Mercredi 11 juin 2025

- Présidence de Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 13 h 30

Bilan des déplacements effectués par la commission des affaires européennes au mois de mai 2025 - Communication

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, je souhaite, tout d'abord, vous rendre compte des divers déplacements effectués par notre commission des affaires européennes au mois de mai 2025.

Je commencerai par le déplacement à Bruxelles, le 15 mai dernier, centré sur les priorités stratégiques de la nouvelle Commission européenne. Nos collègues Marta de Cidrac, Ronan Le Gleut, Brigitte Devésa et Mathilde Ollivier y avaient pris part à mes côtés.

Ce déplacement faisait suite à plusieurs travaux engagés par notre commission, notamment le rapport d'information sur la dérive normative européenne, qui rencontre un écho croissant à Bruxelles.

Il a d'ailleurs fait l'objet d'une discussion approfondie au niveau administratif et académique, dans le cadre d'un travail d'analyse mené par la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen.

Lors de cette journée à la Commission européenne, nous avons eu d'abord un entretien avec M. Wegner Stengg, membre du cabinet de Mme Henna Virkkunen, vice-présidente exécutive pour la souveraineté technologique, la sécurité et la démocratie.

Celui-ci a rappelé les différents textes adoptés ces dernières années au niveau européen pour mieux réguler les plateformes, comme le règlement général sur la protection des données (RGPD), le règlement sur les marchés numériques (DMA) et le règlement sur les services numériques (DSA). Il a également mentionné l'» AI Act », qui constitue la première régulation au niveau mondial de l'intelligence artificielle, même si depuis, Mme Virkkunen a fait des déclarations laissant penser que sa mise en oeuvre pourrait subir quelques retards. Notre collègue Catherine Morin-Desailly est intervenue hier à la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac), à Varsovie, sur ce sujet.

Au titre des futures priorités, il a mentionné la prévention de l'addiction des mineurs aux réseaux sociaux, la lutte contre les campagnes de désinformation et les ingérences étrangères, ainsi qu'à la lutte contre le détournement du commerce électronique.

Sont notamment visés les 12 millions de « petits colis » expédiés quotidiennement de Chine vers l'Union, sans aucun contrôle, et qui contiennent parfois des produits contrefaits ou dangereux.

Il a également souligné la nécessité d'encourager l'innovation, notamment avec l'intelligence artificielle, en mettant en avant le changement de position du Président de la République française, beaucoup plus ouvert à l'innovation que par le passé. Il a appelé à trouver un équilibre entre la régulation et l'innovation, par exemple sur le respect du droit d'auteur, en faisant valoir que le code de bonnes pratiques est un instrument souple destiné à être révisé régulièrement pour s'adapter aux innovations technologiques.

Nous avons ainsi eu un débat de fond et exigeant sur ce point, puisque nous avions adopté la veille l'avis politique préparé par Catherine Morin-Desailly et Karine Daniel sur le code de bonnes pratiques en matière d'intelligence artificielle. Notre interlocuteur nous a paru surpris par l'analyse très pointue du Sénat sur ce dossier.

Nous avons ensuite échangé avec Laure Chapuis, cheffe adjointe de cabinet de Kaja Kallas, la vice-présidente de la Commission européenne et haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

Celle-ci a présenté les priorités de la haute représentante en matière de politique étrangère, en particulier le soutien à l'Ukraine. Nous avons également échangé sur la situation à Gaza et les relations avec l'administration Trump.

Pour le dire de manière synthétique, la cheffe adjointe du cabinet de Kaja Kallas s'est montrée très prudente sur les différents sujets et nous avons pu mesurer à cette occasion la difficulté du positionnement de la haute représentante par rapport aux États membres, qui ne sont pas enclins à lui accorder un trop grand espace. Une seule illustration : la difficulté à répondre de manière claire à Marta de Cidrac sur la question très sensible de l'action de la Haute représentante de l'Union pour venir en appui aux États membres en vue d'obtenir la libération de ressortissants européens détenus comme otages.

Nous avons ensuite pu échanger au déjeuner avec Bertrand L'huillier, chef de cabinet de Stéphane Séjourné, pour évoquer notamment les enjeux liés au marché intérieur et à l'influence française à la Commission, puis avec Thomas Auger, membre du cabinet de Teresa Ribera, la vice-présidente exécutive pour une transition propre, juste et compétitive.

Nous avons ainsi évoqué le « pacte pour une industrie propre », qui vise à accompagner l'industrie européenne pour remplir les objectifs fixés en matière de lutte contre le réchauffement climatique.

Mais je veux surtout évoquer de manière plus approfondie deux autres rencontres.

La première avec Michael Wimmer, directeur de la stratégie, du « mieux légiférer » et de la gouvernance d'entreprise au Secrétariat général de la Commission européenne.

Celui-ci a souligné l'intérêt qu'avait suscité le rapport d'information sur la dérive normative.

Il a rappelé que la simplification était l'une des priorités de la nouvelle Commission européenne et a détaillé les mesures envisagées dans ce domaine ainsi que le changement d'organisation et de méthode. Cette ambition simplificatrice de la Commission s'est traduite concrètement par la nomination d'un commissaire en charge de la simplification, par l'introduction de « stress tests » renforcés du corpus législatif, ainsi que par la présentation de plusieurs paquets « Omnibus ».

Nous avons particulièrement insisté auprès de la Commission sur la nécessité d'actualiser les études d'impact en cours de processus, ce qui suppose une meilleure coordination interinstitutionnelle.

Enfin, nos échanges ont souligné que la simplification normative ne peut être une simple réduction arithmétique des textes. Elle suppose un meilleur respect du principe de subsidiarité, une attention plus grande aux réalités territoriales, ainsi qu'un dialogue continu entre les niveaux national et européen. Nous avons ainsi porté une approche offensive de la place des parlements nationaux. Depuis peu, je constate que le Parlement européen a intégré la nécessité d'un dialogue entre les autorités de l'Union et les Parlements nationaux pour faire progresser l'Union européenne. Lors de nos déplacements, nous défendons toujours la place des parlements nationaux dans la construction européenne.

La seconde rencontre que je souhaite évoquer de manière plus approfondie est celle que nous avons eue avec Denis Redonnet, directeur général adjoint de la direction générale du commerce et de la sécurité économique.

Il a dressé un constat lucide de la dégradation du système commercial international, marqué par l'unilatéralisme américain, les surcapacités de production chinoises et l'érosion du rôle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sur la scène internationale. Face à la stratégie américaine de réindustrialisation fondée sur des hausses de tarifs douaniers, il a souligné que l'Union européenne fait preuve de patience stratégique, tout en se préparant, si nécessaire, à adopter des mesures de rétorsion.

Il a précisé que l'Union européenne n'entendait pas réagir aux déclarations américaines, au demeurant changeantes, mais uniquement aux mesures concrètes. C'est aujourd'hui la stratégie portée par la Commission européenne. Il a également mis en évidence l'ampleur du champ potentiel des contremesures et appelé à une bonne évaluation préalable de leurs effets potentiels, grâce notamment à des études d'impact.

L'approche de la Commission européenne repose également sur la consolidation d'accords avec d'autres partenaires, notamment en Asie du Sud-Est, et sur la surveillance renforcée des effets distorsifs des mesures américaines sur le marché intérieur.

Le cas chinois, moins immédiat, appelle, lui aussi, à la vigilance. Si la Chine a momentanément suspendu certaines mesures, ses pratiques de subventions massives et ses surcapacités industrielles continuent de poser de graves risques pour le marché intérieur européen. Le débat est donc ouvert entre patience stratégique et réactivité plus affirmée.

Nous avons enfin pu évoquer la question des accords commerciaux en suspens - notamment avec le Mercosur - et des réponses à apporter à la lumière des tensions géopolitiques et de la recherche d'autonomie stratégique, en rappelant avec force les positions françaises.

En résumé, ce déplacement a permis de constater que nos travaux sont écoutés, voire repris à Bruxelles. Il nous appartient désormais de poursuivre ce dialogue pour qu'à travers la simplification, l'Union européenne retrouve à la fois de la lisibilité, de l'efficacité et de la légitimité aux yeux de nos concitoyens.

M. Ronan Le Gleut. - J'ai trouvé cette journée extrêmement riche et instructive. Nous avons pu également mesurer combien la Commission européenne était attentive aux travaux du Sénat.

Le débat avec Denis Redonnet sur la guerre tarifaire avec les États-Unis fut particulièrement instructif. Il nous a permis de comparer les stratégies des uns et des autres. Si la stratégie chinoise consiste à aligner les hausses de tarifs douaniers sur celles décidées par les États-Unis, le Royaume-Uni a, quant à lui, cherché avant tout à obtenir un accord, bien que celui-ci ne soit sans doute pas le meilleur. Dans ce contexte, l'Union européenne déploie une stratégie attentiste et se tient prête à riposter à tout instant. J'ai trouvé cet entretien essentiel pour comprendre la stratégie de l'Union face à l'administration Trump.

M. Jean-François Rapin, président. - La surproduction chinoise arrive actuellement à Dunkerque, en raison de la saturation des ports belges et hollandais. J'ai été alerté de cette situation depuis six mois déjà.

Il est intéressant de constater que la Commission européenne suit de près ces questions. On ne peut pas tout le temps critiquer la Commission sans reconnaître également le côté positif de certaines de ses actions. Et là, elle dispose d'une stratégie qui consiste à dire « on réagit quand il y a des mesures et non pas quand il y a des paroles ». C'est une stratégie assumée qui montre qu'elle est prête à toute éventualité. Je trouve cela plutôt rassurant !

On se prépare aussi au Sénat, grâce au travail que nous menons conjointement avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ainsi qu'avec la commission des affaires économiques. Nous nous sommes accordés avec mes collègues présidents des commissions concernées pour préparer un rapport sur l'évolution du commerce international afin de formuler quelques propositions.

Notre deuxième déplacement à Bruxelles a eu lieu le 22 mai, conjointement avec la délégation aux outre-mer, avec un objectif clair : soutenir la prise en compte des spécificités de nos outre-mer, des régions ultrapériphériques (RUP) comme des pays et territoires d'outre-mer (PTOM).

Nos collègues Louis-Jean de Nicolaÿ, Olivier Henno et Georges Patient y participaient aux côtés de nos collègues de la délégation aux outre-mer, qui ont pu refléter la diversité des outre-mer français.

Cette mission nous a permis de défendre la résolution européenne sur les RUP que nous avons adoptée. Un suivi attentif sera néanmoins nécessaire car nous avons pu mesurer les cloisonnements à l'oeuvre au sein de la Commission européenne et l'absence de réflexe « outre-mer » au plus haut niveau.

La délégation a pu rencontrer le cabinet du commissaire européen Raffaele Fitto, des représentants des directions générales REGIO, chargée de la politique de cohésion, INTPA, en charge des partenariats internationaux et de la coopération régionale, et ENV, chargée de l'environnement. Elle a également échangé avec le Service européen pour l'action extérieure (SEAE).

Nous avons observé une grande attention de la DG REGIO aux problématiques des RUP, mais aussi un certain attentisme dans le cadre de la préparation du cadre financier pluriannuel (CFP) et de la réforme de la politique de cohésion, dont les RUP ne doivent pas faire les frais. La DG REGIO semblait paradoxalement rechercher auprès de nous un appui sur ces enjeux.

Nous avons également perçu la nécessité d'échanges accrus entre les différentes directions de la Commission européenne et le SEAE. Le fonctionnement en silo fait qu'il n'y a pas de « réflexe RUP » et cela nous a été dit très directement, en faisant valoir que la présidente von der Leyen n'avait pas eu un seul mot sur les RUP lorsqu'elle s'était rendue dans les Caraïbes, où elle avait défendu le Global Gateway, dont le contenu régional doit toutefois être précisé. Ceci a engendré une certaine crispation.

Il sera donc indispensable de poursuivre dans la durée un lobbying institutionnel auprès de la Commission européenne, mais aussi de se rapprocher des députés européens concernés.

Pour ma part, à chaque rencontre européenne ou internationale, je remets la question des territoires d'outre-mer sur le tapis. Ainsi, dans le cadre de la dernière COSAC, cette question a été mentionnée au compte rendu final. Lors d'un déplacement officiel à Varsovie avec Gérard Larcher où nous avons rencontré le président du Bundesrat et le président du Sénat polonais, j'ai, sous l'autorité du Président du Sénat, mentionné cette question en expliquant qu'il ne s'agit pas seulement de la suprématie de la France sur tous les océans mais aussi de la suprématie de l'Union européenne sur tous les océans, ce qui est essentiel quand on parle d'autonomie stratégique.

J'utilise un mot qui peut choquer : la France a un porte-avions sur chaque océan, et donc l'Europe a aussi un porte-avions sur chaque océan. Il est important de défendre ce point de vue.

Nous avons ainsi pu échanger avec les députés européens portugais et espagnol qui co-président l'intergroupe « Politique de cohésion et RUP » au Parlement européen, ainsi qu'avec le vice-président français du Parlement européen, Younous Omarjee, et Eurodom. Nous pouvons renforcer la coopération et les échanges avec le Parlement européen. Je suis convaincu que nous devons faire cause commune avec le Portugal et l'Espagne mais aussi rechercher d'autres alliés, en mettant en avant la situation géopolitique et l'intérêt stratégique de nos outre-mer. Les auditions réalisées dans le cadre du groupe d'amitié France-Danemark sur la situation du Groenland me laissent penser que nous pourrions gagner un allié avec le Danemark.

La défense des outre-mer est une position forte du Sénat et nous avons réussi, lors de la réunion de la COSAC que j'évoquerai tout à l'heure, à intégrer dans le texte final la nécessité de prendre en compte la spécificité des RUP.

Un gros travail doit encore être mené pour que la politique de voisinage intègre l'environnement régional des RUP, comme le souhaite la résolution adoptée par le Sénat. Je retiens en revanche l'idée émise par Younous Omarjee d'un « Omnibus RUP » pour prendre en compte leurs spécificités.

Mme Audrey Linkenheld. - J'ai eu la chance d'effectuer récemment un déplacement en Guyane avec quelques-uns de nos collègues sénateurs. Certains propos sur la place des régions ultrapériphériques en Europe et sur le sentiment que cela génère chez nos concitoyens guyanais m'ont marquée. L'incompréhension des spécificités des outre-mer, certains textes européens étant difficilement applicables dans ces territoires, a particulièrement été relevée.

Nous avons rencontré le comité régional des pêches de la Guyane qui nous a parlé des quotas de pêche que les pêcheurs guyanais français respectent, contrairement aux pêcheurs des États voisins. C'est une première incompréhension. Il en va de même pour l'orpaillage. Les orpailleurs français respectent les règles que leur impose l'État français, tandis que les orpailleurs brésiliens pillent le territoire. Les chiffres sont éloquents : une tonne d'orpaillage légal pour dix tonnes d'orpaillage illégal par an. On peut ajouter à cela le fait que le Guyana exploite ses réserves de pétrole, tandis que la Guyane ne le peut pas. Mon sujet n'est évidemment pas de dire qu'il ne faudrait pas respecter les normes sociales et environnementales. Mais j'ai senti là une incompréhension de la part de nos concitoyens, que j'ai totalement partagée. En effet, à quoi sert l'État de droit, à quoi sert l'Europe si elle n'est pas capable de faire respecter ses règles par tout le monde ? Je pense que nous devons entendre ce message. Il explique probablement, en partie, les évolutions du vote dans nos régions ultrapériphériques. J'ai mesuré, à la suite de ce déplacement, à quel point la coopération régionale était indispensable. Je pense que c'est à cela que l'Europe doit contribuer.

Ces territoires sont des ponts avancés vers d'autres territoires, comme le Brésil, avec lesquels nous avons des relations commerciales indispensables. Ce qui m'a frappée en Guyane, c'est cette relation ambivalente à l'Europe avec des territoires qui, en même temps, sont tout à fait capables d'aller chercher, probablement mieux que certaines de nos autres régions, les fonds européens, et qui sont fiers d'être européens, mais qui se retrouvent désavantagés du fait de certaines règles européennes. Très honnêtement, je ne vois pas de réponse concrète à leur apporter sur la question de la pêche ou de l'orpaillage, sauf à mettre un soldat derrière chaque pêcheur, comme derrière chaque orpailleur, ce qui est rigoureusement impossible.

M. Jean-François Rapin, président. - Ceci appelle deux remarques de ma part.

Tout d'abord, je suis de plus en plus convaincu, tout comme notre délégation aux outre-mer, qu'on devrait avoir un statut unique pour les territoires d'outre-mer en ne distinguant plus les régions ultrapériphériques des pays et territoires d'outre-mer. Je sais bien que l'Union européenne est franchement opposée à cette solution, car cela pourrait entraîner une hausse conséquente des budgets consacrés à ces territoires. Cependant, je ne pense pas que cela soit inévitable, dans la mesure où tous les fonds budgétés ne sont pas tous mobilisés aujourd'hui.

Et outre, si vous allez à la Réunion, le sentiment est différent car la Réunion a une capacité d'investissement régional assez impressionnante, avec un taux de captation des fonds européens plutôt élevé. C'est ce que nous avons pu constater lorsque nous avons mené les auditions, avec Georges Patient, pour préparer la proposition de résolution européenne qui a été présentée pour la délégation aux outre-mer. En revanche, si vous allez à Mayotte, avant le cataclysme, bien sûr, on était sur des taux de captation très faibles. Il faut donc effectivement tenir compte des spécificités de chaque territoire.

J'ajoute que notre représentation permanente à Bruxelles fait un travail important de sensibilisation auprès de la Commission européenne pour intégrer la question ultramarine dans les textes initiaux, ce qui n'était pas le cas auparavant, nous obligeant alors à intervenir après coup. L'idée aujourd'hui, c'est vraiment d'anticiper. Il me semble que cela avance tout doucement, comme me l'a aussi confirmé la présidente de la délégation aux outre-mer, notre collègue Micheline Jacques.

M. Olivier Henno. - J'ai participé à la quasi-totalité des réunions et j''ai eu le sentiment d'une écoute un peu distraite vis-à-vis de la délégation, parfois même d'une forme de désinvolture.

Effectivement, le double statut RUP-PTOM crée des écarts et des différences considérables, entraînant des complexités et des blocages. Je suis donc plutôt partisan d'un statut unique.

La manière dont nos interlocuteurs ont abordé la question des RUP interroge sur l'avenir de la politique de cohésion.

Plus largement, je constate l'absence de stratégie indo-pacifique européenne : c'est une question pourtant pertinente à laquelle nos territoires d'outre-mer sont bien sûr partie prenante, mais qui va bien au-delà du statut de ces territoires.

Personnellement, je suis revenu plus que perplexe car je n'ai pas vraiment senti de mobilisation de la Commission européenne sur ces sujets.

M. Jean-François Rapin, président. - Un sujet a, selon moi, retenu leur attention : c'est la question de l'influence étrangère. Les outre-mer sont aussi une porte d'entrée des influences étrangères. Notre devoir, à l'échelle européenne, est de lutter contre cela.

Mme Marta de Cidrac. - Monsieur le Président, vous venez d'évoquer la question des ingérences étrangères et je partage votre position. Il est fondamental de rappeler à nos interlocuteurs que nos outre-mer sont également des territoires européens.

Vous disiez avoir été étonné que Mme von der Leyen n'ait pas évoqué les RUP lors de son déplacement dans les Caraïbes. Comment l'interpréter ? S'agit-il vraiment d'un désintérêt ?

Quels sont nos alliés potentiels, parmi les autres pays européens, pour faire avancer les intérêts de nos outre-mer ?

M. Jean-François Rapin, président. - S'agissant de la Commission européenne, un travail de sensibilisation est nécessaire. Si la présidente de la Commission, lors de ses déplacements aux Caraïbes, n'évoque pas la situation des outre-mer, je pense que c'est également une question de culture. En effet, au-delà d'une acculturation européenne, elle a avant tout une culture allemande. Et je vous le dis, les Allemands ou les Polonais ne sont pas du tout sensibilisés à cette question. Ils n'ont pas encore intégré la question des ingérences étrangères dans ces territoires.

Je me sers toujours de l'exemple du porte-avions, qui me paraît marquant. Les outre-mer permettent à l'Europe d'avoir un porte-avions sur tous les océans et une présence sur tous les océans. Le terme de porte-avions n'est pas utilisé dans un sens belliqueux, mais plutôt sécuritaire.

Je suis désolé de ne pas avoir de réponse plus précise, mais les services nous ont dit qu'elle avait probablement oublié d'en parler, car cela ne lui vient pas spontanément à l'esprit. C'est un long travail. Younous Omarjee, vice-président du Parlement européen, a dit qu'il sentait, tout comme moi, un début d'acculturation européenne à l'outre-mer. En tant que réunionnais, il est un relais de l'outre-mer, avec qui on peut avoir des désaccord politiques, mais qui est très actif et avec lequel nous avons eu un excellent échange. Il est nécessaire de faire valoir les spécificités des outre-mer à chaque occasion. Comme vous le savez, la pédagogie est l'art de la répétition.

M. Alain Cadec. - Notre principale difficulté est que nous sommes les seuls, avec les Espagnols et les Portugais, à avoir des RUP. Cela signifie que les autres États membres ne s'en soucient gère. On le voit bien à Bruxelles et à Strasbourg, où la situation des RUP n'intéresse pas les autres pays de l'Union. J'ai siégé au Parlement européen aux côtés de Younous Omarjee, dont je ne partage pas le positionnement politique. Je peux témoigner qu'il contribue beaucoup à la défense des RUP.

Mme Valérie Boyer. - Je voudrais partager mon expérience dans le cadre de réunions de l'OSCE et de réunions en format Weimar, lorsque j'ai évoqué la situation en Nouvelle-Calédonie et les ingérences de l'Azerbaïdjan. J'ai souligné que nous étions attaqués par une puissance étrangère, attaqués dans notre identité, notre intégrité territoriale et pour ce que nous sommes, rappelant que c'était également l'Union européenne qui était attaquée. Malheureusement, je n'ai pas eu de succès.

À l'OSCE, la situation est encore plus préoccupante, car l'Azerbaïdjan est triomphant, avec des pays très proches de lui, comme l'Italie, l'Espagne et l'Irlande. Il est même surprenant de voir une partie des Allemands soutenir ce pays. C'est déroutant de voir à quel point l'entrisme de ce pays est extrêmement fort, auprès des diplomates comme des élus. Je pense qu'il est nécessaire que nous ayons une stratégie beaucoup plus offensive, au Parlement européen et à la Commission européenne, mais aussi dans toutes les instances au sein desquelles nous siégeons.

Les seuls qui nous comprennent, ce sont les Chypriotes, qui vivent avec une menace constante, les Grecs, dans une certaine mesure, et quelques Autrichiens. Les Anglais, quant à eux, ne nous soutiennent pas. C'est désespérant alors qu'il s'agit tout de même de notre intégrité territoriale.

Aujourd'hui, alors que le centre du monde se déplace de l'Atlantique vers le Pacifique, je ne comprends pas notre faible mobilisation pour défendre la Nouvelle-Calédonie. Aucune démarche n'a été entreprise, vis-à-vis de l'Australie notamment. Lors de mon déplacement à Taïwan, avant les actions d'ingérence en Nouvelle-Calédonie, j'avais, sans succès, évoqué cette question. Et pourtant, aujourd'hui, je constate un intérêt de leur part.

Nous ne disposons pas aujourd'hui d'une stratégie européenne commune pour lutter contre les ingérences étrangères dans les instances internationales.

M. Jean-François Rapin, président. - Nous arrivons tout de même à obtenir des résultats. Dans certaines instances, nous avons gagné des « parts de marché ». Peut-être pas à l'OSCE, mais dans les instances de l'Union européenne, si.

Mme Valérie Boyer. - L'Arménie, évidemment, est un sujet de préoccupation, car ce pays est en proie à de graves difficultés et la situation est compliquée sur le plan humanitaire. Sur le plan politique, il n'y a pas de stratégie européenne claire vis-à-vis de ce pays. La situation est d'autant plus préoccupante que l'Arménie fait partie des premiers pays dont les frontières ont été menacées.

Actuellement, partout dans le monde, on assiste à une remise en question des frontières. Mais l'Arménie, depuis longtemps déjà, est confrontée à de graves difficultés, dans l'indifférence internationale. D'ailleurs, si l'Azerbaïdjan a pris des mesures de représailles vis-à-vis de notre pays, c'est en raison de notre soutien à l'Arménie.

Je pense que la question de la présence de la France sur toutes les mers et de la présence de l'Europe sur toutes les mers devrait être traitée de façon plus stratégique qu'elle ne l'est aujourd'hui. Je crois que l'ingérence de l'Azerbaïdjan est un signal d'alarme. J'espère que ce signal nous fera réagir.

M. Didier Marie. - Vous savez que je ne suis pas particulièrement un soutien du président Macron mais on peut lui reconnaître une chose : depuis quelque temps, il a placé la stratégie indo-pacifique au coeur de son action diplomatique.

J'ai eu l'occasion de me rendre en Indonésie et de rencontrer des responsables politiques. Ils ont conscience du poids de la France. Et d'ailleurs, nous sommes en train de négocier et de signer un partenariat stratégique avec eux qui a permis au Charles de Gaulle d'être accueilli sur place. Je crois qu'il y a eu une prise de conscience sur la nécessité d'une stratégie indo-pacifique et celle-ci se développe. Il faut effectivement la faire partager à nos amis européens. Mais il y en a un certain nombre aujourd'hui qui en sont conscients et qui s'appuient sur la présence de la France dans ce secteur pour développer des partenariats.

Deuxièmement, pour ce qui concerne l'Azerbaïdjan, je crois que tout dépend des instances. S'agissant de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE), les pouvoirs de la délégation d'Azerbaïdjan n'ont pas été ratifiés, et ceci de manière très large. Ils ne siègent plus au sein de l'Assemblée depuis 2024 et il n'est pas question aujourd'hui de les accueillir à nouveau tant que la situation reste en l'état.

Troisième élément, les Arméniens nous ont dit tout récemment qu'un accord de paix avait été conclu avec l'Azerbaïdjan et qu'ils n'en étaient a priori pas mécontents.

Il m'apparaît donc nécessaire de nuancer un peu l'analyse. Je crois qu'il faut réaffirmer ce que nous voulons les uns et les autres, à savoir notre dimension internationale et notre présence très forte à la fois dans les Caraïbes et dans l'Indo-Pacifique. J'estime que la multiplication des partenariats stratégiques avec un certain nombre de puissances importantes de ces zones est absolument indispensable et utile.

M. Jean-François Rapin, président. - Je souhaite enfin évoquer le déplacement que nous avons effectué à La Haye, le 26 mai dernier, avec une délégation de la commission des lois.

Nos collègues Jean-Michel Arnaud et Sophie Briante Guillemont y ont participé à mes côtés, tandis que la commission des lois était représentée par la présidente Muriel Jourda, Dominique Vérien et Laurence Harribey.

Notre visite d'Eurojust et d'Europol est intervenue dans un contexte de menace croissante de la criminalité organisée dans l'Union européenne, la coopération européenne en matière judiciaire et policière semblant plus nécessaire que jamais.

Comme l'a souligné le général Jean-Philippe Lecouffe, directeur des opérations d'Europol, la criminalité ne connaît pas de frontières et sait même utiliser à son profit les libertés du marché intérieur, par exemple dans les zones portuaires pour le trafic de drogue.

821 réseaux criminels sont ainsi identifiés comme particulièrement actifs et menaçants dans l'Union européenne, 25 000 personnes participent à ces réseaux et 90 % de ceux-ci sont impliqués dans des activités criminelles transfrontières.

Le dernier rapport d'Europol sur l'évaluation de cette grande criminalité, paru début mai, esquisse cinq grandes tendances communes à ces organisations criminelles :

- la création de systèmes financiers « parallèles » pour mettre à l'abri les avoirs criminels. Le blanchiment est ainsi la « colonne vertébrale » du crime ;

- l'infiltration d'entreprises et de commerces légaux pour protéger leurs activités illicites et accroître leur influence : ainsi, 86 % des réseaux criminels les plus dangereux détournent ces structures à leur profit ;

- l'utilisation massive de la corruption : 71 % des organisations criminelles en font usage ;

- l'intensification de la violence : 68 % des réseaux criminels en font usage et les règlements de comptes, en particulier entre trafiquants de drogue, peuvent désormais concerner tous les territoires ;

- enfin, cinquième tendance également préoccupante : le recours à l'exploitation criminelle des mineurs, victimes d'abus sexuels ou de recrutements par les réseaux criminels pour transporter de la drogue, en récupérer dans des entrepôts portuaires ou assassiner des personnes, comme on a pu le constater à Marseille il y a quelques mois.

Face à cette criminalité qui cause de l'insécurité, fragilise les économies et sape nos démocraties, les États membres de l'Union européenne, à l'issue du Conseil européen de Tampere en 1999, ont décidé de renforcer leur coopération policière avec l'agence Europol et leur coopération judiciaire pénale, à tous les stades de la procédure, avec l'agence Eurojust.

Plus de 20 ans après leur création, quelle évaluation pouvons-nous effectuer de leur action ?

Tout d'abord, nous pouvons nous féliciter en constatant que ces deux agences, qui ont été créées sous l'impulsion de la France et du Sénat, sont montées en puissance et font preuve d'efficacité.

Eurojust s'est affirmée comme « un facilitateur » des procédures pénales à tous les stades, par exemple pour lever un conflit de compétences entre plusieurs juridictions, pour ordonner des perquisitions dans plusieurs États membres ou pour obtenir la mise en oeuvre d'un mandat d'arrêt européen.

Quantitativement, l'agence a traité près de 13 000 dossiers et organisé plus de 1 900 opérations à grande échelle en 2024.

Qualitativement, Eurojust bénéficie de la coopération quotidienne des bureaux nationaux des États membres et des pays associés qui s'apparentent à « 40 ambassades judiciaires ». En effet, les relations de confiance mutuelle qui se nouent entre eux sont décisives pour trouver une solution en cas de difficulté. Des réunions de coordination sont régulièrement organisées entre magistrats concernés et, dans les dossiers les plus importants - 32 en 2024 -, un centre de coordination peut être mis en place. Eurojust et Europol peuvent également participer à des équipes communes d'enquête (ECE), qui permettent une mise en commun des moyens (juges, procureurs, enquêteurs...), par exemple pour démanteler un réseau de trafic de drogue.

Eurojust joue également un rôle important en soutien aux autorités ukrainiennes. À cet égard, le mandat de l'agence a été modifié en 2023 pour pouvoir collecter, stocker et analyser les éléments de preuve des crimes commis en Ukraine. Eurojust accueille aussi un centre international pour la poursuite du crime d'agression contre l'Ukraine en vue d'éventuelles poursuites pénales internationales contre les auteurs de crimes de droit international en Ukraine, à savoir génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre.

De son côté, l'agence Europol a également connu un renforcement de son mandat en juin 2022, qui lui permet de traiter massivement les données liées à des dossiers criminels et d'échanger ces données avec des entreprises et même des pays tiers associés, dans le cadre du RGPD.

La valeur ajoutée de son action réside dans cette analyse criminelle des données, qui est devenue indispensable aux enquêtes policières. Europol est ainsi devenu un vrai « centre de renseignements criminel ». Les exposés qui nous ont été présentés au siège d'Europol montrent que cette valeur ajoutée s'illustre contre le trafic de drogues, la cybercriminalité, les abus sexuels contre les mineurs, ou encore, les trafics de migrants...

À titre d'exemple, en lien avec plusieurs polices nationales, Europol a contribué au démantèlement de deux messageries cryptées utilisées par les réseaux criminels, Encrochat et Skyecc, grâce à ses traitements de données en utilisant l'intelligence artificielle (IA). Pour l'affaire Skyecc, Europol a ainsi analysé 1 milliard de SMS et 10 millions d'images.

Pour assumer cette mission, l'agence a bénéficié d'une hausse de moyens sans équivalent, avec une hausse globale de ses effectifs de 59 % entre 2016 et 2024, avec presque 300 % pour sa division opérationnelle.

Son budget est également passé de 172 millions d'euros en 2021 à 256 millions d'euros cette année. Malgré tout, l'agence est aujourd'hui « sous tension », selon le directeur des opérations, et aspire à des moyens accrus.

Signalons cependant que le développement de l'utilisation de l'IA par Europol soulève une question éthique et opérationnelle. Europol estime ainsi que la surveillance du contrôleur européen de la protection des données (CEPD) est trop rigoureuse. L'autre question est géopolitique puisque, pour développer cette IA, l'agence coopère avec toutes les grandes entreprises du numérique, y compris les GAFAM américains, ce qui pourrait engendrer des ingérences étrangères.

Le statut et les missions des deux agences devraient de nouveau évoluer. Le principe de cette évolution est inscrit dans le programme de travail de la Commission européenne et dans la nouvelle stratégie de sécurité intérieure de l'Union européenne, présentée début avril.

Il nous faudra être vigilants, en particulier sur la proposition de la Commission européenne visant à faire d'Europol une agence « véritablement opérationnelle ».

Cette perspective paraît opportune s'il s'agit de conforter l'expertise technologique d'Europol et sa capacité à soutenir les services de police des États membres, d'améliorer sa coordination avec les autres organismes de l'Union européenne et avec les États membres, ou encore de consolider les partenariats stratégiques avec les pays tiers associés et le secteur privé.

En revanche, la création d'un « FBI européen » apparaîtrait contraire à la lettre et à l'esprit des traités européens. Même si le directeur des opérations a écarté cette option, il conviendra d'être vigilants, tout comme sur les aspects budgétaires et sur le renforcement du contrôle de l'agence !

Mme Marta de Cidrac. - Ma question n'est pas directement liée au déplacement. La France a récemment dû faire face à des actes de vandalisme visant des lieux de culte israélites qui ont été tagués par trois ressortissants serbes. L'enquête est en cours. Je me posais donc la question suivante : lorsque nous avons affaire à ce type de délit dans nos États membres, les agences européennes peuvent-elles s'en saisir d'autant qu'il s'agit de trois ressortissants d'un État candidat à l'Union.

M. Jean-François Rapin, président. - Je laisse le soin à Jean-Michel Arnaud de répondre. Nous avons bien compris qu'ils n'étaient pas des opérateurs d'enquête.

M. Jean-Michel Arnaud. - Non, ils ne sont pas des opérateurs d'enquête. Ils ont plutôt un rôle de coordination. Ce que j'ai retiré de cette visite et des échanges que nous avons eus, c'est d'abord un grand professionnalisme. De nombreux fonctionnaires très expérimentés et qualifiés, y compris français, sont en détachement fonctionnel à Europol ou à Eurojust pour la partie judiciaire.

Je retiens également que, finalement, il s'agit d'un point d'appui aux forces judiciaires et aux forces de police de chacun des États membres. À chaque fois que deux États membres sont concernés, Europol peut être saisi pour accompagner et appuyer les enquêtes locales afin, comme l'a dit le président Rapin, d'éviter les erreurs de procédure par méconnaissance du droit local.

J'ai trouvé rassurant de savoir que de telles organisations existent. Communiquer pour expliquer que l'Europe protège avec une capacité à coordonner des actions au service de nos concitoyens, est essentiel. Cela a été pour moi une forme de révélation, alors que je suis pourtant bien initié aux questions européennes.

Je voudrais également insister sur la capacité de ces deux structures à utiliser les nouvelles technologies, notamment l'intelligence artificielle.

M. Jean-François Rapin, président. - En effet. Je l'ai fait valoir à la Présidente du Bundesrat et à la Présidente du Sénat polonais lors des échanges que j'ai pu avoir avec elles, à l'occasion d'une rencontre en format Weimar avec le Président du Sénat. J'ai souligné que nous ne mettons pas suffisamment en valeur les belles réussites de l'Union européenne.

Voir la capacité et la force de frappe de ces structures est vraiment rassurant. C'est rassurant aussi parce qu'elles sont transparentes.

Cette coordination peut également servir la lutte contre le terrorisme. Vous parliez des tags tout à l'heure. Pour savoir si les responsables sont membres d'un réseau, la police française se renseigne rapidement auprès d'Europol pour connaître le nombre de faits identiques recensés dans les autres États. Ils obtiennent la réponse quasi immédiatement. Et à partir de là, on peut démanteler un réseau.

Nous avons eu plusieurs mises en situation très parlantes et intéressantes. C'est vraiment une belle réussite de l'Union et, comme Jean-Michel Arnaud, je voudrais souligner le rôle stratégique des Français au sein de ces organisations.

M. Jean-Michel Arnaud. - Europol mène également des opérations coordonnées en vue de démanteler des réseaux criminels.

Des perquisitions sont organisées dans plusieurs pays au même moment, en coordination active avec des représentants et des postes relais de procureurs dans les États membres concernés.

Je suis particulièrement étonné de voir que la coopération se fait également avec des pays que l'on ne soupçonne pas d'être très coopérants, notamment la Hongrie qui est très eurosceptique dans son expression politique. Pourtant, sur le terrain, nos interlocuteurs indiquent que la coopération est pleine et effective.

Mme Amel Gacquerre. - Je vous remercie pour ces retours éclairants. Avez-vous pu évoquer les relations de ces organisations avec les pays des Balkans ou d'Afrique du Nord ? Des coopérations sont plus que nécessaires.

M. Jean-François Rapin, président. - J'en suis convaincu. Nous n'avons pas abordé cette question en détail, faute de temps. Les enquêteurs disposent de réseaux et de coopérations importants à travers le monde. Sans cela, ils ne parviendraient pas à mener à bien leurs missions. L'exemple de l'arrestation du dénommé « La mouche », arrêté en Roumanie après une évasion de prison au cours de laquelle deux gardiens de prison ont été tués, est éloquent.

Mme Catherine Morin-Desailly. - J'ai eu l'occasion de visiter ces institutions dans le cadre de l'IHEDN cybersécurité. Je peux témoigner de l'excellence du travail et de la coopération qui existe, heureusement, entre États membres grâce à Europol ou Eurojust. Ces organisations parviennent à démanteler des réseaux de cyberdélinquance et à combattre les abus sexuels sur les enfants, notamment la pédopornographie. Ils arrivent à démanteler ensemble de gros réseaux internationaux. J'avais été impressionnée par l'esprit de coopération qui règne au sein de ces institutions, avec une présence physique pour chaque État membre.

M. Jean-François Rapin, président. - Il nous revient de faire valoir ces belles réussites.

Conférence des organes spécialisés dans les affaires de l'Union européenne (COSAC) à Varsovie du 8 au 10 juin 2025 - Communication

M. Jean-François Rapin, président. - J'en viens maintenant au compte rendu de la réunion plénière de la COSAC qui s'est tenue à Varsovie du 8 au 10 juin, c'est-à-dire de dimanche soir à hier après-midi, dans le cadre de la présidence polonaise du Conseil de l'Union européenne.

Nous y avons participé avec Didier Marie et Catherine Morin-Desailly. L'Assemblée nationale était représentée par le président de la commission des affaires européennes, Pierre-Alexandre Anglade, et par Laurent Mazaury.

La chambre des députés italienne, le parlement portugais ou encore la chambre basse néerlandaise n'étaient pas représentés lors de cette réunion.

Autre absente de taille : la Commission européenne. Les représentants du Parlement européen, et non les États membres, ont très vivement critiqué cette absence, affirmant qu'elle illustre le désintérêt de la Commission européenne à l'égard de la COSAC et des parlements nationaux. C'est une évolution notable du discours du Parlement européen !

Cinq thèmes ont été évoqués au cours de cette réunion. Je suis intervenu sur les priorités de la présidence polonaise et sur le cadre financier pluriannuel. Didier Marie a pris la parole sur le programme de travail et sur l'élargissement. Catherine Morin-Desailly est intervenue sur la lutte contre la désinformation et les ingérences étrangères.

Nous avons également participé à une réunion bilatérale avec la délégation allemande et à une réunion de travail réunissant les pays de la Méditerranée.

Quels enseignements peut-on tirer de cette réunion de la COSAC ? Je mentionnerai trois points principaux.

Premièrement, nous avons pu relayer, lors de cette réunion, les positions adoptées par notre commission et nous avons réussi, notamment avec le soutien de la délégation allemande et d'autres délégations, à faire adopter la plupart de nos amendements.

Ainsi, nous avons pu insister sur la nécessité de préserver la PAC, et la politique commune de la pêche, ainsi que la politique de cohésion dans le futur cadre financier pluriannuel. Dans le droit fil des positions adoptées dans le cadre de récents avis politiques, nous avons aussi obtenu de mentionner la nécessité de prendre en compte les spécificités des régions ultrapériphériques, ainsi qu'un appel à la Commission européenne afin qu'elle utilise pleinement les instruments disponibles contre les plateformes qui ne respectent pas le droit européen, en clair, qu'elle les sanctionne.

Conjointement avec la délégation allemande et après échanges avec la délégation arménienne, nous avons également apporté un soutien à l'Arménie en appelant les deux parties, Arménie et Azerbaïdjan à signer l'accord de paix récemment finalisé.

Les débats ont été vifs concernant la situation au Proche Orient. Dans le cadre d'une démarche franco-allemande, avec l'appui du Parlement estonien, du Parlement suédois et du Sénat polonais, malgré les réserves de certaines délégations, nous avons abouti à un paragraphe équilibré sur la situation à Gaza et au Moyen Orient, en condamnant l'attaque terroriste du 7 octobre, en demandant la libération des otages mais aussi, parallèlement, en soulignant la situation humanitaire dévastatrice à Gaza et en demandant la levée du blocage de l'aide humanitaire. Nous avons également pu obtenir que le texte final « plaide sans équivoque pour une solution à deux États qui garantisse à tous les citoyens de la région un avenir sûr et sécurisé ».

Nous avons également fait adopter un amendement, sans le soutien de l'Assemblée nationale, mais avec le soutien du Sénat tchèque, rappelant la nécessité de respecter les compétences des États membres en matière de défense.

Avec Catherine Morin-Desailly et Didier Marie, nous pouvons donc nous réjouir des apports obtenus, la contribution finale intégrant plusieurs points forts que nous défendons au sein de notre commission.

Ce résultat a été obtenu dans un contexte qui a parfois été tendu et alors que les procédures d'examen des amendements sont très défavorables dès lors qu'on doit passer au vote.

Je veux notamment souligner l'échange tendu qui a eu lieu entre les parlementaires hongrois et les députés européens au sujet de la conditionnalité des fonds européens. Nous avons également observé les soutiens apportés à la délégation hongroise par quelques parlementaires autrichiens et un parlementaire polonais du PiS. Les représentants du Parlement européen se sont par ailleurs montrés très offensifs sur la transparence des fonds attribués aux ONG.

On peut également souligner le fort activisme de la Suède, qui a présenté plusieurs amendements et les a ardemment défendus, tandis que d'autres délégations se sont montrées assez discrètes.

D'une manière générale, la procédure actuelle me paraît montrer ses limites. En effet, elle donne un poids très important à la Troïka, formée des présidences sortante, actuelle et future ainsi que du Parlement européen. En effet, celle-ci peut décider d'intégrer ou non des amendements, sans réelle transparence. En revanche, un amendement qui n'a pas été retenu par la Troïka doit recueillir une majorité qualifiée des trois-quarts des voix pour être adopté, ce qui, en pratique, est souvent très difficile.

Il serait opportun de modifier le règlement de la COSAC afin de revoir les modalités de vote. J'engagerai une démarche en ce sens, ce qui ne sera pas simple, une modification du Règlement ne pouvant être obtenue qu'à l'unanimité.

Je veux enfin évoquer la situation politique polonaise. La réunion de la COSAC s'est en effet tenue une semaine après le deuxième tour de l'élection présidentielle polonaise, qui a vu la victoire « sur le fil » du candidat nationaliste, soutenu par le parti conservateur « Droit et Justice ».

Avec près de 51 % des voix contre un peu plus de 49 % à son adversaire, Karol Nawrocki l'a ainsi emporté sur le maire de Varsovie, Rafal Trzaskowski, soutenu par le parti de la plateforme civique du Premier ministre Donald Tusk.

Au cours d'un dîner avec l'ambassadeur de France en Pologne, Etienne de Poncins, nous avons évoqué les conséquences, pour la Pologne et pour l'Union européenne, de l'élection du candidat nationaliste. Même si le Président de la République n'a pas les mêmes prérogatives en Pologne qu'en France, et même si le gouvernement de Donald Tusk devrait rester en place jusqu'aux prochaines élections législatives prévues dans deux ans, cette cohabitation pourrait toutefois entraver les réformes de l'actuel gouvernement, notamment dans le domaine de la justice ou sur le plan sociétal.

En revanche, elle ne devrait pas affecter la politique étrangère de la Pologne, en particulier le soutien à l'Ukraine, en dépit de l'orientation très favorable au président Trump de M. Nawrocki et de ses positions mémorielles. Historien et ancien président de l'Institut de la mémoire nationale, M. Nawrocki a en effet demandé à l'Ukraine de reconnaître les massacres anti-polonais commis par les nationalistes ukrainiens en 1942 et 1943 sous l'occupation allemande - et de fait, la position de l'Ukraine doit évoluer sur ce dossier. Mais la crainte de l'impérialisme russe fait consensus au sein de la classe politique, tout comme l'attachement viscéral et prioritaire de la Pologne à l'OTAN et à la relation transatlantique. Plus de 10 000 soldats américains sont en effet stationnés en Pologne.

L'ambassadeur s'est félicité de la relance de la relation bilatérale franco-polonaise initiée par le traité de Nancy, qui comporte trois volets : la coopération culturelle, la coopération en matière d'énergie nucléaire et la coopération en matière de sécurité et de défense.

En la matière, sous la réserve de l'attachement prioritaire à la relation transatlantique, des coopérations significatives peuvent être envisagées, dans un contexte où la Pologne entend consacrer 4,7 % de son PIB à la défense. La Conférence sur la sécurité de Varsovie, prévue à l'automne, constituera à cet égard un moment important, la France étant cette année la nation partenaire.

La Pologne représente un partenaire important, notamment dans le cadre du « Triangle de Weimar ». La même semaine, j'étais d'ailleurs avec le Président du Sénat à Varsovie pour participer à la réunion, en format « Weimar », des Présidents du Sénat français, du Sénat polonais et du Bundesrat allemand. Nous devrions également accueillir à Paris cet automne une réunion en format « Weimar » des commissions des affaires européennes des trois parlements.

Voilà les principaux enseignements que je retire de ce déplacement. J'ajoute que le futur cadre financier pluriannuel a été largement évoqué et que seule notre délégation a souligné la nécessité de soutenir l'innovation.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Les rapports Draghi et Letta insistent pourtant sur ce point.

Examen de notes d'actualité

M. Jean-François Rapin, président. - J'ai souhaité que le service de la commission renoue avec la rédaction de notes d'actualité à caractère descriptif ou technique, susceptibles d'intéresser l'ensemble de nos collègues et permettant aussi de traiter certains dossiers d'actualité qui ne nécessitent pas la mobilisation de rapporteurs.

Je souhaite que ces notes vous soient adressées avant les réunions de commission, afin que vous en ayez la primeur et puissiez, le cas échéant, formuler des observations. Nous serons également attentifs aux thèmes que vous pourriez souhaiter voir traités par ce biais, tout en précisant que ce type de notes n'a vocation ni à se substituer au travail de rapporteurs lorsqu'il se justifie, ni à mobiliser de manière excessive le service de la commission.

Cette démarche vous convient-elle ? Avez-vous des observations ?

S'il n'y en a pas, nous retenons donc cette formule.

Nomination de rapporteur

M. Jean-François Rapin, président. - Au titre des questions diverses, je vous informe que notre collègue Catherine Morin-Desailly a déposé une proposition de résolution européenne sur la protection des mineurs en ligne.

Il s'agit donc de la première proposition de résolution européenne examinée suivant les nouvelles modalités prévues par notre Règlement, tel qu'il a été modifié et validé par le Conseil constitutionnel le 7 mai dernier. En l'espèce, c'est la procédure prévue par l'article 73 quinquies C qui s'applique.

Concrètement, l'examen des propositions de résolution européenne couvertes par cet article n'étant plus automatiques ni nécessairement enfermées dans le délai d'un mois, je vous propose, au regard de l'importance du sujet évoqué et de son actualité européenne, que nous l'examinions d'ici la fin de la session extraordinaire.

Un délai limite devra être fixé pour le dépôt des amendements, qui devront être formalisés dans AMELI, comme c'est le cas pour l'examen des amendements devant les commissions permanentes. Je rappelle que le droit d'amendement sur cette catégorie de proposition de résolution européenne est désormais ouvert à tous les sénateurs, dès le stade de son examen par notre commission.

Un vademecum sur le droit de résolution, tel que prévu par le nouveau Règlement, est en cours de finalisation par la direction de la Séance.

Reste la question de la désignation d'un rapporteur. Notre collègue Brigitte Devésa m'ayant fait part à plusieurs reprises de son souhait de travailler sur cette question, je vous propose de la désigner rapporteure. Les délais impartis et notre mobilisation à tous en cette fin de session me conduisent à privilégier le choix d'un rapporteur unique.

Avez-vous des observations ?

S'il n'y en a pas, il en est ainsi décidé.

La réunion est close à 14 h 55

Jeudi 12 juin 2025

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Modification du statut de protection du loup - Communication

M. Jean-François Rapin, président. - Deux points sont inscrits à l'ordre du jour de notre commission ce matin.

Le premier est une communication de suivi que nous présente Cyril Pellevat sur le statut de protection du loup. Notre commission s'est fortement mobilisée sur ce sujet et a finalement obtenu gain de cause, les annexes de la convention de Berne ayant été modifiées, ce qui a ensuite ouvert la voie à la révision de la directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite « Habitats-Faune-Flore ».

Nous évoquerons ensuite un deuxième dossier, qui en est à ses débuts, mais dont l'enjeu est fondamental : celui du cadre financier pluriannuel.

M. Cyril Pellevat, rapporteur. - En juillet 2020, notre commission des affaires européennes adoptait une proposition de résolution européenne visant à assouplir le statut de protection du loup au sein de la convention de Berne. Cette initiative, dont j'étais à l'origine avec plusieurs de mes collègues et dont l'examen m'avait été confié, traitait d'un sujet toujours d'actualité, la situation du loup et le niveau de protection dont il bénéficie en application de deux textes européens qui sont liés : d'une part, la convention de Berne, qui - je le rappelle - est le traité international du Conseil de l'Europe sur la conservation de la nature, et d'autre part, la directive européenne « Habitats-Faune-Flore ».

Indéniablement, le niveau de protection très élevé accordé au loup en Europe, depuis plusieurs décennies, a été un élément déterminant dans la conservation de l'espèce, qui avait pourtant disparu du territoire national depuis les années 1930 et est réapparue naturellement au cours des années 1990.

La directive « Habitats-Faune-Flore » classe ainsi le loup parmi les espèces d'intérêt communautaire qui implique une protection stricte. La législation européenne interdit toute forme de capture intentionnelle, de détention ou de mise à mort intentionnelle. Elle prévoit cependant la possibilité de déroger à ce régime très protecteur dans des conditions strictement encadrées.

La progression de la présence du loup en Europe a ainsi été importante au cours des dix dernières années : la population est passée d'environ 11 200 individus en 2012 à 20 300 en 2023, soit une hausse de près de 45 %.

En France, selon l'Office français de la biodiversité (OFB), le nombre de loups à la fin de l'hiver 2020-2021 était estimé à environ 620 individus. Le seuil de viabilité démographique, fixé à 500 loups par le plan national d'actions (PNA) 2018-2023 sur le loup et les activités d'élevage, a donc été franchi avec beaucoup d'avance sur le cadre prévu. À la sortie de l'hiver 2022-2023, la population lupine française était comprise entre 750 et 1 344 individus, avec un effectif moyen estimé à 1 003 loups.

Les meutes restent principalement concentrées dans les Alpes, bien que l'espèce colonise progressivement de nouveaux territoires, avec un grand nombre de départements concernés par sa présence.

Cette progression s'accompagne d'une hausse des dommages subis par le bétail. On estime que 65 500 têtes de bétail sont tuées chaque année dans l'Union européenne (UE), dont environ 12 000 sur le territoire national.

Face à ces constats, la résolution européenne du Sénat, adoptée en août 2020, invitait donc la Commission européenne à proposer au Conseil de soutenir un texte adaptant le régime juridique de la protection du loup aux réalités de son expansion sur le territoire européen, et en particulier dans notre pays. C'est désormais chose faite ! Le Sénat a ainsi été entendu. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

Force est de reconnaître que cette position n'était pas propre au Sénat. Elle était défendue au plus haut niveau par le gouvernement français, ainsi que par d'autres pays européens.

Avant d'engager la révision du régime de protection du loup, la présidente de la Commission européenne avait d'ailleurs déclaré, en septembre 2023 : « La concentration de meutes de loups dans certaines régions d'Europe est devenue un véritable danger pour le bétail et, potentiellement, pour l'homme ».

Finalement, le 6 décembre 2024, le comité permanent de la convention de Berne, auquel il revient le pouvoir d'évaluer l'état de conservation des espèces, a adopté une proposition, présentée par l'UE, visant à modifier le statut de protection du loup. Le loup est ainsi déplacé de l'annexe II, qui concerne les espèces de faune strictement protégées, à l'annexe III relative aux espèces de faune protégées, qui prévoit donc une protection plus faible.

Ce déclassement est conforme à la recommandation que nous avions formulée en 2020 dans notre proposition de résolution européenne. Seuls cinq pays sur un total de cinquante - la Bosnie-Herzégovine, l'Albanie, Monaco, le Monténégro et le Royaume-Uni - s'y sont opposés, tandis que la Tunisie et la Turquie se sont abstenues.

Cette décision est entrée en vigueur le 7 mars 2025 dans les États parties à la convention, à l'exception de la République tchèque, de Monaco et du Royaume-Uni, qui ont notifié des objections.

Elle doit désormais être transposée dans la directive européenne « Habitats-Faune-Flore », qui met en oeuvre les exigences de la convention de Berne. En effet, il est nécessaire de modifier les annexes IV et V de cette directive pour faire figurer le loup dans la liste des espèces protégées, et non plus strictement protégées.

Tel est l'objet de la proposition de directive présentée le 7 mars dernier par la Commission européenne. Ce texte est spécifiquement consacré au statut de protection du loup. Le loup sera ainsi placé sous la protection définie à l'article 14, et non plus à l'article 12, de la directive « Habitats-Faune-Flore ». Cette mesure offre ainsi aux États membres une plus grande flexibilité dans la gestion de leurs populations locales s'ils l'estiment nécessaire.

Les États membres restent cependant tenus de maintenir un état de conservation favorable de l'espèce sur leur territoire, de surveiller cet état de conservation et d'en rendre compte à la Commission tous les six ans. Ils ne sont pas obligés d'abaisser le statut de protection du loup dans leur droit national et conservent donc la possibilité de maintenir un niveau de protection plus strict pour le loup sur leur territoire.

Enfin, je tiens à préciser que l'accès aux financements de l'UE pour soutenir les mesures de prévention, ainsi que les règles en matière d'aides d'État destinées à indemniser les éleveurs à la suite d'une attaque de loup, ne sont pas concernés par cette modification.

Ce texte a été adopté le 5 juin dernier lors du Conseil « Transports, télécommunications et énergie ». Compte tenu du caractère ciblé et restreint au loup de la révision, le Conseil a en effet repris telle quelle la proposition de la Commission européenne. Seuls trois États se sont abstenus : la Belgique, l'Espagne et la Pologne. Le Parlement européen l'a aussi adoptée sans modification au début du mois de mai. Dès lors, aucun trilogue n'a été nécessaire. Le texte devrait être publié au Journal officiel de l'UE dans les prochains jours et entrer ainsi en vigueur.

Ensuite, il reviendra à la France de transposer celui-ci dans son droit national. Selon les informations communiquées par le ministère de la transition écologique et de la biodiversité, la modification du statut de protection du loup ne deviendra effective qu'au 1er janvier 2026 afin de ne pas changer les conditions d'accès aux tirs de loup en cours de saison. Cette adaptation se traduira par la publication de plusieurs arrêtés. Ainsi, la mention du loup devra être retirée de l'arrêté du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l'ensemble du territoire. Un nouvel arrêté encadrant les conditions de tirs de l'espèce devra aussi être publié. Par ailleurs, il est prévu d'introduire dans la loi une peine suffisamment dissuasive en cas de destruction irrégulière de loups.

Mme Mathilde Ollivier. - Le groupe écologiste s'inquiète du passage, tant au niveau européen qu'à l'échelon national, du statut du loup de « strictement protégé » à « protégé ». Le loup joue pourtant un rôle essentiel en tant que régulateur naturel de la faune. Les études scientifiques montrent qu'il régule les populations de proies, élimine les individus malades, participe à la régénération des forêts et à l'équilibre des milieux naturels.

Les tirs de régulation, en revanche, peuvent désorganiser les meutes, entraîner des comportements imprévisibles, et parfois accentuer les conflits. Ce changement de statut ne reflète pas non plus les attentes des citoyens : 75 % des ruraux français estiment que les loups ont leur place dans l'Union européenne, et 83 % considèrent la conservation des espèces comme une priorité.

Cyril Pellevat a évoqué les difficultés auxquelles les éleveurs sont confrontés. Il ne s'agit pas d'opposer éleveurs et protection du loup. Ces défis doivent être pleinement pris en compte, mais ils nécessitent un investissement humain et matériel important. Les moyens financiers restent insuffisants, à l'échelle aussi bien française qu'européenne, notamment en ce qui concerne l'Office français de la biodiversité (OFB).

Il ne faut pas non plus sous-estimer l'impact psychologique des attaques de loups sur les éleveurs. L'enjeu, aujourd'hui, est bien d'accompagner ces derniers, pas de déclasser le loup, d'autant qu'environ 200 loups sont déjà abattus chaque année en France. La réduction du niveau de protection des loups constitue donc pour nous une mauvaise nouvelle.

M. Jean-François Rapin, président. - J'avais entendu parler de croisements entre loups et chiens, donnant des espèces génétiquement hybrides. Où en est-on ?

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Je suis favorable à un assouplissement du statut, tel que proposé par la Commission européenne, en passant de « strictement protégé » à « protégé ».

M. Cyril Pellevat, rapporteur. - J'avais été rapporteur du plan national d'actions « Loup 2018-2023 ». À l'époque, on comptait 360 loups, avec une quarantaine de départements prédatés et près de 12 000 bêtes attaquées. L'objectif était de parvenir à une population de 500 individus à l'horizon 2023. Mais, aujourd'hui, le loup a largement dépassé ces seuils : on parle de 900 à 1 300 bêtes, probablement autour de 1 100. Il est désormais présent dans des départements où on ne l'attendait pas, comme la Charente-Maritime, et il s'approche même des abords de Paris.

Le loup n'est plus une espèce menacée. L'idée n'est pas de l'éradiquer, mais de dire que, scientifiquement, il ne mérite plus ce haut niveau de protection. Les tirs peuvent déstabiliser les meutes et augmenter les attaques, en renforçant paradoxalement la dynamique de reproduction. Un loup seul cause moins de dégâts qu'un groupe sur la faune, la flore, et aussi sur notre agropastoralisme.

Il faut agir intelligemment pour apaiser la détresse du monde agricole. Certains éleveurs n'osent plus monter leurs troupeaux en montagne, même avec les mesures de protection : bergers, patous, grillages. Il convient de réintroduire une forme de prédation humaine, car le loup, qui n'a plus de prédateurs, n'a plus peur de l'homme et s'approche des villes. La solution ne passe pas forcément par des tirs létaux. On peut envisager la « capture-relâcher » ou le « puçage », en apprenant à mieux connaître les déplacements du loup.

Concernant la génétique, il existait une divergence entre les laboratoires français et allemands quant à la définition du loup, la différence d'ADN avec le chien étant de l'ordre de 1 %. En cas de doute, les directions départementales des territoires (DDT) indemnisent les éleveurs même sans analyses, ce qui explique que les chiffres soient parfois revus à la baisse.

Quant à la modification des annexes de la convention de Berne, je rappelle que la Bosnie-Herzégovine, l'Albanie, Monaco, le Monténégro et le Royaume-Uni s'y sont opposés. Concernant la modification de la directive « Habitats-Faune-Flore », la Pologne, tenue à la neutralité, s'est abstenue lors du Conseil « Transports, télécommunications et énergie ».

M. Jean-François Rapin, président. - Je précise que la Pologne préside le Conseil de l'Union européenne au cours du premier semestre 2025.

M. André Reichardt. - Mon département n'a pas encore de loups. Mais nous avons connu voilà une dizaine d'années la rigidité de la protection du grand hamster.

J'ai deux questions : la transposition de la directive européenne est-elle prévue pour 2026 ? Et faut-il s'attendre à une levée de boucliers des éleveurs ?

Mme Florence Blatrix Contat. - L'Italie, qui a des colonies de loups importantes, se heurte-t-elle aux mêmes difficultés que la France ? Il me semble que les attaques y sont moins importantes.

Mme Mathilde Ollivier. - Dans les pays où les colonies de loup sont importantes, à l'instar de l'Italie, de la Roumanie ou de la Pologne, des attaques du loup sur l'homme ont-elles été recensées ?

M. Cyril Pellevat, rapporteur. - Monsieur Reichardt, la transposition sera principalement d'ordre réglementaire. Notre collègue Sylviane Noël et moi-même avions présenté une proposition de résolution européenne à la suite de réunions avec les éleveurs des départements de la Savoie et de la Haute-Savoie. Ils attendent l'abaissement du niveau de protection et seront attentifs aux dispositions réglementaires ainsi qu'à leurs conséquences opérationnelles. En tout cas, ce changement est bien perçu par les acteurs du terrain. Les éleveurs ne peuvent plus amener leur troupeau dans certains espaces, ce qui nuit d'ailleurs à la biodiversité. Même si des mesures de protection existent, même si les éleveurs peuvent être indemnisés, ils attendent de pouvoir revenir. Les éleveurs ne veulent pas « tuer du loup » ; ils veulent maintenir leur appellation d'origine protégée (AOP) ou leur appellation d'origine contrôlée (AOC) ; ils veulent vivre de leur métier et ne pas voir mourir les bêtes auxquelles ils sont attachés ! Les éleveurs qui découvrent, au réveil, leurs bêtes éventrées peuvent être traumatisés - pour avoir vu de telles images, je peux vous l'assurer.

Madame Ollivier, je n'ai pas trouvé de documents officiels attestant d'attaques du loup sur l'homme. Cela dit, les éleveurs n'emmènent plus leurs bêtes dans les alpages ; ils préfèrent les laisser à proximité des fermes, qui sont des espaces plus sûrs ; les caprins fuient vers des espaces plus difficiles à atteindre pour les loups. Or on voit que le loup s'approche de plus en plus des routes et des maisons ; que se passera-t-il s'il est affamé ? On sait déjà que le loup a attaqué des ânes, des chevaux et des petits veaux. Le loup ne semble plus avoir peur : des personnes m'ont rapporté avoir vu un loup à cinquante mètres du restaurant où elles se trouvaient, à la frontière franco-suisse...

En Espagne, les loups sont concentrés dans les grands parcs naturels ; il y a donc plus de loups et moins d'attaques. Cela dit, ils ont mis en place d'autres techniques - la capture-relâche, le puçage. Dans mon rapport de 2018, j'ai essayé de comprendre pourquoi il y avait plus d'attaques en France qu'en Espagne ou en Italie, voire aux États-Unis ; l'une des raisons est le réapprentissage de la prédation de l'homme sur le loup, sans moyens létaux, en concentrant le loup dans certains espaces déterminés. Or, en France, les tirs déstabilisent les loups et les font fuir n'importe où : notre gestion n'est pas aussi efficace que celle d'autres pays où le loup est présent depuis plus longtemps. Nous réapprenons à vivre avec le loup depuis une vingtaine d'années, d'où notre retard.

M. Jean-François Rapin, président. - Quelle sera la prochaine étape ?

M. Cyril Pellevat, rapporteur. - Nous attendons les éléments des ministères.

Préparation du cadre financier pluriannuel 2028-2034 - Examen de la proposition d'avis politique

M. Jean-François Rapin, président. - Nous abordons maintenant le deuxième point de notre ordre du jour, à savoir le cadre financier pluriannuel (CFP) pour la période 2028-2034.

Nos collègues Christine Lavarde et Florence Blatrix Contat vont nous présenter les résultats de leurs travaux et un projet d'avis politique que nous adresserons ensuite à la Commission européenne, avant qu'elle présente ses propositions, le 16 juillet prochain.

Nous avons procédé à plusieurs auditions au cours des dernières semaines et nous avons pris au cours des derniers mois plusieurs positions fortes en faveur de la politique agricole commune (PAC), de la politique commune de la pêche, de la politique de cohésion, du soutien à l'industrie de défense, des régions ultrapériphériques (RUP), de l'innovation ou encore des ressources propres.

L'échange que nous avons eu à huis clos avec le commissaire européen Piotr Serafin a déjà permis d'engager le dialogue politique avec la Commission européenne.

La préparation du CFP a également été au coeur de la réunion plénière de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac) en début de semaine à Varsovie.

Nous savons que le processus d'adoption du CFP sera long et compliqué, mais nous devons prendre position dès à présent pour envoyer des signaux clairs à la Commission européenne et aux autres États membres. Nous serons ensuite amenés à poursuivre le travail, une fois que la Commission européenne aura présenté ses propositions.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Le 16 juillet prochain, la Commission européenne doit présenter ses propositions pour le prochain cadre financier pluriannuel, qui succédera au CFP 2021-2027.

Le CFP définit les plafonds de dépenses des différents programmes européens pour une durée minimale de cinq ans. Il est adopté à l'unanimité par le Conseil, après approbation du Parlement européen, qui n'a donc pas de pouvoir d'amendement. Dans la pratique, le Conseil européen joue un rôle très important dans ces négociations, compte tenu de la sensibilité du dossier et des orientations politiques traduites dans ce budget pluriannuel. Les discussions sont longues : pour le CFP 2021-2027, il a fallu plus de deux ans de négociations et deux conseils européens extraordinaires spécifiques pour aboutir à un accord.

Le 16 juillet, plusieurs textes devraient être dévoilés. Outre la proposition de règlement sur le CFP consacrée aux dépenses de l'Union, la Commission devrait également rendre publique sa proposition de décision sur les ressources propres, dédiée aux sources de financement du budget européen. Par ailleurs, la Commission a annoncé que des règlements sectoriels sur certaines politiques européennes, et notamment sur la PAC, pourraient également être intégrés dans ce paquet CFP présenté le 16 juillet.

Depuis plusieurs mois, la Commission européenne laisse entrevoir ses projets pour le CFP post 2027, par touches de communications successives. Cela a commencé dès les lettres de mission adressées aux commissaires européens en septembre 2024, puis par une communication le 12 février dernier intitulée La voie vers le prochain CFP. Le commissaire européen au budget Piotr Serafin a par ailleurs organisé un tour des capitales européennes, et nous l'avons auditionné avec nos collègues de l'Assemblée nationale le 22 mai dernier.

Une idée principale ressort de toutes ces communications et de toutes ces déclarations : la volonté de la Commission européenne d'une réforme d'ampleur de l'architecture du budget européen. La Commission semble vouloir bouleverser le cadre actuel, avec comme objectifs affichés de simplifier le budget européen, de le rendre plus flexible et de renforcer la logique de performance. Il serait en particulier envisagé de prévoir des plans nationaux de réformes, dont la mise en oeuvre conditionnerait l'attribution de fonds européens.

En amont de la présentation de ces propositions, nous avons donc souhaité préparer un avis politique sur le prochain CFP, à destination de la Commission européenne. Cet avis contient trois grands messages.

D'abord, nous alertons sur l'urgence à trouver de nouvelles sources de financement pour le budget européen. Les priorités s'accumulent, les initiatives se multiplient, mais les ressources pour les financer restent bien trop limitées. Cela est d'autant plus impératif que plane sur le prochain CFP une véritable épée de Damoclès : le remboursement à partir de 2028 du plan de relance Next Generation EU.

Ensuite, nous insistons sur nos craintes s'agissant de la refonte de l'architecture du budget européen. Si certaines pistes nous semblent aller dans le bon sens, nous redoutons une recentralisation des politiques européennes, au détriment des régions. Nous nous opposons à l'instauration de plans uniques calqués sur le modèle de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR) et nous posons des conditions au renforcement de la flexibilité du budget européen.

Enfin, nous insistons sur la nécessité de préserver les politiques traditionnelles de l'Union, de plus en plus attaquées et souvent détournées de leurs objectifs initiaux. La PAC et la politique de cohésion, mais également la politique commune de la pêche, chère au président Rapin, ne peuvent faire les frais des nouvelles priorités fixées par la Commission européenne.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Entrons désormais dans le détail : en l'état actuel, l'équation budgétaire du CFP post 2027 est impossible à résoudre.

Du côté des dépenses, le prochain budget devra financer de multiples priorités, qui se sont accumulées au fil des crises. Outre les politiques traditionnelles comme la PAC et la politique de cohésion, qui représentent deux tiers du budget européen, l'Union s'est fixé des objectifs en matière de compétitivité, d'investissements pour les transitions écologique et numérique ou encore de renforcement des capacités de défense. Le soutien à l'Ukraine, tout comme la perspective d'un élargissement, pèseront aussi sur le budget à venir. Sans vous accabler de chiffres, je rappelle que le rapport Draghi estime que les besoins annuels d'investissements supplémentaires s'élèvent de 750 milliards à 800 milliards d'euros pour remédier au décrochage économique de l'Union. Par ailleurs, l'objectif de neutralité carbone de l'Union a été fixé pour 2050 et des investissements massifs devront donc être réalisés dans les années à venir pour y parvenir. S'agissant de la défense, la Commission européenne estime que l'Union a besoin de 500 milliards d'euros d'investissements pour sa sécurité au cours de la prochaine décennie.

Il faut aussi ajouter à ces postes de dépenses le remboursement à partir de 2028 et pour 30 ans du principal du plan de relance européen. Les estimations actuelles évaluent à 25 à 30 milliards d'euros par an le coût total du remboursement de cet emprunt. Cette charge représente près de 20 % du budget annuel actuel de l'Union européenne.

Du côté des ressources, les marges de manoeuvre sont très limitées. Le financement du budget européen repose encore très majoritairement sur les contributions des États membres. D'ailleurs, le prélèvement sur recettes de la France au profit de l'Union européenne augmentera de 7 ou 8 milliards d'euros l'année prochaine. Or, compte tenu des finances publiques des États membres, il est peu crédible de compter sur une augmentation des contributions nationales, déjà très importantes.

Certes, pour s'autonomiser des contributions nationales et pour assurer le remboursement du plan Next Generation EU, la Commission européenne avait proposé en 2021 un paquet de nouvelles ressources propres, actualisé en 2023. Mais aucune nouvelle ressource n'a été adoptée depuis la présentation de ce paquet. De plus, aucun progrès significatif n'a été enregistré au Conseil sur ce dossier. Certains États membres, et en particulier ceux de l'Est de l'Europe, s'opposent aux ressources tirées du système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne (Seqe-UE) qu'ils considèrent comme régressif, car il pèse davantage sur leurs économies que sur celles de leurs voisins.

Il y a donc aujourd'hui une situation de blocage. En conséquence, nous appelons la Commission à formuler des propositions complémentaires de nouvelles ressources propres, susceptibles de recueillir un soutien plus large des États membres. L'introduction de nouvelles ressources propres est un préalable indispensable, sans quoi il sera impossible de reconduire les politiques traditionnelles de l'Union, de financer les nouvelles priorités et de rembourser le prêt Next Generation EU.

Le commissaire européen Piotr Serafin a présenté des pistes de propositions de taxe sur les déchets électroniques non collectés, de taxe sur les petits colis entrant sur le sol européen et d'augmentation progressive des frais que doivent verser les visiteurs étrangers pour rentrer dans l'Union à partir de 2026, à savoir le système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages (Etias). Ces pistes sont prometteuses mais nous restons sceptiques car leur rendement doit être chiffré, tout comme le coût de leur collecte.

Nous considérons que les ressources propres dont la base taxable est extérieure à l'Union sont à privilégier. C'est pourquoi nous insistons dans l'avis politique sur la ressource tirée du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), dont le champ d'application pourrait être étendu à l'occasion de la nécessaire révision du dispositif. Nous n'oublions pas les critiques formulées par le Sénat à ce sujet !

Nous appelons également à la mise en oeuvre d'une taxe numérique à l'échelle de l'Union européenne, sans attendre de parvenir à un accord sur le pilier 1 du projet porté par l'OCDE et le G20. La position actuelle des États-Unis bloque toute issue positive des négociations sur le pilier 1 ; j'ai participé à un déplacement de la commission des finances aux États-Unis à ce propos voilà trois ans : le président américain n'était pas l'actuel, mais l'administration américaine n'était déjà pas encline à trouver un accord... Ce sera donc encore moins sûr aujourd'hui : l'Union européenne doit donc avancer sur ce dossier.

En parallèle, nous demandons la suppression de tous les mécanismes de rabais des contributions nationales des États membres. La France est la principale contributrice aux corrections accordées à plusieurs États membres, mais ne bénéficie pour sa part d'aucun rabais. Ce système de dérogation nationale, hérité du passé et inspiré d'une logique de juste retour, n'a plus lieu d'être. Cette suppression permettrait de dégager des sources de financement complémentaire.

Enfin, nous ne fermons pas la porte à un nouvel emprunt commun. Nous y ajoutons cependant une double condition : d'abord, de véritables ressources propres doivent avoir été introduites au préalable ; ensuite, cet emprunt doit être limité dans son objectif, à l'image de ce qui a été fait pour le programme Security Action for Europe (Safe) pour les investissements dans le domaine de la défense.

Ne nous y trompons pas : les difficultés rencontrées en 2024 pour faire face au renchérissement des intérêts du plan de relance nous rappellent que l'instrument de l'emprunt doit être manié avec précaution. L'emprunt peut être une option, mais des financements de long terme sont une obligation.

Il faut par ailleurs noter que le budget européen sert de plus en plus de garantie aux instruments financiers extrabudgétaires contractés par l'Union, comme les prêts accordés aux États membres ou aux États tiers. C'est là un sujet de préoccupation, puisque l'Union est alors garante en dernier ressort. C'est un passif à prendre en considération et qui ne doit pas conduire à couper par la suite dans des programmes européens.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - J'en viens maintenant à la révolution annoncée en matière d'architecture du budget européen. Les premières pistes évoquées en fin d'année dernière par la Commission européenne semblent se confirmer. La Commission n'a pas semblé évoluer sur ses positions, malgré quelques changements de dénomination...

Notre constat sur l'architecture du budget est double.

D'abord, le budget européen manque de flexibilité. On le sait, 90 % des fonds du CFP sont préalloués à des programmes ou à des enveloppes nationales spécifiques. Dans ces conditions, le CFP ne peut répondre que très difficilement et dans la douleur à la survenue de crises. Preuve en est la révision du CFP intervenue en février 2024, où le Conseil et le Parlement européen ont eu beaucoup de mal à s'entendre pour dégager des financements pour le soutien à l'Ukraine, pour faire face au renchérissement des coûts de Next Generation EU et pour renforcer les dépenses des politiques migratoires.

Par ailleurs, le budget européen souffre d'une trop grande complexité. Le budget est éclaté en une multiplicité de programmes, avec des règles d'éligibilité souvent très différentes. À l'occasion des crises, de nouveaux fonds, de nouveaux programmes et de nouvelles mesures ad hoc ont même été ajoutés, renforçant encore la dispersion des financements de l'Union. Nous le déplorons depuis longtemps : l'accès aux fonds européens reste très difficile pour les bénéficiaires, qui doivent bien souvent constituer des équipes de spécialistes pour monter les dossiers ; nous nous en rendons compte dans nos territoires.

Nous partageons avec la Commission européenne ce double constat du manque de flexibilité et d'une trop grande complexité. Mais nos propositions peuvent diverger sur les solutions à apporter.

Pour répondre aux défaillances du budget européen, la Commission européenne propose un big bang de son architecture.

D'abord, elle souhaite refondre le budget en quatre grands piliers, contre neuf rubriques actuellement. Le premier pilier rassemblerait les politiques traditionnelles, au premier rang desquelles figurent la PAC et la politique de cohésion, de même que la politique commune de la pêche.

Un deuxième pilier, intitulé « fonds de compétitivité », contiendrait l'ensemble des financements consacrés à la recherche et à l'innovation.

Un troisième pilier serait consacré à l'action extérieure.

Un quatrième pilier serait dédié aux dépenses administratives. Quelques programmes comme Erasmus ou Europe créative n'intégreraient aucun de ces piliers et resteraient ainsi autonomes.

Par ailleurs - et c'est l'autre point majeur de cette réforme - le versement des fonds du premier pilier serait conditionné à la mise en oeuvre de plans nationaux de réformes dans chaque État membre. Autrement dit, pour la PAC et pour la politique de cohésion, les fonds ne seraient débloqués qu'à la condition que des objectifs préétablis aient été remplis. La Commission européenne s'inspire ainsi de la logique de la FRR, qui subordonnait l'octroi des fonds à l'atteinte de cibles et de jalons. L'idée de la Commission européenne est de passer d'une logique de financement par les coûts à une logique de financement par la performance.

Nous nous opposons à ces plans uniques par État membre. Nous considérons que l'instauration de tels plans conduirait en réalité à une recentralisation du budget européen. La mise en oeuvre de ces fonds dépendrait en effet du dialogue entre la Commission et les États membres. Les régions seraient ainsi exclues de ces décisions, alors que les autorités régionales et locales connaissent le mieux les besoins sur le terrain. Nous le savons, la force des fonds de cohésion est actuellement assurée par le lien direct entre l'Union et les régions.

Par ailleurs, comment accepter que des régions ne perçoivent plus de fonds européens, sous prétexte que le pouvoir central n'a pas mis en oeuvre les réformes fixées par le pan national ? Les régions ne peuvent être tenues responsables du défaut de mise en oeuvre de mesures pour lesquelles elles ne sont pas compétentes.

En outre, il est surprenant que la FRR soit prise en modèle alors que la Cour des comptes européenne a régulièrement alerté sur ses défauts. La Cour a déploré la faible absorption des fonds de la FRR dans de nombreux États membres. Elle a également critiqué le manque de contrôle et de transparence du système. Elle considère même qu'il ne s'agit pas d'un instrument fondé sur la performance, puisque ce système accorde plus d'attention à l'état d'avancement des cibles plutôt qu'aux résultats effectifs.

La Commission européenne a d'ailleurs elle-même reconnu les lacunes de la FRR dans une communication du 4 juin dernier sur le déploiement de Next Generation EU. Alors que le plan de relance doit prendre fin en 2026, elle note ainsi que beaucoup reste à faire, puisque seulement 38 % des prêts et 57 % des subventions ont été versés aux États membres. Plus de 4 300 cibles et jalons sur 7 105 doivent encore être atteints pour débloquer les fonds restants.

Certes, lors de son audition devant notre commission, le commissaire européen Piotr Serafin s'est voulu rassurant, affirmant que le rôle des régions serait préservé dans le nouveau dispositif. La dénomination des plans a même évolué, puisque ceux-ci sont désormais désignés sous l'expression « partenariats nationaux et régionaux pour les investissements et les réformes ». Mais nous ne savons pas ce que ce changement de jargon implique concrètement. Si de tels plans étaient mis en oeuvre, ils ne pourraient être acceptables que si de véritables critères régionaux, correspondant aux compétences des régions, étaient retenus.

J'en viens à deux points complémentaires : l'un sur la flexibilité, l'autre sur le projet de fonds de compétitivité.

Notre avis politique insiste pour qu'une flexibilité renforcée ne se traduise pas par une incertitude sur les contributions des États membres. Elle doit donc se faire sous les plafonds du cadre budgétaire. Elle ne doit pas non plus servir de prétexte pour accorder davantage de pouvoirs à la Commission en matière d'allocation des fonds, au détriment des grandes priorités politiques fixées par l'autorité budgétaire. Nous nous opposons par ailleurs à la proposition de réduire de sept à cinq ans la durée du CFP, compte tenu de la longueur des négociations budgétaires.

Le fonds unique dédié à la compétitivité soulève nombre d'interrogations. Si ce fonds unique se contente de rassembler les fonds dédiés à la compétitivité, sans fongibilité entre les programmes, la plus-value de cet instrument reste difficile à saisir. Il faut par ailleurs rappeler qu'en application de l'article 182 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), l'Union est tenue d'adopter un programme cadre spécifique pour la recherche. En tout état de cause, la compétitivité doit être une priorité pour l'Union et des financements renforcés en la matière sont indispensables.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'en viens maintenant à la dernière partie de notre intervention. Notre avis politique insiste sur l'urgence à trouver des sources de financement et pose des conditions à une refonte du budget européen. Il vise également à défendre les politiques traditionnelles de l'Union dans un contexte où celles-ci semblent de plus en plus menacées.

Vous le savez - et nos auditions de Régions de France et de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) l'ont rappelé - la politique de cohésion est de plus en plus détournée de ses objectifs initiaux. Elle a été sollicitée pour répondre à la crise sanitaire, pour faire face à la crise énergétique, puis pour dégager des financements de réponse aux crises climatiques. Aujourd'hui, la Commission européenne propose aux États membres, à l'occasion de la révision à mi-parcours de cette politique, de réorienter une partie des fonds de cohésion vers les efforts de défense.

Par ailleurs, cette politique est aussi attaquée par certains de nos partenaires européens, qui préféreraient que ces financements soient orientés vers les nouvelles priorités de l'Union européenne, et tout particulièrement la compétitivité et la défense. Ils mettent en avant le taux d'erreur observé pour la mise en oeuvre de cette politique et insistent sur le déboursement considéré comme trop lent de ces fonds. La Finlande en particulier adresse de nombreuses critiques à la politique de cohésion. Il faut rappeler que le taux d'erreur reste de l'ordre de 9 % et que le déboursement retardé enregistré sur la programmation 2021-2027 s'explique par la mise en oeuvre concurrente du plan de relance européen.

On pourrait même ajouter une menace intérieure, puisqu'en France, la direction du budget est traditionnellement peu encline à défendre la cohésion compte tenu du faible taux de retour pour notre pays de cette politique. D'ailleurs, la note de position des autorités françaises sur le prochain CFP reste très ambiguë sur le sujet, si ce n'est une phrase générale sur la défense du rôle des régions.

Pourtant, il convient de souligner que la politique de cohésion est une politique d'investissements indispensable pour réduire les écarts de développement entre les régions européennes. La politique de cohésion ne doit pas devenir une variable d'ajustement pour remédier aux défaillances du budget européen. Elle joue d'ailleurs un rôle crucial pour nos outre-mer, sujet sur lequel peu d'États membres sont hélas sensibilisés, comme nous l'avons rappelé hier... Nous demandons à cet égard à la Commission un soutien plus important aux régions ultrapériphériques dans le prochain CFP, notamment au moyen d'un programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (Poséi) renforcé.

Enfin, si la cohésion est territoriale, elle est aussi sociale. Notre récente table ronde sur l'aide alimentaire a rappelé l'apport capital que représente le Fonds social européen (FSE+) pour les associations concernées. C'est là aussi un point de vigilance de notre commission.

L'autre grande politique traditionnelle est, bien sûr, la politique agricole commune. Là aussi des menaces planent puisqu'elle serait intégrée dans un fonds unique et que sa mise en oeuvre dépendrait du déploiement d'un plan de réformes. Nous nous y opposons fermement, d'autant que la PAC a déjà fait l'objet d'une réforme importante en 2021 avec l'instauration des plans stratégiques nationaux 2023-2027. La Commission a laissé entendre qu'elle intégrerait le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) dans les plans de « partenariat national et régional », mais pas le Fonds européen agricole de garantie (Feaga). Cette proposition non plus ne nous convient pas : la PAC dans son ensemble doit être exclue des plans de partenariat.

Par ailleurs, nous appelons à maintenir dans le prochain CFP un budget à la hauteur des ambitions de la PAC et de la politique commune de la pêche. Comme nous l'indiquions dans la résolution européenne du Sénat du 21 janvier 2025 sur l'avenir de la PAC, le budget de ces politiques doit être au moins stable, en euros constants, sur la programmation 2028-2034. Nous nous opposons également à toute diminution de l'enveloppe du Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture (Feampa) dans le prochain CFP.

L'élargissement pourrait également avoir des répercussions sur ces politiques. Là aussi, nous appelons à la vigilance. Notre table ronde sur les conséquences budgétaires d'un élargissement l'a d'ailleurs souligné, notamment au travers de la question du choc que représenterait pour la PAC une intégration de l'Ukraine. Pour cette raison, nous demandons une étude d'impact détaillée sur les conséquences d'une Union à trente, à trente-trois, voire à trente-six membres : aucune étude officielle de la Commission n'a pour l'heure été publiée ! Par ailleurs, en cas d'élargissement, une révision du CFP est obligatoire et des mécanismes transitoires pour l'accès aux fonds doivent être prévus.

Maintenir les politiques traditionnelles, financer les priorités nouvelles, rembourser le plan de relance, préparer l'élargissement, simplifier l'accès aux fonds, renforcer la flexibilité sans nuire à la prévisibilité : voilà tous les défis qui attendent l'Union au travers du prochain CFP. Pour y répondre, nous adoptons dans notre avis politique un esprit de responsabilité en posant comme préalable la nécessaire introduction de nouvelles ressources propres.

Néanmoins, nous savons que l'argent public européen ne pourra pas tout. En parallèle des discussions sur le prochain CFP, il s'agira d'avancer d'urgence sur l'Union de l'épargne et des investissements, qui permettra de mobiliser pleinement les capitaux privés européens pour servir la croissance et la compétitivité.

M. Jean-François Rapin, président. - Ce cadre financier pluriannuel sera un tournant pour l'Union européenne. La donne est simple : plus de dépenses et pas assez de recettes. Il faudra être vigilant dans les semaines et les mois à venir, et conserver ce qui fonctionne. Les commissaires européens, au moins, essaient de nous écouter...

Même si je suivrai l'avis des rapporteures, je suis pour ma part en faveur d'une réduction de sept ans à cinq ans de la durée du CFP. Actuellement, sa révision à mi-parcours entraîne des dépenses sans que les recettes suivent, aussi, des plans comme Next Generation EU ont été mis en place sans atteindre leur pleine capacité. Par ailleurs, à part certains pays où les dirigeants sont reconduits d'élection en élection, de nombreux États membres connaissent un changement de pouvoir au bout de cinq ans.

M. Dominique de Legge. - Comme l'indique l'alinéa 28, l'Union a besoin de 500 milliards d'euros pour la défense, selon la Commission européenne. Quel est le fondement de cette affirmation ? Pour donner un ordre de grandeur, l'effort de défense de l'ensemble des États membres s'élève à 350 milliards d'euros par an. Je ne mentionne même pas la question de la compétence de l'Union européenne dans ce domaine : les commandes de matériel militaire sont passées par les États pour les États, et non pour la Commission.

Par ailleurs, comment ces 500 milliards s'articulent-ils avec les 800 milliards d'euros de Mme von der Leyen ? En effet, celle-ci nous a fait une annonce en ce sens, même si 650 milliards d'euros se réduisent à un assouplissement des critères du pacte de stabilité et 150 milliards à des emprunts qui viennent s'ajouter à ceux qui ont été passés au moment du Covid-19.

Enfin, comment articuler les différentes exigences de la Commission : respect du pacte de stabilité, maintien des politiques en cours et mise en oeuvre de nouvelles compétences, notamment en matière de défense ? Cette quadrature du cercle est similaire à celle que nous connaissons dans notre pays pour la construction de la loi de finances. Est-ce à dire que l'approche budgétaire et gestionnaire de la France s'exporterait à l'échelle européenne ?

M. Didier Marie. - Je souscris globalement aux propos qui ont été tenus. La nouvelle Commission a placé la compétitivité au centre de ses priorités, à la suite des rapports Draghi et Letta. Pour rester un acteur mondial de premier plan, l'Europe a besoin de retrouver de la croissance, de réaliser ses transitions écologiques et numériques, de stimuler son innovation et de poursuivre son développement économique, social et territorial. Il faut s'en donner les moyens.

La première exigence est de briser le sacro-saint plafond de verre d'un budget européen limité à 1 % du PIB. Avec un tel montant, il est impossible de répondre à l'ensemble des défis qui sont devant nous, d'autant que le budget sera amputé de 20 % par le remboursement du prêt Next Generation UE. Un CFP inférieur au précédent serait inacceptable et irresponsable.

La question des ressources propres n'en devient que plus centrale. Il faut revenir sur la logique des rabais, qui ne semblent plus d'actualité et amputent le budget de manière significative. En outre, la Commission européenne pourrait faire preuve d'un peu plus d'imagination en matière de ressources nouvelles sans pénaliser la croissance : taxe sur les transactions financières entre l'Union et les pays tiers, droit d'accise sur les rachats d'actions par les entreprises, qui récompensent le plus souvent des actionnaires étrangers au détriment des investissements sur le continent, taxe sur les plus-values des cryptomonnaies, sur les échanges en fonction de leur consommation d'énergie, sur les écarts salariaux entre les femmes et les hommes...

Je partage vos réserves sur le changement de logique d'accès au budget européen, lequel serait accessible non plus par programme, mais au travers d'un pot commun : ce dernier serait ensuite réparti en vingt-sept enveloppes nationales, conditionnées à la mise en oeuvre de réformes sans que nous sachions lesquelles la Commission européenne envisage. C'est inquiétant. Nous devons refuser tout fonctionnement par guichet, car ce système est en contradiction avec la logique même de l'Union européenne.

Je partage également vos réserves sur l'introduction de nouvelles flexibilités. Ces dernières ne doivent pas se traduire par l'abandon de pans entiers des politiques communes existantes ou par l'affaiblissement des fonds de cohésion.

La compétitivité de l'Union ne peut se limiter à la recherche de l'efficacité économique : celle-ci ne peut être l'alpha et l'oméga des politiques européennes ! Le renforcement de la compétitivité passe par la mobilisation de nos atouts humains grâce à la formation, par la lutte contre les inégalités, la défense de notre cadre régulateur et la poursuite, de manière plus volontaire, de la lutte contre le dérèglement climatique.

M. André Reichardt. - Je me retrouve globalement dans cette proposition d'avis politique. J'aurai toutefois quelques remarques.

Premièrement, même si je salue le positionnement de notre commission en faveur de l'adoption de ressources propres, je m'étonne que nous n'envisagions pas une limitation, voire une réduction des dépenses de cette Union européenne. Je comprends le souhait de maintenir des instruments comme la PAC et la politique de cohésion, mais peut-on les conserver en l'état tout en y ajoutant le fonds pour la compétitivité et la défense, surtout à l'aune d'un élargissement possible ? Je ne le pense pas.

Deuxièmement, je trouve inacceptable la proposition de créer des plans nationaux, dont la mise en oeuvre conditionnerait le versement des fonds européens. Je me souviens d'un Président de la République - excusez-moi de revenir sur un sujet qui m'est cher - qui vantait auprès de Bruxelles la création des grandes régions en promettant des économies et en demandant en échange de cette réforme le maintien du soutien financier.

Par ailleurs, il est écrit dans l'avis politique : « l'instauration de tels plans conduirait à une renationalisation du budget européen ». J'entends le propos sur les régions qui suit ce passage, mais je suis surtout dérangé par l'emprise croissante de la Commission européenne à l'égard des États membres : sans réforme qui lui conviendrait, aucun soutien ne serait accordé. Personnellement, je ne veux pas de cette Europe, mais, pour autant, je ne suis pas sûr de vouloir non plus d'une Europe des régions. En effet, le lobby des régions veut continuer à bénéficier des aides.

Il nous faut nous accorder sur des politiques fortes au sein de ce cadre financier pluriannuel. Je ne suis pas sûr que la commission des affaires européennes prenne position à cet égard au travers de son avis. Même si je comprends le discours technique et financier, et même si je ne suis pas du tout opposé au contenu, je n'en vois pas la ligne.

Il est écrit dans l'alinéa 56 : « Considère que si [le fonds unique de compétitivité] ne se contente que de rassembler les fonds dédiés à la compétitivité, sans fongibilité entre les programmes, la plus-value de cet instrument reste difficile à saisir ». Pourquoi « sans fongibilité » ? Selon moi, un fonds unique vise précisément à la garantir au nom de la souplesse et de la flexibilité.

En somme, je ne vois pas comment nous pourrons sortir de cette nasse financière qui est actuellement celle de l'Union européenne sans une ligne claire qui consisterait à réduire les dépenses - je suis persuadé qu'il faudra en passer par là dans certains domaines - ou à augmenter vraiment les recettes. Je ne suis pas sûr que nous en soyons capables. Pourtant, nous ne pouvons pas nous satisfaire du fonctionnement actuel de l'Union : certains pays veulent continuer à faire ce qu'ils veulent tout en recevant de l'argent européen. Même si je comprends pourquoi notre commission ne se risque pas trop sur le sujet, je suis frustré.

Mme Marta de Cidrac. - Il faut s'interroger sur les dépenses de l'Union européenne à réduire : je souscris à cette idée. En réalité, l'avis politique révèle une absence de vision politique commune en Europe. Comment notre commission sénatoriale pourrait-elle faire valoir ses réflexions ? Une suite sera-t-elle donnée à l'avis politique ou restera-t-il lettre morte ?

M. Jean-François Rapin, président. - L'avis politique est transmis à la Commission européenne et celle-ci a le devoir d'y répondre par écrit : c'est la force de ce document. L'établissement d'un tel lien direct est une prérogative de notre commission.

Quand la Commission européenne nous répondra, les rapporteurs en feront état. D'ailleurs, hier soir, au cours d'une réunion avec le ministre en charge des relations avec le Parlement, j'ai invité le Gouvernement à prendre en compte nos propositions dès lors qu'elles sont adoptées et à en assurer le suivi auprès de la Commission européenne.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Concernant les 500 milliards d'euros pour la défense, nous n'en saurons pas davantage avant le 16 juillet. Aussi, nous nous sommes fondées sur un chiffre avancé par la présidente von der Leyen en 2024, avant l'annonce, sans plus de précision, des plans de 650 milliards et de 150 milliards d'euros. L'avis politique nous permettra de savoir ce que la Commission envisage réellement en matière de défense, car, en réalité, les 800 milliards d'euros seront dépensés à partir des budgets nationaux.

Nous sommes convaincues que rien ne pourra avancer sans de nouvelles ressources propres et à budget constant. Des questions sur les dépenses se poseront, mais nous faisons face à un mur de priorités existentielles pour l'Union : être compétitive, mener la transition écologique... L'enjeu des ressources propres est toutefois complexe. En effet, les pays du Nord y sont opposés par principe tandis que les pays de l'Est peuvent y être favorables, à condition de n'être pas mis à contribution.

Il faudra veiller à l'articulation entre les nouvelles ressources propres de l'Union et les recettes nationales, et procéder à des arbitrages. De fait, la taxe française sur les services numériques disparaîtra du budget national si elle est adoptée à l'échelle européenne, conformément à notre proposition.

Nous insistons sur cette taxe, car elle permettrait de dégager des ressources importantes et représente un enjeu de compétitivité. D'ailleurs, un accord a été conclu entre cinq pays européens et les États-Unis pour la mettre en oeuvre de manière transitoire. Il est prévu dans cette convention que les pays remboursent sous forme de crédit d'impôt aux entreprises toute taxation excédant un certain montant. Si le pilier 1 de l'accord de l'OCDE sur la taxation minimale des multinationales avait vu le jour, la France aurait donc été dans l'obligation de procéder à des remboursements, d'après les informations fournies par Bercy.

Le Parlement européen est opposé au fonds de compétitivité figurant à l'alinéa 53 de notre avis politique. La difficulté réside dans le fait que nous rendons cet avis sans disposer encore d'éléments précis. À l'heure actuelle et d'après les échos que nous avons eus - nous verrons ce qu'il en sera le 16 juillet prochain -, nous pensons que les programmes continueront d'exister à l'intérieur des piliers qui seront créés. L'enjeu de la fongibilité est évoqué pour cette raison.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Jusqu'à présent, les sommes sont préemptées par programme dès la signature du cadre financier. Cette pratique ne laisse aucune marge de manoeuvre pour réajuster le budget en fonction du contexte économique, social et politique, et des aléas que peut rencontrer l'Union européenne sur les sept ans.

L'idée qui circule est de créer de grandes enveloppes, à l'intérieur desquelles des fonds seraient fléchés. Par exemple, 50 % des fonds de la politique de cohésion seraient dirigés vers des politiques thématiques et 50 % seraient destinés à être réalloués au cours de la période d'existence du CFP à des outils de cohésion spécifiques, sans préciser lesquels, de manière à être plus réactif.

M. Jean-François Rapin, président. - Cet avis politique est un premier jet : nous commençons par fixer une ligne puis les discussions dureront deux ans. Notre commission devait-elle plus précisément définir le positionnement du Sénat avant que la France ne définisse le sien, en invitant par exemple à réduire les charges de fonctionnement de l'Union ?

Je sens que la Commission européenne a changé sa manière de voir les choses. Elle considère à présent qu'être à l'écoute des États membres est important, car elle a compris que son fonctionnement jusque-là risquait d'entraîner un éclatement de l'Union, certains pays ayant une voix très critique à l'égard de l'Europe.

Nous modifierons progressivement notre avis en fonction des informations complémentaires que nous recevrons. Monsieur Reichardt, si vous souhaitez d'ores et déjà amender le texte pour y apporter des précisions, nous pouvons l'envisager.

Les dépenses de fonctionnement sont plus ou moins maîtrisées. Les directeurs de la Commission européenne ou les chefs de service que je rencontre veulent créer plus de postes de fonctionnaires européens, mais ils savent qu'ils n'obtiendront pas gain de cause étant donné le budget contraint.

M. Didier Marie. - Je ne souhaite pas intégrer au texte des précisions supplémentaires en matière de ressources propres. Cela étant, au regard des difficultés que le Conseil fait peser sur elle, la Commission européenne se restreint : elle ne va pas au bout de ses réflexions, alors que le Parlement européen a formulé toute une série de propositions dans une résolution. Mes suggestions en proviennent, sachant que ce document en contient d'autres, plus complexes.

Nous devons nous donner les moyens de faire face au mur des défis. Aussi, il faut briser le plafond de verre de 1 % du PIB. Cela sera l'objet d'une modification que je proposerai. Pour y parvenir sans recourir à des contributions nationales, il faut des ressources propres et donc faire preuve d'un peu d'imagination.

M. Jean-François Rapin, président. - Il faudra évaluer, par une étude d'impact, le retentissement des ressources propres sur le porte-monnaie des contribuables nationaux. Certains risquent d'y voir l'occasion de témoigner de leur sentiment anti-européen.

La contribution française devrait atteindre près de 30 milliards d'euros en 2026, soit une augmentation, sans nouvelles dépenses de fonctionnement, de 6 milliards d'euros en raison principalement des conséquences du Brexit et de la révision à la hausse du CFP intervenue en février 2024. L'intégration progressive du remboursement de l'emprunt commun signifie par ailleurs que nous aurons un saut encore plus important à faire pour le budget 2028.

EXAMEN DES PROPOSITIONS DE MODIFICATION AU TEXTE DE LA COMMISSION

M. Didier Marie. - Je vous propose une modification rédactionnelle à l'alinéa 24, visant à remplacer « traditionnelles » par « communes », terme qui désigne usuellement les politiques faisant historiquement partie de l'identité de l'Union.

La proposition de modification de M. Didier Marie est adoptée.

M. Didier Marie. - Je propose de remplacer, à l'alinéa 32 : « sans introduire de nouvelles ressources propres », par : « ; demande de relever le plafond du budget européen au-dessus de 1 % du PIB en introduisant de nouvelles ressources propres ».

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Nous sommes conscientes que les grandes politiques voulues ne pourront pas se faire à budget constant.

M. Dominique de Legge. - J'exprimerai des réserves s'agissant de fixer un pourcentage de PIB, notamment en raison de mon expérience avec l'objectif de 2 % de PIB pour la défense. En effet, il suffit que le PIB baisse pour le plafond soit brisé !

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les variations du PIB sont conjoncturelles.

Mme Marta de Cidrac. - La rédaction reste ouverte. Ainsi, elle est moins contraignante.

M. Didier Marie. - Il faut préciser ce « 1 % », car il est un point de discussion entre États membres.

M. Jean-François Rapin, président. - Nous pourrions reformuler de cette manière : « sans introduire de nouvelles ressources propres et sans réévaluer le plafond ».

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Ou « Alerte sur la possibilité de financer le prochain CFP, qui devra être nécessairement réévalué face aux nouvelles priorités politiques ».

M. Jean-François Rapin, président. - Le plafond sera de toute manière réévalué.

M. Didier Marie. - Il est possible de réévaluer vers le bas ou vers le haut...

La proposition de modification de M. Didier Marie n'est pas adoptée.

M. Didier Marie. - À la suite de « Demande à la Commission de présenter ses propositions de nouvelles ressources en même temps que la proposition de règlement sur le prochain CFP, en y associant des études d'impact chiffrées sur leur rendement attendu et sur les coûts de recouvrement associés ; », je propose d'ajouter à l'alinéa 38 : « Considère qu'introduire ces nouvelles recettes permettrait de garantir le financement de l'ensemble des priorités ; estime ainsi indispensable que le futur paquet de ressources propres soit adopté en même temps que le prochain CFP, voire qu'il soit un préalable à l'accord final. »

M. Jean-François Rapin, président. - Savons-nous combien ces ressources rapporteraient ?

M. Didier Marie. - Non. Cela fait partie des discussions.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Cela ne serait pas grand-chose.

M. Didier Marie. - Nous n'irions pas loin avec deux euros par colis taxé : 2 milliards d'euros.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Cela ne devrait-il pas figurer dans un alinéa 38 bis supplémentaire, afin de bien distinguer, d'une part, la demande adressée à la Commission de présenter ses propositions, et, d'autre part, le souhait qu'elles soient adoptées ensemble ?

M. Jean-François Rapin, président. - Je suis d'accord avec cette proposition, qui éviterait d'alourdir l'alinéa 38.

La proposition de modification de M. Didier Marie, ainsi modifiée, est adoptée.

M. Didier Marie. - Au début de l'alinéa 42, je propose de remplacer les termes : « Considère qu'un nouvel emprunt commun pourrait être une option pour mobiliser des ressources supplémentaires de financement pour l'Union... », par : « Considère que le principe d'emprunt commun doit être intégré comme un outil permettant de mobiliser des ressources supplémentaires de financement de l'Union... »

M. Jean-François Rapin, président. - Un ou des outils ?

M. Didier Marie. - « Comme l'un des outils », si vous préférez.

M. Jean-François Rapin, président. - C'est une véritable injonction à l'emprunt !

La proposition de modification de M. Didier Marie n'est pas adoptée.

M. Didier Marie. - Toujours à l'alinéa 42, le passage suivant est ambigu : « estime en outre que cet emprunt devrait se limiter à des cas exceptionnels, comme doit le faire le programme SAFE pour le financement d'investissements dans le domaine de la défense ; ... ». Si l'emprunt vise à accompagner les capacités d'action l'Union, il ne peut être considéré comme exceptionnel.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous avons justement décidé de circonscrire son usage.

M. Dominique de Legge. - Selon moi, ce passage signifie que l'on ne s'interdit pas le recours à l'emprunt, sous réserve qu'il soit ciblé vers un objectif précis et non pas destiné à assurer l'équilibre général du budget.

M. Didier Marie. - Et pour la transition écologique, par exemple ?

M. Jean-François Rapin, président. - C'est une question très politique : le recours à l'emprunt devient-il quelque chose de naturel et intégré au fonctionnement budgétaire de l'UE, comme on le connaît en France, ou non ? Pour ma part, en tant que président de la commission et membre du groupe Les Républicains, je considère plutôt que ce n'est pas le cas.

M. Didier Marie. - Au moins, je l'aurai proposé...

M. Jean-François Rapin, président. - Vous défendez donc un recours accru à l'emprunt au niveau européen.

M. Didier Marie. - Je n'ai pas dit ça ! Je préfère simplement que ce soit l'Union européenne qui emprunte, plutôt que la France seule.

M. Jean-François Rapin, président. - Oui, mais attention : si demain la contribution de la France atteignait 40 ou 45 milliards d'euros, cela risquerait de nourrir les critiques de certaines formations politiques extrémistes.

La proposition de modification de M. Didier Marie n'est pas adoptée.

M. Didier Marie. - Il me semblerait logique de remonter l'alinéa 49 juste après l'alinéa 47 portant sur la refonte du CFP, la création d'un fonds de compétitivité ainsi que le lien entre le versement de certains fonds et l'engagement par chaque État d'un plan de « partenariat national et régional d'investissements et de réformes », sur le modèle de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR). Dans la mesure où la commission s'oppose à la proposition de créer des plans nationaux uniques par État membre, il conviendrait de le notifier dès le départ.

M. Jean-François Rapin, président. - C'est effectivement le même esprit.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous n'y sommes pas favorables.

M. Didier Marie. - Cette solution me semblait plus logique.

La proposition de modification de M. Didier Marie n'est pas adoptée.

M. Didier Marie. - Toujours à l'alinéa 49, je vous suggère de remplacer les termes : « note le souhait de la Commission de s'inspirer du modèle de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR)... », par « s'inquiète... »

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous sommes d'accord avec cette suggestion.

La proposition de modification de M. Didier Marie est adoptée.

M. Didier Marie. - À l'alinéa 61, la commission « insiste également pour que cette flexibilité ne dénature pas les grandes priorités fixées par l'autorité budgétaire... ». Je propose d'ajouter : « et ne remette pas en cause la nature et le volume des fonds de cohésion... »

M. Jean-François Rapin, président. - Ne pourrait-on enlever « la nature et le volume », et garder seulement « les fonds de cohésion » ?

M. Didier Marie. - Dans l'esprit de la commission, c'est à la fois la nature et le volume des fonds de cohésion qui sont en cause aujourd'hui.

M. Jean-François Rapin, président. - Puisque l'Union envisage de ponctionner les fonds de cohésion pour renforcer la capacité de la base industrielle et technologique de défense (BITD), l'objectif était de permettre aux territoires qui le peuvent de réorienter ces crédits vers la BITD. Si l'on verrouille la nature et le volume, on bloque cette marge de manoeuvre. Il vaut mieux garder cette option.

M. Didier Marie. - Je n'y suis pas opposé, mais cela risque de remettre en cause le Fonds social européen + (FSE+).

M. Jean-François Rapin, président. - Je ne le pense pas.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Évoquer dès maintenant le sujet du volume, alors que nous en sommes au tout début, me paraît prématuré. Nous pourrons vraiment nous positionner une fois que nous aurons les propositions de la Commission.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Oui, nous y reviendrons.

M. Jean-François Rapin, président. - Quand nous aurons une idée claire de l'évolution des fonds de cohésion, ce sera plus simple de se prononcer.

La proposition de modification de M. Didier Marie n'est pas adoptée.

M. Didier Marie. - Je vous propose d'ajouter un alinéa 61 bis en vue de rappeler la nécessité de la généralisation de la conditionnalité au respect de l'État de droit, d'appuyer l'introduction d'une proportionnalité - suspension totale ou partielle des fonds selon la gravité et le type de violation - et de demander la mise en oeuvre de mécanismes permettant aux bénéficiaires d'accéder aux fonds, même en cas de suspension, afin qu'ils ne soient pas pénalisés.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - L'alinéa 71 porte déjà sur l'État de droit ; n'entrons pas dans de tels détails à ce stade.

La proposition de modification de M. Didier Marie n'est pas adoptée.

M. Didier Marie. - À l'alinéa 67 relatif à la politique de cohésion, la commission « observe qu'il est désormais proposé de réorienter une partie des fonds de la politique de cohésion vers les efforts de défense ». Je vous propose d'écrire plutôt : « s'oppose à la proposition de réorienter une partie des fonds de cohésion vers les efforts de défense ».

La proposition de modification de M. Didier Marie n'est pas adoptée.

M. Didier Marie. - À la fin de l'alinéa 67, je vous suggère d'ajouter les termes suivants : « rappelle que cette politique vise pourtant originellement à réduire les écarts de développement entre les régions européennes et à lutter contre les inégalités sociales au sein de l'UE » - c'est bien le sens du FSE+.

M. Jean-François Rapin, président. - Nous souhaitons conserver le FSE+.

La proposition de modification de M. Didier Marie est adoptée.

M. Didier Marie. - J'aborde maintenant un sujet sensible : la conditionnalité liée à l'État de droit et à la bonne utilisation des fonds européens. Après l'alinéa 72, je proposerai deux petits ajouts. Le premier : « rappelle que les ONG ont le droit de s'exprimer sur toute politique de l'UE et qu'elles reçoivent légalement des fonds européens en respectant les règles de transparence du règlement financier de l'UE, comme le rappelle la Cour des comptes européenne ». Le second : « demande que la transparence soit appliquée à l'ensemble des acteurs sans exception - société civile, entités privées, entreprises multinationales, lobbyistes, gouvernements nationaux et institutions européennes. »

M. Jean-François Rapin, président. - Pour avoir bien relu le passage du rapport de la Cour des comptes européenne à ce sujet, je peux affirmer qu'elle dit le contraire. En réalité, elle alerte la Commission sur le manque de transparence des fonds versés aux petites ONG, car ils ne font pas l'objet de vérifications.

M. Didier Marie. - Oui, et c'est pour cette raison que je n'ai pas proposé de modifier l'alinéa 72. Cela dit, on peut lire également que « Les ONG ont le droit de s'exprimer sur toute politique de l'UE et l'obtention de fonds européens est légale et respecte pleinement les exigences de transparence du règlement financier de l'UE. » La Cour des comptes européenne - le contrôleur des dépenses du budget de l'UE - est formelle à ce sujet. 

M. Jean-François Rapin, président. - Il s'agit d'un rappel du droit existant.

M. Didier Marie. - Exactement. Bien sûr, il est nécessaire de s'assurer de la transparence des fonds et de les contrôler, mais ne donnons pas l'impression de mettre en cause le rôle des ONG.

M. Jean-François Rapin, président. - Ce n'est pas le cas.

M. Didier Marie. - Alors, écrivons-le explicitement.

M. Jean-François Rapin, président. - La proposition des rapporteurs me semble équilibrée. Nous nous en tenons au rapport de la Cour des comptes par rapport au prochain CFP ; or les ONG seront respectées. Pour autant, il est grand temps de s'assurer de la transparence de certaines d'entre elles, qui font de l'influence étrangère.

M. Didier Marie. - Je suis d'accord.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Reprenons le début de la proposition de M. Didier Marie, en écrivant ainsi l'alinéa 72 : « Observe par ailleurs que la Cour des comptes européenne, tout en rappelant que les ONG ont la possibilité de s'exprimer, [...] ».

M. Jean-François Rapin, président. - Cela permet d'équilibrer l'alinéa, mais il n'en demeure pas moins que cette question est très importante. D'ailleurs, lors de la Cosac à Varsovie, nombre d'États membres ont pris la parole à ce sujet, de même que le Parlement européen, lequel est très favorable aux ONG.

La proposition de modification de M. Didier Marie, ainsi modifiée, est adoptée.

M. Didier Marie. - Je propose d'ajouter un alinéa : « Demande que la transparence soit appliquée à l'ensemble des acteurs sans exception ». Le lobbying est une question qui concerne aussi les entreprises multinationales.

M. Jean-François Rapin, président. - Bien sûr, nous pouvons l'ajouter, en faisant référence à notre rapport d'information sur la lutte contre la corruption dans l'Union européenne.

La proposition de modification de M. Didier Marie est adoptée.

M. André Reichardt. - Je suis d'accord avec les arguments techniques avancés, mais nous ne pouvons pas continuer ainsi : il faut une ligne politique claire et forte.

M. Jean-François Rapin, président. - C'est à la nouvelle Commission de la fixer.

M. André Reichardt. - Je ne sais pas si les Vingt-Sept en seront capables ; en tout cas, pour l'instant, elle n'est pas là.

M. Jean-François Rapin, président. - Je travaille actuellement sur un rapport relatif aux difficultés que rencontre la recherche dans le secteur de l'aéronautique civile, qui continue de nécessiter des financements publics, bien sûr, mais également une participation du secteur privé. Ce qui me frappe, c'est l'absence notable de l'Union européenne dans cette discussion, alors même que les enjeux sont considérables, notamment pour Airbus qui est une industrie européenne.

Ce constat se retrouve dans le rapport Draghi, où l'on ne trouve aucune référence à l'évolution ni à la transition énergétique de l'aéronautique civile ; il n'y a rien sur l'utilisation des carburants d'aviation durables ou Sustainable Aviation Fuels (SAF). On exige pourtant de l'aéronautique civile qu'elle atteigne des objectifs que, dans l'état actuel de la recherche et de l'innovation, elle ne pourra pas satisfaire - en particulier en ce qui concerne l'alimentation des appareils en carburant durable.

Un pan entier de la recherche en aéronautique civile est ainsi totalement négligé. Et les chercheurs, par manque de moyens et d'orientation stratégique, risquent d'abandonner des champs entiers de la recherche, au profit de la seule transition énergétique. Ce recentrage est certes important, mais il ne peut pas être exclusif.

Je pense, par exemple, à Thales, qui prévoit de suspendre toute activité de recherche sur l'hélicoptère pendant dix ans, alors même que nous connaissons l'efficacité des hélicoptères en matière de sauvetage, notamment.

Je considère donc que nous ne mettons pas suffisamment l'accent sur l'innovation. C'est pourquoi je propose d'ajouter à l'alinéa 56 : « Insiste sur la nécessité de soutenir de manière adaptée et ambitieuse l'innovation, condition indispensable du redressement de la compétitivité de l'Union européenne. » Cet ajout permettrait d'englober l'ensemble des champs de l'innovation, sans en exclure aucun.

Je n'ai pas voulu centrer mon intervention uniquement sur l'aéronautique civile, puisqu'aucune thématique précise n'avait été retenue, mais je pense que ce point mérite d'être souligné. Il s'agit là d'un secteur dual : l'aéronautique civile est également utilisée par les forces militaires. Nous avons un vrai sujet sur les carburants du futur. Tous les avions sont aujourd'hui capables de voler avec ces nouveaux carburants ; le problème est qu'ils ne sont pas produits, car leur coût reste trop élevé.

La proposition de modification de M. Jean-François Rapin est adoptée.

La commission adopte, à l'unanimité, l'avis politique, ainsi modifié, disponible en ligne sur le site du Sénat, qui sera adressé à la Commission européenne.

La réunion est close à 11 heures.