la modification du mode de scrutin applicable à l'élection des conseillers de Paris et des conseillers municipaux de Lyon et Marseille ; à la modification du mode de scrutin applicable à l'élection des conseillers d'arrondissement de Paris, Lyon et Marseille ; aux adaptations et coordinations rendues nécessaires par la modification du mode de scrutin à Paris, Lyon et Marseille ; aux modalités de participation des conseillers d'arrondissement aux réunions du conseil municipal ou du conseil de Paris ; à la création d'une conférence des maires à Paris, Lyon et Marseille et à la détermination de ses attributions, de sa composition et de ses modalités de fonctionnement.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
L'article 1er n'est pas adopté.
Article 1er bis (nouveau)
L'article 1er bis n'est pas adopté.
Article 1er ter (nouveau)
L'article 1er ter n'est pas adopté.
Articles 2, 3, 4 et 5
Les articles 2, 3, 4 et 5 ne sont pas adoptés.
Article 6 (nouveau)
L'article 6 n'est pas adopté.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture.
La réunion close à 10 h 50 est reprise à 12h20.
Dépouillement sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Alain Espinasse aux fonctions de directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides
La commission procède au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Alain Espinasse aux fonctions de directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des lois de l'Assemblée nationale :
Nombre de votants : 27
Bulletins blancs : 5
Bulletin nul : 0
Suffrages exprimés : 22
Pour : 22
Contre : 0
Agrégé à celui de la commission des lois de l'Assemblée Nationale, le résultat est le suivant :
Nombre de votants : 77
Bulletins blancs : 15
Bulletin nul : 0
Suffrages exprimés : 62
Seuil des 3/5èmes des suffrages exprimés : 38
Pour : 51
Contre : 11
- Présidence de Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois, et de Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes -
La réunion, suspendue à 12h30, est reprise à 13h 35.
Mission conjointe de contrôle sur la prévention de la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles - Examen du rapport d'information
Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Nous avons toutes et tous gardé en tête le viol et le meurtre de la jeune Philippine, en septembre 2024, dont l'auteur présumé avait déjà été condamné pour viol en 2021 et qui faisait, par ailleurs, l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Ce fait nous a dramatiquement rappelé la gravité de la récidive en matière d'infractions sexuelles.
Cette tragédie a constitué le point de départ de nos travaux qui ont débuté quelques semaines plus tard.
Dans un premier temps, la délégation aux droits des femmes a constitué, en son sein, une mission d'information sur la récidive des viols et agressions sexuelles en nommant quatre rapporteures : Annick Billon, Evelyne Corbière Naminzo, Marie Mercier et Laurence Rossignol.
Puis, il m'a semblé naturel, voire incontournable, de proposer à la commission des lois de travailler conjointement sur ce sujet, qui se situe à la croisée de nos compétences respectives.
La présidente Muriel Jourda a d'emblée accepté le principe d'une mission conjointe de contrôle (MCC), entre la commission des lois et la délégation aux droits des femmes du Sénat, sur la prévention de la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles. La commission a, alors, nommé deux rapporteures en son sein : Catherine Di Folco et Audrey Linkenheld, qui ont complété le quatuor déjà formé par la délégation, que j'ai précédemment cité.
Notre boussole commune a toujours été la suivante : comment faire pour éviter que l'irréparable ne se reproduise ? Comment limiter le risque que les criminels sexuels condamnés, et donc pris en charge par la société, récidivent une fois qu'ils ont été libérés ?
Nous nous sommes donc intéressées au traitement judiciaire, social et sanitaire des auteurs d'infractions sexuelles, majeurs comme mineurs, dès leur mise en cause par le juge pénal, au cours de leur détention et à la suite de celle-ci.
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. - Les éléments de contexte que vous venez d'évoquer rappellent l'importance des travaux de la mission. Je dois rendre hommage à l'investissement de nos six rapporteures, qui ont consacré leur temps et leur énergie à l'étude d'un thème sensible, qui implique de nombreux acteurs et qui n'est pas dénué de complexité juridique. Elles ont rencontré, au total, près de cent personnes, ont organisé trente auditions, dont trois plénières, et effectué trois déplacements - dans l'Yonne, puis à Caen, et enfin à la prison de Fresnes.
Leurs travaux, auxquels la présidente Vérien et moi-même avons participé autant que nous le pouvions, leur ont ainsi permis de rencontrer, à Paris ou sur le terrain, des magistrats, des conseillers d'insertion et de probation, des éducateurs et des associations spécifiquement tournées vers les mineurs, des psychiatres, des médecins et des psychologues, des agents de l'administration pénitentiaire, des policiers, des gendarmes, des chercheurs, des professeurs de droit, des représentants des agences régionales de santé, etc. Ce large panel est le gage d'une réflexion approfondie et, plus encore, la garantie que les recommandations issues du rapport du Sénat s'appuient sur la réalité vécue par les professionnels concernés, qui oeuvrent au quotidien pour la prévention de la récidive des infractions sexuelles, et qui, partant, apportent une contribution décisive à la protection de la société.
Je remercie chaleureusement nos six rapporteures pour le travail accompli et pour la qualité de leur rapport, qui a l'immense vertu d'aborder tous les aspects de la prise en charge des auteurs d'infractions à caractère sexuel, mineurs comme majeurs, à tous les stades de leur prise en charge, afin d'apporter enfin des solutions pour mieux lutter contre la récidive.
Mme Annick Billon, rapporteure. - Mes propos porteront sur la récidive, sur la prévention et sur l'évaluation des dispositifs.
Nos travaux ont d'abord rappelé à quel point la récidive du viol est un phénomène complexe, d'une ampleur certaine, mais difficilement mesurable. Les chiffres transmis par le ministère de la justice nous ont appris que les auteurs d'infractions à caractère sexuel, les AICS, sont moins concernés par la récidive que l'ensemble des condamnés. Le taux moyen de récidive légale, sur la période 2019-2023, est de 5,7 % pour les viols, contre 9 % pour l'ensemble des crimes, et de 7,2 % pour les délits sexuels, contre 17 % pour l'ensemble des délits.
Cependant, ces chiffres ne doivent pas masquer l'ampleur réelle d'un phénomène que les statistiques peinent à appréhender pour plusieurs raisons.
La première raison tient à la sous-estimation globale des faits de violences sexuelles dans la société. Si le mouvement #MeToo a permis une libération de la parole des victimes, qui a conduit à une augmentation de 120 % du nombre de plaintes enregistrées par les services de police depuis 2016, la plupart des faits échappent encore à la judiciarisation. En 2022, l'enquête menée par le ministère de l'intérieur a ainsi révélé que seules 6 % des femmes victimes de violences sexuelles ont porté plainte contre leur agresseur.
Les éléments qui dissuadent les victimes d'engager une démarche judiciaire sont multiples. Leur abstention peut résulter d'une méconnaissance des procédures, de menaces de l'auteur ou d'une incapacité à s'exprimer en raison de traumatismes. Plus grave, certaines victimes témoignent d'une méfiance, voire d'une crainte, envers les services d'enquête et la justice. Enfin, malgré l'augmentation du nombre de plaintes, le nombre de condamnations prononcées chaque année pour des faits de violences sexuelles reste relativement faible, notamment en raison d'un taux important de classement sans suite qui, s'il cache des situations complexes, révèle des difficultés probatoires elles-mêmes à l'origine d'une probable sous-estimation du nombre d'infractions commises.
La seconde raison est juridique et relève de la définition même de la récidive légale. Sur le plan juridique, la récidive répond à des critères restrictifs en ce qui concerne la nature de l'infraction et le délai entre les deux actes délictueux. Au cours de nos travaux, nous avons ainsi élargi notre champ de réflexion à la notion de réitération, plus large. En tout état de cause, le calcul des taux de récidive comme de réitération ne concerne que les cas où la seconde infraction est judiciarisée, ce qui est loin d'être systématique et ce qui crée, là encore, un biais statistique.
Dès lors, nous devons regarder les chiffres de la récidive légale des AICS avec prudence. Ils ne reflètent que le nombre de plaintes déposées - faiblement représentatif, on l'a vu - ayant abouti à deux reprises à une condamnation : ils ne concernent donc qu'un nombre restreint de situations.
Malgré ces limites statistiques, nos travaux nous ont permis de mettre en évidence la réalité complexe du phénomène de la récidive des violences sexuelles dans notre société. Nos recommandations visent donc à organiser la prévention de la récidive à tous les niveaux, mais aussi à améliorer le suivi des AICS grâce à une évaluation de l'efficacité des dispositifs existants, afin de mieux saisir l'ampleur de la récidive des violences sexuelles et des facteurs qui favorisent un nouveau passage à l'acte.
Nous sommes convaincues que la meilleure arme pour lutter contre la récidive du viol est la prévention : c'est un axe fort de nos conclusions. Je pense notamment à la prévention primaire, qui vise à empêcher la première infraction sexuelle : pour lutter contre la récidive du viol et des agressions sexuelles, le meilleur moyen est encore d'éviter le premier passage à l'acte. Ce type de prévention doit concerner l'ensemble de la population et, en premier lieu, les mineurs.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Plusieurs outils de prévention primaire existent. Évoquons tout d'abord l'accompagnement à la parentalité. Les psychiatres et les psychologues que nous avons entendus l'ont tous souligné : les AICS ont très majoritairement évolué dans un environnement familial dysfonctionnel et ont souvent été victimes de négligences et d'abus au cours de leur enfance. C'est pourquoi nous estimons que les dispositifs de soutien à la parentalité doivent être renforcés.
L'éducation au consentement est également un outil incontournable de prévention des violences sexuelles dès le plus jeune âge. Cette mesure répond au caractère massif des violences sexuelles ainsi qu'à l'exposition toujours plus précoce et traumatogène des mineurs aux contenus pornographiques. L'application stricte de la loi en ce qui concerne l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) est une composante essentielle d'une politique forte de prévention et d'information en matière de sexualité dès l'enfance.
Nous sommes convaincues de l'utilité des campagnes de communication à destination de l'ensemble de la population, notamment pour rappeler l'importance essentielle du consentement : il serait judicieux qu'elles soient déployées en France, sur le modèle des campagnes massives qui ont porté leurs fruits en Espagne et qui ont permis de toucher jusqu'à 90 % de la population. Nous sommes également persuadées de la nécessité de détecter et de signaler les violences sexuelles où qu'elles soient commises, tant il est vrai qu'elles concernent tous les secteurs de notre société.
Au cours de nos travaux, la problématique des mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel, les MAICS, s'est révélée prégnante. Leur proportion est considérable : en 2023, 25 % des mis en cause pour de tels faits étaient des mineurs. Or, d'après les recherches menées par le ministère de la justice, un grand nombre de ces auteurs mineurs ont eux-mêmes subi des violences sexuelles qu'ils n'ont pas dénoncées et qui n'ont pas été repérées. Une attention accrue doit donc être accordée aux plus jeunes. Il faut surveiller les changements de comportements. Tous les enfants qui ont subi un viol ne deviendront évidemment pas des violeurs, mais beaucoup de délinquants sexuels ont subi des traumatismes durant leur enfance.
Dans cette perspective, l'une de nos recommandations vise à renforcer la formation des acteurs intervenants auprès des mineurs, afin qu'ils puissent mieux détecter et prendre en charge les cas de violences sexuelles dont ceux-ci sont victimes. Cela concerne l'ensemble des professionnels qui interviennent auprès des plus jeunes. En offrant à ces enfants l'accompagnement social, juridique et psychologique dont ils ont besoin, nous pouvons non seulement faire oeuvre utile en luttant contre les violences qu'ils subissent, mais aussi limiter le risque de voir des victimes devenir de futurs auteurs.
La prévention secondaire vise à prévenir la récidive de violences sexuelles et concerne les AICS déjà condamnés. Elle doit également être renforcée. Elle est mise en place après la condamnation, dans le cadre d'une éventuelle incarcération ou d'un suivi socio-judiciaire, à travers divers programmes de sensibilisation et un encadrement renforcé.
À cet égard, nous tenons à souligner le rôle crucial joué par les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) et les centres de ressources pour les intervenants auprès d'auteurs de violences sexuelles (CRIAVS), qui construisent et mettent en oeuvre des programmes de prévention de la récidive, dont plusieurs sont spécifiquement dédiés aux AICS.
En parallèle, les outils d'évaluation et de mesure statistiques doivent être renforcés. Notre mission nous a permis de constater l'important déficit de statistiques relatives à la récidive produites par les ministères de l'intérieur et de la justice. Ce manque de données fait, par nature, obstacle à la mise en place d'une politique ciblée et efficace de prévention de la récidive des violences sexuelles : à l'heure actuelle, nous ne sommes pas en mesure de savoir si l'incarcération ou le suivi socio-judiciaire ont un réel impact sur le taux de récidive. C'est un constat inouï !
De même, aucune donnée ne nous a été transmise quant aux taux de récidive ou de réitération en fonction du profil de l'auteur - âge, nationalité, profil psychiatrique, antécédents judiciaires. L'établissement de statistiques consolidées sur la base de ces éléments semble pourtant nécessaire afin de mieux évaluer le risque de récidive : c'est un axe sur lequel le Gouvernement doit réaliser d'importants efforts si nous souhaitons endiguer enfin la récidive des violences sexuelles.
Nous demandons ainsi la mise en place d'une base statistique complète, qui permettra d'appréhender la récidive sous toutes ses facettes et de construire, enfin, une politique de prévention adaptée.
Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - Nous nous sommes également interrogées sur la prise en charge médicale, psychologique et sociale des AICS au cours de leur parcours judiciaire. Il s'agit d'une dimension cruciale pour limiter la récidive des violences sexuelles, car pour prévenir, il faut d'abord réinsérer, voire guérir. S'il est important de ne pas surestimer la part d'AICS souffrant réellement de pathologies psychiatriques, la prise en charge reste un outil central de la prévention de la récidive.
C'est à ce titre que la procédure applicable aux infractions sexuelles intègre déjà un dispositif médical renforcé. Le code de procédure pénale impose une expertise médicale avant tout jugement au fond, pour les individus poursuivis pour des violences sexuelles. Une obligation de soins est prévue et doit être mise en oeuvre avant même la reconnaissance de la culpabilité. Ensuite, lors du jugement, une condamnation peut être assortie d'une mesure de soins pénalement ordonnés, telle que l'injonction de soins, qui est théoriquement prononcée de plein droit lorsque l'auteur est condamné à un suivi socio-judiciaire. Enfin, au cours de leur incarcération, les condamnés AICS doivent être affectés en priorité dans des établissements pénitentiaires adaptés, dits fléchés, où ils bénéficient d'un suivi médical et psychologique spécifique, conformément au protocole santé-justice de 2011. Voilà qui illustre de nouveau l'intérêt d'une mission conjointe entre la délégation aux droits des femmes et la commission des lois.
Ces dispositifs visent à rendre possible, voire à imposer, une prise en charge du condamné. Ils contribuent à la prévention de la récidive. Nous avons toutefois constaté sur ce chapitre des défaillances de deux ordres, qui tiennent d'abord à un manque de moyens dans la sphère médico-sociale et, ensuite, à la sous-utilisation ou à l'inadaptation des outils juridiques prévus par le code de procédure pénale.
En ce qui concerne l'enjeu capacitaire, tout d'abord, la prévention de la récidive est rendue plus complexe par le manque de professionnels médicaux. Il s'agit en particulier des experts psychiatres placés auprès des juridictions, ainsi que des médecins coordonnateurs chargés de superviser le dispositif de l'injonction de soins.
La pénurie d'experts auprès des tribunaux judiciaires est particulièrement problématique, dans la mesure où l'expertise médicale est obligatoire pour les faits de violences sexuelles. Les magistrats que nous avons auditionnés ont souligné que cette obligation légale était un facteur important dans l'augmentation du délai de jugement des AICS, car les délais d'expertise peuvent s'avérer particulièrement longs.
Dans un contexte de grande tension dans le secteur médical, nous estimons qu'il est possible d'envisager une plus grande association des psychologues au suivi des AICS - je ne parle pas, pour le moment, de l'expertise initiale à laquelle nous consacrons des recommandations spécifiques. Cette proposition ne découle pas uniquement de la pénurie de psychiatres ; elle provient aussi et surtout du constat que nous avons pu faire au cours de nos travaux selon lequel il n'est ni opportun ni utile de maintenir le système de médicalisation systématique des AICS qui prévaut aujourd'hui.
Nombre de personnes auditionnées, y compris des experts médicaux, nous ont en effet indiqué que tous les auteurs de violences sexuelles n'étaient pas atteints de troubles psychiatriques. Le monopole de fait des psychiatres ne semble, ainsi, pas forcément justifié, et on pourrait valablement envisager un recours plus fréquent aux psychologues au cours du suivi des AICS, dans la limite, évidemment, de la compétence exclusive des psychiatres pour toutes les personnes atteintes de troubles susceptibles de justifier un traitement médicamenteux.
Le deuxième enjeu concerne les outils juridiques sur lesquels s'appuie la prise en charge des AICS. Pour éviter d'ajouter de la confusion à un sujet déjà complexe, nous allons vous présenter nos recommandations par ordre chronologique.
En amont du jugement, nous proposons de revoir les conditions dans lesquelles l'expertise médicale, et donc psychiatrique est obligatoire. Le périmètre fixé actuellement par le code vise, en effet, des infractions de gravités très inégales, qui couvrent des crimes - meurtre sur mineur, viol, actes de torture et de barbarie, etc. -, mais aussi des délits qui ne justifient peut-être pas une expertise psychiatrique systématique : je pense par exemple au recours à la prostitution ou à la fabrication de messages violents susceptibles d'être vus par des mineurs.
Nous estimons également que l'expertise ne devrait pas être obligatoire pour un auteur de violences sexuelles récidiviste ou réitérant qui a déjà fait l'objet d'une expertise quelques mois auparavant et dont le profil psychiatrique est, par conséquent, déjà connu.
Si elle devait être retenue, la fin de l'expertise obligatoire dans certaines hypothèses n'empêcherait pas le magistrat en charge du dossier de solliciter une expertise s'il l'estime utile à la manifestation de la vérité ou à une meilleure compréhension du profil de la personne mise en cause.
Enfin, nous pensons utile de prévoir de nouveaux outils qui permettraient la mise en place d'un suivi médical ou psychologique en amont du jugement. Une telle prise en charge est en effet impossible aujourd'hui pour des raisons qui tiennent, principalement, à la présomption d'innocence, ce qui est parfaitement légitime. Cela étant, il nous semble possible de concilier cette présomption d'innocence avec le démarrage précoce d'un suivi, notamment pour les mis en cause qui reconnaissent les faits qui leur sont reprochés, tout en leur accordant le plein bénéfice du secret médical.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - En ce qui concerne les sanctions applicables aux AICS, nous nous sommes longuement interrogées sur l'injonction de soins, qui constitue une forme particulièrement contraignante de soins pénalement ordonnée. Celle-ci peut être mise en oeuvre dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire.
Nos travaux nous ont conduites à identifier plusieurs failles dans la mise en oeuvre de ces injonctions. Contrairement à ce que le droit laissait supposer, celles-ci ne concernent qu'une minorité d'AICS, soit 26 % des condamnés pour viol et seulement 7 % des condamnés pour agression sexuelle. Ensuite, il faut rappeler que les injonctions ne peuvent être exécutées qu'en dehors de la détention, ce qui signifie concrètement qu'elles ne s'appliquent parfois que plusieurs années après les faits, alors même qu'une prise en charge rapide est, de l'aveu des professionnels, essentielle à la prévention de la récidive.
Nous souhaitons, dès lors, que notre arsenal pénal soit complété pour exploiter le temps d'incarcération comme un temps de prévention de la récidive. À cet effet, nous préconisons la mise en place d'une véritable injonction de soins en détention : bien que des dispositifs incitatifs existent dans notre droit, il n'est pas aujourd'hui possible d'imposer à un détenu AICS de se soumettre à un suivi, qu'il soit psychiatrique ou psychologique. Cela n'est pas acceptable. Nous proposons, d'une part, qu'une obligation réelle de se soigner en prison puisse être imposée aux détenus les plus dangereux et que, d'autre part, les juges de l'application des peines disposent d'un lien renforcé avec les professionnels médicaux, afin d'apprécier la sincérité de l'engagement du condamné dans le suivi psychiatrique ou psychologique qui lui est proposé en détention.
Cette recommandation va de pair avec une autre de nos propositions : l'affectation prioritaire des AICS dans l'un des vingt-deux établissements fléchés où ils peuvent bénéficier d'une prise en charge adaptée. Force est de constater que ce n'est pas le cas actuellement : le taux moyen d'AICS dans ces établissements n'est que de 37 %. On peut en déduire que des marges de progrès existent. Ce sujet est d'autant plus crucial que, dans un contexte de surpopulation carcérale, un suivi personnalisé des AICS est matériellement impossible dans les établissements classiques.
Cela étant dit, tous les AICS ne relèvent pas, comme on l'a vu, d'une prise en charge strictement médicale. Nos travaux nous ont permis de mettre au jour l'importance d'un accompagnement social, notamment pour les auteurs mineurs. Nous avons pu prendre connaissance, lors de déplacements sur le terrain, de plusieurs initiatives locales visant à construire une prise en charge pluridisciplinaire des auteurs mineurs, à la fois judiciaire, sociale et médicale ou psychologique, et nous avons fait le constat de l'efficacité de ces initiatives en matière de réinsertion des AICS. Ces suivis interdisciplinaires prennent en particulier la forme de services d'accompagnement des jeunes auteurs et/ou victimes d'infractions à caractère judiciaire (Savi), comme celui qui nous a été présenté dans l'Yonne par la direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Nous souhaitons encourager ce type de prise en charge interdisciplinaire des auteurs d'infractions sexuelles. Nous proposons ainsi non seulement de généraliser les Savi pour les mineurs, mais aussi de les étendre aux auteurs majeurs.
Toujours concernant les mineurs, nous souhaitons que des prises en charge pluridisciplinaires soient prévues dans les centres éducatifs fermés ou renforcés, où sont placés ceux qui ont commis les faits les plus graves : il n'est pas concevable, en effet, que le temps du placement ne soit pas, comme pour les majeurs, utilisé pour aider les auteurs mineurs à comprendre leurs actes et à prendre le chemin de la réinsertion.
J'en arrive au sujet de la fin de peine.
Dans le cas des condamnés pour violences sexuelles, comme pour la plupart des condamnés, le taux de récidive dépend étroitement des conditions de sortie de prison. Une sortie dite sèche, c'est-à-dire sans accompagnement, serait, selon la plupart des professionnels rencontrés, associée à un plus fort taux de récidive. Ce constat s'applique à plus forte raison aux AICS, qui sont moins nombreux en moyenne à bénéficier d'un aménagement de peine et dont le parcours de fin de peine se heurte aux réticences de plusieurs structures externes à accueillir des condamnés pour violences sexuelles à leur sortie de prison.
Nous préconisons donc un accompagnement renforcé des AICS en fin de peine, en particulier pour ceux d'entre eux qui ont accepté de suivre des soins en prison et qui s'engagent à les poursuivre à leur sortie. La reprise progressive des habitudes de vie hors de la détention revêt en effet, selon les professionnels que nous avons rencontrés, une importance capitale pour les AICS : il est donc essentiel qu'ils soient accompagnés lors de cette phase critique.
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. - Nos travaux nous ont permis d'identifier divers dispositifs de procédure pénale qui doivent être modifiés pour mieux tenir compte des spécificités des profils des AICS.
Le taux de réponse pénale pour les violences sexuelles, et à plus forte raison pour les viols, a connu une augmentation supérieure à 80 % depuis 2015, ce qui marque un progrès considérable dans les dix dernières années. Cependant, nous avons constaté que le parcours judiciaire des AICS demeurait marqué par des délais de jugement particulièrement longs. Comme vous le savez, il s'agit là d'une problématique récurrente dans le fonctionnement de notre justice, qui s'inscrit dans le contexte d'une insuffisance chronique de moyens. Ainsi, il faut aujourd'hui compter en moyenne plus de vingt mois entre un dépôt de plainte pour agression sexuelle et le jugement.
Notre mission a dès lors été l'occasion de réfléchir à plusieurs aménagements de la procédure pénale afin de répondre à cette difficulté.
Au stade du jugement, tout d'abord, nous souhaitons que la formation des magistrats soit enrichie pour intégrer les problématiques spécifiques aux AICS. Nous n'avons pas jugé opportun de plaider pour la création d'une juridiction distincte, qui aurait été de nature à créer des risques forts, notamment de nullité de procédure. Cependant, nous sommes persuadées que les magistrats doivent être mieux formés aux spécificités que présentent les profils des AICS. Cette formation renforcée devrait, à nos yeux, s'adresser en priorité aux juges de l'application des peines, qui accompagnent les condamnés auteurs de violences sexuelles dans tous les aspects de l'exécution de leur peine, et en particulier dans les étapes sensibles que sont la fin de peine ou le suivi socio-judiciaire.
Toujours en ce qui concerne la procédure pénale, nous avons longuement débattu de l'extension aux crimes sexuels de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, mieux connue sous le nom de plaider-coupable, qui ne s'applique aujourd'hui qu'en matière correctionnelle. Nous n'avons pas formulé de recommandation sur ce sujet, qui demanderait un surcroît de réflexion, tant une telle extension devrait être strictement encadrée. Cette mesure ne saurait en effet simplement servir à pallier le manque de moyens de la justice et le statut de la victime doit être préservé. À titre personnel, j'estime que les violences subies ne doivent pas être atténuées et que la parole de la victime ne doit pas être remise en question. L'enjeu est donc de veiller à ne pas réécrire le récit des violences infligées. À mes yeux, il est indispensable d'éviter que les dérives que nous avons connues ne se reproduisent : trop de viols ont été requalifiés afin d'être jugés en correctionnelle, sous prétexte d'épargner aux victimes un procès éprouvant en assises.
En ce qui concerne la phase post-sentencielle, nos travaux nous ont conduites à nous pencher sur les différentes mesures de sûreté prévues à l'issue de la peine pour les profils les plus lourds et les plus susceptibles de récidive. Depuis la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, le code de procédure pénale prévoit qu'un condamné particulièrement dangereux puisse faire l'objet, à la fin de sa peine, d'une surveillance de sûreté, voire d'une rétention de sûreté privative de liberté. Or nous avons constaté que, depuis l'entrée en vigueur de cette disposition, un nombre extrêmement faible de détenus ont fait l'objet d'un placement en rétention de sûreté. Cela est très probablement lié au fait que les détenus concernés sont déjà condamnés à des peines d'emprisonnement lourdes. Nous regrettons cependant l'absence de statistiques relatives aux rétentions de sûreté mises en oeuvre depuis l'entrée en vigueur de la loi de 2008, alors même que celles-ci concernent des faits particulièrement graves : en l'état du droit, sont en effet placées en rétention de sûreté les personnes qui ont violé les obligations attachées à une surveillance de sûreté, cette surveillance étant elle-même réservée aux condamnés qui présentent un risque grave et caractérisé de récidive. De même, aucun chiffre n'est disponible sur le nombre de personnes susceptibles d'être, à terme, placées en rétention de sûreté dès la fin de leur incarcération.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Ce manque d'anticipation est problématique à plusieurs titres, et notamment sur un plan pratique. Nous avons visité le centre socio-médico-judiciaire de Fresnes, seul centre habilité à accueillir des détenus placés en rétention de sûreté. Ce site, qui dispose d'équipements récents et s'appuie sur un haut niveau d'expertise, est aujourd'hui complètement vide. Les professionnels de Fresnes n'ont aucun moyen d'anticiper l'évolution de leur charge de travail dans les prochaines années. Plusieurs de nos recommandations portent sur ce point.
Nous souhaitons par ailleurs, dans l'attente de l'entrée en oeuvre effective de ce dispositif d'ici à quelques années, que les moyens prévus pour la rétention de sûreté soient, autant que faire se peut, utilisés pour limiter le risque de récidive des détenus les plus dangereux. Aujourd'hui, lorsqu'une expertise de fin de peine a révélé l'existence d'un risque fort de récidive chez une personne incarcérée pour des violences sexuelles, nous sommes démunis, alors même que des moyens existent. Le bon sens commande qu'ils soient mieux exploités : c'est le sens de notre proposition.
Un autre enjeu concerne la peine complémentaire d'interdiction du territoire français à laquelle les AICS étrangers peuvent être condamnés. Celle-ci entraîne le prononcé à leur égard d'une OQTF en sortie de détention. C'était le cas de l'accusé dans le meurtre de la jeune Philippine, qui nous a menées à lancer cette mission.
Notre visite à Joux-la-Ville, où le meurtrier présumé de la jeune fille avait été placé en détention, nous a permis de constater le manque de coordination entre la sphère pénale et les autres acteurs en charge du suivi des condamnés à leur sortie de prison, dans le cas d'un AICS étranger placé en rétention administrative. Il nous semble donc crucial, dans de tels cas, de garantir la communication d'informations entre le juge de la liberté et de la détention (JLD) et les acteurs de l'exécution de la peine, tels que les CPIP et les juges de l'application des peines, concernant la dangerosité de la personne concernée et le risque de récidive.
Je voudrais également évoquer le cas particulier des mineurs auteurs d'infraction sexuelle. Comme vous le savez, ces derniers bénéficient - pour l'instant - d'une procédure pénale différente de celle qui s'applique aux majeurs, avec notamment une césure entre la décision de culpabilité et le prononcé de la peine, laquelle permet de prendre plus rapidement en charge les mineurs auteurs après les faits. Cependant, leur parcours pénal reste marqué par plusieurs difficultés liées notamment à la saturation des services médicaux. Au vu des résultats importants que peut entraîner une prise en charge précoce des jeunes auteurs de violences sexuelles, nous recommandons de développer des programmes spécifiquement tournés vers les mineurs condamnés pour des infractions sexuelles dans les centres éducatifs fermés et renforcés. À plus long terme, une réflexion pourrait être menée sur la création de centres fléchés pour les AICS mineurs, sur le même modèle que les établissements existant pour les majeurs.
Nous souhaitons également, comme cela a été évoqué par mes collègues, que la prise en charge des auteurs mineurs permette de détecter ceux qui, parmi eux, ont été précédemment victimes de viol ou d'agression sexuelle. D'après les professionnels, le fait d'être reconnu en tant que victime lorsque l'on a subi des violences sexuelles par le passé est un facteur puissant de prévention de la récidive, ce qui implique qu'une vigilance particulière soit accordée à cet enjeu dans le suivi des mineurs AICS. J'estime pour ma part que, pour prévenir la récidive et le passage à l'acte, il faudrait dépister, dans les maisons d'enfants à caractère social, tous les mineurs qui ont été victimes de violences familiales, pour identifier les risques de passage à l'acte. Cela concernerait aussi les filles : en effet, lorsqu'on a été victime de violences dans son enfance, on a plus de risque d'être à nouveau victime à l'âge adulte. Prévenir la récidive, c'est aussi lutter contre cette forme de conditionnement.
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. - Nos rapporteurs formulent donc 24 recommandations. Suscitent-elles des observations de votre part ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je me réjouis de ce rapport. Le choix de la commission des lois et de la délégation aux droits de femmes de travailler en commun sur ce sujet a été judicieux.
Toutefois, je regrette que plusieurs points ne donnent pas lieu à recommandation. Je pense à tout le travail au cours de la détention. J'entends qu'il y a un problème d'efficacité de la prise en charge des auteurs aux différentes étapes, de l'interpellation jusqu'à la sortie de la détention éventuelle, mais je ne vois pas de préconisation à ce sujet.
Je suppose, concernant l'injonction de soins, que vous avez dû vous heurter, comme cela a pu nous arriver par le passé, à la nécessité d'obtenir l'accord de la personne intéressée. C'est un paramètre important.
Je n'ai pas très bien compris l'intérêt de faire un focus particulier sur les étrangers et sur les centres de rétention administrative (CRA). C'est peut-être l'affaire Philippine qui vous a marquées...
En revanche, je suis frappée par l'absence de préconisation sur le rôle de la puissance publique. Dans l'affaire Le Scouarnec, il y a eu une disjonction entre les faits constatés et les condamnations prononcées : il a manqué une articulation qui permette d'éviter la récidive. Dans les affaires de violence sexuelle, la non-détection et la récidive sont, pour une large part, imputables au fonctionnement de la puissance publique au sens large - j'utilise délibérément un terme générique, pour ne pas viser tel ou tel corps de l'administration -, qui n'a pas su, pas identifié, pas fonctionné. Quand, dans la première affaire Le Scouarnec, celui-ci est condamné pour détention et importation d'images pédopornographiques, on ne lui interdit pas de côtoyer des mineurs. Peut-être était-ce l'époque ? Quoi qu'il en soit, quelle recommandation pourriez-vous formuler dans le sens d'une articulation plus efficace entre les faits révélés et la corrélation avec d'autres services, y compris entre les départements ?
Mme Olivia Richard. - Mesdames les présidentes, mesdames les rapporteures, permettez-moi de vous féliciter pour cette démarche commune, que je trouve particulièrement pertinente et enrichissante, tant les compétences de la commission des lois et celles de la délégation aux droits des femmes sont complémentaires - le fait que certaines d'entre vous soient des « cumulardes » est très précieux pour ces travaux.
Certaines auditions, que j'ai trouvées passionnantes, nous ont permis de nous rendre compte de l'ampleur du non-recours à la plainte. Quand 94 % des personnes victimes de violences sexuelles ne déposent pas plainte, quand on ne dispose d'aucune statistique sur le taux de recours aux dispositifs mis en place pour prévenir la prévention, ni sur leur succès, on ne sait pas du tout de quoi l'on parle ! Nos travaux permettent au moins de mettre en lumière cette situation. À la délégation aux droits des femmes, on dit qu'« il faut compter les femmes pour qu'elles comptent »...
Je suis frappée par la pudeur du rapport s'agissant du besoin de soins et d'accompagnement et des moyens de la justice. On sait pourtant bien que, compte tenu de l'état de la psychiatrie et de la justice en France, si toutes les victimes portaient plainte, nous serions submergés.
Vous avez relevé que l'on manquait cruellement d'experts et que le recours à ces derniers avait un caractère automatique qui pouvait être excessif. Je me permets de relayer ce que m'ont dit des avocates spécialisées dans l'accompagnement des victimes, mais aussi d'auteurs, au sujet de l'expertise. Dans les procédures, c'est souvent parole contre parole, ce qui démultiplie la place de l'expert. N'y aurait-il pas une réflexion à avoir sur leur rôle et sur la justesse de leur intervention ?
Enfin, je rejoins Marie-Pierre de La Gontrie s'agissant de la pédocriminalité : il faudra poursuivre la réflexion que nous avons amorcée lors de l'examen de la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes de Marie Mercier, concernant les modalités d'interrogation du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv), qui semblent incomplètes et insuffisamment mises en oeuvre. En interrogeant ce fichier, on pourrait, par exemple, éviter qu'un pédocriminel ne soit embauché dans une association chargée de faire des animations dans des écoles...
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Le rapport et les recommandations ne rendent qu'imparfaitement compte de ce que nous avons vu et relevé au cours de nos travaux.
Je veux indiquer, premièrement, que plusieurs magistrats nous ont indiqué combien les violences sexuelles n'avaient jamais été une priorité des politiques pénales. La justice fonctionne avec des priorités successives : il y a eu le terrorisme et la radicalisation ; il y a eu les violences intrafamiliales (VIF) - ce focus a été efficace, puisque le nombre de dossiers en souffrance a baissé. Nous sentons bien que la nouvelle priorité est le narcotrafic. Nous attendons le moment où la priorité sera donnée aux violences sexuelles.
Nous avons toutes eu le sentiment que l'expertise judiciaire était un problème énorme et, d'une certaine manière, tentaculaire. Les difficultés sont multiples, du nombre d'experts disponibles à leur niveau de qualification et de compétence - ils sont loin d'être tous bons -, en passant par le montant de leur rémunération et la date de paiement des expertises. On constate également un recours tous azimuts aux experts dans des dossiers qui ne le justifient pas - voilà des années que j'essaie de faire valoir, par exemple, que l'on n'a pas besoin d'une expertise psychologique pour résoudre les problèmes de garde d'enfants.
Nous avons beaucoup réfléchi sur les expertises et nous nous sommes interrogées sur leur caractère systématique, au-delà de la première, qui vise à déterminer si l'auteur est pénalement responsable, s'il dispose de son discernement, s'il doit aller à l'hôpital psychiatrique ou en détention provisoire... Nous n'avons obtenu aucune statistique. Officiellement, l'expertise de crédibilité des victimes n'existe plus ; en réalité, on n'en sait rien. Nous n'avons pas pu obtenir de la chancellerie le moindre recensement des expertises ordonnées dans les affaires de ce type. La question de l'expertise est vraiment, dans ce dossier, l'éléphant au milieu de la pièce.
Ma chère collègue Marie-Pierre de La Gontrie, la première condamnation de Joël Le Scouarnec remonte à 2005, soit il y a vingt ans. Depuis, l'arsenal juridique a considérablement évolué. Aujourd'hui, à ma connaissance, la détention d'images pédopornographiques conduit à une interdiction de travailler avec des enfants et à une inscription au Fijaisv, mais il est vrai que l'on vient de très loin... Il a pu exister une forme de banalisation. J'espère que les choses se passeraient différemment aujourd'hui.
Pourquoi avons-nous fait un focus sur les étrangers ? Parce que, après l'assassinat de Philippine, on aurait pu croire, à écouter les commentaires, qu'elle avait été violée par une OQTF plutôt que par un homme. Nous nous sommes interrogées sur la place à donner à la question du droit des étrangers et au fait que l'auteur soit sorti d'un CRA. Nous avons d'ailleurs remonté toute une chaîne de dysfonctionnements intervenus dans les six mois précédant les faits.
Ainsi, des mesures qui auraient dû être prises au moment où l'on savait qu'il allait sortir de détention et qu'il était en situation irrégulière ne l'ont pas été - des démarches auraient alors dû être faites de la part du préfet. Surtout, les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) que nous avons rencontrés nous ont dit qu'ils le connaissaient et qu'ils savaient qu'il était dangereux...
Sur le suivi des auteurs dès l'interpellation, il faut que nous ayons en tête que c'est la misère ! La misère, cela aurait d'ailleurs pu être le titre de notre rapport.
Mme Annick Billon, rapporteure. - Cela aurait été un titre percutant !
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Cette affaire est le reflet de toute la misère qui touche le suivi psychiatrique, le suivi psychologique, le suivi socio-judiciaire, le suivi de sortie... Il est certain que laisser les auteurs dans la nature, sans logement ni travail, augmente les risques de récidive.
Mmes Audrey Linkenheld, rapporteure, et Dominique Vérien, présidente. - Les Ehpad ne les acceptent pas.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Effectivement, les Ehpad, où il y a 90 % de femmes, n'accueillent pas les AICS facilement...
Nous avons aussi beaucoup réfléchi à la question des injonctions de soins. Faut-il s'accrocher à l'idée que l'on ne doit tenter de soigner que ceux qui l'acceptent ? J'en doute. Peut-être que ceux qui ne l'acceptent pas d'abord l'accepteront en cours de route...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Il y a peu de chances pour que le corps médical soit d'accord !
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Par ailleurs, d'après ce que nous avons entendu, faire commencer un suivi psychologique à des détenus en détention provisoire serait porter atteinte à la présomption d'innocence. Les magistrats étaient assez fermes sur ce point. Un détenu qui acceptait de travailler sur le fait qu'il a commis un viol reconnaîtrait sa culpabilité. Je comprends les considérants, mais il y a là quelque chose d'insatisfaisant en termes d'efficacité.
Nous devrions réinterroger tout cela, mais il nous faudrait travailler davantage, et disposer de plus de statistiques. La misère, ce sont aussi les statistiques de la justice !
Mme Annick Billon, rapporteure. - Toute la difficulté de ce rapport est de faire des propositions sur une base statistique quasiment nulle. Il y a très peu de condamnations pour viol, raison pour laquelle nous avons élargi notre rapport à la réitération : si nous nous étions concentrées sur la récidive, notre base statistique aurait été encore plus étroite. Notre demande de chiffres est forte. Nous en avons besoin pour proposer des politiques publiques.
Nous avons aussi besoin d'expérimentations. Notre rapport s'appuie sur des choses que nous avons vues ou entendues lors de nos déplacements - notamment dans l'Yonne - et de nos auditions. Il faut que les dispositifs existants qui fonctionnent soient utilisés et généralisés.
On ne peut pas imaginer que le temps de la détention, qui peut durer plusieurs années, ne soit pas utilisé pour soigner et préparer la sortie. Si l'injonction de soins commence à la sortie, on a perdu d'avance !
Notre focus sur les OQTF a forcément été inspiré par l'actualité. Si nous ne l'avions pas fait, on nous en aurait demandé les raisons... Il était important que nous nous demandions de quelle manière nous pouvions éviter qu'un fait divers aussi grave ne se reproduise. Nous n'avons pas voulu stigmatiser une quelconque population : nous avons simplement voulu répondre à la question soulevée par ce fait divers, qui a marqué le début de nos travaux et alimenté notre réflexion dès le départ.
Nous avons également fait des propositions spécifiques sur les mineurs. Ce prisme est très important dans le contexte actuel. Dans notre rapport sur l'industrie de la pornographie, nous avons avancé que, si l'on ne s'attaquait pas au visionnage par des mineurs très jeunes, si l'on ne les repérait pas, si l'on ne les accompagnait pas, la population de victimes agresseurs potentiels ne cessera d'augmenter.
Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - Je veux insister sur ce point. Toute notre réflexion est partie du cas dramatique de la jeune Philippine, avec un auteur qui, certes, était étranger, mais qui était aussi mineur quand il a commis sa première infraction à caractère sexuel.
Ce que notre rapport montre, c'est la misère de nos services publics en général, de la justice, de la santé, de l'accompagnement, mais aussi de la protection de l'enfance, sujet sur lequel nous travaillons par ailleurs. Dans le rapport, nous disons - peut-être trop poliment - que, s'il existe des dispositions spécifiques pour les mineurs dans le suivi des auteurs d'infractions à caractère sexuel, c'est dans ce domaine que les choses marchent le moins bien. Alors que les mineurs devraient faire l'objet d'une attention redoublée, sur le plan répressif comme sur le plan éducatif, leur prise en charge est moindre, y compris dans ce domaine. Celui qui a défrayé la chronique était lui-même mineur, ce qui explique d'ailleurs pourquoi il est sorti assez vite après sa condamnation - en 2024, soit trois ans après celle-ci.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Sa peine était dans la moyenne des condamnations pour viol.
Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - Il faut y insister, quand on sait que 25 % des auteurs sont mineurs et qu'une bonne partie d'entre eux ont très probablement eux-mêmes été victimes. Il y a sans doute, parmi les mineurs auteurs d'infractions, qu'elles soient ou non à caractère sexuel, d'ailleurs, des victimes dont le traumatisme passé peut expliquer le passage à l'acte et la commission de violences. C'est un constat terrible.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Pour répondre à Olivia Richard, sauf exceptions, on ne peut pas être inscrit au Fijaisv si l'on n'a pas été condamné. Une commune qui, par exemple, souhaite embaucher un éducateur ou un animateur pour faire du cirque dans les écoles va demander si cette personne est inscrite au Fijaisv via le ministère de la jeunesse et des sports. Nous avons fait avancer la loi pour inclure dans le fichier les chauffeurs de bus- c'est malheureusement dans ces métiers en contact avec des enfants que l'on peut retrouver des pédocriminels...
Nous pouvons essayer d'obliger un patient à suivre des soins psychiatriques, mais, pour que le traitement marche - je parle sous couvert de notre collègue Véronique Guillotin par ailleurs médecin comme moi -, il faut une observance du patient et une adhésion.
J'ai été particulièrement marquée, au cours de nos travaux, par notre visite, à Caen, d'une prison ouverte où séjournent de très vieux AICS, dont nous nous sommes demandé quels actes abominables ils avaient pu commettre pour être encore là, alors qu'ils ne semblaient plus être en état d'embêter qui que ce soit. Je veux souligner le volontarisme et l'implication de ceux qui les accompagnaient. Pourtant, eux aussi savent ce qu'est la misère ! Je trouve vraiment que ceux qui accompagnent les détenus en général sont remarquables.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Ma chère collègue Marie-Pierre de La Gontrie, j'ai bien entendu ce que vous avez dit sur l'imposition des soins, mais force est de constater que, à Migennes, dans l'Yonne, des jeunes qui ne voulaient pas, au départ, être pris en charge par les psychologues du Savi y sont revenus par la suite de leur plein gré, ayant compris qu'ils étaient eux-mêmes victimes. On peut se dire que ce qui fonctionne sur les jeunes pourrait éventuellement fonctionner sur des adultes...
Sur la question des experts, je fais un pas de côté. À l'Institut des cancers des femmes de l'Institut Curie, que nous avons visité hier dans le cadre d'autres travaux de la délégation, une chercheuse nous a confié qu'elle trouvait que les jeunes médecins d'aujourd'hui éprouvaient de vraies difficultés à prendre des décisions. Ils demandent systématiquement des analyses complémentaires, des suranalyses... Il semblerait qu'il y ait un problème générationnel avec le risque associé à la prise d'une décision. Aujourd'hui, les médecins, comme les magistrats, cherchent à se rassurer par de nombreuses analyses qui nous coûtent cher.
Madame de La Gontrie, il y a déjà beaucoup de choses dans la loi ! Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est former, notamment les magistrats et les forces de sécurité intérieure, à son application, pour qu'ils sachent détecter, traiter et prendre en charge correctement.
Mme Olivia Richard. - Je parlais non pas de la possibilité pour les collectivités d'interroger le Fijaisv, mais des associations employées par certaines collectivités pour assurer des animations.
Lorsque nous avons débattu du Fijaisv en séance publique, j'avais déposé un amendement, qui avait été voté, visant à permettre aux associations de demander au moins le casier judiciaire des personnes qu'elles souhaitaient embaucher. Les débats avaient permis de mettre au jour les délais, très longs, de consultation indirecte du Fijaisv - cela peut prendre trois mois ! Ce délai complique l'embauche, ce qui décourage la consultation : le Fijaisv est insuffisamment consulté pour beaucoup de catégories d'embauches. Cette difficulté avait été soulevée lors des débats, et le garde des sceaux de l'époque nous avait répondu que, si nous rendions la consultation du Fijaisv obligatoire, nous allions devoir nous armer de patience... Le problème se pose aussi pour le passage des frontières. Cependant, je rappelle que l'on a su automatiser la consultation indirecte du Fijaisv dans certains domaines : il faudrait étendre ce procédé à d'autres secteurs.
Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - Cela fait écho à notre recommandation n° 18. Peut-être faudrait-il, d'ailleurs, que le Fijaisv y soit expressément mentionné !
Mme Véronique Guillotin. - Merci aux rapporteures.
Pour m'occuper d'une association, je sais que, quand une association sportive embauche un salarié - je ne parle pas des bénévoles -, elle est dans l'obligation de demander la carte professionnelle, pour la simple et bonne raison que celle-ci est adossée au casier judiciaire.
Mme Olivia Richard. - Cela fonctionne bien dans le sport !
Mme Véronique Guillotin. - C'est peut-être quelque chose qu'il serait assez facile d'étendre.
Demain matin, notre collègue députée Sandrine Josso et moi-même allons présenter à la délégation aux droits des femmes le rapport sur la soumission chimique comme forme de violence faite aux femmes qui nous a été commandé par le Gouvernement. Globalement, on retrouve, dans nos conclusions, les grandes lignes de ce que vous avez écrit : la sensibilisation, la formation de tous les professionnels de première ligne - magistrature, police, gendarmerie, professionnels de santé, professionnels sociaux...
Nous avons peut-être davantage insisté, pour ce qui est de la prévention, sur la nécessaire recherche, notamment clinique, sur les psychotraumatismes. À cet égard, je vous recommande la visite de la Maison de la résilience, très belle structure de recherche fondée par le professeur Hingray. Il a été mis en évidence que les victimes de violences et de viols développaient une forme d'amnésie : elles sont mal dans leur peau et développent des pathologies parallèles, sans faire le lien avec le traumatisme de départ, dont elles ne se souviennent plus. Au final, si la question des chiffres est compliquée, ce n'est pas seulement parce que les plaintes n'aboutissent pas, mais aussi parce certaines victimes elles-mêmes sont dans l'ignorance de ce qu'elles ont subi. Il y a donc tout un travail de recherche à faire dans ce domaine.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Oui, la formation permet de répondre à ma préoccupation sur le rôle de la puissance publique. Nous avons dit moult fois que les choses avaient un peu progressé sur ce point, et que le Fijaisv avait été un progrès formidable.
Cependant, je reviens encore une fois à l'affaire Le Scouarnec : le problème n'était pas une absence de détection, c'était une absence de circulation de l'information. J'aurais aimé que le rapport contienne une préconisation à ce sujet.
Mme Annick Billon, rapporteure. - Il y a quand même des recommandations sur le dialogue et le recoupement entre les différents services, puisque nous disons que chacun est dans son silo, qu'il faut un échange, un partage d'informations pour éviter de la perte en ligne.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je n'ai pas vu cela.
Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - C'est dans les recommandations nos 1, sur la prévention primaire, et 7.
Mme Annick Billon, rapporteure. - C'est davantage développé dans le texte du rapport que dans les recommandations.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous avez dit que vous aviez réagi à l'actualité, avec l'affaire Philippine. Il est assez curieux que vous formuliez des réponses tout en dénonçant des dysfonctionnements, lesquels impliquent que les outils existent déjà.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Il n'y a quasiment pas de préconisations qui soient issues de cette affaire.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Si ! La recommandation n° 19 sur les CRA l'est directement.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Ce n'est pas la plus importante.
Mme Annick Billon, rapporteure. - La recommandation n° 19 apporte une réponse à une difficulté... En quoi est-ce problématique ?
Mme Dominique Vérien, présidente. - S'agissant de l'affaire Le Scouarnec, ce dernier a été protégé malgré sa condamnation. Objectivement, aujourd'hui, il n'aurait pas eu le droit de continuer à travailler.
Il est problématique que des médecins mis en examen et ayant fait l'objet d'un certain nombre de plaintes continuent à exercer parce que l'ordre des médecins ne fait pas le ménage, et que l'hôpital pour lequel ils travaillent continue à les faire travailler sans les mettre de côté.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je ne pense pas que ce soit sur l'ordre des médecins que doive reposer le rôle que doit jouer la puissance publique en matière de sécurité.
En revanche, il aurait pu être judicieux d'ajouter une recommandation sur les hôpitaux.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Il est vrai que, plus qu'aux mis en examen, nous nous sommes surtout intéressées aux condamnés récidivistes, nous demandant ce que nous pouvions faire pour qu'ils soient moins dangereux à leur sortie de prison.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Le Scouarnec avait été condamné !
Mme Dominique Vérien, présidente. - Oui, mais, au moment de sa condamnation, on considérait qu'être condamné pour la détention d'images pornographiques n'était pas grave. Fort heureusement, la loi a beaucoup évolué depuis ! Les choses auraient probablement été différentes s'il avait été condamné pour viol - du moins nous l'espérons...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ce que vous déclarez sur le dialogue pourrait faire l'objet d'une recommandation.
Enfin, je regrette que le titre du rapport ne soit pas plus marquant. Sans aller jusqu'à parler de « misère », nous pourrions choisir un sous-titre qui marquerait davantage les esprits.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Les rapporteures nous ont fait plusieurs propositions, et nous avons retenu celle-ci : « Prévention de la récidive du viol : prendre en charge les auteurs pour éviter de nouvelles victimes ».
L'idée est d'éviter les futures victimes, mais aussi d'éviter que des victimes deviennent des auteurs, et l'indication de la prise en charge des auteurs me paraît indispensable.
Les vingt-quatre recommandations et le titre du rapport sont adoptés.
La commission des lois et la délégation aux droits des femmes adoptent le rapport et en autorisent la publication.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci beaucoup ! Je donne rendez-vous aux rapporteures à 16 h 30 pour la présentation du rapport à la presse.
- Présidence de Mme Muriel Jourda, présidente -
La réunion, suspendue à 14 h 50, est reprise à 19 h 00.
Mission d'information sur les polices municipales - Audition de M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur(sera publié ultérieurement)
Le compte rendu sera publié ultérieurement.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 20 h 15.