Mercredi 28 mai 2025
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 10 h 30.
Audition de M. Alain Le Grix de la Salle, président d'ArcelorMittal France
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, nous accueillons M. Alain Le Grix de La Salle, président du groupe ArcelorMittal France.
L'avenir de l'industrie française est un sujet qui nous préoccupe au plus haut point ; or le secteur de l'acier est aujourd'hui en crise.
Monsieur le président, vous connaissez particulièrement bien cette entreprise, dans laquelle vous évoluez depuis de nombreuses années. Après avoir été nommé directeur général d'ArcelorMittal Distribution Solutions en 2011, puis vice-président d'ArcelorMittal chargé de la stratégie commerciale d'AM/NS India (ArcelorMittal Nippon Steel India), la joint-venture d'ArcelorMittal avec Nippon Steel en Inde, vous êtes devenu président d'ArcelorMittal France en octobre 2024.
Durant votre longue carrière, vous avez donc connu l'Arcelor « historique » et le « nouvel » Arcelor, fruit de la fusion avec Mittal Steel Company en 2006. Le groupe ArcelorMittal est aujourd'hui le leader mondial de la sidérurgie et de l'industrie minière, et le deuxième producteur d'acier au monde.
Il salarie 168 000 employés répartis dans plus de soixante pays, principalement en Inde, au Brésil et aux États-Unis. Du fait de ses activités en France, le groupe emploie près de 15 400 employés sur quarante sites de production et de transformation, dont celui de Dunkerque, l'un des plus grands sites de production d'acier en Europe occidentale, qui se caractérise par ses hauts fourneaux emblématiques.
Certains de ces sites sont aujourd'hui fragilisés : le 23 avril dernier, vous avez annoncé la suppression de 636 postes, répartis sur sept sites situés dans le nord de la France : 295 postes à Dunkerque ; 194 postes à Florange ; d'autres emplois sont menacés sur les sites de Mardyck, de Desvres, de Montataire, de Mouzon et de Basse-Indre.
Pourriez-vous nous préciser les raisons de cette décision, qui a créé un choc et suscité de nombreuses réactions, parmi lesquelles un certain nombre d'appels à la nationalisation ? Pourriez-vous exposer votre stratégie pour les mois et les années à venir ?
Le 20 mai dernier, vous avez déclaré devant une commission d'enquête de l'Assemblée nationale que ces licenciements ne concernaient pas les parties industrielles de votre activité. Pourriez-vous le confirmer ? Cette réorganisation suffira-t-elle à vous garantir une compétitivité suffisante pour assurer la viabilité des sites français ?
Pourriez-vous aussi, et peut-être surtout, revenir sur les causes de la crise et des difficultés du secteur ? Quels sont les facteurs qui affectent votre compétitivité face à vos concurrents étrangers ? Est-ce le coût de l'énergie, celui du coût du travail ou la baisse de la demande ?
Comment envisagez-vous la concurrence de l'acier chinois, dopé aux subventions publiques, et que les barrières douanières américaines risquent de faire affluer dans des proportions encore plus importantes en Europe ? Qu'attendez-vous du plan d'action pour le secteur de l'acier dévoilé par la Commission européenne en mars dernier, auquel vous avez dit faire confiance ?
Récemment, un documentaire d'Arte qualifiait la sidérurgie de « poumon de l'industrie ». Quelles seraient les conséquences d'une attrition de la production d'acier en Europe, en particulier pour les secteurs de l'automobile, de la construction ou de la défense ? Une industrie sidérurgique forte en France est en effet essentielle pour garantir notre souveraineté et notre sécurité.
Pourriez-vous faire le point sur les enjeux de décarbonation propres au secteur de l'acier, en mettant en regard les investissements requis et les bénéfices attendus ?
Le projet de décarbonation du site de Dunkerque, qui devait s'accompagner d'importantes subventions publiques, était suspendu depuis novembre dernier. Dans un communiqué du 15 mai, vous avez annoncé votre « intention d'investir dans un premier four électrique pour un montant d'environ 1,2 milliard d'euros ». Où en êtes-vous concrètement aujourd'hui ? Sur quelles technologies pariez-vous pour réussir votre décarbonation ?
Enfin, nous souhaiterions connaître votre position sur la taxe carbone aux frontières : est-ce selon vous une protection ou un handicap pour les industriels européens de l'acier ?
Monsieur le président, je vous laisse la parole pour un propos liminaire et répondre à ces premières questions.
Je rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et est diffusée en direct sur le site du Sénat.
M. Alain Le Grix de la Salle, président d'ArcelorMittal France. - Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion d'échanger avec vous sur la situation d'ArcelorMittal.
En guise d'introduction, je présenterai brièvement le groupe, puis je vous parlerai des changements structurels auxquels nous devons faire face. Je passerai enfin en revue certains des principaux défis que nous avons à relever avant de répondre à vos questions.
ArcelorMittal est un acteur industriel majeur dans notre pays. Je tiens à redire ici que la France est et reste un pays clef pour notre groupe. Comme vous l'avez dit, nous employons 15 400 salariés en France, soit 25 % de nos effectifs européens. Nous avons une quarantaine de sites de production ou de transformation répartis sur l'ensemble du territoire. C'est l'une de nos spécificités : nous sommes implantés dans la majeure partie des régions françaises.
Nous avons aussi une branche recherche et développement (R&D) : la moitié de l'activité du groupe au niveau mondial est basée en France, avec 850 chercheurs qui travaillent, pour partie, à Maizières-lès-Metz.
Les trois quarts de notre production d'acier, principalement des produits plats, sont livrés à des clients hors de France, majoritairement en Europe. Malheureusement, notre production, du fait de la réduction de la demande, est en baisse continue. Nous produisons à l'heure actuelle 30 % à 40 % de moins que nos capacités nous le permettraient, soit à peu près 6,5 à 6,8 millions de tonnes pour une capacité totale de 10 millions de tonnes.
En termes de débouchés, l'acier est partout autour de nous : on en trouve dans nos voitures, nos appareils ménagers, nos bâtiments, nos boissons, nos bateaux, notre industrie nucléaire, ainsi que dans l'industrie de l'armement. Nous livrons pratiquement tous les secteurs d'activité en France et en Europe.
En France, ArcelorMittal est un acteur important en termes d'investissement. Au cours des cinq dernières années, nous avons investi environ 1,7 milliard d'euros en France, ce chiffre ne tenant pas compte des investissements à venir en vue de notre décarbonation. Ce montant représente à peu près 350 millions d'euros de dépenses d'investissement par an, soit 25 % des investissements européens du groupe.
ArcelorMittal est un groupe mondial. Nous investissons et nous produisons au départ des marchés que nous souhaitons livrer. Aujourd'hui, nous devons faire face à des changements structurels, et pas seulement conjoncturels.
Le premier d'entre eux tient à la baisse constante et continue de la demande en Europe et en France. En 2008, la demande d'acier - tous produits confondus - s'élevait à 160 millions de tonnes ; elle n'atteint plus aujourd'hui que 120 millions de tonnes, soit une baisse de 25 %, avec de grandes différences selon les pays.
La baisse de la demande est liée aux difficultés des secteurs que nous fournissons, notamment ceux de l'automobile et de la construction. Le secteur automobile est affecté par des changements structurels, tels que la transition vers l'électricité, pour laquelle nous avons peu de visibilité. L'automobile en Europe consomme environ 13 millions de tonnes d'acier chaque année, soit 20 % de la demande de produits plats. En France, elle représente même 35 % de cette demande.
Nos grands sites industriels sont sur l'eau, à Dunkerque et Fos-sur-Mer. Aujourd'hui, nous ne pouvons plus compenser la baisse d'activité enregistrée en France et en Europe via nos exportations. Même si nous disposons de quotas d'émission de CO2, ces derniers ne permettent pas de couvrir la totalité de nos émissions de gaz carbonique. Aussi payons-nous des droits d'émission de CO2. Il est aujourd'hui devenu quasiment impossible pour nous d'exporter des marchandises du fait de la structure de nos coûts et des surcapacités mondiales. Nous payons nos émissions de CO2, alors que les autres pays ne le font pas : les règles ne sont pas homogènes.
Nous sommes producteurs d'acier en France et en Europe, parce que nous avons des clients en Europe. Notre base industrielle s'adapte depuis des années à la baisse de la demande engendrée par la désindustrialisation, mais nous sommes arrivés à un point où l'adaptation n'est plus possible. Le vrai débat qui se pose aujourd'hui est celui de la défense de nos industries, de nos clients, du tissu des PME et des PMI en France.
Adapter nos organisations à nos marchés est une nécessité : lorsqu'il n'y a plus d'autre solution, nous sommes malheureusement obligés de nous adapter. C'est le cas actuellement avec le plan de Dunkerque et de ses sept satellites. Ces décisions sont difficiles et nous mesurons l'impact qu'elles ont sur nos équipes. Ce n'est qu'en dernier ressort que nous les prenons. Ne pas nous adapter reviendrait à reporter et à amplifier le problème, tout en perdant en compétitivité, et à mettre en danger l'ensemble de nos activités. À un moment où le groupe doit décider d'investissements majeurs dans la décarbonation en France, nous ne pouvons pas laisser nos unités se dégrader en termes de résultats.
Le deuxième changement notable tient aux surcapacités mondiales de production d'acier, dans un contexte où l'Europe se protège trop peu contre les importations. Ces surcapacités représentent quatre fois les capacités de production européennes. Il s'agit d'un problème récurrent, qui perdurera, car les régions en développement telles que l'Asie du Sud-Est et l'Inde continueront d'investir massivement dans les années à venir.
L'Europe doit se protéger : il n'y a pas d'échappatoire. Je souligne que le problème est général. Nos propres clients sont dans la même situation, puisqu'ils sont exposés à des vagues d'importation de composants ou de produits finis. Nous ne jouons pas la même partie, et si l'Europe ne se protège pas efficacement en limitant les importations, ce sont des pans entiers de nos industries qui disparaîtront. Nous demandons non pas d'interdire les importations, mais de les limiter.
Face à une telle situation, nous avons demandé son soutien à la Commission européenne pour limiter les importations et rendre plus efficace le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF). Le 19 mars dernier, la Commission européenne a publié son plan d'action en faveur de l'acier, lequel montre une bonne compréhension de l'urgence de la situation. La Commission semble être prête à traiter certains problèmes structurels, qui concernent notamment les instruments de défense commerciale, les lacunes du MACF et l'absence de réglementation visant à stimuler la demande d'acier à faible empreinte carbone. Maintenant, il s'agit de transformer en urgence ce plan en actions concrètes et efficaces, en s'assurant que l'ensemble des mesures nécessaires soient bien incluses dans la future législation.
Pour terminer, je vous présenterai quelques grands défis auxquels le secteur de la sidérurgie est confronté.
Le premier d'entre eux tient au coût de l'énergie, avec deux facteurs qui mettent en danger le modèle de l'usine de réduction directe (DRP - Direct Reduction Plant) de Dunkerque, une installation produisant du fer préréduit pour alimenter nos fours électriques.
Le premier facteur est le coût du gaz naturel, qui a fortement augmenté du fait du conflit entre l'Ukraine et la Russie. Aujourd'hui, en termes de prix de revient, le coût d'une bobine d'acier produite à partir de la filière des hauts fourneaux, étant donné le montant actuel des droits d'émission de CO2 que nous payons, équivaut au coût d'une bobine produite par la filière DRP alimentée par du gaz. Aucun modèle économique ne justifie donc, à ce jour, le passage au modèle DRP.
Le second facteur est le prix de l'hydrogène : produit à partir de l'électrolyse de l'eau, il dépend à 70 % du prix de l'électricité. Le prix cible pour que l'hydrogène permette la production de minerais de fer préréduit à un coût compétitif est de 2 euros par kilo, quand ce prix est actuellement de l'ordre de 7 euros par kilo. Pour atteindre un tel prix cible, il faudrait que le prix de l'électricité atteigne 25 euros par kilowattheure. Cela vous donne une idée du chemin qu'il reste à parcourir...
En tout état de cause, le recours au DRP en Europe prendra du temps ; son essor dépendra du coût du gaz naturel et de l'électricité. Cela ne signifie pas que notre projet à Dunkerque soit arrêté : il est mis en suspens.
Le deuxième défi est celui de notre décarbonation : nous avons besoin d'un approvisionnement en électricité décarbonée et compétitive sur le long terme pour alimenter nos fours électriques, mais aussi nos sites en aval. C'est pourquoi, début 2024, nous avons signé avec EDF une lettre d'intention relative à la conclusion d'un contrat d'allocation de la production. Tout au long de l'année dernière, nous avons maintenu nos échanges, même lors du report de nos projets de décarbonation. Nous sommes actuellement en train de finaliser ce contrat et avons bon espoir de clore le sujet dans les semaines à venir.
L'Europe autorise certaines aides en faveur des industries électro-intensives : je pense aux exemptions de taxes et à la compensation du coût du CO2 dans le prix de l'électricité - c'est ce que l'on appelle la compensation carbone. Ces deux aides sont indispensables pour pouvoir rester compétitifs.
Parmi les défis que nous avons à relever figure aussi l'acceptabilité par le marché d'aciers divers ou décarbonés. Aujourd'hui, très peu de clients sont prêts à payer pour passer à ce type d'acier, dans la mesure où ils sont, tout comme nous, lancés dans une course à la compétitivité. La décarbonation doit être analysée sur l'ensemble de la chaîne de valeur, par type de marché, comme l'automobile, le bâtiment ou l'électroménager. C'est un sujet sur lequel nous devons travailler avec toutes les parties prenantes et sur lequel les législateurs européen et français devront intervenir.
Je terminerai par la décarbonation en Europe. ArcelorMittal a actuellement onze hauts-fourneaux en activité sur le continent européen. Pour remplacer un haut-fourneau, il faut un à deux fours électriques. Or, pour chaque four électrique, l'investissement est, comme vous le savez, très important. Le défi est donc immense. Le système d'aides européen est essentiel et reste l'une des composantes du plan Acier à définir. L'Europe doit se doter d'un système de funding permettant aux entreprises dites « énergo-intensives » de se décarboner.
Nous avons annoncé voilà quelques jours notre intention de lancer notre premier four électrique à Dunkerque. Nous pensons pouvoir confirmer cette annonce après l'été. C'est un premier signe positif qui confirme notre volonté d'engager notre décarbonation par étapes en France.
En guise de conclusion, je tiens à souligner que, même si les défis dont je viens de parler existent bel et bien, nous avançons. Si nous ne faisions pas partie d'un groupe mondial, nous serions dans la même situation que la plupart de nos concurrents européens. Si le groupe ne croyait pas en l'Europe ou en la France, s'il songeait à délocaliser ses opérations industrielles, il n'aurait pas lancé ou réalisé les investissements annoncés. Pour ne citer que ces exemples, nous avons investi 250 millions d'euros à Dunkerque, 50 millions d'euros à Fos-sur-Mer et avons annoncé la création d'une nouvelle unité de production d'ici à la fin de l'année sur le site de Mardyck, pour 500 millions d'euros. Au cours de ces dix dernières années, hors décarbonation, il n'y a jamais eu un tel investissement en Europe de la part d'ArcelorMittal et, j'y insiste, c'est la France que notre groupe a choisie.
M. Jean-Claude Tissot. - Dans quelle mesure l'annonce des 800 milliards d'euros d'investissement dans la défense européenne peut-elle inverser la tendance pour votre secteur ?
M. Fabien Gay. - Nous pourrions débattre du prix de l'énergie ou de notre naïveté sur la question des importations d'acier chinois et indien. Toujours est-il qu'aujourd'hui, le réel, c'est que nous sommes largement plus sous tension concernant ces dernières, même si demain, cela peut changer.
ArcelorMittal possède 17 milliards d'euros de fonds propres avec un taux d'endettement de 5 %, contre 15 % pour vos principaux concurrents. Depuis 2021, le groupe a consacré 12 milliards d'euros aux rachats d'actions et aux dividendes versés aux actionnaires, contre seulement 800 millions d'euros à la décarbonation.
Le réel, c'est que vous investissez massivement en Inde, chez le principal actionnaire, Mittal, ou au Brésil. Ainsi, tout porte à croire que les 636 emplois de matière grise délocalisés aujourd'hui seront suivis par l'ensemble de la production en 2030. Vous avez rappelé l'existence de onze hauts-fourneaux aujourd'hui, mais il y a douze ans, il y en avait vingt-deux. Dans notre diversité, nous nous souvenons tous aussi des promesses faites à Gandrange, à Florange et ailleurs.
Comment donc croire les intentions exprimées par ArcelorMittal, annoncées précipitamment en raison d'une mobilisation exceptionnelle des salariés et syndicats ? Au-delà, l'ensemble des groupes parlementaires de gauche a déposé des propositions de loi sur une possible nationalisation.
Ensuite, pour décarboner et construire des fourneaux électriques, il faut prolonger la ligne à haute tension entre la centrale de Gravelines et Dunkerque. Cinq personnes y travaillent actuellement. Ma question est simple : ces cinq emplois font-ils partie des 636 suppressions ? Si tel est le cas, cela veut dire que vous savez d'ores et déjà que vous ne décarbonerez jamais les deux hauts fourneaux à Dunkerque. Chacun appréciera alors les intentions de l'actionnaire Mittal.
Mme Amel Gacquerre. - En tant que sénatrice du Pas-de-Calais, l'annonce récente de suppression de quelque 600 postes en France m'a rappelé la fermeture brutale du site de Bridgestone, emblématique du Béthunois, en 2021. Cet événement a été un véritable coup de massue pour les salariés et un traumatisme pour notre territoire, malgré l'actuelle revitalisation du site. Il avait alors été annoncé une nécessaire baisse des coûts de production pour maintenir le site, avec la création, deux ans avant la fermeture, d'une école des métiers. Cependant, derrière le rideau, syndicats et salariés dénonçaient des investissements trop faibles et une ambiance délétère sur le site.
Aujourd'hui, je vois des similitudes avec ce que nous avons vécu. Pour nous rassurer, vous avez annoncé l'investissement dans un four. Ma première question, dans le prolongement de celle de Fabien Gay, est la suivante : comment vous croire ? Pouvez-vous confirmer cet investissement sans condition ? Il y a un an, vous aviez annoncé non pas un, mais deux fours, assortis d'une unité de réduction du minerai de fer par hydrogène. Nous sommes donc loin du grand projet de décarbonation annoncé.
Par ailleurs, l'industrie sidérurgique repose sur un tissu dense de sous-traitants. Menez-vous une évaluation des conséquences de ce plan de suppression d'emplois sur les sous-traitants et leurs salariés ?
M. Alain Le Grix de la Salle. - Sur la première question, nous livrons peu le secteur de la défense, excepté certaines unités très spécialisées comme Industeel, au Creusot. Toutefois, les investissements dans le domaine, notamment en Allemagne, sont de nature à soutenir indirectement l'activité en Europe. L'effet global sera donc bénéfique. Cependant, mis à part pour quelques produits très spécialisés, il n'y aura pas de répercussions directes pour nous.
Sur la ligne haute tension, nous sommes en train de finaliser le projet de la phase 1 de la décarbonation de Dunkerque. Ce projet comprend une partie de la ligne haute tension. Nous avons eu, il y a dix jours, une réunion sur ce sujet : même pour un seul four électrique, elle devra être prolongée. Les discussions avec les partenaires sociaux doivent commencer début juin. Je n'ai pas le détail des cinq postes auxquels vous faites référence, mais a priori, je ne vois pas pourquoi ils seraient supprimés. Les discussions avec Réseau de transport d'électricité (RTE) avancent très bien.
Je vérifierai les informations sur ce point.
M. Fabien Gay. - Nous vérifierons !
M. Alain Le Grix de la Salle. - Sur la sous-traitance, une clarification des mesures européennes doit avoir lieu par étapes dans les mois à venir. À partir de la fin de l'été, nous devrions confirmer la construction du premier four électrique. Or, quand on lance un tel projet, qui s'étale sur 4 ans, cela représente un énorme appel d'air en termes de création d'emplois de sous-traitance. Le projet lui-même ne devrait donc pas avoir un impact négatif dans les années à venir.
Cela étant, nous n'avons pas aujourd'hui la capacité financière de lancer la décarbonation et de remplacer les onze hauts fourneaux, même avec les aides, d'un seul coup. Cela se fera donc nécessairement par étapes. Dans le cas de Dunkerque, il s'agit d'un premier four. En fonction de notre visibilité, le groupe confirmera ultérieurement les phases suivantes.
Le problème des unités de réduction directe (DRI) est européen. Il concerne tous nos sites et est lié à la volatilité du coût de l'énergie, plus qu'à son prix proprement dit. Il s'agit, pour nous, de nous engager sur dix à quinze ans en ayant une visibilité sur le coût, donc la compétitivité de nos industries. Sans cela, nous ne pouvons confirmer la phase des DRP.
Cela étant, la décarbonation en Europe est soumise à une contrainte de temps : nous n'avons pas le choix. Dès 2026, le coût du CO2, couplé à la réduction des droits, sera colossal pour nous, au point qu'il représentera, en 2030, de 20 % à 25 % du prix de vente d'une bobine. Si nous n'avons pas décarboné, nous ne serons donc plus là. Ainsi, le défi est clair : nous parlons de nos industries et nous nous battons pour elles.
M. Yannick Jadot. - Je ne reviendrai pas sur le degré de confiance que nous avons dans la stratégie que vous présentez...
J'ai eu la chance de visiter les hauts fourneaux de Dunkerque, avec Édouard Martin, dans le cadre d'une mission du Parlement européen sur l'avenir de la sidérurgie européenne. Reconnaissons que nous avons probablement perdu dix ans dans l'élaboration d'une vraie stratégie européenne de sidérurgie, y compris en termes d'organisation des gouvernements européens vis-à-vis des grands acteurs privés, notamment d'ArcelorMittal.
Vous soutenez - tant mieux - une vraie politique européenne, mais vous avez joué pendant des années de la concurrence entre pays européens pour obtenir divers avantages fiscaux ou aides, ce qui allait à l'opposé du projet initial d'Arcelor de construire une sidérurgie européenne.
Nous sommes favorables à des mécanismes européens, y compris l'aide publique, pour la décarbonation. Mais l'on pourrait s'interroger sur le fait que des profits sont investis dans les rachats d'actions plutôt que dans l'investissement.
ArcelorMittal a profité des quotas gratuits et a réalisé pour des milliards d'euros de profits indus, sans avoir investi. Or vous ne pouvez demander à la fois des quotas gratuits et un MACF efficace. En effet, si des quotas gratuits existent, l'Europe ne peut imposer de quotas à l'entrée de l'acier européen sur le carbone, car c'est incompatible avec les mécanismes de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Aussi faut-il consentir à des efforts du côté européen. Nous avons donc un choix politique à faire : pour ma part, je suis pour un mécanisme d'ajustement carbone et un anti-dumping très durs.
Êtes-vous prêts à soutenir enfin le fait de payer des quotas carbone, ce qui permettra de limiter les importations d'acier ne respectant pas les politiques climatiques européennes ?
Par ailleurs, je ne comprends pas votre déclaration sur la décarbonation. Alors que 850 millions d'euros d'investissements publics sont annoncés, vous nous faites part d'une suspension, puis d'une réflexion sur un four électrique... C'est inaudible ! Vous devez choisir : soit vous vous inscrivez dans une réelle politique européenne de la sidérurgie, comprenant une imposition sur les importations, y compris celles d'ArcelorMittal, soit vous préférez investir ailleurs et réduire progressivement la production. Dans ce cas, une nationalisation temporaire ou une mise sous tutelle publique de vos sites est légitime en attendant que des opérateurs privés n'investissent en Europe.
M. Rémi Cardon. - Vos récentes annonces laissent plus de questions que de certitudes. Vous vous engagez à investir 1,2 milliard d'euros pour décarboner vos sites, notamment celui de Dunkerque, mais où sont les calendriers précis, les garanties concrètes, les engagements ? Cela ressemble davantage à un coup de communication qu'à une réelle transition écologique de votre industrie. En effet, vous développez avec SigmaRoc un projet d'usine de chaux, fortement émettrice de CO2. La contradiction est donc flagrante.
Peut-on vraiment parler de transition écologique quand on multiplie ce type de projets polluants ? Surtout, comment justifiez-vous les 636 suppressions de postes dans les Hauts-de-France, majoritairement sur le site de Dunkerque, site que vous prétendez sauver grâce à la décarbonation ? Je suis perdu, d'autant que, dans le même temps, nous entendons parler de délocalisations vers l'Inde et la Pologne. Je vous demande donc une clarification : ce projet de décarbonation est-il sincère ou n'est-il qu'un écran de fumée visant à faire accepter le plan social ?
M. Bernard Buis. - ArcelorMittal est présent en Martinique avec ArcelorMittal Construction Caraïbes, spécialisée dans les solutions architecturales et techniques pour les façades, les toitures et les plafonds. Cette implantation dans les outre-mer soulève des attentes spécifiques en matière de développement économique local. Pouvez-vous nous détailler les engagements concrets de votre groupe en matière d'investissements et de créations d'emplois locaux dans les territoires ultramarins ?
M. Alain Le Grix de la Salle. - Depuis 2012, notre groupe n'a pas vendu de quotas carbone via le système d'échanges de quotas d'émissions (ETS). Nous sommes déficitaires sur toutes ces années et payons, chaque année, des droits carbone pour produire, sachant que la situation varie selon les implantations, entre Fos, Dunkerque ou d'autres sites européens. Or plus les années passent, plus le coût du carbone et le montant de droits CO2 à payer augmentent. Aujourd'hui, notre situation est significativement négative.
Il est de bon sens, pour des questions de fair-play, d'appliquer une taxe carbone aux importations : il faut des règles homogènes entre le marché intérieur européen et les pays concernés. De fait, les quotas gratuits n'entraînent aucun profit pour ArcelorMittal. Notre stratégie est claire : nous investissons dans des marchés en croissance, comme le Brésil et l'Inde, ou à forte valeur ajoutée, comme les États-Unis, mais, pour l'Europe, notre objectif dans les années à venir est de réussir la décarbonation.
L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) a suspendu ses 850 millions d'euros d'aide publique consacrés à l'usine de réduction directe et aux fours à arc électrique (EAF, Electric Arc Furnace) de Dunkerque. Compte tenu du manque de visibilité actuel, nous avons mis sur pause nos investissements.
Le modèle économique global de notre entreprise est unique en Europe : nous sommes un groupe mondial fortement implanté sur le continent et intégrant l'ensemble du processus de production, depuis les mines jusqu'à l'offre finale. À regarder la situation des autres acteurs européens, heureusement que les sites industriels français sont adossés à un groupe mondial comme ArcelorMittal !
Je suis avec beaucoup d'intérêt les débats sur la nationalisation. Quelque 60 % des ventes de Dunkerque et de Fos-sur-Mer se font en Europe : les pays ont un carnet de commandes et les produits sont distribués sur l'ensemble des sites du continent. Qu'adviendrait-il d'un site français destiné au seul marché français ? Il n'y a plus de marché en France ! Il a été divisé par deux, passant d'une demande d'acier de 9 millions de tonnes il y a une dizaine d'années à moins de 4 millions dorénavant. Il y a une dizaine d'années également, le marché italien représentait deux fois le marché français, contre quatre fois à présent. La désindustrialisation de notre pays est un fait. La nationalisation d'un site comme Dunkerque, même avec un but de revente ultérieure, poserait question, car le site est énorme. Il est le plus grand d'Europe, mais il se trouve dans un pays dont le marché national est inexistant.
Pour en venir à la stratégie, le plan pour Dunkerque est une réponse de court terme. Il vise à préserver notre compétitivité et à réagir à la dégradation énorme de nos résultats au quatrième trimestre de l'année dernière et au premier trimestre de cette année. En 2024, les prix de vente en Europe ont chuté de 25 % du fait des importations. La demande a également été en baisse, d'où la dégradation des résultats.
Il a donc fallu mettre en place ce plan d'action qui a deux composantes : des opérations en faveur de la productivité et un projet européen de transfert de certaines fonctions support en Pologne et en Inde. Il faut distinguer le besoin de conserver de la compétitivité à court terme, d'où les 600 emplois du plan de Dunkerque, et le processus de décarbonation, qui est un objectif à moyen et long terme. Nous sommes confiants dans le fait de parvenir au terme du processus à partir du moment où l'Europe prend les mesures nécessaires. Toutefois, le plan Acier reste à décliner.
Nous sommes présents dans la zone Caraïbes au travers d'une filiale française : ArcelorMittal Construction, basée à Contrisson. Je note la question concernant les investissements et la création d'emplois et je reviendrai vers vous après avoir contacté le responsable de l'unité.
M. Daniel Fargeot. - Le 19 mars dernier, la Commission européenne a présenté son plan pour tenter de sauver une industrie européenne de l'acier et des métaux à l'agonie. Si cette feuille de route a reçu globalement un bon accueil des industriels, ces derniers insistent sur la nécessité de la traduire sans délai en actions concrètes. Ils plaident également pour travailler davantage à la réduction des coûts de l'énergie : il faut sauver l'acier européen. Des garanties quant à la concrétisation du plan d'action ont-elles été apportées ? Avez-vous connaissance d'un calendrier de déploiement des mesures d'urgence ? De quelle manière les représentants de l'industrie de l'acier sont-ils associés ?
Mme Anne-Catherine Loisier. - En tant que sénatrice de la Côte-d'Or, j'ai eu des échanges avec les salariés du site du Creusot. Ils m'ont parlé d'une stratégie qui consisterait à centraliser un certain nombre de fonctions support dans des pays où la main-d'oeuvre est à moindre coût. Il semblerait qu'il y ait déjà un dossier de consultation des entreprises (DCE) en Pologne. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette stratégie ? Comment s'articule-t-elle avec les projets que vous avez évoqués pour Dunkerque ou pour Fos-sur-Mer ? Peut-on imaginer une stratégie à moyen terme qui s'appuierait sur l'envoi des fonctions support hors de notre territoire ?
M. Philippe Grosvalet. - Sénateur de la Loire-Atlantique, je vous ai entendu évoquer les chantiers navals de Saint-Nazaire. Environ 95 % de l'acier qu'ils consomment provient de chez vous. D'ailleurs, vous ne faites presque jamais référence à Basse-Indre, qui représente pourtant un quart des licenciements annoncés et participe de la souveraineté de notre pays sur le plan industriel.
Vous disposez d'une filiale, Industeel, spécialisée dans la fabrication d'acier de forte épaisseur et qui contribue au développement de l'éolien. Pouvez-vous me donner l'état du carnet de commandes lié à l'éolien offshore, très implanté dans le département dont je suis élu ? Êtes-vous en lien avec General Electric, fabricant important qui a annoncé son départ de notre pays ?
M. Alain Le Grix de La Salle. - Nous ne disposons d'aucune garantie européenne à l'heure actuelle, même si le plan Acier traduit en six axes les attentes structurelles de l'industrie sidérurgique. Sa déclinaison, c'est-à-dire la définition des règles sur chaque sujet et sous-sujet au travers de mesures concrètes, est annoncée selon un calendrier détaillé, établi par trimestre, qui nous rassure.
La représentation auprès de la Commission européenne de l'ensemble des sidérurgistes européens se fait par l'intermédiaire de l'association Eurofer. La France a joué un rôle moteur : durant ces derniers mois, notre pays a cherché seul à mobiliser les Européens pour parler d'une même voix, sur la même ligne que la Commission européenne. Il s'agissait de prendre en considération les sujets structurels essentiels du secteur de la sidérurgie, ce qui est le cas à présent. Je tiens à remercier le gouvernement français et l'ensemble des acteurs.
Il y a quelques années, nous avons transféré une partie des fonctions support en Pologne pour un total, à l'heure actuelle, d'environ 7 000 personnes en Europe, réparties sur 240 sites géographiques différents. Ces fonctions incluent les achats, la finance, les ressources humaines, etc. Leur coût s'élève pour notre groupe à 1 milliard d'euros, contre 700 millions il y a trois ans environ. Cela nous a amenés à réfléchir à la question de la compétitivité de ces fonctions, même si le coût n'est pas le seul critère.
Un projet a été développé pour transférer une partie de ces fonctions en Inde, comme de nombreux groupes européens l'ont fait depuis des années. Nous travaillons actuellement avec les partenaires sociaux à définir quelles fonctions peuvent être délocalisées, en nous concentrant sur celles qui n'ont pas besoin de proximité avec le client. À ce titre, les fonctions transactionnelles pourront être regroupées sur un ou deux sites, permettant des économies d'échelle. Environ 50 % du plan relatif aux 600 postes de Dunkerque sont liés aux délocalisations en Europe.
Je tiens à noter que l'éolien offshore est clef pour nous, notamment pour nos usines du Creusot et nos usines de plaques espagnoles. Le secteur connaît un développement technique important, ce qui nous permet de positionner nos produits grâce à la spécialisation de nos sites : sur ce segment de marché, nous sommes un acteur de premier plan. En outre, les décisions d'investissements majeurs dans ce secteur sont soutenues par les États européens.
Je ne peux vous répondre exactement pour General Electric, je vérifierai avant de revenir vers vous.
Depuis des années, l'éolien offshore connaît la même situation que la sidérurgie : il est soumis à des importations chinoises d'ensembles et de sous-ensembles. Par exemple, les tours sont fabriquées en Chine, puis expédiées en Europe. C'est un exemple de la problématique des surcapacités qui déferlent sur notre continent, qui n'est pas protégé.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - En septembre 2023, vous avez créé au sein d'ArcelorMittal une école en collaboration avec des structures de formation. Elle fonctionne sous forme d'alternance, en adéquation avec les besoins de l'entreprise. Après deux ans, combien d'élèves sont passés par votre école ? À quel niveau de formation correspond le diplôme qu'ils ont obtenu ?
M. Daniel Gremillet. - En tant que sénateur de Lorraine, la sidérurgie et Arcelor m'évoquent beaucoup de souvenirs. Ai-je bien compris votre propos, que je résumerai ainsi : pendant que l'Europe décarbone, le monde industrialise ? Chaque État membre européen choisissant son mix énergétique, comment pouvons-nous apporter une réponse au problème du prix de l'énergie en France, afin de donner une chance à la réindustrialisation ? Pouvez-vous nous assurer que le pôle de recherche et développement de l'entreprise, situé à Maizières-lès-Metz, ne sera pas mis en danger, quelle que soit l'évolution du crédit d'impôt recherche (CIR) en France ?
M. Daniel Salmon. - L'Italie est la première productrice d'acier décarboné du G7. Elle est également une grande consommatrice. Notons que 76 % de la matière première utilisée dans ce pays provient d'acier recyclé. Comment expliquez-vous les différences avec la France ?
M. Vincent Louault. - ArcelorMittal est un peu le paysan de l'acier, étant donné que l'entreprise produit des matières premières. Vous avez au moins l'avantage de pouvoir partir ! Quelle est votre vision, si rien ne change, de votre présence en Europe : serez-vous toujours là dans quinze ans ?
Mme Annick Jacquemet. - Je suis corapporteure de la mission d'information sur l'avenir de l'industrie automobile française. En octobre 2024, Ursula von der Leyen a annoncé la création d'un marché pilote pour l'acier bas-carbone dans le cadre du récent pacte Industrie propre. À ce titre, l'industrie sidérurgique européenne a proposé d'instaurer des quotas minimums d'acier vert dans la production automobile. Ce dernier coûte plus cher à produire, ce qui inquiète les constructeurs, déjà fragilisés.
Le marché automobile représente 17 % de la consommation d'acier et se caractérise par des exigences élevées en matière de qualité et de traçabilité. Comment l'entreprise ArcelorMittal adapte-t-elle son offre sidérurgique pour répondre aux besoins croissants de cette industrie en matière de légèreté, de résistance et de décarbonation ?
M. Alain Le Grix de La Salle. - Je note votre question sur l'école. Je reviendrai vers vous avec plus de détails, madame la sénatrice, le temps d'obtenir les chiffres. Notre taux d'embauche des alternants est d'environ 60 %.
Il est difficile de savoir quel prix de l'énergie permettrait en France une réindustrialisation. Je prendrai l'exemple de l'hydrogène : les Américains et les Chinois s'apprêtent à prendre de vitesse l'Europe. Ne pouvons-nous pas, à l'échelle européenne, créer un démonstrateur en évitant de perdre du temps comme nous le faisons actuellement ? Réglons le problème économique du prix pour démontrer la faisabilité industrielle des projets liés à l'hydrogène. Actuellement, le temps passe et rien ne se fait. Tâchons donc d'agir en ce sens.
L'Italie compte un acteur industriel procédant à partir de fours électriques : Arvedi, ex-Ilva. Sa production tourne à un rythme normal. Les statistiques sur les produits plats en Italie démontrent que la production à partir de fours électriques occupe une part importante du total en raison et de la structure du marché et de cet acteur. Une fois que les fours électriques seront lancés en France, nous suivrons le même modèle à terme.
M. Daniel Salmon. - Pourquoi sommes-nous en retard ?
M. Alain Le Grix de La Salle. - Il est question de milliards d'euros à l'échelle européenne et non pas seulement de 1 milliard ou de 2 milliards. Quand l'Europe aura clarifié les règles et nous aura donné de la visibilité, le groupe ArcelorMittal en donnera également sur sa stratégie continentale, par conséquent française. De fait, les équipes de Fos-sur-Mer, comme celles de tous les pays européens, attendent une clarification de notre part en matière de plan de décarbonation. Nous espérons pouvoir procéder par étapes et commencer son déploiement d'ici à la fin de l'année.
La stratégie d'ArcelorMittal en matière automobile est mondiale - notre carnet de commandes est en grande partie tourné vers ce secteur. Le centre de Maizières-lès-Metz est essentiel, car tous les développements de produits dédiés à la filière y sont réalisés. Ceux-ci bénéficient donc à l'ensemble de nos sites de production : cette offre globale nous permet d'être un acteur global pour des clients également globaux. La recherche et développement de Maizières-lès-Metz profite donc à nos outils basés en France. Par exemple, l'offre produit proposée à partir de Florange en bénéficie au travers de son offre très haut de gamme, spécialisée dans l'automobile.
Toutefois, la recherche en France est en perte de vitesse par rapport à d'autres pays européens. Le CIR nous permet de rester compétitifs, mais le coût net d'un chercheur en France est élevé : sur une base 100 et en tenant compte des aides, il est de 76 en France, contre 56 en Espagne. En tant qu'acteurs présents dans ce pays, nous voyons la recherche et développement espagnole rattraper son retard. Conservons le leadership français ! Nos investissements en la matière sont un axe de différenciation fort par rapport à nos concurrents européens et mondiaux, notamment dans l'automobile, où nous relevons par notre recherche les défis de l'allègement ou de l'électrification.
Nous restons optimistes quant à l'avenir de l'industrie en Europe. Nous croyons encore que des phases à chaud doivent avoir lieu sur notre continent et être décarbonées. La base industrielle française ne se réduit pas à Dunkerque et à Fos-sur-Mer - je pense notamment au Creusot. Ces sites se différencient de ceux de nos concurrents par leur niveau de spécialisation.
Nous avons alerté la Commission européenne et les gouvernements pour leur démontrer que la décarbonation et les phases à chaud constituent un problème européen. Par rapport à l'an dernier, nous constatons une prise en compte de nos remarques par l'Europe et nous attendons des décisions incessamment. En fonction, ArcelorMittal aura une vision plus claire de l'avenir et développera des plans plus précis. Il n'y a pas de raison de tomber dans le catastrophisme. Nous nous battons en ce sens.
M. Franck Montaugé. - Concernant la mise en oeuvre du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, quel serait, dans le contexte actuel, le juste prix du carbone, selon vous ? Dans quelle proportion ce prix influe-t-il sur la valeur ajoutée ?
M. Alain Le Grix de La Salle. - Il est très difficile de répondre à la question d'un juste montant. Le prix de la tonne de carbone se situe aux alentours de 80 euros. Certains cabinets d'experts projettent qu'il atteindra en 2030 les 150 euros. La réalité se situera entre 100 et 150. Il faut analyser la situation site par site. Actuellement, le coût du CO2 représente de 5 % à 10 % du prix de vente.
M. Franck Montaugé. - Y a-t-il des mécanismes équivalents dans les pays vers lesquels vous exportez ?
M. Alain Le Grix de La Salle. - Non. C'est un enjeu du plan Acier.
Le sujet est essentiel, car nous avons des sites gigantesques : ne plus pouvoir exporter pose un problème de fond. Le marché mondial étant complètement dominé par les Chinois, nous demandons à la Commission que la partie de notre production qui est exportée ne soit pas soumise au marché carbone. Cette demande a été entendue par l'exécutif européen, qui a conscience qu'il faut prendre des décisions.
M. Franck Montaugé. - Sans considération des problématiques climatiques ?
M. Alain Le Grix de La Salle. - À partir du moment où vous vendez sur un marché international et que vos concurrents ne paient pas la tonne de carbone, comment pourrions-nous la payer ? À ce titre, une partie du plan Acier aura trait à la compétitivité des acteurs industriels européens en matière d'exportation.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous notons votre optimisme et le fait que la France reste un pays clef pour ArcelorMittal.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 50.