- Mardi 10 juin 2025
- Mercredi 11 juin 2025
- Audition de S.E. M. Joshua Zarka, ambassadeur d'Israël en France
- Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre sur la coopération lors des opérations d'évacuation à partir de la région du Moyen-Orient via le territoire de la République de Chypre dans le cadre d'une situation de crise - Examen du rapport et du texte de la commission
Mardi 10 juin 2025
- Présidence de Mme Catherine Dumas, vice-présidente -
La réunion est ouverte à 17 h 30.
Audition de Mme Nathalie Broadhurst, directrice des Amériques et des Caraïbes au ministère de l'Europe et des Affaires étrangères
Mme Catherine Dumas, vice-présidente. - Mes chers collègues, nous accueillons cet après-midi Mme Nathalie Broadhurst, directrice des Amériques et des Caraïbes au Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, MM. Jean-Christophe Tallard-Fleury, sous-directeur Amérique du Sud, et Emmanuel Meyer, sous-directeur Amérique du Nord, et Mme Inès Berdi, rédactrice République dominicaine, Suriname, Guyana, au ministère.
Madame la directrice, nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation pour évoquer l'actualité particulièrement dense de la zone géographique dont vous avez la responsabilité.
Lors de son investiture, Donald Trump avait promis « les 100 premiers jours les plus extraordinaires de toute présidence dans l'histoire américaine ». Depuis son retour à la Maison-Blanche, pas un jour ne passe sans une annonce spectaculaire : qu'il s'agisse de politique étrangère -- Ukraine, OTAN, Gaza --, de commerce international avec l'instauration de nouveaux droits de douane, ou encore de mesures plus symboliques, telles que le retour des pailles en plastique...
Cet activisme tous azimuts rend difficile l'établissement d'un bilan. C'est pourquoi nous attendons avec intérêt votre analyse de ces premiers mois de la présidence Trump II. Certes, le « trumpisme » reste marqué par le mot d'ordre « America First », et l'on a souvent évoqué une logique « transactionnelle » pour qualifier le président américain, mais il convient d'aller au-delà de ce simple constat. Vous pourrez nous dire ce qui, selon vous, constitue l'armature de ce second mandat.
Nous souhaiterions également vous entendre sur les conséquences géopolitiques de ces premiers mois. Au niveau international, les alliances historiques semblent avoir volé en éclats ou, du moins, apparaissent fragilisées. Des incertitudes continuent ainsi de peser sur l'avenir du lien transatlantique ou encore sur le soutien des États-Unis à l'Ukraine.
Au niveau régional, les propos tenus par le nouveau président sur le Canada ou le Panama ont pu laisser penser à une forme d'impérialisme américain. Vous pourrez nous nous faire part des réactions suscitées par ces propos sur le continent et nous présenter ce qui, selon vous, structure la politique régionale de la nouvelle administration.
Par ailleurs, deux missions de notre commission se rendront en Amérique du Sud prochainement : l'une au Brésil et au Pérou dans quelques jours ; l'autre en Guyane et au Guyana, ce second déplacement ayant été reporté en raison des élections locales et nationales organisées dans le pays. La France et le Brésil ont réaffirmé, lors de la visite du Président de la République de mars 2024, leur volonté de promouvoir un multilatéralisme fondé sur le droit international, la paix et la justice climatique. Le Brésil accueillera la COP30 à Belém en 2025 et la France a reçu le président Lula la semaine dernière pour une visite officielle de deux jours.
Au-delà de cette évidente convergence, les positions de Paris et de Brasília sur certains dossiers - de la gouvernance de l'ONU à la guerre en Ukraine aux relations Nord-Sud, en passant par l'accord UE-Mercosur - restent souvent divergentes ou ambiguës. Les efforts de coordination au sein du G20 ou des Nations unies n'ont pas encore donné lieu à des initiatives concrètes conjointes. Le positionnement climatique du Brésil demeure flou, entre discours ambitieux et maintien de certains projets extractifs. Par ailleurs, si la coopération en matière de sous-marins est à citer en exemple, la concrétisation des annonces faites dans de nombreux domaines semble marquer le pas, qu'il s'agisse de la coordination de la lutte contre l'orpaillage illégal, le trafic de drogues, du dialogue stratégique sur la transition énergétique et les minerais critiques mis en place l'année dernière, ou encore de la coopération spatiale. Bref, l'amitié et la coopération entre la France et le Brésil peuvent-elles donner lieu à davantage d'avancées concrètes ?
Concernant le Pérou, avec lequel les relations, notamment sur le plan culturel, sont riches, peut-être pourrez-vous évoquer le défi auquel ce pays fait face actuellement en matière de narcotrafic et de corruption dans la mesure où ce sujet fait écho, toute proportion gardée, à nos préoccupations concernant la progression de ce fléau sur le territoire français.
Concernant le Guyana, je rappelle que notre commission s'y est rendue il y a deux ans. Sans prétention, nous pouvons affirmer que nous avons été précurseurs. Ce pays, qui ambitionne de devenir le « Qatar de l'Amérique du Sud », offre de nombreuses opportunités, portées par son développement économique rapide lié à l'exploitation de ses gisements pétroliers. À l'époque, notre commission avait appelé à un renforcement de la relation bilatérale et recommandé l'ouverture d'une ambassade à Georgetown. Cette recommandation a été entendue lors d'un déplacement Guyana en mars 2024. Stéphane Séjourné, qui était alors le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, a officiellement annoncé cette ouverture et nous nous en félicitons.
Dans ce contexte, nous souhaiterions connaître la feuille de route du futur ambassadeur. Lors de la précédente mission, nous avions souligné les opportunités offertes aux entreprises françaises, tout en constatant leur présence encore très limitée sur place. Les choses évoluent : le Guyana a notamment acquis un patrouilleur maritime auprès de la société OCEA, dont la livraison est prévue l'an prochain. La dimension commerciale constituera-t-elle une priorité pour la nouvelle ambassade ? Plus largement, alors que le président du Guyana a récemment mentionné la France comme deuxième partenaire en matière de sécurité, après le Royaume-Uni, comment pourrions-nous renforcer encore la relation bilatérale avec ce pays ?
Sur le plan de la défense, nos collègues Olivier Cigolotti et Étienne Blanc, qui participeront à cette mission au Guyana, ont rencontré la semaine dernière M. David Shamsudeen, chef des garde-côtes guyaniens. Celui-ci a salué l'excellente coopération opérationnelle entre la France et le Guyana. Dans ce contexte, quelles garanties la France peut-elle par exemple apporter face aux tentatives d'intimidation du Venezuela voisin ?
Enfin, une décision de la Cour internationale de justice est attendue en 2025 sur le différend territorial qui oppose le Venezuela au Guyana, Caracas revendiquant la région de l'Essequibo, soit de l'ordre des deux tiers du territoire du Guyana. À quelle date ce jugement pourrait-il être rendu ?
Mme Nathalie Broadhurst, directrice des Amériques et des Caraïbes au Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. - Notre agenda est effectivement dense en raison de l'actualité, qu'il s'agisse de la présidence de Donald Trump ou de nos partenariats avec le Brésil et le Guyana.
Concernant les premiers mois de l'administration Trump, l'actualité abonde quotidiennement de décisions et d'annonces prises par le Président sur l'ensemble du spectre politique, avec de nombreux revirements et des positions qui évoluent, notamment sur l'Ukraine ou l'Iran en ce qui concerne les négociations lancées par le Président. Je vais essayer de synthétiser ce que nous pouvons observer dans l'actualité et de dresser quelques conclusions sur les relations bilatérales et les possibilités d'action dans un environnement aussi instable et parfois surprenant.
Les premières nominations, notamment Marco Rubio comme secrétaire d'État ou Mike Waltz comme conseiller à la Sécurité nationale, semblaient, malgré la diversité des équipes du président, arrimer la politique étrangère à une vision relativement traditionnelle d'inspiration néoconservatrice. Très rapidement, la nomination d'envoyés spéciaux comme Steve Witkoff, homme d'affaires sans compétence diplomatique, d'abord sur le Moyen-Orient, puis sur le dossier russe et l'Iran, a confirmé la primauté de la loyauté idéologique dans les différentes sphères entourant le président.
Cette administration n'est cependant pas marquée par une ligne idéologique stricte, mais plutôt par le caractère essentiellement transactionnel de l'approche de Trump, son pragmatisme et son improvisation. Elle se distingue également par une recherche systématique d'accords, guidée par la possibilité d'obtenir des gains à annoncer de manière très médiatique aux électeurs, comme nous l'avons vu lors de sa tournée dans le Golfe.
Cette administration se caractérise donc sur le plan de la politique étrangère par le rejet de l'ordre international libéral. Pour Trump, le système né de 1945 est obsolète et ne sert plus son pays. Même le rôle central du dollar, qui confère pourtant des avantages considérables dans le système financier international, est présenté comme un fardeau. Ce rejet se manifeste par des menaces d'annexion territoriale envers le Canada, le Groenland ou le Panama, par son traitement des sujets territoriaux comme l'Ukraine et Gaza, par le retrait d'organisations internationales, telles que l'Organisation mondiale de la santé, et de l'accord de Paris, et par les coupes drastiques des crédits accordés à l'ONU et aux organisations internationales en général.
La politique de Trump montre une mise à l'écart des alliés traditionnels particulièrement visible envers l'Union européenne avec une hostilité de plus en plus assumée. J.D. Vance l'a exprimé clairement à la conférence de Munich. Trump n'a pas rencontré Ursula Von der Leyen, et Marco Rubio a annulé son rendez-vous avec Kaja Kallas. J.D. Vance, Elon Musk et Steve Bannon critiquent régulièrement l'absence de liberté d'expression en Europe et soutiennent activement les mouvements anti-européens comme l'AfD en Allemagne. De fait, Donald Trump, comme lors de son premier mandat, affectionne les relations bilatérales et se méfie fondamentalement de l'Union européenne qu'il associe à la bureaucratie et à la régulation qu'il essaie de déconstruire sur le plan national. De plus, les partenaires historiques des États-Unis comme le Japon, Israël et l'Inde ont été frappés avec la même violence par les annonces de droits de douane.
Ce second mandat s'est également ouvert avec une volonté affichée de Trump de négocier des accords de paix sur plusieurs conflits dont il accuse l'administration précédente d'être responsable. Nous observons des efforts diplomatiques avec l'Iran sur le volet nucléaire, revirement le plus frappant par rapport à son premier mandat où les États-Unis s'étaient rapidement retirés de l'accord sur le nucléaire iranien (JCPOA), entraînant une fuite en avant de l'Iran et l'imposition de nouvelles sanctions par l'administration précédente. Trump a par ailleurs investi du capital politique pour mettre fin au conflit russo-ukrainien, en prenant contact régulièrement avec Moscou, inquiétant légitimement sur le plan international, car Poutine n'a fait aucun effort vers un cessez-le-feu malgré les tentatives ukrainiennes. Concernant Israël, face à l'impossibilité d'arrêter la progression de Netanyahou à Gaza, Trump a choisi de consolider les alliances dans le Golfe lors de ses visites en Arabie Saoudite, au Qatar et aux Émirats arabes unis, concluant d'importants accords commerciaux. La question iranienne était centrale lors de ses échanges avec ces partenaires qui ont plaidé pour une solution diplomatique par crainte de frappes israéliennes. Cependant, la levée complète des sanctions contre la Syrie et la rencontre de Trump avec Ahmed al-Charaa, réalisée sans concertation avec Israël, montrent que les États-Unis essayent de prendre par surprise l'allié traditionnel qu'est Israël et avec qui le dealmaking est impensable alors que Trump entend se présenter comme un « faiseur de paix ».
Enfin, les tensions avec la Chine ont marqué ce début de mandat. Pour autant, la rivalité, ancrée dans le logiciel trumpiste et observée lors de son premier mandat, ne s'est pas manifestée avec autant d'éclats qu'avec des partenaires beaucoup plus proches des États-Unis. Malgré l'annonce de droits de douane de 145 %, l'escalade s'est atténuée à la suite de négociations discrètes en Suisse. La Chine met cependant du temps à revenir en arrière et les contre-mesures chinoises sur les exportations de minerais critiques mettent l'administration Trump dans une position délicate, la rendant plus prudente que prévu, y compris dans le narratif de la compétition avec la Chine. La Chine a peut-être été le volet le plus déstabilisateur en raison des annonces de droits de douane extrêmement élevés et des revirements constants qui ont contribué à faire douter l'opinion publique américaine, les investisseurs et les acteurs économiques. L'impact est donc pour l'instant plus mesuré que ce que nous pouvions craindre, beaucoup de mesures étant suspendues. Par ailleurs, des négociations sont en cours à l'Union européenne afin de trouver les solutions les moins coûteuses et périlleuses possible pour les consommateurs, bien que les Américains risquent d'en subir les conséquences dès cette année.
Nous pouvons également mentionner l'attaque contre les universités, la recherche et la science comme une prise de décision à impact assez dévastateur. Des coupes de crédit massives ont été réalisées, notamment dans les grandes universités telles que Harvard, pôles de contestation de la politique américaine à Gaza et centres de pensées critiques, mais aussi contre-pouvoirs potentiels envers lesquels il a eu tendance à s'acharner, notamment en prenant pour cible les étudiants étrangers.
De plus, ces premiers mois ont été marqués par la fermeture de USAID, fleuron de l'influence américaine à l'étranger. Cette aide internationale faisait des États-Unis le premier donateur bilatéral en matière d'aide humanitaire sur un très grand nombre de théâtres pour lesquels l'Union européenne ne pourra pas se substituer complètement. Ce retrait est parfois présenté comme une suspension le temps d'analyser la situation, comme pour Haïti. Toutefois, il risque d'entraîner une baisse assez drastique des crédits, d'aides au développement et d'aides humanitaires.
En politique intérieure, le bilan est marqué par 142 décrets présidentiels en trois mois, contre seulement cinq lois votées par le Congrès. Cette hyperprésidentialisation du régime s'accompagne d'un affaiblissement sans précédent des contre-pouvoirs. Trump teste toutes les limites de son autorité présidentielle en revendiquant un pouvoir absolu sur l'administration fédérale, y compris sur des agences indépendantes créées par le Congrès, dont le budget a été voté par le Congrès. Tous ces contre-pouvoirs se sont montrés affaiblis, le Congrès votant peu de textes. Le pouvoir judiciaire est sous forte pression, notamment à cause d'un engorgement dû au nombre de recours. Les décisions défavorables sont ouvertement défiées et la légitimité des juges est remise en question. Stephen Miller parle d'un coup d'État judiciaire à propos de du Tribunal de commerce international qui a invalidé certains droits de douane réciproques. Le ministère de la Justice est acquis au Président qui a nommé, outre Pam Bondi, un certain nombre de ses alliés. Les médias sont également sous pression via des restrictions d'accréditation à la Maison-Blanche, de financements et des recours en justice, notamment contre les cabinets d'avocats dans le cadre de certaines affaires avant les élections. Enfin, les universités subissent une offensive particulière avec la fin des exemptions fiscales et des statuts spécifiques.
Une véritable contre-révolution conservatrice est en marche. Le mouvement MAGA, coeur de l'électorat de Trump, a imposé la contestation de tous types d'expertise. Des musées et des établissements culturels, comme le Kennedy Center, ont également été attaqués directement. L'agenda a été marqué par des travaux de dérégulation et de limogeage massif de fonctionnaires fédéraux, véritable entreprise de déconstruction de l'État que Steve Bannon revendique ouvertement. Un conseiller influent de Trump, Marc Andreessen, parlait de « FDR in reverse », démarche visant à démanteler les institutions créées sous Roosevelt pendant le New deal et revenir à un supposé âge d'or de l'oligarchie du XXe siècle qui a pourtant mené à la crise de 1929. Cette politique s'est par ailleurs traduite par la suppression de milliers de données scientifiques concernant le climat ou la santé publique, de la recherche fondamentale et appliquée, directement affectées par les mesures prises par Elon Musk et son équipe du département de l'efficacité gouvernementale.
Au total, 160 milliards de dollars de crédit auraient été coupés. Ces chiffres sont contestés dans le bilan de Dodge, car Elon Musk a probablement présenté un certain nombre de coupes en grossissant une partie du bilan. Cependant, nous pouvons considérer que cela représente 9 % des 2 000 milliards d'économies annoncées. Le bilan reste très mitigé, mais a imprimé sa marque au sein du gouvernement et de l'administration, créant un sentiment de peur chez de nombreux fonctionnaires fédéraux. Le département d'État a lui aussi été victime de cette coupe drastique.
Malgré les annonces de succès et d'investissement aux États-Unis, les sondages ne sont pas favorables au Président. Sa popularité n'est plus qu'à 42 % au mois de mai, en recul de 10 points depuis son investiture. Le principal reproche qui lui est fait concerne l'économie, l'incertitude et le risque de récession. De nombreux Américains pensent qu'il est allé trop loin. Cependant, sur l'immigration, bien que les pratiques soient contestées, notamment en ce moment à Los Angeles, sa politique est portée à son crédit par son électorat, les traversées illégales de la frontière sud ayant chuté de 93 % entre avril 2024 et avril 2025. Cet argument sert à déjouer les critiques concernant le plan économique et le différend éclatant avec Elon Musk et l'actualité a mis en lumière Los Angeles et les manifestations anti-United States immigration and customs enforcement (ICE), la police des frontières. Un certain nombre de résistances face à l'agenda de l'administration s'est d'ailleurs mis en place. Le Parti démocrate est très affaibli, mais des universités comme Harvard ont montré une capacité de résistance par la voie judiciaire et la médiatisation.
Dans ce contexte, nous devons garder la tête froide dans la relation bilatérale avec les États-Unis et nous rappeler qu'ils sont un partenaire historique indispensable sur les plans économique et sécuritaire. Cette relation doit être gérée avec finesse, car la situation peut rapidement évoluer. Le Président Macron entretient une bonne relation avec son homologue américain, ce qui lui permet d'échanger fréquemment avec lui et de passer des messages. Bien que cela ne garantisse pas un alignement systématique des positions, la possibilité de s'exprimer représente un atout considérable, dont les Allemands ou d'autres partenaires ne bénéficient pas. Les décisions, les revirements et les changements de manoeuvre du Président Trump sont également une opportunité pour la France d'apporter un certain nombre de continuités, de cordes de rappel et un éclairage permanent auprès de l'administration américaine sur les sujets de politique étrangère, notamment sur l'Iran et l'Ukraine. Le Président Trump étant également capable de changer de position, il se rendra certainement compte que le Président Poutine est en train de gagner du temps, message que Macron lui rappelle avec constance en se montrant comme un allié fiable et expérimenté sur le sujet, atout majeur pour la France.
Concernant le Brésil, nous sortons d'une visite bilatérale très positive avec le Président Lula. Notre Président partage de réelles affinités avec lui sur de nombreux enjeux globaux, notamment le climat, la biodiversité et les océans. Le Brésil maintient sa position traditionnelle de non-alignement, d'appartenance aux BRICS, et sa revendication d'une identité de pays du sud global et sa volonté de se tenir à distance des États-Unis et de la Russie. Le Brésil voit cette période d'incertitude comme une opportunité pour diversifier ses partenariats malgré leur dépendance économique aux États-Unis sur certains volets.
Son attitude reste ouverte bien que son positionnement sur l'Ukraine rende l'évolution de notre relation difficile. Pour autant, le dialogue existe et le Brésil a systématiquement voté toutes les résolutions dénonçant l'agression russe en Ukraine, mais refuse absolument celles de nature punitive. L'élection de Lula en 2023 a permis de relancer une relation qui était interrompue sous Bolsonaro. La visite d'État de notre Président au Brésil l'année dernière a permis d'adopter un plan d'action opérationnel dans différents groupes de travail. La dynamique est donc positive. En 2024, le Président est retourné au sommet de Rio et le Président Lula vient d'effectuer sa visite d'État en France.
Le Président a confirmé sa participation à la COP30 à Belém et ouvrira le forum « Notre Futur » à Salvador de Bahia, un événement organisé par la France avec des pays africains dans le cadre de la saison de la France au Brésil. Lula souhaite associer les partenaires africains à ses partenariats bilatéraux, notamment sur les questions de sécurité alimentaire et d'aide au développement. Il a proposé que notre Président invite conjointement les chefs d'État africains à cet événement.
Le Brésil occupe actuellement la présidence du G20 et prendra celle des BRICS au 1er juillet. Lula souhaite profiter de cette présidence pour finaliser la signature de l'accord UE-Mercosur d'ici six mois, une priorité de premier plan pour lui. La feuille de route de l'année dernière a été déclinée notamment par une déclaration franco-brésilienne sur le climat. Le Brésil affirme ne pas pouvoir renoncer à l'exploitation pétrolière, mais souligne que son mix énergétique global est l'un des plus vertueux, comprenant beaucoup d'hydrogène vert, d'hydroélectricité, de solaire et d'éolien. Le Président Lula prétend que les méthodes d'extraction utilisées au large du bassin de l'Amazonie respectent les conditions de protection de la nature et que la déforestation aurait diminué de 45 % depuis son retour au pouvoir. Le président brésilien ne cache pas son attachement à poursuivre l'extraction pétrolière, indispensable à la croissance de son économie, mais le présente dans le cadre d'un mix énergétique dit vertueux.
Plusieurs accords de coopération porteurs ont également été signés avec le Brésil : corridors maritimes verts, approvisionnement en vaccins avec l'Institut Pasteur et l'Institut Fiocruz, hydrogène vert. Nous avons renouvelé notre accord de coopération culturelle de 1948, en y ajoutant des domaines comme le numérique, la lutte contre la désinformation, les jeux vidéo et le plurilinguisme. Nous avons par ailleurs progressé sur un irritant majeur concernant notre frontière commune de 730 kilomètres entre la Guyane française et le Brésil et pour laquelle les Brésiliens ont besoin d'un visa, contrairement aux Français. Une exemption de visa sera expérimentée pendant six mois contre l'engagement brésilien de signer une convention de transfèrement des personnes condamnées, sachant que plus de 60 % des personnes emprisonnées en Guyane sont brésiliennes. L'accord sur la lutte contre l'orpaillage illégal a été signé en début d'année. La signature d'accord avec le Brésil peut s'avérer parfois difficile, mais certains seront finalisés prochainement, notamment la commande d'une cinquantaine d'hélicoptères auprès d'Airbus lors de la visite du ministre délégué au commerce extérieur. Un accord ambitieux a également été signé concernant Prosub, dont les questions de financement sont toujours en suspens. Le président Lula, accompagné de sept ministres lors de sa visite d'État, a exprimé le souhait d'intensifier nos relations au regard de la guerre commerciale qui se profile entre nos partenaires, soulignant que l'accord UE-Mercosur concerne un marché de 720 millions de consommateurs et que nos économies sont complémentaires. Il s'est montré attentif aux préoccupations de la France, notamment sur les normes environnementales et les clauses de sauvegarde des agriculteurs sur lesquelles notre Président a insisté. Le Président Lula propose des discussions précises sur ces points et pense que cet accord sera signé.
Par ailleurs, le Guyana, ce petit pays autrefois parmi les plus pauvres d'Amérique latine, connaît une transformation rapide depuis la découverte de pétrole en 2015. Nos entreprises, dont Total, ont identifié des opportunités. Je pense aussi à tout le secteur de la défense et de la sécurité, dans lequel nous avons des enjeux communs : lutte contre la criminalité organisée et contre l'orpaillage illégal notamment. Le Guyana doit s'équiper sur le plan militaire puisque, comme vous l'avez évoqué, les tensions avec le Venezuela vont aller croissant avec l'extraction pétrolières. Le Président Maduro est dans une pente extrêmement dangereuse et une fuite en avant dans ses attaques. L'arbitrage de la Cour internationale de justice (CIJ) devrait intervenir en 2026. Le territoire revendiqué par le Venezuela représente deux tiers du territoire du Guyana, dont les champs pétrolifères. Les élections régionales organisées par le Venezuela ont vu pour la première fois l'élection d'un gouverneur de l'Essequibo guyanais.
Le Guyana, membre élu au Conseil de sécurité, est un partenaire fiable avec lequel nous avons pu travailler sur de nombreux sujets malgré son alignement sur les positions américaines concernant l'Ukraine. Ce pays a un alignement complet sur les États-Unis, mais nous considère comme un partenaire stratégique avec les Britanniques et les Américains, considérant les P3 comme de vrais alliés. Le Guyana essaye de gagner en respectabilité internationale par son engagement aux Nations unies, mais aussi sur les enjeux globaux, se présentant comme un État capable de choix responsables en termes de protection de l'environnement, évitant le modèle de pays complètement dénaturé par sa richesse pétrolifère. L'ouverture de notre ambassade est en cours et la résidence est déjà opérationnelle. Des recrutements locaux ont actuellement lieu. L'équipe de six personnes sera focalisée sur la diplomatie économique et la sécurité.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Votre présentation suscite énormément de questions sur la complexité de la relation transatlantique que nous souhaiterions bonne. Quant au continent sud-américain, il est vrai que nous le connaissons moins bien, peut-être pas suffisamment. Je remercie également votre direction pour le soutien apporté à notre proposition de résolution adoptée au Sénat en soutien à Haïti. Mes questions concernent la Caraïbe, région où nous comptons des territoires importants.
Premièrement, comment améliorer la connectivité maritime et aérienne dans la région, actuellement très faible, impactant la mobilité des personnes et les échanges économiques et commerciaux ? Nous attendons la signature d'un accord de service aérien entre la France et la Barbade lors du prochain Salon du Bourget. Quelles sont les autres initiatives du ministère ?
Deuxièmement, à la suite du Brexit, le Royaume-Uni n'est plus la porte d'entrée pour la Caraïbe anglophone. La France a-t-elle mis en place une politique pour occuper ce rôle ?
Troisièmement, quelles mesures concrètes la France et l'Union européenne prennent-elles pour pallier la suppression des programmes d'aide de USAID, particulièrement en Haïti ?
Enfin, quel est l'impact du travel ban américain sur la région, notamment pour Haïti et Cuba ? Le retour forcé de dizaines de milliers d'Haïtiens priverait le pays de devises essentielles pour une grande partie de la population.
Mme Nathalie Broadhurst. - Je vous remercie pour ces questions sur les Caraïbes. Concernant la connectivité aérienne maritime, bien que cela relève davantage du ministère des Transports, nous insistons sur ce sujet lors des différentes visites. Nous avons besoin de connexions plus nombreuses par la Guyane. Cela a été en partie fait pour le Brésil, d'où l'irritant que constituaient ces visas. Air France propose 47 lignes hebdomadaires entre la France et le Brésil et comprend que développer des vols via la Guyane permettrait de mieux connecter certaines parties du Brésil. Des lignes directes existent désormais sur Recife, Fortaleza et Salvador de Bahia, marquant un progrès significatif. De plus, une ligne Air France directe sur la Barbade va enfin être établie, alors qu'auparavant nous dépendions de Virgin via Londres. Pour l'instant, aucune autre ouverture de ligne n'est envisagée et ce sujet dépasse largement les connexions avec la France. Les Caraïbes restent structurellement dépendantes des passages par Miami et les hubs de Panama. Ce problème, discuté lors du dernier sommet de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), persiste. La question de rentabilité se pose également pour plusieurs lignes. Par ailleurs, les connectivités entre pays d'Amérique latine sont parfois très limitées.
Concernant le Brexit, nous en avons partiellement bénéficié. Davantage de flux passent maintenant par Saint-Martin, la Martinique et la Guadeloupe. Plusieurs lignes desservant la Guyane française sont désormais plus fréquentées. Cependant, le rayonnement économique britannique dans la zone reste prégnant. Cette perspective est donc à cultiver.
Concernant Haïti, les Américains n'ont pas confirmé que la suspension reportée de 90 jours deviendrait définitive. Marco Rubio reconnaît que la situation d'Haïti est extrêmement complexe. Les Américains n'ont pas encore progressé aux Nations unies sur le sujet d'une opération de maintien de la paix ou sur un nouveau mandat pour la mission kenyane. Nous continuons d'exercer une pression lors de chaque entretien bilatéral. Nous encourageons l'Union européenne à s'impliquer davantage. Au niveau bilatéral, les restrictions budgétaires vont compliquer le maintien du niveau d'aide de 40 millions d'euros de l'année dernière malgré notre volonté.
Par ailleurs, tous les pays s'inquiètent fortement au sujet du travel ban. Les 250 000 Haïtiens qui bénéficiaient du TPS (temporary protected status) accordé par Biden représentaient également une fuite des cerveaux préoccupante. Comme lors du travel ban de la première administration Trump, les recours judiciaires vont se multiplier et cela ne se traduira pas immédiatement par les interruptions des flux, mais reste dramatique pour Haïti.
M. Olivier Cigolotti. - Vous me permettrez Madame la Directrice de revenir sur le Guyana, sujet auquel notre Commission s'intéresse particulièrement, car avec mes collègues Étienne Blanc et André Guiol, nous envisageons un déplacement sur le plateau des Guyanes. Concernant les provocations du Venezuela, nous avons auditionné la semaine dernière David Shamsudeen, commandant des garde-côtes du Guyana, et nous avons pu évoquer notamment les incursions dans les eaux territoriales guyaniennes. À votre avis, le Venezuela dispose-t-il de soutiens de puissances étrangères ? Et inversement, le Guyana a-t-il des soutiens avérés dans ce différend territorial ?
M. Étienne Blanc. - Des élections nationales et régionales auront lieu le 1er septembre au Guyana. Comment est organisé territorialement ce pays ? Par ailleurs, en 2020, la publication des résultats électoraux a pris cinq mois. Nous observons une véritable bipolarisation politique entre Indo-Guyanais et Afro-Guyaniens, chaque communauté ayant son parti bien identifié. Comment envisage-t-on les élections du 1er septembre ? Les oppositions restent-elles aussi vives ? Risque-t-on de connaître à nouveau des difficultés dans le dépouillement et la promulgation des résultats ? Enfin, a-t-on fixé une date d'inauguration pour notre ambassade au Guyana ?
M. André Guiol. - Ma question concerne les convoitises dont est l'objet le Guyana. Depuis la découverte d'importants gisements pétroliers offshore en 2015, ce pays connaît une croissance exceptionnelle. Sur la période 2021-2027, le Guyana devrait connaître une croissance annuelle de 26,4 % contre 3,8 % pour le reste du monde. Ce développement économique spectaculaire attise naturellement des convoitises. Les États-Unis sont déjà solidement implantés, ExxonMobil étant l'acteur majeur du secteur pétrolier. Le Président Ali a par ailleurs été reçu par Xi Jinping en juillet 2023, témoignant de l'intérêt croissant de la Chine. La France est perçue par les autorités guyaniennes comme un partenaire de premier plan. À votre connaissance, d'autres pays envisagent-ils de renforcer leur présence au Guyana ?
Mme Nathalie Broadhurst. - Sur le risque d'incursion du Venezuela, personnellement, je n'y crois pas. Les risques pour le Venezuela seraient trop importants et ce pays a d'autres enjeux majeurs notamment avec les États-Unis. Lula a beaucoup aidé Maduro à être réintégré dans la communauté internationale. Une telle manoeuvre constituerait une ligne rouge majeure. Je ne pense pas que la Russie ou la Chine l'encouragent, car ces pays peuvent conclure des affaires sans changement territorial. Le Venezuela a plutôt intérêt à se montrer plus redoutable pour obtenir des concessions, notamment avec les États-Unis. Une administration désespérée de Maduro pourrait cependant prendre une décision irrationnelle, mais un tel scénario n'est pas envisagé à brève échéance.
Les élections se dérouleront aux niveaux national et régional. Le territoire est découpé en provinces, mais le pouvoir se concentre au niveau des gouverneurs. Au plan national, la bipolarité persiste entre Afrodescendants et Indodescendants. Le pays reste extrêmement polarisé. Je pense que les Indodescendants ont davantage de chances de remporter les élections, car leurs opposants ont été très affaiblis lors des dernières campagnes.
Mme Inès Berdi, rédactrice République dominicaine, Suriname, Guyana au ministère de l'Europe et des affaires étrangères. - Le Guyana est divisé en dix régions, chacune dirigée par un gouverneur. C'est un système parlementaire hérité du modèle britannique, avec une forte séparation ethnique. Néanmoins, le Président Irfan Ali milite pour rompre avec cet héritage perçu comme colonial. Par ailleurs, il affirme que son parti est multiethnique. Nous verrons donc si les prochaines élections marqueront une rupture avec ce système divisé entre deux ethnies.
En 2020, les résultats ont effectivement été contestés. La France milite pour des missions d'observation électorale, tant au niveau de l'Union européenne que de l'Organisation des États américains. Les Britanniques ont exprimé une volonté d'organiser également une mission. Ces élections sont scrutées avec attention, notamment parce qu'elles ont été annoncées il y a seulement deux semaines, laissant un délai très restreint à l'opposition. Cette situation suscite des interrogations parmi les partenaires internationaux du Guyana et dans l'opinion publique. Une alternance semble peu probable, compte tenu du boom économique et de la politique du Président Ali, mais ce délai très court pour organiser les élections pose question.
Mme Nathalie Broadhurst. - L'inauguration de l'ambassade est prévue dans la troisième semaine de septembre. La Chine convoite le Guyana qui a pour objectif de diversifier au maximum ses partenaires. Ce pays est actuellement dépendant des États-Unis avec qui il entretient une affinité particulière, mais il sera très courtisé. La Chine est déjà très présente dans la région et exploite des ressources vénézuéliennes, d'où l'importance pour la France d'ouvrir cette ambassade. Nous serons le seul partenaire européen sur place, en plus de la délégation de l'Union européenne, ce qui nous place en position avant-gardiste.
Mme Catherine Dumas, vice-présidente. - Merci beaucoup. Effectivement, lors de notre précédente mission en 2023, nous avions déjà constaté la présence bien implantée de la Chine.
Mme Michelle Gréaume. - Je suis satisfaite d'apprendre qu'il existe de bonnes relations entre notre Président et le Président Lula. Je rappelle que le Mercosur ne représente pas uniquement le Brésil, mais aussi le Venezuela, l'Argentine, l'Uruguay et le Paraguay. Dans le nord de la France et les régions rurales, nos éleveurs sont étranglés par les coûts de production et les normes imposées. Comment le Quai d'Orsay justifie-t-il cet accord qui mènerait à des importations de viande produite dans des conditions inacceptables ?
Concernant l'outre-mer, la France est la seule nation européenne avec des territoires dans la région (Guyane, Antilles, Saint-Pierre-et-Miquelon). Ces territoires font face à des défis partagés avec leurs voisins : criminalité transfrontalière, immigration clandestine, trafic de drogue, vulnérabilité climatique. Comment le Quai d'Orsay articule-t-il sa stratégie diplomatique dans la zone avec ces réalités et quelles coopérations concrètes ont été engagées avec les pays ?
Enfin, malgré une coopération discrète, Cuba est confronté à des sanctions économiques américaines renforcées par le retour en vigueur du titre III de la loi Helms-Burton en 2019 qui permet de poursuivre en justice les entreprises étrangères actives à Cuba, limitant la capacité des entreprises françaises à investir en dépit des liens historiques dans le domaine de la santé, de la culture et de l'éducation. Par ailleurs, la situation des droits fondamentaux reste une préoccupation légitime. Un équilibre est à trouver entre pression diplomatique et indépendance stratégique. Depuis quand notre diplomatie s'aligne-t-elle sur les choix de politique étrangère des États-Unis ? Que fait la France pour protéger ses entreprises face aux actions extraterritoriales américaines à Cuba ? Est-elle prête à porter une voix indépendante pour un allègement des sanctions, tout en maintenant un dialogue sur les libertés fondamentales ?
M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. - Je souhaite vous interroger sur la situation politique actuelle en Colombie. Miguel Uribe, sénateur d'opposition et candidat à la présidentielle, a été blessé par balle à la tête ce samedi à Bogota et admis en soins intensifs. Cette tentative d'homicide ravive des souvenirs douloureux et fait craindre un retour de la violence politique, sachant que ce sénateur est le fils d'une présentatrice de télévision assassinée par le cartel de Medellín dans les années 1990.
La Colombie est plongée depuis plus d'un siècle dans un conflit impliquant des soldats, des guérilleros paramilitaires et des narcotrafiquants. Plusieurs groupes illégaux, notamment des dissidents des FARC, se renforcent dans les zones éloignées du pays. Cette situation menace la politique de « paix totale » voulue par le président colombien, malgré l'accord historique de paix signé en 2016 avec les FARC. Quelle est votre analyse sur ces violences et leur possible multiplication ? Plus largement, quels scrutins nationaux sont à suivre en Amérique du Sud qui pourraient avoir des impacts majeurs ?
Mme Gisèle Jourda. - Je vous remercie pour votre exposé. Nous possédons le second domaine maritime mondial grâce à nos régions ultrapériphériques, mais cette puissance océanique reste peu mobilisée comme outil d'influence diplomatique et géopolitique, ce que je trouve affligeant. Comment le ministère entend-il mieux valoriser les zones économiques exclusives ultramarines, notamment dans les Caraïbes, en s'appuyant sur les enceintes régionales comme l'Association des États de la Caraïbe (AEC), la CARICOM ou encore des associations comme Eurodom ?
Ma seconde question porte sur nos actions au sein de l'Europe. La France a toujours porté une dynamique de valorisation des régions ultrapériphériques françaises dans les enjeux européens. Comment nous positionnons-nous par rapport aux propositions faites pour un « Blue Deal » européen et comment votre ministère entend-il renforcer, depuis les territoires français des Amériques et des Caraïbes, une diplomatie maritime européenne ?
Mme Nathalie Broadhurst. - Le Mercosur comprend l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay, en plus du Brésil, mais pas le Venezuela. Le Brésil est l'acteur économique principal, suivi de l'Argentine, mais les quatre membres sont mobilisés pour une signature rapide de l'accord.
S'agissant des coûts de production pour nos éleveurs, nous utilisons précisément ces arguments au ministère des Affaires étrangères pour expliquer notre refus de signer cet accord en l'état. Le Président n'est pas opposé par principe à un accord UE-Mercosur, mais les conditions ne sont pas réunies en raison de cet écart et de l'absence de clauses de sauvegarde pour protéger nos éleveurs. Notre position est d'obtenir des clauses de sauvegarde pour cette protection.
Les territoires ultramarins sont effectivement confrontés à des défis de sécurité et de criminalité organisée et nous coordonnons en interministériel, des programmes européens et français face à ces problèmes. Le programme EL PAcCTO, financé par l'Europe, est important bien que l'opérateur soit espagnol, limitant parfois notre accès aux informations. Nous essayons d'être très offensif sur se programme afin d'en faire bénéficier l'ensemble de la région. La Guadeloupe est un interlocuteur clé pour la mise en oeuvre d'EL PAcCTO -- Caraïbe. La prochaine réunion ministérielle EL PAcCTO aura lieu à Lima le 16 juin. Nous y avions annoncé notre ministre de la Justice et notre ministre délégué auprès du ministère de l'Intérieur, mais le ministre de la Justice ne pourra pas s'y rendre.
Nous avons également un programme français, ALCORCA, basé en République dominicaine, qui travaille en réseau avec nos collectivités d'outre-mer et les forces armées aux Antilles. Il se concentre sur la formation des forces de police, mais collabore aussi avec les douanes et les attachés de sécurité intérieure pour lutter contre les narcotrafiquants. Il s'agit d'une grande cause nationale que nous essayons nous-mêmes de décliner.
Ma direction a coordonné avec la direction des affaires stratégiques une analyse de notre réseau diplomatique et de nos moyens face à ces défis, recommandant la création ou le redéploiement de postes vers cette zone pour lutter contre le narcotrafic. Le contexte budgétaire complique ces ambitions, mais notre dispositif en réseau fonctionne, bien qu'il reste modeste face aux enjeux colossaux de cette zone. La Colombie est le premier producteur de cocaïne, le Pérou le deuxième, et nous devons faire face à des organisations criminelles extrêmement flexibles qui réinventent constamment leurs routes pour éviter les contrôles. Il faut avoir les moyens de suivre ces flux.
Concernant Cuba, nous cherchons un équilibre entre fermeté sur les droits fondamentaux et opposition à l'embargo américain. Nous votons chaque année aux Nations Unies une résolution dénonçant cet embargo économique, malgré les pressions américaines. Nos entreprises font face à des difficultés, mais nous avons évité jusqu'à présent les sanctions secondaires dans le cadre de Helms-Burton. Nos entreprises sont bien défendues. L'administration Trump a malheureusement rétabli immédiatement l'ensemble des mesures extraterritoriales que Biden avait partiellement levées.
La situation politique en Colombie est extrêmement préoccupante. Le président Petro achève son mandat très affaibli. Il a tenté d'élargir l'accord de paix de 2016 aux autres mouvements de guérilla dissidents des FARC, les e l'État-major central des Farc (EMC) et l'armée de libération nationale (ELN), qui ont récupéré les territoires laissés vacants, comprenant que la légitimé de l'accord avec les anciens FARC pouvait être remise en question. Cette démarche complique considérablement les négociations. Il est critiqué en interne par les partis conservateurs opposés à son agenda socialiste et il se plaint régulièrement de la force d'inertie de toute l'opposition et des pouvoirs judiciaires. L'accord de paix est cité en modèle par le Conseil de sécurité des Nations unies, mais implique de nombreux défis. La tentative d'assassinat de Uribe est extrêmement préoccupante. L'extension des cartels et de la criminalité organisée dans les zones sans présence étatique est alarmante. Presque la moitié du territoire colombien est aux prises des cartels, affectant même l'Équateur voisin.
Parmi les scrutins importants à surveiller figurent ceux de Boric au Chili à la fin de l'année et de Lula au Brésil l'année prochaine. Le Pérou est dans une situation compliquée depuis la destitution du président de gauche élu et son remplacement par une vice-présidente paralysée par un congrès conservateur et des élections prévues en 2026. La situation en Bolivie reste également conflictuelle. La présidente Boluarte, très rarement autorisée à voyager, a pu se rendre à Nice au sommet sur les océans.
Pour nos territoires ultramarins comme outil d'influence, nous avons oeuvré à l'adhésion de la Martinique à la CARICOM et de la Guyane comme membre observateur. Leur adhésion à l'AEC et l'OECO sont très importantes. Une Conférence régionale des Antilles avec nos collectivités territoriales sera organisée au second semestre. Le Président a obtenu le principe d'une modification du règlement sur les régions ultrapériphériques pour faciliter leur intégration au marché de la CARICOM, tant qu'elles sont régies par des règles du marché commun européen. Le Président a annoncé l'intégration régionale de nos collectivités comme une priorité absolue. L'ambassadeur Arnaud Mentré, récemment nommé pour la zone atlantique, a pour mandat d'aider nos collectivités d'outre-mer à mieux s'intégrer dans leur région. J'ai accompagné notre ministre délégué au Partenariat au Développement et à Partenariats internationaux, Monsieur Tani Mohamed Soilihi, qui s'est rendu au Sommet de la CARICOM en portant ce message.
Mme Catherine Dumas, vice-présidente. - Je vous remercie pour cette présentation sur cette zone du monde qui intéresse particulièrement notre commission. Vos réponses ont été précieuses, notamment concernant nos prochaines missions au Brésil et au Guyana sur lesquelles nous travaillons depuis plusieurs années. Les échanges sur les États-Unis ont également été très intéressants, mais ils permettent difficilement de dresser un bilan compte tenu de l'activisme du Président Trump. Merci également aux personnes qui vous accompagnent.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo en ligne sur le site internet du Sénat.
La réunion est close à 19h00.
Mercredi 11 juin 2025
- Présidence de Mme Catherine Dumas, vice-présidente -
La réunion est ouverte à 09h 00.
Audition de S.E. M. Joshua Zarka, ambassadeur d'Israël en France
Mme Catherine Dumas, présidente. - Nous accueillons aujourd'hui M. Joshua Zarka, ambassadeur d'Israël en France. Monsieur l'ambassadeur, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation.
Pour commencer, nous vous serions reconnaissants de faire un point sur les passagers du Madleen, ce voilier affrété par des militants de la cause palestinienne en route pour Gaza, arraisonné par les autorités israéliennes dans la nuit de dimanche à lundi. À ce stade, quatre des six ressortissants français à bord ont refusé une expulsion accompagnée en France et seront donc transférés en Israël dans l'attente d'une décision judiciaire. La situation a peut-être encore évolué récemment.
Je voudrais également évoquer les honteuses agressions antisémites survenues la semaine dernière. Je pense notamment à ce rabbin attaqué deux fois en quelques jours, à Deauville, puis à Neuilly-sur-Seine. Absolument rien ne justifie ces actes odieux. Je parle au nom de mes collègues en vous disant ma peine, mon indignation et ma solidarité. Quand un Français juif est agressé, quand la communauté juive est ciblée, c'est la France qui est attaquée.
Par ailleurs, nous savons que vous accomplissez votre mission diplomatique dans des conditions particulièrement difficiles. L'assassinat de deux de vos jeunes collègues diplomates à Washington nous a profondément choqués, et nous mesurons la peine et le poids que cet attentat fait peser sur tous les diplomates israéliens de par le monde.
J'en viens au principal sujet de cette audition, qui est la campagne militaire à Gaza et la catastrophe humanitaire qui en découle. Vous nous direz d'abord quel sens donner, selon vous, à cette guerre. Passé le temps de la légitime réponse aux massacres du 7 octobre commis par le Hamas, elle semble aujourd'hui n'avoir ni fin, ni objectif précis. En effet, après un an et demi de conflit et plus de 50 000 victimes gazaouies, l'éradication du Hamas et le retour des otages promis par le Premier ministre n'ont toujours pas eu lieu. Nous souhaitons, tous autant que vous, que soit mis fin à leur calvaire. Mais la reprise des combats est-elle vraiment la solution ? La situation sur le terrain nous semble démontrer le contraire.
Gaza s'enfonce toujours plus dans la crise humanitaire. Dernier épisode en date, après la levée du blocus total imposé à l'enclave depuis le mois de mars, la prise de contrôle par Israël de la distribution de l'aide a donné lieu à de très graves incidents où plusieurs dizaines de civils auraient été tués par l'armée. Rappelons qu'il est impossible d'établir les faits en toute indépendance, Israël interdisant aux journalistes internationaux l'accès non encadré à la bande de Gaza.
L'incertitude règne également quant aux intentions du gouvernement israélien vis-à-vis de Gaza. Depuis des mois, plusieurs ministres de la coalition évoquent une recolonisation de l'enclave, évacuée en 2005 par la volonté d'Ariel Sharon, Premier ministre d'alors. Les mêmes ministres défendent également l'expulsion de la totalité de la population palestinienne - ce qui constituerait un nettoyage ethnique -, voire la destruction totale de l'enclave.
Le Premier ministre lui-même n'a, à notre connaissance, pas présenté sa vision du Gaza d'après-guerre. Or, la volonté d'annihilation du Hamas, aussi légitime soit-elle après l'horreur du 7 octobre, ne saurait tenir lieu de plan de paix, d'autant qu'elle fait payer un prix disproportionné aux civils de Gaza. Comment Israël envisage-t-il sa relation avec les États de la région, en particulier l'Arabie saoudite qui a rappelé à maintes reprises que la perspective d'un État palestinien serait la condition d'une normalisation ?
De plus, face aux pressions de plus en plus insistantes de la communauté internationale, et notamment des pays de l'Union européenne, les Autorités israéliennes ont répondu par une forme de surenchère. La relation bilatérale s'est notamment fortement dégradée avec la France. Nous savons que vous déployez tous vos efforts pour améliorer les choses, dans un contexte qui ne vous rend pas la tâche aisée. Deux gendarmes ont été brièvement arrêtés au domaine de l'Eleona au mois de novembre dernier lors de la visite du ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot.
Les propos de président de la République, qualifiant de « honte » ce que fait le gouvernement de Benyamin Netanyahou à Gaza et la possibilité d'une reconnaissance par la France d'un État palestinien au mois de juin ont également suscité des mises en cause extrêmement vives par M. Netanyahou, qui a reproché au Président de « relayer la propagande ignoble du Hamas ». Comment sortir de ce cycle ?
Enfin, nous aborderons la situation avec la Cisjordanie, où les colons semblent avoir haussé le rythme des attaques contre les habitants palestiniens. Quel est le sens politique de ces agissements ? S'agit-il de poser des jalons pour rendre toute paix impossible à l'avenir ? Pourquoi ces actes qui attisent encore les tensions, déjà extrêmes ?
Nous évoquerons aussi les différents dossiers régionaux, notamment l'avenir du Liban ou de la Syrie où Israël est intervenu militairement, ainsi que le dossier nucléaire iranien. Israël acceptera-t-il un accord entre l'Iran et les États-Unis, le président Trump ayant manifesté sa volonté de faire aboutir ce dossier ?
Je sais que beaucoup de mes collègues souhaiteront vous interroger après votre exposé. J'insiste sur le principe de respect, habituel dans cette assemblée, et l'écoute mutuelle qui devront guider nos échanges dans des moments difficiles. Je sais que vous saurez en faire preuve.
Je précise que cette audition est captée et diffusée sur les réseaux sociaux du Sénat.
M. Joshua Zarka, ambassadeur d'Israël en France. - Merci de votre hospitalité et de cette invitation. Je ferai de mon mieux pour présenter les positions israéliennes sur vos différentes questions.
Vous m'interrogiez sur les ressortissants français entrés illégalement en Israël et refusant d'être rapatriés immédiatement. Je crois que vous parlez, en France, d'OQTF (obligation de quitter le territoire français) lorsqu'un individu entre illégalement sur votre territoire et refuse d'en sortir. Voilà le statut se rapportant à ces personnes. Nous voulons leur faire rencontrer un juge ou un magistrat qui décidera s'ils doivent être rapatriés vers la France ou s'ils ont le droit rester dans le pays légalement, s'ils demandent le statut de réfugié, par exemple.
Leur statut est celui d'un immigré illégal. Ils sont maintenus dans un centre de détention, qui n'est pas une prison, prévu justement pour les OQTF. Nous avons pour objectif de les mettre dans un avion vers la France le plus rapidement possible.
Permettez-moi maintenant de procéder à une présentation de notre situation géostratégique. Le 7-octobre est un événement iranien. Sans l'Iran, qui a planifié, financé, armé, soutenu le Hamas et les différentes organisations terroristes qui évoluent autour de nous, le 7-octobre n'aurait pas eu lieu, tout comme la guerre qui a suivi et qui continue.
L'objectif iranien, annoncé très clairement, était d'isoler Israël et de nous attaquer sur plusieurs fronts en même temps. La mise en oeuvre par le Hamas de ce plan de conquête, élaboré par Qassem Soleimani, alors chef de la force d'élite des gardes de la révolution, n'était pas totalement coordonnée avec l'Iran ni avec le Hezbollah. Pour autant, nous avons observé juste après la guerre que toutes les forces créées par l'Iran autour de nous y étaient entrées afin de mettre fin à l'existence de l'État d'Israël. Dans les documents du Hamas que nous avons trouvés dans les tunnels - par milliers - nous avons constaté que le but défini avant la guerre consistait à tuer les possibilités de paix, puis à permettre la survenue d'une guerre sur différents fronts, menés par les différents proxies créés par l'Iran autour de nous.
Je reviendrai plus tard sur le développement de la guerre.
Aujourd'hui, l'aide humanitaire est distribuée par deux canaux : l'organisation GHF, américaine, qui a distribué 13 millions de repas à la population gazaouie à ce jour ; et l'ONU, après la mise en oeuvre d'un système permettant que l'assistance alimentaire ne soit pas pillée par le Hamas et qu'elle parvienne immédiatement à la population palestinienne. C'était auparavant le cas. En 2024, nos renseignements laissent entendre que le Hamas s'est enrichi de 50 millions de dollars en pillant l'aide alimentaire et en la revendant à la population gazaouie. Lorsque le Hamas a refusé la deuxième proposition de cessez-le-feu, il a demandé que l'offre alimentaire passe par son biais, prouvant ses difficultés financières conséquentes. C'est la raison pour laquelle nous avons cessé cette distribution en mars, le temps de trouver une solution qui permettrait de l'opérer sans passer par le Hamas.
Israël a défini le but de cette guerre depuis le premier jour : détruire les capacités financières du Hamas, l'empêcher de gouverner une nouvelle fois Gaza, et permettre le retour de tous nos otages. Si demain, le Hamas libérait nos otages, je peux vous assurer que cette guerre prendrait fin.
Nous savons que 25 000 terroristes du Hamas ont été tués. Il ne reste presque aucun terroriste du 7-octobre, de ceux du premier jour. Pour autant, le Hamas ayant pu s'enrichir grâce à la vente de l'assistance humanitaire, il parvient à embaucher des jeunes en leur donnant 50 dollars par mois et un fusil. Ils font alors partie de l'organisation. Ainsi, la plupart des combattants encore sur place sont ces jeunes qui n'ont rien à perdre, qui gagnent quelques dizaines de dollars par mois, et qui espèrent continuer à maintenir un contrôle du Hamas sur la bande de Gaza. Il ne reste que quelques dizaines de cadres du début de la guerre. Les autres ont été éliminés ou faits prisonniers.
Cette guerre nous a été imposée. Nous ne l'avons pas planifiée. Le 6 octobre, nous ne savions pas que nous allions entrer dans la bande de Gaza et y mettre en place notre gouvernance. Nous sommes entrés en guerre après l'attaque inhumaine et barbare du 7-octobre, dans l'objectif que je vous ai exposé.
Il reviendra aux gazaouis de définir leur gouvernance au lendemain de la guerre, mais nous avons fixé des conditions : ce ne sera pas le Hamas, ni Israël, ni l'Autorité palestinienne actuelle. Cette dernière a eu tout le temps de construire des conditions de paix avec nous depuis les accords d'Oslo, mais elle a refusé les propositions de paix, a perdu la bande de Gaza lorsque nous nous sommes retirés de façon unilatérale, la laissant aux mains du Hamas. Elle a aussi refusé le plan de paix proposé par le président Trump, sous le nom de « deal of the century ». Ainsi, elle ne pourra prendre la gouvernance de Gaza au sortir de la guerre sans être profondément réformée. Il me semble que c'est aussi la position de la France et de la communauté internationale.
Je le disais, l'évènement du 7 octobre est iranien. Le peuple juif exprime des craintes dues à des millénaires d'histoire, au cours desquels nous avons survécu à des tentatives d'extermination. Le régime iranien dit de façon très claire qu'il veut nous détruire en développant l'arme nucléaire. Nous devons prendre ces menaces au sérieux, surtout après le 7-octobre. Avant cette date, nous ne pensions pas vraiment que leur but était tel, même si les Iraniens affirmaient vouloir tuer tous les juifs et tous les Israéliens. Nous pensions qu'ils comprenaient à quel point un tel plan serait terrible, pour eux-mêmes comme pour la population palestinienne. Nous nous trompions.
Quand un pays comme l'Iran planifie de détruire un pays, qu'il construit une architecture de proxies autour de notre pays - à laquelle nous avons mis fin durant cette guerre -, qu'il fait entrer des armes et explosifs en Cisjordanie depuis plusieurs années pour déstabiliser l'Autorité palestinienne, la remplacer par le Hamas et ouvrir un autre front contre Israël, nous ne pouvons que le prendre au sérieux. Dans ce cadre, notre but est d'empêcher coûte que coûte l'Iran d'accéder à l'arme nucléaire. Des négociations ont lieu entre les Américains et les Iraniens. Le Premier ministre a dit clairement que nous n'opérerions pas tant qu'elles se poursuivaient, et que nous espérions qu'elles mettraient fin au développement des capacités nucléaires de l'Iran. Ce pays comprend très bien que l'alternative serait terrible pour lui. Israël, mais aussi la communauté internationale dans son ensemble, ne lui permettront pas d'avoir cette arme. Nous préférons une solution diplomatique, car nous avons déjà vu ce dont l'Iran était capable. Il a tiré 350, puis 180 missiles et drones sur Israël. Si une guerre devait éclater, nous serions sa première et principale victime.
L'Iran avait construit une architecture de proxies autour de nous, mais aussi autour de l'Arabie Saoudite, son deuxième grand ennemi au Moyen-Orient. Elle a été construite par Qassem Soleimani, et renforcée par ses successeurs. Elle a été détruite pendant la guerre. Aujourd'hui, l'Iran est incapable de nous menacer pour cette raison. Nous avons aussi détruit son infrastructure de défense stratégique. Nous avons donc l'opportunité de le contraindre à renoncer à son programme nucléaire par le biais de négociations diplomatiques.
Mme Catherine Dumas, présidente. - Merci pour ces informations qui répondent à un certain nombre de mes questions. Je donne la parole à notre collègue Roger Karoutchi, président du groupe d'amitié France-Israël.
M. Roger Karoutchi. - Ce n'est pas en une heure et demie ce matin que nous réglerons le conflit au Proche-Orient. Le débat est hystérisé en France. La communauté juive se sent désignée, ciblée par ceux qui affirment qu'il y aurait un génocide, qui confondent antisionisme et antisémitisme, souvent volontairement, en affichant des intérêts électoralistes évidents. Ce n'est pas sain, ni normal. Je regrette infiniment que nous ne puissions avoir de débats plus sereins, si tant est que ce soit possible.
Il y a trois ans, j'organisais ici un colloque sur les accords d'Abraham, en présence de représentants d'Israël, du Maroc, des Émirats Arabes Unis, de l'Égypte, des représentants non officiels d'Arabie Saoudite, etc. À ce moment-là, nous avions le sentiment que la paix progressait à grands pas. De fait, au-delà de l'Iran, l'évènement du 7 octobre est intervenu à un moment où le Hamas voulait empêcher l'Arabie Saoudite de signer les accords d'Abraham. Il désirait nuire à tout accord de paix dans la région élargie.
La mémoire collective étant faillible et évolutive, beaucoup ont oublié les images du 7-octobre.
Personne ne m'entendra dire que la situation à Gaza n'est pas dramatique. Personne ne banalise la mort de 50 000 gazaouis - ce sont les chiffres du Hamas, certes, mais prenons-les tels quels.
Certains emploient le terme de « génocide ». Permettez-moi de m'en tenir aux règles internationales et de rappeler les trois génocides du XXe siècle : le génocide arménien, lors duquel 60 % des Arméniens de l'Empire ottoman ont disparu ; la Shoah, durant laquelle 65 % des juifs d'Europe ont été massacrés ; le génocide des Tutsis au Rwanda, où 50 % de cette population a été massacrée.
Dans ces trois cas, le génocide a eu lieu sans agression préalable. Dans le cas présent, Israël réagit au 7-octobre. Israël n'envisageait pas d'attaquer Gaza sans cet évènement. La situation politique et humaine est bien différente.
On peut critiquer la politique du gouvernement de Natanyahou, ou la reprise des combats en masse, mais nous devons en rester à la réalité pour avancer vers des situations politiques.
Le gouvernement français a émis quatre conditions pour reconnaître un État palestinien : l'éviction du Hamas, le renouvellement de l'Autorité palestinienne, des accords de paix avec les États arabes de la région, et la libération des otages. Aucune de ces conditions n'est aujourd'hui remplie pour l'heure. Le président Mahmoud Abbas condamne enfin, par une lettre, les massacres du 7-octobre et indique espérer l'éviction du Hamas, sans identifier de conditions concrètes. Comment l'Autorité palestinienne évincée de Gaza pourrait-elle y reprendre la main ? Nous ne demandons pas mieux, mais je ne pense pas que ce soit faisable aujourd'hui.
Je ne m'étendrai pas sur la croisière. Que chacun reste sur des fondamentaux, et non sur des opérations de communication qui n'ont pas de sens, par pitié.
Ainsi, comment peut-on envisager l'avenir des accords d'Abraham ? Israël peut-il reprendre la marche vers la paix dans la région en ayant des accords de paix avec la Jordanie et l'Égypte - c'est déjà le cas -, mais en les étendant à l'Arabie Saoudite, aux Émirats Arabes Unis, à la Syrie, si elle évolue ? Comment s'orienter vers un État palestinien avec des conditions particulières ? Quelles conditions fixeriez-vous ?
M. Joshua Zarka. - Vous savez, Israël n'est pas opposé à l'idée même d'un État palestinien. À quatre occasions, il a proposé à l'Autorité palestinienne la création d'un État avec une armée, un contrôle des frontières, etc. Les trois premières fois, ces propositions ont été émises auprès de Yasser Arafat, à Camp David, puis à Taba. La quatrième proposition a été adressée à Mahmoud Abbas par le Premier ministre d'alors Ehud Olmert. Toutes ont été rejetées.
Après le 7-octobre, nous ne pouvons nous permettre d'être confrontés à une entité palestinienne en mesure de nous menacer. Lorsque nous nous sommes retirés de la bande de Gaza, un état a été créé. Mahmoud Abbas en avait le contrôle. Nous avons laissé toute cette zone sans un Israélien à l'intérieur. Au bout d'un an, le Hamas en a pris le contrôle. Immédiatement après cela, ses membres ont commencé à tirer des centaines de milliers de missiles ou des mortiers sur Israël.
Ainsi, ce n'est pas le concept d'État palestinien qui nous dérange, mais il ne faudrait pas que cette entité soit capable de menacer notre existence. Israël est un tout petit pays, pas plus grand que le New Jersey. Si la Palestine devenait un État, le Hamas ou une autre organisation terroriste similaire en prendrait immédiatement le contrôle, et tuerait notre espoir de paix, nous mettant en danger.
Les accords d'Abraham ont créé une situation différente au Moyen-Orient, un espoir de paix. Celui-ci n'est pas mort, au contraire.
Les Palestiniens n'iront nulle part. Les Israéliens non plus. Ce sera à nous, Israéliens, de vivre en paix avec les premiers, de développer un système leur permettant de vivre comme ils en ont le droit, tout en nous assurant la sécurité nécessaire. Pour ce faire, nous devons créer les conditions de ce futur de paix. Cela commence par le désarmement des organisations terroristes encore présentes à Gaza, ainsi qu'en Cisjordanie. Cette dernière année, nous y avons compté mille attaques différentes : 25 grenades jetées contre des civils, 47 tirs de fusils, 87 tirs de pistolet, 80 cocktails Molotov, etc. On n'en parle pas. Ce qui se passe en Cisjordanie aujourd'hui, c'est un combat contre le terrorisme.
Il y a quelques semaines à peine, une jeune femme qui allait accoucher a été attaquée en chemin. Elle est morte immédiatement. Son bébé n'a pu rester en vie que quelques jours. Nous ne pouvons maintenir cette situation. Pour cette raison, nous combattons les terroristes qui veulent détruire la paix. Nous essayons dans le même temps de renforcer ceux qui veulent vivre en paix avec nous. Cette démarche commence par la sécurité, le désarmement des forces palestiniennes, mais aussi par une réforme fondamentale de l'Autorité palestinienne. Cette dernière a eu le temps, ces trente dernières années, de créer une atmosphère de paix, mais elle a construit une atmosphère de guerre, de mort, y compris dans l'éducation des enfants. En mathématiques, on leur propose par exemple calculer le nombre de juifs tués par un martyr. Ce n'est pas ainsi que l'on crée un environnement de paix. Nous devons nous débarrasser de tous les ennemis de la paix après le 7-octobre.
M. Akli Mellouli. - Nous avons tous et toutes condamné le 7 octobre, mais tout n'a pas commencé à cette date, comme vous l'affirmez. Vous dites que l'Organisation de libération de la Palestine a refusé tous les processus de paix. Je crois pourtant savoir que Yasser Arafat avait signé un accord avec Yitzhak Rabin pour deux États. Ce processus de paix n'a pas été à son terme.
De plus, vous ne vous exprimez pas sur les victimes palestiniennes et les enfants palestiniens. Nous nous en étonnons.
Vous dites être pour un État palestinien. Or, en juillet 2024, la Knesset a voté majoritairement pour rejeter tout État palestinien.
Dans ce contexte, considérez-vous qu'Israël est au-dessus du droit international ? Comment justifier l'entrave à l'acheminement de l'aide humanitaire à Gaza en violation totale de ce droit ? Quelle est votre action face aux enquêtes internationales, y compris celles de la Cour pénale internationale, qui évoquent un possible génocide ?
M. Joshua Zarka. - Je n'ai pas affirmé que nous étions favorables à la création d'un État palestinien, mais qu'Israël a, à quatre reprises, proposé l'établissement d'un État palestinien, et que ces propositions ont été rejetées par l'Autorité palestinienne. Vous évoquez les accords d'Oslo, signés à Washington entre Arafat et Rabin. Ces accords ne prévoyaient pas la création d'un État, mais le début d'un processus politique censé mener à la paix. Il s'agissait d'une simple déclaration de principe, et non d'un véritable accord de paix.
L'accord de paix qui aurait dû concrétiser cette déclaration de principes était celui négocié à Camp David. Le président Clinton, à la tête de ces négociations, a clairement indiqué qu'un État palestinien avait été proposé à Arafat par Ehud Barak et lui-même en juin 2000. Le rejet de cette offre a conduit à la deuxième intifada. N'oublions pas les faits, qui ont leur importance.
Ensuite, nous avons pour objectif de permettre aux Palestiniens d'accéder à l'assistance humanitaire, sans passer par le fléau qu'est le Hamas, qui ne se soucie guère des Gazaouis. Ce dernier a clairement exprimé son utilisation des Gazaouis à des fins politiques. Un de ses dirigeants a été jusqu'à affirmer, il y a à peine une semaine, que pour le Hamas, plus il y aurait de morts palestiniens, mieux cela serait.
Le Hamas exploite de manière cynique la souffrance des Palestiniens, tout comme certains acteurs politiques européens et français. Nous souhaitons permettre un accès direct à l'assistance humanitaire pour les Palestiniens, sans qu'ils aient à l'acheter au Hamas. Pour ce faire, nous avons mis en place un mécanisme complexe permettant de contourner cette organisation et d'atteindre directement la population palestinienne. Au début, nous avons rencontré des difficultés, étant donné que le Hamas continuait de combattre, tirant même sur des civils palestiniens en route pour recevoir cette assistance humanitaire. Cependant, nous sommes finalement parvenus à établir ce mécanisme de distribution.
Ensuite, la Cour internationale de justice ne parle pas de possibilité de génocide. Elle demande simplement de vérifier les plaintes. L'une de ses anciennes présidentes a souligné que son arrêt avaient parfois été interprété de manière trompeuse par certains acteurs cherchant à déformer son message. Elle a clairement indiqué qu'il était raisonnable de vérifier les faits, sans pour autant évoquer une possibilité de génocide.
Quant à la Cour pénale internationale, je citerai l'ancienne présidente : « Le tribunal utilise l'idée de plausibilité pour décider d'imposer des mesures, mais le critère est la plausibilité des droits revendiqués par le requérant, donc l'Afrique du Sud. La Cour a établi que les Palestiniens avaient un droit plausible à être protégés contre les génocides et que l'Afrique du Sud pouvait présenter cette demande devant les tribunaux ». Elle a ensuite examiné les faits, mais n'a pas décidé qu'il était plausible d'invoquer le génocide. Elle souligné dans l'ordonnance qu'il existait un risque de préjudice irréparable pour les droits des Palestiniens en matière de protection contre le génocide, mais le raccourci qui est fréquemment fait, même en France, à savoir qu'il existe un cas plausible de génocide, n'est pas ce que la Cour a statué. Examinons les faits tels qu'ils sont définis, plutôt que de les interpréter selon nos souhaits.
M. André Guiol. - L'interception, le 9 juin 2025, en haute mer, du navire humanitaire Madleen par la marine israélienne a suscité de vives réactions de la part de nombreux gouvernements européens. Entraver l'acheminement de l'aide à une population civile apparaît insoutenable. Sans entrer dans le débat sur le respect du droit international concernant l'arraisonnement en mer, cet épisode affaiblit une nouvelle fois le multilatéralisme, qui est souvent fondé sur des résolutions de l'ONU, résolutions sur lesquelles la création d'Israël s'est largement appuyée. Parallèlement, le multilatéralisme est mis à mal par l'administration de Trump, ce qui contribue à son affaiblissement.
Dans ce contexte, ne craignez-vous pas que votre posture de défiance envers le multilatéralisme n'isole durablement Israël, ne nuise à sa sécurité et ne vienne ainsi compromettre sa légitime réponse aux attentats terroristes du 7-octobre ?
M. Joshua Zarka. - Israël n'a pas été fondé par l'ONU. Si l'on consulte la Bible, document à la fois théologique et historique d'importance, on constate qu'Israël existe depuis des millénaires. L'État d'Israël est une autre entité, distincte. N'oublions pas le lien entre Israël et sa terre, Sion, qui est le nom de Jérusalem.
Ensuite, l'ONU a mis trois jours à établir que la Russie avait commis des crimes de guerre et utilisé le viol comme arme de guerre en Ukraine, à Boutcha. Il lui a fallu trois mois pour reconnaître que des femmes israéliennes avaient été violées, tuées, blessées et brûlées le 7-octobre. Et même aujourd'hui, si l'on interroge l'ONU sur les crimes contre l'humanité commis en Israël le 7 octobre, il est fort probable qu'elle élude la question.
En outre, elle ne définit pas le Hamas comme une organisation terroriste.
L'ONU a été créée par des pays démocratiques après la Seconde Guerre mondiale, mais la majorité de ses membres actuels ne sont pas des démocraties. Sa mission a été essentielle pour stabiliser l'ordre mondial après la guerre. En tant qu'ancien diplomate représentant Israël à la Conférence du désarmement à l'ONU, je me souviens d'avoir échangé avec un collègue libyen sur le rôle et l'importance de l'ONU à l'échelle internationale. Il désignait cette organisation comme « a very mild international tranquillizer » - un tranquillisant international très peu puissant...
Les déclarations du Secrétaire général de l'ONU à l'égard d'Israël, tout en omettant de qualifier le Hamas de groupe terroriste, ainsi que le temps qu'il a mis à évoquer le 7-octobre comme un acte inhumain, ont énormément nui à l'organisation. L'ONU a encore un rôle à jouer, certes, mais elle doit être réformée pour le remplir efficacement.
Je pense que l'ordre international nécessite une organisation comme l'ONU, mais qui ne soit pas populiste. Malheureusement, aujourd'hui, l'ONU l'est.
Concernant l'aide humanitaire, ce qui se passe à Gaza est terrible, et la souffrance des Palestiniens l'est tout autant. Ce n'est pas une situation que nous avons choisie, ce n'est pas une guerre que nous avons désirée. Si nous avions pu neutraliser le Hamas sans faire de victimes palestiniennes, nous l'aurions fait avec grand plaisir.
Le problème réside dans le fait que le Hamas utilise cyniquement la population palestinienne. Dans ce contexte, cette souffrance des Palestiniens est une réalité avec laquelle nous devrons vivre. Ce ne sera pas à la France, aux États-Unis, à l'Angleterre ou à d'autres pays de vivre à côté des Palestiniens, mais à nous.
Cette souffrance a également des conséquences désastreuses sur notre propre population. Elle nous pèse. Nous ne l'avons pas choisie. Si nous avions pu la résoudre en deux semaines et ramener nos otages immédiatement, nous l'aurions fait depuis longtemps. Malheureusement, ce n'est pas le cas.
Mme Catherine Dumas, présidente. - Je donne la parole à Gisèle Jourda, présidente du Groupe d'amitié France-Palestine.
Mme Gisèle Jourda. - J'aimerais exprimer un très profond regret. Je me suis rendue dans le secteur géographique concerné avant le 7-octobre, et j'ai vu l'état d'esprit qui y présidait, à l'époque des accords d'Abraham. Cet évènement, que je condamne, a donné un coup d'arrêt à ce processus. Il entraîné une riposte disproportionnée, avec un nombre de morts énorme, une situation inacceptable à Gaza. Vous dites qu'il faut créer les conditions d'un espoir de paix, qui n'est pas mort. Pourtant, si cette guerre se poursuit, il ne restera plus un gazaoui sur la bande de Gaza.
Qu'en est-il de la situation en Cisjordanie, qui est tout aussi préoccupante ? Je ne mentionnerai même pas la poursuite de la politique de colonisation.
Comment préserver et contribuer à établir la paix dans cette région ? Vous avez évoqué Yasser Arafat et Yitzhak Rabin, mais il s'agissait d'un autre monde et d'une autre époque. Aujourd'hui, nous avons pour interlocuteurs Benjamin Netanyahou et Mahmoud Abbas. Nous ne sommes plus confrontés au même contexte.
Cela étant dit, nous ne devons pas baisser les bras. Nous devons promouvoir la coexistence et la solution à deux États. Dans les semaines à venir, sous l'égide des Nations unies et à la coprésidence de la France et de l'Arabie Saoudite, nous allons examiner cette solution ainsi que la reconnaissance de l'État de Palestine.
À ce sujet, je crois que la France devrait reconnaître l'État de Palestine sans condition, à l'instar d'autres pays européens. Nous tardons quelque peu dans cette démarche. Pourriez-vous nous éclairer sur la manière dont vous envisagez ce sommet aux Nations unies et quelle sera la position d'Israël à cet égard ?
M. Joshua Zarka. - La reconnaissance de l'État de Palestine par la France la semaine prochaine serait désastreuse, tant pour les Palestiniens que pour les Israéliens, ainsi que pour les relations franco-israéliennes et pour la capacité de la France à influencer les futurs processus de paix.
Je vous disais qu'Israël n'est pas opposé à l'idée d'un État palestinien. Simplement, les Palestiniens doivent accepter certains compromis, souvent difficiles, pour qu'une paix durable puisse émerger. Parmi ces compromis figurent, par exemple, le démantèlement total des capacités militaires de cet État et l'absence de contrôle sur ses frontières. Nous avons vu ce qui s'est passé lorsque les Palestiniens avaient presque le contrôle de leurs frontières, notamment avec Gaza. Il y a aussi certaines propositions précédemment rejetées par l'Autorité palestinienne, qu'elle devra accepter pour permettre à cette paix d'advenir.
Or la France et d'autres pays occidentaux reconnaissent aujourd'hui l'État palestinien, les Palestiniens n'auront plus aucune incitation à faire ces compromis. Si l'objectif est d'encourager la paix entre Israéliens et Palestiniens, il est donc fondamental de se demander ce qu'il serait raisonnable d'entreprendre.
Si la reconnaissance s'inscrit dans une démarche visant à créer les conditions propices à la paix, cela peut avoir un sens. En revanche, si c'est un geste public de nature presque populiste, cette reconnaissance, bien qu'elle puisse avoir un rôle politique en France, pourrait occasionner des conséquences désastreuses pour l'avenir des relations israélo-palestiniennes.
Les Palestiniens pourraient alors se demander pourquoi ils devraient consentir à des compromis ou accepter l'idée que l'État palestinien pourrait ne pas avoir le contrôle de ses frontières ni de forces armées, surtout s'ils estiment avoir obtenu tout ce qu'ils pouvaient de l'Occident. Nous avons vu, depuis que le Premier ministre Olmert a offert un accord à Mahmoud Abbas, une stratégie de l'Autorité palestinienne qui consiste à tenter de créer un État sans consentir à des compromis. Cette reconnaissance ne ferait qu'accentuer cette tendance.
Je rappelle également qu'au moment où le Président a évoqué pour la première fois cette conférence en décembre dernier, il espérait probablement que la guerre serait rapidement terminée. Cependant, 55 otages israéliens sont toujours aux mains du Hamas. Est-il raisonnable, selon vous, que la France reconnaisse un État palestinien dans ces conditions ? En agissant ainsi, la France contribuerait-elle réellement à la paix ? Elle devrait plutôt demander au Hamas de libérer inconditionnellement tous les otages. Cette décision mènerait à la fin de la guerre.
Mme Michelle Gréaume. - Nul ici ne minimise l'horreur du 7 octobre ni la réalité du deuil israélien. Cependant, nous ne pouvons rester silencieux face à l'entreprise de destruction méthodique à Gaza. La punition collective infligée à plus de deux millions de personnes, les déplacements de populations, les bombardements massifs, les civils délibérément ciblés, les hôpitaux détruits, et les femmes et enfants massacrés sont consignés par des instances internationales indépendantes. À l'heure actuelle, 90 % des enfants à Gaza ne reçoivent plus une alimentation minimale. Un enfant sur trois dans le Nord souffre de malnutrition aiguë sévère, et des bébés meurent de faim dans les hôpitaux. C'est une honte. La logique qui guide cette opération n'est pas fondée sur la sécurité, mais sur l'inhumanité. Nous parlons de crimes de guerre, de génocide, de déportation, de maltraitance, avec pour seule intention la destruction ciblée du peuple palestinien. Ces accusations sont graves et proviennent non pas d'organisations militantes, mais des plus hautes instances internationales. Nous soutenons sans ambiguïté les décisions prises par la Cour pénale internationale et la nécessité de poursuivre tous les responsables de violations du droit international.
Je pense également qu'il convient d'envisager des sanctions commerciales et économiques, notamment la remise en cause de l'accord d'association UE-Israël, afin de mettre fin à cette guerre atroce et d'aboutir à la libération des otages.
Dès lors, je tiens à vous le dire avec force, monsieur l'Ambassadeur : il ne s'agit en aucun cas d'une audition de courtoisie. Cette réunion se veut une convocation pour que vous rendiez compte des crimes du régime que vous représentez, qui conduiront tous ceux qui l'ont justifié ou qui ont participé, directement ou indirectement, à ces actes, devant la Cour pénale internationale.
Nous affirmons ici clairement que la reconnaissance d'un État palestinien est un impératif de justice et un acte de responsabilité historique.
En ce qui concerne le vol et la revente de l'aide alimentaire, il vous incombe de garantir une distribution massive à ceux qui en ont besoin. Que mettez-vous en place à cette fin ? Contrairement à vos affirmations, des enfants meurent encore de faim aujourd'hui. Comment Israël compte-t-il parvenir à la paix tout en niant la reconnaissance d'un État palestinien et en procédant à la destruction de sa population ?
Qu'avez-vous à cacher pour tirer sur des diplomates à Jénine et pour refuser toute enquête indépendante sur la situation en Palestine ? Quand Israël se conformera-t-il à nouveau au droit international ? À quel moment votre pays prendra-t-il le choix de la paix et du droit ?
Enfin, si j'ai bien compris, la guerre est attribuée à l'Iran, la famine au Hamas ; que faites-vous, vous-même, dans cette situation ? Dites-vous que les trois ordonnances de la Cour internationale de justice ne sont que des mensonges ?
Mme Catherine Dumas, présidente. - Je précise qu'il s'agit aujourd'hui d'une invitation, acceptée par l'ambassadeur, afin d'éclairer les membres de la commission - quelles que soient leurs opinions - et l'opinion publique.
M. Joshua Zarka. - Merci pour cette clarification. J'avais en effet l'impression que nous avions convenu ensemble de cette discussion. L'un des grands dangers présents dans le discours public aujourd'hui relève de l'adoption du narratif du Hamas et de sa propagande, qui a commencé dès le 7-octobre. J'en tiens pour exemple l'utilisation du terme « génocide », ainsi que l'interprétation erronée des propos de la Présidente de la Cour de justice internationale et de la Cour pénale internationale. On constate une utilisation imprécise des termes liés aux crimes de guerre, parmi d'autres.
Vous évoquez le chiffre de 50 000 victimes, avancé par le Hamas et également cité par différentes entités des Nations unies - elles ont toutes donné différents chiffres. Nous ne le débattons pas, car il est difficile de quantifier exactement les pertes à Gaza. En revanche, nous savons que ce chiffre inclut tous ceux qui y sont décédés, y compris ceux morts de maladies ou de vieillesse, tués par le Hamas lui-même, ainsi que les victimes de la guerre.
Nous connaissons en outre le nombre de terroristes armés que nous avons éliminés : 25 000.
La guerre urbaine est l'une des plus complexes et inhumaines de l'histoire militaire. Elle présente des défis particulièrement difficiles. Le ratio d'une victime dite « collatérale » pour un terroriste dans ce contexte n'a jamais été observé dans l'histoire de la guerre urbaine occidentale.
Je voudrais vous lire ce qu'a déclaré le général McColl, ancien commandant suprême adjoint des forces alliées en Europe de l'OTAN, à propos de la guerre urbaine menée par Israël : « Les procédures sont au moins aussi rigoureuses que celles appliquées par les forces armées britanniques. De plus, l'armée israélienne effectue des évacuations civiles des zones de guerre, renonçant ainsi à l'élément de surprise normalement associé à un conflit armé. »
Les notifications données par téléphone, par textos, par haut-parleurs, ainsi que le largage de tracts et les frappes sur les toits des bâtiments ciblés à l'aide de petites munitions, appelées « knock on the roof », font partie des tactiques employées par l'IDF pour minimiser les pertes civiles en avertissant de l'imminence d'une frappe.
Le général McColl affirme avoir constaté, lors de ses opérations à Gaza, que les règles d'engagement étaient rigoureusement respectées et qu'un nombre considérable d'opérations étaient interrompues lorsque la protection des civils ne pouvait être garantie. Ce n'est pas de la propagande israélienne, mais une déclaration d'un ancien commandant suprême adjoint des forces alliées en Europe de l'OTAN.
La guerre est un concept terrible. Elle nous a été imposée, et elle doit se terminer. Nous devons débarrasser le Moyen-Orient de ce fléau qu'est le Hamas. Tant pour les Israéliens que pour les Palestiniens, il est essentiel de se libérer de cette menace afin de bâtir un avenir qui permette la paix, où Israéliens et Palestiniens pourront vivre ensemble en sécurité.
M. Guillaume Gontard. - Permettez-moi de préciser que les ressortissants français à bord du Madleen ont été interceptés dans les eaux internationales.
Depuis le début de l'opération de Tsahal à Gaza, au lendemain du 7 octobre 2023, le gouvernement israélien affirme avoir pour objectif de détruire le Hamas et de libérer les otages. Je tiens à rappeler que la colonisation des territoires palestiniens est une réalité qui préexistait à cette date. Toutefois, derrière ces objectifs, louables, se cache une réalité tout autre. Votre armée a déjà causé plus de 54 000 morts.
Les chiffres peuvent être manipulés selon leurs sources, mais le meilleur moyen de clarifier la situation serait d'accueillir des observateurs sur place.
Sans compter les centaines de milliers de personnes qui souffrent de la faim, sont blessées ou déplacées, il est inacceptable de prétendre que tous ces individus sont des terroristes du Hamas. Quant aux otages, leurs familles dénoncent depuis des mois leur sacrifice par le gouvernement israélien.
En réalité, votre version des faits ne tient plus, d'autant plus que vous refusez la présence d'observateurs, instaurant une opacité totale sur ce qui se passe à Gaza. Le voile sur vos intentions réelles s'est levé ces derniers mois. Nous avons assisté à la rupture du cessez-le-feu mi-mars, au soutien de Benjamin Netanyahou au plan de Donald Trump, ainsi qu'à l'accélération des annexions des colonies en Cisjordanie, toujours en totale opposition avec le droit international. Depuis le 5 mai, le gouvernement israélien affiche enfin son véritable but : la conquête de Gaza et le départ prétendument volontaire de ses deux millions d'habitants. Les opérations militaires, accompagnées de l'appel de 60 000 réservistes et du grignotage du territoire, témoignent de cette volonté d'annexion. Les franges les plus extrêmes du pouvoir ne cessent de pousser en ce sens, malgré l'échec de la précédente occupation et de celle de la Cisjordanie. Cette réalité contraste fortement avec votre discours.
Puis-je donc vous demander de confirmer, ou plutôt de reconfirmer que vous êtes contre la solution à deux États que défend la France ? Le Premier ministre israélien a récemment déclaré qu'un État palestinien serait « une énorme récompense au terrorisme ». Si tel est votre objectif, quelle perspective politique envisagez-vous qui n'impliquerait pas le génocide du peuple palestinien et, par conséquent, l'isolement total de votre pays sur la scène internationale ?
J'ajouterai que nous sommes tous pour combattre contre le terrorisme, mais on ne le fera durablement qu'avec des solutions politiques, et pas avec des armes.
M. Joshua Zarka. - L'utilisation du terme « génocide » est regrettable. À Gaza, le taux de natalité est d'environ trois enfants par femme. Il y a plus de Palestiniens aujourd'hui qu'il n'y en avait le 6 octobre. Affirmer qu'un génocide est en cours alors que la population augmente est très grave.
Au contraire, des Palestiniens rentrent en Israël pour bénéficier de soins médicaux. Dans les hôpitaux de Jérusalem, les Palestiniens de Cisjordanie sont traités de la même manière que les citoyens israéliens. Évoquer un génocide alors qu'Israël soutient le service de santé palestinien est inacceptable. Cette affirmation reflète une méconnaissance de la réalité des faits. Yahya Sinwar lui-même a été sauvé dans un hôpital israélien. Si nous avions pour objectif de « génocider » les Palestiniens, nous l'aurions laissé mourir de la tumeur au cerveau dont il souffrait.
Je ne remets pas en question le nombre de morts, qui est terrible. Cette guerre est terrible.
M. Guillaume Gontard. - Comment éviter le génocide ?
M. Joshua Zarka.. - Nous n'avions pas pour but de provoquer la mort de 54 000 personnes - c'est le chiffre que vous avez donné, je l'accepte car nous ne sommes pas en mesure de débattre des chiffres avec précision. Ce que nous savons avec certitude, c'est que nous avons éliminé 25 000 terroristes. Il en résulte un ratio de presque un civil palestinien tué pour chaque terroriste éliminé, ce qui est terrible. Mais savez-vous quel était ce ratio lorsque la France et ses alliés ont combattu à Raqqa et à Mossoul ? Pour chaque terroriste tué, ce sont quatre civils qui ont péri.
Chaque décès, qu'il soit d'un enfant ou d'un civil palestinien, est une tragédie pour les Palestiniens comme pour les Israéliens. Pour autant, parler de génocide alors qu'Israël finance et prend soin des Palestiniens est tout simplement inacceptable.
Vous me demandez comment éviter le génocide. Je parlais justement des efforts d'Israël pour protéger les civils. Les déplacements de population interviennent parce que nous demandons à ceux qui se trouvent dans des zones où le Hamas opère de se déplacer, afin de pouvoir mener nos opérations militaires sans les toucher. Pensez-vous qu'il serait préférable d'opérer sans leur demander de bouger ?
Israël souhaite-t-il faire partir deux millions de Palestiniens de la bande de Gaza ? Je répondrai de manière catégorique : le plan proposé par le président Trump n'est pas un plan israélien. La position de notre Premier ministre est très claire : seules les personnes qui souhaitent quitter Gaza devraient avoir le droit de le faire. Ni plus, ni moins. Notre but n'est pas de vider la bande de Gaza, pas du tout. Et je redis également, de façon officielle, qu'Israël n'a aucune intention d'annexer la bande de Gaza.
Le retrait unilatéral de Gaza en 2005 a été très douloureux pour Israël et nous a déchirés intérieurement. Nous l'avons fait pour offrir aux Palestiniens une opportunité de créer un début d'État. Je faisais partie de l'équipe qui tentait de convaincre les pays arabes de participer à la reconstruction de l'économie palestinienne en 2005, dans l'idée de bâtir une économie florissante. On parlait du « Singapour du Moyen-Orient ». Nous ne nous sommes pas retirés en 2005 dans l'intention d'y revenir. Il est vrai que certains membres du gouvernement israélien le souhaiteraient, mais ce n'est pas la position officielle du gouvernement.
Enfin, concernant le Madleen, nous devons distinguer les eaux internationales et ce que l'on appelle la zone économique nationale. Les eaux nationales sont celles qui se trouvent au bord des côtes d'un État, tandis que les zones économiques sont celles dans lesquelles un État a le droit d'opérer. Tout d'abord, cette « croisière de plaisir » a été arrêtée dans la zone économique nationale, pas encore dans les eaux nationales. Deuxièmement, même si cette opération s'était produite dans les eaux internationales, la loi stipule clairement qu'arrêter une flottille se dirigeant vers une zone soumise à un blocus militaire est légal. Le rapport Palmer de l'ONU, rédigé par son secrétaire général, l'a clarifié après l'incident du Marmara en 2010. Je serais ravi de vous envoyer ce rapport, qui reste pertinent aujourd'hui.
M. Guillaume Gontard. - Dans ce contexte, vous vous fiez à ce que dit l'ONU.
M. Jean-Luc Ruelle. - La première concerne un rapport du média israélien Kan News, qui évoque une livraison d'armements à une milice palestinienne opposée au Hamas, effectuée par Israël. Le Premier ministre Netanyahou a confirmé ces livraisons, tandis que le chef de la milice, Yasser Abu Shabab, demeure très évasif sur la question. Pouvez-vous nous expliquer si cette pratique s'inscrit dans une stratégie israélienne globale visant à garantir la stabilité en affaiblissant le Hamas ?
Mon deuxième point concerne l'économie israélienne. Le premier trimestre de 2025 a été marqué par une reprise économique non négligeable, avec une croissance de 3,4 % du PIB. Bien qu'encourageante, cette reprise demeure fragile, notamment en raison de la dépendance aux secteurs des hautes technologies et de la défense. De plus, nous constatons une baisse des exportations et une inflation persistante. Quels sont les projets et les actions envisagés par le gouvernement israélien pour renforcer la croissance économique nécessaire à la stabilité d'Israël ?
M. Joshua Zarka. - Je vais être franc : je n'ai pas les détails exacts concernant la milice que vous mentionnez. Je peux toutefois vous présenter la logique qui a été expliquée par le Premier ministre. Comme nous l'avions déclaré dès le début de la guerre, notre objectif n'était pas de prendre le contrôle de la bande de Gaza, mais de permettre aux Palestiniens de s'autogouverner. Une des possibilités envisagées était de soutenir les hamoulas, ces grandes familles qui opèrent dans les différentes villes de la bande de Gaza et dont certaines s'opposent au Hamas. Elles ne sont en aucun cas liées à Daesh.
L'idée était de donner à ces familles la capacité de s'opposer au Hamas en les armant et en les finançant. Ce ne sont pas des organisations terroristes ou des milices liées à Daesh. Pendant des années, Israël et l'Égypte ont combattu Daesh dans le Sinaï, et grâce à cet effort commun la zone n'est pas tombée entre les mains de l'organisation. Nous n'avons pas combattu Daesh durant des années pour ensuite venir les armer à nos frontières.
Ensuite, l'économie israélienne est l'une des plus résilientes qui existent. En 2024, la croissance était très faible, et la croissance par tête était même négative . Elle reprend aujourd'hui. Nous sommes un peuple résilient, habitué à combattre et à faire face aux menaces.
Il existe un lien entre cette résilience et le niveau de bonheur. Les Israéliens se classent régulièrement parmi les dix peuples les plus heureux au monde. L'année dernière, même en pleine guerre, une des plus terribles depuis la création de l'État d'Israël, le peuple israélien figurait au huitième rang de ce classement, quand la France est 35e...
Notre résilience influence considérablement nos capacités économiques. Le gouvernement a mis en place des plans pour favoriser une croissance encore plus soutenue. Nous croyons fermement en l'économie de marché, et nous privilégions surtout la liberté d'action des entreprises privées et des start-ups, en les encourageant et en les soutenant dans leur développement.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Vous avez souligné à juste titre le rôle central de l'Iran dans les tensions politiques et autres qui traversent actuellement la région. Qu'attendez-vous des discussions en cours entre les États-Unis et l'Iran, initiées par le président Trump ?
Étant un diplomate, vous n'exprimez pas vos états d'âme personnels et vous vous attacherez naturellement à défendre la politique du gouvernement israélien. Cela s'applique également à l'ambassadeur des États-Unis, qui a récemment déclaré que la déportation de tous les Palestiniens vers un État arabe voisin pourrait résoudre la menace qu'ils représentent pour la sécurité d'Israël. Vous avez indiqué que ce n'était pas la position d'Israël. Pourriez-vous clarifier celle-ci ? Actuellement, nous observons un encouragement à la colonisation en Cisjordanie, et la destruction massive de Gaza se poursuit. On peut alors se demander si cette bande de territoire sera véritablement vivable.
Que reste-t-il donc pour les Palestiniens, alors que vous avez indiqué que le territoire où ils doivent vivre devra être contrôlé par Israël ? Tout le monde est d'accord pour que Israël et les Israéliens aient un territoire à eux et les Palestiniens également. Où doit se trouver ce dernier ?
M. Joshua Zarka. - Concernant l'Iran, notre position est très claire : nous ferons le nécessaire pour l'empêcher d'acquérir une capacité nucléaire. Nous préférons clairement l'option diplomatique, car nous n'aimons pas la guerre. Les Israéliens en sont fatigués. Pour autant, le régime de Téhéran veut notre destruction. Il ne peut en avoir la capacité. L'alternative, pour nous, est claire. Nous ferons tout ce qu'il faut faire pour les empêcher, mais nous préférons la solution diplomatique.
Pouvez-vous préciser votre seconde question ?
Mme Hélène Conway-Mouret. - Aujourd'hui, la Cisjordanie connaît une colonisation significative, tandis que Gaza subit une destruction profonde. Vous disiez également que les Palestiniens ne pourraient avoir la charge du contrôle de leurs frontières. Si tel est le cas, où les Palestiniens peuvent-ils vivre et dans quelles conditions ? Un État palestinien aujourd'hui reposerait sur la bande de Gaza et la Cisjordanie, avec une forme de liaison entre les deux. Quelle est la proposition que vous avancez s'ils ne sont pas déportés, comme l'a suggéré l'ambassadeur des États-Unis, vers un pays arabe voisin ?
M. Joshua Zarka. - Pour nous, l'éventualité d'une déportation n'est clairement pas envisageable. Ce n'est pas une proposition israélienne.
Les questions relatives à l'avenir du contrôle de l'État palestinien seront quant à elles discutées dans le cadre de négociations entre Israéliens et Palestiniens. Je ne peux pas vous en donner les détails.
En revanche, lorsque nous évoquons l'idée selon laquelle une entité politique palestinienne ne pourrait pas assurer le contrôle de ses frontières, nous ne parlons pas d'un blocus. Nous exprimons plutôt la nécessité de maintenir la sécurité sous contrôle israélien. Après le 7-octobre, nous ne pouvons pas nous permettre de prendre les risques que nous avons été prêts à assumer par le passé pour créer cet État.
Les détails sur le contrôle des frontières resteront à déterminer au cours des négociations. Je peux toutefois vous assurer qu'en aucun cas, la sécurité israélienne ne sera placée entre d'autres mains. Nous ne pouvons avoir confiance qu'en nous-mêmes.
M. Mickaël Vallet. - Avant de vous poser une question très concrète, j'aimerais clarifier deux ou trois points. Tout d'abord, sachez que nous recevons régulièrement de nombreux diplomates et différentes représentations diplomatiques, et que notre commission connaît bien certaines grosses ficelles - peut-être les utilisons-nous nous-mêmes ailleurs.
Votre comparaison entre la situation juridique des ressortissants français sur le bateau intercepté et celle des OQTF, étant donné la fébrilité du débat français sur cette question, me semble ainsi être une ficelle un peu grosse.
Ensuite, la France, tout comme les instances internationales, a reconnu plus de trois génocides au cours du siècle dernier, même si l'on peut se demander si ce sont les lois mémorielles qui valent reconnaissance. Je précise donc qu'il ne faut pas oublier Srebrenica et les Yézidis, et rappeler que le débat n'est pas tranché concernant les Khmers rouges.
Concernant les chiffres, je veux bien que l'on ne prenne pas en considération les chiffres du Hamas ; mais celui de 53 000 est également celui des instances de l'ONU. On ne peut pas le balayer d'un revers de main en disant que c'est le chiffre du Hamas - ce que vous n'avez pas fait dans vos derniers propos, au demeurant. De plus, la mise en balance que vous faites entre le taux de natalité des Palestiniens depuis le 7-octobre et le nombre des victimes n'est pas une comparaison opérante, et dessert votre propos. Enfin, nous donner le taux de natalité des Palestiniens depuis le 7-octobre, mais ne pas être en mesure de nous donner le nombre de morts civils à côté des 25 000 membres du Hamas - ou « combattants », comme vous l'avez dit, ou « terroristes », je veux bien utiliser le terme - relève d'une certaine incohérence.
Si nous ne connaissons pas le nombre de morts, et si les instances judiciaires internationales débattent encore de la plausibilité des chiffres donnés, pourquoi ne laissons-nous pas les journalistes travailler ?
Vous avez admis qu'au 6 octobre, le gouvernement ne savait pas qu'il entrerait en guerre. Il y a d'ailleurs un débat en Israël sur l'établissement des responsabilités, ce qui est compréhensible. Mais depuis le 7, la question qui se pose est celle du droit de la guerre, un des grands acquis civilisationnels de la fin du XIXe siècle et du XXe siècle : dans la guerre, on ne fait pas ce que l'on veut.
Pourquoi les journalistes ne peuvent-ils pas travailler à Gaza ?
M. Joshua Zarka. - OQTF est un terme légal. Je souhaitais, en l'utilisant, expliquer le statut des citoyens français entrés illégalement en territoire israélien. J'utilise ce terme dans un cadre légal, non politique.
Au cours de ma carrière, j'ai personnellement négocié des traités de désarmement et du droit de la guerre, et j'ai représenté Israël lors de conférences à Genève sur ces sujets pendant quatre ans. Le terme de « droit international » est souvent utilisé, tant par des diplomates que par des politiciens, sans que ceux-ci comprennent véritablement de quoi il s'agit. Le droit international repose sur les limites que les États acceptent de se donner ; il n'est pas imposé par une supra-entité, ONU ou autre. Ce sont les limites que certains pays acceptent de se donner dans l'utilisation des armements, la façon de combattre, etc.
La présence ou l'absence de journalistes à Gaza n'est pas liée au droit international. Elle fait l'objet d'un débat en Israël. L'armée israélienne, aujourd'hui chargée de la gestion de Gaza, estime que la crainte de blesser ou de tuer des journalistes risque d'entraver les opérations. Certaines agences gouvernementales israéliennes estiment, elles, qu'il serait préférable d'ouvrir la bande de Gaza aux journalistes.
Pour le moment, tant que la guerre continue, non seulement les journalistes mais l'ensemble des étrangers qui n'ont pas d'obligation d'être sur place ne peuvent pas entrer à Gaza. L'idée est de les protéger.
Cela nous aide-t-il dans la guerre de l'information ? Non, non en sommes très conscients. Si les journalistes entraient librement dans la bande de Gaza, cette guerre que mènent contre nous des organisations islamo-politiques soutenues par le Qatar, la Turquie, les Frères musulmans qui sont massivement financés par ces pays, serait plus simple. Mais nous avons fait le choix de ne pas mettre en danger les journalistes comme ceux qui voudraient visiter la bande de Gaza.
M. Mickaël Vallet. - Les reporters de guerre sont généralement moins intéressés par des terrains où les opérations ont pris fin...
M. Joshua Zarka. - Effectivement. Je vous remercie de souligner ce point à la fin, car il me rappelle un aspect très important que je n'ai pas encore abordé. Israël a accepté les deux propositions de cessez-le-feu présentées par Steve Witkoff, l'envoyé spécial du Président des États-Unis. Elles ont été rejetées par le Hamas. Dans ce contexte, s'il faut faire pression sur l'un des acteurs de cette guerre, c'est bien le Hamas, pour qu'il accepte immédiatement les termes du cessez-le-feu. Des négociations sont toujours en cours. Le président Trump déclarait hier encore qu'un accord pourrait être imminent.
Je rappelle qu'Israël a accepté ces deux offres, qui ont été refusées par le Hamas. Que pouvons-nous faire dans cette situation ? Devons-nous lui demander gentiment de libérer nos otages en espérant qu'il le fera ? Devons-nous baisser les armes et dire : « Gardez nos otages, faites-en ce que vous voulez » ? Qu'aurait fait la France à notre place ? Que peut faire n'importe quel pays dans cette situation ? Nous avons encore 55 de nos enfants entre leurs mains. Nous devons les libérer.
Mme Valérie Boyer. - Monsieur l'ambassadeur, merci d'avoir répondu à notre invitation et d'aborder avec clarté et franchise toutes nos questions.
Comme mes collègues, je déplore toutes les pertes humaines liées à cette guerre. Pourriez-vous nous donner une estimation du nombre de Gazaouis tués directement par le Hamas, notamment ceux qui ont été utilisés comme boucliers humains, ou ceux qui ont été assassinés alors qu'ils allaient chercher de la nourriture ? ceux qui manifestaient pour dire « stop à la guerre », car on sait très bien qu'il n'y a pas une once de démocratie sous le régime des terroristes islamistes du Hamas ?
Ensuite, savez-vous si l'ONU est toujours infiltrée par l'Unrwa ou le Hamas ? Quels sont les liens actuels entre ces deux organisations ?
Enfin, j'aimerais avoir des nouvelles des otages. Avez-vous des informations sur ceux qui continuent à être captifs et torturés dans les tunnels du Hamas, payés par l'argent de la communauté internationale ? Combien sont-ils, où se trouvent-ils et comment vont-ils ? Que deviennent ceux qui ont réussi à s'échapper ? Quels programmes mettez-vous en place pour essayer de réparer ceux qui ont survécu aux pires horreurs ?
Lors d'un récent voyage en Israël, j'ai dû rejoindre des abris à plusieurs reprises. Pourriez-vous nous indiquer combien d'attaques Israël subit chaque jour, combien de bombes il parvient à intercepter ? Tous les jours, Israël subit des attaques venant de partout.
M. Joshua Zarka. - En moyenne, un missile est tiré du Yémen sur Israël chaque jour. Une application installée sur nos téléphones, fournie par l'armée, utilise la géolocalisation pour avertir des dangers imminents. Elle permet d'avertir les utilisateurs qu'un missile va tomber là où ils sont, et qu'ils doivent se mettre à l'abri. On peut aussi définir des endroits d'intérêts : ainsi, ayant quatre enfants vivant en Israël, j'ai enregistré quatre localisations différentes dans mon application. Chaque jour et chaque nuit, je reçois des alertes, et je vérifie que mes enfants n'ont pas été touchés par ces missiles. La résilience des Israéliens est incroyable, car aucun autre pays ne pourrait vivre ainsi. Dans les constructions modernes israéliennes, la plupart des chambres à coucher des enfants sont équipées comme des abris, afin de ne pas les réveiller à chaque alerte nocturne. Nous subissons depuis longtemps des attaques en provenance du Yémen, de Gaza, du Hezbollah, de la Syrie, d'Irak, et directement de l'Iran. Depuis 2005, environ 200 000 missiles ont été tirés depuis Gaza, avant même le 7-octobre. Au total, leur nombre doit avoisiner 300 à 350 000, incluant des missiles de croisière et des drones.
Nous n'avons malheureusement pas de nouvelles des otages. Nous savons qu'ils sont torturés et brutalisés. Certains d'entre eux ont pu sortir des griffes du Hamas et ont témoigné de leurs horribles expériences, bien que beaucoup, surtout les femmes, préfèrent ne pas en parler. Leur guérison, surtout mentale, demandera énormément de temps.
Certains des otages s'en sont ouverts immédiatement. La femme et les deux filles ont été assassinées par le Hamas le 7-octobre. Il ne l'a su qu'à l'issue de ses 590 jours de captivité. Le Hamas l'a contraint à remercier ses ravisseurs, comme s'il allait retrouver sa famille, tout en sachant très bien qu'elles étaient mortes. Lui parle : il s'est exprimé à l'ONU, à la télévision. C'est sa façon de guérir. Je vous suggère d'écouter l'interview qu'il a donnée. La force, la résilience de cette personne sont incroyables. Il a eu le courage de raconter son histoire à l'ONU et dans les médias.
Malheureusement, nous n'avons pas de nouvelles des otages toujours entre les mains du Hamas. Hier encore, une vidéo a été diffusée par cette organisation, montrant un otage dans un état très préoccupant.
L'Unrwa est une organisation qui emploie la population locale : à Gaza, elle a des milliers d'employés, et parmi eux des centaines qui sont aussi des agents du Hamas, qui en sont officiellement membres. Un employé de l'Unrwa a été filmé par une caméra de sécurité en train de mettre Yonatan Samerano, l'un des otages qui ne sont pas encore rentrés. Il y a des dizaines de cas comme celui-ci. L'UNRWA a été profondément infiltrée par le Hamas et coopérait à 100 % avec lui. Il y avait des bases de l'organisation sous tous ses centres - et le commissaire général de l'Unrwa dit qu'il ne savait pas. Nous n'avons aucune confiance en cette organisation. Je tiens à préciser cependant que ce n'est pas le cas des autres organisations onusiennes. Nous avons aussi des problèmes avec elles, nous ne sommes pas d'accord avec leur façon d'opérer ; mais elles ne collaborent pas avec le Hamas.
Nous ne disposons pas d'informations précises quant au nombre de civils palestiniens tués par le Hamas, comme nous n'avons pas d'informations sur le nombre de civils tués en général. C'est pour cette raison que je ne discute pas les chiffres avancés par le Hamas, qui incluent tous ceux qui sont morts depuis le 7 octobre. En revanche, nous connaissons le nombre de terroristes éliminés.
Mme Catherine Dumas, présidente. - Merci, monsieur l'ambassadeur, d'avoir répondu à toutes nos questions. Il est difficile de conclure une telle audition. Nous souhaitons que l'espoir de paix dont vous avez parlé se réalisera. Nous constatons d'ailleurs des pressions de plus en plus insistantes de la communauté internationale en ce sens. Nous sommes tous d'accord sur l'importance du facteur temps : il faut trouver une solution pour une rapide libération des otages, et mettre fin à cette catastrophe humanitaire.
J'informe les commissaires que nous auditionnerons ici Mme Hala Abou Hassira, cheffe de la mission de Palestine en France, le 2 juillet.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo en ligne sur le site internet du Sénat.
Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre sur la coopération lors des opérations d'évacuation à partir de la région du Moyen-Orient via le territoire de la République de Chypre dans le cadre d'une situation de crise - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Catherine Dumas, présidente. - Nous examinons le rapport de M. Christian Cambon sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre sur la coopération lors des opérations d'évacuation à partir de la région du Moyen-Orient via le territoire de la République de Chypre dans le cadre d'une situation de crise, signée le 9 septembre 2022
M. Christian Cambon, rapporteur. - Ce texte a été redéposé au Sénat le 13 février 2025, après l'avoir été une première fois en 2023, puis retiré, à la suite des attaques du 7 octobre. Cet accord mérite une attention particulière au regard de la situation de la région qui traverse des bouleversements sans précédent depuis plusieurs années.
Chypre, qui aspire à jouer un rôle militaire actif dans la région, constitue ainsi un point d'observation essentiel et une base arrière précieuse pour nos armées. Positionnée en Méditerranée orientale à une centaine de kilomètres des côtes syriennes, la République de Chypre est située à l'extrême Est de l'Union européenne. Cinquante ans après le déploiement des premiers casques bleus à la suite de l'invasion par les troupes turques d'une partie de l'île en juillet 1974, la partition de fait de Chypre demeure une donnée fondamentale structurante.
Séparée du sud par une zone démilitarisée orientée sur un axe Est - Ouest sous contrôle des Nations-Unies, Chypre-nord recouvre un territoire de 3 500 km² (36% du territoire), qui se trouve de facto sous le contrôle de l'armée turque et échappe à la souveraineté de la République de Chypre. Proclamée le 15 novembre 1983, la « République turque de Chypre du Nord » (RTCN), n'est reconnue internationalement que par la Turquie. L'armée turque y stationne plus de 35 000 soldats possédant des capacités de reconnaissance et de combat. Face à elle, l'armée chypriote génère de la masse (14 000 hommes) par le recours à la conscription et apparaît numériquement inférieure en personnel et en capacités dans tous les domaines, sans même prendre en compte la capacité turque de projection de force.
À plusieurs égards, la politique étrangère de Chypre diffère de ses voisins en Méditerranée orientale, en particulier du fait de son appartenance à l'Union européenne et de la spécificité de la « question chypriote », qui conduit historiquement la République de Chypre à solliciter le soutien de son proche voisinage contre toute reconnaissance de l'indépendance de la République turque de Chypre du Nord.
L'évacuation des ressortissants en situation de crise a réalisée à deux reprises par la France avec la Marine française sur le territoire chypriote : en 2006 avec l'envoi d'un porte-hélicoptères au Liban, puis en 2023, à la suite des attaques du 7 octobre avec l'évacuation de Français d'Israël, soit environ 250 ressortissants et leurs familles.
Or, il n'existait pas alors de cadre juridique pour encadrer de telles opérations. C'est ce que ce texte prévoit de faire.
La relation bilatérale de défense franco-chypriote bénéficie d'une excellente dynamique. Elle est avant tout stratégique. Elle est encadrée par un Agenda stratégique signé entre les ministres des Affaires étrangères le 25 octobre 2016, qui couvre le dialogue politique, la coopération en matière de sécurité et de défense, le dialogue économique et la coopération dans les domaines éducatif et culturel.
En 2024, 36 escales de navires de la Marine française, sans compter les exercices et les vols réalisés sur le territoire. Ce qui en fait la première destination de visite de nos forces dans la région. Non-membre de l'OTAN, Chypre manifeste sa volonté de soutenir l'Europe de la défense, dans la mesure de ses capacités.
Le budget de la défense chypriote s'élève à 588,4 millions d'euros, soit approximativement 1,5% du PIB, en hausse de 3,9 millions d'euros par rapport à 2024 ; le ministère de la défense chypriote a pour objectif de porter le budget de la défense à 2% du PIB d'ici à 2028. La garde nationale chypriote compte 12.000 personnels actifs et 60.000 réservistes.
Chypre est membre de l'UE depuis 2004. Sa participation à la politique de sécurité et de défense commune est principalement concentrée sur trois opérations maritimes : EUNAVFOR ASPIDES, EUNAVFOR ATALANTA et EUNAVFOR IRINI, ainsi qu'une contribution à EUMM Géorgie. Elle s'est récemment renforcée sur EUMAM Ukraine.
Cette convention, assez unique en son genre, a nécessité des années de négociations pour définir des cadres financiers, juridiques et douaniers adaptés.
Signée en 2022, elle prévoit les conditions dans lesquelles l'usage du territoire chypriote pourrait servir à une évacuation des ressortissants français, mais aussi de l'Union européenne et des ressortissants d'États avec lesquelles la France aurait signé un accord en ce sens.
Très complète, elle reprend ce qui avait dû être décidé dans l'urgence en 2006 à travers quinze articles et permettra donc une réaction plus rapide dans un cadre juridique fixé à l'avance. La France s'engage à respecter la législation chypriote, par exemple pour port d'armes par le personnel français ou la mise en place de notre système de communication. L'article 7 porte sur le soutien logistique fourni à titre gratuit par Chypre à la France, la mise en place d'infrastructures, d'espaces publics tels que les ports, les bases militaires, les bases de stockage. Il y a un article sur le régime fiscal, un article sur l'ensemble des soins médicaux que la France peut assurer aux personnels évacués ainsi qu'aux personnels français pendant la durée où ils stationnent sur le territoire chypriote. Un article vise également à mettre en place des mesures de prévention et de traitement de toute incidence de pollution sur le territoire chypriote. Enfin, un article donne aux autorités françaises une compétence en matière de discipline sur les personnels français.
La ratification de cet accord est attendue par les autorités chypriotes, parce qu'il s'inscrit dans un contexte de partenariat tout à fait positif entre nos deux pays pour l'aide que ce pays nous apporte - nous n'oublions pas le rôle que Chypre nous apporte en matière de renseignement.
À l'horizon de la présidence chypriote de l'Union européenne en 2026, la France et Chypre souhaitent approfondir leur relation, ce partenariat inclurait des volets en défense et sécurité, éducation, technologie et recherche, et devrait être conclu d'ici la fin de l'année.
Chypre cherche à se réarmer et se tourne vers la France, dont plusieurs de ses industriels. Je pense ici à Thales avec ses radars, MBDA pour ses missiles Mistral et enfin Airbus avec les hélicoptères.
Je tiens également à souligner que nos services sont déjà prêts dans le cas où une évacuation aurait lieu. À l'automne dernier, en raison de la montée des tensions dans la région, l'ambassade de France à Chypre, forte de ses 25 agents, s'est préparée à l'évacuation de 20 000 ressortissants français en provenance du Liban, en plus des touristes présents. Une évacuation, qui pourrait se faire par voie maritime en cas de blocage de l'espace aérien, nécessiterait la mobilisation de navires civils et militaires. Régulièrement nos forces s'entrainent à travers les opérations de RESEVAC pour ce cas de figure.
De plus, chaque année se tient à Chypre un exercice (Argonaut) multilatéral civil et militaire regroupant différents pays dont la France organisé par les autorités chypriotes, simulant une évacuation du Proche-Orient via Chypre.
Je vous invite donc à approuver cet accord, qui répond aux besoins des deux pays et qui est attendu depuis sa signature en septembre 2022. Cet accord a été ratifié par le Parlement chypriote l'an dernier et son entrée en vigueur est cruciale pour renforcer notre coopération dans la région.
Mes chers collègues, compte tenu de ces éléments, je vous propose d'approuver ce texte, dont le Sénat est saisi en premier. L'examen de ce projet de loi en séance publique est prévu le lundi 23 juin 2025, selon la procédure simplifiée.
Mme Catherine Dumas, présidente. - J'ai également eu l'occasion de me rendre à Chypre, qu'on qualifie parfois de « porte-avions de Méditerranée orientale » - nous avons grand intérêt à entretenir de bonnes relations avec ce partenaire.
M. Mickaël Vallet. - On peut comprendre que les Chypriotes aient envie de prendre certaines précautions. En 2006, il y a eu une opération de rapatriement de Français vers le continent ou la métropole - je choisis mes mots avec soin en parlant de rapatriement. Il s'agissait de la plus importante opération de ce type depuis les années 1960, cela concernait des milliers de personnes. Cela nécessite de pouvoir agir rapidement et avoir une entente spontanée avec les Chypriotes pour que les choses se déroulent comme prévu. C'est donc un texte important, qu'il est bon d'adopter avant qu'une crise ne survienne - car c'est quand la crise est là, qu'on regrette de ne pas s'y être préparé.
M. Philippe Folliot. - Je salue le travail complet de notre rapporteur. Chypre a été une base et un relais pour nos militaires qui revenaient d'Afghanistan.
Une question se pose : le changement de régime en Syrie aura-t-il des conséquences sur la politique chypriote ? Pourra-t-il impulser des éléments positifs ou négatifs par rapport à ce traité et à la façon dont les choses vont s'organiser dans cette partie de la Méditerranée orientale ?
M. Christian Cambon, rapporteur. - Merci d'avoir souligné ce rôle pour nos forces armées, c'est une réalité encore actuelle. Les forces françaises qui se maintiennent dans la région bénéficient d'un soutien logistique très important à Chypre.
Nous avons interrogé nos deux ambassadeurs - à Paris et à Chypre - sur la proximité avec la Syrie. Ils nous ont répondu être dans une phase d'observation, puisque le changement de régime risque d'avoir pour conséquence le retour d'une partie des communautés syriennes vers la Syrie, à partir du moment où des assurances sont données par le gouvernement provisoire du président syrien Ahmed al-Charaa - Chypre est un des points d'observation majeurs sur ce qui se passe en Syrie. Le nouveau président syrien a été reçu par le président Trump, l'idée est de faire en sorte que ce nouveau gouvernement renonce définitivement à ses attaches avec Daesh et avec tous les crimes passés - dont certains ministres ont été les auteurs. Pour l'instant, nous sommes dans une attitude expectative, il n'y a pas de mouvement concret qui solliciterait d'utiliser le dispositif de crise.
En revanche, on peut imaginer que cet accord puisse être répliqué, puisque la France peut avoir à évacuer d'autres régions du monde des Français ou d'autres ressortissants de pays européens. Rappelons-nous de ce qui s'est passé en Afghanistan. Cet accord a été longuement négocié, il est exemplaire - et il concerne un pays très important et très intéressant pour toute la région en particulier pour la France puisque Chypre est le pays au monde où notre Marine a rendu le plus de visites l'an passé.
Le projet de loi est adopté sans modification.
La réunion est close à 11 h 20.