Mardi 20 mai 2025

- Présidence de Mme Micheline Jacques -

La politique du handicap outre-mer - Table ronde consacrée à la Guyane

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, mesdames, messieurs, nous poursuivons cet après-midi nos travaux consacrés à la politique du handicap dans les outre-mer, avec une première table ronde dédiée à la Guyane, suivie par une seconde séquence consacrée à la Martinique.

Je remercie vivement nos rapporteurs Audrey Bélim, sénatrice de La Réunion, Annick Petrus, sénatrice de Saint-Martin et Akli Mellouli, sénateur du Val-de-Marne.

Cette audition s'inscrit dans le cadre de notre format dit « audition-rapporteur », en raison de la concomitance avec l'examen en séance publique du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte et du projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte. À ce titre, je vous prie par avance de bien vouloir excuser mon départ anticipé, étant rapporteur pour la commission des affaires économiques du Sénat sur ce texte. Les échanges font toutefois l'objet d'une captation et un compte-rendu en sera annexé à notre rapport, à l'instar de ce qui prévaut pour une réunion plénière.

Nous avons le plaisir d'accueillir en présentiel : le Dr Alexandre Boichon, directeur de l'autonomie de l'Agence régionale de santé (ARS) Guyane ; Gildas Le Guern, directeur général de l'Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) Guyane ; et Blaise Joseph-François, directeur général de l'Association départementale de parents et d'amis des personnes handicapées mentales (Adapei) Guyane.

Nous entendrons également en visioconférence : Aminata O'Reilly, directrice de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) Guyane ; et Sylviane Erepmoc, inspectrice de l'Éducation nationale, représentant Guillaume Gellé, recteur de l'académie de la Guyane.

Comme à l'accoutumée, un questionnaire préparatoire vous a été adressé afin de nourrir votre propos liminaire. Nos rapporteurs vous interrogeront ensuite pour approfondir certains points.

M. Alexandre Boichon, directeur de l'autonomie de l'ARS Guyane. - Je vous remercie pour votre invitation à cette table ronde.

Trois notions fondamentales structureront nos échanges : la déficience, l'incapacité et le handicap. La déficience désigne une altération des fonctions physiologiques, anatomiques ou psychiques, renvoyant au registre lésionnel. Elle peut générer une incapacité, c'est-à-dire une réduction des capacités fonctionnelles. Le handicap, enfin, correspond à une limitation d'activité ou à une restriction de participation à la vie sociale. Pour illustrer ce triptyque : une lésion médullaire rachidienne provoquant une paralysie des membres inférieurs constitue une déficience ; l'incapacité en résultant se traduit par l'impossibilité de marcher ; le handicap s'exprime, quant à lui, par une restriction dans les pratiques sportives ou professionnelles.

Avant d'aborder le coeur du sujet, il importe de rappeler brièvement les spécificités de la Guyane. Contrairement à une idée reçue persistante au sein de l'administration centrale, la Guyane ne fait pas partie de l'ensemble Antilles-Guyane. Ce point n'est pas anecdotique : nombre de politiques publiques continuent d'être conçues et déployées à partir de dispositifs pensés pour la Guadeloupe ou la Martinique, alors même que 1 440 kilomètres séparent la Guyane de la Martinique.

Ce territoire se distingue également par sa superficie - équivalente à celle de la Nouvelle-Aquitaine - et par une densité démographique très faible : environ 300 000 habitants répartis sur un espace immense. Cette configuration implique le développement d'une offre médico-sociale déclinée par bassin de vie. À titre d'exemple, une heure sépare Cayenne de Kourou, tandis que le trajet jusqu'à Saint-Laurent-du-Maroni nécessite entre trois et trois heures trente. La commune de Saint-Georges-de-l'Oyapock, située à la frontière brésilienne, impose des délais similaires. Pour les communes de l'intérieur, l'accès se fait le plus souvent par voie fluviale ou aérienne, avec des contraintes majeures : faible fréquence des vols, interruptions dues à des mouvements sociaux ou à des difficultés techniques, isolement prolongé de certaines zones.

Cette complexité géographique se double d'une réalité multiculturelle et plurilinguistique : on recense en Guyane une quarantaine de langues, dont certaines ne sont parlées que par de très petits groupes. La proximité avec le Brésil et le Suriname accentue cette diversité. En matière de handicap, cette pluralité culturelle se traduit par des représentations variées, un déficit de sensibilisation persistant, voire une tendance à dissimuler certaines situations de handicap dans plusieurs communautés.

Sur le plan de l'offre médico-sociale, je laisserai à Mme O'Reilly le soin de présenter les données relatives à la demande. Toutefois, il me revient de souligner l'inadéquation criante entre l'offre actuelle et les besoins du territoire. Pour les moins de 20 ans, la Guyane compte environ 7,6 places en établissements et services médico-sociaux (ESMS) pour 1 000 habitants, contre 10,6 au niveau national. Pour les adultes, ce taux chute à 4,1 pour 1 000, alors qu'il atteint 10,5 dans l'Hexagone.

Ces écarts, déjà préoccupants, doivent être analysés à la lumière de plusieurs facteurs aggravants : sous-détection massive des situations de handicap, absence de caractérisation précise du taux de handicap, prévalence probable des déficiences intellectuelles et des troubles spécifiques du langage et des apprentissages, souvent liés à des expositions environnementales. Le centre régional d'études d'actions et d'informations (CREAI) en faveur des personnes en situation de vulnérabilité de Guyane a recensé en 2022 entre 1 400 et 1 900 orientations vers des ESMS qui n'ont pu être mises en oeuvre, faute de places disponibles.

Le profil démographique constitue un autre élément structurant : en 2025, près de 40 % de la population a moins de 20 ans, soit environ 120 000 enfants et adolescents, tandis que 53 % relèvent de la tranche 20-65 ans. Les projections de l'INSEE annoncent, d'ici 2050, une augmentation de plus de 25 % de ces deux catégories, soit 30 000 enfants et 40 000 adultes supplémentaires. Ces chiffres impliquent non seulement une nécessité urgente de rattrapage de l'offre, mais également une anticipation d'un engorgement structurel, notamment dans le passage des structures pédiatriques vers l'accompagnement adulte.

La répartition territoriale de l'offre reste inégale : elle se concentre principalement sur le centre littoral - Cayenne et sa communauté d'agglomération - ainsi que sur Kourou. À Saint-Laurent-du-Maroni, qui recense 50 000 habitants, dont une majorité de jeunes, certaines structures essentielles - maisons d'accueil spécialisées, instituts médico-éducatifs (IME) - demeurent absentes. L'offre existante reste insuffisante ou sous-dotée, notamment dans les domaines du polyhandicap, du handicap moteur ou psychique, de la déficience sensorielle, ou encore des troubles du neurodéveloppement (TND).

Les causes environnementales pèsent lourdement sur cette situation. Les études disponibles font état d'un taux de saturnisme très élevé : près de 20 % des enfants seraient concernés, avec des taux de plombémie préoccupants, y compris chez les femmes enceintes. Le mercure constitue une autre source d'exposition, concentrée dans les communes du fleuve. À ces facteurs s'ajoute un taux de syndrome d'alcoolisation foetale dix fois supérieur à celui de la France hexagonale : un cas pour 100 naissances contre 1,3 pour 1 000. Ces expositions entraînent un large éventail de troubles (déficiences intellectuelles, troubles du langage, trouble du spectre de l'autisme (TSA)...), qui nécessitent une prise en charge spécialisée et diversifiée.

En matière de financement, la dotation régionale limitative consacrée au secteur du handicap s'élève à 74,7 millions d'euros. La Guyane a bénéficié d'un effort significatif dans le cadre du plan des 50 000 solutions, avec une enveloppe supplémentaire de 28 millions d'euros à déployer d'ici 2030, soit une augmentation de 37 %. Cependant, cette dynamique reste insuffisante au regard des besoins du territoire. Du point de vue de l'investissement, l'enveloppe actuelle de 2,6 millions d'euros demeure très modeste et ne permet pas d'engager une politique de création d'établissements à la hauteur des enjeux.

Concernant la mesure 24 du Comité interministériel des outre-mer (CIOM) de juillet 2023, il semble qu'aucune déclinaison spécifique n'ait été réalisée en Guyane. Un protocole d'accord avait pourtant été signé début 2023 entre la ministre déléguée, l'ARS, la MDPH, la collectivité territoriale, la préfecture et l'Éducation nationale, avec une enveloppe d'un million d'euros destinée au repérage précoce. Toutefois, aucun plan d'action n'a été élaboré et aucun crédit complémentaire n'a été délégué à ce titre.

Enfin, j'aimerais évoquer les limites structurelles qui contraignent l'action de l'ARS Guyane. Il s'agit d'une agence de petite taille, dotée des missions cumulées de siège et de délégation départementale, contrairement à l'organisation dans l'Hexagone. Cette double charge, à effectif constant, rend très difficile la conduite simultanée des missions de pilotage stratégique, de suivi national, de programmation, de lancement d'appels à projets, d'instruction, de tarification, de contrôle qualité, de gestion des événements indésirables et de coordination territoriale.

L'ARS Guyane assure le suivi de plus de 40 ESMS autorisés, répartis entre une dizaine d'organismes gestionnaires, auxquels s'ajoutent environ 30 dispositifs non autorisés au sens strict du code de l'action sociale et des familles (CASF). Pour assurer ces missions, les effectifs mobilisés représentent à peine deux équivalents temps plein (ETP). Cette organisation, aussi limitée soit-elle, implique un engagement constant des équipes sur l'ensemble du spectre, allant de la stratégie à la proximité. En comparaison, la collectivité territoriale de Guyane, qui partage la compétence médico-sociale, dispose de 4 à 5 ETP sur ce champ.

M. Gildas Le Guern, directeur général de l'APAJH Guyane. - Je vous remercie sincèrement, au nom du conseil d'administration de l'APAJH de Guyane, de nous offrir l'opportunité de nous exprimer aujourd'hui. Cette reconnaissance s'adresse également aux collaborateurs de l'association, aux personnes accompagnées ainsi qu'à leurs proches aidants.

Depuis 2006, l'APAJH Guyane, structure à la fois militante et gestionnaire, oeuvre sur l'ensemble du territoire guyanais - de Maripasoula à Saint-Georges-de-l'Oyapock, de Régina à Mana - et accompagne près de 900 personnes en situation de handicap (PSH) tous âges et toutes typologies confondues. Plus de 210 professionnels interviennent quotidiennement auprès des enfants, adolescents et adultes sur leurs lieux de vie, de formation, de travail, à domicile, à l'école, en établissements scolaires ou spécialisés.

Les PSH subissent, de manière exacerbée, les fragilités structurelles bien connues de notre territoire : enclavement géographique, isolement, insuffisance des réseaux routiers et de transports, accès limité aux soins, pénurie de logements, couvertures téléphone et internet lacunaires, absence de restauration scolaire dans certaines communes, difficultés d'accès à l'eau potable, offre de formation réduite, coût de la vie élevé, etc.

Si la transformation de l'offre médico-sociale, portée au niveau national, constitue une évolution que nous saluons et partageons, cette dynamique ne saurait occulter les retards considérables que connaît la Guyane en matière d'accompagnement des PSH, comparativement aux autres régions de la République.

L'étude réalisée en 2022 par le CREAI fait état de 1 400 à 1 900 orientations prononcées par la MDPH restées sans effet faute de places disponibles. Sur le secteur enfant, 400 places supplémentaires seraient nécessaires pour atteindre le taux national. Le taux d'équipement en IME demeure deux fois inférieur à celui observé dans l'Hexagone. S'agissant des adultes, plus de 850 places supplémentaires seraient requises. L'offre d'hébergement pour adultes en situation de handicap est quant à elle quatre fois moins élevée que la moyenne nationale.

Au sein de nos établissements, services et dispositifs, nous constatons que 80 % des enfants en situation de polyhandicap ne bénéficient d'aucun accès à l'école de la République ; 50 enfants porteurs de trisomie 21 se trouvent en attente de solution. Par ailleurs, 107 adultes, âgés de 20 à 60 ans, diagnostiqués déficients visuels et orientés en service départemental d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH), figurent sur liste d'attente, faute de réponse adaptée. Si 77 PSH sont actuellement pris en charge dans le cadre d'un pôle de compétences et de prestations externalisées (PCPE), 94 autres attendent encore un accompagnement.

Il devient impératif de résorber rapidement ce déficit structurel, en développant des solutions concrètes et adaptées : services d'accompagnement à la vie sociale (SAVS), SAMSAH, foyers de vie, dispositifs d'hébergement pour adultes, mais aussi créations de places en établissement et service d'accompagnement par le travail (ESAT). À cette fin, il nous paraît essentiel de lever le moratoire financier qui s'applique en Guyane, à l'instar de ce qui a été réalisé pour Mayotte.

La crise nationale de l'attractivité des métiers du soin affecte particulièrement la Guyane. La concurrence exercée par les trois fonctions publiques, conjuguée au régime de sur-rémunération de 40 %, place les opérateurs associatifs à but non lucratif dans l'incapacité de recruter durablement du personnel paramédical, éducatif et rééducatif.

Concernant l'emploi des PSH, la Guyane présente le plus faible taux de places en ESAT de tout le territoire national. En 2022, le CREAI évaluait à 320 le nombre de places manquantes. Cinq entreprises adaptées, dont une portée par l'APAJH, emploient aujourd'hui moins de 50 salariés handicapés. Dans ce contexte déjà contraint, les services de l'État nous ont récemment informés - en amont du dernier dialogue de gestion - du gel de l'enveloppe d'aides aux postes pour 2025. Cette mesure compromet toute possibilité de création d'emplois en entreprise adaptée pour l'année à venir.

Malgré ces obstacles, notre association reste fermement engagée. Depuis plusieurs années, et pour pallier les carences de l'offre, nous avons développé une organisation souple et réactive, articulée autour de la mutualisation des moyens, de l'optimisation des ressources humaines, de démarches innovantes, notamment en matière d'approche interculturelle, et du déploiement de dispositifs mobiles et d'« aller vers ». Nous mobilisons l'ensemble des leviers disponibles pour faire progresser la compétence et l'expertise de nos équipes, dans le souci constant de garantir un accompagnement de qualité.

Le projet de Centre de Ressources Multihandicap, porté par l'APAJH Guyane depuis 2011, illustre concrètement le dynamisme du tissu associatif gestionnaire. Ce centre, à caractère expérimental, propose sur l'ensemble du territoire des actions d'accueil, d'information et d'orientation pour tous publics et tous types de handicap. Il délivre des conseils pour l'adaptation du logement des PSH ou en perte d'autonomie, ainsi que des prestations de soutien à l'insertion ou au maintien dans l'emploi, dans le cadre de marchés conclus avec l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH) et le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP).

Ce centre met également à disposition une plateforme d'essai et de prêt d'aides techniques, habilite les personnes à l'utilisation de fauteuils roulants électriques, et pilote, en lien avec le réseau Yepi Timoun, un dispositif d'inclusion pour les enfants de 0 à 6 ans dans les structures de la petite enfance et de loisirs. Il porte enfin un pôle de compétences et de prestations externalisées destiné aux personnes sans solution ou en attente d'une orientation.

Alors que le déploiement du plan des 50 000 solutions prévoit 1 500 solutions pour la Guyane, il nous paraît fondamental de transformer cette initiative en un véritable plan de rattrapage, construit à partir de l'expertise des opérateurs locaux. Pour éviter la dispersion ou l'empilement de dispositifs, une gouvernance cohérente et un fléchage rigoureux des moyens doivent présider à cette mise en oeuvre. L'accès des associations gestionnaires au foncier conditionne également la concrétisation de ces projets.

M. Blaise Joseph-François, directeur général de l'ADAPEI Guyane. - Je vous remercie à mon tour pour l'attention que vous portez à la politique du handicap dans les territoires ultramarins.

Je représente une association de parents investie depuis plus de quarante ans au service des PSH sur l'ensemble du territoire. Notre engagement porte principalement sur l'accompagnement des personnes déficientes intellectuelles, des personnes porteuses de troubles du spectre de l'autisme, ainsi que des adultes en emploi, puisque nous gérons un ESAT et plusieurs entreprises adaptées. Nous intervenons également dans le champ de l'autonomie via des structures de type SAMSAH, SAVS et des services d'aide à domicile.

Je vous présenterai ici l'analyse de notre association, enrichie des contributions nombreuses et engagées de nos administrateurs et familles adhérentes, avec l'espoir qu'elle vous éclaire sur la réalité dans laquelle nous évoluons en matière de handicap.

La perception du handicap en Guyane varie considérablement selon les appartenances culturelles. Cette diversité impose une adaptation constante, tant au niveau du diagnostic que de l'accompagnement médico-social. Les équipes doivent ajuster leur posture sur les plans linguistique, culturel et relationnel, afin de garantir la compréhension et l'adhésion des familles aux actes réalisés. Il leur faut aussi intégrer l'existence de pratiques traditionnelles, y compris le recours à des guérisseurs, car ces réalités influencent fortement la relation au soin et à l'accompagnement.

Plus de quarante langues sont pratiquées en Guyane, dont certaines ne sont parlées que par de très petites communautés. De plus, les dynamiques communautaires imposent parfois des médiations spécifiques : dans certaines zones, il demeure nécessaire de rencontrer les autorités coutumières, tels les capitaines ou les anciens, avant de pouvoir intervenir auprès des familles.

L'isolement géographique génère une autre conséquence : l'invisibilité du handicap. Dans les zones reculées de l'Est et de l'Ouest guyanais, l'absence de structures et de dispositifs de diagnostic empêche l'identification des situations. Les enfants ou les adultes concernés restent invisibles aux yeux de l'institution, échappent à toute prise en charge et se retrouvent dans une forme de marginalisation silencieuse.

À ces constats s'ajoutent des freins majeurs dans l'accès aux droits. Les situations administratives précaires - sans-papiers, demandeurs d'asile - limitent l'accès à certaines aides telles que l'Allocation adultes handicapés (AAH) ou la prestation de compensation du handicap (PCH). Par ailleurs, la complexité des démarches administratives et la méconnaissance des droits constituent des obstacles récurrents.

Des avancées notables doivent toutefois être soulignées : des actions de sensibilisation dans les écoles, des campagnes d'information dans plusieurs langues, des initiatives visant à valoriser les capacités des PSH. Des efforts ont également été déployés pour améliorer l'accès aux soins grâce à des équipes mobiles et à des structures spécialisées. Toutefois, ces dispositifs restent essentiellement concentrés sur le littoral, éloignant ainsi l'offre des populations qui en auraient le plus besoin.

La médiation culturelle joue un rôle central dans nos pratiques. Elle permet d'établir un lien de confiance entre les familles et les institutions, et constitue un levier indispensable pour favoriser un accompagnement adapté.

Concernant la loi du 11 février 2005, force est de constater que ses quatre piliers - droit à compensation, accessibilité, scolarisation et insertion professionnelle - peinent à se traduire concrètement en Guyane. Bien que ces principes fassent consensus, leur mise en oeuvre demeure contrariée par l'isolement, la diversité culturelle, la faiblesse des moyens, le déficit de professionnels, et la complexité des démarches administratives.

Le service public de l'autonomie, en cours de déploiement au niveau national, repose sur un modèle de guichet unique. Tous les acteurs ont été consultés ou associés à sa mise en oeuvre. Toutefois, à ce stade, il reste prématuré d'en dresser un bilan.

S'agissant du CIOM signé en juillet 2023 entre l'État, l'ARS et la Collectivité territoriale de Guyane, sa déclinaison reste partielle. Du point de vue de l'ADAPEI, il s'apparente davantage à une politique de saupoudrage, inadaptée à l'ampleur des besoins. Quelques mesures ont vu le jour, mais sans effet structurel significatif.

Notre association accompagne actuellement environ 750 PSH, tandis que notre file d'attente comptait, au 31 décembre 2024, près de 950 orientations en attente de solution.

Par ailleurs, le coût de fonctionnement des établissements appelle une révision en profondeur. L'inflation générale, combinée à la vie chère en Guyane, impacte directement les budgets des structures médico-sociales. Les référentiels nationaux, notamment dans le cadre de la réforme SERAFIN-PH, s'avèrent inadaptés à nos réalités économiques : les charges salariales, les coûts logistiques, les dépenses de fonctionnement s'avèrent structurellement plus élevés. À cela s'ajoute le coût de construction, nettement supérieur à celui de la métropole, ce qui freine la concrétisation de nombreux projets.

L'accès au foncier constitue un autre obstacle majeur. Malgré l'étendue du territoire - équivalent à celui du Portugal -, les terrains réellement mobilisables pour des équipements médico-sociaux demeurent rares. Même lorsque le foncier est identifié et les financements trouvés, l'absence de garanties d'emprunt constitue un verrou supplémentaire. De nombreux dispositifs existants dans l'Hexagone ne s'appliquent pas en Guyane, ce qui complique considérablement les montages financiers.

Le sous-équipement du territoire est bien documenté. La Guyane affiche un taux de 0,7 place en maisons d'accueil spécialisées (MAS) pour 1 000 habitants, contre 1,7 dans l'Hexagone. En ESAT, le ratio est de 1,2 pour 1 000, contre 3,6 en France hexagonale. Ces chiffres traduisent une incapacité manifeste à répondre aux besoins, y compris en matière de services comme les SAMSAH ou service d'accompagnement à la vie sociale (SAVS), pourtant essentiels dans un territoire aussi vaste.

Les efforts réalisés dans le secteur de l'enfance ont permis des avancées notables ces dernières années. Toutefois, le secteur adulte se trouve aujourd'hui en situation de saturation. Les enfants accompagnés jusqu'à 25 ans dans le cadre de l'amendement Creton se retrouvent sans solution à leur sortie. Certaines structures les maintiennent jusqu'à 28 ans faute d'alternative. Cette absence de continuité constitue une source de détresse pour les familles, qui peinent à comprendre cette rupture brutale.

Les familles membres de notre association réclament prioritairement une augmentation significative des capacités d'accueil en ESAT. Les gels de places doivent cesser. Il convient également de procéder à une répartition géographique plus équilibrée de l'offre. Aujourd'hui, l'essentiel reste concentré sur l'île de Cayenne. Une extension vers Saint-Laurent ou Saint-Georges apparaît indispensable.

Si les plans Autisme et les dispositifs dédiés aux TND ont permis certains progrès, les besoins demeurent criants. Nos listes d'attente concernent de nombreuses personnes TSA, mais aussi des personnes atteintes de maladies rares, dont les droits ne sont pas toujours reconnus, et pour lesquelles l'offre fait également défaut.

L'accessibilité globale constitue un autre point d'alerte : accessibilité aux lieux de vie, au transport, au logement, mais également à la vie sociale. Malgré des efforts ponctuels portés par les établissements, les PSH demeurent trop souvent exclues des événements culturels ou citoyens. Les infrastructures inadaptées, l'insuffisance des aménagements, entravent encore leur pleine participation.

L'implication des entreprises vers l'inclusion progresse, mais reste limitée par la structure même du tissu économique : seulement 10 % des entreprises dépassent le seuil de 20 salariés, conditionnant l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés. Par conséquent, l'accès à l'emploi en milieu ordinaire demeure très restreint. Le secteur privé reste peu impliqué, les dispositifs sont méconnus, et les contrats en alternance ou de professionnalisation particulièrement rares.

Le nombre d'entreprises adaptées et de postes aidés demeure très inférieur aux besoins. Le développement de l'inclusion par le travail, qu'il s'agisse du milieu ordinaire ou protégé, se heurte à l'insuffisance des structures d'accueil et à l'absence d'un tissu économique suffisamment dense.

Même lorsque l'emploi est obtenu, encore faut-il garantir les conditions de sa pérennité. L'environnement global doit accompagner l'insertion. Les marchés publics ou privés réservés constituent un levier efficace, mais restent très peu mobilisés. La Guyane compte pourtant de grandes entreprises, qui pourraient ouvrir davantage de marchés réservés aux structures employant des travailleurs handicapés.

Mme Aminata O'Reilly, directrice de la MDPH Guyane. - Je vous remercie également pour l'attention que vous portez à la situation du handicap dans les territoires ultramarins, et plus particulièrement en Guyane.

Je souhaiterais évoquer certains éléments structurels complémentaires, notamment en lien avec l'organisation géographique et administrative de la Guyane, qui conditionne fortement les modalités d'action de la MDPH et de l'ensemble des acteurs du champ du handicap.

La Guyane se divise en quatre intercommunalités : la communauté d'agglomération du centre littoral (CACL), qui regroupe la majorité de la population ; la Communauté de communes de l'Ouest Guyanais (CCOG) ; la Communauté de communes de l'Est Guyanais (CCEG) ; et la Communauté de communes des Savanes (CCDS). Cette répartition inégale de la population, conjuguée à l'étendue du territoire, exerce une influence directe sur le déploiement des dispositifs, sur les politiques publiques et sur l'accès effectif aux services.

La MDPH de Guyane est implantée à Cayenne, au sein de la CACL. Une antenne a également été ouverte dans l'ouest, à Saint-Laurent-du-Maroni. Ces deux zones concentrent la majorité des dossiers déposés et, par conséquent, la majorité des reconnaissances administratives du handicap.

La diversité culturelle du territoire influence profondément la manière dont le handicap est perçu. Les représentations varient d'une communauté à l'autre, chaque perception étant façonnée par les références culturelles et les trajectoires personnelles. Une composante reste toutefois sous-estimée : l'ampleur de la population issue de l'immigration. Cette hétérogénéité induit une pluralité de rapports à l'administration, selon que les personnes proviennent d'un pays doté d'un système public structuré ou, au contraire, d'un espace institutionnel plus incertain. Le rapport à l'institution s'en trouve profondément modifié.

La jeunesse de la population guyanaise ne doit pas occulter la faiblesse des taux de scolarisation. Selon les données de l'INSEE pour l'année 2021, 87 % des jeunes de 15 à 17 ans demeuraient scolarisés, contre seulement 33 % chez les 18-24 ans. Près de 45 % de la population ne détient aucun diplôme. Ce socle éducatif fragile pèse lourdement sur les perspectives d'insertion, sur les dynamiques de formation et sur le recrutement dans les secteurs sanitaires et sociaux.

La localisation de la MDPH à Cayenne permet de traiter prioritairement les demandes provenant de la CACL et de l'Ouest. L'Est et les Savanes ne sont pas exclus de notre champ d'intervention, mais l'intensité et la nature de l'action y diffèrent. Dans l'Est guyanais, par exemple, les dossiers déposés représentent à peine 2 % de l'ensemble des demandes, pour un total annuel d'environ 4 000 dossiers enregistrés par la MDPH, dont près de la moitié concerne des adultes. Ce déséquilibre résulte de plusieurs facteurs structurels : une offre médicale et paramédicale quasi inexistante dans certaines communes, l'absence prolongée de travailleurs sociaux, et une très forte dépendance à l'égard d'un accompagnement spécialisé pour l'accès aux droits. L'enclavement accentue ces difficultés, en limitant les possibilités de diagnostic, de repérage précoce et d'évaluation.

Face à cette situation, la MDPH a développé une stratégie fondée sur des partenariats locaux et sur la logique d'« aller vers ». Cette approche repose sur la mutualisation des moyens logistiques, techniques et humains, afin de permettre l'intervention dans des zones très isolées, où vivent des populations vulnérables, souvent éloignées de l'accès aux droits.

Dans l'Ouest également, bien que nous soyons présents physiquement à Saint-Laurent-du-Maroni, de nombreuses communes restent difficiles d'accès. Là encore, les déplacements nécessitent une organisation lourde : plusieurs jours de mobilisation pour un temps d'intervention effectif souvent réduit, avec des trajets parfois intégralement réalisés en pirogue. Ces missions impactent la disponibilité des agents pour d'autres fonctions essentielles, comme l'évaluation, l'instruction des droits ou l'accompagnement administratif.

La MDPH de Guyane, constituée en groupement d'intérêt public (GIP), regroupe la Collectivité Territoriale de Guyane, l'ARS, la Caisse Générale de Sécurité Sociale, la CAF et l'Éducation nationale. Elle exerce l'ensemble des missions prévues par la loi, à savoir l'information des usagers, l'évaluation pluridisciplinaire des besoins de compensation, l'organisation des commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH), et surtout, le suivi de la mise en oeuvre effective des décisions rendues.

Depuis la loi de 2005, les missions des MDPH n'ont cessé de s'élargir, sans que les moyens humains et matériels évoluent à la même hauteur. En Guyane, cette asymétrie s'exacerbe, car chaque action requiert des ressources plus importantes : déplacements longs, logistique complexe, accompagnement renforcé des publics.

Concernant les prestations, la MDPH instruit l'ensemble des droits nationaux : allocation adulte handicapé (AAH), allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH), orientations vers les ESMS pour enfants et adultes, prestation de compensation du handicap (PCH), etc.

En Guyane, une part importante de la population réside dans des habitats informels ou atypiques : squats, carbets, maisons sur pilotis, toitures spécifiques... Or, lorsqu'il s'agit d'adapter ces logements pour une personne en perte d'autonomie, la réglementation encadrant la PCH ne permet pas toujours de proposer des solutions pertinentes ou réalisables. Ce décalage appelle un regard adapté à la réalité locale.

La question de la régularité du séjour constitue une autre problématique centrale. La réglementation exige, pour l'ouverture des droits MDPH, que les personnes justifient de leur situation régulière sur le territoire. Ce principe général du droit administratif s'applique aux MDPH comme à toutes les institutions publiques. Néanmoins, en Guyane, où la part de personnes en situation administrative précaire est significative, cette exigence suscite de fortes incompréhensions. Il conviendrait peut-être, à terme, d'envisager un cadre de communication harmonisé à l'échelle nationale sur cette question. En revanche, s'agissant des enfants en situation de handicap, la réglementation autorise le traitement de leur demande, même en l'absence de régularité, dans le cadre de la scolarité obligatoire. Cette dérogation nous permet d'accompagner de nombreux enfants dans leur parcours éducatif.

En matière d'emploi, les contraintes géographiques et structurelles évoquées précédemment produisent des effets multiplicateurs. Les dispositifs existants restent peu connus, mais surtout, leur déploiement est entravé par le manque de moyens de transport collectif. Selon les données de l'INSEE, plus de 75 % des actifs utilisent une voiture, une fourgonnette ou un camion pour se rendre au travail. L'absence d'alternative en matière de transport en commun limite fortement les perspectives d'insertion, a fortiori pour les personnes handicapées, souvent en situation de vulnérabilité sociale et économique. Le cumul de ces difficultés constitue un frein majeur à l'inclusion professionnelle.

Mme Audrey Bélim, rapporteure. - Madame O'Reilly, veuillez m'excuser, mais le temps nous fait malheureusement défaut. Nous reviendrons bien entendu vers vous pour échanger. Je vous remercie de votre compréhension. Nous allons à présent donner la parole à Sylviane Erepmoc.

Mme Sylviane Erepmoc, inspectrice de l'Éducation nationale, représentant Guillaume Gellé, recteur de l'académie de la Guyane. - Je vous remercie pour l'attention portée à la question du handicap en Guyane.

Pour ce qui concerne l'académie, nous nous attachons à garantir l'effectivité du principe de scolarisation en milieu scolaire ordinaire pour les élèves en situation de handicap.

En 2019, l'ensemble des niveaux, du premier au second degré, comptait 2 228 élèves bénéficiant d'une notification de la CDAPH. En mars 2025, cet effectif s'élève à 2 998 élèves disposant d'une notification d'accompagnement par un accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) ou d'une orientation vers un dispositif unité localisée pour l'inclusion scolaire (ULIS). Cette progression représente une augmentation de plus de 25 % de la population scolaire concernée.

Toutefois, la mise en oeuvre de ces notifications se heurte à des obstacles persistants. Sur 2 820 élèves notifiés pour une scolarisation en ULIS, seuls 1 545 disposent effectivement de cette orientation. Parmi eux, 1 496 fréquentent actuellement le dispositif. En parallèle, 178 élèves demeurent sans solution : 49 en raison de refus parentaux, souvent liés à des perceptions culturelles du handicap, et 129 en attente d'un accompagnement par un AESH, dont 50 pour un accompagnement individuel. Cette situation souligne la place centrale de l'accompagnement humain dans le parcours de scolarisation des élèves concernés.

Au total, 859 personnels physiques assurent l'accompagnement de ces élèves, représentant 554 équivalents temps plein (ETP), dont 5,20 relevant de l'Éducation nationale. Entre septembre 2019 et mars 2025, les effectifs d'AESH ont ainsi progressé de 20,95 %.

Cette dynamique doit néanmoins s'intensifier, notamment à la lumière de la loi dite « loi Vial », qui impose désormais un accompagnement sur les temps de pause méridienne pour les élèves concernés. À ce jour, 48 élèves nécessitent un tel accompagnement ; seuls 28 en bénéficient effectivement, pour un volume horaire de 138 heures hebdomadaires. Les 20 autres élèves demeurent sans accompagnement sur ces temps, faute de ressources humaines disponibles. Il conviendrait, pour répondre à la demande, de recruter 42 ETP supplémentaires.

Parallèlement, le nombre de dispositifs inclusifs reste insuffisant. Le premier degré compte 64 ULIS, le second degré en recense 67 en collège et 18 en lycée. Ces dispositifs restent mal répartis, notamment pour les élèves sortant de troisième, dont certains ne peuvent poursuivre en lycée général ou professionnel. Pour ces jeunes, plusieurs solutions sont mises en oeuvre : les unités de formation professionnelle diversifiée (UFPROD) dans certains collèges, les unités pédagogiques adaptatives (UPA), et les unités de rattrapage scolaire (URS) permettent d'envisager des parcours en alternance et de faciliter l'accès à l'emploi.

À ces dispositifs collectifs s'ajoutent des mesures ciblées à destination des élèves présentant des TND. Deux dispositifs d'autorégulation sont actuellement déployés dans le premier degré, avec une extension prévue dans le second degré. L'accompagnement est également renforcé par le déploiement d'enseignants itinérants, intégrés dans des équipes pluridisciplinaires, ainsi que par l'intervention d'un professeur référent spécialisé dans les troubles du spectre autistique, chargé d'accompagner les enseignants concernés.

Conformément aux recommandations nationales, nous intensifions les coopérations avec le secteur médico-social, notamment avec les associations gestionnaires telles que l'APAJH ou l'ADAPEI qui assurent la prise en charge de certains élèves. En complément, l'Éducation nationale met à disposition des enseignants assurant la continuité pédagogique. Dans ce cadre, le premier degré compte actuellement huit dispositifs externalisés : trois en maternelle et deux en élémentaire. Le second degré en comprend six, portant le total à 14 unités. Cette offre reste modeste, mais elle progresse de manière continue, avec une attention particulière portée à la pérennité des solutions mises en oeuvre.

La formation des professionnels constitue un levier fondamental. Elle concerne les enseignants, les AESH, mais aussi les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM), désormais autorisés, depuis 2018, à intervenir auprès des élèves en situation de handicap. Le déficit de formation et de sensibilisation constitue encore un frein au déploiement de ces compétences.

L'égalité d'accès à la scolarisation suppose également la mise à disposition de matériel pédagogique adapté. En Guyane, les délais d'acheminement restent longs, ce qui retarde la mise en oeuvre des aménagements notifiés. Par ailleurs, les conditions climatiques et le taux d'humidité élevé entraînent une dégradation rapide du matériel informatique, nécessitant des renouvellements fréquents, et donc des investissements conséquents.

Enfin, en partenariat avec l'ARS, l'Académie participe à la transformation des pôles d'accompagnement localisés en pôles d'appui à la scolarité. Ces structures visent à proposer une réponse de premier niveau aux besoins identifiés, sans attendre une notification formelle de la MDPH.

En matière de suivi, nous mobilisons les outils numériques mis à disposition, notamment le livret du parcours inclusif.

Mme Audrey Bélim, rapporteure. - Je suis contrainte, hélas, d'écourter votre présentation. Je tiens à vous remercier toutes et tous pour la qualité de vos interventions. Sans plus attendre, je cède la parole à ma collègue, Annick Petrus, qui a de nombreuses questions à vous adresser.

Mme Annick Petrus, rapporteure. - Vous évoquez le recours à des démarches « d'aller vers ». Pourriez-vous illustrer concrètement une action de ce type : où intervient-elle, auprès de quel public et avec quel objectif ?

Concernant les adultes en situation irrégulière, pouvez-vous estimer, même approximativement, la part de cette population aujourd'hui exclue du dispositif ?

Enfin, s'agissant de l'inclusion professionnelle, ne conviendrait-il pas d'envisager une adaptation des obligations légales à la réalité locale ?

M. Blaise Joseph-François. - En Guyane, la notion d'« aller vers » prend une dimension particulière, étroitement liée aux réalités géographiques et humaines du territoire. Elle repose sur plusieurs leviers concrets.

Tout d'abord, des équipes mobiles interviennent directement au sein des zones les plus reculées, parfois accessibles uniquement par voie fluviale ou aérienne. Ces équipes médico-sociales assurent une présence de proximité, essentielle pour garantir un accompagnement adapté aux besoins des populations.

Ensuite, les projets portés sur le territoire se déploient selon un modèle d'ESMS éclatés. Il ne s'agit pas de structures centralisées, mais bien de dispositifs répartis sur plusieurs communes, afin d'offrir une réponse locale et souple, au plus près des usagers. Cette organisation permet une optimisation des ressources humaines, souvent limitées, en répartissant l'intervention d'une même équipe sur différents sites selon un calendrier tournant.

Par ailleurs, il convient également de « faire venir ». Certains parcours -- diagnostics complexes ou suivis spécialisés -- exigent une prise en charge sur le littoral. Dans ces cas, un accompagnement spécifique est mis en place pour permettre aux personnes éloignées de rejoindre temporairement les structures de soins ou médico-sociales.

Le territoire expérimente également, avec succès, la télémédecine. Bien que toutes les spécialités ne soient pas accessibles à distance, cette modalité permet de mobiliser la téléexpertise, la télé-orthophonie, et d'assurer un appui technique aux équipes de terrain.

Le développement de la politique du handicap repose nécessairement sur la présence de professionnels qualifiés. Or, les métiers du médico-social peinent à susciter des vocations, en raison de rémunérations peu attractives, d'un déficit d'image, et d'une concurrence forte avec d'autres secteurs mieux valorisés. Le manque de formations adaptées aggrave cette tension : la dernière promotion de l'Institut régional du travail social (IRDTS) ne comptait que dix étudiants, alors même que plus de 300 postes en CDI restent vacants dans les seuls ESMS du territoire.

Mme Aminata O'Reilly. - S'agissant des personnes en situation irrégulière, nous ne disposons pas à ce jour d'un pourcentage précis. Toutefois, même si le droit était ouvert par la MDPH, son effectivité resterait limitée. En effet, les organismes chargés du versement des prestations (PCH, allocations...) refuseraient l'ouverture de droits en l'absence de titre de séjour.

Face à cette impasse, nos équipes orientent systématiquement les personnes concernées vers les travailleurs sociaux de secteur ou vers des associations. Cette démarche vise à mobiliser d'autres dispositifs de droit commun, car les situations rencontrées relèvent souvent d'une grande précarité générale qui dépasse le seul cadre du handicap et nécessite une approche transversale.

M. Alexandre Boichon. - Je souhaite rebondir sur la notion de « faire venir », en lien avec le changement de paradigme impulsé par l'école inclusive. L'intégration des ESMS au sein des établissements scolaires constitue, en Guyane, un levier concret pour améliorer l'accessibilité de l'offre médico-sociale.

À Maripasoula, commune uniquement accessible par voie fluviale ou aérienne, l'offre médico-sociale demeure particulièrement dégradée. En revanche, la scolarisation au collège génère une dynamique : les élèves du fleuve rejoignent l'établissement chaque matin en pirogue et repartent le soir. Installer un ESMS dans un collège permet d'optimiser l'intervention des professionnels en concentrant les accompagnements sur le lieu de scolarisation, tout en réduisant les contraintes logistiques.

Sur la question de l'emploi, un besoin fort se fait sentir en matière de reconversion professionnelle. Or, le territoire ne dispose d'aucun établissement ou service de réadaptation professionnelle (ESRP). Un appel à projets devrait être lancé prochainement afin de pallier ce manque.

Par ailleurs, la sous-déclaration du handicap en milieu professionnel reflète une approche culturelle particulière. De nombreux travailleurs, bien que bénéficiaires d'une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, ne la signalent pas à leur employeur.

Enfin, concernant la prise en charge en situation de précarité, le principal frein identifié relève principalement de l'orientation. Sous réserve de vérification, les ESMS ne conditionnent pas l'admission à la présentation d'une carte Vitale.

M. Gildas Le Guern. - Il convient de préciser que les ESMS et les organismes gestionnaires accompagnent, en priorité, des personnes orientées par la CDAPH. Toutefois, certains dispositifs, à l'instar des PCPE, peuvent intervenir avec ou sans orientation formelle.

Dans ce cadre, des personnes en situation irrégulière peuvent bénéficier d'un accompagnement, même si l'ouverture de certains droits sociaux demeure impossible, notamment en raison de l'inéligibilité à certains financements. Néanmoins, cet accompagnement contribue à instaurer un lien, à favoriser une première prise en charge et, potentiellement, à ouvrir vers des solutions plus pérennes.

S'agissant de la démarche « aller vers », celle-ci se traduit, concrètement, par le déploiement quotidien ou hebdomadaire d'équipes sur le terrain : interventions à domicile, dans les crèches, les écoles ou autres lieux de vie. Ces professionnels répondent aux besoins identifiés à la suite d'évaluations préalables. Dans les zones dites isolées -- notamment les communes de l'intérieur --, les équipes s'organisent en missions de deux à quatre jours. Elles investissent pleinement leur périmètre d'intervention pour assurer une présence effective auprès des usagers. Cette organisation mobilise d'importantes ressources logistiques et humaines.

Ces déplacements ont un impact direct sur les indicateurs d'activité. Les exigences actuelles en matière de performance, telles que fixées par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) à travers les tableaux de bord nationaux, ne tiennent pas toujours compte des réalités géographiques. Comparés à des établissements métropolitains, les taux d'activité observés peuvent sembler faibles. Pourtant, ces missions impliquent des trajets longs, souvent équivalents à une journée entière -- ce que l'on qualifie de « temps gris » en gestion RH. Ce temps, bien que non consacré à l'accompagnement direct, reste indispensable pour garantir l'accès aux droits et à un accompagnement de qualité, quel que soit le lieu de vie de la personne.

Mme Audrey Bélim, rapporteure. - Je suis particulièrement sensible aux difficultés rencontrées durant les pauses méridiennes. Dans mon territoire, les maires alertent régulièrement sur le fait que l'accompagnement des enfants en situation de handicap repose souvent, par défaut, sur les ATSEM ou les agents de cantine, non formés et exposés à des responsabilités délicates. Comment parvenez-vous à pallier ce manque de prise en charge pendant ces temps spécifiques ?

Par ailleurs, où en est l'accessibilité des personnes à mobilité réduite (PMR) dans les établissements scolaires ? Existe-t-il une dynamique d'équipement, un accompagnement financier suffisant, malgré les contraintes de construction spécifiques au territoire ?

Enfin, pour répondre à la demande du sénateur Mellouli : disposez-vous de données sur l'accès aux études supérieures pour les jeunes en situation de handicap en Guyane ? Existe-t-il un parcours structuré ou une dynamique inclusive favorisant leur poursuite d'études au-delà du secondaire ?

Mme Sylviane Erepmoc. - L'objectif reste, bien entendu, de permettre aux élèves en situation de handicap de poursuivre leur scolarité aussi loin que possible. À ce jour, nous ne disposons pas de données statistiques sur l'accès aux études supérieures, mais un travail est engagé avec les services compétents pour renforcer cette continuité.

Concernant la pause méridienne, certains enfants ne bénéficient d'aucun accompagnement : ni par les ATSEM ni par les agents de cantine. En conséquence, ils ne restent pas à la cantine, faute de prise en charge. Lorsque l'enfant dispose d'un AESH en accompagnement individuel, celui-ci assure parfois cette mission, mais de manière informelle, sans cadre optimal.

S'agissant de l'accessibilité du bâti scolaire, les nouvelles constructions intègrent les normes PMR dès leur conception. Pour les bâtiments existants, notamment dans le premier degré, des adaptations sont progressivement engagées. Toutefois, des situations complexes subsistent. Par exemple, lorsqu'une école dispose de deux implantations géographiques distinctes -- une principale et une annexe -- et que le dispositif inclusif est localisé sur un seul site, il devient difficile d'assurer une inclusion effective lorsque la classe de l'élève se situe sur l'autre site.

Ces contraintes exigent des ajustements constants pour garantir un accès effectif à la scolarisation en milieu ordinaire pour tous les élèves identifiés comme ayant besoin d'un accompagnement renforcé.

Mme Aminata O'Reilly. - La pause méridienne reste structurellement problématique sur l'ensemble du territoire, et en particulier en Guyane, où les acteurs de terrain s'efforcent, depuis longtemps, de trouver des solutions de manière empirique.

Le décret du 14 février 2025, qui réaffirme la responsabilité de l'État dans la prise en charge des AESH pendant la pause méridienne, constitue un apport bienvenu. Toutefois, comme souligné, la difficulté majeure persiste, faute d'un vivier suffisant d'AESH mobilisable à ce jour.

En parallèle, la MDPH peut intervenir en émettant des avis de transport, notamment lorsqu'elle est saisie de situations spécifiques. Ces avis -- qui ne constituent pas des notifications au sens strict -- ont toutefois une valeur significative pour l'organisation concrète des déplacements. Ils permettent, le cas échéant, la mise en place d'une double rotation dans les transports scolaires, pour répondre à certaines situations critiques.

M. Gildas Le Guern. - Concernant l'école inclusive, nous avons franchi une étape à l'échelle nationale, avec un véritable changement de logique.

En Guyane, nous déployons actuellement deux unités externalisées dédiées au polyhandicap. Cette modalité s'avère particulièrement exigeante, tant le niveau de dépendance des enfants concernés complexifie leur accompagnement. Malgré ces contraintes, notre expérience montre que ces dispositifs constituent de véritables réussites, tant pour les enfants en situation de polyhandicap, pleinement citoyens, que pour leurs familles, qui y trouvent une grande source de satisfaction.

En outre, ces unités externalisées jouent également un rôle fondamental dans les établissements scolaires qui les accueillent. Elles deviennent un levier d'inclusion et un outil de sensibilisation puissant, permettant à tous les enfants de la République de mieux comprendre le handicap et de construire un rapport plus ouvert à l'altérité. Il s'agit là d'un enjeu profondément sociétal.

Mme Audrey Bélim, rapporteure. - Je vous remercie très sincèrement. Si nous avions pu prolonger cet échange, nous serions volontiers restés plus longuement à vos côtés. Nous sommes particulièrement attentifs à tous les documents, analyses ou témoignages complémentaires que vous pourriez nous transmettre, afin d'enrichir les travaux de cette mission.

Je tiens à rappeler qu'il s'agit d'une initiative portée par la Présidente de notre délégation, qui a souhaité qu'une mission spécifique soit consacrée pour la première fois au handicap dans les outre-mer. Ainsi, nous espérons formuler des préconisations concrètes, enclines à influencer les orientations futures des politiques publiques.

Mardi 20 mai 2025

- Présidence de Mme Annick Petrus -

La politique du handicap outre-mer - Table ronde consacrée à la Martinique

Mme Annick Petrus, présidente, rapporteure. - Mesdames, messieurs, permettez-moi de présenter les excuses de Micheline Jacques, qui ne peut être parmi nous cet après-midi. Elle m'a chargée de la représenter en ma qualité de vice-présidente pour cette seconde table ronde, consacrée à la situation en Martinique, dans le cadre de notre rapport sur la politique du handicap dans les territoires ultramarins.

Nous avons le plaisir d'accueillir Carl Paolin, directeur général de l'association OVE Caraïbes, tandis que nous écouterons également, en visioconférence Yves Servant, directeur général de l'ARS Martinique, Christelle Litan, directrice de l'offre de soins et de l'autonomie de l'ARS Martinique, Catherine Murat, directrice déléguée à l'offre de soins à l'ARS et Guy Albert Rufin-Duhamel, directeur préfigurateur de l'opérateur externe Groupement d'intérêt public « Service public d'appui aux politiques de santé », Jean-Luc Rilos, directeur par intérim de la Maison martiniquaise des personnes en situation de handicap (MMPH), et Marie-France Anatole, responsable du pôle d'appui et de ressources handicap (PARH) Ti Bo.

Comme à l'accoutumée, un questionnaire préparatoire vous a été transmis pour nourrir vos propos liminaires. Les rapporteurs vous solliciteront ensuite pour approfondir certains points.

M. Carl Paolin, directeur général de l'association OVE Caraïbes. - Je vous remercie de me donner la parole en ouverture de cette table ronde.

Je dirige l'association OVE Caraïbes, présente en Martinique, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy. Créée en 2018, notre association gère aujourd'hui 25 structures médico-sociales, dont la moitié sont directement dédiées à l'accompagnement d'enfants et d'adultes en situation de handicap.

En quinze ans de présence professionnelle en Martinique, je constate une évolution nette et positive du regard porté sur le handicap. Quelques années plus tôt, j'aurais probablement évoqué le poids de la culture, du fait religieux ou de représentations sociales persistantes. Toutefois, si la société martiniquaise s'avère désormais plus inclusive, certaines stigmatisations subsistent, notamment dans le cas de handicaps lourds ou complexes. Il n'est pas rare que des enfants ou des adultes restent invisibles, confinés au domicile familial.

Dans une société insulaire marquée par la pression du regard social, la différence continue parfois d'être perçue comme une faiblesse. De surcroît, le handicap souffre d'une perception encore fortement médicalisée : la notion de maladie reste prégnante, en décalage avec l'approche inclusive et sociale portée par la loi du 11 février 2005.

L'isolement géographique constitue un frein à l'accès à certaines ressources qualifiées, à commencer par la formation. Si l'offre paraît dense en volume, elle reste limitée en matière de qualité et de spécialisation, ce qui pèse sur la professionnalisation de notre secteur.

En tant que gestionnaire, je relève également une sous-dotation manifeste de l'offre pour certains publics, notamment les adultes en situation de handicap complexe, psychique ou de polyhandicap. Nous constatons un manque de solutions concrètes dans l'accompagnement de leurs parcours.

À titre d'illustration, notre accueil de jour, autorisé pour 30 places, accueille en réalité une file active de près de 90 personnes, ne disposant d'aucune solution d'accompagnement alternative. En 2023, avec le soutien de l'ARS, nous avons lancé une expérimentation d'« aller vers » à domicile, permettant d'accompagner des personnes n'ayant jamais quitté leur domicile depuis leur naissance, faute de solution adaptée. Ces dispositifs ont permis de répondre partiellement à des situations critiques, mais ils ne sauraient se substituer à une offre pérenne de proximité.

En outre, nous faisons face à une incompréhension croissante des familles face à la complexité des démarches administratives. Le dépôt d'un dossier MMPH ou l'obtention d'un droit auprès de la CAF nécessitent souvent un accompagnement que seules nos équipes peuvent assurer. La lisibilité de l'offre médico-sociale pose également question : les dispositifs sont nombreux, les sigles foisonnent, et les familles s'y perdent. Certaines structures disposent pourtant encore de places, faute d'être identifiées comme pertinentes.

En revanche, je souhaite souligner la résilience et l'esprit d'innovation du territoire martiniquais. Malgré les contraintes, la société civile, les professionnels et les institutions ont su inventer des solutions efficaces, parfois modestes, mais audacieuses. La crise sanitaire a démontré notre capacité collective à innover, avec une réactivité remarquable dans la mise en oeuvre de dispositifs adaptés. Le PARH, porté par Marie-France Anatole, en constitue un exemple lumineux.

À OVE Caraïbes, nous avons dès 2015 ouvert un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP) intégrant une section hors les murs, dont les résultats s'avèrent particulièrement encourageants. À Saint-Martin, nous menons actuellement une expérimentation de MAS hors les murs, qui rencontre un vif succès et que nous envisageons de reproduire, à terme, en Martinique.

Ainsi, notre territoire fait preuve d'un dynamisme et d'une créativité qui méritent d'être reconnus et soutenus.

M. Guy Albert Rufin-Duhamel, directeur préfigurateur de l'opérateur externe Groupement d'intérêt public « Service public d'appui aux politiques de santé ». - Malgré des avancées sociologiques notables, le handicap reste encore trop souvent perçu, dans la conscience collective martiniquaise, comme une source de honte et d'exclusion sociale, voire comme une forme de fardeau individuel ou collectif. Cette perception induit un certain nombre de sous-déclarations des situations de handicap ainsi qu'un retard diagnostique important, ce qui limite l'accès effectif aux droits et aux accompagnements adaptés.

Les représentations culturelles locales associent encore trop souvent le handicap à une forme de faiblesse ou à un manque de performances physiques et intellectuelles. Dans ce contexte, la vulnérabilité reste difficilement reconnue et socialement peu tolérée. Cette résistance se manifeste notamment par une difficulté à nommer certains troubles invisibles -- maladies chroniques, troubles neuro-atypiques -- souvent mal compris, voire niés, y compris par les personnes concernées et leur entourage. La révélation d'un handicap, en particulier psychique ou non apparent, est encore perçue comme une exposition au regard social susceptible d'entraîner rejet ou stigmatisation.

Les travaux universitaires conduits par plusieurs laboratoires en sciences humaines et sociales corroborent ce constat : une grande difficulté d'accès aux droits persiste pour les PSH, malgré les évolutions positives.

L'ARS de Martinique s'inscrit dans une dynamique volontariste pour répondre à ces enjeux, avec des actions centrées sur l'amélioration de l'accès aux droits, sur le renforcement des dispositifs inclusifs, et sur une meilleure visibilité des formes de handicap dites invisibles.

Nous insistons sur la nécessité d'aborder cette transformation par une approche culturelle : nos territoires sont profondément marqués par des héritages historiques, identitaires et culturels. Le levier artistique et culturel -- qu'il s'agisse de théâtre, de musique, d'arts visuels ou de sketchs humoristiques -- représente un outil précieux pour agir sur les représentations sociales du handicap.

Il convient également de ne pas restreindre notre réflexion à la seule enfance : le handicap concerne aussi les adultes et les personnes âgées, notamment les personnes âgées isolées.

Par ailleurs, il convient de clarifier le rôle de la Maison martiniquaise des personnes en situation de handicap (MMPH), encore trop souvent perçue comme une instance d'hébergement, voire de « parcage », et non comme une porte d'entrée vers l'accès aux droits et à la compensation.

La formation des professionnels constitue également un enjeu structurant. La sous-déclaration à la MMPH demeure un phénomène largement observé. Les dossiers sont souvent déposés à un stade avancé de la pathologie, ce qui complexifie la prise en charge. Cette situation s'explique à la fois par un déficit d'informations en amont, des dispositifs encore trop peu visibles, et des réticences socioculturelles persistantes, qui freinent le recours aux droits. Ces enjeux constituent le coeur de l'action conduite par l'ARS de Martinique, qui s'attache à renforcer l'accès aux droits pour l'ensemble de la population.

S'agissant des représentations culturelles du handicap, les résistances tendent à s'atténuer, comme l'a souligné à juste titre Carl Paolin. Nous observons en effet une évolution positive dans la reconnaissance du handicap et la mobilisation de la société.

M. Jean-Luc Rilos, directeur par intérim de la MMPH. - Permettez-moi de préciser que je suis accompagné de la responsable du pôle Jeunes et de la référente qualité de la MMPH.

En 2024, 8,8 % de la population martiniquaise se trouvait en situation de handicap, contre 5,82 % en 2015. Cette évolution s'inscrit dans un contexte de déclin démographique significatif, marqué par un vieillissement notable de la population : 35 % des habitants ont désormais plus de 60 ans. Ce phénomène se reflète également dans les données de la MMPH : les personnes âgées de plus de 60 ans représentent près de 41 % du public accompagné, contre 12 % pour les jeunes.

Ces données démographiques confirment la nécessité d'adapter les réponses aux réalités spécifiques du territoire.

S'agissant de l'évolution des perceptions, les indicateurs témoignent d'un changement positif. Cette tendance se traduit notamment par une augmentation significative des demandes liées à la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) : on comptait 8 261 droits ouverts en 2014 contre 11 844 en 2024. Les sollicitations sont de plus en plus nombreuses, en particulier lorsqu'il s'agit d'obtenir des prestations financières. En revanche, on observe davantage de retenue lorsqu'il s'agit de faire valoir des droits à la formation ou à l'emploi, en raison d'une crainte persistante de stigmatisation.

Les usagers sollicitent fréquemment la MMPH avant même d'activer les dispositifs de droit commun, notamment pour la liquidation des pensions vieillesse. La priorité reste donnée aux prestations financières (AAH, PCH, etc.) dans un contexte de précarité croissante, particulièrement chez les personnes âgées à faibles ressources et les allocataires du RSA, qui cherchent à améliorer leur situation par le biais d'une reconnaissance du handicap.

Ces dynamiques s'inscrivent dans un territoire fortement impacté par la cherté de la vie, régulièrement dénoncée depuis les mouvements sociaux de 2009.

Malgré des progrès notables, des freins structurels demeurent. La perception du handicap reste encore imprégnée de représentations sociales négatives, souvent issues de facteurs culturels. Toutefois, depuis la création de la MMPH, on observe une amélioration sensible des représentations et une augmentation du nombre de demandes et de droits attribués, malgré une baisse démographique. Les actions de sensibilisation menées en direction des institutions, du grand public et des associations ont contribué à élargir la compréhension du handicap.

Cependant, plusieurs obstacles spécifiques à notre territoire persistent : la désertification médicale, qui complique l'établissement de certificats médicaux complets ; l'indisponibilité des aides techniques et les surcoûts associés ; l'aménagement du logement ou du véhicule ; des barèmes PCH encore alignés sur ceux de l'Hexagone ; l'absence de centres d'éducation canine, qui limite le recours à l'aide animalière ; une accessibilité insuffisante des bâtiments et des transports en commun ; et une fracture numérique qui entrave le développement de solutions domotiques.

Pour garantir un meilleur accès aux droits, plusieurs leviers pourraient être mobilisés : renforcer les actions de sensibilisation ; allouer des financements spécifiques à la communication dans le cadre de l'objectif « territoire zéro non-recours » aux droits ; mutualiser les outils du service public ; créer un observatoire des surcoûts liés au handicap, avec des comparaisons interterritoriales ; et enfin, déployer les équipes locales d'accompagnement sur les aides techniques (EqLAAT) sur l'ensemble du territoire martiniquais.

Mme Marie-France Anatole, responsable du Pôle d'Appui et de Ressources Handicap (PARH) Ti Bo. - Le PARH Ti Bo, dispositif géré par l'association OVE Caraïbes, répond à un besoin majeur en Martinique : garantir le droit inconditionnel à l'accueil des enfants en situation de handicap, de 0 à 19 ans. Ce dispositif innovant accompagne les familles dans leur parcours, quel que soit le mode d'accueil choisi - individuel (assistantes maternelles) ou collectif (établissements d'accueil du jeune enfant, jardins d'enfants, multi-accueils, relais petite enfance), et intervient en appui aux professionnels, afin de favoriser des conditions d'accueil optimales.

Au-delà de la petite enfance, le PARH intervient également dans les accueils collectifs de mineurs (ACM), en promouvant une inclusion effective sur l'ensemble des temps éducatifs : accueil du matin et du soir, pause méridienne, activités du mercredi. En effet, l'école inclusive ne se limite pas à l'accès aux apprentissages, mais intègre l'ensemble de la vie scolaire et périscolaire. En outre, nous intervenons en appui sur les temps extrascolaires, notamment durant les vacances scolaires, au sein des ACM et de certains centres de loisirs.

Certes, la loi de 2005 a permis de poser une définition juridique du handicap qui s'avère essentielle pour en déterminer et évaluer les besoins. Toutefois, un certain nombre d'enfants, pour diverses raisons déjà soulignées par les intervenants précédents, ne sont ni diagnostiqués ni accompagnés de manière adéquate. Ces freins relèvent notamment du contexte sociologique local, de la persistance du déni du handicap chez certaines familles, ou encore de diagnostics posés tardivement. Dans ce contexte, nous avons choisi d'élargir notre approche à l'ensemble des publics vulnérables, notamment aux enfants à besoins éducatifs particuliers.

En Martinique, deux problématiques majeures prédominent. La première concerne les enfants manifestant des comportements qualifiés de « problèmes », soit des troubles du comportement ou des difficultés d'expression comportementale. Dans 80 % des cas, ces enfants sont suivis par l'aide sociale à l'enfance (ASE). Ces jeunes, qu'ils soient en foyer ou en famille d'accueil, rencontrent très souvent des difficultés d'intégration en milieu scolaire ou périscolaire. La seconde grande difficulté concerne l'accueil des enfants présentant des troubles du spectre autistique, qui suscitent également de nombreuses sollicitations du PARH.

Le PARH poursuit une double mission : soutien aux familles dans l'accès aux droits et accompagnement des professionnels. Cette démarche se traduit par un travail de sensibilisation, de formation et d'accompagnement depuis la demande d'accueil jusqu'à la mise en oeuvre concrète, ainsi que par une co-construction de projets personnalisés pour l'accueil périscolaire et de loisirs (PPP-AL), en écho aux projets personnalisés de scolarisation (PPS) pour l'école. Nous accompagnons également les familles dans des démarches administratives souvent longues et complexes.

Depuis le déploiement opérationnel du PARH en octobre 2023, 37 familles ont été accompagnées dans le suivi du parcours de leurs enfants. Ce travail s'appuie sur un partenariat étroit avec la MMPH, concrétisé par une convention qui prévoit l'utilisation partagée d'une fiche de connaissance renseignée lors de l'entretien initial.

La priorité du dispositif consiste à répondre aux demandes formulées par les familles, en veillant à ce que les besoins exprimés trouvent une traduction opérationnelle. Pour ce faire, le PARH s'appuie sur un réseau partenarial structurant, impliquant notamment la CAF, la communauté 360, les centres d'action médico-sociaux précoces (CAMSP), les services d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD), les ESMS, et l'Éducation nationale. Notre coopération avec le service académique de l'école inclusive (SAEI) porte en particulier sur la mise en application de la loi Vial prévoyant l'intervention d'AESH durant le temps de pause méridienne. Néanmoins, les besoins d'accompagnement dépassent largement ce seul temps, et une proposition de loi en cours vise à étendre ce dispositif à l'ensemble des plages périscolaires.

Parallèlement, le soutien de l'ARS revêt une importance déterminante, en particulier pour les actions de formation. En avril 2024, 479 professionnels intervenant dans les ACM ont bénéficié d'une session consacrée aux difficultés d'expression comportementale chez l'enfant. Cette action complète une première session tenue en février, qui avait déjà permis de former 240 professionnels. Ainsi, plus de 700 agents ont été formés à ce jour, grâce à une organisation en quatre sites de formation destinée à couvrir l'ensemble du territoire martiniquais.

Enfin, une collaboration avec la direction de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DEETS) a permis en 2023 la formation de près de 240 professionnels de la petite enfance, parmi lesquels des agents des établissements d'accueil du jeune enfant (EAJE) et des assistantes maternelles, autour de sept thématiques prioritaires.

Je souhaite réaffirmer, pour conclure, l'importance du partenariat avec la CAF, l'ARS, la délégation régionale académique à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (DRAJES), la DEETS, la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM), l'Éducation nationale et la MMPH.

Mme Audrey Bélim, rapporteure. - La question des enfants en situation de handicap me tient particulièrement à coeur, compte tenu des nombreuses difficultés rencontrées sur mon territoire, notamment en matière d'école inclusive.

Combien d'enfants bénéficient d'un accompagnement par un AESH ? Combien de demandes sont déposées en moyenne et combien restent en attente de diagnostic, de notification ou de compensation ?

Qu'en est-il également de l'accessibilité du bâti scolaire en Martinique ? À La Réunion, les efforts sont réels, mais demeurent freinés par le coût et la pénurie des matériaux, malgré une volonté politique forte.

Concernant les AESH, pourriez-vous préciser leur nombre, les besoins à couvrir, leur charge moyenne d'accompagnement et leur temps de présence ? La question de la pause méridienne reste sensible : dans de nombreuses communes, la responsabilité repose sur des agents municipaux non formés, ce qui suscite une vive inquiétude.

Enfin, le parcours des enfants est-il, selon vous, suffisamment structuré et lisible ? Et les dispositifs de transport garantissent-ils aujourd'hui un accès satisfaisant à l'école et aux soins ?

M. Jean-Luc Rilos. - Je ne suis pas en mesure, à ce stade, de vous transmettre les données précises relatives aux AESH. Ces informations nécessitent des extractions spécifiques que nous vous ferons parvenir ultérieurement.

En matière d'évaluation du handicap, une connaissance fine des spécificités territoriales s'avère indispensable à une appréciation juste des besoins. Or, la Martinique présente plusieurs particularités géographiques et structurelles notables, parmi lesquelles la faible accessibilité de certains secteurs, notamment au sud de l'île, du fait d'un réseau de transport encore inadapté aux PSH.

L'offre médico-sociale demeure insuffisante : les capacités d'accueil sont restreintes, et le territoire fait face à une pénurie persistante de professionnels spécialisés, tels que les orthophonistes ou les ergothérapeutes. Cette carence contribue à allonger considérablement les délais de prise en charge. Certaines familles se voient ainsi contraintes de recourir à des soins en dehors du territoire, générant des surcoûts importants liés aux déplacements vers l'Hexagone, et augmentant le risque de rupture dans les parcours d'accompagnement.

Face à ces constats, la MMPH a déployé une politique de proximité volontariste. Des conventions ont été signées avec la quasi-totalité des centres communaux d'action sociale, les mairies, le régiment du service militaire adapté (RSMA), ainsi qu'avec le centre de gestion. Cette stratégie territoriale repose sur trois leviers principaux : la formation des agents partenaires, la désignation de référents identifiés, et le renforcement de l'accessibilité aux démarches administratives.

Les liens avec l'Éducation nationale sont particulièrement étroits. La deuxième vice-présidente de la CDAPH en est issue, ce qui favorise une articulation étroite entre les politiques éducatives et les actions de la MMPH. Par ailleurs, la collaboration avec le PARH Ti Bo, notamment à travers la coordination entre Mme Oustric et Marie-France Anatole, renforce la qualité du suivi des dossiers.

Concernant les délais de traitement, ceux-ci ont connu d'importantes fluctuations. Une transformation numérique ambitieuse a été engagée dès 2018 et s'est accélérée durant la crise sanitaire. La dématérialisation, fondée sur un objectif de « zéro papier », a nécessité un temps d'appropriation, mais a permis de réduire significativement les erreurs de traitement et d'assurer la continuité de l'activité via le télétravail. Le soutien de la CNSA, dans le cadre de la mission d'appui opérationnel (MAOP), s'est avéré déterminant. En 2022, le délai moyen de traitement s'établissait à 5,76 mois, contre 9,32 mois en 2020.

Cependant, la cyberattaque survenue en mai 2023 a brutalement interrompu cette dynamique. Hébergée par les serveurs de la collectivité, la MMPH a subi une panne généralisée de son système d'information : tous les accès informatiques ont été bloqués (dossiers, courriels, plateformes de téléservices, etc.), contraignant les équipes à un retour au format papier. Cette régression a profondément désorganisé les services.

En 2024, les délais de traitement excèdent de nouveau neuf mois. Un travail de fond a été entrepris afin de restaurer une gestion électronique efficiente des dossiers. La CNSA continue d'accompagner cette relance, via un avenant à la convention MAOP prolongé jusqu'au 31 août 2025. Le nouveau système d'information, désormais hébergé à la CTM, impose une réorganisation complète.

Les équipes, bien que fortement mobilisées, demeurent éprouvées par la succession des crises. La fatigue accumulée se traduit par une recrudescence des arrêts de travail, souvent prolongés. Les renforts alloués dans le cadre de la MAOP, bien que bienvenus, ne suffisent pas à compenser intégralement ces absences. Par ailleurs, la brièveté des congés maladie, conjuguée à des contraintes budgétaires, limite les possibilités de remplacement.

Malgré ces difficultés, les efforts se poursuivent. La MMPH vise un retour à des délais de traitement raisonnables, compris entre quatre et cinq mois, à l'horizon du 31 août 2025.

M. Yves Servant, directeur général de l'ARS Martinique. - Bien que nous ne puissions satisfaire l'ensemble des demandes chiffrées, je souhaiterais néanmoins vous soumettre trois éléments quantitatifs significatifs.

Premièrement, le nombre d'élèves en situation de handicap scolarisés dans les établissements scolaires de Martinique s'élevait à 2 503 en 2023, soit une progression de 6 % par rapport à l'année précédente. Ce chiffre marque toutefois un plateau, puisque l'année 2024 enregistre une légère baisse, avec un total inférieur à 2 500 élèves.

Ensuite, je tiens à souligner, comme l'a indiqué Jean-Luc Rilos, l'excellence du partenariat établi avec le rectorat. Ce travail conjoint se traduit notamment par un taux académique d'élèves sans solution de 0,1 %, très inférieur à la moyenne nationale estimée à 0,9 %. Ce chiffre atteste de l'efficacité des dispositifs en place pour assurer la scolarisation de ces élèves.

Enfin, l'académie de Martinique emploie actuellement près de 715 AESH, avec un taux de couverture des notifications de 97 %, soit un taux supérieur de sept points à la moyenne nationale.

Ces indicateurs, bien qu'ils ne répondent pas à l'ensemble des enjeux soulevés, témoignent d'une dynamique globalement positive et encouragent la poursuite des efforts engagés.

Mme Annick Petrus, président, rapporteure. - Considérez-vous le nombre de travailleurs en situation de handicap actuellement insérés dans les entreprises de Martinique comme satisfaisant au regard des besoins identifiés sur le territoire ?

M. Yves Servant. - Au regard de nos ambitions sur ce sujet, permettez-moi une réponse brève : non, nous ne sommes pas satisfaits. Si des efforts conjoints commencent à se dessiner, la Martinique reste encore largement en deçà des attentes.

L'ARS a engagé, en ce sens, la création d'un « trophée de l'entreprise aidante », destiné à valoriser les démarches exemplaires d'inclusion professionnelle. L'objectif est d'encourager les employeurs à considérer l'intégration de salariés en situation de handicap non comme une contrainte légale, mais comme une opportunité constructive pour l'entreprise.

Il faut toutefois rappeler que le tissu économique local repose principalement sur des très petites entreprises, ce qui complique d'autant plus la mise en oeuvre de l'inclusion professionnelle. Néanmoins, une prise de conscience progresse, et les acteurs du territoire s'engagent activement à renforcer l'insertion de ces publics.

En résumé, malgré certaines avancées, les résultats actuels ne sont pas à la hauteur des enjeux identifiés.

Mme Annick Petrus, présidente, rapporteure. - Permettez-moi de relayer deux interrogations formulées par le sénateur Akli Mellouli.

La première concerne la place accordée au handicap sur le territoire : comment cette question est-elle intégrée dans les politiques locales d'inclusion ? Les Jeux olympiques ont-ils permis d'amorcer ou de renforcer une dynamique positive en ce sens ?

Par ailleurs, disposez-vous de données chiffrées relatives au nombre de PSH poursuivant un parcours d'enseignement supérieur en Martinique ?

Si vous ne disposez pas immédiatement de ces éléments, nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous les transmettre ultérieurement, par voie écrite.

Mme Marie-France Anatole. - Concernant le handisport, le PARH bénéficie d'un partenariat étroit avec la DRAJES, dans le prolongement des Jeux olympiques et paralympiques. Un projet intitulé « Tous en Jeux, en nou jwé ansanm » a vu le jour à la suite du déplacement, en septembre dernier, de 120 élèves martiniquais ayant assisté aux Jeux paralympiques pendant une semaine.

À leur retour, des prolongements pédagogiques ont été organisés dans les établissements scolaires afin de partager cette expérience avec leurs camarades. Dans ce contexte, la DRAJES a proposé au PARH de coconstruire un projet visant à promouvoir l'inclusion des enfants en situation de handicap par le biais du sport et des activités physiques.

Ce projet s'inscrit pleinement dans l'esprit de la loi du 11 février 2005, qui consacre la notion de participation comme principe fondamental de l'inclusion. À ce titre, le PARH, en partenariat avec la DRAJES, développe actuellement des actions en faveur de la participation des enfants en situation de handicap aux activités sportives et de loisirs organisés dans le cadre scolaire.

Pour la mise en oeuvre de ce projet, nous mobilisons une chargée de mission - actuellement stagiaire DEJEPS - ainsi que deux volontaires en service civique. Le dispositif concernera à terme quatre à cinq communes, soit une dizaine d'établissements scolaires, avec des actions ciblées pour renforcer la participation effective des élèves en situation de handicap.

Au-delà de cette initiative, ce partenariat s'intègre dans les objectifs plus larges du PARH, notamment dans les parcours de formation et d'accompagnement, afin de rappeler que tous les enfants doivent pouvoir accéder à l'ensemble des activités de loisirs proposées, notamment au sein des ACM.

Mme Annick Petrus, présidente, rapporteure. - Plus précisément, à l'échelle du territoire martiniquais, combien d'enfants et adultes ont aujourd'hui accès à une pratique handisport ?

M. Jean-Luc Rilos. - La Ligue de handisport, créée en 1992, regroupe actuellement 14 clubs et compte environ 190 licenciés, adultes et enfants confondus. Les disciplines proposées incluent notamment le basket en fauteuil, le cécifoot, la boccia, l'escrime, le tennis de table, le cyclisme en tandem ainsi que l'athlétisme.

Mme Christelle Litan, directrice de l'offre de soins et de l'autonomie de l'ARS Martinique. - Une stratégie territorialisée, engagée en 2024 en lien étroit avec la DRAJES, s'appuie sur une coordination renforcée entre les Maisons Sport-Santé, les associations sportives locales, les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), les foyers d'accueil médicalisés (FAM), les MAS, ainsi que les centres d'accueil de jour. Des passerelles intergénérationnelles sont également encouragées. Le partenariat avec l'Éducation nationale permet d'intégrer cette logique dans le cadre scolaire, notamment dans la mise en oeuvre des 30 minutes d'activité physique quotidienne.

Si le recours aux activités physiques adaptées (APA) demeure encore partiel dans le secteur adulte, le secteur enfant bénéficie d'un développement plus affirmé. La coordination interinstitutionnelle reste toutefois indispensable pour structurer l'offre et garantir son accessibilité.

Enfin, concernant l'enseignement supérieur, aucune donnée chiffrée consolidée n'est actuellement disponible au sein de l'Agence.

M. Carl Paolin. - Il convient de souligner -- ce que l'Agence régionale de santé n'a peut-être pas mentionné par retenue -- l'initiative majeure que représente la création du CREAI Martinique. Ce centre de ressources doit nous permettre, à court terme, de disposer de données précises, indispensables à un pilotage éclairé et à une amélioration effective des dispositifs. Le déficit de données constitue aujourd'hui l'une des principales faiblesses du territoire -- et probablement pas uniquement de la Martinique.

À défaut de chiffres, permettez-moi de partager une situation concrète, qui illustre la réalité vécue par certains jeunes en situation de handicap. En 2023, nous avons été sollicités par des étudiants autistes à qui l'accès au logement universitaire avait été refusé, au motif que les structures n'étaient pas adaptées. En lien avec l'ARS, j'avais proposé d'explorer la possibilité de créer, dans le cadre de la réglementation sur l'habitat inclusif, une résidence universitaire spécifiquement adaptée. Ce projet, qui demeure en cours de réflexion, mérite toute notre attention, car, au-delà de l'accès aux études supérieures, les conditions périphériques freinent la poursuite des parcours universitaires.

Enfin, je tiens à souligner les difficultés spécifiques rencontrées par les enfants présentant un handicap psychique. Pour ces enfants, notamment ceux suivis en ITEP, l'accès à l'école reste très compliqué, voire inexistant. Nous avions pourtant expérimenté avec succès des modalités de scolarité partagée ; or, on nous oppose désormais la nécessité d'obtenir une notification MMPH ou de formaliser des conventions particulières, ce qui constitue une entrave. Pourtant, pour certains de ces enfants, franchir les portes de l'école une fois par semaine représente déjà une victoire majeure. Ce bémol ne remet pas en cause l'ensemble des avancées constatées, mais invite à porter une attention spécifique à la situation des enfants en situation de handicap psychique, souvent relégués au second plan.

Mme Annick Petrus, présidente, rapporteure. - Je vous remercie infiniment pour la qualité de vos interventions. Votre contribution représente une aide précieuse pour renforcer nos travaux. Le Sénat accorde une importance particulière à cette mission, avec la volonté affirmée de faire émerger, à terme, des propositions législatives susceptibles d'améliorer concrètement la prise en charge des PSH dans les territoires ultramarins.