Mardi 10 juin 2025
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 16 h 00.
Projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030 - Examen du rapport pour avis
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous examinons le rapport pour avis de Mme Berthet sur le projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030. Notre commission a été saisie au fond par la commission des lois sur sept articles.
Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - Le texte que nous examinons vise à préparer les jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) qui se dérouleront en 2030 dans les Alpes françaises. Moins d'un an après la cérémonie de clôture des Jeux de Paris 2024, la perspective d'accueillir à nouveau les Jeux ravive en chacun d'entre nous le souvenir des liesses populaires qui ont marqué notre été. En dépit des Cassandre qui prédisaient un Paris défiguré, embolisé, et vilipendaient des Jeux trop dispendieux, Paris 2024 a été une formidable réussite collective, et un de ces moments de cohésion et de fierté nationales dont nous voudrions qu'ils soient plus nombreux. Je souhaite qu'il en soit de même pour les JOP Alpes 2030.
En tant qu'élue de la Savoie, je me réjouis aussi que les Alpes accueillent à nouveau, pour la quatrième fois de leur histoire, les Jeux, car je sais à quel point cet événement est un catalyseur de développement pour les territoires concernés. Les Jeux d'Albertville, en 1992, ont ainsi contribué à faire du territoire Savoie Mont-Blanc l'une des destinations phares, au niveau mondial, pour les sports d'hiver de loisir et de compétition, non seulement en donnant une visibilité mondiale à la région, mais aussi grâce aux améliorations concrètes qu'ils ont apportées aux infrastructures sportives, de transport et d'hébergement, de soins ou encore de télécommunications.
L'arrivée du TGV jusqu'à Bourg-Saint-Maurice, l'autoroute jusqu'à Albertville et la construction de deux fois deux voies entre Albertville et plusieurs villes et stations environnantes ont largement amélioré l'accessibilité de la région.
En ce qui concerne les infrastructures de sports d'hiver proprement dites, douze des treize sites des Jeux de 1992 sont toujours utilisés aujourd'hui : à Méribel, les pistes aménagées pour les épreuves de ski alpin féminin sont toujours utilisées par les skieurs, tant amateurs que professionnels - elles ont été, par exemple, utilisées pour les championnats du monde de ski en 2023 -, à Courchevel, les tremplins de saut à ski sont utilisés chaque été pour les coupes du monde de saut à ski ; Tignes, qui avait accueilli les démonstrations de ski acrobatique pendant les Jeux, est devenue depuis un haut lieu de la discipline, tandis que la piste de bobsleigh de La Plagne constitue l'une des attractions de la station.
Si les Jeux de 1992 ont dynamisé la croissance de l'industrie touristique, les territoires qui les ont accueillis ont su pleinement tirer parti de cet héritage. Depuis lors, les stations n'ont cessé de se transformer et de s'adapter. Aujourd'hui, dans le contexte de changement climatique que personne n'ignore, les JOP Alpes 2030 nous donnent l'occasion de soutenir nos territoires de montagne dans leur conversion vers une offre touristique plus durable, et d'y créer les conditions d'une plus grande diversification des activités, en améliorant à nouveau l'accessibilité et en y amplifiant l'offre de logements pérennes et d'équipements collectifs. C'est d'ailleurs l'un des axes du projet développé par le Comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques (Cojop).
C'est de ce sujet des infrastructures et des aménagements que traitent les sept articles de ce projet de loi qui ont été délégués au fond à notre commission. Pour rappel, le texte compte au total 37 articles, qui touchent à de nombreux secteurs. Il s'agit à la fois de dispositions spécifiques aux JOP, au sein des titres Ier et II, relatifs au contrat-hôte et aux règles en matière d'éthique et d'intégrité lors de l'événement, mais aussi à la santé et au travail, dans le titre IV, et à la sécurité, dans le titre V.
Les articles que nous avons à examiner figurent au sein du titre III du projet de loi. Ils aménagent certaines règles relatives à l'urbanisme et au logement, non seulement pour faciliter et accélérer la préparation et le déroulement de l'événement lui-même, mais aussi pour préparer au mieux l'héritage de ces Jeux. Pour mémoire, la liste définitive des sites hôtes ne devrait être connue qu'en septembre.
En matière d'urbanisme, trois mesures d'accélération sont proposées, qui figuraient déjà dans la loi de préparation des JOP de Paris, en 2018, à savoir une dispense d'autorisation d'urbanisme pour les installations et aménagements temporaires, à l'article 13 ; la possibilité d'utiliser la procédure de mise en compatibilité des documents d'urbanisme pour permettre la réalisation de projets liés aux JOP, à l'article 14 ; la possibilité de délivrer des permis à double état pour les constructions qui accueilleraient provisoirement des activités liées aux JOP, mais auraient ensuite vocation à être transformées en logements ou équipements pérennes, à l'article 17.
S'y ajoute, à l'article 18, une disposition ciblée permettant la prolongation d'un permis précaire délivré avant l'entrée en vigueur de la loi, qui vise à prolonger l'implantation du centre des congrès provisoire construit sur le port de Nice, lequel accueille actuellement la troisième Conférence des Nations unies sur l'océan (Unoc3).
En matière de logement, l'article 19 permet la location, pendant les Jeux, dans les départements hôtes, de logements vacants au sein des foyers de jeunes travailleurs ou du parc locatif social pour accueillir des personnes accréditées ainsi que des forces de sécurité, des bénévoles et des salariés. Des dispositions similaires figuraient déjà dans la loi du 26 mars 2018 relative à l'organisation des JOP de 2024, mais elles concernaient uniquement les logements étudiants, qui sont peu nombreux à proximité des sites des JOP de 2030.
Les deux articles restants sont plus spécifiques à la montagne.
L'article 20 crée, à titre expérimental, pour une durée de huit ans, dans les départements hôtes également, un nouveau type d'opération de rénovation combinant les effets d'une opération programmée d'amélioration de l'habitat (Opah) et d'une opération de réhabilitation de l'immobilier de loisir (Oril), afin de favoriser la rénovation énergétique des logements, y compris touristiques, tout en luttant contre le phénomène des « lits froids ».
L'article 24 étend, dans le code du tourisme, le champ des servitudes d'utilité publique relatives aux pistes de ski et remontées mécaniques à l'accès aux tremplins de saut à ski, aux pistes et aux structures de bobsleigh, et crée un régime ad hoc de création de servitude pour la préparation, l'organisation et le déroulement des JOP 2030.
Dans l'ensemble, ces dispositions n'appellent pas de modifications majeures : une partie d'entre elles a été éprouvée avec succès lors des Jeux de Paris. Elles ont déjà été ajustées à la marge, dans le texte proposé par le Gouvernement, pour tenir compte du retour d'expérience de ces derniers, par exemple en alignant sur le régime dérogatoire en matière d'autorisation d'urbanisme, aux articles 13 et 17, celui des autorisations au titre de la protection des monuments historiques. Cela doit notamment faciliter la réhabilitation du Fort des Têtes à Briançon, qui abritera l'un des villages olympiques, avant d'être reconverti en quelque 150 logements. Je précise que le ministère de la culture est en parfait accord avec cette simplification, qui est uniquement de nature procédurale et ne touche en rien aux règles de fond applicables aux monuments classés.
Je voudrais insister sur ce permis à double état, qui est un outil très important pour faire de ces Jeux un véritable outil d'aménagement des territoires hôtes, ce qui est aussi un enjeu en matière d'acceptabilité sociale. À l'occasion de ma visite de l'ancien village des athlètes avec le groupe Icade, que je remercie de son accueil à Saint-Denis, et à laquelle Jean-Michel Arnaud, le rapporteur de la commission des lois, a pu m'accompagner, j'ai constaté la grande qualité des quelque 600 logements issus de sa reconversion, sur une zone auparavant surtout peuplée d'entrepôts : c'est tout le territoire qui en tire ainsi profit, de manière pérenne. Il est déjà prévu que ce permis à double état soit utilisé pour le Fort de Briançon et pour la patinoire de Nice, qui serait reconfigurée après les JOP pour devenir une enceinte multisports ; mais des projets plus modestes, portés par des intercommunalités, pourraient aussi en profiter.
De même, l'opération « mixte » de rénovation de l'habitat et de l'immobilier de loisir, expérimentée à l'article 20 dans les départements hôtes, permettra des améliorations pérennes de la qualité du parc en montagne. Vous le savez, le parc immobilier en montagne est vieillissant, avec un taux élevé de « lits froids », occupés moins de quatre semaines par an, et une part importante de passoires énergétiques. Même si cette expérimentation ne sera vraisemblablement utilisée que par un nombre restreint de collectivités - le Gouvernement mentionne deux à cinq opérations d'ici à huit ans -, elle n'en reste pas moins une avancée, saluée par tous les élus locaux que j'ai auditionnés. En effet, dans le cadre d'une opération classique, l'Agence nationale de l'habitat (Anah) ne peut soutenir que les copropriétés dont au moins les trois quarts des lots sont occupés à titre de résidence principale : c'est inadapté aux copropriétés de montagne, majoritairement composées de résidences secondaires. Ce seuil serait donc modifié, sans pour autant changer la raison d'être de l'Anah, qui cible son action sur les résidences principales. Indépendamment des Jeux, c'était une des propositions d'assouplissement du rapport de la commission d'enquête sur la paupérisation des copropriétés immobilières dont la présidente était Amel Gacquerre et la rapporteure Marianne Margaté. J'espère que cette expérimentation ouvrira la voie, conformément à leur souhait.
Les amendements que je vous proposerai viseront principalement à mieux adapter ces dispositions au calendrier de ces JOP d'hiver, plus resserré que celui des JOP de Paris 2024, ainsi qu'aux caractéristiques et aux contraintes des territoires de montagne.
Tout d'abord, concernant les délais, durant la période d'enneigement hivernal, il est quasiment impossible de mener des travaux de construction et même de démontage sur la plupart des sites hôtes. C'est un constat qui a notamment été fait après les championnats du monde de ski alpin de 2023, où il a souvent fallu deux saisons estivales pour remettre en état les pâtures. Je vous proposerai donc, aux articles 13 et 17, d'allonger les délais d'implantation maximale et de démontage des structures, ainsi que le délai de reconversion pour les bâtiments à double état.
De manière plus anecdotique, il me semble pertinent, à l'article 19, d'avancer de quinze jours la date à partir de laquelle les logements vacants pourront être loués au Cojop, car cette mise à disposition est actuellement prévue seulement à partir de la date d'ouverture des Jeux.
Plus fondamentalement, l'ensemble des élus que j'ai interrogés s'est inquiété de l'impact de la contrainte « zéro artificialisation nette » (ZAN) sur les aménagements prévus pour les Jeux. Je précise qu'il n'est pas question d'artificialiser à tout va. Ainsi, 85 % des sites de compétition devraient soit être temporaires, soit utiliser des structures existantes. Il n'en demeure pas moins que les aménagements annexes, y compris les accès et les parkings, vont forcément consommer de l'espace. Or les communes de montagne, soumises au principe d'urbanisation « en continuité » en vertu de la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, dite loi Montagne, sont depuis longtemps contraintes à la vertu en matière d'artificialisation. De ce fait, leurs enveloppes foncières pour la décennie à venir sont très réduites, soit moins de 5 hectares pour la plupart des communes hôtes. Je vous proposerai donc une exemption du décompte de la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) pour les constructions et les aménagements liés aux JOP. Par nature, cette dérogation sera limitée dans sa durée - jusqu'en 2030 -, dans son objet - uniquement les projets directement liés aux Jeux - et dans sa géographie - une quinzaine de communes tout au plus.
Je vous proposerai aussi quelques clarifications rédactionnelles, au regard des échanges que j'ai pu avoir avec les élus des communes hôtes, qui malgré leurs noms fameux, sont souvent de toutes petites communes, dont les services juridiques sont peu étoffés, et qui auront besoin d'être accompagnées dans la mise en oeuvre de leurs projets.
Il me reste à vous faire la lecture du périmètre retenu pour juger de la recevabilité des amendements en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents. Je vous propose de considérer que sont susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé, les dispositions relatives aux modalités d'évolution des documents d'urbanisme et de planification en vue de permettre la préparation, l'organisation et le déroulement des JOP 2030 ; au régime d'autorisation et à la réglementation applicable aux constructions ou aménagements comportant un état provisoire correspondant aux nécessités de la préparation, de l'organisation et du déroulement des JOP 2030, et un état définitif ultérieur, ainsi qu'aux constructions et aménagements temporaires liés à la préparation, à l'organisation ou au déroulement des JOP 2030 ; à la prolongation, à titre dérogatoire, du délai d'enlèvement des constructions ayant fait l'objet d'un permis de construire à titre précaire, lorsque le projet contribue à la l'organisation ou au déroulement des JOP 2030 ; aux modalités de mobilisation de logements dans les départements hôtes des épreuves des JOP 2030 en vue de l'accueil de personnes accréditées ou de personnels nécessaires au bon déroulement des événements ; aux modalités de soutien à la rénovation de l'habitat et de l'immobilier de loisir dans les départements hôtes des JOP 2030 ; à l'extension du champ et aux dérogations au régime de la servitude d'utilité publique prévue par le code du tourisme pour les infrastructures de sports d'hiver afin de faciliter les aménagements et l'implantation des équipements nécessaires à la préparation, à l'organisation et au déroulement des JOP 2030.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Des engagements relatifs à la construction bois sont-ils prévus pour ces JOP 2030 ? Elle a représenté 30 % des constructions pour les JOP 2024 : c'est une belle réussite. Des objectifs similaires sont-ils envisagés ? Le bois permet des constructions hors sites, et donc des montages très rapides des structures.
Mme Sylviane Noël. - Je remercie la rapporteure pour les enrichissements proposés, très attendus par les territoires. Ces assouplissements sont bienvenus. Les territoires, comme pour les Jeux d'Albertville, attendent un héritage en matière d'accessibilité, de mobilité et de rénovation énergétique des logements.
L'exclusion de ces équipements de l'enveloppe ZAN est une très bonne chose.
M. Franck Montaugé. - Quels sont les objectifs des JOP 2030 en matière de reconversion de logements ? Les objectifs sont-ils similaires à ceux des JOP 2024 ? Quelles sont les échéances en la matière ? La question est essentielle au regard de nos exigences de développement durable.
Par rapport aux Jeux d'Albertville, certaines installations - je pense à un tremplin - sont encore en place, sans être utilisées. Est-ce bien le cas ? Ce tremplin n'a plus de raison d'être. Nous devons traiter les installations et les sites abandonnés de manière pertinente.
Plus généralement, certains économistes se penchent sur les apports de tels projets, à long terme. Quelles sont vos références en matière d'évaluation de l'héritage des Jeux ?
M. Daniel Gremillet. - Intégrons-nous déjà, dans ces futurs Jeux, l'évolution du sport hivernal dans la montagne ? Quid de l'olympisme dans le futur ?
Après la reconstruction de Notre-Dame de Paris et les JOP 2024, les Jeux de 2030 sont un bon laboratoire, grandeur nature, de la simplification : c'est la preuve que quand on veut, on peut ! Il faudrait en tirer des leçons pour raccourcir le temps administratif, et ainsi soutenir notre économie.
Mme Marie-Lise Housseau. - Comment seront réparties géographiquement les épreuves ? Toutes les Alpes, y compris du Sud, bénéficieront-elles de retombées ? Comment intégrez-vous les évolutions climatiques ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Le département des Hautes-Alpes accueillera l'un des villages olympiques, tandis que les Alpes-Maritimes accueilleront la cérémonie de clôture, le centre de presse et l'ensemble des épreuves de patinage sur glace.
Mme Marie-Lise Housseau. - Et les Alpes-de-Haute-Provence ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Elles ne sont pas concernées, car elles n'ont pas de station de haute montagne.
Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - Concernant la construction bois, rien n'est encore prévu à ce stade au sein de la loi. Lors des JOP 2024, les engagements en matière de recours au bois étaient inclus dans le cahier des charges de la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo). En ce qui concerne les JOP 2030, le travail n'a pas démarré, car nous attendons encore la liste des sites, tandis que la Solideo est en train de consolider son équipe.
Le souhait est bien d'utiliser le bois local, démarche qui fait l'objet d'un bonus dans les dotations d'équipement des territoires ruraux (DETR). Je vous rappelle l'existence des labels Bois des Alpes et Bois de Chartreuse.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Ce territoire concentre beaucoup d'entreprises de la filière bois.
Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - Samedi matin s'est tenue l'assemblée générale, pour la Savoie, de la Fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR). Le bois « bleu » des épicéas scolytés est en voie d'être extrait des forêts. En Savoie, nous avons mis l'accent sur ce bois bleu dans le cadre de notre DETR. C'est le souhait de tous les acteurs de favoriser l'utilisation du bois.
Nous ne disposons pas encore de la liste définitive des villages olympiques, mais outre ceux de Nice et de Briançon, nous savons déjà qu'il y en aura un à Saint-Jean-de-Sixt, entre La Clusaz et Le Grand-Bornand. En Savoie, ce serait à Bozel, au pied de Courchevel et Méribel, là où sera installé un ascenseur valléen décarboné.
L'héritage des Jeux de 1992 s'incarne dans des infrastructures, dans l'autoroute et la deux fois deux voies ainsi que dans un meilleur accès aux stations, qui désormais accueillent des touristes du monde entier. Pendant le covid, nous avons constaté combien le ruissellement économique s'étendait bien au-delà du pied des stations. Le Cluster Montagne draine toutes les entreprises en lien avec la montagne - constructions, experts comptables, géomètres - qui « chassent » en groupe à l'étranger pour réaliser des stations. C'est toute la montagne qui est concernée.
Je pense aussi à la fibre, aux hôpitaux, aux gares SNCF rénovées et à l'arrivée du TGV à Bourg-Saint-Maurice. Tout a été réutilisé, à l'image de la halle olympique d'Albertville, devenue une grande salle de spectacle, ou de l'Anneau olympique, devenu stade de rugby et d'athlétisme. Les stations ont entretenu les infrastructures olympiques, ce qui a encouragé la diversification des activités - je pense aux patinoires ou aux piscines. Les centres de presse ont été reconvertis en lycée ou en logements. Le tremplin de saut à ski est toujours utilisé à Courchevel, et chaque année s'y tient une compétition internationale. Les pistes de Courchevel et Méribel accueillent des compétitions internationales, à l'instar des derniers championnats du monde, particulièrement durables d'un point de vue environnemental.
Les deux régions Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur ainsi que les départements concernés attendent maintenant des transports plus vertueux. Décarboner les activités de sport d'hiver demande de décarboner l'accès et le transport. Moutiers a déjà une station à hydrogène. Un ascenseur valléen est prévu dans le cadre des Jeux de 2030, et deux autres en Savoie, l'un pour se rendre à La Plagne, l'autre à Courchevel. L'héritage des Jeux sera sans doute un héritage de décarbonation des transports. Les préfets de région y travaillent, avec la SNCF, notamment entre Lyon et Moutiers.
La rénovation énergétique des logements est aussi cruciale. Nous souhaitons une décarbonation importante en la matière.
Sur l'évolution du sport hivernal, le travail est en cours. Nous devons l'accélérer grâce à ces Jeux.
Monsieur Gremillet, je suis absolument d'accord : ces Jeux sont bien un laboratoire de simplification !
La patinoire de Nice, devenue obsolète, sera reconvertie, tandis qu'une nouvelle sera construite.
Les élus attendent plus de logements, notamment via la reconversion du Fort des Têtes.
Monsieur Montaugé, le tremplin de Grenoble, construit pour les Jeux de 1968, aurait effectivement dû être démoli... Les Jeux de 1968 ont laissé très peu d'héritage par rapport à ceux de 1992.
La Savoie est devenue très sportive depuis les Jeux de 1992. L'association Bénévoles 92 intervient maintenant sur de grands événements, ce qui nous permet d'accueillir des événements internationaux, comme les championnats d'Europe et du monde pour différents sports. Ce savoir-faire est précieux pour le département.
Tel est l'héritage social des Jeux de 1992. Ils ont sans doute constitué un déclic pour que les autorités acceptent les Jeux de Paris.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-24 vise à allonger les durées maximales d'implantation et les délais de remise en état des constructions, installations et aménagements liés aux JOP 2030 dispensés de toute formalité au titre du code de l'urbanisme, délais qui sont actuellement calqués sur ceux qui ont prévalu pour les Jeux de Paris 2024.
L'amendement précise aussi que bénéficieront de la dispense de formalité au titre du code de l'urbanisme les constructions, installations et aménagements temporaires utilisés pour reloger temporairement des habitants ou abriter temporairement des activités évincées de sites ou bâtiments sur lesquels des travaux seront réalisés en vue des JOP 2030. Le cas pourrait par exemple se présenter à Val-d'Isère. Par ailleurs, cette disposition pourrait servir dans d'autres cas.
M. Franck Montaugé. - Des personnes habitant sur les sites devront-elles être relogées ?
Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - À Val-d'Isère, le club des sports est concerné, mais pas les particuliers.
La commission propose à la commission des lois d'adopter l'amendement COM-24.
La commission propose à la commission des lois d'adopter l'article 13 ainsi modifié.
Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-12 vise à supprimer l'utilisation de la participation du public par voie électronique (PPVE) pour la procédure intégrée. Je suis défavorable à cet amendement pour deux raisons.
D'abord, cette procédure est une mesure d'accélération bienvenue. Je rappelle que les Jeux auront lieu dans moins de cinq ans. Du reste, notre commission a voté pas plus tard que la semaine dernière, lors de l'examen de la proposition de loi de simplification du droit de l'urbanisme et du logement, le recours à la PPVE pour les évolutions des documents d'urbanisme et pour certains projets de logements.
Ensuite, l'un des avantages de la procédure intégrée est de mutualiser la consultation du public sur le projet lui-même et sur les modifications à apporter au document d'urbanisme pour en permettre la réalisation. La mention de la PPVE à l'article 13 ne fait que tirer la conséquence du fait que c'est cette procédure qu'il est proposé, à l'article 12, d'utiliser pour les projets susceptibles de porter atteinte à l'environnement.
Le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (EST) a déposé un amendement de suppression de cet article 12, qui sera examiné par nos collègues de la commission des lois : c'est dans ce cadre que le débat doit avoir lieu. J'émets donc un avis défavorable.
M. Franck Montaugé. - Cette procédure a-t-elle déjà été utilisée pour les Jeux de 2024 ?
Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - Tout à fait.
M. Franck Montaugé. - Sans cette procédure électronique, serions-nous complètement hors délai ?
Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - Sans aucun doute.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-12.
La commission propose à la commission des lois d'adopter l'article 14 sans modification.
Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - Pour les mêmes raisons que je vous exposais tout à l'heure sur la durée des chantiers en montagne, l'amendement COM-25 prévoit d'allonger de trois à cinq ans les délais de reconversion des bâtiments après leur utilisation en leur état temporaire pour les JOP 2030, dans le cadre du permis à double état. Cela n'empêchera pas de procéder à la reconversion plus rapidement, si cela est possible.
En outre, l'amendement précise que l'autorité compétente en matière d'autorisations d'urbanisme peut autoriser des dérogations aux règles du plan local d'urbanisme (PLU) ou du plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) pour l'état provisoire des constructions. Cela s'est fait pour les Jeux de Paris, notamment en matière de stationnement, mais cela ne semblait pas clair pour les élus que j'ai interrogés. Il s'agit simplement d'une clarification.
M. Franck Montaugé. - Quels types de bâtiment sont concernés ?
Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - Le Fort des Têtes et la patinoire de Nice. Environ 150 logements sont prévus au Fort des Têtes.
La commission propose à la commission des lois d'adopter l'amendement COM-25.
La commission propose à la commission des lois d'adopter l'article 17 ainsi modifié.
Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-26 vise à étendre aux permis de construire précaires délivrés après l'entrée en vigueur de la loi la possibilité de prorogation ouverte par cet article pour les permis précaires délivrés avant cette dernière - comme c'est le cas du permis délivré pour le centre de congrès de Nice.
Actuellement, il n'existe pas de possibilité de proroger un permis délivré à titre précaire. Or plusieurs élus des communes d'accueil des JOP 2030 ont signalé le potentiel effet bénéfique que pourrait avoir une telle souplesse : même si, en toute hypothèse, la plupart des constructions, installations et aménagements temporaires liés aux JOP seront dispensés de toute autorisation d'urbanisme au titre de l'article 13 de la présente loi, des constructions temporaires qui n'auraient pas été identifiées initialement comme pouvant avoir un usage lors de l'événement et qui auraient fait l'objet d'un permis précaire pourraient finalement être nécessaires.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Le centre des congrès de Nice accueille actuellement l'Unoc3. Son ouverture pourrait ainsi être prolongée jusqu'aux JOP 2030.
La commission propose à la commission des lois d'adopter l'amendement COM-26.
La commission propose à la commission des lois d'adopter l'article 18 ainsi modifié.
Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - Les amendements identiques COM-27 et COM-2 rectifié bis ont pour objet de lever la contrainte ZAN sur les constructions et les aménagements liés aux JOP 2030.
Les communes de montagne sont depuis longtemps vertueuses par nécessité, en matière d'artificialisation. Selon les données de l'observatoire national de l'artificialisation des sols, les communes de Montgenèvre, La Salle-les-Alpes, Bozel, Méribel-Les Allues, Brides-les-Bains, Val-d'Isère, La Clusaz et Saint-Jean-de-Sixt disposeraient ainsi de moins de cinq hectares de foncier consommable pour l'ensemble de la décennie 2021-2031.
Par comparaison, le village olympique de Paris 2024 couvrait 54 hectares.
Même si l'ensemble des implantations pérennes ne se fera pas en artificialisation nouvelle, la réalisation de certaines infrastructures indispensables à la tenue des JOP risque de grever les enveloppes foncières des communes concernées, leur interdisant de fait tout projet de développement pour les années à venir.
M. Jean-Marc Boyer. - Il s'agit de projets d'envergure nationale. Comment l'État pourrait-il freiner de tels projets de développement ? Ils n'ont pas à être décomptés du ZAN.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - C'est ceinture et bretelles ! Rassurons les élus locaux.
M. Franck Montaugé. - Quelles sont les disponibilités d'artificialisation des communes concernées ? Disposons-nous de données précises, notamment des enveloppes restantes une fois les constructions nécessaires aux JOP réalisées ?
Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - Cela n'a pas été chiffré. Il reste peu, et le peu qui reste sera utilisé.
M. Franck Montaugé. - Les JOP sont déjà un projet magnifique : certains territoires veulent le beurre et l'argent du beurre...
La commission propose à la commission des lois d'adopter les amendements identiques COM-27 et COM-2 rectifié bis. Ils deviendraient article additionnel.
La commission propose à la commission des lois d'adopter cet article additionnel.
Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-28 vise à autoriser l'avancement de la date possible de location des logements vacants au Cojop.
Malgré une portée limitée, le dispositif prévu à l'article 19 a été bien accueilli par les élus que j'ai auditionnés. Mais encore faut-il qu'il soit opérationnel. Pour ce faire, il faut s'assurer que les logements puissent être réservés et payés par le Cojop dès leur date de vacance, avec l'accord des gestionnaires. Cela suppose de s'organiser un peu en amont des Jeux.
Or la date à laquelle la location au Cojop sera possible est fixée au 1er février dans le texte initial, soit à l'ouverture des Jeux. Je vous propose de l'avancer au 15 janvier, afin que le Cojop et les gestionnaires puissent s'organiser et que les acteurs locaux disposent de visibilité sur les capacités d'hébergement. Je rappelle que les hôteliers se sont aussi engagés à des réservations quinze jours avant l'ouverture des Jeux.
La commission propose à la commission des lois d'adopter l'amendement COM-28.
La commission propose à la commission des lois d'adopter l'article 19 ainsi modifié.
Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-29 a pour objet de procéder à plusieurs précisions rédactionnelles. Il prévoit notamment que les conventions conclues en application de cet article sont mises à la disposition du public dans les mêmes conditions que les conventions pour la mise en oeuvre des opérations programmées d'amélioration de l'habitat, les opérations de réhabilitation de l'immobilier de loisir étant quant à elles mises en oeuvre par délibération du conseil municipal ou de l'organisme délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI).
Je rappelle que si le contenu de la convention sera précisé par un décret en Conseil d'État, les objectifs ainsi que les caractéristiques des Oril et des Opah s'appliqueront bien à l'expérimentation. Notamment, les aides publiques accordées aux propriétaires de résidences secondaires pourront bien être conditionnées au respect d'engagements en termes de travaux, de mise en location ou d'occupation des locaux, comme c'est le cas actuellement pour les Oril.
La commission propose à la commission des lois d'adopter l'amendement COM-29.
La commission propose à la commission des lois d'adopter l'article 20 ainsi modifié.
Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-30 rectifié vise à étendre le champ de la servitude d'utilité publique aux rampes de neige. Outre les accès aux tremplins de saut à ski et aux structures de bobsleigh, je vous propose d'inclure les accès aux rampes de neige dans le champ de la servitude d'utilité publique prévue dans cet article, car ces infrastructures sont nécessaires aux épreuves de half-pipe, qui auront lieu à Montgenèvre.
Face aux inquiétudes des élus que j'ai auditionnés, je rappelle que les installations nécessaires à la production de neige de culture sont déjà dans le champ de la servitude d'utilité publique prévue au code du tourisme en matière d'infrastructures de sports d'hiver.
La commission propose à la commission des lois d'adopter l'amendement COM-30 rectifié.
La commission propose à la commission des lois d'adopter l'article 24 ainsi modifié.
Les avis de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :
La réunion est close à 17 h 00.
Mercredi 11 juin 2025
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition de M. Jacques Landriot, président de la Confédération générale des sociétés coopératives et participatives
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le président, mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui le président de la Confédération générale des Scop et des SCIC, Jacques Landriot, que je remercie chaleureusement pour sa présence parmi nous. Votre confédération, qui anime le réseau des sociétés coopératives et participatives (Scop), des sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC) et des coopératives d'activité et d'emploi (CAE), occupe une place singulière dans notre paysage économique. Elle représente en effet 4 200 Scop et SCIC, à l'origine de 81 000 emplois et de 7,7 milliards de chiffre d'affaires en France.
Monsieur le président, vous êtes un fin connaisseur du mouvement coopératif et de l'économie sociale et solidaire (ESS) en général. Après avoir intégré en 1975 le groupe Up, connu pour ses chèques déjeuner, vous en devenez le directeur général en 1985 et le dirigerez jusqu'en 2014. Après 23 ans de mandat, vous en restez aujourd'hui président d'honneur. Vous êtes par ailleurs président de la mutuelle des Scop et des SCIC depuis 2012, et premier vice-président du Conseil économique, social et environnemental (Cese) depuis 2019.
Monsieur le président, comme vous le savez, en octobre dernier, notre commission a eu le plaisir d'auditionner François Marciano, directeur général de Duralex. Cette verrerie emblématique venait alors d'être reprise par une majorité de salariés sous la forme d'une Scop. Depuis, l'entreprise productrice de laine Bergères de France a elle aussi rejoint le modèle Scop, à la suite d'un redressement judiciaire. Dans notre contexte économique marqué par de profondes mutations et par une conjoncture peu favorable - je rappelle que le nombre d'entreprises en défaillance a atteint 66 000 en 2024 -, le modèle coopératif interpelle : les Scop présentent un taux de pérennité à cinq ans supérieur à celui des entreprises classiques. La reprise d'entreprises en difficulté ou leur transmission sont des moments cruciaux pour la vitalité de nos territoires et la poursuite de leur développement économique. Monsieur le président, pourriez-vous revenir sur les atouts du modèle coopératif qui expliquent que des entreprises se tournent vers lui pour assurer leur pérennité ? Ces solutions de reprise en Scop vont-elles, selon vous, se multiplier ? Quels sont les leviers et les éventuels freins à leur développement ? Et quel rôle votre confédération joue-t-elle dans le cadre de ces opérations ?
Au-delà de la question spécifique de la reprise d'entreprises, le modèle coopératif démontre qu'il est possible de concilier performance économique, ancrage territorial et gouvernance partagée. Face aux aléas géopolitiques, l'ancrage territorial des structures de l'ESS est facteur de résilience : je rappelle que les plus de 212 000 établissements employeurs de l'ESS représentent 14 % de l'emploi privé en France. Comment se portent les Scop et les SCIC, dans ce contexte macroéconomique morose ? En février dernier, Benoît Hamon, président d'ESS France, avait interpellé la ministre déléguée à l'ESS sur la situation préoccupante des entreprises de l'ESS, demandant la création d'une cellule de veille et de soutien.
Enfin, je souhaitais vous interroger sur les éventuelles perspectives d'évolution du cadre législatif de l'économie sociale et solidaire. Plus de 10 ans après la loi relative à l'économie sociale et solidaire, le Conseil supérieur de l'ESS note une satisfaction globale des acteurs de l'ESS et une progression de sa notoriété. En revanche, il estime que les objectifs de développement du modèle n'ont pas été atteints, « faute de politiques publiques volontaristes et de moyens à la hauteur d'une telle ambition ». De votre côté, quel bilan faites-vous de l'application de cette loi pour le secteur coopératif ? Les nouveaux statuts tels que celui des Scop d'amorçage, qui permet à des salariés de reprendre leur entreprise sous forme de Scop sans disposer d'emblée d'une majorité au capital, ont-ils rencontré leur public ?
Vous joignez-vous à l'appel d'ESS France pour l'élaboration d'une loi de programmation pour définir une stratégie de développement et une trajectoire de financement de l'économie sociale et solidaire ? Si oui, quels grands axes estimez-vous prioritaires ? De manière générale, quels dispositifs d'accompagnement mériteraient d'être renforcés ou réformés pour faciliter le développement du modèle coopératif ?
Voici, monsieur le président, les sujets que je souhaitais vous soumettre. Les membres de la commission ne manqueront pas de les compléter, à la suite de votre intervention liminaire. Je donnerai notamment la parole à Jean-Jacques Michau, président du groupe d'études « Économie sociale et solidaire » rattaché à notre commission et peut-être Philippe Grosvalet, qui m'avait suggéré de vous entendre, ce dont je le remercie, voudra-t-il aussi intervenir.
Avant de vous céder la parole pour un propos liminaire et répondre à ces premières questions, je rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et est diffusée en direct sur le site du Sénat.
M. Jacques Landriot, président de la confédération générale des Scop. - Merci de nous recevoir. Nous méritons d'être mieux connus, car nous correspondons bien à ce qui évolue dans l'économie française. Je peux vous affirmer que notre mouvement, qui existe depuis 140 ans, se porte très bien. Nous avons même dépassé les chiffres que vous avez mentionnés.
Nous avons connu un fort développement depuis 2017. Nous sommes passés de 52 000 emplois coopératifs à cette époque à près de 90 000 aujourd'hui. Nous espérons atteindre 100 000 emplois en 2026, date de notre prochain congrès. Nous comptons aujourd'hui environ 4 600 structures - deux tiers de Scop et un tiers de SCIC, qui sont en développement significatif, en partenariat avec les collectivités locales. Le chiffre d'affaires des Scop et des SCIC est passé de 5,2 milliards d'euros en 2017 à 10,2 milliards aujourd'hui, et devrait atteindre 11 milliards début 2026.
Notre mouvement rassemble principalement des PME, avec une moyenne d'environ 20 salariés par structure, mais nous avons également de grandes entreprises. Celle que j'ai dirigée comptait 4 000 personnes dans 25 pays, dont 1 200 en France. Nous avons aussi l'Acome dans la filière du câble et le groupe UTB, une importante entreprise du bâtiment en Île-de-France qui a participé à la rénovation du Grand Palais, de Notre-Dame de Paris et réalise actuellement un chantier à l'Assemblée nationale.
Notre force réside dans notre ancrage territorial. Nous disposons de salariés permanents et délégués dans 12 grandes régions pour accompagner la création, la transmission et la reprise d'entreprises. Au total, environ 250 permanents travaillent sur tout le territoire, avec seulement 35 personnes au niveau national pour les services juridiques et financiers.
Le taux de pérennité à cinq ans d'une Scop ou d'une SCIC atteint 79 % contre 61 % pour les entreprises classiques selon l'Insee. Cette différence s'explique par notre modèle où les salariés sont associés et possèdent l'entreprise. Quand vous êtes élu président, vous êtes forcément élu administrateur par l'ensemble de l'assemblée générale.
Notre modèle coopératif conjugue gouvernance démocratique et rentabilité économique. Nous sommes des entreprises à but lucratif - contrairement à ce que certains pensent, notamment au Medef. Notre spécificité réside dans le principe « une personne, une voix », en assemblée générale comme dans notre répartition des résultats : environ 35 % sont mis en réserve obligatoire et 45 % distribués aux salariés sous forme de participation. Ces réserves sont essentielles à notre pérennité, car elles solidifient financièrement l'entreprise.
Nos écarts salariaux sont plus restreints qu'ailleurs. Si je prends l'exemple du groupe Up, qui n'est pas une petite entreprise, le ratio est de l'ordre de 1 à 12 entre le plus bas et le plus haut salaire. En effet, il n'est pas possible de mettre tout le monde au même niveau ; il est nécessaire de recruter à l'extérieur. Mais nous essayons de compresser au maximum les écarts de salaires. Les salaires d'entrée sont environ 40 à 50 % au-dessus du SMIC ; ce sont plutôt les salaires les plus élevés qui sont plus bas que dans d'autres entreprises. Cette politique salariale évolue avec la croissance : toujours en prenant l'exemple du groupe Up, nous étions 35 lorsque j'y suis entré, tandis que quand j'ai pris la présidence, nous étions environ 200. On ne paie évidemment pas les salariés de la même manière lorsqu'on débute, à 35, que lorsqu'on est 200. Pour revenir aux transmissions d'entreprises, un chef d'entreprise - appelé le cédant - est alors face à des acheteurs potentiels : parmi eux, se trouvent les salariés que nous accompagnons. Le dispositif des Scop d'amorçage que vous avez cité est intéressant, mais difficile à mettre en place : le cédant est moins intéressé par un paiement étalé sur sept ans.
Nous accompagnons beaucoup de transmissions saines d'entreprises ; nous en réalisons une centaine par an. Nous y reviendrons mais nous rencontrons des difficultés pour les entreprises valorisées au-delà de 5 à 7 millions d'euros. Il est délicat de passer le cap des 10 millions d'euros, faute de financements.
Notre force réside dans nos outils financiers propres : Socoden pour les prêts, Scopinvest pour les financements participatifs et Sofiscop pour la garantie. Ensemble, ils représentent 113 millions d'euros au sein de nos coopératives. C'est considérable : cela nous permet d'accompagner les coopératives en difficulté. En outre, nos permanents sont présents pour accompagner et former nos dirigeants et nos sociétaires.
Actuellement, nous recevons de nombreuses demandes de reprise industrielle, comme Bergère de France. Notre principal obstacle est administratif : les coopératives se voient parfois empêcher l'accès à certains dispositifs d'aide. À titre d'exemple, avec Bpifrance ou dans certains autres cas, comme avec l'Unedic, nous avons rencontré des incompréhensions qui peuvent avoir des conséquences graves. Je citerai par exemple Sytec, dans le Grand Est, où 70 salariés se sont retrouvés au chômage faute d'avoir pu cumuler deux aides.
L'ancrage territorial est une de nos valeurs fondamentales. Contrairement aux grands groupes qui centralisent, une entreprise reprise en Scop reste implantée localement, préservant ainsi l'emploi dans les territoires.
Nous réalisons des transformations d'entreprises en difficulté avec un taux de pérennité de 76 % à 5 ans, ce qui représente une bonne performance. Pour les transmissions, nous atteignons 90 %. Nous effectuons également de la création ex nihilo, travaillons avec les coopératives et transformons des associations en SCIC ou en Scop, notamment quand celles-ci rencontrent des problèmes de gouvernance.
Nos domaines d'activité principaux sont l'industrie, la construction et les services, ces derniers étant majoritaires, même si historiquement les Scop étaient plus présentes dans le bâtiment et l'industrie. Nos entreprises, de taille moyenne, sont extrêmement solides avec d'importantes réserves. Malheureusement, environ 30 000 emplois sont perdus chaque année par des transmissions qui ne se font pas. Nous travaillons actuellement avec l'Assemblée nationale et avec vous pour créer un fonds dédié aux reprises et transmissions d'environ 20 millions d'euros. Auparavant, pour 1 euro investi, nous générions 7 euros ; aujourd'hui nous en générons seulement 3, notamment parce que France Active a beaucoup moins de moyens.
M. Jean-Jacques Michau. - Monsieur le président, je souhaiterais vous interroger sur deux sujets. Premièrement, la stratégie nationale relative à l'économie sociale et solidaire est en cours d'élaboration avec une publication prévue en novembre. Elle définira le développement de l'ESS jusqu'en 2037. Cette visibilité stratégique a cruellement manqué depuis la loi de 2014, avec un déficit de financement, d'indicateurs de suivi et d'information du Parlement. Je rappelle qu'il n'existe toujours pas d'orange budgétaire dédiée à l'ESS malgré le vote du Parlement. Avez-vous été consulté en tant que Confédération générale des Scop et SCIC, et qu'attendez-vous de cette stratégie nationale ?
Deuxièmement, concernant les Sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC), leur modèle unique de multi-sociétariat permet d'associer diverses parties prenantes : salariés, bénéficiaires, fournisseurs, clients, collectivités locales et associations. Ce modèle innovant correspond aux intérêts de chaque partie avec un ancrage territorial fort, comme le club de football de Bastia. Un rapport d'inspection de 2021 estimait toutefois que ce modèle était encore mal appréhendé juridiquement, notamment pour le soutien financier des collectivités. Pouvez-vous clarifier le rôle des collectivités dans les SCIC ? Comment s'organise la gouvernance avec une participation limitée à 50 % du capital ? Le flou juridique a-t-il été levé par la loi dite « 3DS » de 2022 ? Enfin, 20 ans après leur création, comment évaluez-vous la croissance de ce modèle qui reste méconnu avec seulement 1 400 structures en France ? Quels seraient les principaux leviers à mobiliser pour favoriser leur développement ?
M. Philippe Grosvalet. -En proposant cette audition à notre présidente, je souhaitais que nous avancions ensemble sur cette question des Scop pour lever de vieux obstacles idéologiques qui persistent. D'un côté, à gauche, une confusion s'opère souvent entre entrepreneuriat, capitalisme et finance en caricaturant parfois l'entreprise. De l'autre côté, à droite, l'économie sociale et solidaire (ESS) peut être associée à un ensemble utopique, créant une confusion.
Je voulais mettre spécifiquement l'accent sur les Scop. Dans ma circonscription, la Scop Idea réalise 230 millions d'euros de chiffre d'affaires avec 2 400 collaborateurs sur 80 sites. Son ancien président était d'ailleurs à la fois patron du Medef et de la Chambre de commerce et d'industrie, illustrant les complémentarités possibles.
La France a besoin de diversité dans ses modèles économiques. Confiner les Scop à la reprise d'entreprises industrielles en difficulté est réducteur et ne reflète pas leur potentiel. Je souhaite faire évoluer la perception nationale, notamment concernant les aides auxquelles vous n'avez souvent pas accès, car votre modèle ne correspond pas aux critères requis.
Prenons l'exemple d'Idea, avec ses branches transport et logistique. En 2008, quand toutes les entreprises de transport étaient en difficulté, Idea a résisté grâce à ses fonds de réserve constitués pendant des décennies par des choix de redistribution de la valeur ajoutée entre capital, réserves et investissement. Cette logique vertueuse leur a permis de faire face aux crises.
Le modèle juridique et de gestion des Scop est vertueux, mais très diversifié. Comment pourrions-nous avancer ensemble, en dépassant nos préjugés, pour faire évoluer la législation en faveur d'une reconnaissance des Scop qui soit utile à la Nation ?
M. Jacques Landriot. - Je vais laisser Mme Bellaredj, notre déléguée générale, répondre à la première question de Monsieur Michau. Elle est très impliquée dans l'économie sociale, siégeant au bureau de l'Udes, au bureau d'ESS France, et elle va reprendre la présidence du Laboratoire de l'ESS.
Mme Fatima Bellaredj, déléguée générale de la Confédération générale des Scop. -Je représente effectivement notre mouvement dans les structures de l'ESS, veillant à ce que les enjeux de reprise et transmission d'entreprises figurent dans la stratégie nationale. Nous avons contribué à l'évaluation de la loi du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire, aboutissant à un excellent rapport du conseil supérieur de l'ESS en 2023, rédigé par Frédéric Tiberghien, ancien conseiller d'État. La loi de 2014 a structuré l'économie sociale et solidaire en permettant de comprendre sa diversité, mais sa principale limite est l'absence de moyens suffisants. Nous proposons une loi de programmation pour y remédier.
Nous comptons actuellement 350 créations de Scop et de SCIC par an, dont la moitié sont des reprises par les salariés. Avec des outils adaptés, notre potentiel serait considérablement supérieur. La loi de 2014 a permis la création du fonds « Impact coopératif » pour nos grandes entreprises nécessitant des financements supérieurs à 1 million d'euros. Elles ne représentent pas l'essentiel de nos Scop et SCIC mais nous comptons cinq structures de plus de 1 000 salariés. Pour celles-ci, nous avons des difficultés à accompagner leur développement, y compris à l'étranger. Par comparaison, nos outils actuels interviennent principalement sur des tickets moyens de 50 000 euros, bien que certains atteignent 500 000 euros.
Le problème fondamental est que nos outils se substituent aux politiques publiques. Les 113 millions d'euros d'encours mentionnés par M. Landriot proviennent uniquement de nos fonds alimentés par les entreprises cotisantes. L'effet de levier, autrefois de 1 à 8 euros avant la crise Covid, est désormais de 1 à 4 euros pour une transmission saine et 1 à 3 pour une reprise en difficulté.
Le cas de Duralex illustre parfaitement cette problématique. Sur les 15 millions nécessaires à sa reprise, nous avons mobilisé 10 millions. Sans l'intervention des collectivités territoriales, 226 emplois auraient été supprimés. Nous continuons à nous mobiliser pour obtenir les 5 millions manquants.
Ces éléments figureront dans nos contributions à la stratégie nationale de l'ESS, mais ne constitueront qu'une partie de la solution. C'est un sujet central sur lequel nous partageons tous la même vision.
M. Jacques Landriot. - Le groupe Idea est une entreprise remarquable qui gère la logistique pour Airbus à Nantes, employant environ 250 salariés. Leur système est entièrement automatisé avec des technologies très avancées.
La reprise d'entreprises souffrait historiquement d'une mauvaise image, avec des exemples comme Manufrance parfois encore cité. Aujourd'hui, nous réalisons de très belles reprises, même si certains échecs surviennent. Le cas de Scopelec illustre le risque d'une dépendance excessive - 70 % de son activité dépendait d'Orange -, créant une vulnérabilité majeure.
Nous bénéficions désormais d'une bien meilleure reconnaissance. Nos Scop reçoivent de nombreuses candidatures, particulièrement de jeunes attirés par la transparence inhérente à nos coopératives. En assemblée générale, nous partageons obligatoirement l'information avec nos sociétaires, créant un environnement où chacun comprend sa contribution et la direction collective de l'entreprise.
L'économie sociale a un rôle essentiel à jouer, mais notre visibilité reste limitée face aux grandes banques mutualistes et aux nombreuses associations du secteur. Un fonds dédié aux transmissions salariales et aux reprises constituerait un outil précieux. Nous développons actuellement de nombreuses SCIC, notamment dans la transition écologique avec l'appui des collectivités locales, comme pour Biocoop par exemple.
Les SCIC sont multi-sociétaires, contrairement aux Scop où les salariés sont les principaux sociétaires. La loi de 2014 a également introduit une avancée importante avec les groupes coopératifs, permettant à une coopérative de détenir plus de 50 % d'une autre coopérative. Cela facilite la création de groupes plus importants et la reprise d'entreprises. À titre d'exemple, UTB développe actuellement un groupe coopératif en rachetant des petites entreprises de 50 à 60 personnes à travers la France. Ils ont établi des règles précises d'intervention majoritaire uniquement dans certains cas spécifiques comme les augmentations de capital, laissant sinon les salariés gérer leur Scop comme ils l'entendent. Ce modèle de développement nous permettrait d'accroître notre présence dans les régions.
Mme Fatima Bellaredj. - Pour compléter ma réponse à M. Michau, nous avons réalisé un excellent travail sur la loi « 3DS » de 2022, notamment concernant les SCIC et les CAE qui permettent à des entrepreneurs individuels d'exercer leur profession avec un statut d'entrepreneur salarié, offrant une meilleure protection sociale. Les SCIC, créées il y a près de 25 ans, visent à établir un statut plus souple que les établissements publics locaux. Leur force réside dans leur multi-sociétariat : aujourd'hui, une SCIC sur deux intègre une collectivité territoriale, répondant à un enjeu d'ancrage territorial. Prenons l'exemple des abattoirs : beaucoup sont sous forme de SCIC, car cela permet d'intégrer collectivités et agriculteurs tout en structurant la filière du producteur au consommateur. La loi « 3DS » a supprimé plusieurs obstacles au développement des SCIC, notamment pour l'investissement des intercommunalités, suite à nos recommandations reprises dans le rapport Igas-IGF que vous avez mentionné. Un point reste à résoudre concernant le statut du dirigeant de SCIC, qui ne bénéficie pas de la même protection sociale que dans les Scop. Dans nos coopératives, l'écart moyen de rémunération est de 1 à 3,5. Nous prévoyons de doubler le nombre de SCIC à très court terme, bien que le statut actuel du dirigeant reste un frein important.
Mme Anne Chain-Larché. - Je souhaiterais revenir sur un évènement tragique qui a marqué mon territoire, le nord-est de la Seine-et-Marne. L'entreprise Arjowiggins, qui fabriquait du papier fiduciaire et du papier pour les documents d'identité, a été liquidée en 2019. L'activité était en perte de vitesse, du fait de la plastification de ces documents et de l'arrivée du numérique, renforçant les systèmes de sécurité. L'entreprise comptait - et c'est important dans un territoire marqué par une faible densité démographique - environ 250 emplois dans le secteur géographique. Cela représentait un véritable poumon économique ainsi qu'un patrimoine papetier profondément ancré dans le territoire.
Madame Bellaredj, vous avez évoqué en particulier le rôle des collectivités qui sont parfois déterminantes pour la reprise des entreprises. Or, nous n'étions pas nécessairement compétents : il est incroyable qu'un département ne soit pas en mesure de parler à ses chefs d'entreprise, car il ne dispose pas de la compétence économique. À l'époque, en tant que présidente de la communauté de communes, nous avons dû lutter pour construire des équipements. Nous avons notamment construit un pont pour desservir l'entreprise et faire en sorte que l'activité puisse continuer.
Nous avons vu différents repreneurs passer. Ils étaient, à mon sens, des fossoyeurs, touchant de la part de Bpifrance des sommes considérables, allant jusqu'à 250 millions d'euros. Ces sommes ont été versées sans contrepartie ; ces repreneurs sont partis avec l'argent sans l'investir pour l'entreprise. Les salariés souhaitaient faire évoluer leur savoir-faire papetier et étaient véritablement enthousiastes vis-à-vis du projet de Scop. La communauté de communes, le département, et la région étaient au rendez-vous, contrairement à l'État. Je vous rejoins donc dans votre demande d'un fonds dédié. J'aurais aimé connaître l'existence de votre confédération avant cet épisode tragique. Si vous avez souvenir de ce drame, pourriez-vous revenir dessus ?
Mme Marie-Lise Housseau. - Je souhaite revenir sur le cas de Scopelec que vous avez évoqué précédemment. Cette entreprise était implantée sur notre territoire, avec son siège dans ma commune. C'était la plus grande Scop de France, sous-traitante d'Orange. Lorsqu'Orange a rompu ses contrats, l'État n'a pas vraiment agi pour la soutenir, et Scopelec a disparu. Avez-vous analysé les causes de cette faillite et les limites du modèle ? Y a-t-il eu des défaillances dans la gouvernance, considérant que chaque salarié dispose d'une voix ? La gestion des réserves a-t-elle été adéquate ? J'aimerais savoir quels enseignements vous en avez tirés et comment vous alertez les entreprises que vous accompagnez vers le statut Scop sur ces risques potentiels.
Mme Antoinette Guhl. - Les Scop sont de vraies entreprises modernes et bien organisées, contrairement à certaines idées reçues. J'ai récemment visité Bergère de France et La Meusienne, une entreprise qui fabrique des tubes d'acier. Ce sont des entreprises avec des dirigeants compétents et déterminés qui font avancer leur activité. En tant que membre de la commission des affaires économiques, je soutiens ce modèle entrepreneurial qui donne sens à l'entreprise comme aventure collective.
Je porte depuis deux ans l'idée d'un fonds dédié aux Scop. Malgré un consensus lors de nos échanges, nos voix restent insuffisantes dans l'hémicycle. Le problème est que les outils financiers actuels correspondent au modèle capitaliste et non au mode coopératif. Nous nous fondons sur des critères capitalistes, qui ne peuvent correspondre aux caractéristiques d'une coopérative. Je pose donc la question suivante : pourquoi les outils traditionnels ne sont-ils pas adaptés aux Scop ? L'État est souvent absent quand il s'agit de soutenir les projets coopératifs, ce qui fait échouer certaines reprises et laisse des salariés en difficulté.
M. Jacques Landriot. - Madame Chain-Larché, prenez le cas de Vencorex qui se transformait en Scop : à un mois de l'échéance, il nous a été demandé une étude impossible à réaliser dans ce délai. Nous avions un plan de reprise pour plus de 200 salariés. Aujourd'hui, le repreneur chinois a pris seulement 50 collaborateurs.
Concernant Scopelec, cela concernait 3 000 salariés. Il leur a manqué des fonds propres dès le départ, et dépendre à 80 % d'Orange était risqué. Nous avons rencontré la directrice générale d'Orange, mais l'État n'a pas joué son rôle. Il aurait suffi que l'État demande à Orange de maintenir au moins 50 % du marché pour sauver Scopelec.
Le Fonds de développement économique et social accorde des dizaines de millions d'euros à certaines entreprises, tandis que Duralex n'a reçu que 750 000 euros. Ce moindre investissement s'explique par une durabilité jugée a priori plus fragile alors même que notre taux de pérennité est plus important que les autres entreprises. Cette image négative des Scop persiste. Même 5 millions nous auraient suffi.
M. Alain Chatillon. - Il y a deux problèmes majeurs dans le cas de Scopelec. D'une part, Orange n'a pas joué le jeu. D'autre part, le changement de dirigeant a été très préjudiciable. L'ancien dirigeant était un très bon gestionnaire, tandis que le nouveau a exercé un management nettement plus centralisé, ce qui a été dommageable pour cette très belle entreprise.
M. Jacques Landriot. -Les transmissions d'entreprises sont toujours difficiles, même dans nos Scop. Il faut savoir les réaliser correctement.
Mme Fatima Bellaredj. - Je remercie Madame Guhl de s'être déplacée pour visiter une Scop. J'invite chacun d'entre vous à visiter une Scop sur vos territoires pour faire tomber certaines idées reçues. Ce sujet est transpartisan, ni de gauche ni de droite. Nos 4 500 coopératives reflètent une diversité d'engagement. La Meusienne a connu trois rachats. Le dernier a été effectué par le fonds Mutares, qui depuis 2012 a racheté 25 entreprises, dont une partie avec des aides publiques. Sur les 25 entreprises qui ont été rachetées, 10 n'existent plus aujourd'hui. Dans le Grand Est, nous avons développé un écosystème exemplaire avec tous les acteurs du territoire. Depuis 2012, 40 reprises, essentiellement industrielles, y ont été réalisées. Certes, 4 défaillances ont été constatées, mais cela fait partie de la vie économique.
La différence fondamentale est que nous gardons l'essentiel de la valeur créée dans l'entreprise ; prenons l'exemple de Duralex, où François Marciano s'est lancé dans un projet de reprise en Scop après cinq redressements judiciaires en 15 ans. À l'inverse, quand 8 millions sont demandés en frais de gestion sur un chiffre d'affaires de 30 millions, il existe clairement un problème.
Nous n'accompagnons pas tous les projets, nous évaluons d'abord si nous pensons pouvoir réussir. Notre modèle consiste à accompagner les salariés à devenir dirigeants et associés responsables.
Mme Anne Chain-Larché. - L'un des obstacles majeurs reste la temporalité : pendant que des projets attendent, les opportunités se perdent.
M. Henri Cabanel. - Je reste convaincu que le modèle coopératif est vertueux malgré les aléas qu'il subit comme d'autres modèles. Ayant été président d'une cave coopérative, je souhaite vous interroger sur les difficultés que peut rencontrer le président d'une Scop. Tout dépend de son énergie, de sa vision stratégique, mais surtout de sa capacité à communiquer avec les associés. Avec le principe d'une voix par salarié, et la présidence remise en question chaque année, comment assurez-vous une bonne communication pour que tous les associés aient le même niveau d'information et comprennent la stratégie à moyen et long terme des Scop ?
M. Bernard Buis. - Nous parlons souvent du désengagement dans le monde du travail, notamment chez les jeunes. Pensez-vous que le modèle coopératif, qui repose sur la participation des salariés aux décisions, répond à cette quête de sens au travail ? Observez-vous un regain d'intérêt pour les Scop et SCIC chez les nouvelles générations ? De quelle manière serait-il envisageable d'amplifier cette dynamique ? Par ailleurs, comment ce modèle peut-il s'adapter aux territoires d'outre-mer dont le tissu économique présente des fragilités structurelles ?
M. Patrick Chaize. - Il m'a manqué dans votre présentation des informations sur les avantages des Scop, notamment en termes fiscaux et en termes d'accès à la commande publique. Ces avantages sont-ils des signes d'efficacité dont pourraient s'inspirer d'autres entreprises ? Une généralisation de ces avantages améliorerait-elle la santé des autres entreprises ? Je me demande si, pour les reprises d'entreprises, ces avantages ne devraient pas être limités dans le temps afin de ne pas créer de déséquilibre sur les marchés. Concernant Scopelec, sujet que je connais bien, des raisons de qualité de service ont également conduit Orange à s'en séparer.
M. Jacques Landriot. - Pour la communication avec les associés, il est essentiel d'avoir une équipe de direction et un leader. Dans certains cas, nous n'avons pas réussi, faute de leader capable d'entraîner l'ensemble. Je connaissais tous nos associés, et la confiance est absolument indispensable. Le conseil d'administration est là pour superviser, mais il faut maintenir ce lien et pouvoir expliquer nos décisions. Aujourd'hui, nous comptons énormément de jeunes qui veulent rejoindre nos coopératives pour ne pas être un simple numéro et participer pleinement. Quand j'ai décidé d'aller à l'international, mon projet a été accepté à une voix près, car les associés avaient du mal à comprendre cette orientation. Pourtant, c'est l'international qui nous porte aujourd'hui, avec la France. Concernant les outre-mer, nous avons créé une délégation spécifique. Nous sommes bien implantés à La Réunion avec une soixantaine de coopératives. En accord avec le ministère des outre-mer, nous nous implantons en Guadeloupe et souhaitons étendre cette présence à tous les territoires ultramarins. Cette initiative, lancée depuis quatre ou cinq ans, commence à porter ses fruits.
Nous n'avons pas beaucoup d'avantages fiscaux. La seule chose significative est que nous ne payons que la moitié de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) pour nos stocks. Nous disposons également de la provision pour investissement (PPI), mais avec l'obligation d'investir dans les cinq ans, sous peine de payer l'impôt.
Nous n'avons pas d'accès privilégié aux marchés publics. L'accès favorisé de certaines coopératives aux marchés publics a été supprimé pour non-conformité aux normes européennes. La CVAE réduite est justifiée par le caractère impartageable de nos réserves.
Mme Fatima Bellaredj. - En ce qui concerne l'IS, les Scop bénéficient effectivement d'une défiscalisation sur la PPI. La défiscalisation est accordée si vous réinvestissez dans l'entreprise, avec un délai de cinq ans. C'est la contrepartie d'un fonctionnement exigeant. Il y a six ans, cette provision a failli être supprimée, considérée comme une niche fiscale, mais elle a été maintenue grâce à la démonstration de son intérêt. Dans une Scop, vous avez l'obligation de mettre au minimum 15 % dans l'entreprise. Vous avez également une obligation minimale de redistribution de la valeur via la participation, et vos dividendes sont plafonnés. Cette structure garantit notre solidité.
Notre principal problème est le déficit d'accès aux aides destinées aux entreprises classiques. À titre d'exemple, nous n'avons pas accès au dispositif de « Prêt transmission » de Bpifrance parce qu'il est considéré qu'une transmission à des salariés crée une nouvelle entreprise - or l'octroi d'un tel prêt est conditionné à trois ans d'existence. C'est un verrou que nous tentons de lever depuis six ans. Avec le soutien de la ministre chargée de l'ESS, nous espérons avancer.
Dans une transmission, les salariés prennent beaucoup de risques sans garanties, contrairement aux investisseurs professionnels. En outre, les prêts d'honneur sont limités à dix par entreprise, ce qui est insuffisant pour nos reprises qui comptent en moyenne une vingtaine de salariés. Tout l'écosystème d'aides est bien conçu pour les entreprises classiques, mais inadapté aux coopératives.
M. Daniel Gremillet. - Les Scop sont souvent perçues comme la dernière solution pour reprendre des entreprises en difficulté. Il est important d'expliquer qu'il existe des Scop avec des décennies d'existence, qui fonctionnent comme des entreprises ordinaires, avec simplement une forme sociétaire différente. Cette méconnaissance est problématique - même au Sénat, j'ai eu des difficultés à expliquer mon rôle de président de coopérative.
Votre rôle est essentiel pour faire comprendre que les Scop ne sont pas uniquement une solution de dernier recours. Par ailleurs, il faut rappeler que le marché ne vous est pas plus favorable parce que vous êtes sous statut Scop - les conditions de marché restent identiques.
J'ai deux questions. Premièrement, concernant les capitaux : comment faites-vous face aux besoins en fonds propres pour vos investissements importants ? Comment incitez-vous les actionnaires des Scop à augmenter leur participation pour soutenir un projet ? Utilisez-vous des comptes courants bloqués pour garantir les financements bancaires ?
Deuxièmement, quelles relations entretenez-vous avec Coop de France, les coopératives agricoles et les Sociétés d'intérêt collectif agricole (Sica) ? Et enfin, quelle est la durée d'engagement d'un sociétaire dans une Scop ?
M. Franck Menonville. - Je souhaite apporter un témoignage sur les Scop dans notre département de la Meuse et la région Grand Est. Nous avons plusieurs Scop, dont la CORDM, une structure assez ancienne, et plus récemment une reprise sous forme de Scop de Bergère de France et de la Meusienne.
La région Grand Est croit véritablement au modèle Scop et a déployé plusieurs dispositifs de soutien : prêts garantis, prêts participatifs, fonds de garantie, et des aides au maintien de l'emploi que nous doublons dans le cas d'une reprise par Scop. Notre priorité reste la qualité du projet économique et industriel.
Je tiens à souligner l'immense professionnalisme de votre représentante dans le Grand Est, Mme Maucourt, qui est déterminant pour établir la confiance entre tous les acteurs - tribunal de commerce, banquiers, financiers, créanciers - lors des reprises d'entreprises en difficulté. Un élément central des Scop est leur vision stratégique moins court-termiste, prenant le temps d'investir dans une perspective de plus long terme.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Le modèle Scop se caractérise essentiellement par un ancrage national plutôt qu'international. Une exception notable est Duralex, que nous avons auditionné en octobre dernier et qui réalise 80 % de son activité à l'international. Comment expliquez-vous cette frilosité des Scop pour l'export ? Proposez-vous un accompagnement à vos entreprises pour leur développement international ? Certaines ont-elles des projets d'expansion à l'étranger ?
M. Serge Mérillou. - Ma question concerne le rôle des collectivités territoriales dans le développement des Scop, notamment en milieu rural où elles sont peu connues ou font parfois peur aux collectivités. Faudrait-il envisager une évolution du cadre réglementaire ? Serait-il opportun de créer un label national de type « territoire coopératif », comparable aux « territoires d'industrie », pour mobiliser les collectivités, les foncières, les banques publiques et les acteurs de l'économie sociale et solidaire autour de projets structurants ?
M. Jacques Landriot. - Seulement 8 % de nos emplois sont créés par la reprise. C'est davantage de la transmission et de la transformation d'association. Nous créons aussi beaucoup de coopératives. Les fonds propres sont un sujet capital. Plus nous avons de fonds propres au démarrage, mieux la coopérative tient sur le long terme.
Avec Scopinvest, nous disposons notamment des titres participatifs, un système très intéressant puisqu'ils sont remboursables à partir de sept ans. La coopérative peut éventuellement ne pas les rembourser et les garder plus longtemps. Nous les considérons comme des quasi-fonds propres, tout comme la Banque de France. Les repreneurs salariés récupèrent une partie de leur prime de licenciement qu'ils réinvestissent dans la coopérative, mais pas la totalité pour limiter leur risque personnel.
Avec Scopinvest, nous proposons également des prêts participatifs avec un taux de 3 % et un différé de remboursement de trois ans, ce qui donne de l'air aux coopératives pour créer de la valeur.
Nous avons de bons contacts avec les coopératives agricoles. Quelques-unes d'entre elles se transforment en SCIC.
Concernant la durée d'engagement des associés, notre turnover est très faible. Ils se sentent bien et restent impliqués. Notre système de participation est en particulier égalitaire : le président ou l'agent l'accueil touchent la même participation, ce qui est important et apprécié.
Nous comptons un certain nombre de Scop qui vendent leurs produits à l'international. Environ 8 000 emplois coopératifs concernent l'international. En revanche, nous ne comptons pas beaucoup de sociétés avec des filiales à l'étranger, hormis quelques exceptions comme l'Acome avec des usines en Chine et au Brésil. Nous pourrions accélérer notre développement international et discutons avec les chambres de commerce. Nous avions même un partenariat avec le Medef sur ce sujet, car ils ont énormément de possibilités pour nous aider à développer des produits à l'international.
Mme Fatima Bellaredj. - Le rôle des collectivités territoriales est essentiel. La compréhension de l'économie sociale et solidaire a beaucoup évolué. J'ai été directrice régionale durant une dizaine d'années en Occitanie, plus précisément à Montpellier. Les départements et les régions ont mis en place des politiques dédiées qui ont permis de visibiliser l'économie sociale et solidaire.
Dans le Grand Est, nous trouvons toute une panoplie d'outils existants : des agences de développement économique, des interventions directes, des compléments de garantie. Sur des reprises d'entreprises en difficulté, nous pouvons monter la garantie avec un complément de 20 % par rapport à Bpifrance, avec une progression possible dans les prochains mois pour rendre la solution coopérative plus attractive.
Il existe aussi des systèmes d'avances remboursables que je regrette de voir moins présents, en particulier dans le cadre de la crise sanitaire. C'est un sujet que nous évoquons avec la ministre pour remettre en place ce dispositif, notamment pour les reprises d'entreprises.
Les dispositifs des bourses d'émergence sont exemplaires : quand un salarié met un euro au capital, la région met un euro en face. Quelques régions l'ont mis en place comme le Grand Est, et la Nouvelle-Aquitaine cherche à le remettre en place.
Nous préparons une tribune et appelons à des assises régionales sur la reprise des entreprises par les salariés, avec le soutien de parlementaires. Nous souhaitons y associer les banques publiques et les syndicats, tant patronaux que salariés, qui peuvent être déterminants pour que l'assurance chômage puisse bénéficier aux salariés voulant reprendre leur entreprise.
M. Jacques Landriot. - Nous voulons vraiment vous remercier de votre écoute. Ce mouvement continuera à progresser, car il répond à une demande. C'est à mon sens l'entreprise de demain. Votre écoute nous fait sentir que notre travail n'est pas vain et nous allons continuer dans cette voie.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie d'avoir accepté cette invitation, et pour vos réponses précises. Au-delà de nos différentes sensibilités, nous avons pu observer de véritables réussites sur les territoires ainsi que des attentes et des espérances dont vous vous êtes faits aujourd'hui porte-parole.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Contournements de la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 en matière de vente de chiens et de chats - Examen du rapport d'information et vote sur les propositions
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous en venons à l'examen du rapport d'information de notre collègue Anne Chain-Larché sur les contournements de la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 en matière de vente de chiens et de chats, présenté au terme d'une mission « flash ».
Mme Anne Chain-Larché, rapporteure. - Revenons, si vous le voulez bien, trois ans en arrière. La loi dite « maltraitance animale » a été adoptée fin 2021, au terme de débats disputés avec les députés en commission mixte paritaire. Les raisons de ces désaccords relevaient autant de la philosophie que de la méthode. Fondamentalement, en tant que rapporteure, je ne partageais pas - et ne partage toujours pas - la croyance qu'en retirant les animaux de nos vies, ou du moins en mettant toujours plus de distance entre eux et nous par des barrières réglementaires, on améliorerait automatiquement leur bien-être. Je rappelle au passage que, lors de l'examen du texte au Sénat, nous en avions complété le titre pour y ajouter « le lien entre les animaux et les hommes ».
La plupart des objectifs pratiques étaient cependant partagés : augmenter les sanctions pénales en cas de sévices graves, dont font partie les abandons ; mieux encadrer certaines pratiques et ainsi créer la base légale pour davantage de contrôles - ces contrôles étant véritablement la clé pour améliorer le bien-être animal ; et, enfin, responsabiliser nos concitoyens par un certificat d'engagement et de connaissance pour réduire les « achats d'impulsion » de chiots et de chatons, réputés sources d'abandons.
Comme je vous l'indiquais lors de la présentation du bilan de l'application des lois de notre commission, le ministère de l'agriculture a pris le sujet au sérieux, en publiant rapidement les décrets d'application sur le volet « animaux de compagnie ». À l'inverse, ce n'est pas le cas du ministère de la transition écologique sur le volet « animaux sauvages ». Celui-ci a trop tardé à fixer le cadre pour les cirques itinérants et, surtout, pour les parcs aquatiques accueillant des mammifères marins - dauphins et orques -, ce qui plonge aujourd'hui ces professionnels passionnés dans de graves difficultés.
Mais ce n'est pas le sujet du jour. La question de cette mission « flash » lancée il y a moins d'un mois, dont je vous présente les conclusions et les sept recommandations, est l'encadrement des modalités de vente des chiens et chats. Les associations de protection animale ont interpellé à ce sujet la ministre de l'agriculture, Annie Genevard, qui a souhaité que j'investigue cette question dans la mesure où j'avais été rapporteure de cette loi.
Pour rappel, l'article 15 de la loi dite « maltraitance animale », entrée en vigueur le 1?? janvier 2024, interdit la vente de chiens et de chats - et d'eux seuls - dans les animaleries. L'article 18 autorise les professionnels, dont ces mêmes animaleries, à poursuivre la vente en ligne d'animaux de compagnie, pour autant qu'elles respectent un certain nombre de conditions : rubrique spécifique aux animaux pour éviter de les banaliser comme n'importe quel article de commerce, identification des animaux obligatoire, messages de sensibilisation.
Par conséquent, la vente dans les animaleries est impossible, mais la vente par les animaleries est possible en ligne, quand bien même les clients viendraient ensuite récupérer l'animal en magasin - la vente, en droit civil, étant une opération abstraite : l'accord sur la chose et le prix. C'est le fameux « click and collect », que les associations de protection animale dénoncent comme un contournement de la loi.
Il est vrai que le régime résultant de la loi est bancal et que nous sommes un peu au milieu du gué. Faut-il pour autant se précipiter vers l'autre rive, en interdisant le « click and collect », qui concerne « une cinquantaine » d'animaleries, soit 0,5 % des ventes de chats et 0,05 % des ventes de chiens en France ?
Pour vous donner de but en blanc mon analyse de la situation, je vois plutôt dans la vente en ligne par les animaleries un moindre mal par rapport à la vente en ligne non adossée à un réseau physique, car au moins les animaleries sont un point de vente déclaré, identifié et contrôlable par les services vétérinaires. C'est d'ailleurs pourquoi je continue de regretter l'interdiction de la vente physique en animalerie qui s'est traduite, évidemment, par un report vers la vente en ligne, souvent en dehors de tout contrôle.
Je la regrette d'autant plus que, deux ans après son entrée en vigueur, j'attends toujours un indicateur fiable démontrant une diminution du nombre d'abandons en lien avec la fin de la vente en rayons. Nous avons légiféré sans étude d'impact et continuons de discuter sur des supputations. C'est pourquoi une première recommandation consiste, tout simplement, à ce que l'observatoire de la protection des carnivores domestiques, l'Ocad, mis en place en parallèle de la loi, établisse des statistiques précises sur le nombre d'abandons - on parle de 200 à 300 000 par an, toutes espèces confondues -, permettant de relier ces abandons aux différents canaux d'acquisition. Cela permettrait de mettre un peu de nuance et de rationalité dans le débat sur l'abandon, notion fourre-tout qu'il conviendrait de définir, dans laquelle on range aussi des séparations liées à des circonstances malheureuses de la vie - décès, départ en maison de retraite, divorce.
Les achats coups de coeur, réalisés sans que soient bien mesurées les implications financières et obligations de soins pour une quinzaine d'années, sont certes une réalité, que j'ai voulu prendre à bras-le-corps. La solution évidente que j'ai proposée avait été d'introduire un délai de sept jours avant l'acquisition d'un animal, pour forcer les acheteurs potentiels à réfléchir à deux fois avant d'acheter.
Or, faute d'outil d'un formalisme suffisant, ce certificat est parfois illégalement antidaté par les vendeurs. Par ailleurs, en raison d'une décision du Conseil d'État de mars 2025, à la demande d'animaleries, le délai ne court plus depuis la signature du certificat d'engagement et de connaissance, qui atteste de sa connaissance, mais depuis sa délivrance, que l'acheteur en ait conscience ou non, ce qui affaiblit sa portée.
Ma deuxième recommandation est donc d'imposer, par simple instruction ministérielle, la délivrance numérique, horodatée, du certificat sur l'interface de l'I-CAD, organisme chargé de l'identification des carnivores domestiques. La procédure serait ainsi incontournable et harmonisée.
Cela ne signerait pas la fin de tout abandon, car il s'agit d'un phénomène multifactoriel dont le mode d'acquisition n'est qu'une dimension. C'est une raison de plus de penser, pour filer la métaphore animalière, que les animaleries ont joué le rôle de bouc émissaire...
Faudrait-il donc admettre qu'avec l'interdiction nous avons largué les amarres pour un voyage incertain ? Et faudrait-il donc revenir au port, en allant jusqu'à réautoriser la vente dans les animaleries ? Je crains que cela ne nous conduise à nouveau à des débats stériles.
Je préconise plutôt - c'est là une troisième recommandation - d'aller au plus efficace, et de rapprocher les normes réglementaires d'hébergement de ces animaux de celles imposées aux élevages, sans aller jusqu'à un alignement complet, qui ne serait pas compatible avec le modèle économique des animaleries, et en leur laissant un délai de six mois pour les mises aux normes. Il y va du bien-être des animaux, mais aussi de l'équité avec les éleveurs, qui sont soumis à des normes plus strictes, par exemple en termes de surface par animal, aux termes d'un arrêté de 2014 qu'il conviendrait donc d'actualiser. C'est aussi une façon d'assurer la longévité des animaleries.
Cela doit bien sûr aller de pair avec des contrôles renforcés. Sur les animaux de compagnie, les services vétérinaires des directions départementales de la protection des populations n'interviennent souvent plus que sur signalement, par manque de moyens. Il y a aussi un manque de formation, sur ces enjeux spécifiques, d'agents plutôt spécialisés dans la sécurité sanitaire de l'alimentation. Refaire place à des plans de contrôle et, en leur sein, cibler davantage les animaleries est une quatrième recommandation. Trop souvent, faute de pouvoir contrôler, on a tendance en France à prononcer des interdictions...
Une cinquième recommandation a évidemment trait aux sanctions. Le « décret-sanctions » du 24 octobre 2022 punit le non-respect de la plupart des dispositions de la loi « maltraitance animale »... sauf une : l'interdiction de la vente de chiens et chats en animalerie. Je n'appellerais certes pas à faire preuve de zèle sur cette interdiction que je juge contre-productive... Mais force est d'admettre que, si une interdiction est actée, il convient, par cohérence, d'en assurer l'application. Le champ du décret-sanctions devrait être élargi à ces deux aspects : violation de l'interdiction de vente physique d'une part, et non-respect des normes d'hébergement renforcées pour la vente en ligne d'autre part.
Enfin, deux dernières recommandations n'ont pas trait aux animaleries, mais à des modalités de vente alternatives, qui me semblent être trop passées sous les radars. Mon souhait n'est pas de pointer du doigt tel ou tel canal plutôt qu'un autre, mais, précisément, d'assurer un encadrement homogène de la cession d'animaux, sans laisser prospérer des espaces de non-droit.
Sur les plateformes de petites annonces comme Leboncoin et les réseaux sociaux comme les groupes Facebook, le contrôle systématique de l'identification préalablement à la mise en ligne de l'annonce, pourtant exigé par la loi, n'est toujours pas une réalité. Une sixième recommandation serait que les sanctions, aujourd'hui dérisoires, soient rehaussées pour ces acteurs majeurs et, en cas d'absence de contrôle, véritablement prononcées.
J'en viens à ma septième et dernière recommandation : nous avons été alertés par bon nombre d'acteurs lors des auditions - et par certains d'entre vous - sur les ventes dans les foires et salons, événements éphémères où toutes les conditions de l'achat impulsif semblent réunies ; j'appelle donc la ministre Annie Genevard à lancer une inspection pour évaluer l'opportunité de mesures supplémentaires, en plus du délai de sept jours que je veux rendre incontournable.
Pour conclure, je veux redire à quel point il me semble important que l'éthique de responsabilité et le pragmatisme guident nos décisions dans ce dossier où les sentiments l'emportent souvent sur la raison. Et je crois que, avec nos sept recommandations, la ministre Annie Genevard dispose d'une feuille de route permettant d'améliorer la situation sur le terrain.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci d'avoir mené cette mission dans un temps très contraint et de continuer à suivre l'application de cette loi.
M. Daniel Salmon. - Merci pour ce travail nécessaire. Nous devons rester vigilants face aux achats impulsifs, qui entraînent des abandons, même si nous manquons en la matière de statistiques fiables. Les contrôles demeurent malheureusement insuffisants.
Se pose aussi la question des animaux « hypertypes », sélectionnés pour une caractéristique particulière et qui souffrent tout au long de leur vie. Les vétérinaires s'en inquiètent de plus en plus.
J'approuve les recommandations du rapport.
M. Yannick Jadot. - Si ces chiens ou chats sélectionnés à l'excès correspondent à une réalité, la société protectrice des animaux signale aussi régulièrement des abandons d'animaux, pour la seule raison qu'ils ne seraient pas suffisamment photogéniques pour des applications comme Instagram ou TikTok, au motif par exemple que leur pelage serait trop sombre...
Mme Anne Chain-Larché, rapporteure. - Je suis heureuse que l'esprit transpartisan qui avait présidé en 2021 à l'examen de la proposition de loi prévale toujours. Pour mémoire, le Sénat avait alors réécrit à 85 % le texte transmis par l'Assemblée nationale. Comme je l'ai dit le 14 mai dernier lors de notre réunion de bilan de l'application des lois, nous devons désormais nous assurer que les mesures réglementaires attendues sont bien prises. À cet égard, nous regrettons les retards pris par le ministère de la transition écologique. Le combat n'est pas terminé.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci à tous pour vos interventions sur ce sujet qui, loin d'être anecdotique, a des répercussions dans la société tout entière.
La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.
La réunion est close à 11 h 45.